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3.

L’inclusion des femmes dans la sphère religieuse


l’Eglise catholique joue un rôle important ds la vie de tous les sujets du roi de France au
début du XVIe s
* elle offre un cadre temporel (calendrier liturgique) et spatial (la paroisse)

* elle enseigne ce qu’elle estime être les vérités de la religion chrétienne (pastorale
chrétienne : importance de l’Ecriture et de la Tradition, du péché originel, de la foi et des
œuvres, des miracles, de la communion des saints, du Purgatoire)

* elle administre les sacrements (les 7 sacrements) et prépare les hommes et les femmes à
la mort chrétienne et à l’au-delà (importance du purgatoire et des indulgences)

* elle distingue fortement le clergé (séculier et régulier) et les fidèles, les hommes et les
femmes (le clergé séculier est purement masculin et célibataire), les élites et le commun
peuple (les religieuses proviennent essentiellement de la noblesse)

la Réforme est le grand événement du XVIe s :


* au début du XVIe s, on trouve en France un courant réformateur que les historiens
appellent « l’évangélisme chrétien » (ses principaux représentants sont Lefèvre d’Etaples et
Guillaume Briçonnet) ; pour les tenants de l’évangélisme chrétien, il faut mieux faire
connaître l’Evangile aux laïcs, traduire la Bible en vulgaire, éliminer les abus du clergé ; un
phénomène bien connu est la multiplication des lisants-écrivants chez les laïcs des deux sexes,
qui accroit la demande de traduction en vulgaire de la Bible et d’explication de la religion
(c’était aussi une idée d’Erasme, assez proche de l’évangélisme chrétien)

* en 1517, Luther publie ses 95 thèses qui ébranlent toute la chrétienté :


** le cœur de la Réforme luthérienne est
*** le sola fide (justification par la foi seule et non, comme chez les catholiques, par
la foi et les œuvres)
*** le sola Scriptura (l’Ecriture sainte, Ancien et Nouveau Testament, nous dit tout ce
que nous pouvons savoir de la divinité, alors que les catholiques pensent y accéder par
l’Ecriture mais aussi par la Tradition, ie tous les commentaires des théologiens au fil des
siècles) ; d’où l’abandon du culte des saints (de la communion des saints, de la prière aux
saints, de la croyance au Purgatoire),
*** le sacerdoce universel (tout le monde est prêtre, le sacerdoce n’est pas réservé à
qqes-uns)
*** la croyance en la consubstantiation (ds l’eucharistie, le pain et le vin sont à la fois
pain et vin et corps et sang du Christ, à la place de la transsubstantiation des catholiques, pour
qui le pain et le vin disparaissent et ne sont plus que corps et sang du Christ) 
** le luthéranisme se diffuse surtout ds le monde germanique mais aussi en France (la
sœur de François 1er, Marguerite d’Angoulême, sans jamais devenir luthérienne, a lu très tôt
des écrits de Luther et a essayé de protéger les luthériens français quand la persécution a
commencé)
* à partir des années 1530, un Picard, Jean Calvin, développe son propre type de réforme,
plus radical encore que le luthéranisme
** refus de la consubstantiation comme de la transsubstantiation (les calvinistes croient
à la « présence réelle », en fait une présence symbolique du Christ dans le pain de la Cène),
prédestination (chacun est prédestiné de toute éternité à son salut ou à sa damnation),
suppression des évêques (maintenus dans le luthéranisme) remplacés par un système
presbytéro-synodal fondé sur les 4 fonctions de pasteur, docteur, ancien et diacre
** Calvin finit par s’installer à Genève pour fuir la persécution : à partir de là, le
calvinisme va être le protestantisme le plus répandu dans le royaume de France, où il se
diffuse très vite, en particulier ds les villes et la noblesse (40% des nobles sont réformés vers
1559-1562), malgré les mesures répressives très dures prises par Henri II

31. Les huguenotes (« huguenot » et « huguenote » sont les mots qu’on utilise en français
pour désigner les calvinistes ; on utilise aussi « réformé », qui a dc un sens plus étroit que
« protestant »)
311. Les huguenotes au XVIe s
un lieu commun du MA, réactivé par le XVIe s, est la propension des femmes à donner ds
les hérésies : car les femmes sont des êtres faibles et débiles 
* dès les années 1970, Natalie Zemon DAVIS s’est demandé si la Réforme avait exercé
sur les femmes un attrait particulier ; elle s’est également demandé quelles nouveautés la
Réforme avait pu apporter à la vie des femmes ; elle rappelle les hypothèses de ses
prédécesseurs :
** le sociologue allemand Max WEBER, ds sa Sociologie des religions, suggère que les
prophéties qui ne parlent ni de guerre ni de politique et les mouvements religieux à dimension
orgiaque, émotive ou hystérique, intéressent particulièrement les femmes ; Natalie Zemon
DAVIS réfutera ce point en montrant que les femmes du XVIe s qui se sont intéressées au
protestantisme y ont vu non une incitation à l’orgie et à l’émotivité mais un appel à la vie
intellectuelle et au contrôle de soi
** l’historien britannique Keith THOMAS, spécialiste des sectes anglaises du XVIIe s,
souligne que plus il y a, ds un mouvement religieux, d’égalité spirituelle entre les sexes, plus
les femmes y participent 
** un autre historien britannique, Lawrence STONE, de même que l’historien français
Robert MANDROU, souligne que les femmes qui se sentaient particulièrement inutiles et
recluses (les femmes de l’élite, les femmes de maîtres de métier) trouvaient une échappatoire
ds la conversion religieuse 
** Patrick COLLINSON, grand spécialiste britannique des puritains, pense que les
femmes de la gentry et les épouses de marchands auraient été prédisposées par leur éducation
et par une vie sociale assez libre à accueillir favorablement le calvinisme
** Roland BAINTON, biographe US de Luther, pense que les effets du protestantisme
ont été favorables aux femmes : la suppression du célibat ecclésiastique et la définition du
mariage comme école de bonne conduite auraient entraîné ds les rapports entre époux
protestants plus d’amitié et d’égalité qu’il ne s’en trouvait à la même époque entre époux
catholiques

* ds la France urbaine du début du XVIe s, les femmes suivent très fidèlement la conduite
sacramentelle de leur mari 
** à Lyon, cette conduite est variable :
*** ds les élites, on se rend régulièrement à la messe, on se confesse et on communie
pour Pâques ; ds le reste de la population, ce n’est pas vrai de tout le monde (les paroisses
sont surchargées et les clercs ne sont pas tjrs très attractifs) 
*** mais tout le monde fait baptiser ses enfants, se marie à l’église et la plupart des
gens font appeler le prêtre à l’article de la mort pour recevoir l’extrême onction ; bcp de gens
font un testament où ils précisent l’organisation de leurs funérailles (processions et
cérémonies) et les messes à dire pour le repos de leur âme (messes de fondation : il faut
prévoir plusieurs mois de salaire d’un tisserand ou d’une domestique ; bcp plus encore pour
les plus riches qui allouent une somme importante à la création d’une chapellenie [un prêtre se
consacrera à temps plein à la célébration de messes de fondation pour un individu et sa
famille])
** globalement, l’organisation de la vie religieuse est bien moins développée pour les
femmes que pour les hommes ; et les citadines ont moins d’occasions que les hommes de
manifester collectivement leur piété ; certes, elles participent avec eux aux processions de la
Fête Dieu, ou aux processions appelant la protection divine contre une épidémie ou la famine 
*** mais les femmes sont bcp moins nb que les hommes ds les confréries (qui sont
associées aux corporations ; une confrérie regroupe des hommes ayant le même métier et qui
doivent s’entraider en cas de coups durs : elle organise les funérailles de ses membres et vient
en aide à leurs veuves et leurs orphelins) ; à Rouen, pour la 1ère moitié du XVIe s, 6 confréries
sur 37 mentionnent la présence de femmes et tjrs en petit nb ; il existe à Lyon en 1500 une
confrérie de femmes mais elle a disparu en 1540 ; les jeunes gens célibataires s’organisent
souvent en confrérie de saint Nicolas mais les filles n’ont pas l’équivalent (elles prient sainte
Catherine mais sans créer entre elles une confrérie) 
*** la vie monastique elle-même est bien plus masculine que féminine (les couvents
de femmes recrutent par ailleurs exclusivement dans les couches supérieures de la population)
** autrement dit, la piété des femmes est plus individuelle et informelle
*** elles récitent leur chapelet toute seule, elles sont souvent seules lorsqu’elles
déposent un cierge à l’église ou rendent visite au saint d’un sanctuaire voisin ; la grossesse et
plus encore l’accouchement sont les temps forts de ce culte des saints (on prie la Vierge ou
sainte Marguerite pour que tout se passe bien, que Dieu écarte le danger et que l’enfant vienne
au monde vivant et en bonne santé)
*** mais certaines femmes alphabétisées vont plus loin : elles lisent la Bible et des
ouvrages de dévotion en langue vulgaire ; les prédicateurs franciscains se moquent de ces
femmes « semi-théologales » ; d’autres sont plus tolérants mais soulignent tout de même que
les femmes « doivent se garder d’appliquer leur esprit aux curieuses questions de théologie,
concernant les choses secrètes de la divinité, dont le savoir appartient aux prélats, recteurs et
docteurs » ; seul Erasme entrevoit, ds un de ses Colloques, que les femmes vont faire irruption
ds la sphère religieuse (une femme sachant le grec et le latin est la risée d’un abbé « bête
comme un âne » [le mot est d’Erasme lui-même] ; elle finit par lui crier : « si vous continuez
comme vous avez commencé, les oies prêcheront plutôt que de souffrir les pasteurs muets que
vous êtes ; vous voyez bien que tout maintenant est sens dessus-dessous sur la scène du
monde ; il faut quitter le masque ou bien chacun dira son mot »)

une fois la Réforme lancée, bcp de femmes des catégories moyennes et supérieures s’y sont
tout particulièrement intéressées :
* le sacerdoce universel (tout le monde est prêtre et peut donc lire la Bible), la lecture de
la Bible en vulgaire (et non plus en latin), la révision générale des sacrements (des sept
sacrements des catholiques, on passe chez les protestants à seulement deux : le baptême et la
cène), la nouvelle définition du mariage (contrat et non plus sacrement), la valorisation du
couple (fin de l’idéalisation du célibat), tout cela a pu parler aux femmes de la bourgeoisie
urbaine et de la noblesse 
** les contemporains ont été conscients du phénomène et les catholiques l’ont expliqué
par la faiblesse morale et intellectuelle du sexe féminin ; ils ont continué à enseigner qu’il
suffisait aux femmes pour faire leur salut de faire leur ménage, de coudre et de filer
** ds le pamphlet Le moyen de parvenir à la connaissance de Dieu, 1562, une
protestante de répondre : « vous envoyez au feu une femme qui lit la Bible, vous dites qu’il
suffit aux femmes pour assurer leur salut de faire leur ménage, de coudre et de filer ; mais
vous laisserez bientôt les araignées entrer en paradis puisqu’elles savent si bien filer »
** de son côté, Marguerite de Navarre réplique aux catholiques par ces vers bientôt mis
en musique : « Tous ceux qui disent qu’aux femmes N’appartient voir saints écrits Ils sont
méchants et infâmes Séducteurs et antéchrists » 
** ds le Livre des martyrs de Jean Crespin, une servante de La Rochelle prouve à un
franciscain que sa prédication n’est pas fidèle à la parole de Dieu, une femme de libraire
dispute de questions de dogme avec l’évêque de Paris et des docteurs en théologie, une veuve
de Tours prend à témoin l’Ecriture ; les théologiens catholiques ne savent que faire de femmes
si monstrueuses et contre nature (« les femmes se doivent taire ès églises, disait saint Paul »)

* Nathalie Zemon DAVIS souligne 3 points :


** 1/on ne sait pas si c’est le mari qui entraîne sa femme en protestantisme ou l’inverse
(on trouve tous les cas de figure, y compris le couple divisé religieusement)
** 2/il y a parmi les protestantes un nombre supérieur à la moyenne de veuves, de
femmes travaillant à leur compte et de femmes dotées de curieux surnoms, signe d’une vie
publique et d’une personnalité excentrique (c’est l’idée essentielle : l’engagement ds la
religion protestante vient compléter l’ouverture et l’indépendance dont elles jouissaient déjà
ds le reste de la vie) 
** 3/le protestantisme ne recrute pas dans le cercle étroit des femmes vraiment lettrées
(Louise Labé, dont une tante s’était convertie au calvinisme, est restée catholique toute sa
vie ; c’est que ce qu’elle écrit est trop libre et trop impudique pour être accepté des
protestants : aux yeux des protestants de Genève, elle passe pour lubrique et dévergondée,
Calvin la qualifie de plebeia meretrix, ie de putain de dernier ordre) 
* là où le protestantisme s’impose après 1562, la condition des femmes change :
** des cours de catéchisme en français sont organisés spécialement pour elles 
** les filles de tous les milieux sont visées par des campagnes d’alphabétisation (y
compris les petites filles des orphelinats) ; ds certaines familles réformées, le mari enseigne la
lecture à sa femme ; cela dit, il ne faut pas croire que toutes les protestantes soient
alphabétisées (on aura encore des femmes analphabètes dans le protestantisme rural des
XVIIe-XVIIIe s)
** les protestants introduisent une nouvelle liturgie ds laquelle les hommes et les
femmes chantent ensemble des psaumes en français (la chose choque énormément les
catholiques, pour qui ces chants mixtes sortant d’une maison sont des signes de débauche ;
chez les catholiques, le chant des psaumes est réservé aux clercs ou aux religieuses) 
** les femmes protestantes peuvent défier leur environnement catholique, par exemple,
lors d’une fête en s’asseyant ostensiblement à la fenêtre pour filer, ou en accueillant chez elle
un conventicule protestant
** les femmes protestantes participent comme les hommes à l’émeute iconoclaste
(émeute au cours de laquelle on détruit les images et on brise les statues ; transposition ds le
domaine religieux des formes d’action collective et politique de l’émeute frumentaire, où la
présence des femmes est très perceptible) 
** les femmes protestantes affrontent l’adversité, la violence des catholiques (qui leur
jettent des pierres ou de la boue, tandis que les autorités les emprisonnent et les condamnent
au bûcher), prennent parfois les armes lors des guerres de religion (à Toulouse), connaissent
aussi la fuite vers les places de refuge (Genève, Londres)

* la sociologie de la Réforme féminine est intéressante


** à Lyon comme à Paris, les femmes de la bourgeoisie marchande et artisanale sont
très réceptives aux sirènes de la Réforme, ont envie de connaître la Bible, jugent sévèrement
le clergé paroissial (trop peu savant à leurs yeux), les veuves étant d’ailleurs surreprésentées
parmi ces roturières qui passent à la Réforme 
*** l’exemple de Marguerite Le Riche, dite la Dame de la Caille, fourni par l’Histoire
des martyrs de Jean Crespin (1554-1564, martyrologe protestant rappelant le martyre de 250
huguenots français), est intéressant :
cette libraire parisienne (à l’enseigne de la grand caille, d’où son surnom) est
mariée à un nicodémite (on appelle ainsi chez les protestants, par référence au Nicodème de
l’Evangile, un individu qui adhère intérieurement au protestantisme mais qui, par prudence,
continue d’afficher un catholicisme de façade), qui lui a fait prendre conscience des abus de
l’Eglise catholique ; plus courageuse que son mari, elle se fait admettre ds des assemblées
secrètes tenues par des calvinistes parisiens et refuse d’aller à la messe (ce que son mari
continue à faire) ; son mari s’emporte contre une attitude qu’il juge dangereuse jusqu’au jour
de Pâques 1559 où, craignant que son mari ne l’oblige à faire ses pâques, elle s’enfuit auprès
de ses amis huguenots ; elle revient ensuite auprès de son mari mais, entretemps, elle a été
dénoncée par le curé de la paroisse, qui a constaté son absence à la messe le jour de Pâques ;
elle est arrêtée et interrogée, soumise à la torture ; manifestant un courage exceptionnel,
refusant sous la torture de dénoncer ses coreligionnaires, chantant des psaumes pour donner
de la force aux autres prisonniers, suscitant l’admiration d’Anne du Bourg (conseiller au
parlement de Paris arrêté pour le même motif qu’elle ; attention : Anne est ici un prénom
masculin), elle est brûlée vive le 19 août 1559 
ce qui est significatif ici, c’est le rôle initial du mari, la conversion par la parole
plus que par la lecture directe, la participation aux assemblées clandestines (il y aurait un tiers
de femmes ds ces assemblées), le refus d’assister à la messe catholique (perçue comme une
abomination et une idolâtrie en raison de sa théorie mensongère de transsubstantiation), le
chant féminin des psaumes (qui scandalise les catholiques : chez les catholiques, il n’y a que
les religieuses qui chantent la messe car on redoute l’effet du « chant des sirènes » sur les
jeunes gens) 
*** les années 1560 qui voient l’entrée en guerre de religion radicalisent les
comportements :
les huguenotes s’affirment, travaillent les jours de fête chômée, s’habillent de
couleur sombre, chantent des psaumes tous les dimanches ds l’espace public en se rendant au
culte, améliorent soit par la participation aux assemblées (pour les analphabètes) soit par la
lecture personnelle (pour les alphabétisées) leur connaissance de la Bible, qui devient un signe
distinctif : les catholiques ne connaissent pas la Bible, à part la partie la mieux formée du
clergé (les théologiens), ie un minuscule pourcentage de la population, alors que les
protestants la connaissent très bien, y compris des femmes de milieu relativement modeste
et/ou analphabètes 
Henri III est sidéré, en 1588, en assistant à l’interrogatoire de deux femmes, les
Foucaudes (sans doute d’une famille nommée Foucaud), « deux pauvres filles de la
Religion » : « et répondoient ces pauvres femmes aux questions et objections de ces docteurs
[les deux docteurs en théologie qui les interrogent] si résolument et pertinemment, voire sur
les principaux points et articles controversés en la religion, que le roi en était tout étonné et les
docteurs bien empêchés à soudre [réfuter] les passages qu’elles leur alléguaient fort à propos
du texte propre de l’Ecriture sainte, et ne fut possible de les vaincre, sinon par bourrées et
fagots, auxquels pour conclusion ils les renvoyèrent comme hérétiques, damnables et
brûlables, et ce en la présence du roi, qui dit qu’il n’avait jamais vu femmes se défendre si
bien que celles-là, ni de mieux instruites en leur religion et hérésie, ce que les deux docteurs
aussi confessèrent » (Journal de Pierre de l’Estoile)
** de grandes dames ont été également intéressées par la Réforme :
*** Jeanne d’Albret, fille de Marguerite de Navarre, se convertit au calvinisme en
1560 et en fait la religion de ses Etats et de son fils, Henri de Navarre 
*** Renée de France, duchesse de Ferrare, a été en correspondance avec Calvin et,
après avoir connu les prisons de l’Inquisition italienne, a fondé une Eglise réformée à
Montargis 
*** même intérêt ardent chez la comtesse de Roye et ses deux filles, Eléonore,
princesse de Condé, et Charlotte, comtesse de La Rochefoucauld 
*** Charlotte de Laval, femme de l’amiral de Coligny ab 1547, offre le même profil :
elle contribue à la conversion de son mari (en 1560) et au calvinisme de leurs enfants (une de
leurs filles épouse en 1583 le stathouder des PU, Guillaume d’Orange, et est ainsi à l’origine
du calvinisme des Hohenzollern) 
*** Nancy Lyman ROELKER, historienne US et biographe de Jeanne d’Albret,
souligne que, ds la noblesse, ce sont bien souvent les femmes qui sont à l’origine de la
conversion familiale

les femmes protestantes sont amenées à tenir tête à des hommes (catholiques, certes, mais
aussi protestants) et cela ne va pas sans créer de vives tensions
* comme le dit Natalie Zemon DAVIS, « les femmes se sont engagées ds la Réforme pour
se rebeller contre les prêtres et le pape, pas contre leur mari » : or, ds certains cas, elles
doivent affronter leur mari 

* ensuite, elles doivent affronter les autorités catholiques (les docteurs, les théologiens,
tjrs des hommes) :
** elles entrent ds le cadre plus général des laïcs qui, grâce à leur connaissance de la
Bible, sont capables d’en remontrer à des clercs, des incultes capables de faire la leçon à des
lettrés, des femmes plus savantes que des hommes (la chose passe très mal : ds son Histoire
des martyrs, Crespin souligne chez les juges qui les affrontent « dépit et vergogne d’être
repris d’une femme ») 
** ds l’épreuve, les huguenotes manifestent un grand courage ; entre 1559 et 1598,
certaines huguenotes prennent la parole en prison (elles s’adressent aux autres protestants
emprisonnés, hommes et femmes) et certaines d’entre elles sont très rapidement présentées
comme des modèles (on a vu ds l’exaltation de ces femmes un effort pour compenser la
disparition de la sainteté féminine et notamment la disparition de la Vierge Marie) 

* par ailleurs, les structures d’Eglise mises en place par les protestants ne sont pas très
accueillantes aux femmes : autrement dit, les femmes protestantes ont du mal avec les
hommes protestants 
** les femmes n’ont pas à prendre la parole ds les assemblées (saint Paul l’interdisait
déjà), n’ont pas à prêcher, ne peuvent pas être pasteur ni contredire les pasteurs (en dépit du
sacerdoce universel), ne peuvent pas siéger au consistoire (le consistoire est, chez les
calvinistes, une instance normative composée du pasteur et d’ « anciens », ie de fidèles
honorablement connus)
** par ailleurs, les protestants ayant aboli le culte de la Vierge et des saints ont supprimé
toute possibilité d’adresser une prière à une femme alors que le Père et le Fils restent
masculins (la lettrée catholique Marie de Gournay, ds son Egalité des hommes et des femmes
de 1622, verra ds le sexe de Jésus une simple contingence historique : jamais les Juifs
n’auraient accepté une femme pour sauveur) ; cela signifie que les protestantes en train
d’accoucher ne peuvent plus invoquer la Vierge ni prier sainte Marguerite (Calvin leur
conseille d’adresser leurs gémissements et leurs soupirs au Seigneur, qui recevra leurs plaintes
comme une marque de soumission) 
** enfin, les femmes protestantes restent soumises à leur mari (la sujétion du sexe
féminin reste affirmée par Calvin : « que la femme se contente de sa sujétion et qu’il ne lui
vienne pas à déplaisir qu’elle est sujette au sexe le plus excellent » ; les consistoires privent du
droit de communier les maris qui battent leur femme mais ils condamnent à 3 jours de prison
au pain et à l’eau les femmes qui répondent à leur mari d’aller au diable ou l’injurient assez
fort pour que les voisins l’entendent)

* pourtant, certaines femmes calvinistes ont pris au sérieux la notion de « sacerdoce


universel » et ont prétendu que les femmes pouvaient faire de la théologie et être pasteurs
** la plus célèbre de ces femmes est Marie Dentière, une ancienne abbesse de Tournai
convertie au protestantisme et mariée à un pasteur genevois : elle écrit en 1538 une Epître à la
reine de Navarre contenant une Défense pour les femmes où elle estime que rien ne s’oppose
à l’intervention des femmes ds la sphère théologique et pastorale ; Calvin est outré de pareille
prétention qui pour lui revient à défier saint Paul ; même réaction outrée de Calvin quand Jean
Morély, en 1562, propose d’ouvrir aux femmes le diaconat (il faudra attendre 1841-1842 pour
qu’on ait des diaconesses dans l’Europe calviniste) 
** il y eut cependant sur le terrain qqes cas de femmes capables de défier les règles
misogynes, de tenir des réunions, de commenter la Bible, de contester leur pasteur
(exactement comme en Angleterre au même moment, des femmes s’adonnèrent aux exercises
of prophesying) 

312. Les huguenotes aux XVIIe et XVIIIe s


après 1598, l’histoire des femmes protestantes suit celle des hommes protestants
* l’édit de Nantes de 1598 organise dans toute la France le culte réformé (on dit alors la
Religion Prétendue Réformée, RPR), en théorie à perpétuité, ds les faits pour 87 ans
** on y trouve
*** la liberté de conscience
*** la liberté de culte
1/partout où le culte réformé était organisé en 1597
2/ds 3500 châteaux de seigneurs justiciers protestants
3/ds deux localités par bailliage 
*** un certain nb de garanties : les protestants ont accès aux charges et dignités,
peuvent ouvrir des académies (équivalent des collèges et des séminaires), sont jugés par des
chambres mi-parties (comptant autant de juges protestants que catholiques)
*** les articles secrets donnent aux protestants 150 lieux de refuge dont 51 places de
sûreté (La Rochelle, Cognac, Bergerac, Montauban, Nîmes, Alès, Briançon…) mais ces
articles secrets seront abrogés dès 1629 par l’édit d’Alès
** l’édit de Nantes réduit les femmes protestantes à la soumission au masculin (les
femmes réformées ne se manifestent plus ds la sphère publique et elles sont soumises au
regard acéré des consistoires, qui imposent une norme vestimentaire et comportementale
stricte : pas de décolleté, pas d’entortillement des cheveux, pas de bijoux, pas de fard) 
** l’édit de Nantes est appliqué « à la rigueur » (avec rigueur, avec malveillance) à
partir de 1656 
*** la persécution commence en 1679 et elle a rapidement de lourdes conséquences
du côté des femmes protestantes : les mariages entre catholiques et protestants sont interdits,
les enfants protestants sont convertis d’autorité dès l’âge de 7 ans, sans l’autorisation de leurs
parents 
*** à partir de 1682, on pratique contre eux les dragonnades (le logement des gens de
guerre est réservé aux protestants avec licence donnée aux dragons de se mal conduire : vols,
brutalités, impudicités, viols), le but des autorités étant de pousser les réformés à la
conversion (entre 1682 et 1685, les conversions se multiplient en effet par l’action de ces
« missionnaires bottés » ; les violences contre les femmes et les jeunes filles sont attestées un
peu partout et semblent avoir joué un rôle considérable dans les conversions)

* la révocation de l’édit de Nantes est prononcée en octobre 1685, par l’édit de


Fontainebleau :
** le culte réformé est interdit, tous les temples sont démolis, les pasteurs doivent quitter
le royaume, les fidèles doivent y rester
*** ceux qui se font prendre aux frontières sont envoyés aux galères pour les hommes,
dans des couvents de « nouvelles catholiques » pour les femmes ; il y a malgré cela 200.000
départs vers les PU, l’Angleterre, l’électorat de Brandebourg
*** le culte redevient clandestin (on a des cultes « au désert », ie en pleine nature,
notamment ds les Cévennes, région de protestantisme rural : les paysans protestants des
Cévennes, région éloignée des frontières, n’ont pas pu ou pas voulu partir)
** après la révocation de 1685, les protestantes clandestines redeviennent des héroïnes :
*** ds certains cas, des prophétesses (on a une vague de prophétisme, et notamment
de prophétisme féminin [Isabeau Vincent en Dauphiné dès 1688, d’autres femmes ds les
Cévennes et le Bas Languedoc ab 1700, avec appel à entrer en résistance et à pratiquer au
grand jour])
*** puis des rebelles (pendant la révolte des camisards de 1702-1704 ds les Cévennes,
8% des 2500 noms de camisards que nous avons sont des noms de femmes : rarement
combattantes mais souvent auxiliaires précieuses des combattants qu’elles cachent et qu’elles
nourrissent et agents psychologiques de 1er ordre, capables de prophétiser [la prophétie est
intéressante car son don est mixte] et de soulever les populations locales contre le papisme et
la tyrannie)
*** puis le plus souvent des héroïnes de l’éducation (après 1715, les autorités
protestantes rappellent la stricte orthodoxie calviniste et interdisent aux femmes de prêcher ;
mais les huguenotes jouent un rôle pédagogique essentiel auprès de leurs enfants, s’efforcent
de leur transmettre « la vraie religion » et les valeurs un peu austères qui vont avec ; ce travail
de transmission ne se limite pas à leurs enfants comme nous le prouve la « veuve de Nîmes »
instruisant Jacques-Louis Ménétra de toutes les horreurs commises par les autorités royales et
les prêtres catholiques)
*** parfois des héroïnes des assemblées du désert (comme Marie Durand, qui paye sa
participation à l’une de ces assemblées de 38 ans d’emprisonnement ds la tour de Constance,
à Aigues Mortes, de 1730 à 1768 : elle est la dernière huguenote à y avoir été détenue)

Nathalie Zemon DAVIS conclut en disant que le protestantisme semble assimilationniste (le
groupe subordonné [les femmes] serait porté au niveau du groupe supérieur [les hommes])
alors que le catholicisme est fondamentalement pluraliste (les groupes restent distincts) mais
que, ds les faits, aux XVIe-XVIIIe s, les femmes restent soumises aux hommes des deux côtés
de la frontière religieuse (ce qui est vrai) ; cela dit, le protestantisme me semble à terme
infiniment plus disruptif que le catholicisme et plus riche de conséquences pour
l’émancipation des femmes, comme le prouvera l’histoire du féminisme aux XIXe et XXe s

32. Les catholiques


à la fin du XVIe s commence la Contre-Réforme, que les historiens actuels préfèrent appeler
la Réforme catholique : les impulsions de cette Contre-Réforme sont masculines mais des
femmes de la bonne société y jouent un rôle non-négligeable

321. Les religieuses


les ordres religieux féminins ont depuis longtemps adopté les trois vœux (pauvreté, chasteté,
obéissance) et des règles strictes dont la clôture (les étrangers ne peuvent pas entrer ds le
monastère, appelé souvent abbaye ou couvent [clôture passive] ; les moniales ne peuvent pas
sortir du monastère [clôture active] ; en 1298, le pape Boniface VIII a imposé la clôture à
toutes les maisons de femmes) 
* comme ds les ordres masculins, on observe généralement un relâchement de la
discipline et un désir de retour à la règle stricte (mouvement dit d’observance) 

* chez les protestants, les ordres monastiques sont supprimés et les monastères sont
dissous (Angleterre 1536) 

* le Concile de Trente (1545-1563), grand concile de la Contre-Réforme, a rappelé la


bulle de Boniface VIII, en précisant seulement ds quels cas on peut autoriser une moniale à
sortir (grand incendie, maladie contagieuse) ; il a incontestablement renforcé le désir
d’observance chez les religieuses consacrées

le principal mouvement d’observance chez des religieuses françaises au XVIIe s est celui
des religieuses de Port-Royal 
* Jacqueline Arnauld (1591-1661) est entrée à l’abbaye cistercienne de Port-Royal des
Champs (à l’O de Paris, ds la vallée de Chevreuse) comme novice à 8 ans ; à 11 ans, elle en
est l’abbesse (elle devient Mère Angélique Arnauld) ; à 18 ans, en 1609, elle décide de
réformer l’abbaye, en commençant par la clôture (elle affronte très violemment son père ds ce
qu’on appelle la « journée du guichet », 25 septembre 1609 : rompant avec sa pratique
antérieure, elle refuse de le voir ailleurs qu’au parloir, séparé d’elle par une grille ; la journée
est devenue très célèbre ds l’histoire du jansénisme) 
* de 1618 à 1623, le succès de la réforme de Port-Royal la pousse à intervenir de même à
Maubuisson (plus au N, vers Pontoise), abbaye jusque là très mal tenue, tandis qu’elle confie
Port-Royal à sa sœur, Mère Agnès 

* en 1624, l’air de Port-Royal s’étant révélé malsain, elle achète l’hôtel de Clagny, près du
faubourg Saint-Jacques, qui va lui permettre de transférer les religieuses de Port-Royal des
Champs à Port-Royal de Paris ; à Maubuisson, elle avait rencontré François de Sales, gde
figure spirituelle de l’époque, et, à la mort de François de Sales, en 1622, elle était passée sous
l’influence de l’abbé de Saint-Cyran, introducteur en France des idées de Jansénius : en 1635,
elle en fait le confesseur des moniales (elle est aussi en étroite relation avec Jeanne de
Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation)

* en 1638, de pieux laïcs de sa famille (le 1er, Antoine Le Maistre, est le neveu de Mère
Angélique) lui demandent l’autorisation de s’installer à Port-Royal des Champs déserté par
les religieuses et qui leur paraît propice à la méditation et à la prière : on les appelle bientôt les
Solitaires de Port Royal (ils se livrent à des activités intellectuelles [par exemple
l’enseignement, ds ce qu’on appelle les Petites Ecoles de Port-Royal, sans doute de très loin le
meilleur établissement d’enseignement de France au XVIIe s mais qui hélas n’a fonctionné
qu’une vingtaine d’années ; il suffit de rappeler que Racine y fut élève et qu’il y a tout appris]
et à des activités manuelles, notamment des travaux d’assainissement qui feront reculer la
malaria et permettront le retour des sœurs) 

* en 1648, Mère Angélique retourne aux Champs, accompagnée d’une dizaine de


religieuses : les Solitaires quittent alors l’abbaye pour s’installer aux « Granges de Port-
Royal » (où sont également installées les Petites Ecoles ; on peut croiser aux Granges le prêtre
Louis-Isaac Lemaistre de Sacy, neveu de Mère Angélique, confesseur de Port-Royal des
Champs, le philosophe et théologien Antoine Arnauld, plus jeune frère d’Angélique et
d’Agnès, appelé le Grand Arnauld, inlassable défenseur de Port-Royal, le pédagogue et
grammairien Claude Lancelot, le médecin Jean Hamon, au pied de qui Jean Racine demanda à
être enterré, le pédagogue et logicien Pierre Nicole qui fut le professeur de grec de Racine et
écrivit avec Arnauld la Logique de PR, sans oublier Blaise Pascal, qui a fait en 1656 deux
retraites à Port-Royal où sa sœur Jacqueline était religieuse) 

les carmélites :
* l’ordre du Carmel, réformé en Espagne par la grande mystique Thérèse d’Avila (1515-
1582), est introduit en France par Mme Acarie (1566-1618) 
** Barbe Acarie a été mariée à 16 ans ½ à un riche robin, doté de plusieurs seigneuries,
Pierre Acarie, qui adhère à la Ligue avec passion, ce qui lui vaut qqes ennuis qd Henri IV
entre ds Paris, en 1594 ; c’est Barbe qui, par ses qualités de négociation, parvient à obtenir
pour son mari le pardon royal, en 1599 ; ds la même décennie 1590, Barbe commence ses
expériences mystiques et, en particulier, elle reçoit les stigmates (sous le nom de Marie de
l’Incarnation, elle est la 1ère stigmatisée française) 
** vers 1599-1600, elle anime aussi un cercle spirituel qui comprend Pierre de Bérulle,
Michel de Marillac, François de Sales, Vincent de Paul ; elle lit les œuvres de Thérèse
d’Avila, qui viennent d’être traduites en français et lui vient alors l’idée de créer un Carmel en
France (les carmélites sont des contemplatives qui veulent pousser à l’extrême le retrait du
monde), idée partagée au même moment par la duchesse de Longueville 

* les Espagnols ne sont pas très enthousiastes pour envoyer qqes-unes de leurs carmélites
en France mais, finalement, le 15 octobre 1604, grâce à Mme Acarie, deux carmélites
espagnoles participent à la fondation du premier carmel français, à Paris (ce couvent de
l’Incarnation du faubourg Saint-Jacques, rasé en 1797, se trouvait à l’emplacement de l’actuel
lycée Lavoisier ; deux maîtresses de Louis XIV s’y retireront, Mme de La Vallière et Mme de
Montespan) 
** suivent les carmels de Pontoise (1605), Dijon (1605), Amiens (1606), Tours (1608),
Rouen (1609) ; en 1618, à la mort de Mme Acarie, il y a 27 carmels en France ; en 1668, il y
en a 62 
** en 1614, Barbe Acarie perd son mari et entre comme sœur converse au carmel
d’Amiens ; en 1616, elle passe au carmel de Pontoise ; elle y meurt en 1618

les ordres enseignants : les ursulines, la congrégation Notre-Dame, les visitandines, la


compagnie de Marie ND 
* la compagnie de Sainte Ursule, dont les membres sont appelées les ursulines, a été créée
ds les années 1530 en Italie par Angèle Merici
** en 1592, une branche française est créée à l’Isle sur Sorgue par deux pieuses
demoiselles, Sybille de Mazan et Françoise de Bermond 
** en 1612, la congrégation séculière devient l’ordre religieux des ursulines (clôture,
vœux solennels) avec double vocation, contemplative et enseignante ; c’est l’ordre enseignant
féminin le plus important des XVIIe et XVIIIe s (310 maisons en 1668, 400 en 1715, rien
qu’en France) et on le retrouve au XIXe s (pensez à Madame Bovary)

* créée en 1598 par Pierre Fourier et Alix Le Clerc, la congrégation Notre-Dame est
d’abord une congrégation séculière à vocation enseignante (sans clôture, sans vœux),
s’adressant à un public de petites villageoises des Trois Evêchés et de Lorraine
** la pression est très forte et, en 1628, la clôture est imposée
** la clôture modifie le public, qui devient plus sélectif

* en 1605 est créée à Bordeaux par Jeanne de Lestonnac, nièce de Montaigne, la


compagnie de Marie-Notre-Dame, pour « enseigner des jeunes filles de bonne maison » sur le
modèle organisationnel de la Compagnie de Jésus 
** en 1607, elle accepte la clôture mais n’est pas autorisée à imiter le modèle jésuite (il
n’y aura pas de supérieure générale) 
** en 1640, elle compte 30 couvents qui sont autant d’institutions d’enseignement 
* en 1610 est créé à Annecy l’ordre de la Visitation (dont les membres sont les
visitandines) ; cette création est due à l’évêque du lieu, François de Sales, et à Jeanne de
Chantal :
** au départ, la congrégation (socialement très élitiste) devait être séculière, sans
clôture, avec une vocation spirituelle, hospitalière et enseignante 
** mais François de Sales ne parvient pas à convaincre l’archevêque de Lyon et, en
1618, la Visitation est érigée en ordre monastique à clôture et à vœux (on ne visite plus les
malades ; comme à Port-Royal, la supérieure de chaque établissement est élue tous les 3 ans) 
** en 1640, l’ordre compte 87 maisons ; en 1789, il en compte 128 
** en 1651 est créé le couvent des visitandines de Chaillot, où sera élevée Henriette
d’Angleterre, future belle-sœur de Louis XIV

* ce que montrent ces différentes congrégations, c’est quelques traits significatifs :


** à l’origine la rencontre d’une femme pieuse de la bonne société et d’un ecclésiastique
réformateur 
** ensuite, des autorités royales réticentes parce que déroutées par ces communautés de
femmes pleines d’ambition et craignant qu’elles ne se piquent de prêcher 
** enfin, l’imposition générale de la clôture, avec des conséquences très fortes (le
couvent accueillant des filles des catégories moyennes et supérieures, pas des petites écoles
pour toutes les filles)

322. Les pieuses laïques


les congrégations de laïques
* à la fin du XVIe et au début du XVIIe s, ds le N de la France actuelle alors sous
domination espagnole, apparaissent les « jésuitesses » 
** ce sont des laïques vivant en communautés (Communauté de filles dévotes de Sainte
Agnès, Communauté de filles dévotes de ND, Congrégation de Saint-Omer [1609-1628]) et
qui se dévouent à l’enseignement des filles et notamment des filles pauvres 
** il y a de fortes pressions de Rome en faveur de la fermeture des « filles dévotes »,
structure de laïques vivant en communautés mais très mal contrôlées ; elles sont cependant
défendues par les municipalités, l’infante Isabelle gouvernante des Pays-Bas et l’archevêque
de Cambrai, en raison de leur très grande utilité sur le terrain

* les Filles de la Charité, créées en 1633 par Vincent de Paul et Louise de Marillac (nièce
du garde des sceaux Michel de Marillac ; les Marillac sont une famille de la robe auvergnate)
** les Filles de la Charité ne sont pas un ordre religieux mais une simple congrégation
sans vœux, sans clôture, sans couvent (« elles auront pour monastère les maisons des malades,
pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église paroissiale, pour cloître les rues de
la ville, pour voile la sainte modestie ») 
** en fait, malgré ces beaux principes, elles vivent en établissement (il y en a 280 en
1700, 420 en 1789 : presque un établissement par bailliage) ; leur très grande originalité, c’est
leur origine sociale bcp plus modeste que celle des religieuses stricto sensu : elles sont
d’origine paysanne et vivent parmi les pauvres, vêtues d’une simple robe-tablier de couleur
sombre et d’une cornette (coiffe qui ne disparaîtra que ds les années 1960 : c’est celle des
bonnes sœurs dans La grande vadrouille)

* sous Louis XIV, on crée des structures analogues pour enseigner gratuitement les filles
du peuple : ce sont
** les Sœurs de la Providence en Normandie (issues des Maîtresses des écoles
charitables du Saint Enfant Jésus du père Barré, Rouen, 1666)
** les Sœurs de l’enfant Jésus à Reims
** les Dames de Saint-Maur ds le reste du royaume

* on peut parler d’une réelle promotion des femmes ds l’Eglise ; passée l’époque où les
évêques ne rêvent que de clôture (« il faut à une femme le mariage ou une clôture »), on se
rend compte que ces congrégations de femmes sont bien utiles, permettront de faire
progresser l’alphabétisation des filles du peuple, de plus en plus indispensable à la pastorale
catholique

les grandes dévotes


* Mme Acarie (1566-1618), Jeanne de Chantal (1572-1641), Louise de Marillac (1591-
1660) sont de très grands tempéraments spirituels et montrent que les femmes s’imposent
fortement au XVIIe s ds le champ religieux 
** elles appartiennent toutes les trois à des familles de robins (les Avrillot, Frémyot,
Marillac ; Louise de Marillac a une originalité, sa naissance est irrégulière, c’est une bâtarde)
** elles ont toutes les trois été mariées
*** Barbe Avrillot a été mariée à un collègue de son père, Pierre Acarie, maître des
comptes en la Chambre des comptes
*** Jeanne Frémyot est la fille d’un président à mortier au parlement de Dijon qui a
été mariée très jeune à un noble d’épée, Christophe de Rabutin-Chantal (elle est ainsi la
grand-mère paternelle de Mme de Sévigné)
*** Louise de Marillac était entrée dès l’âge de 4 ans au couvent de Poissy mais, sous
la pression de son oncle Michel de Marillac, qui sera surintendant des finances en 1624 puis
garde des sceaux en 1626, elle a épousé en 1613 un certain Le Bras, secrétaire des
commandements de Marie de Médicis
*** Barbe Acarie a eu 6 enfants, Jeanne de Chantal en a eu 6 aussi, Louise de Marillac
en a eu 1 
** le veuvage (1601 pour Jeanne de Chantal, 1613 pour Barbe Acarie, 1625 pour Louise
de Marillac) leur a permis de vivre une vie pleinement spirituelle tout en conservant les
habitudes de sage gestion qui avaient été les leurs ds leur vie de femme mariée :
*** Jeanne de Chantal crée la Visitation avec François de Sales, Barbe Acarie entre au
Carmel, Louise de Marillac réunit autour d’elles les Dames de la Charité et fonde avec
Vincent de Paul les Filles de la Charité 
*** Barbe Acarie, depuis les années 1590, multiplie quotidiennement les exercices de
piété (prières, assistance aux offices, examen de conscience, méditations, lectures pieuses),
Jeanne de Chantal a eu François de Sales comme directeur de conscience (une de ses filles a
épousé le frère de François de Sales), Louise de Marillac est en relation étroite avec Vincent
de Paul

* ces trois femmes ne sont pas les seules : se multiplient dans les élites les vocations
féminines du même type (sans doute en relation avec les troubles de l’époque : guerres de
religion, guerre étrangère, régences) 
** c’est pour ces femmes que François de Sales publie en 1609 son Introduction à la vie
dévote, « premier guide spirituel explicitement destiné aux laïcs » (Jean QUENIART) 
** ds ce texte, François de Sales s’adresse à l’une de ses pénitentes d’Annecy qu’il
appelle « très chère Philothée » : il l’assure que la perfection chrétienne est compatible avec le
mariage et la vie ds le monde ; par ce texte, François de Sales essaie de renverser le préjugé
lourdement antiféministe des milieux ecclésiastiques (« il faut aider le sexe féminin lequel on
méprise ») et de montrer aux dames chrétiennes qu’il n’est pas nécessaire « d’entrer en
religion » (de devenir religieuse consacrée et cloîtrée) pour mener une vie chrétienne ; signe
d’un réel succès, il a bcp d’imitateurs et on voit se multiplier pendant tout le XVIIe s les
correspondances suivies entre directeurs de conscience et dirigées

les confréries de dévotion


* elles sont désormais bcp plus ouvertes aux femmes mais à des femmes de la bonne
société (noblesse, robe, bourgeoisie) 
** les Dames de la charité de Vincent de Paul en sont un excellent exemple (il ne faut
surtout pas les confondre avec les Filles de la charité, qui sont du peuple ; les Dames de la
Charité sont toutes de la bonne société, souvent nobles)
** un autre exemple de dame charitable nous est fourni par Mme de Miramion, la riche
veuve que Bussy-Rabutin avait voulu enlever : après sa libération, elle crée un orphelinat, un
refuge pour prostituées repenties, une maison de retraite pour catholiques ou protestantes
converties, donne de l’argent à l’hôpital général et aux missions étrangères, fonde la
Communauté de la Sainte-Famille ou des Miramiones, qui crée des écoles gratuites et secourt
les malades

* à l’intérieur de ces confréries et compagnies charitables (qui sont d’échelle paroissiale,


avec une présidente et des officières élues), des dames multiplient les activités de
bienfaisance 
** elles visitent les pauvres pour les aider (elles apportent généralement du pain et de
petites sommes d’argent) mais aussi pour les civiliser et les améliorer (ils doivent travailler,
être de bonnes mœurs, aller à la messe le dimanche, communier pour Pâques, envoyer leurs
enfants au catéchisme, prier [la distribution charitable est généralement précédée d’une
prière]) 
** autrement dit, se met en place au XVIIe s le type de la dame patronnesse (qui se
maintiendra jusqu’à la première moitié du XXe s) ; ce faisant, elles ont le sentiment de faire
leur salut en même temps que celui de ceux à qui elles viennent en aide
* le hic est que ces dames ne sont pas toujours capables de se livrer aux activités
manuelles ou aux durs travaux que requiert la charité concrète (on sait que des Dames de la
charité envoyaient leurs servantes quand il s’agissait d’aider concrètement ; c’est pour cela
que Louise de Marillac a fini par créer les Filles de la charité, au recrutement bcp plus
modeste mais bcp plus efficaces ; à partir de là, les Dames de la charité jouent surtout un rôle
de bienfaitrices [elles font des dons])

323. Les mystiques


le XVIIe s a vu, sous l’influence de l’Espagne, se multiplier les femmes mystiques,
recherchant avec la divinité un contact direct, du type de l’extase (pensez à la statue du Bernin
représentant l’extase de sainte Thérèse) :
* c’est le cas de Mme Acarie et de Jeanne de Chantal

* c’est aussi le cas de Marguerite du Saint-Sacrement (1619-1648 ; carmélite de Beaune,


très importante ds la dévotion à l’Enfant-Jésus), Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690 ;
visitandine à Paray-le-Monial, très importante ds la dévotion au Sacré-Cœur), Mme Guyon
(1648-1717, proche de Fénelon, devenue la grande héroïne du quiétisme)

* on peut parler d’invasion mystique de l’âge baroque

la mystique est très importante dans la religion chrétienne, en même temps qu’elle est très
problématique :
* par son obsession du contact direct et non intellectuel, elle est accessible à ceux qui sont
écartés de la théologie et des positions d’autorité et dc aux femmes 

* le discours mystique insiste sur le fait que Dieu préfère parler aux simples plutôt qu’aux
savants et que pour cette raison, il préfère s’adresser aux femmes à cause de la leur faiblesse,
de leur petitesse, de leur bassesse (Mme Guyon écrit : « les femmes restant nues, vides,
dépouillées de tout, sans science, sans distinguer si ce qu’elles disent est bien ou mal, elles
sont plus propres à faire couler les vérités nues. Et c’est pourquoi ordinairement, les grandes
âmes que Dieu veut humilier et illuminer, non en lumière de raison mais en vérité, il les
attache à de pauvres femmelettes » ; « cela coulait comme du fond et ne passait point par ma
tête »)

elle nie du même coup le rôle de la rationalité théologique et le rôle de l’Eglise institution,
qui est supposée justement être l’intermédiaire indispensable entre la divinité et les fidèles –et
c’est pourquoi elle va susciter tant d’hostilité ds l’institution 
* de fait, fortes de leur contact direct avec Dieu, les mystiques en viennent à donner des
conseils et à pratiquer sans le dire la direction de conscience, avec des femmes, avec des
hommes, et même (abomination de la désolation) avec leur propre directeur de conscience
** ce fut le cas de Marguerite du Saint-Sacrement (1619-1648) avec son confesseur au
Carmel de Beaune : « il la dirigeait et se faisait à son tour diriger par elle » écrit un autre curé,
scandalisé 
** ce fut aussi le cas de Marie Rousseau (1596-1680), veuve d’un marchand de vin
parisien, qui reprocha à Jean-Jacques Olier, curé oratorien de Saint-Sulpice, sa légèreté et sa
vanité et qui, ce faisant, le poussa à se réformer et à fonder le séminaire de Saint-Sulpice et la
compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (Olier écrit : « Quoique cette femme soit d'une basse
naissance et d'une condition qu'on a presque honte de nommer, elle est toutefois le conseil et
la lumière des personnes de Paris les plus illustres par leur extraction et des êtres les plus
élevées en vertu et en grâce » « Que ne dois-je pas à Dieu de m'avoir donné pour fils à cette
créature, et plût à Lui qu'il ait bien voulu me la donner pour mère ! ») 
** de même, du propre aveu de Fénelon, Mme Guyon (1648-1717) a fortement
influencé l’archevêque de Cambrai ds le sens de la dévotion à l’Enfant-Jésus, et elle a
entretenu avec lui une correspondance nourrie

* la condamnation ne tarde pas à s’exprimer


** ds un traité de 1673, Les secrets de la vie spirituelle, qui en découvrent les illusions,
le jésuite François Guilloré (1615-1684) condamne : « Nous sommes ds un étrange siècle où il
se trouve aussi bien des directrices que des directeurs. C’est un renversement intolérable, que
celles qui n’eurent jamais d’autre emploi dans l’Eglise de Dieu que celui de prier, veuillent
maintenant prendre un nouveau rang en prenant celui de conduire les âmes ; l’Eglise n’a pas
jugé qu’elles fussent capables d’aucune occupation hiérarchique, et elles veulent s’élever
contre son jugement en s’appropriant, par une étrange confusion d’ordre, ce qui appartient à
l’homme, et en s’ingérant d’une chose pour laquelle elles n’ont pas la moindre capacité. Elles
doivent plutôt se persuader avec beaucoup d’humilité que le propre du sexe sont les ténèbres
et le silence. » 
** à ce genre d’attaque, les femmes mystiques répondent que leurs valeurs sont
profondément féminines (ignorance, intuition, connaissance irrationnelle, esprit d’enfance,
passivité, soumission) 

après 1650, on observe une méfiance croissante associée au passage du baroque au


classicisme, de l’irrationnel au cartésianisme et de la contestation frondeuse à l’ordre
louisquatorzien 
* le prouve tout particulièrement le destin de Mme Guyon 

* Marie Bouvier de La Motte est la fille d’un maître des requêtes (son père appartient à la
robe d’Etat) et elle grandit sur les terres familiales, à Montargis 
** ayant lu la Vie de Jeanne de Chantal et ayant, à partir de l’âge de 13 ans, subi
l’influence mystique de la duchesse de Béthune-Charost (hébergée par sa famille), elle désire
entrer à la Visitation mais elle est mariée, à 16 ans, à un homme très riche et bcp plus âgé
qu’elle, Jacques Guyon du Chesnoy, âgé de 38 ans (il lui fait 5 enfants, dont 3 atteignent l’âge
adulte) ; elle a toute une série de contacts avec des mystiques, dont le plus important est le
Normand Jacques Bertot, qu’elle rencontre en 1671 et qui est son directeur mystique pendant
10 ans 
** son mari meurt en 1676 et, à 28 ans, elle se retrouve à la tête d’une belle fortune dont
elle peut disposer à sa guise 
*** en 1681, elle se rend à Gex, près de Genève, pour y prendre la direction d’un
établissement de Nouvelles Catholiques, ce qui ne va pas sans peine ni tracas (elle se rend
compte que les malheureuses ont été forcées à se convertir) ; au même moment, elle écrit le
Moyen court et très facile de faire oraison 
*** en 1686, elle s’installe à Paris où elle prend la direction spirituelle d’une groupe
qui s’était constitué sous la houlette de Jacques Bertot ; son demi-frère, le père de La Motte,
lance alors contre elle une campagne de calomnies, l’accusant de quiétisme et de débauche 
*** en janvier 1688, accusée d’hérésie, elle est internée chez les visitandines de la rue
Saint-Antoine : elle commence à y écrire sa Vie ; Mgr de Harlay, archevêque de Paris qui
lorgne la fortune de Mme Guyon, se livre à un chantage odieux : si la fille de Mme Guyon
épouse le neveu de l’archevêque, elle est libre 
*** de fait, elle est libérée en septembre 1688 sur intervention de Mme de Maintenon ;
elle se retire chez les miramiones, puis séjourne au château de Beynes où elle rencontre
Fénelon, qui est d’abord circonspect, puis littéralement conquis (il dit d’elle qu’elle est sa
« directrice de conscience », sa « dispensatrice de grâce ») ; c’est alors qu’elle fait des adeptes
ds les milieux de la cour (Fénelon lui fait connaître les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse,
et leurs femmes, filles de Colbert ; se constitue alors ce qu’on appelle le « petit troupeau » ;
Mme de Maintenon n’en fait pas partie stricto sensu mais elle apprécie bcp Mme Guyon et, en
1689, la fait entrer à Saint-Cyr, où elle multiplie les adeptes ; au même moment, Louis XIV
nomme Fénelon précepteur de ses petits-fils, les ducs de Bourgogne et d’Anjou) ; mais Mme
Guyon a aussi des ennemis qui s’inquiètent de plus en plus : l’un d’eux, Paul Godet des
Marais, est confesseur à Saint-Cyr et il va utiliser contre elle des agents provocateurs (deux
dames de Saint-Cyr se font passer pour des adeptes et font ensuite des rapports à Godet) 
*** en mai 1693, Mme Guyon est chassée de Saint-Cyr ; en 1694-1695, ses écrits
(Torrents spirituels, Moyen court de faire oraison, Cantique des cantiques de Salomon, Vie de
Mme Guyon écrite par elle-même) sont examinés par Bossuet qui, ds un premier temps, n’y
voit rien que de catholique, puis, ds un second temps, devient plus hostile (en particulier lors
de ce qu’on appelle les conférences d’Issy, ds une dépendance du séminaire de Saint-
Sulpice) ; en janvier 1695, Mme Guyon se rend à Meaux pour pouvoir être interrogée par
Bossuet : il se montre désagréable et emporté ; in fine, en février 1695, il interdit à Mme
Guyon d’« écrire, d’enseigner, de dogmatiser dans l’Eglise, ou de répandre ses livres
imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes ds la voie d’oraison » (mais elle refuse de
signer un aveu d’hérésie) 
*** la querelle entre l’aigle de Meaux et le cygne de Cambrai est ouverte :
entre février et juillet 1695, Mme Guyon est enfermée à la Visitation de Meaux ;
en juillet, elle quitte Meaux en triomphe ds la voiture de la duchesse de Mortemart, puis
séjourne clandestinement à Paris où elle est interdite de séjour 
en décembre 1695, elle est découverte et enfermée à Vincennes, puis en 1696 au
couvent de Vaugirard, puis en juin 1698 à la Bastille, où elle reste 5 ans sans chef
d’accusation 
ab 1703, elle finit sa vie à Blois, où elle est entourée de quelques fidèles,
catholiques et protestants (aujourd’hui, son influence est bcp plus forte ds le monde protestant
que ds le monde catholique) et elle meurt en 1717 

* comme le dit Linda TIMMERMANS, la fin du mysticisme a marqué « la fin d’une
forme originale de promotion féminine » ; à partir de la querelle quiétiste, de plus en plus de
femmes mystiques sont enfermées au couvent, en prison ou avec les fous de l’hôpital général
** le mysticisme paraît le résultat d’une imagination déréglée, d’une nature
mélancolique, la mélancolie étant une maladie mentale proche de la folie et qui touche bcp les
femmes, à cause de leur faiblesse morale et physique 
** on pense de plus en plus que c’est à la médecine de s’en occuper, par un changement
d’air ou des médicaments

324. Les jansénistes


Port-Royal est au cœur du jansénisme français
* Port-Royal est le résultat de la rencontre d’une aspiration spirituelle (le jansénisme,
doctrine augustinienne de la grâce d’un certain Jansénius), d’un lieu (l’abbaye de Port-Royal
des Champs, ds la vallée de Chevreuse) et d’une famille de robins (les Arnauld) ; la rencontre
s’est faite entre 1635 (moment où l’abbé de Saint-Cyran devient le directeur spirituel de
l’abbaye) et 1643 (moment où Antoine Arnauld publie De la fréquente communion)

* c’est en 1656 que la crise se noue avec la condamnation d’Antoine Arnauld :


** l’abbaye qui a connu bien des tribulations à la fin de la Fronde (très dure pour les
campagnes de la région parisienne), est alors florissante car ses petites écoles jouissent d’une
excellente réputation et elle attire à elle d’anciens frondeurs, dont la duchesse de Longueville
et le prince de Conti (cf Lucien GOLDMAN, Le dieu caché) 
** le 6 janvier 1656, Antoine Arnauld, qui vient de batailler pendant plusieurs mois en
Sorbonne contre les molinistes (les jésuites, les laxistes), est chassé de la Sorbonne (fait sans
précédent, il est rayé de la liste des docteurs, ce qui signifie qu’il ne peut plus enseigner) ;
c’est ds ce contexte que Pascal écrit les Provinciales, 18 lettres en défense d’Antoine Arnauld
contre les jésuites, qui est un immense succès ; en mars 1656 se produit le miracle de la
Sainte-Epine, qui renforce la position de PR (une pensionnaire de PR, Marguerite Périer,
nièce de Blaise Pascal, âgée de 10 ans, souffrant d’une fistule lacrymale, est miraculeusement
guérie après avoir touché une relique de la sainte épine)

* mais le 13 avril 1661, le Conseil d’Etat rend obligatoire pour tous les ecclésiastiques (y
compris les religieuses de PR) la signature d’un Formulaire condamnant 5 propositions tirées
de l’Augustinus de Jansenius 
** les proches de PR affirment très rapidement que les propositions sont condamnables
ds l’absolu mais qu’elles ne se trouvent pas chez Jansenius (c’est la distinction du droit et du
fait) ; les religieuses ajoutent que, si on ne leur permet pas de faire cette distinction, elles ne
signeront pas 
** c’est la guerre : Louis XIV interdit à PR (communauté florissante de 130 religieuses,
dont 113 professes [on distingue les novices, qui n’ont pas encore prononcé leurs vœux, des
professes, qui les ont prononcés]) de recevoir des novices et des pensionnaires et ses
directeurs spirituels (dont Lemaistre de Sacy) doivent quitter l’abbaye ; Mère Angélique
meurt en 1661 et sa successeuse Mère Madeleine de Sainte-Agnès connaît 8 années très
difficiles : en août 1664, l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, se rend à PR de Paris et
décide d’exiler 16 religieuses ds divers couvents de la capitale ; en novembre 1664, il se rend
à PR des Champs et agit de la même façon ; les religieuses de Paris finissent par céder ds le
courant de l’année 1665 mais celles de PR des Champs tiennent bon, alors qu’elles sont
privées de sacrements et sous la surveillance de 4 archers qui leur imposent brimades et
interdictions 

* en février 1669, c’est la paix de l’Eglise :


** l’évêque de Meaux, qui est le frère de l’abbesse, se rend à PR des Champs
(accompagné secrètement d’Antoine Arnauld et de Lemaistre de Sacy) et convainc les
religieuses de signer en échange d’une acceptation tacite de la distinction du fait et du droit 
** les choses se normalisent alors : l’abbaye peut de nouveau avoir des novices et des
pensionnaires, les Solitaires réapparaissent, la duchesse de Longueville protège l’abbaye ; en
1678, est élue une nouvelle abbesse de la famille Arnauld, Angélique de Saint-Jean Arnauld
d’Andilly, nièce d’Angélique et d’Agnès, qui a passé quasiment toute sa vie à PR et qui est
tenue pour une âme d’élite (« tout était grand et mâle en elle ; son esprit paraissait tellement
supérieur à celui de tous les autres que les hommes mêmes que l’on regardait comme les plus
grands, l’admiraient comme un prodige », Mémoires de Du Fossé)

* dès 1679, c’est la fin de la paix de l’Eglise :


** la duchesse de Longueville meurt, Louis XIV interdit de nouveau les novices et les
pensionnaires, réduit le nb des professes, demande le départ des solitaires (Le Nain de
Tillemont, Lemaistre de Sacy, AA) 
** Agnès Racine (tante de Jean Racine) est élue abbesse en 1690, 1693, 1696 
** Louis XIV est inflexible et refuse l’entrée de novices (même Jean Racine ne parvient
pas à faire entrer sa fille comme novice à PR en 1699) 

* crise finale : en 1705, nouvelle imposition d’un formulaire 


** en 1706, les religieuses acceptent de signer mais en ajoutant la mention « sans
déroger à ce qui s’est fait à l’égard de ce monastère à la paix de l’Eglise sous Clément IX » 
** Louis XIV est hors de lui devant pareille insolence ; la répression s’abat sur PR :
*** en 1707-1708, les religieuses sont de nouveau privées de sacrements et elles sont
désormais également privées de leurs biens fonciers 
*** en 1709, PR des Champs est supprimé, les 17 dernières religieuses sont expulsées
manu militari 
*** en 1710, le Conseil d’Etat ordonne la destruction de PR (les familles sont
autorisées à venir exhumer les corps de leurs défunts ; c’est alors que la dépouille de Racine
est transférée à St Etienne du Mont) ; ds les mois qui suivent, l’abbaye est rasée (« comme on
fait des maisons des assassins des rois » Saint-Simon) et l’on passe la charrue ds le cimetière

mais le jansénisme ne se réduit pas à PR : il a séduit de nb laïcs des deux sexes
* les auteurs jansénistes (pensez à Pascal) ont défendu leur point de vue en français, ce qui
leur a donné une audience assez importante (et notamment une audience féminine ; en longue
durée, les femmes ne savent pas le latin ; Pascal écrit ds Les Provinciales : « j’ai cru qu’il
fallait écrire d’une manière propre à faire lire mes lettres par les femmes et les gens du
monde ») 
** c’est ainsi qu’on a eu le phénomène des « belles amies de PR » (Louise-Marie de
Gonzague, proche de Vincent de Paul, reine de Pologne en 1645, sœur d’Anne de Gonzague
dont Bossuet a fait l’oraison funèbre en 1684 ; ou ces anciennes frondeuses que sont Mme de
Sablé et la duchesse de Longueville)
** n’en sont pas très loin Mme de Sévigné (dont le mari, avant de mourir en duel pour
sa maîtresse en 1651, était un proche du duc de Longueville) et Mme de La Fayette (proche
du cardinal de Retz au début de la Fronde et grande amie de La Rochefoucauld et de Mme de
Sévigné) 

* les adversaires des jansénistes leur reprochent de consulter ces mondaines comme des
docteurs, de leur faire croire qu’elles peuvent se prononcer sur les matières de religion (ainsi,
« dans le pays de Jansénie », dépeint en 1660 par Zacharie de Lisieux, la doctrine « serait
tombée en quenouille », ie tombée entre les mains des femmes) 
** il est sûr que le caractère élitiste du jansénisme a pu attirer des femmes de
l’aristocratie qui avaient une conscience aiguë de leur supériorité 
** mais le jansénisme a aussi attiré des femmes de condition plus modeste (des régentes
d’école par exemple), peut-être parce qu’il exalte les droits de la conscience 

* par ailleurs, la crise janséniste des années 1660 a poussé les religieuses de PR à
s’affirmer comme jamais auparavant
** Jacqueline Pascal écrit à la Mère Angélique de Saint-Jean en 1661 : « puisque les
évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques »
** autrement dit, il est incontestable que la crise janséniste a introduit du trouble ds le
genre et ds les représentations genrées

* au XVIIIe s, au temps du jansénisme presbytéral, on retrouve des femmes qui


soutiennent les curés jansénistes
** en 1713, le pape réitère la condamnation du jansénisme par la bulle Unigenitus qui
condamne 101 propositions jansénistes oui jansénisantes ; les ecclésiastiques doivent signer
un formulaire condamnant les 101 propositions ; mais le clergé se déchire et des évêques et
des prêtres en appellent à un concile général sur la question (ce sont les « appelants »)
** ds les années qui suivent, se produisent de nouveaux miracles impliquant des femmes
(en 1725, à Paris, Mme Lafosse, la femme d’un ébéniste, est guérie lors d’une procession du
saint-sacrement dans sa paroisse, dont le curé est un appelant notoire ; en 1731, au cimetière
Saint-Médard, plusieurs femmes, dont Anne Le Franc et la servante Marie-Anne Couronneau,
bénéficient de miracles sur la tombe du diacre Pâris, janséniste notoire : le retentissement de
ces miracles, dits des convulsionnaires de Saint-Médard, est considérable)

325. Le XVIIe s, grand siècle des saintes


si on dresse un bilan du XVIIe s, souvent appelé le « grand siècle des saints », on s’aperçoit
que la part des femmes a sensiblement progressé : elles donnent 17% des saints ds l’histoire
de l’Eglise en général et 33% ds celle du XVIIe s

on a en effet 7 saintes pour 15 saints de sexe masculin :


* Jeanne de Chantal (canonisée en 1767)

* Germaine Cousin dite Germaine de Pibrac (canonisée en 1867), bergère martyrisée par
sa marâtre

* Marguerite-Marie Alacoque (canonisée en 1920)

* Louise de Marillac (canonisée en 1934)

* Jeanne de Lestonnac (canonisée en 1949)

* Marguerite Bourgeoys dite Marguerite du Saint-Sacrement (canonisée en 1982)


fondatrice de la Congrégation Notre-Dame de Nouvelle France

* Jeanne Delanoue (canonisée en 1982) fondatrice en 1704 des sœurs de Sainte-Anne,


servantes des pauvres de la maison de la Providence 

on a également 4 bienheureuses pour 8 bienheureux de sexe masculin :


* Mme Acarie (béatifiée en 1791)

* Alix Le Clerc (béatifiée en 1947)

* l’Iroquoise Kateri Tekakwitha (béatifiée en 1980)

* Marie Guyart de l’Incarnation veuve Martin fondatrice des ursulines de Nouvelle France
(béatifiée en 1980)
on a ici la preuve que le XVIIe s a joué en faveur de la considération des femmes ds l’Eglise
(en longue durée, puisque la très gde majorité des béatifications et des canonisations sont
postérieures à la RF) ; cela dit, les femmes restent exclues de la théologie et le règne de Louis
XIV correspond incontestablement à une fermeture

33. Les sorcières et la chasse aux sorcières


331. Les éléments de la croyance
l’intervention du diable ds la vie humaine
* qui est le diable ?
** le diable est la figure inversée de Dieu : c’est un ange déchu (Lucifer), qui sait tout et
qui peut donc en permanence agir sur l’humanité (il peut transformer les hommes en loups =
lycanthropie), tenter et tromper les hommes et ainsi les conduire à la damnation éternelle
(élément de manichéisme)
** il est entouré de divers démons spécialisés (qu’énumère le père Coton, confesseur de
Henri IV : « Léviathan qui tente d’orgueil, Baalbérit qui allume la colère, Beelzébuth qui
excite l’envie, Mammon qui attise la cupidité des richesses, Asmodée qui enflamme la
concupiscence, Belphégor qui induit à la gourmandise, Baalin et Astaroth qui nourrissent la
paresse, et après ceux-ci une fourmilière d’autres esprits immondes »)

* qui sont les sorciers et sorcières :


** ce sont des êtres humains qui ont passé un pacte avec le diable (ils se sont faits ses
créatures ; depuis le pacte, ils ont sur le corps un point d’insensibilité, la « marque »
satanique)
*** ils participent au sabbat (messe inversée au cours de laquelle le diable demande à
chaque participant quel mal il a commis, gourmande ceux qui ne sont pas assez méchants,
récompenses en monnaie sonnante et trébuchante ceux qui ont vraiment été odieux, distribue
pour l’avenir poudres, venins et élixirs), lequel sabbat est suivi du coït diabolique (sorte de
gigantesque partouze où le diable pratique avec les participantes le coït vaginal « posteriori »
ou le coït anal : les procès verbaux font dire aux sorcières que le sexe du diable est comme
celui d’un homme mais en plus froid) ; l’ensemble prend place en général en un lieu écarté,
montagne ou clairière, la nuit ; au petit matin, les sorcières enfourchent leur balai pour rentrer
chez elles
*** en vertu de leur pacte diabolique, sorcières et sorciers sont dotés de pouvoirs
maléfiques (ils peuvent jeter des sorts, prononcer des incantations, fabriquer des onguents et
des élixirs en utilisant des poudres qui leur sont données au sabbat) ; ils en usent pour
provoquer des intempéries, la stérilité d’un couple (« nouer les aiguillettes » = empêcher
l’échauffement amoureux), la mort du bétail ; les onguents et élixirs sont fabriqués avec toute
sorte de choses et leur fabrication emploie souvent des lieux et des rites chrétiens (on utilise
des hosties, on dissimule des objets sous l’autel, on prononce in petto des prières particulières
au moment de l’élévation)
** la sorcière a toute sa place ds la société rurale ds la mesure où elle est
fondamentalement guérisseuse et désenvouteuse :
*** elle sait lire les éléments, interpréter les signes obscurs, communiquer avec les
morts, agir sur les cœurs et sur les corps ; elle attire et elle fait peur (lorsqu’elle quémande une
aumône, on hésite à la lui refuser)
*** elle n’est du reste efficace qu’à l’extérieur de sa communauté (qd on veut voir une
sorcière, on va ds le village voisin) ; c’est ce qui fait sa fragilité structurelle
** on distingue clairement sorciers et possédés
*** les sorciers ont signé un pacte avec le diable (ils sont dits « sorciers jurés ») ; à ce
titre, ils doivent être punis par la justice royale (jusqu’en 1682)
*** les possédés n’ont rien signé du tout : ils ne sont dc pas complices de Satan ; ils
doivent être exorcisés par l’Eglise

* qu’est-ce que la croyance en la sorcellerie ?


** à la fin du XVIe s et dans le premier XVIIe s, la plupart des gens croient non
seulement au diable mais aussi à l’existence de la sorcellerie, ie à la possibilité d’un pacte
humain avec le diable
*** c’est le point de vue des prêtres, des théologiens, des juges et des légistes (Jean
Bodin, en 1580, y croyait dur comme fer : « ceux qui ne croient pas aux sorciers méritent
d’être brûlés ») ; ils s’appuient sur une abondante littérature où l’on trouve la Bible
(Deutéronome, Lévitique, Job, Isaïe ds l’Ancien Testament ; épisode de la tentation du Christ
et récit de l’Apocalypse ds le Nouveau Testament), les pères de l’Eglise (saint Augustin dit
que « l’accouplement des diables avec les femmes est si certain que ce serait grande
imprudence de le nier »), le Malleus Maleficarum (Marteau des sorcières, manuel de
démonologie de Jacob Sprenger, publié en Allemagne au XVIe s et répandu ensuite à travers
toute l’Europe en latin et en traduction)
*** c’est aussi le point de vue des fidèles (« le diable est partout présent,
quotidiennement : tout autant que Dieu le Père ; la vie terrestre est un combat constant entre le
Malin et les créatures » écrit MANDROU) ; rappelons à cet égard que la sorcellerie est plus
rurale qu’urbaine : la croyance en la sorcellerie est liée aux peurs paysannes et aux
catastrophes naturelles ; cette croyance se comprend sur fond de misère : la plupart des
accusés et beaucoup d’accusateurs sont des miséreux (« la misère hallucinogène est le
contexte par excellence dans lequel ces vagues de poursuites ont pris corps et ravagé des
provinces entières » MANDROU)
** les juges distinguent magie noire (magie satanique) et magie blanche (magie
naturelle) mais le vulgaire ne fait pas la distinction : les paysans sont surtout intéressés par la
magie blanche ; la plupart des recettes de bonne femme sont de magie blanche (par exemple,
pour se faire aimer d’une jeune fille, il faut lui faire avaler une poudre obtenue en faisant
brûler dès potron-minet 3 de ses cheveux et 5 feuilles de serpolet)
l’Eglise condamne formellement la sorcellerie comme un « crime de lèse majesté divine »,
la substitution du diable à Dieu
* la condamnation ecclésiastique a des fondements scripturaires
** l’Ancien Testament est assez riche en condamnations : on en trouve dans le Livre de
Job, le Lévitique, l’Exode (« tu ne laisseras pas en vie la magicienne »)
** le Nouveau Testament n’est pas en reste : il est dit dans l’Apocalypse que
« quiconque adore la Bête et son image et se fait marquer sur le front ou sur la main devra
boire le vin de la fureur de Dieu »

* pour l’Eglise, la lutte contre les sorciers et les sorcières est impérative
** il faut nettoyer le monde de l’emprise satanique (qui tend à s’accroître à l’infini)
** la condamnation à mort des sorciers est par ailleurs le dernier moyen de les sauver :
le procès doit servir en effet à l’aveu du pacte et à la reconnaissance d’une véritable trahison ;
le sorcier repenti peut être réconcilié à l’article de la mort et il gagne ainsi une chance
d’échapper ds l’au-delà à l’enfer éternel

* l’Eglise ne juge pas elle-même des affaires de sorcellerie mais elle attend que la justice
royale s’en occupe avec la plus grande fermeté (la justice royale apparaît ici comme le bras
séculier de l’Eglise)

la place des femmes est très importante dans la sorcellerie (ce qui expliquera la place de la
sorcière ds le féminisme des années 1970)
* en France, aux XVIe-XVIIe s, les femmes représentent de 60% à 80% des individus
accusés de sorcellerie (la seule exception est la Normandie, où les accusés sont des hommes
dans 72% des cas)

* ce sont le plus souvent des veuves relativement âgées : s’exprime ici la méfiance vis-à-
vis des femmes –et notamment des « vieilles femmes décrépites » ; cette méfiance concerne
au premier chef les savoirs de ces femmes (elles connaissent les « simples » et leurs effets,
elles connaissent des gestes réputés dangereux, savent par exemple « nouer les aiguillettes »
ou jeter des sorts sur les hommes ou sur les bêtes, sont capables de concocter des breuvages
plus ou moins susceptibles d’empoisonner)

* ce sont le plus souvent des femmes sans soutien social ou familial

* les paysans qui accusent une femme de sorcellerie disent généralement : elle est sorcière
parce qu’elle est connue comme telle, elle est fille de sorcière, elle a jeté un sort sur tel ou tel,
tout le monde vous le dira

332. L’évolution de l’attitude de l’Etat


entre 1560 et 1640, la justice poursuit la sorcellerie avec une vigueur nouvelle (plusieurs
milliers de procès : un seul juge a pu condamner à mort 2000 à 3000 sorcières en trente ans !)
* la vague n’épargne aucune région de France
** cela dit, les affaires sont particulièrement nombreuses de la Lorraine aux Alpes, en
Languedoc, en Normandie, bref dans toute une série de périphéries où les autorités semblent
vouloir associer soumission au roi absolu et soumission à un Dieu sévère et terrible
** les accusés sont le plus souvent des femmes, et même de vieilles femmes, souvent
des veuves (échappant à tout contrôle masculin), souvent des pauvresses

* la procédure est toujours la même


** on arrête sur dénonciation et on accumule les témoignages
*** cette accumulation de témoignages est très facile : comme chacun craint d’être
accusé de complicité, les témoignages sont massifs
*** de plus, s’exprime aisément à cette occasion tout un ensemble de haines
villageoises
** on interroge la sorcière :
*** on recherche systématiquement la marque satanique (« punctum daibolicum ») par
enfoncement d’une longue aiguille à travers le corps (la découverte de la marque, où l’accusé
ne sent rien et où le sang ne coule pas, vaut l’aveu) ; cette opération fait intervenir un barbier-
chirurgien, qui joue le rôle d’expert ; on peut également pratiquer la « baignade » : selon la
croyance populaire, le sorcier jeté à l’eau pieds et poings liés ne va pas au fond mais surnage
(alors que l’innocent coule à pic)
*** on torture la sorcière pour obtenir les aveux nécessaires à la condamnation à
mort : souvent la sorcière commence par résister avec acharnement et courage (cette
résistance peut prendre bien des formes : imprécations, blasphèmes, invectives violentes,
dénégations paisibles, invocations diaboliques) ; mais rapidement l’inculpée est envahie par le
désespoir (surtout si sa famille l’accable) et elle avoue tout ce qu’on veut lui faire avouer ; il
est à noter que ceux et celles qui nient jusqu’au bout impressionnent parfois les juges et
peuvent bénéficier d’une relaxe (mais ce n’est pas systématique ; le taux de relaxe est
d’environ 5%)
*** les interrogatoires sont guidés par la littérature démonologique : les juges ont lu le
Marteau des sorcières et ils s’en servent (si une sorcière avoue un sabbat par an, on lui répond
que le sabbat est hebdomadaire) ; de surcroît, le point de vue des juges est souvent de l’ordre
de la déduction tautologique (si elle avoue, c’est qu’elle est coupable ; si elle n’avoue pas,
c’est que le diable est en elle et qu’elle est coupable aussi, qui plus est endurcie dans son
crime) ; la pitié est interdite au juge : elle en ferait le complice de Satan
** sorciers et sorcières sont condamnés à mort (très rares sont ceux et celles qui font
appel)
*** la sorcière est torturée une dernière fois afin qu’elle dénonce ses complices
*** elle fait amende honorable, nue tête et nus pieds, une torche à la main : elle
demande pardon à Dieu et à ses saints, au Roi et à la justice
*** elle est ensuite 1/soit pendue soit étranglée, puis brûlée, 2/soit brûlée vive sur le
bûcher ; ses cendres sont « jetées au vent »
*** ses biens sont confisqués (pour pourvoir aux frais du procès) ; ses descendants
peuvent être également condamnés (on croit à l’hérédité des pratiques diaboliques)

* signification de cette flambée judiciaire


** diabolisation du protestantisme : on disait que Luther était une créature du diable (il
faut tout de même souligner que les pays protestants connaissent eux aussi une flambée de
répression de la sorcellerie)
** diabolisation de la magie blanche : cette diabolisation ne se comprend que dans le
contexte de la Contre Réforme (concurrence accrue du prêtre et du devin : l’un et l’autre font
des miracles, il y a dc désormais de bons et de mauvais miracles)
** dégradation de l’image de la femme depuis la fin du Moyen Age (78% des
condamnés pour sorcellerie sont des femmes)
** tensions sociales dans les campagnes : MUCHEMBLED souligne que les accusé(e)s
sont souvent tout en bas de la société paysanne tandis que leurs accusateurs sont plus souvent
des nantis et coqs de village

la justice royale s’en démêle (1624-1682)


* un apogée a été atteint avec trois grandes affaires (qui sont aussi trois grands
scandales) : l’affaire d’Aix en 1611, celle de Loudun en 1632-1634, celle de Louviers en
1643-1647
** les faits
*** à Aix (Provence), un curé, Louis Gaufridy, est accusé d’ensorcellement par l’une
de ses pénitentes, Madeleine Demandols
cette jeune femme, qui a fait plusieurs séjours chez les ursulines d’Aix, se croit
possédée et est soutenue dans ses affirmations par un prieur dominicain, Michaelis
Gaufridy est défendu par les capucins provençaux, qui accusent Madeleine de
mentir ; mais il a contre lui le premier président du parlement d’Aix, Guillaume du Vair :
soumis à la torture, il reconnaît le pacte diabolique et est brûlé vif en avril 1611
*** à Loudun (Poitou), en 1632-1634, une prieure ursuline possédée, Jeanne des
Anges, entraîne ds sa possession la presque totalité de son couvent (de jeunes religieuses
appartenant à la petite noblesse locale)
un chanoine local, Urbain Grandier, confesseur réputé (et semble-t-il assez
galant), ami de Théophraste Renaudot, a commis l’erreur de refuser de prendre la direction de
conscience des ursulines de Loudun, laissant ainsi la place à son ennemi mortel, le chanoine
Mignon
Mignon dénonce les cas de possession, accuse Grandier d’être à l’origine du mal,
se lance ds des séries d’exorcismes spectaculaires (les religieuses sont prises de convulsions,
les démons sont très bavards et une foule énorme vient assister à ce grand déballage) ;
Grandier se défend comme un beau diable (si l’on peut dire) ; Richelieu intervient : Grandier
est arrêté et jugé, condamné à mort et exécuté devant 6000 personnes (août 1634)
l’affaire continue pendant plusieurs mois (nouveaux exorcismes publics auxquels
viennent assister des Parisiens, dt Mlle de Rambouillet, Voiture et l’abbé d’Aubignac) mais
un jésuite, Jean-Joseph Surin, entreprend de ramener Jeanne des Anges à une vie religieuse
ordinaire (en lui faisant rompre avec ce cabotinage mystique)
*** à Louviers (Normandie), en 1643, une religieuse du couvent des hospitalières de
St-Louis et Ste Elisabeth, Madeleine Bavent, est accusée de sorcellerie
elle y aurait été initiée par un prêtre, Mathurin Picard, mort fin 1642
finalement, le Parlement de Rouen opte pour une solution assez modérée : il
décide de brûler le cadavre de Mathurin Picard et de disperser les religieuses de Louviers ds
différents couvents
** les ingrédients du scandale
*** le prêtre-sorcier : le prêtre dépravé n’est pas une nouveauté ; ce qui l’est
davantage, c’est le curé d’excellente apparence qui est en même temps suppôt de Satan ; ces
curés sont par ailleurs des hommes luxurieux (la luxure est un instrument démoniaque
essentiel) ; enfin, ce sont des esprits savants et sophistiqués : lors du procès, ils résistent pied à
pied
*** les couvents livrés aux démons : les affaires de possession soulignent
l’importance de ces maisons, dt le nb s’est sensiblement accru (c’est parce que la vie
conventuelle est sainte que le diable s’y intéresse) ; la sociologie de ces affaires est du reste
très différente des affaires ordinaires de sorcellerie rurale (les possédées sont souvent des
jeunes filles de la noblesse et on n’en est que plus choqué par leurs postures et leurs propos
obscènes lors des séances d’exorcisme)
*** les rivalités des clercs : ttes ces affaires sont marquées par des heurts entre
séculiers et réguliers, ou entre différentes obédiences religieuses ; bref, les rivalités
ecclésiastiques s’expriment à travers la flambée de sorcellerie
** ces affaires sont importantes parce qu’elles suscitent un débat public
*** « ces terrifiants spectacles d’exorcisme sur les autels ont choqué profondément
des esprits mesurés et pieux, qui n’ont pas craint d’exprimer noir sur blanc leurs réserves et
leurs doutes » (MANDROU)
*** c’est à partir de l’affaire de Loudun que les opposants se mettent à écrire : ds les
années 1630 et 1640 s’ouvre donc une discussion publique
les théologiens s’affrontent, sur la question des preuves flagrantes de la possession
(Grandier souligne ds sa défense que les démons, lorsque les exorcistes les interrogent, ne
savent pas gd chose et parlent un très mauvais latin –et, lorsqu’il leur fait parler anglais par un
gentilhomme de passage, ils ne comprennent rien ; au même moment, un jésuite allemand qui
a accompagné au bûcher des dizaines de sorciers et sorcières, Friedrich Spee, appelle à l’arrêt
des procès)
les chirurgiens et médecins sceptiques commencent à se faire entendre (ils
soulignent que la mélancolie perturbe l’esprit et qu’elle n’est pas nécessairement diabolique :
les religieuses possédées sont des femmes mélancoliques qui ne supportent pas le cloître et
qui délirent ds l’imaginaire) ; on peut citer, parmi ces sceptiques, Pierre Pigray, chirurgien
d’Henri III, ou Pierre Yvelin, médecin parisien contemporain de Louis XIII, ou le célèbre
médecin et érudit Guy Patin, ou le médecin huguenot Duncan ; on leur assimile généralement
Gabriel Naudé, conservateur de la bibliothèque de Mazarin et qui publie dès 1625 une
Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie (il y
dénonce « le labyrinthe des fausses opinions » et les « histoires suspectes »)
* la réticence judiciaire a été fondamentalement celle du parlement de Paris, qui juge en
appel et dont le ressort est ggantesque (la moitié du royaume de France)
** de 1540 à 1670, il juge en appel 1254 affaires de sorcellerie
** alors que les juridictions subalternes avaient prononcé 475 peines capitales, il n’en
confirme que 115, et toutes avant 1624
** les choses sont très différentes en Franche-Comté et en Lorraine, qui ne sont pas
encore françaises (la Franche Comté entre dans le royaume en 1674, la Lorraine en 1766) ;
Robert MUCHEMBLED montre que, ds ces deux provinces, on avait 400 à 600 fois plus de
risques d’être brûlé pour sorcellerie

* les étapes de la réticence judiciaire


** dès 1624, le Parlement de Paris prend ses distances (sous l’influence de médecins
gassendistes et de libertins érudits comme Cyrano de Bergerac)
*** il exige qu’on lui transmette automatiquement tous les procès de sorcellerie de son
ressort
*** il prend des mesures contre les magistrats récalcitrants (ceux qui veulent continuer
à condamner et à brûler)
*** il atténue systématiquement les peines : les condamnations à mort sont commuées
en bannissements temporaires
** les autres juridictions hésitent
*** on a une flambée de procès en Bourgogne, Champagne, Languedoc entre 1643 et
1645 ; mais le règlement final de l’affaire de Louviers au même moment marque bien les
hésitations du parlement de Normandie
*** puis on accepte graduellement le modèle parisien (malgré la condamnation à mort
d’un constructeur d’automates aixois en 1664 ; et malgré l’entêtement de certaines
juridictions normandes, encore actives en matière de sorcellerie ds la décennie 1670)

* l’action de Colbert (1670-1682)


** il y a encore des affaires dans certaines cours (Normandie, SO) au début de la
décennie 1670 : Colbert exerce alors une contrainte sur les parlements qui se laissent aller à
trop de complaisance envers les accusateurs (qui sont souvent de très jeunes adolescents) ; il
intervient personnellement pour mettre fin aux vagues de procédures normandes en 1671-
1672
** Colbert intervient ds le procès de la Brinvilliers et l’affaire des Poisons :
*** en 1672, il obtient de l’Angleterre l’extradition de la marquise de Brinvilliers (qui
a empoisonné son père et ses frères) ; en 1676, il hâte son procès et son exécution
*** ds les années 1679-1681, il suit jour après jour les interrogatoires des complices
de la Voisin (se trouvent ici impliqués une dizaine de grands seigneurs, une dizaine de prêtres,
presque autant de médecins, au total une centaine de personnes ; le tout débouche sur 20
exécutions capitales) ; l’affaire des Poisons achève de convaincre Colbert de l’extrême
crédulité de beaucoup de gens en matière de sortilèges : on ne peut pas se fier à tout ce qui se
dit en ces matières
** c’est ainsi qu’il rédige l’ordonnance criminelle de juillet 1682 (juste après l’affaire
des Poisons) qui récuse tous les témoignages indirects, impose la recherche en toutes choses
des « causes naturelles » possibles, ne reconnaît qu’une « prétendue magie »
*** seuls sont admis désormais les sacrilèges et les empoisonnements, durement
condamnés (l’ordonnance traite essentiellement des empoisonnements : c’est elle qui réserve
l’utilisation des insectes vénéneux et des serpents aux apothicaires et aux médecins)
*** bref, l’ordonnance signifie la négation implicite du pacte diabolique et des
pratiques sataniques liées au sabbat et aux maléfices traditionnellement dénoncés par les
démonologues ; pour la première fois, la sorcellerie est définie publiquement comme une
exploitation de l’ignorance et de la crédulité ; désormais, la justice peut protéger ceux que
l’on accuse de sorcellerie

* signification de cette évolution judiciaire


** signification religieuse : le Diable intervient moins directement ds la vie humaine que
ne le pensaient les parlementaires du XVIe s
** signification intellectuelle : la nature peut être comprise sans aucun recours aux
explications surnaturelles ; l’imagination est maîtresse d’erreur et de fausseté
** signification judiciaire et politique : la justice doit être réservée aux faits positifs et
non aux faits imaginaires (première étape avant 1789-1791, moment de définition de ces
crimes dits imaginaires que sont la sodomie, le sacrilège et le blasphème)

* cela dit, la magie naturelle se maintient vigoureusement ds l’univers rural parce que les
raisons de son existence se maintiennent (fragilité des existences, étroitesse des horizons) ; le
XVIIIe s voit un retour en force des guérisseurs et de la sorcellerie populaire, qui reprennent
leur place au village

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