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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M.

Tarrier

SL0005X
Histoire de la linguistique

Présentation générale
Le thème “ Histoire de la linguistique ” fait partie, avec “ Diversité des langues ” et “ Origine
et développement du langage ”, de l’UE 5 destinée aux étudiants de L1 (Licence1ère année) en
Sciences du langage.
Le Programme de ce thème s’articule autour de six grands chapitres :
I. Port-Royal et la grammaire générale
II. La linguistique historique et la grammaire comparée
III. Ferdinand de Saussure et le Cours de linguistique générale
IV. Le structuralisme européen
V. Le structuralisme américain
VI. La linguistique générative

Tout en présentant une description raisonnée des principaux courants de la linguistique


occidentale, ce cours a pour objectif de permettre aux étudiants d’aborder cette discipline, non
pas comme un domaine ‘monolithique’, mais comme le lieu d’une continuelle réflexion
critique.
Vous recevrez l’ensemble de ce cours en un envoi que vous lirez dès réception.

Introduction à la thématique
L’objectif de ce cours est de présenter un panorama des courants les plus marquants qui ont
pu animer la réflexion et la recherche dans l’étude des langues naturelles et du langage. La
linguistique est trop souvent perçue par les étudiants de façon “ monolithique ”, or les
conceptions, les méthodes, les préoccupations des linguistes (en correspondance avec celles
des penseurs -au sens large- de leur temps) ont sans cesse évolué. Les linguistes ont ainsi pu
aborder différents aspects de l’étude des langues mais toujours en affinant et précisant
davantage leurs outils théoriques. Une science n’est jamais donnée comme telle mais se
construit et se modifie, “ s’autonomise ” tout en construisant et en expérimentant son propre
objet d’étude.
Il ne s’agit pas ici de remonter jusqu’à Platon, ni de prendre en compte l’intégralité des
travaux et des réflexions majeures qui ont pu voir le jour dans l’histoire des civilisations. Le
programme se limite, de façon pragmatique, aux courants les plus récents de la linguistique
occidentale (soit à partir du XVIIe siècle). Leur connaissance s’avère en effet indispensable
pour comprendre pleinement les débats et enjeux actuels de la discipline. De manière plus
précise, il s’agit de partir de la grammaire de Port-Royal qui, avec l’étude du langage, projette
une analyse de la pensée humaine, puis la linguistique historique qui abandonne la perspective
statique des grammairiens de Port-Royal pour introduire une dimension historique dans
l’étude des langues, puis la pensée structuraliste qui marque l’établissement de ce que l’on
appelle la linguistique générale avec les différentes sensibilités ou écoles qui ont pu s’y

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exprimer, et enfin la linguistique générative qui, tout en développant et repensant certaines


évolutions du structuralisme, reprend également certains des aspects de la problématique de
Port-Royal, tout particulièrement son "mentalisme".
Au delà de l’exposé historique, la volonté est ici de préparer les étudiants à mieux
percevoir et comprendre la multiplicité des courants actuels au sein des sciences du langage,
et ce, en les sensibilisant dès à présent à la pluralité de la réflexion élaborée au cours de ces
siècles derniers.

Éléments de bibliographie
Le cours du SED ne constitue qu’une sensibilisation à la thématique. Seules des lectures
personnelles sont susceptibles d’approfondir et d’enrichir cette première approche, aussi est-il
indispensable de ne pas se limiter à la simple lecture du polycopié mais de lire également
quelques ouvrages. La liste ci-dessous n’est nullement exhaustive, elle sera d’ailleurs
ponctuellement complétée tout au long du cours.

AUROUX, S., éd. (1989-2000). Histoire des idées linguistiques, 3 volumes. Bruxelles-
Liège : Mardaga.
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Éditions du Seuil.
KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Éditions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Éditions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman.

L’excellent ouvrage introductif de Robins, malgré une réédition récente de sa


traduction française en 1994, est malheureusement épuisé et n’est donc plus consultable qu’en
bibliothèque. Les étudiants qui possèdent un minimum d’anglais pourront cependant
s’orienter vers sa récente réédition en langue anglaise. Le livre de Kristeva est également un
ouvrage introductif qui permettra, éventuellement, de compléter la lecture du précédent ou de
constituer une solution de ‘remplacement’. La lecture de certains des articles du dictionnaire
encyclopédique édité par Ducrot et Schaeffer pourra être précieuse en ce que, sous une forme
à la fois dense et concise, ils permettent d’aborder une réflexion théorique parfois plus
approfondie. L’ouvrage édité par Auroux est indiqué à simple titre consultatif. Avec ses trois
volumes, il constitue un travail considérable dont l’objectif est de retracer les étapes de la
pensée linguistique dans le monde. La lecture des pages relatives au programme permettra de
nuancer et d’affiner là où le cours, pour les besoins immédiats de l’exposé, tend à dresser une
vision quelque peu ‘tranchée’. Enfin, vous retrouverez à la fin de chaque chapitre une
sélection de textes illustrant les propos du cours.

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I - Port-Royal et la grammaire générale

Plan du cours

1. L’étude des langues et du langage dans le XVIIe siècle français


1. 1 Essor de l’intérêt pour l’étude des langues étrangères
1. 2 L’épanouissement du “ bel ” usage
1. 3 La conception rationaliste de la grammaire générale
2. Le projet d’une grammaire générale
2. 1 Généralités
2. 2 La question de la représentation
2. 3 La question de l’universalité
3. Éléments de grammaire raisonnée
3. 1 Les catégories du discours
3. 2 De l’universalité de certaines règles
3. 3 Une théorie des figures
3. 4 Syntaxe de la proposition
4. Influence de Port-Royal, les successeurs
TEXTE I : ARNAULD, A. et LANCELOT, C. (1660)
TEXTE II : ARNAULD, A. et NICOLE, P. (1662)

Bibliographie

ARNAULD, A., et LANCELOT, C. (1660). Grammaire générale et raisonnée. Paris (fac-


similé publié à Paris (1969) avec une préface de Michel FOUCAUD).

ARNAULD, A. et NICOLE, P. (1662) Logique de Port Royal. Paris : Flammarion.

AUROUX, S., éd. (1990-93). Histoire des idées linguistiques, Tome 2. Bruxelles-Liège:
Mardaga. (en particulier pp. 424-441)

CHOMSKY, N (1966) Cartesian Linguistics. New York : Harper and Row (traduction
française (1969). La linguistique cartésienne. Paris : Editions du Seuil)
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 15-19)

KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Editions du Seuil. (pp. 156-189)

MALMBERG, B. (1991). Histoire de la linguistique de Sumer à Saussure. Paris : PUF,


Fondamental. (pp. 198-206)

ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :


Editions du Seuil.

ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman. (pp.
140-188)

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1. L’étude des langues et du langage dans le XVIIe siècle français

1. 1 Essor de l’intérêt pour l’étude des langues étrangères


Une des caractéristiques du XVIIe siècle est incontestablement un essor de l’intérêt pour
l’étude des langues étrangères, de même qu’une augmentation du nombre des langues
apprises, ce qui n’est pas sans entraîner une réflexion d’ordre souvent pédagogique dans la
conception des grammaires. C’est ainsi qu’un certain Claude Lancelot rédige une série de
grammaires latine, grecque, italienne, espagnole dont l’originalité réside dans le fait que les
règles et leurs commentaires ne sont pas écrits dans la langue étudiée, mais dans celle de
l’apprenant (hormis les exemples bien entendu). Une telle démarche répond tout d’abord à
une préoccupation pédagogique : l’apprenant doit partir de ce qui lui est connu (sa propre
langue) pour progressivement aborder ce à quoi il est sourd (la langue qu’il ne connaît pas
encore). Cette idée est en fait sous-tendue par une autre selon laquelle les principes généraux
qui régissent une langue particulière ne sont pas réductibles aux simples formes et usages de
celle-ci, mais participent d’un niveau supérieur susceptible d’être exprimé dans toutes les
langues. C’est précisément cette conception qui sera finalement à l’origine d’un projet qui va
dominer durablement les études sur les langues et le langage, le projet d’une Grammaire
générale et raisonnée.

1. 2 L’épanouissement du “ bel ” usage


Le XVIIe siècle français est également marqué par la préoccupation de systématiser et
régenter la langue de même que par l’épanouissement de ce qu’il est convenu d’appeler le
“ bel ” ou le “ bon ” usage. Cette époque s’accompagne du renforcement du centralisme
monarchique et, parallèlement, du développement d’une vie de Cour. Le souci de réglementer
la langue est donc loin d’être étranger à des préoccupations d’ordre politique et la fondation,
en 1634, de l’Académie française par Richelieu s’inscrit pleinement dans cette perspective.
Les statuts de cette nouvelle institution énoncent clairement :
La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et
toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre
pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences.
Le grammairien et linguiste Vaugelas (1585-1650) dirigea les travaux de l’Académie
française et publia en 1647 ses Remarques sur la langue française. Cet ouvrage érige en
norme l’usage prévalant à la Cour. ‘Bien parler’ c’est alors connaître et appliquer le code
d’une élite sociale. Dans la préface à ses Remarques, il définit ainsi l’usage :
C’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la
façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps (…) ; il est vrai que
d’ajouter à la lecture la fréquentation de la Cour et des gens savants en la langue est
encore tout autre chose, puisque tout le secret pour acquérir la perfection de bien
écrire ne consiste qu’à joindre ces trois moyens ensemble. (Préface aux Remarques
sur la langue française, I.)

1. 3 La conception rationaliste de la grammaire générale


A ce point de vue normatif se bornant à établir une classification des usages linguistiques va
s’opposer une autre conception où la grammaire sera conçue comme une science déductive
comparable à la logique. C’est le point de vue rationaliste des grammaires générales. Il
apparaît en 1660 avec la Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondements de l’art

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de parler, expliqués d’une manière claire et naturelle les raisons de ce qui est commun à
toutes les langues et les principales différences qui s’y rencontrent… composée par Claude
Lancelot en collaboration avec Antoine Arnauld, deux professeurs des Petites Écoles de Port-
Royal, ouvrage aussitôt suivi de la publication de la Logique de Port-Royal (1662) écrite par
le même Arnauld mais, cette fois-ci, en collaboration avec Pierre Nicole.
D’une manière très générale, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il n’existe pas encore à
cette époque de distinctions très sensibles entre l’étude du langage, la philosophie et la
psychologie.

2. Le projet d’une grammaire générale et raisonnée

2. 1 Généralités
L’institution religieuse et éducative des Petites Écoles de Port-Royal1, qui fut un très
important foyer intellectuel (en particulier du jansénisme), accueillit entre 1637 et 1679
plusieurs personnalités appelées les Solitaires de Port-Royal. L’impact de leurs travaux a été
sensible dans de nombreux domaines de la vie intellectuelle, et tout particulièrement dans
l’étude des langues et du langage où ils devaient aboutir à l’établissement des fameuses
“ grammaires ”.
L’objet de la Grammaire écrite par Lancelot et Arnauld est de découvrir et énoncer les
principes universaux auxquels obéissent toutes les langues. Par de nombreux aspects, elle
remet à l’honneur la préoccupation d’Aristote de systématiser l'étude des propositions et des
jugements en élaborant au sein de la logique formelle, une théorie de la phrase.
Elle propose un ensemble d'hypothèses sur la nature du langage considéré comme
découlant des “ lois de la pensée ”. Elle est dite rationaliste car elle explique les faits en
partant du postulat que le langage, image de la pensée, exprime des jugements et que les
réalisations diverses qu'on rencontre dans les langues sont conformes à des principes logiques
universels. Elle est en cela une application de la pensée cartésienne (Descartes 1596-1650) à
l’analyse du langage.
Ces postulats posent, très schématiquement, deux questions : celles de la
représentation et celle de l’universalité.

2. 2 La question de la représentation
“Parler, c’est expliquer sa pensée par des signes que les hommes ont inventés à ce dessein” dit
la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. De fait, le langage est à la fois conçu
comme l’image et l’instrument de la pensée qu’il représente au moyen de signes.
L’esprit formerait des idées qui définissent une conception des objets du monde
extérieur. Ces idées formées par l’esprit seraient représentées au moyen de signes, de sorte
qu’il serait possible de retrouver dans ces signes non seulement une image des objets du
monde extérieur, mais également une image de l’esprit :
“ Ainsi le signe enferme deux idées, l’une de la chose qui représente, l’autre de la
chose représentée, et sa nature consiste à exciter la seconde par la première ”
(Logique, I, IV) ;
1
Abbaye de femmes fondée près de Chevreuse (Yvelines) et transportée à Paris en 1625 ; elle regroupe et
accueille les “ intellectuels ” de l’époque, elle est également une institution éducative (Racine en fut l’élève,
Pascal s’y retire en 1654).

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Toutefois, le fait que le langage soit l’image de la pensée ne veut pas dire pour autant
que, pour ces auteurs, il faille voir dans la matérialité des mots une quelconque reproduction
des choses ou des idées. C’est l’organisation des mots et leurs relations au sein d’un énoncé
qui sont censées ici représenter la pensée.

2. 3 La question de l’universalité
La Grammaire générale est conçue comme une théorie du langage qui n’est pas restreinte à
une langue particulière. L’idée d’une grammaire universelle est ici directement liée avec
l’hypothèse que les catégories classiques du discours sont en correspondance avec les
catégories logiques. Du fait que ces catégories logiques participent de la nature même de
l’entendement et que ce dernier est supposé identique à lui-même au travers des diversités
historiques et géographiques, les catégories du discours sont elles mêmes supposées
identiques dans toutes les langues du monde.

3. Éléments de grammaire raisonnée

3. 1 Les catégories du discours


Port-Royal définit les catégories du discours à la fois en fonction de l’activité de l’esprit et en
fonction des conditions de la communication.
a) En fonction de l’activité de l’esprit :
La pensée cartésienne distingue dans l’activité de l’esprit deux constituants
fondamentaux : l’objet de la pensée (qui renvoie à l’entendement) et la forme de la pensée
(qui renvoie à la volonté). Les grammairiens de Port-Royal font correspondre à ces deux
constituants deux catégories de mots les représentant.
1ère catégorie : les noms (qui comprennent ici les substantifs et les adjectifs), les
articles, les pronoms, les participes, les prépositions, les adverbes, représentent les objets de
la pensée, ils en sont les signes.
2e catégorie : les verbes, les conjonctions et les interjections représentent la forme de
la pensée.
Toujours selon la philosophie cartésienne, le jugement constitue l’acte fondamental de
la pensée. Dans cet acte de jugement, la volonté attribue une propriété à une chose. Les
substantifs représentent les choses alors que les adjectifs représentent les propriétés. L’acte
volontaire d’attribution est lui représenté par le verbe être. Quant aux autres verbes, ils sont
analysés comme l’amalgame du verbe être avec un adjectif (ou un participe) de sorte qu’un
énoncé comme “ Pierre écrit ” sera décomposé “ Pierre est écrivant ”.
b) En fonction des conditions de la communication :
Les conditions de la communication sont également susceptibles d’intervenir dans la
définition des catégories. Ainsi, l’impossibilité de représenter toutes les choses du monde par
des noms spécifiques entraîne l’utilisation de noms communs, l’extension de ces noms
communs sera déterminée et limitée par l’emploi des articles et des démonstratifs.

3. 2 De l’universalité de certaines règles


Certaines des règles sont présentées comme étant communes à l’ensemble des langues du
monde ; cette universalité découle de la prise en compte conjointe de principes logiques et de

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contraintes portant sur la communication. Pour illustrer cet aspect nous prendrons pour
exemples deux phénomènes linguistiques : l’accord de l’adjectif avec le substantif et l’ordre
des mots.
L’accord du substantif et de l’adjectif :
D’un point de vue logique, l’adjectif et le substantif se rapportent à une
seule et même chose. Du point de vue de la communication, la contrainte
avancée est celle de sa clarté ; de fait, la clarté de la communication veut que
l’on sache de quel substantif dépend l’adjectif. Ces deux aspects (logique et
communicationnel) sont a priori valables pour toutes les langues du monde qui
recourent à un accord entre l’adjectif et le substantif, de sorte que cet accord
sera opéré en termes d’identité de nombre, de genre et de cas.
L’ordre des mots :
Lorsqu’une propriété est attribuée à un objet, il est considéré qu’il faut
au préalable se représenter l’objet et que ce n’est qu’une fois cette
représentation établie qu’il sera possible d’affirmer quelque chose à propos de
cet objet. L’ordre naturel (et donc universel) des mots voudra donc que le
substantif soit placé avant l’adjectif et que le sujet soit placé avant le verbe.

3. 3 Une théorie des figures


On aura sans doute remarqué que la seconde règle (celle concernant l’ordre des mots) est
susceptible de rencontrer un certain nombre de contre-exemples (ainsi, en latin, la phrase
“ Pierre est venu ” peut être également énoncée venit Petrus avec le verbe à l’initiale). Ces
contre-exemples sont en fait expliqués par une théorie des figures. Les figures de rhétorique
sont à l’époque considérées comme la substitution volontaire d’une façon naturelle de parler
par une façon artificielle, cette substitution étant motivée par des fins d’expressivité ou
d’ordre esthétique. Pour la Grammaire générale, de telles figures n’appartiennent pas
seulement à la littérature mais se retrouvent également dans la langue où elles ‘dérangent’
l’ordre naturel des mots pour se mettre au service des passions (désir d’abréger : des éléments
nécessaires d’un point de vue logique sont sous-entendus ; désir d’expressivité : un mot
considéré comme important est placé en tête de phrase au détriment de la primauté du sujet
logique…).
Lorsque des ellipses se produisent ou lorsque l’ordre naturel est transformé, il est
considéré que l’ordre naturel ou les mots sous-entendus ont d’abord été présents à l’esprit du
locuteur et qu’ils doivent être restitués par celui de l’auditeur (ainsi, à l’audition de l’énoncé
venit Petrus, un Romain était censé reconstruire en lui-même l’ordre naturel Petrus venit afin
de comprendre cet énoncé). Les langues qui, comme le latin ou l’allemand, ont recours à de
telles figures sont dites transpositives.

3. 4 Syntaxe de la proposition
Pour Port-Royal, la proposition est l’élément de base de la réflexion grammaticale et sa
syntaxe dépend de celle du jugement.
Le jugement, qui est considéré comme la forme principale de la pensée, consiste en
une opération par laquelle on affirme quelque chose à propos de quelque chose d’autre.
L’expression linguistique de cette opération se manifeste par la proposition où le sujet est ce
dont on affirme et l’attribut (ou prédicat) ce qu’on affirme. Chacun des termes de ces éléments

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peut être soit simple, comme dans la terre est ronde, soit complexe comme dans Dieu
invisible a créé le monde visible.
Les structures superficielles complexes peuvent être ramenées à des structures plus
simples. Ainsi, dans l’analyse de la proposition Dieu invisible a créé le monde visible, il sera
possible de distinguer trois propositions : 1) Dieu est invisible (proposition incidente) ; 3) Il a
créé le monde (proposition principale) ; 4) Le monde est visible (proposition incidente),
chacune de ces propositions exprimant un jugement simple.
La théorie du langage de Port-Royal n’est pas ici sans certains liens avec la grammaire
scolastique et celle de la renaissance, en particulier avec la théorie de l’ellipse et des “ types
idéaux ” qui connut son développement le plus important dans la Minerva de Sanctius (1587).
Cependant, pour Port-Royal, le langage n’est pas compris comme un ensemble formel de
termes mais comme un système centré sur la proposition, proposition qui repose sur
l’affirmation d’un jugement.

4. Influence de Port-Royal, les successeurs


L’influence de la Grammaire de Port-Royal s’est exercée de manière continue pendant deux
siècles durant lesquels l’ouvrage d’Arnauld et Lancelot servit de base à toute formation
grammaticale. Acceptée même par Condillac2 et les philosophes empiristes, de nombreuses
“ grammaires générales ” ont été composées sur son modèle. La conception de Port-Royal
apparaît clairement dans l’Encyclopédie3 où le grammairien Beauzée, par exemple, énonce :
Toutes les langues assujettiront indispensablement leur marche aux lois
de l’analyse logique de la pensée ; et ces lois sont invariablement les mêmes
partout et dans tous les temps, parce que la nature et la manière de procéder
de l’esprit humain sont essentiellement immuables. Encyclopédie, Tome 7
La perspective de la Grammaire de Port-Royal marque la fin de la primauté jusque-là
reconnue à la grammaire latine comme modèle de toutes les grammaires ; la grammaire
générale n’est pas propre à une langue mais transcende toutes les langues. Elle échappe ainsi à
l’impasse dans laquelle avait pu se trouver la réflexion sur le langage à l’époque de la
Renaissance jusqu’à Vaugelas, tout en ne s’enfermant pas à l’intérieur d’une simple
spéculation sur l’acte de signifier (tel qu’avaient pu le faire au Moyen Âge les divers traités
De modis significandi). Elle connut cependant un retrait notable pendant la période du
positivisme (XIXe siècle)4 durant laquelle son programme a été quelque peu mis en retrait.
La mise en avant de l’universalité et de la stabilité de la raison cartésienne avait eu
pour conséquence de considérer comme secondaires les diversités linguistiques ainsi que tout
ce qui pouvait concerner directement le changement linguistique ou l’histoire des langues. Le
XIXe siècle, en laissant de côté l’idée même d’universalité, va non seulement introduire
l’histoire dans l’approche et l’étude des langues, mais également l’idée que celles-ci sont
comparables à des organismes vivants.

2
Philosophe français 1715-1780. Selon lui, le langage sert de fondement et de support à la pensée abstraite et
réflexive grâce à l’utilisation de signes (d’où la nécessité d’une langue “ bien faite ”). Certaines des conceptions
de Condillac sur le langage (la langue comme institution humaine, le caractère conventionnel des signes
linguistiques) sont issues des influences conjuguées de Locke et de la Grammaire et la Logique de Port-Royal et
annoncent les théories linguistiques modernes.
3
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers : vaste ouvrage de vulgarisation
scientifique et philosophique dirigé par Diderot et d'Alembert (1751 à 1772)
4
1830-1842 : Cours de philosophie positive d’Auguste Comte (1798-1857)

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Le délaissement de la perspective instaurée par Port-Royal a également résulté de la


remise en question des catégories logiques et de leur corrélation avec les catégories du
discours. En outre, il était reproché que les catégories traditionnelles du discours avaient été
établies en faisant référence aux langues classiques (latin, grec…) et ne pouvaient donc pas
être rapportées à l’ensemble des langues du monde. Il reste que la remise en cause des
catégories traditionnelles du discours montre surtout que celles-ci sont inadéquates, mais elle
n’est pas pour autant de nature à invalider l’idée même d’une grammaire universelle de sorte
qu’une telle conception a pu être reprise bien plus tard par la linguistique générative. C’est
ainsi que le linguiste Noam Chomsky peut voir dans la Grammaire de Port-Royal (il est vrai
de manière quelque peu ‘forcée’) un ancêtre des grammaires génératives et
transformationnelles.

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TEXTE I
ARNAULD, A. et LANCELOT, C. (1660). Grammaire générale et raisonnée. Paris (fac-similé publié à Paris,
1969) (extrait)

“ Jusqu'ici, nous n'avons considéré dans la parole que ce qu'elle a de matériel, et qui est commun,
au moins pour le son, aux hommes et aux perroquets.
Il nous reste à examiner ce qu'elle a de spirituel, qui fait l'un des plus grands avantages de l'homme
au-dessus de tous les autres animaux, et qui est une des plus grandes preuves de la raison : c'est l'usage
que nous en faisons pour signifier nos pensées, et cette invention merveilleuse de composer de vingt-
cinq ou trente sons cette infinie variété de mots, qui, n'ayant rien de semblable en eux-mêmes à ce qui
se passe dans notre esprit, ne laissent pas d'en découvrir aux autres tout le secret, et de faire entendre à
ceux qui n'y peuvent pénétrer, tout ce que nous concevons, et tous les divers mouvements de notre
âme.
Ainsi l'on peut définir les mots, des sons distincts et articulés, dont les hommes ont fait des signes
pour signifier leurs pensées.
C'est pourquoi on ne peut bien comprendre les diverses sortes de significations qui sont enfermées
dans les mots, qu'on n'ait bien compris auparavant ce qui se passe dans nos pensées, puisque les mots
n'ont été inventés que pour les faire connaître.
Tous les philosophes enseignent qu'il y a trois opérations de notre esprit : CONCEVOIR, JUGER,
RAISONNER.
CONCEVOIR, n'est autre chose qu'un simple regard de notre esprit sur les choses, soit d'une
manière purement intellectuelle, comme quand je connais l'être, la durée, la pensée, Dieu ; soit avec
des images corporelles, comme quand je m'imagine un carré, un rond, un chien, un cheval.
JUGER, c'est affirmer qu'une chose que nous concevons est telle, ou n'est pas telle : comme
lorsqu'ayant conçu ce que c'est que la terre, et ce que c'est que rondeur, j'affirme de la terre, qu'elle est
ronde.
RAISONNER, est se servir de deux jugements pour en faire un troisième : comme lorsqu'ayant
jugé que toute vertu est louable, et que la patience est une vertu, j'en conclus que la patience est
louable.
D'où l'on voit que la troisième opération de l'esprit n'est qu'une extension de la seconde ; et ainsi il
suffira, pour notre sujet, de considérer les deux premières, ou ce qui est enfermé de la première dans la
seconde car les hommes ne parlent guère pour exprimer simplement ce qu'ils conçoivent, mais c'est
presque toujours pour exprimer les jugements qu'ils font des choses qu'ils conçoivent.
Le jugement que nous faisons des choses, comme quand je dis, la terre est ronde, s'appelle
PROPOSITION ; et ainsi toute proposition enferme nécessairement deux termes ; l'un appelé sujet, qui
est ce dont on affirme, comme terre ; et l'autre appelé attribut, qui est ce qu'on affirme, comme
ronde ; et de plus la liaison entre ces deux termes, est.
Or il est aisé de voir que les deux termes appartiennent proprement à ma première opération de
l'esprit, parce que c'est ce que nous concevons, et ce qui est l'objet de notre pensée ; et que la liaison
appartient à la seconde, qu'on peut dire être proprement l'action de notre esprit, et la manière dont nous
pensons.
Et ainsi la plus grande distinction de ce qui se passe dans notre esprit, est de dire qu'on peut
considérer l'objet de notre pensée, et la forme ou la manière de notre pensée, dont la principale est le
jugement : mais on y doit encore rapporter les conjonctions, disjonctions, et autres semblables
opérations de notre esprit, et tous les autres mouvements de notre âme, comme les désirs, le
commandement, l'interrogation, etc.

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Il s'ensuit de là que, les hommes ayant eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe dans
leur esprit, il faut aussi que la plus générale distinction des mots soit que les uns signifient les objets
des pensées, et les autres la forme et la manière de nos pensées, quoique souvent ils ne la signifient pas
seule, mais avec l'objet, comme nous le ferons voir.
Les mots de la première sorte sont ceux que l'on a appelés noms, articles, pronoms, participes,
prépositions et adverbes ; ceux de la seconde sont les verbes, les conjonctions, et les interjections ; qui
sont tous tirés, par une suite nécessaire, de la manière naturelle en laquelle nous exprimons nos
pensées, comme nous allons le montrer.”

TEXTE II

ARNAULD, A. et NICOLE, P. (1662). Logique de Port Royal, chap.XII, XIII. Paris :


Flammarion, pp. 120-121, 125. (extrait)

“ Le meilleur moyen pour éviter la confusion des mots qui se rencontrent dans les langues
ordinaires est de faire une nouvelle langue, et de nouveaux mots qui ne soient attachés qu'aux idées
que nous voulons qu'ils représentent. Mais pour cela il n'est pas nécessaire de faire de nouveaux sons,
parce qu'on peut se servir de ceux qui sont déjà en usage, en les regardant comme s'ils n'avaient
aucune signification, pour leur donner celle que nous voulons qu'ils aient, en désignant par d'autres
mots simples, et qui ne soient point équivoques, l'idée à laquelle nous les voulons appliquer. Comme si
je veux prouver que notre âme est immortelle, le mot d'âme étant équivoque, comme nous l'avons
montré, fera naître aisément de la confusion dans ce que j'aurai à dire : de sorte que pour l'éviter je
regarderai le mot d'âme comme si c'était un son qui n'eût point encore de sens, et je l'appliquerai
uniquement à ce qui est en nous le principe de la pensée, en disant, j'appelle âme ce qui est en nous le
principe de la pensée.
C'est ce qu'on appelle la définition du nom, definitio nominis, dont les Géomètres se servent si
utilement, laquelle il faut bien distinguer de la définition de la chose, definitio rei.
Car dans la définition de la chose, comme peut-être celle-ci : l'homme est un animal raisonnable, le
temps est la mesure du mouvement, on laisse au terme qu'on définit comme homme ou temps son idée
ordinaire, dans laquelle on prétend que sont contenues d'autres idées, comme animal raisonnable, ou
mesure du mouvement ; au lieu que dans la définition du nom, comme nous avons déjà dit, on ne
regarde que le son, et ensuite on détermine ce son à être signe d'une idée que l'on désigne par d'autres
mots.
Il faut aussi prendre garde de ne pas confondre la définition de nom dont nous parlons ici, avec
celle dont parlent quelques Philosophes, qui entendent par-là l'explication de ce qu'un mot signifie
selon l'usage ordinaire d'une langue, ou selon son étymologie.
Mais ici on ne regarde au contraire que l'usage particulier auquel celui qui définit un mot veut qu'on
le prenne pour bien concevoir sa pensée, sans se mettre en peine si les autres le prennent dans le même
sens.
Et de-là il s'ensuit, que les définitions de noms sont arbitraires, et que celles des choses ne le sont
point. Car chaque son étant indifférent de soi-même et par sa nature à signifier toutes sortes d'idées, il
m'est permis pour mon usage particulier, et pourvu que j'en avertisse les autres, de déterminer un son à
signifier précisément une certaine chose, sans mélange d'aucune autre. Mais il en est tout autrement de
la définition des choses. Car il ne dépend point de la volonté des hommes, que les idées comprennent
ce qu'ils voudraient qu'elles comprissent ; de sorte que si, en les voulant définir nous attribuons à ces
idées quelque chose qu'elles ne contiennent pas, nous tombons nécessairement dans l'erreur. ”

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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

II - La linguistique historique et comparative

Plan du cours
0. Introduction
1. Origines et débuts du comparatisme
1. 1 Deux pôles d’influences
1. 2 Les prémices, la fin du XVIIIe siècle
1. 3 Les premiers travaux du XIXe siècle
2. La grammaire comparée, quelques points méthodologiques et théoriques
2. 1 Le changement linguistique
2. 2 La méthode comparative
2. 3 La “ décadence ” des langues comme principe d’évolution
3. Les développements
3.1 Les néo-grammairiens
3.2 L’intérêt pour les langues romanes
3.3 La sémantique historique
4. Conclusion
TEXTE I : BOPP, F.
TEXTE II : HUMBOLDT, W.
TEXTE III : SCHLEICHER, A.
Bibliographie
Ouvrages généraux :
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 20-28)
KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Editions du Seuil. (pp. 190-214)
MALMBERG, B. (1991). Histoire de la linguistique de Sumer à Saussure. Paris : PUF,
Fondamental. (pp. 253-453)
MOUNIN, G. (1967). Histoire de la linguistique, des origines au XXe siècle. Paris : P.U.F.
(pp.156-217)
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Editions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman. (pp.
189-221)
Également (à titre seulement indicatif, on trouvera des listes plus exhaustives dans les ouvrages précédemment
cités) :
BOPP, F. (1833-1852). Vergleichende Grammatik des Sanskrit, Zend, Griechisten,
Lateinischen, Litauischen, Gotischen, und Deutschen. Berlin (trad. fr. Grammaire
comparée des langues indo-européennes, par BREAL, M., Paris, 1885).
BREAL, M. (1890). Essai de sémantique : science des significations. Paris. (réédité en fac-
similé à Genève aux Editions Slaktine en 1976).
GRIMM, J.L.C. (1822-1837). Deutsche Grammatik. Göttingen.
HUMBOLDT, W. von (1859). De l’origine des formes grammaticales et de leur influence
sur le développement des idées, trad. fr. Paris. (rééditée à Bordeaux en 1969).
SCHLEICHER, A. (1866). Compendium der vergleichenden Grammatik der
indogermanischen Sprachen. Weimar.

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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

0. Introduction
Il a été vu que, pour les grammairiens généralistes, le langage était perçu comme un “ miroir
de l’esprit ” qui en reflétait les propriétés essentielles, aussi la démarche alors adoptée était
d’appliquer les idées concernant la nature de l’esprit à l’étude du langage.
À une démarche de type universaliste et systématique qui conçoit l’étude du langage à
travers celle de la logique et de la pensée, va succéder une autre démarche mettant, elle,
l’histoire et la transformation des langues au centre de ses préoccupations. De fait, avec le
XIXe siècle, la réflexion linguistique est modifiée par le développement d’une nouvelle
approche : la linguistique historique.
Tout en essayant d’établir les relations susceptibles d’exister entre les langues (plus
particulièrement les langues européennes), ce courant va tenter de dégager différentes familles
linguistiques et de permettre ainsi la constitution de modèles hypothétiques de langues (des
langues mères) d’où seraient dérivées les langues attestées (les langues filles). Pour cela, il se
fonde sur une méthode, la méthode comparative, d’où l’appellation de linguistique
comparative qui lui est souvent associée.

1. Origines et débuts du comparatisme

1. 1 Deux pôles d’influences


Ce nouveau courant ne s’élabore pas de manière isolée mais participe, au contraire, d’une
dynamique intellectuelle générale dont on peut, très schématiquement, dégager deux pôles
d’influences qui départageront parfois, parmi les comparatistes, le profil des travaux5 :
1- les sciences de la nature, qui sont, elles aussi, en pleine mutation, discutent et
mettent en avant l’évolution des espèces (cf. les travaux de Cuvier, Lamarck, Darwin...) ;
il est alors tentant, pour les linguistes, d’assimiler les langues à des organismes vivants
qui, suivant des lois précises et comparables à celles des organismes étudiés par les
naturalistes, seraient en constante évolution, naîtraient, se développeraient, s’altéreraient,
pour finalement mourir.
2- l’éveil des nationalismes, tout en exaltant les passés nationaux, s’accompagne
du développement d’une certaine sensibilité historique. Cette sensibilité, caractéristique
de l’époque romantique, se retrouve dans l’intérêt porté aux cultures populaires et à ses
littératures (contes, légendes, épopées) considérées comme l’expression des identités
nationales, intérêt qui se manifeste notamment par des études philologiques de ces
littératures.
L’émergence de conceptions historiques et évolutionnistes n’est pas sans corrélation
avec les ruptures et bouleversements à la fois sociaux, politiques et idéologiques qui se sont
produits à la fin du XVIIIe siècle, et tout particulièrement avec la chute des empires et la
révolution française.

1. 2 Les prémices, la fin du XVIIIe siècle


Bien que prenant son véritable essor au XIXe siècle, il est cependant aisé d’observer les
prémices de la linguistique comparative dès la fin du siècle précédent. Ainsi, l’orientaliste
britannique William Jones (1746-1794), magistrat en poste aux Indes et fondateur de la
5
On pourra comparer, dans cette perspective, les textes II et III donnés en annexe.

13
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Société asiatique (1786), avait pu constater que le persan, le grec, le latin, le celtique
présentaient des ressemblances communes avec le sanskrit, évoquant une parenté qui “ ne
saurait être attribuée au hasard ”. Ces constatations l’ont conduit, dès 1786, à émettre
l’hypothèse selon laquelle ces langues pourraient avoir une même origine6.
Quelques années plus tôt, le français Turgot (1727-1781) avait, quant à lui, publié dans
l’Encyclopédie son article Etymologie où transparaissaient déjà des idées fondamentales qui
ne cesseraient d’être développées au siècle suivant. Des propos de cet article apparaissait, en
particulier, l’idée que toute langue obéit à un “ principe interne ” de changement. En effet, une
langue ne se transformerait pas uniquement de par la volonté consciente des hommes, mais
également en raison de lois qui lui seraient propres. De plus, le changement linguistique serait
régulier et respecterait l’organisation interne des langues.

1. 3 Les premiers travaux du XIXe siècle


Même si l’Allemand Friedrich von Schlegel diffusa les idées de William Jones dans son livre
Sur la langue et la sagesse des Indiens (1808), c’est avec les travaux de l’Allemand Franz
Bopp (1791-1867) et du Danois Rasmus Rask (1787-1832) que débute véritablement
l’élaboration de la méthode sur laquelle repose la grammaire comparée et la linguistique
historique. A leurs travaux s’ajoutent également ceux des Allemands Jacob Grimm (1785-
1863), et Wilhelm von Humboldt (1767-1835).
Dans son Investigation sur l'origine du vieux norrois ou de la langue islandaise (1814)
Rasmus Rask établit des relations entre l’islandais, les langues scandinaves et germaniques, le
slave, l’arménien, le latin et le grec. Il démontre que les langues lituanienne et lettone
constituent, au sein des langues indo-européennes, une famille indépendante (la branche
baltique). Dans sa démarche, il insiste sur le fait que la comparaison entre les langues doit être
établie essentiellement en fonction de critères grammaticaux, bien qu’il reconnaisse
également que l’on peut aussi s’appuyer sur le vocabulaire. On lui doit la première “ loi ”
phonétique (même si, à proprement parler, le terme de loi est ici largement anachronique). Il
établit en effet la corrélation régulière à l’initiale des mots des t, d, th grecs avec les th, t, d du
vieux norrois :
grec vieux norrois
treis, “ trois ”, thrir
damao, “ je dompte ” tamr, “ apprivoisé ”
thura, “ porte ” dry

L’ensemble décrit partiellement ce qu’on appellera plus tard mutation consonantique ou


encore loi de Grimm. Toutefois, la démarche de Rask ne se situe pas dans une perspective
historique. En comparant les langues, son but n’est pas d’établir leur généalogie et de
retrouver leur origine (supposée) dans le sanscrit dont il ne se préoccupe guère mais, à
l’image des linguistes du XVIIIe siècle (ou d’un botaniste comme Linné auquel il se réfère
explicitement) de dresser une typologie en quelque sorte “ structurale ”.
C’est en 1816 que Franz Bopp publie son mémoire Du système de conjugaison de la
langue sanskrite comparé avec celui des langues grecque, latine, persane et du germanique,
6
Les nombreux travaux qui reprendront les idées de W. Jones et travailleront en ce sens, proposeront, dans les
premiers temps, que le sanskrit soit la langue mère.

14
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

qui lui vaut d’être traditionnellement considéré comme “ le fondateur ” de la grammaire


comparée. Il y démontre avec rigueur, en se fondant sur la comparaison des paradigmes
verbaux entre les langues européennes et le sanscrit, la communauté d'origine de ces langues
tout en les faisant dériver d'une hypothétique langue mère : l'indo-européen.

2. La grammaire comparée, quelques points méthodologiques et


théoriques

2. 1 Le changement linguistique

2. 1. 1 Deux types de changement


Un des éléments fondamentaux sur lequel repose la linguistique historique du XIXe siècle est
sa conception de la transformation des langues. Cette transformation peut faire intervenir
deux types de changement : l’un répond à une volonté consciente des hommes, il s’agit de
l’emprunt fait par une langue à une autre langue ; l’autre correspond à un passage inconscient
et progressif d’une langue à l’autre par héritage. Alors qu’un emprunt par une langue est
susceptible d’être opéré dans n’importe quelle autre langue (même non apparentée), l’héritage
implique une utilisation sans interruption, par exemple des “ mots ”, lors du passage d’une
langue à l’autre. Ainsi, si le mot français frêle est le résultat d’une évolution progressive à
partir du latin fragilis (cas d’héritage), le mot fragile constitue en revanche un cas d’emprunt
daté du XIVe siècle.

2. 1. 2 Implications de cette conception


Envisager qu’une transformation n’est pas la conséquence d’une volonté délibérée, c’est
reconnaître l’existence de principes et de causes “ naturels ” qu’il s’agit de découvrir. De plus,
envisager que dans la filiation d’une langue à une autre surviennent des transformations de
l’une à l’autre, c’est reconnaître que dans le rapport de parenté n’interviennent pas que des
relations reposant sur une stricte ressemblance, mais également d’autres reposant sur des
principes de différenciations. Par conséquent, la parenté entre deux langues peut être
également démontrée par leurs différences, pourvu que celles-ci répondent à des tendances ou
des principes naturels et qu’elles laissent transparaître des correspondances systématiques.
La reconnaissance de l’existence de tendances ou de principes naturels implique que
toute évolution linguistique se conforme à un principe de régularité. C’est précisément la
reconnaissance d’un tel principe qui va permettre de transformer la discipline de l’étymologie
en une véritable réflexion linguistique. En effet, la recherche de cette régularité impose que
l’on cesse de considérer le mot de façon globale et que l’on procède à une analyse
grammaticale de ce mot afin d’en distinguer les différents constituants. Lorsque l’on aura
repéré qu’une modification s’applique à un constituant spécifique du mot, la validation de
l’hypothèse reposera sur la vérification de ce que la même modification soit observée dans
chaque mot où ce constituant intervient.
L’analyse du mot peut dépasser l’analyse grammaticale pour envisager une analyse de
type phonétique. Dans ce cas, le principe de régularité devra être observé pour un même
composant phonétique, dans chacun des mots où il intervient. C’est précisément dans ce
domaine que la linguistique historique acquiert des résultats particulièrement significatifs.

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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 2 La méthode comparative

2. 2. 1. Confronter les mots de plusieurs langues


De manière très simplifiée, la méthode consiste à confronter les mots de plusieurs langues. De
cette confrontation peut parfois ressortir des ressemblances dans le sens et la forme de ces
mots, mais également des différences, il s’agira alors de rechercher quel élément x de l’une
des langues tient la place de l’élément x’ de l’autre. Par exemple, si l’on compare les mots des
langues anglaise et allemande, il est possible d’observer de telles ressemblances entre father
et Vater, mother et Mutter, have et habe, seven et Sieben ; il est également possible de
remarquer une correspondance régulière entre [] et [, de même entre  et . Une fois ces
ressemblances et ces correspondances dégagées, il est alors envisageable d’émettre
l’hypothèse que ces mots proviennent d’une forme unique qui, au cours de l’histoire, a pu
évoluer de différentes manières. L’établissement de ces ressemblances et correspondances
régulières conduit donc à postuler l’existence d’une parenté entre les langues confrontées,
celles-ci étant le résultat de transformations naturelles ayant affectées la langue source (mère).
Chacune de ces transformations est alors décrite sous forme de tendance générale.

2. 2. 2 Comparer les éléments constitutifs des mots


Comme il a été précisé plus haut, il ne s’agit pas de comparer des mots pris dans leur
globalité, mais les éléments constitutifs de ces mots. Très tôt (dès la fin du XVIIIe siècle) est
née une discussion à ce sujet : fallait-il privilégier la comparaison des éléments lexicaux (les
radicaux) ou bien celle des éléments grammaticaux ? Par exemple, si l’on prend le mot
enlaidirons, doit-on s’attacher à la comparaison du radical laid, ou bien à celle des éléments
grammaticaux qui entourent ce radical ? Rappelons que l’objectif visé par ces comparaisons
est de dégager des évolutions considérées comme naturelles. Or, les éléments lexicaux sont
susceptibles de provenir d’autres langues (parfois non apparentées) par emprunt linguistique
(les emprunts ne sont pas considérés comme le résultat d’une évolution naturelle de la
langue). En revanche, les éléments grammaticaux (qui servent, notamment, à désigner la
personne, le genre, le nombre, le temps, le mode, le cas…) ne sont pas sujets à de tels
mécanismes d’emprunts, et ce, dans la mesure où ils appartiennent à des classes figées dont la
cohésion ne peut être remise en question sous peine de bouleverser profondément la
grammaire de la langue. Imaginons, par exemple, ce que pourrait impliquer l’introduction
d’un affixe indiquant un duel ou un triel au sein de la grammaire française, un tel emprunt
s’accompagnerait inévitablement de tout un bouleversement de la catégorie du nombre dans
cette langue. Aussi, de ce que les éléments grammaticaux ne sont pas sujets aux mécanismes
d’emprunts, a découlé le fait qu’ils ont occupé une place privilégiée dans les travaux des
premiers comparatistes.
Il faut encore ajouter que les premiers comparatistes ne s’intéressent pas à retracer de
manière progressive l’évolution qui part d’une langue mère vers des langues filles, aussi
mettent-ils très souvent en relation des langues très distantes chronologiquement, sans
véritablement se préoccuper d’établir fermement les stades intermédiaires de cette évolution.

2. 3 La “ décadence ” des langues comme principe d’évolution

2. 3. 1 La structuration grammaticale peut changer


Le processus de différenciation linguistique tel qu’il est esquissé ci-dessus suppose une
conservation à la fois de la structure grammaticale et de la structure phonique. Pour un mot

16
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

donné, la décomposition et l’analyse des constituants lexicaux et grammaticaux doivent être


identiques d’une langue à l’autre ; de même, l’établissement de correspondances phonétiques
suppose une organisation des sons analogue dans les deux langues.
Il reste que les comparatistes se sont vite aperçu que les faits analysés étaient loin de
se conformer à un schéma aussi simple et que, d’une langue à l’autre, la structuration
grammaticale pouvait changer et ne pas être conservée dans son intégralité. Ainsi, considérer
la filiation entre le latin et le français amène, par exemple, à s’interroger sur la disparition du
système casuel.

2. 3. 2 Hypothèse d’explication du changement de la structure grammaticale


L’hypothèse alors envisagée a été d’attribuer la modification de l’organisation grammaticale
aux changements phonétiques. Ces derniers étaient censés altérer la distinction entre les
différents constituants d’un mot. La métaphore couramment adoptée était celle d’un édifice
architectural dont le relief et la structure seraient progressivement érodés au cours du temps,
le linguiste était alors comparé à un archéologue qui n’aurait plus eu devant lui que des
vestiges à interpréter et reconstituer. Dans cette optique, il est clair que l’évolution d’une
langue ne peut entraîner aucune création nouvelle au sein de sa structure et n’engendre qu’une
dégradation de celle-ci.

2. 3. 3 Explication de la “ décadence ” des langues


Cette “ décadence ” des langues est expliquée par le comportement des locuteurs. C’est ainsi
que Auguste Schleicher (1821-1868) énonce que, dans une première période de “ progrès ”
(période “ préhistorique ”), les langues humaines (tout au moins certaines) ont pu prendre
successivement les formes isolante, agglutinante puis flexionnelle7, cette dernière étant
considérée comme le stade ultime de la “ perfection ” linguistique. Les langues auraient alors
été le reflet de l’esprit humain qui les façonnait à son image comme des œuvres d’art. A cette
phase “ ascendante ” aurait succédé, dès l’Antiquité classique, une phase de “ décadence ” dès
lors que les hommes se seraient préoccupés de faire l’histoire. Les langues n’auraient plus été
envisagées que dans leur rôle social d’instrument de communication. Afin de faciliter
l’utilisation de cet instrument, les locuteurs se seraient abandonnés à une tendance au moindre
effort dans la réalisation sonore des langues, ce qui aurait eu pour conséquence de nuire à leur
organisation grammaticale et à la clarté de celle-ci.

3. Les développements
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les recherches linguistiques sont profondément
influencées par le développement des sciences et la doctrine positiviste8. Elles tendent à
s’écarter davantage de considérations philosophiques générales et laissent entrevoir quelques
prémices d’une science linguistique autonome.
7
Langue isolante : langue dans laquelle les mots sont réduits à un radical sans variation morphologique et où les
rapports grammaticaux sont marqués par la place des termes (par ex. le chinois, le tibétain).
Langue agglutinante : langue qui exprime les rapports grammaticaux en juxtaposant au radical des affixes
distincts (par ex. le turc, le finnois, le basque).
Langue flexionnelle : langue qui ajoute à la racine du mot des affixes exprimant des catégories grammaticales
(genre, nombre, personne) ou des fonctions syntaxiques (cas).
8
Issue du Cours de philosophie positive d’Auguste Comte (1798-1857), cette doctrine récuse les a priori
métaphysiques et affirme que l’esprit humain ne peut connaître l’être même des choses, elle fonde la
connaissance sur l’observation et l’étude expérimentale des phénomènes, en sciences naturelles comme en
sciences humaines.

17
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Le tournant manifestant le passage de l’historicisme au positivisme est sans aucun


doute constitué par les recherches et les travaux de ceux que l’on nomme (au début par
dérision) les “ jeunes grammairiens ” ou néo-grammairiens. Dans le même temps, sous
l’impulsion de savants comme Helmholtz (1821-1894), Rousselot (1846-1924)… la
phonétique9 fait des progrès particulièrement sensibles et tend à devenir une science
expérimentale. Ces progrès permettent d’établir les lois phonétiques avec plus de rigueur et de
précisions. Il faut également signaler qu’à côté de l’intérêt pour les études indo-européennes,
croît également celui pour les langues romanes. En outre, à l'attention jusque-là quasi
exclusive pour l’aspect phonétique de l’évolution des langues, s’ajoutent d’autres
préoccupations, notamment sémantiques, qui tendent à élargir le champ des études
linguistiques.

3.1 Les néo-grammairiens

3. 1. 1 Expliquer les changements linguistiques en s’appuyant sur le positivisme


Dans la deuxième moitié du XIXe siècle (à partir des années 1870), un groupe de jeunes
linguistes (essentiellement allemands : Karl Brugmann (1849-1919), Hermann Osthoff (1847-
1909), Hermann Paul (1846-1921) tente de renouveler la problématique de la grammaire
comparée. A cette époque, les principes du “ positivisme ” triomphent tant dans le domaine de
la philosophie que celui des sciences. Ce groupe, sous le nom de néo-grammairiens, veut
appliquer ces principes à la linguistique historique. Ils veulent dépasser les niveaux de la
constatation et de la description des changements linguistiques, pour aborder celui de leur
explication. Leur objectif est de déterminer les causes de ces changements et, pour cela, ils
adoptent une méthode inspirée du positivisme.

3. 1. 2 Étudier des changements entre langues chronologiquement proches


Pour les néo-grammairiens, il faut que l’étude des changements s’applique, de préférence, à
des états de langues successifs (non distants) dans le temps. Ils s’opposent ainsi à
l’importance accordée à la tentative de reconstruction d’un indo-européen primitif, et se
prononcent pour l’étude des changements entre langues chronologiquement proches.

3. 1. 3 Explication de l’évolution des langues par deux types de causalités


L’évolution des langues est expliquée par deux types de causalités : physiologique et
psychologique. L’explication physiologique se rapporte ici au niveau de l’articulation des
sons des langues. Les lois phonétiques, qui rendent compte des passages d’un état de langue à
un autre, sont comprises comme des mécanismes d’ordre physiologique qui doivent, en tant
que tels, s’appliquer de façon régulière, générale et invariable. Ainsi, quel que soit le mot, sa
situation grammaticale ou sémantique, rien ne peut se soustraire au mécanisme affectant un
état de langue donné. Les néo-grammairiens veulent ici appliquer aux lois phonétiques la
même rigueur que celle exigée pour les lois de la physique où de la biologie. Ainsi conçues,
ces lois phonétiques seraient universelles et immuables et, par conséquent, toute exception à
une loi phonétique ne serait jamais pour eux que l’indice d’une autre loi qui resterait à
découvrir.
L’autre type d’explication est d’ordre psychologique. Il repose sur les mécanismes
concernant l’association des idées et les principes d’analogie. Ils mettent ainsi en avant le fait

9
Etude des sons du langage dans leur production et leur substance physique.

18
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

que les mots et les phrases peuvent être regroupés par les locuteurs dans des classes selon des
critères d’identité de sens ou de sonorité. De sorte que la création d’un nouveau mot ou d’une
nouvelle phrase pourrait s’opérer par analogie à un autre mot ou une autre phrase appartenant
à la même classe. Par exemple, si l’on prend le mot solutionner (qui double le mot résoudre),
sa formation (sur la base solution) pourrait être expliquée par l’analogie établie par les
locuteurs avec le modèle rencontré dans additionner ou auditionner (qui sont respectivement
formés sur les bases addition et audition). Cette place conférée à la psychologie élargie la
conception que l’on se faisait jusqu’alors de la langue : en envisageant d’autres modèles
d’explication que le simple modèle biologique, c’est aussi reconnaître qu’une langue est plus
qu’un simple organisme naturel.

3. 1. 4 La seule étude scientifique du langage est la méthode historique


Il reste que pour ces linguistes la seule étude scientifique du langage est la méthode historique
de sorte que toute explication de l’évolution des langues ne pourra être envisagée qu’en ces
termes. Ainsi, un mot ne sera considéré comme dérivé d’un autre que si sa base est
effectivement antérieure d’un point de vue historique. Prenons pour exemple le mot
consternation qui est daté du XVIe siècle. Ce mot sera analysé comme issu d’un processus de
dérivation dans la seule mesure où sa base consterner (XIVe) lui est historiquement
antérieure.

3.2 L’intérêt pour les langues romanes


Alors que l’étude de l’indo-européen pouvait présenter certaines difficultés, même si les
langues du domaine avaient parfois pu conserver des textes de plusieurs centaines, voire
milliers d’années, il était en revanche beaucoup plus aisé d’aborder l’évolution des langues
issues du latin. En effet, un important corpus permettait d’examiner et d’analyser en détail les
transformations ayant conduit aux langues françaises, italiennes, espagnoles… Déjà, dans la
première moitié du siècle le linguiste allemand Friedrich Diez (1794-1867), après des travaux
sur la littérature en langue d’oc des troubadours, s’était attaché à une analyse historique de la
langue française tout en la rapprochant des autres langues romanes : Grammaire des langues
romanes (1836-1838), Dictionnaire étymologique des langues romanes (1853). Dans son
sillage, de nombreux travaux ont été consacrés aux langues romanes, en général, et à l’histoire
du français, en particulier (dont la célèbre Histoire de la langue française en deux volumes
(1863) d’Émile Littré). Dans la seconde moitié du siècle, les travaux de Gaston Paris (1839-
1903) en matière de philologie romane servent de modèles pour l’étude des origines de la
langue française.
Parallèlement aux progrès de la phonétique et de la linguistique romane, l’étude des
dialectes régionaux suscite un intérêt croissant parmi les linguistes français. C’est ainsi que
Jules Gilliéron (1854-1926), élève de Gaston Paris, fonde avec Rousselot en 1887 la Revue
des Patois gallo-romans ainsi que la Société des parlers de France en 1893. Il enseigne à
partir de 1883 la dialectologie à l’École des hautes études et entreprend en 1897 une vaste
enquête qui aboutit à la publication d’un Atlas linguistique de la France.
Gilliéron peut être considéré comme le créateur de la géographie linguistique. À
l’insistance des néo-grammairiens sur l’uniformité phonétique, il oppose l’individualité
étymologique. Il renouvelle les études étymologiques en mettant en évidence les divers
facteurs dialectaux qui viennent brouiller l’action des lois phonétiques des néo-grammairiens.

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3.3 La sémantique historique


L’intérêt de la linguistique historique s’était jusqu’alors porté essentiellement sur l’aspect
phonétique de l’évolution des langues où elle avait, au demeurant, obtenu des résultats
appréciables. Mais comment procéder à l’identification des constituants de deux mots
appartenant à des états de langues distants dans le temps, alors que le sens est lui-même
susceptible de s’être modifié ? Il était donc également nécessaire de découvrir les principes
généraux qui régissent les transformations sémantiques. C’est dans cette perspective que vont
s’orienter certains des travaux et des réflexions de Wilhelm Wundt (1832-1920), de Hugo
Schuchard (1842-1927) ou encore du français Michel Bréal (1832-1915). Ce dernier réagit
contre l'intérêt exclusif porté à l'aspect phonétique de l'évolution des langues en appelant à
une “ science des significations ” et des “ lois qui président à la transformation des sens ”,
science qu’il désigne sémantique.
Le travail de Bréal représente une des premières tentatives effectives et significatives
de description des modifications du sens. Un certain nombre de concepts qu’il introduit seront
d’ailleurs repris par la sémantique historique postérieure. Là où les comparatistes allemands
recherchaient, dans l’évolution des langues, des causes matérielles à l’imitation de celles des
sciences de la nature, Bréal recherche des causes intellectuelles. Par exemple, là où certains
pouvaient penser que les mots comprenaient intrinsèquement une “ tendance péjorative ” qui
explique que d’une signification “ noble ” ils évoluent vers un sens “ péjoratif ”10, Bréal
souligne en revanche une tendance psychologique à l’euphémisme11 qui influe sur l’évolution
de la signification des mots.

4. Conclusion
Après s’être essentiellement attaché à l’étude de la parenté génétique entre les langues et avoir
positionné ainsi les études linguistiques comme études des langues pour elles-mêmes12, la
linguistique comparative et historique a, à partir des années 1870, intégré une pratique plus
rigoureuse. Il s’agissait, dès lors, d’étudier avec plus de précision l’évolution, étape par étape,
de chacune des langues pour lesquelles on possédait des documents anciens.
Dans le même temps, l’introduction de méthodes exactes et expérimentales dans
l’étude des langues (particulièrement dans le domaine de la phonétique), l’extension des
préoccupations des chercheurs qui ne se limitaient plus à l’analyse des évolutions
phonétiques, ont contribué à ce que l’évolutionnisme du début du siècle se développe de
façon à s’orienter vers une science générale de l’étude du langage.
Pour la linguistique historique et comparée la langue est finalement envisagée comme
un système de signes, ce que pensaient déjà les Solitaires de Port Royal et les
Encyclopédistes, cependant, à la différence de ces derniers, ils ne le font pas reposer sur les
catégories de la logique mais sur l’analyse directe des données linguistiques à travers
l’histoire des langues.

10
Par exemple le mot maîtresse qui jusqu’au XIXème siècle désignait la jeune fille ou la femme aimée, renvoie
à partir du XIXème à une image péjorative de la femme qui se donne à un homme de façon illégitime.
11
Adoucissement, affaiblissement du sens.
12
“ Les langues dont traite cet ouvrage sont étudiées pour elles-mêmes, c’est à dire comme objet, et non comme
moyen de connaissance ” écrit Franz Bopp dans la préface de sa Grammaire comparée.

20
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE I

BOPP, F. (1833-1852). Vergleichende Grammatik des Sanskrit, Zend, Griechisten,


Lateinischen, Litauischen, Gotischen, und Deutschen. Berlin (trad. fr. Grammaire comparée
des langues indo-européennes, par BREAL, M., Paris, 1885). (Préface, extraits).
“ Je me propose de donner dans cet ouvrage une description de l'organisme des différentes
langues qui sont nommées sur le titre, de comparer entre eux les faits de même nature, d'étudier les
lois physiques et mécaniques qui régissent ces idiomes et de rechercher l'origine des formes qui
expriment les rapports grammaticaux (…). La découverte du sanskrit fut dans l'ordre des études
grammaticales comme la découverte d'un nouveau monde (…). Les rapports de la langue ancienne de
l'Inde avec ses sœurs de l'Europe sont en partie si évidents qu'on ne peut manquer de les apercevoir à
première vue ; mais, d'autre part, il y en a de si secrets, de si profondément engagés dans l'organisme
grammatical que, pour les découvrir, il faut considérer chacun des idiomes comparés au sanskrit et le
sanskrit lui-même sous des faces nouvelles, et qu'il faut employer toute la rigueur d'une méthode
scientifique pour reconnaître et montrer que tant de grammaires diverses n'en formaient qu'une seule
dans le principe. ”

TEXTE II

HUMBOLDT, W. (1826). “ Fondement d'une typologie universelle des langues ”, trad. P.


Caussat in Jacob, Genèse de la pensée linguistique, pp. 90-91.
“ Le procédé abstraitement philosophique [de la grammaire classique] ne peut aboutir qu'à une
théorie creuse et vide. C'est que la langue provient par nécessité interne de l'être même de l'homme,
elle ne tolère ni contingence ni arbitraire ; un peuple parle comme il pense, sa pensée est l'exacte
mesure de sa parole et, pour lui, pensée aussi bien que parole se fondent par essence dans l'ensemble
unifié que forment ses dispositions corporelles et spirituelles dont elles procèdent, tout en ne cessant
de se reverser en elles ; mais ce n'est pas l'esprit humain où la pensée humaine, entendus selon leur
notion abstraite et générale, qui constituent le fondement où s'alimentent les langues ; c'est toujours,
dans toute sa plénitude, sa perfection et sa vitalité, l'individualité du peuple ; encore celle-ci ne saurait-
elle être atteinte en elle-même, mais seulement et très précisément dans son produit, la langue. ”

TEXTE III

SCHLEICHER, A. (1860). La langue allemande, (extrait)


“ La science linguistique n'a rien d'une discipline historique et relève de l'histoire naturelle.
Elle n'a pas pour objet la vie spirituelle des peuples, l'histoire (au sens large), mais le langage et rien
d'autre , elle ne se penche pas sur l'activité de l'esprit dans sa liberté (l'histoire), mais sur le langage tel
qu'il est donné par la nature, soumis à des lois invariables de formation et dont la constitution est aussi
étrangère à la détermination volontaire de l'individu que le chant du rossignol l'est aux intentions du
chanteur ; autrement dit, la glottique a pour objet un organisme naturel (…), le Glotticien est un
naturaliste ; il est avec les langues à peu près dans le même rapport que le botaniste avec les plantes
(...) il va de soi que l'organisme linguistique exige, de par sa nature même, d'être saisi comme un
organisme vivant, c'est-à-dire comme ayant parcouru un certain processus, ou comme en cours de
processus. ”

21
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

III - Ferdinand de Saussure


et le Cours de linguistique générale

Plan du cours

0. Introduction
1. 1. Les orientations générales
1. 1 Continuités et ruptures
1. 2 La matière et les tâches de la linguistique
2. Les concepts fondamentaux
2. 1 Langue/parole
2. 2 Synchronie/diachronie
2. 3 Une théorie du signe : signe/valeur/système
2. 4 Syntagme/paradigme
3. Portée et limites de ces distinctions
3. 1 Difficultés dans la pratique des découpages
3. 2 Oppositions langue/parole, synchronie/diachronie
3. 3 L’opposition de Meillet
3. 4 La remise en question “ labovienne ”
4. L’héritage du cours
TEXTES I
Langage, langue, parole
TEXTE II
La nature du signe linguistique
TEXTE III
L'arbitraire du signe
TEXTE IV
Le signe considéré dans sa totalité
TEXTE V
La langue comme pensée organisée dans la matière phonique

Bibliographie
BENVENISTE, E. (1966). “ Saussure après un demi-siècle ”, in Problèmes de linguistique
générale chap. 3. Paris : Gallimard
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 29-34)
FUCHS, C. et LE GOFFIC, P. (1992). Les linguistiques contemporaines. Paris : Hachette
(pp. 15-22)
GODEL, R. (1957). Les sources manuscrites du “ Cours de linguistique générale ” de F. de
Saussure. Genève, Paris.
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Editions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman. (pp. 222-
225)
SAUSSURE, F. (1916). Cours de linguistique générale. (édition critique préparée par
Tullio de Mauro, Paris, Payot, 1972)

22
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

0. Introduction
Le Cours de linguistique générale (désormais C. L. G.), attribué au linguiste genevois
Ferdinand de Saussure (1857-1913), est “ traditionnellement ” considéré comme l’un des
ouvrages instaurant la linguistique moderne (i. e. la linguistique générale en tant qu’étude
scientifique de la langue). Cependant, l’apport de l’enseignement de Saussure ne peut être
véritablement compris que si l’on considère qu’il représente à la fois un aboutissement des
travaux linguistiques antérieurs de même qu’un certain nombre de ruptures par rapport aux
“ traditions ” antérieures.
Tout en réfutant, comme les néo-grammairiens, certaines des conceptions de la
linguistique du XIXe siècle, le C. L. G. reprend et précise certaines idées qui avaient pu déjà
être dégagées à l’issue de cette période, par exemple la réfutation par l’américain W. D.
Whitney (1827-1894) d’une théorie organiciste de la langue, de même que son insistance sur
l’aspect social de la langue en tant qu’institution, ou encore l’idée de la forme et le concept de
phonème présentés par Albert Sechehaye. Chez ces linguistes, de même que chez d’autres
comme Baudouin de Courtenay (1845-1929) ou encore Kruszewski pour ne citer qu’eux,
l’idée d’une “ théorie générale de la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ” est
déjà présente. Il reste que le C. L. G. énonce une vision et une réflexion synthétiques sur les
fondements, la nature et l’objet d’une linguistique conçue en tant que discipline autonome. Un
de ses apports novateurs est de fournir un cadre à la fois général et propre à la discipline et de
permettre d’envisager la théorisation des faits de langue.
En fait, cet ouvrage n’a pas été écrit par Ferdinand de Saussure lui-même mais à été
élaboré par deux de ses collègues, Charles Bally et Albert Sechehaye, sur la base de notes
manuscrites prises par eux-mêmes et par les étudiants durant la série de cours donnés à
l'université de Genève, entre 1906 et 1911. Publié en 1916 après la mort de Saussure, le
C. L. G. représente une vision synthétique mais aussi interprétative de ses cours.

1. Les orientations générales

1. 1 Continuités et ruptures

1. 1. 1 L’ancrage de Saussure dans la réflexion de l’époque


Si le C. L. G. est le plus souvent évoqué en termes de rupture par rapport à la linguistique du
XIXe siècle, particulièrement la linguistique historique et comparative, on ne peut toutefois
manquer de rappeler l’ancrage de Saussure dans la réflexion de cette époque. C’est à Leipzig,
là où l’équipe des néo-grammairiens étaient en train de renouveler les études de grammaire
comparée, qu’il s’initie à la linguistique (sanscrit, vieux slave, iranien ancien). Il y achève à
l’âge de vingt et un ans son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues
indo-européennes (Leipzig, 1878) qui lui valut la jalousie et l’hostilité des néo-grammairiens.
Ce premier ouvrage, présenté à Paris en 1880, lui assure aussitôt la notoriété. En 1881 il
enseigne la grammaire comparée à l’École des hautes études (Sorbonne), puis retourne à
Genève en 1891 où il enseigne la linguistique comparée, le sanscrit ainsi que le français
moderne. C’est à partir de 1906 et jusqu’à 1911 qu’il donne ses cours de linguistique générale
qui fonderont sa renommée.

23
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

1. 1. 2 Les ruptures affichés par l’enseignement de Saussure


Saussure est un scientifique de son temps et est influencé par les travaux et réflexions de son
temps : les néo-grammairiens et également les auteurs (tout particulièrement l’américain
Whitney) qui ont donné les premières impulsions aux travaux de cette époque
Nombre des ruptures affichées par l’enseignement de Saussure ne font que reprendre,
de manière cumulative, celles déjà manifestées par les écoles et approches antérieures (et, en
dernier lieu, celles des néo-grammairiens). C’est ainsi qu’une des premières volontés de
Saussure est de démarquer explicitement la linguistique de la grammaire traditionnelle dont la
seule préoccupation est de distinguer des formes estimées “ correctes ” d’autres jugées
“ incorrectes ”. Cette volonté correspond à une autre : faire de la linguistique une science
descriptive et non pas normative. En effet, le caractère scientifique de la discipline sera
garanti par l’exclusion de tout jugement de valeur et l’adoption d’un point de vue strictement
descriptif qui seul permettra de comprendre les faits de langue en dégageant les systèmes où
ils se manifestent. Saussure continue ici une préoccupation qui était déjà celle des néo-
grammairiens.
Une autre préoccupation est aussi présente dans le C. L. G. : marquer une rupture par
rapport à la philologie. Cette dernière, consacrée à l’étude des textes anciens, “ s’attache trop
servilement à la langue écrite et oublie la langue vivante ”13. Précisons cependant qu’il n’est
pas ici question pour Saussure de contester la scientificité de cette discipline (Saussure
pratiquait également la philologie) mais de souligner que son domaine (fixation, interprétation
et commentaire des textes) ne se confond pas avec celui de la linguistique générale.
Si, avec la grammaire comparée des premiers moments, le langage tendait déjà à
devenir un objet d’étude autonome, il n’en reste pas moins que le C. L. G. lui reproche,
comme l’avaient déjà fait les néo-grammairiens eux-mêmes, la grande faiblesse de son
approche historique, sa conception d’un déclin des langues sous l’action des lois phonétiques
liées à la communication, ainsi que la vision “ organiciste ” telle que celle développée par
Schleicher.
L’enseignement de Saussure se démarque enfin du courant néo-grammairien lui-même
en faisant observer que celui-ci, essentiellement préoccupé par l’élaboration de lois
phonétiques, reste en deçà de ce qu’impose l’élaboration d’une méthodologie et d’une théorie
linguistique générale. De plus, alors que pour les néo-grammairiens la seule étude scientifique
du langage est la méthode historique, le C.L.G. privilégie en revanche l’étude en synchronie
de la langue à son étude en diachronie14.

1. 1. 3 L’influence de Whitney et Peirce


Saussure reprend et continue ici de manière particulièrement active l’œuvre du linguiste W.
D. Whitney (1827-1894) auteur de Language and the Study of Language (Londres, 1867), The
Life and Growth of Language (Londres, 1875). Whitney, qui a profondément influencé les
néo-grammairiens, avait non seulement fournit la première manifestation d’un mouvement
anti-schleichérien, mais avait également été le premier à se soucier de procurer un statut
véritablement scientifique à la linguistique. Les thèses du linguiste américain étaient alors
particulièrement révolutionnaires. Tout en soulignant le fait que le langage est né de la
communication et au sein de celle-ci, elles affirment qu’il n’est ni un fait biologique (qui
relèverait des sciences naturelles) ni, en premier lieu, une faculté de l’esprit, mais un fait

13
C. L. G., p. 14.
14
Cf. ci-dessous la section 2. 2 Synchronie/diachronie

24
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

social ou encore le produit d’une institution sociale. Par conséquent, la tâche de la linguistique
est de décrire cet outil de communication ainsi que son fonctionnement. Il insiste notamment
sur l’idée que le langage est organisé selon une structuration de signes arbitraires.15
On retrouve également dans le C. L. G. l’écho des réflexions du philosophe et logicien
américain Charles Sanders Peirce (1839-1914) qui, sous le terme de sémiotique, avait amorcé
une théorie préfigurant, par certains points, le projet saussurien de sémiologie.

1. 2 La matière et les tâches de la linguistique


En ce qui concerne la matière de la linguistique, le projet du cours est d’analyser toutes les
formes de langages sans se limiter au seul “ beau langage ”, et sans non plus exclure les textes
écrits qui seuls permettent d’étudier les langues distantes ou passées. Quant à ses tâches,
celles-ci sont d’établir la description et l’histoire de toutes les langues ainsi que de dégager les
lois générales auxquelles pourraient être ramenés les faits particuliers. Une autre tâche
consiste également pour la discipline à se délimiter et se définir elle-même16 et marquer par là
son autonomie vis-à-vis d’autres disciplines telles que l’ethnographie, l’anthropologie, la
sociologie, la philologie, la psychologie… C’est précisément à cette tâche de définition et de
délimitation que s’attache le C. L. G. lorsqu’il formule plusieurs concepts fondamentaux
s’articulant chacun sur un système d’opposition.

2. Les concepts fondamentaux


Le C. L. G. pose une série de dichotomies fondatrices - langue/parole, synchronie/diachronie,
signifié/signifiant…– qui marqueront profondément la linguistique du XXe siècle. Le but de
cette série de distinctions est en fait de délimiter l'objet de la linguistique. Pour le C. L. G., le
seul objet de la linguistique proprement dite (la linguistique interne), c'est la langue en tant
que système homogène et invariant17.

2. 1 Langue/parole
Le langage est présenté comme une faculté qui consiste à pouvoir s'exprimer au moyen de
systèmes symboliques, notamment sonores. Elle est définie comme un ensemble comprenant
différents domaines :
Pris dans son tout, le langage est multiforme et hétéroclite; à cheval sur
plusieurs domaines, à la fois physique, physiologique et psychique, il
appartient au domaine individuel et au domaine social.18
De fait le langage s’incarne selon deux aspects : celui de la langue et celui de la parole. Cette
opposition s’articule ici triplement.

15
Whitney est également préoccupé par l’étude, chez l’enfant, de l’apprentissage du langage ; celle-ci est en
effet en mesure de fournir des éléments fondamentaux sur le fonctionnement du système.
16
C. L. G., pp. 20 et sv.
17
Cette insistance sur l’homogénéité de l’objet étudié s’inscrit au demeurant dans la logique des préoccupations
néo-grammairiennes qui, pour éviter les effets de lois antagonistes, visaient à établir des états descriptifs les plus
homogènes possibles.
18
C. L. G., p. 25.

25
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 1. 1 Opposition : social/individuel
La langue est définie par Saussure comme un produit social de la faculté de langage et un
ensemble de conventions nécessaires adoptées par le corps social 19, elle est la partie sociale
du langage, extérieure à l’individu..., elle n'existe qu'en vertu d'une sorte de contrat passé
entre les membres de la communauté 20 ; quant à la parole, elle serait le versant individuel du
langage.

2. 1. 2 Opposition : système/manifestation du système


Dans cette partition, la langue représente le volet virtuel et la parole sa réalisation. La langue
comme système grammatical et lexical existe virtuellement dans chaque cerveau, la parole se
distingue de la langue en ce qu'elle est l'exécution par l'individu de cette virtualité, elle est un
acte individuel. La langue est considérée comme un code commun à l'ensemble des individus
appartenant à une même communauté linguistique, et la parole comme la réalisation
individuelle de ce code commun. La conception de cette dichotomie langue/parole fait donc
recouvrir l’opposition système/manifestation du système par l’autre opposition :
social/individuel.

2. 1. 3 Opposition : homogène/hétérogène
La langue, phénomène social, est également présentée par le C. L. G. comme une entité
homogène, elle est envisagée comme un système ou code invariant. Dès lors, tout ce qui serait
hétérogène, tous les aspects qui montreraient de la variation (par exemple, selon les régions
nous ne parlons pas le français de la même manière, de même selon notre appartenance
sociale ou encore le contexte de l’énonciation) ne seraient pas d'ordre social mais seulement
individuel. Autrement dit, toujours d'après Saussure, les variations et distinctions (notamment
sociales) au sein d'une même langue ne concerneraient pas la langue elle-même, ne
concerneraient pas son aspect social, mais concerneraient l'acte individuel de parole.

2. 1. 4 Linguistique interne / linguistique externe


L’opposition langue/parole conduit Saussure à distinguer deux linguistiques : la linguistique
de la langue ou linguistique interne (i. e. la linguistique proprement dite) et une linguistique
de la parole ou linguistique externe (restreinte à un rôle secondaire). Est interne tout ce qui ne
relève que de la langue, est externe tout ce qui ne lui est pas immédiatement lié. Afin de faire
comprendre cette différence, le Cours cite l’exemple du jeu d’échecs : est interne tout ce qui
concerne le système et les règles ; en revanche, le fait que le jeu soit venu de Perse en Europe
est un fait externe. De ce triple déploiement de l’opposition langue/parole
(système/manifestation du système ; social/individuel ; homogène/hétérogène) découle
directement l’opposition synchronie/diachronie.

2. 2 Synchronie/diachronie

2. 2. 1 Deux axes dimensionnels


Le C. L. G. formalise explicitement les deux axes dimensionnels nécessaires à toute étude
linguistique : synchronie et diachronie, ce que la réflexion linguistique avait jusque-là laissé
au simple stade de présupposition ou encore ignoré. La synchronie est le domaine du
fonctionnement des langues, elle s’applique à un état de langue à un moment donné ; en
19
C. L. G., p. 25.
20
C. L. G., p.31.

26
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

revanche, la diachronie est le domaine des changements et des évolutions de la langue.


L’étude en synchronie mettra donc l’accent sur les aspects statiques et invariants de la langue,
alors qu’une étude en diachronie mettra en lumière tout ce qui a trait aux évolutions, aux
changements et aux variations de la langue.

2. 2. 2 Primauté de la synchronie sur la diachronie


Il a été vu que le C. L. G. assigne à la linguistique générale la langue (système social et
homogène) comme objet d’étude et non la parole, on pourra donc comprendre aisément qu’il
privilégie au sein de la discipline l’étude de l’aspect synchronique. Cette primauté de l’étude
synchronique de la langue sur son étude diachronique s’explique en effet facilement puisque
tout phénomène de variation et de changement linguistique ne peut être dû qu’au
retentissement de la parole, acte individuel et source d’hétérogénéité, sur la langue : tout ce
qui est diachronique dans la langue ne l’est que par la parole21.
On remarquera que par cette primauté accordée à l’étude synchronique, le C. L. G. va
à l’encontre de la règle jusque là instaurée par la grammaire comparée qui étudiait les faits de
langue dans une dimension exclusivement historique.
Cette primauté est également motivée par le fait qu’un locuteur ne connaît la langue
que dans un seul de ses états, et à un moment donné. Il ne la connaît jamais dans l’intégralité
de son histoire. Le C. L. G. utilise à ce propos la métaphore du jeu d’échecs où il n’est pas
nécessaire de connaître les mouvements antérieurs des pièces afin de pouvoir comprendre la
partie qui est en train de se jouer.22 De la même façon, il n’est pas besoin de connaître les
évolutions successives d’une langue afin de comprendre les mécanismes du système
linguistique fonctionnant dans la conscience collective des sujets parlants.

2. 2. 3 La perspective diachronique n’est pas pour autant écartée


Si une primauté est accordée à l’analyse synchronique, la perspective diachronique n’est
cependant pas écartée du champ de la linguistique, elle est même l’occasion pour le C. L. G.
de se démarquer encore de la pensée comparatiste. Si, comme cette dernière, il maintient que
les changements linguistiques sont provoqués par l’utilisation de la langue par les individus (i.
e. la parole dans la terminologie saussurienne), il refuse en revanche d’y voir une
désorganisation des systèmes grammaticaux. Ni les lois phonétiques, ni les créations par
analogie ne détruisent l’organisation grammaticale des langues et leurs principes de
classifications. Parmi les exemples présentés, le C. L. G. évoque l’histoire du pluriel en
allemand. Dans un état ancien de la langue, le pluriel était marqué par la suffixation d’une
voyelle i (Hand ‘main’ / Handi ‘mains’, Gast ‘hôte’ / Gasti ‘hôtes’). Par la suite, différents
changements phonétiques ont transformé Handi en Hände et Gasti en Gäste, modifiant par
conséquent le timbre vocalique du suffixe pluriel. Or, il est manifeste que cette mutation
vocalique n’a pas remis en cause, en allemand, la dualité grammaticale entre singulier et
pluriel. De même, la création analogique ne détruit pas les classifications linguistiques d’une
langue. Ainsi, en français, la formation du mot solutionner sur la base solution ajoute un
couple à la série constituée par addition/additionner, audition/auditionner…, elle enrichit
cette catégorie sans pour autant la détruire. Le C. L. G. remet donc clairement en question la
perspective formulée par Bopp d’un déclin des langues, perspective entretenue tout au long du
XIXe siècle.

21
C. L. G., p. 138.
22
C. L. G., pp. 124 et sv.

27
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 2. 4 Il n’y a pas de point de vue panchronique


Enfin, en dehors de principes très généraux indépendants des faits concrets, il ne peut y avoir
en linguistique, selon l’optique du C. L. G., de point de vue panchronique23. Cela signifie
qu’il ne peut y avoir dans la langue des lois dans le sens où l’entendent les sciences physiques
et naturelles, c’est-à-dire des rapports qui se vérifient partout et toujours.24 Ainsi, chaque
changement phonétique, quelle que soit son extension, sera toujours limité à un temps et un
territoire déterminés. Saussure s’oppose ici à la conception naturaliste qui assimile la langue à
un organisme ; la langue, cette institution sociale, n’est pas soumise aux lois de la nature mais
à l’histoire.

2. 3 Une théorie du signe : signe/valeur/système

2. 3. 1 La langue est un système où tout se tient


Le C. L. G. explique que, dans sa perspective synchronique, la langue doit être envisagée
comme un système de différences où chaque unité linguistique n’existe pas par elle-même
mais dans les relations qu’elle entretient avec d’autres unités. En cela, une langue n’est pas
une nomenclature d’éléments dont chacun se suffirait à lui seul, mais un système où les unités
voient leur existence constituée par le réseau des relations qu’elles tissent entre elles. C’est ce
qu’exprime le C. L. G. lorsqu’il énonce que la langue est forme et non substance. Il s’oppose
en cela à la conception naïve selon laquelle une langue serait une liste de termes
correspondant à autant de “ choses ” du monde. Il s’agit pour Saussure de remettre en
question la théorie qui, jusque-là prépondérante, posait l’antériorité de la pensée sur la langue.
Selon Saussure, les idées ne précèdent pas les mots de même que la langue n’est pas destinée
à représenter la pensée (que cette représentation soit conçue comme moyen de
communication, comme l’énonçaient les grammairiens de Port-Royal, ou encore comme
fonction première comme le postulaient les comparatistes).
Pour Saussure, la pensée est inséparable de la langue. Hors de celle-ci, elle ne peut être
qu’une “ masse amorphe ” ou encore une “ nébuleuse ”25. Il s’ensuit que chaque système
linguistique présenté par les différentes langues consiste en une structuration arbitraire qui ne
saurait en rien refléter une organisation qui la transcenderait.

2. 3. 2 La théorie du signe
La théorie du signe s’inscrit dans cette conception. Le cours caractérise le signe linguistique
par une double identité, à la fois conceptuelle et acoustique. Cependant, le signe n’est pas
pour autant l’union d’un terme avec une “ chose ”, il est en revanche l’association d’un
concept avec une image acoustique26, image acoustique qu’il ne faut nullement confondre
avec le son matériel lui-même mais qui est l’empreinte psychique de ce son. Afin de souligner
l’autonomie de la langue comme système formel et la démarquer des substances (sons et
idées) en écartant une terminologie empreinte de psychologisme, le concept est appelé signifié
et l’image acoustique signifiant.

23
Par exemple, le fait qu’il se produit et se produira toujours des changements phonétiques est en soi un principe
très général vérifiable en tout temps et par la même une loi panchronique ; en revanche, tel ou tel changement
particulier ne constitue pas en soi un phénomène intemporel et ne peut donc correspondre à une loi
panchronique.
24
C. L. G., p. 134.
25
C. L. G., pp. 155 et sv.
26
Voir le TEXTE II en annexe.

28
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Le signe linguistique est distingué de la notion de symbole qui présuppose l’existence


d’un lien motivé entre le signifiant et le signifié. Par exemple, si l’on considère le rapport
existant entre le symbole de la justice et sa représentation par la balance, on pourra
comprendre qu’il ne puisse être représenté par un bœuf ou une charrue. Alors que la
représentation symbolique est motivée, le lien unissant les deux faces du signe -signifiant et
signifié- est arbitraire. En effet, l’idée de sœur n’est aucunement motivée par la suite de sons
/s/, /œ/, /R/ qui lui sert de signifiant27. De plus, une même idée sera représentée par des
signifiants divers dans différentes langues, c’est ainsi que l’on aura /bœf/ bœuf en français là
où l’on a /oks/ Ochs en allemand. Ce lien purement conventionnel est établi par la
communauté linguistique ; il n’existe pas seulement entre les deux faces du signe linguistique,
mais, de façon générale, entre chacune des unités de la langue dont la délimitation et la
définition ne sont déterminées que par leurs relations mutuelles.

2. 3. 3 La notion de valeur
Au centre de cette conception se situe la notion de valeur qui est encore l’occasion de
souligner le caractère formel et non substantiel de la langue. Selon Saussure, la valeur d’une
unité linguistique est définie par les positions relatives de cette unité à l’intérieur du système
de la langue. La notion de valeur est ici distinguée de celle de signification, cette dernière est
en effet définie en référence au monde matériel (la substance) alors que la première ne l’est
pas. Afin d’expliciter la notion de valeur, le C. L. G. fait une nouvelle fois appel à la
métaphore du jeu d’échecs. Chacune des pièces de l’échiquier ne représente rien par elle-
même mais trouve sa définition -sa valeur- dans sa position au sein de la règle du jeu et dans
ses relations vis-à-vis des autres pièces. Si l’on remplace “ en substance ” la pièce du fou par
un dé à coudre ou un taille-crayon, cela n’aura aucune répercussion sur le jeu lui-même tant
que l’on conservera les mêmes relations et positions formelles déterminées par la règle. De la
même façon, un signe linguistique s’inscrit dans un réseau de relations avec d’autres signes
linguistiques ; la valeur de chaque signe, comme celle de chaque pièce du jeu d’échecs,
dépend de sa position dans le système par rapport aux autres signes. En outre, la langue peut
présenter des différences et des identités. Ainsi, un mot pourra être prononcé de façon variable
avec, par exemple, différentes intonations, ou encore être affecté de nuances diverses de sens,
il n’en restera pas moins qu’il sera toujours perçu comme étant le même mot. Ce sentiment de
l’identité du mot, tant dans sa prononciation que dans son sens, est directement lié aux
différences perçues par rapport à la prononciation ou la signification d’autres mots, de sorte
que la valeur d’un signe linguistique sera déterminée par tout le réseau de ressemblances et de
différences spécifiant la position et les relations de ce signe à l’égard des autres. C’est en cela
que la réalité du signe linguistique est inséparable de sa situation dans le système.
À titre d’exemple, prenons dans la langue française le sous-système des noms
appellatifs au singulier, soit madame, mademoiselle, monsieur. On dira que la valeur de
monsieur n’est pas comparable à celle de madame puisqu’il n’existe pas au masculin, pour
marquer l’opposition marié/non marié, un terme équivalent à mademoiselle (*mondamoiseau
étant inusité).

2. 4 Syntagme/paradigme
Il a été vu que les unités d’une langue sont définies par leurs relations mutuelles dans le
système. Ces relations peuvent s’établir selon deux axes : un axe horizontal où s’organisent
les combinaisons ; un axe vertical où s’organisent les associations.

27
Voir le TEXTE III en annexe.

29
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 4. 1 Le caractère linéaire du signe


En plus de l’arbitraire, le C. L. G. souligne le caractère linéaire du signe linguistique. En effet,
les unités linguistiques se présentent l’une après l’autre dans la chaîne sonore et forment ainsi
une suite linéaire. De fait, il n’est pas possible de réaliser plusieurs signes linguistiques au
même moment, mais seulement de façon successive. Plusieurs signes peuvent former, de
façon linéaire, des combinaisons appelées syntagmes. Les relations qui s’organisent en
fonction de cette linéarité entre les unités linguistiques sont dites syntagmatiques.

2. 4. 2 Relation d’ordre associatif


Les unités linguistiques peuvent également entretenir un autre type de relation, non plus
linéaire, mais cette fois-ci d’ordre associatif. En dehors de la chaîne du discours, un locuteur
peut associer dans sa mémoire plusieurs mots ayant des caractéristiques communes et
constituer ainsi différents groupes déterminés chacun par des rapports spécifiques. Par
exemple, à partir du terme enseignement, il sera possible de former un groupe de mots ayant
le même radical : {enseignement, enseigner, renseigner…}, ou encore un même suffixe :
{enseignement, armement, changement…}, ou bien un sens commun : {enseignement,
éducation, apprentissage…}. Ces rapports associatifs mettent en relation des mots dans le
cerveau de chaque individu28.
Tout système linguistique se trouve structuré en fonction de ces deux axes,
syntagmatique et associatif (paradigmatique), par rapport auxquels chaque unité est située.

3. Portée et limites de ces distinctions


Les quelques notions du C. L. G. que nous avons présentées sont de type programmatique,
elles devaient notamment permettre, nous l’avons dit, de définir l’objet de la linguistique ainsi
que d’établir la méthodologie d’une discipline conçue désormais de manière autonome. Si les
distinctions examinées ci-dessus ont pu contribuer en ce sens, il n’en reste pas moins que les
dichotomies auxquelles elles invitent ont souvent prêté à discussion.

3. 1 Difficultés dans la pratique des découpages


Tout d’abord, passons rapidement sur les difficultés dans la pratique même de ces
découpages. Toute la conception de la langue dans le C. L. G. repose sur la discrétion29 des
unités linguistiques. Elle suppose alors résolues l’identification et la distinction de chacune de
ces unités, c’est-à-dire le fait de reconnaître une même unité à travers ses multiples
occurrences ainsi que de savoir si deux occurrences correspondent à des unités différentes. Du
reste, soulignons que Saussure n’a pas, sur la base des principes de son enseignement, élaboré
lui-même de grammaire concrète, ni même fournit des critères le permettant.

3. 2 Oppositions langue/parole, synchronie/diachronie


Nous avons également vu qu’au sein de certaines dichotomies le C. L. G. privilégie l’une des
faces opposées : la langue sur la parole, la synchronie sur la diachronie.

28
Le terme associatif sera par la suite remplacé par le terme paradigmatique ; un paradigme sera donc un
ensemble d’unités linguistiques entretenant entre elles un rapport virtuel de substituabilité.
29
La discrétion est la propriété selon laquelle des unités linguistiques sont définies comme distinctes les unes des
autres au sein du système relationnel qui les constitue.

30
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. 2. 1 Le primat de la synchronie
En ce qui concerne le primat de la synchronie, il a pu être objecté que la langue change
continuellement et qu’il est par conséquent arbitraire, sinon illusoire, de vouloir observer un
état sans tenir compte des changements auquel il est soumis. Comment alors déterminer que
l’on passe d’un état de langue à un autre ?
En fait, ce n’est pas tant la distinction synchronie/diachronie qui est véritablement ici
en question (distinction qui même ‘arbitraire’ n’en reste pas moins indispensable pour
l’analyse linguistique) que la manière dont elle est pensée, c’est-à-dire comme distinction de
l’homogène de l’hétérogène. Cette distinction est, nous l’avons vu, immédiatement corrélée à
la dichotomie langue/parole. La langue, dans une perspective synchronique, est définie par le
C. L. G. comme un système homogène ; ce n’est que dans la diachronie qu’elle manifestera,
sous les effets des actes individuels de parole, un aspect d’hétérogénéité et ce de par les
changements qui la transformeront en ‘états’ de langue successifs.
Il est clair qu’il est infiniment plus commode de définir comme objet d’étude une
entité homogène plutôt qu’hétérogène. Maintenant, il reste à savoir si cette définition, au delà
de cette simple commodité évoquée, n’est pas réductrice dans sa limitation et, par conséquent
préjudiciable à la conception même de l’objet et, finalement, à la scientificité de la discipline.
Pour l’exprimer autrement, est-il légitime de déployer triplement (système/manifestation du
système, social/individuel, homogène/hétérogène) l’opposition langue/parole comme le fait le
C. L. G. ?

3. 2. 2 Le triple déploiement de l’opposition langue/parole


S’il n’est pas question de remettre en cause la première distinction (système/manifestation du
système), son recouvrement par les deux autres est en revanche très contestable. Si le C.L.G.
revendique la nature sociale de la langue, ce n’est que pour insister sur son caractère d’être
l’unificatrice du domaine social. En revanche, les différenciations linguistiques ne sont
censées relever, selon lui, que de l’emploi du système par les individus. En fait, la
problématique saussurienne souffre ici de son idéologie du domaine social, idéologie qui ne
conçoit la société que sous un aspect unifié. Or, il est maintenant largement reconnu que le
domaine social manifeste également des différenciations et des distinctions qui ne sont guère
réductibles aux simples individus. La position du C. L. G. consiste donc, tout en considérant
la langue comme une institution sociale 30, un produit qui fait corps avec la vie des masses31,
à l’écarter de la réalité sociale dans ses distinctions et ses variations.

3. 3 L’opposition de Meillet
C’est précisément sur cet aspect du C. L. G. que, très tôt, un élève de Saussure, Antoine
Meillet (1866-1936), s’oppose au délaissement de cette réalité. Toutefois, la contestation de
Meillet ne porte pas tant sur les définitions conceptuelles mêmes du C. L. G. que sur
l’opposition de celui-ci entre linguistique interne et linguistique externe. Pour Meillet, ces
deux linguistiques ne doivent pas être opposées mais associées pour n’en constituer qu’une
seule. De même, ce n’est pas tant l’opposition langue/parole qu’il discute que la distinction
synchronie/diachronie ; en effet, selon lui, la structure de la langue doit être expliquée par
l’histoire.

30
C. L. G., p. 105.
31
C. L. G., p. 108.

31
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. 4 La remise en question “ labovienne ”


Il faudra attendre le linguiste américain William Labov pour voir clairement remis en
question l’idée que seuls les faits linguistiques invariants sont de nature à faire système et que
les faits de variations échappent à la structure. A partir de William Labov, les linguistes
commenceront à considérer que, derrière leur apparente hétérogénéité, les faits variables
peuvent être la manifestation d’une structure permettant cette variabilité, de sorte qu’il est
désormais possible de comprendre l’origine du changement linguistique dans la structure
variable d’un état de langue32. Si les langues changent, c’est parce que leurs structures
respectives ont des aspects variables qui permettent ces changements.

4. L’héritage du cours
Il est certainement significatif que Saussure n’ait pas rédigé lui-même le C. L. G., de même
qu’il ait détruit un grand nombre de ses notes de cours manuscrites. De fait, il pourrait être
permis de penser qu’il était conscient du caractère encore approximatif de son enseignement
ainsi que des contradictions qu’il pouvait comprendre. Quoi qu’il en soit, le C. L. G. va
modeler et alimenter durablement la réflexion linguistique. C’est ainsi que de nombreux
linguistes vont reprendre son enseignement tout en le précisant ou en le développant de
manières parfois divergentes.
Son influence marquera toute les tendances de la linguistique européenne de type
structurale : la glossématique (1931) fondée notamment par L. Hjelmslev et H. J. Uldall,
l’école de Prague (1926) avec N. S. Troubetzkoy, R. Jakobson et S. Karczevski, ou encore
l’école fonctionnaliste française avec A. Martinet et G. Gougenheim.
De la conception du C.L.G. comme quoi il n’y a de structure que dans ce qui unifie la
communauté sociale, découlera l’insistance de la linguistique structurale sur la fonction de
communication de la langue (comprise comme fonction structurée et structurante), au
détriment de toutes ses autres fonctions sociales comprises à la fois comme lieu, instrument et
enjeux des rapports sociaux.

32
Pour une explicitation plus approfondie, on pourra se reporter à l’introduction de Pierre Encrevé à la
traduction de l’ouvrage de William Labov, Sociolinguistique, 1976.

32
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTES I
Langage, langue, parole

Texte manuscrit 160 B, cité par Tullio de Mauro dans son édition critique du C. L. G., note
63, p.419.
“ La langue est un ensemble de conventions nécessaires adoptées par le corps social pour permettre
l'usage de la faculté du langage chez les individus <définition>. La faculté du langage est un fait
distinct de la langue, mais qui ne peut s'exercer sans elle. Par la parole on désigne l'acte de l'individu
réalisant sa faculté au moyen de la convention sociale qui est la langue <définition>. ”

SAUSSURE, F. de (1916). Cours de linguistique générale. Paris (édition critique de Tullio de MAURO, 1972,
Paris, Payot). Pp.30-31.
“ En séparant la langue de la parole, on sépare du même coup : 1° ce qui est social de ce qui est
individuel ; 2° ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel.
La langue n'est pas une fonction du sujet parlant, elle est le produit que l'individu enregistre
passivement ; elle ne suppose jamais de préméditation, et la réflexion n'y intervient que pour l'activité
de classement (...).
La parole est au contraire un acte individuel de volonté et d'intelligence, dans lequel il convient de
distinguer : l° les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue
d'exprimer sa pensée personnelle ; 2° le mécanisme psycho-physique qui lui permet d'extérioriser ces
combinaisons. ”

TEXTE II
La nature du signe linguistique
SAUSSURE, F. de (1916). Cours de linguistique générale. Paris (édition critique de Tullio de MAURO, 1972,
Paris, Payot). Pp.98-100.
“ Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.
Cette dernière n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psychique de ce
son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s'il nous
arrive de l'appeler “ matérielle ”, c'est seulement dans ce sens et par opposition à l'autre terme de
l'association, le concept, généralement plus abstrait.
Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand nous observons notre propre
langage. Sans remuer les lèvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter
mentalement une pièce de vers. C'est parce que les mots de la langue sont pour nous des images
acoustiques qu'il faut éviter de parler des “ phonèmes ”, dont ils sont composés. Ce terme, impliquant
une idée d'action vocale, ne peut convenir qu'au mot parlé, à la réalisation de l'image intérieure dans le
discours. En parlant des sons et des syllabes d'un mot, on évite ce malentendu, pourvu qu'on se
souvienne qu'il s'agit de l'image acoustique.
Le signe linguistique est donc une entité psychique à deux faces, qui peut être représentée par la
figure :

33
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Ces deux éléments sont intimement unis et s'appellent l'un l'autre. Que nous cherchions le sens du
mot latin arbor ou le mot par lequel le latin désigne le concept “ arbre ”, il est clair que seuls les
rapprochements consacrés par la langue nous apparaissent conformes à la réalité, et nous écartons
n'importe quel autre qu'on pourrait imaginer.

Cette définition pose une importante question de terminologie. Nous appelons signe la combinaison
du concept et de l'image acoustique : mais dans l'usage courant ce terme désigne généralement l'image
acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n'est
qu'en tant qu'il porte le concept “ arbre ”, de telle sorte que l'idée de la partie sensorielle implique celle
du total.
L'ambiguïté disparaîtrait si l'on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui
s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour
désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant ;
ces derniers termes ont l'avantage de marquer l'opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total
dont ils font partie. Quant à signe, si nous nous en contentons, c'est que nous ne savons par quoi le
remplacer, la langue usuelle n'en suggérant aucun autre. ”

TEXTE III
L'arbitraire du signe
SAUSSURE, F. de (1916). Cours de linguistique générale. Paris (édition critique de Tullio de MAURO,
1972, Paris, Payot). Pp.100-101
“ Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par
signe le total résultant de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus
simplement : le signe linguistique est arbitraire.
Ainsi l'idée de “ sœur ” n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert
de signifiant; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quelle autre : à preuve les différences
entre les langues et l'existence même de langues différentes : le signifié “ bœuf ” a pour signifiant b-ö-f
d'un côté de la frontière, et o-k-s (Ochs) de l'autre. (…)
Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend
du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer
à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-
dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité. ”

34
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE IV
Le signe considéré dans sa totalité
SAUSSURE, F. de (1916). Cours de linguistique générale. Paris (édition critique de Tullio de MAURO, 1972,
Paris, Payot). Pp.166-167.
“ (... ) dans la langue il n'y a que des différences. Bien plus : une différence suppose en général des
termes positifs entre lesquels elle s'établit ; mais dans la langue il n'y a que des différences sans termes
positifs. Qu'on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui
préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des
différences phoniques issues de ce système. Ce qu'il y a d'idée ou de matière phonique dans un signe
importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. La preuve en est que la valeur d'un
terme peut être modifiée sans qu'on touche ni à son sens ni à ses sons, mais seulement par le fait que
tel autre terme voisin aura subi une modification.
Mais dire que tout est négatif dans la langue, cela n'est vrai que du signifié et du signifiant pris
séparément; dès que l'on considère le signe dans sa totalité, on se trouve en présence d'une chose
positive dans son ordre. Un système linguistique est une série de différences de sons combinées avec
une série de différences d'idées; mais cette mise en regard d'un certain nombre de signes acoustiques
avec autant de découpures faites dans la masse de la pensée engendre un système de valeurs ; et c'est
ce système qui constitue le lien effectif entre les éléments phoniques et psychiques à l'intérieur de
chaque signe. Bien que le signifié et le signifiant soient, chacun pris à part, purement différentiels et
négatifs, leur combinaison est un fait positif ; c'est même la seule espèce de faits que comporte la
langue, puisque le propre de l'institution linguistique est justement de maintenir le parallélisme entre
ces deux ordres de différences. ”

TEXTE V
La langue comme pensée organisée dans la matière phonique
SAUSSURE, F. de (1916). Cours de linguistique générale. Paris (édition critique de Tullio de MAURO, 1972,
Paris, Payot). Pp.155-157.
“ Psychologiquement, abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n'est qu'une
masse amorphe et indistincte. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que,
sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d'une façon claire et
constante. Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement
délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue.
En face de ce royaume flottant, les sons offriraient-ils par eux-mêmes des entités circonscrites
d'avance? Pas davantage. La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide ; ce n'est pas un
moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se
divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin. Nous
pouvons donc représenter le fait linguistique dans son ensemble, c'est-à-dire la langue, comme une
série de subdivisions contiguës dessinées à la fois sur le plan indéfini des idées confuses et sur celui
non moins indéterminé des sons (…)
La langue est encore comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso; on
ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso ; de même dans la langue, on ne
saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son ; on n'y arriverait que par une abstraction dont
le résultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologie pure.
La linguistique travaille donc sur le terrain limitrophe où les éléments des deux ordres se
combinent ; cette combinaison produit une forme, non une substance. ”

35
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

IV - Le structuralisme européen
Plan du cours
0. Introduction
1. Le cercle linguistique de Prague
1. 1 Une théorie fonctionnaliste
1. 2 Les travaux de phonologie
2. Roman Jakobson
2. 1 L’unité ultime de l’analyse phonologique est le trait distinctif
2. 2 La question de l’universalité des traits distinctifs
2. 3 La binarité des traits distinctifs
2. 4 Bref descriptif
2. 5 Héritage
3. Martinet et le fonctionnalisme français
3. 1 La double articulation
3. 2. Définition de la langue
3. 3 La grammaire fonctionnelle, son objet
TEXTE I
Le langage est l’instrument de la communication
et l’acte de parole est la communication d’un message
TEXTE II
Les fonctions du langage
TEXTE III
La double articulation du langage
TEXTE IV
Il ne faut pas confondre le langage avec son usage instrumental

Bibliographie
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 35-48)
FUCHS, C. et LE GOFFIC, P. (1992). Les linguistiques contemporaines. Paris : Hachette
(pp. 23-52)
KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Editions du Seuil. (pp. 215-235)
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Editions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman.
A titre consultatif :
BENVENISTE, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard.
JAKOBSON, R. (1963). Essais de linguistique générale. Paris : Les Editions de Minuit.
HJELMSLEV, L. (1943). Omgring sprogteoriens grundloeggelse. Copenhague (tr. fr.,
1968, Prolégomènes à une théorie du langage, avec la Structure fondamentale du
langage, Paris : Ed. de Minuit)
MARTINET, A. (1960). Eléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin
(réédition 1991).
TROUBETZKOY, N. S. (1939). Grundzüge der Phonologie. Prague (tr. fr. par J.
Cantineau, 1949, Principes de phonologie, Paris : Klincksieck, réimpr. 1967)

36
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

0. Introduction
Après Saussure, l’organisation inhérente de la langue est désormais appelée structure, terme
que le linguiste genevois n’avait jamais utilisé pour lui préférer celui de système. Dès lors,
toute démarche théorique qui envisagera la langue comme un ensemble d’éléments
entretenant des relations formelles sera dite structuraliste.
Le structuralisme tient désormais pour acquise l’idée que la linguistique a pour unique
et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même. Il n’en demeure pas
moins que la notion de structure pourra être perçue avec un éclairage différent selon les
linguistes. Alors que l’“ on entend par structure, particulièrement en Europe, l’arrangement
d’un tout en parties et la solidarité démontrée entre les parties du tout qui se conditionnent
mutuellement ; pour la plupart des linguistes américains, ce sera la répartition des éléments
telle qu’on la constate et leur capacité d’association ou de substitution ”.33 On comprendra
donc que sous l’appellation de linguistique structurale de nombreuses sensibilités et tendances
puissent exister. Nous nous intéresserons dans ce chapitre aux courants européens et
reporterons la présentation du structuralisme américain au chapitre suivant.
Il est particulièrement difficile de dresser, en quelques pages, un panorama exhaustif
des différentes tendances. Nous nous limiterons ici à la présentation du Cercle de Prague avec
ses développements ultérieurs constitués, d’une part, par les travaux de Jakobson et, d’autre
part, par les travaux de l’école fonctionnaliste française, en privilégiant dans celles-ci
quelques-uns de leurs aspects les plus marquants.

1. Le cercle linguistique de Prague


L’École de Prague, créée sous l’impulsion du linguiste tchèque Vilém Mathesius en 1926,
s’inspire des principes du Cours de linguistique générale de Saussure. Elle se propose
d’étudier la langue comme un système, un système fonctionnel, tout en considérant les faits
linguistiques concrets et sans écarter les méthodes comparatives de l’étude de l’évolution du
langage (à côté de l’analyse synchronique elle souligne l’intérêt de l’analyse diachronique et
historique). Ses théories sont exposées dans les Travaux du Cercle linguistique de Prague
(TCLP), œuvre collective éditée de 1929 à 1938.
Prague constitue alors un important point de rencontre entre l’Occident et l’Union
soviétique. A côté des linguistes russes Serge Karcevskij, Nikolaï Sergueïevitch Troubetzkoy
et Roman Jakobson, participent également à ce cercle des linguistes français : Emile
Benveniste, André Martinet, Lucien Tesnière.

1. 1 Une théorie fonctionnaliste

1. 1. 1 La notion de fonction
Le C.L.G. abordait la notion de fonction de manière essentiellement "négative" en affirmant
que la fonction de la langue "n’est pas" de représenter une pensée qui existerait
indépendamment d’elle, ou encore que, contrairement à ce que pensaient les comparatistes, la
fonction de communication de la langue "n’est pas" une cause de désorganisation.

33
Benveniste, E. (1966). Problèmes de linguistique générale, 1. Paris : Gallimard. (p. 9).

37
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Cette notion est maintenant reprise de manière "positive" en ce que l’étude des langues
est présentée comme une recherche des fonctions qui, au sein de la communication, sont
exercées par les éléments, les classes, les mécanismes de ces langues. Ces fonctions seraient
censées organiser la structure des langues. Une telle idée est importante en ce que
l’explication des phénomènes linguistiques ne sera plus exclusivement envisagée de manière
diachronique. L’étude d’un état de langue pourra également apporter, au delà de la simple
description synchronique, des éléments explicatifs. Mais, comme il a été précisé ci-dessus,
l’intérêt de l’analyse historique n’est pas pour autant écarté.

1. 1. 2 Le programme du cercle
Le programme du cercle est intitulé :
“ Problèmes de méthodes découlant de la conception de la langue comme système et
importance de ladite conception pour les langues slaves (la méthode synchronique et ses
rapports avec la méthode diachronique, comparaison structurale et comparaison génétique,
caractère fortuit ou enchaînement régulier des faits d’évolution linguistique). ”
Il définit la langue comme “ un système de moyens d’expression appropriés à un but ” et
affirme à son sujet que “ la meilleure façon de connaître l’essence et le caractère d’une
langue, c’est l’analyse synchronique des faits actuels, qui offrent seuls des matériaux
complets et dont on peut avoir le sentiment direct ”. Plus encore, il est impossible de
considérer les changements transformant une langue “ sans tenir compte du système qui se
trouve affecté par lesdits changements…D’un autre côté, la description synchronique ne peut
pas non plus exclure absolument la notion d’évolution, car même dans un secteur envisagé
synchroniquement existe la conscience du stade en voie de disparition, du stade présent et du
stade de formation ; les éléments stylistiques sentis comme archaïsmes, en second lieu la
distinction des formes productives et non productives sont des faits de diachronie, que l’on ne
saurait éliminer de la linguistique synchronique. ”
Il s’intéresse en premier lieu à l’étude de l’aspect phonique des langues. Pour le son,
deux aspects sont distingués : “ comme fait physique objectif, comme représentation et
comme élément du système fonctionnel ”. Lorsque c’est le second aspect qui est envisagé, la
dénomination de phonème est alors employée.
Il approche également la question de la variation de la réalisation des phonèmes en
fonction de la structure morphologique où ils apparaissent34 : “ Le morphonème, image
complexe de deux ou plusieurs phonèmes susceptibles de se remplacer mutuellement, selon
les conditions de la structure morphologique à l’intérieur d’un même morphème (par
exemple, en russe, le morphonème dans le complexe =), joue un rôle
capital dans les langues slaves. ”
Une théorie des procédés syntagmatiques est également envisagée : “ L’acte
syntagmatique fondamental, qui est en même temps l’acte même créateur de la phrase, est la
prédication. ”
L’étude de tous ces points de vue n’est pas envisagée d’une manière abstraite mais est
consacrée à la langue concrète appréhendée à travers ses manifestations concrètes dans la
communication.

34
Ce que l’on appelle la morphophonologie.

38
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

1. 2 Les travaux de phonologie


Parmi tous les thèmes de préoccupations, prédominent les travaux de phonologie réalisés
particulièrement par Troubetzkoy (1890-1938) et Jakobson (1896-1982). Si la langue est un
système où tout se tient est un des grands slogans du structuralisme, c’est dans le travail de
Troubetzkoy et de ses collaborateurs que l’on trouvera l’exposé le plus détaillé de cette thèse,
particulièrement sur le plan de la phonologie.

1. 2. 1 La notion de système phonologique


Selon Jakobson : “ Nous appelons système phonologique d’une langue le répertoire, propre à
cette langue, des “ différences significatives ” existant entre les idées des unités acoustico-
motrices, c’est-à-dire le répertoire des oppositions auxquelles peut être attachée, dans une
langue donnée, une différenciation des significations (répertoire des oppositions
phonologiques). Tous termes d’opposition phonologique non susceptibles d’être dissociés en
sous-oppositions phonologiques plus menues, sont appelés phonèmes. ”35

1. 2. 2 Différence entre phonétique et phonologie


C’est autour de l’ouvrage de Troubetzkoy, Grundzüge der Phonologie, TCLP VII, Prague,
1939 (trad. fr. par J. Cantineau, Principes de phonologie, Paris, 1949) que se constitue la
phonologie structurale européenne de la première partie du vingtième siècle. Troubetzkoy y
souligne la différence entre la phonétique et la phonologie. Alors que la phonétique est la
“ science des sons de la parole ”, c’est-à-dire “ la science de la face matérielle des sons du
langage humain ”36, la phonologie est la “ science des sons de la langue ” elle “ doit
rechercher quelles différences phoniques sont liées, dans la langue étudiée, à des différences
de signification, comment les éléments de différenciation (ou marques37) se comportent entre
eux et selon quelles règles ils peuvent se combiner les uns avec les autres pour former des
mots ou des phrases. (…) Le phonologue ne doit envisager en fait de son que ce qui remplit
une fonction déterminée dans la langue. ”38

1. 2. 3 La notion de phonème
Il reprend et précise la notion de phonème. Le C.L.G. utilisait déjà le terme de phonème mais,
bien que sa théorie structurale de la langue appliquée à la phonologie formulait assez
clairement le concept de distinction phonémique, il désignait par ce terme un son physique ou,
pour le dire autrement, une occurrence phonétique39. Pour Troubetzkoy, le phonème est
définit dans les atomes de la chaîne parlée comme une image sonore à la fois représentative et
différentielle, et non pas comme une réalité physique (i.e. l’ensemble des caractéristiques d’un
son). Tout en insistant sur la différence entre le phonème et le son concret : “ Les sons
concrets qui figurent dans le langage sont plutôt de simples symboles matériels des
phonèmes ”, il écarte les conceptions psychologiques40 de la notion (le sentiment linguistique

35
Remarques sur l’évolution phonétique du russe comparée à celle des autres langues slaves, TCLP II, 1929
36
Principes de phonologie, p.11
37
d’après la terminologie de K. Bühler.
38
Principes de phonologie, pp. 11-12
39
réalisation matérielle, substantielle.
40
Notamment celle du linguiste polonais J. Baudouin de Courtenay (1845-1929) pour qui le phonème était
“ l’équivalent psychologique du son du langage ” ; pour une critique approfondie cf. Principes de phonologie, p.
41 et suivantes.

39
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

de l’usager) pour souligner que “ le phonème est avant tout un concept fonctionnel, qui doit
être défini par rapport à sa fonction ”.41

1. 2. 4 La fonction des sons élémentaires (phonèmes)


Mais quelle peut donc être, dans la communication, la fonction des sons élémentaires ?
Rappelons que la langue est ici conçue comme un système de différences. Par conséquent, la
fonction d’un élément de ce système ne sera remplie que s’il se différencie, s’oppose à un
autre élément. Ainsi, on considérera en français que le phonème /p/ s’oppose au phonème /b/
puisque, si l’on remplace l’un par l’autre, une distinction de sens se produira. Le  de poire
permet de distinguer ce mot de boire. Cette considération est ici cruciale pour le linguiste car
elle lui fournit un principe d’abstraction. En effet, toute modification dans la prononciation de
 ou  qui ne produirait pas un changement de sens ne sera pas considérée comme
pertinente puisqu’elle ne répondra pas à une intention de communication. On voit donc
comment le fonctionnalisme isole parmi toutes les caractéristiques physiques d’un son donné,
dans une langue donnée, celles qui ont une valeur distinctive, c’est-à-dire celles qui sont
sélectionnées afin de permettre la communication d’une information. Elles seules seront
considérées comme pertinentes.

41
Principes de phonologie, pp. 43

40
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. Roman Jakobson
Jakobson avait contribué à lancer le Cercle linguistique de Prague en 1926 et avait collaboré
très étroitement avec Troubetzkoy. Néanmoins, surtout à partir du décès prématuré de ce
dernier en 1938, Jakobson commença à rejeter un certain nombre de présupposés partagés par
les saussuriens et les praguois.

2. 1 L’unité ultime de l’analyse phonologique est le trait distinctif


Tout d’abord, l’unité ultime de l’analyse phonologique pour Jakobson n’est plus le phonème
mais le trait distinctif. La tâche du phonologue n’est plus de dégager un inventaire
phonémique sur lequel on plaque des relations diverses menant à des traits distinctifs mais de
reconstruire les systèmes phonologiques à partir de l’atome ultime de la description, à savoir
le trait distinctif. Un des points d’opposition reposera sur la question de l’universalité de ces
traits distinctifs.

2. 2 La question de l’universalité des traits distinctifs


Pour comprendre l’originalité de la position jakobsonienne, il est bon de s’arrêter un instant
sur la manière qu’ont les structuralistes d’aborder le phonème.

2. 2. 1 Les structuralistes et le phonème


Pour le structuralisme européen ou américain (comme nous le verrons après), les phonèmes
sont des entités propres à chaque langue et la façon dont leurs réalisations découpent la
substance phonique est arbitraire. De la même façon que l’univers kaléidoscopique des
couleurs est censé être divisé de façon arbitraire par chaque langue, le continuum articulatoire
supportera une infinité de divisions possibles. Le français sépare  et  dans le continuum
allant des dents à la zone postalvéolaire ; l’espagnol n’y opère qu’une seule distinction (d’où
les variations allophoniques possibles dans les dialectes de l’espagnol entre des réalisations
sifflantes  et  pour le phonème que l’on transcrira ). Les seules contraintes, pour les
phonologues structuralistes, sont les limites articulatoires (ou perceptuelles) très générales qui
pèsent sur la production (ou la perception) des sons. Par exemple, s’il est théoriquement
possible de produire une infinité de voyelles entre /i/ et /a/, les langues ne permettent que peu
d’oppositions pertinentes de ce type car elles seraient difficiles à distinguer du point de vue
auditif. C’est ainsi que l’Américain Joos affirme que “ les langues pouvaient être différentes
les unes des autres sans limites et de façon imprévisible ”.42

2. 2. 2 La position de Jakobson
Jakobson ne nie évidemment pas que des contraintes générales pèsent sur les systèmes
phonologiques. Au contraire, il va beaucoup plus loin que ses prédécesseurs en rejetant le
principe de l’arbitraire du signifiant phonique. La récurrence des traits dans la constitution des
inventaires de phonèmes des langues, dans leurs combinaisons, dans les processus
synchroniques et diachroniques qui les affectent, dans l’acquisition de la phonologie et dans
sa dissolution aphasique, le fait pencher vers une autre hypothèse non pas relativiste mais
universaliste. Il postule, en effet, un ensemble universel de traits distinctifs dans lequel
chaque langue vient puiser un sous-ensemble universel de traits distinctifs pour constituer son
système phonologique.
42
Joos (1957). Readings in Linguistics. Washington D.C. : American Council of Learned Societies, p. 96

41
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 3 La binarité des traits distinctifs


Outre le caractère universel des traits distinctifs, Jakobson défend aussi l’idée que toutes les
oppositions se ramènent en dernier ressort à des relations binaires (présence vs. absence
d’une propriété, ou bien présence d’une propriété et de son contraire, qu’on dénote dans tous
les cas en affectant un trait des valeurs + ou -). La justification de cette position est complexe.
Jakobson note que, dans les Principes de phonologie de Troubetzkoy et dans les systèmes
linguistiques, les relations vraiment graduelles sont rares. D’autre part, il souscrit à l’idée que
le binarisme est central dans la structure du comportement humain : les cellules du cerveau
humain, rappelle-t-il, opèrent en mode binaire et la théorie de l’information, qui joue un rôle
central chez Jakobson, ramène le décodage à des séquences de décisions alternatives de type
oui/non (on/off)43.

2. 4 Bref descriptif
Les traits jakobsoniens sont présentés et défendus dans divers travaux dont les plus connus
sont Preliminaries to Speech Analysis de Jakobson, Fant et Halle (1952) et Fundamentals of
Language de Jakobson et Halle (1956). Si on laisse de côté les traits dits prosodiques (par
exemple, long/bref), les traits distinctifs sont au nombre de douze : 1) vocalique/non-
vocalique, 1) consonantique/non-consonantique, 3) compact/diffus, 4) tendu/lâche, 5)
voisé/non-voisé, 6) nasal/oral, 7) discontinu/continu, 8) strident/mat, 9) bloqué/non-bloqué,
10) grave/aigu ; 11) bémolisé/non-bémolisé, 12) diésé/non-diésé. Cette approche est
importante car elle signale une remontée de la substance en phonologie. En effet, si Jakobson
et ses collaborateurs ne rejettent pas l’aspect fonctionnel, ils intègrent la phonologie au circuit
de la communication envisagée comme acte neuro-psychologique et physique (articulatoire,
acoustique et auditif).

2. 5 Héritage
L’approche universaliste et binariste de Jakobson et de ses collaborateurs s’est, comme toute
approche novatrice, heurtée à de nombreuses résistances. Il faut noter que les deux hypothèses
(universalisme et binarisme) sont indépendantes l’une de l’autre. De nombreux chercheurs
continuent à souscrire à l’idée que la structure sonore des langues du monde est construite à
partir d’un ensemble de dimensions phonologiques en nombre limité sans forcément adhérer
au binarisme. L’œuvre de Jakobson est considérable et ne saurait être réduite à ses travaux sur
la phonologie. Elle envisage également le langage des enfants, l’étude le l’aphasie, les
fonctions du langage jusqu’à la langue poétique. Il est l’auteur de très nombreux travaux dans
tous les domaines de la linguistique44 et de la théorie littéraire.

3. Martinet et le fonctionnalisme français


En France, les travaux d’André Martinet (né en 1908) et de son école fonctionnaliste
s’inscrivent dans la tradition de l’Ecole de Prague, particulièrement dans la ligne des travaux
de phonologie de Troubetzkoy. Ils y apportent un éclairage complémentaire tout en l’intégrant
à une variante de la théorie de l’information. Toute l’analyse de ce linguiste est centrée sur le
concept de fonction qui constitue le critère de détection de ce qui est pertinent dans la

43
Tous les contre-exemples apparents (par exemple, les points d’articulation des consonnes et l’échelle de
hauteur des voyelles) seront analysés à partir de compositions de relations binaires plus primitives.
44
Par exemple, les articles de Essais de linguistique générale, I et II

42
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

communication linguistique. Là encore, le rôle du phonème est essentiel dans ces travaux. La
phonologie y est appelée phonétique fonctionnelle.

3. 1 La double articulation
Martinet pose (en 1960) comme fondamental à l’étude du langage l’existence de deux plans
qu’il appelle première articulation et deuxième articulation.

3. 1. 1 La 1ère articulation
“ La première articulation du langage est celle selon laquelle tout fait d’expérience à
transmettre s’analyse en une suite d’unités douées chacune d’une forme et d’un sens ”. Ainsi,
pour reprendre un de ses exemples, j’ai mal à la tête se décompose en six unités de la
première articulation (j’, ai, mal, à, la, tête) qui ont chacune une forme (un signifiant) et un
sens (un signifié). Martinet appelle ces signes des monèmes.45 Ces unités de première
articulation ne peuvent s’analyser en unités successives plus petites douées de sens : le mot
tête veut dire “ tête ” et l’on ne peut attribuer à ses sous-parties successives (par exemple, tê-
et –te) des sens distincts dont la somme serait équivalente à “ tête ”.

3. 1. 2 La 2e articulation
En revanche, la forme phonique est analysable en une succession d’unités dont chacune
contribue à distinguer tête, par exemple, d’autres unités comme bête, tante ou terre. C’est ce
que Martinet désigne comme la deuxième articulation du langage. Dans le cas de tête, on
pourrait par exemple représenter ce mot par la transcription phonémique .

3. 2. Définition de la langue
La définition qu’énonce Martinet pour la langue repose précisément sur cette conception :
“ Une langue est un instrument de communication selon lequel
l’expérience humaine s’analyse, différemment dans chaque communauté, en
unités douées d’un contenu sémantique et d’une expression phonique, les
monèmes ; cette expression phonique s’articule à son tour en unités distinctives
et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la
nature et les rapports mutuels diffèrent aussi d’une langue à une autre. ”46

3. 3 La grammaire fonctionnelle, son objet


L’objet de la grammaire fonctionnelle est d’étudier la double articulation. Elle est
essentiellement composée d’une phonologie et d’une syntaxe. Martinet, ne reconnaît aucune
autre caractéristique universelle à toutes les langues humaines que celle de la double
articulation. En cela, il s’oppose aux conceptions de Jakobson. Martinet a également cherché
à faire le lien entre linguistique diachronique et synchronique (Économie des changements
phonétiques, Traité de phonologie diachronique, Berne, 1955). Enfin, sa théorie syntaxique
s’offre essentiellement comme une tentative de description des énoncés sans vraiment
entrevoir et aborder leurs formalisations et leurs explications. De manière générale, on doit à
cette tradition de nombreux travaux descriptifs sur les langues du monde.

45
D’autres parlent à ce propos de morphème.
46
Martinet, A.(1960). Eléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin (p. 20)

43
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE I
Le langage est l’instrument de la communication
et l’acte de parole est la communication d’un message

JAKOBSON, R. (1963) Essais de linguistique générale. Paris : Les Editions de Minuit.


(pp.28, 29,32)
(…) le langage, c’est réellement les fondations même de la culture. Par rapport au langage, tous les
autres systèmes de symboles sont accessoires ou dérivés. L'instrument principal de la communication
porteuse d'information, c'est le langage.
Dans l'étude du langage en acte, la linguistique s'est trouvée solidement épaulée par le
développement impressionnant de deux disciplines parentes, la théorie mathématique de la
communication et la théorie de l'information. (…) De quel ordre est exactement l'utilité de la théorie
de la communication pour la linguistique, et vice-versa ? Il faut reconnaître que, sous certains aspects,
les problèmes de l'échange de l'information ont trouvé chez les ingénieurs une formulation plus exacte
et moins ambiguë, un contrôle plus efficace des techniques utilisées, de même que des possibilités de
quantification prometteuses. D'un autre côté, l'expérience immense accumulée par les linguistes
relativement au langage et à sa structure leur permet de mettre au jour les faiblesses des ingénieurs
quand ils s'attaquent au matériel linguistique. (…)
Analysons les facteurs fondamentaux de la communication linguistique : tout acte de parole met en
jeu un message et quatre éléments qui lui sont liés : l'émetteur, le receveur, le thème (topic) du
message, et le code utilisé. (…)
Je pense que la réalité fondamentale à laquelle le linguiste a affaire, c'est l'interlocution -l'échange
de messages entre émetteur et receveur, destinateur et destinataire, encodeur et décodeur.

TEXTE II
Les fonctions du langage
MARTINET, A. (1960). Eléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin (réédition 1991). Pp. 9-10.
Toutefois, dire que le langage est une institution ne renseigne qu'imparfaitement sur la nature de ce
phénomène. Bien que métaphorique, la désignation d'une langue comme un instrument ou un outil
attire très utilement l'attention sur ce qui distingue le langage de beaucoup d'autres institutions. La
fonction essentielle de cet instrument qu'est une langue est celle de communication : le français, par
exemple, est avant tout l'outil qui permet aux gens “ de langue française ” d'entrer en rapport les uns
avec les autres. Nous verrons que, si toute langue se modifie au cours du temps, c'est essentiellement
pour s'adapter de la façon la plus économique à la satisfaction des besoins de communication de la
communauté qui la parle.
On se gardera cependant d'oublier que le langage exerce d'autres fonctions que celle d'assurer la
compréhension mutuelle. En premier lieu le langage sert, pour ainsi dire, de support à la pensée, au
point qu'on peut se demander si une activité mentale à qui manquerait le cadre d'une langue mériterait
proprement le nom de pensée. Mais c'est au psychologue, non au linguiste, de se prononcer sur ce
point. D'autre part, l'homme emploie souvent sa langue pour s'exprimer, c'est-à-dire pour analyses ce
qu'il ressent sans s'occuper outre mesure des réactions d'auditeurs éventuels. Il y trouve, par la même
occasion, le moyen de s'affirmer à ses yeux et à ceux d'autrui sans qu'il y ait véritablement désir de
rien communiquer. On pourrait également parler d'une fonction esthétique du langage qu'il serait

44
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

difficile d'analyser, tant elle s'entremêle étroitement aux fonctions de communication et d'expression.
En dernière analyse, c'est bien la communication c'est-à-dire la compréhension mutuelle, qu'il faut
retenir comme la fonction centrale de cet instrument qu'est la langue. Il est, à cet égard, remarquable
que les sociétés répriment par la raillerie le soliloque, c'est-à-dire l'emploi du langage à des fins
purement expressives. Celui qui veut s'exprimer sans crainte de censure doit se trouver un public
devant lequel il jouera la comédie de l'échange linguistique. Tout indique d'ailleurs que la langue de
chacun se corromprait vite, n'était la nécessité de se faire comprendre. C'est cette nécessité permanente
qui maintient l'outil en bon état de marche.

TEXTE III
La double articulation du langage
MARTINET, A. (1960). Eléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin (réédition 1991). Pp. 13-14.
On entend souvent dire que le langage humain est articulé. Ceux qui s'expriment ainsi seraient
probablement en peine de définir exactement ce qu'ils entendent par là. Mais il n'est pas douteux que
ce terme corresponde à un trait qui caractérise effectivement toutes les langues. Il convient toutefois de
préciser cette notion d'articulation du langage et de noter qu'elle se manifeste sur deux plans
différents : chacune des unités qui résultent d'une première articulation est en effet articulée à son tour
en unités d'un autre type.
La première articulation du langage est celle selon laquelle tout fait d'expérience à transmettre,
tout besoin qu'on désire faire connaître à autrui s'analysent en une suite d'unités douées chacune d'une
forme vocale et d'un sens. Si je souffre de douleurs à la tête, je puis manifester la chose par des cris.
Ceux-ci peuvent être involontaires ; dans ce cas ils relèvent de la physiologie. Ils peuvent aussi être
plus ou moins voulus et destinés à faire connaître mes souffrances à mon entourage. Mais cela ne
suffit pas à en faire une communication linguistique. Chaque cri est inanalysable et correspond à
l'ensemble, inanalysé, de la sensation douloureuse. Tout autre est la situation si je prononce la phrase
j'ai mal à la tête. Ici, il n'est aucune des six unités successives j', ai, mal, à, la, tête qui corresponde à
ce que ma douleur a de spécifique. Chacune d'entre elles peut se retrouver dans de tout autres
contextes pour communiquer d'autres faits d'expérience : mal, par exemple, dans il fait le mal, et tête
dans il s'est mis à leur tête. On aperçoit ce que représente d'économie cette première articulation : on
pourrait supposer un système de communication où, à une situation déterminée, à un fait d'expérience
donné correspondrait un cri particulier. Mais il suffit de songer à l'infinie variété de ces situations et de
ces faits d'expérience pour comprendre que, si un tel système devait rendre les mêmes services que nos
langues, il devrait comporter un nombre de signes distincts si considérable que la mémoire de l'homme
ne pourrait les emmagasiner. Quelques milliers d'unités, comme tête, mal, ai, la, largement
combinables, nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions
de cris inarticulés différents.
La première articulation est la façon dont s'ordonne l'expérience commune à tous les membres d'une
communauté linguistique déterminée. Ce n'est que dans le cadre de cette expérience, nécessairement
limitée à ce qui est commun à un nombre considérable d'individus, qu'on communique
linguistiquement. L'originalité de la pensée ne pourra se manifester que dans un agencement inattendu
des unités. L'expérience personnelle, incommunicable dans son unicité, s'analyse en une succession
d’unités, chacune de faible spécificité et connue de tous les membres de la communauté. On ne tendra
vers plus de spécificité que par l'adjonction de nouvelles unités, par exemple en accolant des adjectifs
à un nom, des adverbes à un adjectif, de façon générale des déterminants à un déterminé. C'est dans ce
cadre que peut s'exercer la créativité de celui qui parle.
Chacune de ces unités de première articulation présente, nous l'avons vu, un sens et une forme vocale
(ou phonique). Elle ne saurait être analysée en unités successives plus petites douées de sens :
l'ensemble tête veut dire “ tête ” et l'on ne peut attribuer à tê- et à -te des sens distincts dont la somme
serait équivalente à “ tête ”. Mais la forme vocale est, elle, analysable en une succession d'unités dont

45
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

chacune contribue à distinguer tête, par exemple, d'autres unités comme bête, tante ou terre. C'est ce
qu'on désignera comme la deuxième articulation du langage. Dans le cas de tête, ces unités sont au
nombre de trois ; nous pouvons les représenter au moyen des lettres t e t, placées par convention entre
barres obliques, donc /tet/. On aperçoit ce que représente d'économie cette seconde articulation : si
nous devions faire correspondre à chaque unité significative minima une production vocale spécifique
et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes
articulatoires et la sensibilité auditive de l'être humain. Grâce à la seconde articulation, les langues
peuvent se contenter de quelques dizaines de productions phoniques distinctes que l'on combine pour
obtenir la forme vocale des unités de première articulation : tête, par exemple, utilise à deux reprises
l'unité phonique que nous représentons au moyen de /t/ avec insertion entre ces deux /t/ d'une autre
unité que nous notons /e/.

TEXTE IV
Il ne faut pas confondre le langage avec son usage instrumental

BENVENISTE, E. (1966) Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard. (pp. 258-


259)
Si le langage est, comme on dit, instrument de communication, à quoi doit-il cette propriété ? (... )
Deux raisons viennent alors successivement à l'esprit. L'une serait que le langage se trouve en fait ainsi
employé, sans doute parce que les hommes n'ont pas trouvé de moyen meilleur ni même d'aussi
efficace pour communiquer. Cela revient à constater ce qu'on voudrait comprendre. On pourrait aussi
penser à répondre que le langage présente telles dispositions qui le rendent apte à servir d'instrument ;
il se prête à transmettre ce que je lui confie, un ordre, une question, une annonce, et provoque chez
l'interlocuteur un comportement chaque fois adéquat. Développant cette idée sous un aspect plus
technique, on ajouterait que le comportement du langage admet une description behavioriste, en terme
de stimulus et de réponse, d’où l’on conclut au caractère médiat et instrumental du langage. Mais est-
ce bien du langage que l'on parle ici ? Ne le confond-on pas avec le discours ? Si nous posons que le
discours est le langage mis en action, et nécessairement entre partenaires, nous faisons apparaître, sous
la confusion, une pétition de principe, puisque la nature de cet “ instrument ” est expliquée par sa
situation comme “ instrument ”. Quant au rôle de transmission que remplit le langage, il ne faut pas
manquer d'observer d'une part que ce rôle peut être dévolu à des moyens non linguistiques, gestes,
mimique, et d'autre part, que nous nous laissons abuser, en parlant ici d'un “ instrument ”, par certains
procès de transmission qui, dans les sociétés humaines, sont, sans exception, postérieures au langage et
qui en imitent le fonctionnement. Tous les systèmes de signaux, rudimentaires ou complexes, se
trouvent dans ce cas.
En réalité la comparaison du langage avec un instrument, et il faut bien que ce soit avec un
instrument matériel pour que la comparaison soit simplement intelligible, doit nous remplir de
méfiance, comme toute notion simpliste au sujet du langage. Parler d'instrument, c'est mettre en
opposition l'homme et la nature. La pioche, la flèche, la roue ne sont pas dans la nature. Ce sont des
fabrications. Le langage est dans la nature de l'homme, qui ne l'a pas fabriqué.

46
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

V - Le structuralisme américain

Plan du cours

0. Introduction
1. Edward Sapir et l’ethnolinguistique
2. Bloomfield et le distributionnalisme
2. 1 L’antimentalisme
2. 2 L’analyse en constituants immédiats
2. 3 L’analyse distributionnelle
3. Conclusion
TEXTE I
Un exemple d’analyse distributionnelle
TEXTE II
Chaque langue possède sa propre structure grammaticale
qui détermine une vision du monde particulière

Bibliographie
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 49-56)
FUCHS, C. et LE GOFFIC, P. (1992). Les linguistiques contemporaines. Paris : Hachette
(pp. 53-63, sur le distributionnalisme et le transformationnalisme)
KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Editions du Seuil. (pp. 235-247)
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Editions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman.

A titre consultatif :

SAPIR, E. (1921). Language (traduction française (1953). Le langage, une introduction à


l'étude de la parole. Paris : Payot).
SAPIR, E. (1967). Anthropologie. Paris : Edition de Minuit.
SAPIR, E. (1968). Linguistique. Paris : Edition de Minuit.
BLOOMFIELD, L. (1933). Language. (traduction française (1970). Le langage. Paris :
Payot).
HARRIS, Z. S. (1951). Methods in Structural Linguistics. Chicago (réédité sous le titre
Structural Linguistics).

47
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

0. Introduction
Au début du XXe siècle, la linguistique américaine s’oriente, avec les travaux de Boas, Sapir,
Bloomfield, vers une linguistique de type structurale. Toutefois, le structuralisme développé
sur ce continent différera parfois sensiblement du structuralisme européen. La situation
linguistique du continent américain se caractérise par une certaine spécificité. On y trouve
quelques 150 familles de langues amérindiennes soit plus de milles langues. Une telle
situation est particulièrement préoccupante tant pour les administrateurs que pour les
ethnologues et anthropologues47. En effet, toutes ces langues se présentent sous un aspect
exclusivement oral et non codifié et la plupart sont peu ou pas comprises. Il est donc assez
explicable que les tendances philologique, historique et comparative soient assez peu
représentées. Il est de même tout aussi compréhensible que, devant la tâche de description qui
incombe aux linguistes, un effort particulier soit entrepris afin d’élaborer des méthodes
descriptives neutres qui, non seulement permettent de faire abstraction de la propre langue du
chercheur, mais tiennent également compte de ce que la manière de penser des informateurs
leur est (partiellement ou totalement) inconnue. C’est d’abord dans le cadre de
l’anthropologie que la linguistique américaine va d’abord se développer. Dans cette pratique,
elle sera très vite influencée par la théorie du béhaviorisme48. Cette dernière crée une
psychologie comportementale objective ne faisant pas intervenir le recours à l’introspection. .

1. Edward Sapir et l’ethnolinguistique


Edward Sapir (1884-1939), considéré comme un précurseur du structuralisme américain, fut
initialement formé dans la tradition néogrammairienne à la philologie classique et
germanique. Il s’écarte de cette tradition pour se consacrer, sous l'influence de
l’anthropologue Franz Boas (1858-1942), à la description des langues et cultures
amérindiennes. Les conditions même de la description font que celle-ci ne peut être envisagée
que de manière synchronique et formelle. Il est conduit, indépendamment des conceptions de
Ferdinand de Saussure et avant les travaux du Cercle de Prague, à proposer dès 1925 une
définition du phonème. Cette notion est formulée comme une réalité psychologique en tant
que pattern49 sonore.
Professeur au Canada (de 1910 jusqu’en 1925) puis à Chicago et à Yale, il élabore une
typologie des langues non plus d’après leur origine mais d’après leurs caractéristiques
formelles, tant morphologiques que sémantiques, et particulièrement en fonction de l’analyse
conceptuelle opérée par le langage. L’hypothèse qu’il introduit (et que son “ disciple ”
Benjamin Lee Whorf (1897-1941) développera et qui sera alors connue sous le nom
d’hypothèse de Whorf-Sapir) est que chaque langue possède une vision particulière du monde,
vision qui conditionne et organise de façon spécifique la pensée de chaque communauté.
Parallèlement à sa position structuraliste (où la langue est étudiée pour elle-même…) Sapir
envisage également la langue comme un produit social et historique et comme “une
représentation des produits de l’expérience ”. Il définit sa conception structurale du langage

47
Anthropologie : étude des institutions, des croyances, des coutumes et traditions des différentes sociétés
humaines.
Ethnolinguistique : étude du langage des peuples sans écriture et des relations chez ces peuples entre le langage,
la culture et la société.
48
Watson J. B. (1924). Behaviorism. Weiss, A. P. (1925). A Theoretical Basis of Human Behavior.
49
Modèle d’une structure.

48
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

de la façon suivante : “ Le langage en tant que structure constitue, par son aspect intérieur, le
moule de la pensée ”.
Son ouvrage de synthèse Language : an Introduction to the Study of Speech (1921),
insiste sur le caractère systématique des faits linguistiques. Sapir exercera une influence
considérable sur la linguistique américaine. Tout comme son contemporain Bloomfield, il
propose une linguistique synchronique, mais contrairement à ce dernier, il tient compte du fait
anthropologique et donne toute son importance aux considérations sémantiques et lexicales.
Insistant sur le caractère symbolique du langage et sur sa fonction première de
communication, Sapir s’oppose aux conceptions et méthodes mécanistes inspirées du
béhaviorisme.

2. Bloomfield et le distributionnalisme
Leonard Bloomfield (1887-1949), va profondément marquer le développement de la
linguistique aux États-Unis et dans le monde. Né à Chicago, il étudie la grammaire et la
philologie germanique à Harvard puis séjourne une année en Allemagne où il suit les cours
des grands comparatistes de l’époque (Brugmann, Leskien…). De 1909 à 1927 il enseigne
dans plusieurs universités américaines. Il est professeur de philologie germanique à
l'université de Chicago de 1927 à 1940, il est ensuite nommé à l'université de Yale où il
succède à Edward Sapir à la chaire de linguistique générale.
Après des travaux de phonologie et de morphologie indo-européennes, il publie une
introduction à l’étude du langage (1914) et étudie les langues des peuples de Polynésie et des
Indiens d'Amérique (particulièrement celles du groupe algonquin). Il fait œuvre de pionnier
avec la publication des Tagalog Texts (1917), où il présente ses recherches sur le tagalog,
langue des Philippines. Ses talents de descripteur et de comparatiste lui permettent de
produire une œuvre qui, avec les travaux de ses grands contemporains Boas et Sapir, restera
parmi les classiques de ce domaine : les Menomini Texts (1928), les Plains Cree Texts
(1934), son célèbre ouvrage Linguistic Structures of Native America (1946) et Menomini
Morphophonemics (1939)
Il est l’un des fondateurs de la Linguistic Society of America (Société américaine de
linguistique) et de sa revue Language en 1925. Il publie en 1933 un important travail de
synthèse en linguistique générale : Language. Ses positions sont alors fondées sur celles de la
psychologie du comportement, le béhaviorisme. Cette théorie, strictement déterministe50 et
matérialiste51, repose sur la considération des seuls comportements observables, elle les
ramène à des réponses à des stimulants, ce sont les réflexes conditionnés. La communication,
notamment linguistique, est ainsi réduite à des schémas de type stimulus~réponse.
Pour Bloomfield, une analyse scientifique de la langue ne doit prendre en compte que
ce qui est directement observable : analyse phonologique, analyse de la phrase en Immediate
Constituants (i.e. les constituants immédiats). L’influence de ses conceptions antimentalistes
et de ses travaux s’exercera profondément et durablement sur la linguistique américaine,
particulièrement à travers le distributionnalisme.

50
Déterminisme : conception philosophique selon laquelle il existe des rapports de cause à effet entre les
phénomènes physiques, les actes humains, etc.
51
Matérialisme : conception qui affirme que rien n’existe en dehors de la matière et que l’“ esprit ” est lui-même
entièrement matériel ; selon elle, la matière constituerait tout l’être de la réalité.

49
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

2. 1 L’antimentalisme
La linguistique de Bloomfield est profondément ancrée dans la psychologie béhavioriste qui
triomphe aux États-Unis à partir de 1920. Avec le béhaviorisme, la psychologie devient une
science naturelle qui étudie le comportement humain comme un ensemble d’excitations
(stimuli) et de réponses (actions). Ici, les termes relatifs à l’activité mentale comme “ savoir ”
et “ penser ” sont considérés comme non scientifiques. Le comportement est expliqué par
quelques lois d’apprentissage qui reposent sur des mécanismes de stimulus et réponse (on les
étudie avec des rats qui appuient sur des leviers et des chiens qui salivent en réponse à des
sons…)
Selon cette théorie, le comportement humain est entièrement explicable et prévisible à
partir des situations dans lesquelles le comportement apparaît. Cette explication et cette
prévisibilité sont ici absolument indépendantes de tout facteur interne comme, par exemple,
les sentiments, les croyances, les intentions du sujet. Conformément à cette approche,
Bloomfield envisage l’explication de la parole non pas en ce que celle-ci serait un effet des
pensées du locuteur (attitude mentaliste), mais par les conditions externes de son apparition.
A une position mentaliste il oppose une position mécaniste.

2. 1. 1 Une position mécaniste


Le langage, envisagé ici en termes strictement matérialistes et mécanistes, est compris à la
fois comme un stimulus et comme une réponse à ce stimulus :
S  r ………. s  R
Selon ce schéma, un stimulus (S), qui correspond à un événement externe, conduit un
locuteur à parler (r). Cette réponse linguistique du locuteur constitue alors un stimulus
linguistique (s) pour l’auditeur, stimulus auquel répond une réponse pratique (R).

2. 1. 2 La question du sens, pourquoi ne peut-on pas le connaître ?


Pour Bloomfield, le sens d’un message est défini comme l’ensemble de la situation de
communication. La signification d’une forme linguistique sera donc la situation dans laquelle
le locuteur emploie cette forme et la réponse manifestée par l’auditeur. La signification ainsi
comprise ne dépend pas de la subjectivité du locuteur (de sa manière de penser) ou de celle de
l’auditeur. La parole n’est pas considérée ici, rappelons-le, comme un effet de la pensée. Dans
une telle conception, connaître le sens d’un message supposerait que l’on connaisse tous les
paramètres de la situation de communication, et que l’on soit donc omniscient. C’est pour
cette raison que Bloomfield considère que le sens est, jusqu’à présent, inconnaissable et qu’il
ne peut être utilisé par le linguiste dans son analyse. Il s’ensuit que l’explication mécaniste
des paroles n’est pas encore réalisable, aussi demande-t-il à ce que le linguiste se restreigne à
une simple description de celles-ci. Il s’oppose ainsi, tant à l’historicisme des néo-
grammairiens qu’au fonctionnalisme dont la notion de fonction est jugée intuitive et finaliste.

2. 1. 3 La tâche du linguiste
Conformément à cette vision antimentaliste, la tâche des linguistes est d’établir sur la base des
seules données observables une description formalisable, non psychologique et rigoureuse des
faits de langue. Par l’étude objective du comportement, Bloomfield veut faire de la
linguistique une science positive. Il reste que, du fait qu’il est impossible pour le linguiste de
recourir à la signification, il lui faut donc disposer de méthodes qui lui permettent d’analyser
les langues indépendamment du domaine sémantique. Pour mener à bien cette entreprise,

50
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Bloomfield propose alors des méthodes d’analyse spécifiques : l’analyse distributionnelle et


l’analyse en constituants immédiats. Ces méthodes sont appliquées à un corpus (un ensemble
fini de données) dont le rôle est fondamental dans la conception théorique.

2. 2 L’analyse en constituants immédiats

2. 2. 1 Un modèle taxinomique
Le modèle d’analyse linguistique que propose Bloomfield est un modèle taxinomique. Il
s’agit, au moyen d’une procédure de découverte, de classer l’ensemble des constructions
d’une langue donnée. La procédure consiste à décomposer une phrase en ses constituants les
plus larges, appelés alors constituants immédiats de la phrase, puis à décomposer à leur tour
chacun de ces constituants en ses propres constituants immédiats, et ainsi de suite jusqu’à
parvenir aux éléments les plus petits représentant les constituants ultimes de la phrase, les
morphèmes. Ainsi, une phrase comme “ l’artiste peignait un tableau ” peut être décrite
comme se composant de deux constituants immédiats : un syntagme nominal (SN) l’artiste et
un syntagme verbal (SV) peignait un tableau. Le SN l’artiste se décompose à son tour en
deux constituants : un déterminant (Det) le et un nom (N) artiste ; et le SV peignait un
tableau comprend lui un verbe (V) peignait et un SN un tableau qui se décompose lui-même
en un Det un et un N tableau, et ce jusqu’aux constituants ultimes.

2. 2. 2 Organisation hiérarchique de la phrase


Dans la décomposition en constituants immédiats évoquée ci-dessus on peut voir que, pour
Bloomfield, la structure de la phrase n’est pas formée par une simple suite linéaire de
constituants ultimes mais par une organisation hiérarchique où les éléments de rang inférieur
intègrent des éléments de rang supérieur, ces derniers pouvant eux-mêmes être intégrés à un
niveau encore supérieur. La structure phrastique se caractérise donc par plusieurs couches de
constituants. La méthode générale initialement établie par Bloomfield sera développée par K.
L. Pike, B. Bloch, et surtout R. S. Wells, Ch. F. Hockett et Z. S. Harris.

2. 2. 3 Le "découpage" des constituants


Dans son principe, le formalisme de l’analyse en constituants immédiats ne recourt pas aux
catégories grammaticales classiques. Il suffit en effet de diviser une phrase en deux éléments
qui seront à leur tour décomposés en deux autres éléments… . Ce type d’analyse est donc
censé constituer, a priori, un outil dégagé des présupposés formés sur les langues indo-
européennes. En effet, de nombreuses langues qui n’appartiennent pas à cette famille,
possèdent des catégories logiques et grammaticales très différentes. Il reste que cette liberté
de l’analyse peut parfois être assez illusoire car, s’il est vrai que les catégories grammaticales
ou logiques ne sont pas explicitement imposées, il n’empêche que le découpage opéré obéit
de fait à l’intuition du linguiste, laquelle est guidée par un savoir grammatical et logique
implicite. La reconnaissance et l’identification de chacun des constituants est ici permise par
la mise en œuvre de l’analyse distributionnelle.

2. 3 L’analyse distributionnelle
Le principe de l’analyse distributionnelle consiste à délimiter et classer les éléments suivant la
place qu'ils peuvent occuper dans la chaîne parlée. Elle doit ainsi permettre d’aboutir à une
description totale d’un état de langue en synchronie. L’idée qui sous-tend ce principe
d’analyse est que les différentes parties d’une langue s’associent de manière, non pas

51
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

arbitraire, mais spécifique. La tâche strictement formelle qui consiste à examiner la


distribution de chacun des éléments d’une langue est censée écarter toute considération
relative au sens.

2. 3. 1 Un corpus fini
L’observation porte sur un corpus fini considéré comme représentatif de la langue étudiée. Ce
corpus est constitué selon un certain nombre de critères qui permettent d’en garantir à fois la
représentativité et l’homogénéité et ce, en écartant toute variation contextuelle.

2. 3. 2 Différents niveaux d’analyse


L’analyse de ce corpus sera pratiquée à différents niveaux de la langue : phonologique,
morphologique, phrastique. Chacun de ces niveaux hiérarchisés présente des unités dont la
combinaison s’établit au niveau supérieur (cf. l’analyse en constituants immédiats).

2. 3. 3 Identification des unités


Les éléments sont identifiés à chaque niveau par la segmentation de la chaîne parlée sans
jamais, en principe, recourir au sens. C’est en effet la simple comparaison entre les différents
énoncés qui doit permettre de révéler les associations et les configurations possibles. En fait,
cette simple posture de principe n’est jamais pleinement respectée et le linguiste ne peut
s’empêcher de considérer, dès que cela lui est possible, le sens des éléments analysés afin de
vérifier l’identité ou la différence entre plusieurs énoncés.

2. 3. 4 Description de l’environnement
Lorsque les unités ont été dégagées, on procède alors à la description de leur environnement,
c’est-à-dire celle des éléments se situant sur leur droite ou leur gauche. La somme des
environnements d’un élément dans un corpus est appelé sa distribution. Les éléments sont
également définis en fonction des restrictions imposées à la combinaison des éléments de rang
inférieur qui les composent.

2. 3. 5 Établissement de classes distributionnelles


Des classes distributionnelles (i.e. paradigmes) sont établies en fonction des regroupements
des distributions de chacun des éléments (i. e. une classe distributionnelle regroupe les
éléments qui ont une même distribution). Par exemple, les noms seront définis comme la
classe des éléments qui admettent sur leur gauche un déterminant et sur leur droite un verbe ;
de même les phonèmes seront définis, non pas par leurs propres caractéristiques phonétiques,
mais en fonction de leurs combinaisons ou des restrictions portant sur ces combinaisons.
Selon cette approche, la grammaire d’une langue sera une grammaire de listes énumérant
pour chaque classe distributionnelle les différents éléments apparaissant dans un même
contexte.52

2. 3. 6 Une méthode inductive


Une telle méthode est dite inductive. En effet, elle induit d’un corpus de phrases les éléments
et les règles qui s’y appliquent par la détermination de la distribution (somme des
environnements) de chaque unité. Dans cette approche, le linguiste part des faits pour induire

52
A titre d’exemple et pour une explicitation de la procédure, on se reportera au TEXTE I en annexe.

52
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

des généralisations. La grammaire d’une langue est obtenue à travers ce que l’on appelle une
procédure de découverte : l’analyse distributionnelle appliquée aux données du corpus
produira la grammaire de la langue étudiée. Selon une telle approche, il ne peut y avoir pour
une langue qu’une et une seule grammaire. Les principes de l’analyse distributionnelle seront
systématisés et développés par le linguiste américain d’origine russe Zellig Sabbetai Harris.
Le TEXTE I ci-après vous donne un exemple concret d’une application de la démarche
distributionnelle.

3. Conclusion
Si l’on excepte E. Sapir, une des spécificités du structuralisme américain est donc de
considérer, contrairement aux idées de Saussure et de ses “ successeurs ” européens, qu’il
n’est pas possible de définir le sens et d’envisager la relation du locuteur au monde réel. En
effet, à partir de Bloomfield, les structuralistes américains estiment qu’il est impossible de
prendre en compte tous les facteurs impliqués dans les phénomènes de parole. Les méthodes
proposées sont de nature à fournir une description formelle des langues mais sans que soit
pour autant envisagée une explication des phénomènes rencontrés. Sur la base de ces
méthodes, les structuralistes américains se consacreront exclusivement à la description de la
structure de la langue en embrassant toutes les unités linguistiques la composant (i.e.
phonologiques, morphologiques, phrastiques).

53
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE I
Un exemple d’analyse distributionnelle
CHISS, J. L., FILLIOLET, J., MAINGUENEAU, D. (1993). Linguistique française. Paris : Hachette (pp. 67-
68).
“ Une manipulation simple va nous permettre d'éclairer la procédure distributionnelle.

Soit une langue fictive, représentée par le corpus suivant où les lettres symbolisent par exemple des
mots et les suites de lettres des phrases de cette langue :

gab, eab, epb, eaqb, epdb, gacea, epcga, gpcep, gadcea, gaqcea, epcgpq.

Nous voudrions voir s'il est possible de dégager de ce corpus des classes distributionnelles : pour ce
faire, il faut regrouper dans la même classe les éléments qui ont le même environnement, dans un
deuxième temps, on verra quelles séquences de ces classes se rencontrent dans le corpus (= les
formules distributionnelles).

Une première méthode consiste à dresser un inventaire complet des environnements de chacun des
éléments, de manière à comparer entre elles leurs caractéristiques distributionnelles.

-a -b -c -d e g p q
g-b ga- ga-ea ep-b -ab -ab e-b ea-b
e-b ea- ep-ga ga-cea -pb -acea e-db ga-cea
e-qb ep- gp-ep -aqb epc-a e-cga epcgp-
g-ce- eaq- gad-ea -pdb -pcep g-ce-
epcg- epd- gaq-ea gac-a -adcea e-cg-q
g-dce- ep-gpq -pcga -aqcea
g-qce- gpc-p epc-pq
gadc-a
gaqc-a
-pcgpq

On rangera dans la même classe les lettres ayant des environnements communs : c'est le cas de d et
q (ayant en commun le contexte ga-cea) ; on nommera X cette classe. De même e et g ont -ab en
commun : cette classe sera dite Y. En outre, a et p partagent les contextes e-b et g-ce-, définissant une
classe Z. On peut dès lors remplacer, dans ce corpus, les occurrences des lettres par les classes ainsi
dégagées. Opérer ainsi, c'est en quelque sorte substituer à fermer, pousser, donner, etc., la catégorie
“Verbe” ou à p, f, t... la catégorie “Consonne”, en se fondant uniquement sur une étude
distributionnelle ; en d'autres termes, on remplace les constantes (fermer, pousser, p, f ...) par des
variables (X, Y ... ). On obtient ainsi une simplification de la diversité apparente des phrases du
corpus : au lieu de manipuler des éléments particuliers, on manipule des classes d'éléments.

La réécriture du corpus donne le résultat suivant : YZb, YZb, YZb, YZXB, YZXB, YZCYZ,
YZCYZ, YZCYZ, YZXCYZ, YZXCYZ, YZCYZX. Ce qui correspond à cinq formules
distributionnelles, YZb, YZXB, YZCYZ, YZXCYZ, YZCYZX. On peut même aller plus loin :
puisque tout Y est suivi d'un Z et que tout Z est précédé d'un Y (ce que Z. Harris nomme dépendance
sérielle), on peut en faire un élément unique W, d'où : Wb, WXb, WcW, WXCW, WCWX. Pour une
interprétation, on peut par exemple remplacer a par enfant, p par bébé, e par ce, g par mon, c par aime,
b par pleure, d par jeune, q par triste. C'est là, évidemment, un corpus très élémentaire. ”

54
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE II
Chaque langue possède sa propre structure grammaticale
qui détermine une vision du monde particulière

WHORF, B. L. (1956) Language, Thought and Reality. New York : Wiley (trad. fr., 1969,
Linguistique et anthropologie, par C. Carme, Paris : Denoël-Gonthier, pp. 125-126, 139).
On s'aperçut que l'infrastructure linguistique (autrement dit, la grammaire) de chaque langue ne
constituait pas seulement “ l'instrument ” permettant d'exprimer des idées, mais qu'elle en déterminait
bien plutôt la forme, qu'elle orientait et guidait l'activité mentale de l'individu, traçait le cadre dans
lequel s'inscrivaient ses analyses, ses impressions, sa synthèse de tout ce que son esprit avait
enregistré. La formulation des idées n'est pas un processus indépendant, strictement rationnel dans
l'ancienne acception du terme, mais elle est liée à une structure grammaticale déterminée et diffère de
façon très variable d'une grammaire à l'autre. Nous découpons la nature suivant les voies tracées par
notre langue maternelle. Les catégories et les types que nous isolons du monde des phénomènes ne s'y
trouvent pas tels quels, s'offrant d'emblée à la perception de l'observateur. Au contraire, le monde se
présente à nous comme un flux kaléidoscopique d'impressions que notre esprit doit d'abord organiser,
et cela en grande partie grâce au système linguistique que nous avons assimilé. Nous procédons à une
sorte de découpage méthodique de la nature, nous l'organisons en concepts, et nous lui attribuons telles
significations en vertu d'une convention qui détermine notre vision du monde, -convention reconnue
par la communauté linguistique à laquelle nous appartenons et codifiée dans les modèles de notre
langue. Il s'agit bien entendu d'une convention non formulée, de caractère implicite, mais ELLE
CONSTITUE UNE OBLIGATION ABSOLUE. Nous ne sommes à même de parler qu'à la condition
expresse de souscrire à l'organisation et à la classification des données, telles qu'elles ont été élaborées
par convention tacite.
Ce fait est d'une importance considérable pour la science moderne, car il signifie qu'aucun individu
n'est libre de décrire la nature avec une impartialité absolue, mais qu'il est contraint de tenir compte de
certains modes d'interprétation même quand il élabore les concepts les plus originaux. Celui qui serait
le moins dépendant à cet égard serait un linguiste familiarisé avec un grand nombre de systèmes
linguistiques présentant entre eux de profondes différences. Jusqu'ici aucun linguiste ne s'est trouvé
dans une situation aussi privilégiée. Ce qui nous amène à tenir compte d'un nouveau principe de
relativité, en vertu duquel les apparences physiques ne sont pas les mêmes pour tous les observateurs,
qui de ce fait n'aboutissent pas à la même représentation de l'univers, à moins que leurs infrastructures
linguistiques soient analogues ou qu'elles puissent être en quelque sorte normalisées. (... )
On aboutit ainsi à ce que j'ai appelé le “ principe de relativité linguistique ”, en vertu duquel les
utilisateurs de grammaires notablement différentes sont amenés à des évaluations et à des types
d'observations différents de faits extérieurement similaires, et par conséquent ne sont pas équivalents
en tant qu'observateurs, mais doivent arriver à des visions du monde quelque peu dissemblables. (... )
A partir de chacune de ces visions du monde, naïves et informulées, il peut naître une vision
scientifique explicite, du fait d'une spécialisation plus poussée des mêmes structures grammaticales
qui ont engendré la vision première et implicite. Ainsi l'univers de la science moderne découle d'une
rationalisation systématique de la grammaire de base des langues indo-européennes occidentales.
Évidemment, la grammaire n'est pas la CAUSE de la science, elle en reçoit seulement une certaine
coloration. La science est apparue dans ce groupe de langues à la suite d'une série d'événements
historiques qui ont stimulé le commerce, les systèmes de mesure, la fabrication et l'invention technique
dans la partie du monde où ces langues étaient dominantes.

55
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

VI - La linguistique générative

Plan du cours
0. Introduction
1. La critique du structuralisme
2. Le projet de la linguistique générative
3. Quelques notions fondamentales de la linguistique générative
3. 1 Faculté de langage et innéisme
3. 2 Les universaux de langage
3. 3 Compétence/performance
3. 4 La notion de grammaire générative
TEXTE I
Le langage est fondamentalement système d’expression de la pensée
son étude peut être indépendante de sa fonction de communication
TEXTE II
Toutes les langues humaines sont conformes à une grammaire universelle

Bibliographie
DUCROT, O. et SCHAEFFER, J.-M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage. Paris : Editions du Seuil. (pp. 65-72)
FUCHS, C. et LE GOFFIC, P. (1992). Les linguistiques contemporaines. Paris : Hachette
(pp. 71-91)
KRISTEVA, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Editions du Seuil. (pp. 251-260)
ROBINS, R.H. (1976). Brève histoire de la linguistique, de Platon à Chomsky. Paris :
Editions du Seuil.
ROBINS, R.H. (1997). A Short History of Linguistics, 4th ed.. London : Longman.

À titre consultatif :
CHOMSKY, N. (1957). Syntactic Structures. La Haye : Mouton (tr. fr. Structures
syntaxiques, 1969, Paris : le Seuil.
CHOMSKY, N. (1965). Aspects of the Theory of Generative Grammar. Cambridge,
Mass. : MIT Press (trad. fr. Aspects de la théorie syntaxique, 1971, Paris : Le Seuil.
CHOMSKY, N (1966) Cartesian Linguistics. New York : Harper and Row (tr. fr. La
linguistique cartésienne, suivie de La nature formelle du langage, 1969, Paris : le
Seuil)
POLLOCK, J.-Y. et OBENAUER H.G, éds. (1990). “ Critique et cognition : réponses à
quelques critiques de la grammaire générative ”. Recherche Linguistique de
Vincennes, 29. P.U.V.
RUWET, N. (1967). Introduction à la grammaire générative. Paris : Plon (2e éd., 1970)

56
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

0. Introduction
Pour les structuralistes, la tâche du linguiste consiste à décrire le système d’une langue. Pour
cela, quelles que soient les différences dans les méthodes employées pour dégager les unités,
il s’agit d’observer et analyser la langue de façon à obtenir une classification, une taxinomie
de ses éléments constitutifs. Si une telle démarche descriptive et inductive est nécessaire, il
n’en demeure pas moins qu’elle demeure incomplète dès lors que l’on considère qu’une
science doit également permettre d’expliquer les faits qu’elle constate, et de les prédire.
La linguistique générative, sous l’impulsion de Noam Chomsky, va définir une
nouvelle approche en tentant une démarche de type hypothético-déductif. Dans cette
démarche, elle propose des modèles qui essaient de rendre compte du fonctionnement de la
réalité tout en la simulant.
Traiter de la linguistique générative en quelques pages est une gageure. En effet, ce
courant de recherche se caractérise par une très grande vitalité et, par conséquent, non
seulement par une incessante évolution mais également par de très nombreux travaux où se
manifestent des points de vue parfois sensiblement différents. Aussi, comme nous l’avons fait
pour les autres chapitres, nous nous limiterons à l’exposé de quelques aspects caractérisant ce
mouvement.

1. La critique du structuralisme
La linguistique générative produit un ensemble de ruptures par rapport aux modèles
structuralistes, particulièrement ceux en vigueur aux États-Unis au cours de la période post-
bloomfieldienne.
Tout d’abord, du point de vue épistémologique et méthodologique, Chomsky s’oppose
à l’inductivisme du structuralisme pour lui préférer une approche hypothético-déductive telle
qu’on la trouve chez le philosophe des sciences Karl Popper53. Selon cette conception, les
théories scientifiques ne seraient pas extraites des données au moyen de procédures
mécaniques. Au contraire, l’observation et la construction des données seraient accompagnées
et sous-tendues par les théories scientifiques et peu importe, finalement, la manière dont ces
théories sont découvertes. Dans cette optique, une théorie ne peut pas consister en une
procédure de découverte ; en effet, il n’est pas ici concevable d’induire de l’observation de
l’objet (la langue) l’outil (grammaire) qui permettrait d’en rendre compte.
Dans ce travail de sape épistémologique et méthodologique, Chomsky remet
également en question la notion de corpus. Un corpus est par définition fini. Il ne peut donc
être représentatif de toutes les phrases grammaticales d’une langue puisqu’il ne contient
jamais qu’un sous-ensemble de ces phrases. Aussi long soit-il, un corpus ne pourra jamais
rendre compte de la totalité des énoncés grammaticaux possibles d’une langue donnée. La
notion de corpus conduit à ignorer une des caractéristiques fondamentales du langage, à
savoir que tout locuteur/auditeur peut produire spontanément et comprendre un nombre infini
de phrases qu’il n’a jamais prononcées ou entendues auparavant (c’est ce que Chomsky
appelle la créativité).

53
Karl Raimund Popper, philosophe britannique né à Vienne en 1902. La logique de la découverte scientifique,
1934.

57
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Si la linguistique générative émet un certain nombre de ruptures à l’égard de la


démarche structuraliste, soulignons cependant qu’elle souhaite en retenir certains aspects, et
avant tout son caractère explicite. En cela Chomsky reconnaît une nette supériorité au
distributionnalisme par rapport à la linguistique fonctionnaliste. En effet, la linguistique
distributionnaliste est explicite dans la mesure où les descriptions de la langue auxquelles elle
aboutit ne sont censées utiliser aucune notion dont la compréhension impliquerait déjà une
connaissance, soit de la langue écrite, soit du langage en général. Par exemple, tant la
linguistique fonctionnaliste que la grammaire traditionnelle recourent à l’opposition
thème/rhème où une suite de mots représente ce dont on parle, et une autre suite représente ce
que l’on en dit ; or la compréhension même de cette opposition implique, selon Chomsky, la
faculté de langage elle-même, de sorte que l’utiliser pour comprendre cette faculté ne saurait
conduire qu’à une circularité de la réflexion.
Chomsky, en bon élève de Harris et en bon lecteur des travaux de Bloomfield54, a pu
également reprendre, tout en les développant et les recomposant, certaines conceptions
élaborées par ses maîtres, notamment celle de “ transformation ” (Harris) ainsi que celle de
“ règles ordonnées ” (Bloomfield), pour les intégrer à ses travaux. Il s’est aussi largement
inspiré, pour la phonologie, des travaux de R. Jakobson et M. Halle en reprenant la
conception de “ traits binaires universels ” ; c’est d’ailleurs en collaboration avec Halle qu’il
publiera en 1969 The Sound Pattern of English, ouvrage considéré comme “ fondateur ” de la
phonologie générative.

2. Le projet de la linguistique générative


À l’inverse d’une conception taxinomique qui consiste à observer et à classer les faits,
conception défendue par la linguistique structurale (et particulièrement distributionnaliste), la
linguistique générative va affirmer une conception théorique de la grammaire en élaborant des
théories générales (des modèles hypothético déductifs). Ces théories, construites à partir d’un
nombre limité d’observations ou d’expériences, doivent pouvoir remplir trois fonctions. Tout
d’abord décrire les faits connus (c’est l’adéquation descriptive), mais également les expliquer
(c’est l’adéquation explicative), elles doivent enfin permettre la prédiction de nouveaux faits.
La linguistique générative conçoit la linguistique à l’image de sciences comme la
physique ou la chimie qui, ne se contentant pas de simplement observer le monde, émettent
également des hypothèses (des modèles hypothétiques) afin non seulement de tenter
d’expliquer les lois qui gouvernent le monde, mais également de prédire des faits nouveaux.
Émettre des hypothèses peut cependant conduire à ce que certaines se révèlent fausses, mais
ce n’est jamais là que le cheminement des disciplines scientifiques qui tirent profit de toute
réflexion :
“ En poussant une formulation précise mais inadéquate jusqu’à une conclusion
inacceptable, nous pouvons souvent mettre en lumière la source exacte de
l’inadéquation et, par conséquent, approfondir notre compréhension des données… ”55
Ces théories doivent être capables de rendre compte de la créativité du sujet parlant et
entendant (i.e. sa capacité à émettre et à comprendre une infinité de phrases nouvelles). Les
générativistes estiment que suffisamment d’observations ont pu être faites sur la langue pour
pouvoir enfin passer au stade de la construction d’une théorie de son fonctionnement.

54
Dont Menomini Morphophonemics (1939) ; cf. à ce sujet Encrevé P. (1997) dans Langages, 125, pp. 100-125.
55
Chomsky (1957). Structures syntaxiques.

58
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. Quelques notions fondamentales de la linguistique générative

3. 1 Faculté de langage et innéisme


La grammaire générative de Chomsky s’inscrit dans le courant philosophique rationaliste56 et
propose une thèse de l’innéisme de la faculté de langage. Les arguments de cette conception
sont fondés sur la déficience et l’absence du stimulus. En effet, Chomsky et les générativistes
mettent en avant le fait que l’acquisition d’une langue maternelle s’accomplit chez tous les
enfants (sauf troubles pathologiques) rapidement, sans efforts et inconsciemment, en dépit du
fait que les données linguistiques auxquelles ils sont exposés ne soient pas suffisantes, tant en
nombre qu’en “ qualité ”, pour permettre cette rapide acquisition. De plus, quelle que soit son
origine, un enfant est capable d’apprendre n’importe quelle langue et n’est prédisposé à
aucune d’entre elles.
“ L'argument de la “ pauvreté du stimulus ” part du constat d'une disproportion
considérable entre les données linguistiques pouvant servir de base à l'acquisition et (celles
découlant de) la grammaire effectivement développée chez le locuteur à la fin du processus.
Considérons deux aspects différents de cette disproportion. Le premier a trait au fait que les “
données linguistiques primaires ” (…) - i.e. les énoncés prononcés par l'entourage de l'enfant -
contiennent, comme tout discours, des infractions à la propre grammaire des locuteurs et à
celle qu'il développera lui-même. Ces données “ imparfaites ” ne lui sont pas signalées en tant
que telles, mais doivent néanmoins être “ filtrées ” pour ne pas influer sur sa grammaire en
développement. Même si ces infractions ne constituent, qu'une part limitée du discours, leur
filtrage pose un problème important en ce qu'il semble devoir s'effectuer en accord avec une
grammaire qui serait déjà plus ou moins intériorisée. (…) En résumé, la présence des données
“ en infraction ” pose un problème considérable pour une théorie “ inductive ” de l'acquisition
de la grammaire.
Le deuxième aspect de la “ pauvreté du stimulus ” est le suivant : dans quelque domaine
descriptif que l'on choisisse, de nombreux faits - parmi lesquels ceux concernant les structures
mal-formées, ou les faits d'ambiguïté - ne sont pas disponibles dans l'environnement de
l'enfant et ne font donc pas partie de son expérience. Cet état de choses (…) est incompatible
avec l'idée “ de bon sens ” que les nouveaux énoncés que le locuteur est capable d'interpréter,
de produire et de juger bien ou mal formés le sont par analogie avec d'autres, déjà rencontrés,
dans le cadre de généralisations appropriées. ”
OBENHAUER, H.G. (1990) in Recherches linguistiques de Vincennes, 19 (p. 77)

L’explication de cette rapidité d’acquisition est fournie par l’hypothèse d’une faculté
de langage innée qui serait commune à tous les locuteurs et à laquelle le petit enfant aurait
immédiatement recours lors de son apprentissage. Lorsqu’elle tente de démontrer que les
phénomènes langagiers ne sont pas réductibles au schéma stimulus-réponse, la linguistique
générative s’attaque par conséquent à l’approche béhavioriste des structuralistes. Elle va ainsi
tenter de découvrir certaines propriétés des langues naturelles pour lesquelles il n’existe aucun
stimulus dans l’ensemble des données de ces langues. Il s’ensuit que ces propriétés doivent
être innées. Dans cette perspective, la théorie générative opère un retour sur les positions du
mentalisme, avec la redécouverte des idées sur le langage du rationalisme européen, et
spécialement français, des XVIIe et XVIIIe siècles. Au demeurant, les références aux “ idées
innées ” de Descartes et à la Grammaire de Port-Royal sont particulièrement explicites.57

56
Voir à ce propos Chomsky, N. (1966) Cartesian Linguistics.
57
Cf., par exemple, Chomsky, N. (1966).

59
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. 2 Les universaux de langage58


Pour Chomsky, le but de la théorie linguistique est de spécifier la “ grammaire universelle ”
correspondant aux structures cognitives innées qui sous-tendent l’acquisition des langues
particulières par les locuteurs natifs. Les langues présenteraient des identités fondamentales
directement liées à l’universalité de la faculté innée de langage. Par conséquent, la théorie
générative se fixe comme objectif de fournir des théories universelles pour chacune des
composantes de la grammaire :
a) une théorie phonétique universelle qui doit permettre de dresser la liste des traits
phonétiques et les listes des combinaisons possibles entre ces traits ;
b) une théorie sémantique universelle qui doit permettre de dresser la liste des
concepts et des traits sémantiques possibles ;
c) une théorie syntaxique universelle comprenant la liste des relations grammaticales
de la base et celles des opérations transformationnelles capables de donner une
description structurelle de toutes les phrases.

3. 3 Compétence/performance
La linguistique générative distingue “ la connaissance que le locuteur-auditeur a de sa
langue ”, la compétence, et “ l’utilisation réelle dans des situations concrètes ”59, la
performance. La compétence est conçue comme la grammaire intériorisée par le sujet parlant
et entendant. Le travail du linguiste est ici de décrire cette compétence, c’est à dire la
grammaire qui regroupe un ensemble fini de “ règles ” et de données qui permettent
d’engendrer un nombre infini de phrases grammaticales. Une telle grammaire est qualifiée de
générative.
La distinction compétence/performance ne doit pas être assimilée à la distinction
saussurienne langue/parole. Alors que la langue était envisagée par le C.L.G. comme un
“ trésor commun ”, un fait collectif dont la parole se distinguait par son individualité, la
compétence est envisagée par Chomsky du point de vue du sujet parlant. La notion de
compétence ne s’appuie pas sur l’idée d’un domaine social qui serait unifié et homogène ; elle
est en fait étrangère à la problématique de la nature sociale et des fonctions sociales de la
langue. L’objet visé par la linguistique générative n’est pas la langue elle-même mais la
faculté de langage, faculté qui est concrétisée dans la grammaire acquise et intériorisée par le
sujet parlant. La linguistique apparaît alors comme une branche de la psychologie.
Contrairement à la dichotomie saussurienne, la compétence chomskyenne n’implique aucun
rejet de la variation sociale. Selon cette conception, le linguiste ne décrit jamais qu’un
dialecte60 (celui du sujet parlant étudié) tout en reconnaissant la multiplicité des dialectes dans
une langue et, par la même, la variation sociale. Le linguiste pourra même proposer un
modèle de relations entre tous les dialectes (i.e. variétés) d’une langue en posant une structure
sous-jacente commune où les différences seront opérées par différentes dérivations.
Enfin, il ne faut pas ici confondre la grammaire, en tant que système intériorisé par le
sujet parlant (sa compétence), avec la description qu’en donne le linguiste, description qui
reçoit elle aussi l’appellation de grammaire. Cette dernière, bien que se posant comme un
modèle de la réalité, ne reste jamais qu’un modèle hypothétique (et donc falsifiable)
58
Cf. TEXTE II
59
Chomsky, N. (1965). Aspects of the Theory of Generative Grammar.
60
Par dialecte, on entendra ici non des parlers distincts de la langue mais des variantes (par exemple régionales)
de la langue

60
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. 4 La notion de grammaire générative : exemple de la composante syntaxique


“ Dans une première étape (appelée théorie standard), la grammaire est formée de trois
parties ou composantes :
- une composante syntaxique, système des règles définissant les phrases permises dans une
langue ; - une composante sémantique, système des règles définissant l'interprétation des
phrases générées par la composante syntaxique ; - une composante phonologique et
phonétique, système de règles réalisant en une séquence de sons les phrases générées par la
composante syntaxique.
La composante syntaxique, ou syntaxe, est formée de deux grandes parties : la base, qui
définit les structures fondamentales, et les transformations, qui permettent de passer des
structures profondes, générées par la base, aux structures de surface des phrases, qui reçoivent
alors une interprétation phonétique pour devenir les phrases effectivement réalisées. Ainsi, la
base permet de générer les deux suites
(1) La + mère + entend + quelque chose,
(2) L' + enfant + chante.
La partie transformationnelle de la grammaire permet d'obtenir La mère entend que l'enfant
chante et La mère entend l'enfant chanter. Il s'agit encore de structures abstraites qui ne
deviendront des phrases effectivement réalisées qu'après application des règles de la
composante phonétique.
La base est formée de deux parties
a) La composante ou base catégorielle est l'ensemble des règles définissant les relations
grammaticales entre les éléments qui constituent les structures profondes et qui sont
représentés par les symboles catégoriels. Ainsi, une phrase est formée de la suite SN+SV, où
SN est le symbole catégoriel de syntagme nominal et SV le symbole catégoriel de syntagme
verbal : la relation grammaticale est celle de sujet et de prédicat ;
b) Le lexique, ou dictionnaire de la langue, est l'ensemble des morphèmes lexicaux
définis par des séries de traits les caractérisant ; ainsi, le morphème mère sera défini dans le
lexique comme un nom, féminin, animé, humain, etc. Si la base définit la suite de symboles :
Art+N+Prés+V+Art+N (Art = article, N = Nom, V = verbe, Prés = Présent), le lexique
substitue à chacun de ces symboles un “ mot ” de la langue : La + mère + t + finir + le +
ouvrage, les règles de transformation convertissent cette structure profonde en une structure
de surface : la + mère + finir + t + le + ouvrage, et les règles phonétiques réalisent La mère
finit l'ouvrage.
On a donc obtenu, à l'issue de la base, des suites terminales de formants grammaticaux
(comme nombre, présent, etc.) et des morphèmes lexicaux ; ces suites sont susceptibles de
recevoir une interprétation selon les règles de la composante sémantique. Pour être réalisées
elles vont passer par la composante transformationnelle.
Les transformations sont des opérations qui convertissent les structures profondes en
structures de surface sans affecter l'interprétation sémantique faite au niveau des structures
profondes. Les transformations, déclenchées par la présence dans la base de certains
constituants, comportent deux étapes : l'une consiste en l'analyse structurelle de la suite issue
de la base afin de voir si sa structure est compatible avec une transformation définie, l'autre
consiste en un changement structurel de cette suite (par addition, effacement, déplacement,
substitution) ; on aboutit alors à une suite transformée correspondant à une structure de
surface. Ainsi, la présence du constituant “ Passif, dans la suite de base entraîne des
61
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

modifications qui font que la phrase La mère finit l'ouvrage devient L'ouvrage est fini par la
mère.
Cette suite va être convertie en une phrase effectivement réalisée par les règles de la
composante phonologique (on dit aussi morphophonologique) et phonétique. Ces règles
définissent les “ mots ” issus des combinaisons de morphèmes lexicaux et de formants
grammaticaux, et leur attribuent une structure phonique. C'est la composante phonologique
qui convertit le morphème lexical “ enfant ” en une suite de signaux acoustiques []. ”
Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris : Larousse, 1994, pp. 215-216

4. Conclusion
La linguistique générative est loin de présenter, en l’état actuel, un aspect d’homogénéité.
Cette situation est, de fait, la contrepartie de la vitalité des travaux de recherche qu’elle inspire
et des débats qu’elle anime. Dans un questionnement permanent, la théorie générative a
connu, depuis ses débuts, de nombreux remaniements. Par ailleurs, si ce courant théorique a
déterminé de manière majeure une grande partie de la réflexion linguistique contemporaine, il
ne faut pas retenir pour autant qu’il représente à lui seul l’ensemble de cette réflexion. Dans
une continuelle remise en question, parfois "réaction" mais le plus souvent dans l’exploration
d’approches nouvelles, de nombreux autres courants coexistent aujourd’hui. Leur approche et
leur connaissance s’inscrira précisément dans votre futur parcours de linguiste.

62
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE I
Le langage est fondamentalement système d’expression de la pensée
son étude peut être indépendante de sa fonction de communication

CHOMSKY, N. (1975). Reflections on Language. New York : Pantheon Books, Random


House (trad. fr., 1977, Réflexions sur le langage, par J. Milner, B. Vautherin, et P. Fiala,
Paris : Maspéro, pp.71-75).
Pour (…) [Searle] une “ conception sensée du langage humain ” revient en gros à ceci :
La fonction du langage est la communication comme la fonction du cœur est de pomper le
sang. Dans les deux cas, il est possible d'étudier la structure indépendamment de la fonction, mais il
serait malvenu et sans intérêt de le faire, puisqu'il est évident qu'il y a interaction entre la structure et la
fonction. Nous communiquons principalement avec les autres mais aussi avec nous-mêmes, comme
lorsque nous nous parlons ou que nous verbalisons notre pensée pour nous-mêmes.
Le langage est le système de communication par excellence et il est “ singulier et excentrique ” de
vouloir à tout prix étudier la structure du langage indépendamment de sa fonction de communication.
(…) Je dois tout d'abord préciser que j'ai toujours rejeté certaines des positions que m'attribue
Searle. Ainsi, je n'ai jamais dit qu' “ il n’y a pas de lien intéressant ” entre la structure du langage et
“ sa fonction ”, y compris la fonction de communication ; je n'ai pas non plus “ supposé
arbitrairement ” que l'emploi et la structure ne s'influencent pas. (...) Il y a certainement des liens
significatifs entre la structure et la fonction ; cela n'est pas douteux et ne l'a jamais été. De plus, je ne
pense pas que “ ce qui est essentiel dans les langues( ... ) est leur structure ”. J'ai souvent décrit ce que
j'appelle “ l'utilisation créative du langage ” comme une caractéristique essentielle, non moins
importante que les propriétés structurales distinctives.
Il affirme que le langage a une “ fonction essentielle ”, la communication, et il considère comme
contraire au bon sens et invraisemblable que je m'oppose à cette affirmation. Il est difficile
d'argumenter sur le bon sens. Il existe effectivement une tradition tout à fait respectable, (…) qui
considère comme une déformation grossière la “ conception instrumentaliste ” selon laquelle le
langage est “ fondamentalement ” un moyen de communiquer ou de parvenir à certaines fins. Le
langage est, selon elle, “ fondamentalement ” un système d'expression de la pensée. Je suis d'accord,
sur le fond, avec cette idée. Mais, à mon avis, l'enjeu de cette discussion est mince, puisque, chez
Searle, le concept de “ communication ”, inclut la communication avec soi-même, c'est-à-dire la
pensée verbalisée. Nous pensons aussi sans verbaliser, j'en suis sûr - c'est en tout cas ce que semble
montrer l'introspection. Mais dans la mesure où nous utilisons le langage pour communiquer avec
nous-mêmes, nous ne faisons qu'exprimer nos pensées, et la distinction entre les deux conceptions
exposées par Searle tombe. J'admets donc avec Searle qu'il y a un lien essentiel entre le langage et la
communication, si l'on prend “ communication ” au sens large - ce qui me paraît être une initiative
malencontreuse, car la notion de “ communication ” est alors vidée de son caractère essentiel et
intéressant. Mais je reste sceptique lorsqu'il soutient qu’il existe un lien essentiel entre le sens et les
actes de langage (…). Examinons l'affirmation de Searle selon laquelle il est “ absurde et malvenu ”
d'étudier la structure du langage “ indépendamment de sa fonction ”. (...) Pour reprendre sa
comparaison, il ne fait pas de doute que le physiologiste qui étudie le cœur accordera une certaine
attention au fait qu'il pompe le sang. Mais il étudiera aussi la structure du cœur et l'origine de cette
structure chez l'individu et dans l'espèce, sans faire d'hypothèses dogmatiques sur la possibilité
d'“ expliquer ” cette structure en termes fonctionnels.

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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

TEXTE II
Toutes les langues humaines sont conformes à une grammaire universelle

CHOMSKY, N. (1975). Reflections on Language. New York : Pantheon Books, Random


House (trad. fr., 1977, Réflexions sur le langage, par J. Milner, B. Vautherin, et P. Fiala,
Paris : Maspéro, pp. 40-41).
La grammaire est un système de règles et de principes déterminant les propriétés formelles et
sémantiques des phrases. On utilise la grammaire, en interaction avec d'autres mécanismes mentaux,
pour parler et comprendre une langue. (... )
Définissons la “ grammaire universelle > (GU) comme le système des principes, des conditions et
des règles qui sont des éléments ou des propriétés de toutes les langues humaines, pas simplement par
accident, mais par nécessité -nécessité biologique et non logique, évidemment. Ainsi on peut
considérer que GU exprime l'“ essence du langage humain ”. GU ne variera pas selon les individus.
Elle spécifiera l'état auquel aboutit l'apprentissage du langage quand celui-ci se fait avec succès.
L'objet de l'apprentissage, la structure cognitive acquise, aura les propriétés de GU, tout en
possédant aussi d'autres propriétés, des propriétés contingentes. Toutes les langues humaines seront
conformes à GU; leurs différences tiendront à ces propriétés contingentes. (...) GU définira des
propriétés phonétiques, sémantiques et structurales. On peut prévoir que, dans tous ces domaines, GU
imposera des conditions limitant considérablement la diversité des langues.

64
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

Table des Matières


SL0005X HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE................................................................................................. 1
PRESENTATION GENERALE ................................................................................................................................... 1
INTRODUCTION A LA THEMATIQUE ...................................................................................................................... 1
ÉLEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 2
I - PORT-ROYAL ET LA GRAMMAIRE GENERALE.................................................................................. 3
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................... 3
1. L’ETUDE DES LANGUES ET DU LANGAGE DANS LE XVIIE SIECLE FRANÇAIS ..................... 4
1. 1 ESSOR DE L’INTERET POUR L’ETUDE DES LANGUES ETRANGERES .................................................................. 4
1. 2 L’EPANOUISSEMENT DU “ BEL ” USAGE ......................................................................................................... 4
1. 3 LA CONCEPTION RATIONALISTE DE LA GRAMMAIRE GENERALE .................................................................... 4
2. LE PROJET D’UNE GRAMMAIRE GENERALE ET RAISONNEE........................................................ 5
2. 1 GENERALITES ................................................................................................................................................ 5
2. 2 LA QUESTION DE LA REPRESENTATION .......................................................................................................... 5
2. 3 LA QUESTION DE L’UNIVERSALITE ................................................................................................................ 6
3. ÉLEMENTS DE GRAMMAIRE RAISONNEE ............................................................................................ 6
3. 1 LES CATEGORIES DU DISCOURS ..................................................................................................................... 6
3. 2 DE L’UNIVERSALITE DE CERTAINES REGLES .................................................................................................. 6
3. 3 UNE THEORIE DES FIGURES............................................................................................................................ 7
3. 4 SYNTAXE DE LA PROPOSITION ....................................................................................................................... 7
4. INFLUENCE DE PORT-ROYAL, LES SUCCESSEURS ............................................................................ 8
TEXTE I ..................................................................................................................................................................... 10
TEXTE II .................................................................................................................................................................... 11
II - LA LINGUISTIQUE HISTORIQUE ET COMPARATIVE .................................................................... 12
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................. 12
0. INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 13

1. ORIGINES ET DEBUTS DU COMPARATISME ...................................................................................... 13


1. 1 DEUX POLES D’INFLUENCES ........................................................................................................................ 13
1. 2 LES PREMICES, LA FIN DU XVIIIE SIECLE ..................................................................................................... 13
1. 3 LES PREMIERS TRAVAUX DU XIXE SIECLE ................................................................................................... 14
2. LA GRAMMAIRE COMPAREE, QUELQUES POINTS METHODOLOGIQUES ET THEORIQUES
.............................................................................................................................................................................. 15
2. 1 LE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ................................................................................................................. 15
2. 1. 1 Deux types de changement ................................................................................................................. 15
2. 1. 2 Implications de cette conception ........................................................................................................ 15
2. 2 LA METHODE COMPARATIVE ....................................................................................................................... 16
2. 2. 1. Confronter les mots de plusieurs langues ......................................................................................... 16
2. 2. 2 Comparer les éléments constitutifs des mots ...................................................................................... 16
2. 3 LA “ DECADENCE ” DES LANGUES COMME PRINCIPE D’EVOLUTION ............................................................. 16
2. 3. 1 La structuration grammaticale peut changer ..................................................................................... 16
2. 3. 2 Hypothèse d’explication du changement de la structure grammaticale............................................. 17
2. 3. 3 Explication de la “ décadence ” des langues..................................................................................... 17
3. LES DEVELOPPEMENTS............................................................................................................................ 17
3.1 LES NEO-GRAMMAIRIENS ............................................................................................................................. 18
3. 1. 1 Expliquer les changements linguistiques en s’appuyant sur le positivisme ....................................... 18
3. 1. 2 Étudier des changements entre langues chronologiquement proches ................................................ 18

65
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

3. 1. 3 Explication de l’évolution des langues par deux types de causalités ................................................. 18


3. 1. 4 La seule étude scientifique du langage est la méthode historique ...................................................... 19
3.2 L’INTERET POUR LES LANGUES ROMANES .................................................................................................... 19
3.3 LA SEMANTIQUE HISTORIQUE ....................................................................................................................... 20
4. CONCLUSION................................................................................................................................................ 20
TEXTE I ..................................................................................................................................................................... 21
TEXTE II .................................................................................................................................................................... 21
TEXTE III ................................................................................................................................................................... 21
III - FERDINAND DE SAUSSURE ET LE COURS DE LINGUISTIQUE GENERALE .......................... 22
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................. 22
0. INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 23

1. LES ORIENTATIONS GENERALES.......................................................................................................... 23


1. 1 CONTINUITES ET RUPTURES ......................................................................................................................... 23
1. 1. 1 L’ancrage de Saussure dans la réflexion de l’époque ........................................................................ 23
1. 1. 2 Les ruptures affichés par l’enseignement de Saussure ....................................................................... 24
1. 1. 3 L’influence de Whitney et Peirce........................................................................................................ 24
1. 2 LA MATIERE ET LES TACHES DE LA LINGUISTIQUE ....................................................................................... 25
2. LES CONCEPTS FONDAMENTAUX ......................................................................................................... 25
2. 1 LANGUE/PAROLE ......................................................................................................................................... 25
2. 1. 1 Opposition : social/individuel ............................................................................................................ 26
2. 1. 2 Opposition : système/manifestation du système ................................................................................. 26
2. 1. 3 Opposition : homogène/hétérogène.................................................................................................... 26
2. 1. 4 Linguistique interne / linguistique externe ......................................................................................... 26
2. 2 SYNCHRONIE/DIACHRONIE .......................................................................................................................... 26
2. 2. 1 Deux axes dimensionnels ................................................................................................................... 26
2. 2. 2 Primauté de la synchronie sur la diachronie ..................................................................................... 27
2. 2. 3 La perspective diachronique n’est pas pour autant écartée ............................................................... 27
2. 2. 4 Il n’y a pas de point de vue panchronique ......................................................................................... 28
2. 3 UNE THEORIE DU SIGNE : SIGNE/VALEUR/SYSTEME ..................................................................................... 28
2. 3. 1 La langue est un système où tout se tient ........................................................................................... 28
2. 3. 2 La théorie du signe ............................................................................................................................. 28
2. 3. 3 La notion de valeur ............................................................................................................................ 29
2. 4 SYNTAGME/PARADIGME .............................................................................................................................. 29
2. 4. 1 Le caractère linéaire du signe ............................................................................................................ 30
2. 4. 2 Relation d’ordre associatif ................................................................................................................. 30
3. PORTEE ET LIMITES DE CES DISTINCTIONS ..................................................................................... 30
3. 1 DIFFICULTES DANS LA PRATIQUE DES DECOUPAGES .................................................................................... 30
3. 2 OPPOSITIONS LANGUE/PAROLE, SYNCHRONIE/DIACHRONIE ......................................................................... 30
3. 2. 1 Le primat de la synchronie ................................................................................................................. 31
3. 2. 2 Le triple déploiement de l’opposition langue/parole ......................................................................... 31
3. 3 L’OPPOSITION DE MEILLET ......................................................................................................................... 31
3. 4 LA REMISE EN QUESTION “ LABOVIENNE ” .................................................................................................. 32
4. L’HERITAGE DU COURS ........................................................................................................................... 32
TEXTES I Langage, langue, parole ............................................................................................................................ 33
TEXTE II La nature du signe linguistique .................................................................................................................. 33
TEXTE III L'arbitraire du signe .................................................................................................................................. 34
TEXTE IV Le signe considéré dans sa totalité............................................................................................................ 35
TEXTE V La langue comme pensée organisée dans la matière phonique ................................................................. 35
IV - LE STRUCTURALISME EUROPEEN .................................................................................................... 36
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................. 36
0. INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 37

66
SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

1. LE CERCLE LINGUISTIQUE DE PRAGUE ............................................................................................. 37


1. 1 UNE THEORIE FONCTIONNALISTE ................................................................................................................ 37
1. 1. 1 La notion de fonction ......................................................................................................................... 37
1. 1. 2 Le programme du cercle .................................................................................................................... 38
1. 2 LES TRAVAUX DE PHONOLOGIE ................................................................................................................... 39
1. 2. 1 La notion de système phonologique ................................................................................................... 39
1. 2. 2 Différence entre phonétique et phonologie ........................................................................................ 39
1. 2. 3 La notion de phonème ........................................................................................................................ 39
1. 2. 4 La fonction des sons élémentaires (phonèmes) .................................................................................. 40
2. ROMAN JAKOBSON .................................................................................................................................... 41
2. 1 L’UNITE ULTIME DE L’ANALYSE PHONOLOGIQUE EST LE TRAIT DISTINCTIF ................................................. 41
2. 2 LA QUESTION DE L’UNIVERSALITE DES TRAITS DISTINCTIFS ........................................................................ 41
2. 2. 1 Les structuralistes et le phonème ....................................................................................................... 41
2. 2. 2 La position de Jakobson ..................................................................................................................... 41
2. 3 LA BINARITE DES TRAITS DISTINCTIFS ......................................................................................................... 42
2. 4 BREF DESCRIPTIF ......................................................................................................................................... 42
2. 5 HERITAGE ................................................................................................................................................... 42
3. MARTINET ET LE FONCTIONNALISME FRANÇAIS.......................................................................... 42
3. 1 LA DOUBLE ARTICULATION ......................................................................................................................... 43
3. 1. 1 La 1ère articulation ............................................................................................................................. 43
3. 1. 2 La 2e articulation ............................................................................................................................... 43
3. 2. DEFINITION DE LA LANGUE ........................................................................................................................ 43
3. 3 LA GRAMMAIRE FONCTIONNELLE, SON OBJET ............................................................................................. 43
TEXTE I Le langage est l’instrument de la communication et l’acte de parole est la communication d’un message 44
TEXTE II Les fonctions du langage............................................................................................................................ 44
TEXTE III La double articulation du langage ............................................................................................................. 45
TEXTE IV Il ne faut pas confondre le langage avec son usage instrumental .............................................................. 46
V - LE STRUCTURALISME AMERICAIN .................................................................................................... 47
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................. 47
0. INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 48

1. EDWARD SAPIR ET L’ETHNOLINGUISTIQUE .................................................................................... 48

2. BLOOMFIELD ET LE DISTRIBUTIONNALISME.................................................................................. 49
2. 1 L’ANTIMENTALISME .................................................................................................................................... 50
2. 1. 1 Une position mécaniste ...................................................................................................................... 50
2. 1. 2 La question du sens, pourquoi ne peut-on pas le connaître ? ............................................................ 50
2. 1. 3 La tâche du linguiste .......................................................................................................................... 50
2. 2 L’ANALYSE EN CONSTITUANTS IMMEDIATS ................................................................................................. 51
2. 2. 1 Un modèle taxinomique ...................................................................................................................... 51
2. 2. 2 Organisation hiérarchique de la phrase ............................................................................................ 51
2. 2. 3 Le "découpage" des constituants ........................................................................................................ 51
2. 3 L’ANALYSE DISTRIBUTIONNELLE ................................................................................................................ 51
2. 3. 1 Un corpus fini..................................................................................................................................... 52
2. 3. 2 Différents niveaux d’analyse .............................................................................................................. 52
2. 3. 3 Identification des unités ..................................................................................................................... 52
2. 3. 4 Description de l’environnement ......................................................................................................... 52
2. 3. 5 Établissement de classes distributionnelles ....................................................................................... 52
2. 3. 6 Une méthode inductive ....................................................................................................................... 52
3. CONCLUSION................................................................................................................................................ 53
TEXTE I Un exemple d’analyse distributionnelle ...................................................................................................... 54
TEXTE II Chaque langue possède sa propre structure grammaticale qui détermine une vision du monde particulière
.................................................................................................................................................................................... 55

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SL0005X - Histoire de la linguistique - J.-M. Tarrier

VI - LA LINGUISTIQUE GENERATIVE ....................................................................................................... 56


BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................................................. 56
0. INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 57

1. LA CRITIQUE DU STRUCTURALISME................................................................................................... 57

2. LE PROJET DE LA LINGUISTIQUE GENERATIVE ............................................................................. 58

3. QUELQUES NOTIONS FONDAMENTALES DE LA LINGUISTIQUE GENERATIVE .................... 59


3. 1 FACULTE DE LANGAGE ET INNEISME ........................................................................................................... 59
3. 2 LES UNIVERSAUX DE LANGAGE ................................................................................................................... 60
3. 3 COMPETENCE/PERFORMANCE...................................................................................................................... 60
3. 4 LA NOTION DE GRAMMAIRE GENERATIVE : EXEMPLE DE LA COMPOSANTE SYNTAXIQUE ............................. 61
4. CONCLUSION................................................................................................................................................ 62
TEXTE I Le langage est fondamentalement système d’expression de la pensée son étude peut être indépendante de
sa fonction de communication..................................................................................................................................... 63
TEXTE II Toutes les langues humaines sont conformes à une grammaire universelle ............................................... 64
TABLE DES MATIERES .................................................................................................................................. 65

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