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Le cimetière de Saint-Seurin de Bordeaux 

: mémoire et sacralisation de l’espace

Isabelle Cartron, Maître de conférences, Université Bordeaux 3, Institut Ausonius

INTRODUCTION

Au Moyen Âge, la collégiale de Saint-Seurin de Bordeaux constitue l’une des plus


importantes communautés canoniales de la ville avec celle du groupe épiscopal.
L’origine de ce pôle monumental remonte toutefois à la fin de l’Antiquité : installé en
en périphérie de l’ancien castrum du IIIe siècle sur une importante nécropole, l’église
est probablement édifiée non loin de l’ancienne basilique dédiée à saint Seurin,
mentionnée à la fin du VIe siècle par Grégoire de Tours (figure 1)1. La collégiale
s’inscrit dans une historiographie qui remonte essentiellement au milieu du XIXe siècle.
À partir des années 1840, le chanoine Cirot de la Ville est le premier à s’y intéresser,
assimilant Saint-Seurin à la première communauté chrétienne de la cité bordelaise, une
tradition dont ses successeurs ne se départiront pas jusqu’à la fin des années 1980 2. La
collégiale est classée monument historique en 1840 et les investigations archéologiques
qui sont menées au XXe siècle portent essentiellement sur la reconnaissance du site de
l’Antiquité tardive3. C’est beaucoup plus récemment que le passé médiéval du site a
suscité l’intérêt des chercheurs4. En 2006, la tenue d’un colloque interdisciplinaire a
permis de dresser un état plus complet de la documentation et de renouveler les
perspectives dans l’étude du site et de la communauté religieuse médiévale5.
Sacralisée par ses reliques dont le trésor s’enrichit progressivement au cours du Moyen
Age, la basilique de Saint-Seurin se distingue aussi au XIIe siècle par son cimetière,
considéré comme l’un des plus grands de la chrétienté avec celui des Alyscamps à
Arles6. Dans le cadre de ces journées portant sur les lieux sacrés et l’espace ecclésial,
nous avons choisi de présenter le dossier relatif à cet espace funéraire singulier, en
prenant en compte les sources écrites et archéologiques disponibles7.
La mention la plus explicite et la plus ancienne — du moins celle conservée jusqu’à nos
jours — du cimetière de Saint-Seurin en tant que pôle sacré figure dans l’Histoire du
Pseudo Turpin, un texte célèbre attesté pour la première fois dans le Codex Calixtinus,
dont elle constitue le livre IV8. Le plus ancien manuscrit du Codex Calixtinus, élaboré
dans le milieu compostellan, est attribué au début des années 1160 9. Le livre du Pseudo-
Turpin rapporte l’expédition et les victoires de Charlemagne en Espagne ; le dernier
tiers du récit concerne plus précisément l’épisode de Roncevaux et l’inhumation des
compagnons du souverain dans différents lieux du royaume franc 10. Après un court
chapitre concernant le traitement du corps des cadavres, le chapitre 28 se poursuit ainsi :
« Il y avait alors deux cimetières sacro-saints et vénérables, l’un près d’Arles aux
Alyscamps, l’autre près de Bordeaux. Le Seigneur les avait consacrés par sept de ses
saints évêques : Maximin (évêque) d’Aix, Trophime (évêque) d’Arles, Paul (évêque) de
Narbonne, Saturnin (évêque) de Toulouse, Front (évêque) de Périgueux, Martial
(évêque) de Limoges, Eutrope (évêque) de Saintes. La plupart des morts y furent
ensevelis. Et ceux qui étaient morts sans avoir été touchés par l’épée dans la bataille de
Montjardin y furent également ensevelis, embaumés avec des aromates. »11 Le chapitre
29, plus long, rapporte la distribution des défunts entre Saint-Romain de Blaye (dont
Roland), Belin dans les Landes, et Saint-Seurin12.

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Ce texte est particulièrement riche : il présente le cimetière de Saint-Seurin comme un
pôle à part entière, qualifié de « sacro-saint », distinct de l’église et de son trésor de
reliques mais aussi comme un espace consacré aux temps apostoliques 13. Il en fait un
lieu d’inhumation prestigieux, ayant accueilli les dépouilles de grands carolingiens, et se
trouve ainsi placé dans une géographie sacrée, associé aux pèlerinages de la chrétienté
occidentale. Après avoir fait le point sur la topographie médiévale de ce cimetière, nous
formulons quelques hypothèses sur l’émergence de ce pôle sacré en prenant en compte
l’histoire particulière de la communauté canoniale bordelaise.

I. QUELQUES INDICES SUR LA TOPOGRAPHIE MÉDIÉVALE DU CIMETIÈRE

Sigles et abréviations
Sources
— Cartulaire Saint-Seurin : Cartulaire de l’église collégiale Saint-Seurin de Bordeaux,
éd. J.-A. Brutails, Bordeaux, 1897.
— Chronique saintongeaise : A. de Mandach, Chronique dite saintongeaise. Texte
franco-occitan inédit « Lee ». À la découverte d’une chronique gasconne du XIIIe siècle
et sa poitevinisation, Beihefte Zur Zeitschrift für Romanische Philologie, t. 120,
Tübingen, 1970.
— Gicquel, Légende Compostelle : B. Gicquel, La légende de Compostelle. Le livre de
saint Jacques, Paris, 2003.
— Liber sancti Jacobi : Liber sancti Jacobi, Codex calixtinus, éd. K. Herbers, M.
Santos Noia, Xunta de Galicia, 1998.
— Lopès, Église Saint-André : H. Lopès, L’église métropolitaine et primatiale de Sainct
André de Bourdeaux, où il est traité de la noblesse, droits et honneurs et prééminences
de cette Église, avec l’histoire de ses archevesques et le pouillé des bénéfices du
diocèse, Bordeaux, 1668, rééd. 1882-1884.
— MGH, SRM : Monumenta Germaniae Historica, Scriptores rerum merovingicarum.

Travaux
— Baillet, Mémorial des saints : C. Baillet, « Le mémorial des saints. Les reliques de
l’église Saint-Seurin de Bordeaux (VIe-XVe siècles) », dans Cartron et al., Saint-
Seurin, 87-116.
— Boutoulle, Atlas Bordeaux : F. Boutoulle, « De la cité à la ville. De Grégoire de
Tours à l’enceinte du bourg (fin VIe siècle-vers 1220) », dans S. Lavaud (dir.),
Bordeaux, Atlas historique des villes de France, t. II, Bordeaux, 2009, 41-65.
— Cartron et al., Saint-Seurin : I. Cartron, D. Barraud, P. Henriet, A. Michel, Autour de
Saint-Seurin : lieu, mémoire, pouvoir. Des premiers temps chrétiens à la fin du Moyen
Âge, Bordeaux, 2009.
— Cirot, Origines chrétiennes : J.-P.-A. Cirot de la Ville, Origines chrétiennes de
Bordeaux ou histoire et description de l’église de Saint-Seurin, Bordeaux, 1867.
— Lauwers, Naissance du cimetière : M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux
sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005.
— Lavaud, Atlas Bordeaux : S. Lavaud (dir.), Bordeaux, Atlas historique des villes de
France, t. III, Bordeaux, 2009.
— Moisan, Sépultures Roncevaux : A. Moisan, « Les sépultures des Français morts à
Roncevaux », dans Cahiers de civilisation médiévale, XXIV, 1981, 129-145.

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La topographie précise du cimetière au XIIe siècle est délicate à restituer et ne peut faire
que l’objet d’hypothèses. Cet espace funéraire, situé au sud de la collégiale, est resté en
activité jusqu’à sa désaffection en 1771, remplacé alors par une place publique. La
mention du burgus de Saint-Seurin dans un acte de 1170 laisse supposer que la
collégiale se situe dans un environnement qui s’urbanise progressivement (figure 2)14.
Toutefois, on peut penser que la proximité des habitations a aussi contribué à une
relative stabilité de ses limites à partir de la fin du Moyen Age. Un plan levé en 1776
permet d’identifier ce grand cimetière communautaire, intitulé « porge de Saint-Seurin »
et situé au sud de la collégiale, à l’intérieur d’une clôture de plan approximativement
triangulaire, couvrant une surface estimée à 0,76 hectare (figure 3). Les inhumations
n’étaient cependant pas limitées à ce secteur puisque l’intérieur de la basilique, mais

[1] Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, éd. W. Arndt, B. Krusch, MGH,
SRM, 1, 2, Hanovre, 1885, 775. — [2] Cirot, Origines chrétiennes. Sur l’historiographie
du site, I. Cartron, « À la recherche des origines chrétiennes de Bordeaux : quelques
jalons historiographiques autour de Saint-Seurin », dans Cartron et al., Saint-Seurin, 35-
44. — [3] Les premières fouilles sont effectuées par Paul Courteault en 1909-1910 au
sud de la collégiale. Les résultats sont partiellement publiés par Aliette de Maillé en
1960 (A. de Maillé, Recherches sur les origines chrétiennes de Bordeaux, Paris, 1960).
De nouvelles investigations sont reprises entre 1958 et 1975 par Raymond Duru dans le
prolongement des premières ainsi que dans la crypte de la collégiale (R. Duru, « La
crypte de l’église Saint-Seurin de Bordeaux en hommage à la mémoire de la Marquise
de Maillé », dans Sauvegarde de l’art français, 1982, 2, 57-89). — [4] Voir notamment
l’étude de l’architecture de la collégiale proposée par Jacques Gardelles (J. Gardelles,
Bordeaux, cité médiévale, Bordeaux, 1989) et les travaux de Sandrine Lavaud sur le
temporel des chanoines à la fin du Moyen Âge (S. Lavaud, Saint-Seurin, une grande
seigneurie du bordelais (XIVe-XVe siècle), Thèse de doctorat, Bordeaux, 1993). — [5]
Ce colloque a été publié en 2009, Cartron et al., Saint-Seurin. — [6] Sur les reliques de
la collégiale, voir l’étude précise et approfondie de Christophe Baillet (Baillet,
Mémorial des saints, 87-116). — [7] Nous souhaitons ici remercier chaleureusement
nos collègues Patrick Henriet et Christophe Baillet pour l’aide qu’ils nous ont apportée
lors des nombreuses discussions autour de ce dossier. — [8] Nous utilisons ici l’édition
du manuscrit compostellan Liber sancti Jacobi — [9] Le manuscrit de Ripoll, copiant le
Codex Calixtinus, est daté des années 1170. Par ailleurs, nous ne discutons pas ici de la
genèse du Liber sancti Jacobi, particulièrement complexe et souvent débattue ; nous
renvoyons le lecteur à l’introduction de l’édition de 1998 cité à la note précédente ainsi
que, dans une moindre mesure, à Gicquel, Légende Compostelle. — [10] Les récits
légendaires relatifs à Charlemagne ne cessent de s’enrichir au cours du Moyen Age.
Voir, par exemple, Moisan, Sépultures Roncevaux. — [11] Et erant tunc temporis bina
cimeteria precipua sacrosancta, alterum aput Arelatem in Ailis Campis, alterum
Burdigalem, que Dominus per manus sanctorum VII antistitum, scilicet Maximini
Aquensis, Trophimi Arelatensis, Pauli Narbonensis, Saturnini Tolosanensis, Frontonis
Petragoricensis, Marcialis Lemovicensis, Eutropii Sanctonensis, consecravit, in quibus
maxima pars illorum sepelitur. Et illi qui in acie montis Garzini gladiis intacti obierunt,
in his cimiteriis aromatibus peruncti sepeliuntur (Liber sancti Jacobi, 222). Traduction
Gicquel, Légende Compostelle, chapitre 28, 575. — [12] Liber sancti Jacobi, 222-223.
Traduction de Gicquel, Légende Compostelle, chapitre 29, 576-577 : « Au cimetière de
Saint-Seurin furent ensevelis : Gaifier, roi de Bordeaux, Engelier, duc d’Aquitaine,

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aussi le cloître, au nord, les abords de l’ancienne église Saint-Étienne, au nord-est, et le
parvis occidental, ont accueilli des tombes et notamment celles de nombreux
chanoines15. Toutefois, le cimetière qui a pu frapper les esprits dès le Moyen Âge
semble bien devoir être identifié avec le grand espace méridional sur lequel s’ouvre le
portail sud de la collégiale. Cette porte, qui existait probablement dès le XIIe siècle, est
ménagée à la hauteur de la deuxième travée de l’église et a fait l’objet d’une
reconstruction monumentale au milieu du XIIIe siècle ce qui constitue un témoignage
supplémentaire du prestige alors acquis par cet espace sacré16. Le thème choisi pour les
représentations sculptées est en adéquation avec l’espace desservi puisque le tympan et
les voussures du portail central sont consacrés au Jugement dernier, le linteau étant
réservé à la Résurrection des morts (figure 4)17. L’épitaphe d’un chanoine, mort en
Lambert, roi de Bourges, Gérin et Gerier, Renaud d’Aubespin, Gautier de Termes,
Guielin, Bègue, et quinze mille autres. » Il est ensuite question des aumônes faites par
Charlemagne pour la célébration de leurs âmes ainsi qu’aux pauvres et du privilège
concédé aux chanoines de Blaye, chargés de prier pour eux. Le passage se termine par
l’évocation du cimetière d’Arles. — [13] Sur les catégories du sacré, voir Lauwers,
Naissance du cimetière, 89-111. — [14] Cartulaire Saint-Seurin, n°9, 107.
L’urbanisation progressive des abords de la collégiale est abordé par Boutoulle, Atlas
Bordeaux, 61-64. — [15] La place située à l’ouest de la basilique était nommée « le
Pradeau » et le sacriste Barbe y plaçait le cimetière des chanoines (D. Barraud, S.
Lavaud, « Cimetière de Saint-Seurin, nécropole paléochrétienne », dans Lavaud, Atlas
Bordeaux, 44-47). Sur la localisation des tombes des chanoines dans le cloître et
l’église, voir D. Boyer-Gardner, I. Cartron, « Chronique d’une mort préparée. Autour de
la sépulture de Raimond Fabri, chanoine de Saint-Seurin », dans Cartron et al., Saint-
Seurin, 289-306. — [16] On notera que le portail occidental avait aussi fait l’objet d’une
reconstruction mais a été détruit en 1828. — [17] Pour une analyse récente de ce
portail : C. Piccinini, « Le portail sud de la collégiale : hypothèses entre iconographie,
datation et style », dans Cartron et al., Saint-Seurin, 331-344. Sur le linteau (figure 3),
on remarque la représentation peu commune d’un couvercle de sarcophage trapézoïdal
s’inspirant probablement de ceux qui étaient alors visibles dans le cimetière. — [18] On
peut supposer que sa tombe se trouvait sur le seuil de la porte. Un porche a été ajouté au
devant du portail au XVIe siècle (C. Piccinini, Ibid.). — [19] Les quelques mentions de
la fin du XIe siècle et du XIIe siècle issues du cartulaire n’évoquent que le cimeterium
de l’église ou de Saint-Seurin (Boutoulle, Atlas Bordeaux, 61-64). — [20] Èpitaphe
mentionnée par le chanoine J.-P.-A. Cirot de la Ville dans la crypte de la collégiale et
comportant la mention : hoc cemeterium porta murisque firmavit (Cirot, Origines
chrétiennes, 208). — [21] À ce sujet, S. Lavaud, « Le temporel de la collégiale Saint-
Seurin de Bordeaux au Moyen Âge : pouvoirs et espaces de pouvoirs », dans Cartron et
al., Saint-Seurin, 269-374. — [22] Acte du 16 avril 1270, Cartulaire Saint-Seurin, 241.
— [23] Vidimus du testament daté de 1263, Cartulaire Saint-Seurin, 298. — [24]
L’église est mentionnée en 1270 dans un acte du cartulaire (Cartulaire Saint-Seurin,
241) ainsi que dans un passage de la chronique saintongeaise du XIIIe siècle (Chronique
saintongeaise, 322-323). — [25] Cirot, Origines chrétiennes, 218. — [26] Description
de l’abbé Nau-Dumontet qui signale également qu’en 1650 on y célébrait encore des
messes pour les morts (Abbé Nau-Dumontet, Continuation des amusements de la Piété
ou histoire abrégée des Reliques et autres Anciens Monuments de Piété, de l’Insigne
Église Collégiale de Saint Seurin-lès-Bordeaux, Bordeaux, 1759). — [27] Sur les
lanternes des morts en Aquitaine, C. Treffort, « Les lanternes des morts : une lumière

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1267, prend place sur l’une des moulures de la porte trilobée 18. Le mur de clôture du
cimetière n’est pas mentionné avant la fin du Moyen Âge 19. Une autre épitaphe, celle de
Gaillard de Puilly, mort en 1468, mentionne que le sacriste « entoura le cimetière de
murs et y fit faire des portes » mais il pourrait déjà s’agir d’une restauration20.
Juridiquement, la collégiale et le cimetière étaient inclus dans la sauveté de Saint-
Seurin, dont la première mention remonte au début des années 1180, mais dont les
limites ne sont connues qu’à la fin du Moyen Âge21.

L’insuffisance de l’espace cimétérial se manifeste probablement dès le XIIIe siècle


puisque les « charniers vieux » et « neuf » sont signalés dans un acte de 1270 22. Il
convient probablement d’y reconnaître des ossuaires résultant du nettoyage du cimetière
protectrice ? À propos d’un passage du De Miraculis de Pierre le Vénérable », dans
Cahiers de recherche médiévale, 8, 2001, La protection spirituelle au Moyen Âge, 143-
169. — [28] Ce phénomène a été bien montré par Baillet, Mémorial des saints, 103-106.
Le souhait de faire remonter l’histoire d’un lieu aux origines apostoliques n’est pas
unique mais caractérise bien les XIe-XIIe siècles. — [29] Le cimetière de Saint-Seurin
est présenté comme le cimetière (cimiterium) « consacré dès l’époque de l’Eglise
primitive » (ad initio primitive ecclesiae consecratum), notice de 1081, Cartulaire Saint-
Seurin, n°16, 18. — [30] P. Henriet, « Res gesta scripti memorie comendare. Rufat et le
premier cartulaire de Saint-Seurin (années 1160-1190) », dans Cartron et al., Saint-
Seurin, 129-140. — [31] Plus de 130 manuscrits du Pseudo-Turpin sont conservés ; à ce
sujet, A. Hämel, « Los Manuscro-itos del Falso Turpino », dans Estudios dedicados a
Menéndez Pidal, 4, Madrid,1953, 67-85 ; Liber sancti Jacobi, XXII. — [32] Chronique
saintongeaise, 289. — [33] Lopès, Église Saint-André, I, 319 et 333-334. L’inscription
avait déjà disparu à la fin du XIXe siècle lorsque Camille Jullian publie son ouvrage sur
les inscriptions de Bordeaux (C. Jullian, Inscriptions romaines de Bordeaux, Bordeaux,
1890, II, 19-20). — [34] Le texte comporte la mention supplémentaire : in specie
cujusdam archiepiscopi apparens. Lopès, Église Saint-André, 333. — [35] Sept
sarcophages, entiers ou fragmentaires, sont mentionnés dans l’inventaire de B.
Christern-Briesenick (B. Christern-Briesenick, Typologie und Chronologie der südwest-
gallischen Sarcophage, Frankreich, Algerien, Tunesien, Mayence, 2003, 97-101). Ils
sont conservés dans la collégiale et au Musée d’Aquitaine à Bordeaux. Jusque dans les
années 1990, ces sarcophages étaient datés entre le Ve et le VIe siècle ; leur datation est
maintenant plutôt attribuée au Ve siècle (D. Cazes, « Les sarcophages paléochrétiens
sculptés en marbre de Toulouse et la nécropole Saint-Sernin », dans C. Sapin (dir.),
Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Age (Ve-XIIe siècles), Actes du
colloque international tenu à Poitiers, Turnhout, 2007, 93-101). — [36] Chronique
saintongeaise, 287 : E Turpin entra en l’iglise e trova en un marbre les rendes que
l’iglise avoit, e les vertuz que i estoient. — [37] Ce monument a été détruit en 1852 et le
sarcophage, estimé ancien, a été alors descendu dans la crypte. Pour le détail concernant
cet édicule, Baillet, Mémorial des saints, 110-111. Une autre cuve sculptée sert encore
de base d’autel dans la chapelle Saint-Étienne, au sud de la nef. — [38] Ces
sarcophages, aujourd’hui dispersés, figurent sur plusieurs gravures anciennes. — [39] La
chronologie de la crypte est encore très incertaine ; toutefois, la préservation d’un
monument primitif dans la construction des XIe-XIIe siècles ne fait pas de doute (A.
Michel, avec la collaboration de I. Cartron, J.-L. Piat, « Étude archéologique de la
crypte : observations préliminaires », dans Cartron et al., Saint-Seurin, 197-205). Il est
cependant impossible de savoir si les chanoines avaient alors attribué une fonction

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devenu alors trop exigu pour accueillir les nouvelles sépultures. Le « charnier neuf »
aurait été initié par le doyen du chapitre, Gaillard Lambert, qui l’évoque dans son
testament en 126323. Le recoupement des informations permet de localiser ces ossuaires
à proximité de deux églises secondaires édifiées dans l’enceinte du cimetière, l’église
Saint-Georges et la chapelle du Saint-Esprit. Ces deux lieux de culte ont été détruits au
XVIIIe siècle mais leur emplacement est encore lisible sur les plans du quartier levés à
l’époque moderne (figure 2). Au sud, l’église Saint-Georges pourrait avoir présenté une
orientation nord-sud ; elle est qualifiée à l’époque moderne de « vieille église » et est
mentionnée à partir du XIIIe siècle dans les actes du cartulaire ainsi que dans la
chronique saintongeaise24. Plus à l’ouest, la chapelle du Saint-Esprit devait présenter un
plan centré, hexagonal, en lequel on a voulu voir au XIXe siècle un ancien baptistère ou
spécifique à ce mausolée antique. — [40] Les textes antérieurs mentionnent des tombes
prestigieuses à Blaye et à Belin mais seul l’olifant de Roland est signalé à Saint-Seurin
(notamment dans la Chanson de Roland et dans le guide du pèlerin), voir Moisan,
Sépultures Roncevaux et Baillet, Mémorial des saints, 101. — [41] Une étude plus
approfondie sur les personnages nommés serait à mener. On note qu’il s’agit en majorité
d’aquitains dont Gaifier le roi de Bordeaux et Engelerus le duc d’Aquitaine. À la même
période, les chanoines de Saint-Seurin entretiennent des relations étroites avec les
comtes de Bordeaux, cf. F. Boutoulle, « L’investiture au comté de Bordeaux à Saint-
Seurin : un rite sans précédents locaux », dans Cartron et al., Saint-Seurin, 255-265. —
[42] Les différents passages interpolés enrichissent les descriptions. L’interpolation D :
mentionne le « saint cimetière » et l’inhumation de 3000 chrétiens morts à Pampelune
(Chronique saintongeaise, 301) ; l’interpolation E évoque 150 barons inhumés à Saint-
Seurin après la prise de Montjardin (Chronique saintongeaise, 303) et surtout
l’interpolation H rapporte une distribution des sépultures plus précise (cimetière, église
Saint-Georges à côté de l’autel, église Saint-Vincent, autel Saint-Pierre, devant le pilier
vermeil qui descend au sépulcre, autel de Sainte-Marie près du cloître…) (Chronique
saintongeaise, 322-323). — [43] À l’instar d’autres nécropoles du Poitou, par exemple
celle de Civaux, voir R. Louis, « Cimetières mérovingiens et chansons de geste », dans
Études mérovingiennes. Actes des journées de Poitiers, mai 1952, Paris, 1953, 201-218.
Plus récemment, C. Treffort, « Des sarcophages réels aux légendes épiques : réflexions
autour d’une archéologie littéraire », dans D. James-Raoul, C. Thomasset (dir.), De
l’écrin au cercueil. Essai sur les contenants au Moyen Âge, Paris, 2007, 93-116. — [44]
La stratigraphie est extrêmement complexe et les niveaux du Moyen Âge n’ont pas été
fouillés avec soin. Plus de 160 sarcophages ont été extraits de la fouille de 1909. La
documentation disponible permet de recenser plus de 400 sépultures avec une
proportion de 271 sarcophages, voir D. Barraud, I. Cartron, J.-F. Pichoneau, N.
Sauvaitre, « La nécropole de Saint-Seurin à la fin de l’Antiquité : un complexe
monumental revisité », dans Cartron et al., Saint-Seurin, 45-63. — [45] Dans la région
Aquitaine, les sarcophages en calcaire de l’Antiquité tardive sont rectangulaires et
particulièrement massifs. — [46] Voir notamment G. Rougé, I. Cartron, D. Castex, T.
Grégor, « Les sarcophages en calcaire du site de « La Chapelle » à Jau-Dignac et
Loirac : de la fabrication à l’utilisation », dans I. Cartron, F. Henrion, C. Scuiller (dir.),
Actes des XXXe journées Internationales d’Archéologie Mérovingienne, Bordeaux, à
paraître 2011. — [47] Le premier est attribué à l’année 1081, le second ne comporte pas
de date mais a été attribué par J. A. Brutails entre 1086 et 1091 (Cartulaire Saint-Seurin,
n° 16 et 17, 18 et 20). — [48] Acte mentionné et rapporté dans Lopès, Église Saint-
André, 189. La date exacte de la consécration n’est pas avancée, elle a peut-être eut lieu

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une lanterne des morts25. Une description sommaire, antérieure à sa destruction, évoque
un escalier étroit, des fondations profondes et la présence d’un ossuaire au rez-de-
chaussée qu’il convient peut-être d’identifier avec le « charnier neuf »26. L’édifice était
peut-être comparable à la chapelle funéraire de Sarlat en Dordogne, attribuée aux
années 1180, qui abritait aussi un charnier et une chapelle de plan centré27.

Cette brève enquête archéologique ne permet donc pas de restituer la topographie du


cimetière avant le XIIIe siècle, la présence d’une clôture n’étant pas assurée avant la fin
du Moyen Âge. Les fouilles archéologiques réalisées sur une partie du cimetière
attestent toutefois d’une occupation continue entre l’Antiquité tardive et l’époque
Moderne. On y lira surtout un enrichissement progressif de cet espace funéraire dont le
texte du Pseudo-Turpin rapporte qu’il fit l’objet d’une consécration miraculeuse.

II. LA QUESTION DE LA CONSÉCRATION ET DE LA MÉMOIRE DU SITE

En effet, d’après le passage du livre du Pseudo-Turpin, ce qui fait du cimetière de Saint-


Seurin un espace « sacro-saint », c’est le rituel de consécration, attribué aux temps
apostoliques et effectué par sept évêques à l’instar de celui des Alyscamps à Arles.
Aucun témoignage écrit ne permet de dire que ce récit de consécration a été élaboré à
Saint-Seurin ; il s’inscrit toutefois très bien dans l’entreprise que mènent alors les
chanoines pour placer leur église dans la mémoire des premiers temps chrétiens en
valorisant le culte de Martial de Limoges par exemple 28. Une allusion à une
consécration légendaire du cimetière figure également dans une notice du cartulaire,
attribuée à l’année 108129. Le contexte et les enjeux de la rédaction de ce recueil ont été
analysés par Patrick Henriet qui a montré combien l’auteur, le sacriste Rufat, a conçu
en même temps que celle de l’église en 1096. On note aussi que c’est à cette période
que se multiplient les consécrations de cimetières. En Aquitaine, c’est le nouvel
archevêque de Bordeaux, Amat d’Oloron, légat et réformateur, qui inaugure le
mouvement. Alors qu’il vient probablement d’être élu archevêque de Bordeaux, il
procède à la consécration d’un cimetière à la pointe de Grave (estuaire de la Gironde) à
la demande de deux ermites qui souhaitent entrer dans l’obédience clunisienne. Sur ces
premières consécrations, E. Zadora Rio, « Lieux d’inhumation et espaces consacrés. Le
voyage du pape Urbain II en France (août 1095- août 1096) », dans A. Vauchez (dir.),
Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires, approches terminologiques, méthodologiques,
historiques et monographiques, Rome, 2000, 197-213. — [49] Le cas bordelais n’est pas
unique et Michel Lauwers a évoqué d’autres cas semblables à Reims, Dijon ou Lobbes.
À ce sujet, Lauwers, Naissance du cimetière, 162-166.

Légendes des figures

Figure 1. Plan historique de Bordeaux au VIe siècle (réalisation : E. Jean-Courret, dans


Lavaud, Atlas Bordeaux, II, 40)
Figure 2. Plan historique de Bordeaux au XIIe siècle (réalisation : E. Jean-Courret, dans
Lavaud, Atlas Bordeaux, II, 65)
Figure 3. Plan levé en 1776 de Saint-Seurin et son cimetière (Archives départementales
de la Gironde, 2Fi 136, publié dans Lavaud, Atlas Bordeaux, III, 46)
Figure 4. Détail du linteau du portail sud de la collégiale de Saint-Seurin (cliché I.
Cartron)

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une œuvre visant à défendre ardemment les privilèges et les intérêts de sa
communauté30. Probablement rédigé entre 1160 et 1182, le cartulaire serait donc
légèrement postérieur au texte du Pseudo-Turpin. À défaut de pouvoir déterminer
l’origine de la légende de cette consécration miraculeuse, l’allusion faite dans la notice
du cartulaire atteste que des récits semblables circulaient au milieu du XIIe siècle au
sein de la communauté bordelaise.
Par ailleurs, plusieurs indices laissent à penser que les chanoines ont su en tirer profit
par la suite. Le récit de cette consécration miraculeuse connaît en effet une diffusion
importante dès le XIIIe siècle qu’il faudrait de mieux cerner. Le récit du Pseudo-Turpin,
inclus dans le Codex calixtinus, a fait l’objet de nombreuses copies tout au long du
Moyen Âge31. La consécration est également rapportée dans la Chronique saintongeaise,
œuvre écrite en langue vernaculaire au XIIIe siècle par un auteur très au fait de
l’histoire de la collégiale bordelaise32. Ce texte figurait aussi sur une inscription
lapidaire de la collégiale qui a malheureusement disparu et demeure très mal datée. En
1668, le chanoine Lopès indique dans son ouvrage sur l’Église de Bordeaux « une
inscription ancienne qu’on lit encore sur la muraille de cette église [Saint-Seurin]
marque sa sainteté et son antiquité. Je n’entre pas en discussion si la chose est véritable
ou non »33. L’auteur prend tout de même soin de copier le texte de l’inscription et l’on
constate alors un ajout singulier par rapport au texte du Pseudo-Turpin puisque le Christ
serait apparu en personne sous les traits d’un archevêque34.
Par ailleurs, les chanoines se sont aussi probablement appuyés sur des preuves
matérielles pour asseoir l’ancienneté de leur communauté. Si une partie des sarcophages
en marbre sculptés dits de l’école d’Aquitaine et attribués au Ve siècle a été mise au
jour au XIXe siècle seulement, on peut penser que certains d’entre eux étaient déjà
visibles au Moyen Age35. Au XIIIe siècle, la Chronique saintongeaise rapporte que
Turpin pénètre dans l’église Saint-Seurin et y trouve « un marbre avec des reliques » en
lequel on peut sans doute reconnaître l’un des sarcophages transformé en reliquaire 36.
Un autre sarcophage semble avoir été placé dès la fin du Moyen Âge dans un édicule
gothique situé derrière le maître-autel du chevet de la collégiale 37. À l’époque Moderne,
plusieurs sarcophages sculptés se trouvaient sous des enfeux dans l’ancienne galerie
orientale du cloître38. À ces quelques vestiges lapidaires, il convient d’ajouter que l’un
des mausolées de la nécropole primitive, attribué au IVe siècle, a fort probablement été
enchâssé dans la crypte romane de la collégiale ce qui témoigne du souci de la
communauté à s’inscrire dans la mémoire de l’occupation ancienne du site39.
Le texte du Pseudo-Turpin est également le premier à faire du cimetière de Saint-Seurin
le lieu d’inhumation d’une partie des compagnons de Charlemagne 40. Le chapitre 29
mentionne la sépulture de 9 grands ainsi que de 15 000 autres guerriers 41. Au XIIIe
siècle, la Chronique saintongeaise va considérablement amplifier cette légende en
localisant plus précisément certaines de ces sépultures 42. Là aussi, les chanoines ont
manifestement su tirer profit des vestiges existants alors43. En effet, les fouilles réalisées
à l’emplacement du cimetière de Saint-Seurin par Paul Courteault en 1909 puis par
Raymond Duru dans les années 1960 donnent une idée de l’effet que pouvait produire
cette nécropole (figure 3). Elles ont révélé un spectaculaire amoncellement de
sarcophages, pour la plupart attribuables au haut Moyen Age 44. Ces sarcophages
appartiennent à un type particulier, distinct de celui de la fin de l’Antiquité 45. Il s’agit de
cuves trapézoïdales, comportant le plus souvent un décor de stries sur les parois
extérieures. La révision récente de la datation de ces sarcophages « à stries et à
chevrons » permet de les attribuer à une période plus large, allant du VIe au VIIIe siècle

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inclus46. Il est donc intéressant de constater qu’à Saint-Seurin les deux grands types de
sarcophages, ceux de l’Antiquité tardive et ceux des VIe-VIIIe siècles, n’ont pas été
rattachés à des légendes similaires : les premiers ont pu servir à asseoir les origines
chrétiennes du lieu alors que les seconds ont davantage témoigné d’une présence
carolingienne.

Le récit du Codex Calixtinus a contribué à accroître le rayonnement du cimetière de


Saint-Seurin, notamment à partir du XIIIe siècle. Il s’inscrit également dans un contexte
local de rivalité pour les droits de sépultures dans la cité bordelaise qui remonte à la fin
du XIe siècle.

III. UN CONTEXTE LOCAL DE CONFLIT AUTOUR DES CIMETIÈRES

Comme nous l’avons dit plus haut, le texte du Pseudo-Turpin serait contemporain de
l’élaboration du cartulaire de Saint-Seurin, dû au sacriste Rufat. L’auteur a inséré au
début du recueil deux notices concernant un conflit sur les droits de sépultures entre les
chanoines de Saint-Seurin et ceux de la cathédrale. Si les textes sont datés de la fin du
XIe siècle47, la formulation des notices ne permet pas de douter de l’interventionnisme
de l’auteur du cartulaire. Il est cependant difficile de démêler dans ces textes les
éléments qui relèvent de la première rédaction de ceux qui ont pu être ajoutés par Rufat.
Quelques remarques peuvent toutefois être formulées.
Le premier texte rapporte comment l’archevêque Goscelin (1059-1086) renonce au droit
de sépulture pour sa cathédrale en faveur de Saint-Seurin. L’origine du conflit est
attribuée aux chanoines de Saint-André qui viennent dérober à Saint-Seurin le corps
d’un miles et l’emportent à la cathédrale illégalement pour l’inhumer. Les frères de
Saint-Seurin avancent alors plusieurs arguments en faveur de leur bon droit : le chapitre
est présenté comme « l’institution des saints pères », et « l’authentique autorité des
chanoines » doit prévaloir face à l’audace de la congrégation de Saint-André qui a
décidé de fonder un cimetière « moderne » dans son église (alterum in sua cepit
ecclesia fundare modernum). De plus, le cimetière de Saint-Seurin « consacré dès
l’époque de l’Église primitive » (ad initio primitive ecclesiae consecratum) doit
conserver sa prééminence. La seconde notice est le compte-rendu d’un jugement rendu
quelques années plus tard (entre 1089 et 1091) par l’archevêque et légat Amat d’Oloron,
à la suite d’une médiation de l’abbé de Sainte-Croix, et qui confirme le droit de la
collégiale en matière de droit de sépulture.
De fait, le contexte des dernières décennies du XIe siècle laisse supposer de réelles
tensions entre les deux communautés. Dans une bulle datée du 3 mai 1099, le pape
Urbain II rappelle sa récente consécration d’un nouveau cimetière près de la cathédrale
de Bordeaux48. Cet événement a suscité un conflit d’intérêt avec les chanoines de Saint-
Seurin, mentionné dans le protocole initial de la bulle pontificale qui confirme le droit
de sépulture aux chanoines de la cathédrale. Situé extra-muros, le cimetière de Saint-
Seurin constituait l’un des plus importants de la cité : il n’est pas exclu qu’il ait accueilli
les sépultures de certains évêques comme le rappelle la seconde notice du cartulaire. La
mise en place d’un nouveau cimetière à proximité de la cathédrale, à l’intérieur de la
ville, pouvait donc être perçue comme un affaiblissement du pouvoir de la communauté
canoniale. Elle marque également un changement notable dans la répartition des espaces
réservés aux morts dans la ville, en rupture avec une longue tradition qui interdisait
l’inhumation des défunts intra-muros.

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L’apposition des deux notices relatives à ces conflits en tête du cartulaire suggère donc
que la polémique n’était pas encore éteinte au milieu du XIIe siècle. L’allusion à une
consécration du cimetière de Saint-Seurin remontant aux temps apostoliques dans la
première notice se comprend mieux face à l’émergence d’un nouveau pôle consacré à
l’intérieur de la ville. Le recours à l’invention d’une consécration miraculeuse du
cimetière se justifierait alors pleinement. Nous ne disposons cependant pas du « texte
manquant » qui permettrait de faire le lien entre ce contexte bordelais et le récit de la
consécration miraculeuse figurant dans le livre du Codex calixtinus.

ÉLÉMENTS DE CONCLUSION

La première mention du cimetière « sacro-saint » de Saint-Seurin remonte au milieu du


XIIe siècle. La sacralisation de cet espace funéraire s’est fortement ancrée au siècle
suivant grâce à l’élaboration et à la diffusion de nouveaux textes tout en tirant fort
probablement parti des preuves matérielles de l’ancienneté des inhumations. En effet,
l’émergence de ce nouveau pôle sacré s’appuie manifestement sur les supports de la
mémoire du site (et notamment sur la présence de plusieurs types de sarcophages) qu’il
s’agisse des premiers temps chrétiens ou de la période carolingienne. L’invention d’un
récit de consécration miraculeuse, dont l’origine reste énigmatique, participe au
processus de sacralisation en réactivant cette mémoire. Enfin, la création de ce pôle
sacré n’est probablement pas étrangère aux enjeux de pouvoir qui se jouent alors autour
de la détention des droits de sépulture entre les deux plus anciennes communautés de
chanoines de la cité bordelaise49. Le rapport entre morts et vivants au sein de la ville a
lentement changé au cours du haut Moyen Age mais les conflits naissent surtout au
moment où le cimetière est devenu un espace polarisé, plus nettement défini et investi
par les communautés religieuses.

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