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Lévi-Strauss moderne, ultramoderne, antimoderne

Ugo Fabietti, Catherine Millasseau


Dans Diogène 2012/2 (n° 238), pages 31 à 48
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0419-1633
ISBN 9782130593409
DOI 10.3917/dio.238.0031
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 179.210.98.196)

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LÉVI-STRAUSS MODERNE,
ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE

par

UGO E. M. FABIETTI

De quelque manière qu’on tente de définir son structuralisme –


le mot final sur la culture (ou sur la nature) humaine ; la construc-
tion astucieuse du dernier représentant de l’Illuminisme ; le chant
du cygne d’une grande tradition de pensée ; l’invention d’un esthète
ou, tout simplement, l’œuvre d’un génie – il est certain que la figu-
re de Lévi-Strauss se distingue, nette, unique et solennelle sur la
scène de l’anthropologie et des sciences humaines du XXe siècle. Sa
pensée et son œuvre ont suivi de façon incomparable le profil de la
discipline anthropologique et de nombreux savoirs voisins, mais
ont également influé sur la culture d’une bonne partie du siècle
dernier. Sa conception de l’échange matrimonial, l’analyse de la
« pensée sauvage », la théorie du mythe en tant que « pensée qui se
pense elle-même », alliée à une grande prose et à une extraordinai-
re capacité de passer de la théorie anthropologique à la philoso-
phie, de celle-ci à la littérature et ensuite à la musique et à la pein-
ture, font de Claude Lévi-Strauss une figure dont les nombreuses
louanges et honneurs qu’on lui a rendus tout au long de sa vie
n’arrivent peut-être pas, malgré tout, à exprimer pleinement
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l’attention et l’admiration (à côté des critiques) dont il a été entou-
ré pendant plus d’un demi-siècle de vie intellectuelle. Clifford
Geertz lui-même (alors que, notoirement, il ne partageait pas la
perspective de CLS, la jugeant redevable d’un certain « cérébra-
lisme » [Geertz 1973]) a écrit que « la sensation d’importance intel-
lectuelle que le structuralisme [de Lévi-Strauss] a apportée à
l’anthropologie […] n’est pas près de disparaître […] et ses consé-
quences […] se feront […] sentir d’une façon plus ou moins perma-
nente » (Geertz 1996 : 33). Et d’aucuns voient dans son travail,
rapproché comme il se doit des sciences cognitives, la promesse de
nouveaux fruits.
Pourtant, Lévi-Strauss n’a jamais aimé l’éclectisme. Fidèle pen-
dant plus de soixante ans à une vision de ce qu’est et doit être
l’anthropologie, son œuvre immense est là : elle nous suggère que
l’on peut parler, si ce n’est de tout, pour le moins de beaucoup de
choses, tout en restant fidèle à un principe inspirateur et ordonna-
teur de fond. Qu’il s’agisse de parenté ou de pensée « sauvage », de
Diogène n° 238, avril 2012.
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totémisme ou de mythes – mais aussi de siphons de mollusques, de


fleurs, tatouages, churinga, masques, paysages picturaux et mélo-
dies musicales – sa machine structurale dissèque, distingue, rap-
proche, oppose et recompose des myriades de phénomènes appa-
remment dépourvus de signification en soi, pour les réorganiser
successivement en une vision cohérente et achevée, fondée sur la
conviction que l’esprit humain fonctionne selon des lois auxquelles
on ne peut se soustraire. On ne pourrait, au demeurant, être plus
explicite. Comme Lévi-Strauss l’avait déclaré lors de sa leçon inau-
gurale au Collège de France, le 5 janvier 1960, après son élection à
la chaire d’anthropologie : « L’ethnologie s’administre de deux ma-
nières : à l’état pur, et à l’état dilué. Chercher à l’approfondir là où
sa méthode se mélange à d’autres méthodes, où son objet se
confond avec d’autres objets, n’est pas le fait d’une saine attitude
scientifique » (Lévi-Strauss 1973 : 37).
À côté de ce Lévi-Strauss « scientifique » et « structuraliste », il
semble toutefois y en avoir un autre, moins imposant mais pas
pour autant moins connu, ni moins important par le retentisse-
ment que produit son anthropologie sur un public qui déborde lar-
gement le cercle des spécialistes. Ce double Lévi-Strauss semble-
rait être – essentiellement mais pas uniquement – celui de Tristes
Tropiques, où des « fragments de musique et de poésie » (1955a :
407), expression d’un climat intellectuel raffiné dont il est issu,
fonctionnent comme les traces d’une mémoire proustienne (à la-
quelle il fait souvent référence) dans les replis de laquelle la théo-
rie semble être en harmonie avec une expérience qu’il aurait per-
sonnellement vécue. On sait que cette expérience personnelle de-
vient, chez lui, celle de tous les ethnologues, figures socialement
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atypiques, poussés par vocation à « remonter le cours de millénai-
res » (ibid.) en quête d’un temps doublement perdu : perdu par la
société à laquelle ils appartiennent et perdu par eux-mêmes, qui
cherchent, loin de leurs semblables, les raisons de leur détache-
ment vis-à-vis de ces derniers. C’est l’expérience du « Lazare des
Temps Modernes », celui dont Susan Sontag fait un héros – philo-
sophiquement parlant – dans un célèbre essai de 1963 ; du ressus-
cité qui, « mort à son monde » (Lévi-Strauss 1955b : 1217) revient
parmi eux, accomplissant le destin de celui qui ressent la nécessité
de s’affranchir de la dernière des cultures dont il ne s’est pas enco-
re libéré : la sienne.
À côté d’une production théorique au sens strict, Lévi-Strauss
s’attarde, surtout dans Tristes Tropiques, sur un regard rétrospec-
tif que l’on qualifierait d’« affectif » : on ne s’en abstiendra qu’en
raison de la « répugnance » qu’il a toujours exprimée et dit éprou-
ver à chaque fois qu’il a été poussé à parler de lui – ce qu’il fait
inévitablement, et de manière fort habile, dans cet ouvrage fasci-
nant et unique en son genre. Ce côté « personnel » de Lévi-Strauss
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 33

semble se mêler à son esprit géométrisant. Il en mitige aussi les


aspects plus fortement connotés par une inspiration savante qui se
traduit par l’utilisation (que tout le monde ne partage pas et que
beaucoup désapprouvent même) de modèles épistémologiques
émanant d’autres domaines du savoir, et nous restitue ainsi un
Lévi-Strauss plus concret, plus « humain » et, de ce fait, bien moins
« cérébral » que sa machine structuraliste ne laisserait croire.
Loin de nous l’idée de proposer de nouveau l’image d’un « double
Lévi-Strauss » : un théoricien de l’anthropologie structurale et un
mémorialiste, un Lévi-Strauss rationaliste et un autre empreint
d’une « mystique du primitif. » Ni, encore moins, de reconstituer,
eu égard à son œuvre, la dichotomie – désormais inacceptable –
entre « textualisation objectivante » et écriture de journal intime.
Ce que nous nous proposons consiste, en revanche, à suggérer une
autre façon d’appréhender l’œuvre de Lévi-Strauss, en concevant le
mot œuvre au sens de « trace culturelle » : cette trace qu’il a laissée
à travers son travail d’ethnographe, son œuvre théorique, la re-
mémoration qui donne forme aux Tristes Tropiques ainsi que le
foisonnement d’opinions qu’il a exprimées à différents titres et à
différentes occasions à propos des faits et des choses du monde
passé, présent et futur.
Le titre même de cet article reflète cette démarche. Les trois ad-
jectifs – moderne, ultramoderne et antimoderne – ont une fonction
essentiellement descriptive : ils ne reflètent nullement une quel-
conque volonté de distinguer dans l’œuvre de Lévi-Strauss des
« phases » ou « moments » se succédant selon un ordre temporel
déterminé. Nous sommes conscients de la difficulté de saisir une
œuvre qui se déploie sur plusieurs décennies sans céder à l’illusion
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d’y voir une « progression » qui, à partir d’un point X, arriverait
enfin à un « système » achevé. Mais Lévi-Strauss a démenti à diffé-
rents reprises, plus ou moins directement, la possibilité d’une lec-
ture systématique de son œuvre – une tentation toujours aux
aguets lorsqu’on est confronté à une telle complexité.
On est cependant frappé par certaines idées qui ne cessent
d’affleurer et de disparaître dans son œuvre, pour ensuite réappa-
raître à l’improviste. On a ainsi l’impression d’une pensée s’étant
en quelque sorte formée et construite d’un seul coup, comme Lévi-
Strauss lui-même – et ce n’est peut-être pas un hasard – l’a dit, en
diverses occasions, à propos de l’origine du langage humain. Les
mêmes thèmes reviennent continuellement sous sa plume : d’où le
sentiment que l’on éprouve de se trouver face à quelque chose
d’achevé à l’avance. Dans cette perspective, moderne, ultramoderne
et antimoderne ne seraient pas trois adjectifs se rapportant à au-
tant de phases de l’élaboration de sa réflexion, mais plutôt une
espèce de triple pentagramme sur lequel se développe globalement
sa pensée.
34 UGO E. M. FABIETTI

Moderne
Si, dans la réflexion de Lévi-Strauss, quelque chose peut être vu
comme un début fondateur, il est par trop facile de le situer dans
ses années américaines (ou plutôt newyorkaises), où la rencontre
avec la linguistique structurale marque l’ouverture et aussi, d’une
certaine façon, le finale de son œuvre.
Pour entrer dans le détail de ce début qui semble, comme nous
le disions, contenir déjà en soi sa conclusion, on peut commencer
par la thèse suivante : la rencontre avec la linguistique structurale
constitue la condition de réalisation du programme moderne de
Lévi-Strauss et, en même temps, l’amorce de son aboutissement
ultramoderne. À l’instar d’autres penseurs du passé, Lévi-Strauss
tente d’imaginer dès le début des années cinquante une reconstruc-
tion de sa propre science, voire, à partir de celle-ci, de l’ensemble
des sciences humaines. L’idée selon laquelle l’ethnologie (ou
l’anthropologie) serait une science qui, infatigablement, fouille et
réorganise l’expérience humaine ne pourrait aboutir si elle se ré-
duisait à une simple collecte de données, aussi consciencieuse soit-
elle, et au classement méthodique de ces données. L’idée que se fait
Lévi-Strauss de l’ethnologie ne correspond à celle d’une anthropo-
logie générale que parce qu’il « s’agit » – écrit-il dans Diogène –
« d’atteindre à l’homme total » (Lévi-Strauss 1953 : 97). Tel est le
but de l’anthropologie, tel est le programme moderne de Lévi-
Strauss, celui-là même qui le place dans une ligne de continuité
avec la tradition et qui, depuis l’humanisme, s’est constitué sous le
signe d’une totale connaissance de l’homme. Lévi-Strauss semble
donc s’aligner sur l’inspiration comparative de l’anthropologie clas-
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sique. Mais si la recherche vise à atteindre à l’homme total, comme
il l’affirme, de quelle totalité s’agit-il ? Si la connaissance totale de
l’homme n’est pas une « encyclopédie » constituée de la somme,
même systématisée, des données concernant l’expérience humaine
dans le temps et dans l’espace, à quelle autre réalité devrons-nous
puiser pour « atteindre à l’homme total » ? Ces données, bien
qu’objectives et cumulatives, bien qu’ordonnées en classes distinc-
tes, sont encore trop liées à la dimension sensible et phénoménale
de la réalité. Leur signifié ne peut s’épuiser en elles ou en leur
combinatoire, mais doit être cherchée dans leurs relations récipro-
ques.
On sait que la ligne de continuité qui unit Lévi-Strauss à
l’anthropologie et à l’ethnologie classiques s’interrompt, ou pour le
moins se modifie radicalement lorsque sa recherche, qui tend vers
une idée-limite de vérité (dans ce cas, celle qui coïnciderait avec la
nature sociale de l’homme) rencontre la question du signifié. La
rencontre avec la linguistique marque, chez lui, l’abandon de la
conception classique de l’anthropologie. Elle permet aussi à sa ré-
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 35

flexion de passer d’un niveau que l’on pourrait qualifier d’empi-


rique à un niveau abstrait et, en même temps, la détache du projet,
tout à fait « moderne », d’une connaissance de l’homme « total. »
Mais ce projet n’est pas pour autant abandonné. Bien au contraire,
il se renforce en cernant les principes (oppositions, structures, rap-
ports formels) propres à l’esprit humain et qui mettent en relation
les éléments de l’expérience sensible. Le passage du plan empiri-
que au plan structural (passage qui a été préparé, comme il le dit
lui-même, par le marxisme et la psychanalyse) acquiert une phy-
sionomie nette et définitive avec la linguistique structurale, qui
sera la muse inspiratrice de son anthropologie.
Cette perspective le mènera à abandonner l’ancienne distinction
entre pensée logique, rationnelle et civilisée, d’un côté, et pensée
prélogique, mystique et primitive, de l’autre. Pour Lévi-Strauss, il
s’agira de définir des lois de la pensée qui sont toujours identiques
à elles-mêmes. Ces lois sont toujours les mêmes car tout à fait
identiques sont les structures grâce auxquelles l’esprit articule et
organise l’intellection du monde des phénomènes (Lévi-Strauss
1950 : XXXI). C’est en cela que réside l’« accomplissement » de la
modernité de Lévi-Strauss, et aussi son point ultime d’adhérence
au projet universalisant de la tradition occidentale dans son accep-
tion moderne. C’est un point-limite car, allant de l’avant selon les
principes inspirateurs de son modèle, Lévi-Strauss met en scène ce
que je définirais comme étant son aboutissement « ultramoderne. »

Ultramoderne
Au moment où le projet scientifique de Lévi-Strauss semble ré-
aliser son objectif et atteindre l’homme « total », celui-ci disparaît,
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dissout dans ses composantes abstraites et formelles. Aussi para-
doxal que cela puisse paraître, l’entreprise d’atteindre à l’homme
« total » consistera à le dissoudre en tant que donnée historique,
forme de conscience et sujet. Certes, le sujet que Lévi-Strauss dis-
soudra est celui de l’existentialisme sartrien d’abord, puis des phi-
losophes qui, comme il l’écrit dans certaines pages enflammées de
L’Homme nu, « se préoccupent surtout d’aménager un refuge où
l’identité personnelle, pauvre trésor, soit protégée » – ces mêmes
philosophes qui « préfèrent un sujet sans rationalité à une rationa-
lité sans sujet » (Lévi-Strauss 1971 : 614).
Essayons de calibrer ces affirmations. Le sujet qu’il prend com-
me cible – « insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé
la scène philosophique, et empêché tout travail sérieux en récla-
mant une attention exclusive » (Lévi-Strauss 1971 : 614-615) –
n’est pas tellement celui de l’existentialisme sartrien pourtant du-
rement critiqué dans La Pensée sauvage ; ni celui de la phénoméno-
logie de Husserl ou de l’herméneutique de Dilthey, que Lévi-
Strauss semble ne jamais avoir fréquenté (Hénaff 2004) ; et encore
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moins le sujet dont parle son ami Merleau-Ponty, à qui il dédie La


Pensée sauvage. Il s’agit plutôt du sujet de cette philosophie qui
met « à la place du moi, d’une part un autre anonyme, d’autre part
un désir individualisé […] il suffirait de les recoller l’un à l’autre et
de retourner le tout, pour reconnaître à l’envers ce moi dont, à
grand fracas, on aurait proclamé l’abolition » (Lévi-Strauss 1971 :
563).
Si le sujet de ces philosophes est gâté, insupportable et
« odieux », c’est parce que Lévi-Strauss se donne pour tâche, dès le
début des années cinquante – selon ses propres termes – de
« dissoudre l’homme » : ce qu’il fera effectivement à travers l’étude
des structures mythiques d’abord (Lévi-Strauss 1955c), l’analyse de
la « pensée sauvage » ensuite, et enfin avec le retour au mythe à
travers l’immense exploration des Mythologiques. Son objectif, plu-
sieurs fois déclaré, consiste à démolir le point de vue d’un huma-
nisme qui place l’homme au centre d’un univers historique qu’il a
construit de manière totalement illusoire.
Aux « humanistes », Lévi-Strauss objectera que si l’on définit
l’homme d’après le critère historique, on ne sait pas ce que nous
pourrions dire des peuples « sans histoire » qui constituent l’objet
privilégié de l’ethnologie. Des peuples qui ont certainement une
histoire mais qui ne la pensent pas comme nous, à savoir comme
produit d’une « intention » humaine. « Nous croyons – écrit-il dans
La Pensée sauvage – que le but dernier des sciences humaines n’est
pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre. La valeur éminen-
te de l’ethnologie est de correspondre à la première étape d’une
démarche qui en comporte d’autres : par delà la diversité empiri-
que des sociétés humaines, l’analyse ethnographique veut attein-
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dre des invariants » (Lévi-Strauss 1962 : 326-327). Mais, poursuit-
il, « ce ne serait pas assez d’avoir résorbé des humanités particuliè-
res dans une humanité générale ; cette première entreprise en
amorce d’autres […] qui incombent aux sciences exactes et naturel-
les : réintégrer la culture dans la nature, et finalement, la vie dans
l’ensemble de ses conditions physico-chimiques » (ibid.).
Le fait que l’ethnologie puisse être une science, capable de sur-
croît de reformer les sciences humaines, comme Lévi-Strauss
l’avait souhaité bien des années auparavant, est une éventualité
qui se révèle donc liée à la possibilité parfaitement paradoxale
pour l’ethnologie de procéder à la dissolution préalable de l’homme,
c’est-à-dire de son objet même. C’est un des nombreux paradoxes
auxquels Lévi-Strauss nous a confrontés. Et puisque nous parlons
de dissolution du sujet, il ne sera pas hors de propos de faire allu-
sion au traitement paradoxal que Lévi-Strauss a réservé à Rous-
seau, défini à plusieurs reprises comme le vrai « fondateur des
sciences de l’homme » – négligeant cependant le fait que Rousseau
est aussi le promoteur d’une forme de sensibilité qui se pose au
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centre de ce qu’il peut y avoir de plus moderne : la dramatisation


de la conscience individuelle.
Lévi-Strauss aborde à plusieurs reprises le thème de la
« dissolution de l’homme. » Il trouve son apothéose dans le dernier
chapitre des Mythologiques : mais il fait souvent allusion, même
dans des interventions bien antérieures, telles la leçon inaugurale
au Collège de France et La Pensée sauvage, à la nécessité « de réin-
tégrer l’homme dans la nature », ou de ramener la compréhension
de la réalité humaine à des principes semblables à ceux des scien-
ces naturelles… Cette idée était donc bien ancrée dans sa pensée.
Ainsi s’expliquent des affirmations comme celle qui suit : « Au
contraire d’une philosophie qui confine la dialectique à l’histoire
humaine et l’interdit de séjour dans l’ordre naturel, le structura-
lisme admet volontiers que les idées qu’il formule en termes psy-
chologiques puissent n’être que des approximations tâtonnantes de
vérités organiques et même physiques » (Lévi-Strauss 1971 : 616).
Ou encore : « L’analyse structurale, que d’aucuns rabaissent au
niveau d’un jeu gratuit et décadent, ne peut émerger dans l’esprit
que parce que son modèle est déjà dans le corps » (Lévi-Strauss
1971 : 619).
L’image la plus nette de cette dissolution de l’homme dans la
nature est sans doute représentée par la manière, d’un grand effet
rhétorique, selon laquelle Lévi-Strauss rapproche linguistique
structurale et code génétique. La première aurait même anticipé la
découverte du second, en montrant comment, à partir de la combi-
naison d’éléments en soi dépourvus de sens, sont produits des mes-
sages en mesure de réaliser et en même temps de réguler la com-
munication, entre les êtres humains comme entre les cellules. Pro-
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nonçant une sentence qui tient de l’hyperbole, Lévi-Strauss semble
vraiment « régler ses comptes » avec l’objet des sciences humaines :
« La nature en quête, il y a plusieurs milliards d’années, d’un mo-
dèle emprunté par anticipation aux sciences humaines, n’hésita
pas : elle choisit celui auquel, pour nous, les noms de Troubetskoï
et de Jakobson sont associés » (Lévi-Strauss 1971 : 612 ; voir aussi
Lévi-Strauss et Éribon 2001 : 149).
Ces affirmations, tirées de travaux écrits durant deux décen-
nies, révèlent une notable continuité de pensée. Elles montrent que
le moment « ultramoderne » de Lévi-Strauss ne « succède » pas à
celui qui, ancré dans une conception du savoir axée sur la compa-
raison et la généralisation, se lie davantage au projet de la moder-
nité comme on l’entend d’habitude. L’« ultramodernité » de Lévi-
Strauss cohabite avec son projet moderne et va de pair avec ce der-
nier, comme un second pentagramme sur la partition de sa pensée.
Cette ultramodernité ne se révèle toutefois pas que dans le dé-
ploiement de sa machine structurale, qui analyse des modèles
d’échange matrimonial, des systèmes de classification du monde
38 UGO E. M. FABIETTI

naturel et social, des formes de production esthétique et des en-


sembles mythiques. La dissolution de l’homme et de son sujet res-
sort aussi dans Tristes Tropiques, un texte habituellement considé-
ré comme le produit de l’autre Lévi-Strauss et que l’on tient pour
autobiographique, littéraire, voire primitiviste.
Dans Tristes Tropiques, où il rappelle les raisons de son éloi-
gnement de la philosophie, Lévi-Strauss déclare que « pour attein-
dre le réel il faut d’abord répudier le vécu, quitte à le réintégrer par
la suite dans une synthèse objective dépouillée de toute sentimen-
talité » ; il affirme également que l’existentialisme semble, à ses
yeux, une spéculation non valable, « en raison de la complaisance
qu’il manifeste envers les illusions de la subjectivité »… Il écrit en
conclusion : « Cette promotion des préoccupations personnelles à la
dignité de problèmes philosophiques risque trop d’aboutir à une
sorte de métaphysique pour midinette […] fort dangereuse si elle
doit permettre de tergiverser avec cette mission […] qui est de
comprendre l’être par rapport à lui-même et non point par rapport
à moi » (Lévi-Strauss 1955a : 50).
La fin du sujet est déjà scellée dans Tristes Tropiques, donc bien
avant La Pensée sauvage et L’Homme nu : une nouvelle fois, et de
manière paradoxale, au moment précis où Lévi-Strauss est plus
que jamais plongé dans ce monde primitif qui avait nourri ses es-
poirs. La célèbre page de Tristes Tropiques où il décrit la brève et
décevante rencontre avec un groupe d’Indiens Tupi-Kawahib sem-
ble véritablement constituer le moment clé d’une transformation
de sa mission et, en même temps, du déploiement d’une nouvelle
possibilité pour la science :
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Car n’était-ce pas ma faute et celle de ma profession, de croire que
des hommes ne sont pas toujours des hommes ? [Q]ue certains méritent
davantage l’intérêt et l’attention parce que la couleur de leur peau et
leurs mœurs nous étonnent ? Que je parvienne seulement à les deviner
et ils se dépouilleront de leur étrangeté : j’aurais aussi bien pu rester
dans mon village. Ou que, comme ici, ils la conservent : et alors, elle ne
me sert à rien, puisque je ne suis pas même capable de saisir ce qui la
fait telle. (Lévi-Strauss 1955a : 356-357.)
Comment réussir dès lors à pénétrer leurs secrets ? Comment
les intégrer dans un programme cognitif cohérent ? En les igno-
rant, aussi paradoxale que puisse paraître cette réponse. Et igno-
rer les sauvages, les perdre de vue est bel et bien ce que semble
faire Lévi-Strauss quand, s’étant laissé aller à ces réflexions sur la
plus grande distance cognitive, alors même qu’il est le plus proche
physiquement des Indiens, il tourne aussitôt son attention vers la
nature (fait peu connu de ses exégètes), laissant présager que ce
qu’il écrit au sujet du paysage contient déjà l’indication de ce qui, à
ses yeux, est la seule voie praticable vers la vraie connaissance de
l’homme :
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 39

Qu’il parle donc, ce sol, à défaut des hommes qui se refusent. […]
qu’il me réponde enfin et me livre la formule de sa virginité. Où gît-elle,
derrière ces confuses apparences qui sont tout et qui ne sont rien ? Je
prélève des scènes, je les découpe ; est-ce cet arbre, cette fleur ? Ils
pourraient être ailleurs. […] Je récuse l’immense paysage, je le cerne,
je le restreins jusqu’à cette plage d’argile et ce brin d’herbe : rien ne
prouve que mon œil, élargissant son spectacle, ne reconnaîtrait pas le
bois de Meudon autour de cette insignifiante parcelle journellement
piétinée par les plus véridiques sauvages, mais où manque pourtant
l’empreinte de Vendredi (ibid.).
Et c’est ainsi que les Indiens, inaccessibles, disparaissent. Ils
disparaissent en tant qu’êtres de chair et d’os, à la façon dont dis-
paraît le paysage naturel : eux aussi sont décomposés en éléments
circonscrits, dans les traits de leur culture que le regard ethnogra-
phique peut plus facilement enregistrer et qui peuvent ensuite être
élaborés par l’intelligence anthropologique. Ils disparaissent tout
simplement en tant que sujets.
Ce n’est donc pas un hasard si les « sociétés primitives », comme
les appelle souvent Lévi-Strauss, forment un volet rhétorique et
épistémologique majeur dans son œuvre. Dans un passage capital
de sa célèbre leçon inaugurale au Collège de France (1960), il pose
une question rhétorique : « Quelles sont, alors, les raisons de la
prédilection que nous éprouvons pour ces sociétés que, faute d’un
meilleur terme, nous appelons primitives, bien qu’elles ne le soient
certainement pas ? » (Lévi-Strauss 1973 : 37).
Des humanités inaccessibles, des sociétés primitives, « bien
qu’elles ne le soient certainement pas », mais grâce auxquelles il
est possible de construire une ethnologie qui soit, à son tour, la clé
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d’une anthropologie générale. S’il en va ainsi, c’est uniquement
parce que nous imaginons ces sociétés comme étant primitives. C’est
un paradoxe, peut-être un non-sens que de définir une société
d’une certaine manière tout en niant qu’elle soit comme nous la
définissons. Toutefois, comme dans les thrillers bien ficelés, la véri-
té éclate dans la scène finale : les primitifs non-primitifs – déclare
solennellement Lévi-Strauss – sont « une preuve vivante de ce que
nous voulons sauver » (Lévi-Strauss 1973 : 42).
Si les primitifs, « pauvre gibier pris aux pièges de la civilisation
mécanique » (Lévi-Strauss 1955a : 31), sont la preuve vivante de ce
que nous voulons sauver, c’est que nous voulons préserver moins
les primitifs en tant que tels que ce dont ils sont les gardiens. Ils
conserveraient, à l’ombre des forêts d’Amérique du sud, les « véri-
tés ultimes » grâce auxquelles il a été possible – paradoxalement –
de « dissoudre l’homme. » Le cercle se referme et, à l’extrême oppo-
sé du « nous », les civilisés, nous retrouvons les « autres », nos frè-
res, les primitifs muets dont la grandeur, qu’eux-mêmes ignorent,
consiste précisément en ce qu’ils sont restés primitifs.
40 UGO E. M. FABIETTI

Ainsi, la limite ultramoderne de Lévi-Strauss est atteinte. Le


sujet, celui de certains philosophes mais aussi et surtout celui des
Indiens d’Amérique du sud, « preuve vivante de ce que nous vou-
lons sauver », est définitivement dissous. C’est ce qu’annonçait déjà
la conclusion de Tristes Tropiques. Les deux pages finales de
L’Homme nu apposent un sceau définitif à ces disparitions : des
pages aussi extraordinaires par leur force évocatrice et stylistique
qu’inquiétantes par l’abîme qu’elles laissent entrevoir sous les
pieds de l’humanité (Lévi-Strauss 1971 : 621). Même le dernier mot
– rien – semble sceller l’immense détour qu’accomplit son auteur
pour avouer que le « labeur de ruche », « le vide creusé par notre
fureur » dans lequel les cultures humaines sont destinées à
« s’abîmer » (autant d’expressions tirées du livre) ont été inutiles et
futiles face à l’imperturbabilité du cosmos.
Dans le cadre d’un discours se voulant scientifique, l’impertur-
babilité du cosmos (« d’un monde au visage désormais impassible »)
apparaît donc comme quelque chose d’autre qu’un simple fait ac-
quis. Elle devient une mesure de la condition humaine. Le raison-
nement scientifique, et avec lui le cosmos, se transforment en quel-
que chose d’autre. Deux voies s’ouvrent alors à nous : croire (ce que
Lévi-Strauss ne fait pas), ou se déclarer pessimiste :
L’opposition fondamentale, génératrice de toutes les autres qui
foisonnent dans les mythes et dont ces quatre tomes [les
Mythologiques] ont dressé l’inventaire, est celle même qu’énonce
Hamlet sous la forme d’une encore trop crédule alternative. Car entre
l’être et le non-être, il n’appartient pas à l’homme de choisir. (Lévi-
Strauss 1971 : 621.)
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S’il n’appartient pas à l’homme de choisir, quel sens donner à
l’histoire humaine ? C’est peut-être ainsi que s’expliquent la di-
mension nostalgique, le sentiment de perte, le « primitivisme » sur
lequel Lévi-Strauss s’attarde de manière persistante à travers son
œuvre. Ces thèmes s’accentuent certes avec le temps, se transfor-
ment parfois, débouchant sur des prises de position tantôt très
prudentes, tantôt ouvertement conservatrices. Mais, à mon sens,
rien ne serait plus faux que d’affirmer que ces thèmes – primiti-
visme, nostalgie, sentiment de la perte, le tout allié à un pessimis-
me évident – sont un produit tardif de sa réflexion. Bien au
contraire, à l’instar de sa modernité et de son aboutissement
« ultramoderne », ces thèmes s’inscrivent d’emblée dans sa pensée,
dont ils constituent un troisième pentagramme.

Antimoderne
Que peut-il bien rester après ce rien prononcé sans appel dans
le « finale » de L’Homme nu, si ce n’est le sentiment d’avoir perdu
cette condition où les hommes, bien qu’étant beaucoup plus dépen-
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 41

dants qu’aujourd’hui de la nature, étaient cependant bien moins


esclaves de la société, cet immense édifice que l’être humain a érigé
autour de lui comme une cage dans laquelle se révèle foncièrement
la futilité de chacun de ses gestes ? Chaque mouvement qu’il génè-
re et qui s’ajoute aux précédents produit une dépendance accrue
vis-à-vis de ce qu’il a lui-même édifié, et dont l’issue ne pourra
qu’être, in fine, fatale : « Le monde a commencé sans l’homme et il
s’achèvera sans lui » (Lévi-Strauss 1955a : 447). Telle est la toile de
fond sur laquelle Lévi-Strauss projette son côté antimoderne : si,
par ce terme, on n’entend pas le retour à un improbable état primi-
tif (dont il n’y a d’ailleurs aucune trace chez lui) mais plutôt une
critique systématique des acquis de la société dite « moderne. »
Examinons cette antimodernité. Au début du projet de la mo-
dernité il situe l’humanisme, dont il se propose de dévoiler ce qu’il
considère l’ambiguïté. Si d’un côté l’humanisme marquerait un
éveil d’intérêt à l’égard d’autres cultures, de l’autre il serait à
l’origine de « toutes les tragédies que nous avons vécues, d’abord
avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin les camps
d’extermination » (Lévi-Strauss 1979 : 14). Il le juge responsable
d’avoir séparé l’homme de la nature et, ayant introduit un écart
entre l’homme et les autres êtres vivants, d’avoir ouvert la porte à
la scission de l’espèce humaine en catégories différentes, acceptant
que les êtres inférieurs puissent être sacrifiés au bénéfice des êtres
supérieurs. Il n’est peut-être pas fortuit que ces réflexions para-
doxales sur l’humanisme s’accompagnent d’opinions tout aussi
paradoxales sur les thèmes de la rencontre entre cultures, du pro-
grès, de l’égalité et de la liberté.
Dans une étude classique, Albert O. Hirschman (1991) a montré
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qu’aussi bien la pensée conservatrice que la progressiste sont tra-
versées par des styles d’argumentation reconductibles à ce qu’il
définit comme des rhétoriques de l’« effet pervers », de la « futilité »
et de la « mise en péril. » La rhétorique de l’effet pervers est liée à
l’idée que toute action visant à améliorer un quelconque aspect de
l’ordre existant (politique, social, économique) ne sert qu’à exacer-
ber la situation à laquelle on désire remédier, de telle sorte qu’on
obtient le résultat opposé à celui que l’on escompte. La rhétorique
de la futilité renvoie au sentiment selon lequel toutes tentatives
visant à transformer la société sont vaines : rien ne peut changer
car les structures fondant le système « font résistance. » Enfin, la
rhétorique de la mise en péril considère le coût du changement
proposé ou réalisé comme trop élevé, car il compromettrait les pré-
cédentes conquêtes.
Selon la thèse générale de Hirschman, ces rhétoriques (qui
n’apparaissent pas nécessairement ensemble dans chaque argu-
ment) n’expriment pas toujours des positions explicitement « con-
tre. » Ce sont en revanche des arguments qui cherchent à présenter
42 UGO E. M. FABIETTI

sous un jour paradoxal le raisonnement de l’adversaire, de façon à


le renverser et à le faire apparaître sous un angle négatif. C’est
précisément à travers de telles rhétoriques, qui reposent sur le
volet ultramoderne de sa pensée, qu’il atteint son antimodernité.
C’est en tout cas ce qu’il nous semble.
Venons-en maintenant au problème de la diversité culturelle et
de l’interaction entre les cultures. Lévi-Strauss est, comme (pres-
que) tous les anthropologues, un relativiste convaincu. Il n’est pas
prêt d’admettre que l’on puisse établir des hiérarchies de valeur
entre cultures, ne serait-ce que parce qu’on ne voit pas très bien
quelle devrait être la valeur de référence absolue. Son célèbre Race
et histoire de 1952 constitue, pour le moins à cet égard, un
« monument » du relativisme moral. Ce relativisme reviendra à
plusieurs reprises, notamment dans Tristes Tropiques où il écrit :
Il faudra admettre que, dans la gamme des possibilités ouvertes aux
sociétés humaines, chacune a fait un certain choix, et que ces choix sont
incomparables entre eux : ils se valent. […] On découvre alors
qu’aucune société n’est foncièrement bonne ; mais aucune n’est
absolument mauvaise ; toutes offrent certains avantages à leurs
membres, compte tenu d’un résidu d’iniquité dont l’importance paraît
approximativement constante. (Lévi-Strauss 1955a : 416-417.)

Toutefois, dès lors qu’il s’agit d’affronter le problème du contact


entre diversités culturelles, la vision de Lévi-Strauss perd le carac-
tère optimiste qui lui avait été reproché à plusieurs reprises (par
Roger Caillois, entre autres) pour acquérir un ton inquiet qui
s’abandonne, par moments, au catastrophisme. Au départ, Lévi-
Strauss lance un signal d’alarme à partir d’une vision négative de
la civilisation occidentale, qui agirait comme un rouleau compres-
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seur envers toutes les autres (Lévi-Strauss 1955a). Mais, à un
moment donné, son raisonnement connaît un revirement, allant
jusqu’à théoriser le danger existant du fait d’un contact « excessif »
entre les cultures. Calquant le style de raisonnement de différents
« antimodernes », au nombre desquels l’Edmund Burke des Ré-
flexions sur la Révolution française (1790), dont il a toujours été un
lecteur attentif, Lévi-Strauss renverse la vision optimiste de
l’action de l’homme et des effets positifs qu’elle entrainerait, pour
mettre en lumière ses conséquences négatives et catastrophiques.
Ainsi donc, alors que la diversité des cultures peut être à l’origine
de créativité et d’innovation grâce à une interaction mutuelle, cette
même diversité devient, lorsque cette interaction se fait trop inten-
se, la prémisse d’une dangereuse uniformisation. Les arguments de
Lévi-Strauss semblent calqués ici sur ce que Hirschman appelle la
rhétorique de la mise en péril.
Il n’y a pas, il ne peut y avoir une civilisation mondiale au sens
absolu que l’on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 43

implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de


diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation
mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle
mondiale, de cultures préservant chacune son originalité. (Lévi-
Strauss 1973 : 417.)
Claude Lévi-Strauss se déclare foncièrement favorable à main-
tenir une certaine distance entre les cultures. Il considère cette
distance comme un moindre mal par rapport à un brassage indis-
criminé : car, s’il est impossible de croître à défaut de communi-
quer, trop de communication entraine une perte d’identité et, fina-
lement, la mort. C’est un motif que l’on trouvait déjà chez Gobi-
neau, mais également chez d’autres antihumanistes et antimoder-
nes français, comme de Bonald et Barrès (Compagnon 2005).
L’échange entre cultures devient ainsi, au-delà d’une certaine
mesure, stérile, voire contre-productif : uniformisation et universa-
lisation se rejoignent et s’inscrivent sous un même signe négatif.
En dépit du projet moderne et universaliste de Lévi-Strauss, l’uni-
que universalité digne de ce nom – émanation de son ultramoder-
nisme – doit être abstraite, dépourvue de sujet, et certainement
pas quelque chose de concret, telle qu’une société « universelle. »
L’universel ne peut pas s’ancrer dans l’expérience : il appartient à
monde caché qui nous façonne mais qui ne se montre pas. S’il ap-
paraissait au grand jour (autrement dit, s’il se réalisait concrète-
ment), les différences disparaîtraient. Or cette annulation des dif-
férences en tant que menace portée par une inquiétante société
planétaire et universaliste fait écho à des pages spengleriennes, et
implique à la fois une critique du capitalisme et du communisme,
ce dernier apparaissant comme « une ruse de l’histoire pour pro-
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mouvoir l’occidentalisation accélérée de peuples restés en dehors
jusqu’à une époque récente » (Lévi-Strauss 1979 : 14).
Mais les paradoxes ne s’arrêtent pas là. Si Lévi-Strauss craint
la mise en place d’un ordre mondial, en réalité il ne cesse d’en réaf-
firmer la nécessité (depuis ses écrits des années cinquante jusqu’au
début du XXIe siècle), préconisant même des mesures à prendre
pour faire fonctionner notre société planétaire : croissance démo-
graphique, retombées imprévues du contact entre les cultures,
détérioration du milieu naturel. Lévi-Strauss est interventionniste
et s’oppose au laisser-faire : ce qui, paradoxalement, le rapproche
de ceux-là mêmes qu’il craint, à savoir les partisans d’une société
planétaire universelle.
Pourtant, rien ne semble plus « antimoderne » que ses réflexions
sur la liberté. Il est vrai que l’homme du néolithique, écrit-il dans
Tristes Tropiques, « n’était pas plus libre qu’aujourd’hui » (Lévi-
Strauss 1955a : 422). Mais, il ajoute, « 20 000 ans d’histoire sont
joués. Il n’y a plus rien à faire […] L’humanité s’installe dans la
monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse,
44 UGO E. M. FABIETTI

comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat »


(Lévi-Strauss 1955a : 27). Certes, affirme-t-il,
avec le néolithique l’homme s’est mis à l’abri du froid et de la faim ;
il a conquis le loisir de penser ; sans doute lutte-t-il mal contre la
maladie, mais il n’est pas certain que les progrès de l’hygiène aient fait
plus que rejeter sur d’autres mécanismes, grandes famines et guerres
d’extermination, la charge de maintenir une mesure démographique à
quoi les épidémies contribuaient d’une façon qui n’était pas plus
effroyable que les autres. (Lévi-Strauss 1955a : 422.)
Plus nous avons gagné et plus nous avons, semble-t-il, perdu.
Au néolithique, l’homme n’était pas moins libre qu’aujourd’hui,
mais aujourd’hui il ne l’est pas plus qu’hier. Futilité de l’action de
l’homme ? Effets pervers du progrès ? Pessimisme sans nul doute.
« Ses labeurs – écrira-t-il plus tard – ses peines, ses joies, ses es-
poirs et ses œuvres deviendront comme s’ils n’avaient pas existé »
(Lévi-Strauss 1971 : 621).
Lévi-Strauss illustre ses positions par rapport à la question de
la liberté dans un essai qu’il consacre expressément à ce thème
(Lévi-Strauss 1983). Il refuse l’idée que l’on puisse construire le
droit à la liberté de l’homme sur sa nature morale, car les libertés
divergent selon les époques et se réfèrent à des contenus concrets
différents. La liberté doit être relativisée, tandis que l’idée de celle-
ci qui s’est fait jour dans la modernité repose sur des principes
abstraits et absolus. À partir du refus de considérer les droits hu-
mains comme fondés sur la nature morale des hommes d’un côté,
et de l’idée d’une liberté qu’il faut relativiser de l’autre, Lévi-
Strauss déduit la nécessité de reconnaître les droits de l’humanité
jusqu’au point où leur exercice ne risque pas de compromettre
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l’existence d’autres espèces. Il faut donc fonder les droits de
l’homme non pas sur sa nature morale, mais sur sa nature d’être
vivant.
Quant au destin de la doctrine universaliste de la liberté, celle-
ci lui semble déboucher inéluctablement sur des partis uniques, ou
alors sur une « liberté ravageuse » sous l’influence de laquelle les
idées se combattent jusqu’à « perdre toute leur substance. » Et il
évoque en conclusion le paradoxe de Montesquieu : « Après avoir
été libre avec les lois, on veut être libre contre elles » (Lévi-Strauss
1983 : 378).
L’antidote à l’idée de liberté abstraite, que la Révolution de
1789 a mis en circulation avec d’autres idées et valeurs qui ont
fasciné l’Europe et le monde, est la superstition. Les superstitions
ne sont ni les convictions vides du crédule, ni les traditions enten-
dues comme un enchevêtrement de « chaînes » qui empêcheraient
les êtres humains de trouver la voie d’une émancipation consciente.
Elles constituent plutôt des formes d’attachement à « cette multi-
tude de petites appartenances, de menues solidarités qui préser-
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 45

vent l’individu d’être broyé par la société globale, et celle-ci de se


pulvériser en atomes interchangeables et anonymes ; qui intègrent
chacun dans un genre de vie, un terroir, une tradition, une forme
de croyance ou d’incroyance » (Lévi-Strauss 1983 : 380).
Dans sa défense des « superstitions » en tant qu’antidote à l’idée
de la liberté abstraite, ce n’est sans doute pas un hasard si Lévi-
Strauss se réfère à Edmund Burke et à Henry S. Maine. Il semble
renverser ce credo anthropologique incarné en premier lieu par
Franz Boas (dont il a par ailleurs été un admirateur incondition-
nel), lequel soutenait que nous serons véritablement libres quand
« nous briserons les chaînes de la tradition » (Boas 1974 : 42). Il
faut toutefois expliquer en quoi consistent ces superstitions dont
parle Lévi-Strauss.
Si l’on donne à la liberté un fondement qui se prétend rationnel,
on la détache de ce « contenu » sur lequel, en fait, elle repose. C’est
son fondement irrationnel, soutient Lévi-Strauss, qui assure la
survie de la liberté : ces minuscules privilèges, ces minuscules iné-
galités dérisoires qui, « sans contrevenir à l’égalité générale, per-
mettent aux individus de trouver des points d’ancrage au plus près.
La liberté réelle est celle des longues habitudes, des préférences,
en un mot des usages » (Lévi-Strauss 1983 : 380).
La vision que semblait avoir Lévi-Strauss de la rationalité, du
sujet et de la « place » de celui-ci dans le monde subit dès lors un
étrange renversement. Ne fallait-il pas préférer la rationalité sans
sujet au sujet dépourvu de rationalité des philosophes ? La premiè-
re ne devait-elle pas remplacer la seconde ? Désormais les termes
s’inversent et la liberté apparaît comme une invention artificielle
et abstraite, dépourvue de sujet. Mais, à l’instar des sociétés de
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petite taille, on ne peut établir la liberté que concrètement, « de
l’intérieur », jamais par une imposition extérieure. Une fois encore,
les primitifs sont appelés à confirmer l’écart effectif qui a été creu-
sé par rapport à une condition humaine à laquelle l’histoire, et
notamment la modernité, ont asséné un coup qui risque de se révé-
ler fatal (Lévi-Strauss 1983 : 380-381). La liberté, semble nous dire
Lévi-Strauss, ne peut jamais être vraiment conquise ; elle ne peut
qu’être perdue.
Ainsi, le cercle se referme. L’élan rationalisant qui avait guidé
Lévi-Strauss vers la recherche de l’universel (ce que nous avons
appelé sa modernité) l’a conduit aux niveaux de l’invariance et aux
formes de l’universel. Mais ces formes doivent, pour être vraiment
telles, être placées au-delà des sujets historiques et des mouve-
ments réels de la vie : et c’est là son aboutissement ultramoderne.
Face à l’impassibilité du cosmos s’exprimant à travers la vie,
aussi éphémère soit-elle, il ne resterait plus qu’à chercher à réaf-
firmer cette même vie. Or ce passage ne peut être réalisé à travers
ces mêmes formes de rationalité qui menacent de dissoudre la vie,
46 UGO E. M. FABIETTI

voire de la comprimer, comme Lévi-Strauss le fit paradoxalement


avec l’homme en le « dépouillant » de tout mouvement affectif ou
intentionnel (c’est l’homme nu). Il faut plutôt revenir à la vision
d’un monde où le sentiment de la perte, la nostalgie, le désir de
« rester » et de « se sentir chez soi » (un mÔrsnv à proprement par-
ler) puissent être source de consolation et de réconfort, face à
l’inutilité du « labeur de ruche » de notre espèce. À l’instar de
l’Indien du mythe, auquel il se compare – de manière exemplaire –
dans un des passages les plus célèbres de Tristes Tropiques, Lévi-
Strauss aussi est arrivé à la limite du monde, il a interrogé les
êtres et les choses pour ne retrouver que sa propre désillusion (Lé-
vi-Strauss 1955a : 31).

Actualité de l’antimodernité ?
L’issue paradoxale de la trajectoire de Lévi-Strauss (de la mo-
dernité à l’antimodernité, en passant par l’ultramoderne), semble
coïncider avec le repliement sur soi d’un projet qu’il avait poursuivi
sous le signe d’un désir d’universalité. Cet aboutissement « antimo-
derne » (déjà inscrit dans la marque initiale de sa pensée) rejoint
des comportements et des styles de raisonnement propres à notre
ère contemporaine.
L’un d’eux, en particulier, permet de comprendre le relativisme,
l’hésitation et la perplexité de Lévi-Strauss face à l’intensité crois-
sante des échanges culturels dans un monde menacé par la bombe
démographique. Rétablissant une vision simpliste de la culture, ce
style de raisonnement a transformé le thème du contact culturel en
un problème de « contamination culturelle. » Cette façon de penser
qui est allée jusqu’à justifier une lecture politique de Lévi-Strauss
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(je me réfère à certaines reprises de sa pensée opérées par une
certaine droite, notamment française) a produit des effets que
l’intéressé lui-même n’aurait jamais pu prévoir ni souhaiter. La
conception des cultures qui fait de ces dernières des îlots menacés
par un « risque de contamination » croissant se révèle comme étant
étroitement liée à un processus de construction de l’autre en tant
qu’étranger. Le relativisme se prête, dans sa forme radicale, à la
construction d’un processus d’exclusion fondé sur la thèse de
l’intraduisibilité, donc d’une incommunicabilité de fond entre les
cultures. Un « autre » est tel tant qu’il reste dans son espace et
constitue le sujet d’images aussi rassurantes que peuvent l’être
celles du touriste ou de l’anthropologue. Cet « autre » se transforme
en étranger dès lors que sa présence devient « visqueuse », pour
utiliser une métaphore que Bauman (1999) emprunte à son tour à
Sartre : autrement dit un « inéliminable autre parmi nous » tel
qu’apparaît aujourd’hui à beaucoup l’immigré, une figure évoquant
davantage notre propre précarité que la présence des autres parmi
nous.
LÉVI-STRAUSS MODERNE, ULTRAMODERNE, ANTIMODERNE 47

Un autre style de pensée pose la question de la liberté. Il semble


rejoindre le refus d’une conception abstraitement rationnelle de la
liberté, condamnée à évoluer vers cette « liberté ravageuse » sous
l’influence de laquelle les idées se combattraient jusqu’à « perdre
toute leur substance. » Mû par le désir de reconstituer la liberté et
la dignité de la « personne » contre des théories sociales et philoso-
phiques jugées « abstraites » et « autoritaires », ce style de pensée
et de comportement, tout à fait transversal au niveau politique et
culturel, place au centre de son discours l’individu concret avec ses
droits, ses besoins, ses libertés… mais il cache souvent un sous-
produit de cette liberté « abstraite » : l’homo oeconomicus dans ses
avatars postmodernes et new age. Un individu écarté du contexte
social et pour qui l’intérêt commun tend à disparaître, un individu
« flexible » pour lequel consommation, wellness et fitness, associés
dans certains cas à une religion « à la carte », deviennent des for-
mes de compensation face à un espace public qui est de moins en
moins public mais de plus en plus peuplé de figures qui ressem-
blent à ces « atomes interchangeables et anonymes » qui, comme
disait Lévi-Strauss, risquent de pulvériser la société à cause d’un
« excès de liberté » mal comprise.
Ces styles de pensée et ces formes de comportement auxquels
nous avons fait allusion, et auxquels on pourrait ajouter ceux qui
tournent autour de paramètres environnementalistes, de genre,
démographiques, animalistes, primitivistes et autres, nous disent
que ce sont désormais là les crêtes incertaines et mouvantes par
lesquelles passent les demandes de reconnaissance voire d’auto-
nomie – ou, au contraire, de négation voire de suppression de toute
différence : autant de thèmes qui revêtent un caractère désormais
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central pour notre époque. À la lumière de ces styles de pensée, de
ces formes de comportement et de ces manières de « sentir » les
cultures, la nature, les sociétés, le monde, les individus, la
« personne », l’antimodernité inactuelle de Lévi-Strauss nous appa-
raît ainsi, malgré lui, étonnamment actuelle.
Ugo E. M. FABIETTI.
(Université de Milano-Bicocca.)

Traduit de l’italien par Catherine Millasseau.

Références

Bauman, Z. (1995) Life in Fragments: Essays in Postmodern Morality.


Oxford : Blackwell.
Bauman, Z. (1997) Postmodernity and Its Discontents. Cambridge : Po-
lity press.
Boas, F. (1974) A Franz Boas Reader: The Shaping of American An-
thropology, éd. G. W. Stocking. Chicago : University of Chicago Press.
48 UGO E. M. FABIETTI

Compagnon, A. (2005) Les Antimodernes : de Joseph de Maistre à Ro-


land Barthes. Paris : Gallimard.
Geertz, C. (1973) « The Cerebral Savage: On the Work of Claude Lévi-
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© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 179.210.98.196)

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