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PHILOSAGESSE

Le Journal Philosophique de Johan

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Publié par Johan BANZOUZI · octobre 27, 2021

NIETZSCHE : LA VOLONTÉ DE
PUISSANCE OU L'EXALTATION
DE LA VIE

La pensée de Nietzsche, malgré sa


richesse proéminente que l’on peut
constater à travers toute son œuvre,
reste une pensée dif=cile à saisir ne
serait-ce – dans un premier temps–
que par la forme que le philosophe
allemand lui-même lui a donné. En
effet, Nietzsche s’exprime dans ses
ouvrages en aphorismes : il s’agit de
propos brefs résumant et exprimant
une idée profonde, malgré cette
brièveté. Il s’agit d’exclamations
pouvant être dirigées vers aucune
personne en particulier ou
directement adressées au lecteur, ce
qui rend cette forme déjà peu
académique, relativement dif=cile à
saisir et en conséquence, sujette à
interprétations diverses. Il y a par
ailleurs, un livre en particulier, dans
lequel le lecteur de Nietzsche a
l’impression d’être lui-même
directement indexé par ses paroles :
Ainsi Parlait Zarathoustra. Considérée
comme son œuvre phare, ce livre est
encore moins proche de la forme
classique à laquelle on est habitué en
philosophie, puisqu’il s’agit des paroles
d’un homme : Zarathoustra, qui, après
avoir vécu dans les montagnes, décide
qu’il est temps de quitter son « cocon »
pour répandre la sagesse qu’il a acquis,
un peu à l’image de Jésus dans le
Nouveau Testament. Tout cela pour
mettre en évidence le fait que, de la
forme jusqu’au fond, la pensée de
Nietzsche réclame un certain niveau et
un certain recul pour être saisie
correctement. Et c’est justement l’objet
de cet article, qui se veut le premier
d’une série de plusieurs, si le temps me
le permet.

L’article du jour va notamment se


donner l’objectif pour le moins
ambitieux, d’expliquer de la façon la
plus claire possible, un concept majeur
de la philosophie de l’auteur : la
Volonté de Puissance. La notion de
Volonté de Puissance constitue
l’épicentre de l’œuvre de Nietzsche,
dans la mesure où c’est elle qui vient
justi=er et rendre intelligible la
nouvelle vision de la morale proposée
par l’auteur. Car oui : Nietzsche est
avant tout, un moraliste.

Le noyau de la problématique de
l’œuvre de Nietzsche : la morale du
ressentiment

Pour comprendre ce qu’est la Volonté


de Puissance, il faut remonter
jusqu’aux sources premières de la
philosophie Nietzschéenne.
Effectivement, l’œuvre de Nietzsche,
c’est avant toute chose, une critique
globale de la culture occidentale et
plus précisément de ce qui, selon
l’auteur, constitue son fondement : la
morale du ressentiment. Dans la
Généalogie de la Morale, il nous
explique qu’elle trouve son origine
dans le conYit culturel et religieux qui
a opposé les romains et les juifs. Ce
conYit, dit-il, a contribué à donner
naissance à un idéal de vie dit :
« ascétique », c’est-à-dire au sein
duquel on se prive des plaisirs
matériels et charnels.

Mais le plus important est en premier


lieu, de comprendre que le
ressentiment est provoqué par une
situation d’impuissance qui provoque
une frustration chez l’individu. Or,
pour Nietzsche, les êtres en proie au
ressentiment sont une race bien
particulière d’homme à qui la morale a
interdit toute action et qui, en
conséquence, se retrouve réduite à
subir l’impossibilité de s’extérioriser.

Partant de ce constat, Nietzsche va


distinguer parmi les hommes, les forts
en opposition aux faibles ; les forts
étant ceux capables de surmonter cet
état d’impuissance par l’action, et les
faibles ceux ne parvenant pas à
surmonter cet état et devenant par
exemple, victimes de leur propre désir
de vengeance à travers l’obsession ou
encore, =nissant torturés par leur
conscience vis-à-vis d’un acte qu’ils
ont commis et qu’ils regrettent. Il est
par ailleurs, excessivement important
de préciser que la clé de voute de la
morale du ressentiment est la morale
chrétienne dont elle est l’héritière
selon Nietzsche. Et les prémices de
cette morale, toujours selon lui, se font
voir dès Platon et sa théorie dualiste
du Monde des Idées (un article
complet est à venir sur le sujet).
Nietzsche s’y opposera fermement et
s’appliquera à ce que son œuvre lutte
contre cette morale qui encourage
l’homme à l’inaction et aux remords
vis-à-vis de ses actes. Il ira même
jusqu’à consacrer un ouvrage entier à
la critique du christianisme dans
l’Antéchrist.

Si la pensée chrétienne représente une


grande partie de la critique
Nietzschéenne, il reste bon de préciser
que le penseur allemand s’en prenait
en réalité à tout système de pensée et
toute idéologie pratiquant une
distinction entre le bien et le mal, et
combattait ainsi toutes les doctrines
prétendant dicter aux hommes la façon
dont ils devaient se comporter ; cela
implique donc le christianisme et tout
autre mode de pensée s’en
rapprochant. L’objectif de Nietzsche, et
ce qu’il va donc entreprendre tout le
long de son œuvre philosophique, c’est
le dépassement de la morale du
ressentiment par le renversement des
valeurs. En d’autres termes : renverser
les valeurs « chrétiennes » et
« liberticides » de manière générale,
pour en proposer de nouvelles, basées
sur la notion de Volonté de Puissance,
que nous allons étudier dans quelques
instants.

Toute pensée vient du corps : le


naturalisme de Nietzsche

L’approche de Nietzsche est naturaliste


en ce qu’elle place le corps à l’origine
de toute pensée. C’est-à-dire
concrètement qu’à l’inverse de Karl
Marx, qui, dans l’introduction générale
de son œuvre Critique de la
Philosophie du Droit de Hegel,
écrivait : « Ce n’est pas la conscience
des hommes qui détermine leur
existence, c’est au contraire leur
existence sociale qui détermine leur
conscience. », Nietzsche pense quant à
lui que c’est le corps qui détermine la
façon dont les hommes pensent, et
qu’en ce sens, toute pensée provient
du corps. En somme, et pour
reformuler, on peut dire que la façon
dont un homme est constitué
biologiquement va déterminer la façon
dont il va penser et se représenter le
monde. Mais l’auteur va encore plus
loin en détaillant le processus de façon
progressive et ainsi avancer le fait que
la physiologie d’un individu va
déterminer sa morale et que sa morale
va quant à elle déterminer son
intellect, c’est-à-dire ses idées. Qu’est-
ce cela signi=e factuellement ? Tout
simplement qu’un individu
biologiquement faible, aura une morale
de faible et que de cette morale de
faible, découleront des idées de faible.

Ce qui
est
intéress
ant dans
l’approc
he
naturali
ste de
l’auteur,
c’est
l’idée de
considérer qu’on comprend mieux un
individu en observant son corps qu’en
se contentant de sa seule manière de
penser. Tout l’objet de son étude
généalogique de la morale se résume
d’ailleurs à cela ; à essayer de
comprendre son histoire, son origine
et aussi son créateur. Avec toutes ces
informations, on peut alors évaluer la
morale et se questionner sur sa valeur.

Pas d’arrière-mondes : Nietzsche


contre le Nihilisme

Le problème de Nietzsche avec le


christianisme et le platonisme, c’est
que tous deux pratiquent le dualisme.
Est dualiste, en effet, toute doctrine
considérant qu’il y a deux réalités :
celle que nous connaissons, ce monde
matériel constitué de matière et de
chair, et un autre monde cette fois-ci
transcendant et auquel nous ne
pouvons pas accéder. Avec cette
description du dualisme, nous avons
les grands principes de la théorie de
Platon, puisqu’en effet, le disciple de
Socrate considère que ce qu’il appelle
« le monde sensible », correspondant à
la réalité telle que nous la connaissons,
n’est qu’une copie imparfaite d’un autre
monde parfait quant à lui, qu’il
nomme : « le monde des Idées ». Ce
monde des Idées, insoumis aux lois et
contraintes de la matière, est constitué
des mêmes objets que nous trouvons
ici-bas, mais sous leur forme parfaite
et purement intelligible (immatérielle).
Nietzsche pense que la pensée
chrétienne n’est que la continuité de
celle de Platon, car les deux idéologies
rejettent le monde matériel pour lui
préférer un opposé transcendant : le
monde Idées de Platon est donc un
équivalent du Paradis des chrétiens.

Ces pensées, dit Nietzsche, sont à


combattre car elles sont à l’origine de
la maladie de notre civilisation. Elles
font courir l’homme à sa perte en
l’encourageant à rejeter la vie, la réalité
telle qu’elle est, au pro=t d’un monde
=ctif. Valoriser cette =ction, c’est nier
la réalité. C’est en ce sens que
Nietzsche dé=nit les adhérents à la
logique dualiste de « nihilistes ». Le
nihiliste, c’est l’homme qui répudie ce
monde, le réel et tout ce qu’il implique,
c’est-à-dire la souffrance, la joie, le
plaisir parce qu’il n’a ni le courage ni la
force créative nécessaire à la
construction d’un monde conforme à
sa propre vision. N’assumant pas cette
incapacité à créer, dit Nietzsche, le
nihiliste justi=e son impuissance par
l’existence d’un autre monde que celui-
ci. Et la perfection de ce monde =ctif,
n’a d’égale que l’incapacité à créer de
l’individu qui croit en son existence.

Cette faiblesse et cette négation de la


vie a la même origine que la morale du
ressentiment, car nier la réalité, nier la
vie, c’est également condamner
l’égoïsme, condamner les individus
forts d’exercer leur force sur les faibles
en leur disant que c’est mal. Et c’est
justement ici que la volonté de
puissance entre en ligne de compte,
car nier la vie revient pour Nietzsche à
nier la volonté de puissance, car la vie
est volonté de puissance !

Laisser la vie s’exprimer en soi : la


volonté de puissance

Avant de dé=nir la volonté de


puissance, il convient de déconstruire
les idées reçues sur ce concept à la fois
simple et complexe, mais qui, dans
tous les cas, s’il est mal compris, peut
nous faire passer à côté de tout le
paradigme de Nietzsche.

La volonté de puissance n’est pas


comme on peut parfois l’entendre, le
désir de domination ou la conquête
effrénée du pouvoir. Il s’agit
simplement d’une force qui anime tous
les êtres vivants et qui cherche à
s’accroître à travers eux. En ce sens,
elle est totalement indépendante de
l’être vivant à travers lequel elle se
manifeste (qu’il s’agisse d’un homme ou
d’un animal), et est dénuée de toute
morale. C’est une force amorale et
totalement aveugle qui n’a pas d’autre
=n qu’elle-même : la puissance
recherche donc la puissance pour elle-
même.

L’amalgame qui est fait entre la notion


de puissance et une éventuelle
connotation négative s’y rapportant,
est justement dû au fait que certains
lui attribuent une dimension morale,
alors qu’il s’agit d’une force aussi
aveugle qu’un tsunami qui se propage :
elle emporte tout sur son passage, sans
forcément vouloir détruire ceux -et
ce- qu’elle croise sur son chemin. C’est
exactement pour cette raison que
certaines réappropriations de cette
notion nietzschéenne sont erronées.
La notion de volonté de puissance a
déjà été réutilisée soit volontairement,
soit par incompréhension, à mauvais
titre pour faire l’apologie de la
violence. Il n’est pas rare d’entendre
des gens décrire Nietzsche comme le
philosophe de la violence, par exemple.
Or, il n’en n’est rien. Et surtout,
Nietzsche n’a jamais justi=é l’usage de
la violence, même en distinguant les
forts des faibles. Un individu fort, au
sens nietzschéen du terme, est un
individu chez qui la volonté de
puissance est manifeste et non un
individu violent avec les plus faibles.
Bien au contraire, la puissance ne
recherchant que la puissance, le fort
n’a pas une seconde à accorder au
faible, car il n’a pas de valeur à ses yeux
dans la mesure où il n’a aucune
perspective d’accroissement de
puissance à travers lui. A l’inverse, un
individu faible est un individu chez qui
la volonté de puissance fait défaut.

Voici donc comment Nietzsche voit le


monde : une arène au sein de laquelle
des forces s’entrechoquent
indé=niment, car il n’y a pas qu’une
volonté de puissance, mais des
volontés de puissance. Et aussi
longtemps qu’une volonté de puissance
a la possibilité de s’accroître, elle
poursuit son chemin. Jusqu’au jour où
elle rencontre une autre volonté de
puissance. A noter que c’est dans
l’affrontement et dans une logique
dépassement que cette volonté
s’accroit. Un homme qui cherche la
puissance ne se situe donc pas dans
une démarche totalement séparée de
la réalité, c’est au contraire la vie elle-
même qui exprime et manifeste sa
puissance à travers lui. Dans un
fabuleux texte de son livre intitulé Par-
delà bien et mal, Nietzsche pose lui-
même les fondements de son concept :

« [V]ivre, c’est essentiellement


dépouiller, blesser, dominer ce qui est
étranger et plus faible, l’opprimer, lui
imposer durement sa propre forme,
l’englober et au moins, au mieux,
l’exploiter [...]. Tout corps [...] devra
être une volonté de puissance, il
voudra croître, s’étendre, accaparer,
dominer, non pas par moralité ou
immoralité, mais parce qu’il vit et que
la vie est volonté de puissance. » Cf.
Par-delà bien et mal, § 259

Le plus important à retenir de ce texte


est cette précision de Nietzsche : « non
pas par moralité ou immoralité » qui
nous con=rme bien le caractère amoral
de la volonté de puissance. Ainsi, elle
désigne une force primitive et
instinctive qui traverse tout ce qui est
vivant et l’encourage à étendre son
espace vital, à faire tout ce qui est
susceptible de faire accroître le
sentiment de puissance grandissante.
L’auteur illustre encore une fois cette
idée dans cet extrait de l’Antéchrist :

« Qu'est-ce qui est bon ? – Tout ce qui


exalte en l'homme le sentiment de
puissance, la volonté de puissance, la
puissance elle-même.

Qu'est-ce qui est mauvais ? – Tout ce


qui a sa racine dans la faiblesse.

Qu'est-ce que le bonheur ? – Le


sentiment que la puissance grandit –
qu'une résistance est surmontée. » Cf.
L'Antéchrist §2

La formulation de Nietzsche est claire :


il y a un lien étroit entre
l’accroissement de puissance et le
dépassement d’une « résistance » ou
d’un obstacle : ce qui nous con=rme
que la rencontre de l’adversité est
essentielle.

Nous venons donc de poser les


premiers principes de la logique de
volonté de puissance, mais pour
résumer, nous pouvons prendre
l’exemple d’un enfant en pleine
croissance : il exprime, extériorise ou,
mieux encore : il manifeste le
mouvement même de la vie. C’est cette
puissance qui fait qu’un enfant puisse
être égoïste, qu’il veuille accaparer
toute l’aire de jeu et plus encore. On
comprend mieux à travers cet exemple
pourquoi Nietzsche, dans une citation
assez connue, disait : « chaque homme
cache en lui un enfant qui veut jouer ».
Cela ne signi=e rien d’autre que toute
l’énergie que nous pouvons avoir dans
l’enfance, =nit comprimée par les
valeurs que Nietzsche combat dans sa
philosophie : la morale, le devoir et
tout ce qui interdit l’expression de la
volonté de puissance en nous. Y a-t-il
une solution pour se défaire de ces
« chaînes morales » ? Nietzsche n’en
voit qu’une et la synthétise d’une
manière bien particulière dans une
autre de ses citations devenues cultes
dans Ainsi Parlait Zarathoustra : « Tu
dois devenir l’homme que tu es. Fais ce
que toi-seul peux faire. Deviens sans
cesse celui que tu es, sois le maître et
sculpteur de toi-même. »

Nous terminons cet article sur cette


note d’espoir un peu étrange
puisqu’elle convoque deux notions
antinomiques : l’être et le devenir.
Comment peut-on, dans une même
phrase, sous-entendre que l’on doit
devenir quelque chose qu’on est
déjà ? La question vaut la peine d’y
consacrer un prochain article !

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