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Yves Charbit
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Yves Charbit
RÉSUMÉ
SUMMARY
L’auteur remercie Alain Alcouffe, Pierre Ansart et Véronique Petit pour leurs
commentaires sur une version antérieure de ce texte.
Cahiers internationaux de Sociologie, Vol. CXVI [5-34], 2004
6 Yves Charbit
1. Telle est la traduction résumée, donnée par Joseph Garnier dans l’édition
Guillaumin de l’Essai. C’est celle que Proudhon, comme sans doute la plupart de ses
contemporains, a pu lire. Voir sur ce point Jacqueline Hecht, Les traductions de
l’Essai en français, in Malthus hier et aujourd’hui, p. 85, n. 45. L’allégorie est intégra-
lement citée par Proudhon dans Système des contradictions économiques, I, p. 83.
2. Nous avons utilisé l’édition des Œuvres complètes de Pierre Joseph Proudhon,
dite édition Marcel Rivière, auxquelles il faut ajouter les trois volumes des Carnets,
chez le même éditeur. Jean Fréville, dans L’épouvantail malthusien, Paris, 1956,
consacre une étude à Proudhon (chap. IV), p. 222-229. Voir aussi Joseph J. Spen-
gler, French population theory since 1800, The Journal of Political Economy, XLIV,
no 6, décembre 1936, p. 751-753.
3. Les Malthusiens, p. 4.
Proudhon et le piège malthusien 7
La reproduction de la population
Comme bien d’autres, Proudhon part des deux progressions de
l’Essai sur le principe de population. Mais au lieu de s’interroger,
Le droit au travail
Le 15 février 1848, un décret fut pris à l’initiative de Louis Blanc
garantissant l’ « existence par le travail ». Victor Considérant avait fait
inscrire le droit au travail dans le préambule de la Constitution, mais
à l’automne, la droite, d’amendement en amendement, ôta toute
portée à ce principe. Le 31 juillet 1848, Proudhon, qui avait préparé
un grand discours pour défendre le droit au travail, ne le prononça
pas, mais Thiers l’obligea à défendre sa proposition devant
l’Assemblée. Au terme d’un mémorable duel oratoire avec Thiers, il
devint l’ « homme-terreur » et fit l’unanimité contre lui (691 voix
sur 693 votants)1. Il s’était déconsidéré pour une cause qui n’était pas
la sienne. À ses yeux l’ « organisation du travail » prônée par les
socialistes conduit en effet au communisme, qu’il réprouve totale-
ment pour des raisons idéologiques2, mais aussi arguments
démo-économiques à l’appui, car il envisage le risque d’une crise de
sous-consommation : « Dans l’état actuel des sociétés, et tant que le
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Industrialisation et libre-échange
Tandis que la France s’industrialise et que la Grande-Bretagne
entre dans l’ère victorienne, divers auteurs, en Angleterre et en
France, développent un argument neuf par rapport à l’analyse mal-
thusienne6 : le bien-être et la consommation de masse induits par
1. Carnets, IV, p. 1.
2. Carnets, IV, p. 88.
3. Carnets, V, p. 48. Contre le National, voir Avertissement aux propriétaires,
p. 237-239.
4. Capacité politique..., p. 306-308.
5. Paul Leroy-Beaulieu en particulier. La politique dite du « cantonnement »
des tribus arabes qui fut une expropriation pure et simple de leurs terres.
6. Pour l’Angleterre, voir D. E. C. Eversley, Social Theories of Fertility and the
Malthusian Debate, Oxford, 1959. Cf. en particulier les chapitres 4, 5, 8 et 9. En
France, les contributions les plus significatives sont celles de Henri Baudrillart,
Manuel d’économie politique, Paris, 1872, II, p. 440-445 ; Paul Leroy-Beaulieu, De
l’état intellectuel et moral des populations ouvrières, Paris, 1868, p. 99-103, 119-124 ;
Émile Levasseur, Journal des Économistes, t. 4, 1866, p. 236-237. Voir Yves Charbit,
Du malthusianisme au populationnisme, p. 112-129.
Proudhon et le piège malthusien 15
1. Ibid., p. 364-365.
2. Contradictions économiques, II, p. 332.
Proudhon et le piège malthusien 17
Philosophie de la misère
La situation idéale d’une progression des richesses plus rapide
que la population ne peut être atteinte à cause de certains « vices
d’organisation dans le travail »2, inhérents « au régime propriétaire ».
Proudhon oppose en effet nettement les progressions qui résultent
des « données de la science » et celles qui se réalisent « dans la pra-
tique »3. Le constat dressé est bien celui du paupérisme : en France
et en Angleterre la progression de la misère a été plus rapide que
celle de la population, ainsi qu’en témoignent l’augmentation du
nombre des enfants naturels, celle des crimes et délits. Il est frappé,
comme certains de ses contemporains, par les différences de morta-
lité observées à Paris entre les arrondissements riches et pauvres, et à
Mulhouse entre les professions. Comme Reybaud ou Villermé
1. Eugène Buret est l’auteur d’un remarquable livre dont le titre restera
célèbre : Des classes laborieuses et des classes dangereuses dans les grandes villes (Le titre
fut repris par Louis Chevalier à propos de sa grande étude sur Paris). La ques-
tion avait été mise au concours en 1838 par l’Académie de sciences morales et
politiques.
2. Contradictions économiques, I, p. 326.
3. Ibid., I, p. 339.
18 Yves Charbit
1. Ibid., I, p. 190-191 ; II, 337-338. Voir Yves Charbit, op. cit., p. 50-53.
2. Ibid., I, p. 329.
3. Ibid., I, p. 194.
4. Ibid., II, p. 328. Voir aussi Création de l’ordre dans l’humanité, p. 333.
5. Ibid., p. 328.
6. Ibid., p. 329.
7. Les Malthusiens, p. 2. Rappelons que Les Malthusiens sont à l’origine un
article publié dans Le Peuple, le 10 août 1848.
8. De la justice dans la révolution et dans l’église, II, p. 263.
Proudhon et le piège malthusien 19
Progrès et providence
Dans Philosophie du Progrès une longue note infra-paginale cite
en vrac, et avec bien des inexactitudes, les penseurs qui ont creusé
l’idée de Progrès : Platon, Aristote, Cicéron, Pascal, Bossuet, Les-
sing, Saint-Simon, Auguste Comte, Pierre Leroux, Buchez, Louis
Blanc et lui-même définissent le progrès comme « l’amélioration
physique, morale et intellectuelle de la classe la plus nombreuse et la
plus pauvre », la philosophie ayant pour vocation de contribuer à la
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LE MODÈLE PROUDHONIEN
Travail et fécondité
Proudhon, qui croit en la possibilité d’un « équilibre de popula-
tion », que la « science doit découvrir »1, va s’efforcer de démontrer
l’existence d’un processus automatique et heureux de maîtrise de la
croissance démographique, qui fera pièce à la vision pessimiste mal-
thusienne d’un principe de population incontrôlable. Mais d’abord
il procède à une critique des différentes thèses. À Malthus, il
reproche d’avoir cru que la contrainte morale pouvait prévenir
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1. Ibid., Fourier, II, p. 351-352 ; Dr Gros, II, p. 353-355 (voir aussi Carnets,
IV, p. 158) ; Charles Loudon, II, p. 356-359. Elles avaient été développées dans
Qu’est-ce que la propriété ?, p. 279-285.
2. Carnets, II, p. 86. Sur sa réprobation morale de la communauté fouriériste
des femmes : Carnets, VII ; III, p. 7 ; IV, p. 49-50 ; VII, p. 69, etc. Voir aussi Con-
tradictions économiques, I, p. 275-292, et II, p. 352-353.
3. Ibid., II, p. 361-371.
4. Carnets, II, p. 40-41.
Proudhon et le piège malthusien 23
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres complètes de Pierre Joseph Proudhon. Nouvelle édition publiée avec des Notes
et des Documents inédits, sous la dir. de C. Bouglé et H. Moysset, Paris,
Marcel Rivière, 6 vol.
Avertissement aux propriétaires, Paris, Marcel Rivière, 1938, p. 167-248 (daté
de 1842).
De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, Marcel Rivière, 1924, 423 p.
(daté de 1865).
De la célébration du dimanche (Mémoire couronné en 1839 par l’Académie de
Besançon), Paris, Marcel Rivière, 1926, p. 35-96.
CARNETS DE P. J. PROUDHON
Vol. I : Carnets I, II, III, IV (19 juillet 1843 - 24 décembre 1846), Paris, Marcel
Rivière, 1960, 441 p.
Vol. II : Carnets IV, V, VI (3 janvier 1847 - 24 février 1848), Paris, Marcel
Rivière, 1961, 411 p.
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SOURCES SECONDAIRES