Vous êtes sur la page 1sur 22

Saint Benoît de Nursie (v.

480-490-547)

Bibliographie.

Sofia Boesch Gajano, Grégoire le Grand, Le Cerf, Coll. Cerf histoire, 2007, 230 pages.
Adalbert de Vogüé,osb, Autour de saint Benoît , Editions Abbaye de Bellefontaine, collection Vie
Monastique n°4, 1975.
Dom Ildefons Herwegen, osb, (abbé de Maria Laach), Saint Benoît. Pour le 1500ème anniversaire
de la naissance de saint Benoît, Desclée de Brouwer, 1980.
Alain Boureau (sous la dir.), Jacques de Voragine, La Légende dorée, « Bibliothèque de la
Pléiade », Gallimard, 2004.
Bernard Desgranges Colomban a-t-il existé ? Mythe et réalité, 2007, 300 pages, 60 illustrations.
B. Merdrignac, J.P Arrigon, C.Treffort : Christianisme et Chrétienté en occident du milieu du VIIème
au milieu du XIème siècle, éd. Ophrys.
J. B. Cornelius, Saint Colomban : Le randonneur de Dieu, éd. Fernand Lanore - Sorlot, Paris, 1992.
Gilles Cugnier, Le monastère Saint-Jean-Baptiste d'Annegray, éd. Dominique Guénot / Amis de
Saint Columban, Langres Saint-Geosmes, 1997.
Paule de Gimazane, Le Mystère de Saint-Colomban, pièce en 3 actes en vers avec un prologue et
des intermèdes, éd. de la Tour du Guet, Paris.
Jean Markale, Le périple de Saint Colomban, éd. Georg, Genève, 2001.
Gilles Cugnier, Histoire du monastère de Luxeuil à travers ses abbés, t. I « Les trois premiers
siècles 590-888 », éd. Guéniot, 2003, 320 pages, 121 illustrations ; tome 2 « 895 à 1495 », éd.
Guéniot 2004, 197 pages, 75 illustrations ; tome 3 « Les trois derniers siècles », éd. les Amis de
Saint Colomban 2005, 268 pages, 135 illustrations.
M.-L. Jacotey, Saint Colomban apôtre de l'Occident, Imp de la Plaine des Vosges.
M.-M. Dubois, Un Pionnier de la Civilisation Occidentale Saint Colomban, éd. Alsatia, Paris,
1950.
Marguerite Henry-Rosier, Dans la barbarie mérovingienne Saint-Colomban, éd. SPES, Paris, 1950.
Abbé J. Auffret, Saint-Coulomb des origines à nos jours, éd. les Presses bretonnes, 1982.
Cécile Labaronne, Le voyage de Saint-Colomban, mémoire de maîtrise dactylographié, 2001.
Ivan Gobry, De saint Colomban à saint Boniface, éd. Fayard 1987.
B. Meriot, Colomban ou le christianisme dans l'Est", éd. Pasteur.
« Étude physiologique du mode de l'eau de Saint-Colomban », dans Bulletin de l'Académie de
Médecine, 1933.
Gengenbach, L'expérience démoniaque racontée par Frère Colomban de Jumièges, éd. de Minuit
1949.
E. Boillon, Vie abrégée et populaire de saint Colomban, Imp. Paul Valot, Luxeuil, 1924.
Bernard Anderes, L'ancienne abbaye de Saint-Gall, 1991.
Dom Adalbert de Voguë, Regards sur le monachisme des premiers siècles, éd. Roma 2000.
Dom Adalbert de Voguë, Règles et pénitentiels monastiques, éd. de l'abbaye de Bellefontaine, 1989.
Jonas de Bobbio, Vie de Saint-Colomban et de ses disciples (traduction par Dom Adalbert de
Voguë), éd. de l'abbaye de Bellefontaine, 1988, 281 pages.
Henrit Parat, L'abbaye de Luxeuil - Hier et aujourd'hui, éd. les Amis de Saint-Colomban, 1994, 91
pages.
Il y a 1 400 ans… Colomban…, BD?, éd. du Cercle Girardot, Lons-Le-Saunier, 1990?, 64 pages.
Richard Kearney, La chute de Samuel, éd. Joëlle Losfeld, 1997.
Richard Kearney, À la recherche de Raphaëlle, éd. Joëlle Losfeld, 1998.
P. Manceron, Histoire de Saint-Colomban, éd. Hérault, 1947.
Dom Jean Laporte, Le pénitentiel de Saint-Colomban, éd. Desclée 1958.
P. Alain, Une fleur diépoise Berthe Lefebvre sœur Marie-Saint-Colomban, éd. de la Maison St-
Antoine-Blois 1932.
Léon Cathlin, À la Lumière des Brebis, imp. Jacques et Demontrond Besançon 1941.
Saint-Ursanne. Guide de la Collégiale, imp. Le Pays Porrentruy 1995.
Abbé J. Roussel, Saint-Colomban et l'épopée colombanienne, éd. Servir, Baume-les-Dames, 1942.
3

I – L'essor du monachisme occidental au Vème-VIème siècle.

En 430, le monachisme n'est qu'à ses balbutiements en Occident. Comme nous l'avons vu en
traitant de S. Martin (+ 397), l'organisation des monastères en Gaule ne date que de la seconde
moitié du IVème siècle, avec la fondation martinienne de Ligugé, plus ancien monastère des Gaules
fondé en 361, et pourtant le système est déjà solidement implanté.
Nous nous souvenons que le monachisme cherche à prendre le relais des persécutions et se
positionne d'emblée comme une réaction au christianisme dans la société. D'une sorte d'anarchie
charismatique va naître une organisation par l'adoption de Règles et la surveillance de l'Eglise par
l'intermédiaire de évêques.
Au début du Vème siècle fleurit un développement rapide et massif. Les moines deviennent
très nombreux et la vie monastique se révèle très dynamique, et le monachisme celtique donnera un
élan missionnaire sans comparaison. La Règle de S. Benoît rédigée vers 560 témoigne de sa
richesse. Elle sera universellement connue et jouira d'une immense et féconde postérité, jusqu'à nos
jours.

1 – Le développement du monachisme au V et VIème siècle.

Toutes les régions de la partie occidentale de l'Empire Romain connaissent l'implantation de


monastères, bien que la répartition soit très inégale d'une contrée à l'autre. La Gaule du Nord et de
l'Ouest se développe à partir de Poitiers et de Tours, sous l'influence de Saint Martin. Celle de
Rome sera plus tardive, bien qu'elle deviendra très importante sous le pape Grégoire 1er le Grand,
moine lui-même.
Le développement le plus spectaculaire vient de [Grande]-Bretagne et d'Irlande, pays
n'appartenant pourtant pas à l'Empire Romain et évangélisé par saint Germain d'Auxerre1. Mais en
Irlande au Vème siècle, le christianisme est essentiellement monastique, ce qui fait de la chrétienté
irlandaise une Eglise quasi exclusivement monastique. Face à ce monachisme apparaîtra bientôt
celui des Anglo-Saxons.
En Gaule méridionale, c'est Arles, Lérins, les îles d'Hyères, Marseille avec Honorat, Jean
Cassien, à la fois de culture grecque et latine, disciple de Jean Chrysostome (+ v. 435) et qui sera en
relation avec Saint Augustin, Maxime et Fauste, abbés de Lérins puis évêques de Riez, Césaire
d'Arles qui sera l'auteur d'une Règle pour les moniales (Regula Casarii ad Virgines – ACV), sera
adoptée par les nonnes de Ste Croix de Poitiers, communauté fondée par sainte Radegonde (+ 587),
épouse du roi mérovingien Clotaire Ier.

1 - Germain d'Auxerre ou saint Germain l’Auxerrois est né v. 378 à Appoigny près d'Auxerre dans l'Yonne. Il
est mort le 31 juillet 448 à Ravenne en Italie. C'était un religieux de l'Antiquité tardive. Rustique et Germanille, père et
mère de Germain, étaient au IVème siècle, seigneurs d'Appoigny. Germain fut évêque d’Auxerre de 418 à 448, à la suite
de saint Amatre, qui selon la légende l’aurait désigné contre son gré. Il lutta contre le pélagianisme, en collaboration
avec son ami l'archevêque d'Arles Hilaire. Comme lui, il alla combattre l'hérésie particulièrement en Bretagne où il fut
accueilli par Elaf. Mort à Ravenne, son corps fut ramené à Auxerre selon ses dernières volontés. Cinq jeunes filles
furent choisies pour accompagner sa dépouille. Pallaye, Magnance, Procaire, Camille et Maxime. Eprouvées par leur
voyage, elles mourront avant d'atteindre leur but, donnant nom à plusieurs villages de l'Yonne dont Sainte-Magnance,
Sainte-Pallaye et Escolives-Sainte-Camille. Germain fut enterré à l’endroit où il écrivit son premier journal ; c'est là que
s’élève aujourd’hui l’abbaye qui porte son nom à Auxerre.
4

Le nord de la Gaule n'est pas encore pourvu, à part une petit communauté de femmes aux
portes d'Amiens fondée sur les lieux où Martin de Tours avait partagé son manteau. Mais l'histoire
de ce monastère n'a pas laissé de traces dans l'avenir.
A Tours, Marmoutier ne survivra guère à saint Martin et le monastère restera vide pendant
une cinquantaine d'années avant de reprendre vie à la fin du Vème siècle2.
A Poitiers, la vie monastique s'organise avec Ste Radegonde, alors que Ligugé disparaît des
documents jusqu'au VIème siècle.
Beaucoup d'autres monastères apparaissent: en Normandie, dans le Nord avec Calais, dans
le Sud-Ouest à Bordeaux, Angoulême3, Terrasson, Bazas, St Sever, etc. A Paris, Saint Germain des
Près. On compte plus de 200 fondations d'importance variable et d'une grande diversité. Il faut
attendre le VIIème siècle pour trouver de grands monastères dans le nord de la France.
Selon les travaux du charentais Christian Courtois4 en 1956, on peut considérer qu'entre
360 et 390, il y eut trois phases de fondations:
• un accroissement lent jusque vers 400
• une accélération entre 400 et 475
• une explosion entre 475 et 590 ( c'est-à-dire, multipliées par 10)
il retient 212 fondations en 230 ans.

Un autre enquête entreprise par H Atsma5, spécialiste de l'ordre de Cluny, en 1974, compte
220 fondations à la fin du VIème siècle, dont 80 à 90 étaient urbains, avec 35 à 40 établissements
dans le nord de la Gaule.

2 – Les origines du monachisme régulier.

On sait qu'à la suite d'un premier développement, le monachisme a connu à la fin du IVème et
au début du Vème siècle, une crise qui a remis en cause ses structures mêmes. Pour y parer, on a
tenté en Occident de canaliser la puissance anarchique, la vie jaillissante, les aspects pneumatiques
du monachisme, grâce à des textes normatifs qui sont appelés Règles, inspirées de celle de Saint
Basile et de Saint Pakhôme, en passant, comme nous l'avons vu dans les leçons précédentes par
Saint Augustin vers 400-410 avec son Praeceptum pour les laïcs et son Ordo monasterii pour les
clercs; Jean Cassien dans ses Institutions cénobitiques et ses Conférences en 425-428.

2 Luce Pietri, La ville de Tours du IVème au VIème siècle, naissance d'une cité chrétienne, Rome, 1983.
3 - Le premier évêque d'Angoulême est saint Ausone d'Angoulême au IIIème siècle

4 - Christian Courtois est né à Cognac le 20 juillet 1912. Bachelier en 1930, il obtient sa Licence d'Histoire-
Géographie en 1933, puis est reçu à l'Agrégation en 1935. Étudiant à la Sorbonne, il est notamment l'élève du grand
historien Jérôme Carcopino, un des plus célèbres spécialistes de l'Empire romain. Devenu professeur, il part pour
l'Algérie française et enseigne d'abord au Lycée d'Alger (1935), avant d'être appelé plusieurs fois sous le drapeau
français, d'abord en 1936-1937, puis pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1939-1940 et en 1942-1945. Après la
guerre, le 1er octobre 1945, il est chargé de cours à la Faculté de Lettres d'Alger. Auteur de nombreux ouvrages, traitant
notamment de l'Afrique romaine, puis vandale, il écrit entre autres, Les Vandales et l'Afrique (Paris, 1955), livre bien
documenté sur la période vandale (429-534). Le 7 août 1956, âgé de 44 ans, il est victime d'un accident de voiture et
perd connaissance : il meurt le lendemain à l'hôpital.
5 - H. Atsma, « Les monastères urbains du nord de la Gaule », RHEF, 168, 1976 p. 163-167;
Pierre Riché, La christianisation des pays entre Loire et Rhin (IVème-VIIIème siècle), Paris, 1993
5

Ces écrits sont des textes fondateurs qui revêtent une importance essentielle et auront une
influence considérable. Désormais la vie monastique ne peut être conçue sans une Règle. On
compte d'abord la Règle des Quatre Pères écrite vers 4506.
Cette petite règle se présente sous l'aspect d'un procès verbal d'une assemblée d'abbés qui se
seraient réunis pour préciser la discipline et l'organisation des monastères7.
Ils traitent, après quelques traits généraux, du rôle des supérieurs, de l'organisation
matérielle du monastère et de l'admission dans la communauté, avec un appendice concernant les
punitions. Nous avons-là tous les ingrédients d'une Règle.
Certains ont pensé qu'il s'agissait d'une fiction littéraire au regard des noms des abbés :
Séripion, Paphnuce, Macaire et l'autre Macaire8, mais les synodes d'abbés sont connus en Gaule et
attestés. Cette Règle sera diffusée largement en Gaule, en Germanie, en Italie, mais ni en Espagne,
ni en Afrique. Si en Espagne, les spécialistes n'en voient pas bien la raison, en Afrique le recul est
du à l'invasion des Vandales qui a anéanti la vie monastique. En effet, en 428, Genséric devient roi
des Vandales et des Alains, succédant à son demi-frère Gundéric, sans doute tué empalé par des
Suèves . Attiré par la richesse de l'Afrique romaine, encore épargnée par les Barbares, qu'il a
découverte en Maurétanie, et devant l'épuisement des richesses de la province romaine de Bétique,
actuelle Andalousie, certainement aussi par peur des Goths, leurs ennemis héréditaires, de plus en
plus puissants et entreprenants, il regroupe son armée et son peuple, qu'il compte minutieusement
pour les besoins de la traversée du détroit, et réunissant ainsi environ 80 000 individus dont 15 000
à 20 000 guerriers, selon les sources contemporaines comme Victor de Vita, homme d'église
berbère. L'« armée » ainsi constituée accomplit la traversée du détroit de Gibraltar au printemps 429
et entre dans l'actuelle Algérie, pour atteindre Hippone (Bône : Annaba), la ville de Saint Augustin,
en mai ou juin 430. La ville tombe à la suite d'un long siège en 431, durant lequel meurt le célèbre
évêque. Les Romains reconnaissent l'établissement des Vandales en Algérie orientale et en Tunisie,
et tentent de les apaiser en signant un traité avec eux (fœdus), en 435. Néanmoins, les Vandales
reprennent leur progression le long de la côte, pour prendre Carthage sans grande résistance, le 19
octobre 439.
De 429 à 439, les Vandales conquièrent une partie des territoires situés sur la côte Nord-
africaine, et s'établissent durablement en Algérie orientale, leur capitale était la ville de Bougie en
actuelle Kabylie de 429 à 439, et en Tunisie. Ils contraignent Rome à établir un traité (fœdus) avec
eux par deux fois (en 435 et 442), et constituent un original royaume vandale d'Afrique, parfois
nommé « royaume de Carthage », du nom de la riche capitale romaine d'Afrique qu'ils prennent en
439. Le Royaume disparaît par suite d'une intervention de l'armée byzantine. Défaits, les vandales
se replient sur ce qui leur reste de royaume qui est aujourd'hui la région de Kabylie en Algérie, ils
se fondirent dans la population. Plusieurs noms de famille rappellent la présence des Vandales et
des Alains. Les Vandales de la ville de Carthage furent, pour ceux qui étaient capturés, déportés
vers Byzance.
Deux autres textes furent publiés après 533 et répandus en Gaule, en Italie, en Germanie.
S'ajoute aussi la Règle de saint Macaire, cité dans la Vie de Jean de Réoné, moine de Lérins et
publiée en 506-510.
De nombreuses autres règles virent le jour au cours du VIème siècle: celle de Ferréol, évêque
d'Uzès; saint Césaire, évêque d'Arles pour les moniales puis pour le moines; la Règle du Maître et
celle de Saint Benoît de Nurcie. On peut s'étonner de cette multiplicité puisque chaque maître

6 J. Neufirble, Règle des IV Pères et Grande Règle des Pères, texte critique, RB 77, 1967, p. 47-106
7 A. Mundo, « Les Anciens Synodes abbatiaux et les Regulae Patrum » in Studia Anselmiana 44, Rome, 1959.
8 Adalbert de Vogüé, Les Règles des saints Pères, 2 vol. Cerf, SC 297-298, 1982; Luce Pietri, Histoire du
christianisme T.3, Desclée, 1998, p. 935.
6

spirituel, au lieu de se référer à une règle déjà rédigée, en écrit une nouvelle sous son nom, où en
fait il pille allègrement celles de ses prédécesseurs, comme ce sera le cas d'Aurélien qui utilise
abusivement la Règle de saint Césaire d'Arles.
Césaire d'Arles est né vers 470 à Chalon-sur-Saône et mourut le 26 août 542 à Arles. Il fut
archevêque d’Arles de décembre 502 jusqu'à sa mort. Né en territoire burgonde de parents
catholiques et probablement gallo-romains, Césaire fut admis à l'âge dix-huit ans dans les rangs du
clergé de sa ville natale par l'évêque Silvestre (484-526). Il devient ensuite moine au monastère de
Lérins à l'âge de 20 ans; il y est l'élève de Julien Pomère. Il est ensuite reçu dans le clergé d'Arles,
où l'évêque Eone, avec qui il est apparenté, l'ordonne diacre, puis prêtre en 499, et lui confie la
direction d'un monastère situé en face de la cité, soit à Trinquetaille, soit sur une île du Rhône,
probablement l'île de la Cappe. C'est dans ces circonstances qu'il rédige la Regula ad monachos.
Après la mort d'Eone en 501 ou 502, il devient évêque d'Arles probablement en décembre 502, mais
continue à vivre comme un moine, exigeant que le clergé soit exemplaire. Suspect aux rois ariens
wisigoths, Alaric II jusqu'en 507 et ostrogoths, Théodoric et ses successeurs, il doit se justifier à
Bordeaux en 505 et à Ravenne en 513, mais gagne à deux reprises la confiance du roi. En 506 il
préside le concile d'Agde dont il a préparé les travaux et suggéré les décisions. C'est également en
513 qu'il fonde, aux Alyscamps, le premier monastère de femmes, transféré à l'intérieur des murs
d'Arles en 524 et appelé monastère Saint-Jean. Il rédige pour ce monastère la Regula sanctarum
uirginum, qui sera par la suite adoptée entre autres par sainte-Radegonde pour son monastère de
Poitiers. Nommé vicaire du Siège apostolique pour la Gaule et l'Espagne en 514, il convoque et
préside plusieurs conciles, celui d'Arles en 524, de Carpentras en 527, de Vaison en 529 et le
deuxième concile d'Orange en 529, sans doute le plus important, qui condamne le semi-
pélagianisme et donne une formulation théologique de la grâce telle qu'elle avait été prônée par
Augustin, contre ceux qui, comme Jean Cassien, donnaient un rôle plus important au libre arbitre.
Les conciles de Valence (en 530), d'Orléans (en 533, 538 et 541) auxquels il n'assiste pas, et celui
de Clermont (en 535), où il se rend, adoptent ses idées.
Après l'annexion de la Provence par les Francs en 536, les relations entre l'archevêque et la
royauté chrétienne deviennent très chaleureuses. Ainsi en 540, un acte de donation de Childebert,
fils de Clovis donne les pêcheries situées au Sud de l'étang de Caronte probablement l'actuel
quartier de Jonquières à Césaire.
Les Archevêques d'Arles deviennent d'importants propriétaires terriens de la région.
Il meurt après 40 années d'épiscopat, le 27 août 542.
Son œuvre se compose essentiellement de sermons, fortement inspirés par la doctrine
d'Augustin. Ces sermons, très concrets, nous renseignent sur la vie quotidienne des arlésiens du
début du VIème siècle; on y voit en particulier que les pratiques païennes sont encore très vivaces.
On lui doit également des traités dogmatiques, notamment le De Mysterio Sanctae Trinitatis contre
les ariens et les pélagiens, les deux règles monastiques
Les nuances sont aussi dues à l'adaptation qu'ils font de ces Règles à une culture donnée ou à
une réflexion chrétienne particulière. Les diverses influences de Basile de Césarée à Benoît de
Nurcie, en passant pas Pakhôme, Cassien, Augustin, le Maître nécessité une bonne documentation
conservée dans les bibliothèques monastiques, des recueils, des codex, ce qui donnera naissance au
IXème siècle, lors de la réforme carolingienne sous Louis-le-Pieux à un Corpus Regularum de
Gennadius, évêque des Asturies; ainsi que le Liber ex regulis de Benoît, abbé d'Aniane9 dont nous

9 - Benoît d'Aniane est né en Languedoc en 750 et meurt en 821. Il est un moine bénédictin dont l'œuvre de
réforme du monachisme est essentielle dans l'essor de l'ordre bénédictin en Europe. Il est l'un des principaux acteurs de
la renaissance carolingienne. Saint Benoit de Nursie avec la Règle et St Benoit d’Aniane, avec le modèle du monastère
d'Aniane, église de Saint-Guilhem-le-Désert. À l'origine, Benoît s'appelait Wittiza, fils d'un noble probablement
d'origine wisigothique nommé Aygulf, comte de Maguelone en Gothie. Son éducation est faite à la cour du roi franc
7

possédons un exemplaire pratiquement d'origine. Mais nous reparlerons de lui dans une prochaine
leçon. Signalons juste qu'il peut être considéré comme le premier historien du monachisme et le
principal diffuseur de la Règle de Saint Benoît.
On passe d'un stade de fondation à un stade d'organisation, d'un maître spirituel
charismatique à un abbé institutionnel10.
Cependant, l'ancien type de monachisme survit, tels les ermites, comme en témoigne par
exemple Grégoire de Tours qui raconte la demande d'une moniale à être définitivement enfermée,
vœu auquel Radegonde accède en la conduisant elle-même dans la cellule dont la porte sera
murée11.
Mais cette vie érémitique est presque toujours d'essence anarchique. Il n'a de règle que celle
qu'il se fixe. Il n'a pas de maître. Il est apprécié des populations car on lui accorde des dons de
guérisseur et de thaumaturge, mais aussi de conseil. Et le mouvement se maintiendra jusqu'à nos
jours, même si l'érémitisme, comme le prévoit d'ailleurs la Règle de Saint Benoît est encadré par
l'abbé d'un monastère. Nous y reviendront en parlant de la Règle dans notre prochaine leçon.
Pour l'instant, voyons de plus près la vie de notre Bienheureux Père Saint Benoît

Saint Benoît de Nursie, vénéré par les catholiques et les orthodoxes est le fondateur de
l'ordre bénédictin et a largement inspiré le monachisme occidental ultérieur.
Il est considéré par les catholiques et les orthodoxes comme le patriarche des moines
d'Occident, à cause de sa Règle qui a eu un impact majeur sur le monachisme occidental et même
sur la civilisation européenne médiévale.
Il est vénéré deux fois dans l'année en Occident, le 11 juillet (fête), date anniversaire de la
translation de ses reliques à l'abbaye de Fleury, et le 21 mars (mémoire), anniversaire de sa mort, et
le 14 mars en Orient.
Lorsque le calendrier romain fut fortement et parfois étonnamment transformé par le pape
Paul VI dans les années 1970, c'est la date du 11 juillet qui a été retenue.

I - Sa vie.

1 – Comment connait-on saint Benoît.

La seule authentique biographie de saint Benoît qui nous soit parvenue est contenue dans le
second Livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. C'est une biographie selon les critères de
l'époque, c'est-à-dire qu'elle comporte beaucoup de récits merveilleux, très peu de faits avérés et
aucune date. Elle consiste, pour la plus grande part, en de nombreux miracles qui illustrent la vie du

carolingien Pépin le Bref, où il devient échanson de la reine Berthe « aux Grands-Pieds », puis à celle de Charlemagne.
Quelques années plus tard, en 773, il participe avec Charlemagne à l'expédition contre les Lombards en Italie. Il est
alors destiné à une brillante carrière militaire.
10 - J. Barne, « Maître spirituel et règle cénobitique en Occident du IVème au VIème siècle », in Sociabilité, pouvoirs et
société. Colloque de Rome 24-26 novembre 1983, Rome 1987, p. 223-233.
11 Grégoire de Tours, Histoire, VI,9.
8

saint et donnent une approche chronologique de sa carrière. L'autorité de saint Grégoire pour tout ce
qui s’y rapporte est celle de ses propres disciples à savoir Constantin, qui lui a succédé comme abbé
de Monte Cassino ; et Honoré, qui était abbé de Subiaco quand saint Grégoire écrivit ces Dialogues.
Jacques de Voragine12 lui consacre un chapitre dans sa Légende dorée.

a- Grégoire Ier le Grand (v 540- 12 mars 604)

Le pape Vigile refusa obstinément de s'associer à cette condamnation, qui lui paraissait
porter atteinte aux décisions du concile de Chalcédoine. Les participants au concile étaient en
majorité orientaux. Malgré le refus du pape de participer au concile, celui-ci condamna les Trois
chapitres.
Le IIème concile œcuménique de Constantinople fut convoqué en 553 par l'empereur
Justinien dans un contexte bien précis, celui du monophysisme13. Pour essayer de se rallier les

12 - Jacques de Voragine (Jacobus da Varagine) (Varazze, vers 1228 - Gênes, 1298), est un chroniqueur italien
du Moyen Âge, archevêque de Gênes et auteur de la Légende dorée, célèbre ouvrage racontant la vie d'un grand nombre
de saints et saintes, martyrs chrétiens, ayant subi les persécutions des Romains. Il est aussi l'auteur d'une Chronique de
la cité de Gênes, de plusieurs recueils de sermons, et de quelques autres opuscules. Il a été béatifié en 1816. Il est fêté le
13 juillet.

13 - Le monophysisme (du grec µ!"! [mono] une seule et #$%&' [füsis] nature) est une doctrine christologique
apparue au Vème siècle dans l'empire byzantin en réaction au nestorianisme, et ardemment défendue par Eutychès et
Dioscore d'Alexandrie. Cette approche tente de résoudre les contradictions de la foi nicéenne concernant la nature du
Christ. La doctrine chrétienne s'est construite à l'origine autour du symbole de Nicée, c'est-à-dire la reconnaissance de la
consubstantialité du Père et du Fils, tout comme de la nature humaine du Christ. Les monophysites, en revanche,
affirment que le Fils n'a qu'une seule nature et qu'elle est divine, cette dernière ayant absorbé sa nature humaine. En cela
le monophysisme s'oppose au nestorianisme. Cette doctrine a été condamnée comme hérétique lors du concile de
9

monophysites, Justinien souhaitait anathémiser trois évêques d'Antioche, dont les monophysites
considéraient les écrits comme nestoriens : Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr et Ibas
d'Edesse. On se réfère à ces écrits par l'expression des «Trois Chapitres».
Après de nombreuses péripéties, le pape Vigile finit par reconnaître ses décisions. Son
successeur Pélage Ier fit de même, mais en 557, l'évêque d'Aquilée rejeta les conclusions du concile
et se constitua en Patriarcat d'Aquilée, autocéphale et indépendant de Rome et de Constantinople,
c'est le schisme des Trois Chapitres.
Enfin, le résultat recherché par Justinien vis-à-vis des monophysites ne fut pas atteint : ils
finirent par constituer des Églises séparées.nd est l'auteur des Dialogues, devient le 64ème pape en
590. Docteur de l'Église, il est l'un des quatre Pères de l'Église d'Occident, avec saint Ambroise,
saint Augustin et saint Jérôme. Son influence durant le Moyen Âge fut considérable, c'est à lui que
l'on doit le nom de chants grégoriens. L'Eglise catholique le célèbre le 3 septembre.

!- Sa jeunesse et son éducation.

Grégoire naquit à Rome vers 540, au moment de la reconquête de l'Italie par Justinien, d'une
famille chrétienne et patricienne, de la branche Anicia. Son père, le sénateur Gordien, est
administrateur d'un des sept arrondissements de Rome. Deux de ses sœurs sont honorées comme
saintes, Tharsilla et Æmiliane, et il avait parmi ses ancêtres le pape Félix III. Sa mère, Sylvie, est
elle aussi honorée comme sainte.
Il est éduqué dans le climat de renouveau culturel suscité en Italie par la Pragmatica sanctio,
et excelle, selon le témoignage de Grégoire de Tours, dans l'étude de la grammaire, de la
dialectique et de la rhétorique. En 572, il est nommé préfet de la ville, ce qui lui permet de
s'initier à l'administration publique, et devient ainsi le premier magistrat de Rome. Il utilise ses
aptitudes pour réorganiser le patrimoine de Saint-Pierre. En 574, il souscrit à l'acte par lequel
Laurent, évêque de Milan, reconnaît la condamnation des «Trois Chapitres» par le IIème Concile
de Constantinople de 553.

"- La vie monastique.

Vers 574-575, Grégoire adopte la vie monastique et transforme en monastère dédié à saint
André la demeure familiale située sur le mont Cælius. Il nomme pour abbé le moine Valentien.
On ne sait pas si Grégoire assuma personnellement la direction de la communauté. Ayant hérité
de grandes richesses à la mort de son père, il fonde aussi six monastères en Sicile. On ne sait pas
si Grégoire et ses moines adoptèrent la règle de saint Benoît, mais « on ne saurait cependant
douter de l'harmonie fondamentale existant entre l'idéal monastique de Benoît et celle du grand

Chalcédoine en 451, tout comme la doctrine opposée. Selon ce concile, Jésus-Christ est à la fois vrai Dieu et vrai
homme en « une seule personne et deux natures, sans confusion ». Malgré cela, sous l'impulsion de personnages tels
que Sévère d'Antioche, le monophysisme continue de se développer dans les provinces byzantines de Syrie et d'Égypte
auprès des populations coptes tout au long du VIème siècle, jusqu'aux invasions perses puis arabes au tout début du
VIIème siècle. Il fut également responsable du premier schisme entre Rome et Constantinople en 484. Le monophysisme
est encore professé aujourd'hui, dans sa variante miaphysite. Ce sont les Églises pré-chalcédoniennes (arménienne,
syro-jacobite, copte, etc.). On appelle parfois « monophysites » les Églises qui ont été rejetées par celles qui ont accepté
le concile de Chalcédoine. D'un point de vue aconfessionnel, il est préférable de les appeler « non-chalcédoniennes » ou
« pré-chalcédoniennes ».
10

pontife.14 »
Grégoire est ordonné diacre par le pape Pélage II15, ou peut-être par Benoît Ier, mais c'est
moins probable avant d'être envoyé à Constantinople comme apocrisiaire c'est-à-dire, ambassadeur
permanent, ou nonce. Il s'y rend accompagné de quelques frères, et y résidera jusqu'à la fin de 585
ou le début de 586, sans songer, d'ailleurs, à apprendre le grec ni à s'initier à la théologie orientale .
Cela montre combien le fossé entre la culture orientale et celle de la partie latine de la chrétienté est
déjà grand.
C'est là qu'il rédigea sa plus importante œuvre exégétique, l'Expositio in Job. Il se fit aussi
remarquer par une controverse avec Eutychius, le Patriarche de Constantinople, à propos de la
résurrection des corps. En effet, Grégoire défendait la thèse traditionnelle de l'Église sur la
résurrection des corps, tandis qu'Eutychius appliquait au dogme catholique le principe de
l'hylémorphisme aristotélicien.
À la demande du pape, Grégoire attira aussi l'attention de l'empereur Byzantin Maurice
(539-582-602) à propos de l'invasion lombarde en Italie.
De retour à Rome, il reprit la vie monastique. Il joua aussi le rôle de secrétaire et conseiller
de Pélage II. À ce titre, il rédige l'Épitre III de Pélage, où il soutient la légitimité de la
condamnation des Trois Chapitres par le concile de Constantinople de 553.
Pélage II meurt de la peste le 7 février 590. Grégoire est élu pape par l'acclamation unanime
du clergé et du peuple. Il essaie de se dérober, faisant même appel à l'empereur, mais c'est en vain.
Il est consacré pape à Saint-Pierre, le 3 septembre 590. Cet épisode est raconté dans la Légende
dorée. Au même moment , en 590, meurt le roi des Lombards Authari. Agilulf (+ 606), arien, lui
succède et conformément à la coutume, il épouse la veuve de son prédécesseur Théodelinde de
Bavière. Celle-ci se révélera une alliée influente du nouveau pape et amènera le roi au catholicisme.
Le pontificat de Grégoire Ier se déroule dans un contexte fort difficile. La ville est ravagée
par la peste, le Tibre déborde. Il doit donc à la fois veiller à rassurer les fidèles. Certains même
croient que la fin du monde est arrivée et il doit utiliser ses talents d'administrateur pour veiller au
ravitaillement de la ville. Dans l'ensemble de son pontificat, on notera une importante réforme
administrative à l'avantage des populations des campagnes, ainsi que la restructuration du
patrimoine de toutes les églises d'Occident, afin d'en faire des témoins de la pauvreté évangélique et
des instruments de défense et de protection du monde agricole contre toute forme d'injustice
publique ou privée.
Durant son pontificat, Grégoire adopte une attitude d'attente et de négociation avec les
Lombards. Non satisfait des mesures prises par l'empereur Maurice «J'attends plus de la miséricorde
de Jésus de qui vient la justice que de votre piété.» écrit-il à l'empereur16, il prend lui-même les
choses en main, en signant en 595 une trêve avec Agilulf17. En 598, il favorise une nouvelle trêve,

14 Dictionnaire encyclopédique du christianisme, V,1 Paris Cerf, 1990, p. 1102


15 - Pélage II, né à Rome en 520, pape de 579 à 590. Durant son pontificat, Pélage II œuvra beaucoup pour les
soins des malades et des vieillards et alla même jusqu'à convertir son logement en refuge pour ceux-ci. Il fut aussi
réputé pour tolérer le mariage des prêtres tant que ceux-ci ne transféraient pas les biens de l'Église à leurs femmes et
enfants. Pélage II mourut le 8 février 590 de la peste de Justinien qui frappa durement Rome dès l'an 589.
16 - S. Grégoire le Grand, Homélies sur l'Evangile, 14,3-6, PL 72 col 129-1130
17 - Fils du duc lombard de Turin Ansvald, il est proclamé roi à Milan en mai 591, succédant au roi Authari. Son
long règne fut marqué par une trêve avec la Papauté en 598, mettant provisoirement fin à 30 années de terreur
lombarde. Il consolide son pouvoir et la domination lombarde dans son royaume, entretient de bons rapports avec les
Francs et les Bajuvares, combat vainement les Avars et les tribus esclavones, et signe une trêve avec l'empereur
byzantin Maurice (598). En 603, certainement influencé par sa femme, il abandonne l'arianisme lombard et se convertit
à la ligne du christianisme liée au concile de Nicée, faisant baptiser leur jeune fils Adaloald. La même année, l'empereur
byzantin Phocas reconnait son pouvoir. Agilulf, sur le conseil de sa reine, s'avère le protecteur de Colomban de Luxeuil
11

entre l'exarque Callinicus et le roi lombard. Maurice trouve ce comportement «prétentieux »18.
Grégoire se défend en argumentant : « Si j'avais voulu me prêter à la destruction des Lombards
lorsque j'étais apocrisiaire à Constantinople, ce peuple n'aurait plus aujourd'hui ni roi, ni comtes; il
serait en proie à une irrémédiable confusion; mais, comme je crains Dieu, je n'ai voulu me prêter à
la perte de qui que ce soit. »19 Grâce à ses contacts avec Théodelinde, la reine franque des
Lombards, un mouvement progressif de conversions s'amorça parmi ceux-ci.

#- Augustin de Cantorbéry (+ v. 605).

Le geste le plus important de Grégoire Ier par rapport à l'évangélisation est l'envoi en
mission, en 596, de saint Augustin de Cantorbéry, accompagné de quarante moines du monastère du
mont Cælius, afin de restaurer le christianisme en Grande-Bretagne.
Augustin de Cantorbéry fut le premier archevêque de Cantorbéry. Sa jeunesse n'est pas
connue. On sait seulement qu'il devient moine au monastère bénédictin de Saint-André, fondé par le
pape Grégoire le Grand sur le Mont Coelius à Rome. Là, il acquiert une connaissance approfondie
des textes sacrés20. Par la suite, il en devient prieur. En 596, on sait également que la cité d'Arles
abrite les préparatifs de la mission d'Angleterre; à cette occasion des esclaves anglo-saxons sont
achetés21. En 597, il débarque en Angleterre avec quarante moines - dont le futur saint Laurent de
Cantorbéry - dans le but de ramener ce pays à la foi catholique, après les invasions qui détruisirent
les structures de l' Église chrétienne celte préexistante. Sur place, il convertit très vite Æthelbert, le
roi jute du Kent qui l'installe à Cantorbéry. Le 17 novembre 597, Augustin de Cantorbéry est de
retour à Arles après avoir converti le roi, la reine Berthe, arrière-petite-fille de Clovis, était déjà
chrétienne, ainsi que les principaux officiers. En effet, la reine Berthe ou Aldeberge (539-v.622) est
la fille de Caribert Ier, roi de Paris (v. 521-567), lui-même fils de Ingonde et de Clotaire Ier (v. 498-
561), quatrième fils de Clovis et de Clotilde. À la demande de Grégoire Ier, et entouré de nombreux
évêques, il est sacré archevêque de l'Église d'Angleterre dans la basilique Saint-Trophime par
l'archevêque d'Arles, Virgile, alors vicaire du Saint-Siège en Gaules.
Il devient évêque et fonde le monastère Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Il y installe une
bibliothèque alimentée par l'envoi de manuscrits par le pape Grégoire, dont TH. Elmham ( + 1420)
fournit une liste dans son Historia monaterii s. Augustini, mais son témoignage est considéré
comme douteux par les historiens spécialistes de la période. On ignore malheureusement la nature
de ces codex. Des historiens comme Pierre Riché22 ont supposé qu'il s'agissait d'ouvrages de
littérature profane : Cantorbéry aurait ainsi été un centre d'études classiques. Il est plus probable
que les manuscrits en question aient été des textes sacrés, nécessaires au travail d'étude des
bénédictins. En tout cas, Augustin est sans conteste l'introducteur du chant romain appelé modulatio
romana en Angleterre, où il rencontre un franc succès. Il est probable que l'attribution à Grégoire de

avant qu'il ne meurt. Lui-même meurt après plus de 25 années de règne, en l'an 616, désignant Adaloald encore
adolescent comme successeur.
18 - Ep. V, 36
19 - Ep, V, 6
20 Grégoire le Grand, Ep. XI, 37
21 Bède le Vénérable, Histoire Ecclésiastique, 1,29
22 - Pierre Riché, né à Paris en 1921, est un historien français spécialiste du haut Moyen Âge et de la période de
l'An Mil. Après des études à la Sorbonne, il passe l'agrégation d'histoire en 1948, et enseigne au lycée de Constantine
(Algérie) puis au Mans. En 1953, il est nommé assistant à la Sorbonne. De 1957 à 1960 il enseigne à Tunis, avant de
rejoindre l'université de Rennes. En 1962, il obtient son doctorat ès lettres. Il est ensuite nommé professeur à
l'Université de Paris X Nanterre en octobre 1967. Il prend sa retraite en 1989.
12

ce type de chant, connu de nos jours sous le nom de chant grégorien, ait pris forme en Angleterre. Il
n' a pas réussi à réconcilier les chrétiens celtes et les Anglo-saxons nouvellement convertis, ce qui
sera fait lors du concile de Whitby.
Le concile de Whitby est un concile important, mais mal connu et dont l’existence est
incertaine. S’il a réellement eu lieu, c’est lui qui a mené à l’unification temporaire des Églises
catholiques en Grande-Bretagne et à la réduction de l’écart entre l’Église de Rome et les Églises
celtes, notamment dans la doctrine. Il a été convoqué par le roi Oswiu de Northumbrie en 663 et
664 à l’abbaye de Whitby, monastère double dirigé par sainte Hilda, à Whitby, dans le Nord-Est de
l’Angleterre.
Bède le Vénérable décrit les procédures en détail dans son Histoire ecclésiastique du peuple
anglais, mais écrit plus de soixante-dix ans après les évènements, s’appuyant sur le témoignage
d’Eddius, dont il dépend totalement. Des indications complémentaires sont données par Eddius lui-
même. La Chronique anglo-saxonne n’évoque pas ce concile, pas plus que les archives papales.
La chrétienté en Grande-Bretagne existait sous deux formes : le christianisme celte,
dominant en Écosse, pays de Galles, et nord de l’Angleterre, né du travail d’évangélisation des
moines irlandais tels que saint Colomba et saint Brendan ; et le christianisme romain, dans le sud et
le centre de l’Angleterre, établi par la première mission internationale papale par Augustin de
Cantorbéry. Les deux chrétientés étaient proches, mais avec des variantes dans certains rites
essentiels.
Les sujets réels de controverse étaient assez mineurs, ce qui explique le désintérêt des
historiens. Les points principaux de discussion étaient le mode de calcul de la date de Pâques et le
style de la tonsure portée par les moines. Cependant, le parti l’emportant sur ces questions serait
reconnu comme détenant l’autorité sur la Grande-Bretagne, avec les conséquences possibles sur
l’émergence d’une Église internationale. En effet, les moines missionnaires irlandais ré
évangélisaient le continent, et implantaient leurs propres usages concurrents de ceux de Rome.
L’écart choquait depuis assez longtemps, et déjà saint Colomban avait demandé au pape de
résoudre le problème. Par conséquent, le concile a eu une importance beaucoup plus grande que
celle qu’on lui attribue habituellement.
Ces problèmes avaient surgi alors que le roi de Northumbrie, qui suivait la pratique celte
(issue de l’ancien comput antique), avait fêté Pâques et interrompu le jeune de Carême, alors que la
reine, suivant la pratique réformée de Rome, continuait de jeûner. Le roi Oswiu avec l’évêque
Colman et Chad représentent la tradition celte, qui avait conservé l’ancien mode de calcul, les îles
Britanniques s’étant retrouvé isolées de l’Église romaine. Alhfrid, fils d’Oswiu, saint Wilfrid (634–
710), et l’évêque Agilbert défendent le point de vue de Rome. Eddius indique que Colman se
référait à l’usage de saint Jean apôtre et à l’autorité de Colomba, Wilfrid lui prenant appui sur saint
Pierre et les décisions
Mort en 604, saint Augustin de Cantorbery est enterré le long de la voie romaine allant de
Deal dans le Kent à Cantorbéry. Ses reliques sont ensuite transférées dans l'église abbatiale de
Saint-Pierre-et-Saint-Paul, devenue Saint-Augustin. Il est considéré comme le fondateur de l'Église
d'Angleterre et le premier archevêque de Cantorbéry. Il est fêté le 27 mai. En effet, sous l’empire, la
[Grande-] Bretagne avait été quelque peu christianisée, mais les Saxons avaient envahi l’île et
repoussé vers l’ouest les chrétiens bretons. Grégoire fait aussi acheter de jeunes esclaves anglais
pour les faire élever dans des monastères. Le grand historien Edward Gibbon23 dira : « César avait
eu besoin de six légions pour conquérir la Grande-Bretagne. Grégoire y réussit avec quarante

23 - Edouard Gibbon (8 mai 1737 - 16 janvier 1794) est un historien britannique. Son œuvre la plus connue,
Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, reste une référence pour les historiens romains et
byzantinistes.
13

moines24 » Dans une lettre adressée à un missionnaire en partance pour la Grande-Bretagne


païenne, en 601 , Grégoire Ier donnait cet ordre : « Les temples abritant les idoles dudit pays ne
seront pas détruits ; seules les idoles se trouvant à l’intérieur le seront [...]. Si lesdits temples sont en
bon état, il conviendra de remplacer le culte des démons par le service du vrai Dieu.»

b- La réforme liturgique de Grégoire le Grand.

La réforme liturgique de Grégoire est décrite dans le livre des sacrements. «Il rassembla en
un seul livre le Codex de Gélase concernant la liturgie de la messe. Il y retrancha beaucoup de
choses, en modifia quelques-unes et en ajouta certaines. Il institua ce livre: Livre des sacrements25»
Nous ne possédons cependant pas la version originale. Celle que l'on a actuellement est le texte
envoyé par Adrien Ier à Charlemagne, vers 785-786, et contient plusieurs enrichissements reflétant
des ajouts faits entre temps à la pratique liturgique usuelle. La tradition attribue aussi à Grégoire un
Antiphonarium.
La Regula pastoralis est adressée à Jean de Ravenne. « Dans la Règle, divisée en quatre
parties, Grégoire justifie ses réticences à assumer la charge pastorale, et il met en lumière l'élévation
de la dignité épiscopale; il souligne les vertus de pasteur.» (p. 1105) La troisième partie décrit de
quelle manière on doit éduquer les différentes catégories de fidèles. La Règle exhorte l'évêque à un
renouvellement personnel continu, afin que sa parole soit toujours incisive et efficace. L'ouvrage est
traduit en grec dès 602 et sert de livre de base de la formation du clergé au Moyen Âge. Il demeure
un classique de la vie spirituelle.
Saint Grégoire se répandait en prières, pour que le Seigneur lui accorde la musique à donner
sur les textes liturgiques. L' Esprit Saint descendit alors sur lui sous la forme d'une colombe, et son
cœur fut éclairé. Il commença aussitôt à chanter, et voici comment: (Suit l'Introït du premier
dimanche de l'Avent.) »
Grégoire est la figure éponyme des réformes liturgiques qu'il ne réalisa probablement jamais
avec l'ampleur qu'on lui attribua par la suite. Le chant grégorien qui porte son nom ne lui doit rien
directement. Cette attribution est la conséquence d'une légende hagiographique racontant comment
il composa les propres de la Messe. En réalité, le chant grégorien résulte des réformes de
Chrodegang de Metz26 et de Charlemagne27, qui aligna le chant gallican sur la pratique romaine un
siècle plus tard.
Grégoire propose la mise en place d'une pédagogie chrétienne où la formation grammaticale,
dialectique et rhétorique se baserait, non plus sur des textes profanes, comme cela se faisait encore
de son temps, mais sur des textes sacrés. Cette voie sera par la suite suivie par d'autres, notamment
Isidore de Séville, Julien II de Tolède et Bède le Vénérable.

24 - Edouard Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, Gallica, p. 275


25 - Jean Diacre, Vita Gregorii, 2,17
26 - Chrodegang de Metz, né dans le diocèse de Liège vers 712 et mort à Metz le 6 mars 766, fut évêque de Metz.
Il est appelé aussi Godegrand, Gundigran, Ratgang, Rodigang, Sirigang. Il est le fils de Sigramm et de Landrade, cette
dernière appartenant à la famille des Robertiens. C'est l'un des acteurs de la renaissance carolingienne
27 - Charles Ier, dit le Grand ou Charlemagne (en latin Carolus Magnus, en allemand Karl der Große), est né le 2
avril, probablement en 742 ou 748, sans certitude quant au lieu. Il est mort à Aix-la-Chapelle (Aachen en allemand et
anglais), le 28 janvier 814. Il est roi des Francs (768-814), devient par conquête roi des Lombards (774-814) et est
couronné empereur par le pape Léon III le 25 décembre 800, relevant une dignité prestigieuse disparue depuis l'an 476
en Occident.
14

En conclusion nous pouvons dire que ses ouvrages théologiques resteront, jusqu'à la fin du
Moyen Âge, l'une des autorités les plus souvent citées dans la prédication et l'enseignement, où il
prend place après saint Augustin d'Hippone, dont il simplifie parfois la pensée, non sans l'enrichir
d'autre part en l'adaptant à la mentalité des temps nouveaux. Il n'est cependant pas un théologien
original, en ce sens qu'il reprend surtout la doctrine commune. C'est que l'époque des grandes
controverses dogmatiques est passée. «Il reprend l'enseignement d'Augustin sur la grâce, la
prédestination, le sort des enfants morts sans baptême; il reprend et précise la catéchèse
traditionnelle sur les sacrements, la discipline pénitentielle, les bonnes œuvres, le culte des saints.»
D'un point de vue exégétique, il utilise les procédés de la rhétorique classique. Bien qu'il ne
néglige pas le sens littéral de l'Écriture, il le dépasse pour s'élever à l'allégorie. Ainsi, dans son
homélie sur Ézéchiel, il s'attarde principalement sur la cause ou l'hypothèse dont l'objet sont les
personnes ou les faits historiques. Il ne parle pas de la prophétie, mais du prophète. En général, dans
son discours, «les antinomies se résolvent grâce à l'unité qui permet de dire que l'Église est à la fois
visible et invisible, humaine et divine, active et contemplative, présente dans le monde et plongée
dans la réalité future.» Mais Grégoire est avant tout un moraliste. «Par une œuvre qui est plus une
catéchèse biblique qu'une construction scientifique, il a tracé les lignes essentielles de la théologie
morale classique.» D'ailleurs, le fait que l'Expositio in Job ait reçu, de son vivant, le titre de Moralia
in Job en témoigne. On lui doit, dans un tableau large et divers de la morale chrétienne et des
finalités de la vie mystique, une approche assez humaniste de l'équilibre personnel que le chrétien
doit trouver entre les exigences ascétiques de la contemplation et les besoins sociaux d'une vie
active. Sa pensée a également contribué à une classification des vices et vertus, ainsi que des dons
du Saint-Esprit, classification dont les prédicateurs et les artistes du Moyen Âge feront grand cas.
Il reprend la classification des rêves de Macrobe28 et la transforme en distinguant les rêves
dus à la nourriture et à la faim, ceux envoyés par les démons, et ceux d'origine divine.
Grégoire Ier mourut le 12 mars 604 et fut inhumé au niveau du portique de l'Église Saint-
Pierre de Rome. Cinquante ans plus tard, ses restes furent transférés sous un autel, qui lui fut dédié,
à l'intérieur de la basilique, ce qui officialisa sa sainteté. Il a laissé de nombreux écrits, dans divers
domaines: un grand nombre de lettres, des commentaires et homélies sur la Parole, et quelques
autres écrits. Il est spécialement connu pour être l'auteur des Dialogues (plusieurs volumes de la
collection « Sources Chrétiennes », éd. Cerf). Il nous y rapporte en son livre II les seuls
informations biographiques que nous ayons sur saint Benoît, fondateur de la vie bénédictine et
figure majeure du monachisme occidental.
Le Registrum epistolarum est composé de 814 lettres réparties en 14 livres, qui
correspondent aux années du pontificat grégorien (590-604). C'est une composition assez
hétéroclite: lettres spirituelles, lettres officielles à lire en public, ordonnances portant sur des
questions de gouvernement, formulaires de nomination et de confirmation de charges, formulaires
d'autorisation et de privilège. Cependant, certaines lettres permettent de tracer un portrait assez
riche et précis du monde rural de la fin du VIème siècle.

c $ Ses écrits.

L'Expositio in Job ou Moralia in Job (morales sur Job) est son œuvre exégétique la plus

28 - Macrobe (Flavius Macrobius Ambrosius Theodosius) est un écrivain, philosophe et philologue latin, auteur
des Saturnales, et du Commentaire au Songe de Scipion. Il est né vers 370 en Numidie (Afrique). C'est avec saint
Augustin et Cassiodore l'un des « passeurs de témoin » à la fin de l'Antiquité romaine, notamment en ce qui concerne la
question de l'âme.
15

importante. Commencée à Constantinople, d'abord sous forme d'entretiens destinés aux frères de sa
communauté, puis poursuivie sous forme de dictée, elle fut réorganisée et achevée à Rome, vers
595. Elle comporte 35 livres. «Par une œuvre qui est plus une catéchèse biblique qu'une
construction scientifique, il a tracé les lignes essentielles de la théologie morale classique.».
Homiliæ in Evangelium est un recueil de 40 homélies reproduisant sa prédication durant les
2 premières années de son pontificat. «Elles constituent un modèle de prédication populaire,
remplie d'enseignement moral et mystique exposé sous une forme simple et naturelle, renforcé
souvent par des exemples s'adressant à la grande masse des fidèles.» P. Batiffol les considère
comme « des modèles de l'éloquence pastorale et la prédication liturgique ».
Homeliæ in Hiezechihelem sont 22 homélies sur le livre d'Ézéchiel, rédigées vers 593–594,
alors qu'Agilulf menace d'assiéger Rome. Elles sont d'un niveau plus élevé que les homélies sur
l'évangile. Le premier livre, dédié à Marinien de Syracuse, traite du charisme prophétique. Il
s'adresse principalement aux prédicateurs et aux évêques. Le second livre, qui s'adresse aux moines
de Coelius, commente la structure du Temple de Jérusalem. Par la symbolique des nombres, il
explique la voie d'accès au silence contemplatif.
Plusieurs autres écrits n'ont pas été rédigés directement de la main de Grégoire. Ainsi,
Expositiones in Canticum Canticorum, concernant les 8 premiers verset du texte du Cantique des
cantiques, et in librum primum Regum, qui commente 1S, 1-16, sont deux textes qui ont été dictés
de mémoire par le moine Claude, d'après ce qu'il avait entendu de Grégoire.
D'autres commentaires, sur les proverbes, les prophètes, l'Heptateuque, ont été rédigés de la
même manière. Ces écrits sont malheureusement perdus aujourd'hui.
Ce sont surtout les Dialogues29 qui témoignent de la sainteté d'évêques, de moines, de
prêtres et de gens du peuple, contemporains de Grégoire. Ils écrits ces ouvrages vers 593-594 et son
travail est présenté comme un triptyque : trois livres hagiographiques présentant des figures saintes
et des scènes miraculeuses dans l'Italie du VIème siècle, et c'est dans le Livre II que l'on trouve la vie
de Saint Benoît. Le quatrième livre est eschatologie. Tourné vers l'au-delà, plus long, il traite des
fins dernières, de la mort, du ciel, de l'enfer, et donne comme moyen de salut, l'Eucharistie. Donc,
ils relatent des miracles opérés par de saints personnages en Italie. Le second livre constitue la
principale source biographique que l'on a sur Benoît de Nursie. Le quatrième livre évoque des
manifestations extraordinaires démontrant l'immortalité de l'âme humaine.
Considéré comme un des Pères de l'Église, il a également toujours été compté parmi les
Docteurs de l'Église.
Saint Grégoire est très présent dans l'iconographie des manuscrits et des monuments figurés,
où il est, avec saint Pierre, le pape par excellence. Il est représenté en habits pontificaux. Parmi ses
attributs, on voit la tiare, la colombe de l'Esprit Saint qui inspire ses écrits, et le livre en tant que
docteur de l'Eglise.30

29 Grégoire le Grand, Les Dialogues, présentés par dom Adalbert de Vogüé, moine de la Pierre-qui-Vire et dom Paul
Antin, moine de Ligugé, SC 260, Cerf, 1979.
30 - Rosa Giorgi, Les Saints, Guide des Arts Hazan, 2003
16

2 - Enfance et études de saint Benoît.

« Personnalité dominante du VIème siècle italien dans l'ordre de la grâce et de la sainteté »


(Dom Adalbert de Vogüé), Benoît est né vers 480-490 en Nursie (Norcia), en Ombrie, dans le
centre de la péninsule italienne. Il était le fils d’un noble romain, et la tradition, qu’accepte saint
Bède, fait de Scolastique, sa sœur jumelle. Son enfance se déroula à Rome, où il vivait avec ses
parents et allait à l’école jusqu'à ce qu'il aborde des études plus élevées. Alors « livrant ses livres, et
abandonnant la maison de ses parents et la richesse, avec à l’esprit de seulement servir Dieu, il
cherchait quelques lieux où il pourrait atteindre son saint désir ; et de ce fait il partit de Rome,
instruit avec l’ignorance et meublée avec de la sagesse. » (S. Gregoire le Grand, Dialogues , II31).
Il y a beaucoup d’opinions différentes sur l’âge de Benoît à ce moment-là. Il était généralement
admis qu'il avait quatorze ans, mais une étude attentive démontre qu’il doit avoir moins de dix-neuf
ou vingt ans. Il était assez mûr, étant au milieu de ses études littéraires, pour comprendre le
véritable sens et la valeur des vies dissolues et licencieuses de ses compagnons, et d’avoir lui même
été profondément affecté par l'amour d'une femme (ibid., II, 2). Il était capable de penser toutes ces
choses en comparaison avec la vie enseignée dans l'Évangile, et il a choisi ce dernier. Il était encore
fort jeune, mais il n’était pas un enfant. Comme saint Grégoire le dit :
« Dès le temps de sa jeunesse, il portait en lui un cœur digne de celui d’un vieillard : dépassant
son âge par ses mœurs, il ne livra son âme à aucune jouissance, mais alors qu’il vivait encore
sur cette terre et qu’il avait la possibilité d’en user librement pour un temps, il méprisa d’emblée le
monde avec sa fleur comme un sol aride. Issu d’une très bonne famille libre de la province de
Nursie, on l’envoya à Rome pour s’y livrer à l’étude libérale des lettres. Mais il s’aperçut que
c’était l’occasion pour beaucoup de tomber dans l’abîme des vices : aussi – pour ainsi dire – à
peine avait-il mis les pieds dans le monde qu’il les retira, de peur que, pour avoir pris quelque
contact avec ladite science, il ne soit en contrepartie précipité tout entier dans l’abîme. Méprisant
donc l’étude des lettres, il se mit en quête d’un genre de vie sainte. Aussi se retira-t-il,
savamment ignorant et sagement inculte. » (ibid., Introd.)

Si nous acceptons la date de 480 pour sa naissance, nous pouvons fixer la date de 500 pour
l’abandon de sa maison et la fin de ses études.
Les Dialogues sont composés de deux parties inégales: le jeune Benoît à Rome (ch. 1 à 8),
donc assez bref; puis Benoît à Subiaco et au Mont-Cassin (ch. 9 à 18), plus long. On notera un
contraste profond entre la période de Subiaco et ses épreuves spirituelles qui menacent son âme et
ses vertus, et celle du Mont Cassin caractérisée par un rayonnement paisible avec des miracles et
des prophéties.
Grégoire ne se soucie pas de dates, ni d'allusion à des événements de l'histoire générale.
Néanmoins, il s'appuie sur les récits de quatre moines qui furent directement les disciples de Benoît.
Ils l'ont connu et Grégoire les interroge. Il n'y a donc pas d'écart chronologique trop grand entre
Grégoire et Benoît. En effet, l'abbé du Mont Cassin vit sans doute jusqu'au milieu du VIème siècle et
Grégoire écrit ses Dialogues vers 593, au retour du diacre Pierre. Cependant deux événements
historiques attestés sont connus par ailleurs: la visite solennelle de Totila au Mont Cassin, précédé
de ses trois comtes avant août 552 et après juin 546; et la mort de Germain de Capoue fin 540, peut-
être le 3 octobre selon certains auteurs, sachant que son successeur Victor fut consacré le 23 février
541. On peut donc tirer la conclusion que Benoît est assez renommé pour attirer Totila.

31 - Introd. dans Migne, P.L. LXVI)


17

Le goth Totila est élu roi d'Italie en 541 après la mort de son oncle Ildebad et celle de son
successeur, son cousin Eraric, dont il organise l'assassinat en 541.
Depuis 535 l'empereur byzantin Justinien Ier cherchait à reconquérir l'Italie. Son général
Bélisaire vient de prendre Ravenne, la capitale des Ostrogoths en 540 et s'empare de Vitigès leur
souverain. Totila est le prince ostrogoth qui est élu roi en remplacement de Vitigès. Doué
d'indéniables qualités militaires il est victorieux à Faenza puis reprend aux Byzantins la Toscane,
l'Ombrie et l'Italie du sud, avec la prise de Naples en 543.
Ces succès s'expliquent aussi par un choix politique habile. Totila en effet se présente
comme le défenseur de l'Italie et de la Romanité face à l' “étranger” grec et son imposante fiscalité.
Il cherche aussi à se concilier les Catholiques et rencontre, selon Grégoire le Grand, Benoît de
Nursie, l'abbé du Mont-Cassin. De plus il esquisse une « révolution sociale » en libérant les
esclaves présents sur les grands domaines. Totila assiège la ville de Rome en 544 et, après un siège
de deux ans, s'empare de la ville en 546. Il tente alors d'entamer des négociations avec Justinien et
essaye de rallier les sénateurs romains à sa politique. C'est un échec et Totila abandonne Rome et
vide la ville de tous ses habitants. Bélisaire reprend alors la ville mais est bientôt rappelé à
Constantinople. Totila profite du départ du plus célèbre général byzantin de l'époque et reprend
l'offensive. Rome est reprise en 552. Peu après 549, Totila arme une flotte qu'il place sous la
direction d'Indulf, un déserteur byzantin, et s'empare de la Corse, de la Sardaigne en 549, d'une
partie de la Sicile en 550 et de la Dalmatie, enfin Corfou et l'Épire sont menacés en 551.
Pour Justinien c'en est trop. Il envoie en Italie son général Narsès avec une armée composée
en grande partie de contingents de mercenaires « barbares » (Huns, Gépides, Lombards, Hérules...).
Une bataille décisive a lieu à Taginae (Gualdo Tadino dans l'Apennin près d'Urbino en Ombrie) en
552. C'est une cuisante défaite pour les Ostrogoths et Totila est blessé mortellement après la bataille
par un jeune gépide nommé Asbad. Même s'ils résistent encore trois ans sous la direction d'un
nouveau chef, Theia ou Teias, la mort de Totila marque le début de la fin de la domination des
Ostrogoths en Italie. En 555, les dernières troupes gothiques capitulent dans la forteresse de Conza,
au nord-est de Salerne.

3 - Vie religieuse du patriarche des moines.

Jeune chrétien d'une famille aisée, appartenant aux couches moyennes et vivant à Nurcie
(actuelle Norcia) au nord-est de Rome, au pied du massif montagneux séparant l'Adriatique du
bassin du Tibre. Il est d'abord étudiant en droit à Rome, d'où il quitte le monde et ceux qui l'ont mis
au monde. Cependant, il garde un lien avec sa nourrice qui vivait avec lui à Rome. Servante et
mère, c'est une belle figure féminine de la vie de saint Benoît.
Saint Benoît se retira donc à Eufide, actuelle Afile, à 60 km de Rome. Le livre II des
Dialogues de Grégoire le Grand, repris entre autres au moyen-âge par la Légende dorée, raconte
qu'arrivée là, sa nourrice, qui l'avait accompagné, cassa un crible qu'on lui avait prêté et qui lui
servait à tamiser le froment. Chagrinée, elle se mit à pleurer. Benoît alors rassembla les parties
brisées et fit une prière, le crible fût miraculeusement reconstitué. Ce serait le premier miracle du
saint.
Il fut ensuite initié à la vie monastique dans la région de Subiaco, dans les montagnes à l'est
de Rome, alors que la ville de Rome possède de nombreux monastères, où il demeura à plusieurs
reprises dans une caverne.
18

Subiaco est une commune italienne de la province de Rome dans le Latium située sur la rive
droite de l'Aniene, cette ville médiévale est fondée à l'époque romaine, comme en témoigne les
restes de la villa de Néron. Elle est nommée alors Sub Lacum (littéralement « sous les lacs ») en
raisons des lacs alimentant l'Aniene.
Vers l'an 500, saint Benoît de Nursie y fonda son premier monastère.
Là, il rencontre le moine Romanus et reste seul dans une grotte, le Sacro Speco, durant trois
années. Seul Romanus connait ce lieu et le ravitaille sur sa propre ration, sans en informer son abbé
Adéodat.
Bientôt, Benoît quitte sa retraite grâce à sa rencontre avec un prêtre qui lui porte un repas
pascal. Des berges qui l'avaient pris pour une bête se mirent à la nourrir et à lui demander des
conseils.
On considère un cycle en trois temps: tentation qui aboutit à la mortification de la vaine
gloire du thaumaturge, la réaction héroïque qui l'encourage à s'isoler et à s'enfuir, enfin le
rayonnement sur les bergers.
Une nouvelle épreuve l'attend. Le Diable le tente et il n'y a plus de cloche pour prévenir le
moine Romanus. Benoît se retrouve sans vivres. Un merle l'agace, il le fait fuir par un signe de
croix, le souvenir d'une femme connue à Rome l'assaille. Il lutte en se roulant dans les ronces et le
orties. Il fait école et d'autres moines le rejoignent. Le fruit de cette lutte est la fécondité spirituelle
par laquelle il engendre des hommes de Dieu à son image.
Un autre fois, toujours sur le même schéma, il est l'objet de haine et de colère. Il devient
l'abbé du monastère, mais les moines sont mauvais et il veut les corriger, alors ils tentent de
l'empoisonner, mais la cruche se brise sous un signe de croix. Il reste paisible et dit gentiment adieu
à ses assassins et parvient donc à contenir son « appétit irascible ». Il retourne donc à sa retraite
solitaire où « il vit seul avec lui-même sous le regard de Dieu ». L'essor contemplatif de l'âme de
Benoît provoque l'afflux de vocations monastiques, suffisantes pour se répartir en douze monastères
de douze moines. Il organise et gouverne les communautés. Il est entièrement pur et son
rayonnement est remarquable.
Un autre exemple: le prêtre de la paroisse voisine, Florentius, jaloux de Benoît, cherche à la
déconsidérer, puis il décide de l'empoisonner par du pain vénéneux, mais le corbeau domestique de
Benoît l'emporte dans le désert. Le moine reste tranquille dans son âme mais en plus, il « s'attriste
pour l'autre (le prêtre meurtrier) plutôt que pour lui-même. » Florentius meurt et Benoît s'attriste et
reproche à ses disciples de se réjouir. Avant cet événement, ce prêtre avait chercher à corrompre les
jeunes moines. Alors, Benoît quitte les lieux, il s'éloigne et va rayonner plus loin, plus large. Il
fonde ailleurs, au Mont Cassin où il passe d'un val encaissé de la vallée de l'Aniene à une situation
élevée géographiquement, mais aussi spirituellement. Désormais, il va s'attaquer aux restes du
19

paganisme et démolir les sanctuaires idolâtriques.


Avant de quitter Subiaco, il fait quatre miracles: il chasse un démon qui tirait un moine hors
de l'oratoire lors de la prière; lors d'une pénurie d'eau, il fit jaillir une source au sommet d'une
hauteur; la hache qui avait perdu son manche; le jeune Placide tombe l'eau et le jeune Maur, un
autre oblat le sauve en marchant sur l'eau. Ces miracles peuvnet être reliés à l'Histoire Sainte: l'eau
jaillissant du rocher : Moïse (Ex 17); le fer tiré du lac : Elisée (2 R 6,1-7); la marche sur l'eau :
Pierre (Mt 14,28); le pain et le corbeau : Elie (1 R 17,6); les larmes sur la mort d'un ennemi : David
(2 Sam 19).
Une magnifique mosaïque de la basilique saint Côme et saint Damien à Rome illustre ce

passage.

On remarque aussi l'ordre des exemples: Moïse, Elisée, Pierre, Elie, David. Moïse et David ,
personnages du IIème millénaire av. JC, Elisée et Elie, des prophètes et Pierre au centre, personnage
du Nouveau Testament.

Au Mont Cassin, Benoît évangélise les paysans encore païens. « Il brise les idoles, il
renverse les autels, il rase les bois sacrés » et rappelle les impératifs destructeurs de l'Ancien
Testament comme Elie au Carmel, ou encore les campagnes missionnaires de saint Martin dans la
Gaule du IVème siècle. D'ailleurs au Mont Cassin, le temple d'Apollon fut transformé en chapelle
dédiée à saint Martin et une autre à saint Jean-Baptiste.
20

Cette campagne anti païenne atteint directement le Prince de ce monde. Benoît prie et
obtient des miracles: levée d'une pierre, incendie dissipé, jeune moine ressuscité. Benoît est un
homme d'oraison qui vient à bout de tute chose par la prière.
Le roi Goth Totila met son don de prophétie à l'épreuve ne envoyant à sa place et incognito
son serviteur Rigga, costumé en souverain et escorté par les comtes. Mais Benoît déjoue le piège et
reçoit Totila en personne. Il lui prédit la fin de son règne dans les dix ans qui viennent. L'abbé du
Mont Cassin annonce non pas la destruction de Rome comme le pensait Sabinius mais son
dépérissement, effectivement constaté par Grégoire, cinquante ans plus tard. La guerre amène la
famine et Benoît prophétise l'aide divine. L'abbaye du Mont Cassin sera dévastée par les Lombards
après la mort de saint Benoît et restera vide pendant cent cinquante ans.

Sa renommée grandit rapidement, et de nobles familles romaines lui envoient leurs enfants
en tant qu'oblats. Mais à cause d'un conflit avec un prêtre local, il part vers 530 sur le Mont
Cassin32, où il fonde une abbaye à l'emplacement d'un ancien temple dédié à Apollon. C'est là qu'il
rédige sa Règle qu'il achève en 540 avant de mourir en 547.

32 - Le mont Cassin (en italien Montecassino) est une colline de 516 mètres de haut située en Italie, entre Rome
et Naples, près de la commune de Cassino, dans la province de Frosinone, dans la région du Latium. Vers 530, Benoît
de Nursie y fonda l'abbaye du Mont-Cassin, où il rédigea une règle qui devint la règle de saint Benoît. Le mont a
également été le théâtre de bombardements et de combats très meurtriers durant la Seconde Guerre mondiale, connus
sous le nom de bataille du mont Cassin.
21

a- Influence
Son influence est considérable sur le monachisme en Occident et dans le monde, ainsi que
sur toute la vie intellectuelle du christianisme, surtout grâce à la Règle de saint Benoît. Cette règle
est un idéal de vie en collectivité. Elle est même prise comme exemple pour l'organisation dans les
entreprises.

La règle fut reprise par Benoît d'Aniane au IXème siècle, avant les invasions normandes : il la
commente, et est à l'origine de son expansion dans toute l'Europe carolingienne, à travers
notamment les ordres de Cluny et de Cîteaux dont nous parlerons plus tard. Chacun des Ordres qui
suivent la Règle de Saint Benoît en a sa propre interprétation: l'Ordre de Cîteaux insistera sur le
travail manuel, l'Ordre de Cluny sur la liturgie, les Congrégations de Saint-Vanne et de Saint-Maur
sur le travail intellectuel. Aujourd'hui encore, la Règle de Saint Benoît est vécue différemment par
les héritiers de Saint Benoît: mais ils sont probablement fidèles en cela à la pensée du fondateur qui
dans sa Règle laissait une part prépondérante aux décisions de chaque abbé, en fonction de la
situation de chaque communauté.
Après la suppression de l'Ordre en France à la Révolution, Dom Guéranger a fait renaître
l'ordre bénédictin à Solesmes en 1833. L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire a pu à nouveau accueillir
une communauté en provenance de l'Abbaye de la Pierre-Qui-Vire, fondée au XIXème siècle dans le
Morvan.
22

Benoît XVI a choisi son nom de règne en s'inspirant de saint Benoît de Nursie et de Benoît
XV.

Les reliques de saint Benoît sont conservées dans la crypte de l'Abbaye de Saint-Benoît-sur-
Loire anciennement Abbaye de Fleury, près d'Orléans et de Germigny-des-Prés où se trouve une
église carolingienne, dans le centre de la France.
Prochaine leçon : salle Ste Maxence à Pont le jeudi 25 mars à 20h 20
presbytère de Nointel le vendredi 26 mars à 15h 00
Sujet : Saint Benoît : sa Règle.

Mise en ligne au 1er avril 2010.

Vous aimerez peut-être aussi