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La philosophie peut se penser selon plusieurs modalités dont celle de la production.

La question est donc : qui écrit le texte philosophique ?


Car si l’on examine les topoi de la philosophie occidentale , on s’aperçoit que l’œuvre
philosophique est centrée sur la notion de sujet et plus exactement de l’unité du sujet à
partir des trois axes qui constituent cette tradition philosophique :
1. L’axe socratique qui est fondé sur le « connais-toi toi-même ». A partir de cet axe va se
créer un « souci de soi » qui est proprement caractéristique de la réflexion philosophique.
Même si évidemment la question du sens de la formule va hanter toute la philosophie et la
tirailler constamment vers des sens parfois opposés. Il n’en reste pas moins que si comme le
prétend Socrate « se connaître soi-même…c'est là ce qui constitue la sagesse » ( Charmide de
Platon ), alors on pourrait penser peut-être rapidement, que le but de la philosophie n’est pas
la dispersion mais la concentration sur ce qui en moi constitue mon moi.

2. L’axe cartésien avec le « Je pense donc je suis » que l’on a tendance à interpréter
comme une solitude de pensée. « Je demeurais tout le jour seul, enfermé dans un poêle, où
j'avais tout loisir de m'entretenir de mes pensées. » dit Descartes dans le discours de la
méthode. On voit bien que lorsque l’on enchaine ces topoi de la philosophie occidentale, on
peut avoir l’illusion que Descartes répond à Socrate en quelque sorte, à savoir que pour se
connaitre soi-même , il faille passer par l’expérience du poêle ! ET rester plusieurs jours,
blotti sous les couvertures ou approcher du feu avec un morceau de cire si possible …
3. Enfin l’axe Kantien qui reprend le « sapere aude » d’Horace, qui devient la devise des
Lumières de Kant : « Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité
dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son
entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque
la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision
et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te
servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Qu’est-ce que les
Lumières . 1784.
Il est tout-à-fait possible à partir de ces trois topoi une caricature du philosophe à la
Arcimboldo en construisant le collage suivant : est philosophe celui ou celle ayant
courageusement décidé de se connaitre lui-même et faisant l’épreuve obligatoire d’une
solitude de la pensée ou de l’écriture. Il va de soi également que comme toute caricature ,
le portrait en question contiendrait néanmoins une part de vérité. Cette caricature a
souvent été reprise par Schopenhauer qui voit dans la philosophie un exercice de la liberté
donc un exercice de solitude ( « on n’ est libre qu’ étant seul". ) Schopenhauer Aphorismes
sur le sagesse.
Toutefois il me semble que l’idée selon laquelle l’écriture est nécessairement une activité
solitaire est quelque chose qui ne rend pas justice à l’histoire de la philosophie elle-même.
Il serait donc bon de s’interroger sur d’autres modes de production de l’œuvre
philosophique, bon peut-être de poser la question d’une « philosophie à deux » ou à
plusieurs comme certains qui choisissent le régime du couple ou de la vie communautaire.
La philosophie est-elle nécessairement autocentrée ? Passe-t-elle nécessairement par
l’expérience de l’homme de Lettres dans son cabinet ? N’est-ce pas une image facile ? Une
illusion , provenant peut-être non pas d’une tendance atemporelle mais d’un narcissisme
contemporain ?

Dans un premier temps, je crois qu’il est nécessaire d’examiner plusieurs régimes du
« nous » philosophique tels qu’ils se révèlent dans l’histoire.
1. L’origine de ma question : le « nous » de Simone de Beauvoir.
C’est une question qui m’a intéressé lors de l’écoute d’un entretien avec Simone de
Beauvoir où celle-ci insiste sur le sujet « nous ». Elle reprend à son compte le « nous » en
parlant non seulement de Jean-Paul Sartre mais également de toute une équipe qui était
celle la revue des temps modernes. De Beauvoir insiste donc sur « nous », les
existentialistes athées, qui s’opposent aux autres existentialistes et aux non-existentialistes.
Mais ce « nous » demeure écrasant comme pluralis majestatis ou comme l’autodésignation
d’Allah dans le Coran. Mais est-ce que le couple Sartre-Beauvoir fut une exception ? En
philosophie, la question mérite d’être posée. Car si nous pensons la philosophie occidentale
comme affirmation du moi (après tout le « connais-toi toi-même » peut être interprété dans
ce sens ) peut-on philosopher à deux mains, à deux voix , à deux âmes ? S’agit-il alors de se
connaitre non par soi-même mais par l’autre ? Ou de connaitre l’autre ? Ou de penser non
plus par soi-même , mais en profitant d’une synergie poétique créatrice ? Si la philosophie
n’est pas tant découverte des idées que production des concepts, il est clair que la question
mérite d’être posée.
Il y a tout d’abord des couples ( Deleuze-Guattari , Marx-Engels, Sartre-Beauvoir) qui n’ont
qu’un temps puisque chacun de ces visages connut une histoire créatrice personnelle (Marx,
Deleuze, Sartre écrivirent des ouvrages « seuls » en dehors de la matrice binaire . Mais la
question de l’auteur d’une philosophie a son intérêt.
2. Interrogation sur le philosophe anonyme et donc sur le sujet créateur face à sa création.
Sa philosophie, privée de biographie, nous intéresserait-elle ? C’est le cas de Lucrèce. On
peut dire que sa biographie c’est son « ergographie », son œuvre plus que sa vie. Il y a un
rayonnement de l’œuvre qui peut effacer l’absence du sujet. La question tout de même
subsiste : car on essaie toujours en philosophie de saisir le sens d’une production à partir de
l’idée d’un sujet productif. Qui étais-tu toi pour produire ceci ? Il est vrai que la question du
sujet de l’œuvre se pose à partir du moment où il y a œuvre. Pour la plupart d’entre nous la
question du sujet ne se pose pas vraiment dès lors que nous travaillons ( tout le monde
travaille ) ou pensons ( tout le monde pense ). Le travail et la pensée sont pratiquement des
procès sans sujets, automatisés par le corps social et organique. En revanche la rareté de
l’œuvre interroge. On se demande comment l’œuvre a pu naitre, selon quel processus, et il
y a là enquête sur l’esprit du créateur pour mieux saisir sans doute le sens de la création.
Cette enquête alimente les histoires de la philosophie qui sont généralement des
recherches du sens en deux temps : qui suis-je ? Qu’ai-je écrit ?(biographie, bibliographie )
ou trois temps : qu’était mon temps ? qui suis-je ? Qu’ai-je écrit ?( (Contexte historique,
biographie, œuvre ). Il y a des philosophes comme Nietzsche dont l’œuvre est lisible car
elle n’est que le commentaire de la vie ( Contre Wagner, Zarathoustra etc. ). D’autres qui
demeurent opaques à tout jamais comme Lucrèce. Donc ce que nous voyons c’est que pour
rechercher le sens de l’œuvre , nous avons le reflexe psychologique de l’ ὑποκείμενον, du
sujet de la création , ou du substrat comme point d’ancrage de l’œuvre. Et au-delà du sujet
nous visons les intentions du sujet lui-même.

3. Or à l’unité de l’œuvre , nous associons l’unité psychologique du sujet. Une œuvre = un


sujet ( une intention ) = un auteur. D’où la panique à propos de l’herméneutique
homérique. Sénèque se moque de ces enquêtes à propose du sujet : « c’était la maladie
des Grecs de chercher quel était le nombre des rameurs d’Ulysse ; si l’Iliade fut écrite avant
l’Odyssée, si ces deux poèmes étaient du même auteur » De la brièveté de la vie humaine.
Cette remarque montre l’ancienneté de l’interrogation et sa profondeur.
Pourquoi cette panique ? Car si Homère ce n’est pas un, mais deux ou une ribambelle
d’aèdes. Alors que devient l’unité de l’œuvre ?

Voir wiki pedia ici :


À la toute fin du XVIIIe siècle, en 1795, le philologue allemand Friedrich August Wolf publie
en latin des Prolegomena ad Homerum qui déclenchent une vive controverse et marquent
le début de la « question homérique » au sens étroit : un débat savant riche et passionné
qui dure pendant tout le XIXe siècle….
Wolf affirme donc que l’Iliade et l’Odyssée n'ont pas du tout été composées telles qu'elles
nous sont parvenues : le texte qui nous est parvenu est le résultat d'un processus de
composition long, dû à plusieurs auteurs. Les différentes parties d'une même épopée
peuvent remonter à des époques variées et non pas au projet initial d'un poète unique.
Wolf écrit ainsi7 : « L'Homère que nous tenons dans nos mains n'est pas celui qui fleurissait
sur les lèvres des Grecs de son temps, mais un Homère altéré, interpolé, corrigé depuis
l'époque de Solon jusqu'aux Alexandrins. » Les modifications ont été si nombreuses, estime
Wolf, qu'il est devenu à peu près impossible de nous faire une idée de ce à quoi
ressemblaient les poèmes originels tels qu'Homère les avait composés.
Les travaux de Wolf divisent les savants en deux camps : les unitaristes et les analystes. Les
unitaristes restent convaincus de l'unité esthétique des deux épopées, donc de l'existence
d'un auteur unique qui les aurait conçues et composées d'une façon proche de l'état dans
lequel elles nous ont été transmises. Les analystes, de leur côté, acceptent et prolongent
les analyses de Wolf et se mettent en devoir de distinguer les différentes étapes de la
composition et de la transformation des épopées jusqu'au texte que nous avons
conservé10,11.

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Je crois qu’il faut comprendre ici le sens de cette panique morale. Si Homère n’est plus
Homère, alors Rome n’est plus dans Rome. Car l’œuvre n’est plus le miroir d’une unité de
conscience mais devient l’œuvre commune réalisé par plusieurs têtes et son unité n’est
peut-être que de façade, que de rafistolage ou le produit d’un bricolage. Cela sent presque
l’imposture ou la fausse-monnaie poétique.
Cette question est aussi posée en philosophie car elle reprend l’idée convenue selon laque
a. le sens de l’œuvre réside dans son unité ( de pensée, d’intentions )
b. L’unité de l’œuvre réside à son tour dans la singularité de l’auteur
(sinon on aurait affaire à un collage, un patchwork, une monstruosité de la pensée ou à un
mensonge, une imposture).
c. la singularité de l’auteur est source de l’intention qui préside à l’œuvre elle-même.

4. L’intervention de la dualité. Les régimes de la pluralité en philosophie.


Est posée la question de La possibilité de l’œuvre duelle ? Est-ce inutile ? La pensée a telle
besoin de formalisation que l’on peut se poser la question d’une philosophie à deux mains.
N’est-ce pas un leurre ? une mauvaise idée ? Une méchante idée ?
La question de l’œuvre plurielle :

4.1. L’œuvre commune supposant complémentarité ou amitié. Le couple philosophique et


la poieisis.

ICI deux types d’echanges : l échange réel c’est la correspondance. Ou alors le travail
philosophique à deux qui a été imaginé par Deleuze et Guattari.

4.1.a Deleuze-Guattari.
Le couple Deleuze-Guattari représente d’une certaine façon un fonctionnement idéal entre
deux penseurs, car un fonctionnement qui ne comporte pas de friction entre des « égos »
que l’on pourrait croire surdimensionnés car chez les deux hommes on avait déjà un travail
théorique liminaire. Ce qui va les réunir c’est une complémentarité entre Deleuze qui est
l’homme du savoir philosophique et Guattari qui joue ici le rôle du psychiatre ( qu’il n’était
pas ) ou du praticien en tout cas . Je pense que la synergie entre les deux hommes a
fonctionné sur la base d’une différence et d’une complémentarité. Ils ont représenté non
pas un conflit de chaire ( pensons à l’horreur Schopenhauer- Hegel ) mais le couple
Université – Hôpital. Tout les portait donc à examiner après Mai 68 , le fonctionnement du
pouvoir, qu’ils observaient du centre de chaque institution.

« C'est que, en réalité, la façon de travailler de Deleuze et de Guattari est bien étrange. On
ne saura pas grand-chose sur la confection proprement dite du manuscrit («c'est un secret»,
dit Deleuze ; «par allers et retours, par versions successives : le travail de finition, qui est
souvent fait par Gilles», dit de son côté Guattari). Mais la méthode de travail, elle, semble
suivre des règles bien précises, qui se sont imposées d'elles-mêmes au cours des années :
«Je crois, dit Deleuze, que deux éléments surtout interviennent dans notre travail commun.
D'abord des séances orales. Il arrive que nous ayons un problème sur lequel nous sommes
vaguement d'accord, mais nous cherchons des solutions capables de le préciser, de le
localiser, de le conditionner. Ou bien nous trouvons une solution, mais nous ne savons pas
très bien pour quel problème. Nous avons une idée qui semble fonctionner dans un
domaine, mais nous cherchons d'autres domaines, très différents, qui pourraient prolonger
le premier, en varier les conditions, à la faveur d'un tournant. Kleist a tout dit sur ce qui se
passe ainsi, quand, au lieu d'exposer une idée préexistante, on élabore l'idée en parlant,
avec des bégaiements, des ellipses, des contractions, des étirements, des sons inarticulés. Il
dit : "Ce n'est pas nous qui savons quelque chose, c'est d'abord un certain état de nous-
mêmes" ; il s'agit de se porter à cet état, de se mettre dans cet état, et c'est plus facile à
deux. L'autre élément, c'est les versions multiples. Chacun écrit une version sur un thème
donné (qui a été précisément dégagé dans les séances orales). Puis il la réécrit en tenant
compte de la version de l'autre" Chacun fonctionne comme incrustation ou citation dans le
texte de l'autre, mais, au bout d'un moment, on ne sait plus qui cite qui. C'est une écriture
de variations. Ces procédés à deux ne font que grossir ce qui se passe quand on travaille
seul. C'est la même chose de dire : on est toujours tout seul, et : on est toujours plusieurs.
On est seul à deux, et plusieurs quand on est seul. Toutefois, la condition pour pouvoir
effectivement travailler à deux, c'est l'existence d'un fonds commun implicite, inexplicable,
qui nous fait rire des mêmes choses, ou nous soucier des mêmes choses, être écœuré ou
enthousiasmé par des choses analogues. Ce fonds commun peut animer les conversations
les plus insignifiantes, les plus idiotes (elles sont même nécessaires avant les séances
orales). Mais il est aussi le fonds d'où sortent les problèmes auxquels nous sommes voués et
qui nous hantent comme des ritournelles. Il fait que nous n'avons jamais rien à objecter
l'un contre l'autre, mais chacun doit imposer à l'autre des détours, des bifurcations, des
raccourcis, des précipitations et des catatonies. C'est que, seul ou à deux, la pensée est
toujours un état loin de l'équilibre.» In article de libération cité plus bas.

Ce qui m’intéresse dans l’explicitation de leur relation par Deleuze , c’est la relation à Kleist
qui avait retenu mon attention. Kleist utilise l’autre pour être lui-même cad pour accoucher
de concepts qui sont en lui mais qui n’ont pas la clarté voulue. L’autre devient pour nous un
moyen d’accéder à la conscience du clair ( voir le parallèle avec l’analyste ).

« Lorsque tu veux savoir quelque chose et que tu n’y parviens pas par la réflexion intérieure,
je te conseille alors, mon cher et spirituel ami, d’en parler avec le premier venu. » Kleist , De
l’élaboration progressive des idées par la parole .

Ici le problème c’est que Guattari n’est pas le premier venu. Ce fonctionnement de la
fabrique des concepts demande une oreille. Deleuze et Guattari avant d’être des bouches
étaient des oreilles. Et l’oreille n’est pas donnée au premier venu. Elle demande de la
disponibilité et de la sagesse. C’est qu’on ne peut pas le faire avec n’importe qui ! Il y a ce
fonds commun énigmatique dont Deleuze parle. Je pense qu’il s’agit de la même chose en
musique. Des réquisits en quelque sorte.

Mais le plus important c’est que l’autre ici nous permet de tester notre pensée et de la
développer de façon inattendue. Donc ce couple Deleuze-Guattari met à l’épreuve l’idée
présentée de notre philosophe Arcimboldo selon lequel la pensée supposerait
nécessairement une forme d‘esseulement ou que l’esseulement serait condition sine qua
non du philosopher. La référence à Kleist est essentielle en ce qu’elle montre l’importance
de l’échange pour amplifier nos idées. On peut dire dans le cas de Deleuze et de Guattari
que l’autre est justement celui qui nous permet de transformer nos intuitions en concepts.

La dernière chose à remarquer est que le couple philosophique ne brise pas les
singularités. Chacun demeure lui-même et ne rentre pas dans un rapport de sujétion, même
inconscient.
Toutefois, il est vrai que dans la notion de couple philosophique , il y a toujours l’astre du
jour et l’astre de la nuit. Un astre éclipse souvent l’autre. Sartre fascinait de Beauvoir ,
même si l’œuvre théorique de de Beauvoir fut considérable. De même qui connait Guattari
aujourd’hui ?

4.1.b Marx-Engels

Le second couple producteur c’est Karl Marx et Friedrich Engels. Là nous ne sommes pas
vraiment dans un rapport de complémentarité mais dans le partage des mêmes valeurs.
Il y a donc un deuxième fonctionnement du couple philosophique , c’est la philia , l’amitié.
C’est au sein d’un cénacle d’étudiants qu’ils se rencontrèrent. « Die Freien » : les affranchis.
Ici plutôt que de parler de complémentarité on a une amitié et un partage d’idées : se
séparer du vieux Schelling, se rapprocher de Hegel et des hégéliens de gauche. Donc il y a ce
régime du « nous » qui est celui d’un club philosophique, un peu comme les temps
modernes qui serviront de fond au couple Sartre-De Beauvoir.
La philia philosophique c’est cette communauté d’idées qui va constituer un terreau pour
les couples philosophiques.
« C 'est avec la Sainte Famille que commença la collaboration de Marx et d'Engels, qui se
poursuivit pendant près de quarante ans et exerça une influence prépondérante sur le
développement historique de la social-démocratie, tant allemande qu'internationale.

L'amitié qui lia ces deux hommes fut absolument sans exemple dans l'histoire. Elle fut
exempte des heurts et frictions, tels qu'il s'en produit ordinairement entre des hommes,
dont le caractère, chacun dans son genre, a une empreinte très nette, au milieu des mille
péripéties d'une existence qui connut autant de défaites que de victoires. Elle fut cuirassée
contre toutes les tentations que le monde extérieur pouvait, consciemment ou
inconsciemment, exercer sur eux. Il est aujourd'hui et il sera sans doute toujours impossible
de distinguer quelle est la part qui revient à chacun d'eux dans l'œuvre commune. Après la
mort de Marx, Engels a souvent attribué à son ami la part de beaucoup la plus considérable
dans leur œuvre commune, et il est certain que Marx était, des deux, le penseur le plus
génial et le plus profond. Mais si Engels avait raison de dire qu'il n'aurait rien fait sans Marx,
cette phrase devrait être complétée, comme l'avait fait Marx lui-même, en ce sens que, sans
Engels, il ne serait pas devenu ce qu'il est devenu, en réalité. Cela ressort déjà, et tout
particulièrement, de leurs débuts. » Franz Mehring , Extrait de la biographie de Mehring,
consacrée aux rapports entre Marx et Engels.

Il y a un aspect fusionnel dans cette relation également. A tel point que la notion d’auteur se
retrouve brouillée ici, à tel point qu’ on ne sait plus ce qui est de Marx et ce qui est d’Engels.
4.2. Le couple mimétique : Maitre et disciple , le régime de la scolarité.

4.2.a Platon-Socrate

Ici le couple n’est fondé ni sur la complémentarité , sur l’amitié , mais sur la scolarité. L’un
devient l’école de l’autre. L’un est disciple, l’autre maitre. Il ne s’agit donc plus exactement
d’une société d’égaux, ni une société d’amis mais d’une forme qui est celle de la paideia, de
l’enseignement philosophique. L’amour du Bien ici remplace toute forme d’amitié laïque, ou
toute forme d’amour (Sartre, de Beauvoir). Le couple maitre -disciple est fondé sur
l’admiration de l’un pour l’autre. Le Maitre est admirable en cela qu’il incarne des qualités
désirables : ici la justice et la sagesse. « il fut le meilleur et en outre le plus sage et le plus
juste » dit le Phédon. Il s’agit ici non pas d’un rapport d’égalité comme dans l’amitié ou
dans la complémentarité mais d’un rapport d’admiration et donc d’inégalité. Dans ces
relations d’asymétrie ou d’inégalité il n’y a pas d’œuvre commune à proprement parler car
l’œuvre commune suppose une forme de parité ou de complémentarité. Le disciple a trop
de choses à apprendre, il doit recevoir avant de donner.

On notera ici que dans toutes ces formes de couples théoriques, même si la poiesis ne
fonctionne pas, il y a cependant « mimesis ». L’un et l’autre ne créent pas ensemble, mais
l’un imite l’autre. Les différences de pensée s’effacent parfois et permettent le glissement
d’un espace théorique vers un autre. A tel point que pour Platon la mimesis est telle que les
premiers dialogues sont dits « socratiques » car totalement imprégnés de la pensée du
Maitre. Cette imprégnation conceptuelle fait partie aussi du fonctionnement du couple
Maitre-Disciple.

“Et maintenant, à quel âge s'est-il attaché à la personne de Socrate?


Si c'est, comme on l'admet en général, à vingt ans, alors l'initiation alléguée à
l'Héraclitéisme aurait commencé et fini singulièrement tôt! D'autre part, autour
de ce Socrate qui fut alors, Aristophane nous en est le meilleur garant, une des
figures marquantes de la Cité, il n'y avait probablement pas que des disciples,
ou mieux des fidèles, mais aussi des curieux occasionnels: c'est à ce titre
qu'avaient dû le fréquenter Critias, Charmide et les frères aînés de Platon, et à
ce titre aussi qu'ils ont pu introduire le jeune homme auprès de lui. Au surplus,
la peinture que, dans certains dialogues comme le Lysis ou le Charmide, Platon
nous a faite des entretiens de son maître donne à penser que des enfants en
étaient parfois les interlocuteurs: ce qui nous obligerait à reculer en deçà de la
vingtième année les premières impressions produites sur lui par la pensée de
Socrate; elles pourraient donc être antérieures à son entrée dans l'école de
Cratyle. En tout cas, il n'est guère croyable, ni que Platon ait pu être déterminé
par l'influence de ses parents à resserrer des relations qui risquaient de détourner
son esprit des réalités positives et des exigences du moment; ni qu'il ait senti
lui-même le besoin logique de chercher dans le concept cet élément stable dont
la connaissance ne peut se passer et qui faisait défaut au mobilisme héraclitéen.
Plus vraisemblablement, ce fils de grande famille, appelé à jouer un jour un rôle
dans la Cité, déjà capable de juger les actes et les méthodes politiques, s'est
attaché à Socrate surtout en raison de prédications de celui-ci sur la justice, qui
régnerait dans l'État le jour où le principe des compétences y aurait remplacé le principe
égalitaire. Le désordre et l'impuissance du gouvernement démocratique aboutissant au
désastre qui termina en 404 la Guerre du Péloponnèse, le despotisme sanguinaire du
gouvernement oligarchique qui vint ensuite, voilà quels furent peut-être les plus pressants
motifs qui déterminèrent Platon à s'attacher d'une façon plus étroite à l'homme dont il dira
plus tard (à la fin du Phédon) qu'«entre tous ceux de son temps qu'il lui a été donné de
connaître, il fut le meilleur et en outre le plus sage et le plus juste». Léon Robin. Platon.

L’entente entre les deux hommes pour Robin tient dans la critique de la démocratie et la
volonté de remplacer un principe ( l’égalité ) par un autre ( la compétence ).

4.2.b. Mais il y a l’échange ou dialogue rapporté ou imaginé . ( Le faux « nous » ).


Le dialogue est une œuvre originale. Ce n’est pas l’œuvre d’un couple d’auteurs , mais
l’œuvre d’un auteur qui évoque un couple de personnage. « un entretien entre des
personnages qu’un écrivain fait parler ensemble » Condillac.

Le dialogue est donc la transformation de l’un ( L’auteur ) en multiple ( les personnages,


Socrate et ses disciples, Socrate et les sophistes etc.). Le dialogue est donc une altérité
fictive ou suppose des avatars du Moi qui s’incarne dans divers personnages.
Alors que l’œuvre commune est la transformation du Multiple ( Marx, Engels ) en un ( une
œuvre : la manifeste du parti communiste ). L’œuvre commune c’est l’
Inverse plusieurs philosophes qui créent une philosophie, et non pas une philosophie qui
crée plusieurs philosophes ( dialogue ).
La philosophie est donc le régime de l’un et du multiple, du moi et de l’altérité. Il est faux de
penser qu’elle se limite à une introspection stérile. Elle transforme constamment le moi en
quelqu’un d’autre et l’autre en partie de moi-même. Elle est circulation de Moi à Autrui.
Il faudrait donc tenir compte de l’héritage platonicien sur ce point. Il y a une tradition
dialogique en France.

Condillac, qui, dans son Dictionnaire des synonymes, met en rapport quatre termes :

« Conversation, entretien, conférence. Discours tenu entre plusieurs personnes.


Conversation se dit des discours familiers tenus sur toutes sortes de sujets. L’entretien est
une conversation particulière où l’on parle de quelque chose qui intéresse. La conférence
est un entretien entre des personnes assemblées pour traiter de quelques affaires
générales. Le dialogue est une conversation ou un entretien entre des personnages qu’un
écrivain fait parler ensemble. » Condillac , Dictionnaire des synonymes

S’intéresser donc au régime des Entretiens de Diderot, le neveu de Rameau etc.

Dialogue de Platon ( mais qui a ici l’unité du style et de la pensée de l’auteur car la dualité
est alors celle des personnages non celle de l’auteur).
Dans le dialogue de Platon, on notera l’effacement du sujet derrière les personnages.
D’ailleurs c’est tellement vrai qu’il y a une confusion entre l’auteur ( Platon ) et le
personnage principal (Socrate).
Il semble alors que ce soit la philosophie qui l’emporte comme scène, sur tout.
Le philosopher devient plus important que le philosophe lui-même.

La dialectique de Hegel, qui inclut toutes les altérités mais contient la marque de Hegel.
4.b. L’école philosophique . Toi et moi c’est nous.
C’est le problème du philosophe au tout qu’est le courant philosophique.
Examiner les histoires de la philosophie. Il est clair qu’au 17 siècle , un philosophe peut être
pensé comme appartenant à tel courant. Cad que sa définition dépend tout autant de sa
biographie que du Tout qui l’englobe. Le rationaliste, l’empiriste, l’épicurien, le stoïcien.

4.b. 1. L ambivalence de l'école .

L école est un milieu dans l Antiquité.


Un milieu protecteur.
Qui protège de l opinion.
Mais aussi des bruits du monde extérieur.
Donc l’école rassure et inquiète.

Elle inquiète.

Se réclamer d une école qu’ est ce que cela signifiait ?


Obédience totale ? Voir le pythagorisme.
Mais cet esprit de soumission est il compatible avec l exercice de la philosophie ? Voir les
pythagoriciens sur ce point.

Bréhier caractérise cette discipline d’école qui caractérise l’hellénisme comme une perte de
substance ou de liberté par rapport au platonisme ou au socratisme :

« Le second trait ( de la pensée hellénique et des écoles stoïciennes et épicuriennes ; le


premier étant l’effort de caractériser la nature des choses et de créer une physique avant
l’éthique, une science à partir de laquelle fonder l’exigence de bonheur ) , qui d’ailleurs
aboutit plus ou moins, c’est une tendance à une discipline d’école ; le jeune philosophe n’a
point à chercher ce qui a été trouvé avant lui ; la raison et le raisonnement ne
servent qu’à consolider en lui les dogmes de l’école et à leur donner une assurance
inébranlable ; mais il ne s’agit de rien moins dans ces écoles que d’une recherche libre,
désintéressée et illimitée du vrai ; il faut s’assimiler une vérité déjà trouvée. »
E Bréhier, sur l’hellénisme dans son « histoire de la philosophie. T 1. Antiquité »

Cette philosophie à plusieurs conduit donc soit au chaos et à l’absence d’ordre soit à un
ordre liberticide.

On connait le destin de ce pythagoricien Hippase de Métaponte qui fit dit-on l’ épreuve de


la discipline de l’école et qui fut noyé peut-être pour avoir révélé des secrets
mathématiques :

« Hippase de Métaponte2 fut un disciple de Pythagore ayant vécu à Crotone vers -530 ou à
Métaponte vers -500. Il vouait à Pythagore une grande vénération : il ne l'appelait pas par
son nom, mais « Le grand homme ». La communauté pythagoricienne distinguait les
acousmatiques (plus intéressés par les préceptes moraux, centrés sur l'éthique) et les
« mathématiciens » (plus intéressés par les démonstrations scientifiques, centrés sur les
mathématiques), soit en degrés initiatiques soit en tendances disciplinaires ; Hippase aurait
été le chef de la tendance mathématique, qui comprendra Philolaos, Archytas, Eurytos de
Tarente, Eudoxe de Cnide, Cébès.

Il aurait été le maître d'Héraclite (actif vers 504 av. J.-C.)6.

Hippase aurait enfreint la règle de silence, en divulguant soit l'inscription des pentagones
dans le cercle, soit la nature de l'incommensurable et de l'incommensurabilité. Il fut exclu
de l'école, et on lui érigea un tombeau pour signifier qu'il était comme mort pour les autres
pythagoriciens. Des auteurs rapportent qu'il se serait jeté dans la mer pour se punir, ou
même qu'il fut jeté à la mer par ses condisciples.

« Hippasos était un Pythagoricien, mais, parce qu'il avait été le premier à divulguer par écrit
comment on pouvait construire une sphère à partir de douze pentagones, il périt en mer
pour avoir commis un acte d'impiété, tout en recevant la gloire comme s'il avait fait la
découverte, alors que tout cela vient de « lui » »

— Jamblique7

Cependant, Proclos donne une interprétation symbolique de la version où Hippase est noyé
par ses condisciples :

« Les auteurs de la légende ont voulu parler par allégorie. Ils ont voulu dire que tout ce qui
est irrationnel et privé de formes doit demeurer caché. Que si quelqu'âme veut pénétrer
dans cette région secrète et la laisser ouverte, alors elle est entraînée dans la mer du
devenir et noyée dans l'incessant mouvement de ses courants »

— Proclos de Lycie )

Elle rassure aussi.

L école permet de se rassurer en se référant à une tradition de pensée. Mais qu’ en est-il
alors du connais-toi toi-même ?

4.b 2. L école comme propédeutique philosophique et conquête de la liberté.

On peut voir l’école comme une propédeutique. Je suis disciple, puis maitre et je fonde ma
propre école.
Donc il y a l école dans laquelle j’apprends puis l école que je fonde etc
Une ecole de la servitude puis de la liberté. Socrate, Platon, Aristote ont hérité de leurs
maîtres la liberté d’examen et donc la possibilité de modifier la doctrine.
4.b .3. La richesse interprétative de l école.

Voir le régime de la dissidence en philosophie, c’est la raison pour laquelle l’anecdote


d’Hippase ne peut concerner la philosophie. . La dissonance doit être Toujours acceptée en
philosophie. C’est la possibilité de changer le dogme. Comme les affluents d’un fleuve qui
l’enrichissent.
La richesse d’une école c’est la richesse de ses affluents. Cf le marxisme.

5. Les 3 dimensions de l école philosophique.

Le maitre, l’ami et l adversaire.

L école introduit 3 dimensions :

a.l immanence c est l autre disciple.

b.La transcendance de l’autre et du maitre.

c.L extériorité de l’autre et de l adversaire ou de l école concurrente.

Un philosophe se construit grâce à ce jeu d d'oppositions permanent.

Montrer que l’éducation philosophique a ces trois pôles qui constituent la sagesse. Philia et
agon.

Transition.

Or on voit de moins en moins de philosophes actuels se réclamer d’une école. Cela serait
considéré comme de l’endoctrinement.
Rôle qu’ a joué Schopenhauer dans cet éloge du narcissisme. Ils est dégagé des modes et
des coteries. " on n est libre qu’ étant seul". Aphorismes sur le sagesse.

Et la rencontre avec l’autre brise l’harmonie du soi à soi : "Les différences de l individualité
produisent toujours une dissonance" ibid.

Mais on peut penser l’école différemment : Ici tout ce qu’on va dire va enrichir le courant.
Ce qui est intéressant c’est qu’ alors on peut être soi-même tout en s’inscrivant dans une
certaine unité générique qui est l’école ou le mouvement.
6. Le narcissisme philosophique.
Moi dans mon coin. Philosophes contemporains ? Moi c’est moi. Toi c’est toi.

Le narcissisme est un danger pour la philosophie.


Pourquoi ?
Pas simplement pour des raisons morales ( Pascal, le Moi est haissable ).
Mais pour des raisons philosophiques. Le fait d’être captivé par sa propre thèse peut
amener à négliger un usage dialectique de la philosophie. Cf Brehier sur ce point qui
développe l’idée selon laquelle l’art de la dialectique est la possibilité de faire surgir un
autre. 1
Ainsi ce qui distingue la philosophie de l’opinion c’est la possibilité de faire surgir un autre :
alors que l’opinion ne renvoie qu’à elle-même, le philosophe part en guerre contre des
thèses adverses , réelles ou imaginaires. Mais la dialectique n’en reste pas moins un art
martial. L’usage narcissique ou non-dialectique de la philosophie est sans aucun doute son
plus grand danger à l’heure actuelle.

Mais le narcissisme ce n’est pas la même chose que la solitude. On peut être solitaire et
hanté par l’autre et par l’adversaire. Inversement le narcissique aime à être entouré, non
pour dialoguer mais jouir du regard laudatif des autres. Le philosophe de manière
paradoxale trouve dans la solitude souvent les moyens du dialogue. Le narcissique tout en
étant mondain et très entouré demeure claquemuré dans ses certitudes.

Voir les bouquins de Jollien et d’André. S’agit-il d’un plaisir narcissique ou d’une peur du
risque ?

3.

4. Examiner le problème des écoles philosophiques. Sont-elles possibles encore


aujourd’hui ? Que signifie le fait d’appartenir à une école ??

1
« Il y a, dans la collection d'Aristote, une compilation, intitulée Problèmes, dont la date est tardive (Ve ou
VIe siècle, estime Léon Robin), et dont le titre par conséquent n'est pas d'Aristote ; il contient, à côté de problèmes
mathématiques, des questions relatives à la biologie et à la morale. Mais toujours, comme en mathématiques, le
problème se rapporte à une question concrète, limitée, définie, dont la position même suppose la préexistence de
la science à l'intérieur de laquelle il est posé, science qui donnera les moyens de le résoudre. Le problème n'a
qu'une place restreinte. Il y a pourtant une exception, et elle est de grande importance : dans les Topiques, cette
œuvre consacrée à l’art de la discussion, Aristote définit ainsi le problème : « La différence du problème et de la
proposition tient à la manière dont est posée la question. Si on dit par exemple : animal pédestre et bipède est la
définition de l'homme; il oppose l’esprit à lui-même. Et nous avons sans doute ici un de points de départ de la
philosophie. La philosophie a commencé lorsque les affirmations de la conscience spontanée sur l’univers
sont devenues problématiques. » Émile Bréhier, “La notion de problème en philosophie.” (1955) 7
++++++++++++++++++++

Nous Deux.

Par Robert Maggiori, Jeudi 12 septembre 1991 — 19 mars 1998 à 22:52 Lib♪0ration.

LES AUTEURS DE NOS 25 ANS. 1991. DELEUZE-GUATTARI. Comment pense-t-on à deux ?


Les auteurs de «Qu'est-ce que la philosophie ?» retracent l'histoire d'une amitié sans
intimité, qui fonctionne à l'«accordage» et au «branchement machinique».

 Nous Deux.

lls ont peu d'amis communs. En dehors de leurs séances de travail, ils se voient rarement.
Lorsque l'un écrit seul un livre, il n'en parle pas à l'autre ... L'un est philosophe, l'autre
psychanalyste. L'un est né en 1925 et l'autre est de cinq ans son cadet. Ils ont signé à quatre
mains l'Anti-oedipe, qui les rendit célèbres, puis Kafka, Pour une littérature mineure,
Rhizome et Mille Plateaux. Et, aujourd'hui, Qu'est-ce que la philosophie ? Dans ce livre
court un étrange «personnage conceptuel» : celui de l'ami, né en Grèce en même temps
que la philosophie. Amis, Gilles Deleuze et Félix Guattari le sont assurément. Mais d'une
manière telle qu'elle explique leurs productions théoriques communes et rend
compréhensible le fait qu'une œuvre philosophique, fait rarissime, puisse être «cosignée».

Gilles Deleuze et Félix Guattari se sont connus en 1968. «Quand j'ai rencontré Félix, nous dit
Deleuze, j'avais fait de l'histoire de la philosophie, de la critique littéraire et deux livres de
philosophie, Logique du sens et Différence et répétition. Ma rencontre avec Félix s'est faite
sur les questions de psychanalyse et d'inconscient. Félix m'a apporté une sorte de champ
nouveau, m'a fait découvrir un domaine nouveau, même si j'avais parlé de la psychanalyse
avant et que c'était cela qui l'intéressait chez moi. Notre travail commun s'est fait surtout
entre 1970 et 1980. Puis il y a eu un arrêt et chacun de nous s'est remis à écrire tout seul,
comme si, provisoirement ce n'est pas du tout qu'on était moins amis ! les possibilités de
travail étaient épuisées. Elles se sont représentées tout récemment. Il n'y a là aucune
recette. Le seul critère est que "ça marche. Au début de nos relations, c'est Félix qui est
venu me chercher. Moi, je ne le connaissais pas. Je crois que ce qui m'a frappé le plus, c'est
qu'il ne soit pas philosophe de formation, qu'il prenne donc, vis-à-vis de ces choses,
beaucoup de précautions, qu'il soit presque plus philosophe que s'il l'était de formation, et
qu'il incarne la philosophie à l'état de créativité.» Les souvenirs de Guattari sont presque
identiques. «J'avais été très impressionné par la lecture de Différence et répétition et de la
Logique du sens. Dans ma façon de repenser ce qu'on lui disait, il avait été frappé par la
dissidence très marquée par rapport au lacanisme, qui était déjà dominant, et par ma façon
d'aborder les problèmes politiques et sociaux. Il m'a incité à mettre tout cela en forme. Mais
la période ne se s'y prêtait pas tellement, et moi j'étais loin d'être préparé. Il m'a alors
proposé qu'on fasse le travail ensemble. C'est moi qui suis allé le chercher, donc, mais, dans
un deuxième temps, c'est lui qui m'a proposé le travail en commun. Ce qu'il m'a apporté,
depuis le début, c'est une écoute sur des aventures théoriques pour lesquelles j'étais dans
une solitude totale, un encouragement à des élaborations théoriques que n'importe quel
autre interlocuteur m'eût conseillé d'arrêter ! Ensuite il m'apporte un background
philosophique extraordinaire, la machine de travail, la machine de réflexion et d'écriture.»
Une œuvre philosophique se fait-elle donc «à la machine» ?

C'est que, en réalité, la façon de travailler de Deleuze et de Guattari est bien étrange. On ne
saura pas grand-chose sur la confection proprement dite du manuscrit («c'est un secret», dit
Deleuze ; «par allers et retours, par versions successives : le travail de finition, qui est
souvent fait par Gilles», dit de son côté Guattari). Mais la méthode de travail, elle, semble
suivre des règles bien précises, qui se sont imposées d'elles-mêmes au cours des années :
«Je crois, dit Deleuze, que deux éléments surtout interviennent dans notre travail commun.
D'abord des séances orales. Il arrive que nous ayons un problème sur lequel nous sommes
vaguement d'accord, mais nous cherchons des solutions capables de le préciser, de le
localiser, de le conditionner. Ou bien nous trouvons une solution, mais nous ne savons pas
très bien pour quel problème. Nous avons une idée qui semble fonctionner dans un
domaine, mais nous cherchons d'autres domaines, très différents, qui pourraient prolonger
le premier, en varier les conditions, à la faveur d'un tournant. Kleist a tout dit sur ce qui se
passe ainsi, quand, au lieu d'exposer une idée préexistante, on élabore l'idée en parlant,
avec des bégaiements, des ellipses, des contractions, des étirements, des sons inarticulés. Il
dit : "Ce n'est pas nous qui savons quelque chose, c'est d'abord un certain état de nous-
mêmes" ; il s'agit de se porter à cet état, de se mettre dans cet état, et c'est plus facile à
deux. L'autre élément, c'est les versions multiples. Chacun écrit une version sur un thème
donné (qui a été précisément dégagé dans les séances orales). Puis il la réécrit en tenant
compte de la version de l'autre" Chacun fonctionne comme incrustation ou citation dans le
texte de l'autre, mais, au bout d'un moment, on ne sait plus qui cite qui. C'est une écriture
de variations. Ces procédés à deux ne font que grossir ce qui se passe quand on travaille
seul. C'est la même chose de dire : on est toujours tout seul, et : on est toujours plusieurs.
On est seul à deux, et plusieurs quand on est seul. Toutefois, la condition pour pouvoir
effectivement travailler à deux, c'est l'existence d'un fonds commun implicite, inexplicable,
qui nous fait rire des mêmes choses, ou nous soucier des mêmes choses, être écœuré ou
enthousiasmé par des choses analogues. Ce fonds commun peut animer les conversations
les plus insignifiantes, les plus idiotes (elles sont même nécessaires avant les séances
orales). Mais il est aussi le fonds d'où sortent les problèmes auxquels nous sommes voués et
qui nous hantent comme des ritournelles. Il fait que nous n'avons jamais rien à objecter
l'un contre l'autre, mais chacun doit imposer à l'autre des détours, des bifurcations, des
raccourcis, des précipitations et des catatonies. C'est que, seul ou à deux, la pensée est
toujours un état loin de l'équilibre.»

Félix Guattari parle également des rencontres régulières, des séances orales et des textes
qu'on fait passer d'une mouture à une autre. Et il précise : «Nous sommes très différents
l'un de l'autre : si bien que les rythmes d'adoption d'un thème ou d'un concept sont
différents. Mais il y a aussi, bien sûr, une complémentarité. Moi, je suis davantage porté à
des opérations aventureuses, de "commando conceptuel disons, d'insertion dans des
territoires étrangers. Tandis que Gilles possède des armes lourdes philosophiques, toute
une intendance bibliographique. Cela peut créer un décalage de méthode. Mais ce que nous
faisons ne fonctionne pas sur la base des débats ou de résolutions de conflits. D'une
certaine manière, il n'y a jamais opposition. Le problème est de chercher une confrontation,
un "accordage des processus. Parfois, l'articulation et la jonction sont immédiates. Mais ce
n'est pas toujours le cas. Il arrive qu'on n'articule pas un concept de la même manière ou sur
le même terrain. Bien qu'il y ait, naturellement, intersection. Il se peut aussi que la jonction
ne se fasse pas ! Chacun garde alors "en attente ses formations conceptuelles.» On le voit : il
n'y a rien, là, qui ressemble à une «conversation», à un «échange d'opinions». Deleuze :
«L'un se tait quand l'autre parle. Ceci n'est pas seulement une loi pour se comprendre,
pour s'entendre, mais signifie que l'un se met perpétuellement au service de l'autre. Celui
qui se tait est par nature au service de celui qui parle. Il s'agit d'un système d'entraide où
celui qui parle a raison du fait même qu'il parle. La question n'est pas de "discuter. Si Félix
m'a dit quelque chose, moi je n'ai qu'une fonction : je cherche ce qui peut confirmer une
idée aussi bizarre ou folle (et non pas "discutable). Si je lui disais : au centre de la terre il y a
de la confiture de groseilles, son rôle serait de chercher ce qui pourrait donner raison à une
pareille idée (si tant est que ce soit une idée !). C'est donc le contraire d'une succession ou
d'un échange d'opinions. La question n'est pas de savoir si c'est mon opinion ou la sienne,
et d'ailleurs jamais une objection ne sera faite. Il n'y aura qu'amélioration.» Guattari le
disait : il s'agit d'un «accordage», d'un ajustement. Lorsque l'ajustement se fait, naissent
alors tous ces concepts dont l'œuvre de Deleuze et Guattari foisonne. Concepts de père
commun ou de pères différents ? «Aucun de nous, répond Deleuze, ne s'attribue une
paternité des concepts. Pourtant, j'ai, quant à moi, un fort souvenir de l'introduction de
telle ou telle notion contrairement, sans doute, à Félix, qui est plus oublieux, plus généreux
, même si, ensuite, on la transforme complètement. Par exemple, la "ritournelle, à laquelle
maintenant je tiens énormément, est due originellement à Félix. Le "corps sans organes,
c'est moi qui l'apporte, en le prenant chez Artaud. Mais toutes nos notions sont communes,
bien qu'il nous arrive de prendre jusqu'au bout une notion commune dans des sens qui sont
propres à chacun !» Concepts orphelins, donc, ou nés, eux aussi, de la «machine de travail»,
comme le confirme Guattari : «Il est très difficile de dire si à tel ou tel moment l'un de nous
a été le premier à articuler une formule ; elles passent toutes dans le laminoir ! La
déterritorialisation par exemple, formule barbare que j'ai articulée, Gilles l'a articulée, lui,
avec le concept de Terre qui n'était pas, au départ, dans ma perspective mais, du moment
qu'elle est mise en commun, elle se trouve refondue.»

La relation entre Gilles Deleuze et Félix Guattari est assurément une relation discrète, si le
terme renvoyait à la discrétion, certes, mais aussi à la discontinuité. Il ne réalisent pas, à
tous les deux, une «microsociété d'amis» qui est aussi une société de rivalité et de
compétition , mais, pour prendre leur langage, une sorte de «branchement machinique».
Leur amitié n'est pas de celles qui créent la «fusion», l'intimité, la confidence, ou qui fait
«avoir mal à l'épaule de l'autre», comme le disait saint François de Sales. Amitié sans
rivalité, amitié sans effusion. «Gilles et moi avons une certaine propension à tutoyer
quasiment tout le monde. Et pourtant, depuis plus de vingt ans, nous nous vouvoyons. Il y a
entre nous une véritable politique dissensuelle, non pas un culte mais une culture de
l'hétérogénéité, qui nous fait à chacun reconnaître et accepter la singularité de l'autre.
Nous avons fait beaucoup de choses ensemble, et pourtant, c'est paradoxal, j'ai toujours
essayé, et il a fait de même, de ne pas interférer, de ne pas faire intrusion dans sa vie ou ses
préoccupations. C'est peut-être cela que vous appelez la discrétion. La confection d'une
machine de travail implique cette micropolitique du dissensus. Ce n'est pas un maniérisme
prétentieux. C'est comme ça. Si on fait quelque chose ensemble, c'est que ça marche et
qu'on est portés par quelque chose qui nous dépasse. Gilles est mon ami, non mon copain.»
Voilà sans doute la condition pour que penser à deux ne signifie pas penser la même chose
mais «penser une différence». «Il faudrait, conclut Deleuze, parler de la pensée à deux
comme les psychiatres au XIXe siècle parlaient de la folie à deux. Mais ce n'est pas grave.».

Jeudi 12 septembre 1991

PHILO VIDEO Gilles Deleuze s'est prêté au jeu de «l'Abécédaire». Un feuilleton sur Arte,
repris en coffret de trois cassettes, rassemble ses dialogues socratiques avec Claire Parnet :
de A comme animal à Z comme zigzag, le tout filmé en 1988 par Pierre André-Boutang.

GILLES DELEUZE. 1925-1995. Philosophe. FELIX GUATTARI. 1930-1992. Philosophe et


clinicien.

Ouvrages écrits en commun : «l'Anti-oedipe» (1972), «Kafka, Pour une littérature mineure»
(1975), «Rhizome» (1976),«Mille Plateaux» (1980) et «Qu'est-ceque la philosophie?» (1991).
Chez Minuit.

Textes essentiels sur le sujet :

"La maxime de Delphes : « Connais-toi toi-même », ne prône pas, comme nous aurions
tendance à le supposer, un retour sur soi pour atteindre, par introspection et analyse, un «je»
caché, invisible à tout autre, et qui serait posé comme un pur acte de pensée ou comme le
domaine secret de l'intimité personnelle. Le cogito cartésien, le «je pense donc je suis», n'est
pas moins étranger à la connaissance que l'homme grec a de lui-même qu'à son expérience
du monde. Ni l'une ni l'autre ne sont données dans l'intériorité de sa conscience subjective.
Pour l'oracle, « connais-toi toi-même » signifie : apprends tes limites, sache que tu es un
homme mortel, n'essaie pas de t'égaler aux dieux. Même pour le Socrate de Platon qui
réinterprète la formule traditionnelle et lui donne une portée philosophique neuve en lui
faisant dire ; connais ce que tu es véritablement, ce qui en toi est toi-même, c'est-à-dire ton
âme, ta psuchê, il ne s'agit nullement d'inciter ses interlocuteurs à tourner le regard vers
l'intérieur d'eux-mêmes pour se découvrir au-dedans de leur moi. S'il est une évidence
incontestable, c'est bien que l'œil ne peut se voir lui-même : il lui faut toujours diriger ses
rayons vers un objet situé à l'extérieur. De la même façon, le signe visible de notre identité,
ce visage que nous offrons aux regards de tous pour qu'ils nous reconnaissent, nous ne
pouvons jamais le contempler nous-mêmes qu'en allant chercher dans les yeux d'autrui le
miroir qui nous renvoie du dehors notre propre image. Écoutons Socrate dialoguer avec
Alcibiade: « Quand nous regardons l'œil de quelqu'un qui est en face de nous, notre visage
se réfléchit dans ce qu'on appelle la pupille comme dans un miroir ; celui qui s'y regarde y
voit son image. – C'est exact. – Ainsi quand l'œil considère un autre œil, quand il fixe son
regard sur la partie de cet œil qui est la plus excellente, celle qui voit, c'est lui-même qu'il voit
[…] Et l'âme aussi, si elle veut se connaître elle-même, doit regarder une autre âme et dans
cette âme la partie où résidé la faculté propre à l'âme, l'intelligence, ou encore tel autre objet
qui lui est semblable. » (Alcibiade, 133 a-b.) Que sont ces objets semblables à l'intelligence ?
Formes intelligibles, vérités mathématiques, ou encore selon le passage sans doute interpolé
dont Eusèbe fait mention dans sa Préparation évangélique aussitôt après le texte que nous
venons de citer : le dieu, car « il est le meilleur miroir des choses humaines pour qui veut juger
de la qualité de l'âme et c'est en lui que nous pouvons le mieux nous voir et nous connaître ».
Mais quels que soient ces objets : âme d'autrui, essences intelligibles, dieu, c'est toujours en
regardant non en elle, mais au-dehors, un être autre qui lui est apparenté, que notre âme
peut se connaître comme l'œil peut voir à l'extérieur un objet éclairé en raison de l'affinité
naturelle entre le regard et la lumière, de la similitude complète entre ce qui voit et ce qui
est vu. Ainsi que nous sommes, notre visage et notre âme, nous le voyons et connaissons en
regardant l'œil et l'âme d'autrui. L'identité de chacun se révèle dans le commerce avec l'autre,
par le croisement des regards et l'échange des paroles."

Jean-Pierre Vernant, "L'homme grec" in Entre mythe et politique, Seuil, Paris, 1996, p. 219-
220

"La connaissance de l'esprit est la connaissance la plus haute et la plus difficile. Connais-toi
toi-même, c'est là un précepte qui n'a ni en lui-même ni dans la pensée de celui qui l'a
proclamé le premier, la signification d'une simple connaissance de soi-même, c'est-à-dire
d'une connaissance des aptitudes, du caractère, des tendances et des imperfections de
l'individu, mais d'une connaissance de ce qu'il y a d'essentiellement vrai dans l'homme,
comme aussi du vrai en et pour soi, c'est-à-dire de l'essence elle-même en tant qu'esprit."

Hegel, Encyclopédie, Philosophie de l'esprit, § 377, trad. Véra, Paris, Germier-Baillière, 1867,
t. I, p. 1.

"SOCRATE : De quelle manière pourrions-nous connaître très lucidement ce « soi-même


essentiel » ? Il apparaît que si nous le savions, nous nous connaîtrions aussi nous-mêmes.
Mais par les dieux, l'heureuse parole de l'inscription delphique que nous rappelions à l'instant,
ne l'entendons-nous pas ? [...] Si c'était à notre regard, comme à un homme, que l'inscription
s'adressât en lui donnant ce conseil : « Regarde-toi toi-même » ; comment comprendrions-
nous le sens de cet avis ? Ne serait-ce pas destiner l'oeil à porter son regard sur un objet dans
lequel il se verrait lui-même ?
ALCIBIADE : C'est clair.
SOCRATE : Demandons donc quel est, parmi les objets, celui sur lequel il faut diriger notre
regard pour voir en même temps cet objet et nous-mêmes ?
ALCIBIADE : À l'évidence, Socrate, un miroir ou un objet du même type ?
SOCRATE : C'est juste. Mais l'oeil, moyen de notre vision, ne renferme-t-il pas quelque chose
semblable à un miroir ?
ALCIBIADE : Absolument.
SOCRATE : Tu as sans doute remarqué, qu'en portant son regard sur l'oeil de quelqu'un qui
nous fait face, notre visage se réfléchit dans ce qu'on appelle aussi sa pupille, comme en un
miroir ; celui qui porte ainsi son regard, y voit son image.
ALCIBIADE : Tu dis vrai.
SOCRATE : Ainsi donc, un oeil contemplant un autre oeil et dirigeant son regard sur ce qu'il y
a de meilleur en lui, c'est-à-dire vers cette pupille qui est le moyen de sa vision, peut ainsi se
voir lui-même.
ALCIBIADE : Évidemment.
SOCRATE : Mais s'il venait à jeter son regard sur quelque autre partie du corps de l'homme,
ou sur quelque autre objet, sauf celui auquel l'oeil se trouve être semblable il ne se verrait
nullement lui-même.
ALCIBIADE : Tu dis vrai.
SOCRATE : Il en résulte que si l'oeil veut se voir lui-même, c'est sur un oeil qu'il doit porter son
regard et sur cette partie de l'oeil où se trouve sa capacité propre, c'est-à-dire, je pense, la
vision ? ALCIBIADE : C'est bien cela.
SOCRATE : Eh bien, cher Alcibiade, l'âme à son tour, si elle veut se connaître elle-même, n'est-
ce pas vers une âme qu'elle doit regarder et surtout vers cette partie de l'âme en laquelle
réside la capacité propre d'une âme, la sagesse, ou encore vers telle autre partie qui lui est
semblable ?
ALCIBIADE : C'est bien mon sentiment, Socrate.
SOCRATE : Or, sommes-nous à même de dire qu'il y ait dans l'âme quelque réalité plus divine
que celle qui se rattache à la connaissance et à la pensée ?
ALCIBIADE : Nous n'en sommes pas capables.
SOCRATE : C'est donc au Divin que ressemble cette capacité de l'âme, et quand on jette le
regard vers elle et que l'on reconnaît tout ce qu'elle a de divin, Dieu et la pensée, c'est alors
qu'on est bien prêt de se connaître parfaitement soi-même.
ALCIBIADE : Sans aucun doute.
SOCRATE : Sans doute, parce que, comme les miroirs sont plus clairs, plus purs et plus
éclatants de lumière que le miroir de l'œil, de même Dieu se trouve être aussi plus pur et plus
éclatant de lumière que ce qu'il y a de meilleur en notre âme.
ALCIBIADE : Il semble bien que oui, Socrate.
SOCRATE : C'est donc en dirigeant nos regards vers Dieu, que nous userions, selon la capacité
de l'âme, du plus beau miroir des choses humaines ; et c'est ainsi que nous pourrions le mieux
nous voir et nous connaître nous-mêmes.
ALCIBIADE : Oui [...]
SOCRATE : Or se connaître soi-même, ne convenons-nous pas que c'est là ce qui constitue la
sagesse ?
ALCIBIADE : Parfaitement. [...]"

Platon, Alcibiade majeur, trad. P.-J. About, Hachette, 1980

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