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Revue Didactica Vol.

1, N°1, 2023, ISSN 2820-7629

L’alternance codique dans l’enseignement du français


langue étrangère au cycle primaire : entre transmission du
savoir et stratégie communicationnelle
Code switching for teaching french as a foreign language in
primary schools: between transmission of knowledge and as
a communicative strategy
Askour Said
Langage et société, Faculté des Langues,
Lettres et Arts, Université Ibn Tofail.

Résumé : L’alternance codique dans une classe de langue étrangère a toujours été sujette à
controverse. En effet, si certains chercheurs considèrent que sa présence dans le discours des
enseignants ou celui des apprenants témoigne d’une incompétence linguistique, d’autres y
voient une ressource efficace au service de la communication pédagogique et demandent
même à ce qu’elle soit didactisée.
Au Maroc, ce sujet n’a pas fait l’objet de directives officielles claires. Ce flou va donner lieu à
des pratiques enseignantes très hétéroclites basées essentiellement sur des convictions
personnelles et le degré de compétence en français de chacun. Cette situation sera examinée
ici, en tenant compte du fait que le recours à une langue pour en enseigner une autre relève
parfois de stratégies pédagogiques dont l’objectif est de garantir la communication au sein de
la classe. D’autres fois, il cible la dimension didactique et se fixe comme objectif la
transmission du savoir.
Mots-clés : alternance codique, alternances tremplins, alternances relais, langue source,
langue cible.
Abstract: Code switching in a foreign language classroom has always been controversial. If
some consider its presence both in the discourse of teachers and in that of learners as an
indication of linguistic incompetence, the others see it as an effective resource in the service
of pedagogical communication and even ask that it be didactised. In Morocco, code switching
has not been the subject of clear official directives. This vagueness has given rise to very
heterogeneous teaching practices based essentially on personal convictions and the degree of
competence in French of each one. This situation will be examined here, taking into account
the fact that the use of one language to teach another is sometimes part of pedagogical
strategies whose objective is to guarantee communication within the class. Other times, it
targets the didactic dimension and sets itself the objective of transmitting knowledge.
Keywords: code switching, springboard switching, relay switching, source language, target
language.

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‫ﻣﻠﺨﺺ‬

‫ ﻓﻤﻦ اﻟﺒﺎﺣﺜﯿﻦ ﻣﻦ ﯾﺮى ﻓﯿﮭﺎ ﺗﻌﺒﯿﺮا‬.‫ﻟﻄﺎﻟﻤﺎ ﻛﺎن اﻟﺘﻨﺎوب اﻟﻠﻐﻮي ﻣﻤﺎرﺳﺔ ﻣﺜﯿﺮة ﻟﻠﺠﺪل داﺧﻞ ﻓﺼﻮل ﺗﻌﻠﻢ اﻟﻠﻐﺔ اﻷﺟﻨﺒﯿﺔ‬
‫ ﻓﻲ ﺣﯿﻦ ﯾﺮى ﺑﺎﺣﺜﻮن اﺧﺮون أن اﻟﺘﻨﺎوب اﻟﻠﻐﻮي ﻣﻮرد‬.‫ﻋﻦ ﻋﺪم اﻟﻜﻔﺎءة اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ ﺳﻮاء ﺗﻌﻠﻖ اﻷﻣﺮ ﺑﺎﻷﺳﺘﺎذ أو اﻟﻤﺘﻌﻠﻤﯿﻦ‬
.‫ھﺎم ﯾﺴﺎﻋﺪ ﻓﻲ اﻟﺘﻮاﺻﻞ اﻟﺒﯿﺪاﻏﻮﺟﻲ اﻟﺼﻔﻲ وﯾﻄﺎﻟﺒﻮن ﺑﺎﻋﺘﻤﺎده ﻓﻲ ﻣﻨﮭﺠﯿﺔ اﻟﺘﺪرﯾﺲ‬
‫ ﻟﻢ ﯾﺨﻀﻊ ھﺬا اﻟﻤﻮﺿﻮع ﻟﺘﻮﺟﯿﮭﺎت رﺳﻤﯿﺔ ﺻﺮﯾﺤﺔ ﻣﻤﺎ أدى إﻟﻰ ظﮭﻮر ﻣﻤﺎرﺳﺎت ﺗﻌﻠﯿﻤﯿﺔ ﻏﯿﺮ‬،‫ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ ﻟﻠﻤﻐﺮب‬
‫ ﺳﻨﺤﺎول ﻣﻦ ﺧﻼل ھﺬا‬.‫ﻣﺘﺠﺎﻧﺴﺔ ﺗﺴﺘﻨﺪ أﺳﺎﺳﺎ ﻋﻠﻰ اﻟﻘﻨﺎﻋﺎت اﻟﺸﺨﺼﯿﺔ ﻟﻜﻞ ﻣﺪرس ودرﺟﺔ ﺗﺤﻜﻤﮫ ﻓﻲ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‬
‫اﻟﺒﺤﺚ ﻓﺤﺺ ھﺬه اﻟﻮﺿﻌﯿﺔ ﺑﺎﻋﺘﺒﺎر اﻟﺘﻨﺎوب اﻟﻠﻐﻮي اﺳﺘﺮاﺗﯿﺠﯿﺔ ﺗﮭﺪف إﻟﻰ ﺿﻤﺎن اﻟﺘﻮاﺻﻞ اﻟﺼﻔﻲ ﺗﺎرة ﻛﻤﺎ أن ﻟﮭﺎ‬
.‫أھﺪاﻓﺎ دﯾﺪاﻛﺘﯿﻜﯿﺔ ﻣﻦ ﺧﻼل ﺗﻮظﯿﻔﮭﺎ ﻟﻨﻘﻞ اﻟﻤﻌﺮﻓﺔ ﺗﺎرة أﺧﺮى‬

‫اﻟﻜﻠﻤﺎت اﻟﻤﻔﺎﺗﯿﺢ‬
.‫ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﮭﺪف‬،‫ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻤﺼﺪر‬،‫ ﺗﻨﺎوب ﻟﻠﻤﻌﺮﻓﺔ‬،‫ ﺗﻨﺎوب ﻟﻠﺘﻮاﺻﻞ‬،‫اﻟﺘﻨﺎوب اﻟﻠﻐﻮي‬

Introduction
La situation sociolinguistique au Maroc est complexe. Elle se
caractérise par la coexistence de plusieurs variétés que les locuteurs maîtrisent
à des degrés divers et inégaux. Les plus importantes sont l’amazigh avec ses
trois variétés, le français et l’arabe, notamment dialectal. Cette situation donne
lieu à des phénomènes de contact de langues dont le plus saillant est
l’alternance codique appelée aussi code-switching.
Cette pratique langagière définie comme étant « l’usage de deux codes
dans un même énoncé » (Ziamari, 2013, p.13), est devenue une réalité dans le
paysage linguistique marocain. Elle n’est pas l’apanage d’une tranche d’âge
particulière ou le propre d’un groupe social précis. Ziamari souligne à cet effet
que « le code-switching dépasse largement l'utilisation individuelle et est
pratiqué au plan sociétal. (…) Il est utilisé par les différentes catégories sociales
et plus particulièrement par les jeunes. » (Ziamari, 2013, p.13) De surcroît, ce
phénomène linguistique touche pratiquement tous les domaines et passe
souvent inaperçu, car il est intégré dans les comportements linguistiques des
locuteurs. Néanmoins, sa présence dans le secteur de l’enseignement suscite
encore une polémique. Il s’agit plus précisément de la place que peut occuper
une langue première dans les classes de l’enseignement des langues étrangères.
Cette problématique s’accentue davantage au Maroc compte tenu des
choix effectués au niveau de sa politique linguistique. En effet, l’élève
marocain se trouve dès son plus jeune âge en face de trois langues différentes.
L’enseignement est dispensé en arabe standard alors que la langue française
est apprise dès la première année du primaire en tant que matière enseignée.

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Pour ce qui est de l’enseignement de l’amazigh, il est en cours de généralisation


et commence dès l’entrée à l’école. Cette situation de plurilinguisme fait que
les idiomes en présence dans la classe s’interpénètrent au gré des relations
sociales, de stratégies discursives des différents acteurs pédagogiques et de
leurs compétences linguistiques. Cependant, il faut préciser que le débat sur la
possibilité de recourir à une langue pour en enseigner une autre est loin d’être
tranché.
Tour à tour considérée comme ressource et tabou, la langue source et
l’intérêt à lui accorder dans l’enseignement d’une langue cible a fait et continue
de faire l’objet de plusieurs controverses dans le domaine didactique. Sa
présence ou son éviction ont été considérées au cours des siècles comme « un
critère important de différenciation des orientations méthodologiques » (M.
Causa, 2002, p.7). En d’autres mots, les différentes méthodologies de
l’enseignement des langues étrangères qui se sont succédé à travers l’Histoire
se basaient, entre autres, sur ce critère pour s’affirmer et marquer leur rupture
épistémologique avec la méthodologie précédente.
Actuellement, un grand nombre de systèmes éducatifs s’appuient sur les
principes de l’approche communicative et actionnelle pour asseoir des
méthodes d’enseignement des langues. Cependant, cette approche est «
fortement teintée d’éclectisme » (V. Castellotti, 2001, P.48). Certes, elle prône
la notion du bain linguistique et encourage la communication en langue cible,
mais laisse le choix aux acteurs pédagogiques de recourir à la langue source en
cas de nécessité et sans pour autant en abuser. Ce choix émane du fait qu’il
n’existe pas de position tranchée sur cette pratique et les arguments apportés
par ses défenseurs ou ses opposants s’avèrent tous solides. Dans ce sens,
certains chercheurs considèrent que sa présence dans le discours des
enseignants ou celui des apprenants est un indice d’incompétence linguistique.
Un problème qu’il est possible de résoudre en créant au sein de la classe les
mêmes conditions de l’acquisition naturelle d’une langue. Ce qui est
susceptible de conférer à l’apprenant le statut d’acteur social. En revanche,
d’autres chercheurs y voient une ressource efficace au service de la
communication pédagogique et demandent même à ce qu’elle soit didactisée.
A ce propos, V. Castellotti précise qu’« en classe de FLE, certains apprenants
parviennent à se construire des radeaux au moyen de ces alternances qui les
transportent, au-delà d’une simple mise à flots, vers l’amorce d’une

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compétence plurilingue ». (V. Castellotti, 1997, p.406).

Ce flou va occasionner des pratiques pédagogiques qui varient d’un


enseignant à l’autre. De ce fait, la présence ou non de l’alternance codique
dans un cours de langue étrangère obéit à une grande diversité. Si certains
professeurs activent exclusivement la langue cible et invitent leurs élèves à
faire de même, d’autres recourent à la langue première et considèrent normal
que les élèves puissent passer par cette interlangue dans le processus de
l’apprentissage d’une langue étrangère. À ce titre, Castellotti souligne que «
dans certaines (classes) la communication fonctionne quasi exclusivement en
langue cible alors que, dans d’autres, l’usage de la langue première ou langue
de référence sera très largement toléré, voire dans certains cas, encouragé;
certains enseignants se refusent systématiquement à recourir eux-mêmes à la
L1 de leurs élèves tandis que d’autres en usent (et en abusent…) » (V.
Castellotti, 2001, p.19). Ceci fera réagir certains didacticiens qui vont appeler
à ce que les orientations pédagogiques et instructions officielles se prononcent
clairement sur ce sujet. Dans cette perspective L. Cajo rappelle que « la
présence de la L1 dans un système d’enseignement en L2 laisse rarement
indifférent. Aussi bien au niveau de l’institution qu’à celui de la personne
enseignante, on ne peut en général se passer de s’interroger et de légiférer sur
l’usage de la L1 ». (Cité par M. Causa, 2002, P. 29).
Le système éducatif marocain ne fait pas exception à cette situation. En
effet, aucun document officiel ne traite explicitement de la place de
l’alternance des langues dans une classe de langue étrangère. Ceci étant, la
première langue est largement utilisée dans les classes du français langue
étrangère notamment à l’école primaire. Les enseignants y recourent pour des
raisons aussi bien pédagogiques que didactiques.
La problématique de notre recherche intitulée « l’alternance codique dans
l’enseignement du français langue étrangère au primaire : entre transmission
du savoir et stratégie communicationnelle » s’inscrit dans cet aspect de
l’opération enseignement/apprentissage. Il s’agit pour nous de répondre à la
question : dans quelle mesure l’alternance codique peut-elle favoriser la
transmission du savoir ou la communication dans une classe de FLE ?
Notre objectif est donc de trouver des éléments de réponse aux
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questionnements suivants :
• Quelles sont les fonctions de l’alternance codique dans une classe de FLE
à l’école primaire ?
• Quels sont les types de l’alternance codique dans une classe de FLE ?
• S’agit-il d’un acte conscient qui relève de stratégies didactique ou
communicative, ou d’un simple glissement inconscient d’une langue à
l’autre ?
Notre travail se situe, donc, à la croisée des chemins entre la
sociolinguistique et la didactique. En effet, les travaux menés par les
sociolinguistes ont un impact sur la réflexion didactique du fait que la
communication en salle de cours est considérée comme une forme particulière
des interactions sociales. L’échec ou la réussite d’un dispositif éducatif dépend,
entre autres, de la prise en considération des facteurs sociolinguistiques relatifs
à chacune des langues en contact (représentations des groupes sur les langues
en présence, le statut de chaque langue, les pratiques linguistiques, etc.) Le
terme socio-didactique défendu par certains chercheurs comme L. Dabène
vise à montrer l’importance des repères sociolinguistiques dans l’apprentissage
langagier.

Cette recherche est conduite au sein des établissements scolaires relevant de


la direction provinciale d’El Kelaa des Sraghna. Afin de mener à bien notre
recherche, nous nous sommes appuyé sur une technique d’investigation
qualitative fondée sur l’analyse d’enregistrements audio de cours de français
langue étrangère.

I. Les types de l’alternance codique en situation


d’enseignement/apprentissage
Selon l’approche choisie, le phénomène du mélange des codes par un sujet
bilingue peutêtre décrit de manières différentes. Ceci va donner lieu à plusieurs
types d’alternance codique et un appareil conceptuel très riche. Nous
rapportons ci-après quelques typologies proposées dans le contexte
d’enseignement/apprentissage. Celles-ci nous seront très utiles lors de
l’analyse du corpus.
a- La typologie de Danièle Moore

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Danièle Moore attribue à l’alternance codique dans une situation


d’enseignement/apprentissage plusieurs fonctions. Celles-ci peuvent être
dégagées en analysant les séquences de changement de codes à la lumière des
alternances codiques tremplins et alternances codiques relais.
Ø Les alternances tremplins: cette catégorie sert à faciliter l’apprentissage.
Elle est appelée également alternance codique balisée, elles « sont souvent
marquées au niveau du discours par des phénomènes d’hésitation, des pauses, des
commentaires métalinguistiques […] ». (D. Moore, 1996, p115).
Ø Les alternances Relais: qui sont au service de la communication et qui
«se chargent d’un caractère plus fluide, elles paraissent davantage centrées sur la
construction d’un sens […]». ( D. Moore, 1996, p116). Elles fonctionnent
sans pause ni hésitation.
- La typologie de Louise Dabène et Jacqueline Belliez
Ce modèle part de la critique faite au modèle de Shana Poplack qui a
essayé d’analyser le phénomène de l’alternance codique d’un point de vue
linguistique en proposant trois types d’alternances codiques : intra-
phrastique, interphrastique et extra-phrastique. Dabène et Billiez soulignent à
ce propos que : « la distinction intra et inter- phrastique se révèle peu opératoire dès lors
qu’on s’attache à l’analyse de corpus oraux où dominent des configurations discursives » (L.
DABENE ET J. BILLIEZ, 1988, p. 35). Elles se sont alors basées sur les
approches pragmatique et conversationnelle pour proposer un modèle plus
fonctionnel. Par ailleurs, ce n’est plus la phrase qui est choisie comme unité
d’analyse mais l’acte de parole. Ce modèle est présenté sous la forme du
schéma suivant :

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Schéma. Typologie des alternances codiques (Dabène & Billiez, 1988)

b- La typologie de Maria Causa


La multiplicité des types d’alternance codique relève essentiellement
de la nature de la situation de communication. Ainsi, dans le domaine
pédagogique et en analysant le discours des enseignants d’une langue
étrangère, M. Causa fait ressortir sept types d’alternance codique qu’elle a
ensuite groupés en quatre catégories :
• La mise en correspondance bilingue
Cette stratégie implique une tentative par l’enseignant de mettre en relation
ou en opposition des éléments de la langue source et de la langue cible. Ce
type est facilement déchiffrable dans le discours des enseignants grâce à des
marqueurs lexicaux comme dans l’exemple que Causa rapporte dans son
ouvrage « en italien nous disons X/ en français vous dites Y » (Maria Causa,
2002, p.212). Le but de son emploi est fortement acquisitionnel ; elle constitue
une sorte de séquence latérale qui interrompt le flot de communication pour
focaliser l’attention sur un élément de la langue.
• Les équivalences métalinguistiques
Cette catégorie se différencie de la première par la substitution des
marqueurs lexicaux par des verbes métalinguistiques tels que vouloir dire,
signifier. Le mot inconnu en langue cible est explicitement défini en langue
source. Ces équivalences se divisent en des équivalences auto-déclenchées et

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des équivalences hétéro-déclenchées. Les premières traduisent le recours


spontané de l’enseignant à l’alternance codique sans que l’apprenant ne soit
impliqué directement ou indirectement dans ce changement de code.
L'équivalence prend ici une valeur préventive et est employée pour faciliter la
compréhension. Tandis que les deuxièmes définissent un recours à la langue
cible provoqué par l’un des interlocuteurs.
• Les activités de reprise
Les activités de reprise en alternance codique comprennent deux
opérations linguistiques : la répétition (ou réitération) qui est la reprise non
modifiée de l'élément précédemment énoncé, et la reformulation qui est la
reprise modifiée dans une langue de ce qui a été formulé dans l'autre. À la
différence des deux premiers types, cette alternance n’est pas annoncée ni par
des marqueurs linguistiques comme c’est le cas pour la correspondance ni par
des verbes métalinguistiques dans le cas des équivalences.
• Le parler bilingue
Ce type se rapproche d’une situation naturelle de communication. Le
changement de code ne marque pas ici un retour sur ce qui a été dit auparavant
et il n’y a pas de rupture de la chaîne discursive, car le parler bilingue suit le
flot de la communication et n’initie pas de séquence latérale. Selon M. Causa
ce sont « les séquences les plus proches d’une conversation naturelle » (Maria Causa,
2002, p.218)
II. L’alternance codique entre rejet et acceptation dans le
domaine de l’enseignement
Comme nous l’avons vu plus haut, la question du rôle et de la place de
la langue maternelle dans la classe de langue étrangère a toujours été sujette à
controverse. D’une part, une conception qui voit dans l’exposition de
l’apprenant aux mêmes conditions d’acquisition d’une langue maternelle un
point déterminant dans la maîtrise d’une langue étrangère. D’autre part, celle
qui prône l’exploitation et l’investissement du « déjà-là » pour construire des
compétences dans la langue étrangère. À ce titre, l’approche communicative
part du principe qu’il n’y a acquisition que si l’apprenant construit son savoir
sur la base d’un pré-requis dans lequel la langue maternelle occupe une place
primordiale. De ce point de vue, il ressort que la présence de la langue
maternelle dans l’enseignement/apprentissage des langues n’est pas un choix,

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mais une obligation voire une réalité à ne pas nier. Cette réalité déclenche des
pratiques linguistiques originales dont l’alternance codique. C’est pourquoi
Louise Dabène a insisté très tôt sur l’étude du fonctionnement de ce
comportement langagier qui commence depuis longtemps à envahir
l’enseignement des langues. «[…] On tend de plus en plus à considérer le parler
bilingue comme unensemble original dont il eut être plus bénéfique d’étudier le fonctionnement
que de repérer les déviances ou les insuffisances par rapport aux normes standards des langues
concernées.» (L. Dabène, 1994, p.87)
Dans cette optique, plusieurs démarches se sont développées pour
mieux intégrer les langues que les élèves ont dans leurs répertoires
linguistiques pour mieux saisir le fonctionnement de la langue à enseigner. Il
s’agit particulièrement de l’éveil aux langues et l’analyse contrastive : la
première démarche vise à faire travailler les apprenants sur plusieurs langues
alors que la deuxième a pour but d’établir des comparaisons rigoureuses entre
la langue cible et la langue source.

III. L’alternance codique dans l’enseignement du FLE


au Maroc
Signalons d’emblée que ce sujet n’a pas fait l’objet de directives claires
et précises. La charte nationale de l’éducation et de la formation précise que «
l’apprentissage de la langue arabe standard peut s’appuyer, si besoin est, sur les langues et
dialectes régionaux .» (COSEF, 1999, levier 9) Cependant aucune référence n’est
faite aux moyens mis en œuvre pour enseigner les langues étrangères.
Ce silence est considéré par les enseignants comme une invitation
implicite à choisir le procédé qui convient le mieux aux particularités de
l’environnement socioculturel des apprenants. De cet état des lieux ressortent
deux positions contradictoires. D’une part, les inspecteurs chargés de
l’encadrement et de l’évaluation des pratiques des professeurs sont, pour la
plupart, du côté de la notion du bain linguistique. Une position qui constitue
une sorte d’héritage en relation avec les méthodes qui ont précédé l’approche
communicative d’autant plus que leur formation continue est presque
inexistante. D’autre part, des enseignants du français qui usent et abusent
même de l’alternance codique du fait de l’absence, comme nous venons de le
souligner, d’un cadre rigoureux régissant cette pratique et en raison d’une

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formation initiale et continue insuffisantes. Frédéric Bourdereau souligne à


ce sujet que :
« Dans le premier degré (le primaire), la polyvalence supposée des maîtres est sans doute
mise à mal par les réalités : la maîtrise intrinsèque de la langue est en effet, selon un constat
partagé par un grand nombre de cadres du système, insuffisante pour pouvoir assurer un
enseignement de qualité.» (BOURDEREAU, 2006, p.30)
Ceci va donner lieu à des pratiques enseignantes hétéroclites basées
essentiellementsur des convictions personnelles et le degré de compétence en
français de chacun. Elles vont de l’absence totale de la langue maternelle dans
une classe de langue étrangère à des situations où elle constitue un outil
incontournable. Elle est même dans certains cas une sorte de raccourci
paresseux dispensant l’enseignant de prévoir d’autres techniques et stratégies.
IV. Méthodologie de recherche
Pour apporter des éléments de réponse à notre problématique de
départ, nous avons fait appel à une technique qualitative qui nous a permis de
collecter le corpus nécessaire à notre recherche. Dans ce sens, nous avons
opté pour l’enregistrement audio. Nous l’avons effectué à la direction
provinciale d’El kelaa des Sraghna. Ce choix est motivé par le fait que c’est le
lieu de notre travail ce qui nous facilitera beaucoup notre tâche.
Sur les 126 établissements scolaires de primaire publics que compte la
direction provinciale d’El Kelaa des Sraghna, nous avons choisi de travailler
sur 20 écoles: six se situent dans des zones urbaines, deux dans des zones
semi-urbaines et douze se trouvent dans des zones rurales. Le nombre des
écoles dans lesquelles nous avons mené notre enquête est choisi en fonction
de l’importance de la présence des établissements scolaires primaires dans
chacune des trois zones.
Quant aux enregistrements audios des leçons, nous nous sommes contenté
d’enregistrer vingt enseignants, dont 12 de sexe féminin. Force est de noter
que nous avons pu couvrir tous les niveaux dans lesquels le français est
enseigné.

V. Analyse des séquences enregistrées


L’analyse qualitative s’est intéressée aux formes et fonctions de

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l’alternance codique chez les enseignants du FLE à l’école primaire. Pour ce


faire, nous avons fait appel à la typologie de Danièle Moore à savoir
l’alternance codique tremplin et l’alternance codique relais parce qu’elle
répond le plus aux exigences de notre recherche. La première correspond aux
changements de codes où le professeur s’appuie sur la langue maternelle pour
transmettre un savoir. Elle est considérée dans ce cas comme une stratégie
d’enseignement. Alors que la deuxième est une stratégie communicative où
l’arabe dialectal sert de relais pour transmettre un message. Le passage à la
langue maternelle signifie ici un glissement du cadre didactique objectif vers
un cadre plus subjectif.
1. Les alternances codiques relais
a- L’alternance codique pour gérer les éléments culturels et
identitaires
ü - La langue source pour rapporter des mots ou expressions
relevant du domaine religieux.
L’alternance codique se fait ici de manière consciente ou inconsciente
selon qu’il s’agit d’une formule de salutation, une invocation à Dieu ou un
simple mot à forte charge religieuse qui est inscrit dans les habitudes
langagières des enseignants au point de devenir un automatisme langagier. A
ce sujet, nous rencontrons souvent des expressions du type assala:mu
‘alaykum (que la paix soit sur vous), ou encore inša allah (si Dieu le souhaite).
La sacralité de ces expressions fait que le professeur intervient parfois pour
désapprouver le comportement d’un de ces élèves lorsqu’il salue en français.
Dans ce sens, nous avons même pu enregistrer un échange où l’enseignant
avance un argument d’autorité religieuse pour corroborer le choix imposé à
son groupe classe: (assala:mu ‘alaykum hya taḥiyatu al islam), qu’on peut
traduire : que la paix soit sur vous est l’expression de salutation pour les
musulmans que tout le monde est censé respecter.
Généralement, les éléments relevant du domaine religieux dans le
discours des enseignants du FLE au primaire donnent lieu à l’apparition d’un
seul mot ou expression en arabe dialectal dans l’échange. Cependant, il arrive
qu’un événement génère toute une séquence latérale en arabe dialectal. C’est
le cas d’un éternuement du professeur qui a provoqué la suspension de la
progression de l’interaction en générant une séquence latérale. Tous les
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interlocuteurs ont basculé vers la langue arabe. Il s’agit pour eux d’un acte de
pratique religieuse. Quand une personne éternue, il lui est recommandé de
louer Dieu en disant« alḥamdu lillah » qu’on peut traduire par louange à Dieu.
Conséquemment, il devient une obligation pour les autres de prier Dieu pour
qu’il soit miséricordieux avec lui : yarḥamuka allah. Et lui-même finit par prier
pour eux : yuhdikum allah wayusliḥ ba:lakum (que Dieu soit miséricordieux
avec vous et vous guide sur le droit chemin)
Cet exemple d’alternance codique est souvent rencontré chez les
enseignants du français. Il s’agit pour eux d’une éducation sur les principes de
l’Islam. Et il n’est pas permis de laisser passer ces occasions sans rappeler aux
apprenants la formule canonique correspondante. Seulement, il faut souligner
aussi que l’importance de ces pratiques diffère selon les convictions des
enseignants et leur rapport avec la religion; il arrive qu’un professeur ne prête
pas une grande attention à son éternuement ou à celui de l’autre alors qu’un
autre arrête toute action pour reprocher à l’un de ses élèves le fait qu’il n’a pas
loué Dieu.
Dans tous les exemples cités plus haut, le passage du français à l’arabe
dialectal est motivé par l’apparition de mots ou expressions relevant du
domaine religieux et fortement ancrés dans la culture marocaine. Véronique
Castellotti appelle ce genre de changement de répertoire linguistique
l’alternance de distribution complémentaire. Celle-ci «renvoie plus à un schéma du
type : il y a des choses qu’on fait dans une langue, il y en a d’autres qu’on fait dans l’autre
et il n’y a pas nécessairement reprise dans l’autre de ce qui a été fait dans l’une» V.
Castellotti, 2001, p.51)
ü «yallah», un mot polysémique omniprésent dans le discours
des enseignants du français
Toujours en relation avec ces éléments culturels qui poussent les
professeurs du français à basculer à la langue arabe, nous avons remarqué tout
au long de notre corpus que le mot «yallah» revient à plusieurs reprises dans
le discours de tous les enseignants. Il est une routine même chez ceux qui
défendent l’idée qu’il faut activer uniquement la langue cible pendant
l’enseignement du français langue étrangère. Ce vocable, appartenant au
lexique religieux, est fortement ancré dans le discours des professeurs et
remplit plusieurs fonctions à visée communicative. Nous présentons à présent

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quelques extraits pour mieux expliciter certaines de ses fonctions.


L’expression «yallah» apparaît dans la plupart des cas comme un insert.
C’est une unité sans aucune fonction syntaxique. Elle peut être dans certains
cas un régulateur phatique qui régule la conversation et maintient
l’attention. Il est à noter également qu’elle occupe à chaque fois le début du
segment énoncé soit en arabe soit en français, mais dans un but qui diffère
d’une situation à l’autre. Ainsi, dans les différents énoncés enregistrés où
apparaît ce mot, son insertion remplit plusieurs fonctions comme donner la
permission, motiver, inciter les élèves à réfléchir ou encore donner le départ
d’une action : yallah, passe au tableau/yallah, ramassez vos affaires/yallah, faites vite
etc.
Notons également que «yallah» semble être le vocable arabe le plus
présent dans les cours de FLE. Aussi faut-il préciser que sa traduction par le
mot « allez » est très approximative parce que dans ce mot il y a «allah» c'est-
à-dire «Dieu» et donc implicitement son utilisation véhicule un message qui
est l’un des principes de la religion musulmane : tout ne peut s’accomplir que
par la volonté et l’aide de Dieu et donc il faut l’invoquer à chaque fois qu’on
veut entamer une action. Conséquemment, cette charge sémantique le rend
très difficile à traduire.
b- L’alternance codique pour gérer la relation pédagogique avec les
élèves
ü L’alternance codique pour détendre l’atmosphère de la classe
L’atmosphère où se déroulent les apprentissages doit être détendue. Les
élèves doivent se sentir confiants et rassurés. Ne pas tenir compte de cet
aspect lors de la présentation des cours, c’est ignorer la dimension affective
de la personnalité des élèves. Ainsi, une grande partie de la réussite de
l’enseignant dans sa tâche réside dans le fait de gagner la confiance de ses
apprenants et de créer une relation de proximité avec eux. Le choix de la
langue source ici rentre dans ce cadre.
Lorsque les apprenants sont déconcentrés par l’arrivée d’un tiers en classe
et qu’ils sont plus réticents à prendre la parole, le professeur intervient pour
détendre l’atmosphère. L’échange effectué en arabe dialectal permet aux
apprenants de se sentir libérés des obligations du cadre formel de la classe. Il
constitue aussi une permission pour commettre des erreurs et une garantie
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de la part du professeur qu’ils ne vont pas être punis plus tard: (yallah
malkum ẖayfin?) traduit comme : pourquoi vous avez peur ? (matẖafūš asayid
almufatiš ǧa ġir baš iglas m‘ana šwiya): M. l’inspecteur n’est là que pour
assister quelque temps.
ü L’alternance codique pour sanctionner
Plutôt que de transmettre un contenu, l’arabe dialectal sert surtout aux
enseignants à sanctionner ou faire part de leur énervement devant une panne
collective, une erreur récurrente ou un comportement jugé comme déplacé.
Dans ces moments de mécontentement, plutôt que d’avoir comme souci la
compréhension du message par son interlocuteur, le locuteur cherche à
extérioriser des sentiments forts. De ce fait, il se crée une distance
psychologique par rapport à la langue étrangère et le sujet se sent plus à l’aise
dans sa langue maternelle.
Les séances enregistrées nous ont permis de remarquer que le glissement
vers la langue source est motivé par une situation qui a suscité la colère du
maître. Une humeur qui le pousse à faire appel «au mot le plus accessible» (M.
Causa, 2002, p.35). Par exemple, dans un moment d’énervement, les
professeurs recourent au mot « ḥmar » qui veut dire littéralement âne.
L’enseignant fait appel ici à l’imaginaire collectif des marocains par l’utilisation
d’un terme fortement connoté. En effet, il le traite d’âne, mais c’est l’idiotie et
l’obstination afférentes à cet animal qui sont visées.
L’introduction d’un mot ou d’une expression en dialecte marocain
dans un discours monologué où la langue matrice est majoritairement le
français dépasse la signification propre de ce mot ou de cette expression. Elle
introduit à cet endroit précis du discours tout le complexe de sentiments et
d’émotions qui y sont associés. Les actes de mise en garde, voire même de
menace, de reproche et aussi d’insulte que l’enseignant peut exprimer
traduisent un changement d’humeur dont la force ne peut être traduite que
par le recours à la langue maternelle. A ce titre, Nedjma Cherrad rappelle que
« la langue étrangère objet d’enseignement/apprentissage est perçue comme neutre, alors que
la langue maternelle permet l’expression des sentiments » (N. Cherrad, 2011, P. 375).

ü L’alternance codique pour établir l’ordre dans la classe


L’acte d’enseigner repose, entre autres, sur la capacité de l’enseignant de
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maîtriser son groupe classe. La liberté et l’autonomie des élèves prônées par
les pédagogies actives s’opposent diamétralement à l’anarchie. Il s’agit de
principes qui garantissent à tous les apprenants d’exprimer leurs points de vue
et de participer activement à la construction de leurs apprentissages sans
aucune crainte. Par ailleurs, le respect de l’autre est obligatoire. Il arrive tout
de même que le professeur perde le contrôle de sa classe, ce qui nuit
au processus de l’enseignement/apprentissage. Ces moments surviennent
souvent quand il est question pour les apprenants de réaliser une tâche et
surtout quand il s’agit d’un travail de groupe. À ce moment, l’enseignant est
appelé à rétablir l’ordre. Les stratégies mises en place diffèrent d’un maître
à l’autre. Elles vont d’un simple rappel à l’ordre verbalement au changement
total de la méthode adoptée. Les énoncés s’inscrivant dans cette fonction sont
omniprésents dans notre corpus.
Après avoir lu et expliqué la tâche à réaliser en français, les enseignants
enquêtés n’hésitent pas à faire appel à l’arabe dialectal pour demander aux
apprenants de travailler en silence ou de se conformer au règlement intérieur
de la classe. Les alternances codiques à ces moments sont le plus souvent
intra-intervention segmentale ou unitaire. Il s’agit leplus souvent de mots ou
d’expressions de type «skat» (silence), «ẖdam o skut» (travaille en silence),
«malna ‘la had ḍṣara» (pourquoi ces bêtises), «bla bsala» (sans faire de bêtises),
«lbsala la» (pas de bêtises), «bla sḍa‘» ( sans bruit), «šwiya dlma‘qul», etc.
Ce recours à la langue source dans ce type de situations peut émaner de
la conviction des enseignants que le fait de transmettre des valeurs aux
apprenants diffère catégoriquement de leur instruction. Dans ce sens, il faut
préciser que certaines des expressions citées supra, comme exemple de
changement de code pour rétablir l’ordreet donc pour transmettre certaines
valeurs, sont profondément ancrées dans la culture marocaine et sont de ce
fait presque intraduisibles. Ainsi, l’expression šwiya dlma‘qul ne peut en aucun
cas être traduite en français par «un peu de sérieux» car le terme
«dlma‘qul» porte en lui toutes les valeurs que la culture marocaine prône. Il est
à la fois l’honnêteté, l’intégrité, la responsabilité, le sérieux, etc. Et de ce fait,
ce vocable est très fréquent dans nos discours moralisateurs.
2- Les alternances codiques tremplins

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L’alternance codique ici est en relation avec l’apprentissage de la langue


et relève de ce que les didacticiens appellent le discours constitutif. Ce dernier
est défini par Laurent Cajo et Cécilia Serra comme étant un « discours propre à
une discipline donnée. Celui qui articule les contenus de la discipline dans une activité
didactique particulière. » (L. Cajo et C. Serra, 2000, p. 175). De ce fait, l’alternance
codique se rapporte au champ didactique et « faciliterait alors la prise et
éventuellement la saisie des nouvelles données en langue cible. » (M. Causa, 2003, p. 67).
Il s’agit de « la résolution des problèmes linguistiques qui surviennent dans la transmission
/ réception des contenus disciplinaires en L2. » (L. Cajo et C. Serra, 2000, p. 176).
Nous expliciterons cette fonction à travers deux exemples : le premier pour
expliquer une règle grammaticale et le deuxième quant il s’agit de donner des
consignes.

a- L’alternance codique pour expliquer une règle grammaticale.


Nous avons remarqué dans notre travail que les enseignants de l’école
primaire accordent une grande importance aux systèmes grammaticaux des
langues enseignées. Ils considèrent leurs maîtrises comme la clé de voûte pour
une bonne communication. De ce fait, les séances portant sur les activités
réflexives sur la langue bénéficient d’une attention particulière. Les
professeurs multiplient les stratégies et diversifient les exercices
d’entraînement et d’évaluation pour s’assurer de la bonne installation de la
notion enseignée. Toutes les techniques sont bonnes, pourvu qu’elles
permettent d’atteindre l’objectif escompté. Dans cette optique, les professeurs
recourent à une stratégie contrastivequi permet une mise en relation explicite
de deux systèmes linguistiques pour pouvoir partir des compétences
développées dans une langue en vue de favoriser l’assimilation de l’autre. Si ce
type d’alternance codique fonctionne de manière plus importante quand il est
question de langues proches où « le locuteur étranger remarque vite qu’il y a
intercompréhension entre langue cible et langue source » (J. M. Robert, 2004, p. 506). Il
n’en demeure pas moins que les enseignants du français à l’école primaire au
Maroc y recourent pour permettre aux apprenants de s’appuyer sur les
compétences déjà acquises en arabe standard pour les exploiter en français.
Nous nous limiterons ici à deux exemples qui explicitent cette fonction, mais
de deux manières différentes.
Extrait de conversation.

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P : l’actrice chante sur scène.


-où est le verbe dans cette phrase? E1 : l’actrice.
P : est-ce que c’est juste? Quand on dit actrice, est-ce que cela veut dire qu’on fait une
action ? (…) une actrice c'est-à-dire une chanteuse, une femme qui chante. Alors, est- ce que
le mot actrice est un verbe?
EEE : non.
P : Très bien. Quelle est la nature du mot actrice?E2 : un nom.
P : Bien. Maintenant, donnez-moi le verbe de cette phrase.
E 3 : chante.
P : Très bien. Verbe ya‘ni alfi‘l, ya‘ni ana tandiru ši haja. šaftu fl‘arabia anahu qa:bil lisarf
maši bḥal alism walḥarf. Tangulu je chante, tu chantes, il chante, nous chantons, vous chantez,
ils chantent. Ana uġanni anta tuġanni ila aẖirih.

Nous sommes dans une classe de 4ème année de l’enseignement


primaire. Cet extrait est la transcription d’une séquence d’un cours de
conjugaison portant sur les verbes du premier groupe au présent de l’indicatif.
Le professeur part d’un corpus transcrit sur le tableau noir pour permettre aux
élèves de porter une réflexion sur la notion du jour. Le travail commence par
préciser les verbes figurant dans l’exemple proposé. Après l’erreur commise
par le premier intervenant qui apparemment confond le nom et le verbe, le
professeur intervient pour faciliter la tâche au groupe/classe en leur faisant un
rappel. D’abord, il évoque le fait que le verbe traduit une action que le sujet
accomplit. Puis, il donne un deuxième exemple en remplaçant le mot actrice
par femme tout en gardant le même verbe (une femme qui chante). Après, il
pousse ses élèves à reconnaître le mot actrice comme étant un nom. Cette
technique a permis à l’un des élèves de donner la réponse juste. Mais sachant
pertinemment que la méthode utilisée qui repose sur l’éviction du mot parasite
(actrice) et la contextualisation du mot recherché dans un autre exemple
constitue seulement une échappatoire au blocage engendré par la question et
ne permet pas d’avoir une idée juste sur le degré d’assimilation de la notion, il
décide d’apporter davantage d’éclaircissements sur cette dernière. Il établit
donc un parallélisme entre la morphologie des mots en français et celle des
mots en arabe standard censé être maîtrisé par les élèves dece niveau. Il s’agit
d’une alternance qui permet une approche contrastive des langues pour faire

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émerger les différences et les ressemblances entre elles. La complexité de cette


stratégie a donné lieu à l’activation de trois codes dans le même tour de parole
: le français, l’arabe standard et l’arabe dialectal. Sur les cinq énoncés qui
constituent l’intégralité du dernier tour de parole, seul le premier énoncé est
émis uniquement en français. Il s’agit de l’appréciation « très bien » qui a pour
but d’encourager les élèves. Pour les quatre énoncés qui suivent, l’alternance
codique figure dans chacun d’entre eux mais avec des combinaisons de codes
différentes. Le deuxième énoncé (Verbe ya‘ni alfi‘l) commence par le français
pour présenter la notion étudiée. Il s’ensuit une traduction du mot en arabe
standard pour permettre aux élèves d’établir une corrélation entre les deux
systèmes grammaticaux. Enfin, le professeur recourt au dialecte pour
expliquer et préciser la définition du verbe à savoir qu’il permet
l’accomplissement d’une action (ya‘ni ana tandiru ši haja). Le troisième
énoncé obéit au schéma suivant : arabe dialectal + arabe standard + arabe
dialectal. L’arabe standard est employé exclusivement pour émettre la règle
(anahu qa:bil lisarf)(le verbe se conjugue). Le quatrième énoncé se caractérise
par le retour du français pour l’application de la règle déjà émise. L’enseignant
procède donc à la conjugaison du verbe chanter au présent de l’indicatif et à
toutes les personnes. Cependant, il faut noter que l’arabe dialectal a permis le
passage de la règle vers son application par l’expression (Tangulu) (on dit).
Pour plus de clarification, le dernier énoncé est une traduction d’une partie de
la conjugaison du verbe chanter en arabe standard.
D’un point de vue quantitatif, le français présente le code le plus
important dans cet énoncé avec 15 mots suivi de l’arabe standard avec 13
mots. Enfin arrive l’arabe dialectal avec 10 mots. Mais d’un point de vue
discursif, l’arabe dialectal est le code qui tient le rôle le plus décisif et sur lequel
le professeur se base pour expliquer et pour assurer la cohérencede l’énoncé
alors que le français et l’arabe standard sont activés uniquement pour préciser
la règle et conjuguer en guise d’exemple le verbe chanter dans toutes les
personnes.
Précisons également que l’alternance codique apparaît uniquement dans
le dernier tour de parole du professeur ce qui fait d’elle une alternance intra-
intervention. Selon la classification établie par Causa, chaque énoncé dans
cette intervention représente une typologie différente. Ainsi, pour l’énoncé
«Verbe ya‘ni alfi‘l» il s’agit d’une alternance d’équivalence métalinguistique. Le

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mot en langue cible qui présente des difficultés est explicitement défini en
langue source mais en l’introduisant avec un verbe métalinguistique «ya‘ni» qui
veut dire signifie. D’un autre côté, la phrase «chaftu fl‘arabia anahu qa:bil lisarf
machi bḥal al ism walḥarf» contient une alternance de type parler bilingue
puisque on est passé d’un code à un autre comme s’il s’agit d’une
communication monolingue. En revanche, le dernier énoncé n’est que la
répétition en arabe standard d’une partie de la conjugaison formulée en
français comme nous l’avons expliqué plus haut, ce qui le fait inscrire dans
l’alternance des activités de reprise. Le recours à l’alternance codique par le
professeur dans cette séquence est motivé par son désir de vouloir partir du «
déjà-là » (Castellotti, 2001, P. 80), c'est-à-dire des compétences acquises dans
une autre langue pour assoir de nouveaux apprentissages dans la langue
étrangère. Le mélange de codes constitue donc une véritable stratégie
d’enseignement.
Sur un autre plan, nous avons remarqué que la langue source des élèves
peut être utilisée uniquement pour expliquer et clarifier le fonctionnement
interne du système grammatical de la langue étrangère. Cette fonction peut
être explicitée à travers la séquence suivante :
Extrait de conversation
P : conjuguez le verbe « se laver » au présent de l’indicatif. E1 : je me lave
P : Très bien. Un autre. E2 : tu te laves.
P : Bien. Un autre. E3 : il se lave.
P : Oui.
E4 : Nous lavons.
P : Est-ce que c’est juste ? Qu’est ce qu’il a oublié ? E5 : se
E4 : Nous se lavons
P : Attention. Le pronom réfléchi « se » maḥsub ‘la alfi‘l ẖaṣna nṣarfu:h m‘a ḍami:r ( le
pronom réfléchi « se » fait partie du verbe, il doit être conjugué avec le pronom personnel).
- Alors qu’est-ce qu’il faut dire?
E4 : nous nous lavons
Il s’agit, dans cet extrait, d’un cours de conjugaison de 5ème année
primaire. La leçon porte sur les verbes pronominaux. La langue cible est
dominante dans l’échange. L’alternance codique apparaît seulement au niveau
du sixième tour de parole de l’enseignant. Il s’agit pour lui d’apporter des
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précisions sur le fonctionnement du pronom réfléchi « se ». L’inexistence de


ce pronom dans le système grammatical de l’arabe et la volonté du professeur
d’établir une comparaison sur le plan morphologique entre deux codes l’ont
poussé à diviser son énoncé en deux temps. D’abord, il précise que le
pronom «se» est une partie intégrante du verbe, le pronom réfléchi «se»
maḥsub ‘la alfi‘l (le pronom réfléchi «se» fait partie du verbe.) Ensuite, il
explique que le verbe se conjugue avec les pronoms personnels comme on
fait avec l’arabe (ẖaṣna nṣarfu:h m‘a ḍami:r) (il doit être conjugué avec le
pronom personnel).
L’alternance codique ici a donné lieu au mélange de trois codes dans la
même intervention. Ainsi, le français est employé pour énoncer la notion objet
des apprentissages (Le pronom réfléchi «se»), l’arabe standard pour émettre
les termes relatifs à la syntaxe de cette langue (alfi‘l, ḍami:r) (le verbe, pronom
personnel), et le dialecte pour assurer la liaison et la cohérence de l’énoncé.
Dans les deux extraits rapportés pour plus haut, l’alternance codique
est de type intra-intervention segmentale auto-déclenchée. Elle est un choix
conscient du professeur motivé par la nature du contenu à transmettre, jugé
très important. Cependant, il faut noter que le changement de code n’a pas la
même valeur didactique dans les deux extraits. Si le recours à l’arabe dialectal
et standard dans le premier extrait relève d’une stratégie de consolidation
puisque le professeur y est recouru après que les élèves aient donné la bonne
réponse, elle est une stratégie de remédiation pour le professeur du second
extrait dans la mesure où l’arabe dialectal a servi à combler une lacune.
b- L’alternance codique pour passer une consigne
Nous entendons par consigne l’énoncé qui indique la tâche à accomplir.
Elle occupe une place importante dans l’opération
enseignement/apprentissage car la qualité du travail effectué dépend en
grande partie de sa compréhension. Une même consigne peut être interprétée
différemment par plusieurs apprenants et pour éviter cela elle doit être la plus
claire possible. Toutefois, nous avons remarqué que les enseignants du
français langue étrangère ne disposent pas de beaucoup de solutions quand ils
constatent un blocage des élèves sur ce niveau. La reformulation de l’énoncé
exigée par les orientations pédagogiques se heurte souvent à la carence
linguistique des apprenants et les enseignants préfèrent donc recourir à la

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langue source. Ce raccourci est beaucoup plus important dans les niveaux
inférieurs où les élèves viennent de commencer l’apprentissage du français.
Ainsi, dans la troisième année de l’école primaire, même les numéros de pages
sont donnés en arabe comme le montre l’extrait suivant.
Extrait de conversation
P : vous avez terminé ? EEE : oui monsieur.
P : prenez le livre, page rab‘a usti:n (page soixante-quatre). (Écriture du chiffre sur le
tableau noir).
-Vite, vite, qu’est-ce que vous voyez sur l’image ?

Le mélange de code dans cet exemple est constaté seulement au niveau


du deuxième tour de parole du professeur. L’énoncé est accompagné de
l’écriture du nombre 64 sur le tableau noir ce qui semble rendre le recours à
la langue source moins important. Néanmoins, cette stratégie permet à tous
les élèves du groupe classe d’entendre et de comprendre la consigne, car ils
n’ont pas tous les yeux rivés sur le tableau noir et sont occupés à sortir de leurs
cartables les manuels de français.
Outre la pauvreté du répertoire linguistique des élèves qui pousse
le maître à fournir le mot clé en arabe, il arrive que la consigne soit réitérée en
L1 car elle est déterminante dans la réussite de la tâche et partant dans la
planification de la suite des cours. Ainsi, les résultats obtenus dans une activité
d’évaluation formative à perspective didactique par exemple déterminent les
contenus et les stratégies à adopter pendant les séances de soutien. À ce titre,
les consignes bénéficient d’une attention particulière. Elles sont lues, répétées,
reformulées, expliquées et parfois traduites par l’enseignant.
Conclusion
À travers cette recherche, nous avons tenté d’apporter des éléments de
réponse à la problématique de notre travail en examinant si le passage de la
langue cible à la langue source était sollicité pour des raisons pédagogique ou
didactique à l’école primaire marocaine. À ce titre, nous avons noté que
l’alternance codique s’avère une stratégie communicationnelle qui permet de
gérer la relation pédagogique au sein de la classe. D’une part, le professeur
choisit de recourir à la langue source pour être sûr qu’il soit compris. Dans ce
cas, l’alternance codique est consciente et entièrement assumée. D’autre part,

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elle est générée par l’apparition d’éléments culturels intraduisibles dans la


langue source. Ce type d’alternance est quelques fois inconscient surtout
lorsqu’il s’agit d’expressions ou mots ancrés dans nos habitudes langagières
comme le cas de « yallah ». D’autres fois, il est conscient et répond au désir de
vouloir éduquer les enfants à certains principes relatifs à notre culture.
Sur un autre point, les résultats obtenus montrent que l’alternance
codique constitue une stratégie didactique incontournable chez les
professeurs. Elle fait partie des pratiques qui leur permettent de transmettre
un savoir. Ainsi, nous avons remarqué que le recours à une deuxième langue
s’avère un véritable tremplin d’apprentissage. Les enseignants se basent sur les
compétences acquises par les élèves dans les deux variétés de l’arabe pour leur
permettre l’accès au sens et une meilleure compréhension des phénomènes
grammaticaux. À ce titre, nous avons constaté qu’ils font appel à une stratégie
contrastive et une stratégie d’appui. La première leur permet de procéder à
une comparaison entre le système grammatical du français et celui de l’arabe
standard. La présence de cette stratégie est très limitée dans notre corpus et
touche des aspects superficiels de la langue. En revanche, la stratégie d’appui
y est largement présente. Elle permet de s’appuyer sur une langue pour
permettre aux apprenants de comprendre le message véhiculé dans l’autre.
Références
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Renouveau, 2000.
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2000.
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français, Paris, L’Harmattan, 2008.

ü Les articles :

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répertoires linguistiques et des fonctions dévolues aux langues, mobilité
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didactiser l’alternance?. Étude de linguistique appliquée, n°108, 1997, pp.
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transmission de connaissances et interaction, Les Carnets du Cediscor,
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