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Documentation et recherche en

linguistique allemande
contemporain - Vincennes

Après Saussure
Françoise Gadet

Résumé
Cet article cherche à évaluer la postérité structuraliste de Saussure, à travers trois optiques :1 ) les écoles linguistiques ; 2) le
devenir des concepts saussuriens ; 3) les emprunts de termes ou de problématiques par les sciences humaines.
On montre ainsi que la filiation entre Saussure et le structuralisme large est en partie fantasmatique.

Abstract
This paper deals with an evaluation of de Saussure's heritage, in three directions : 1) linguistic schools ; 2) what saussurean
concepts became ; 3) the borrowings of terms and problematics by human sciences.
We try to show that pretending structuralism to be de Saussure's heritage is partly a fantasm.

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Gadet Françoise. Après Saussure. In: Documentation et recherche en linguistique allemande contemporain - Vincennes, n°40,
1989. Signes et sens. pp. 1-40;

doi : https://doi.org/10.3406/drlav.1989.1075

https://www.persee.fr/doc/drlav_0754-9296_1989_num_40_1_1075

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Françoise CADET

APRES SAUSSURE

Le linguiste suisse Ferdinand de Saussure meurt en 1913, laissant une


oeuvre publiée relativement modeste au regard de plus de trente années
d'une carrière universitaire active ; de plus, cette oeuvre avare reste, par
son caractère aride et spécialisé, difficilement accessible au grand public.
Quelques décades plus tard, le nom de Saussure sera parmi les plus
souvent cités, bien sûr dans la linguistique, mais aussi en sciences
humaines et en philosophie*. Ceci parce qu'on le donne communément, à
travers le retentissement du Cours de linguistique générale édité
posthumément sous son nom (1916), comme la référence fondatrice du
courant appelé "structuralisme".

très nombreuses
Le Cours (désormais
rééditions,CLG)
puis aétablissement
certes connud'une
un beau
édition
destin
critique
éditorial
2 . Il a:

également connu de nombreuses traductions, en japonais (1928), allemand


(1931), russe (1933), espagnol (1945), anglais (1959), polonais (1961),
italien (1967), hongrois (1967), serbo-croate (1969), suédois (1970),

portugaisgrec
(1977), (1971),
(1979)vietnamien
et chinois(1973),
(1980)coréen
3 . Mais (1975),
ce qui turc
nous (1976),
semble albanais
surtout

intéressant à souligner, c'est la différence, selon les époques, du rythme


des rééditions et des traductions : le texte original a ainsi connu cinq
éditions entre 1916 et 1955, cinq entre 1955 et 1963, puis vingt-trois entre
1964 et 1985 ; entre 1916 et 1960 ne sont parues que cinq traductions,
alors que douze verront le jour entre 1960 et 1980. Cette accélération à
partir des années soixante ne s'explique pas par la situation en
linguistique, mais par le développement en sciences humaines d'un
"structuralisme généralisé", qui donne Saussure comme référence
fondatrice. La fréquence de la référence au CLG rend moins surprenant

DRLA V 40 (1989) 1-40


2

l'intérêt pour un texte difficile, rendu peut-être plus difficile encore par
ce que l'on sait, à partir de 1957, grâce à l'ouvrage de Godel, sur le
rapport qu'il entretient avec les sources dont il est constitué.
Notre intention est ici de nous interroger sur le trajet du CLG à la
linguistique structurale : il s'ouvre en 1916 par la publication d'un ouvrage
dont les seules visées (proclamées par Saussure dans son enseignement, et
assumées par les éditeurs) sont de mise au point dans une discipline
universitaire, et aboutit cinquante ans plus tard à la paternité attribuée
d'un important courant scientifique et philosophique.
Le CLG a en effet connu, des années vingt aux années soixante, le
lent cheminement d'un ouvrage inspirateur du courant linguistique qui va
devenir la "linguistique structurale", avec les reformulations, discussions,
incompréhensions... que suppose l'émergence d'une nouvelle théorie dans
un champ de savoir. Nous commencerons donc par étudier la relation entre
le CLG et la linguistique structurale, en nous demandant ce qui est
maintenu ou modifié, et pourquoi.
La deuxième partie de cette période voit l'émergence de ce que l'on a
appelé le "structuralisme généralisé", que l'on peut symboliser par les
noms de Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes, Jacques Lacan, Michel
Foucault et quelques autres. Ce "structuralisme en sciences humaines"
émerge au fréquent étonnement des linguistes structuralistes, car il
apparaît au moment où s'ouvre une crise pour la linguistique structurale ;
comme l'écrira Benveniste : "Pour un linguiste qui est habitué à pratiquer
le travail linguistique et qui a eu de bonne heure, c'est mon cas, des
préoccupations structuralistes, c'est un spectacle surprenant que la vogue
de cette doctrine, mal comprise, découverte tardivement et à un moment où
le structuralisme en linguistique est déjà pour certains quelque chose de
dépassé" (1968, in 1974, p. 16).
Car les années soixante ont vu se constituer deux brèches dans
l'édifice de la linguistique structurale : l'une provenant des remises en
cause effectuées par une linguistique qui partage un certain nombre de ses
postulats (la grammaire générative), l'autre provoquée par les
problématiques de l'énonciation, du discours et du sujet parlant. Si la
linguistique saussurienne peut encore constituer un modèle, ce n'est donc
pas à travers l'application stricte d'une méthode, mais en un sens plus
large.
Notre étude nous conduira alors à nous demander sous quels aspects,
par quelles reprises en compte et à travers quelles reformulations, le
structuralisme a pu s'étendre de la linguistique aux sciences humaines.
3

1. D'UN CERCLE ETROIT A LA CREATION DES CERCLES

Le futur best-seller qu'est le CLG connait dans les années vingt un


démarrage assez modeste : il fait l'objet d'un nombre limité de
comptes-rendus, qui, dans l'ensemble, sont plutôt critiques. Les premières
réelles prises en compte dans des travaux théoriques effectués par
d'autres que les éditeurs n'auront lieu qu'une vingtaine d'années après la
parution, et il faut attendre les années trente pour sortir d'une diffusion
limitée à un cercle de connaisseurs.

7. 7. LES PREMIERS TEMPS DE LA RECEPTION

Les comptes-rendus immédiats sont assez peu nombreux, ce que l'on


peut en partie expliquer par la date de parution, en pleine guerre
mondiale.
de la linguistique
Plusieurs
de d'entre
l'époqueeux
4. sont néanmoins signés par de grands noms

A les relire aujourd'hui, on est frappé de voir qu'ils n'annoncent


nullement le consensus (au moins apparent) dont le CLG jouira dans les
années cinquante ; on voit aussi que les concepts donnant lieu à
commentaire ne sont pas toujours ceux que, de nos jours, on tend à
considérer comme les plus novateurs.
Nous nous arrêterons à deux exemples extrêmes : l'un des
comptes-rendus de Meillet, exemple d'une incompréhension profonde
quoique pleine de sympathie, et le compte-rendu de Séchehaye, défenseur
enthousiaste, l'un des rares probablement à saisir dès sa parution la
portée de l'ouvrage.
Antoine Meillet s'est lié avec Saussure à Paris dans les années
1880-1890, et il a été le confident épistolaire de son désarroi linguistique.
En 1916, rédacteur presque unique des comptes-rendus du Bulletin de la
Société de Linguistique, il fait figure de maître de la linguistique
française. Aussi chercherons-nous à saisir quels sont les thèmes qu'il
relève dans les deux comptes-rendus qu'il donne en 1916 ( Bulletin de la
Société de Linguistique ) et en 1917 ( Revue critique de Philologie et
d'Histoire) .
Langue/parole et synchronie /diachronie sont commentées positivement.
Puis viennent les objections, à l'égard de la légèreté dont témoignerait la
place restreinte accordée à la parole, en fait surtout présentée par lui
dans la perspective du changement ; ce qui montre que Meillet n'a accepté
ni la synchronie ni le système. Il proclame : "Si l'on veut décrire une
langue actuellement parlée, on ne peut le faire qu'en tenant compte des
différences qui résultent de la diversité des conditions sociales et de toute
la structure de la société considérée". Ce qui constitue son propre point
4

de vue, le point de vue du comparatiste qu'il ne cessera jamais d'être,


sûrement inconciliable avec celui de Saussure. Le compte-rendu se conclut
sur un hommage à telle "démonstration étymologique élégante et brève" :
pour Meillet, Saussure demeure un grand comparatiste (le Saussure du
Mémoire ) , et le CLG ne saurait le consoler de l'inachèvement de l'oeuvre
du comparatiste.
L'extrême opposé est constitué par Séchehaye (il est vrai l'un des
éditeurs du CLG, donc à ce titre l'un des rares à l'époque à avoir eu
accès aux sources) ; son compte-rendu est en fait un article de trente
pages, paru dans la Revue Philosophique (1917).
En soulignant le fait que Saussure est en rupture par rapport aux
comparatistes et aux Néo-grammairiens, Séchehaye insiste sur ses visées
philosophiques : son but est de "saisir l'objet même de la linguistique dans
sa nature spécifique parmi tous les objets de science". Mais Séchehaye ne
se contente pas de présenter les dichotomies, il suggère un dispositif pour
leur organisation, selon sept thèses : 1) langue/parole ; 2) la langue
comme système sémiologique ; 3) une sémiologie particulière fondée sur des
valeurs ; 4) les valeurs sont relatives et différentielles ; 5) le changement
échappe à l'action des locuteurs ; 6) synchronie /diachronie ; 7) la
synchronie comme état fortuit. Il insiste longuement sur un ensemble
fréquemment ignoré des comptes-rendus : valeur - différence - opposition
- arbitraire relatif, et sa conclusion sera : "la science de la langue est une
science des valeurs".
L'étude des comptes-rendus offre une première image de la réception
de la théorie saussurienne tout-à-fait congruente avec ce que l'on observe
tout de suite après : une diffusion restreinte, lente, fragmentaire. A
quelques exceptions près, seules quelques dichotomies sont adoptées, sans
prise en compte globale ; parallèlement, est occulté tout ce qui ne s'inscrit
pas dans un cadre déjà admis. Cet émiettement réalise une figure que nous
retrouverons souvent.

Sans chercher à faire ici un exposé d'histoire de la linguistique, il


nous faut indiquer quelques éléments de la situation indispensables pour
comprendre le processus qui va aboutir au triomphe de la linguistique
structurale.
Avant la guerre de 14, la linguistique est surtout une discipline
allemande (Comparatistes et Néo-grammairiens). Immédiatement après la
guerre, ce sont les Suisses et les Russes qui vont prendre le relais, ce
dont le premier Congrès International des Linguistes, qui se tient à la
Haye en 1928, représente un moment symboliquement important. Les
5

propositions présentées par les Russes Jakobson, Karcevski et Troubetzkof


d'une part, par les Genevois Bally et Séchehaye (éditeurs du CLG) de
l'autre, ont en commun de mettre en avant la référence à Saussure pour
décrire la langue comme un système ; leurs convergences sont suffisantes
pour qu'il soit possible d'élaborer un texte unique, édité dans les Actes.
Mais Bally et Séchehaye sont en Suisse. La France, elle, est à cette
époque à l'écart du mouvement innovateur ; et la réputation qu'elle a
d'être le premier pays où ait pénétré la pensée saussurienne (de Mauro) ne
se justifiera que dans les années trente, avec Martinet, Benveniste et
Tesnière, tous liés au Cercle de Prague.
Les linguistes français des années vingt, Meillet, Grammont ou
Vendryès, ont été formés à l'école du Saussure comparatiste et parisien
des années 1880. Aussi le fait qu'ils proclament une dette envers lui
n'implique-t-il pas qu'ils soient "saussuriens". L'influence saussurienne a
été indirecte et plus tardive, mais plus décisive, sur Benveniste et sur
Martinet .
Le cas de la Russie est tout-à- fait différent, car les idées de
Saussure s'y sont très vite diffusées, favorisées par des proximités
théoriques avec le formalisme pratiqué à Moscou (Cercle Linguistique de
Moscou) et à Saint-Pétersbourg (Opojaz). La transmission est due à
Karcevski, qui avait assisté à des cours de Saussure à Genève, et qui
restera lié aux Genevois, en même temps que, par le Cercle de Moscou, il
est lié à Jakobson et Troubetzkof. Les années de 1930 à 1950 seront
cependant caractérisées par un violent antiformalisme, que ce soit chez les
tenants officiels du marrisme, qui oscillent entre l'occultation et la critique
des théories saussuriennes , ou chez certains membres du Cercle de
Bakhtine, comme Volochinov. Les thèses formalistes sembleront réhabilitées
après l'intervention de Staline en 1950, mais le débat n'a jamais cessé

d'être âpre entre


structuralisme, défendu
tenants
par de
des méthodes
linguistes historicistes
comme Saumjan,
V et tenants
Revzin ou
du

Mel'cuk.
En Allemagne, les facteurs de résistance à la nouvelle théorie sont
très forts : l'Ecole Néo-grammairienne est très organisée, et continue à
produire. Entre la critique de notions saussuriennes (comme
synchronie /diachronie par von Wartburg) et l'assertion qu'elles n'apportent
rien de fondamentalement nouveau, Trier est l'un des rares à reconnaître
que sa conception des champs sémantique doit beaucoup à Saussure.
C'est dans ce paysage de la linguistique européenne que va peu à peu
se développer la linguistique structurale.
6

7. 2. DE CERCLE EN CERCLE
"Une doctrine <...> dont les noms de Ferdinand de Saussure et de
Roman Jakobson indiqueront l’aurore et l'actuelle culmination, en rappelant
que la science pilote du structuralisme en Occident a ses racines dans la
Russie où a fleuri le formalisme". C'est ainsi que Lacan (1966, p. 799)
résume le lien entre Saussure et celui qui fera le plus pour le faire
connaître, le lien entre les deux sources du structuralisme : Genève et
Moscou.
La période de la montée du structuralisme se caractérise par une
circulation des hommes et des idées que l'on peut symboliser à travers le
terme de "cercle", type d'organisation souple inauguré à Moscou : krouzek,
krouzek, kreds, cercle, circle, circolo...
Le Cercle de Moscou se fixe "pour tâche d'élucider les problèmes
linguistiques de la langue courante et de la langue poétique, ainsi que des
questions de traditions populaires et d'ethnologie". C'est dans les travaux
du Cercle de Moscou que, pour la première fois, on a vu apparaître le
terme de "lois structurales" linguistiques et poétiques.
Dix ans plus tard, les linguistes de Prague marqueront leur parenté à
ces premières recherches en adoptant le nom de Cercle Linguistique de
Prague, organisation créée le 16 octobre 1926 ; ils feront paraître, à partir
de 1929, les Travaux du Cercle Linguistique de Prague.
Les linguistes de Copenhague à leur tour suivront l'exemple de
Prague, comme l'exprime Jakobson : "Inspired by the vigorous participation
of PLK at the international Congress of linguists at Geneva, danish
linguists founded the Cercle Linguistique de Copenhague in september
1931. Active cooperation and mutual discussions linked both circles"
( Selected Writings II, p. 534). Le Cercle se dote d'abord d'un organe, les
Travaux du Cercle Linguistique de Copenhague, créés en 1936, puis en
1939 est lancée la revue Acta Linguistica , prévue pour sceller la
collaboration des cercles de Prague et de Copenhague, mais que les
événements politiques replieront sur le Danemark ; Hjelmslev et Jakobson
sont tous deux au Comité de rédaction, et c'est là que paraîtront les
travaux de ceux qui, dans l'Europe de cette époque, se réclament de la
tradition saussurienne .
Le 30 octobre 1934 a lieu la création du Cercle Linguistique de New
York, à l'initiative d'intellectuels ayant créé l'Ecole Libre des Hautes
Etudes de New York, et de linguistes de Columbia University. Ce cercle se
donnera en 1945 une revue, Word, créée pour consolider "la coopération
entre linguistes américains et européens de diverses écoles" et éviter
l'isolationnisme scientifique (Editorial du n°l). Jakobson figure au Comité
7

de rédaction, et la visée pluri-disciplinaire affichée n'est pas sans évoquer


quelque chose que l'on retrouvera plus tard en France : "En prenant ce
titre de WORD, nous voulons souligner la structure naturelle multiforme de
la réalité linguistique et la nécessité d'étudier le langage dans la totalité de
ses diverses fonctions et relations" (id.). Lévi-Strauss est d'ailleurs parmi
les auteurs de ce premier numéro, avec un article sur les applications de
l'analyse structurale en linguistique et en anthropologie.
Le terme de "cercle" a ensuite essaimé, avec la création de cercles
moins célèbres que les quatre précédents. Que cette dénomination ait recélé
quelques enjeux, c'est ce dont témoigne Jakobson 5 . Le 9 novembre 1968,
pour expliquer le changement de nom du Linguistic Circle of New York qui
devient International Linguistic Association, son président déclare : "Ours
is no longer a circle. Dictionaries usually define circle as 'a pleasant little
group'. Furthermore, the relationship that could have been drawn years
ago between our organisation and the circles of Prague, Copenhague and
Paris no longer exists".
On pourrait voir dans ce propos le symbole de la fin de l'apogée du
structuralisme linguistique.

2. LES ECOLES LINGUISTIQUES ET LE STRUCTURALISME

La filiation de Saussure à la linguistique structurale ne se fait pas


directement, elle se constitue à travers des écoles, dont nous chercherons
à voir comment elles se sont situées par rapport à Saussure : le Cercle de
Prague, la glossématique, l'Ecole de Genève, le distributionalisme et la
grammaire générative.
Il ne s'agit pas de prétendre que ces cinq écoles soient toutes
influencées au même titre par Saussure. Seules les trois premières s'en
disent explicitement héritières. Néanmoins, toutes manifestent des traits
structuralistes, et chacune d'entre elles a pu jouer un rôle dans
l'extension du structuralisme aux sciences humaines.

2. 7. LE CERCLE DE PRAGUE, ET SES PROLONGEMENTS EN FRANCE

C'est le Cercle de Prague qui est à l'origine du terme


"structuralisme", destiné à souligner la différence avec le formalisme du
Cercle de Moscou : "Il (le Cercle) s'est donné lui-même le nom de
structuralisme, son concept fondamental étant la structure, conçue comme
un ensemble dynamique" (Mukarovski, reproduit dans Change 3).
Les linguistes du Cercle de Prague se sont toujours réclamés de
Saussure, mais le CLG est loin d'être leur seule source d'inspiration. Ils
8

sont également influencés par le formalisme russe, par la phénoménologie


de Husserl, par la philosophie de Brentano et la psychologie de la Gestalt
et de Bühler, où ils trouvent le terme de "structure", qui doit cependant
aussi à l'acception mathématique du terme. Les liens scientifiques
entretenus par le Cercle de Prague sont variés (par exemple avec le Cercle
de Vienne), et il accueillera d'illustres visiteurs, comme Husserl ou
Carnap.
Le Cercle est crée en 1926, à l'initiative des Tchèques Mathesius,
Mukarovski, Vachek... et des russes Troubetzkoi', Jakobson et Karcevski ;
mais l'acte symboliquement fondateur sera, en 1929, la rédaction de neuf
thèses rédigées en français et en tchèque, concernant pour les trois
premières le langage en général, et pour les six suivantes des propositions
de rénovation de la slavistique.
La première thèse expose des principes généraux sur la langue, sous
le titre "les problèmes de méthode découlant de la conception de la langue
comme système..." ; le premier sous-titre précise : "conception de la
langue comme système fonctionnel". Quant au deuxième sous-titre, "tâches
de la méthode synchronique", il introduit d'emblée une distance par
rapport à Saussure : "On ne saurait poser de barrières infranchissables
entre les méthodes synchronique et diachronique comme le fait l'Ecole de
Genève". Ainsi trouve-t-on, dans l'énoncé de cette première thèse, tous
les éléments de l'ambivalence de Prague par rapport à l'héritage
saussurien. La conception de la langue comme système est dans la droite
ligne de Saussure, mais l'adjectif "fonctionnel" introduit une téléologie qui
lui est étrangère , plus inspirée des fonctions de Bühler ( "La langue est un
système de moyens d'expressions appropriés à un but", dit aussi la
première thèse).
La conception praguoise de la notion de système doit-elle finalement
davantage à Husserl ou à Saussure ? On peut dire que l'introspection
husserlienne , en tant que produit philosophique de la conscience du sujet,
et le sentiment saussurien de la langue ne conduisent pas à des
méthodologies très différentes quant au recours au sentiment du sujet
parlant. Mais les assimiler simplement l'un à l'autre serait faire bon marché
des liens que le système entretient chez Saussure avec la valeur.
Les linguistes de Prague manifestent autant d'intérêt pour la poésie
que pour la phonologie, attitude que Milner caractérisera ainsi : "Ce qui
est très grand chez Jakobson, c'est qu'il a reconnu ce que j'appelle 'le
point de poésie' dans une instance qui se définit de n'avoir aucune
signification : le phonème" (1977, p. 91).
Du point de vue linguistique, c'est en phonologie que le
fonctionnalisme atteindra ses plus beaux résultats, avec en particulier les
9

Principes de phonologie de Troubetzkoi (1939). Un son n'est pas en


lui-même porteur de signification ; il participe cependant à la signification,
en ce qu'il n'est pas un autre son. Le recours à la signification est ici
minimal, différentiel, et l'opération pratiquée, que l'on appellera plus tard
"commutation", apparaît comme un développement pratique du principe
saussurien selon lequel "dans la langue, il n'y a que des différences" : la
pertinence fournit un protocole d'abstraction qui isole ceux des sons qui
ont valeur distinctive, que l'on appelle "phonèmes". C'est sur cette base
que l'on distinguera entre la phonétique (étude physique des sons), et la
phonologie (étude de leur rôle dans le système). Cependant, la mise en
oeuvre de la distinctivité sera poussée, dans les ultimes développements
théoriques, jusqu'à un point qui n'a plus rien de saussurien : les traits
distinctifs, constituants ultimes du phonème, cumulés en un segment
unique, ne sont plus de l'ordre de la linéarité.
Aux deux réserves près de l'appel à la fonction et de l'analyse
poussée jusqu'aux traits distinctifs, la méthode de la distinctivité doit
beaucoup à Saussure. Les formulations du Cercle de Prague vont d'ailleurs
progressivement se dégager de toute attache psychologiste (le phonème
comme représentation d'un son), pour aboutir à des formulations
proprement linguistiques.
L'autre grand domaine créatif du Cercle de Prague est la linguistique
comparative, où se sont illustrés Jakobson, Troubetzkoi' et le Polonais
Kurilowicz. C'est aussi à la croisée des deux domaines de la phonologie et
de la linguistique comparée qu'émerge un prolongement purement
fonctionnaliste, les travaux du français André Martinet. Les faits
phonétiques doivent pour lui être abordés du point de vue de la fonction
linguistique assumée par les différences phoniques. La langue doit
satisfaire aux exigences de la communication, mais en même temps elle est
soumise à l'économie, tendances contradictoires parmi lesquelles chaque
langue instaure son équilibre propre, qu'elle met en oeuvre dans une
organisation en "double articulation" (en monèmes, et en phonèmes).
La contre-partie, pour Prague comme pour Martinet, de ce que la
théorie de la langue soit tributaire de la communication, c'est une
distorsion entre niveau non-significatif et niveaux significatifs. Or, si sur
le plan phonologique, "fonctionnel" et "distinctif" se recoupent, cela n'a
plus rien d'évident pour les plans syntaxique et sémantique. Les rares
tentatives (ultérieures et extérieures à Prague) qui seront faites par des
fonctionnalistes pour poursuivre la théorie dans le domaine de la syntaxe
exhibent nettement ces limites. Quand Martinet tentera de construire une
syntaxe fonctionnelle, il aura recours à des modes d'analyse autres que la
commutation (comme- le découpage en prédicat et compléments), qui ne
10

doivent plus rien au principe saussurien de différence.


Dans le domaine de la sémantique, Prieto a également tenté une
analyse en termes homologues à ceux de la phonologie. Mais lui aussi en
vient pour décrire l'organisation sémantique, à des principes autres que la
commutation formelle : les traits contrastifs peuvent dans leur principe
rappeler l'analyse différentielle des traits distinctifs, ils n'en ont pas la
rigueur. Des Praguois à Martinet, puis à Prieto, on s'éloigne ainsi petit à
petit des principes saussuriens.
Alors, le Cercle de Prague est-il vraiment l'héritier de Saussure ?
Oui, car l'oppositivité est un prolongement incontestable du principe
saussurien de différence, et une mise en oeuvre de la valeur. On peut
même dire que, à travers la phonologie, le Cercle de Prague a trouvé le
bon objet, celui qui saura donner corps à un principe resté abstrait chez
Saussure. Mais il y a aussi des arguments pour répondre non. Ce n'est
que moyennant deux traits non-saussuriens que le CLP met en oeuvre le
principe de distinctivité : le rôle accordé à la commutation (terme qui ne
figure pas dans le CLG), et le caractère fonctionnel de finalité du langage.
Malgré Martinet, selon lequel le téléologisme n'était pas indispensable à la
phonologie praguoise, il nous apparaît que ce qui l'emporte est un mode de
pensée différent de celui de Saussure.

2.2. LE CERCLE DE COPENHAGUE (LA GLOSSEMAT /QUE )

Autour des linguistes danois Hjelmslev, Brdndal et Uldall se constitue


une école, organisée à partir de 1931 en Cercle Linguistique de
Copenhague, qui se donne comme continuatrice (voire vraie continuatrice)
de Saussure. Opinion partagée par Greimas, qui voit Hjelmslev comme "le

véritable, ses
explicites peut-être
intuitionsle etseul
leur continuateur
donner une formulation
de Saussure
achevée"
qui ga. su rendre

La glossématique, et son représentant le plus connu, Hjelmslev,


constituent un certain paradoxe : Hjelmslev est en effet rarement cité
positivement, peu lu, peu attirant semble-t-il pour les linguistes qui
"volontiers voient en lui un doublet inutile et/ou 'caricatural' de Saussure"
(Arrivé, 1979). Situation en pleine distorsion par rapport au poids réel
qu'il a eu sur la linguistique structurale, car ce sont bien souvent les
termes par lesquels il a reformulé les concepts saussuriens qui sont
adoptés pour présenter la théorie saussurienne. On trouve par exemple
cette idée d'une continuation sans heurt, et même d'un développement
harmonieux chez Ruwet présentant un bilan de "la linguistique générale
aujourd'hui" (1964) : il expose les concepts de base de la linguistique
structurale, "posés par Saussure et élaborés par Hjelmslev".
Hjelmslev introduit un mot nouveau pour désigner sa discipline, la
11

glossématique, car, tout en reconnaissant une "dette profonde" envers


Saussure, il s'affirme comme initiateur de théorie. La glossématique propose
une démarche rigoureuse, une théorie axiomatisée : c'est une linguistique
autonome (une "linguistique linguistique", ou "immanente", selon le terme
qui s'imposera).
Le postulat de base est qu'à toute séquence correspond une structure
sous-jacente qui permet qu'une description soit faite à l'aide d'un nombre
restreint de prémisses et de théorèmes. La séquence, observable, est
appelée "processus" ; elle est analysable en éléments rangés en classes
pour lesquelles on peut dresser l'inventaire des combinaisons possibles ; la
structure sous-jacente, dégagée par abstraction, est le système.
C'est en articulant deux thèses empruntées à Saussure que Hjelmslev
établit sa "stratification du langage" :
- la langue est forme, et non substance ;
- toute langue est à la fois "expression" et "contenu".
La première thèse est parfaitement saussurienne. Elle conduit à l'idée de
système, car la forme d'une langue présente un découpage original. Quant
à la seconde, elle fait intervenir des termes qui ne figurent pas chez
Saussure, reformulations de "signifiant" (expression) et "signifié"
(contenu). Hjelmslev écarte par avance une critique qui ferait de la
modification des termes une banalisation de la pensée ("les termes même
d'expression et de contenu ont été choisis d'après l'usage courant et sont
tout-à- fait arbitraires").
Ce qui fait le lien entre les deux propositions, c'est la théorie du
signe, que Hjelmslev conserve mais qu'il redéfinit au carrefour des quatre
concepts de forme, substance, expression et contenu : "Aussi paradoxal
que cela puisse paraître, le signe est donc à la fois signe d'une substance
du contenu et d'une substance de l'expression" (1943).
Les deux faces du signe peuvent chacune donner lieu à une analyse
structurale : d'où l'importance de l'opération de commutation, relation
fondamentale qui est la clé de la compréhension des langues. La
commutation est donc plus étendue que chez les Praguois, qui n'y ont
recours que pour le plan de l'expression.
La glossématique instaure, par rapport à Saussure, un déplacement de
l'objet de la linguistique, à la fois le restreignant et l'élargissant. Il est
restreint dans la mesure où, la linguistique n'étant science que de la
forme, les domaines liés à la substance vont s'en trouver exclus. Mais cet
objet subit par ailleurs une extension, car la spécificité des langues
articulées est définie au sein d'une typologie des systèmes de signes. Le
caractère de multi-fonctionnalité des langues, qui rend possible l'infinité
des significations et son corollaire la traductibilité , permettent de
12

distinguer deux types de langages : les langages restreints, à


correspondance biunivoque entre expression et contenu, et les langages
passe-partout, avec deux formes différentes pour contenu et expression,
sans qu’il y ait conformité. Malgré leurs différences, les traits que les
deux types ont en commun constituent la structure fondamentale du
langage.
On comprend, quand l'insistance est ainsi mise sur les rapprochements
entre systèmes restreints et systèmes proprement linguistiques , pourquoi
Hjelmslev a eu plus de postérité dans la sémiotique que dans la linguistique
proprement dite : ses vrais continuateurs sont Greimas et le Barthes des
Eléments de sémiologie (1964). De cette rareté de postérité linguistique, le
sémioticien François Rastier parvient à se consoler : "Son influence
s'exerce autrement, car sa théorie du langage, la glossématique, a une
portée qui dépasse la linguistique, et elle peut contribuer à fonder une
sémiotique générale" (1985, p. 8).
La glossématique a connu plusieurs états successifs, jusqu'à l'article
"La stratification du langage" qui remet en partie en cause l'équilibre
représenté par les Prolégomènes . Hjelmslev y essaie en effet de réintégrer
le référent au langage, de "sémiotiser jusqu'à ce paquet de substance
rebelle qu'est le 'niveau physique'" (Arrivé, op. cit.). Ce qui suppose une
conception de la linguistique qui dissout la discipline définie de façon
étroite telle que Saussure vient de l'élaborer, dans quelque chose de
beaucoup plus vaste. On comprend dès lors pourquoi Meschonnic, sensible
à ce pas en arrière par rapport à Saussure, a pu qualifier Hjelmslev de
"plus grand malheur posthume de Saussure" (1975). Hjelmslev apporte en
effet une clôture au saussurisme, en en poussant certains principes jusqu'à
l'extrême : contrairement au système de Saussure, celui de Hjelmslev est
sans reste, sans faille, sans infini.

2.3. L'ECOLE DE GENEVE

La dénomination d'"Ecole de Genève", critiquée par ceux-là mêmes qui


sont censés en faire partie, recouvre davantage une série de personnalités
isolées qu'un courant réel.
On peut distinguer trois périodes dans le travail des Suisses sur
l'héritage saussurien :
- de 1916 à la fin de la guerre de 40, une période où, à la suite des
polémiques autour des principaux concepts saussuriens (le Polonais
Dorozewski contre le phonème, l'Allemand Wartburg contre
synchronie /diachronie , le Belge Buyssens sur le signe...), Bally et
Séchehaye se sentent investis d'une mission de défense ardente. Les
13

Cahiers Ferdinand de Saussure sont créés à cet effet, en 1941 ;


après 1945, l'enseignement saussurien étant relayé par le
structuralisme (essentiellement les Cercles de Prague et de Copenhague),
le travail se fait sur l'approfondissement de sa cohérence et de sa
systématicité ;
- après la publication des Sources (1957) et du Deuxième Cours
(1957, édité par Godel), une "deuxième génération saussurienne" (Frei,
Burger, Godel, Engler, et l'Argentin Luis Prieto qui enseigne à Genève)
apparaît. Le ton des Cahiers se fait moins apologétique et les travaux
effectués vont contribuer à modifier l'image traditionnelle du CLG.
C’est pourtant de la première période que date une oeuvre
importante, quoiqu'assez peu connue de ceux qui ne sont ni socioünguistes
ni spécialistes de la langue parlée : c'est la Grammaire des fautes de Henri
Frei (1929). De bien des façons, cette oeuvre est digne de figurer parmi
les travaux structuralistes directement héritiers de Saussure.
Frei part d'une hypothèse sur le rôle des "fautes" dans la langue
courante, pour prévenir ou réparer les déficits du système correct. Dans
une perspective de finalité fonctionnelle (qu'il oppose à l'attitude
"normative" de Saussure), il voit l'évolution des langues comme gouvernée
par quelques grands besoins constants du langage, en nombre restreint :
l'assimilation, et sa contre-partie la différenciation ou tendance à la
clarté ; l'économie, manifestée syntagmatiquement dans la brièveté et
associativement dans l'invariabilité ; l'expressivité, qui agit contre l'usure
sémantique. Ces besoins, qui ont à la fois des manifestations mémorielles
(rapports associatifs) et discursives (rapports syntagmatiques) peuvent se
combiner ou se heurter, produisant stabilité ou instabilité dans les
systèmes linguistiques.
Frei a une position qui rappelle certains aspects essentiels du Cercle
de Prague, ou de Martinet. Mais, dans la manière dont il fait jouer sur
tous les plans "mémoire" et "discours", il est de ceux qui tirent le meilleur
parti de la complémentarité des deux axes saussuriens, et qui en font
l'application pratique la plus large.

2.4. LE STRUCTURALISME AMERICAIN (DIST RIBUT ION ALISME , OU


ECOLE DE YALE)
Le distributionalisme , issu des travaux de Bloomfield continués par
Wells et Harris, dominera la linguistique américaine jusque vers le milieu
des années cinquante. Ses tenants ne se réfèrent jamais à Saussure, mais
certains aspects du distributionalisme recoupent des traits du
structuralisme européen, ce pour quoi il vaut mieux parler d'une
14

convergence d'analyse que d'une filiation, car les divergences sont


également nombreuses et importantes.
La linguistique américaine est dominée, à partir des années vingt, par
la figure de Bloomfield. En 1924, celui-ci donne un compte-rendu très
positif du CLG ; mais dans son oeuvre majeure de 1933, Language,
le nom de Saussure n'apparaît qu'une fois, à titre purement historique.
Cependant, dans ce climat de désintérêt pour Saussure, parait une très
belle étude du CLG, à la recherche de la cohérence théorique : celle de
Wells (1947). Lecture tellement fine qu'elle relève des points obscurs du
texte, comme par exemple, dans la présentation de la valeur, un ''et voilà

pourquoi" (p.
présenter comme
157)conséquence
du CLG, pure
ce création
qui est des
cause
éditeurs
7 . Dix qui
ans a avant
pour effet
que ne
de

paraisse l'ouvrage de Godel, Wells a su détecter, par sa lecture interne,


un décalage dans le texte, qui le conduit à écrire : "it makes it sound as
if arbitrariness resulted from the nature of value ; but this contravenes de
Saussure 's whole teaching, and is merely careless wording". Lecture
attentive, assurément !
Mais les commentaires sont une chose et la pratique théorique en est
une autre ! Le point de départ essentiel du distributionalisme est la
psychologie behavioriste : l'idée selon laquelle le comportement humain est
totalement explicable à travers les situations dans lesquelles il intervient.
D'où le recours, de la part du linguiste, au seul descriptivisme, délaissant
l'étude du sens par excellence non-observable. A partir d'un corpus
d'énoncés recueillis (donc sans recours à quelque opposition de type
langue/parole), le linguiste dégage des régularités en faisant appel non à
la fonction ou à la signification, mais aux seuls environnements, qui
permettent de définir la "distribution" d'une unité. Le distributionalisme
est donc plus classificatoire qu'explicatif. La procédure unique permet de
concevoir une théorie de la langue homogène du phonème à la phrase.
Le distributionalisme procède à partir de ces principes, à deux types
d'activités qui caractérisent la structure distributionnelle de la langue :
- une décomposition des énoncés en constituants immédiats, qui met en
lumière la construction hiérarchique ;
- une classification des constituants en des classes distributionnelles.
Le point essentiel par lequel on peut opposer distributionalisme et théorie
saussurienne concerne la détermination des unités : elles ne sauraient ,
dans le distributionalisme, faire l'objet d'un test de commutation, dans la
mesure où il suppose le recours au sujet parlant.
Si les distributionalistes peuvent être rapprochés des structuralistes,
ce sera plutôt selon la version danoise : les deux écoles ont en commun de
15

caractériser les langues par un ensemble de régularités combinatoires.


Restent cependant deux points de divergence, qui touchent tous deux à
l'intérêt de la glossématique pour le contenu :
- la glossématique s'intéresse à la fois à l'expression et au contenu,
alors que les distributionalistes excluent l'étude du sens ;
- le distributionalisme est entièrement lié à la linéarité du signifiant,
restriction que ne s'impose pas la glossématique, essentiellement dans
l'étude du contenu.
En parallèle avec la façon dont la glossématique s'est opposée au Cercle
de Prague, le distributionalisme s'est opposé à la tagmémique de l’Américain
Pike, qui fait la distinction entre une attitude linguistique fondée sur la
caractérisation spatio-temporelle (qu'il attribue aux distributionalistes), et
une attitude qui s'attache à la fonction (la sienne propre). Si l'on suit
Pike dans sa représentation, on pourrait donc opposer, à travers deux
tendances dans l'interprétation de la théorie saussurienne, deux
conceptions antagonistes de la langue : l'une qui la prend comme forme
(Copenhague et le distributionalisme), et l'autre qui la saisit comme
fonction (Prague et la tagmémique).

2.5. LA GRAMMAIRE GENERATIVE

Il pourrait sembler paradoxal de faire figurer la grammaire générative


parmi les écoles structuralistes, dans la mesure où, en écrivant sa propre
histoire, elle insiste sur la rupture qu'elle opère par rapport au
structuralisme. Cependant, dans ses dénonciations des méthodes
"taxinomiques", Chomsky vise surtout les théories bloomfieldiennes et
harrissiennes , et il dit du structuralisme européen : "personnellement, j'ai
beaucoup appris de ce structuralisme européen, de Roman Jakobson en
particulier, qui a été mon professeur et qui est un très grand ami ; je n'ai
pas besoin de rappeler combien ses contributions restent essentielles"
(Hypothèses , p. 63-71).
De fait, on ne peut évoquer le structuralisme à propos de Chomsky
qu'en s'arrêtant à un niveau très général. La réelle connaissance qu'il a de
Saussure (assez rare chez les Américains) est-elle signe qu'il soit influencé
par lui ? Il serait plus juste de dire qu'il développe ses propres concepts,
et souligne non sans plaisir une certaine convergence avec ceux de
Saussure ; ce sont là les seuls points auxquels nous nous arrêterons.
Chomsky est formé à l'école bloomfieldienne de Harris, par rapport à
laquelle il prend rapidement des distances ; en particulier en s'opposant à
l'inductivisme , selon lequel il est possible de construire l'analyse d'une
langue à partir d'un corpus limité d'exemples attestés. Il y substituera la
recherche du système sous-jacent, la compétence, qui explique les
16

productions langagières , la performance. Et c'est là un point essentiel où


ses conceptions recoupent Saussure. S'il faut en effet rejeter le corpus
comme mode d'accès au système, c'est pour avoir reconnu une dimension
d'un savoir sur la langue dont dispose le sujet parlant : c'est la
compétence, dont la grammaire a à rendre compte. De ce point de vue (et
compte non-tenu des aspects psychologiques), la compétence est comparable
à la langue saussurienne : Saussure et Chomsky partagent une exigence
sur la nécessité d'expliquer quelque chose de la façon dont les gens
parlent .
Au début des années soixante, la mention de Saussure apparaît dans
les écrits de Chomsky, fréquente et positive : il reconnaît Saussure comme
"pionnier de la linguistique scientifique moderne". C'est alors qu'il élabore
la distinction compétence /performance, reformulation de langue/parole avec
pour différence essentielle le rôle central accordé par Chomsky à la théorie
de la phrase, et à la créativité. Sa position changera dès Aspects of the
theory of syntax (1965), où Saussure est toujours cité, mais taxé d'une
"vue naïve sur le langage", qui est surtout le produit d'une lecture un
peu superficielle. Par exemple, quand Chomsky dit s'opposer à Saussure
sur la créativité : si Saussure n'a que peu développé la syntaxe, du moins
la conception qu'il en a offre-t-elle les caractères indispensables pour ne
pas en interdire le développement. Chomsky est donc plus en prolongement
(voire en qu'en
Saussure) réel opposition
fondementg . d'une discipline restée programmatique chez

Autre point de congruence, concernant le fondement même de la


conception de la langue : la complémentarité de deux axes, soulignée par
exemple par Ruwet (1964), quand il propose d'envisager la théorie des
transformations comme une extension de l'analyse paradigmatique aux rangs
supérieurs de l'énoncé. Rapprochement également sur la place dérivée
accordée à la sémantique.
L'évolution ultérieure de la grammaire générative éloignera de plus en
plus Chomsky, et de la confrontation avec le structuralisme (considéré
bientôt comme n'étant même plus un adversaire théorique), et des
préoccupations qui permettaient de le comparer à Saussure.

2.6. UN STRUCTURALISTE INDEPENDANT

Emile Benveniste n'est pas vraiment classable dans une école, mais
c'est volontiers à lui que l'on pense en évoquant le structuralisme
européen. Ayant été formé à l'école comparatiste de Meillet, intéressé aux
travaux du Cercle de Prague, c'est progressivement qu'il est devenu
structuraliste .
17

Structuraliste, continuateur de Saussure, il l'est pleinement : à la fois


présentateur des concepts saussuriens dans leur devenir (par exemple
quand il réfléchit au passage du terme de "système" à celui de
"structure"), subtil penseur de la conception structuraliste de la langue,
depuis la définition des unités jusqu'à la question de la phrase (comme
dans "Les niveaux de l'analyse linguistique", in 1966), il est aussi, comme
Saussure, in do-européaniste, et toujours préoccupé d'interrogations
épistémologiques quant à l'objet de sa discipline.
Mais il est par ailleurs un aspect totalement original de Benveniste,
qui ne doit à Saussure que comme aboutissement de la systématicité d'une
démarche. D'un structuralisme strictement immanent, il fait surgir la
dimension, du sujet parlant et de l'énonciation, à travers l'étude du
comportement particulier de certains éléments que l'on ne peut décrire sans
se référer au fait que la langue est parlée par un sujet, produit d'une
énonciation : les pronoms personnels, les temps verbaux, les déictiques,
les performatifs. A partir de ces éléments qu'il appelle "indiciels", il
aboutit à des conclusions recoupant celles du philosophe analytique anglais
Austin sur les performatifs, et de Jakobson sur les embrayeurs.
De ce surgissement du sujet dans la conception structuraliste de la
langue, on peut donner deux analyses selon que l'on suppose ou non que
la relation entre système de langue et sujet est harmonieuse :
- s'il y a continuité entre la langue-système de signes et la
langue-instrument de communication mise en jeu dans l'énonciation, "la
linguistique de la langue-système de signes ouvre sur une linguistique du
discours où intervient un sujet maître de sa parole, dont la présence
s'analyse comme un système de traces" (c'est ainsi que Maldidier, 1985,
résume cette première lecture possible). La linguistique peut repérer les
traces de l'énonciation dans le produit qu'est l'énoncé, et décrire
"l'appareil formel de l'énonciation", selon le titre d'un article de Benveniste
(in 1974).
- en suivant une lecture proposée par Milner (1982), on s'arrêtera
davantage aux aspects dramatiques de cette même relation : les éléments
indiciels sont "les stigmates dans la langue de ce qui lui est radicalement
autre", l'indice d'une hétérogénéité inconciliable, le surgissement du sujet
de désir qui émerge au milieu du système de la langue.
Les textes mêmes de Benveniste permettent les deux lectures, entre

lesquelles
par Jakobson
la gplupart
pour des
étudier
commentaires
ces mêmeschoisiront.
phénomènesLa perspective
se situe dans
adoptée
une

problématique de continuité : il existe dans la langue des structures


doubles, qui soulignent le fait que la combinatoire des relations entre
"code" et "message" est complexe. Par contre, il est probable que c'est
18

davantage dans la seconde perspective que se place Lacan quand il


s’intéresse au Benveniste de l'énonciation, par lequel il entrevoit un
impossible du sujet à l'intérieur de la langue.
Benveniste a ainsi montré aux linguistes à interroger la relation entre
la notion, souvent prise comme évidente, de sujet parlant, et la notion
explicitement problématique de sujet de l'énonciation. La réflexion sur le
langage y a beaucoup gagné, et le mérite reste à Benveniste d'avoir fait
surgir cette problématique du coeur même du structuralisme.

Devant ces six "points de vue" structuralistes, on pourrait se


demander où est vraiment l'héritage de Saussure.
Il apparaît alors que, dans son intégralité, il ne se retrouve nulle
part , mais que toutes les écoles reflètent des aspects essentiels de
l'enseignement saussurien. Aussi faut-il ajouter une interrogation sur ce
qu'ont en commun ces courants partiellement ou complètement indépendants
les uns des autres, pour que l'on ait pu leur appliquer l'épithète de
"structuraliste". Malgré leurs divergences, nous retiendrons, à la suite de
Benveniste (1966) : l'exigence d'une approche descriptive, la
reconnaissance du système, le souci de pousser l'analyse jusqu'aux unités
élémentaires et le choix explicite des procédures.
A un niveau très général, mais très exigeant, ces traits, qui ne
suffisent pas à différencier la linguistique structurale de ce qui lui fait
suite, permettent de la distinguer de la conception qui avait été celle de la
période pré-saussurienne.

3. LA DESTINEE DES CONCEPTS

Signe, sémiologie, système, arbitraire, langue /parole,


synchronie /diachronie , signifiant, signifié, quelquefois valeur... Ce sont là
des termes, saussuriens, qui connotent le structuralisme là où ils
apparaissent. En linguistique, bien sûr, mais aussi dans le structuralisme
généralisé.
Nous allons donc chercher à retracer le devenir de chacun des
concepts ou groupes de concepts. A la fois la façon dont ils ont été reçus
et discutés, et ce qu'il en reste de nos jours dans le bien commun que l'on
pourrait appeler, sans chercher la nuance péjorative, la vulgate
structuraliste.
Etudier les concepts un par un, ou même par groupe, est certes fort
peu satisfaisant du point de vue de la globalité de la théorie saussurienne.
Mais c'est finalement la seule façon d'établir le fait que bien peu de la
théorie saussurienne, en dehors des termes mêmes, a été conservé dans
19

le trésor commun, que ce n'est pas par un héritage matériel que Saussure
s'est transmis aux structuralistes.

3. 7. LE SIGNE ET LES NOTIONS ASSOCIEES (SIGNIFIANT , SIGNIFIE ,


SEMIOLOGIE, ARBITRAIRE, LINEARITE)
L'abondance des publications sur le signe, déjà soulignée par Engler
en 1962, ne doit pas être interprétée comme indice de la centralité de cette
notion dans la construction linguistique saussurienne. Comme de plus on
constate que ces commentaires sont majoritairement l'oeuvre de logiciens,
de philosophes du langage, de psychologues et psycholinguistes, de
psychanalystes, de théoriciens de la littérature, de sémioticiens. . . , et
rarement de linguistes, on ne peut que voir le signe comme le lieu
d'ancrage privilégié de l'intérêt des non-linguistes pour la théorie
saussurienne et pour le structuralisme. On se contentera ici d'évoquer les
noms de Lacan, de Barthes, de Derrida...
Celui des termes saussuriens qui, peut-être encore plus que le signe,
apparaîtra dans les travaux structuralistes, est la sémiologie, "science qui
étudie la vie des signes au sein de la vie sociale" (CLG). On peut certes
s'interroger sur la place à accorder, pour un linguiste, à une sémiologie,
quand a été proposé pour la linguistique un objet défini de façon aussi
rigoureuse, à travers des exclusions. Et rares seront les linguistes à en
faire autre chose que la mentionner. Une exception notable est quand même
Troubetzkoï, qui pose un parallèle entre phonologie et société dont, bien
des années plus tard, Lévi-Strauss se saisira. Pour les non-linguistes, le
problème est un peu différent, car la sémiologie est pour eux productrice
de réflexion. Ils ne respecteront cependant pas toujours le cadre offert
par Saussure ; ainsi de Barthes qui renverse le rapport entre linguistique
et sémiologie, parce que le langage ne peut qu'être le modèle de tout
système de communication : "la linguistique n'est pas une partie, même
privilégiée, de la science générale des signes, c'est la sémiologie qui est
une partie de la linguistique" (1964).
Seul le terme "sémiologie" est saussurien mais il se voit concurrencé
dans l'usage par "sémiotique", emprunté à la tradition américaine, et en
particulier à Peirce. C'est cependant surtout "sémiologie" qui s'est imposé
dans le structuralisme élargi, ce qui montre bien que, quels que soient les
truchements, il y a filiation saussurienne (surtout chez Lévi-Strauss et
Barthes) .
Deux remarques s'imposent, peut-être liées au fait qu'ils ne sont
généralement pas l'oeuvre de linguistes, à propos des très nombreux
articles sur la sémiologie et sur le signe : d'une part, même parmi les plus
20

récents, référence est plus fréquemment faite au CLG qu'aux sources ;


d'autre part, le signe et la sémiologie y sont souvent abordés isolément,
sans appréhension globale et sans référence aux autres aspects de la
construction saussurienne. On fait fonctionner cette notion comme ayant
des incidences importantes , sans que celles-ci fassent l'objet de
développements .
Les éléments de la définition du signe, de même que les propriétés
que Saussure lui attribue, ont fait l'objet de discussions, et il est rare
que l'ensemble en soit repris.
La notion même de signe a prêté à discussion. A quel niveau
grammatical faut-il envisager ? Le CLG manque de clarté sur ce point, et
toutes les solutions, du morphème à la phrase, ont pu être envisagées.
Signifiant /signifié : c'est là la façon dont le signe saussurien, dans sa
constitution même, exprime le fait que la langue met en relation du
physiquement présent (le signifiant) et de l'absent (le sens, le signifié),
mise en correspondance dont un linguiste ne saurait se passer. Mais
signifiant /signifié n'est qu'une modalité parmi d'autres de cette idée, dont
les différentes écoles ont adopté plusieurs figures : l'adoption en
conformité à Saussure, une reformulation , comme chez Hjelmslev en
expression et contenu, ou l'abandon compensé par l'organisation de la
grammaire en niveaux, comme chez Chomsky.
La réappropriation la plus célèbre du signe respectant l'analyse en
signifiant et signifié, est celle effectuée par Lacan (1957, in 1966). Du
signe, il offre le schéma S /s, présenté ainsi : "le signe ainsi présenté S /s
mérite d'être attribué à Ferdinand de Saussure, bien qu'il ne se réduise
strictement à cette forme en aucun des nombreux schémas sous lesquels il
apparait" (1966, p. 497). Le schéma lacanien est en effet fort différent de
celui de Saussure1 :
- dans la symbolisation : grand S pour signifiant, et petit s pour
signifié, alors que dans le CLG on trouve soit les termes, soit leur
abréviation en Sign.é et Sign.t ;
- dans la position des éléments : alors que le signifiant occupe chez
Saussure la partie inférieure du schéma, Lacan le met en surplomb, de
façon à symboliser le glissement du signifié sous le signifiant ;
- dans la disparition chez Lacan de l'ellipse qui chez Saussure délimite
le signe ; ce trait risque d'être interprété comme isolant un domaine, en
contradiction avec ce qui est avancé dans la valeur. En le supprimant,
Lacan prend acte de ce qu'une signification renvoie toujours à une autre ;
- dans la suppression des flèches censées représenter la
présupposition réciproque des deux faces. Or on sait par les sources que
ces flèches sont des ajouts des éditeurs, qui risquent de laisser place à
21

une interprétation nomenclaturiste de la langue ;


- seul trait pour demeurer de Saussure à Lacan : la barre entre les
deux éléments : mais alors qu'elle est, chez Saussure, posée sans
commentaire, Lacan l'interprète comme une "barrière résistante à la
signification", et elle occupe une place centrale dans sa théorie du
signifiant.
Sans être hors de l'esprit du texte saussurien, corrigeant parfois des
imperfections de présentation, cette présentation remplit néanmoins une
fonction toute autre que chez Saussure.
Le premier caractère que Saussure attribue au signe, l'arbitraire du
lien entre signifiant et signifié est, dans le CLG, exposé d'une façon qui

prête particulièrement
defendant une position à philosophique
confusion, au conventionaliste
point d'avoir 12pu
. De
êtrenombreuses
lu comme

critiques reprendront cette position, interprétation la plus fréquente à la


fois de la vulgate saussurienne et du structuralisme élargi. Jakobson
1 O donne
le lien entre signifiant et signifié pour partiellement motivé ("l'étude
des liens intimes qui unissent les concepts grammaticaux et leur expression
phonologique conduisent à mettre en doute la nature 'arbitraire' du signe
linguistique" 1985, p. 23). Il développera cette position avec le
"symbolisme phonétique", qui intéressera beaucoup les poéticiens. Quant au
"relativement motivé", il est pratiquement absent des commentaires.
La seconde propriété du signe, la linéarité du signifiant, n'échappe
pas non plus aux difficultés d'interprétation : exposée de façon
spécialement rapide et comme une évidence banale, elle a pu faire dire à
Jakobson qu'il s'agissait de "nothing but a vicious circle" ( Selected
writings 1, p. 420). Les traits distinctifs sont d'ailleurs partiellement une
remise en cause du principe de la linéarité , uniquement sur le plan
phonique pour Prague et Martinet, également sur le plan sémantique pour
Copenhague et la sémantique structurale.
La théorie du signe est donc reçue avec une distorsion entre le vif
intérêt des non-linguistes et les réticences des linguistes. Nous nous
proposons d'expliquer ces réticences en nous appuyant sur une analyse de
Milner (1975) : les linguistes sentiraient le signe pour une impasse
linguistique, n'ayant d'autre fonction que de mettre en relation les deux
ordres du sens et du son ; ils n'auraient donc à se soucier que de ce
qu'un tel rôle soit assuré, quelles qu'en soient les modalités. Pour les
non-linguist es par contre, la notion de signe connote celle de langage, liée
au projet même du structuralisme. Aussi ne peuvent-ils envisager de s'en
passer.
22

3.2. SYNCHRONIE/DIACHRONIE

C'est là une dichotomie qui a été assez largement acceptée : première


distinction saussurienne établie (elle remonte à 1894), elle est "dans l'air"
du XXè siècle.
La seule remise en cause radicale provient du Cercle de Prague. A la
Haye (1928), Jakobson, Troubetzkoi- et Karcevski proclament la nécessité
d'éliminer cette distinction, seule façon de pouvoir "recognize the
systematic and functional nature of linguistic change". C'est là un point
sur lequel Jakobson ne variera jamais, opposant à la conception
saussurienne celle d'une "synchronie dynamique". On peut penser qu'il
s'agit de sa part d'une mauvaise appréhension des visées saussuriennes ,
car la méthode qu'il participe à mettre au point en phonologie fait
équivaloir, dans la pratique, "structural" et "synchronique".
Martinet tient, en particulier dans Economie des changements
phonétiques (1955), une position intermédiaire entre celle de Saussure et
celle de Prague. Il reproche à Saussure de s'être laissé entraîner par sa
métaphore du jeu d'échecs qui finit par dissimuler le fait que, comme il n'y
a pas dans la langue d'instance pour tenir le rôle du joueur, il n'y a pas
non plus de principe de changement brutal d'un état à un autre. Mais il
reproche en même temps son téléologisme au Cercle de Prague, qui a pu
faire entendre le changement comme tendance vers un état plus
harmonieux. Pour Martinet, c'est certes en synchronie que l'on peut saisir
la structure (avec la plupart des linguistes de son époque, il reconnaît
donc son primat), mais l'état de langue porte en lui, dans son organisation
même , le germe des modifications qu'il connaîtra.
La linguistique américaine adopte une attitude radicalement opposée à
celle de Prague, fidèle en cela à sa tradition d'éviction des considérations
historiques dans la description d'un état de langue. Ainsi, Language de
Bloomfield est-il constitué selon un plan classique : d'abord la linguistique
descriptive, puis les changements. Chez Chomsky, l'opposition n'est pas
présentée : elle n'apparaît pas dans Aspects lors de l'évaluation de la
grammaire générative par rapport à la théorie saussurienne, ne serait-ce
que pour que soit signalée la convergence quant au primat du
synchronique, admis tacitement, et induit peut-être davantage par le
concept de compétence comme savoir d'un sujet que par celui de langue.
On rencontre donc trois interprétations de l'opposition
synchronie /diachronie :
- chez Saussure, une opposition théorique qui, pour poser le primat
méthodologique de la synchronie, n'ignore ni le changement, ni les effets
de celui-ci sur un état de langue : ainsi l'analogie, phénomène grammatical
et synchronique, est-elle assimilable au mécanisme de la langue ;
23

- Pour le Cercle de Prague, l'affaiblissement de l'antinomie dans une


"synchronie dynamique" qui n'empêche pas la mise en pratique d'une
méthode strictement synchronique ;
- dans les écoles américaines, une dichotomie de fait qui conduit à ne
parler que de synchronie.
Or, quand on parle des indicences dans le structuralisme du rapport
entre synchronie et diachronie (rendus équivalents à "structure" et
"event"), c'est généralement la troisième interprétation que les
commentaires convoquent, abusivement attribuée à Saussure. On en a un
exemple avec les termes dans lesquels est posé le débat entre
structuralisme et marxisme (voir 1970).

3.3. LANGAGE, LANGUE, PAROLE


Cette dichotomie en deux temps, fondamentale chez Saussure pour
constituer l'objet de la linguistique, est assez généralement ramenée à
l'antinomie entre langue et parole. La séparation entre langage et langue
n'est que rarement commentée, soit que ne soit pas interrogé le rôle de
cadre que constitue le langage, soit, pour les sémiologues , que la
distinction ne soit pas admissible, soit, pour les anglophones, qu'elle
échappe aux potentialités de leur langue.
La distinction entre langue et parole est assez généralement partagée
par les linguistes, d'autant plus qu'elle a reçu le renfort de la distinction
chomskyenne entre compétence et performance.
Cependant le primat de l'étude de la langue n'est guère admis que par
ceux des linguistes qui la font fonctionner, surtout phonologues et
morphosyntacticiens. Sociolinguistes et pragmaticiens déplorent le
désintérêt de Saussure pour la parole, ou suggèrent la nécessité de lui
adjoindre une dimension supplémentaire, celle du discours ou de
l'énonciation.
On sait à quel point la définition de langue/parole est polysémique, et
il n'est pas toujours facile de saisir les relations entre les différents modes
de définition. Polysémie qui semble avoir préoccupé les linguistes, car il
n'est pas d'autre dichotomie à avoir connu autant de re formulatiojis.
Une partie des linguistes accepte le cadre dichotomique, et se
contente de modifier les dénominations. Ainsi, le Cercle de Prague adhère
globalement à la distinction, mais la reformule en code /message afin
d'éviter la polysémie du mot langue ; ce qui n'est pas sans incidences sur
la conception des rapports entre les deux domaines. Dichotomie conservée
également chez Chomsky, quand il reformule "parole" en "performance" et
"langue" en "compétence", modifiant la place de la phrase et la conception
de la créativité (une dimension créative étant reconnue à la compétence par
24

la "créativité gouvernée par les règles").


Cependant, à part Jakobson qui discute la nécessité même d'une
dichotomie, les reformulations vont plutôt vers l'ajout d'un terme :
- Buyssens ajoute "discours" (partie fonctionnelle de la parole), entre
langue et parole ;
- Coseriu ajoute "norme", et remplace langue par "système" (le titre
de son ouvrage le plus connu est : Sistema, norma y habla ) ;
- Hjemslev s'intéresse surtout à la langue, et est gêné par la variété
de ce qu'elle recouvre. Il propose donc tout d'abord de l'analyser comme
comportant trois éléments : le schéma (forme pure), la norme (forme
matérielle), l'usage (ensemble des habitudes) ; il ne touche pas à la
parole. Par la suite, il se débarrassera de la norme, gardant "schéma",
"usage" et "parole". La plupart des passages du CLG traitant de la langue
lui paraissent de l'ordre du schéma.
L'opposition langue/parole s'est en définitive transmise, bien que ce soit
essentiellement selon l'axe d'opposition le plus facile (social /individuel) que
la vulgate structuraliste se la soit appropriée.

3.4. LA LANGUE COMME SYSTEME DE RELATIONS ( SYSTEME ,


VALEUR, FORME/SUBSTANCE, RAPPORTS ASSOCIATIFS ET
. SYNTACMATIQUES)

La langue est un système. Tel est, pour la plupart, le point-clef de


la théorie saussurienne et du structuralisme : le système est aussi
fondamental que le signe, auquel il est d'ailleurs lié dans l'énoncé "la
langue est un système de signes". Pourtant, au-delà des pétitions de
principe, ce qui fait de la langue un système, la valeur et le jeu des axes
associatif et syntagmatique, n'est pas toujours profondément pris en
compte.
L'histoire du structuralisme linguistique voit deux concepts de ce
champ acquérir un nouveau nom : "système" est concurrencé par
"structure", et "associatif" est presque totalement remplacé par
"paradigmatique". Nous allons nous interroger sur les enjeux de ces
modifications terminologiques.
On a déjà suggéré que la reformulation de "système" en "structure"
(qui n'est d'ailleurs pas totale : système se maintient, quoique plutôt en
commentaire que comme concept) avait des conséquences sur la conception
du système, illustrées en particulier par la disparition de la valeur de la
plupart des commentaires. La valeur... : ce concept n'est certes pas facile
à manier, et il n'existe, ni dans le CLG ni ultérieurement, guère de
propositions concrètes pour bâtir une méthode à partir de là ; mais, sans
elle, le système n'est qu'une banalité, sur laquelle on ne peut que
25
s'accorder.
Au-delà de pétitions de principe sur le primat de la forme ,
l'opposition forme /substance n'est guère commentée, ce qui risque de faire
oublier d'une part les enjeux de Saussure plaçait dans la mise à l'écart de
la substance, d'autre part son insatisfaction devant la notion de forme,
qu'il fait travailler dans la valeur. Seul Hjemslev réserve un sort
particulier à cette opposition qu'il croise avec "contenu" et "expression".
C'est à Hjelmslev que l'on doit la reformulation d '"associatif" en
"paradigmatique" : "c'est pour éviter le psychologisme adopté dans le
Cours de Ferdinand de Saussure que je substitue le terme de 'rapport
paradigmatique' à celui de 'rapport associatif'" (1936). Psychologisme ?
Sans doute Hjelmslev a-t-il rapproché "association" de ce qui ne pouvait
pas ne pas être évoqué à l'époque, la psychologie associationiste, bien que
ce ne soit pas le sens dans lequel Saussure utilise ce mot. Mais que penser
de la modification ?
- "paradigme" existe chez Saussure, les paradigmes de flexion
constituant un exemple d'association (CLG, p. 175). Puisqu'il avait l'usage
des deux termes, c'est volontairement que Saussure a utilisé "association",
auquel il a donné un sens plus large qu'à paradigme ;
- les associations saussuriennes peuvent jouer sur des éléments
irréductibles au rôle grammatical à l'intérieur du système (comme clément
associé à enseignement) . Le paradigme par contre ne comporte plus que la

commutation
Saussure quand
dans
il enunvient
syntagme,
au traitement
en conformité
grammaticald'ailleurs
de l'association
à ce 14que
. fait

Pourquoi les linguistes, dans leur immense majorité, ont-ils suivi


Hjelmslev dans sa reformulation, au point que c'est très généralement
"paradigme" qui figure dans les présentations pédagogiques de Saussure ?
par réflexe grammairien ? parce que l'association noie la grammaire dans le
symbolique ? parce qu'elle n'est pas utilisable ? L'association saussurienne,
limitée dans le paradigme structuraliste, est plus proche des mécanismes en
jeu dans l'exercice de la parole par un sujet, en même temps que
difficilement utilisable par un grammairien : l'appauvrissement serait donc
le prix à payer à la grammaire.
Jakobson, dans "Deux aspects du langage et deux types d'aphasie"
(1956, in 1963), propose une exploitation des deux axes en prolongement
de la perspective saussurienne, qui saura retenir l'attention de Lacan. Il
oppose l'axe de la similarité (sélection, associatif) et celui de la contiguïté
(combinaison, syntagmatique) : une aphasie due à un trouble de la
similarité fait perdre la faculté de placer les mots dans un schéma, alors
qu'un trouble de la contiguïté conduit à l'agrammatisme. Une reformulation
dans les termes rhétoriques de métaphore (sélection) et métonymie
26

(combinaison) lui permet un parallèle entre fonctionnement du langage et


fonctionnement du rêve tel qu'il est décrit par Freud. Pour lui, le
symbolisme est de l'ordre de la métaphore, et condensation et déplacement
sont de l'ordre de la métonymie. Lacan reprendra cette problématique.
L'attitude devant les deux axes distingue les unes des autres les
écoles linguistiques. Seule la glossématique a accordé une importance égale
à chacun des deux axes. Le distributionalisme est surtout fondé sur
l'analyse syntagmatique, et le Cercle de Prague donne à l'organisation
associative une raison d'être intrinsèque.
La tendance à privilégier un axe sur l'autre n'est d'ailleurs pas
spécifique des écoles linguistiques : quand le modèle va essaimer dans les
sciences humaines, on retrouvera ce même trait. Ainsi, dans l'étude des
mythes et des contes, on peut opposer le modèle de Propp (1928),
syntagmatique, au modèle paradigmatique que Lévi-Strauss, inspiré par la
phonologie de Troubetzkoi', mettra en oeuvre.

Ce rapide passage en revue du destin des notions saussuriennes 15 ,


telles qu'elles vivront dans le structuralisme linguistique et dans le
structuralisme élargi, invite à un bilan mitigé. D'abord sur le projet
même : il y a de l'artefact à traiter des notions en les isolant les unes des
autres, pour souligner à quel point elles sont traitées isolément dans ce
qu'on appelle la vulgate.
Du point de vue de la littéralité des notions, qu'on s'en saisisse pour
les adopter, les reformuler ou les rejeter, il apparaît qu'il y a un
"effet-Saussure" : les linguistes continuent bien souvent à se définir par
rapport à des concepts qui ont donc pour effet de les faire penser.

4. DE LA LINGUISTIQUE AUX SCIENCES HUMAINES

Communication, signification, code /message, discours... Ces termes


viennent s'ajouter dans l'usage du structuralisme généralisé à ceux qui
sont directement d'origine saussurienne. Ils sont extérieurs au saussurisme
et à la linguistique structurale, bien qu'ils appartiennent incontestablement
au lexique du langage. Il nous reste maintenant à voir leur place dans le
structuralisme en sciences humaines.
L'histoire du structuralisme aurait pu s'arrêter sur les épisodes
internes à la linguistique des remises en cause théoriques. Il n'y aurait
plus qu'à ajouter qu'il a continué, après les années cinquante, son
existence jalonnée par des productions prévisibles, à côté d'autres théories
dont certaines le remettent profondément en cause.
27

Pourtant, l'histoire ne s'arrête pas là. Vers la fin de la guerre de


quarante apparaissent, d'abord en ethnologie, puis dans d'autres sciences
humaines, des travaux qui, pour l'opinion publique, en viendront à
représenter le structuralisme même. En quelques années, des gens aussi
divers venant de disciplines et de problématiques aussi différentes que
Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes, Jacques Lacan, Michel Foucault,
Louis Althusser, Jacques Derrida..., vont se voir accoler l'épithète de
structuralistes, alors que le seul d'entre eux à la réclamer explicitement
est Lévi-Strauss.
Les futurs structuralistes ont lu Saussure dans les années quarante,
cinquante ou soixante, à travers trois truchements privilégiés : Jakobson
(surtout pour Lévi-Strauss et pour Lacan), Hjelmslev (surtout pour
Barthes) et Benveniste (que Lacan décrit comme ''le plus grand qui fût
parmi les Français", 1970). Mais Barthes (1968) atteste qu'on a pu, dans
le champ de l'analyse littéraire, considérer les trois comme un dispositif de
remise en cause des analyses traditionnelles : "On connaît le rôle de Roman
Jakobson dans cette offensive <...>. Du point de vue français, il faut y
ajouter l'action d'autres linguistes qui ont apporté des concepts dont
l'étude du discours tire un profit naturel : notamment Hjelmslev, avec la
forme du contenu et la connotation, Benveniste, dont les réflexions sur
l'énonciation se sont révélées très proches de certaines recherches des
écrivains eux-mêmes".
Des trois, c'est le personnage de Jakobson qui joue, du moins pour
les acteurs, le rôle majeur, surtout par l'influence qu'il a exercée sur
Lévi-Strauss, qui lui-même a pu être appelé "le père du structuralisme"
pour plusieurs raisons : son rôle de pionnier (ses premiers écrits
structuralistes sont de 1945), son adhésion sans arrière-pensées (il est le
seul à recourir volontiers aux termes de "structure" et de "structural"
dans les titres de ses ouvrages), sa constance (que l'on peut opposer aux
réticences de Barthes dans les années soixante-dix, qui en parlant de
"l'aventure sémiologique", laisse entendre qu'elle est pour lui terminée),
son audience (c'est par lui que Lacan a eu accès à Jakobson, et par là à
Saussure) .

4. 7. LE GRAND MESSAGER DU STRUCTURALISME

"Linguista sum ; nihil linguistici a me alienum puto." C'est par ce


démarcage de la célèbre formule de Térence que Jakobson aime à se
définir. Il se présente ainsi, aux antipodes de la conception saussurienne
et de son objet restreint , comme un relais indispensable pour la diffusion
des thèses saussuriennes , entre les exigences de la linguistique et celle
des autres sciences humaines. La figure de Jakobson tranche pairai les
28

linguistes , de plusieurs manières :


- son internationalisme : de Moscou à Prague, de Prague qu'il fuit
devant l'invasion nazie, à Copenhague puis Oslo (1939), Stockholm et
Upsala (1940) pour finalement s'installer définitivement à New York où il
commence par enseigner à l'Ecole Libre des Hautes Etudes nouvellement
créée par des réfugiés français et belges, avant d'être appelé à Columbia
University puis au MIT . Il a toujours été à l'aise dans de nombreuses
langues (de lui-même, il dit : "je parle russe en dix-neuf langues") ;
- ses intérêts extrêmement variés. S'il est avant tout phonologue et
poéticien, ses intérêts constants à travers soixante années d'activité
scientifique le portent vers la linguistique générale, la traduction, la
littérature et la poétique, le folklore, l'ethnographie, l'acquisition et la
perte du langage, la glossolalie... Plus de deux cents chercheurs
participeront à l'hommage qui lui est rendu pour son soixante-dixième
anniversaire (To honor Roman Jakobson, 1966) ;
- ses goûts de déclencheur et d'organisateur, qui le verront
participer à de nombreuses créations de cercles et de revues , et impulser
de larges discussions partout où il va.
Sa conception de la langue a toujours été influencée par une relation
à la littérature et à l'art : "ce qui m'a le plus influencé, dans mon
approche de la poétique et de la linguistique, ce fut mon intimité avec les
poètes et les peintres d'avant-garde" (1984). Les époques européennes de
sa vie sont marquées par la fréquentation de peintres et de poètes
(Malevitch, Maïakovski, Khlebnikov, Pasternak, Eisa Triolet, les Brik ...
en Russie ; Nezval, Seifert, Teige... en Tchécoslovaquie). Dans la phase
américaine, il fréquentera plutôt des scientifiques : le physicien Niels
Bohr, le biologiste François Jacob, le neurologue Luria, le cybernéticien
Wiener, le philosophe analytique Quine, le sémioticien Peirce qu'il dit "la
source d'inspiration la plus puissante" qu'il ait trouvée aux Etats-Unis.
Son amitié avec Troubetzkoi' à Prague avait constitué un creuset pour la
naissance de la phonologie ; celle qui le lie à Lévi-Strauss à New York à
partir de 1942 sera décisive pour l'extension du structuralisme hors de la
linguistique.
Jakobson reconnaît de nombreuses influences très diverses, mais il
continuera toujours à affirmer l'importance qu'il accorde au CLG : "les
cinquante années qui ont suivi la parution du CLG ont marqué un
développement sans précédent et une révision capitale de la recherche
linguistique ; la meilleure manière d'en retracer les innovations essentielles
est peut-être de les confronter avec la doctrine saussurienne, souvent
considérée comme le point de départ d'une nouvelle ère dans la science du
langage" (1984).
29

Cependant, son intérêt va davantage au ferment de réflexion qu'au


corps de doctrine. Car il n'est pas un concept saussurien qu'il ne soumette
à critique, de façon plus ou moins radicale. A commencer par l'idée même
que des dichotomies soient nécessaires pour définir l'objet de la
linguistique : "les progrès vers une synthèse des 'dualités internes'
marquent vraiment l'étape post-saussurienne de la linguistique". Ainsi est
remise en cause la conception saussurienne d'un objet spécifique du
linguiste, et, les dichotomies n'étant pas reconnues comme dispositif de
mise à l'écart, on peut les critiquer une par une.
L'arbitraire du signe est peu à peu révisé, au profit d'une motivation
du lien entre signifiant et signifié. La linéarité du signifiant est remise en
question par l'analyse des phonèmes en traits distinctifs. Conséquence de
la critique de l'arbitraire du signe, la non-pertinence de la substance pour
l'étude de la forme est récusée. La dichotomie langue/parole est annulée
("l'analyse du code prend en compte les messages et vice-versa") , de même
que synchronie /diachronie ("les changements linguistiques participent d'une
synchronie dynamique"). Les deux axes sont conservés mais redéfinis de
façon à ce que le paradigmatique puisse accueillir l'opposition marqué /non
marqué ; ils seront plus tard redéfinis en métaphore et métonymie. Même la
distinction entre linguistique interne et linguistique externe s'efface : "la
détermination du cadre socio-culturel de la langue et des tâches historiques
que cela implique me parait être un complément nécessaire à l'analyse
globale de la structure interne de la langue" (1985). On ne saurait
contester davantage l'ensemble du paysage saussurien.
Il est par ailleurs une idée qui le retiendra toute sa vie, et qui non
seulement ne doit rien à Saussure, mais constitue une autre logique
linguistique, c'est celle de "fonctions du langage". Depuis l'opposition un
peu simple du formalisme russe entre langue quotidienne et langue
poétique, en passant par les fonctions praguoises inspirées des trois
termes de Bühler (représentation, expression et appel) à quoi les Praguois
ajoutent la fonction poétique, jusqu'au bien connu schéma de la
communication inspiré de la théorie de l'information de Shannon et Weaver,
dans lequel il distingue six fonctions (référentielle, émotive, conative,
phatique, métalinguistique et poétique - "Linguistique et poétique", 1963).
Alors, pourquoi, s'il suit si peu Saussure, reste-t-il attaché à
Saussure ? C'est qu'il a trouvé dans le CLG, et définitivement adopté pour
l'étude de la langue, le principe de différence comme accès au système. Il
voit la clef de son oeuvre comme : "l'invariance dans la variation : c'est là
le thème dominant, mais aussi l'outil méthodologique sous-jacent, de mes
travaux certes divers mais homogènes" ("Mes thèmes favoris", in 1984). On
pourrait reprendre ce propos comme slogan du structuralisme : "montrer
les invariants à travers la variété" (1976)1®.
30

Comme toute sa pensée le conduit aux frontières des autres sciences


humaines, il donne une représentation des relations entre les disciplines,
comme une imbrication de cercles concentiques :
sciences biologiques de la communication
sciences anthropologiques de la communication
sémiotique
linguistique

Jakobson montre ainsi un profil théorique qui semble beaucoup plus à


même d'attirer les sciences humaines que ne pouvait le permettre une
théorie exclusiviste comme celle de Saussure. Aussi est-ce bien souvent la
présentation par Jakobson de la linguistique générale, et en particulier de
la sémiotique qui influencera les structuralistes ; et comme Jakobson
lui-même continue à saluer Saussure comme son inspirateur fondamental, ils
se disent saussuriens en étant jakobsonniens.

4. 2. PARCE QUE "LE LANGAGE EXISTE"

Dès le début des années cinquante, les références à Saussure et au


structuralisme se multiplient. L'ethnologie, la psychanalyse, l'archéologie
du savoir, la philosophie, l'épistémologie, la critique littéraire, le
marxisme... qu'est-ce que des chercheurs de ces différents champs
peuvent donc avoir de commun, au-delà de la conjonction temporelle, qui,
hors de tout objectif commun, conduise à les considérer comme faisant
partie d'un même mouvement ? et comment le caractériser ?
Ce structuralisme "élargi" ou "généralisé" est essentiellement français.
Pourquoi spécialement en France ? pourquoi si peu ailleurs ? Bien qu'on
trouve dans la conjoncture de la philosophie et des sciences humaines des
années cinquante des éléments pour aborder ces questions, il ne s'agit pas
ici de traiter du structuralisme en général, et nous nous contenterons
d'envisager le rapport avec la linguistique.
Malgré de profondes dissemblances, il est un principe d'unité de ces
travaux : ils se reconnaissent dans une certaine relation au langage, au
discours, à la linguistique, à la linguistique structurale, ou à la
linguistique saussurienne. "Pour toutes ces personnes-là, le langage
existe", dira Barthes (1988). Il existe, il est thème de réflexion, et c'est
là un point de rupture avec l'existentialisme de la période précédente.
La référence à Saussure peut être d'application stricte de la méthode
structurale et de la phonologie (Lévi-Strauss), d'utilisation de certains
éléments sans effets sur la problématique globale (Lacan), de sélection de
quelques concepts parmi d'autres apports (Barthes), ou de rejet de la
problématique du signe en tant que point d'ancrage du phonologisme
31

(Derrida) ; ou absente, comme chez Foucault ou Althusser, pour qui le


rapport au langage ne passe pas par la linguistique, mais par le texte, par
la lettre du texte. *
Parmi d'autres axes de différenciation possibles, le filtre de la
référence à Saussure et à la linguistique structurale révèle une grande
hétérogénéité ; il faut donc distinguer des niveaux de structuralisme ;
nous en distinguerons trois, ce qui nous conduira à envisager deux degrés
dans ce que nous avons jusqu'à présent appelé "structuralisme élargi" :
- la linguistique structurale, généralement référée à Saussure en tant
que figure en partie fantasmatique de père fondateur ;
- la sémiologie, ou structuralisme au sens restreint. Les concepts
qu'elle met en avant portent souvent le nom de concepts saussuriens, mais
il en est aussi d'autres, et c'est essentiellement à travers les
reformulations proposées par Jakobson ou par Hjelmslev que la transmission
a pu se faire aux sciences humaines. Les représentants de ce courant sont
Lévi-Strauss et le Barthes de la période qui va de Mythologies (1957) au
début des années soixante-dix, époque où il perd son intérêt pour une
méthode qui s'applique à tout, et où il fait retour aux textes ;
- le structuralisme au sens large, contexte philosophique plus que
méthode, qui regroupe des thèmes aussi différents que la psychanalyse
lacanienne, l'archéologie du savoir foucaldienne et la grammatologie
derridienne, tous travaux qui peuvent être comparés les uns aux autres
par ce qu'ils refusent en commun : l'existentialisme, la psychologie, et
l'usage réducteur de la phénoménologie tel qu'il a cours en France.
Notre présente étude s'arrêtera à la sémiologie, car le structuralisme
au sens large ressortit davantage d'une étude historique ou philosophique,
et ses liens à notre point de départ, Saussure, deviennent extrêmement
ténus .

4.3. LES VRAIS STRUCTURALISTES

New York, 1942. A l'Ecole des Hautes Etudes de New York, Jakobson
donne, en français, une série de cours autour du phonème, qui seront
édités bien plus tard en Six leçons sur le son et le sens (1976). Parmi les
auditeurs, l'un des professeurs de l'Ecole, l'ethonologue français Claude
Lévi-Strauss. Trente ans plus tard, Lévi-Strauss préface l'ouvrage de
Jakobson et dit comment leur rencontre a bouleversé la conception qu'il se
faisait de sa discipline.
Il n'y a que peu de différence de ton entre les premiers articles de
Lévi-Strauss sur l'anthropologie structurale (1945), emplis d'un
enthousiasme un peu naif, et ce qu'il peut écrire trente ans plus tard. En
1945 : "la revue Word se doit aussi d'accueillir les psychologues,
32

sociologues et ethnographes anxieux d'apprendre de la linguistique moderne


la route qui mène à la connaissance positive des faits sociaux".
De Jakobson, il a reçu la "révélation" à la fois de Saussure et de la
phonologie. Aussi part-il d'un article-programme de Troubetzkoi’ qui décrit
la phonologie à travers quatre caractères :
- elle passe de l'étude des phénomènes linguistiques conscients à celle
de leur infrastructure inconsciente ;
- elle refuse de saisir les termes comme des entités indépendantes
pour s'occuper de leurs relations ;
- ces relations s'expriment dans un système ;
- elle vise à la découverte de lois générales .
L'analogie est immédiatement posée : "Dans un autre ordre de réalité,
les phénomènes de parenté sont des phénomènes du même type que les
phénomènes linguistiques" ; il sera donc possible de leur appliquer une
"méthode analogue quant à la forme". Analogue, le découpage de système à
l'intérieur d'un matériau continu (sonore ou social) ; analogues, les termes
qui ne valent que par leurs relations.
Plus tard, Lévi-Strauss poussera l'analogie plus loin : "Comme le
phonème, moyen sans signification propre pour former des significations, la
prohibition de l'inceste m'apparut faire charnière entre deux domaines
tenus pour séparés" (1976). De même que les phonèmes ne valent que par
leurs rapports oppositifs, tout système de parenté se caractérise par deux
termes de base (homme /femme) entrant dans des relations d'alliance, de
filiation et de consanguinité) . Ce qui, du système linguistique, est ici mis
en valeur, c'est le primat du système sur les termes. La comparaison est
étendue au mythe qui, lui aussi, "se compose d'éléments combinés entre
eux pour former des significations, sans rien signifier par eux-mêmes
quand on les prend isolément". Lévi-Strauss va jusqu'à forger le curieux
vocable de "mythème", élément de base du mythe.
Présentée ainsi, l'analogie semble un peu caricaturale. Mais
Lévi-Strauss a aussi su montrer qu'il pouvait ainsi produire des analyses.
Par exemple, en reprenant l'analyse de Radcliffe-Brown sur la relation
avunculaire, il montre que celui-ci n'a pas su l'expliquer, faute de saisir
l'ensemble du système de la famille comme une structure.
Si Barthes peut être rapproché de Lévi-Strauss, c'est que lui aussi
cherche à tirer de la linguistique structurale une méthodologie
immédiatement praticable .
C'est à partir de 1957 que Barthes commence à lire Saussure, comme
il le raconte dans la préface qu'il ajoute en 1970 à une réédition de
Mythologies : "Je venais de lire Saussure, et j'en retirai la conviction
qu'en traitant les 'représentations collectives' comme des systèmes de
33

signes on pouvait espérer sortir de la dénonciation pieuse". On peut donc


distinguer trois périodes dans l’utilisation que fait Barthes de la
sémiologie :
- la première, illustrée par Mythologies et par le texte théorique qui
y fait suite ("le mythe aujourd'hui"). Barthes ne fait appel qu'à quelques
éléments du dispositif structuraliste : signe, signifiant et signifié adoptés
de Saussure, et les distinctions hjelmsleviennes entre dénotation et
connotation, et entre langage-objet et métalangage. Cette période est très
productive, et en parlant plus tard des quelques soixante dix articles
écrits entre 1957 et 1963, il évoquera un véritable "enchantement
méthodologique" devant un programme de travail potentiellement infini.
- Système de la mode (paru en 1967), conçu de façon concommitante
au texte théorique Eléments de sémiologie (1965) constitue une mise en
oeuvre de la notion de système, du primat du système sur les éléments, et
de la différence. Barthes a découvert Lévi-Strauss, Troubetzkoi dont la
comparaison entre phonologie et étude du costume le ravit, et Jakobson, à
qui il ne fait d'abord que quelques emprunts terminologiques (comme
"shifter") .
Pour désigner ces deux premières périodes, Barthes parlera d'une
première époque sémiologique, taxinomique, qu'il verra ultérieurement
comme un "projet naif" et statique.
- A ces deux premières périodes, il en oppose une troisième, où il
retourne a une réflexion sur des phénomènes dynamiques et historiques :
c'est celle de la maturité de la sémiologie, nourrie de préoccupations
épistémologiques plus larges. C'est surtout par le retour à la littérature
qu'il ajoutera progressivement d'autres concepts à l'appareil jusqu'alors à
l'oeuvre ; il conduit par exemple "connotation" jusqu'aux lectures plurielles
permettant d'étudier la réception. Au cours des années soixante,
parallèlement au travail de Barthes, Julia Kristeva, Gérard Génette,
Jacques Derrida, Tzvetan Todorov (qui traduit et introduit en France les
Formalistes Russes) ou l'Italien Umberto Eco ont su montrer sur un objet
aussi subtil que la littérature, en évitant l'application homologique de la
linguistique, les capacités réflexives du structuralisme.
Les années cinquante voient une généralisation de la référence à
Saussure, y compris chez des gens qui n'en feront pas une exploitation
structuraliste. En 1953, le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dans sa
Leçon inaugurale au Collège de France, sera le premier à évoquer le signe
et Saussure : "La théorie du signe, telle que la linguistique l'élabore,
implique peut-être une théorie du sens historique qui passe outre à

l'alternative
avoir esquisse
des une
choses
nouvelle
et desphilosophie
consciences.de <...>
l'histoire"
Saussure
17 . Merleau-Ponty
pourrait bien
34

jouera un grand rôle dans les années cinquante pour la diffusion dans la
philosophie de la référence à Saussure.

4.4. LANGAGE ET SUJET

En prenant comme critère une progressive distance par rapport à


Saussure, nous pouvons classer les autres structuralistes en deux
groupes : d’une part Lacan et Derrida, qui font travailler des concepts
empruntés à Saussure ; d'autre part Foucault et Althusser : le sens dans
lequel on peut se demander à leur propos s'ils sont structuralistes n'a plus
rien à voir avec la linguistique structurale.
Chez Lacan et Derrida, il est possible de repérer - brièvement - des

tracesPour
d'un Lacan
rapport
18 , à Saussure.
on distinguera deux périodes différentes dans sa
lecture de Saussure. La première, jusqu'au "Discours de Rome" (1953),
reste influencée par Lévi-Strauss. Puis, entre 1953 et 1963, il effectue une
nouvelle lecture à la lumière de Jakobson, qu'il cite presque à égalité avec
Saussure. Ce travail sur le texte saussurien va lui permettre d'accomplir
une véritable refonte de la construction freudienne. La fécondité de cette
réflexion se manifeste dans "l'instance de la lettre" (1957, in 1966), où la
problématique du signe et du signifiant le conduit, par une mise en oeuvre
de la notion de valeur, à montrer que toute signification renvoie toujours à
une autre. A la même époque, du texte de Jakobson "Deux aspects du
langage et deux types d'aphasies", il retient le rapport entre les deux
axes de la métaphore et de la métonymie pour concevoir le fonctionnement
langagier de l'inconscient (et la thèse "l'inconscient est structuré comme un
langage"). L'abord de Saussure par Lacan est donc une saisie de quelques
éléments retravaillés dans sa propre perspective ; le rapport à Saussure se
fera d'ailleurs de plus en plus lointain dans la plupart des séminaires, à
partir des années soixante.
Quant à Derrida, il fait explicitement une critique de la théorie du
signe de Saussure, dont il cherche à montrer le lien avec une certaine
métaphysique (le phonocentrisme comme logocentrisme) . Pour libérer le
projet sémiologique d'une linguistique fondée sur le phonologisme , il
propose de reformuler "sémiologie" en "grammatologie". Saussure n'est plus
dès lors qu'une référence rejetée.
Pour ces deux auteurs, c'est donc en faisant un usage très large du
terme "structuraliste" que l'on parvient à les caractériser comme tels,
malgré l'importance qu'ils accordent l'un et l'autre au texte même du CLG.
Pour Foucault et Althusser, la qualification de structuralistes est
encore plus nettement métaphorique : il n'est pas question de chercher une
référence à Saussure dans leur travail. Disons simplement que le climat
35

structuraliste a pu avoir un effet momentané sur leur travail comme


l'indique une précision qu'apporte Althusser lors d'une réédition 19 en 1968
d'un texte de 1963 : "Malgré les précautions prises pour nous distinguer
de l'idéologie 'structuraliste', <...> malgré l'intervention décisive de
catégories étrangères au 'structuralisme' <...>, la terminologie que nous
avons employée était sous divers aspects trop voisine de la terminologie
'structuraliste' pour ne pas donner lieu à une équivoque".
Ce constat d'hétérogénéité entre les structuralistes nous ramène à ce
que nous avons considéré comme leur point commun : la référence au
langage. Un autre point commun sera les incidences du langage sur la
conception du sujet. Pour tous, le sujet se dissout dans le langage car, si
loin que l'on remonte, le langage est toujours antérieur.
Mais on peut encore les séparer en deux groupes, qui conduiront

certains
en fonction
commentaires
de ce quià opposer
est fait "structuralisme"
de ce langage toujours-déjà
et "post-structuralisme",
là 20 . Chez
Barthes ou Lévi-Strauss, le fait de transférer sans réélaboration
fondamentale les concepts de la linguistique conduit à conserver l'idée
d'une nature humaine, objet spécifique et principe explicatif. Au contraire,
Lacan, Derrida, Foucault et Althusser rejettent une telle conception du
sujet, et ce qu'on a pu appeler leur "anti-humanisme" est l'abandon de la
sujétion transcendantale : le fait que le langage soit toujours-déjà là définit
le sujet en tant que position, jamais en tant que substance.

Structuralisme stricto sensu ou structuralisme élargi, le constat est le


même. Si l'on prend la théorie de Saussure terme à terme, ou même dans
sa globalité, peu de choses passent à la postérité linguistique. Si l'on se
demande ce qui reste à Saussure dans le structuralisme élargi, on ne
retrouve guère qu'une exigence sur le langage, bien commun des
linguistes. Faut-il donc en conclure que son influence n'est qu'un
fantasme ? Pas vraiment, car il aura permis de penser à une bonne partie
du XXè siècle.

NOTES
1. La version définitive de cet article doit beaucoup à des discussions
avec Bernard Conein, Michel de Fornel et Denise Maldidier, ce qui ne
veut .pas dire que je partage toujours leur point de vue (ni eux le
mien)

2. Pour une description de la genèse du Cours de linguistique générale,


voir Tullio
éditions
Gadet (1987).
actuelles
de Mauro,
du CLG
apparat
. Voircritique
aussi les
et notice
deux premiers
biographique
chapitres
dans les
de

3. Engler (1976 et sq.) donne des indications sur ces traductions.


36

4. Tullio de Mauro en dénombre quinze pour la première édition, dont


ceux de Grammont , Jespersen , Meillet , Schuchardt , Séchehaye , et
sept pour la deuxième (1922), dont ceux de Marouzeau et Uhlenbeck.
5, Au moment où son article, paru initialement en 1965, est reproduit
dans les Selected Writings, jakobson ajoute une note concernant la
dissolution du Linguistic Circle of New York.
6. Dans la préface qu'il donne à la traduction française de l'ouvrage de
Hjelmslev, le langage.
7. Voir Gadet (1987), p. 66 pour les effets de cette bévue sur
l'interprétation.
8. Sur ce point, voir Gadet 1987, chapitre 5.
9. Dont il est difficile de dire s'il emprunte ou non à Benveniste.
Quoiqu'il en soit, le texte de Benveniste est antérieur. Voir
Normand, 1985.

10. C'est cette constatation qui fait écrire à Engler étudiant le destin des
antinomies : "les mots, qui n'ont pu abuser Saussure vivant, ont eu
le dessus après sa mort" (1966).
11. Voir Mannoni (1969) et Arrivé (1985).

12. Notre objet n'est pas d'exposer ici les implications de l'arbitraire du
signe. Voir Normand 1973, et Gadet 1987, chapitre 3.
13. Ce qui n'a rien à voir avec la motivation relative.
14. Voir CLG p. 189 ; pour un commentaire, Gadet 1987 chap. 6, et
Normand, passim.

15. Pour un passage en revue systématique, voir Koerner 1973.

16. même
C'est et
d'ailleurs
l'autre. ce que souligne Descombes à travers le titre : Le

17. Cité par Descombes, qui donne par ailleurs des éléments pour
terreau
comprendre
le structuralisme
la conjoncture
intervient.
philosophique de cette époque, et sur quel

18. Voir Roudinesco 1986, p. 308 sq.


19. Il s'agit de Lire le Capital, écrit avec Etienne Babilar paru en 1968 à
Paris chez Maspero (avec une préface ajoutée par Althusser).
20. Voir le travail de Paul Henry (1988) qui, en cherchant à présenter
l'analyse de discours en France, et spécialement les travaux de Michel
Pêcheux, des
contexte metannées
en place
soixante.
une réflexion sur le structuralisme dans le

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Françoise G AD ET
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