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Les Cahiers philosophiques de Strasbourg 

43 | 2018
Proust-Schelling : Une affinité élective ?

« Thématisme variable » : facettes du Moi chez


Schelling et Proust
Gregorio Demarchi

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/cps/408
DOI : 10.4000/cps.408
ISSN : 2648-6334

Éditeur
Presses universitaires de Strasbourg

Édition imprimée
Date de publication : 30 mai 2018
Pagination : 209-231
ISBN : 979-1-03440-015-7
ISSN : 1254-5740
 

Référence électronique
Gregorio Demarchi, « « Thématisme variable » : facettes du Moi chez Schelling et Proust », Les Cahiers
philosophiques de Strasbourg [En ligne], 43 | 2018, mis en ligne le 03 décembre 2018, consulté le 08
novembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cps/408  ; DOI : https://doi.org/10.4000/cps.
408

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions
4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/
« Thématisme variable » :
facettes du Moi chez Schelling et Proust
Gregorio Demarchi

Le point de départ de mes réflexions est le constat d’une analogie


structurelle de fond entre la Recherche de Proust et le Système de
l’Idéalisme transcendantal de Schelling. Je me réfère par là à ce que l’on
peut appeler un dédoublement du Moi, et, à la suite de ce dédoublement,
même une pluralisation du même, dont je me propose dans le présent
article de mettre en lumière les différentes facettes. En particulier
j’aimerais montrer que le dédoublement du protagoniste de la Recherche
dans un Je-Narrant et un Je-Narré connaît une sorte de répétition dans le
rapport entre le protagoniste, qui raconte ce qui le concerne à la première
personne du singulier, et une figure que le roman met en scène à la
troisième personne et qui n’en reste pourtant pas moins une sorte d’alter
ego du protagoniste : Charles Swann.
Pour parvenir à ce but l’argumentation est structurée en quatre
étapes : dans un premier moment je vais décrire la structure de fond qui
relie les deux œuvres, tout en mettant aussi en relief les différences ; je vais
ensuite dynamiser cette structure, en montrant les mouvements divers
qui s’instaurent entre les deux pôles constitués par le dédoublement du
Moi ; dans une troisième section je vais montrer comment la dynamique
qui découle du dédoublement du Moi entraîne avec elle une pluralisation
du même, dont je vais montrer le lien profond qu’elle entretient avec les
processus de différenciation qui déterminent l’ontogénèse d’individus
organiques ; ce n’est que dans une dernière section de cette étude que
j’en viendrai à montrer la dimension atemporelle et pour ainsi dire
trans-individuelle qui relie le Moi du protagoniste de cette Odyssée de
l’Esprit qu’est la Recherche à son alter ego Charles Swann – la dimension
des essences.
Les Cahiers Philosophiques de Strasbourg, i / 2018
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Les deux Moi


L’élément structurel qui permet d’affirmer une analogie de fond
reliant les deux œuvres prises en considération ici consiste dans le
dédoublement du Moi. Si dans la Recherche les deux Moi (ou Je), le
Je-Narrant et le Je-Narré, sont pour ainsi dire donnés par le choix de
Proust d’écrire un roman dans lequel le protagoniste se remémore de
sa vie passée, le Système de Schelling nous offre une véritable déduction
transcendantale de ce dédoublement. Je vais donc me concentrer dans
cette première étape sur les arguments de Schelling qui montrent la
nécessité d’un tel dédoublement. Le noyau de l’argument consiste en
ceci que Schelling montre que le Moi absolu, pour être véritablement
un Moi, doit être infini pour lui-même. L’absolue infinité du Moi a donc
un caractère foncièrement différent de l’infinité d’un espace s’étendant
dans toutes les dimensions sans limite aucune : un tel espace sera bien sûr
infini, mais ne le sera pas pour lui-même. C’est en ce sens que Schelling
peut écrire que l’espace infini « est un infini sans être [un] Moi, et
[…] représente pour ainsi dire le Moi dissous, le Moi sans réflexion »1.
Comment donc le Moi absolu arrive-t-il à être infini pour lui-même ?
L’idée fondamentale de Schelling est que cette capacité de se rapporter
à soi-même, d’être pour soi-même, ne peut être conçue qu’on supposant
que le Moi en tant que sujet devienne son propre objet, qu’il devienne
pour ainsi dire fini. Mais cela revient à dire qu’il est nécessaire que le
Moi infini se limite soi-même, qu’il pose une limite en soi-même. Ce
n’est que par cette limitation originaire que le Moi absolu se rend capable
d’auto-intuition et d’auto-conscience, sans lesquelles il ne serait par
ailleurs justement pas un Moi. Le Moi absolument infini et illimité n’est
concevable que si en même temps on suppose qu’il se limite, donnant
ainsi naissance à un Moi fini et limité. De même il apparaît que tout Moi
fini et limité présuppose toujours un Moi infini et illimité. La structure
double du Moi est ainsi constitutive pour celui-ci : pas de Moi véritable,
capable d’auto-intuition et d’auto-conscience, sans dédoublement de ce
Moi en un Moi absolu et un Moi fini. Ce n’est qu’à travers le Moi fini
que le Moi absolu accède à la conscience de soi-même, sans laquelle
il ne serait pas un Moi. En montrant cela, Schelling a donc montré

1 S, Le Système de l’idéalisme transcendantal, traduit et annoté par


Christian Dubois p. 46 (texte allemand dans Schellings Werke [abrégé
désormais en SW] III, 383).

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la nécessité transcendantale du dédoublement du Moi, et c’est cette


déduction sur laquelle se fondent tous les arguments successifs dans
le Système, du moment que la limitation originaire, en tant qu’acte
objectivant, implique une « synthèse absolue »2, dont les moments seront
successivement déployés par l’histoire de l’auto-conscience.
Pour en venir maintenant à Proust, on pourrait d’abord estimer
que le Je-Narrant, qui devrait tenir la place du Moi absolu schellingien,
ne reste chez Proust au fond qu’un Moi empirique, prisonnier de sa
personnalité tout individuelle et de ses aspirations littéraires. Pourtant
ce sont justement ces aspirations littéraires qui donnent au protagoniste
de la Recherche accès à une dimension de Temps retrouvé qui, si elle
n’est pas déduite transcendentalement comme chez Schelling, n’en
reste pas moins une dimension atemporelle et essentielle. Dès avant
qu’Anne Henry dans son œuvre importante de 19813 fît remarquer les
liens possibles entre Schelling et Proust, Gaëtan Picon avait souligné en
1963 déjà que par le lien du narrateur de la Recherche avec la dimension
des essences celle-ci peut être lue en tant que « chanson de geste de l’ego
transcendantal »4. Pour que la portée de cette affirmation devienne claire,
il faut maintenant aborder les points suivants.

La « pointe mouvante »
Ce n’est ni Schelling ni Proust qui écrit de la « pointe mouvante
que notre passé pousse à tout moment dans notre avenir »5 mais bien
Bergson, dans la conclusion de Matière et Mémoire, pour illustrer ce
principe « que la mémoire ne consiste pas du tout dans une régression
du présent au passé, mais au contraire dans un progrès du passé au
présent. »6 Il est bien connu que, bien que l’on définisse volontiers la
Recherche comme un « roman bergsonien », des problèmes se posent

2 Idem, p. 50 (SW III, 388).


3 A. Henry, Marcel Proust. Théories pour une esthétique.
4 G. Picon, Lecture de Proust, p. 102 : « Il semble bien que l’œuvre de
Proust soit cette immense et très singulière rhapsodie de la connaissance,
cette chanson de geste de l’ego transcendantal. » Ou encore : « Épopée
de la subjectivité ? Peut-être. Il s’agit en tout cas d’une subjectivité
transcendantale » (p. 101).
5 H. Bergson, Matière et mémoire, p. 274 ; voir aussi p. 82.
6 Idem, p. 269.

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lorsque l’on essaie de superposer les différentes conceptions que les


deux auteurs se font de la mémoire, en particulier lorsque l’on tâche de
superposer les deux mémoires proustiennes – la mémoire volontaire et la
mémoire involontaire – aux deux mémoires distinguées par Bergson – la
mémoire habitude et la mémoire image7. Il est bien connu aussi qu’un
interprète important de Proust tel que Deleuze a pu écrire que « l’œuvre
de Proust n’est pas tournée vers le passé et les découvertes de la mémoire,
mais vers le futur et les progrès de l’apprentissage »8.
J’aimerais cependant dans cette section partir de la caractérisation
« progressive » de la mémoire donnée par Bergson dans le passage
précédemment évoqué pour montrer que la dynamique qui se met
en train entre les deux pôles du Moi – une dynamique que Schelling
définit en tant qu’« évolution de la synthèse absolue »9 – est foncièrement
la même soit que l’on se place du point de vue du Moi absolu / du Je
Narrant, soit que l’on se place du point de vue du Moi fini / du Je Narré.
Bien sûr, comme Schelling le met en évidence à plusieurs reprises dans
le Système, cette évolution par laquelle l’acte synthétique originaire de
l’auto-conscience se déploie progressivement va apparaître de manière
différente selon qu’on la considère du point de vue du Moi absolu ou
du point de vue du Moi empirique : le Moi absolu se fait objet en posant
une limite à l’intérieur de soi-même, alors que le Moi fini n’a accès qu’à
la dimension subjective de cette limitation, si bien que la perspective
finie du Moi empirique ne contient que de façon implicite ce que dans
le Moi absolu, connu par les philosophes, est posé explicitement. Pour
citer Schelling :
« Par cet acte quelque chose est alors posé pour nous qui philosophons,
dans le Moi comme objet, mais non pas encore, pour cette raison,
dans le Moi comme sujet (pour le Moi lui-même, ce qui est posé
réellement est dans un seul et même acte posé aussi idéellement) ;
notre recherche devra donc progresser jusqu’à tant que ce qui est
posé pour nous dans le Moi comme objet soit aussi posé pour nous

7 Que l’on voie à ce propos la comparaison très détaillée et mettant en


évidence les différentes facettes des mémoires bergsoniennes et proustiennes
offerte par Fraisse, dans L’Éclectisme philosophique de Marcel Proust,
p. 1115-1135.
8 G. Deleuze, Marcel Proust et les signes, p. 22.
9 Voir les passages suivants : Schelling, op. cit., p. 57 (SW III, p. 397) ; p.
134 (SW III, p. 485).

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dans le Moi comme sujet, c’est-à-dire jusqu’à ce que pour nous la


conscience de notre objet coïncide avec la nôtre, donc jusqu’à ce que
le Moi lui-même soit parvenu pour nous au point dont nous étions
partis »10.
Ce n’est qu’à la fin de la longue Odyssée de l’Esprit que Schelling peut
dire de nous, les philosophes : « nous avons conduit progressivement
notre objet, le Moi lui-même, jusqu’au point où nous-mêmes nous nous
trouvions lorsque nous avons commencé à philosopher »11.
En d’autres termes : ce qui pour le Moi fini apparaît comme un
apprentissage progressif qui nous amène successivement à ce que
Schelling appelle l’intuition esthétique de l’Absolu dans la création d’une
œuvre d’art, est au fond le même processus d’autoproduction du Moi
absolu initié en celui-ci par l’acte originaire de l’intuition intellectuelle
– « organe de toute pensée transcendantale »12 – et dont les phénomènes
naturels variés du magnétisme, de l’électricité et du processus chimique
ne sont, en tant que corrélats « objectifs » de l’intuition productive,
que des limitations, dont Schelling, de manière significative pour le

10 Schelling, op. cit., p. 50 sqq. (SW III, 389). Cette double perspective
sur l’évolution du Moi – « pour nous qui philosophons » et pour le Moi
en tant que conscience subjective – anticipe ici la structure de fond de la
Phénoménologie de l’Esprit, comme l’ont vu des interprètes différents tels
que X. Tilliette dans Schelling – Une philosophie en devenir, p. 199 ; W.
Marx, dans Schelling : Geschichte, System, Freiheit, p. 63 sqq. ; M. Frank
dans Eine Einführung in Schellings Philosophie, p. 94. On peut rappeler
ici que P. Macheray dans Proust entre littérature et philosophie, p. 56-64,
consacre dans son livre sur Proust un chapitre au parallèles entre la
Recherche et la Phénoménologie, en mettant pareillement en évidence la
dynamique « double » qui soutient les deux œuvres : « Le livre de Hegel
relate simultanément ces deux « histoires » : l’histoire avec une minuscule
et l’Histoire avec une majuscule, qui marchent en sens inverse, l’une à
l’endroit et l’autre à l’envers. Ceci est, si l’on veut, la version hégélienne
du cercle herméneutique. Par d’autres moyens, et dans un style rugueux et
âpre qui n’a rien à voir avec celui, imbibé du « vernis des maîtres », utilisé
par Proust – ce qui rend la lecture du livre de ce dernier infiniment plus
séduisante –, Hegel obtient donc un résultat comparable : il fait apparaître la
trajectoire de l’esprit aliéné au temps comme étant suivie dans deux sens à la
fois, l’un tirant vers l’avant, l’autre tendant vers l’arrière, deux mouvements
opposés qui coexistent sans jamais se confondre » (p. 61-62).
11 Schelling, op. cit., p. 260 (SW III, 628 sq.).
12 Idem, p. 33 (SW III, 369).

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parallélisme qui nous intéresse ici, fait aussi, dans un texte contemporain
au Système, le réservoir d’une « mémoire transcendantale »13.
Avant de passer à une analyse plus détaillée de l’évolution de la
synthèse absolue dans le Système schellingien, il conviendrait d’examiner
trois passages tirés de Du côté de chez Swann qui montrent que la double
perspective sur le procès de développement du protagoniste fait apparaître
le même événement, vécu par le Je-Narré en tant que nouveauté absolue,
d’une autre manière au Je-Narrant, qui réfléchit du point de vue
« transcendantal », c’est-à-dire du point de vue d’une instance capable de
saisir les structures universelles à la base des événements singuliers : ce qui
pour le Je-Narré n’a été qu’une première rencontre à travers un certain
phénomène vécu devient pour le Je-Narrant point de départ d’une ligne
évolutive sur laquelle le « bourgeon » initial se ramifie et se différencie,
amenant ainsi le protagoniste à saisir l’essence ou loi générale instanciée
par les événements singuliers constituant « synthétiquement » la ligne
évolutive en question14. Ce qui relie les passages que je vais alléguer est

13 Le texte en question est le § 63 de l’Allgemeine Deduktion des dynamischen


Prozesses (1800), il s’agit donc d’un texte contemporain au Système), qui
voit dans les produits finis des forces physiques (dont il affirme l’identité
de fond avec le transcendantal) la source de ce Vermögen qui n’avait pas
été théorisé par Kant : la mémoire transcendantale. Schelling écrit en
fait : « Wenn die ganze Natur sich bis zum Bewußtseyn potenzirte, oder
wenn sie von den verschiedenen Stufen, die sie durchläuft nichts – kein
Denkmal – hinter sich zurückließe, so würde sich zu reproduciren ihr selbst
mit der Vernunft unmöglich seyn, deren transcendentales Gedächtniß,
wie bekannt, durch die sichtbaren Dinge angefrischt werden muß. Die
platonische Idee, daß alle Philosophie Erinnerung sey, ist in diesem Sinne
wahr ; alles Philosophieren besteht in einem Erinnern des Zustandes, in
welchem wir eins waren mit der Natur » (SW IV, p. 77). Que l’on voie
aussi les réflexions de Hühn (1994), 31sq., sur l’idée schellingienne d’un
« passé transcendantal » de l’auto-conscience, comme elle commence à se
développer à partir des écrits de jeunesse de Schelling.
14 Schelling, op. cit., p. 36, compare l’activité constructive du Moi, qui
trouve expression dans la synthèse absolue, à l’acte du géomètre qui tire
uns ligne : « […] on ne peut pas plus démontrer ce qu’est le Moi que ce
qu’est la ligne ; on peut seulement décrire l’action par laquelle il naît. – Si
la ligne pouvait être démontrée, elle n’aurait pas besoin d’être postulée. Il
en est de même de cette ligne transcendantale de la production qui doit
être originairement être intuitionnée dans la philosophie transcendantale
et dont toutes les autres constructions de la science ne font que découler »
(SW III, p. 372).

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donc la dimension proleptique15 des expériences qu’y fait le protagoniste,


au sens d’une anticipation d’expériences futures que seul le Je-Narrant a
présentes de manière explicite devant ses yeux, ce qu’indique sa manière
de s’exprimer dans des formules du genre « je ne savais pas encore, je
devais comprendre plus tard »16.
Le premier épisode représente la première prise de contact du
protagoniste avec le sentiment d’angoisse qui caractérise l’attente d’une
nouvelle de la part de l’être que nous aimons et dont nous ne savons
pas ce qu’il est en train de faire : il s’agit de l’épisode connu dans lequel,
à l’occasion d’un dîner familial auquel participe aussi Charles Swann,
le protagoniste est renvoyé par ses parents dans sa chambre sans avoir
reçu le baiser de sa mère. Après avoir écrit de sa chambre une lettre et
l’avoir donnée à Françoise pour qu’elle la lui remette, le héros attend
la réponse et éprouve cette angoisse typique de l’état de non-savoir qui
caractérise ces moments. Or c’est justement ce sentiment d’angoisse qui
revêt une portée proleptique, et cela non pas seulement par rapport à
la vie amoureuse future du protagoniste, mais aussi par rapport à des
événements que l’alter ego Swann a vécu en premier (Un amour de Swann
étant une analepse) mais dont le protagoniste ne parviendra à connaître
que plus tard : « L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann
s’en serait bien moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but ; or,
au contraire, comme je l’ai appris plus tard, une angoisse semblable fut
le tourment de longues années de sa vie, et personne aussi bien que lui
peut-être n’aurait pu me comprendre […] »17. Je reviendrai sur ce passage
important dans la quatrième section de cette étude.
Le deuxième épisode est l’épisode mélodramatique de Montjouvain,
lorsque le héros, se réveillant d’une sieste faite dans les buissons au cours
d’une de ses promenades du côté de Méséglise, surprend Mlle Vinteuil
« profanant rituellement » le portrait photographique de son père, vieux
professeur de piano défunt depuis peu, en se faisant embrasser devant
celui-ci par son amie qui par la suite ose même y cracher dessus. En
introduisant l’épisode le narrateur fait la remarque suivante : « C’est

15 Schelling même, dans la sixième de ses Lettres sur le Dogmatisme et le


Criticisme, met en lumière la nature « proleptique » de notre connaissance
de l’Absolu (SW I, p. 311).
16 Je reprends la formulation de G. Deleuze dans Marcel Proust et les signes,
p. 81 sq., qui voit dans ces formules un leitmotiv de la Recherche.
17 CS I, 30.

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peut-être d’une impression ressentie aussi auprès de Montjouvain, […]


impression restée obscure alors, qu’est sortie, bien après, l’idée que je me
suis faite du sadisme. On verra plus tard que, pour de tout autres raisons,
le souvenir de cette impression devait jouer un rôle important dans ma
vie »18. Le rôle proleptique de l’épisode par rapport aux dynamiques des
hommes de Sodome et des femmes de Gomorrhe – dynamiques qui se
manifesteront dans les développements successifs – est donc marqué
clairement dans ce cas aussi.
Le troisième passage est tiré de la troisième partie de Du côté de chez
Swann, lorsque le protagoniste relate de l’impatience qu’il éprouve à
voir Gilberte à l’époque de leur amour d’enfance : « Le plus pressé était
que nous nous vissions, Gilberte et moi, et que nous nous puissions
nous faire l’aveu réciproque de notre amour, qui jusque-là n’aurait pour
ainsi dire commencé. Sans doute les diverses raisons qui me rendaient
si impatient de la voir auraient été moins impérieuses pour un homme
mûr. Plus tard, il arrive que, devenus habiles dans la culture de nos
plaisirs, nous nous contentions de celui que nous avons à penser à
une femme comme je pensais à Gilberte, sans être inquiets de savoir
si cette image correspond à la réalité, et aussi de celui de l’aimer sans
avoir besoin d’être certains qu’elle nous aime […]. Mais à l’époque où
j’aimais Gilberte, je croyais encore que l’Amour existait réellement en
dehors de nous ; que, en permettant tout au plus que nous écartions les
obstacles, il offrait ses bonheurs dans un ordre auquel on était pas libre
de rien changer ; il me semblait que si j’avais, de mon chef, substitué
à la douceur de l’aveu la simulation de l’indifférence, je ne me serais
pas seulement privé d’une des joies dont j’avais le plus rêvé, mais que
je me serais fabriqué à ma guise un amour factice et sans valeur, sans
communication avec le vrai, dont j’aurais renoncé à suivre les chemins
mystérieux et préexistants »19. Qu’ici la prolepse fonctionne plutôt dans
le sens d’une mise en contraste entre la naïveté du jeune protagoniste et
l’expérience de l’homme mûr n’empêche pas que la première rencontre
avec le sentiment de l’amour pour une femme autre que sa mère
constitue elle aussi le point « germinal » d’une ligne d’apprentissage et
de développement sur laquelle se déploieront peu à peu des puissances
présentes initialement de manière encore implicite.

18 CS I, 157.
19 CS I, 393 sq.

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Une question qui reste à résoudre et qui n’a été abordée jusqu’à
présent que de manière marginale, est celle de la nature précise de
ce processus de développement, dont l’arrière-fond biologique a été
déjà marqué par l’usage d’images comme celle du bourgeon ou de
la germination. Il est bien connu que Bergson, à partir de Matière
et Mémoire au moins, a toujours souligné le moment « créatif » de ce
mouvement parallèle d’« éclosion de [la] conscience » d’une part et de
différenciation de corps organiques de plus en plus complexes d’autre
part20. Chez Schelling, en revanche, l’usage du terme « évolution » pour
se référer à la dynamique de la conscience transcendantale permettant
à celle-ci de déployer successivement les Vermögen impliqués dans la
synthèse absolue, semblerait plutôt renvoyer à un processus au cours
duquel des organes préformés ne font que se manifester tels qu’ils
existaient déjà au départ, sans que rien de véritablement nouveau
soit créé. Il est en fait connu que le terme « évolution » était utilisé
à la fin du XVIIIe siècle en tant que synonyme de « préformation »
(comme par exemple au § 81 de la Critique de la faculté de juger de
Kant), alors que c’était plutôt le système adverse de l’« épigenèse » qui
prévoyait, par l’interaction complexe entre les différentes parties de
l’embryon, l’apparition d’organes véritablement nouveaux21. Mais quelle
est précisément la position de Schelling à ce propos ? Et est-ce que l’on
peut rapprocher d’elle la conception proustienne de l’action du temps
dans son rapport à la dimension essentielle ?

Les trois limitations : ontogénèses


Les premières mentions du terme « évolution » dans le Système
n’impliquent d’abord aucune dimension biologique. Ce n’est qu’au cours
de la deuxième époque de la partie théorique, amenant de l’intuition
productive à la réflexion, que Schelling introduit une dimension
proprement organique dans ses considérations, en y reliant la question
de l’évolution. Pour comprendre ce lien, il est nécessaire d’aborder
un point important et qui constitue d’une certaine façon le « point

20 H. Bergson, op. cit., p. 280.


21 Voir l’Ergänzungsband (1994) de la nouvelle édition des œuvres de Schelling
pour une reconstruction exhaustive de l’histoire de la dispute entre les
théories de la préformation et de l’épigénèse (p. 566 sq.).

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synthétique ou le pivot [der Wendepunkt] »22 du Système schellingien,


nous permettant, comme on le verra, d’en relier la partie théorique et
la partie pratique. Je me réfère par là à ce que Schelling appelle les trois
limitations qui permettent le passage du Moi absolu à un Moi empirique
qui est de surcroît un individu déterminé parmi d’autres individus
déterminés. Ce processus de véritable individuation du Moi absolu se
fait en particulier par la troisième limitation, qui est étroitement liée à
la déduction de la nature organique que nous offre le Système. Les deux
premières limitations ont déjà été plus ou moins explicitement traitées
dans ce qui précède : la première limitation n’est en fait rien d’autre
que cette « limitation originaire ou première » en vertu de laquelle
« l’univers naît au Moi, non progressivement, mais par une seule synthèse
absolue »23. Il s’agit donc de cette limitation constitutive de l’auto-
conscience absolue qui lui permet d’être en même temps sujet et objet.
En raison du fait que cette limitation originaire doit se manifester au
niveau du Moi empirique en tant que limitation particulière, « engagée
dans un présent, dans un moment déterminé de la série du temps »24, il
est nécessaire de postuler une seconde limitation, qui au fond ne fait que
développer progressivement, dans la forme d’une « série successive », ce
que la synthèse originaire avait posé de manière simultanée. Schelling
peut ainsi écrire :
« La série successive n’est, comme nous le savons, rien d’autre que
l’évolution de la synthèse originaire et absolue ; ce qui donc se
présente dans cette série est déjà déterminé à l’avance par cette
synthèse. Avec la première limitation, toutes les déterminations de
l’univers sont posées ; avec la seconde, en vertu de laquelle je suis cette
intelligence, toutes les déterminations sous lesquelles cet objet entre
dans ma conscience »25.
Le fait que, selon Schelling, toutes les déterminations se présentant
dans le déploiement sériel de la synthèse absolue soient déjà posées
par la limitation originaire semblerait faire de l’évolution successive
de cette synthèse ce que par ce concept entendaient à l’époque les
partisans de la théorie de la préformation : un développement conçu

22 Schelling, op. cit., p. 193 (SW III, 552).


23 Idem, p. 131 (SW III, 481).
24 Idem, p. 131 (SW III, 482).
25 Idem, p. 134 (SW III, 485).

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comme agrandissement progressif de structures préexistantes, sans que


surgisse quelque chose de véritablement nouveau. À l’inverse de Bergson,
il semblerait que pour Schelling l’évolution ne soit justement pas
« créatrice ». Mais en-est-il vraiment ainsi ? Quels sont les renseignements
que nous pouvons tirer des considérations de Schelling sur la troisième
limitation ?
La troisième limitation est introduite par Schelling de manière
explicite dans le cadre de la réponse qu’il donne aux questions posées
par la déduction de la nature organique26. La série successive de
représentations déployant progressivement la synthèse absolue ne s’est
manifestée jusqu’à présent que dans la forme d’une chaîne linéaire de
causes et d’effets, donnant naissance, par un effet d’action réciproque,
tout au plus à des systèmes de corps célestes subordonnés les uns aux
autres27. Or, si l’on veut que l’intelligence absolue se contemple à travers
ses productions dans sa structure propre, qui est caractérisée par la faculté
de se pouvoir référer à soi-même comme le fait l’auto-conscience, il faut
que les chaînes linéaires de causes et effets retournent en elles-mêmes,
donnant ainsi naissance à de véritables organisations. « L’intelligence »,
nous dit Schelling reprenant un passage célèbre du § 65 de la troisième
Critique kantienne28, « est un effort infini de s’organiser »29, ce qui amène
au surgissement de toute la gradation d’êtres organiques que nous
pouvons observer dans la nature. Cette gradation des organisations,
qui « désigne […] différents moments de l’évolution de l’univers »30,
implique donc une pluralisation des êtres organisés, par laquelle ceux-ci
accèdent à l’état de l’individualité.

26 Idem, p. 139, pose les quatre questions suivantes : « 1) Pourquoi une nature
organique en général est-elle nécessaire ? 2) Pourquoi une gradation est-elle
nécessaire dans la nature organique ? 3) Pourquoi y a-t-il une différence
entre organisation animée et organisation inanimée ? 4) Quel est le caractère
fondamental de toute organisation ? » (SW III, p. 491). La troisième
limitation est introduite dans le cadre de la réponse que Schelling donne à
la troisième question.
27 Schelling, op. cit., 130 sq. (SW III, p. 480 sq.).
28 Chez Kant il est en fait au § 65 de la troisième Critique question d’une
auto-organisation des structures organiques. Schelling transpose ce modèle
de l’auto-organisation au processus d’évolution de l’auto-conscience.
29 Schelling, op. cit., p. 140 (SW III, 491).
30 Idem, p. 142 (SW III, 494).

219
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Le point qui nous doit intéresser le plus est le fait que Schelling
relie ce processus d’individuation découlant de la structure graduelle
du déploiement évolutif de la synthèse originaire à une troisième
limitation, qui s’ajoute aux deux précédentes et permet le passage du Moi
absolu, non pas seulement à un état de finitude empirique, mais aussi
d’individualité se définissant par rapport à une pluralité d’organismes.
Pour le dire avec Schelling : « ce que nous avons appelé la troisième
limitation consiste en ce que l’intelligence doit s’apparaître à elle-même
comme individu organique »31. Nous verrons dans notre prochaine
étape que la pluralisation des individus organiques qui résulte de la
troisième limitation est fondamentale aussi dans la cadre de la déduction
schellingienne de l’intersubjectivité, nous permettant de relier la partie
théorique à la partie pratique du Système.
Revenons cependant à notre question : faut-t-il conclure de ces
considérations à une conception de l’évolution au sens du préformisme
ou plutôt au sens de l’épigénèse ? Sans vouloir trancher la question d’une
manière définitive, il peut être opportun de rappeler que le contexte
explicitement organique dans lequel Schelling pose le problème de
la troisième limitation en tant que principe d’individuation doit être
comparé avec les textes de philosophie naturelle s’occupant de ces mêmes
questions, où Schelling s’exprime souvent en faveur de l’épigénèse32, tout
en reconnaissant à la théorie de la préformation ses mérites33. L’évolution
progressive de la synthèse absolue semble ainsi se poser entre les deux
conceptions adverses et chercher une médiation entre elles qui ne va
pas sans ressemblance avec la médiation que Schelling recherche, dans
ses écrits de jeunesse, entre la forme des jugements analytiques (dont
l’universalisation amène, comme chez Leibniz, à une attitude favorable

31 Idem, p. 148 (SW III, 495).


32 En particulier dans le Erster Entwurf on trouve des remarques en ce sens :
en se référant au partisan de l’épigénèse Harvey, selon lequel « omnes corporis
partes non actu quidem sed potentia insunt germini », Schelling conclut en
nous disant que « Alle Bildung geschieht daher durch Epigenesis » (SW III,
p. 60 sq.).
33 Dans une annotation dans le Handexemplar, Schelling écrit que sa
conception de l’épigénèse est compatible avec la notion de Bildungstrieb
que l’on trouve chez Blumenbach et qu’une telle conception peut être
définie aussi en tant qu’« évolution dynamique » ou alors « préformation
dynamique » (SW III, p. 61), au sens que la direction du Bildungstrieb en tant
que force de développement organique fondamentale est prédéterminée.

220
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au préformisme34) et la forme des jugements synthétiques, qui, dans


leur version apriorique, reflètent une épigénèse des catégories, comme
le souligne Kant même au § 27 de la déduction transcendantale de la
seconde édition de la première Critique (B167)35.
Qu’en est-il de Proust ? En est-il, de ces états psychiques particuliers
suscités par la mémoire involontaire et qui sont « réels sans être
actuels, idéaux sans être abstraits »36 ce qu’en disait Deleuze, qui en
fit une illustration de ces états virtuels théorisés par Bergson et qui
ne se réalisent pas mais s’actualisent ? Comparée à la réalisation du
possible, « l’actualisation a pour règles, non plus la ressemblance et la
limitation, mais la différence ou la divergence, et la création »37. Cela
ferait de la Recherche proustienne un roman illustrant le principe de
l’évolution créatrice, faisant des lignes de développement entrecroisées
de ses personnages des séries d’événements imprévisibles par lesquels
quelque chose de véritablement nouveau, qui ne se laisse pas déduire
complètement de ce qui précède, est continuellement créé. Pourtant
Proust lui-même nous offre, par rapport au mode de manifestation de la
mémoire involontaire, une image qui fait de celle-ci, non pas une faculté
d’accès à une virtualité spirituelle qui s’actualise à travers un processus
de différenciation créatrice, mais plutôt une modalité pour permettre
aux germes d’âme captifs dans la matière de se déployer et d’être ainsi
ramenés à la plénitude de leur propre vie, c’est-à-dire d’expliciter, comme
le font les origamis japonais, leurs puissances « préformées ». L’image en
question nous est offerte en conclusion de l’épisode bien connu de la
madeleine trempée dans le thé :

34 Voir par exemple le § 74 de la Monadologie.


35 La tentative de repenser l’opposition entre jugements analytiques et
jugements synthétiques caractérise l’œuvre schellingienne depuis ses débuts :
si dans l’écrit Über die Form Schelling cherchait encore une forme « mixte »
qui aurait constitué un complément aux formes analytiques et synthétiques
(SW I, p. 104 sq.), dans le Système il cherche un jugement qui soit en même
temps analytique (et en ce sens inconditionnellement certain) et synthétique
(et ainsi capable de fonder un savoir avec un contenu propre), pour trouver
dans notre auto-conscience le point d’où un tel jugement devient possible
(SW III, p. 362 sq.). Pour une interprétation de la philosophie de Kant à
partir de la notion d’« épigénèse de la raison » au § 27 de la Critique de la
raison pure voir aussi C. Malabou, Avant demain : épigenèse et rationalité.
36 TR IV, 451.
37 G. Deleuze, Le Bergsonisme, p. 100.

221
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« Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un


bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-
là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent,
se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des
personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant
toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les
nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits
logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend
forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé »38.
Il serait évidemment déplacé de lire la Recherche proustienne comme
un traité d’embryologie transcendantale, mais si l’on veut comprendre en
quel sens il existe une analogie structurelle profonde entre l’évolution de
la synthèse absolue de Schelling et le développement des personnages de
la Recherche, il faut bien chercher des traces d’une possible confrontation
de Proust avec la question du développement des individus organiques.
Et de telles traces ne manquent absolument pas, à partir de la scène
initiale de la Recherche, où l’éveil du protagoniste à la conscience, que
Proust même met en parallèle avec le développement du genre humain,
a été récemment comparée avec la « loi biogénétique fondamentale »
d’Ernst Haeckel, qui affirme que l’ontogénèse récapitule la phylogénèse,
et qui était, avec la plus haute probabilité, à portée de connaissance
de Proust39. Mais au lieu de me concentrer sur ce point qui a déjà
été traité ailleurs, j’aimerais me référer brièvement à une autre scène
bien connue de la Recherche où un autre phénomène biologique lié au
développement d’individus organiques est examiné dans ses dimensions
philosophiques : je me réfère au « bal de têtes », qui est avant tout une

38 CS I, 47. Il est significatif que Deleuze, dans sa confrontation avec les


théories de la préformation et de l’épigénèse dans le premier chapitre de
son livre sur Leibniz, reprenne, sans mentionner Proust, l’image de l’origami
pour illustrer le principe leibnizien des plis préformés : « La science de la
matière a pour modèle l’« origami », dirait le philosophe japonais, ou l’art
du pli du papier » (G. Deleuze, Le Pli, p. 9).
39 Voir à ce propos l’article de J. Ben Mustapha « Les échos de la loi
biogénétique fondamentale dans la Recherche », in : Bulletin d’informations
proustiennes, en particulier p. 131 : « Le réveil d’un homme est comparable
à la naissance d’un être vivant qui parcourt de façon accélérée les étapes
fondamentales déjà parcourues par son espèce ». Voir aussi P. Moret-
Jankus, Race et imaginaire biologique chez Proust, pour une revue plus
générale des connaissances biologiques dont disposait Proust.

222
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profonde confrontation philosophique avec le phénomène biologique du


vieillissement. Pour introduire ce thème dont le lien avec les questions
embryologiques précédemment mentionnées peut ne pas apparaître
d’une évidence immédiate, j’aimerais rappeler ce qu’écrivait Bergson sur
la « cause profonde du vieillissement » dans L’Évolution créatrice :
« Nous estimons qu’il y a continuité ininterrompue entre l’évolution
de l’embryon et celle de l’organisme complet. La poussée en vertu de
laquelle l’être vivant grandit, se développe et vieillit, est celle même
qui lui a fait traverser les phases de la vie embryonnaire »40.
Comme on le voit, la dimension évolutive, qui est constitutive de
l’individualité organique, se manifeste à tout stade de l’existence
individuelle, du développement embryonnaire jusqu’à la vieillesse. La
profondeur de la réflexion philosophique proustienne sur le thème de la
permanence de l’individualité biologique au cours du temps se montre
là où Proust, au cours de la scène du « bal de têtes », formule le problème
dans sa forme la plus pure, qui est celle de la permanence de l’identité
individuelle à travers le temps là où il y a mutation méréologique, c’est-à-
dire substitution successive des parties d’un tout composé par d’autres41 :
« Chez certains êtres le remplacement successif, mais accompli
en mon absence, de chaque cellule par d’autres, avait amené un
changement si complet, une si entière métamorphose que j’aurais pu
dîner cent fois en face d’eux dans un restaurant sans me douter plus
que je les avais connus autrefois que je n’aurais pu deviner la royauté
d’un souverain incognito ou le vice d’un inconnu »42.
Ce que Proust semble principalement souligner dans ce passage
est le caractère de changement complet qu’amène avec soi la mutation
méréologique. Au lieu d’une permanence de l’identité individuelle au
cours du temps, il semblerait plutôt y avoir une destruction progressive
plus ou moins complète de cette identité. Cette destruction par les forces

40 H. Bergson, L’Évolution créatrice, p. 18.


41 C’est là la formulation moderne du principium individuationis telle
qu’elle est donnée par Hobbes dans le De corpore (pars secunda, cap. 11, 7,
p. 106 sq.) et qui est aussi à la base de la définition spinozienne de l’individu
en tant qu’entité capable d’auto-conserver sa forme (Ethica ordine geometrico
demonstrata, II, prop. 13, def. ; in : Benedicti de Spinoza opera quotquot
reperta sunt, t. 1, p. 86 sq.).
42 TR IV, 508.

223
 

entropiques ne serait en ce sens que l’image spéculaire du processus


de création absolue qui serait à l’origine de toute forme individuelle
nouvelle. Pourtant, Proust lui-même souligne dans ce passage que la
découverte de l’« action destructrice du Temps » a lieu chez le héros
« au moment même où [il] voulai[t] entreprendre de rendre claires,
d’intellectualiser dans une œuvre d’art, des réalités extra-temporelles »43.
En ce sens, il ne faut pas non plus surévaluer l’action du Temps : comme
pour Schelling et autrement que le voulait Bergson, il y a pour Proust
une dimension d’essences extra-temporelles, qui fondent cette vérité
ultime que, dans la Recherche comme dans le Système, nous pouvons
atteindre par l’art. Proust partage pourtant avec Schelling non pas
seulement cette reconnaissance d’une dimension extra-temporelle, mais
aussi une interrogation profonde sur le rapport entre cette dimension et
le devenir temporel, qui ne reste pas tout à fait étranger à l’essence. À
la fin du Temps Retrouvé (qui est le temps des essences), le héros de la
Recherche nous offre une profession de foi perdurantiste qui englobe la
dimension temporelle même dans l’essence des êtres dont il s’est décidé
à narrer les vicissitudes : « […] du moins ne manquerais-je pas d’y décrire
l’homme comme ayant la longueur non de son corps mais de ses années,
comme devant, tâche de plus en plus énorme et qui finit par le vaincre,
les traîner avec lui quand il se déplace »44.
Ce n’est que dans la prochaine section que pourra commencer à être
résolue la question qui nous intéresse le plus et dont ce qui précède n’a
été que la préparation : si, comme il a été montré, les individus multiples
qui peuplent la Recherche se développent sur des lignes entrecroisées qui
impliquent en même temps une dimension proleptique, selon laquelle
certaines expériences en répètent de précédentes, et une dimension
« créatrice », par où de la véritable nouveauté est générée, comment faut-
il envisager plus précisément le rapport intersubjectif entre ces mêmes
personnages ?

L’Autre (de) Moi


Avant d’en venir à Proust et à la caractérisation qu’il donne en
particulier du rapport entre le protagoniste de la Recherche et son

43 TR IV, 508.
44 TR IV, 623.

224
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alter ego Charles Swann, il est opportun de revenir à la « troisième


limitation » de Schelling et d’en montrer le rôle dans la partie pratique
du Système, et en particulier dans la déduction de l’intersubjectivité que
nous offre Schelling dans la Deuxième proposition de cette partie, où il
s’agit de montrer que l’autodétermination pratique d’une intelligence
individuelle n’est pensable que lorsque l’on suppose d’autres intelligences
agissant de manière déterminée en dehors d’elle45. Pour démontrer cette
nécessité d’autres intelligences agissant de manière déterminée, Schelling
part du constat que toute activité, pour qu’elle soit déterminée, implique
un moment de passivité, ce qui signifie très probablement : ce n’est
seulement en nous confrontant avec les passions dont nous sommes
affectés que nous arrivons à nous définir en tant qu’agents libres. À ce
qui pour moi est passivité doit par ailleurs correspondre une activité
dans quelque être rationnel autre que moi, selon la symétrie classique des
puissances actives et passives. Pour le dire dans les termes de Schelling :
« par la position d’une passivité en moi, passivité qui est nécessaire en
vue de la liberté parce que je ne peux parvenir à la liberté que par une
affection (Afficirtwerden) déterminée venant du dehors, une activité hors
de moi est immédiatement posée comme corrélat nécessaire […] »46.
Comme on le voit, l’ontologie à la base de cette géométrie des
affects humains semble être d’inspiration spinozienne : un « quantum »47
total de potentia actuosa doit se répartir parmi les êtres finis en forme
de puissances actives limitées auxquelles correspondent ainsi des
puissances passives dans d’autres êtres. Le point qui doit nous intéresser
le plus est le fait que Schelling relie explicitement cette individuation et
pluralisation de l’activité de l’Absolu à la « troisième limitation » dont il
a été question plus haut : « cette troisième limitation était justement celle
de l’individualité, laquelle précisément prédéterminait déjà l’existence et
l’influence, sur l’intelligence, d’autres êtres raisonnables et, avec celles-ci,
la liberté […] »48.
Pour en venir à Proust : s’il y a un rapport d’ « influence » entre
deux personnages de la Recherche, c’est bien entre Charles Swann et
le protagoniste. Pour Swann, à qui Deleuze attribuait le rôle d’un

45 Schelling, Le Système de l’idéalisme transcendantal, p. 183 (SW III, p. 540).


46 Idem, p. 190 (SW III, 548).
47 Ibid.
48 Idem, p. 193 (SW III, 552).

225
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« initiateur »49, vaut ce que Florence Godeau a constaté du rapport entre


sa maîtresse Odette de Crécy et les femmes aimées successivement par le
protagoniste : qu’il s’agit d’un « personnage proleptique »50. Ce qui a été
mis en lumière dans la deuxième section par rapport au rôle proleptique
de certaines expériences vécues par le protagoniste vaut aussi pour les
rapports entre certains personnages du roman, et ce n’est certainement
pas un hasard si dans la première de ces expériences proleptiques relatées
plus haut, celle du baiser refusé par la mère au protagoniste, est en même
temps relié au caractère cette fois analeptique de l’amour de Swann pour
Odette : la symétrie d’actions et de passions qui structure la logique
des affects humains peut prendre cette forme particulière par laquelle
les expériences de certaines personnes sont répétées par d’autres non
pas évidemment en forme identique, mais pour ainsi dire comme une
variation sur le même thème51. Pour comprendre le passage bien connu
où le héros fait la constatation que « la matière de [son] expérience
[lui] venait de Swann »52, il faut le lire à la lumière des considérations
développées dans la section précédente sur la nature précise des processus

49 G. Deleuze, Marcel Proust et les signes, p. 63.


50 F. Godeau, Les Désarrois du Moi, p. 170 : « Personnage proleptique, la
maîtresse de Swann prépare les hybridations à venir, car les femmes aimées
par le Narrateur offriront toutes une étonnante multiplicité de visages
possibles ».
51 Le thème de la « variation » est central dans la Recherche, comme l’a vu
M. Merleau-Ponty, dans La nature : notes, Cours du Collège de France,
aussi, en reliant par ailleurs cette notion à celle de « mélodie animale » chez
Uexküll : « Comme le dit Proust, la mélodie, c’est une Idée platonicienne
que l’on ne peut pas voir à part. Il est impossible de distinguer en elle le
moyen et la fin, l’essence et l’existence. D’un centre de matière physique
surgit, à un moment donné, un ensemble de principes de discernement qui
font que, dans cette région du monde, il va y avoir un événement vital »
(p. 228). Sur la base de ces déterminations Merleau-Ponty introduit la
notion de « thématisme variable » : « Le thème de la mélodie animale n’est
pas en dehors de sa réalisation manifeste, c’est un thématisme variable
que l’animal ne cherche pas à réaliser par la copie d’un modèle, mais qui
hante ses réalisations particulières, sans que ces thèmes soient le but de cet
organisme » (p. 233). Voir sur cette question aussi M. Carbone, Proust et les
idées sensibles, p. 25 sq., et M. Carbone, Amore e musica. Mes remerciements
vont ici à Mme Chiara Palermo de l’Université de Strasbourg pour
l’indication concernant cet important complexe thématique.
52 TR IV, 493.

226
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d’« évolution » multiples qui résultent de l’individuation plurielle d’un


Moi pour ainsi dire « essentiel ». Si chez Proust ce Moi n’est pas de
nature explicitement transcendantale comme chez Schelling, il n’en reste
pas moins que la dimension atemporelle que nous ouvre la mémoire
involontaire et qui nous permet de relier des sensations éloignées dans
le temps et dans l’espace mais apparentées dans les profondeurs soit
la même qui est sous-tendue par ces séries de variations sur un thème
qui traversent toute la Recherche et qui donnent vie à des lignes de
développement dont l’arrière-fond « biologique » est souligné par Proust
lui-même dans un passage du Temps Retrouvé mettant encore une fois en
évidence le caractère proleptique de certaines expériences par rapport à
d’autres :
« […] mon amour pour Albertine, et tel qu’il en différa, était déjà
inscrit dans mon amour pour Gilberte, au milieu des jours heureux
duquel j’avais entendu pour la première fois prononcer le nom
et faire le portrait d’Albertine par sa tante, sans me douter que ce
germe insignifiant se développerait et s’étendrait un jour sur toute
ma vie »53.
L’amour pour Albertine trouve donc son « germe » à l’époque de l’amour
pour Gilberte, comme celui-ci trouve son germe dans une phase encore
précédente, et qui n’appartient plus à la vie individuelle du héros,
étant à chercher dans l’amour de Swann pour Odette54. Mais ce qui
se laisse extraire de la citation alléguée n’est pas seulement le caractère
sériel des expériences amoureuses du protagoniste et la nature pour
ainsi dire « trans-individuelle » de ces séries55, mais aussi le fait que la

53 TR IV, 483.
54 Là aussi faut-il ajouter que pour ce qui est la vie individuelle du héros, la
série amoureuse trouve son point de départ dans le rapport avec la mère.
Mais comme le dit G. Deleuze dans Marcel Proust et les signes, p. 64 : « La
mère apparait plutôt comme la transition d’une expérience à une autre,
la manière dont notre expérience commence, mais déjà s’enchaîne avec
d’autres expériences qui furent faites par autrui. À la limite, l’expérience
amoureuse est celle de l’humanité toute entière, qui traverse le courant
d’une hérédité transcendante. » L’archétype en jeu n’est donc pas celui de
la Grande Mère mais celui, tout proustien, de la Femme née pendant le
sommeil du protagoniste « d’une fausse position de [sa] cuisse » (CS I, 4).
55 Voir G. Deleuze, Marcel Proust et les signes, p. 63 : « […] la série de nos
amours dépasse notre expérience, s’enchaîne avec d’autres expériences,
s’ouvre sur une réalité trans-subjective. L’amour de Swann pour Odette fait

227
 

« préformation » de certaines expériences dans d’autres implique un


moment de différentiation qui empêche que l’on ait affaire dans ces
séries à une répétition du purement identique : « mon amour pour
Albertine, et tel qu’il en différa, était déjà inscrit dans mon amour pour
Gilberte […] »56.
Ainsi donc, bien que l’analogie structurelle profonde entre le Système
et la Recherche nous ait permis, au fil des arguments développés ici,
de mettre en lumière les différents points de recoupement entre les
structures de pensée des deux auteurs, il conviendrait de souligner
aussi cette différence d’accentuation qui consiste dans le fait que pour
Schelling les individus organiques, qui ne sont que les différentes
facettes du Moi absolu, jouissent d’une certaine unité interne (ce qui
en fait des organismes), même si Schelling même souligne dans ses écrits
de philosophie naturelle que la nature dans sa productivité infinie se
caractérise par une tendance à dissoudre toute individualité figée57. Chez
Proust ce côté de dépassement de l’individuel devient central : par son
intérêt, entre autres, pour le phénomène du vieillissement, se manifeste
chez Proust une fascination pour les tendances de fragmentation et de
démembrement, qui amènent à l’éclatement du Moi dans une pluralité

déjà partie de la série qui se poursuit avec l’amour du héros pour Gilberte,
pour Mme de Guermantes, pour Albertine ».
56 Voir aussi le passage de Sodome et Gomorrhe où le protagoniste réfléchit
aux similitudes et différences entre son amour pour Albertine et l’amour
de Swann pour Odette : « Aussi la douceur apportée par les affirmations
d’Albertine faillit-elle en être compromise un moment parce que je me
rappelai l’histoire d’Odette. Mais je me dis que s’il était juste de faire sa part
au pire, non seulement quand, pour comprendre les souffrances de Swann,
j’avais essayé de me mettre à la place de celui-ci, mais maintenant qu’il
s’agissait de moi-même, en cherchant la vérité comme s’il se fût agi d’un
autre, il ne fallait cependant pas que par cruauté pour moi-même, soldat
qui choisit le poste non pas où il peut être le plus utile mais où il est le plus
exposé, j’aboutisse à l’erreur de tenir une supposition pour plus vraie que
les autres, à cause de cela seul qu’elle était la plus douloureuse. N’y avait-il
pas un abîme entre Albertine, jeune fille d’assez bonne famille bourgeoise,
et Odette, cocotte vendue par sa mère dès son enfance ? La parole de l’une
ne pouvait être mise en comparaison avec celle de l’autre » (SG III, 228).
57 Voir par exemple l’Erster Entwurf, où Schelling écrit : « Der Natur ist
das Individuelle zuwider, sie verlangt nach dem Absoluten, und ist
kontinuierlich bestrebt, es darzustellen » (SW III, p. 43).

228
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de parties spatiales et temporelles qui ne trouvent pas toujours une unité


entre elles58 :
« J’avais bien considéré toujours notre individu, à un moment donné
du temps, comme un polypier où l’œil, organisme indépendant
bien qu’associé, si une poussière passe, cligne sans que l’intelligence
le commande, bien plus, où l’intestin, parasite enfoui, s’infecte
sans que l’intelligence l’apprenne, et pareillement pour l’âme, mais
aussi dans la durée de la vie, comme une suite de moi juxtaposés
mais distincts qui mourraient les uns après les autres ou même
alterneraient entre eux »59.
C’est pourtant ce manque même d’une unité individuelle stable qui
permet à Proust, encore plus qu’à Schelling, de saisir les liens profonds
non pas seulement entre l’Absolu et les êtres finis, mais surtout entre
ces êtres finis eux-mêmes : ceux-ci s’agencent, se superposent les uns aux
autres et composent ainsi un complexe qu’il n’est pas déplacé d’appeler
« trans-individuel »60. C’est cette configuration de pensées qui a permis
à Florence Godeau d’écrire : « En un sens, le Je-Narrateur parle à la fois
de lui-même, en tant que personnage, comme d’un alter ego et comme
d’une troisième personne, de même que certains personnages secondaires

58 Il faut mentionner ici aussi l’intérêt de Marcel Proust pour les phénomènes
étudiés par la psychologie expérimentale de son temps et surtout le fait que
son père Adrien Proust était une des figures de proue de la nouvelle science,
s’étant intéressé justement au phénomène de la division de conscience,
comme l’a bien montré E. Bizub, Proust et le moi divisé : la « Recherche »,
creuset de la psychologie expérimentale, p. 121 sq.
59 TR IV, 516.
60 Dans le même sens va aussi la lecture que propose Levinas dans l’essai
« L’Autre dans Proust » dans Noms propres : ce n’est que par le fait
d’être étrangers à nous-mêmes que nous arrivons à nouer des liens de
communication véritable avec autrui. Voir E. LeVinas, Noms propres,
p. 120 : « Le moi s’est déjà séparé de son état, dans l’intimité même où
il se maintient normalement avec lui, comme le bâton immergé se brise
tout en restant entier. […] En dépit du principe de Lachelier qui distingue
la douleur, de la réflexion sur la douleur, l’une étant douloureuse, l’autre
seulement vraie ou fausse, la réflexion proustienne, commandée par un
écart entre le moi et son état, par une espèce de réfraction met sur la vie
intérieure, son accent même. Tout se passe comme si un autre moi-même
doublait constamment le moi, dans une inégalable amitié, mais aussi dans
une froide étrangeté que la vie s’efforce à surmonter. Le mystère chez Proust
est le mystère de l’autre. »

229
 

(Swann et Charlus en particulier) sont à la fois des “doubles” du Je et des


troisièmes personnes susceptibles d’être observées par lui à distance »61.
Ce qui pour Schelling n’est qu’individuation plurielle du Moi absolu
par la « troisième limitation » se surcharge chez Proust d’une dimension
de dépassement de l’individuel qui rend possible cette sérialité des
expériences et le caractère « proleptique », « initiateur » de certaines
d’entre elles. Chez Schelling le double point de vue sur le processus de
développement du Moi est de connotation clairement hiérarchique : le
Moi se percevant comme sujet est encore bien loin de comprendre tout
ce qu’implique sa conscience, et ce sont seulement les « philosophes »
qui peuvent considérer, du point de vue de l’intuition intellectuelle, ce
même Moi objectivement. Chez Proust, en revanche, le Je-Narrant est
en même temps empirique et transcendantal, et bien qu’à la fin il puisse
réfléchir du point de vue des essences à toutes les vicissitudes narrées
dans le roman, ce n’est au fond pas lui qui au départ donne « la matière
de son expérience » au Je-Narré, mais bien un Autre62.

Bibliographie
N.B. : Pour les publications le plus fréquemment utilisées dans ce recueil, voir la
Bibliographie générale figurant à la fin de l’introduction.
Ben Moustapha Jamila, « Les échos de la loi biogénétique fondamentale
dans la Recherche », in : Bulletin d’informations proustiennes, n° 39,
2009, p. 125-134.
Bergson Henri, Matière et mémoire, Paris : PUF, 1953.
Bergson Henri, L’Évolution créatrice, Paris : PUF, 1962.
Bizub Edward, Proust et le moi divisé : la « Recherche », creuset de la
psychologie expérimentale, Genève : Droz, 2006.
Carbone Mauro, Proust et les idées sensibles, Paris : Vrin, 2008.
Carbone Mauro, Amore e musica, Milano : Mimesis, 2011.
Deleuze Gilles, Marcel Proust et les signes, Paris : PUF, 1964.
Deleuze Gilles, Le Bergsonisme Paris : PUF, 1989.

61 F. Godeau, op. cit., p. 164.


62 À une conclusion similaire parvient aussi J. Ben Moustapha, « Les échos de
la loi biogénétique fondamentale dans la Recherche », p. 134 : « Si le présent
est gonflé par diverses sortes de passés et que des groupes – restreints comme
élargis – habitent l’individu, ce qui est souligné à travers tout cela, c’est
l’énorme part d’altérité dans l’ego : le je est bien, dans sa majeure partie, un
autre. »

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