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Discussions

À propos de Roman Jakobson & Claude Lévi-Strauss,


Correspondance 1942-1982
Anne Szulmajster-Celnikier
Dans La linguistique 2020/1 (Vol. 56), pages 187 à 210
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0075-966X
ISBN 9782130823346
DOI 10.3917/ling.561.0187
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.75.20.84)

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DISCUSSIONS
À propos de Roman Jakobson & Claude Lévi-Strauss,
Correspondance 1942-1982 1

par Anne SZULMAJSTER-CELNIKIER


Collège de France, EPHE-INHA EA 7347
anne.szulmajster@college-de-france.fr

1. PRÉSENTATION
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On peut s’étonner que l’imposante correspondance entre
« ces deux grands sphinx des sciences sociales du
XXe siècle » 2 paraisse pour la première fois presque quatre
décennies après la clôture d’un si riche, profond et étincelant
échange. Saluons d’emblée les deux responsables de la pré-
sente édition : Emmanuelle Loyer, professeur d’histoire
contemporaine à Sciences Po Paris, et Patrice Maniglier,
maître de conférences en philosophie de l’université de Paris-
Nanterre, pour le rayonnement culturel qu’ils prodiguent, ce
faisant. Après l’exergue des fameux « Chats » de Baudelaire
analysés à quatre mains par les deux virtuoses, une préface
(pp. 9-46) ouvre le volume, intitulée « La cristallisation struc-
turaliste » (avec une heureuse connotation scientifique et lit-
téraire). Elle est elle-même subdivisée en trois parties : « Le
cours de deux vies », « D’un structuralisme l’autre », « Sous
le signe de Saussure » ; et en outre dédiée à Monique Lévi-
Strauss, seconde épouse de Claude Lévi-Strauss, toujours en
vie, à qui vient d’être consacré en 2019 un excellent film
documentaire, venant éclairer quelquefois la correspon-
dance. S’ensuit un Avertissement (pp. 47-50), annonçant la

1. 2018, Préfacé, édité et annoté par Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier,


Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 422 p.
2. Selon l’expression des préfaciers.

La Linguistique, vol. LVI, fasc. 1/2020


188 Anne Szulmajster-Celnikier

republication ici même de certains titres des deux savants en


parallèle avec l’échange épistolaire ; le célèbre article sur
« Les Chats » 3, scellant 20 ans d’amitié entre les deux
hommes ; les hommages réciproques ; d’autres textes publiés
séparément ou ensemble ; et enfin les entretiens et débats.
La page de Remerciements cite notamment Monique Lévi-
Strauss, encore une fois, mais aussi, parmi les linguistes,
Patrick Sériot, Bernard Laks et Noam Chomsky (ce dernier
pour avoir fourni une lettre inédite).
Lévi-Strauss (désormais CLS : 1908 Bruxelles – 2009 Paris)
et Jakobson (désormais RJ : 1896 Moscou – 1982 Cambridge)
se rencontrent à l’École libre des hautes études de New York
autour de 1943, où ils s’étaient réfugiés depuis 1941. L’ethno-
logue de 34 ans a fui la France antisémite de Vichy, tandis que
le linguiste de 46 ans a d’abord quitté la Russie des Soviets
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en 1920, puis Prague en 1939 et l’Europe nazie en 1941. Le
contraste est saisissant entre le sobre, solitaire et taiseux eth-
nologue et l’exubérant, sociable et prolixe linguiste. Et pour-
tant une amitié fraternelle au long cours va lier ces deux
tempéraments a priori opposés, nourrie par une intense acti-
vité scientifique en partage, dont le paradigme est le structu-
ralisme. À travers 40 ans de correspondance, c’est une
ardente quête d’invariants sur fond de variations, perpé-
tuelles sources d’émerveillement, qui se donne à voir. Cette
quête a donné naissance plus récemment à un domaine
majeur, la typologie, représenté par d’éminentes figures lin-
guistiques telles que Gilbert Lazard, Claude Hagège et Larry
Hyman 4. « Le curieux, le singulier, l’exceptionnel pas-
sionnent les deux hommes autant que le général, le régulier
et même si possible l’universel », écrivent les préfaciers.
Leur carrière dissociée de part et d’autre de l’Atlantique
va susciter d’intenses rencontres (sur les deux continents,

3. Cette analyse est mentionnée dans 9 lettres : du 16. XI. 1960 : 211-216 : il
s’agit ici de la première version de CLS, sa « tentative » [sic] ; du 25. II. 1961 (222) ;
du 25. VII. 1961 (230) ; du 27. X. 1961 (243) ; du 7. II. 1962 (251) ; 1er IV. 1962
(256) ; du 27. VI. 1982 (258) ; du 5. VIII. 1962 (259) ; du 28. II. 1982 (329). En outre
elle est rééditée dans le présent volume, en Annexe 1 : 333-356.
4. On retrouve des éléments de cette quête au sein de « L’interview de Roman
Jakobson par Claude Bonnefoy » en Annexe 2 : 358 : « Il est impossible de parler de
variations sans parler d’invariants. La recherche des invariants est donc la base de la
linguistique moderne. »
Discussions 189

mais à Paris surtout) et de multiples écrits autour de ce nœud


central qu’est le structuralisme, la vision d’équivalence de ces
deux pratiques, en linguistique et en ethnologie. RJ va
s’implanter assez vite à l’université de Columbia à New York,
puis en 1949 à l’université de Harvard à Cambridge (Massa-
chussetts), et parallèlement au MIT à partir de 1957. Il cher-
chera désespérément à attirer son ami auprès de lui, mais
CLS choisit la France où son tempérament le porte, et en
raison aussi de l’ambiance politique américaine d’alors – le
maccarthysme – qui lui fait prendre ses distances. Il semble
d’ailleurs que RJ lui-même, l’immigré de Russie, ait été
contraint de démissionner de Columbia dans ce climat délé-
tère où s’instaure la guerre froide. En l’occurrence, un froid
s’immisce aussi dans l’amitié, suite à ce refus de CLS : un
échange de deux lettres irritées (sur un malentendu édito-
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rial) en 4 ans ! CLS, après quelques débuts difficiles, sera
finalement élu Professeur au Collège de France en 1958, où
il rayonnera jusqu’à son très grand âge.

2. UNE AMITIÉ CRÉATRICE

C’est essentiellement sur le mode de la ferveur, et non


sur les quelques ombres de susceptibilité, que ce double lien,
affectif et scientifique, s’exprime, comme en attestent ces
extraits.
CLS
Je suis émerveillé de la manière dont nos deux esprits
travaillent simultanément dans la même direction.
(Lettre du 13. IV. 1950 : 132)
J’ai lu vos « Chats » avec enthousiasme. C’est fantastique,
ce que vous parvenez à sortir d’un texte où j’aperçois si
peu, et si confusément ! (Lettre du 25. VII. 1961 : 230)
À chacune de nos rencontres, je vous retrouve tel que
vous m’apparaissiez la première fois : solide, chaleureux,
animé d’une vie et mû par une curiosité intenses, tou-
jours prêt – et quelle que soit l’heure ! – à ouvrir un
190 Anne Szulmajster-Celnikier

débat, prodigue en aperçus nouveaux et profonds 5.


L’existence m’a fait rencontrer peu de grands hommes 6 ;
peu d’hommes, en tout cas, à qui j’eusse accolé cette épi-
thète sans réticence. Mais s’il en est un à qui elle
s’applique dans toute sa force, c’est bien vous ! Joyeux
anniversaire, cher Roman. (Lettre du 12. V. 1966 : 307)
Mais soyez certains que j’en continue d’éprouver à votre
égard une reconnaissance qui accroît, si c’est possible,
celle que je vous dois continuellement depuis un tiers de
siècle, pour tout ce que vous m’avez apporté. (Lettre du
28. XI. 1978 : 326)
Merci de tout cœur, pour le cinquième volume de vos
Selected Writings [1979]. J’aimerais savoir le russe pour
pouvoir tout lire, mais je me console avec les autres si
beaux textes dont tous ne m’étaient pas connus, et qui,
centrés sur la poésie, ont pour moi d’autant plus d’impor-
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tance que, depuis mon séjour au Japon, j’ai pas mal
regardé la littérature, y compris précisément la poésie.
(Lettre du 23. XI. 1979 : 327)
Ce volume [1979] m’est particulièrement précieux, non
seulement parce qu’il contient « Les chats » et votre
« Retrospect » [« rétrospective » apparaissant en fin de
chaque volume de Selected Writings], mais aussi en raison
de tant de textes essentiels qui continuent d’inspirer ma
recherche, plus quelques-uns, anciens, que je ne connais-
sais pas. Merci de tout cœur. (Dernière lettre, du 28. II.
1982 : 329)

RJ
Je regrette beaucoup de ne pas vous voir de plus près. On
ferait de belles choses ensemble. Et on servirait de réveil
l’un à l’autre. Mais je préfère le futur au conditionnel !
(Lettre du 14. IX. 1949 : 117)
À mon avis, l’offre que vous avez reçue [un poste au MIT]
ouvre les plus grandes possibilités imaginables pour créer
5. Dans une déclaration à RJ, publiée en 1983 (voir Annexe 7 : 407), CLS se livre
plus encore : « De pair avec ses écrits, sa personne rayonnait d’une vitalité prodigieuse.
Une même générosité, une même force démonstrative, une même verve étincelante
[…] ».
6. Ce terme de « grand homme » est repris plus tard dans CLS, 1971 (voir
Annexe 5 : 397).
Discussions 191

des œuvres et des disciples et notre coopération si efficace


dans le passé pourrait reprendre. (Télégramme du 3.
XII. 1953)
À travers Princeton, j’ai eu vent du succès éblouissant de
vos premiers cours au Collège de France et, bien que ces
nouvelles soient, comme on dit, en théorie de la commu-
nication, totalement redondantes et prévisibles, j’en ai été
une fois de plus très heureux. (Lettre du 26. II. 1960 :
202)
Maintenant que je lis ces deux ouvrages passionnants
[Totémisme et La pensée sauvage], je voudrais vous dire que
je suis heureux qu’ils soient sortis : vous avez réussi à
résoudre toutes les subtilités du problème totémique et
dans votre Pensée sauvage vous liez magnifiquement les
questions cardinales de l’anthropologie moderne avec les
démarches, méthodes, et motifs récurrents de l’anthropo-
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logie linguistique 7. (Lettre du 27. VI. 1962 : 257)
Acceptez je vous prie mes remerciements les plus chaleu-
reux pour vos très belles « Étoiles » 8 et votre merveilleuse
lettre (dans le volume de lettres m’ayant été présenté par
l’éditeur) qui m’a profondément touché et, croyez-moi,
est devenue un stimulus puissant et qui m’encourage à
réaliser encore plus de travail sérieux. C’est extraordi-
naire d’avoir un authentique ami comme vous, Claude.
(Lettre du 20. XI. 1967 : 279)
J’ai été heureux de recevoir votre lettre et votre étude,
très élégante et très convaincante […] J’aimerais beau-
coup vous consulter sur diverses questions abordée dans
ce volume [Contributions to Comparative Mythology, vol. des
Selected Writings] et j’espère pouvoir passer par Paris au
mois de septembre […] Serez-vous à Paris à ce moment ?
On ne s’est pas vus depuis trop longtemps. (Dernière
lettre, du 30. III. 1982 : 330)
7. Dans son Hommage à CLS du 8. XI. 1978 aux États-Unis (voir Annexe 6 :
403), RJ évoque de manière similaire leur première rencontre, où il fut immédiate-
ment frappé par sa personnalité : « Quel esprit aiguisé cet homme a donc ! Qui est-il ?»
s’exclama-t-il auprès d’un collègue. Très vite il remarqua aussi « Ce don suprême pour
poser les questions », et considérait CLS comme « Le grand anthropologue de l’après-
guerre » (404).
8. Article d’Hommage de CLS à RJ à l’occasion de son soixante-dixième anniver-
saire : 1967, « Le sexe des astres », To honor Roman Jakobson : Essays on the Occasion of
his Seventieth Birthday, 11 October 1966, La Haye, Mouton de Gruyter.
192 Anne Szulmajster-Celnikier

3. AMPLITUDE DISCIPLINAIRE ET FOISONNEMENT DE CHERCHEURS

La quête d’un mouvement structuraliste englobant


diverses disciplines et l’insatiable curiosité des deux savants
sont mis brillamment au jour à travers ces quelques 275 pages
de la correspondance elle-même.
Une bonne vingtaine de domaines scientifiques et litté-
raires sont abordés, d’où émerge une masse impressionnante
de personnalités internationales. Le polyglottisme notoire de
RJ – 8 langues à son actif, dont Algirdas Julien Greimas dira
plaisamment qu’il les parle toutes… mais en russe ! – contri-
bue à élargir le réseau des deux hommes. En dehors de la
linguistique (incluant l’ethnolinguistique) et l’ethnologie /
anthropologie (et accessoirement l’ethnographie) on recense
les disciplines suivantes, pour les « humanités », sciences
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humaines : grammaire traditionnelle, sémiologie / sémio-
tique, sociologie, psychanalyse, psychologie, philosophie,
épistémologie des sciences, géographie, démographie, arché-
ologie, histoire, histoire des idées, histoire de l’art, théorie de
la littérature/ critique littéraire, sans oublier la littérature et
la poésie elles-mêmes. On recense, pour les sciences exactes,
qui ne sont pas en reste : mathématiques (catégorie la plus
développée, dont la cybernétique), physique, biologie (géné-
tique), neurologie et psychiatrie.
Sous la plume alerte de nos deux hommes défile tout un
siècle de savants.

3.1. Les linguistes

Plus loin seront développés les faits marquants relatifs aux


deux disciplines majeures constitutives de ce volume. Mais
arrêtons-nous ici à quelques grandes figures l’émaillant : Fer-
dinand de Saussure, Beaudoin de Courtenay, Antoine Meillet,
Georges Dumézil, Nicolaï Sergueïevitch Troubetzkoï, Louis
Hjemslev, Viggo Brǿndal, Émile Benveniste, André Martinet,
Joseph Greenberg, Charles Bailly, Michel Bréal, Maurice
Grammont, Joseph Vendryès, Leonard Bloomfield, Hans
Vogt, Noam Chomsky, Zellig Harris, Morris Halle, Robert A.
Discussions 193

Hall, Bertil Malmberg, Alf Sommerfeld, Paul Garvin, Ken-


neth L. Pike, Greimas, André-Georges Haudricourt. Le loin-
tain grammairien Panini est en outre évoqué. Certains
linguistes qui leur sont contemporains font partie du cercle
étroit et régulier des deux savants : notamment Benveniste,
très souvent cité, homme au caractère notoirement ombra-
geux, tour à tour « défiant et cérémonieux », regrettera CLS
(dans sa lettre à RJ du 4.VII. 1949) ou « cordial et chaleu-
reux » se réjouira-t-il (dans sa lettre à RJ du 29. XII. 1947)
mais toujours fructueux dans l’échange ; d’autres, proches
autrefois, se sont éloignés, notamment Martinet. On y revien-
dra (en 5.2).
Il est regrettable qu’une bonne trentaine de linguistes,
Slaves et Américains surtout, cités ici, demeurent méconnus
des linguistes d’Europe occidentale.
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3.2. Les ethnologues

Du côté des ethnologues/ ethnographes, anthropologues,


la nomenclature s’avère un peu moins vaste. Parmi les grands
noms, relevons Marcel Mauss, Marcel Griaule, Margaret
Mead, Morris Swadesh, Jan Boas (grand ami des deux
hommes), Paul Rivet, Alfred Louis Kroeber (auteur d’une cri-
tique célèbre de Totem et Tabou de Freud), Melville Hersko-
wits, George Murdock, Ruth Benedict, Petr Bogatyrev. À cela
s’ajoute une dizaine de noms moins connus, surtout
américains.

3. 3. Les psychanalystes ; les psychologues ; les neuropsychiatres

En dehors de ces chercheurs, toujours au cœur de cet


échange, on remarquera une affinité certaine de RJ et de CLS
avec la psychanalyse, par le biais de Jacques Lacan cité une
bonne douzaine de fois, ami des deux hommes. Ils se fré-
quentent, s’invitent, prennent mutuellement de leurs nou-
velles, s’enrichissent de leurs travaux respectifs 9. Le père
9. On retrouve ainsi dans Lacan 1966 : 6 références à RJ, 10 à CLS, auxquelles
il faut ajouter 10 à Saussure, 3 à Benveniste, 1 à Hjelmslev, et 1 à Chomsky.
194 Anne Szulmajster-Celnikier

fondateur Sigmund Freud est bien sûr évoqué, mais aussi un


grand ami des deux hommes, Raymond de Saussure, fils de
Ferdinand de Saussure, (psychiatre et psychanalyste genevois,
fondateur de la Société Psychanalytique de Paris, première
société de psychanalyse française, avec Marie Bonaparte,
Edouard Pichon, neveu du grammairien) ; Rudolph Loewen-
stein, René Spitz et Ernst Kris sont mentionnés encore ; on
relève aussi Ignace Meyerson (traducteur de L’interprétation
des rêves de Freud en 1926) ; ce dernier est en outre chercheur
en psychologie comparée et historique (et aura Jean-Pierre
Vernant pour disciple) ; le psychologue Jean Piaget est égale-
ment cité, ainsi que Kurt Goldstein, neurologue et psychiatre
allemand, pionnier de la neuropsychologie moderne.

3. 4. Les théoriciens de la littérature ; les écrivains et poètes


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Le lecteur ne sera pas surpris de rencontrer au fil des
pages divers spécialistes de la littérature puisque la poétique
et la science mythologique constituent l’un des domaines de
prédilection de RJ et de CLS respectivement.
On compte entre autres les célèbres Tzvetan Todorov,
Evguéni Polivanov, Vladimir Propp, Constantin Brailoiŭ,
Henri Wallon, Champfleury, Nicolas Ruwet, Paolo Valesio,
auxquels il faut ajouter le grand historien helléniste, spécia-
liste des mythes grecs, Vernant (déjà mentionné en 3.3).
Une dizaine de figures internationales, assez méconnues
en Europe occidentale, sont en outre dans le cercle des
deux hommes.
Quant aux écrivains et poètes, l’immense culture pan-
européenne et américaine des deux savants nous permet de
retrouver sous leur plume tant Pouchkine, Goëthe, Du Bellay,
Baudelaire, Nerval, Montherlant, que Maïakovski, Aragon,
Breton, ou Sollers. Sans oublier la littérature populaire.

3. 5. Les mathématiciens

La récurrence du nom de divers mathématiciens – logi-


ciens, cybernéticiens et autres – jalonnant l’échange ne sur-
prendra que les non-avertis. Car un certain formalisme de
Discussions 195

RJ 10 doublé d’un certain goût de l’abstraction chez CLS


conduit les deux amis vers la fréquentation de ces spécialistes.
Ces derniers les aident non seulement à résoudre divers pro-
blèmes concrets les tenaillant, mais contribuent aussi à faire
émerger des concepts plus larges (ex. « code », « message »,
redondance », « récepteur », « bruit », etc 11.) et ainsi à
donner meilleure assise à leur commune quête d’interdisci-
plinarité.
Retenons notamment Norbert Wiener, Claude E. Shan-
non, Warren Weaver, Elias Loomis, Marcel-Paul Schützenber-
ger, Benoît Mandelbrot, John von Neumann, Jacques Riguet,
Roger Penrose, Georges Guilbaud, Witold Hurewicz., William
Ross Ashby.
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3. 6. Les tenants des autres disciplines

L’on ne s’étendra pas sur les représentants des diverses


disciplines restantes et on évoquera tour à tour, au sein des
sciences humaines et humanités, parmi les sémiologues/
sémioticiens : Thomas Sebeok, Charles William Morris,
Roland Barthes, Marshall Blondsky, Algirdas Julien Greimas
(déjà mentionné en 3.1.) ; les philosophes et épistémologues
des sciences : d’abord les illustres Jean-Jacques Rousseau, Fre-
drich Engels, Willard Van Husserl, Maurice Merleau-Ponty
(ami des deux hommes, dont ils pleureront la mort), Gilles
Deleuze, Michel Foucault, Jacques Derrida, Lucien Sebag et
une poignée de moins connus Slaves et Américains ; l’ histo-
rien Jean-Pierre Vernant (déjà mentionné en 3.4) ; les histo-
riens de l’art : Dora Henri Focillon, Dora Vallier, Lucien
Rudrauf, Georgy Kepesi ; l’historien des sciences Alexandre
Koyre (ami de RJ et de CLS, souvent cité) ; les sociologues
Albert Bayet, Paul-Henry Chombart de Lauwe, Talcott Par-
sons ; le géographe Pierre Gourou ; les démographes Jean
Sutter et Léon Tabah ; les archéologues Marija Gimbutas,

10. Néanmoins, RJ s’écarte du formalisme russe, celui du Moscou révolution-


naire qui l’environnait.
11. Voir Note 1 de la préface des éditeurs : 119.
196 Anne Szulmajster-Celnikier

Henri Seyrig. Au sein des sciences exactes, hormis les mathé-


maticiens (vus en 3.4), on compte parmi les biologistes (géné-
ticiens) : François Jacob et Philippe l’Héritier ; enfin parmi
les physiciens : Pierre Auger et Chen-Ning Yang.

4. LES DEUX STRUCTURALISMES

Même si les prémisses du concept figuraient déjà dans le


CLG de Saussure (ce dernier parle de « système ») le para-
digme « structuraliste » qui unira les deux savants et servira
ensuite de modèle aux autres sciences humaines prend sa
source d’une part dans « Principes de phonologie histo-
rique » de Jakobson (1931) : la lettre du 16 (mois inconnu)
1946 ou 1947 nous éclaire à cet égard (66) ; d’autre part dans
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Principes de phonologie de Troubetzkoï (1939), où le texte de
RJ figure en annexe. « Cette discipline, que les deux lin-
guistes russes inventent de concert […] constitue la première
réalisation scientifique » dudit paradigme (note 1 des édi-
teurs, p. 66). Le premier travail de RJ sera porté un peu plus
tard à la connaissance de CLS, comme le sera, sans délai cette
fois, celui d’Introduction à la phonologie (co-signé RJ et John
Lotz, 1950) ; CLS en aura la prime lecture (lettre du 14. II.
1950 : 127), avant que le manuscrit ne soit envoyé à des per-
sonnalités de disciplines diverses pour conseils et critiques.
Notons que c’est RJ qui a fait découvrir à CLS non seulement
la pensée de Troubetzkoï, mais aussi celle de Baudoin de
Courtenay et de Saussure.

4. 1. Analogie entre les systèmes phonologiques et les systèmes


de parenté

CLS s’efforce, dès les années 50 (1951 : 155-163), d’établir


des analogies formelles entre systèmes phonologiques et sys-
tèmes de parenté, selon certaines conditions épistémolo-
giques et par la médiation d’un langage sémiologique 12. En
12. Ce langage sémiologique est vu comme un système de signes et une science
des communications au sens large, incluant messages, femmes, biens et services en
tant qu’unités de communication sociale.
Discussions 197

termes de CLS, il y a opération d’identification entre pho-


nème et « mythème » (voir Annexe 6 : 405). Et c’est sous
l’égide de Saussure qu’est entérinée cette relation d’équiva-
lence : en témoigne la lettre du 25. II. 1966 : 271-272) où
Jakobson recopie pour CLS un passage significatif de Robert
Godel (1957). C’est encore avec cette référence que les deux
savants écrivent à quatre mains la mémorable analyse des
« Chats » de Baudelaire, dont le lecteur, à travers l’échange
épistolaire, pourra suivre la genèse. Il retrouvera en outre
l’évocation de la typologie des parallélismes poétiques de RJ,
qui a tant séduit et inspiré CLS, et qui se déploiera dans les-
dits « Chats ». Dans sa lettre à RJ du 20. III. 1966 (173), CLS
écrit : « Merci pour les « vingt-neuf types de parallélismes »
[compilation rédigée par un moine japonais du IXe siècle].
C’est un document tout à fait prodigieux, et on aimerait
savoir construire les miroirs dont les propriétés rendent
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compte de toutes ces formes de symétrie, plus nombreuses et
variées que celles dont se contentent les physiciens ».
Car, rappelons-le, Saussure s’était attelé à un vaste travail
sur la poésie antique, fondé sur des principes anagramma-
tiques (diffusé dans les années 60), c’est-à-dire de permuta-
tions de phonèmes (voir Starobinski 1971). Or la poétique,
constante passion de RJ, est l’une des passerelles privilégiées
vers CLS qui a, en parallèle, durablement à cœur l’analyse du
mythe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Correspondance
s’ouvre sur des contrepèteries…Toujours est-il que dans cette
démarche globale, Benveniste apporte son soutien aux deux
hommes, dès la fin des années 40 (voir la lettre de CLS à RJ
du 4. VII. 1948 : 93). La fameuse thèse de RJ selon laquelle
l’axe paradigmatique est projeté sur l’axe syntagmatique est
adoptée par CLS, avec une réserve cependant (« le mythe se
contente de jouer sur le niveau sémantique et ne tient pas
compte de ses réalisations linguistiques précises » comme le
formulent les préfaciers : 42-43).
Vu qu’il est impossible, dans l’espace de cette discussion,
de retracer tous les points de convergence structuraliste entre
les deux savants, on s’en tiendra à quelques-uns.
198 Anne Szulmajster-Celnikier

4. 2. L’articulation entre structure et histoire/diachronie/évolution/


dynamique

Elle est évoquée ici et là, notamment dans la lettre de RJ


à CLS du 15. XII. 1949 (73), à propos d’une discussion avec
son ami linguiste Alf Sommerfeld. Sujet majeur qu’ils ont en
partage et qu’ils résolvent en résonnance l’un avec l’autre,
mais de façon un peu différente. Le lecteur en trouvera un
écho en Annexe 3 (366) au sein d’un débat entre nos deux
protagonistes et François Jacob et Philippe L’Héritier, où RJ
aborde les relations entre structure et changement linguis-
tique, en tant qu’avancée, après une première étape, celle de
la description synchronique des langues selon Saussure et
Meillet. RJ tente à sa façon de « combler ce fossé contre-
nature entre l’analyse synchronique et la phonétique histo-
rique en considérant chaque changement phonétique du
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point de vue du système global » 13. L’histoire s’introduit dans
la structure 14 ; l’évolution (ou le changement) induit des
zones d’instabilité dans le système. La différence de concep-
tion entre RJ et CLS réside essentiellement dans le détermi-
nisme téléologique du premier, qu’écarte le second.
Précisons que ceci constitue une ligne de fracture entre deux
types de structuralisme, marqués par la géographie et l’idéo-
logie. Ce n’est pas un hasard si Troubetzkoï – Russe lui aussi
– partage cette vision. Formulé dans les termes pertinents de
Michel Arrivé (2000 : VII) : « Structuralisme venu de l’Est »
[…] structuralisme spécifique : élaboré sur le terrain – et le
terreau – de l’eurasisme 15, il s’oppose par bien des traits au
structuralisme européen et américain ». CLS, quant à lui,
oppose à ce déterminisme une vision de l’événementiel, de
l’accidentel, du contingent, entrant dans une logique de la
causalité, et débouchant sur la thèse du « bricolage évolutif »
chère au biologiste François Jacob.

13. Lettre de RJ à Troubetzkoï de 1925 (RJ, 1975).


14. Cette perspective a influencé les travaux du psychanalyste André Green, qui
a étudié la pensée structuraliste dans un livre (1995 : 173-243) et au sein de deux
articles (1963 : 549-662 et 1999 : 25-42).
15. L’article d’Arrivé (note 14) présente un livre de Patrick Sériot (1999), dans
lequel l’auteur précise : « Chez Jakobson, il y a évolution téléologique, convergence
par affinités entre les langues même non apparentées » [en référence surtout aux
langues eurasiennes d’ex-Union soviétique].
Discussions 199

4. 3 Le « phonème zéro » du linguiste et la « valeur symbolique


zéro » de l’ethnologue

En relation étroite avec ce qui précède, ce point de jonc-


tion apparaît avec ses variantes qui feront florès dans les
autres sciences humaines. La « valeur symbolique zéro » se
référant à la théorie du mana en anthropologie – terme poly-
nésien, central dans l’analyse de la magie et de la théorie du
don développées par Marcel Mauss – est abordée dans la
lettre de RJ à CLS du 27 mars 1950 (130-131). Les mots mana,
ou autre hau du maori, aux « signifiants flottants », s’oppo-
sant juste à l’absence de signification, désigneraient la possibi-
lité de nommer l’inconnu. Ceci à la façon dont le « phonème
zéro » qu’est le « e muet » ou le « h non aspiré » du français
selon RJ n’a pas de réalisation sonore mais n’existe qu’en
s’opposant à l’absence de phonème (voir note 1 : 131). C’est
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ainsi que, à leurs yeux, l’histoire peut s’introduire dans une
structure vue comme ouverte et dynamique, anticipant en
quelque sorte, les nouveautés à venir.

4. 4. Le principe de l’inconscience des phénomènes linguistiques


et celle des faits sociaux

Initié par RJ, qui lui-même le tient de l’anthropologue


Boas (dès 1911), et qui sera alimenté à un autre niveau, par
la psychanalyse, ce principe s’avère encore une réflexion
importante que partagent les deux savants. Pour preuve, la
lettre du 9. I. 1949 (100) où CLS écrit à RJ : « Je voudrais
insister, dans l’introduction de ce travail, sur l’originalité de
l’ethnologie comme étude des structures inconscientes de la
vie mentale […] ». CLS relie en effet « inconscient », « fonc-
tion symbolique » / « efficacité symbolique » et « histoire »
dans certains passages décisifs d’Anthropologie structurale.
Ainsi :
L’efficacité symbolique consisterait précisément dans
cette propriété inductrice que possèderaient les unes par
rapport aux autres des structures formellement homo-
logues pouvant s’édifier avec des matériaux différents,
200 Anne Szulmajster-Celnikier

aux différents étages du vivant : processus organiques,


psychisme inconscient, pensée réfléchie […]. L’ensemble
de ces structures [sous l’action catalysante du mythe ini-
tial] formerait ce que nous appelons l’inconscient […].
Il se réduit à un terme par lequel nous désignons une
fonction symbolique […]. On pourrait donc dire que le
subconscient est le lexique individuel où chacun de nous
accumule le vocabulaire de son histoire personnelle, mais
que ce vocabulaire n’acquiert de signification, pour nous-
mêmes et pour les autres, que dans la mesure où l’incons-
cient l’organise suivant ses lois, et en fait ainsi un discours
(223-225).
Ceci en harmonie avec RJ, qui a montré qu’une masse de
phénomènes linguistiques, tant synchroniques que diachro-
niques, échappent à la conscience du locuteur.
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4. 5. La valeur différentielle et distinctive d’éléments linguistiques
et ethnologiques

La fameuse thèse saussurienne adoptée par RJ, consiste à


considérer les phonèmes non pas positivement comme des
substances, mais négativement comme des « faisceaux d’élé-
ments différentiels » (voir RJ & CLS 1973 : 162). Or celle-ci se
trouve transposée, là encore, par CLS aux termes de parenté,
constitutifs de sa grande théorie développée notamment dans
Les Structures élémentaires de la parenté (1949).

4. 6. La question du binarisme

Sur un plan plus abstrait, cette hypothèse, que ne parta-


geait pas Troubetzkoï 16, relie les conceptions de RJ et de CLS
(p. 262). Le caractère oppositif et différentiel des éléments
linguistiques, notamment phonologiques, et, par transposi-
tion, des éléments socio-culturels, prennent préférentielle-
ment la forme d’oppositions binaires. Dans la lettre à RJ du

16. Il décrit ainsi des « oppositions bilatérales ou multilatérales » (1939 : 70).


Discussions 201

5. V. 1952 (1964), CLS qui s’efforce de reprendre un article


de phonologie en slavistique de RJ, lui propose une descrip-
tion simplifiée : « Autrement dit, mon tableau est intermé-
diaire entre votre A et votre B : je réduis une logique
trivalente à une double opération de logique bivalente ». En
retour, si l’on peut dire, dans la lettre à CLS du 6. II. 1963,
RJ écrit : « Vos cours récents sur les oppositions binaires dans
l’alimentation me fascinent » [en référence au volume Le cru
et le cuit 1964]. Dans ses « remarques sur la structure phonolo-
gique du français », co-publié avec John Lotz (1962 ; voir
Annexe 8 : 413), RJ précise : « Notre hypothèse fondamentale
est que toute langue opère avec un nombre strictement limité
de distinctions ultimes sous-jacentes, qui constituent un
ensemble d’oppositions binaires ». En parallèle, CLS établit
dans la représentation de son système de parenté des signes
positifs et négatifs (Voir référence en note 22 : 168, et en note
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21 : chap. 2). On évoquera plus loin le principal détracteur
de cette vision binaire.

4.7. Les phénomènes d’emphase et de réduplication en linguistique


et en ethnologie

Pour terminer sur un point certes marginal mais digne


d’intérêt, ces phénomènes sont abordés dans la lettre du 27.
III. 1950 (130) citée plus haut. CLS établit son audacieux
parallèle en se référant à certains comportements sociaux
comme le travestissement.

5. LE RAYONNEMENT ET LA CRITIQUE

5.1. Rayonnement de la pensée de RJ et de CLS

Chacun sait combien le XXe siècle a été marqué du sceau


de ce concept fécond, repris par de multiples disciplines.
« Nous établissons des ponts avec les autres sciences, entre
les autres sciences, et, vous le savez, les ponts sont très coû-
teux » dit Jakobson, interviewé par Claude Bonnefoy (1996 :
202 Anne Szulmajster-Celnikier

10-11 ; voir Annexe 2 : 357). De fait, l’emprunt de concepts


d’un domaine à l’autre est susceptible tant de dynamiser la
pensée que de susciter la méfiance. Comme l’énoncent juste-
ment les préfaciers de ce volume :
[…] le début des années 1950 est marqué, pour les deux
compères, par une grande effervescence intellectuelle
autour d’un programme d’interdisciplinarité scientifique
fort associant psychologie, logique, anthropologie, phy-
siologie, sciences cognitives et mathématiques. […] Tous
deux, de chaque côté de l’océan, font des rêves de labora-
toires qui pourraient unifier le champ des sciences
sociales autour d’un même paradigme, celui des
« recherches structurales ». Ce moment de Big Science est
un moment américain. (17)
Une matrice méthodologique est née, allant de pair avec
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une pratique scientifique, consistant à traiter les identités
comme des parcours de variantes, ce qui, encore une fois,
présuppose une épistémologie en amont assurant cette opéra-
tion. Hormis les champs cités par les préfaciers, il y a tous
ceux évoqués en section 3 du présent article. On s’arrêtera
juste sur trois points remarquables de diffusion interdisci-
plinaire.

a) Le « phonème zéro » introduit par RJ et repris par CLS


en termes de « signe zéro » et « signifiant flottant » était dans
l’air du temps dans la mesure où Barthes avait déjà forgé le
concept de « degré zéro » (1953). Lacan à son tour sera fas-
ciné par cette notion, évoquant CLS, commentant lui-même
Mauss, il parle de l’effet d’un « symbole zéro » :
Identifiée au hau sacré ou au mana omniprésent, la Dette
inviolable est la garantie que le voyage où sont poussées
femmes et biens ramène en un cycle sans manquement à
leur point de départ d’autres femmes et d’autres biens,
porteurs d’une entité identique : symbole zéro, dit Lévi-
Strauss, réduisant à la forme d’un signe algébrique le
pouvoir de la Parole. (Lacan, 1966 : 279)
Plus loin dans Écrits, Lacan précise qu’il s’agit, à ses yeux,
plutôt d’un « signifiant du manque de ce symbole zéro »
Discussions 203

(Lacan, 1966 : 821). Au début de ce même volume, il évoque


également, dans un autre ordre d’idées, le « point zéro du
désir » (Lacan, 1966 : 46). Deleuze (1983) reprendra cette
formulation, en philosophie cette fois, parlant tour à tour de
« degré zéro », « état zéro », en y voyant « l’élément surnumé-
raire », auquel correspond une « case vide », élément par
lequel l’histoire s’introduit dans la structure. Et, embrayant
leurs pas, Derrida (1966), commentant le travail de CLS, se
référant lui-même à RJ, évoquera la « valeur symbolique
zéro » :
Dans ce système de symboles que constitue toute cosmolo-
gie, ce serait simplement une valeur symbolique zéro,
c’est-à-dire un signe marquant la nécessité d’un contenu
symbolique supplémentaire […] à celui qui charge déjà
le signifié […] 17
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Tandis que Foucault (1976) pour sa part, adoptera par
extension les expressions « degré zéro de l’histoire, du lan-
gage, et des mythes qui le recouvrent » ainsi que du « signe
muet » 18.

b) Le binarisme phonologique de RJ et des organisations


symboliques de CLS trouvent leur écho notamment dans cer-
taines logiques dualistes de la psychanalyse, que Lacan (1966 :
46-47) formule en ces termes :
L’homme [Freud] littéralement dévoue son temps à
déployer l’alternative structurale où la présence et
l’absence prennent l’une de l’autre leur appel. […] La
simple connotation par (+) et (-) d’une série jouant sur
la seule alternative fondamentale de la présence et de
l’absence, permet de démontrer comment les plus strictes
déterminations symboliques s’accommodent d’une suc-
cession de coups dont la réalité se répartit strictement
« au hasard ».
c) La dimension d’« inconscience » introduite par RJ et
CLS a particulièrement intéressé les psychanalystes, et il n’est,
17. Il se réfère au « phonème zéro » défini par RJ et Lotz (1950).
18. Voir Gripay, 2014. Pour « signe muet », le contexte est : « le langage de
l’ambigüité centré sur le signe muet ».
204 Anne Szulmajster-Celnikier

à cet égard, que de citer Lacan – ami des deux savants, ne


l’oublions pas – commentant en l’occurrence le travail de
CLS (Lacan, 1966 : 285) :
N’est-il pas sensible qu’un Lévi-Strauss 19 en suggérant
l’implication des structures du langage et de cette part
des lois sociales qui règle l’alliance et la parenté conquiert
déjà le terrain même où Freud assoit l’inconscient ?
(Lacan, 1966 : 285)
Green note :
[…] Lévi-Strauss propose l’image d’un inconscient, pure-
ment contenant et étranger aux contenus qu’il contient,
soutenant qu’il se borne à imposer des lois structurales »
[voir CLS, 1973 : 205] à des éléments « inarticulés », il
n’est en effet pas très loin de Lacan, sans qu’il soit très
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difficile de deviner la silhouette de Jakobson à l’arrière-
plan de la phrase. (Green, 1995 : 166-167)
Évoquons encore ce retour à Freud de Lacan en lien avec
la linguistique (Lacan, 1966 : 799) :
L’inconscient, à partir de Freud, est une chaîne de signi-
fiants qui quelque part, sur une autre scène, écrit-il, se
répète et insiste pour interférer dans les coupures que lui
offrent le discours effectif et la cogitation qui l’informe.
Pour ce qui est, cette fois, des affinités de la pensée de
Freud à celle de Saussure, rapportons ce passage très signifi-
catif (Lacan, 1966 : 623) où l’inconscient est encore à
l’œuvre :
Il [Freud] nous avertit […] que dans le rêve ne l’intéresse
que son élaboration. Qu’est-ce à dire ? Exactement ce que
nous traduisons par sa structure de langage. Comment
Freud s’en serait-il avisé, puisque cette structure par Fer-
dinand de Saussure n’a été articulée que depuis ? Si elle
recouvre ses propres termes, il n’en est que plus saisissant
que Freud l’ait anticipée. Mais où l’a t-il découverte ?
Dans un flux signifiant dont le mystère consiste en ce que

19. Lacan fait référence à l’article de CLS (1951 : 155-163).


Discussions 205

le sujet ne sait pas même où feindre d’en être l’organi-


sateur 20.
Chacun aura en outre à l’esprit la phrase du psychana-
lyste mainte fois répétée : « L’inconscient est structuré
comme un langage » (Lacan, 1966 : 269 entre autres), et
ses variantes telles que : « […] c’est toute la structure du
langage que l’expérience psychanalytique découvre dans
l’inconscient » 21 (Lacan, 1966 : 495).
Les linguistes, pour leur part, ont appris de Freud que les
motivations sous-jacentes des images intellectuelles et émo-
tionnelles, des souvenirs, des désirs, qui se manifestent dans
l’instance de la parole sont inconscientes ; tout comme le
sont les omissions, les lapsus surgissant dans le discours. Si le
rêve, quant à lui, relève de l’inconscient, sa mise en langue
par le Sujet-parlant est le fait de l’élaboration secondaire,
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donc d’une sélectivité consciente.

5.2. Critique

Les concepts voyageurs d’une discipline à l’autre pouvant


être des « ponts coûteux » aux dires même de RJ (comme on
l’a vu en 5.1), on choisira de se concentrer ici sur certaines
modulations, objections voire sévères critiques formulées par
le fondateur de notre revue, Martinet – cité au moins 5 fois
dans le volume examiné (108, 270, 272, 358-359) – à
l’encontre de certaines positions structuralistes des deux
hommes. Plus précisément, l’on reprendra cinq points précé-
demment soulevés, qui émaillent la Correspondance.
a) Le rapprochement entre phonèmes et unités ethno-
logiques
C’est sur ce point particulièrement que la critique marti-
nétienne se fait mordante. Face à l’universalisme des deux
hommes, il oppose sa propre démarche empirique. Il
reproche plus précisément à RJ, et à travers lui, CLS de

20. La formule fait allusion à la phrase célèbre de Jean Cocteau dans Les Mariés
de la Tour Eiffel : « Si ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur ! ».
21. Au sein d’un chapitre célèbre d’Écrits 1966 : « Fonction et champ de la parole
et du langage ».
206 Anne Szulmajster-Celnikier

« généraliser à partir d’observations superficielles, trop limi-


tées ou de qualités douteuses », de procéder à « des approxi-
mations que recouvrent des formulations piquantes » (note
1, p. 270 des éditeurs, à propos de la lettre de CLS à RJ du
18. II. 1966). Martinet s’en prend au rapprochement, que
faisait RJ dans un entretien avec lui (1966 : 14) entre « la
capacité à percevoir les phonèmes et la prohibition de
l’inceste […]. Cette formulation hardie ne fait que décalquer
celle de Lévi-Strauss relativement aux femmes comme unités
de la communication sociale. Elle a le même caractère
agréablement paradoxal et, en fait, la même absence de pro-
fondeur. » Cette critique est à son tour violemment mise en
pièces par les deux fauves : « L’invraisemblable réponse de
Martinet » (Lettre de CLS à RJ du 18. II. 1966 : 270) ; « Sa
réponse […] c’est la stupidité vulgaire […] Mais peut-être
que quelque part, en abordant les questions dont il se gausse,
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je tournerai un jour en ridicule, sans le nommer, sa per-
plexité » (Lettre de RJ à CLS du 25. II. 1966). Il est loin, le
temps où Martinet et RJ étaient en grâce ; où le premier rejoi-
gnait dès son arrivée le Cercle linguistique de New York fondé
par le second, sous l’égide de CLS, attaché culturel de
l’époque ; le temps où RJ confiait à Martinet la rédaction de
la revue Word qu’il avait fondée ; lui cédait son appartement
lorsque lui-même déménageait…La polémique est montée.
Pour Martinet, les rapprochements opérés par CLS ne
s’avèrent donc que pures opérations métaphoriques, sans
assise scientifique. Or CLS ne conçoit pas le langage comme
une simple métaphore, mais envisage en amont un même
fonctionnement symbolique entre les phénomènes du lan-
gage et de la parenté. La fonction de communication les sub-
sume. Bien sûr, cette hypothèse peut être contestée, et on
peut regretter que CLS ait renoncé à théoriser davantage sur
ce point. Ainsi en témoigne la lettre de CLS à RJ du 13. III.
1954 (188) :
Je reste fermement décidé, malgré votre insistance, à ne
pas développer mes suggestions superficielles sur la
notion de communication dans les sciences sociales ; il
me faudrait pour cela une compétence multidisciplinaire
qui me manque.
Discussions 207

b) Le rapprochement phonème zéro / valeur symbo-


lique zéro
Pour ce qui est de ce rapprochement, Martinet a tenté de
relativiser le rôle distinctif du « phonème zéro », notamment
dans de nombreux passages de La prononciation du français
contemporain (Martinet, 1945 : 52, 71, 83, 113, 130, 147, 175)
et dans Phonology as Functional Phonetics (Martinet, 1949). De
sorte que l’expansion pluridisciplinaire de cette notion s’en
est trouvée, par ricochet, un peu désactivée. En revanche,
Martinet atteste bien dans Économie des changements phonétiques
de « […] l’incessante fermentation phonologique que l’on
peut observer un peu partout. Il y aura toujours des cases
vides et des phonèmes qui se déplaceront pour venir les rem-
plir » (2005 : 68). Rappelons au passage la définition du
concept donnée par Peeters (1992 : 76) : « Ce que les phono-
logues appellent ‘case vide’ n’est rien d‘autre qu’une combi-
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naison de traits articulatoires non attestée dans la langue ».
Et précisons aussi que cette case vide est amenée, selon la
conjoncture, à se remplir par un phénomène d’attraction :
« Cette attraction, exercée par un système cohérent sur des
phonèmes marginaux a été désignée comme le remplissage
de ‘cases vides’ » (Martinet, 2005 : 59).
c) Le binarisme
Cette conception de RJ du binarisme, dont Troubetzkoï
tente de se libérer, reprise par CLS 22, est combattue 23 notam-
ment par Martinet en tant que simplification excessive, abs-
traction abusive. Précisons que les invariants ou quasi-
invariants – quête des deux savants – les plus flagrants sont
les traits distinctifs. Le phonème est défini au moyen des traits
qui l’opposent, selon l’axe paradigmatique, aux autres pho-
nèmes du même système. Or une douzaine d’oppositions
binaires suffit à décrire les systèmes phonologiques de toutes
les langues étudiées. Dans son livre La linguistique synchronique
(1970, [1964-1965]), Martinet consacre un chapitre, « Trou-
betzkoy et le binarisme », à préciser la position de ce dernier,
22. La théorie du binarisme, corollaire à celle des invariants, est l’un des points
ayant suscité l’intérêt des ethnologues pour la linguistique (Voir CLS, 1973 : 37).
23. Elle est combattue dans d’autres disciplines, comme en témoigne Derrida, le
post-structuraliste et déconstructiviste : le philosophe propose de dépasser la logique
binaire qui prévaut dans l’histoire de la pensée philosophique et en sémiologie.
208 Anne Szulmajster-Celnikier

et une partie d’un autre, « Le binarisme comme procédé


d’examen » (139-144), à contrer le second. Il réitère sa cri-
tique notamment dans deux paragraphes d’Économie (2005,
[1955]) où il qualifie entre autres l’hypothèse en question de
« vue de l’esprit » (53), rejetant des types binaires universels.
Pour Martinet, cette conception n’est possible en effet que
par une certaine réduction arbitraire, intuitive, un choix
opéré par le chercheur de traits pertinents proprement dis-
tinctifs. Son entreprise repose en fait sur un « apriorisme
binaire » (86) le conduisant à « confondre les conditions de
la recherche et la réalité des faits étudiés » (83). Or, l’argu-
ment de la simplicité, avancée en faveur du binarisme, qu’il
soit linguistique ou anthropologique (dans le cas de CLS),
s’avère d’ordre épistémologique. Trouver des règles simples
régissant un amas de données, un ensemble à première vue
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complexe, ceci est recherché dans d’autres sciences. C’est à
ce niveau-là qu’il faudrait alors, aux yeux de RJ et de CLS, se
situer pour prouver ou réfuter l’arbitraire de la vision
binariste.
d) Le mode de conciliation entre structure et histoire,
entre synchronie et diachronie
À l’actif de Martinet, une modulation est apportée à
l’entreprise de RJ, par son concept de « synchronie dyna-
mique ». Rejetant catégoriquement l’identification de syn-
chronique à statique et de diachronique à dynamique, sa
vision fonctionnelle vient utilement dépasser (sans l’annuler
pour autant) la dichotomie saussurienne. « La langue change
à tout instant » avait-il coutume de dire. Et il précisait :
La synchronie dynamique nous mène directement à la
diachronie […] Sans doute ne nous est-il pas donné de
découvrir tous les chaînons de la causalité des change-
ments, mais en présentant comme contemporaines des
structures effectivement concomitantes, l’observation syn-
chronique nous révèle que le remplacement de l’une par
l’autre n’affecte que de façon minimale la communica-
tion entre les sujets ce qui est un des conditionnements
centraux de l’évolution linguistique (1989 : 52).
Discussions 209

e) L’inconscience des faits de langues et faits sociaux


La communauté des linguistes s’accorde depuis long-
temps sur l’idée que l’élaboration d’une langue en tant que
système, ainsi que son processus d’évolution échappent large-
ment à la conscience des locuteurs. Martinet en fait partie
même s’il n’insiste pas sur ce point, contrairement à RJ (et
CLS par analogie dans son domaine propre). « Comme tous
les changements linguistiques, cet aboutissement se fait à
l’insu de tous, si ce n’est quelques linguistes vigilants »,
résume-t-il, en référence à un point particulier de la phonolo-
gie du français (Martinet, 1971 : 236). Ce n’est que récem-
ment que cette vision s’est trouvée relativisée par certains
linguistes, notamment par Claude Hagège (1993), qui
consacre, illustrations à l’appui, un chapitre complet (« The
problem of consciousness in Language Building ») à l’examen de
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tous les degrés de conscience des locuteurs à travers diffé-
rents niveaux de leur langue en construction.
Tout en saluant, encore une fois, la publication de cette
impressionnante correspondance, et en louant l’effort des
éditeurs et préfaciers, qui ont si bien annoté ce volume, on
émettra une seule réserve : un index des auteurs et des
notions, manquant hélas ici, aurait tant éclairé le lecteur que
facilité la présente discussion…
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(supplément).
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