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Annales du Midi : revue

archéologique, historique et
philologique de la France
méridionale

Moissac et les monastères catalans, de la fin du Xe au début du XIe


siècle
Juan Ainaud de Lasarte

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Ainaud de Lasarte Juan. Moissac et les monastères catalans, de la fin du Xe au début du XIe siècle. In: Annales du Midi :
revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 75, N°64, 1963. Actes du colloque international
de Moissac (3-5 mai 1963) pp. 545-549;

doi : https://doi.org/10.3406/anami.1963.4288

https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1963_num_75_64_4288

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Moissac et les monastères catalans,

de la fin du Xe an début du XIIe siècle1"

trois
Catalogne
Lorsque,
monastères
remontent
en 1078,
de le
déjà
sescomte
domaines,
à plus
de d'un
Besalû
lessiècle.
relations
Bernât
Au IIcours
entre
donne
de
Cluny
àcette
Moissac
et la

période, le rôle décisif dut être joué par l'abbé Gari, de Lézat
et Cuixà : un reflet immédiat s'en retrouve dans la donation de biens
à Saint-Pierre de Cluny consignée dans le testament du comte de Cer-
dagne, Seniofred, en 966?. Le seul témoignage que je peux apporter
au sujet des rapports artistiques entre Cluny et la Catalogne pendant
le Xe siècle est la présence, tout près de Cluny, de la chapelle du château
de Berzé-le-Châtel, dont je dois la connaissance au Prof. K. J. Conant.
Le berceau outrepassé de la voûte et l'arc triomphal, lui aussi en fer-
à-cheval, peuvent être comparés davantage aux monuments
catalans qu'aux autres églises de Bourgogne.
Vers la fin du xT siècle les domaines de Cluny en Catalogne
sont administrés par l'intermédiaire de deux prieurés : Sant-
Ponç de Corbera3 et Sant-Pere de Casserres4 Ceux-ci sont d'abord
l'un de l'autre, puis, à une époque indéterminée, Sant Père
donné à Cluny en 1079 va regrouper tout l'ensemble (les châteaux
de Roda et Barà, près de Tarragone, donnés en 1074 à Cluny8, le petit
prieuré de Sant Père de Clara6, près de Matarô, quelques maisons à
Barcelone7, etc.). Le cas de Sant Pau de Vallosa, Santa Maria d'Arles,

1. Pour l'ensemble de la documentation concernant Moissac et la


voir la communication de Dom Anscari Mundô, Moissac, Cluny et les
mouvements ¦monastiques de l'Est des Pyrénées du X* au XIP siècle, et aussi
l'étude ancienne mais toujours valable de J. Miret i Sans, Relaciones entre
los monasteries de Camprodôn y Moissac, Barcelone, 1898.
2. R. d'Abadal, Corn neix i corn creix un gran monestir pirinenc abans de
Vony mil. Eixalada-Cuixà, Montserrat, 1954, notamment pp. 89-90 et Ap. 92.
3. E. Carbonell, Esplugues de Llobregat. Monografia histôrica, Barcelone,
1949, p. 66. Dans un acte de 1096, le prieur de Sant Ponç, Salomon, agit au
nom de saint Hugues, abbé de Cluny.
4. F. Monsalvatje, El monasterio de San Pedro de Casserras, Gérone, 1J910.
6. Miret i Sans, op. cit., p. 17.
6. M. Ribas i Bertran, Origen i fets histories de Matarô, Matarô, 1934,
pp. 87-90.
7. J. Sarret i Arbds, Documento del siglo XI, relatwo a Sant Andreu de
Polomar (Barcelona), précédente del Archwo de Sont Benêt de Bages, dans
Revista de la Asociaciôn artistico-orqueolôgico barcelonesa, Barcelone, 1902,
roi. ?, pp. 634-636.

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546 J. AINAUD DE LASARTE (2)

et Sant Père de Camprodôn, donnés en 1078 par le comte de Besalû, est


tout à fait différent. ? est une conséquence du ralliement du comte à
la politique du pape Grégoire Vn, souligné à l'occasion de la réunion
synodale qui eut lieu à Besalû-même quelques mois auparavant, et
s'explique aussi, peut-être, par les liens de famille qui unissaient
? à l'abbé Hunaud de Moissac. Les trois monastères gardèrent leurs
abbés et la dépendance à l'égard de Moissac fut souvent contestée.
En ce qui concerne l'architecture, les églises conservées à Casserres,
Corbera et Arles8 sont antérieures au ralliement à Cluny et, bien
qu'indépendantes les unes des autres, correspondent au style que l'on
peut nommer lombard ou premier art roman. Au moment de la nouvelle
consécration d'Arles en 1157 on doubla des murs et des piliers, mais
rien ne changea au point de vue du style. Les noms des assistants à
la cérémonie de consécration n'indiquent non plus aucune dépendance
vis-à-vis de Moissac : les autels furent consacrés par l'archevêque de
Narbonne et les évêques d'Elne, Gérone, Barcelone et Vich; les abbés
assistants furent ceux de Cuixà, Canigô, Fluvià, Sant Père de Rodes,
Saint-Genis-les-Fonts, et Saint-Tibery9. En 1169 fut consacrée la
église du monastère de Camprodôn, très simple, à chevet plat, dont
la structure fait penser plutôt aux monuments cisterciens10.
Le cas de la sculpture est bien plus complexe, mais il est toujours
difficile de déterminer si les rapports existant entre un monument et
un autre sont exclusifs de toute autre influence, ou bien se présentent
comme un cas particulier dans l'ensemble des relations, tout à fait
normales et permanentes, entre la Catalogne et la France méridionale.
La deuxième réponse me paraît plus vraisemblable, et, même alors,
les éléments conservés semblent bien prouver une personnalité de groupe
de la sculpture catalane vis-à-vis des traditions languedociennes.
? est évident que la continuité du métier des marbriers catalans du
Confient, du Vallespir et du Roussillon dut compter beaucoup. Elle
explique tout naturellement la filiation des chapiteaux en marbre
à Camprodôn, publiés par M. Durliat11, notamment de ceux de
l'église paroissiale (qui dépendait du monastère), dûs à des mains
mais qui tous peuvent être rapprochés d'exemples du Confient.
Ainsi, le chapiteau dit « des bouquetins » (peut-être mieux « des

8. Pour Casserres et Corbera : E. Junyent, dans Catalogne Romane, I,


1960, pp. 106-110, pi. 27-33 et pp. 160-164, pi. 11-24. Pour Arles : P. Ponsioh
L'abbaye de Sainte Marie d'Arles, dans Congrès Archéologique de France.
CXIP session. Le Roussillon, Paris-Orléans, 1955, pp. 347-377.
9. P. Monsalvatje, Monasterio de Santa Maria de Arles, Olot, 1896, pp. 69-72.
10. A. Serrallach, San Pedro de Camprodôn. Apuntes y pianos relatives a
su restauraciôn, Barcelone, 1896. Et aussi, J. Puig i Cadafalch, A. de Falguera
et J. Goday, L'Arquitectura romànica a Catalunya, vol. ?, Barcelone, 1918,
pp. 398-404.
11. M. Durliat, La sculpture romane en Roussillon, t. ?, Perpignan, 1950,
pp. 78-84, figs. 48 à 53.
(3) MOISSAC ET LES MONASTÈRES CATALANS 547

béliers »), paraît en refléter un autre de la porte du Boulou, et celui qui


montre des têtes humaines entre des couples dé lions ailés est de même
style que les sculptures d'une porte latérale de Vilafranca de Confient.
Les têtes humaines et les béliers montrent aussi le reflet d'une per-
sonalité probablement catalane qui projeta son art dans bien d'autres
pays. ? s'agit du Maître de Cabestany, actif non seulement ailleurs en
Catalogne mais aussi à Saint-Papoul12, à Rieux-Minervois, à Toulouse,
à Errondo (en Navarre), et mêmle en Italie. Le Maître de Cabestany
nous conduit donc sur les grandes voies de pèlerinage qui allaient d'un
côté vers Saint-Jacques de Compostelle, mais de l'autre jusqu'à Rome
et bien au-delà. Dans ce domaine les rapports avec Moissac et Toulouse
sont bien plus importants qu'avec la Catalogne, restée assez à l'écart.
C'est un sujet passionnant sur lequel il faudra encore travailler
non seulement du côté de l'Occident mais aussi dans la direction
contraire, qui est jalonnée par certains chapiteaux conservés à
et bien d'autres en Italie : à Pise, à Santa Maria in Toscanella,
et surtout dans l'abbaye de Sant'Antimo, où le Dr Junyent18 a pu
identifier un chef-d'uvre du Maître de Cabestany à côté d'éléments
dont les rapports avec Toulouse avaient déjà été signalés, bien
par Enlart14 et Gômez-Morenoie.
Pendant le xii* siècle, il est facile de signaler des rapports entre
la Catalogne et un autre prieuré languedocien de Cluny, celui de la
Daurade, à Toulouse. Mais, même dans ce cas, je crois qu'il se situent
dans la ligne qui unit les apôtres de la salle capitulaire de la cathédrale
de Toulouse ou les chapiteaux de Saint Jean-Baptiste (n° 31) et de
Sainte Marie l'Egyptienne (n° 33),. ainsi que le roi (n° 68) et la reine
(n° 66) provenant de la Daurade (au musée des Augustins) à la Vierge
du Cloître (Mare de Déu del Claustre), conservée dans la cathédrale
de Solsona. Finalement, il serait possible de déceler des points de
contacts entre la sculpture languedocienne tardive et les produits du
grand maître catalan Arnau Cadell, qui signe le cloître de Sant Cugat
del Vallès dans les premières années du ??? siècle16. -

12. M. Durliat, La sculpture romane en Roussillon, t. IV, Perpignan, 1954,


pp. 46-47, flgs. 31, 36, 37 et 38.
ne13.310,
L'Art
p. 211.
roman. Catalogne, Barcelone et Santiago de Compostela, 1)961,
14. M. Salmi, L'Architettura romanica in Toscona, Milan-Rome, pp. 50-51.
15. M. Gômez-Moreno, El arte romdnico espanol, Madrid, 1934, pp. 141-148.
16. J. Baltrusaitis, Les chapiteaux de Sont Cugat del Vallès, Paris, 1931;
J. Puig i Cadafalch, L'escultura romanica a Catalunya, Barcelone, 1952, vol. ?,
pp. 89-109, pi. 68-92; S. Cardûs, L'escultor Arnau Cadell i él seu claustre de
Sont Cugat, Sabadell, 1957; S. Alcolea, Le monastère de Sant Cugat del
Vallès, dans Congrès archéologique de France, CXVIP session, Catalogne,
Paris, 1959, pp. 178-188; P. Mesplé, Chapiteaux d'inspiration toulousaine dans
les cloîtres catalans dans La Revue des Arts. Musées de France, 10* année,
Paris 1960, n° 3, pp. 102-108. Mesplé affirme que la traduction catalane de
l'inscription Amolli Catelli serait Arnaldo Gatell, mais en fait il s'agit
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Notre information est trop fragmentaire pour établir même des


hypothèses au sujet de la peinture monumentale. Quelques restes de
fresques du XIe siècle à Corbera et d'autres bien plus tardives à
sont insuffisants comme points de repère. A Arles, les anges
peints dans une chapelle au-dessus de la porte de l'église,
vraisemblablement à un autel consacré en 1157, montrent des
rapports avec les fresques de Mur17, collégiale sans liens connus avec
Moissac ou Cluny. Cela n'enlève nullement la possibilité de prouver des
contacts entre les deux versants des Pyrénées. La découverte assez
récente du décor peint par le Maître de Pedret dans l'abside de la
cathédrale de Saint-Lizier (Ariège) en est un témoignage de tout
premier ordre18.
Dans le domaine de la peinture de manuscrits, le seul exemple
provenant d'un monastère qui dépendait de Cluny est celui du
sacramentaire d'Arles19. ? s'insère normalement dans un très large
groupe de manuscrits romans conservés en Catalogne dont les plus
nombreux sont de date tardive et qui ont une origine soit catalane,
soit languedocienne, soit provençale20. Malgré ces coincidences je n'ose
pas signaler une dépendance directe entre les exemplaires catalans et
d'autres provenant de Moissac. Par contre, cette relation est évidente
en ce qui concerne l'Aragon. ? suffit de comparer, par exemple, un
manuscrit biblique de Moissac (Paris, Bib. Nat. Ms lat. 52) avec la
Bible de San Juan de la Pefia (Madrid, Bib. Nac. Ms 2), en écriture

d' Arnau Cadell (le nom Cadell est assez fréquent en Cerdagne, au moins
depuis le xn" siècle) Cette origine cerdane et le rapport évident de l'artiste
avec Gérone n'empêchent pas naturellement des contacts artistiques avec
Toulouse, dans son cas comme dans celui du cloître de la cathédrale de Tar-
ragone étudié par Mesplé dans le même article.
17. Ponsich, op. cit., pp. 369-372; M. Durliat, La peinture romane en
et en Cerdagne, dans Cahiers de civilisation médiévale, Poitiers, 1961,
pp. 7-8, flg. 8; J. Arnaud, Pinturo romanica oatalana, Barcelone, 1962, p. 26.
18. Ch. R. Post, A History of Spanish pointing, Cambridge, Mass., vol. Vm,
1941, pp. 540-544; W. W. S. Cook et J. Gudiol, Pinturo e imOgineria romdnicas,
dans Ars Hispaniae, vol. VI, Madrid, 1950, pp. 53-63, 65; A. Cazenave,
murales romanes du Cousemms et du Comté de Foix, dans Pays de
l'Ariège, Actes du Congrès de Foix, mai 1960, publiés en 1961, p. 77; A.
article dans La Croix de l'Ariège du 2 septembre 1962; A. Surchamp, Les
fresques
n° 56, avril
romanes
1963, pp.
du 3-8,
choeur
20, pi.
de la
1-16.
cathédrale
La cathédrale
de Saint-Lizier,
de Saint-Lizier
dans fut
Zodiaque,
en 1117 par Saint Baymond ({ 1126), évêque de Roda et Barbastro, le
même qui, six ans plus tard, consacrerait les deux églises de Tahull. Il était né
à Durban. Il fut d'abord moine à Saint-Antonin de Frédelas, prieuré
de Cluny, dont le prieur était Amelius, évêque de Toulouse. Devenu
chanoine de Saint-Sernin de Toulouse, il y fut élu prieur de la communauté.
Consacré évêque de Roda, il reçut les ornements de l'évêque de Pampelune,
Pierre de Roda, et fut béni par l'archevêque de Tolède, le fameux Clunisien
Bernard.
19. LArt roman, n° 103, p. 73.
20. L'Art roman, n" 115, 116, 117, 126 (première main), 131, 133, 134 et 260,
pp. 77, 81, 83-84, 194.
(5) MOISSAC ET LES MONASTÈRES CATALANS 549

wisigothique mais dont les peintures témoignent de connaissances


du même art. que celui du manuscrit moissagais.
Nous nous trouvons en face du phénomène déjà signalé dans le
domaine de la sculpture : tandis que l'art des routes de pèlerinage
constitue un ensemble cohérent, ses rapports avec la Catalogne posent
un problème plus général : celui des échanges artistiques à l'intérieur
d'une sorte de communauté dans laquelle on peut déceler des
ou des groupes assez différents, mais aussi des traditions locales
plus ou moins permanentes. Ces faits paraissent confirmer, d'autre
part, rimportance du rôle des laïcs parmi les artistes, notamment les
sculpteurs, ce qui pourrait aussi aider à comprendre l'abondance du
répertoire décoratif à sujets profanes ou neutres*.

Juan Aenaud de Lasarte.

* Cette communication et la communication suivante concernant des sujets


voisins ont fait l'objet d'une discussion commune. Voir cette discussion p. 570.

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