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CE QU’ENSEIGNE LA COMPARAISON ENTRE LES PHILOSOPHIES

EUROPÉENNE, CHINOISE ET JAPONAISE DU XVIIIE S. SUR LES


RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE À LA CULTURE SAVANTE

Vincent Citot

Vrin | « Le Philosophoire »

2020/2 n° 54 | pages 227 à 258


ISSN 1283-7091
ISBN 9782353380572
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Ce qu’enseigne la comparaison entre les
philosophies européenne, chinoise et
japonaise du XVIIIe s. sur les rapports de
la philosophie à la culture savante

Vincent Citot
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Résumé
Le XVIIIe siècle correspond à une période exceptionnelle dans les histoires
des philosophies européenne, chinoise et japonaise. C’est en effet à cette
époque qu’apparaît une nouvelle classe de libres penseurs renouvelant
puissamment la vie intellectuelle, que la réflexion se tourne vers l’étude de
la nature et de la société en adoptant un état d’esprit positif et, enfin, qu’un
nouveau type de savoir sur l’homme se dessine qui prendra peu après la forme
des « sciences humaines ». Aussi bien en Europe qu’en Chine et au Japon, les
grands penseurs du XVIIIe siècle sont identiquement philosophes et savants.
Or dès les années 1775-1800, le nombre de ces philosophes-savants décline
brusquement tandis que les sciences franchissent un cap décisif dans la voie
de l’autonomisation disciplinaire. Il s’agit de comprendre comment s’est opéré
la séparation science-philosophie et quelles en sont les conséquences pour la
vitalité de la production philosophique.

What the comparison of eighteenth-century European, Chinese, and


Japanese philosophies teaches us about the relationship between
philosophy and scientific culture
The eighteenth century was an exceptional period in the histories of European,
Chinese, and Japanese philosophies. It was at this time that a new class of

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freethinkers renewed intellectual life, that reflection turned to the study of


nature and society by adopting an experimental approach, and, finally, that
a new type of knowledge about man emerged, which would later take the
form of the “human sciences.” In Europe as well as in China and Japan, the
great thinkers of the eighteenth century were both philosophers and scientists.
However, beginning in around 1775–1800, the number of these philosopher-
scientists declined abruptly, while the sciences turned to a process of
disciplinary autonomization. We attempt to understand how the separation
between science and philosophy took place and what the consequences were
for the vitality of philosophical production.

Nous proposons de montrer que le XVIIIe siècle correspond à une


période exceptionnelle dans les histoires des philosophies européenne,
chinoise et japonaise. C’est en effet à cette époque qu’apparaît une
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nouvelle classe de libres penseurs renouvelant puissamment la vie
intellectuelle, que la réflexion se tourne vers l’étude de la nature et de
la société en adoptant un état d’esprit positif et, enfin, qu’un nouveau
type de savoir sur l’homme se dessine qui prendra peu après la forme
des « sciences humaines ». Aussi bien en Europe qu’en Chine et au
Japon, les grands penseurs du XVIIIe siècle sont identiquement phi-
losophes et savants. Certes, on ne peut appliquer sans précaution les
termes occidentaux de « philosophie » et de « science » à la Chine et
au Japon du XVIIIe siècle. Ces dénominations rétrospectives ne corres-
pondent pas exactement aux pratiques discursives qu’elles voudraient
désigner. Néanmoins, il nous semble qu’on ne déforme pas la réalité
historique en repérant un processus de spécialisation au sein du champ
des productions intellectuelles. S’agissant de la « philosophie », si on
la définit a minima comme une forme d’argumentation théorique et
critique cherchant à repenser à nouveaux frais l’héritage intellectuel
de la tradition, alors il n’y a aucune raison de ne pas désigner comme
« philosophes » les penseurs chinois et japonais du XVIIIe siècle1.
Quant à la « science », si on la définit d’une façon restrictive comme
pure recherche désintéressée du savoir positif, alors il faudra repousser
bien tard son émergence en Orient. Mais il nous semble plus pertinent

1.  On peut même faire commencer la philosophie chinoise au VIe siècle av. notre
ère – en tout cas à l’époque des Royaumes Combattants (475-221 ou 403-221). Au Japon,
il serait aventureux de remonter en amont de l’Époque Edo (qui commence en 1603).

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de désigner comme savante toute quête de connaissances au moyen de
procédures de décentration caractérisées (formalisation, mathématisa-
tion, observation, souci de vérification empirique – sinon expérimen-
tale –, travail en équipe), quand bien même la finalité de ces recherches
serait religieuse, économique ou politique. C’est selon nous la méthode
plus que la finalité qui donne son caractère au travail effectué.
Ainsi, dans l’Europe, la Chine et le Japon du XVIIIe siècle, selon
des modalités singulières mais comparables, le champ intellectuel se
ramifie et se spécialise. Penser la nature à l’aide de schèmes cosmo-
logiques puisés dans la tradition est une chose, la concevoir sur la
base d’observations empiriques en est une autre. Certains penseurs
construisent des doctrines par des moyens essentiellement spéculatifs,
d’autres se fondent sur des procédés philologiques et d’autres encore
réfléchissent sur la base de leur pratique de médecin ou de marchand.
Quels que soient les termes employés (« religion », « philosophie »,
« science », « préscience », « théorie », « pratique », etc.), il est utile
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de repérer des évolutions dans les façons de penser et de construire le
savoir – il ne faut donc pas craindre de nommer les spécialités émer-
gentes. Quand ils ne sont pas mathématiciens, physiciens ou médecins,
les grands penseurs du XVIIIe siècle sont à tout le moins précurseurs
du discours savant en histoire, linguistique, philologie, économie, et,
pour certains, en sociologie, psychologie et anthropologie. Les spécia-
lités se précisent, mais, au XVIIIe, elles sont souvent pratiquées par
les mêmes auteurs polymathes, à la fois philosophes et savants. Or
dès la fin du siècle, aussi bien en Europe qu’en Chine et au Japon, le
nombre de ces philosophes-savants décline brusquement tandis que les
sciences franchissent un cap décisif dans la voie de l’autonomisation
disciplinaire. L’équilibre propre au XVIIIe siècle n’est plus. Pourquoi
ce retournement de conjoncture ? Comment se fait-il que nous l’ob-
servions aussi bien en Europe qu’en Chine ou au Japon ? L’histoire
intellectuelle manifesterait-elle des récurrences ? – on n’ose pas dire
des lois. Que nous apprend le comparatisme sur ces revirements de
l’histoire de la philosophie ?
Comme il y a mille manières de pratiquer la comparaison inter-
culturelle en philosophie, il faut dire un mot de la façon dont nous la
mettons en œuvre ici. Il ne s’agit pas de comparer le contenu doctrinal
intrinsèque de systèmes ou de courants de pensée, mais de comparer
des évolutions historiques. Non pas mettre en miroir l’Europe, la Chine
et le Japon comme des entités culturelles figées, ni faire se refléter
l’un dans l’autre tel ou tel représentant de ces cultures, mais chercher

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des analogies dans les histoires de ces traditions philosophiques. Nous


comparons des trajectoires, des inflexions, des ramifications, des bi-
furcations. Pourquoi restreindre la comparaison à l’Europe, à la Chine
et au Japon ? Outre qu’il faut savoir limiter son cadre de travail, il
apparaît qu’au XVIIIe siècle leurs situations intellectuelles semblent
analogues – certains historiens de la philosophie prêtent volontiers à
la Chine et au Japon du XVIIIe siècle le qualificatif de « Lumières »
originairement appliqué à l’Europe2. On ne pourrait en faire autant
pour la philosophie en Inde ou dans le monde arabo-musulman – leur
« Lumières » sont très antérieures3. Pourquoi faire porter la compa-
raison sur le XVIIIe siècle ou, plus précisément, le tournant du XVIIIe
et du XIXe siècles ? Parce qu’il se pourrait que ce virage soit décisif
(sinon irréversible) au sein des trois histoires que nous mettons en
rapport. Cette inflexion a des conséquences jusque dans la façon
dont nous pratiquons la philosophie aujourd’hui dans ces trois aires
civilisationnelles. Les rapports que la philosophie entretient avec la
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culture savante aujourd’hui sont la suite du revirement que nous allons
examiner. La façon même dont nous définissons la tâche et les exi-
gences de cette discipline est historiquement marquée par la séparation
science-philosophie qui fait l’objet de notre étude.
Notre hypothèse historiographique est que le rapport que la philo-
sophie entretient avec la culture savante est un critère essentiel pour
comprendre les grandes inflexions de l’histoire de la philosophie. Cela
revient, en simplifiant à l’extrême, à découper cette histoire en trois :
l’époque durant laquelle les philosophes sont indistincts des savants ;
celle de la séparation et de l’autonomisation des sciences ; celle de
la coexistence à distance des réseaux intellectuels philosophiques et
scientifiques. Cette tripartition est trop schématique notamment parce
que les sciences ne s’autonomisent pas toutes à la même époque et
parce que l’histoire intellectuelle est faite de revirements contraignant
l’historien à ajuster ses hypothèses en permanence. Néanmoins,
comme nous allons le voir, ce schéma fournit une grille de lecture
intéressante pour les trois civilisations à considérer. Si nous faisons ici

2.  Pour la Chine, voir par exemple Wu Genyu, 2015 ; pour le Japon : Proust, 1997,
p. 229. La pensée russe du XVIIIe siècle est aussi qualifiée, à juste titre, de « Lumières »
– de sorte que nous aurions pu inclure la Russie dans notre étude comparatiste.
3.  Il faudrait remonter à l’ère Gupta pour l’Inde (et plus particulièrement du milieu
du IVe siècle au milieu du Ve siècle), aux IXe-Xe siècles pour l’Islam oriental et aux XIe-
XIIe siècles pour l’Islam andalou. Le constat de cette antériorité ne signifie rien d’autre
que ceci : chaque ère culturelle connaît un rythme de développement propre.

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principalement un travail d’historien des idées et des réseaux intellec-
tuels, dans un second temps, il est intéressant de juger en philosophe
les constats présentés. Il nous semble que quand la philosophie n’est
plus une source vive de production du savoir, et que, en outre, elle
se coupe des réseaux où a lieu désormais cette production, elle prend
le risque de se replier sur sa tradition et de perdre toute capacité à se
renouveler autrement qu’en subissant les contrecoups successifs des
révolutions scientifiques. Certes, la philosophie n’a pas pour seule
ambition de connaître, car sa vocation est surtout de coordonner des
savoirs et des valeurs, des vérités universelles et des modes d’existence
concrets4 (en quoi on la dit « amour de la sagesse ») ; mais pour que
cette coordination soit pertinente, encore faut-il que les savoirs que la
philosophie met en perspective soient « à jour ». Elle doit donc garder
le contact avec les sciences positives. L’enjeu ultime de ce travail est
donc de réfléchir aux conditions sous lesquelles la philosophie peut, à
l’époque du triomphe des sciences, rester pleinement légitime et fidèle
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à ses exigences intellectuelles propres.

I – La philosophie européenne

Comme chacune des trois histoires intellectuelles que nous allons


examiner jouit d’une certaine autonomie,5 nous les étudions successi-
vement. Le XVIIIe siècle européen, souvent mieux connu du lecteur
que les deux autres, permettra à ce dernier de se familiariser avec notre
façon de procéder – commençons donc par l’Occident.
Au XVIIe siècle européen, les grands philosophes sont souvent
savants et contributeurs aux diverses sciences mathématiques et na-
turelles, à l’image des Hobbes, Gassendi, Descartes, Pascal, Locke ou
Leibniz. S’il existe déjà des scientifiques spécialisés – comme Galilée,
Harvey, Torricelli, Fermat, Boyle, Huygens, Hooke ou Newton – cette
spécialisation n’engendre pas une coupure du champ intellectuel en

4.  Pour une détermination plus précise de la nature et des exigences de la pensée
philosophique, voir notre ouvrage, Puissance et impuissance de la réflexion, Argenteuil,
Le Cercle Herméneutique, 2017, chp. III.
5.  L’autonomie dans la trajectoire historique est compatible avec les influences
intellectuelles – elle est à distinguer de l’autarcie.

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deux  : d’un côté la science, de l’autre la philosophie6. En effet, les


réseaux intellectuels se recouvrent en grande partie et l’on pourrait
presque dire que tout le monde est au courant de la recherche menée
dans tous les domaines. Le XVIIIe siècle est le dernier duquel on
puisse affirmer une telle chose, le dernier durant lequel les philosophes
participent majoritairement et activement aux réseaux savants. Ce qui
les distingue fondamentalement de leurs aînés du XVIIe siècle est leur
intérêt pour la réalité humaine, qu’ils se mettent à étudier pour elle-
même. Non plus en y appliquant la rationalité des sciences de la nature
– les paradigmes mécanistes, atomistes ou rationalistes –, mais dans sa
complexité propre. Ce faisant, ils inaugurent un type de recherche qui
sera celui de la sociologie, de l’anthropologie, de l’économie et de la
psychologie – l’histoire et la linguistique ne sont pas en reste7.
S’il serait fastidieux de recenser rigoureusement les apports de
chaque penseur à ces disciplines, nous pouvons néanmoins en men-
tionner les plus évidents. De l’esprit des lois de Montesquieu est
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unanimement considéré comme un livre précurseur en sociologie, au
même titre que le Traité de la nature humaine et l’Enquête sur l’enten-
dement humain de Hume pour la psychologie, et les Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des nations de Smith pour la science
économique. Mais la Théorie des sentiments moraux de Smith a aussi
rapport à la sociologie comme l’Essai sur la règle du goût de Hume ;
de même que Sur l’équilibre du commerce et Sur la concurrence com-
merciale de ce dernier traitent d’économie. L’Essai sur les mœurs et
l’esprit des nations de Voltaire importe pour les futures recherches en
anthropologie comme les Esquisses de l’histoire de l’homme de Lord
Kames et l’Essai sur l’histoire de la société civile de Ferguson. Le Trai-
té des sensations de Condillac intéresse la future psychologie comme
la Lettre sur les aveugles de Diderot. Quant à l’histoire, qui devient au
cours du siècle une authentique science de l’homme (et non plus une
chronique d’événements divers), elle s’enrichit des travaux de Voltaire

6.  Les savants travaillent, jusqu’au dernier quart du XVIIIe siècle, dans le cadre de
la « philosophie naturelle » (Schaffer, 1986 ; Schuster et Watchirs, 1990 ; Dear, 2001 ;
Anstey et Schuster, 2002 ; Clavelin, 2004 ; Gaukroger, 2006 ; Grant, 2007, chap. 10 ;
Reeves, 2008 et Dawes, 2011. Dans le même sens, mais plus radicalement encore  :
Cunningham, 1988 et 1991 ; Cunningham et Williams, 1993, Harrison, 2006 et 2007).
7.  Nombreuses sont les études portant sur l’apport des philosophes des Lumières
aux futures sciences humaines. Parmi elles, on peut citer Gusdorf, 1960, 1971, 1972 et
1973 ; Jones, 1989 ; Olson, 1993 ; Fox, Porter et Wokler, 1995 ; Heilbron, Magnusson et
Wittrock, 1996 ; Waszek, 2003 et 2010, Gautier, 2015.

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(Le Siècle de Louis XIV), de Lord Kames (ouvrage déjà cité), de Hume
(Histoire de l’Angleterre), de Ferguson (Histoire des progrès et de la
chute de la République romaine) et de John Millar (Vue historique du
gouvernement anglais). L’histoire des sciences devient elle-même une
spécialité avec les Eloges de Fontenelle à l’Académie des sciences et
De l’émergence et du progrès des arts et des sciences de Hume.
Si l’on voulait mentionner les contributions des philosophes du
XVIIIe siècle aux mathématiques, on devrait au moins citer les tra-
vaux de Wolff, Berkeley, Maupertuis et D’Alembert. En physique, il
faudrait mentionner Montesquieu, encore Maupertuis et D’Alembert,
ainsi que Priestley et Kant. Avant de s’engager dans le grand tournant
de la philosophie transcendantale, ce dernier a contribué à enrichir
la physique, l’astronomie et la géographie (Pensées sur la véritable
évaluation des forces vives, Sur les altérations du mouvement de ro-
tation de la Terre, Vieillissement de la Terre, Sur les tremblements
de terre et sur les vents, Histoire universelle de la nature et théorie
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du ciel, Géographie physique, etc.). Le grand naturaliste Buffon étant
également philosophe et très liés aux philosophes de son temps (no-
tamment par sa collaboration à l’Encyclopédie), nous pouvons compter
son Histoire naturelle comme un projet intellectuel transdisciplinaire.
En médecine, il faudrait évoquer La Mettrie (Nouveau traité des ma-
ladies vénérienne, Traité de la petite vérole), qui importe aussi pour
ses traductions en français de traités de chimie, et les Éléments de
physiologie de Diderot. Mais les œuvres qui dominent tous ces travaux
et qui concentrent en elles l’esprit du siècle sont les encyclopédies  :
l’Universal-Lexicon (Grande et très complète Encyclopédie de tous les
Arts et de toutes les Sciences, 1731-1754, éditée par J. H. Zedler) et
l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers (1751-1772, dirigée par Diderot et d’Alembert). Cette dernière
nous intéresse particulièrement dans la mesure où elle met à contribu-
tion la majorité des grands philosophes français du siècle. Rousseau,
Helvétius et D’Holbach, qui n’ont pas encore été cités, écrivent des
articles. Jaucourt, philosophe trop peu connu, est le plus gros contribu-
teur de cette entreprise. Il rédige des articles d’histoire, de géographie,
de médecine, de biologie et d’astronomie. L’esprit encyclopédique du
siècle remonte au Dictionnaire historique et critique de Bayle (1697)8,

8.  Mentionnons encore le Dictionnaire de Trévoux (1704), le Lexicon Technicum


(1704 – Londres) et la Cyclopædia ou Dictionnaire universel des arts et des sciences
(1728 – Londres).

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qui peut être intégré à l’époque dont nous traitons tant son attrait pour
les savoirs positifs le rattache aux grands esprits du XVIIIe siècle (sans
même parler de ses dispositions sceptiques et de son rapport critique
à la religion).
La « philosophie des Lumières » ne se réduit pas à son rapport
aux savoirs savants et elle est assurément plus qu’une accoucheuse des
futures sciences humaines. C’est pourtant sous cet aspect que nous
la considérons pour mieux comprendre le tournant des années 1770.
Au cours de cette décennie et des suivantes, le rapport aux sciences
change radicalement. Kant fait figure d’auteur pivot9 : à partir des an-
nées 1770, il cherche moins à enrichir les sciences qu’à les encadrer
en leur assignant des conditions de possibilité et d’intelligibilité. Le
tournant transcendantal ressemble à une tentative philosophique de
reprendre le contrôle de la production savante en envisageant des « a
priori » universels et transhistoriques dans lesquels celle-ci devrait
nécessairement se mouvoir. L’ambition est grandiose, mais l’évolution
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des idées en mathématique, physique, biologie, sociologie, psychologie
et anthropologie manifeste une superbe indifférence à l’égard de ces
travaux philosophiques – et même une transgression systématique
de ce qui avait été posé par Kant comme des « catégories a priori ».
Les successeurs du professeur de Königsberg, tels Fichte, Schelling et
Hegel, ont moins de scrupules que Kant pour penser les rapports de
la philosophie à la science ; ils fondent des « doctrines de la science »
et des « sciences philosophiques » qui ont un rapport de plus en plus
nominal à l’activité proprement scientifique10. L’« Encyclopédie » de
Hegel peut être considérée comme une version spéculative des travaux
encyclopédiques savants du XVIIIe  siècle. Dans cette époque où le
romantisme triomphe, les penseurs cherchent des grandes synthèses
et une vue globale du réel (une « philosophie de la Nature ») qui les
éloigne de la division disciplinaire qui est au contraire à l’œuvre en
science. En France, après les bouleversements de la période révolu-
tionnaire, beaucoup veulent retrouver ce qui semble avoir été perdu
et oublié, quelque chose de la pensée religieuse et de la tradition. Si

9.  Sur la situation de Kant dans l’histoire de la philosophie (après son tournant
transcendantal en 1770), et donc sur son rapport aux sciences, voir Bréhier, 1930, L. V,
chap. 15 ; Vleeschauwer, 1935, 1939 et 1973 ; Chevalier, 1961, t. 1, chap. 5 ; Belaval,
1973b ; Lebrun, 1976 ; C. Bonnet, « Kant et les limites de la science », in Wagner, 2002 ;
Grapotte, Lequan et Ruffing, 2009a et 2009b.
10.  Le mot anglais science prend son sens moderne (c’est-à-dire employable par
opposition à philosophie) à partir de 1833 (Reeves, 2008).

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l’Idéologie semble prolonger pour quelques années le rapport étroit de
la philosophie à la science, c’est très vite le spiritualisme qui triomphe,
notamment au sein d’une université cousinienne.
Il est impossible de donner un résumé de la philosophie européenne
postkantienne et postrévolutionnaire en quelques lignes, mais si nous
devions indiquer son esprit, nous dirions qu’elle se caractérise par un
revirement brutal à l’égard des savoirs positifs. Désormais, il s’agit
moins de participer à leur élaboration que de les encadrer, les surmon-
ter, les transcender ou les dévaloriser. Ou encore de s’y montrer indif-
férent – attitude nouvelle dans l’histoire de la philosophie européenne
par son ampleur. Or la période correspond à l’épanouissement de ces
savoirs, aussi bien du côté des sciences naturelles (avec Lavoisier, La-
marck, Laplace, Sadi Carnot, Cuvier, Von Baer, Volta, A. de Humboldt,
Ritter ou Lyell) que du côté des (futures) sciences humaines (avec von
Schlözer, Meiners, G.  de Humboldt, Schlosser, Ranke, Gibbon, W.
Jones, Malthus, Ricardo, Say, Guizot, Michelet et Tocqueville). Ces
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savants ne sont pas philosophes et, réciproquement, aucun des phi-
losophes de l’époque n’est un savant qui compte dans l’histoire des
sciences. Au moment où les savoirs se démultiplient et se spécialisent,
les philosophes se coupent – sauf exceptions – de l’univers scientifique.
Les réseaux de philosophes et de savants sont désormais séparés, cha-
cun travaillant dans son coin. Il ne semble pas que cette situation nuise
au développement des sciences mais il se pourrait bien qu’elle affecte
la philosophie. En effet, on est en droit de s’interroger sur le destin
d’une philosophie qui, sans renoncer à son ambition de connaître ou de
légiférer sur les savoirs, deviendrait étrangère au champ de la produc-
tion des connaissances. Le risque est que ce « savoir philosophique »
soit un para-savoir, un pseudo-savoir, et que la position de surplomb
du législateur méta-cognitif soit contrainte de réviser périodiquement
les « conditions transcendantales de la connaissance » au fur et à me-
sure que celles-ci se développent effectivement – ce qui ruine de facto
l’entreprise en question. Cette coupure science-philosophie est nette
jusqu’au milieu du XIXe siècle – époque à laquelle nous nous bornons
ici.

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II – La philosophie chinoise

L’histoire de la philosophie chinoise n’est pas continue depuis son


émergence au VIe siècle av. J.-C. jusqu’à son devenir contemporain.
Nous croyons devoir distinguer trois cycles entrecoupés de périodes
d’affaissement ou de quasi-disparition. Le cycle antique – comparable
à bien des égards à celui de la pensée grecque – s’achève à la fin du
IVe  siècle de notre ère quand le bouddhisme se répand d’une façon
significative. Commence alors ce que l’on peut appeler, faute de mieux,
le cycle médiéval11, qui culmine au XIe siècle (au XIIe siècle, selon la
plupart des commentateurs) sous la dynastie des Song du Nord et
s’achève au cours du XIVe siècle tandis que la philosophie est presque
réduite à néant. La restauration Ming en 1368 marquerait alors le dé-
but du cycle moderne qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui et qui nous
intéresse ici. Après un siècle et demi d’occupation mongole, la société
mandarinale est restaurée par le premier empereur Ming. La pensée
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philosophique renaît lentement dans ce contexte où l’orthodoxie né-
oconfucéenne (issue des Song) gouverne l’ensemble des productions
intellectuelles. À partir de 1530, les disciplines du philosophe Wang
Yangming renouvellent la pensée et un certain libéralisme intellectuel
commence à faire contrepoids à l’orthodoxie. Mais c’est surtout à
partir de l’avènement des Qing en 1644 que la philosophie chinoise
entre dans une phase exceptionnelle par la diversité et la richesse de sa
production. Le « XVIIIe siècle chinois », si l’on peut dire, commence
en plein XVIIe siècle. La période 1644-1775 est un âge d’or intellectuel
mais aussi économique, politique et géopolitique – encadré par l’ins-
tabilité des Ming (menaces aux frontières, insurrections intérieures,
crises financières, économiques et commerciales périodiques) et la
dégradation irrémédiable de la fin du XVIIIe siècle puis l’effondrement
devant les puissances occidentales.
Les tendances qui émergent dans la première moitié du XVIIe siècle
deviennent dominantes entre  1644 et  1775  : défiance vis-à-vis de la
philosophie instituée, indépendance d’esprit, revendication de liberté
contre le despotisme étatique, rejet de la mentalité religieuse et intérêt
pour les recherches savantes. Le monde intellectuel, dit E. Balazs,
« rejetait la superstition, la tradition légendaire et les révélations su-
prasensibles […]. Le monde érudit de l’époque s’intéressait vivement

11.  Qualificatif non péjoratif ici – ce cycle étant presque aussi brillant que le
précédent.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 237
aux mathématiques et aux sciences naturelles. Il est significatif que
presque tous les grands philosophes et historiens s’occupaient de
ces disciplines »12. Cet état d’esprit n’est pas propice à la constitution
de systèmes philosophiques, comme aimaient en construire les par-
tisans des correspondances cosmologiques néoconfucéennes des XIe
et XIIe siècles. Mais cela n’empêche pas les intellectuels d’avoir une
œuvre philosophique, même si c’est souvent à l’occasion de recherches
philologiques – car le goût de l’exactitude conduit beaucoup d’entre eux
d’une discipline à l’autre13. Le premier philosophe que nous rencon-
trons, Fang Yizhi (1611-1671), tient une position encore ambiguë. Porté
sur les recherches savantes, linguiste, importateur des idées médicales
européennes, il conserve néanmoins un attachement au néoconfucia-
nisme traditionnel, et même à la religion, puisqu’il se fait moine boudd-
histe en 165014. Huang Zongxi (1610-1692) se distingue par l’originalité
de sa philosophie politique, dans laquelle il développe une théorie du
droit naturel. Son Traité de la monarchie est une sévère critique du
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despotisme et de l’absolutisme. Il est aussi le premier historien de la
philosophie (chinoise). On atteint un premier sommet avec Gu Yanwu
(1613-1682), père de la philologie scientifique (fondateur de “l’École de
critique textuelle”), phonologiste, historien, géographe ; il s’intéresse à
toutes les sciences de son temps. Il reste philosophe par sa volonté de
restaurer le confucianisme antique (décapé des interprétations cosmo-
logiques). Il critique les spéculations religieuses (bouddhistes, taoïstes,
néotaoïstes), aussi bien que l’absolutisme impérial. On l’a parfois
comparé à Voltaire et au mouvement des Lumières européennes – qui
associe critique politique et fondation des futures sciences humaines15.
Tous ces caractères se retrouvent chez Wang Fuzhi (1619-1692), à un
degré encore supérieur. Son génie, unanimement reconnu, lui vaut
d’être comparé à Montesquieu ou Diderot16. En effet, c’est un grand
penseur de la psychologie des peuples, des mœurs, des mécanismes
sociologiques, de l’évolution des institutions, de l’histoire, etc. Il en
dégage une philosophie de l’histoire, une philosophie politique et une

12.  Balazs, 1968, p. 225 – nous soulignons.


13.  C’est pourquoi B.A. Elman titre From Philosophy to Philology (Elman, 1984).
14.  Peterson, 1977.
15.  Voir l’article de J.-P. Diény, in Encyclopédie Philosophique Universelle, 1992,
p. 4016.
16.  J.-F. Billeter penche pour le premier, J. Gernet pour le second. En raison de sa
philosophie “matérialiste” de la nature, il nous semble que Wang Fuzhi serait plutôt le
Diderot chinois.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


238 Vincent Citot

philosophie morale épurées – faut-il le préciser ? – de toute sentimen-


talité religieuse. On trouve encore dans son œuvre une authentique phi-
losophie de la nature (inspirée du “matérialisme” de Zhang Zai), une
philosophie de la perception et une théorie de la connaissance17. Chez
Yan Yuan (1635-1704), la critique des abstractions livresques atteint un
tel degré qu’elle semble tourner à l’anti-intellectualisme. Il s’intéresse
néanmoins à la tradition philosophique (pour la critiquer), à la méde-
cine, aux mathématiques, à la botanique ainsi qu’à une multitude de
disciplines pratiques. Il fonde d’ailleurs une école pour appliquer sa
conception de l’éducation où il enseigne notamment la mécanique, les
mathématiques, l’astronomie et l’histoire. La démarche de Liu Xian-
ting18 (1648-1695) est comparable par son refus de la culture livresque
des lettrés et son intérêt pour les études positives. Curieux de tout, libre
de préjugés, il est proche du Mouvement Donglin (académie privée
restaurée en 1604), comme la plupart des grands esprits de l’époque.
Il est aussi ami des savants Gu Zuyu et Mei Wending – les réseaux
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intellectuels ne sont pas encore séparés.
À partir de 1700, le patronage bienveillant des savants par les em-
pereurs se transforme progressivement en tutelle puis en inquisition
littéraire. L’esprit libéral de la première génération n’est plus  : «  La
tolérance et le patronage libéral qui avaient marqué la plus grande par-
tie du règne de Kangxi [empereur de 1662 à 1722] font alors place à la
suspicion et à un contrôle beaucoup plus étroit des milieux lettrés »19.
Nous trouvons néanmoins des philosophes comparables à ceux dont
nous venons de dresser la liste. Il faut d’abord mentionner le pragma-
tique et réaliste Li Gong (1659-1733) – disciple de Yan Yuan, penseur
politique réformateur et partisan du retour à un confucianisme sans
cosmologisme. À la génération suivante, Jiang Yong (1681-1762), un
autre militant de l’École de critique textuelle, est plus savant (en ma-
thématique et astronomie) que philosophe. Dans un esprit proche, le
philologue Hui Dong (1697-1758) s’oppose ouvertement au néoconfu-
cianisme officiel au nom d’une exégèse plus savante de la tradition : il
est l’un des pères fondateurs du kaozhengxue / l’École de la recherche-
de-preuve en philologie. Il est également versé en astronomie. Par

17.  Gernet, 2005, est l’ouvrage le plus complet sur Wang Fuzhi . Voir aussi Gernet,
1975-1992 ; et, pour une pondération : Billeter, 2006.
18.  Sur cet auteur moins connu que les autres, voir Gernet, 1975-1992, chap. 2.
19.  Gernet, 1981, p. 472. Soixante-dix lettrés hostiles aux Mandchous avaient été
exécutés en 1663, mais cette purge fut sans suite au XVIIe siècle.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 239
contraste, Zhuang Cunyu (1719-1788) paraît rétrograde en embrassant
la vieille cosmologie de Dong Zhongshu (~179~104 ou 195-115 av. J.-
C.), c’est-à-dire « l’École des Textes nouveaux ». Ce haut fonctionnaire
(secrétaire de l’empereur Qianlong) a pourtant étudié l’astronomie, la
médecine, la géographie, le droit et les mathématiques, et participe
jusqu’à un certain point au Mouvement Donglin. Egalement proche du
pouvoir impérial, Ji Yun (1724-1805) est chargé de diriger la fameuse
Collection complète en quatre magasins / Siku quanshu. L’œuvre de
cet immense érudit embrasse tous les domaines : l’histoire, la philoso-
phie, la politique, l’économie, la géographie et les sciences naturelles.
Il s’intéresse véritablement à tout20. Zhang Xuecheng (1738-1801),
totalement irrévérencieux vis-à-vis de ce qu’il appelle les “soi-disant
Classiques”,21 est l’auteur d’une philosophie de l’histoire très originale
– en plus de son œuvre d’historien. Mais celui qui domine tout son
siècle par l’ampleur de son œuvre est Dai Zhen (1723-1777) : le plus
grand érudit et le plus grand philologue de l’histoire chinoise. Chose
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rare chez les philologues, il est aussi l’auteur d’une œuvre philoso-
phique complète, sans conteste la plus importante du XVIIIe siècle. Il y
repense à nouveaux frais les rapports du Li (le principe d’ordre du réel)
et du Qi (la matière-énergie), faisant de celui-là un principe immanent
à celui-ci, c’est-à-dire à la nature. Formé à l’astronomie et aux mathé-
matiques, il écrit aussi sur la phonétique historique, les mathématiques
et l’histoire des mathématiques. Tous ses travaux sont marqués par un
souci d’exactitude et d’objectivité, ou bien, s’agissant de philosophie,
par un effort de ressourcement à la tradition antique dans sa vérité
originelle. Cet attachement à la tradition le fait d’ailleurs se méprendre
sur l’origine et la valeur des sciences occidentales.
La critique philosophique et philologique du cosmologisme Song
durant toute la seconde moitié du XVIIe siècle permet l’autonomisation
progressive de la recherche savante. La métaphysique est désormais
un obstacle à la recherche  : on ne peut plus travailler correctement
en astronomie, en géographie, en histoire ou en philologie tout en
faisant allégeance à la doxa officielle des lettrés. Ainsi s’amorce « la
libération des sciences de la métaphysique »22  : celles-ci deviennent
des recherches spécialisées en marge – mais toujours à l’intérieur – de
la culture lettrée. « Les lettrés du début et du milieu des Qing libérèrent

20.  Chaussende, 2013, p. 152.


21.  Voir Richter, 1987, p. 64-65.
22.  Henderson, 1984, p. 150.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


240 Vincent Citot

effectivement la science astronomique, ainsi que nombre d’autres


branches spécialisées du savoir, de l’emprise de la métaphysique morale
néo-confucéenne »23. Le traditionalisme de la culture humaniste appa-
raît incompatible avec l’évidence croissante du progrès des savoirs : de
plus en plus de savants reconnaissent que « la science des Modernes
[est] nécessairement supérieure à celle des Anciens »24. L’évidence des
valeurs “modernes” apparaît au cours du XVIIIe s., en même temps
que deux autres phénomènes : la spécialisation et la professionnalisa-
tion des disciplines savantes. L’initiateur de ce mouvement est le grand
mathématicien du XVIIe s., Mei Wending (1632-1721), qui « dissocie
ce qui est du ressort des Sages, le domaine social et politique, de ce
qui relève des astronomes, domaine dans lequel l’intervention des
non-spécialistes est récusée »25. Au XVIIIe s., l’autonomie disciplinaire
reste très relative, car la spécialisation ne s’accompagne que d’une pro-
fessionnalisation partielle et, surtout, la tradition antique chinoise reste
l’horizon des savants – même de ceux qui s’intéressent à la science
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européenne comme Mei Wending, Dai Zhen, Wang Mingsheng et
Qian Daxin26. Mais au XIXe et au XXe s., l’autonomie idéologique, pro-
fessionnelle et institutionnelle des savants s’approfondit à mesure que
les contacts avec l’Occident se multiplient et du fait de l’importation
du modèle universitaire européen. D’une façon générale, la science
européenne tend à remplacer la science chinoise traditionnelle (sauf en
médecine) et on abandonne l’idée (inventée par Mei Wending) d’une
origine chinoise de la science européenne27. La rupture de la science
avec la culture lettrée signifie identiquement le délaissement de la tra-
dition chinoise et l’ouverture à l’Europe. L’attitude des savants chinois
vis-à-vis des missionnaires jésuites puis protestants (puis des universi-
taires japonais et américains) est significative à cet égard : une grande
partie de leurs efforts est dévolue à l’assimilation du savoir occidental.
Ce n’est pas “trahir les ancêtres”  : c’est simplement poursuivre la
voie qui a été engagée par les philosophes et philologues des années
1644-1700. La Chine n’a pas été submergée passivement par la science
européenne : elle s’y est intéressée activement parce qu’elle avait elle-
même engagé un processus de progrès. Elle s’est donné les moyens de

23.  J. Henderson, cité in Zurndorfer, 1988, p. 84.


24.  Henderson, 1984, p. 167.
25.  Jami, 2004, p. 721.
26.  Zurndorfer, 1988, p. 80-90.
27.  Le moment décisif vient peu après l’importation de la révolution copernicienne
– que s’étaient bien gardé d’enseigner les Jésuites.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 241
la comprendre – avec l’aide des missionnaires – et l’a adoptée quand
elle en a reconnu la supériorité28. À la fin du XIXe s., la conversion à
la “science moderne” occidentale est massive29. Cela n’a pas été sans
une acculturation assez violente à laquelle ont résisté les politiques, les
lettrés et les philosophes.
À partir de 1775, la situation politique et sociale se dégrade rapi-
dement. Les insurrections de la fin du siècle sont suivies d’une grande
récession économique au début du XIXe s., puis des guerres de l’opium
(1839-1842 et 1856-1860) qui débouchent sur les guerres civiles et les
grands soulèvements populaires de 1850 à 1875. Le traumatisme de la
défaite contre le Japon en 1894 et l’installation des puissances occi-
dentales à la fin du siècle complètent ce triste tableau. Deux solutions
s’offrent à la philosophie : le repli sur la tradition comme moyen affectif
et intellectuel de trouver un repère stable dans un monde bouleversé ;
l’ouverture à la “Modernité occidentale” pour assimiler la force de
l’adversaire. L’histoire de la philosophie aux XIXe et XXe siècles est
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le récit des hésitations qui ont fait pencher les auteurs tantôt d’un côté,
tantôt de l’autre. La plupart de ceux-ci tâchent toutefois de conserver le
meilleur de la tradition chinoise avec le meilleur de la modernité telle
qu’ils la comprennent.
La période à laquelle nous nous limitons ici est d’abord marquée
par le redoublement de l’inquisition littéraire du pouvoir impérial (dans
les années 1774-1789, 2300 livres “tendancieux” sont détruits). L’ordre
jésuite est interdit en 1773, de nombreuses écoles privées doivent
fermer et l’État impose un ordre moral traditionnaliste. Réprimés ou
démoralisés, les philosophes sont moins nombreux : la production in-
tellectuelle chute drastiquement. On trouve encore de grands érudits
comme Ruan Yuan (1764-1849), lequel édite des Classiques, patronne
les mathématiciens de son temps et écrit des remarquables Notices
[biographiques] sur les mathématiciens et astronomes. Mais l’esprit
n’est plus celui du XVIIIe siècle – Ruan Yuan est un traditionnaliste
résolu. L’École des Textes nouveaux (inspirée du cosmologisme de
Dong Zhongshu) accroît son influence. Fang Dongshu (1772-1851),
autre auteur d’importance, critique Dai Zhen et toute la tendance ré-
aliste qu’il représente. Jusqu’aux travaux de Yan Fu (1853-1921) à la
fin du siècle, nous ne pouvons citer aucun autre nom d’importance.

28.  L’impression laissée par la puissance militaire occidentale au XIXe siècle a été,


il est vrai, un puissant stimulant pour cette reconnaissance.
29.  Elman, 2005, chap. 11. Voir aussi Chesneaux, 1961 ; et Chesneaux, 1964.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


242 Vincent Citot

Le contraste est d’autant plus frappant avec la période antérieure que


les différentes sciences, elles, ne connaissent pas une telle régression.
Au contraire, elles prennent leur envol avec des historiens, philologues
linguistes ou épigraphes tels que Wang Mingsheng (1722-1798), Zhao
Yi (1727-1814), Qian Daxin (1728-1804), Zhang Xuecheng (1738-1801),
Duan Yucai (1735-1815), Cui Shu (1740-1816) ; et des mathématiciens
ou astronomes tels que Qian Daxin (1728-1804), Jiao Xun (1763-1820),
Wang Lai (1768-1813), Li Rui (1769-1817), Dong Youcheng (1771-
1823), Xiang Mingda (1789-1850), Luo Shilin (1789-1853), Dai Xu
(1805-1860), Li Shanlan (1811-1882), Feng Guifen (1809-1874), Ding
Quzhong (1810-1877) et Hua Hengfang (1833-1902).

III – La philosophie japonaise

À partir des XVe-XVIe siècles, le développement économique, com-


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mercial et urbain semble indiquer que le Japon s’engage dans une nou-
velle phase de son histoire. De grands centres régionaux (commerciaux
et politiques) émergent et se font concurrence. Comme au temps des
« Royaumes Combattants » en Chine, cette période des « Provinces en
guerre » (~1477~1573) est favorable à la mobilité sociale et au renouvel-
lement des idées. Les échanges avec la Chine et la Corée se renforcent
et cette ouverture se traduit, sur le plan intellectuel, par l’arrivée au
Japon de la pensée néoconfucéenne. Dans un milieu culturel dominé
par le bouddhisme religieux, la rationalité néoconfucéenne insuffle un
esprit séculier qui impulsera à son tour un type nouveau de réflexion30.
Quand les missionnaires jésuites portugais introduisent le christia-
nisme à partir de 1549, le brassage des idées est tel que les conditions
d’émergence d’une pensée de type philosophique sont réunies. Le
christianisme se répand si rapidement que le pouvoir shôgunal interdit
les missions chrétiennes en 1587, de crainte qu’une politique colonisa-
trice ne fasse suite à celle d’évangélisation. La concurrence entre sectes
religieuses est, au Japon comme ailleurs, le prélude à la confrontation

30.  « A l’époque Momoyama (1573-1603) s’affirme l’évolution vers le confucianisme


et l’esprit séculier qui triompheront par la suite » (Lavelle, 1997, p. 36). Dès le XVe s.,
le confucianisme « devint pour certains intellectuels une alternative laïque au point de
vue religieux du bouddhisme et du shintoïsme » (Sugimoto Masayoshi et Swain, 1978,
p. 187). L’importation de la philosophie du chinois Zhu Xi rend possible le tournant
rationaliste et critique de la pensée japonaise (Oshima, 1989, p. 52).

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 243
d’arguments entre écoles philosophiques. Celles-ci n’émergent vérita-
blement qu’au XVIIe siècle, une fois le pays unifié sous l’action succes-
sive de trois grands shôguns : Oda Nobunaga (1534-1582), Toyotomi
Hideyoshi (1536-1598) et Tokugawa Ieyasu (1543-1616). Ce dernier
met fin aux guerres qui divisaient le pays, et fonde la dynastie Toku-
gawa, qui règne jusqu’en 186831. S’ouvre alors une longue période de
paix et de stabilité. Il faut toutefois attendre encore un siècle avant que
la philosophie atteigne sa pleine maturité. Entre un XVIIe siècle domi-
né par le néoconfucianisme chinois et les XIXe-XXe siècles fortement
pénétrés de culture occidentale, le XVIIIe siècle est pour la philoso-
phie japonaise une époque remarquable. C’est le siècle de la créativité
philosophique, des libres-penseurs, des esprits sceptiques et savants ;
bref, le siècle des Lumières32. Les philosophes se désintéressent de la
religion et s’engagent dans la création de nouvelles sciences. Quand ils
ne sont pas eux-mêmes savants, ils se tiennent au courant de l’avancée
des connaissances et nourrissent leur philosophie de cet apport. Cette
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tendance générale est certes relativisée par de nombreuses exceptions
et si le néoconfucianisme est critiqué, amendé et réformé, il continue
d’inspirer la plupart des hommes du XVIIIe siècle.
Le premier des grands confucéens japonais, Arai Hakuseki (1657-
1725), illustre en tout point l’esprit du temps et occupe une position
au centre de la vie intellectuelle et politique. Philosophe, historien,
philologue, sinologue, mais aussi auteur de travaux qui intéressent la
géographie, l’économie, l’ethnologie et l’art militaire, ce polygraphe
est aussi un grand homme d’État conseiller du shôgun. Conservateur
sur le plan politique comme nombre d’intellectuels issus de la classe
des guerriers, il est éminemment progressiste sur le plan intellectuel :
« Avec Arai Hakuseki, le confucianisme ouvre la voie à ce qu’on appelle
aujourd’hui les sciences humaines »33. C’est manifeste d’abord dans
ses œuvres d’historien, qui brillent par leur érudition, leur réalisme,

31.  On parle aussi bien de l’époque Edo (1603-1868), du nom de la capitale du


shôgunat Tokugawa.
32.  « A partir du XVIIIe siècle se succèdent au Japon des penseurs à l’esprit critique
qui ne sont pas forcément des confucéens. Libres penseurs, ils ont développé une
pensée rationaliste basée sur un esprit critique moderne véritable » (Oshima Hitoshi,
1989, p.  61). Sur la pertinence de la comparaison entre les Lumières européennes et
japonaises, voir Proust, 1997, p. 229, et Hisayasu Nakagawa, 2015 (en particulier P. II,
chap. 1 « Le Japon du XVIIIe siècle » et chap. 4 « Japonais et Hollandais : rencontres de
deux cultures au XVIIIe siècle »).
33.  Lavelle, 1997, p. 58.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


244 Vincent Citot

leur respect des faits, leur recherche d’une causalité authentique34. Ses
études de socio-linguistique et de linguistique comparées sont tout à
fait novatrices, comme son traité sur la géographie mondiale, le Sairan
igen (1709), ou encore ses Renseignements sur l’Occident (Seiyô kibun,
1715). Ses études sur les peuples Ainus (Ezoshi, 1720) et ceux d’Oki-
nawa (Nantôshi, 1719) en font un précurseur de l’ethnologie. Mais il
est avant tout un philosophe qui utilise les catégories néoconfucéennes
pour expliquer l’Univers, la vie et l’homme d’une façon originale (dans
Kishiron / Des Démons et des dieux).
Après lui, Ogyû Sorai (1666-1728) – le plus célèbre penseur du
XVIIIe siècle – rompt totalement avec le néoconfucianisme pour re-
trouver « la Voie des anciens Sages » – c’est-à-dire le confucianisme
originel et, à ses yeux, authentique. Pour ce faire, il met en œuvre
des techniques d’analyse philologiques révolutionnaires qui suscitent
l’admiration au-delà des cercles confucéens (par exemple de Motoori
Norinaga). Le Kogaku (l’étude du confucianisme antique) atteint
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son apogée avec Sorai. Conséquence de son rejet du cosmologisme
néoconfucéen  : la séparation stricte de l’ordre naturel et de l’ordre
humain, contre toutes les spéculations sur les correspondances mi-
cro-macro-cosmiques. Non seulement les lois des hommes sont des
inventions humaines, mais les lois politiques en particulier sont dis-
tinctes des lois morales. Cela lui valut d’être comparé à Machiavel35.
En dépit de ses innovations et de ses audaces, ce grand penseur ne
représente pas tout à fait l’esprit de son siècle, car son travail aboutit
finalement à vénérer «  la Voie des Anciens  » et à rétablir un esprit
religieux dont ses contemporains tentaient au contraire de s’affranchir.
Les Saints confucéens sont élevés par lui « au rang d’absolus religieux
[…] le Ciel était devenu, chez Sorai, l’objet d’une foi en un Au-delà »36.

34.  Comme tous les commentateurs contemporains en conviennent, il n’est pas


besoin d’insister sur ce point. Pour une synthèse, voir par exemple Katô Shûichi, 1974-
1979, t. 2, p. 95-99.
35. « Chez Sorai, la pensée politique se trouve débarrassée des contraintes
morales », en quoi il peut être comparé à Machiavel (Masao Maruyama, 1944, p. 121).
Voir aussi Ansart, 1993, p. 46.
36.  Masao Maruyama, 1944, p. 135. Même Masao Maruyama, qui voulait faire de
Sorai un « moderne », admet donc cette ambiguïté. Reprenant l’ensemble du dossier,
O. Ansart établit que Sorai n’était « moderne » qu’en apparence, sur le plan de la pensée
politique comme de la pensée philosophique en général (Ansart, 1998, p. 231-233). Voir
aussi Ogino Fumitaka, 1995, p. 30-34.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 245
Son élève Dazai Shundai (1680-1747) profite de son enseignement
tout en mettant de côté l’élément religieux37. S’il rejette le néoconfu-
cianisme, c’est au profit d’un confucianisme travaillé par une tendance
moniste, matérialiste, empiriste et respectueuse des faits positifs38.
Sa philosophie politique s’appuie sur des données historiques et so-
ciales plutôt que sur des spéculations métaphysiques, ce qui lui fait
prendre conscience de la relativité des contextes39. À l’inverse de son
maître, il est ouvert à la vie marchande moderne, et ne rêve pas de
revenir aux temps des « anciens Sages ». Il est aussi le premier à isoler
clairement des facteurs économiques liés aux échanges, au marché
et à la monnaie40 – dans son Keizairoku (Discussion de l’économie,
1729). D’autres confucéens moins célèbres semblent partager cet esprit
ouvert, tels Nakai Shûan (1693-1758, co-fondateur école Kaitokudô
en 1726), et Aoki Kon’yô (1698-1769), formé au Kogaku (étude du
confucianisme antique), érudit Rangaku (connaisseur des sciences
occidentales), lui aussi fondateur d’une école (d’études confucéennes),
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archiviste et libraire auprès du shôgun. Aoki Kon’yô est encore connu
pour ses œuvres d’agronomie et d’économie : Banshokô (De la culture
de la pomme de terre – 1735), Soro zatsudan (étude sur la production,
l’économie, la finance et l’administration de l’agriculture) et Oranda
kaheikô (Notes sur la monnaie hollandaise – 1745). Nous n’ajoutons
pas à cette liste Andô Shôeki (1703-1762) car il ne coïncide avec l’esprit
du temps que par une remarquable indépendance d’esprit – aussi bien
vis-à-vis du gouvernement que des traditions confucéennes, boudd-
histes et shintoïstes. En effet, il met cet esprit critique au service d’un
projet anti-intellectualiste de retour à la nature, à la vie agricole, à un
monde sans livre, ni commerce, ni science – il passe pour le Rousseau
du Japon41.
Les auteurs les plus remarquables de la période sont Tominaga Na-
kamoto (1715-1746) et Miura Baien (1723-1789). Le premier se distingue
par son indépendance d’esprit : il est l’un des grands représentants de
la libre-pensée au Japon, critiquant toutes les religions (bouddhisme,
confucianisme, shintoïsme), les métaphysiques, les traditions et les

37.  Et même en le critiquant explicitement (Tetsuo Najita, 1972, p. 823).


38.  Tetsuo Najita, 1975, p. 942.
39.  Tetsuo Najita, 1972, p. 827.
40.  Tetsuo Najita, 1972, p. 839.
41.  Sur la pertinence de cette comparaison, voir Joly, 1991, chp. 6  ; et Oshima
Hitoshi, 1989, p. 72. Pour une vue synthétique de la pensée d’Andô Shôeki : Joly, 1996.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


246 Vincent Citot

institutions42. Cet esprit hétérodoxe et rationaliste affirmant qu’il n’y


a « ni dieux, ni démons » est comparé à Voltaire43. Sa pensée n’est
pas que négative ou sceptique, elle est aussi et surtout constructive,
car il s’emploie à prolonger le travail historique d’Arai Hakuseki44 en
fondant l’histoire comme une véritable science sociale45. Il applique à
toute pensée un principe de relativisme socio-historique  : le boudd-
hisme, le shintoïsme, le confucianisme et même la pensée de Kongzi/
Confucius46 sont renvoyés à leurs contextes (respectivement l’Inde, le
Japon antique, la Chine). Plus encore, il élabore une historiographie
générale qui se présente comme une réflexion sur les conditions épis-
témologiques de toute histoire intellectuelle47. En somme, il combine
esprit critique et esprit positif, et les porte l’un et l’autre aussi haut
qu’il le peut – sans aucune aide étrangère, puisqu’il ignorait les études
Rangaku qui commençaient à se diffuser à son époque.
L’œuvre de Miura Baien est tout aussi remarquable. Lui aussi tra-
vaille en toute indépendance d’esprit et s’attaque à toutes les supers-
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titions et préjugés. Il refuse expressément de s’affilier à une tradition
ou à une école de pensée,48 et lutte toute sa vie contre les systèmes qui
ne trouvent que ce qu’ils présupposent a priori49. Cela ne l’empêche
pas d’élaborer une ambitieuse philosophie de la nature inspirée du
néoconfucianisme, qu’il recompose à sa façon dans un sens moniste
et matérialiste50. Il fait d’ailleurs bien la différence entre la philoso-
phie (qui théorise la nature intime des choses) et la science (celle qui

42.  « Plus que tout autre penseur de l’époque Edo, il remit en question la pensée
traditionnelle » (Katô Shûichi, 1974-1979, t. 2, p. 156).
43.  Katô Shûichi, 1967, p. 179 et 191 ; Proust, 1997, p. 232.
44.  Il surpasse celui-ci, comme le montre Oshima Hitoshi (Oshima Hitoshi, 1989,
p. 61).
45.  Katô Shûichi, 1967, p. 178.
46.  Katô Shûichi, 1967, p.  186. «  On pourrait définir la pensée de Tominaga
Nakamoto comme un relativisme historiciste […] il ne pense pas comme Arai Hakuseki
que l’histoire est une manifestation de la Loi du Ciel ; il considère plutôt qu’elle est une
accumulation de faits déterminés par le temps et le lieu. L’historicisme de Tominaga
Nakamoto est beaucoup plus relativiste que celui d’Arai Hakuseki ; et si l’on considère
qu’Arai Hakuseki a critiqué les mythes grâce à sa vision historique, Tominaga
Nakamoto, lui, a englobé dans sa critique, outre les mythes, toutes les métaphysiques »
(Oshima Hitoshi, 1989, p. 61).
47.  Katô Shûichi, 1967, p. 185.
48.  Piovesana, 1965, p. 398 ; Proust, 1997, p. 233.
49.  Piovesana, 1965, p. 402.
50. En outre, sur la question de la vie après la mort, il se déclare agnostique
(Piovesana, 1965, p. 408).

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 247
vient d’Europe), qui s’occupe de leur aspect extérieur offert à l’expé-
rience51. Tout en pensant les limites de l’investigation scientifique, il
« est souvent présenté comme le meilleur représentant du rationalisme
quasi-scientifique de l’époque Tokugawa  », car «  son acharnement à
rendre compte du monde naturel de manière rigoureuse et exhaustive
est admirable »52. Ce philosophe est aussi un savant : il est médecin de
profession et auteur d’un traité de médecine (Shinseiyotan / Sur la vie
naturelle, suite – 1764). Comme les grands philosophes de son temps,
il participe à l’émergence des sciences humaines, en publiant un « im-
portant essai d’économie »53 : Kagen (Sur l’origine de la valeur – 1773).
L’œuvre de Miura Baien, quoique principalement philosophique, est
baignée dans la culture scientifique et, inversement, influence et en-
courage l’esprit scientifique54.
À partir des années 1770-1780, les conditions politiques et sociales
commencent à se dégrader ; nous entrons dans une nouvelle époque.
Le pouvoir shôgunal (exercé par Matsudaira Sadanobu) cherche à
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contrôler la production intellectuelle par la censure et tente d’imposer
l’orthodoxie néoconfucéenne. De  1782 à  1788, des grandes famines
provoquent des émeutes sans précédent, et la situation économique se
détériore. À cela s’ajoute une menace géopolitique croissante à par-
tir de la fin du siècle : les Russes commencent à faire pression pour
imposer au Japon des relations commerciales. S’agissant de l’histoire
intellectuelle, le dernier quart du XVIIIe siècle est marqué par la
prise de conscience de la supériorité de la science occidentale sur la
science chinoise classique et par la diffusion tous azimuts de la culture
scientifique. La philosophie ne pourra bientôt plus être à l’avant-garde
de l’innovation intellectuelle – du moins, pas de la façon qui a été la
sienne jusqu’à présent – et déjà elle semble ne plus briller que grâce à
quelques individualités isolées.
L’école Kaitokudô est le centre de formation et le repère des esprits
libres. Nakai Chikuzan (1730-1804), qui en est un personnage central,
est plus un lettré confucéen qu’un philosophe. Il mérite néanmoins
d’être mentionné pour ses réflexions sur l’éducation, sur l’égalité d’ac-

51.  Piovesana, 1965, p. 405 ; Proust, 1997, p. 233. La distinction science-philosophie


n’est toutefois pas encore établie clairement à l’époque (Mercer, 1998, p. 496).
52.  Ansart, 2014, p. 131-132.
53.  Piovesana, 1965, p.  419. Il «  a formulé une théorie, similaire à celle de son
contemporain A. Smith sur l’origine des prix (Kagen), et pour avoir établi une sorte de
loi de Gresham sur la circulation de l’argent sale » (Piovesana, 1962, p. 3).
54.  Mercer, 1998, p. 480 et 496-497.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


248 Vincent Citot

cès au savoir, sur l’ethos et les valeurs de la classe marchande, et pour


sa dénonciation de l’élitisme samouraï. Erudit Rangaku, il défend la
connaissance pratique et technique (celle qui est enseignée au Kai-
tokudô), vante la sagesse marchande et critique les superstitions reli-
gieuses archaïques. Bref, c’est un “Moderne” et un humaniste comme
son maître Goi Ranshû  (1697-1762) à la génération précédente – et
comme ce dernier, il critique le traditionalisme d’Ogyû Sorai. Elève
de Nakai Chikuzan au Kaitokudô, Yamagata Bantô (1748-1821) est un
penseur d’une tout autre ampleur. Il est l’homme des « Lumières » par
excellence, associant libre-pensée et critique de toute spéculation reli-
gieuse55 à un esprit positif et une érudition savante. Il prolonge l’œuvre
de Yominaga Nakamoto56 – qu’il admire et dont il s’inspire – et,
comme lui, inscrit sa philosophie dans le cadre du néoconfucianisme.
Leur principale différence tient au contexte intellectuel : l’époque de
Yamagata Bantô est celle d’une explosion des savoirs Rangaku ; c’est
donc sur eux qu’il s’appuie pour asseoir un anticléricalisme proche du
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« matérialisme »57. Ayant étudié l’astronomie auprès d’Asada Gôryû
et Asada Kôritsu, et rencontré Ôtsuki Gentaku, on peut dire qu’il
est en contact étroit avec les plus grands savants de l’époque58. Il en
retient un vif intérêt pour les sciences occidentales, dont il se fait le
fervent avocat. Ses Rêveries (Yume no shiro – 1802-1820) contiennent
par exemple une défense de l’héliocentrisme. Il s’agit d’une œuvre à
la fois savante et philosophique, « un mélange de philosophie, d’éco-
nomie politique, de géographie culturelle et d’astronomie »59. Ainsi,
« il explora plus complètement que d’autres – qui étaient de simples
traducteurs – certaines implications de l’union de la métaphysique né-

55.  « C’est dans son œuvre qu’on trouve le rejet le plus rigoureusement argumenté
de toutes les superstitions et de toutes les supputations métaphysiques infondées,
et l’exposé le plus conséquent de l’agnosticisme vis-à-vis des dieux et des esprits »
(Ansart, 2014, p. 146).
56.  Katô Shûichi, 1967, p. 192.
57.  Katô Shûichi, 1967, p. 192. Il « élabore un matérialisme athée » (Lavelle, 1997,
p. 70) et a une « attitude matérialiste à l’égard du monde » (Katô Shûichi, 1974-1979,
t. 2, p. 192).
58.  Du coup, ses écrits « embrass[aient] pratiquement tout ce qui avait été appris
par les intellectuels japonais de la fin du XVIIIe siècle » (Katô Shûichi, 1974-1979, t. 2,
p. 209).
59.  A. Craig, « Science and Confucianism in Tokugawa Japan », in Jansen, 1965,
p. 135.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 249
oconfucianiste et de la science occidentale »60. Certains sont savants,
d’autres philosophes, d’autres encore vulgarisateurs-traducteurs, mais
Yamagata Bantô, lui, produit une œuvre qui associe intimement phi-
losophie de la nature (néoconfucéenne) et connaissances scientifiques
de pointe (occidentales). De même que la Terre n’est pas au centre de
l’univers, le Japon n’est pas au centre du monde : le travail de décentre-
ment et l’intelligence de la relativité valent en anthropologie comme en
astronomie. Ses réflexions sur les religions, les cultures et les sociétés
l’amènent ainsi à une dénonciation de l’ethnocentrisme61. Comme les
autres grands philosophes de l’époque, il rend possible, en terrain ja-
ponais, la production et l’accueil d’un discours savant en anthropologie
et en sociologie.
Egalement lié au Kaitokudô, Kaiho Seiryô (1755-1817) est un
libre-penseur radical issu de la classe samouraï, mais critiquant le
confucianisme au profit des valeurs libérales de la classe marchande :
il y a « dans la théorie de Kaiho Seiryô […] les notions embryonnaires
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de liberté, d’égalité, de la vie privée et de l’intimité et d’un droit à ces
choses, ainsi que les idées de risque, d’échec, de responsabilité et de
volonté individuelle »62. Son « éloge de la compétition » qui « culmine
dans l’affirmation de la responsabilité et de la volonté individuelles »
lui fait concevoir « un système économique et social qui implique la
disparition de facto de la classe des guerriers » – ces parasites pares-
seux63. Il faut donc « supprimer ces improductifs que sont les prêtres
et les lettrés, et instaurer un Etat régi par la loi »64. Il a une vision
utilitariste des rapports humains et contractualiste du lien social, ou
peu s’en faut65. Pour autant, le cadre politique de ce système devrait
rester autoritaire : il veut « un despotisme éclairé, pour le peuple, sans

60.  A. Craig, « Science and Confucianism in Tokugawa Japan », in Jansen, 1965,


p. 135.
61. Cherchant à rompre avec le nippocentrisme nationaliste, il est « conduit à
la relativisation de toutes les cultures. Il considérait que toutes les religions étaient
particulières à certaines régions […]. De même que chaque pays possède son système
juridique, il n’y a pas de loi [positive] universelle ou naturelle » ; d’où l’idée d’une
« entière relativité des cultures, y compris celle du Japon » (Katô Shûichi, 1974-1979,
t. 2, p. 209).
62.  Ansart, 2014, p. 185.
63.  Ansart, 2014, p. 196 et 207.
64.  Lavelle, 1997, p. 68.
65.  « Il affirme, contre deux millénaires de traditions confucianistes, le caractère
résolument contractuel des relations sociales » (Ansart, 2007, p. 73, voir aussi le résumé
de l’article).

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


250 Vincent Citot

doute, mais certainement pas par le peuple »66. Nous avons là affaire


à l’un des penseurs les plus audacieux de l’histoire intellectuelle du
Japon, à la fois philosophe (dans la mesure où il fait l’éloge de la pensée
critique et qu’il argumente rationnellement en faveur des valeurs qu’il
promeut67), essayiste, penseur politique et précurseur de la science
économique68. « Il voyage […] il est au fait des évolutions sociales,
économiques et techniques. Il possède de vastes connaissances et est
curieux de tout »69 et applique à tout son esprit questionneur  : c’est
un représentant typique de l’époque que nous étudions ici. Honda
Toshiaki (1743-1820) peut lui être aisément comparé. Lui non plus ne
ménage pas les idéologies traditionnelles  : il fait une «  critique très
générale des idéologies, de la religion, du bouddhisme, mais aussi
du shintoïsme, voire du confucianisme »70. Il est aussi connu comme
spécialiste de questions économiques et réformateur politique  : il
voudrait importer au Japon le modèle d’État européen (tel qu’il se le
représente, c’est-à-dire parfait)71. Sa pensée économique est marquée
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par les grandes famines des années 1780, auxquelles il cherche une
solution qui rappelle celle de Malthus72. Mais Honda Toshiaki est avant
tout un mathématicien calendériste et un érudit Rangaku, également
spécialiste des techniques de navigations, explorateur et géographe (il
étudie spécialement l’île d’Hokkaidô). Il est l’un des derniers penseurs
d’une telle polyvalence.

66.  Ansart, 2014, p. 191.


67.  Il semble aussi qu’il ait réutilisé des concepts philosophiques néoconfucéens
(comme le li) au service d’une philosophie matérialiste : « Dans le style des penseurs
radicaux des Lumières européennes, Kaiho Seiryô rejeta la métaphysique en faveur
d’un monisme matérialiste » (Collins, 1998, p. 363).
68.  « Ce qui importe avant tout à cet économiste, ce sont les questions financières,
les avantages, les biens et les profits » (Ansart, 2007, p. 81). Il a été parfois comparé à
A. Smith (Collins, 1998, p. 363).
69.  Ansart, 2007, p. 73.
70.  Ansart, 2014, p. 149.
71.  Voir A. Horiuchi, in Girard, Horiuchi et Macé, 2002, XI.
72.  « Honda Toshiaki, spécialiste japonais d’économie politique, représentatif de
l’opinion mercantiliste », pense qu’« il existe une règle selon laquelle la population
augmente de 19,75  % en trente-trois ans cependant que, les surfaces cultivables et
la production agricole étant limitées, il se produit un déséquilibre inévitable entre la
population et la quantité de vivres nécessaires à son entretien. On pourrait dire qu’il
s’agit d’une théorie malthusienne à la japonaise ; il est intéressant de noter que Seiiki-
Monogatari, où cette théorie est développée, a été écrit en 1798, c’est-à-dire l’année
même de la parution de l’Essai sur le principe de population de T.R. Malthus »
(Kurauti, 1974, p. 207).

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 251
Dans les années 1770, la science fait des progrès spectaculaires sous
l’impulsion des études Rangaku. L’événement le plus symbolique est la
publication en 1774 de la traduction du Nouveau traité d’anatomie (le
fameux Kaitai Shinsho) du savant allemand Kulmus, par une équipe
de traducteurs dirigée par le grand médecin japonais Sugita Genpaku
(1733-1817). Les médecins japonais, qui commencent à pratiquer des
dissections sur le corps humain,73 se rendent compte de l’exactitude
des traités occidentaux d’anatomie. C’est également en 1774 que l’as-
tronome Motoki Ryôei (1735-1794) traduit la Théorie des deux globes
du Ciel et de la Terre (Tenchi nikyû yôhô), qui constitue la première
adaptation japonaise de l’héliocentrisme. Enfin, la venue au Japon du
botaniste C.P. Thunberg en 1775 marque également un tournant, car
il forme tout une génération de médecins aux savoirs occidentaux74.
L’idée que la vérité vient d’Occident se répand et la culture chinoise
classique perd une grande partie de sa crédibilité. Si la préscience avait
pour cadre la philosophie classique, la science se fait de plus en plus
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a-philosophique – elle prend son envol à mesure qu’elle se libère du
carcan néoconfucéen75. Il serait fastidieux de dresser la liste des sa-
vants de la fin du XVIIIe siècle et du début du siècle suivant tant ils sont
nombreux, dans toutes les disciplines. La production philosophique est
quant à elle moins créative, plus homogène et tend à se routiniser du
début du XIXe siècle jusqu’aux années 1860. Son mot d’ordre semble
être de faire retour aux traditions religieuses du passé. Les auteurs
n’inventent plus de visions-du-monde et se contentent le plus souvent
de puiser dans celles que le passé a produites – en l’occurrence le né-
oconfucianisme et le shintoïsme. Ainsi, chacun s’affilie à une tradition
et pense dans le cadre d’une “école”76 intellectuelle. Parmi ces diverses
tendances, celles qui ont le plus de succès sont aussi les plus proches
de la religiosité, comme l’école néoconfucéenne de Wang Yangming

73.  Comme le fait Sugita Genpaku lui-même en 1771.


74.  Métailié, 1983.
75. Sur l’importance du tournant épistémologique du milieu des années 1770,
voir Van Sant, 2012 ; Togo Tsukahara, 2014 ; Macé, 2013, chap. 4 ; Lukacs, 2008 ;
Proust, 1997, VII. Sur le passage du paradigme confucéen au paradigme occidental au
XVIIIe s., voir « Eighteenth-Century Science : Japan » (2002), in Nakayama Shigeru,
1959-2007.
76.  Il est à noter toutefois qu’il n’y a pas de conflits entre écoles instituées, mais
au contraire des syncrétismes tous azimuts au sein d’un champ intellectuel très souple.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


252 Vincent Citot

(qui fait son retour en force77), l’école shintoïste Kokugaku / Etudes


nationales, ou encore le traditionalisme syncrétique de l’école du Mito.
Les grands auteurs de la période – Satô Nobuhiro (1769-1850), Hirata
Atsutane (1776-1843) et Ôshio Heihachirô (1793-1837) – illustrent bien
ces tendances qui s’étalent au moins sur soixante ans. L’ère Meiji re-
nouvellera puissamment la pensée philosophique japonaise, mais nous
sortirions du cadre de notre étude en étendant celle-ci jusque-là.

*
*   *

Plutôt que de multiplier les comparaisons entre auteurs européens,


chinois et japonais, il nous a semblé plus judicieux d’examiner les
« trois dix-huitièmes siècles » séparément et de réserver pour la fin le
bilan comparatif. Celui-ci sera toutefois très sommaire. Les philoso-
phies européenne, chinoise et japonaise connaissent au XVIIIe siècle
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(depuis le milieu du XVIIe siècle pour la Chine) une période de créa-
tivité exceptionnelle qui se caractérise par une défiance vis-à-vis des
traditions instituées (notamment religieuses), un esprit critique exacer-
bé et un attrait pour les savoirs positifs. Les philosophes contribuent
alors activement à la vie savante et participent à l’émergence de ce qui
sera ensuite identifié comme les diverses « sciences humaines ». On
peut dire que, dans cette époque faste, ils sont à l’avant-garde de la
production des savoirs. Accroître les connaissances n’est pas la seule
vocation ni la seule ambition de la philosophie, mais on peut convenir
qu’il s’agit là de l’une de ses dimensions fondamentales – manifeste en
Europe, en Chine et au Japon jusqu’au XVIIIe siècle. Or à partir des
années 1775-1800, il semble que, dans ces trois aires culturelles, les
philosophes reconsidèrent totalement leur rapport au savoir. Comme
si la puissance et la fécondité des recherches scientifiques désormais
autonomisées et spécialisées les incitait, dans une logique de rivalité
disciplinaire, à faire un pas de côté (pour devenir législateurs non
savants du monde savant) ou un pas “en arrière” (vers les traditions
religieuses). Alors que les réseaux philosophiques ont toujours été soit
la matrice nourricière des sciences, soit les alliés de ces dernières, ils
semblent désormais se poser comme des concurrents. Cette forme

77.  « À partir de 1970 […] l’influence de Wang Yangming et de ses interprétations
activistes se renforça  » (Lavelle, 1997, p.  75). Son principal représentant est Ôshio
Heihachirô (1793-1837).

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Philosophie comparée : Europe, Chine, Japon 253
inédite d’opposition intellectuelle conduit les philosophes à pointer les
limites structurelles des sciences pour mieux renouer avec les grandes
ambitions métaphysiques et cosmologiques, ou bien à tenter d’enca-
drer leur développement pour donner l’impression de le maîtriser. Il
n’est pas interdit de penser que ces tentatives sont nobles et même
salvatrices, car la science ne dit pas tout – pas même dans le champ
proprement cognitif qui et le sien. Mais cette nouvelle disposition in-
tellectuelle prend aussi la forme d’une indifférence et d’une ignorance
des productions savantes qui est problématique quand on conserve la
prétention de légiférer sur l’homme, la nature et le monde en général.
Pour rester sur le terrain des sciences humaines que nous avons ici pri-
vilégié, il est vrai que celles-ci ne disent pas toute la vérité sur l’homme
et que la philosophie est requise ; mais enfin il est tout aussi vrai qu’une
philosophie de l’homme qui ne se confronterait pas aux données de
l’anthropologie, de la sociologie, de l’histoire, de la psychologie ou de
l’économie (liste non exhaustive) serait certainement moins riche que
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celle qui ferait cet effort.
Le comparatisme en tant que tel ne nous permet pas de conclure
quoi que ce soit de définitif, ni sur le plan historique ni sur le plan
philosophique. D’autant que nous avons abandonné les histoires des
philosophies européennes, chinoise et japonaise en plein milieu du
XIXe siècle. Mais il fournit tout de même de précieuses indications sur
les tendances de fond de l’histoire intellectuelle. Et cela d’autant plus
que les inflexions repérées en Europe, en Chine et au Japon sont indé-
pendantes les unes des autres. Il n’y a pas lieu de chercher une causalité
commune transcendante. Ni de causalité latérale : quoique l’Occident
ait fortement influencé les pensées chinoise et japonaise, les évolutions
de celles-ci sont intrinsèques – en tout cas à l’époque qui nous oc-
cupe. La Chine et le Japon s’ouvrent aux savoirs européens parce que
l’ouverture intellectuelle est caractéristique de leur XVIIIe siècle, de
leurs « Lumières ». Les philosophies chinoise et japonaise n’ont pas, à
l’origine (ni même par la suite), été « occidentalisées » passivement. Au
XVIIIe siècle, elles ne sont pas occidentalisées du tout : elles se nour-
rissent en partie des apports occidentaux pour enrichir et renouveler
une tradition intellectuelle séculaire. Si les philosophies chinoise et
japonaise étaient les extensions d’une philosophie européenne mon-
dialisée, le comparatisme perdrait un peu de son intérêt – mais, répé-
tons-le, nous sommes loin de ce cas de figure. L’indépendance relative
des histoires de la philosophie fait la valeur des comparaisons.

Le Philosophoire, 54 (2020) – La Philosophie générale


254 Vincent Citot

Or celles-ci se présentent à nous comme une stimulation sous la


forme d’alerte : si les philosophies européenne, chinoise et japonaise
ont renoué avec des traditions religieuses ou métaphysiques vers le
tournant du XIXe siècle et si certaines en ont perdu leur créativité,
et cela au moment même où elles se séparaient des réseaux scienti-
fiques, c’est peut-être le signe que la proximité avec les sciences est, a
contrario, propice à la diversité des productions philosophiques, à leur
richesse, ainsi qu’au maintien d’une certaine distance avec la pensée
religieuse. La philosophie n’est pas la science, mais l’innovation en
science peut stimuler puissamment la pensée philosophique dès lors
que celle-ci l’accueille comme un défi à relever et non comme une
menace à contrecarrer.

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