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Bruneel Claude. Gutton (Jean-Pierre). Dévots et société au XVIIe siècle. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 84,
fasc. 2, 2006. Histoire medievale, moderne et contemporaine - Middeleeuwse. moderne en hedendaagse geschiedenis. pp.
471-473;
https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2006_num_84_2_5019_t1_0471_0000_2
Gutton (Jean-Pierre). Dévots et société au XVIIe siècle. Paris, Belin, 2004; un vol.
in-8°, 220 p., 3 ill. (Histoire & société). Prix: 18.90 €.
Dans un livre agréable à lire, l'auteur définit avec beaucoup de finesse et
d'érudition la place du mouvement dévot au sein de la société de l'époque. Plus encore, il
met en évidence comment les conceptions de ce groupe de pression ont pu peser sur
l'action dans maints secteurs de la vie sociale. La Compagnie du Saint-Sacrement, un
groupement de clercs et de notables laïcs actifs surtout de 1630 à 1666, en est la
meilleure personnification. Elle tisse dans l'ensemble de la France un réseau de
filiales, en principe subordonnées à l'institution parisienne mais parfois de plus grande
longévité que leur mère. Cette forme associative particulière ne doit cependant pas
masquer l'existence d'autres communautés à l'idéal voisin, groupes informels
d'amis, congrégations mariales des collèges de jésuites, confréries aux fins diverses, etc.
Le dévot, «personnage phare de la réforme catholique», est ce laïc profondément
marqué par l'humanisme chrétien des jésuites ou sensible à l'influence du mysticisme
espagnol. Au début du XVIIe siècle, le parti dévot, héritier de la Ligue, dénonce la
politique d'alliances protestantes de Richelieu. Soucieux de lutter contre l'hérésie, il
prône au contraire une action diplomatique tournée vers les puissances catholiques et
particulièrement une entente avec l'Espagne. En 1630, à l'issue de la journée des
Dupes, il perd tout espoir de peser sur la politique extérieure de la France et il reporte
alors ses ambitions sur le plan national. En réaction au mouvement libertin des
années 1623-1625, les dévots entendent moraliser le pays en y faisant pénétrer
davantage les principes chrétiens et en veillant à l'application des décrets du concile
de Trente, non reçus officiellement en France. Ils jouent un rôle essentiel dans le
développement du culte eucharistique. L'activité spirituelle, la prière, est cependant
étroitement liée aux œuvres charitables. Toutefois, les secours matériels ne
constituent pas une fin en soi, ils n'ont d'autre justification que de mener à l'élévation
spirituelle.
Trois champs d'actions préoccupent particulièrement le monde des dévots, la
sécurité, l'éducation et la morale sociale. Après un siècle de conflits politiques, religieux,
sociaux, il convient de policer la France. Les intérêts d'un groupe suspect au pouvoir
et ceux de la monarchie, dont la croissance repose sur l'ordre et l'obéissance, se
rejoignent donc. Dans le domaine judiciaire, l'action la plus importante des dévots
consiste à promouvoir l'arbitrage ou, en cas de procès, à offrir l'assistance adéquate
aux plus démunis. Cette sollicitude s'accompagne cependant parfois d'ambiguïtés
relevant du prosélytisme à l'égard des protestants. A l'image de l'Église hostile au
sang versé, les dévots s'opposent à la pratique du duel tout comme ils nourrissent une
réflexion sur la substitution de la pénitence à la peine de mort. Ils veulent donner une
signification morale à la détention. Comme dans les établissements ecclésiastiques, la
prison doit devenir le lieu d'exécution des peines et de la repentance plutôt que le
simple siège de la détention préventive. La situation des détenus tant au plan matériel
que spirituel est dénoncée. Il importe donc de visiter régulièrement les geôles et leurs
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certes pas égales, mais la solidarité entre elles est fondamentale au nom de la morale
chrétienne. L'intérêt des dévots pour maintes questions, apparemment étrangères les
unes aux autres, trouve sa cohésion dans la volonté d'atténuer les rapports
économiques de dominants à dominés. Ainsi, ont-ils fait de la prévention et la répression
de la prostitution un de leurs principaux chevaux de bataille. Les devoirs des maîtres
à l'égard de leurs domestiques et servantes en est un autre. L'appartenance de ce
personnel à la famille suppose une fidélité parfaite de sa part. En revanche, celui qui
procure le travail est responsable matériellement et spirituellement du destin de ses
serviteurs. Il doit les éduquer à la prière et à la lecture, les protéger parfois contre
eux-mêmes en ne les laissant pas s'abandonner à l'oisiveté. L'organisation du travail,
particulièrement du travail manuel, et des métiers, la condition des pauvres
nourrissent également la réflexion des dévots. Ils s'opposent ainsi aux rites initiatiques des
compagnonnages. Ils tentent d'organiser de nouvelles formes de travail, mais
l'expérience des frères tailleurs et cordonniers, soutenue par la compagnie du
Saint-Sacrement, n'est pas vue d'un œil bienveillant par les pouvoirs publics. Les dévots sont
également conscients des difficultés matérielles et morales qu'entraîne l'inéluctable
endettement populaire. Ils prônent donc l'ouverture de monts-de-piété ou de bureaux
de prêt charitable afin de combattre l'usure tout en catéchisant les emprunteurs. Ils
nourrissent également une réflexion sur le juste salaire, dans une perspective autant
morale et religieuse que sociale. Une rémunération honnête devrait permettre au
travailleur pauvre d'assurer l'entretien décent de sa famille en période normale, les
secours étant réservés aux périodes de crise.
Les groupements dévots ont donc marqué la société française dans de nombreux
domaines, avec des résultats plus ou moins avérés. L'empreinte la plus ferme se
retrouve en matière d'éducation. Le foisonnement d'actions et de pressions très
diversement orientées trouve son unité et son moteur dans la crainte du salut et la
volonté de sauver des âmes, y compris éventuellement par la contrainte. Hommes de
leurs temps, les dévots défendent tantôt des vues surannées tantôt des positions
novatrices. «Mais, conclut l'auteur, toutes tentatives pour les rapprocher d'un intégrisme
ou, inversement, d'un christianisme social seraient réductrices». L'édition de dix
documents et illustrations met à portée du lecteur des textes particulièrement
révélateurs pour la compréhension du mouvement. La bibliographie, très étoffée, et les
renvois aux archives se retrouvent tout au long des 275 notes en fin de volume. Il faut
remercier Jean-Pierre Gutton d'avoir méthodiquement replacé, avec son habituelle
largeur de vues, le phénomène dévot dans le contexte global de la France du XVIIe
siècle. Son étude devient dès lors indispensable tant aux historiens de la religion que
de l'économie et de la société. - Claude Bruneel.