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LA GESTION DES FORÊTS DE VÉNERIE AU XVIIE SIÈCLE

Jérôme Buridant
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 22/03/2021 sur www.cairn.info par Antoine Morières via EnsAD Paris (IP: 92.240.229.94)

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Presses Universitaires de France | « Dix-septième siècle »

2005/1 n° 226 | pages 17 à 27


ISSN 0012-4273
ISBN 9782130549369
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La gestion des forêts de vénerie
au XVIIe siècle
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Si la pratique de la chasse est généralement attachée à la seigneurie, alors que le
port d’armes est privilège de la noblesse, l’activité cynégétique reste un marqueur
social essentiel dans la France moderne1. Rattaché presque exclusivement au
second ordre, ce plaisir est présenté dans tous les traités comme une école de vie.
Comme le précise Olivier de Serres à l’aube du XVIIe siècle, la chasse offre « un vrai
apprentissage de la guerre, pour la conformité qu’il y a entre ces deux exercices : et
par conséquent, propre à faire service au roi, et à la patrie ». Mais que l’on ne s’y
trompe pas, il existe des chasses de prestige et des chasses sans grandeur, les pre-
mières réservées aux grands et les autres abandonnées aux simples gentilshommes.
Toutes les chasses ne se valent pas : il faut « faire entendre au gentil-homme qu’il y
a une chasse pour lui, et une autre pour le grand Seigneur, afin qu’il ne se mes-
conte. La chasse aux cerfs, biches, daims, sangliers, loups, et en général de toutes
bestes rousses et noires, n’appartient qu’aux rois, princes, et grands seigneurs [...]. Il
n’est pourtant hors de propos, qu’ayant, le gentil-homme, des forests nourrissans et
retrayans telles grosses bestes, qu’il n’y chasse quelques-fois : mais ce sera en com-
paignie de ses voisins et amis, desquels se fera assemblée selon les occurrences du
temps et autres occasions, meslans ensemble leurs attirails, de chiens, de chevaux,
de rets, panneaux, toiles, bources, cordages, espieux, arquebuses, arbalestes, trom-
pes, tenailles, et autres choses nécessaires, afin d’en composer un suffisant à
l’entreprinse. Et pour son particulier ordinaire, se contentera du nombre des
chiens, oiseaux, chevaux, valets, meubles et engins requis à lui entretenir ce passe-
temps, dont il fera estat, le dressant et limitant à la portée de son bien, où il regar-

1. Jourdan, Decrusy, Isambert, Recueil des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la révolution
de 1789, Paris, Plon, s.d., t. XVIII, p. 295-297 (Ordonnance de 1669, titre XXX, « Des chasses ») ; Phi-
lippe Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1996, p. 15-23.
XVII e siècle, no 226, 57e année, no 1-2005
18 Jérôme Buridant

dera plus, qu’à son plaisir »2. Le prince peut certes, parfois, s’acoquiner à chasser
aux toiles ou à s’exercer au tir, il n’en reste pas moins que le vautrait, c’est-à-dire la
chasse à courre du sanglier, et plus encore la vénerie, consacrée au cerf, lui sont
plus spécialement dévolues. Comme le précise l’adage « sanglier, barbier ; cerf,
bière », bête noire et bête fauve figurent parmi les gibiers les plus dangereux, réser-
vés par nature à l’élite. Les fastes déployés à l’occasion de leur poursuite, la magni-
ficence des équipages, en rapport avec le train de vie des cours, font de ces chasses
des arts à part entière, privilèges de l’aristocratie.
La vénerie, spécialement, ne s’exerce pas en tout lieu. Inféodé aux biotopes fores-
tiers, le cerf ne peut être couru que dans de vastes massifs. On sait que l’exercice de
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la chasse par la plupart des rois de France a contribué depuis la fin de l’époque
médiévale au maintien des grandes forêts d’Île-de-France, dans des périodes où la
couverture sylvestre se réduisait comme peau de chagrin. Plus encore, la chasse et la
vénerie en particulier conduisent à un véritable façonnement des milieux forestiers,
du fait des aménagements tout autant que de la pression du gibier.

DES ESPACES ORGANISÉS POUR LA CHASSE

Déjà initié au XVIe siècle, un grand mouvement d’appropriation de terres aux sta-
tuts différents, souvent très morcelées, s’exprime au XVIIe siècle aux marges des
forêts, conduisant à la création de vastes domaines de chasse d’un seul tenant. À la
reprise de terrains usagers s’ajoutent alors de longues et laborieuses séries
d’échanges et de rachats de terres privées, qui conduisent à des mutations foncières
de grande ampleur. Elles sont suivies de transformations des prés, terres de cultures,
terres vaines et vagues, marécages et bois, en véritables forêts de chasse. Les exem-
ples sont multiples. La forêt de Fontainebleau, diminuée par les aliénations du bas
Moyen Âge, double déjà presque sa surface sous François Ier, et continue d’être aug-
mentée par Louis XIV et Louis XV, pour atteindre 14 242 ha en 1716, puis
15 527 ha en 17543. Reprise par le prince de Condé à l’occasion de sa réhabilitation
et de son retour dans le royaume (1659), la forêt de Chantilly fait l’objet de soins
comparables dès 1662, dépassant 6 300 ha à la fin du siècle4. Ces augmentations ne
sont pas seulement à mettre au compte de la puissance ou de la mégalomanie des
propriétaires, mais sont effectivement une nécessité cynégétique. Alors que le
domaine vital du lièvre s’étend sur près de 300 ha, que celui du chevreuil avoisine 2 à

2. Olivier de Serres, Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Paris, Jamet Metayer, 1600 ; rééd.
Paris, Actes Sud, 2001, p. 1443-1444 ; Robert de Salnove tient un discours fort proche, en précisant
que « la chasse est un si noble exercice, qu’il est presque le seul où les princes s’adonnent comme à
l’apprentissage de la guerre (...). Les roys mesmes sont également jaloux des droicts & des ordres de la
chasse & de la guerre ; & comme il s’y rencontre de la peine & du plaisir, ils en jugent absolument
l’exercice royal » (Robert de Salnove, La vénerie royale, 1re éd., Paris, 1655 ; rééd., Paris, Antoine de Som-
maville, 1665, préface).
3. Gérard Tendron, La forêt de Fontainebleau : de l’écologie à la sylviculture, Paris, ONF, 1983, p. 21.
4. Musée Condé (Chantilly), 1 B 1.
La gestion des forêts de vénerie au XVII e siècle 19

3 000 ha, celui du cerf exige près de 10 000 ha. La vénerie est consommatrice
d’espace et la conquête de terres est une nécessité.
En dessous de ce seuil, la conservation du gibier induit la nécessité d’enclore, soit
par des murs de pierre, soit par des sauts de loup, ne serait-ce que pour que les ani-
maux ne s’enfuient pas chez le voisin. L’intérêt de la clôture s’explique aussi, dans
les domaines privés, par le souhait de s’affranchir des contraintes juridiques. En
droit commun, la chasse est en effet fortement réglementée. Son exercice est limité
dans le temps, généralement interdit des blés en tuyaux aux vendanges, à la fois pour
limiter les dégâts aux cultures et pour favoriser la reproduction du gibier. Il reste sur-
tout impossible dans le ressort des capitaineries royales, juridictions spécialisées
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dans les affaires de chasse, pour la protection des plaisirs du roi. Dans leur ressort,
seul le souverain et les officiers de la capitainerie se réservent la possibilité de
prendre du gibier, ce droit étant retiré aux seigneurs, mêmes hauts justiciers, ainsi
qu’aux grands louvetiers. La première capitainerie, créée à Fontainebleau en 1534,
est suivie de nombreuses autres créations, 39 capitaineries s’étendant en 1689 du
Beauvaisis au Lyonnais. La plus connue, celle de la Varenne du Louvre, a au surcroît
juridiction sur la chasse au cerf dans l’ensemble du royaume5. Mais si ces contraintes
juridiques s’expriment totalement à l’extérieur, elles cessent à l’abri de la clôture du
parc. Alors que le gibier est res nullius en pleine forêt, sa prise illicite s’apparentant à
du braconnage, les animaux d’un parc sont considérés comme la propriété exclusive
du maître des lieux, qui peut y chasser quand et comme il l’entend. Le XVIIe siècle
voit alors la création d’une cinquantaine de grands parcs, souvent chassés, dans
toute l’Île-de-France, par exemple à Meudon par Abel Servien (1656), Vaux-le-
Vicomte par Nicolas Fouquet (1660-1661), Chantilly par Condé (1662), ou Dam-
pierre par le duc de Chevreuse (1682), pour ne citer que les plus connus, au point
que Louis Liger puisse constater, en 1700, qu’ « on ne voit à présent presque aucune
terre un peu considérable qui n’ait son parc ». Il va de soi que seuls de très grands
parcs ont pu permettre de véritables chasses à courre. Le grand parc de Chantilly
(environ 700 ha), fruit de la récupération entre 1662 et 1668 des terres villageoises
de Vineuil, des droits d’usages d’Aspremont et Saint-Firmin, ainsi que de terres en
censive, ne pouvait guère permettre l’exercice d’une véritable vénerie, même planté
de nombreuses remises à gibier : on devait donc à la rigueur y pratiquer la course du
gibier, ou la chasse au tir6. Les domaines de Meudon (environ 755 ha) et de Vaux
(environ 500 ha), présentaient les mêmes contraintes. Les grands parcs royaux, par
contre, étaient dès l’origine conçus comme des espaces de vénerie. Le parc de
Chambord, clôturé dès 1534 par un mur de 32 km de long, avoisine déjà 5 400 ha. À
partir du territoire de chasse étroit et morcelé hérité de son père, Louis XIV se taille
à Versailles un domaine bien plus gigantesque, qui de près de 700 ha en 1662
dépasse plus de 8 000 ha en 1683, clos par une enceinte de plus de 40 km, ouverte de
loin en loin par 24 portes gardées. Non loin, la forêt de Marly atteint déjà près de
1 700 ha7.

5. Philippe Salvadori, op. cit., p. 15-36.


6. Nicole Garnier-Pelle, André Le Nôtre (1613-1700) et les jardins de Chantilly, Paris, Somogy, 2000,
p. 22-26.
7. Vincent Maroteaux, Versailles, le Roi et son domaine, Paris, Picard, 2000, p. 66-72 et 110-126.
20 Jérôme Buridant

Le noble exercice de la vénerie naîtrait à la Renaissance, entre le livre De la chasse du


comte de Foix Gaston Phébus (ca. 1507) et le traité sur La vénerie de Jacques Du Fouil-
loux (1561)8. Fixées dès le milieu du XVIe siècle, ses règles n’évoluent plus jusqu’à
aujourd’hui, si ce n’est sur quelques détails. La chasse n’est pas un plaisir désordonné,
un simple exutoire de la violence, mais un temps qui a ses codes et son éthique parti-
culière, un exercice dont les règles s’inscrivent aussi dans l’espace9. Les grandes étapes
de la chasse du cerf sont bien connues. De bon matin commence la quête des veneurs
et des valets de limiers. Ils se partagent différents cantons de la forêt et vont, seuls ou
par deux, observer les traces du gibier. Ils font le pas, observent les fumées, c’est-à-
dire les excréments du gibier, relèvent les marques laissées sur les arbres. Tous ces
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indices, minutieusement recueillis, permettent d’identifier l’animal, de spéculer sur sa
taille et son âge pour débusquer le « grand cerf », Robert de Salnove précisant aux
chasseurs, dans son Traité de vénerie, qu’ « il faut par les formes & connoissances du
pied & des fumées que vous iugiez s’il est jeune Cerf, Cerf de dix cors ieunement, ou
Cerf de dix cors (...) : & si c’est un Cerf courable ou non »10. Ses voies sont alors maté-
rialisées par tout un ensemble de brisées, basses, hautes ou fausses, qui obéissent à
code complexe. Après le rapport des veneurs et le choix de l’animal à suivre peut
commencer le laisser courre. La réussite de la poursuite repose sur une occupation
maximale du territoire, en organisant de bons relais le long des itinéraires de fuite pro-
bables. On sépare généralement les chiens en plusieurs meutes, appelées « meute »,
« vieille meute » et « six chiens », les chiens les plus vigoureux étant découplés avant
les plus âgés. Cette poursuite est loin d’être simple. Parfois, le cerf donne le change en
lançant les chiens sur les pistes d’un autre animal. Tantôt, il fait un hourvari, revenant à
son point de départ pour mettre les chiens en défaut. Usé par la course, aux abois, la
bête traquée est enfin servie à l’arme blanche, avant la curée offerte aux chiens11. Toutes
ces étapes, rigoureusement codifiées, nécessitent une gestion de l’espace très bien
rôdée. Cette utilisation des territoires de chasse est présentée avec une très grande
précision dans La vénerie royale de Robert de Salnove, qui détaille pour chaque forêt
chassée par le roi le logement des chiens, l’assemblée des chasseurs, les lieux des quê-
tes, le laisser courre, les relais et les resuites12...
Ces nécessités expliquent l’organisation très spécifique des grandes forêts de
vénerie. De grandes laies sont ménagées pour faciliter la circulation des chevaux
comme celle des voitures des suivants. La densité de leur chevelu permet un cloi-
sonnement de l’espace, qui facilite le repérage et la quête des veneurs. Mais l’élément

8. Gaston Phébus, Phébus des déduiz de la chasse des bestes sauvages et des oyseaux de proye, Paris, Antoine
Vérard, s.d. (ca. 1507) ; Jacques du Fouilloux, La vénerie, Poitiers, Bouchetz Frères, 1561.
9. Philippe Salvadori, op. cit., p. 113-132.
10. Robert de Salnove, op. cit., p. 122.
11. Jacques du Fouilloux, op. cit., p. 5-56 ; Goury de Champgrand, Traité de vénerie et de chasses, Paris,
Moutard, 1776, p. 34-50 ; Nicolas de Bonnefons, Traité de chasse, de la vénerie et fauconnerie, Paris, Charles
de Sercy, 1681 ; Noël Chomel, Dictionnaire œconomique, contenant divers moyens d’augmenter son bien et de
conserver sa santé, Paris, Ganeau, 1760, t. I, p. 1339-1354 ; Louis Liger, Amusemens de la campagne, ou nou-
velles ruses innocentes, qui enseignent la manière de prendre aux pièges toutes sortes d’oiseaux et de bêtes à quatre pieds,
Paris, Saugrain, 1753, p. 180-229.
12. Robert de Salnove, op. cit., 1655.
La gestion des forêts de vénerie au XVII e siècle 21

le plus caractéristique reste le plan stellaire, bien différent des plans en damier des
forêts de production. Les carrefours dits « en étoile » présentent plus de quatre bran-
ches rayonnant dans toutes les directions, ceux dits « en demi-étoile » offrant plus de
trois branches rayonnant à 180o. Il est parfois possible qu’au terme de « carrefour en
étoile » puisse aussi se substituer la simple appellation d’ « étoile »13. Disposés sur des
points hauts, souvent appelés « puis » ou « puy », du latin podium (éminence), ces
principaux carrefours permettent d’observer la traversée du gibier, éventuellement
pour ménager un spectacle en permettant de suivre la chasse à ceux qui n’y partici-
pent pas directement, mais surtout pour lancer au bon moment les relais, placés
généralement aux marges du dispositif. Celui à qui « l’on donne la conduite des
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relais » doit alors :

Après avoir placé son relais, s’avancer cinq ou six cens pas, le long de la route où il
sera, pour se tirer du bruit, & avoir cet avantage, pour voir passer le Cerf & entendre
plus facilement la chasse, & si-tost qu’il sera passé, qu’il aille au lieu où il l’aura vu tra-
verser la route, pour y ietter deux ou trois brisées sur les voyes, & que s’il a le temps
de mettre pied à terre, pour revoir les fuites du Cerf, il en considère la forme & les
connoissances, afin de dire aux Picqueurs qui seront à la queuë des chiens : comme
aussi la hauteut (sic) & grosseur de corsage, le pelage & les connoissances qu’il aura
remarquées à le teste, afin que par là ils puissent iuger si c’est le Cerf de la Meute,
& l’ayant reconneu pour tel & qu’il soit seul, il peut faire donner son relais, après que
les premiers chiens qui chassent, seront passés.14

La seconde moitié du XVIIe siècle tout comme la première moitié du siècle suivant
sont à cet égard marqués par une véritable fièvre de percement. Pour exemple, la
forêt de Compiègne, encore appelée « forêt de Cuise » ou « forêt de Cuise-lez-
Compiègne », fait l’objet d’un réaménagement complet entre 1673 et 1773. Le roi
Louis XIV effectue 75 séjours jusque 1698, généralement à la fin de l’hiver et au
début du printemps, souvent à l’occasion des revues des troupes stationnées aux
frontières. Les séjours royaux ne reprennent, avec Louis XV, qu’entre 1728 et 1773,
son successeur ne revenant quant à lui qu’une seule fois, à titre privé. Le principal
aménagement du massif est effectué en 1673 par Barillon d’Amoncourt, lors de la
période de grande réformation des forêts royales. La principale perspective à partir
de la ville, héritée du XVIe siècle, s’étend sur la route du Moulin, en prolongement de
l’hôtel de ville, la perspective des Beaux-Monts n’étant ouverte que sous le Second
Empire. Le percement de 54 nouvelles laies est organisé à partir de grands carre-
fours en étoile comme celui du Puis du Roi, base du Grand Octogone, ou le Puis de
la Michelette. Louis XV parachèvera ces travaux en ouvrant le Petit Octogone et en
améliorant considérablement la desserte par le percement de routes adjacentes,
comme le « Chemin neuf ». Un exemple tout aussi significatif peut être apporté par
celui de la forêt de Marly, réunie au domaine à partir du règne effectif de Louis XIV,

13. Pierre Dan, Le trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau, Paris, Sébastien Cramoisy,
1642, p. 184, cité par Marie-Hélène Bénetière, Jardin : vocabulaire typologique et technique, Paris, Monum,
2000, p. 115.
14. Robert de Salnove, op. cit., p. 130-131.
22 Jérôme Buridant

mais seulement réaménagée après la paix de Nimègue (1678). À partir d’un espace
formé de bois, de prés et de marais, le souverain bâtit un territoire de chasse presque
exclusivement dévolu à la vénerie, sillonné de 270 km de routes et d’allées, jalonné
d’une série de carrefours en étoile, organisé par l’axe de la Route royale, d’est en
ouest. Les allées sont formées d’arbres taillés sur 4 à 5 m de haut, dont les cimes se
rejoignent en berceau15.
Ce type de plan est à replacer dans un mouvement plus général, propre à l’époque.
Il est directement le fruit des progrès de la géométrie, engagés dès la Renaissance et
considérablement accélérés au XVIIe siècle. L’arpentage forestier profite ainsi d’une
évolution de son instrumentation. Au XVIe siècle est déjà utilisée l’alidade à pinnules,
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instrument originaire du monde arabe, constitué d’un cercle gradué muni de réticules
de visée. Lui succèdent le graphomètre à pinnules, inventé par le Français Philippe
Danfrie en 1597, puis le graphomètre à lunette, mis au point en 1667 par Jean Picard. Ce
graphomètre peut être ensuite augmenté d’une aiguille aimantée, pour former une
boussole forestière. Ces instruments déjà complexes servent à la fois à lever des plans de
plus en plus précis, et à asseoir sur le terrain des structures parfaites. Ce sont des
appareils du même type qui sont utilisés, sur une autre échelle, par les savants de
l’Académie des sciences comme Jean Picard et Jean-Dominique Cassini, pour leurs
premiers travaux de triangulation. Un parallèle peut être aussi fait avec l’art des forti-
fications. Au XVIIe siècle s’affirme nettement une école française, avec Jean Errard de
Bar-le-Duc (1554-1610), Blaise de Pagan (1607-1665) et Sébastien Le Prestre de Vau-
ban (1633-1707)16. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas totalement un hasard si Vauban
est aussi un excellent connaisseur en sylviculture, auteur d’un Traité sur les forêts
en 170117. Dans tous les cas, des notions comme la réduction des angles morts, les
angles de site, les axes de tir, les glacis, pénètrent progressivement dans les aménage-
ments. Une parenté peut être naturellement aussi trouvée dans l’art des jardins. Avec
les travaux de Le Nôtre et Dézallier d’Argenville, ce sont des méthodes d’assiette et
des structures proches qui sont mises en place, à des échelles différentes, dans les jar-
dins et dans les petits parcs18. Les notions de perspective, de point de vue, de dyna-
mique, ont nécessairement leur place en forêt comme au jardin...

UNE GESTION SPÉCIFIQUE DES COUVERTS

Les transformations des espaces forestiers ne se limitent pas, loin s’en faut, au
percement de grandes voies de circulation. La cynégétique conduit en effet à de véri-
tables aménagements, au sens originel du terme. Ce mot, apparu au XVIIe siècle, est
issu de l’ancien français « mesnaige » ou « mesnage », qui désigne la gestion domes-

15. Vincent Maroteaux, op. cit., p. 113-126.


16. Jean Errard de Bar-le-Duc, La fortification réduicte en art et demonstrée, 1600 ; Blaise de Pagan, Traité
des fortifications ; Vauban, Traité de l’attaque des places, 1706.
17. Vauban, « Traité de la culture des forêts » (Fontainebleau, 1701), dans Oisivetés de M. de Vauban,
Paris, J. Corréard, 1843, t. II, p. 59-81.
18. Dézallier d’Argenville, La théorie et pratique du jardinage, Paris, 1709 ; rééd. Paris, Jean Mariette,
1732 ; Thierry Mariage, L’univers de Le Nostre, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1990, p. 39-62.
La gestion des forêts de vénerie au XVII e siècle 23

tique, dans une maison ou un domaine. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’aménagement reste
exclusivement une opération forestière, le terme désignant l’ensemble des opéra-
tions planifiant la gestion : organisation des coupes, sélection des réserves, défini-
tion des rotations, etc. Il passe ensuite au monde maritime (aménager un navire) pour
s’appliquer, très tardivement, à l’aménagement du territoire. Les règles de gestion des
domaines de chasse sont apportées avec détail dans tous les traités d’économie
rurale, à partir du XVIe siècle : L’agriculture et maison rustique de Charles Estienne et
Jean Liébault (1564), le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres
(1600), comme La nouvelle maison rustique de Louis Liger (1700)19. Pour la chasse à
courre, il est idéal de disposer d’une haute futaie, structure qui facilite la poursuite du
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gibier et permet de belles chevauchées. Une part importante des grandes forêts de
vénerie est donc généralement traitée en futaie pleine, avec de très longues révolu-
tions. En forêt de Retz, par exemple, le premier règlement d’exploitation, en 1573,
avait fixé les coupes à 100 arpents par an (environ 51 ha) pour des bois âgés de près
de 225 ans. Les contraintes des guerres, le relâchement dans l’exécution des règle-
ments, avaient pourtant conduit à une certaine anarchie. Passé en 1630 à l’apanage
de la maison d’Orléans, le massif fait l’objet d’un nouvel aménagement en 1672, exé-
cuté par Pierre Lallemant de l’Estrée. La forêt est décrite comme « la plus noble et la
mieux plantée du royaume », et l’on remarque que « les chênes et surtout les hêtres
sont presque tous de belle venue et forment une haute futaie de plus de 150 ans, la
plus belle qui soit en aucune forêt du royaume ». Les révolutions sont alors fixées à
un siècle et demi, entraînant la coupe de 150 arpents par an (environ 76 ha)20.
Mais la haute futaie est un milieu très pauvre, qui ne peut accueillir de grandes den-
sités d’animaux. On conseille donc de l’enrichir de « fruitiers », c’est-à-dire d’arbres
portant fruits comme le chêne, le hêtre, le châtaignier, le pommier et le poirier sau-
vages, ainsi que le merisier. C’est ce que fait, par exemple, le prince de Condé, qui fait
planter entre 1663 et 1664 plus de 13 000 pieds d’arbres dans son parc et sa forêt,
principalement des châtaigniers, des merisiers et des noyers, en complément d’ormes
et de tilleuls. Le gibier ayant du mal à s’adapter à un seul type de couvert, il faut sur-
tout veiller à lui ménager un environnement diversifié. Les taillis, recépés à intervalles
réguliers, généralement tous les dix ou quinze ans, offrent aux cervidés une alimenta-
tion variée et abondante (feuilles des arbres, ronces, etc.). Des zones de gagnage peu-
vent être apportées par des coupures vertes (laies, layons), des espaces de pâturage ou
des bandes cultivées en orge, avoine ou sarrasin. Il ne faut pas non plus négliger le
maintien des points d’eau, rivières ou étangs, qui sont essentiels pour fixer les ani-
maux sur un territoire et peuvent servir à l’occasion de réserves piscicoles ou de réser-
voirs destinés aux lâchers d’eau pour le flottage. Certaines forêts de vénerie, comme
celle d’Orléans ou celle de Coucy basse, sont véritablement très humides et sont natu-
rellement parsemées de ruisseaux ou d’étangs. D’autres, comme celle de Retz, ont été

19. Charles Estienne, Jean Liébault, L’agriculture et maison rustique, Paris, Jacques Dupuis, 1564 ; Oli-
vier de Serres, op. cit. ; Louis Liger, La nouvelle maison rustique, 1re éd., Paris, 1700 ; rééd. Paris, Saugrain,
1740 ; id., Dictionnaire pratique du bon ménager de campagne et de ville, Paris, Pierre Ribon, 1715.
20. Arch. dép. Aisne B 3729-3739, J 1715 (réformation de la forêt de Retz, 1672) ; René Collery,
« Évolution de la forêt de Retz à travers les âges », Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire et
d’archéologie de l’Aisne, t. IX, 1963, p. 152-179.
24 Jérôme Buridant

véritablement transformées par l’homme pour concilier ces multiples besoins. Une
des visions les plus traditionnelles de la chasse à courre n’est-elle pas celle du cerf sur
sa fin, se faisant « prendre à l’eau » poursuivi par les chiens ? La forêt de Chantilly
peut, à cet égard, apporter un parfait exemple de cette variété. Organisée sur un plan
en étoile autour du carrefour de la Table, structurée par l’axe de la Vieille Route, cette
forêt est divisée en cantons différents, qui regroupent des séries de parcelles sous la
surveillance des gardes. Loin d’être totalement uniformisée, monospécifique, elle
conserve une multiplicité de couverts. Aux vieilles futaies de Sainte-Croix et des
Garennes de Chantilly s’ajoutent des zones plus jeunes, en demi-futaie ou en taillis
sous futaie, aux multiples essences. Au nord-est, sur les sols les plus pauvres, ont été
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conservés des secteurs en bruyère. Les zones de gagnage sont enfin apportées par
l’herbage des grandes laies – ou par les champs des voisins – et les points d’eau par les
étangs de Comelle ainsi que par une petite rivière, la Thelle21.
Ces grands espaces de chasse apparaissent donc, dans le détail, beaucoup plus
diversifiés qu’il n’y paraît. La satisfaction des besoins complémentaires des animaux
conduit à une gestion relativement fine et complexe, à des recépages réguliers, à des
mises en culture, qui nécessitent implicitement une évaluation, même élémentaire,
de la valeur alimentaire du massif. En complément, les gardes peuvent aussi procé-
der à des agrainages et à de l’affouragement, par des apports hivernaux d’orge,
d’avoine, de fèves, de foin, de chicorée, de marc de raisin ou de pomme.
La question des densités d’animaux reste enfin essentielle pour comprendre la
dynamique des peuplements de ces grands espaces de vénerie. Alors qu’elles sem-
blent encore relativement faibles à la Renaissance, les densités paraissent considéra-
blement augmenter à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les mesures prises
pour faciliter l’accueil du gibier conduisent d’abord à ne plus faire des disponibilités
alimentaires de véritables facteurs de régulation. Souvent même, les cheptels sont
artificiellement augmentés par le transfert d’animaux, pris aux toiles dans d’autres
massifs. Cette pratique semble même assez fréquente pour faire l’objet d’une véri-
table théorisation dans les traités de chasse :

Il faut prendre les femelles des fauves, chevreüils & bestes noires, & quelques mas-
les, pourveu que ce soit d’une forest assez esloignée de celle où vous les voulez mettre,
n’en ayant pas encores eu la connoissance, autrement elles s’en retourneroient. Il faut
les prendre avec des panderests, ou bricolles, tendües autour de l’enceinte où on les
aura détournées ; mais il les y faut chasser & pousser avec des chiens courans, pour ne
pas donner les temps de reconnoistre les filets : & si-tost qu’elles y seront prises, il leur
faut lier les quatre iambes ensemble, & les mettre dans une charrette où il y aura force
paille, de peur qu’elles ne se blessent : il leur faut bander les yeux, afin qu’en les trans-
portant, elles perdent la connoissance du chemin, & ne s’épouvantent pas à tous ren-
contres [...]. Plus vous mettrez de bestes en vostre forest & plutost elle sera peuplée,
pourveu que vous ayez des gardes qui en ayent bien du soin.22

21. Musée Condé (Chantilly), 81 Q 13 (Nicolas Lallemant, Plan de la forest de Chantilly, 1673) ;
1 B 27 ; G. Macon, Historique du domaine forestier de Chantilly, t. I, Forêts de Chantilly et de Pontarmé, Senlis,
Eugène Dufresne, 1905.
22. Robert de Salnove, op. cit., p. 340-342.
La gestion des forêts de vénerie au XVII e siècle 25

Le petit parc de Versailles est de cette manière peuplé des cerfs de la forêt de
Monfort, en 1681, et la forêt de Marly de vieux cerfs, de daims et de chevreuils pris à
Montceaux, avant qu’elle ne devienne elle-même un réservoir d’animaux, leur
nombre devenant finalement prohibitif durant le règne de Louis XV23. On enre-
gistre par ailleurs des débuts d’élimination des prédateurs sauvages par les gardes,
notamment du loup, même si l’extermination de cet animal commence véritable-
ment en grand dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La protection du gibier est
aussi renforcée par l’absence ou la quasi-absence de chasse dans certaines forêts des
capitaineries royales, même si le braconnage pouvait discrètement limiter les effec-
tifs. Le roi ne chassant pas partout, la pullulation du gibier commence à entraîner
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plaintes et récriminations des riverains, croissantes au fil du temps. Dans les espaces
les plus chassés, les ruptures d’équilibre sont aussi renforcées par l’activité cynégé-
tique elle-même. La chasse au trophée, la poursuite des plus belles bêtes conduit
irrémédiablement à déséquilibrer les pyramides des âges, à désorganiser les hardes,
entraînant une mauvaise régulation du cheptel. Le stress des animaux induit une per-
turbation de leur régime alimentaire et à une mauvaise exploitation des ressources
disponibles.
Les conséquences de ces déséquilibres sont particulièrement sensibles. Les pre-
mières visites de bois, réalisées par les commissaires réformateurs au début du règne
de Louis XIV, font déjà apparaître l’importance des abroutissements dans les par-
celles en cours de régénération. Ces abroutissements sont souvent caractéristiques
des dégâts de cervidés. Le chevreuil se dilue relativement bien dans l’espace et cause
des dégradations très limitées mais le cerf se rue en harde sur les jeunes peuple-
ments, occasionnant des dommages souvent irrémédiables. Il est toutefois bien dif-
ficile, dans les textes, de faire la part entre les abroutissements directement liés au
gibier et ceux causés par les troupeaux riverains. Les forêts d’alors sont encore des
espaces usagers, intensément parcourus par les bestiaux, et les officiers des maîtrises
ont naturellement intérêt à faire peser la charge des dégradations sur les communau-
tés d’habitants afin d’obtenir une réduction des droits d’usage, plutôt que de vaine-
ment stigmatiser les comportements alimentaires d’un gibier favorisé par le maître
des lieux. Dans tous les cas, les grandes forêts de vénerie du nord de l’Île-de-France,
telles celles de Compiègne ou de Retz, présentent toutes des faciès très caractéristi-
ques, dominés par le hêtre. La prédominance du « foyard » n’est généralement pas
voulue par les forestiers, qui tendent à sélectionner le chêne, plus durable. Elle est en
partie due à la sélectivité des dégâts de gibier, l’appétence des différentes essences
étant telle que les cervidés avalent à peu près tout, sauf le hêtre. Le caractère scia-
phile de cet arbre (essence d’ombre), sa préférence pour les longues révolutions se
conjuguent enfin pour renforcer son hégémonie. Lorsque les densités animales sont
encore plus fortes, c’est surtout le bouleau, essence de lumière caractéristique de
milieux très ouverts, qui tend à l’emporter. À ces dégâts massifs s’ajoutent aussi des
dommages occasionnels, plus ponctuels, que remarquent avec précision chasseurs et
forestiers. Il peut s’agir de « frayoirs » ou « froiées », « marque[s] que le cerf fait au
bois quand il y touche de sa teste pour destacher [et] oster cette peau velue qui la

23. Vincent Maroteaux, op. cit., p. 178-186.


26 Jérôme Buridant

couvre »24, ainsi que de « hardées », définies comme des « ruptes et fracas de bois que
les bêtes fauves, surtout les biches naturellement gourmandes, font en viandant dans
les jeunes taillis »25. Déjà importants sur de bonnes terres, tous ces dommages pren-
nent des proportions encore plus graves sur des sols contraignants. La forêt de Fon-
tainebleau, par exemple, est très défavorisée. Seuls les plateaux, les « monts », pré-
sentent des sols bruns lessivés, favorables à la chênaie-hêtraie. Ailleurs se
développent surtout des sols calcimorphes, de type rendzine, des podzols ou des
sols podzoliques sur les platières, ainsi que des sols hydromorphes dans les fonds.
Au total, ce massif présente donc des stations fragiles, vite dégradées en cas de per-
turbation. En 1664, une première réformation ordonnée par Barillon d’Amoncourt
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conduit à une réduction drastique des droits d’usage des 17 communautés rive-
raines, à la conversion des peuplements en taillis sous futaie à longue révolution (25-
30 ans) et à des entreillagements des parcelles en régénération. En raison des dégâts
de gibier comme aussi, très probablement, d’un matériel insuffisant, cet aménage-
ment conduit à l’échec. En 1716, lors de la réformation du grand maître des Eaux et
Forêts Faluère, la surface est occupée par 10 % de futaies ruinées ou sur le retour,
44 % de vides, bruyères et bouleaux, et 46 % de bois plantés « tant bien que mal »,
en mauvais état général. À cause de l’état catastrophique des peuplements, la pro-
duction est totalement impropre à fournir des bois de construction, sauf peut-être à
la marine, qui réclame des bois courbes pour former des membrures de vaisseaux26.
À la fin du règne de Louis XIV, le tableau serait identique dans bien d’autres mas-
sifs. La forêt de Marly, par exemple, est tout aussi dégradée par le gibier, parcourue
au surcroît par des coupes anarchiques et des recépages fréquents. Le grand parc de
Chantilly est dans un état lamentable, en dépit d’une « Saint-Barthélemy » réalisée
régulièrement sur les biches, les cerfs étant quant à eux préférentiellement renvoyés
dans la forêt. La forêt de Compiègne ne vaut sans doute guère mieux, le gros des
replantations n’étant réalisé qu’après 1773 par Pierre Pannelier d’Annel et son fils
Pannelier d’Arsonval...
Les grandes forêts de vénerie présentent donc des spécificités réelles à l’époque
classique. Au total, ces massifs forestiers apparaissent réellement façonnés pour et
par la chasse, tant dans leur taille, leur plan, que dans leur structure interne. L’origine
de ces aménagements et la réflexion théorique qui l’entoure remontent souvent à la
Renaissance, au moment où apparaît et se fixe l’art de la vénerie. Au XVIIe siècle
s’opère surtout un changement d’échelle, les aménagements se généralisant à de
nombreux massifs, plus spécialement dans l’Île-de-France et le Bassin parisien. Mais
si l’on cherche toujours à concilier la production de bois et l’exercice de la chasse, il
reste difficile d’obtenir un équilibre entre ces deux objectifs, le second l’emportant
souvent sur le premier. Alors que le gibier semblait par le passé relativement rare,
ces aménagements portent rapidement leurs fruits : la pénurie laisse souvent la place
à l’abondance, engendrant des déséquilibres environnementaux nouveaux. À
l’époque de la Régence, ces déséquilibres sont loin d’avoir totalement joué. Dans

24. Robert de Salnove, op. cit., p. 15.


25. Louis Liger, La nouvelle maison rustique, op. cit., p. 718.
26. Gérard Tendron, op. cit., p. 21-28.
La gestion des forêts de vénerie au XVII e siècle 27

certaines forêts comme celle de Chantilly, les dégradations se renforcent même


encore au cours du XVIIIe siècle, pour n’être partiellement corrigées qu’au siècle sui-
vant. Si les échos des grandes chasses royales et princières n’y retentissent plus, les
grandes forêts de vénerie portent donc encore longtemps les marques du
XVIIe siècle...
Jérôme BURIDANT,
Université de Reims Champagne-Ardenne.
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