Quatrième partie : « Vision du monde » et traduction
chapitre XII Les universaux du langage
Les problèmes théoriques de la traduction de George Mounin
Travail réalisé par : cours assuré par :
BENSAID Youssef Pr : OULED ALLA Mohammed DAHHAR Imrane
Année universitaire :2020/2021
Introduction Notre exposé se propose d’aborder les principales hypothèses proposées autour de la notion d’universaux. Georges Mounin, pose la question radicale de savoir si la traduction est possible. Parmi les arguments qui sont favorables, il cite ce qu’il appelle « les universaux du langage » . Mais ce qu’il mentionne en premier lieu ne concerne le langage et les langues que secondairement. Par exemple, il existe, selon Mounin, des universaux écologiques : « le froid et le chaud, la pluie et le vent, la terre et le ciel, le règne animal et le règne végétal, les divisions planétaires du temps, jour et nuit, parties du jour, (…) » …etc. Des universaux Tout en continuant à scruter la diversité des langues aux plans lexical et syntaxique, Mounin montre de plus en plus, au fil des pages, que cette incommensurabilité linguistique ne constitue pourtant pas une entrave à la traduction puisque ces différences ne concernent que certains points ou parties de sous-systèmes des langues. Ainsi, ce qui ne se dit pas en termes syntaxiques dans l’une peut se dire en termes lexicaux ou en périphrases dans l’autre. Et vice versa. De plus des convergences existent, qu’il rappelle en revenant sur la question des universaux linguistiques et qu’il différencie de ceux des nominalistes ou de la grammaire générale. Universaux linguistiques divers, cosmogoniques , biologiques , psychologiques ainsi qu’universaux sémantiques dus aux commensurabilités humaines (physiologiques, pratiques). • En effet, repérer des universaux phonologiques, morphologiques ou syntaxiques – comme l’ont relevé Hjelmslev « universalité d’un certain nombre de procédés élémentaires », Sapir « essentielle universalité du langage », Meillet « le langage recourt chez tous les hommes à un même type de procédés… La surtraduction
La surtraduction : la peur de ne pas traduire assez poussant
à traduire trop. La surtraduction se trouve aujourd’hui, décrite et définie comme une maladie bien connue de la traduction. Là où les petits citadins ne connaissent que les petits oiseaux, les paysans chasseurs différencient et nomment trente passereaux1. Là où le Français moyen ne connaît que la neige, le skieur français distingue et nomme, aussi bien que les Lapons ou les Eskimos les plus polaires, la poudreuse, la folle, la sèche — c’est-à-dire les soufflées — là pailletée, la collante, la neige humide, la cartonnée, la croûte de vent, différente de la plaque à vent (qui n’est pas la planche de neige), la tôle d’hiver, la mouillée, la croûte de soleil, la croûte de printemps, la neige de printemps, la tôle de printemps, la croûte lisse, la croûle à pellicule, la croûte perforée, la neige pourrie… la discussion la plus pénétrante des « visions du monde » et des « civilisations » différentes prend appui sur une notion relativement nouvelle en linguistique générale, celle des universaux de langage ;et (chose entièrement distincte) celle des universaux anthropologiques et culturels qui sous-tendent les significations dans les langues. Les universaux du langage selon J.Watmough
Joshua Watmough mentionne universals à son
Index (en 1956), et dit, comme une chose normale aujourd’hui pour la linguistique américaine : « Aussi différents que soient les aspects du langage [...], il y a cependant des universaux fondamentaux, intrinsèques au langage, qui réapparaissent dans toutes les langues particulières examinées jusqu’ici1 2345 ». les universaux sont donc les traits qui se retrouvent dans toutes les langues — ou dans toutes les cultures exprimées par ces langues. il est normal que ces constatations, marginales pour la linguistique descriptive, deviennent centrales pour une théorie de la traduction, laquelle cherche à comprendre pourquoi et comment, en dépit de tout ce qui a été dit sur l’hétérogénéité radicale des divers systèmes linguistiques, les hommes communiquent de langue à langue. Une première espèce de ces universaux peut être nommée cosmogonique : parce que « tous les hommes habitent la même planète », selon l’observation de Martinet, nous devons nous « attendre à découvrir un certain parallélisme » dans les idiomes. le maya ne peut plus traduire notre notion de saison, de désert, de montagne, de rivière, de lac, etc. Alors, il devient nécessaire, afin de déterminer les limites dans lesquelles est vraie cette opposition, de compter les notions d’écologie communes à deux langues aussi éloignées que le grec de la Bible et le maya, pour les comparer statistiquement aux notions non-communes. Alors, en face de quelques notions exceptionnelles, on découvre toute la zone des universaux écologiques : le froid et le chaud, la pluie et le vent, la terre et le ciel, le règne animal et le règne végétal, les divisions planétaires du temps, jour et nuit, parties du jour, mois d’origine lunaire, année Iuni-solaire, cycles de la végétation… II y a aussi des universaux biologiques, et les linguistes qui l’ont dit sont déjà plus nombreux. L’observation de Martinet déjà citée, disait en les englobant : « Comme tous les hommes habitent la même planète et ont en commun d'être hommes avec ce que cela comporte d'analogies physiologiques et psychologiques, on peut s’attendre à découvrir un certain parallélisme dans l’évolution de tous les idiomes ». Ethel et BurtAginsky disaient aussi que « l’unicité fondamentale de l’espèce [humaine] et les conditions de vie sur notre planète » expliquaient la présence de ces universaux — parmi lesquels, au niveau biologique, ils dégageaient six (ou plutôt sept) champs linguistiques essentiels : nourriture, boisson, respiration, sommeil, excrétions, température et sexe, auxquels ils adjoignaient les universaux anatomiques la thèse des « visions du monde » différentes, bien que solidement installée, n’est pas, non plus, à l’abri de toute discussion. La thèse de Whorf à cet égard est connue : « L’espace, la matière et le temps newtoniens ne sont pas des intuitions. Ce sont des produits de la culture et du langage. C’est de là que Newton les a tirés ». Sur ce point, Suzanne Ohman a produit une objection qui mérite réflexion : c’est celle qui découle des phénomènes observables concernant l’emploi d’unités de mesure de toutes sortes, quand le même locuteur passe d’une langue à l’autre. Hjelmslev avait proposé de distinguer les faits généraux des faits universels en linguistique, et d’écarter de la discussion ce qu’il appelait les faits universels, ceux qui sont constitutifs de la définition du langage en général (et sont inclus, par conséquent, dans toutes les langues, quelles qu’en soient les différenciations ultérieures). Il s’agissait, selon lui, des faits suivants : le fait que le langage véhicule une substance au moyen d’une forme ; l’opposition et l’interdépendance entre signifiant et signifié, entre expression et contenu, entre système et texte, entre paradigmatique et syntagmatique ; les trois grandes fonctions syntaxiques (parataxis, hypotaxis et catataxis) Benveniste fournit aussi sur ce thème un autre exemple précieux, celui des pronoms. « Toutes les langues possèdent des pronoms… » Nida, dont l’expérience comme traducteur de la Bible, et surtout comme professeur de traduction de la Bible, est une des plus vastes qui soient, décrit parfaitement leur existence, bien qu’il n’emploie pas le terme universaux. « Derrière cet immense désaccord apparent des parties du discours selon les langues, écrit-il, il y a des similitudes étonnantes. En premier lieu, la plupart des langues décrites jusqu’ici1 se sont trouvées avoir des nominations d’objets [objeci-words] (habituellement considérées comme des espèces de noms) et des nominations d’événements [evenl words] (généralement désignés comme des sortes de verbes), et au moins quelques autres classes de mots, souvent des pronoms, des adjectifs, et (ou bien) des particules relationnelles. Ce qui, par conséquent, est plus significatif que les différences apparentes entre le grec et les autres langues [...] c’est l’accord fondamental des langues quant aux classes communément appelées noms et verbes* ». Il y a donc d’énormes quantités d’universaux sémantiques, et Bloomfield l’admet expressément : ■ La question pratique de savoir quelles choses peuvent être dites dans des langues différentes est souvent confondue avec celle des significations des mots et des catégories. Une langue emploiera une phrase là où une autre usera d’un seul mot, et là où une troisième se servira d’une forme composée. Une signification qui dispose d’une catégorie linguistique pour s’exprimer dans une langue (par exemple, la pluralité des objets en anglais) peut n’apparaitre que sous l’action de stimuli pratiques limités dans une autre langue. Mais pour ce qui est de la dénotation, quoi que ce soit qui peut être dit dans une langue donnée peut sans aucun doute être dit dans une autre . » A côté des universaux linguistiques proprement dits, le langage véhicule aussi d’autres universaux, liés eux aussi à la vie de l’homme en société : ce sont ceux que l’anthropologie américaine appelle les universaux de culture (dont les universaux linguistiques ne sont qu’un élément). « On a montré, disent les Aginsky, que certains aspects des cultures, incluant le langage, la technologie, la religion, l’éducation, le pouvoir, se rencontrent dans toutes les cultures. • « De plus, ajoutent-ils, beaucoup de détails spécifiques de culture sont eux aussi universels : ces détails comprennent le feu, le levier, la lance, la numération, l’inceste, les tabous, etc... » L’existence de ces universaux de culture, dont l’origine est un problème anthropologique difficile, mène à mettre en lumière un autre phénomène connexe, et d’une importance immédiatement visible pour une théorie de la traduction : le phénomène de la convergence des cultures, impliquant la communauté de référence à une réalité culturelle, et, par conséquent, l’équivalence dénotative (une fois de plus) des dénominations, dans de cultures différentes. Martinet montre bien que la convergence linguistique est liée, comme la divergence, à une donnée fondamentale de l’acte de communication : la nécessité d’intercompréhension. Tel est le vaste ensemble de raisons pour lesquelles on peut parler d’universaux de langage : cosmologie, biologie, physiologie, psychologie, sociologie, anthropologie culturelle et linguistique elle-même contribuent à dresser ce vaste inventaire de traits communs, grâce auxquels le nombre des références et des dénotations communes permet le passage de toute langue en toute langue, pour de très vastes secteurs de l’expérience humaine. Conclusion En guise de conclusion, la traduction de toute langue en toute langue est au moins possible dans le domaine des universaux : première brèche dans un solipsisme linguistique. Référence bibliographique • George Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, Editions Gallimard, 1963, 294p Anne-Marie Houdebine-Gravaud, « Relire Georges Mounin aujourd’hui » Linguistique 2004/1 (Vol.40), Pages 143 A 156, cair.info