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Monsieur Flocel Sabaté

La montagne dans la Catalogne médiévale. Perception et


pouvoir
In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 34e congrès,
Chambéry, 2003. pp. 179-218.

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Sabaté Flocel. La montagne dans la Catalogne médiévale. Perception et pouvoir. In: Actes des congrès de la Société des
historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 34e congrès, Chambéry, 2003. pp. 179-218.

doi : 10.3406/shmes.2003.1854

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_2004_act_34_1_1854
La montagne

dans la Catalogne médiévale

Perception et pouvoir

Flocel SABATÉ

En Catalogne, un petit pays ibérique qui s'étend, au Moyen Âge, entre


l'extrême ouest de la vallée de l'Ebre, la mer et les deux versants des
Pyrénées orientales, laisserait croire que la montagne désignerait
seulement un secteur concret de l'espace. Mais la perception de ses
habitants est autre : c'est celle de vivre sur un territoire fragmenté, où la
montagne s'incruste dans le pays et, par conséquent, dans la vie de sa
population. En 1600 Père Gil décrivait, très clairement, que tota la terra
de Cathalunya es montuosissima ; y ayxi se pot dir que tota ella o casi tota
ella es montanas. Il y ajoutait, cependant, une complète synchronisation
avec les activités humaines, parce que son totas las montanyas tan vestidas
de arbres y plantas, y tan fèrtils ab les fonts, y temperie del clima, y tan
habitadas dels Cathalans ; y tan cultivades y fecundas ; que apenasy ha grans
deserts ni devesas ; ni se monstran parts que no sian totas o casi totas
cultivadas. De cette manière, la présence généralisée de la montagne

1. Sigles employés : ACA, Arxiu de la Corona d'Arag6 ; ACL, Arxiu Capitular de Lleida ; ACU,
Arxiu Capitular d'Urgell ; ADPO, Archives départementales des Pyrénées-Orientales ; ADM,
Archivo Ducal de Medinaceli ; AES, Arxiu Eclesiàstic de Solsona ; AHCG, Arxiu Historic de la
Ciutat de Girona ; AHCO, Arxiu Historic Comarcal d'Olot ; AHCP, Arxiu Historic Comarcal
de Puigcerdà ; AHCTE, Arxiu Historic Comarcal de les Terres de l'Ebre ; AHG, Arxiu Historic
de Girona ; AHCM, Arxiu Historic de la Ciutat de Manresa ; AHMV, Arxiu Historic Municipal
de Vie ; AMA, Arxiu Municipal d'Àger ; AML, Arxiu Municipal de Lleida ; AMSJA, Arxiu del
Monestir de Sant Joan de les Abadesses ; AW, Arxiu del Veguer de Vie ; AHT, Arxiu Historic de
Terrassa.
2. « Toute la terre de la Catalogne est très montagneuse ; et ainsi on peut dire d'elle qu'elle est
toute ou presque formée de montagnes » ; « toutes les montagnes sont tellement couvertes d'arbres
et de plantes, tellement fertiles grâce aux sources, de climat tempéré, tellement habitées de
Catalans ; et tellement cultivées et fécondes ; qu'à peine il y a de grands déserts, et de pâturages ;
et qu'on ne voit pas de lieux qui ne soient totalement ou quasi totalement cultivés. » (P. Gil,
Llibre primer de la Histbria Cathalana en la quai se tracta de Histbria o descripeiô natural, ço es de
coses naturals de Cathaluna ; J. Iglésies Fort, Père Gil S. J. (1551-1622) i la seva geografia de
Catalunya, Igualada, 1949, p. 190).
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n'impose pas de barrières mais elle s'insère au contraire dans la


perception commune de la population du pays et, de cette expérience,
elle se greffe sur les traits juridictionnels et socio-économiques du pays,
conditionnant expressions et exercices du pouvoir.

Perception de l'espace
En Catalogne, la société médiévale est soumise à une fragmentation
administrative et politique très significative, comme cela est normal dans
un contexte de singularisations juridictionnelles et seigneuriales, de
projection et d'assise territoriale de l'Eglise. Le passage d'une baronnie à
l'autre peut impliquer de complets changements de juridiction et, dans
leur domaine, les circonscriptions diocésaines entraînent aussi de
permanentes différenciations. Néanmoins, la perception populaire du
territoire ne se fonde pas toujours sur ces critères, mais sur les unités
paysagères3. Du point de vue d'une analyse géographique, nous dirions
que l'imposition de segmentations —juridictionnelles, circonscription-
nelles et ecclésiastiques — n'a pas autant influencé la perception populaire
du territoire que « l'espace terrestre », avec sa « double dimension
physique et écologique » ; cette situation explique le système de mesure
de l'espace par empans , qui met en relief l'importance de la nature et a
des conséquences sur les populations. Ces dernières doivent s'adapter à la
réalité écologique en termes d'expériences et de travail, comme cela est
évident dans une société à majorité paysanne7.
Le premier rôle de la nature et du paysage est visible dans les
descriptions et situations des lieux. C'est une caractéristique du tout
début du haut Moyen Âge, lorsque le critère se situe dans les territoria ,
sous forme d'espaces homogènes, qui coïncident parfois avec des vallées

3. F. Sabaté, « Apropament a una comarca natural : l'Urgell al segle XIV », Urtx, 2 (1990), p. 49-53.
4. Y. F. Tuan, Topophilia. A Study ofEnvironmental Perception, Attitudes and Values, New York,
1984, p. 115-129.
5. A. Dauphiné, « Espace terrestre et espace géographique », dans Les concepts de la géographie
humaine, A. Bailly étal éd., Paris, 1984, p. 35.
6. Y.-F. Tuan, Space and Place. The Perspective of Experience, Londres, 1977, p. 16-17; Id.,
« Environment, behaviour, and throught », dans The Behavioural Environment. Essays in Reflection
Application and Re-evaluation, F. W. Boal et D. N. Livingstone éd., Londres-New York, 1989,
p. 78-79.
7. F. Sabaté, El territori de la Catalunya Medieval, Barcelone, 1997, p. 42.
8. R. Martf, « "Territoria" en transicid al Pirineu medieval (segle V-X) », dans Actes del 3r curs
d'arqueologia d'Andorra. La vida medieval als dos vessants del Pirineu (setembre-octubre, 1991),
Andorre, 1995, p. 43-64.
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concrètes9. Précisément, les premiers comtés carolingiens se constituent


en additionnant, autour d'un centre articulé, un petit nombre de
territoria, lesquels retiennent la perception populaire de l'espace, de telle
sorte que jusqu'au début du Xe siècle l'utilisation du comté pour situer les
lieux ne prend pas racine10. L'articulation des territoria par rapport à la
capitale du comté lui donne une cohérence socio-économique qui
garantit l'unité de la circonscription. Toutefois, l'expansion territoriale
sur siècle
XIe la frontière
élargit au
spectaculairement
Xe siècle et la conquête
l'expansion
des espaces
des comtés
de l'ai
occidentaux11,
Andaliis au

entraînant la perte de la cohérence initiale et de l'imposition, en échange,


de nouvelles fractures juridictionnelles et du développement de nouveaux
centres socio-économiques1 .
Les comtés, incapables d'intégrer des unités économiques ou
politiques, sont peu à peu remplacés par des régions qui apparaissent
progressivement comme de nouveaux centres économiques. Néanmoins,
à ce moment-là, la perception populaire généralisée trouve dans le
paysage des critères supérieurs. Clairement, même l'occupation de la
frontière est perçue comme une descente depuis la Montagne. C'est pour
cette raison qu'un des comtés les plus étendus, celui d'Urgel, se
différencie dans l'esprit des gens au cours du premier tiers du XIIe siècle
en deux parties, la Montanya (Montagne) et la frontière ou Marca
(Marche), comme le signale Jordana en 1132, en parlant de omnes
compras et plantas sive acapitos que egofeci ab virum meum Ramon UzaLtrd
in marcha ne in montagd . Aussi le comte Ermengol VI, en préparant son
testament en 1133, dispose- t-il des biens situés in Marcha sive in
Montana . De manière semblable, à l'intérieur, où les respectives
dynamiques seigneuriales, juridictionnelles et socio-économiques ont
fragmenté les premières unités, le critère physique reflète une société très
attentive à la terre et à ses ressources. C'est pour cela qu'une perception
commune du territoire se généralise en fonction des vallées, des rivages,
des côtes maritimes, des bassins, des plaines et des montagnes, comme le
reflètent les situations documentaires propres à chaque ensemble, dans
une dynamique qui se maintiendra emmêlée avec les délimitations

9. F. Sabaté, « Organitzaciô administrativa i territorial del Comtat d'Urgell », dans El comtat


d'Urgell, Lérida, 1995, p. 18-21.
10. Id., Elterritori..., op. cit., p. 24-25.
11. Id., L'expansià territorial de Catalunya (segles IX-XIl) : conquesta o repoblaciâ ?, Lérida, 1996,
p. 68-86.
12. F. Sabaté, « La Marca en els comtats de l'any mil », Plea d'Histbria Local, 65 (1996), p. 36-39.
13. C. Baraut, « Els documents, dels anys 1101-1150, de l'Arxiu Capitular de la Seu d'Urgell »,
Urgellia, IX (1988-1989), p. 231.
14. Ibid., p. 237 ; J. Villanueva, Memorias cronolôgicas de los condes de Urgel, Balaguer, 1976, p. 320.
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administratives postérieures15. Précisément, la dénomination la plus


courante est celle qui se réfère à la montanya (montagne). La montagne
est décrite dans de vastes et diverses zones : en 1278, on peut parler des
lieux « que fossen de la montanya de Solsona e Campredon »! , de la même
manière qu'à la même époque, pour aller de Figueras à Banyoles on peut
traverser un générique cami de la Muntanya17.
La séparation entre montagne et plaine se généralise partout au bas
Moyen Âge. Dans les terres de Gérone, par exemple, hormis ceux qui
résident à Gérone, on peut distinguer entre ceux qui habitent en les
montanyes et ceux qui habitent \epla d'Amporda*. Dans d'autres contrées
où la plaine est vivifiée par une rivière, la dichotomie s'établit entre mont
agne et rivière, comme on dit à la ville de Tortosa, qui commande la
vallée alluviale de l'Ebre, es costuma en la muntagna et en la Ribera del
terme de Tortosa^.
Cette généralisation facilite son usage pour exprimer des ensembles
physiques et humains au-dessus de circonscriptions inférieures et de
fragmentations juridictionnelles : en 1485, sur les terres de Gérone, dans
le contexte du voyage des syndics paysans à la cour pour le règlement de
la question remença, une differentiation s'établit entre les représentants de
la Montagne — gens d'Olot, de Mieres, de Camprodon, de Cartellà, de
Sant Marti Sesserres, de Pallerols et de Fontcoberta - et ceux de la Plaine,
avec Madremanya, Sant Daniel et la Bisbal °, en dehors de toute autre
différence de géographie administrative ou juridictionnelle. En
conséquence, on parle facilement des pagesos de Muntanya21 et il est
courant de se référer à la gent de Muntanya 2.
La concrétion de ces mentions génériques sur des espaces spéci
fiques homogènes permet de caractériser le territoire. La perception
populaire remplit l'espace de références fondées sur la montagne :
Montagnes de Camprodon, Montagnes de Prades, Montagnes de Solsona,

15. F. Sabaté, El territori. . . , op. cit., p. 41-59.


16. « Qui étaient de la montagne de Solsona et de Camprodon ? » (Ch. Baudon de Mony,
Relations politiques des comtes de Foix avec la Catalogne, jusqu'au commencement du XlV siècle, II,
Paris, 1896, p. 160).
17. « Chemin de la Montagne » (B. Desclot, Crbnica del Rei en Père, cap. CXLVII, dans Les quatre
grans ethniques, F. Soldevila éd., Barcelone, 1983, p. 546).
18. « Dans les montagnes » ... « la plaine de l'Empordà » (L. G. Constans i Serrats, Diplomatari
de Banyoles, vol. IV, Banyoles, 1991, p. 305).
1 9. « Comme c'est la coutume dans la montagne et dans le Bassin du territoire comunal de Tortosa »
(B. Oliver, Historia del Derecho en Cataluna, Mallorca y Valencia. Côdigo de las Costumbres de
Tortosa, IV, Madrid, 1881, p. 216).
20. L. G. Constans i Serrats, Diplomatari..., op. cit., p. 404.
21. « Paysans de Montagne » {ibid., p. 366).
22. « Gens de Montagne » {ibid., p. 370).
La montagne dans la Catalogne médiévale 183

Montagnes de Montseny... C'est la perception populaire qui impose la


dénomination. Si la mention officielle incorpore le critère montagnard,
ce n'est pas parce qu'il produit le nom, mais parce qu'il prétend assumer
la dénomination populaire préalable dans l'indication de la circons
cription : ce qui explique que l'officier royal, chargé de régir l'aire
d'influence de Camprodon, est mentionné comme viguier in montaneis
Campirotundi23 et que le comté que Jacques II crée en 1324 pour son fils
mineur porte le nom populaire de la région, comtat de les Muntanyes de
Prades (comté des Montagnes de Prades), dans la mesure où il lui donne
les montagnes : imperpetuum totas montaneas nostras vocatas de Prades in
Cathalonia situatas, cum villa de Prades et castro ac villa de Siurana et aliis
castris, villis et locis ipsarum montanearum de Prades plenarie et complete
cum omnibus iuribus, terminis et pertenentiis . L'approximation entre la
mention populaire et l'officielle ne réussit pas toujours complètement,
souvent parce que le critère urbain peut gommer la référence géogra
phique, se résumant par exemple en veguer de Camprodon (viguier de
Camprodon) et même en comtat de Prades (comté de Prades)25.
La prolifération de dénominations nous permet de saisir ce qui se
cache derrière la mention du terme montagne. La montagne est perçue
comme un territoire fragmenté. Le caractère brusque de l'élévation en
conditionne la perception : les montagnes de Prades, les Ports de Beseit,
le Montseny ou le Montserrat, par exemple, s'imposent soudainement
sur un environnement fort plat. La cassure, bien qu'elle soit progressive,
est plus déterminante que ne l'est l'altitude atteinte. On parle de mont
agne à l'ouest de Figueras en allant vers Banyoles, quand l'altitude n'atteint
même pas les 200 mètres par rapport au niveau de la mer. La clé de
l'explication se trouve dans la sensation de territoire fragmenté, opposé,
selon les cas, au rivage ou à la plaine. Ceux-ci, de leur côté, ne confi
gurent pas une plaine linéaire mais présentent des oscillations notoires.
Finalement, la vision de la montagne ne peut pas être unitaire mais
régionale, à la recherche d'un espace physiquement et humainement
homogène. L'exemple fourni par le diocèse de Gérone met en valeur la
combinaison entre plaine et montagne. Par conséquent, on ne doute ni
de l'emplacement de Madremanya dans la plaine bien qu'elle soit entour
ée d'un paysage de plus en plus élevé, ni de celui de la Fontcoberta en
montagne bien que la cote planimétrique se situe à environ 200 mètres
d'altitude. Précisément, le nom de la Muntanya (la Montagne) reste ident
ifié populairement à ce territoire, qui de l'ouest de l'Empordà s'élève peu

23. AMSJA, Documents sobre la jurisdiciô de l'abat en la Vegueria de la Rai, r° 1.


24. ACA, Cancelleria, reg. 225, fol. 151 : cf. l'édition d'A. de Fluvià, « Els comtes i el comtat de
Prades », Anales del Institute de Estudios Gerundenses, XXV/1 (1979-1980), p. 160.
25. F. Sabaté, Vegueries i sotsvegueries de Catalunya, Lérida-Barcelone, à paraître.
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à peu vers Camprodon et qui inclut aussi bien des altitudes élevées que de
plus modérées dans le secteur oriental, adoptant dans l'ensemble la
dénomination commune de montagne pour décrire ce paysage fragmenté,
économiquement difficile et humainement homogène au-delà des divisions
juridictionnelles, comme cela se popuralise bientôt autour des guerres de
remença du dernier quart du XVe siècle et se maintient séculairement27.
Le paysage propre de la montagne fragmenté et oscillant peut être
défini par d'autres critères. La densité boisée, espace redouté comme
habitat de bêtes féroces et sauvages, amène à parler de forêt vierge au lieu
de montagne, en situant certains lieux in Silva*. Cela se stabilise bientôt
dans des régions comme le sud-est de Gérone29 et l'est d'Igualada30, avec
suffisamment d'enracimement pour être assumé, dans les deux cas, par les
circonscriptions ecclésiastiques du bas Moyen Âge, et fondé par
l'administration royale — baiule de Segarra et de la Selva1 (bailliage de
Segarra et de la Selva). Au contraire, l'espace montagneux peut également
être défini comme terrain d'une certaine dureté, en partie aride et sec,
remplaçant ainsi la dénomination de muntanya (montagne) par celle
Àger32
d'Aspres
ou(Âpres,
dans lezones
nord abruptes),
du comté d'Empuries33.
comme cela se produit entre Balaguer et

L'existence de divers endroits identifiés perpétuellement avec les


Selves (les forêts), les Aspres (les zones abruptes) ou les Montagnes met en
évidence la stabilisation des dénominations. Les zones considérées comme
Montagnes sont donc des régions concrètes et bien définies. Parfois c'est
la somme de petits endroits, comme la Muntanya (la Montagne) à l'est de
l'Empordà, où par exemple on aperçoit la vall de Mieres e de Sent Miquel
de Campmajor e alguns altres lochs de las Muntanyes3 . Dans des usages
descriptifs, comme dans le diocèse de Gérone, l'utilisation du critère
montagnard cherche à obtenir des indicateurs supérieurs aux circonscrip
tions et aux réalités socio-économiques existantes. Dans d'autres cas, les
différentes montagnes jouissent non seulement de l'homogénéité physi-

26. J. Canal et M. Mercè Homs, « Verntallat i "la muntanya remença" », L'Avenç, 202 (1996),
p. 62-65.
27. E. Cl. Girbal, Banolas. Noticias histâricas de esta villa, Gérone, 1863, p. 7.
28. J. Miret i Sans, Les cases de Templersy Hospitalers en Catalunya, Barcelone, 1880, p. 158.
29. C. Guilleré, « Criteris medievals per a l'estudi comarcal : el cas de la Seva a través de les
enquestes episcopals », Quaderns de la Selva, 2 (1990), p. 85-101.
30. F. Sabaté, « Anoia. Marc Historic », Catalunya Romànica, XIX, Barcelone, p. 324.
31. ACA, Cancelleria, reg. 505. f> 174 ; reg. 506, F> 107 ; reg. 507, P> I42v; reg. 582, f> 102v-
103 ; reg. 949, r» 184 ; 950, r° 190, parmi beaucoup d'autres.
32. AMA, C-IV, manuscrit 95, non folioté.
33. AHG, Fons notarial de Figueres, secciô Castellô, reg. 508, r° 22.
34. « La vallée de Mieres et de Sant Miquel de Campmajor et quelques autres lieux des
Montagnes » (L. G. Constans i Serrats, Diplomatari..., op. cit., p. 309).
La montagne dans la Catalogne médiévale 185

que mais aussi de leur caractère humain, raison pour laquelle elles sont
regroupées dans un centre directeur. Elles concordent ainsi avec les
imbrications socio-économiques des habitants du milieu environnant vers
le centre nodal : ce sont les Muntanyes de Camprodon (Montagnes de
Camprodon), les Muntanyes de Solsona (Montagnes de Solsona).
S'agissant d'une singularité juridictionnelle, les montagnes s'identifient
facilement avec le domaine baronnial dont elles font partie : les montagnes
de Bas caractérisent le secteur le plus élevé du petit vicomte de Bas, à
l'extrême nord de l'actuelle Cordillère transversale, unité montagneuse,
qui, dans la partie sud de Montsoriu, est parfois citée sous le nom de
Muntanyes del Vescomtat (Montagnes du Vicomte), en raison de l'identi
fication avec le vicomte de Cabrera .
Entre l'un et l'autre extrême des deux tronçons de la Cordillère
transversale, le centre du domaine du vicomte de Cabrera donne son
nom propre au Territorio de Cabrera , espace montagnard avec une
dénomination particulière. En fait, la plupart des véritables montagnes
jouissent d'une dénomination spécifique : Montserrat, les Ports, Pallars
ou le Montseny. Avec leur propre dénomination elles confèrent une
identité au territoire environnant - Esparraguera Montisserrati, ainsi
s'appelle le village d'Esparraguera situé au pied de Montserrat —, elles
s'intègrent de manière partiulière au sein d'une région placée sous
l'influence d'une capitale extérieure — les Ports apportent la propre
singularité à la « capitalité » de Tortosa au sud de la Catalogne — et elles
partagent un même cadre juridictionnel et socio-économique, comme le
Montseny dans le vicomte de Cabrera39. Mais surtout, elles se distinguent
par l'articulation de certains espaces spécifiques de montagne, comme
cela se passe avec le Pallars, qui devient synonyme d'une région monta
gneuse conjointement traitée .
Ces unités distinguées jouissent donc d'une dénomination propre,
alors que dans les autres cas l'usage du critère « montagne » a contribué à
donner une certaine cohésion à des ensembles plus génériques. La variété
d'une gamme aussi large met en valeur des ressources et des contenus de
la montagne fort variés et adaptés à des réalités plus larges. La montagne
peut être à la fois lieu de craintes et de ressources.

35. AW, registre 3, pli 5, non folioté.


36. AHMV, livre XIII, parchemin 253 ; AEV, Processus criminals, liasse 2, plec pli 2, non folioté,
parmi beaucoup d'autres.
37. ACA, Cancelleria, reg. 1782, F> 44.
38. AHCTE, Ports 1.
39. A. Pladevall, « El Montseny a l'època medieval. Dominis i jurisdiccions », Monografies del
Montseny, 6 (1991), p. 85.
40. ACA, Cancelleria, reg. 1913, f» 138.
186 Flocel SABATÉ

La montagne, lieu de craintes


L'importance de la montagne aboutit à une relation intense et
diverse avec les hommes et les femmes de l'époque. D'abord, une
montagne peu peuplée est surtout occupée par des animaux. Elle devient
ainsi un lieu de crainte. On a peur d'une nature sauvage et, en même
temps, proche. Quand au XIIe siècle on reproduit le tétramorphe dans
l'église pyrénéenne d'Esterri de Cardôs, en prétendant représenter
l'évangéliste saint Marc comme un lion, en réalité on peint un ours, qui
est réellement l'animal connu \
La densité animale de la forêt de montagne favorise l'alimentation
humaine, au haut Moyen Âge, par le biais de la chasse, spécialement celle
du petit gibier ; et les exigences seigneuriales, comme celles de l'abbé de
Sant Cugat, apparaissent dans le cadre d'un établissement à Clariana en
1012, imposant que per singulos annos dent censum rofia I obtima
cervuna . Le contrôle de la forêt est lié aux ressources cynégétiques et
engendre des revenus pour les seigneurs, mais impose aussi des barrières
coercitives, comme cela est spécifié à Freixe, déjà au XIIIe siècle, à ceux qui
casaverint nec etiam cirogillos acciperint . Les ressources de la forêt
deviennent ainsi l'objet d'accords entre seigneurs, comme l'établissent, en
1 1 54, le prieur de Montserrat et les vicomtes de Barcelone, afin que ces
derniers puissent, sur le territoire du monastère coger los nidos defalcones,
azoresy espavers [. . .] con obligaciôn de dar uno de cada nido a dicho prior y
un quarto de ciervo o de puerco o de cabra silvestre .
Cette domestication de la forêt et sa progressive occupation par
l'homme, bien évidente à partir du XIIe siècle par l'augmentation de
l'approvisionnement en ressources des centres urbains émergents, ne
réussissent pas à ôter la peur des hommes et des femmes envers les
animaux qui habitent dans les forêts de montagne. Dans les milieux
ruraux, les paysans parlent de troupeaux décimés et du danger face aux
animaux qui proviennent de la forêt. À la fin du XIVe siècle, dans le
Capcir, los homens del loch de Esposoyla son maltractats per moites
salvatgines axi de porcs senglars com d'osses en tant que es dubta que per

4 1 . E. Carbonell et J. Sureda, Trésors Medievals del Museu National d'Art de Catalunya, Barcelone-
Madrid, 1997, p. 143-144.
42. A. Riera, « Sistemes alimentaris i estructura social a la Catalunya de l'alta edat mitjana », dans
Alimentaciô i societat a la Catalunya Medieval, Barcelone, 1988, p. 23.
43. J. Rius Serra, Cartulario de « Sant Cugat» del Vallès, II, Barcelone, 1946, p. 88-89.
44. AES, parchemin 1514, édité par A. Bach, Collecciô Dipbmàtica del Monestir de Santa Maria
de Solsona : el Penedés i altres llocs del Comtat de Barcelona (segles X-XV), Barcelone, 1 987, p. 150.
45. « Ramasser les nids de faucons, d'autours et d'éperviers [...] avec l'obligation de donner un de
chaque nid audit prieur et un quart de cerf ou de sanglier ou de chèvre sauvage » (B. Ribas i Calaf,
Histbria de Montserrat (888-1258), Barcelone, 1990, p. 191).
La montagne dans la Catalogne médiévale 187

aquesta rahô los homens del dit loch no haien a desemparar lo dit loch e
anar-s'en en altres partides . Etant donné la gravité, en 1392 le procu
rateur royal des comtés du Roussillon et de Cerdagne autorise aussi bien
les habitants d'Esposolla que ceux de Riufret et de Sant Père d'Enforcats,
en Cerdagne voisine, à brûler la forêt chaque fois qu'il le faut afin de
repousser les agressions animales : possitis mitere seu miti facere ignem
semel et pluries pro ardendis arboribus et aliis broçes et locis erboses, pro
occidendis dampnifficandis et evitandis ac effugandis animalibus feriis
silvestribus atque brutis 7.
Mais l'animal qui suscite le plus de crainte est le loup, tel qu'en
témoigne une toponymie remplie, dans tout le pays, d'évocations de sa
présence , sans oublier qu'il est le protagoniste de nombreuses histoires
d'épouvanté. La première fondation du monastère de Santa Maria de
Meià, à la frontière montagneuse du Montsec, se trouve en 1080 dans un
état de ruine ; c'est la combinaison du mauvais gouvernement de l'abbé,
des agressions mulsulmanes, de la sécheresse et de la menace des loups
qui l'explique : destructus a sarracenis et a lupis atque siccitate 9. La crainte
du loup accompagne l'histoire de toutes les montagnes tout au long de la
période médiévale. Le voisinage entre les uns et les autres peut être
spécialement tendu quand le degré d'occupation humaine est élevé.
Tortosa, ville méridionale prospère entourée de montagnes boisées, voit
provenir de celles-ci une densité très élevée de loups, qui s'enfoncent avec
aisance dans les zones habitées. Pour cette raison, le gouvernement
municipal de Tortosa crée la fonction de ligaller i lobater de la dita ciutat,
qui encourage la chasse aux loups et leur élimination, s'occupe des
formalités d'obtention de la compensation financière apportée par la
municipalité à chacune des personnes qui en apporte la dépouille, en
faisant la distinction entre les louveteaux et les animaux plus grands, ces
derniers étant beaucoup mieux rémunérés50. La liste des lieux où ils ont
été chassés montre leur présence à l'intérieur des montagnes et à proxi
mité des habitats humains, comme celui qui est abattu en 1378 prop de
Vesglésia del Godelt\ L'intense activité tout au long du bas Moyen Âge52

46. « Les hommes d'Esposolla sont tellement maltraités par beaucoup de bêtes sauvages aussi bien
par des sangliers que par des ours que l'on doute si pour cette raison les hommes dudit lieu ne
devront pas abandonner ledit lieu et s'en aller dans d'autres contrées » (ADPO, 1B-153, r° 96).
47. Ibid., 1B-149, fMv.
48. X. Pérez, « La membria histôrica del Hop a la Selva », Quaderns de la Selva, 12 (2000), p. 185-191.
49. ACU, fonds Tavèrnoles, parchemin 17a : document édité par C. Baraut, « Diplomatari del
monestir de Sant Sardunf de Tavèrnoles (segles IX-Xlll) », Urgellia, 12 (1994-1995), p. 157.
50. AHCTE, clavari, 15, p. 164 ; 17, p. 178 ; 18, p. 120 ; 36, p. 98, entre autres.
51. « Près de l'église du Godall » (AHCTE, clavari, 15, p. 168).
52. A. Curto et A. Martfnez, « La presència del Hop a l'antic terme de Tortosa durant la Baixa
Edat Mitjana »,Acta histôrica et archaeobgica Medievalia, 20-21 (1999-2000), p. 455-476.
188 Flocel SABATÉ

n'épargne pas la persistance d'une crainte surtout pour le bétail53, comme


le signale, peu après le Moyen Âge, Cristofor Despuig, en parlant de la
pesadilla de aquells dos gèneros de salvatgines impotunes que son Hops i
raboses, perque no. s perda lo cuydado de guardar los bestiarsy les gallines .
L'amplitude des zones de montagne augmente la proximité avec le
danger animal, mais aussi avec l'humain. Le maintien de la préoccu
pationjuridique pour garantir une paix spécifique du chemin se sert, en
réalité, du besoin de garantir l'ordre sur les voies publiques pour le
déplacement des personnes afin de consolider le pouvoir de celui qui
légifère pour protéger les chemins qui traversent ses terres. Les Constitucions
de Pau i Treva (les Constitutions de Paix et de Trêve) montrent, au
XIe siècle, l'Église protégeant ceux qui se rendent aux marchés56 et au
siècle suivant, quand le monarque prétend consolider sa position en tant
que garant de la paix et de l'ordre, il invoque explicitement la prise en
charge de la protection des vias publicas sive caminos vel stratas . Le roi
intègre cette revendication parmi les arguments de consolidation du
pouvoir souverain au bas Moyen Âge, bien qu'il n'ait pas les forces pour
l'imposer58. Dans la pratique, les prétentions législatives ne peuvent pas
empêcher que les agressions sur les chemins se répètent et qu'elles soient à
la recherche d'une plus grande impunité dans la montagne sauvage59, en
profitant de la fragmentation juridictionnelle60.
Outre divers cas concrets, comme le crime commis par deux
transporteurs de Puigcerdà qui en 1378 assassinent un collègue de métier
et de ville sur le chemin qui commence à s'élever, à Blancafort, vers les
passages du Cadi, entre Berga et la Cerdagne \ la plupart des crimes
commis profitant de la montagne boisée peuvent être classés selon la
typologie suivante : certains canalisent les tensions de factions qui
secouent les populations et leurs régions 2, en montrant des assaillants qui

53. AHCTE, Establiments, 1397, non folioté


54. « Du cauchemar de ces deux genres-là de bêtes sauvages importunes que sont les loups et les
renards, afin de ne pas perdre le soin de protéger le bétail et les poules » (C. Despuig, Los
Col-loquis de la insigne ciutat de Tortosa, Barcelone, 1981, p. 196).
55. R. Gibert, « La paz del camino en el derecho medieval espanol », Anuario de Historia del
Derecho Espanol, XXVII-XXVIII (1957-1958), p. 831-852.
56. G. Gonzalvo, La Pau i la Treva a Catalunya. Origen de les Corts Catalanes, Barcelone, 1986, p. 24-25.
57. Id., Les Constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles XI-XIIl), Barcelone, 1994, p. 80.
58. F. Sabaté, « Diseurs i estratègies del poder reial a Catalunya al segle XIV », Anuario de Estudios
Médiévales, 25 (1995), p. 624.
59. AW, liasse de registres 25, pli 1394, non folioté.
60. ACA, Cancelleria, Papeles por incoporar, Cervera, non folioté.
61. ACA, Reial Patrimoni, Mestre Racional 1555, f° 2v.
62. F. Sabaté, « Les factions dans la vie urbaine de la Catalogne du XIVe siècle », dans Histoire et
archéologie des terres catalanes au Moyen Âge, Ph. Sénac éd., Perpignan, 1995, p. 339-365.
La montagne dans la Catalogne médiévale 189

agissent conjointement contre d'autres factions profitant de conditions


offertes par des montagnes bien connues ; d'autres, plus ponctuels,
apparaissent dans la seconde moitié du XIVe siècle, quand l'intérieur du
pays est menacé par des compagnies errantes de la guerre de Cent Ans —
gents estranyes de peu e de cavayl de les parts de França —, quelque
quatorze incursions en un demi-siècle à la recherche d'un butin 5, dépré
dations que favorisent le contexte montagneux et boisé ; en troisième
lieu et de manière plus globale, les forêts de montagnes sont appropriées
pour que de simples groupes factieux, parfois stables mais aussi occa
sionnels, puissent assaillir les voyageurs 7. Précisément, la possible agression
de criminels ou de troupes oisives - les campanyes blanques (les campagnes
blanches) — est l'excuse invoquée par le gouvernement municipal de Piera
pour obtenir du roi le permis, en 1373, de fermer le chemin qui circule
sur la partie élevée du territoire de la ville, et obliger de passer par un
autre chemin qui entre dans la ville, vraie raison de la mesure 8.
L'instabilité attribuée aux montagnes boisées se combine avec la
fragmentation juridictionnelle, qui caractérise le pays depuis le haut
Moyen Âge, que les Corts de 1283 ont sanctionné irrémédiablement et
que les difficultés du XIVe siècle ont augmenté. Le pays est une juxta
position de juridictions infranchissables, et les crimes commis dans une
seigneurie peuvent être impunis si le coupable se réfugie dans une autre
juridiction. Cela entraîne de graves problèmes dans tout le pays, dans la
mesure où les pôles juridictionnels et socio-économiques ne coïncidant
pas, les obligations souscrites peuvent ne pas être accomplies impunément,
parvenant à mettre en péril d'importantes fortunes urbaines 9. La combi
naison avec des zones montagneuses complique énormément cette situa
tion. Les montagnes du vicomte de Cabrera ou celles de la Panadella
proches du domaine seigneurial des Queralt, étant sillonnées par des
chemins très fréquentés, sont perçues comme des lieux très dangereux
habités par des délinquants souvent impunis70.

63. AW, processus civils, vol. 1333-1334, pli 1333-2, non folioté.
64.ADPO 1B-121, fol. 25.
65. F. Sabaté, « L'augment de l'exigència fiscal en els municipis catalans al segle XIV : elements de
pressiô i de resposta », Colloqui Corona, Municipis i Fiscalitat a la Baixa Edat Mitjana, Manuel
Sinchez et Antoni Furiô éd., Lérida, 1995, p.431-432.
66. ACA, Cancelleria, reg. 924, f° 77v-78.
67. AW, liasse de registres 1, pli 5, non folioté.
68. F. Sabaté, « Histôria Medieval », Histbria de Piera, Lérida, 1999, p. 186.
69. Id., « Ejes vertebradores de la oligarqufa urbana en Catalufia », Revista d'Histbria Medieval, 9
(1998), p. 143-151.
70. F. Guicciardini, Viaje a Espana, Valence, 1952, p. 39.
190 Flocel SABATÉ

Quand on additionne une vaste étendue de montagnes, une oro


graphie spécialement difficile et une juridiction fortement fragmentée,
toutes les craintes convergent. Cela explique que les actuelles comarques
(contrées) d'Alt Urgell, Pallars et Ribagorça, en incluant les terres
aujourd'hui aragonaises, soient perçues comme une montagne particuli
èrement impunie. Cette identification entre montagne et criminalité de
l'espace, situé entre Pont de Bar, Pont de Oliana, Montsec, Cinca, col de
Gistau et cols des vallées d'Andorre, est proclamée par le monarque, qui
blâme ainsi son absence de juridiction dans cette vaste étendue de terres
de juridiction baronniale71.
Non seulement dans cet espace, mais aussi dans l'ensemble du
pays, une société organisée en factions et un territoire fragmenté en
juridictions devient un des principaux héritages de la période médiévale
en Catalogne. C'est pour cela que, sous les circonstances politiques et
économiques des siècles postérieurs, toutes les montagnes, qu'elles soient
pyrénéennes ou qu'elles se situent dans les zones centrales, accentueront
une instabilité72 propre à un pays identifiée, précisément, au bandolerisme
ou brigandage73.
Outre les problèmes de sécurité personnelle, l'orographie de
montagne peut aussi rendre difficile la circulation. À plusieurs reprises le
passage des montagnes est endommagé après des périodes de pluies et il
faut le réparer, réparation souvent encouragée par les proches capitales et
les péages imposés aux voyageurs, comme cela se fait au passage de
Côdol-Rodon, dans la montagne qui sépare les vigueries de Manresa et
de Cervera, où en 1327 il faut arranger deux montées où no poden passar
ne anar qui. son
carregades7 Ces en
difficultés
les dites des
costes
chemins
sens perill
ajoutent
e specialment
de nouvelles
cavaleries
craintes
e besties
à la

circulation de montagne, surtout parce qu'il s'agit de chemins étroits et


en mauvais état . C'est pour cela que de nombreux accidents ont lieu
comme celui du transporteur qui menava II muls carregats d'oli, et aussi
bien lui qu'un des mulets, avec le chargement, furent précipités dans le
cours de la Merola, où il perdirent la vie .
L'ensemble des difficultés et des craintes soulevées dans les
environs de la montagne explique que les chemins qui doivent pénétrer

71. ACA, Cancelleria, reg. 1913, f> 78.


72. N. Sales, Senyors bandolers, miquelets i botiflers, Barcelone, 1984, p. 105-107.
73. J. Reglà, El bandolerisme català del barroc, Barcelone, 1966.
74. « Ne peuvent pas passer ni aller ceux qui sont dans lesdites côtes sans danger et tout
particulièrement les chevaux et les bêtes chargées » (AHCM, Fonds Viguier, livre de citations
1323-1328, non folioté).
75. N. Sales, Mulers, ramblers i fires (s. XVIII-XIX), Reus, 1991, p. 92-94.
76. « Qui menait deux mulets chargés d'huile » (ACA, Reial Patrimoni, Mestre Racional 1555, f° 14).
La montagne dans la Catalogne médiévale 191

dans ces espaces sauvages disposent de centres d'assistance, comme Santa


Maria del Cami aux portes des Selves depuis le XIIe siècle77 ; au XIVe siècle,
on développe un hôpital à chaque bout du tronçon de montagne et
sauvage du chemin entre Tarragone et Tortosa, c'est-à-dire la Font de
Perello et l'Hospitalet de l'Infant 8.
Une montagne aussi sauvage contient tout ce qui est inconnu, aussi
bien ce qui suscite la crainte que ce qui provoque l'admiration, dans le
sens médiéval du terme. La montagne accueille cette forêt-là fantastique
qui la relie aux mythes des romans courtois du cycle arthurien, largement
diffusés au bas Moyen Âge catalan . Voici la montagne du vicomte de
Cabrera qui accueillait un dragon, vaincu définitivement par le chevalier
Soler de Vilardell80 avec une épée de virtut (de courage) qui au XIVe siècle
appartient au roi '. Dans une autre montagne beaucoup plus
emblématique, le Canigou, se situe la présence du dragon qui surgit
volant d'un lac quand le roi Pierre le Grand, en 1285, y jeta une pierre8 .
L'acceptation populaire de ces faits s'entrecroise au bas Moyen Âge
avec les traits de la quotidienneté. Le dragon tué à Vilardell menaçait
l'importante route entre Gérone et Barcelone, car, comme le reconstruira
le prétendu Bernât Boades, il s'agit d'un bell drach, prop del castell e del
cami qui.n va de Barcelona a Gerona, lo qualse'n menjave lo bestiar e moka
de la gent qui.n passave per lo cami desûs dit83. Si les dangers de la
montagne, par conséquent, provoquent un certain malaise, cette dernière
n'en demeure pas moins un lieu de ressources.

La montagne ressource
On peut considérer que la montagne représente une large partie du
territoire catalan, même si elle est fragmentée, et qu'elle joue un rôle
important dans les activités et les ressources humaines. Tous les chemins,
intensément sillonnés par les marchands, traversent des montagnes. La

77. A. Benêt, « Santa Maria del Camf », Catalunya Romànica, XIX, Barcelone, 1992, p. 522.
78. E. Fort i Cogul, El transit pel Coll de Balaguer (Del Perellô a l'Hospitalet de l'Infant), Barcelone,
1974, p. 14-61.
79. A. Rubiô y Lluch, Documents per a l'histbria de la cultura catalan mig-eval, I, Barcelone, 20002,
p. 119.
80. P. Català, « Castell de Vilardell, inscrit en la llegenda », dans Els Castell Catalans, II,
Barcelone, 1991, p. 268.
81. M. de Riquer, Llegendes histbriques catalanes, Barcelone, 2000, p. 122-127.
82. Cl. Lecouteux, Demonios y genios comarcales en la Edad Media, Palma de Majorque, 1999, p. 19.
83. « Un beau dragon, près du château et du chemin qui va de Barcelone à Gérone, qui dévorait
le bétail et beaucoup de gens qui passaient sur le chemin susdit » (B. Boades, Libre defeyts d'armes
de Catalunya, II, Barcelone, 1948, p. 141).
192 Flocel SABATÉ

réparation du chemin à Côdol-rodon, citée précédemment, s'imposa à


cause du volume considérable de voyageurs qui l'empruntaient et du lien
qu'il tissait entre villes importantes et bourgs du pays . Cette intensité du
bas Moyen Age maintient une continuité avec la vivacité des échanges
des siècles précédents, car au haut Moyen Âge les principaux passages de
montagne, comme les dénommées clusas, spécialement dans les espace
pyrénéens, sont surveillés et même fortifiés .
La forêt offre en montagne deux ressources essentielles : llenyar
(faire du bois) et carbonar (faire du charbon de bois)8 . La première
fournit du bois, surtout de pin et de sapin qui peut être sec ou vert {tant
vendes quam sictas) ou, d'après l'allure et les dimensions, arbre gentil, gran
o poch8 , et qui fait l'objet d'une grande publicité comme c'est le propre
d'une société en développement qui utilise le bois dans la construction
urbaine, l'outillage agricole, l'infrastructure artisanale et comme énergie.
Précisément, c'est à partir surtout de les lenyes sèches (des bois secs), que
l'on élabore, dans la forêt même, le charbon de bois, essentiel non seul
ement pour l'usage domestique mais aussi pour l'alimentation des fours, et
tout particulièrement pour la production métallurgique . Les cendres
sont également utilisées pour des usages fort divers, élaborées expres
sément en fonction de la demande. En réalité, l'intensité de l'utilisation
des ressources se ramifie dans les différentes composantes végétales. Les
montagnes couvertes de végétation méditerranéenne dégradée, comme les
chamérops font aussi l'objet d'une systématique utilisation pour la
vannerie, comme cela est attesté à Cubelles vers le milieu du XIVe siècle .
Il n'est pas étonnant, donc, qu'en 1293 l'octroi par Joan Despuig
d'une charte de peuplement à Paiils, endroit juché sur la montagne des
Ports, témoigne de la préoccupation de rentabiliser l'exploitation du bois
de chauffage, de construction, ainsi que du charbon et des cendres90.
L'importance de ces ressources conditionne les relations entre les diffé
rents bourgs ou villes et les maîtres des montagnes proches, comme le
montre le paradigmatique accord entre la ville de Tarrasa et la baronne

84. AHCM, Fonds Viguier, livre de citations 1323-1328, non folioté.


85. J. Bolôs et V. Hurtado, « La xarxa viària catalana a l'alta edat mitjana. Una aproximaciô des
de la cartografia », Anuario de Estudios Médiévales, 23 (1993), p. 14-16.
86.ADPOlB-95,fb34v-35.
87. « Arbre gracieux, grand ou petit » (ADPO 1B-121, f° 83).
88. ADPO 1B-95, fM7.
89. M.-T. Ferrer Mallol, « Boscos i deveses a la Corona catalano-aragonesa (segles XIV-XV) »,
Anuario de Estudios Médiévales, 20 (1990), p. 490.
90. J.-M. Font Rius, Cartas de poblaciôn y franquicia de Catalunya, I, Barcelone-Madrid, 1969,
p. 524.
La montagne dans la Catalogne médiévale 193

de Vacarisses en 130291. Garantir cet accès à la forêt se situe à la base des


tensions entre des localités voisines, comme Puigcerdà et Llivia92 ou
devient l'indicateur de la prééminence régionale, tel que Manresa qui, en
obtenant en 1333 un privilège royal qui lui garantit le libre accès aux
forêts de la propre région, en sort fort consolidée93. Étant donné ces
bénéfices, endommager la forêt de l'adversaire s'ajoute aux agressions
endurées par les seigneurs, comme Blanca de Castellet, qui en 1285,
obtient pour la défense des forêts de ses montagnes de Castellet, l'aide des
officiers royaux, qui ordonnent à leurs ennemis de ne pas couper eux-
mêmes le bois ou de le faire couper par d'autres : lo dit bosc no H talets ne
H fassats talar . Les faveurs, accordées au monastère de Montserrat par
Jacques Ier en 1258 vont dans ce sens95.
L'intense demande de bois pour construire des bateaux dans les
chantiers navals, comme celui de Barcelone, exige le transport non seul
ement des proches montagnes mais aussi de toutes les grandes chaînes
montagneuses du pays, sans compter les exportations extérieures96. En
fait, le monarque se montre toujours sensible à l'approvisionnement en
matière première pour la construction de bateaux , veillant aux diffé
rentes qualités de bois, comme le démontre Jacques II qui estimait, en
1316, que les arbres des bois qui couvrent les montagnes de Bas et du
vicomte de Cabrera, dans la Cordillère transversale, sont excellents pour
faire des rames98.
L'exploitation intensive de la forêt lui enlève progressivement son
image d'espace méconnu. Le monarque intervient afin de façonner la
nature pour faciliter l'exploitation, comme 14 19, par l'aménagement du
cours de la Noguera Ribagorçana entre Trago et Andani : on pourra ainsi

souvent,
transporter
1]>.intervention
par flottaison
. acquiert
le bois
• abattu
un sens
dansprotectionniste
les forêts pyrénéennes99.
100 , rruit
r • dejTrès
i
la

volonté de sauvegarder les ressources pour l'activité économique ou


simplement cynégétique. En 1389, Jean Ier protège une de ses zones de

91. AHT, parchemins, chemise V, n° 11.


92.ADPO1B-I96,f°32.
93. M. Torras, ElLUbre Verd de Manresa (1218-1902), Barcelone, 1996, p. 103.
94. AHCM, fonds du viguier, registre 3, non folioté.
95. ACA, Cancelleria, reg. 9, f> 8.
96. Cl. Carrère, Barcelona, 1380-1462. Un centre econbmic en època de crisi, I, Barcelone, 1977,
p. 194-195.
97. ACA, Cancelleria, reg. 249, f° 1 17-v.
98. Ibid., reg. 243, F» 54.
99. M.-T. Ferrer i Mallol, « Boscos i deveses... », op. cit., p. 517.
100. À. L Molina, « Territorio, Espacio y Ciudad en la Edad Media », La ciudad Medieval,
J. A. Bonachfa éd., Valladolid, 1997, p. 37.
194 Flocel SABATÉ

chasse
Montgri10quand
, et autorise
il limite
en les
1392
coupes
à brûler
excessives
et abattre
des les
forêts
forêts
de du
Torroella
Capcir de

la castellania de Puigbaledors en épargnant la forêt royale de la Mata103. La


protection de la forêt est très étendue : en 1369, Pierre le Cérémonieux
limite les incendies provoqués dans les montagnes du Garraf10 , par exemp
le tout en insistant aussi sur les ressources fluviales. Ainsi, en 1369 il fait
interdire la pêche dans les eaux royales en Confient et au Capcir jusqu'à
ce que les espèces soient plus nombreuses. Il faut éviter de pêcher ab
fillats e ab altres asins de peschar no acustumades en tant que tot en tot les
ribes seran adés frayturoses de peix, et veiller à ce que negun no gospechar en
temps vedat de peix en les dites ayguesm. Il s'agit là d'interventions qui tou
chent les activités économiques, comme l'indique la régularisation détaillée
de l'utilisation des forêts du Roussillon et de la Cerdagne en 134510 .
Ces règles d'exploitation sont surtout liées aux forges et aux fours à
chaux, dont l'intense activité met en péril la survivance de la forêt de
montagne lors du passage du XIVe au XVe siècle1 . Le développement de
véritables vallées sidérurgiques qui conditionnent aussi bien la poussée
hydraulique que les ressources forestières108 concorde avec l'importance de
la treyta del ferro1 dans diverses zones surtout du Vallespir et du
Confient (signalons parmi elles surtout celle de Saorra110, endroit identifié
pleinement à cette époque-là, avec l'exploitation du fer111), combinée avec
celles de l'or, du plomb, du cuivre, du khôl, de la couperose et du
vitriol112. Non seulement l'extraction, mais aussi la transformation des
minéraux, surtout du fer, donne une physionomie spécifique à la
montagne qui ne cesse de se développer alors113. Il s'agit souvent de pro
ductions adressées à une demande située dans un environnement pas très

101. ACA, Cancelleria, reg, 505, f° I42v.


102. Ibid., reg. 1871, f° 143-v.
103. ADPO 1B-I53,f°79v.
104. ACA, Cancelleria, reg. 738, f° 8v.
105. « Avec des filets et avec d'autres instruments de pêche non habituels sur toutes les rives tant
qu'il manquera de poisson » ; « personne n'ose pêcher pendant le temps de la pêche gardée dans
lesdites eaux » (ADPO, 1B-121, fol. 79v-80).
106. Ibid., 1B-95, fol. 68v-69v.
1 07. C. Rendu, « Quelques jalons pour une histoire des forêts en Cerdagne : le massif d'Osseja
entre 1030 et 1430 », dans Études roussillonnaises offertes à Pierre Ponsich, Perpignan, 1987,
p. 249-250.
108. C. Verna, Le temps des moulins. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XJlf-
XVf siècle), Paris, 2001, p. 119-120.
109. « L'extraction du fer » (ADPO 1B-122, f° 42).
110. Ibid.
111. ACA, Reial Patrimoni, Mestre Racional 1569, C-3, non folioté.
112. Ph.-J. Hesse, « Les mines roussillonnaises de 1300 à 1550 », CERCA, 25 (1964), p. 251- 255.
1 13. A. Gallardo et S. Rubiô, Lafarga catalana, Barcelone, 1930, p. 46-49.
La montagne dans la Catalogne médiévale 195

éloigné" . Au milieu du XIVe siècle, par exemple, Père Ferrer fabrique des
socs de charrue et des houes pour les paysans dans une fabregua (forge) à
Tornamira, qu'il possède à cens et qui fonctionne avec du fer et du
charbon l . De son côté, en 1338, Guillem Pals gère la molina de la
Concha (le moulin de la Conca), qui possède obrada y fargada (avec
atelier et forge), et pour laquelle il a besoin de fer et de charbon de bois116.
De même, à la même époque la combinaison d'extractions de fer,
d'apports de charbon et le recours hydraulique confortent les forges de
Ribes et bénéficient aussi bien aux tenanciers qu'à leurs seigneurs117.
De toute évidence, la localisation des moulins hydrauliques n'est
pas fonction de la montagne mais des cours d'eau et en même temps il
est clair que l'orographie facilite les cours et les accumulations d'eau qui
permettent de développer la meunerie comme l'un des attraits des vallées
montagnardes. Le moulin est, en réalité, une machine polyfonctionnellen ,
et la typologie des moulins en est diverse. En Catalogne médiévale, on
peut parler d'ipsos midinos blanchers pour le tanneur" , mais surtout une
dichotomie s'impose entre les moulins à farine1 ° — molins bladers sive
farmers — et ceux à foulon — molins drapers . Aux moulins hydrauliques
XIVe
de montagne, déjà consolidés au siècle123, s'ajoutent deux autres
types. Dans des montagnes comme les Pyrénées, en plus de ces deux
types1
, il faut signaler le molin serrador (moulin scieur) et la molina de
ferre (moulin à fer)125. Les uns et les autres reçoivent l'eau de barrage,
mais le second est consacré à forger le fer tandis que le premier est
d'ordinaire I casai de moli serrador ab una serra o dues serres126.

114. M.-C. Rovira, J. Solans, V. Turu, A. Net, X Llovera, « Primers résultats del projecte d'estudi
sobre la metallùrgia del ferro a Andorra », dans Actes del 3 curs d'arqueologia d'Andorra. La vida
medieval als dos vessants del Pirineu (setembre-octubre 1991), Andorre, 1995, p. 214.
115. AMSJA, Carpeta Curia Secular. Processos. 1351-1370, pli 1364, non folioté.
116.ADPO1B-95,P 15.
117. Ibid, 1B-357, P 36v-4l.
118. Cl. Rivais, Le moulin et le meunier, I, Portet-sur-Garonne, 2000, p. 67.
119. ACA, Cancelleria, parchemins de Ramon Berenguer III, 227 : document édité par R. Serra,
« El molf de blanquer de Calders », Miscellània d'Estudis Bagencs, 2 (1982), p. 148.
120. J. Bolôs, « Les moulins en Catalogne au Moyen Âge », dans Moulins et Meuniers dans les
campagnes européennes (Df-XVIlf siècle). Actes des XXI journées internationales d'histoire de l'Abbaye
deFlaran (3, 4 et 5 septembre 1999), M. Mousnier éd., Toulouse, 2002, p. 55-61.
121. ACA, Cancelleria, reg. 2009, fol. 13v.
122. ACL, calaix 121, parchemin 7501.
123.ADPO1B-I22,f°28.
124. Respectivement ADPO 1B-122, f° 42 et ibid, 1B-156, f° 50.
\25. Ibid, lB-121,F>74v.
126. « I moulin scieur avec une ou deux scies » (ADPO 1B-212, f° 74).
196 Flocel SABATÉ

Les avantages hydriques et climatiques confèrent un remarquable


avantage à la montagne grâce à la création de prés appropriés pour
l'élevage. L'expansion des pâturages, aux XIe et XIIIe siècles, impose une
réduction de la forêt, mettant en péril un équilibre qui ne sera retrouvré
qu'au XIVe siècle127. Les nouvelles terres incorporées à la Catalogne
accueillent, au moment de l'expansion territoriale définitive du XIIe siècle,
d'importants monastères cisterciens, comme ceux de Santés Creus et de
Poblet, qui se consacrent très tôt à un élevage transhumant. Les pâturages
estivaux des Pyrénées y jouent un rôle essentiel en relation avec les zones
méridionales d'hivernage grâce aux chemins de transhumance qui font
partie des chemins naturels de tradition séculaire 9. Ainsi, ces commun
autésjouent un rôle de plus en plus important dans la possession de
droits de pâturages dans l'espace pyrénéen 3 , qui exigent, au bas Moyen
Âge, l'attention contre ceux qui usent sans autorisation des pâturages
ou de la forêt132, sans pouvoir éviter, cependant, les affrontements, entre
le monastère de Santés Creus et Ramon de Soler, dûs aux tensions pour
l'exploitation du bois et des pâturages de Guils de Cerdagne133.
En même temps, les grands centres urbains ont besoin d'espace
pour faire paître leur propre bétail dans les montagnes proches. Pour
cette raison, la ville de Tortosa se soucie de réglementer les Ports de
Beseit pour l'élevage134. Le poids de la société urbaine du bas Moyen Âge
a encore beaucoup plus d'incidences sur les ressources de la montagne.
D'une part, les bourgs et villes, en veillant à leur propres intérêts en
termes d'approvisionnement et de pâturages, ont tendance à intervenir de
façon active dans leurs respectives zones d'influence. De l'autre, et en
parfaite synchronisation, les groupes dirigeants dans la société urbaine
investissent de façon attentive dans cet environnement. Cette double
approche façonne de manière croissante les ressources de la montagne
pour satisfaire non seulement les besoins urbains mais aussi pour faciliter
les investissements des dirigeants urbains 135

127. C. Rendu, « L'estiuada i la gesti6 del pasturatge de les muntanyes a la Cerdanya medieval »,
Plecs d'Histbria Local, 93 (2001), p. 52-54.
1 28. M. Riu, « Ramaderia i arqueologia a la Catalunya medieval », Actes del 3 curs. ..,op. cit., p. 116.
129. C. Yifiez, Anàlisi de les zones d'intercanvi, Roc d'Enclar. Transformations d'un espai dominant,
segles IV-XIX, Andorre, 1997, p. 503.
130. F. Sabaté, « Cases de religiosos i ordes militars », Atles d'Histbria de Catalunya, V. Hurtado i
J. Mestre dir., Barcelone, 1995, p. 115.
131. ACA, Reial Patrimoni, Mestre Racional, 1512, F» 22.
132. Ibid, 1500,^37.
133. ACA Cancelleria, reg. 722, f*> 149-v.
134. F. Carreras Candi, « Ordinacions urbanes de bon govern a Catalunya (segles XIII a XVIII)
(continuaciô) », Butlletide la Reial Acadbnia de Bones Lletres de Barcelona, XI (1923-1924), p. 412.
135. F. Sabaté, « Perpinyà capital baix medieval dels comtats de Rossellô i Cerdanya », dans La
La montagne dans la Catalogne médiévale 197

Le fait que les différents groupes sociaux, nobiliaires,


ecclésiastiques, bourgeois, s'intéressent à la montagne met en relief qu'en
réalité, il s'agit d'un espace économiquement attrayant. Aussi le monar
que s'en soucie-t-il explicitement. Quand en 1340, par exemple, il
désigne le châtelain de Castell-lleo, en mentionnant ses devoirs, il détaille
qu'en vertu de son office il devra défendre la vallée avec ses territoires, ses
gens et ses forêts . En réalité, la claire mention des ressources justifie
qu'afïn de les surveiller, la couronne s'entoure d'officiers spécifiques.

Revenus et agents du roi à la montagne


Le domaine royal bénéficie de revenus typiquement montagnards,
surtout dans la zone où il jouit d'une puissante implantation
juridictionnelle dans les comtés du Roussillon et de la Cerdagne et dans
le cadre des vigueries du Roussillon, du Confient et de la Cerdagne avec
les sous-vigueries respectives du Vallespir, Capcir et Baridà. Le monarque
autorise dans son domaine des exploitations collectives ou individuelles
de ressources comme la pêche, les pâturages, carbonar en los boschs (faire
du charbon de bois dans les forêts), comme cela se fait en 1369 dans la
vallée de Conat, ou gérer différents moulins de possession royale bien
présents dans le Confient, la Cerdagne et le Roussillon et le Vallespir. La
plupart d'entre eux sont fariniers ou bladiers, ou encore à foulons : il faut
y ajouter les autorisations concernant ceux qui sont destinés à la
transformation du métal comme fargua sive molinaferri et scieries137. Les
revenus du monarque sont gérés par la procuration royale, qui les met
aux enchères tous les deux ans - in enquantum publicum — dans la
capitale des comtés, Perpignan1 . Dans d'autres cas, les concessions sont
plus concrètes et cédées en emphytéose, comme cela se fait en 1366 pour
la construction et l'exploitation dans la vallée de Conat d'un molendinum

Ville et les pouvoirs. Actes du Colloque du huitième centenaire de la charte de Perpignan


(23/25 octobre 1997), Perpignan, 2000, p. 157-200.
136. ACA, Cancelleria, reg. 951, F» 28v-29.
137. Cf. sur la pêche : ADPO 1B-121, f° 39v-40 ; sur les pâturages : ADPO 1B-121, f° 53 ; sur le
charbon de bois ; ADPO 1B-121, f° 83 ; sur les moulins royaux du Confient : ADPO IB- 122, f°
42 ; sur ceux de Cerdagne : ADPO 1B-122, f° 55v ; sur ceux du Roussillon et du Vallespir :
ADPO 1B-122, f° 37 ; sur les moulins fariniers : ADPO 1B-196, f° 50 ; sur les moulins bladiers :
ADPO 1B-122, f° 42 ; sur ceux à foulons : ADPO 1B-163, f° 38 ; sur les moulines : ADPO 1B-
357, f° 36 ; sur les scieries : ADPO 1B-212, f° 73v-74.
138. ADPO 1B-Ill,f°45v.
139. F. Sabaté, « Corona d'Aragô », dans Histbria de Espana. La época medieval: administraciôn y
gobierno, Madrid, 2003, p. 374-375.
198 Flocel SABATÉ

ad serrandum fustam sive arbores nemoris, avec une ou deux scies et le


contrôle propre aux recloses e ademprius d'aygues e riberes . Ce moulin
s'ajoute à un autre animant une scierie, propriété de la couronne , située
dans les gorges de Carança et qui, depuis le milieu du XIVe siècle, apporte
d'importants revenus annuels jusqu'en 1392, date à laquelle il est concédé
en emphytéose à Bernât Saquet1 2, conjointement avec le droit de forestatge
de la forêt de Carança, qui jusqu'alors est aussi mis aux enchères tous les
deux ans143. Ces droits sur cette forêt144, dans les gorges homonymes sur le
versant méridional du Confient, étaient l'un des principaux revenus
royaux de la viguerie145. Sur le côté septentrional se situait l'autre grand
domaine royal, la vallée de Conat, dont la gestion était identique .
Les revenus royaux pouvent être inféodés de manière complète,
comme la forêt autour du village de Ger, au damoiseau Guillem Pons de
Ger dans les années 12501 7, ou de façon partielle, comme les droits sur
les forêts de Carança à l'abbaye de Cuxa1 . Dans d'autres occasions, le
volume de revenus à encaisser par la trésorerie royale peut diminuer à
cause d'assignations préalables1 9, ou disparaître des comptes, lorsque
Jean Ier donne en douaire la vallée de Conat à son épouse la reine
Violant ; dans ce cas c'est le forester (forestier) désigné par le procurateur
de
i la
i reine qui• reçoit
• et gère
v ces droits
i • 150 .

L'entretien des forêts et pâturages a justifié, pendant des siècles,


l'existence d'agents qui surveillaient les intérêts de leurs seigneurs
respectifs. Déjà, dans les Pyrénées du Xe siècle, on constate que le posses
seur d'un lieu peut naturellement in ipsos boscos velpasturas suos forestarios
Mi mittere1 \ En ce sens, la monarchie du bas Moyen Age s'appuie sur ces
officiers que sont les foresters dans les zones de forte concentration de
forêts en Cerdagne152 et Confient . Ils sont tellement indispensables qu'un

140. « Barrages et prises d'eaux et berges » (ADPO 1B-212, r° 74v).


141. A. M. Arag6 et R. Conde, « Evoluciô de les rendes del Confient, sota Père el Cérémonies
(1345-1386) », dans Confient, Vallespir et Montagnes catalanes. Actes du Lf Congrès de Ut Fédéra
tion historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (Prades et Villefranche-de-Conflent,
1978), Montpellier, 1980, p. 116.
142. ADPO \K-\5\,Ç>%-v.
143. Ibid., 1B-148, F» 1-2.
144. Ibid, IB-Ill, f> 66-v. ; 1B-122, f>38 ; 1B-154, t> lllv.
145. A. M. Arag6 et R. Conde, Evoluciô de les rendes..., op. cit., p. 121.
146. ADPO lB-lll,fM2v-43.
\47. Ibid, 1B-15, P>98v.

149. Ibid, 1B-153, & 79v ; 1B-121, P> 35v-36.


150. ACA, Cancelleria, reg. 1912, f° 187.
151. R. Ordeig, Catalunya Carolingia. IV. Eh Comtats d'Osona iManresa, Barcelone, 1999, p. 1090.
152. ADPO lB-121,fM7.
La montagne dans la Catalogne médiévale 199

retard dans leur nomination entraîne la détérioration des forêts — molts


boschs del senyor Rey son détériorai -, car ils sont tenus d'y veiller -per
tal que.ls dits boscos no.s pusquen talar e destroyts1 -, avec une attention
qui peut s'étendre aux pâturages - nemoribus et erbagiis15 . L'office englobe
ainsi les deux fonctions : foresteriis sive custodibus nemorum et erbagiorum157 .
Le forestier du Confient devait au départ s'occuper de la vallée de
Conat et la sous-viguerie du Capcir, aux sources de l'Aude qui, à cause de
son altitude et de son orographie, s'identifie avec la montagne et la forêt.
Dans la mesure où la Carança a son propre forestier, on comprend qu'on
réitère la nomination exprimée en 1345 sous le titre de forester de
Confient, Capcir i Vall de Conat . Le Capcir devient ainsi le centre
d'action d'un forestier qui peut se présenter, comme le fait Bernât Bosom
en 1348, comme guarda dels boscos del Capcir °. Le fait que les principales
forêts royales de Cerdagne se situent dans son secteur oriental justifie que
du Capcir on surveille aussi la circonscription cerdane, comme foraster
dels boschs de Capcir e Cerdanyd \ situation qui se consolide en 1360 à
travers la centralité du Capcir, l'officier promettant d'y élire son domicile
— haiats vostra casa e vostre domicili en la dita terra de Capcir — 162, bien
qu'il puisse se faire représenter en agissant per te vel idoneum
substitutum . Le volume d'activités justifie deux titulaires sur la même
charge, dont le salaire (douze livres annuelles) est fonction d'une partie
des amendes, devant céder le reste de pénalisations pécunières à la
procuration royale1 . Un autre forestier devait s'occuper du Confient1 —
offici de la foresteria e de la guarda dels boschs de tota la terre de Confient
exceptât de la terra de Capcir . Le faible poids du forestier du Confient
sans les vallées de Conat et de la Carança explique la création d'un seul

153. Ibid., 1B-149, feuille intercalaire.


154. « Beaucoup de forêts du Roi sont détériorées » (ADPO 1B-121, f° 27r).
155. « Afin que lesdites forêts ne puissent pas être coupées ou détruites » (ADPO 1B-121, r° 26r).
156. ADPO lB-m.f^v.
157. Ibid., 1B-I21,fb52v.
158. /£/;/., 1B-1 10, f°73v.
159. Ibid, \B-97,f° 102.
160. « Garde forestier du Capcir » (ibid., 1B-100, f° 52v, 56v).
161. « Forestier des forêts du Capcir et de la Cerdagne » (ibid., 1B-121, r° 17, 26).
162. « Vous ayez votre maison et votre domicile dans la dite terre du Capcir » (ibid., 1B-121, (° 26v).
163. /£/;/., 1 B-l 22, f>52v.
164. Ibid, 1B-I21,f»26v.
165. Ibid., lB-110,f>73v.
166. « Office de forestier et de la garde des forêts de toute la terre du Confient excepté de la terra
du Capcir » en 1362 (ibid, IB- 121, F3 27).
200 Flocel SABATÉ

office par le soin des forêts du Capcir, de la Cerdagne et du Confient,


consolidé en 1366' .
En réalité, les dirigeants locaux de la capitale du Confient,
Villefranche, s'expriment par l'intermédiaire du gouvernement municipal
pour médiatiser les agents royaux d'une circonscription qui coïncide, en
j • !>•/• -l 168
grande partie, avec son propre rayon d action économique et sociale .
Cette attitude et même l'attrait de la charge expliquent des manœuvres
comme celle orchestrée en 1366 par les consuls de Villefranche-de-
Conflent pour écarter de la charge de forestier Bernât Bosom, originaire
de la vallée de Ribes et donc étranger aux intérêts villefranchois1 , au
profit de Père Berenguer, personnage pleinement intégré au gouverne
ment local170. La manœuvre consiste à médire de Bosom afin de convaincre
le roi que celui-ci néglige l'office- — sit vagabundus cum meretricibus
publiée» 1. L'appétit de revenus permet au monarque d'offrir la charge
pour récompenser des fidélités comme celle de Ramon Marti de Puyvalador
au moment de l'invasion manquée de Jacques de Majorque en 1374 —
nobis legualiter servistis quando infans Maioricarum gentibus armigeris
terras nostra intravis—, qui lui vaut en 1377 une charge viagère — quamdiu
vobis fuerit vita cornes vos erguo sitis forasterius una cum aliis iam ad ipsum
ojficium deputatum quandum vixeritis—, confirmée en 1379 et précisée en
1390 comme forasterio nemorum regionum7 . La dualité de titulaires se
maintient entre un Capçinois et un Villefranchois, comme cela se produit
en 1379 par la désignation de Bernât Querol et sa confirmation en 1387173.
Le poids de la capitale est une constante comme le confirme l'office
de forestier de Prats-de-Mollo-la-Preste, à la source de la vallée du Tech,
au fin fond de la sous-viguerie de Vallespir. Cette zone de circulation
routière importante où Prats exerce une nette fonction de capitale,
s'explique par l'autonomie juridictionnelle du bayle de l'endroit et par le
poids du gouvernement local, dans lequel le forestier exerce en plus de ses
missions celle de crieur public, comme Père de Castello, qui, dans le
dernier quart du XIVe siècle, par concession royale, obtient une charge
qu'il peut léguer à son fils, Père Castello, selon la pragmatique du roi
Martin en 1406174.

167. Ibid., 1B-121, P 67-69v et P 52v (1366).


168. F. Sabaté, Vegueries i sotsvegueries de Catalunya, à paraître.
169.ADPO1B-100,P>52v.
170. Ibid., 1B-I21,fb 53.
171. Ibid, lB-\2l,P>52v.
172. Ibid., 1B-136, (° 7v (1374) ; ibid., Cancelleria, reg. 1913, f° 9v (1379) et ibid, 1B-153,
f> 47 (1390).
173. Ibid, Cancelleria, reg. 1912, F> 115.
174. ACA, Cancelleria, reg. 2210 f1» 158-v.
La montagne dans la Catalogne médiévale 201

En revanche, la ferme des rentes mises aux enchères tous les deux
ans à Perpignan se retrouve dans l'assignation des pasquers, avec pour
charge de veiller à ce que seuls les fermiers les gèrent175. La désignation
séparée pour la Cerdagne17 et pour le Confient177 s'accorde avec
l'ascendant atteint par celui-ci, doté d'une activité qui inclut lo pasquer
dels pastors estranys que pren lo senyor Rey en Cerdanya 8, tout en étant une
des principales contributions à la trésorerie royale de la circonscription179.
Le volume des activités justifie aussi bien la simultanéité de divers
officiers chargés des pacages à la fois — en général quatre180 — et qu'ils
soient considérés comme un investissement par des personnages qui ne
l'exerceront pas personnellement et qui dans certains cas ne résideront
même pas dans la circonscription181.
L'importance des pâturages dans l'économie de montagne explique
l'existence de nombreuses tensions, dans certains cas contre des localités
qui allèguent leurs franchises quant au pasquer e penturatge (au droit de
pacages et de pâturage) qu'on prétend leur faire payer182 ; dans d'autres,
en raison de droits féodaux ou de concessions royales, comme l'exige le
monastère de Cornilla contre les droits de pacages royaux dans la vallée
de Conat, comme le reconnaîtra le juge du domaine royal en 1410183. À
partir d'une lecture se référant clairement aux rentes, ce monastère assoit
ses droits sur les pâturages du Confient, parallèlement à ceux des officiers
chargés des pacages. C'est pour cette raison qu'ils plaident ensemble, en
1418, contre le viguier et un rentier de Ribes, pour les droits des
pâturages de Coma de Vaca18 . Les manquements aux bans, incluant le
séquestre de bétail, facilitent des tensions entre les agents juridictionnels
royaux, comme cela se répète avec le viguier du Confient, obligeant aussi
à intervenir le juge de patrimoine, comme en 1424185.
Cependant le principal revenu de la couronne dans le Confient
porte sur les mines de fer, surtout celles de Saorra186. En général, la cou
ronne encourage l'extraction, la commercialisation et même la recherche

175.ADPO1B-I22,f>39.
\76.Ibid, 1B-156, f> 56bis.
177. Ibid., 1B-149, feuille intercalaire.
178. «... les pacages des bergers étrangers que prend le Roi en Cerdagne » (ibid., 1 B- 111, r°39v).
179. A. M. Aragô et R. Conde, Evoluciô de les rendes. .., op. cit., p. 118.
180.ADPOlB-212,fM53.
181. Ibid, lB-212,fM53.
182. Ibid, 1B-153, f>79v.
183. Ibid, 1B-196, f>28-v.
\84. Ibid, 1B-212, fM53-v.
185. Ibid, 1B-367, f> 98-99.
186. A. M. Arag6 et R. Conde, Evoluciô de Us rendes..., op. cit., p. 118.
202 Flocel SABATÉ

de nouveaux gisements de fer187 ou de n'importe quel autre minerai, mais


surtout d'or et d'argent188. Le XIVe siècle et plus encore le XVe sont pleins
de chercheurs dans de nombreux endroits de montagnes comme les
Pyrénées, dotés des permis royaux . Cela concorde avec une ancienne
tradition d'exploitation de mines d'argent dans les Pyrénées non seul
ement catalanes, mais aussi aragonaises, puisque celle de Benasque est
attestée dès le XIIe siècle au profit du roi190. Cette situation trouve un écho
retentissant lors de la découverte de mines d'argent au milieu du
XIVe siècle dans d'autres montagnes, celles de Prades, que le monarque
avait offert comme comté à la branche cadette de la dynastie : on ne
cessera d'encourager que tot hom, estrany e privât de qualque règnes o terres
o estament sia, puxa prendre e çercar menés d'argent e de tot altre metal?91.
Le monarque désigne des délégués spéciaux pour les mines en
fonctionnement1
, comme en 1428 lorsqu'une compagnie de trois inves
tisseurs perpignanais a trouvé au Baridà du cuivre, de l'azur, du khôl, du
boliarmin et du plomb193. Si cela est nécessaire, il désigne aussi un garde
spécifique pour les mines que l'on cherche, comme la combinaison, à la
fin du premier quart du XVe siècle, qu'Arnau Perer et Joan Camplà font
au Vallespir, le premier désigné par le souverain aux mines d'Arles et le
second comme garde royal de la prospection des nouvelles mines dans la
sous-viguerie19 . Cela ne concerne pas seulement l'extraction. La
transformation apporte également des bénéfices au monarque, comme
certaines forges de fer de possession royale dans la vallée de Ribes195.
Surtout, cependant, l'importante renda de la treyta de la mena deferro
(rente de l'extraction du minerai de fer) mise aux enchères selon des
conditions déjà vues provient de la ponction fiscale qui grève l'expor
tationde fer. C'est donc ce que el senyor Reypren de la mena que hom trau
de la terra e senyoria del senyor Rey e portar en altres parts, ço es, XII diners
cascuna somadd9 . Les bailleurs sont des gens qui spéculent et qui

187.ADPO 16-350,^59.
188. Ibid., lB-234,fM2.
189. Ibid., 1B-234, f> 78-94v.
190. M. Gonzalez, « Minas de plata en el Alto Aragon », Estudios de Edad Media de la Corona de
Aragon, V (1952), p. 437.
191. « Que tout le monde, étranger et favori de n'importe quel royaume ou terre ou classe que ce
soit, puisse prendre et chercher des minerais d'argent et de tout autre métal » : M. Romero,
« Ordenanzas para la explotaciôn de la plata en el condado de Prades y baronfa de Entenza (Anos
1343-1352) », Historia. Instituciones. Documentes, 6 (1979), p. 334.
192. ADPO 1B-234, P> 93-94v ; 240, f> I66v.
193. Ibid, lB-234,fMl4.
194. Ibid, lB-234,fM38-v.
195. Ibid, lB-357,fMl.
196. « Que le seigneur Roi prenne du minerai que l'on extrait de la terre et seigneurie du seigneur
La montagne dans la Catalogne médiévale 203

investissent dans les mines de fer : parmi eux on trouve aussi bien des
damoiseaux que des bourgeois de Perpignan1 8, toujours plus nombreux,
auxquels il faut ajouter, surtout au XVe siècle, des investisseurs barce
lonais1". Ainsi, établie à douze deniers la charge et conçue pour taxer
surtout le passage vers la France200, cette taxe apparaît comme le principal
revenu du Confient. En 1370, la trésorerie royale encaisse 30 livres pour
le passage de fer du Confient vers la France, chiffre supérieur aux 26
provenant de la leude de Villefranche-de-Conflent ou aux 13 livres et
10 sous de la forêt de Carança201.
Cette fiscalité n'affecte pas seulement les minerais202. En réalité,
tout un ensemble de produits sont taxés, dont le nombre varie selon les
circonstances politiques et économiques , et qui portent sur les métaux,
les armes, les chevaux et autres animaux d'attelage et de combat — cavayls,
rossins d'armes —, mais aussi le grain, la poix, le goudron, le suif, l'étoupe
et, plus occasionnellement, les produits alimentaires comme le poisson ou
la viande . Déclarés vedats de treure (interdits à l'exportation), ces
produits peuvent seulement être exportés grâce à une licence du
procurateur royal. Le volume d'activités et le fait de devoir contrôler les
divers passages frontaliers, la plupart en montagne, justifient leur situa
tion au niveau de los ports o passos dels dits comtats20'' sous la coordination
de Voffici del mahestrat dels ports e dels passes e de les coses vedades dels dits
comtats20 , c'est-à-dire, le guarda e guardià de tots los passes e de to tes les coses
vedades que ixiran de tota la terra e senyoria del dit senyor Rey aytant quant
duran los comtats damunt dits207. Le titulaire de la charge reçoit, comme
dret de mestrat de port , un cinquième des amendes imposées ou des
saisies, laissant le reste au procurateur royal. Les désaccords avec les
procurateurs se multiplient, surtout parce que le maître des cols ne veut
pas rester dans une fonction purement exécutoire. Jean Ier devra imposer,

Roi et exporte, soit, XII deniers par charge » {ibid., 1B-1 1 1, f° 41).
197. Ibid., lB-lll,B>40v.
198. Ibid., 1B-267, F» 81 ; 262, F> 138v.
199. Ibid., 1B-254, P>78v.
200. Ibid, IB- 122, f° 39-40.
201. Ibid., IB- 122, P> 30-44.
202. /£/</., lB-254,fM 40.
203. Ibid, lB-121,rM6.
204. Ibid, 1B-121,P>31.
205. « Les cols ou les passages des dits comtés » (ibid., 1B-35O, f° 97v).
206. « L'office du maître des cols et des passages et des produits interdits des dits comtés » (ibid.,
1B-121,P>28).
207. « Garde et gardien de tous les passages et de tous les produits interdits qui sortiront de toute la
terre et seigneurie du dit seigneur Roi dans les comtés mentionnés ci-dessus » (ibid., 1B-121, r° 28v).
208. « Droit de maître des cols » (ibid, 1B-347, f> 34).
204 Flocel SABATÉ

en 1395, que seul le procurateur royal puisse attribuer des licences


d'exportation, en ordonnant en même temps que el dit Maestre dels Ports
d'aqut avant no do ne puxa donar licencies algunes de traure de nostra
• 209 t-> r • i • • i •
senyona . hn rait, le monarque a toujours maintenu la communication
sur les produits interdits d'exportation avec les procurateurs qui trans
mettaient l'information aux maîtres de cols ou directement aux personnes
chargées de surveiller les passages, très souvent grâce à des lieutenants de
la procuration présents dans chaque viguerie ' . C'est pour cette raison
que la charge de maître de cols est intégrée à celle du procurateur royal en
136l2U : le bourgeois perpignannais, Armengou Marti, se présente
comme procurador reyal e maestre dels ports en los comtats de Rossellô et de
Cerdagne au cours la même décennie n. Le roi, cependant, récupère la
charge, réorientée comme coordinateur des biens royaux de la même
zone de montagne, c'est-à-dire des passages de chemins, forêts et pâturag
es, combinaison en grande partie conçue pour profiter à des personnages
comme Arnau Marques de Banyoles, qui en 1384 reçoit de officio
magistrates seu custodie portuum rerum prohibitorum necnon et piscariarum,
pastorum et nemorum sive forest prohibitorum intus Comitatus Rossilionis et
Ceritane, charge confirmée par le roi Martin en 1397213. Les tensions
persistantes entre le maître de cols et le procurateur royal conduisent,
cependant, à la fusion définitive des deux charges sous le règne de Martin
en 1403214.
La circulation régulière des produits implique le contrôle des
chemins qui traversent la montagne ' . Il faut donc ordonner que les ports
o passos dels dits comtats x soient placées sous l'autorité de persones aptes e
sufficients per guardar aquels u, tâches qu'accomplissent les guardes dels
ports i de les coses vedades : ils ont pour mission de contrôler que les
produits soumis à la taxation puissent justifier d'une autorisation21 , et de
confisquer ceux qui ne l'ont pas obtenue, rendant ainsi la charge de garde
des cols particulièrement attrayante, car le salaire consistait en un tiers
des produits confisqués : le terssa part de totes aquelles coses vedades eixins

209. « Que le dit maître des cols à partir d'aujourd'hui ne donne ni puisse donner aucune licence
d'exportation de produits de notre seigneurie » {ibid., 1B-350, f° 98).
210. Ibid., lB-m.P'SO.
211. Ibid, 1B-I21,f>24.
212. Ibid, 1B-I21,f>78.
213. ACA, Cancelleria, reg. 2217, f> 1 1, juste après une provision de Jean Y {ibid., reg. 2217, f° 12v-13).
214. Ibid, reg. 2219, i° 74v.
215.ADPOlB-133,fM8.
216. « Les cols ou passages desdits comtés » {ibid., 1B-35O, f° 36v).
217. « Personnes aptes et suffisantes pour les garder » {ibid., 1B-121, f° 24, 26, 27, entre autres).
218. « Gardes des cols et des produits interdits » {ibid., 1B-347, r° 34).
La montagne dans la Catalogne médiévale 205

de la terra del senyor rey que seran conficades 19. Au début des années 1360,
le procurateur royal Joan Vola exprime une claire préoccupation pour
constituir e metre guardes per tots los passes, camins e lochs Jrontalers del
Règne de França ; il est particulièrement attentif au mouvement des
produits per les ciutats, viles e lochs confrontais ab lo règne de França e ab lo
comtat de Foix21. La tâche des agents de montagne peut ainsi être
multiple, comme en 1392 où les passages du Capcir sont placés sous la
responsabilité de Ramon Condors, déjà foraster dels lochs de Cerdanya e de
Capcir . Le bayle local, comme celui de Vingrau, Jaume Leitus, voit son
activité complétée, en 1369, par la garde des passages de ce lieu223. De la
même manière, durant la même décennie en Roussillon, aux gardes des
cols d'Estagel — garda dels ports d'Estagell et de tots sos termes22 — de
Tautavel et de Millars —garda de les coses vedades en lo pas de Milars e en
los termes de Millars — s'ajoutent ceux de la plaine de Salses-le-
Château227 et de Perpignan228, avec deux titulaires, qui gardent les divers
passages de la circonscription per tot Perpenya e per tot Rosseyllo™ en
raison du volume d'activités230.
L'exercice de leur charge est encouragé par des préoccupations
spécifiques, comme en 1369 lorsque le monarque insiste sur le contrôle
de la sortie de monedes de or ni de argent de qualque ley sien no siguen de la
terra o senyoria sua exceptats florins d'Aragon dels que.s baten vuy ni negun
altre metayltil, préoccupation qui justifie l'existence d'un llochtinent del
Mestre dels Ports dels comtats dans le port de Collioure232. Dans les

219. « Le tiers de tous ces produits interdits exportés de la terre du seigneur roi seront confisqués »
{ibid., 16-121,^27).
220. « Constituer et placer des gardes sur tous les passages, chemins et lieux frontaliers du
Royaume de France » {ibid., 1B-121, f° 78).
221. « Par les villes, bourgs et lieux qui sont limitrophes du royaume de France et du comté de
Foix» {ibid, lB-121,f>80v).
222. « Forestier des lieux de la Cerdagne et du Capcir » {ibid., 1B-121, f° 26r).
223. Ibid, 1B-I21,f>28v;78.
224. « Garde des cols d'Estagel et de toute la commune » {ibid, 1B-161, f° 28 ; 1B-121, f° 78v-
79).
225.M, 1B-I21,f°24.
226. « Garde des produits interdits sur le passage de Millars et sur les territoires communaux de
Millars » {ibid, 1B-161, f° 40v).
227. Ibid, IB- 121, F> 29.
228.M.,1B-I21,fb31.
229. « Pour tout Perpignan et pour tout le Roussillon » {ibid., 1B-121, r° 76-79).
230.ADPO 1B-I21,f>78.
231. « Des pièces de monnaies en or et en argent de quelqu'aloi que se soit, ne soient pas de sa
terre ou de sa seigneurie, sauf les florins d'Aragon que l'on frappe aujourd'hui ni d'aucun autre
métal » (ibid, 1B-121, f° 96).
232. « Lieutenant du Maître des Ports des comtés » {ibid., IB- 121, f° 96).
206 Flocel SABATÉ

circonscriptions de l'intérieur, un officier spécifique est en charge pour


chaque circonscription : le Capcir233, le Confient — garda dels passos de
Confient — et la Cerdagne — guarda dels ports de Cerdanya23\ L'ingérence
du gouvernement municipal de la capitale de la circonscription est consi
dérable. En général, ce responsable est originaire de la même ville23 . En
Cerdagne2
7, le gouvernement local décrète un contrôle sur certains
produits vedats de treure (interdits d'exportation), surtout pour régulariser
les importations et les exportations de blé, afin d'en garantir l'appr
ovisionnement et le prix 3 . De cette manière la capitale souligne sa
prééminence sur la région et l'officier est précisément connu comme le
mestre dels ports de Puigcerdà239.
À l'extrémité occidentale des Pyrénées catalanes, le monarque
maintient sa propre juridiction sur le val d'Aran, uni au début au
royaume d'Aragon jusqu'à ce que, au XIVe siècle, il renforce les liens avec
la Catalogne grâce surtout à ses relations avec le Pallars2 °. L'entrée dans la
vallée n'était pas grevée par le contrôle permanent des cols depuis la
Catalogne ; cependant, en 1387, Jean I" décide d'appliquer le même
système de mestres de ports pour contrôler les importations par les passages
de Senet et de Pallars et régulariser les exportations de produits
interdits .
Ces charges fiscales sur la circulation de produits donnent la
mesure d'une montagne jouant un rôle de frontière. Les préoccupations
militaires offrent la même image. L'articulation défensive se tisse autour
d'un réseau de châteaux, un châtelain s'occupant de la garde de chacun
d'entre eux . Le statut ad consuetudinem Ispanie, propre de beaucoup des
châteaux selon Pierre le Cérémonieux, les réintègre militairement du
royaume de Majorque à celui d'Aragon, en 1344 , et bénéficie le
pouvoir du souverain , qui conserve ainsi le contrôle de ces châteaux
frontaliers ; ces châtelains ne recevaient pas le château selon le système

233. Ibid., 16-121,^26.


234. « Garde des passages du Confient » {ibid., 1B-161, f° 26v-27)
235. « La garde des cols de la Cerdagne » (ibid., 1B-121, r° 24v).
236. Ibid., 1B-161, f> 26v-27.
237. Ibid, 1B-142, f° % ; 121, f° 24v.
238. AHCP Llibre de Provisions Reials, F> 26v-27 ; 450v-4lv, 48-v, 50-v, 71 ; Llibre de Saltèguel,
^255.
239.ADPO 1B-I42,f>56v.
240. F. Sabaté, El territori. . . , op. cit., p. 308-309.
241. ACA, Cancelleria, reg. 1912, F> 150v.
242. ADPO 1B-163, f° 7v-8, 46, 62.
243. P. Català, « Decadència i moment actual dels castells », dans Els castelb catalans, Barcelone,
1990, p. 252.
244. R. D'Abadal, Dels visigots als catalans, Barcelone, 1986, p. 335-337.
La montagne dans la Catalogne médiévale 207

féodal, mais de façon temporaire, comme salariés et étaient susceptibles


d'être remplacés par le monarque . Ce dernier insiste sur le fait que
ceux-ci doivent maintenir en bon état la forteresse qui leur a été
confiée , qu'ils y résident et qu'ils réparent les dégâts 9. L'importance
de l'entretien des châteaux se reflète dans la priorité de la mention du
châtelain dans ces officiers qui ont, en même temps, d'autres offices
supérieurs, comme ceux du bayle et du sous-viguier, comme le castellanus
de Podiobaladosio250, châtelain de Puyvalador qui préside le Capcir251 ou
chez celui de Bellver dans la Baridà252. Néanmoins, les besoins d'argent de
la Couronne mènent à d'importantes inféodations à la fin du XIVe siècle,
comme celles des agents de Puyvalador et de Bellver . D'une et d'autre
façon, il y a d'importants manquements à l'entretien des châteaux25 .
De manière encore plus frappante qu'à d'autres endroits du pays,
les opera castri font l'objet de permanentes discussions, surtout à cause de
l'augmentation des coûts de réparation255, les fonds de procuration royale
venant compléter occasionnellement, par décision du souverain, le
financement des châtelains . En fait, la crainte des nombreuses incur
sions, surtout dans la seconde moitié du XIVe siècle 7, se traduit par la
volonté de maintenir en bon état les forteresses , en intervenant sur des
châteaux particuliers2 9 ou en poussant des commissions de révision à ce
que sien regonegudes, obrades endresades e fornides totes les forces dels dits
comtats °. Cette politique permet ainsi de détecter, reparar e adobar les
dégâts2
', de fournir la garnison en hommes, armes et vivres2 2 et en

245.ADPO 1B-186, f° lv-4.


246. F. Sabaté, « La tenencia de castillos en la Catalufia medieval », dans Alcadias y fortalezas en la
Espana medieval (Elda, octubre, 2001), Alicante, à paraître.
247.ADPO1B-145, f°28v.
248. ACA, Cancelleria, reg. 1466, f° 34.
249.ADPO 1B-94, f°44.
250. Ibid., 1B-358, f° 68v.
251./^.,1B-I45,f°83v.
252. Ibid., 1B-145, f°28v.
253. F. Sabaté, Vegueries..., op. cit.
254.ADPO 1B-253, ^115.
255. Ibid, 1B-219, f° 107v.
256. ACA, Cancelleria, reg. 2006, f° 5.
257. F. Sabaté, L augment de l'exigencia..., op. cit., p. 431-432.
258. J. R. Julia, « Defensa y avituallamiento de los castillos del Rosellôn y la Cerdana en la
segunda mitad del siglo XIV », Acta historica et archaeologica Mediaevalia, 9 (1988), p. 281-309.
259. ACA, Cancelleria, reg. 1466, f° 18v.
260. « Soient reconnues, construites, ordonnées et fournies toutes les forces des dits comtés »
(ADPO1B-I21,f°25).
261. « Réparer et arranger » (ibid., 1B-121, f° I6v).
262. ACA, Cancelleria, reg. 1466, f° 104-v ; ADPO 1B-121, f° 35.
208 Flocel SABATÉ

renseignements — trametats espies en aquelles parts que us paregua 263 — et


d'assurer la communication entre les forteresses, même si ce n'est qu'au
moyen de la fumée . La consolidation de la frontière dans les siècles
suivants265, née d'une préoccupation défensive, donne à la montagne un
caractère séparateur.
De toute façon, les montagnes pyrénéennes apparaissent comme
des zones de passage. Cette situation explique que les leudes portant sur
la circulation de produits soient la source la plus importante266 de revenus
de la procuration royale des comtés de Roussillon et de Cerdagne .
Parfois, elles portent sur des produits spécifiques, comme la lleuda de la
mena de ferro del Confient , et dans d'autres cas, elles égrènent les diffé
rents produits qui transitent par Le Boulou2 9, Estagel270, la vallée de
Ribes2 \ Villefranche-de-Conflent272 ou la Cerdagne 73. De même, la
région voisine d'Urgellet comprend celles de Castellbo, Taiis, Organyà et
Estamariu274, en plus de celle de la Seu d'Urgell275. La fonction des leudes
est similaire à celles qui grèvent la circulation de produits dans les
différentes zones du pays, par exemple, dans le même Roussillon
l'importance des leudes de Perpignan et de Salses-le-Château27 .
La montagne a donc favorisé une scène concrète qui a rendu
propice une certaine adaptation des revenus et des institutions, mais le
cadre juridictionnel est identique au reste du pays et les éléments
coïncident. De manière correspondante, la royauté adapte aux circons
tances concrètes le même modèle qui s'est stabilisé au XIIIe siècle dans
tout le pays, avec la délégation de la juridiction aux viguiers et celle des t
revenus aux bayles, ces derniers pouvant dans certaines zones assumer les

263. « Envoyez des espions dans les régions qui vous sembleront » (ibid., 1B-121, f° I6v).
264. Ibid., lB-257,fM23.
265. À. Casais, « Estructura defensiva de Catalunya a la primera meitat del segle XVI : els comtats
de Rossello i Cerdanya », dans XV Congreso de Historia de la Corona de Aragon (Jaca, septiembre
1993), 1-2, Saragosse, 1996, p. 85-93.
266. C. Guilleré, « Les finances publiques en Roussillon-Catalogne au milieu du XIV* siècle :
comptes des procureurs royaux pour l'année 1345-1346», Annales du Midi, XCVI (1984),
p. 362-363.
267. ADPO1B-122,F> 46.
268. « Leude du minerai de fer du Confient » (ibid, 1B-163, f> 38).
269. Ibid, 16-257,^38.
270. Ibid, 1B-I22,f>3.
27 \. Ibid, lB-357,fM90.
272. Ibid, lB-357,rM90.
273. Ibid., 1B-35O,<M1O.
274. M. Duran, « Les lleudes de l'Ait Urgell (s. XIII-XVIIl) », Urgellia, 5 (1982), p. 183-206.
275. R. Conde, « La lleuda de la Seu d'Urgell (s. XV-XVl) », Urgellia, 4 (1981), p. 335-348.
276. Respectivement : ADPO 1B-156, f> 24bis-cinquième ; 1B-257, fr 70 et ibid, 1B-357, f° 190.
La montagne dans la Catalogne médiévale 209

fonctions des premiers pour répondre précisément aux localités qui


exercent la fonction de capitale . Ce modèle, cependant, ne peut pas se
généraliser à l'ensemble de l'espace, dans la mesure où la Catalogne
médiévale se caractérise par l'incapacité royale à établir un pouvoir capa
1228278
blede surmonter l'éclatement juridictionnel et fiscal. Les Corts de
et, surtout, ceux de 1283 , consolident un pays constitute d'espaces
infranchissables sur le plan juridictionnel, parce que les officiers royaux
n'ont pas compétence dans les domaines sous la juridiction baronniale,
quand bien même celle-ci se maintiendrait par tradition280. La monarchie
XIVe
souffre, au siècle, de graves incapacités économiques jusqu'au point
de devoir aliéner des droits par lettre de grâce. Parallèlement, les agents
sont chargés de l'exercice juridictionnel et fiscal d'un pays institu-
tionnellement fragmenté. La vision politique et sociale de la montagne,
par conséquent, se greffera sur un cadre juridictionnel aussi éclaté.

Les montagnes dans un pays


de juridiction fragmentée
À la différence de pays comme la France, en Catalogne au bas
Moyen Âge, le monarque, en cherchant à consolider son pouvoir, ne peut
pas alléguer l'existence d'une unité préalable, qui a été morcelée par
l'éclatement féodal : en effet, la Catalogne proprement dite s'est formée à
partir d'une addition de comtés détachés de l'empire carolingien qui se
sont progressivement rapprochés au cours d'un long processus séculaire et
sans que le comte de Barcelone jouisse d'une capacité juridique préalable
sur l'ensemble281. En outre, pour imposer sa prééminence socio-
économique et politique sur tout le pays au XIIe siècle et afin d'affermir sa
position sur les autres nobles catalans, le comte de Barcelone invoque sa
condition de roi, titre dont il fait usage au bas Moyen Âge et que tout le
monde respecte, bien qu'il s'agisse là d'un paradoxe formel, car en réalité,
il est le roi d'un autre pays, l'Aragon282.

277. F. Sabaté, « Corona d'Aragô », dans Histbria deEspana..., op. cit., p. 289-400.
278. Cortes de Cataluna. Cortes de los antiguos reinos de Aragon y de Valencia y Principado de
Cataluna, Real Academia de la Historia, I, Madrid, 1896, p. 121.
279. Ibid, p. 143.
280. J. L. Martf, « Pactismo polftico y consolidation senorial en Cataluna tras la conquista de
Sicilia », dans Economia y Sociedad en los reinos hispdnicos de la Baja Edad Media, Madrid-
Barcelone, 1983, p. 239-254.
281. M. Zimmerman, « Des pays catalans à la Catalogne : genèse d'une représentation », dans
Histoire et archéologie..., op. cit., p. 71-85.
282. F. Sabaté, « El nacimiento de Catalunya. Mito y realidad », dans IX Congreso de Estudios
Médiévales. Fundamnetos médiévales de los Particularismos Hispanicos, Àvila, à paraître.
210 Flocel SABATÉ

XIIe et Dans
XIIIe siècles
ce cadre,
inclut
l'affermissement
le déploiement
du et
pouvoir
la consolidation
royal à la charnière
de certains
des

offices de district sur l'ensemble du pays, les viguiers, qui deviennent


ainsi l'image de la territorialisation du pouvoir royal. Le monarque,
cependant, n'ose pas désigner d'officiers sur les territoires sous contrôle
baronnial, à cause de l'absence de juridiction. La prudence est atteinte en
1301, lorsque Jacques II fixe, pour la première fois, un réseau de
circonscriptions royales qui couvrent tout le territoire, avec toute l'inten-
tionnalité, comme le lui ont conseillé les juristes romanistes283. Cette
proclamation du pouvoir supérieur et souverain du monarque n'est pas
contredite par la reconnaissance de la pleine autonomie et capacité
juridictionnelle des nobles qui en jouissent, en commençant par les
détenteurs de domaines comtaux et vicomtaux traditionnels et les
juridictions particulières liées à l'expansion sur la frontière entre le Xe et le
XIIe siècle28 et à la stabilisation seigneuriale des XIIe et XIIIe siècles285.
L'augmentation de cette exclusion de la juridiction royale, à la suite des
difficultés financières de la couronne au XIVe siècle, accroît spectacu-
lairement les espaces hors de la juridiction royale, jusqu'à des extrêmes
spectaculaires sous le règne de Jean I", quand, en 1392, seulement
13,43% du territoire et 22,17% de la population sont soumis à la
juridiction du monarque28 .
Ces chiffres, avec la généralisation qu'ils impliquent, mettent en
évidence la séparation qui existe entre domaine royal et domaine
nobiliaire sur le plan juridictionnel, pour des raisons différentes de la
simple opposition entre montagne et plaine. Toutefois, l'enracinement de
certaines unités baronniales dans des zones montagneuses particulières
facilite l'identification entre espace montagneux et juridiction baronniale
étrangère, et parfois opposée à celle du roi. Dans cette évolution, les villes
qui exercent la fonction de capitales urbaines jouent un rôle prépond
érant, comme Villefranche et Puigcerdà dans le cadre des vigueries du
Confient et de Cerdagne, mais plus encore Perpignan sur l'ensemble des
comtés du Roussillon et de Cerdagne. La fonction qu'exerce Perpignan se
projette sur un environnement baronnial fortement morcelé, ce qui
facilite les manœuvres du gouvernement consulaire de la ville comme
appui à la juridiction royale. On comprend mieux dans ces conditions

283. Id., « La divisiô territorial de Catalunya : les vegueries », dans Histbria, Politica, Societat i
Cultura dels Països Catalans, III, Barcelone, 1996, p. 304-305.
284. Id., L'expansiô territorial de Catalunya (segles IX-XIl) : Conquesta o repoblaciô ?, Lérida, 1996,
p. 68-90.
285. Id., « El veguer a Catalunya. Anàlisi del funcionament de la jurisdiccio reial al segle XIV »,
Butllettde la Societat Catalana d'Estudis Histbrics, VI (1995), p. 153-157.
286. Id., « Diseurs i estratègies... », op. cit., p. 633.
La montagne dans la Catalogne médiévale 211

que le respect de la juridiction royale dans les vallées des Pyrénées


orientales soit supérieur à celui du reste du pays à la même époque .
En revanche, dans d'autres zones, la condition baronniale de la
capitale de la région contribue à souligner l'absence de la présence royale
et, dans des zones de montagne, à identifier la juridiction baronniale avec
les unités montagneuses physiquement homogènes. Des villes et des
bourgs comme la Seu d'Urgell, Hostalric, Falset, Sort, Castellbô,
Cardona ou Solsona, par leur statut de capitale, s'imposent aux autres
centres moyens et excluent le monarque de ces zones de montagnes. Il y a
donc de grands domaines baronniaux, complètement étrangers aux
revenus et à la juridiction royaux qui s'identifient avec des unités
physiques et humaines montagneuses : la vicomte de Cabrera, le comté
des Montagnes de Prades, la vicomte de Castellbô, le comté de Pallars
Sobirà, les seigneuries de Pinos et de Mataplana, les domaines épiscopaux
de la Seu d'Urgell et, partiellement, les terres des Cardona. Il s'agit de
vastes espaces montagneux, situés en dehors de la juridiction royale où le
roi n'a jamais mis les pieds et où aucun de ses officiers n'exerce le
moindre pouvoir. La montagne est ainsi un grand domaine nobiliaire.
Cette perception est largement vécue au Moyen Âge, et non pas
seulement dans les grands domaines nobiliaires. Les différentes baronnies
identifiées avec des espaces physiques moindres repoduisent une capacité
juridictionnelle identique. Ainsi, le Pallars Jussà, intégré à la juridiction
royale depuis 1192, totalise au XIVe siècle seulement 4,14% des feux
royaux et, en revanche, il acceuille d'importantes unités baronniales
identifiées avec des vallées concrètes : Erill, Orcau, Abella et Bellera289.
Précisément, ces domaines juridictionnels cohérents contribuent
puissamment à la perception de la montagne comme zone étrangère à la
juridiction royale.
La situation implique une totale absence de collaboration
juridictionnelle, c'est-à-dire que les personnes poursuivies par la justice
royale ne peuvent pas être punies sur les terres baronniales et vice versa290,
ce qui crée une situation forcément conflictuelle291. En outre, l'absence de
la présence royale est très large et va au-delà de l'incapacité d'une
quelconque collaboration juridictionnelle. La tradition et la force des
barons leur permettent de jouir d'une totale indépendance et de passer
outre aux constitutions qui, du fait de leur approbation devant les Corts,

287. Id., « Perpinyà capital... », op. cit., 179-180.


288. P. Bertran, « El "Liber feudorum viccarie Pallariensis" », Ilerda, XXXVIII (1977), p. 79.
289. F. Sabaté, Vegueries..., op. cit.
290. Id., Elpoder en la Cataluna bajo medieval, Lleida, à paraître.
291. ACA, Reial Patrimoni, Mestre Racional 1491, f^ 21 -v.
212 Flocel SABATÉ

doivent être, en théorie, obligatoirement observées par tous, tout comme


ils peuvent s'opposer aux regalia^ et utiliser abusivement des formes de
protection personnelle 9 .
Le manque de collaboration ne mène pas, cependant, à des formes
d'arbitraire dans les seigneuries de montagne, comme l'historiographie l'a
souvent décrit en s'appuyant sur la documentation de la chancellerie
royale. En réalité, l'homogénéité et la proximité de formes et de pratiques
juridiques et de gouvernement s'imposent avec naturel dans une société
où les notaires et les juristes, formés au droit romain, occupent progres
sivement tous les recoins de l'administration et de la gestion, qu'elle soit
municipale, royale ou baronniale29 . Les contenus formels d'un côté et de
l'autre sont assez similaires. La grande différence se situe dans la pleine
capacité juridictionnelle des nobles et dans l'absolue liberté de disposer de
systèmes propres pour l'exercice juridictionnel et le recouvrement de
l'impôt. Ainsi chaque unité baronniale applique son propre aména
gement territorial. De manière significative, dans beaucoup d'entre elles
l'officier supérieur délégué du seigneur est un procureur centré sur des
unités géographiques bien claires, comme l'honneur de Mataplana295, la
vallée de Lillet29 , et la vallée de Toses et de Rigard297, la vallée d'Osor298
ou la vallée d'Hostoles299. L'ensemble peut se subdiviser en unités,
châteaux et baylies, comme c'est le cas dans la vicomte de Cabrera, ou
bien peut s'organiser en quartiers sous la direction d'un bayle, laissant la
totalité de la juridiction au viguier, comme cela s'applique à Castellbô300.
Le fait que les différents officiers ne collaborent jamais avec ceux
des autres juridictions et, par conséquent, avec les officiers royaux301,
contribue, comme nous l'avons vu, à créer un espace d'impunité en
montagne, par l'accueil de ceux qui ont commis un délit dans une autre
juridiction. Le monarque intègre cette image dans son discours sur les
fondements de son propre pouvoir. De la même manière qu'il oppose la
prétendue dureté baronniale à la sienne, suave 2 et « dolça senyoria »303, il
met en contraste la montagne nobiliaire, violente et criminelle, à la

292. ACA, Cancelleria, « Papeles por incorporar », 1379, non folioté.


293. F. Sabaté, Elterritori..., op. cit., p. 228.
294. Id., « Corona d'Aragô », op. cit., p. 437-448.
295. ACA, Cancelleria, Varia, reg. 260, non folioté.
296. Ibid., reg. 264, non folioté.
297. Ibid.
298. A. Pladevall, « La vall d'Osor dels anys 1316 al 1318 », Ausa, IV (1961-1963), p. 259.
299. AHCG, XV.4, liasse 1, livre 4, non folioté.
300. F. Sabaté, Elterritori..., op. cit., p. 234-246.
301. Id., Elpoderreial..., op. cit., p. 329-342.
302. AHCO, parchemin A-222.
303. « Douce seigneurie » (ACA, Cancelleria, reg. 1560, f° 42v, 58v, 66v, 91, 109).
La montagne dans la Catalogne médiévale 213

montagne royale, pacifique et ordonnée. Les Pyrénées catalanes occident


ales, qui, à l'exception de la vallée royale d'Aran, sont constituées d'une
fragmentation de juridictions qui couvre l'Urgellet, les comtés de Pallars
et Ribagorça, sont considérées par les monarques comme une montagne
qui offre refuge aux voleurs et aux assassins, par opposition aux Pyrénéens
orientales, identifiées aux comtés de Cerdagne et du Roussillon, sous
juridiction royale. C'est un discours en grande partie intéressé, parce que
la stabilité des circonscriptions royales n'est pas due au monarque mais
aux gouvernements municipaux et à l'orographie des vallées, situation
bien différente du panorama éclaté qui existe dans l'espace compris entre
le Pont de Bar, le Pont d'Oliana, le Montsec, le Cinca, le col de Gistau et
les Vallées d'Andorre. De manière fort significative, Jean Ier en 1388
désigne Joan de Bellera comme son capitaine général pour intervenir à
l'intérieur de ces limites avec les pleins pouvoirs afin de préserver ses
droits, défendre ses sujets, imposer l'ordre et la stabilité et récupérer la
justice perdue
I 304 .
Dans la pratique cette mesure ne changera rien. L'impossibilité
d'imposer sa juridiction est le fondement de la tradition et du droit des
territoires habitués à une longue et complète absence royale, ce qui
facilite les propres discours d'autonomie politique et de cohésion
territoriale. Très clairement, déjà en 1302, le vicomte de Castellbo pro
clame sa pleine capacité à l'encontre du monarque en alléguant que dans
sa vicomte les prédécesseurs du souverain n'ont jamais joui de juridiction30 .
Le comte de Pallars pouvait le faire avec davantage de force encore, en
invoquant la continuité depuis l'époque carolingienne au-delà des
collaborations qu'il a pu entretenir avec le comte de Barcelone30 . Le
domaine de Pallars, précisément, s'identifie à tel point à la haute montag
ne, que son titulaire en lutte en 1483 contre le roi pour réaffirmer son
autonomie es senyor en les montanyes, que no elsenyor rey307.
De toute manière, la forte division interne de ce comté met en
exergue non pas l'identification de la grande montagne avec l'institution
comtale, mais la cohésion atteinte par chaque petite unité territoriale avec
son seigneur correspondant , ce qui s'ajoute aux graves difficultés

304. ACA Cancelleria, reg. 1913, P> 78.


305. Ch. Baudon de Mony, Relations politiques..., op. cit., p. 281.
306. F. Soldevila, Histèria de Catalunya, I, Barcelone, 1963, p. 135.
307. « Que c'est lui qui est le seigneur dans les montagnes et non pas le roi » (ACA, Cancellerie,
Procès en volum, 73, fol. lllv [document édité par J.-M. Vila, « Transcripcià del procès judicial
incoat a Hug Roger, comte de Pallars, 1491 », dans Senyor en les muntanyes. Procès politic a Hug
Roger III, darrer comte de Pallars, Lérida, p. 324]).
308. J.-M. Bringue, « Redelme, qiièstia i llibertats camperoles al comtat de Pallars (segles XIV-
xv) », Collegats, 6 (1993), p. 105-107.
214 Flocel SABATÉ

économiques des comtes et à l'augmentation corollaire de la pression des


percepteurs309. Ces éléments fonctionnent intérieurement de manière
indépendante, facilitant ainsi l'intégration des unités montagneuses à
l'ensemble de la Catalogne. Il n'est donc pas étonnant qu'avant de clore
le XIVe siècle, des organismes comme la baronnie de Pinôs et de Mataplana
ou le vicomte de Castellbô respectent les signes de supériorité du

XVe
souverain,
siècle les
comme
armes certain
réduisent
droits
à néant
régaliens310,
l'indépendance
ou qu'avant
du la
comte
fin du
de

Pallars311. Les identifications avec la montagne n'ont donc pas empêché le


cheminement vers une cohésion supérieure. En même temps, la relative
unité dans laquelle la Catalogne sort du Moyen âge ne manque pas d'être
freinée par la forte fragmentation juridictionnelle, ce qui n'a, cependant,
rien à voir avec le caractère particulier de la montagne mais plutôt avec
l'évolution du pouvoir312.
Cette évolution générale est compatible avec la préservation, dans
les vallées de la haute montagne, de leur propre tradition, à travers des
institutions et des expressions particulières. C'est pour cette raison par
conséquent qu'il faut pénétrer dans les montagnes les plus profondes
pour les percevoir comme des dépôts de la tradition.

Les montagnes les plus profondes,


lieu de tradition
La progressive cohésion de la Catalogne n'empêche pas la
préservation de particularités institutionnelles dans les montagnes phys
iquement et humainement les plus profondes, comme les vallées de haute
montagne des Pyrénées catalanes occidentales. Il s'agit, certainement,
d'un reflet de la distance et des mauvaises communications avec les centres
de pouvoir, mais surtout de l'affermissement d'une cohésion sociale dans
un cadre physique particulier.

309. Id., « La qùestiô de la fi del comtat de Pallars, cimal de la crise baix-medieval », Collegats, A
(1991), p. 158-159.
310. F. Sabaté, Vaugment de l'exigencia fiscal..., op. cit., p. 464-465.
311. J.-M. Bringue, Del Pallars als Cardona. Guerra i canvi a la societat del Pallars, segles XV-XVI :
« Senyor en les muntanyes. Procès politic a Hug Roger III, darrer comte de Pallars », Lérida,
2002, p. 181-212.
312. F. Sabaté, « Els eixos articuladors del territori medieval català », dans V congrès International
d'Histbria Local de Catalunya. L 'estructura territorial de Catalunya. Eh eixos cohesionadors de l'espai
(Barcelona, desembre, 1999), Barcelone, 2000, p. 68-70.
La montagne dans la Catalogne médiévale 215

En fait, nous avons déjà vu comment l'unité de chaque vallée


montagneuse est non seulement à l'origine des comtés carolingiens, mais
plus encore en est le critère identitaire jusqu'au Xe siècle3 . L'histo
riographie n'a pas cessé d'insister sur la persistance des solidarités entre
vallées. Le caràcter endbgam de moites valls pirenenques a été perçu comme
l'origine aussi bien du cheminement vers le féodalisme , que de la
résistance à l'imposition seigneuriale l .
La cohésion interne de chaque vallée se perçoit dans les accords
conjoints établis entre les seigneurs au XIe siècle ; elle se maintient dans
l'articulation sociale et dans l'exploitation communale des ressources
naturelles ' ; elle est visible dans la particulière capacité d'ordonnan
cement interne318 et de la basse justice 1 et se reflète dans les privilèges
spécifiquement concédés à chaque vallée, qui ne cessent d'être confirmés
et de se consolider tout au long du bas Moyen Age320.
La particulière identité montagneuse autour de la vallée prolonge
un système communal qui s'adapte au féodalisme — hem de parlar de
juxtaposiciô, coparticipaciô o subordinaciô de les comunitats a la senyoria,
sigui reial, nobiliària o eclesiàstica — et qui se prolonge au cours des siècles
dans un système communal ; ce dernier, malgré l'historiographie, favorise
les maisons les plus puissantes321, et arrive à survivre à travers les
circonstances jusqu au XIX siècle .

313. F. Sabaté, Elterritori..., op. cit., p. 23-25.


314. « Caractère endogamique de beaucoup de vallées pyrénéennes » : M. Riu, « Hipôtesi entom dels
on'gens del feudalisme a Catalunya », Quaderns d'estudis medievals, 2e série, 1/4 (1981), p. 195-197.
3 1 5. P. Bonnassie, La Catalogne du milieu dutfà la fin du XÏ siècle, II, Toulouse, 1 976, p. 648-649.
316. ADM, secciôn Pallars, liasse 31, doc. 612 (document édité par L. Martinez, « Convinença
que els homes de les Valls d'Àneu fan al comte Artau II de Pallars Sobirà sobre els plets de les viles
d'Àneu », Catalunya Romànica, XV, Barcelone, 1993, p. 34).
317. J. Bolôs, «Formes dels pobles i societat al Palars Sobirà a l'Edat Mitjana », Solidaritats
pageses, sindicalisme, corporativisme,]. Barrull, J. J. Busquetaéd., Lérida, 1998, p. 123-150.
318. J. I. Padilla, «El context historic i institucional », L'esperit d'Àneu. Llibre dels costums i
ordinacions de les valls d'Àneu, J. I. Padilla dir., Esterri d'Aneu, 1999, p. 25-30.
319. J. Oliver, « Jutjar i castigar a la vall d'Aneu a l'edat mitjana», L'esperit d'Àneu..., op. cit.,
1999, p. 42-46.
320. F. Valls Taberner, Privilegis i ordinacions de les Valls Pirenenques II. Vall d'Àneu, Vallferrera i
Vall de Querol, Barcelone, 1917; B. Marques, «Ordinacions i privilegis de les Valls d'Àneu i
d'Espot en un manuscrit del segle XIV», Urgellia, IV (1981), p. 349-368 ; J. I. Padilla dir.,
L'esperit d'Àneu..., op. cit., p. 97-152.
321. Nous devons parler de juxtaposition, de coparticipation ou de subordination des
communautés à la seigneurie, qu'elle soit royale, nobiliaire ou ecclésiastique » (J.-M. Bringue,
« Comunitats i béns comunals al Pallars Sobirà, segles XV-XVIII », Butlleti de la Societat Catalana
d'Estudis Histbrics, VII (1996), p. 123, 120-121).
322. J. Bonales, Les muntanyes en venda. La desamortitzaciô de terres comunals a la conca de Tremp,
1885-1931, Lérida, 1999, p. 91-157.
216 Flocel SABATÉ

Les différentes vallées du haut Pallars, au nord de Rialb, maintien


nent des communautés, tout au long du Moyen Âge, avec des représen
tants qui interviennent avec certaines capacités comme le bon conseyll
jurat de la terra323. La représentation des membres de chaque vallée survit
au Moyen Age dans beaucoup d'entre elles, bien qu'avec des nom
différents — Vista General de la Vall (Vue générale de la Vallée), Bon
conseil (Bon conseil), conseil dels Vint-i-quatre (conseil des Vingt-Quatre),
Cort de la Vall (Cour de la Vallée) —, avec une vigueur qui dépasse non
seulement les siècles postérieurs mais en plus tend à se développer en
termes de pouvoir collectif avec le seigneur correspondant324.
L'autonomie locale se traduit par la fermeture vers l'extérieur, dans
la mesure où le juge ou le notaire sont souvent originaires de la même
vallée. Ce renfermement s'exerce aussi, avec plus de transcendance, en
matière ecclésiastique. On peut observer de manière significative, dans la
vallée d'Àneu tout au long des siècles du bas Moyen Âge, aussi bien le
rôle électif et corporatif du clergé que l'intervention active des laïcs dans
l'organisation ecclésiale, situation qui ne manquera pas d'entraîner des
tensions avec l'évêché au XIVe siècle325. Le puissant rôle communautaire
des laïcs et des clercs trouve un écho dans les groupements singuliers
comme celui du Bon Conseil de la Vall (Bon Conseil de la Vallée) et celui
des Braços de la Cort (Bras de la Cour)32 et dans la capacité élective
supérieure à celle existant dans d'autres contrées, qui porte atteinte à la
distribution originale des bénéfices ecclésiastiques32 . Ceux-ci sont nom
breux — on en compte plus d'une centaine dans les vingt-deux paroisses
de la vallée d'Àneu à l'époque moderne— et ils sont connus comme
conrectors dans les vallées d'Aneu et de Bof ou porcioners (portionnaires)
dans la vallée d'Aran : leur concession vient de l'évêque, avec présentation
préalable des autorités de la vallée. La participation des notables locaux
justifie qu'ils connaissent les candidats et admettent uniquement les fils
de la vallée328, qui peuvent même être mineurs, les ordres sacrés leur étant
conférés lorsqu'ils atteignent l'âge requis. L'endogamie s'explique par
l'insuffisance des revenus du bénéfice qu'il faut compléter avec son
propre patrimoine329.

323. B. Marques, « Ordinacions... », op. cit., p. 359.


324. J.-M. Bringue, « Comunitats i béns comunals... », op. cit., p. 123, 125-126.
325. E. Moliné, « Organitzacions edesiàstiques autonomes al Pirineu durant l'antic règim : les
Valls d'Àneu, de Bof i d'Aran », Urgellia, V (1982), p. 334-335.
326. Id., « Organitzacions... (continuaciô) », Urgellia, VI (1983), p. 439-440.
327. Ibid., Urgellia, V (1982), p. 301.
328. Id., « Les relacions de les visites « ad limina apostolorum » dels bisbes d'Urgell 1597- 1821
(continuaciô) », Urgellia, IV (1981), p. 421.
329. Id., « Organitzacions... (continuaciô) », Urgellia, VI (1983), p. 426-427.
La montagne dans la Catalogne médiévale 217

Ce traitement des institutions ecclésiastiques est une particularité


régionale plus que diocésaine, parce qu'il affecte deux évêchés situés de
part et d'autre des deux versants des Pyrénées, Urgel et Comminges. Il est
aussi une singularité de certaines vallées comme celles d'Aran, de Boi et
d'Àneu. Les vallées voisines de Cardés et de Vallfarrera n'affermissent ni
ne prolongent longtemps ces particularités. Ces différences entre des
vallées proches et soumises à des circonstances socio-économiques et
physiques similaires confirment que ce trait singulier de la montagne est
moins le fruit de la distance et des mauvaises communications, que de la
capacité du maintien de la cohésion interne, qui a bien été perçu par
l'historiographie, lorsqu'elle insiste sur una personalitat col-lectiva mes
forta330, qui s'exprimerait dans les institutions politiques et religieuses. Ces
particularités, par conséquent, ne seraient pas un handicap prolongé
depuis le Moyen Âge mais tout au contraire, le reflet de la vive cohésion
interne de la vallée ; ainsi, à l'époque moderne, ces expressions collectives
se raffermissent encore plus dans beaucoup de cas, aussi bien dans les
domaines civils qu'ecclésiastiques, comme dans les vallées d'Aran ou d'Àneu.
En fait, la montagne n'a jamais été isolée. Les vallées les plus
connues pour leurs singularités juridictionnelles, comme celles déjà citées
de Boi, d'Àneu ou d'Aran, maintiennent des liens constants avec d'autres
espaces proches et sont l'objet d'une constante traversée de marchands et
d'éleveurs, grâce aux cols. Ces particularités ne sont pas liées à l'isolement
mais à la capacité de préserver les propres domaines de cohésion. Vues de
loin, les facteurs de continuité et certains éléments, ou prétendus
éléments, préservateurs de la mémoire identificatrice, restent forts.

Continuités et lieux communs

La montagne médiévale, dans sa perception et dans les formules de


pouvoir, a imprimé une empreinte séculaire qui est pratiquement arrivée
jusqu'à nos jours, spécialement comme critère idéologique.
En premier lieu, la perception d'une Catalogne formée en grande
partie par une addition de régions identifiées par la Montagne s'est
prolongée jusqu'aux siècles contemporains. À la charnière des XIXe-
XXe
siècles, les différentes propositions à la recherche d'une régional
isation de la Catalogne ont pris en compte différentes zones liées à la
montagne : Montagnes de Prades, Montagnes de Camprodon, la Haute

330. « Une personnalité collective plus forte» {ibid., « Organitzacions... », Urgellia, VI (1983),
p. 430).
218 Flocel SABATÉ

Montagne ou simplement la Montagne appliquée à différentes zones,


comme celles de l'ancien comté de Besalii ou celui du Berguedà..., ce, en
concordance très directe avec la perception et l'expérience médiévale et
le maintien de la vision que, malgré l'importance du littoral, la Catalogne
reste un pays montagneux : en plus des Pyrénées, elle compte plus de
quarante chaînes de montagnes332.
L'existence d'un apport spécifique à l'identité catalane, à partir de
la forte expérience de la Montagne, a été assumée par les historiens qui,
aux XIXe et XXe siècles, ont essayé de détecter la soi-disant âme du pays.
Dans cette optique, Jaume Vicens Vives a prétendu expliquer le comport
ement, le caractère et l'âme de la Catalogne et des Catalans à travers la
conjugaison du poids de la montagne et de celui, provenant de
l'influence opposée, de la mer. Dans cette approche, de la montagne
médiévale surgissait le souffle vital d'une identité qui s'est prolongée
jusqu'à aujourd'hui, par la certitude que a la muntanya s'ha créât el nervi
de la mentalitat catalana ; no oblidem que fins al segle XIII la muntanya
guardà les reserves humanes i espirituals del pais i que els creadors de la
nostra personalitat histbrica foren homes muntanyencs . Encore de nos
jours la mémoire du dernier comte de Pallars, qui perdit son territoire
face aux armées royales en 1483, a été rappelée comme revendication
d'une identité spécifique surgie au Moyen Âge et qui refuse l'homogén
éisation imposée du pays33 .
En définitive, la montagne a laissé une empreinte essentielle dans la
société catalane médiévale dans son expérience, ses croyances et son
articulation, qui s'est prolongée jusqu'à nos jours dans la mémoire et les
mythes autour de la genèse du pays.

331. F. Flos y Calçat, Geografla de Catalunya, Barcelone, 1896, p. 34 ; E. Sunyol, « Lo terrer de


Catalunya y las comarques naturals de Catalunya», La Renaixensa, num. 7219 (XXVII),
(Barcelona, dimecres 17 de febrer de 1897), p. 977-978 ; N. Font Sagué, « Determinaciô de les
comarques naturals i historiques de Catalunya », d&nsjochs Florals de Barcelona, Barcelone, 1897,
p. 362-363, 385.
332. F. Flos y Calçat, Nomenclatura geogrdfica de Catalunya seguida de la Geografla Universal,
Barcelone, 1907, p. 40-41.
333. « À la montagne s'est créé le nerf de la mentalité catalane ; n'oublions pas que jusqu'au
XIIIe siècle la montagne garda les réserves humaines et spirituelles du pays et que les créateurs de
notre personnalité historique furent des hommes de la montagne » (J. Vicens Vives, Noticia de
Catalunya, Barcelone, 1982, p. 26).
334. « El 500 aniversari de la mort d'Hug Roger III promociona el Pallars », Segre, dimecres 1 1 de
juny de 2003, p. 57.

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