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MÉMOIRE DE MASTER 2
Mention Philosophie parcours Histoire de la Philosophie
La critique du point de vue de l'hypostase dans la Logique de
Naïm BOUDJEMA
2021
Je remercie Bruno Haas pour m'avoir appris l'humilité dans le travail.
1
INTRODUCTION
La référence à Hegel dans l'oeuvre de Lacan est pour le moins trouble. En réalité,
celle-ci est bien plus une référence à ce que Kojève dit de Hegel qu'à Hegel lui-
même : et pour cause, c'est grâce aux célèbres leçons données sur la
jusqu'à dire dans son rapport du congrès de Rome qu'il est « impossible à notre
particulier à l'universel, c'est bien la psychanalyse qui lui apporte son paradigme
Hegel dans son œuvre. Après sa mort, le lien entre sa théorie de la pratique
notamment par Žižek dans son ouvrage intitulé Moins que rien. Mais nous n'y
Phénoménologie de l'esprit qui y est citée, ainsi que sa méthode, que Žižek
rapporte avec brillo à de nombreux thèmes abordés par Lacan. Nous disons
presque, dans la mesure où il y a bien dans cet ouvrage un parallèle élaboré entre
1 Aujourd'hui compilées dans l'Introduction à la lecture de Hegel éditée chez Tel Gallimard en
1980.
2 LACAN, Jacques, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » in Écrits,
I, Seuil, Paris, 1999, pp. 235-321.
2
la structure du sujet lacanien et la théorie hégélienne du concept exposée dans le
texte, mais aussi au fil de nos lectures de Lacan que nous avons trouvé un point
notamment dans ses Leçons, pourra être considéré d'une façon nouvelle.
tout à fait différente de celles des inconscients qui l'ont précédé. Citant la
ainsi : ce sont des inconscients « toujours plus ou moins affiliés à une volonté
3 « une immédiateté devant la pensée » peut apparaître à bien des égards comme une formulation
obscure. Il nous appartiendra d’expliquer ce que signifie logiquement la position d’une telle
« immédiateté » ou d'un tel « être ».
4 LACAN, Jacques, « Linconscient freudien et le nôtre » in LACAN, Jacques, Les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973, pp. 25-36. Nous avons ainsi décrit
le corrélat du point de vue de l'hypostase de deux façons dans cette introduction : comme
l'immédiateté ou l'être devant la pensée, et comme le quelque chose. Nous nous permettons donc,
pour le moment, de les utiliser de façon synonyme : ce qui, nous le verrons, est une imprécision.
3
niveau du sujet – ça parle [...] ». Il faut ici remarquer que Lacan établit un outil
véritable sujet est le sujet de l'inconscient pour Lacan – d'une façon non-
qu'il appelle l'esprit théorique, qui se spécifie ensuite comme le penser (Denken)
puisque Hegel écrit lui-même que le concept s'applique à diverses réalités, dont
le Je.5
Ensuite, nous verrons la façon dont Hegel, dans la logique du concept, élabore
voudrions d'abord à cette fin déraciner quelques préjugés ancrés, au fil des
4
Enfin, nous verrons en quoi des communications sont possibles entre
Denkens) tel qu'il est exposé dans la partie sur « l'esprit subjectif » de
l'Encyclopédie (a, b, c) que nous montrerons en quoi cette fonction peut être
***
Comme l'écrit Žižek dans Moins que Rien, la théorie lacanienne du sujet se
5
comme « barré ». »6 C'est-à-dire que dans « S est P », le sujet n'est ni « S », ni
toutes mes propriétés positives, est une singularité conceptuelle, c'est l'abstraction
psychologique. »7
sujet lacanien, selon Žižek, « au moyen d'une célèbre idée masculine selon
féminité ». »8 Ainsi, « le sujet est non seulement toujours déjà déplacé, et ainsi de
pensée, il ne peut être qu'en tant qu'articulation, écart négatif entre deux termes.
6 ŽIŽEK, Slavoj, Moins que Rien, Hegel et l'ombre du matérialisme dialectique, traduction par
Christine VIVIER, Fayard, Paris, 2015, p. 127.
7 Ibid., p. 292.
8 Ibid., p. 498.
6
tel contenu, nous le verrons, est dans sa fonction logique analogue à ce que
***
logique de l’être
indéterminé, comme tel attribuable à tout (même le non-être peut être dit, en un
sens, être !), l'être ne peut cependant être attribué pleinement, absolument, à un
sujet que si celui-ci est, non pas une détermination (car toute détermination est
2. L'être, en tant qu'être, qui n'est que lui-même, est, par son indétermination,
bien plutôt identique à son Autre, le non-être, lequel, inversement, pris pour lui
seul, est, de sorte que ce qui est, c'est la négation de ce qui fait s'écrouler l'être,
une telle relation est le devenir (ce qui, à la fois est et n'est pas). »
7
1. On peut se demander pourquoi ici Bourgeois décide d'expliquer l'être
de la logique hégélienne comme un prédicat. En effet, que l'être comme être pur
ne fonctionne pas comme un prédicat est quelque chose de rendu très clair par le
texte hégélien. L'être, en tant qu'être pur, dans la version de la logique de 1812
est décrit de la façon, suivante : il est l'être, tel qu'on en dit ni n'affirme rien, c'est-
à-dire tel qu'il n'est pas déterminé. Il est « sans proposition, ni assertion, ou
prédicat » (satzlos ohne Behauptung oder Prädikat)10. C'est-à-dire que l'être pur
est ici considéré comme un sujet qui, à la rigueur, peut être déterminé par un
prédicat – alors sa pureté est troublée –, mais Hegel n'en parle jamais comme un
Bourgeois : l'être, comme attribut ne peut être attribué à un sujet que si celui-ci
est la totalisation des déterminations. La détermination n'est pas un sujet : elle est
son autre, le néant, ici posés comme identiques. Ici, c'est l'indétermination de
l'être qui semble être le moyen par lequel on passe de l'être au néant. Il semble ici
avec son autre, le non-être. Cela dit, on ne comprend pas bien comment il devient
ce qu'il n'est pas que par son indétermination : comment fonctionne ce devenir,
précisément ? En réalité, ce n'est pas que par son indétermination, puisque l'être
comme pur indéterminé reste l'être : c'est en cela qu'il consiste, précisément. C'est
détail dans cette partie. Enfin, le devenir n'est pas selon Hegel ce qui est et n'est
8
pas : le devenir est le passage de l'être et du néant l'un dans l'autre. Jamais le
devenir n'est expliqué comme ce qui est et n'est pas par Hegel.
logique consacré à l'être. L'être est plus qu'un simple objet d’étude, étudié un
présenter dans la logique de l'être, mais aussi dans la logique de l'essence et celle
du concept. L'être n'est donc pas un objet traité au tout début de la logique, puis
oublié : il est une structure sans cesse convoquée au cours de la logique. L'être-là
est ainsi l'être-un simple de l'être et du néant. Le quelque chose est dit tomber
dans une unité simple, qui est l'être.11 Les occurences de l'être sont donc
multiples : cela signifie que l'être, loin d'être un objet traité une fois, constitue
Nous voudrions dans cette partie de notre travail étudier en quoi Hegel fait dans
son insuffisance.
Si l’on reprend ce que nous disions ci-dessus, il semble que nous avons appelé le
invoque un corrélat immédiat par un nom. Voilà donc une première spécification
11 HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik, I, Surkhamp, Berlin, 1986, p. 116 et p. 123.
9
de l’hypostase : elle est une nomination, ou un appel. Ainsi, c’est dans la mesure
pensés comme corrélat d’un appel ou d’une nomination, que nous pouvons
c’est comme on l'a annoncé « l’être » qui a cette fonction logique d’une
de l’être
comme de celle qu'il peut obtenir à l'intérieur de lui-même. Cet être sans
Cette phrase annonce les analyses qui vont suivre dans la partie consacrée
à l'être. C'est pourquoi il paraît justifié de s'y arrêter pour la lire en détail. Que
explicitée par ce qui suit dans la proposition : que l'être soit l'immédiat
chose. Quant à l'essence, nous dirons pour le moment qu'elle signifie la réflexion
de l'être comme quelque chose : cela d'ailleurs est justifié par la caractérisation
L'être est donc être sans réflexion, et pourtant, la logique de l'être l'a pour
12 Ibid., p. 82.
10
objet. Nous sommes donc face à quelque chose de singulier : la logique
s'annonce comme une logique qui va thématiser l'être non-réfléchi. C'est donc
que la pensée ne fonctionne pas ici comme une réflexion comme quelque chose
de son objet, mais différemment. En fait, on peut dire que la pensée a d'abord une
fonction, non de réflexion, mais d'intention vers l'être, laquelle est le contenu
chose : nous établirons, à la fin de cette partie, les limites d'une telle opposition.13
L'être sans réflexion, lit-on ensuite, est l'être, comme il est seulement en
lui-même. Il faut ici bien entendre la lettre du texte allemand : que signifie an
ihm selber ? An est un mot que les traducteurs français rendent souvent par « en »
dire dans soi-même. An ne signifie pas du tout cette idée : certains traducteurs
l'ont rendu par « à même », mais cela se révèle insuffisant. Ce qui est an sich
l’entreprise même de saisir –,. En fait, cela est tout à fait cohérent avec le fait que
l'être soit être sans réflexion : dans la mesure où l'être n'est pas posé ou médiatisé
par un autre – le sujet connaissant ou quoi que ce soit d'autre -, son être n'est pas
soi. Cela est également cohérent avec le fait de l'immédiateté de l'être : ce qui est
immédiat, encore une fois, n'est pas intermédié par un autre qui le poserait, mais
qu'il est donné là, qu’il « tombe », en quelque sorte, là. Nous pouvons essayer de
11
s'interroger sur le choix de l'emploi du mot selber ici : ce n'est pas selbst, qui est
peut-être plus neutre et moins emphatique que selber. Cela exprime, nous
ihm selber.
Il est clair qu’entendre ce que signifie an sich est capital pour une compréhension
viable de la logique de l’être. Celui-ci est susceptible, comme on l’a vu, d’être
d’une autre façon. Si, en tant que lecteurs français, sonnent en nous des échos de
certaines pensées comme celle de Jean-Paul Sartre pour qui l’être-en-soi, dans
de celui-là dans le cadre hégélien est mise en danger. En effet, si l’on se saisit
d’un texte fondateur de Sartre, comme par exemple celui du premier chapitre de
« Cette adéquation, qui est celle de l'en-soi, s'exprime par cette simple formule :
l'être est ce qu'il est. Il n'est pas, dans l'en-soi, une parcelle d'être qui ne soit à
elle-même sans distance. Il n'y a pas dans l'être ainsi conçu la plus petite
ébauche de dualité ; c'est ce que nous exprimerons en disant que la densité d'être
12
de l'en-soi est infinie. C'est le plein. Le principe d'identité peut être dit
synthétique, non seulement parce qu'il limite sa portée à une région définie, mais
surtout parce qu'il ramasse en lui l'infini de la densité. A est A signifie : A existe
non par le fait qu’il commence de lui-même, comme le non-médiatisé, mais par
le fait qu’il est ce qu’il est : « être-en-soi = être-en-soi ». Par la suite, cet être-en-
de telles idées préconçues. Le danger d’y retomber nous a paru d’autant plus
pensée. Il faut donc se garder d’y voir une filiation fidèle au niveau de la logique,
La logique de l'être s'occupe donc de l'être, dans la mesure où celui-ci est d'abord
sans réflexion. Bornons-nous à dire, pour le moment, que c’est dans la mesure où
quelque chose est pensé comme ou en tant que quelque chose (das Etwas als
Etwas), qu’il est réfléchi et ainsi médiatisé. Cela ne signifie pas que l'être ne sera
pas, plus tard peut-être, considéré comme réfléchi en tant que (als) quelque chose
d'autre : mais l'être en tant qu'être, est d’abord considéré dans la logique de l’être
comme immédiateté non réfléchie. C’est-à-dire qu’il n’est pas ici considéré
13
comme en tant que quelque chose, médiatisé par ce en tant que quelque chose,
mais immédiatement.
l'Encyclopédie de 1817, Hegel écrit que « dans la logique, le penser est, d'abord
comme il est en soi, puis comme il est pour soi, et comme il est en et pour soi –,
ayant été comme être, réflexion, concept et ensuite comme idée –,. » Le penser
fonctionne donc en soi dans la logique de l’être, et il nous semble que cela
signifie que la façon dont le penser se tient n'est pas posée, réfléchie par elle,
mais qu'elle est immédiate. On peut appeler la pensée ici l'être-positionné : das
pensée, un contenu, qui lui vient devant lui immédiatement. Il ne peut réfléchir
ce contenu en tant que quelque chose d'autre, que s'il l'a d'abord, c'est-à-dire que
que peut signifier l'être, on peut dire dans un premier temps que l'être est le
de convoquer l'Être sans le dire, ce qui se révèle par la suite impossible, comme
15 Nous reprenons ce terme de Gestellsein à Bruno HAAS dans son ouvrage Die Freie Kunst.
Beiträge zu Hegels Wissenschaft der Logik, der Kunst und des Religiösen, Berlin: Duncker
und Humblot, 2003.
14
le montre la suite. »16 Convoquer, cela signifie appeler l'être, sans pour cela le
penser comme quelque chose : il est appelé, mais pas réfléchi comme quelque
chose. Il est appelé comme contenu d'une pensée positionnée : « l'être est
qu'il est nommé, l'être est corrélat immédiat du nom, ou, ce qui est la même
ce processus est que l'être, comme corrélat immédiat du nom ou comme contenu
reines Sein – ohne alle weitere Bestimmung, « L'être, l'être pur – sans autre
18
détermination. » La détermination est ce en tant que quoi quelque chose est
réfléchi : par exemple, dans la mesure où on dit « L'être est l'absolu. », l'être est
déterminé, car dit comme autre chose, l'absolu. Ce qui fait de l'être l'être pur est
bien qu'il ne soit pas posé comme quelque chose d'autre : « au travers de
lequel il serait posé comme différent d'un autre, il ne serait pas tenu ferme dans
sa pureté. »19
détermination intérieure de quelque chose serait ce en tant que quoi il est réfléchi
16 HAAS, Bruno, « La fonction du nom dans la logique spéculative », in Hegel au présent. Une
relève de la métaphysique?, Jean Francois Kervégan, Bernard Mabille (éd.), CNRS éditions,
Paris, 2012, p. 132.
17 Ibid., p. 132.
18 HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik, I, Surkhamp, Berlin, 1986, p. 82.
19 Ibid., p. 82.
15
car ce en tant que quoi il serait réfléchi serait son intérieur. Quant à la
quelque chose d'autre, et en ce sens, il serait considéré non plus comme pur être,
mais être en relation à cet autre du quel il est différencié. C'est-à-dire que l'être
n'est ni en tant que lui-même , ni autre qu'un autre : car tous deux empêche la
« L'être est l'indéterminité et le pur vide. – Il n'y a rien à intuitionner dans lui, si
on peut ici parler d'intuitionner; ou il est seulement cet intuitionner pur, vide lui-
même. »20
l'intérieur » (intueri), cacherait le sens qui est ici exprimé par le mot allemand
anschauen. Anschauen signifie tourner son attention vers, tendre vers quelque
chose d'intuitionné : c'est-à-dire que l'accent est ici mis sur le fait de la
L'anschauen est l'intuition comme intention plutôt que comme percée dans un
vers l'être. Qu'elle soit une intention pure signifie qu'ici on ne dise rien de cette
intention, ou que le contenu seul de l'intention soit considéré, sans sa forme, sans
Il faut donc bien remarquer la différence entre cette partie et l'autre partie
du texte ici étudié : « il n'y a rien à intuitionner dans lui ». Tandis que l'être était
chose, comme devant donner quelque chose d’autre à la pensée qui le vise. C'est-
20 Ibid., p. 82.
16
à-dire qu'il doit se montrer comme quelque chose d'autre : qu'il n'y ait rien à
intuitionner en lui présuppose ce fait qu'il y a eu une entreprise d'en tirer, d'en
entreprend d'en dire quelque chose, est précisément rien, aucune détermination.
L'indéterminité qu'était l'être, dans la mesure où elle est soumise à l'exigence d'en
dire.
Il faut ici relever ce fait très important qu'en allemand, on lit : « es ist
nichts in ihm anzuschauen ». C'est-à-dire que les idées selon lesquelles « il n'y a
rien à voir dans lui » et « il y a [le] néant à voir dans lui » sont exprimées en une
seule phrase. Et en effet, c'est dans la mesure où il n'y a rien à voir dans l'être qui
est intuitionné, que ce comme quoi on le dit, ce comme quoi il se montre n'est
pas lui, c'est-à-dire est le néant.. C'est-à-dire qu'ici, le contenu visé, l'être, se
est en fait (in der Tat) néant et ni plus ni moins que néant. »21
Cela correspond à ce qu'en dit Bruno Haas dans son article sur la fonction
forme se révèle être l'opposé du contenu. Seulement, en tant que contenu, l'Être
est avisé (gemeintes Sein), alors qu'en tant que forme, il est dit. »22 C'est bien ici
le passage dont il est question : l'être comme nommé, c'est-à-dire visé comme
même chose que le néant. Cela signifie que l’immédiateté immédiateté qu’est
l’être, s’abolit dans le néant, qui est sa médiation ou forme. Dit en d’autres
21 Ibid., p. 83.
22 HAAS, Bruno, art. cit., p. 132.
17
la forme de l’être réfléchi comme quelque chose, c’est-à-dire le néant.
suivante : quand on considère l'être pur, on dit de lui que « l'être est l'absolu »
(das Sein ist das Absolute). Nous tiendrions là une façon de dire quelque chose
chose : et dans la mesure où l'être n'est que lui-même, qu'être pur, il semble bien
être absolu, c'est-à-dire séparé de tout autre chose. « L'être est l'absolu » a donc
Mais, bien que cette phrase exprime cela, en elle, quelque chose est dit de
l'être, qui en est donc différent. Ce qui dans cette phrase est donc exprimé, ce
n'est pas l'être pur, mais l'être en relation à son autre. Ce qui est dit de l'être pur
est autre chose que lui. Ici est mis en évidence la chose suivante : on ne peut rien
dire de l'être pur en tant qu'indéterminité pure, même pas son absoluité. Car dans
la mesure où elle est dite de lui, cette forme de son absoluité trouble l'absoluité
laquelle « il n'y a rien (nichts) à voir » ou « il y a le néant à voir dans l'être ». Dit
18
en d’autres termes : l’être pur n’est que nommable, on ne peut que l’appeler, mais
ne pas le déterminer. Ce qui était aussi exprimé dans cette phrase est que l'être
n'est pas différent de son autre, le néant. Ce qui est exprimé dans cette phrase qui
dit quelque chose de l’être pur est donc non pas l'être pur, mais le mouvement,
qui est le devenir, de l'être qui passe dans le néant. Le devenir signifie
précisément que l'être, en tant qu'être, c'est-à-dire se montrant comme ce qu'il est
– absolu, etc. – , passe dans son autre, le néant. « L’être est le néant. » est donc la
seule proposition jugée valable sur l’être: dans la mesure où elle seule prend en
compte et exprime ce fait que l’être passe dans ce qu’il n’est pas, son autre, le
néant – cette expression étant cachée dans des propositions du type de celle
L'être, en tant qu'être, passe dans le néant, c'est-à-dire que le contenu, en tant que
dans la forme. Le néant est ce comme quoi se montre l'être dans la mesure où on
« Le néant, le néant pur; c'est l'égalité simple avec soi-même, l'entière vidité,
grammatical : tandis que l'être est « seulement égal à lui-même (sich selbst
gleich) », le néant est égalité avec soi-même (Gleichheit mit sich selbst); tandis
Alors que dans le premier paragraphe, on décrivait un contenu visé, ici, on décrit
19
une forme de ce contenu : à l'être comme indéterminité visée répond dans ce
l'être pur, on n'en dit rien (nichts); c'est-à-dire que le néant ou le rien est l'absence
chose de l'être.
Il est clair qu'ici, ce fait que la forme soit le contenu même; et le contenu la
forme même, est exprimé par l'expression qu'ils sont dasselbe. Traduire dasselbe
pensée. Mais « être » et « néant » ne sont pas des synonymes désignant un même
contenu, en tant que lui-même, passe dans la forme comme laquelle il se montre.
Nous lisons par la suite la phrase selon laquelle : Es ist nichts an ihm zu
sehen, c’est-à-dire qu’il n’y a rien à voir à même l’être pur. Dans la mesure, où
comme quoi on le dit n’est plus l’être pur, qui n’est que nommable : en tant qu’on
en dit quelque chose, l’être pur est passé dans son autre, le néant. Autrement dit,
dire par exemple que « L’être pur est X ou Y », même en dire qu’il est « l’être
pur et rien que l’être pur », c’est déjà en dire quelque chose d’autre que lui-même
Il est donc ici intéressant que la lettre du texte allemand nous autorise
25 Ibid., p. 83.
20
C’est-à-dire que, dans la mesure où on parle de l’être pur, celui-ci est aboli :
ainsi, on ne peut rien dire de l’être pur comme être pur. Cela dit, dans la mesure
où on en parle, ce qu’on en dit, c’est l’autre de l’être pur, c’est-à-dire son néant.
Ainsi, c’est bien dans la mesure où le néant est à voir à même l’être pur, qu’on ne
seulement nommé, ou intentionné, reste être pur. Il est alors considéré « sans
prédicat » ou jugement sur lui, comme le dit le texte de 1812 cité ci-dessus. Dans
forme du prédicat. Dans le jugement « S est P », l’être est lui-même posé comme
son autre. Si nous suivons cette hypothèse de lecture, cela signifie que nous
l’être pur. Mais cet être pur, dans la mesure où on en juge, c’est-à-dire dans la
la logique de type analytique. Cela est justifié, mais il ne faut tout de même pas
sous-estimer le fait que ce sont parfois les mêmes structures dont il est question
dans ces deux types de logiques, bien qu’elles ne soient pas du tout traitées de la
même manière.
21
Dans le Tractatus Logico-philosophicus26, Wittgenstein développe une
fonctionnement de l’objet, on peut lire dans la proposition 2.021 que les objets
réalité dans le Tractatus. Peu importe ici ce qu’ils sont pour nous : des sense data
langage : les noms correspondent aux objets, les propositions élémentaires aux
Frege écrit en 1892 intitulé « Über Sinn und Bedeutung », « Sur le sens et la
(das, wovon man sprechen will) »27 quand on utilise des mots ; le sens désigne,
pourrait-on dire, la façon dont cet objet signifié est ainsi donné. Wittgenstein,
dans le Tractatus, reprend cette différence entre les deux modalités de donation
de l’objet : la signification et le sens. Mais tandis que pour Frege, ces modalités
Wittgenstein, c’est toujours les noms qui signifient, et les propositions qui
montrent leur sens. Ainsi lit-on dans la proposition 3.203 que « le nom signifie
26 Pour les traductions des citations, nous nous sommes fondés sur le Tractatus Logico-
Philosophicus édité par Gallimard, Paris, en 1993.
27 FREGE, Gottlob, « Über Sinn und Bedeutung », in Zeitschrift für Philosophie und
philosophische Kritik, 1892, p. 28.
22
l’objet » et dans la proposition 4.022 que « la proposition montre son sens ».
de signaler que l’objet, telle qu’il est exposé par Wittgenstein, fonctionne
appel. De même, l’objet est toujours le signifié d’un nom dans le Tractatus. Si
l’immédiateté n’est pas exprimé dans cet ouvrage, il est clair qu’on retrouve
Parmi celles-ci, nous trouvons, par exemple, sa simplicité : ainsi lit-on dans la
même », tandis que ce dans quoi il passe, le néant, est appelée une « simplicité » ;
tandis que dans la proposition 2.02 du Tractatus, nous lisons que « l’objet est
simple ».
Bien que ces deux auteurs aient convoqué à un moment de leur pensée
logique la structure de la nomination, leur attitude et la façon dont ils l’ont traitée
logique. Ainsi, après avoir lu que l’objet est simple, il est dit clairement que
« l’état de choses est une connexion d’objets (entités, choses) » et qu’ « il fait
partie de l’essence d’une chose d’être élément constitutif d’un état de choses »28.
proposition selon laquelle « le nom n’apparaît dans la proposition que lié dans la
23
proposition élémentaire. »29
que comme passant dans la structure du jugement. Simplement, elle n’y passe
pas de telle façon qu’elle s’y abolisse. Bien plutôt, l’objet, comme le nom,
désigne les unités fixes, qui, demeurant ainsi, sont engagées dans divers
mouvantes. Ainsi nous lisons que « le fixe, le subsistant et l’objet sont une seule
et même chose »30, et que tandis que « l’objet est le fixe, le subsistant ; la
nom sont des éléments combinés dans des états de choses ou des propositions
élémentaires. C’est précisément dans la mesure où ces objets ou noms sont des
formes fixes, telles des blocs agencés de telle ou telle manière par les constantes
qu’il est nommé ou appelé ne subsiste pas : il s’abolit dans son autre, le néant.
d'un contenu, l'être, à sa forme, le néant. Si bien que la simple visée de l'être
comme être, c'est-à-dire le point de vue hypostasiant, est un point de vue faux.
C'est ce que signifie la proposition selon laquelle : « Ce qui est la vérité, est ni
l'être ni le néant, mais que l'être dans le néant et le néant dans l'être, non pas
29 Ibid., 4.23.
30 Ibid., 2.027.
31 Ibid., 2.0271.
32 HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik, I, Surkhamp, Berlin, 1986, p. 83.
24
Remarque 3 : l'autre façon de concevoir le passage de l'être au néant
faisant, nous avons admis une analogie totale entre la nomination et l'intention :
positionné de la pensée.
Mais on peut se poser la question suivante : nous avons dit que c'est dans
d'entreprendre d'en dire quelque chose : mais en fait, cela est impliqué
C'est-à-dire que le nom est lui-même ce en tant que quoi est le contenu nommé.
Ainsi, on peut tout aussi bien dire que le passage de l'être au néant signifie le
mesure où elle est une position, se révèle et s’abolit comme médiation – c’est-à-
dire réflexion de contenu comme autre chose. Tout appel d’une immédiateté, ou
toute intention, est donc en elle-même déjà structurellement une réflexion, ou une
forme comme quoi se montre cette intention : c’est aussi ainsi que l'on peut
25
comprendre le résultat de ce premier passage de la logique. Ce faisant, le néant
peut également être conçu, non comme le prédicat, c'est-à-dire ce en tant que
quoi l'être est déterminé dans une phrase, mais comme le nom lui-même : « le
Néant est en ce sens le nom de l'Être, dans la mesure précisément où l'Être est ce
qui est pensé par le Néant, ou qu'il est ce à quoi la pensée du Néant se réfère,
attendu qu'elle se réfère à quelque chose, autrement dit qu'elle nomme quelque
On lit cependant dans la suite que l'être-là est déterminé comme « l'être-un
simple de l'être et du néant »34. C'est-à-dire que le point de vue hypostasiant est
ici réinvesti. Comment comprendre ceci ? Nous voudrions dans la suite étudier le
« Le devenir se contredit en lui-même car il réunit dans lui, ce qui s'est opposé;
contenu dans la forme, il consiste en ceci qu'en lui l'être passe dans son autre, ce
résultat de cette disparition est l'être-disparu; mais pas comme néant. L'être-
disparu, lit-on, n'est pas l'être-disparu de l'être étant passé dans le néant : c'est
33 HAAS, Bruno, art. cit., p. 13.
34 Ibid., p. 116.
35 Ibid., p. 113.
26
autre chose, c'est « le résultat du néant et de l'être. »36
néant. b ; L'être s'est ainsi révélé comme néant et la pensée comme être-
Cela signifie qu’il est à nouveau repris par la pensée comme être. C'est-à-
comme s'étant imposée là, comme étante. On aurait peut-être envie de dire ce
qu'est cette unité : mais ce n'est précisément pas le moment ici de le faire, dans la
mesure où elle est comme unité étante, elle ne peut qu'être visée, nommée,
appelée. On ne peut rien en dire en tant qu'elle est seulement visée. C'est l'unité
cependant être, cependant tout aussi bien plus pour soi-même, mais comme
détermination du tout.
Qu'elle soit être signifie que l'unité contradictoire de l'être et du néant est
visée, comme l'était le premier être. Mais désormais, ce qui est devant la pensée
n'est pas un soi-disant « être, être pur », mais l'unité ou le tout dans lequel l'être et
du néant sont passés. Comme l'écrit Bruno Haas dans un autre article intitulé
36 Ibid., p. 113.
37 Ibid., p. 113 : « Ce résultat [...] est l'unité de l'être et du néant devenue simplicité calme
(ruhige Einfachheit). La simplicité calme, cependant, est l'être [...] »
27
résout vraiment la contradiction précédente. »38 Ce passage d'un point de vue à un
et du néant. L'être-là est le devenir, mais comme unité étante : en tant qu'étant, il
est appelé, est l’être, dans la mesure où il est être-passé dans le prédicat ; mais
comme étant est l’être dont on dit quelque chose. C’est la structure dont il est ici
forme d'un immédiat. La médiation, le devenir, s'étend derrière elle (liegt hinter
ihm); elle l'a abolie, et l'être-là apparaît donc comme un premier, à partir duquel
position du contenu, ce qui ne veut rien dire d'autre pour l'instant que la position
chose nommée par le terme Dasein, sera donc quelque chose que l'on ne peut
indiquer autrement qu'en le pointant et qui en soi n'est pas dicible, vu que le dire
28
implique déjà le passage à la forme. »42
cela le nouveau contenu. C'est bien ce qu'écrit, comme on l’a fait remarquer,
Hegel : « l'être là est l'être-un simple de l'être et du néant. » Plus loin dans le
paragraphe, on trouve l'expression selon laquelle « l'être-là, selon son devenir, est
en général être avec un non-être, de telle façon que ce non-être soit pris dans une
unité simple avec l'être. Le non-être, pris ainsi dans l'être, de telle façon que le
déterminité. »43 Dans la mesure où l'être dont on dit quelque chose est l'être
déterminé, das bestimmtes Sein, on comprend qu'il soit appelé ici « déterminité ».
L'être de l'être-là consiste donc en ceci qu'il est l'être-un de l'être et du néant :
Unmittelbares) »44.
à la pensée. L'être-là ainsi considéré comme contenu immédiat est appelé qualité.
Il faut ici remarquer qu'il ne s'agit pas d'une immédiateté immédiate comme celle
de l'être pur du début de la logique : ici, on nous dit que l'être-là a la forme d'un
néant, « avec laquelle la déterminité immédiate ou étante est posée comme une
corrélat de la nomination est posée comme autre chose que comme une telle
42 Ibid., p. 135.
43 G.W.F., Hegel, op. cit., p. 116.
44 Ibid., p. 45.
45 Ibid., p. 45.
29
immédiateté. Il est posée comme une déterminité différente, réfléchie.
Que cela signifie-t-il ? Poser quelque chose comme quelque chose, c'est le
réfléchir comme quelque chose. Que signifie poser quelque chose comme
réfléchi, sinon le réfléchir comme un réfléchi ? En fait, il s'agit ici d'établir que ce
qui était d'abord appelé comme corrélat immédiat d'un nom est tout aussi bien à
En fait, cela était déjà présent dans l'expression Dasein, selon Hegel : le là
exprime ici ce fait que l'être-là est aussi un posé, c'est-à-dire aussi un médiatisé et
non pas seulement un immédiat.46 L'être-là ainsi considéré comme est ainsi posé
dans la détermination du néant, par laquelle il apparait différent d'un autre être
dont il est le non-être, l'autre, le différent. Après avoir fait ce constat, Hegel écrit
que :
« la qualité, de telle façon que différenciée, elle a valu comme étante, est la
réalité; elle comme affectée d'une négation, est de la même façon une qualité,
dans le jugement « S est P » : d’abord le fait que S soit être – car dans la mesure
où il est être déterminé, il reste être –, c’est-à-dire que S soit un nom appelant
chose : il est en tant que P. Et puisque P est l’autre de l’être S, il est non-être : S
est donc réfléchi comme non-être. Mais dans la mesure où, comme où l’a vu, on
peut aussi dire que la nomination est structurellement déjà en elle-même une
réflexion comme quelque chose, on peut dire que quand on appelle S par le
46 Ibid., p. 116 : « Mais la déterminité de l'être-là en tant que tel est la déterminité posée, laquelle
se manifeste dans l'expression être-là. (Dasein) »
47 Ibid., p. 45.
30
signifiant « S », alors on observe à même cet acte de nomination deux moments :
celui par lequel S est le contenu immédiat appelé par le nom « S », celui par
entre son être et son non-être, est48, comme est le jugement lui-même. Dans la
peut lui attribuer l'être et le non-être : il peut être et ne pas être. Mais ces
nouveau comme une telle qualité étante, mais cette fois intermédiée par
« Le quelque chose [...] est l’être-là, non pas comme sans différence, comme au
Dasein nicht als unterschiedlos, wie anfangs, sondern als wieder sich selbst
cette abolition est le quelque chose. Celui-ci est aussi un être, c'est-à-dire, dans
appelé. Nous pourrions donc penser qu'à ce stade, nous soyons revenus au point
à la pensée, devant elle. Il faut ici bien entendre le « stellen » ici convoqué : la
31
d'un contenu qu'elle a et qu'elle peut appeler et viser. De même dans le texte, on
lit que « quelque chose vaut à bon droit pour la représentation comme un
réel. »50
nouveau une hypostase, une position d’immédiateté, mais qui ne fonctionne n’est
plus exactement comme l’Être pur du début de la logique. Le quelque chose est
dit être, mais comme résultat de l’abolition de la différence entre l’être et le non-
L’être de l’être-là, est comme on l’a dit, lui considéré sous forme d’être,
dont on dit quelque chose, un être déterminé. Le quelque chose est l’être résultant
corrélat immédiat et l’être comme prédicat, comme ce dont on dit quelque chose.
Le quelque chose est donc l’être comme pris dans la détermination de l’être-là ;
l’être comme pris dans cette structure que nous avons associée au jugement « S
est P ». Cela signifie que le quelque chose est l'immédiateté, l'être, qui répond
devenir.51Cela signifie que le devenir n'est plus pour lui un passage dans le néant
dans lequel il est engagé seulement par la médiation d'un troisième terme : qu'il
dessus, était une certaine façon qu'avait l'être à se montrer, dans la mesure où on
50 Ibid., p. 123.
51 Ibid., p. 124.
32
en dit quelque chose, comme quelque chose d'autre, son néant. Ici, l’être du
quelque chose est bien plutôt ce qui de lui-même ne commence qu’en tant qu’on
en dit quelque chose, c’est-à-dire passe dans son prédicat, qui est son autre, son
par un autre qu’elle-même ; dit en d’autres termes, cela signifie que l’être du
quelque chose n’est qu’en tant qu’on dit quelque chose de lui, qu’en tant que
***
C’est en ce sens que l’on peut parler dans ce texte d’un passage de l’immédiateté
hypostase dont il s’agit ici n’est donc plus l’hypostase du début de la logique de
autre, et comme n’étant que dans la mesure où elle est en relation à lui. Ce qui,
comme on l’a vu –, de l’hypsotase ici exposée. Il s’agit ici d’une critique au sens
propre : ce n’est pas une négation simple de la positon d’immédiateté, mais une
33
autre qui constitue son être, que peut-il bien rester pour se convaincre que la
***
Dans le manuel que nous avons déjà cité de Bernard Bourgeois, il propose pour
rappel en et à soi de lui-même devenu ainsi être passé (gewesen : ayant été)
en français un ensemble d'idées que nous voudrions évacuer. Ici, il ne faut pas
ensuite en retournant en lui, en son fond, de telle sorte que ce passage à l'intérieur
soit d'ordre sensible ou méditatif. Le texte hégélien est à ce titre tout à fait clair :
34
l'essence est premièrement réflexion.53 Dans la mesure où on dit que quelque
chose est réfléchi, posé ou pensé comme quelque chose d'autre, ce passage est
pris en son immédiateté de simple être peut être entendu à condition que l'on
comprenne ce que sens signifie précisément. Mais que l'essence soit ne semble
pas compatible avec la proposition selon laquelle dans l'essence, « l'être est un
moment »54 : qu'en elle, l'être est un moment, est différent du fait pour elle d'être,
« L’essence est l’être aboli. C’est l’égalité simple avec soi-même, mais dans la
das aufgehobene Sein. Es ist einfache Gleichheit mit sich selbst, aber insofern es
d'autre. Ce en tant que quoi quelque chose est posé est non pas être, mais être-
posé. L'être-posé, en tant qu'il est ce en tant que quoi l'être est réfléchi n'est pas
un étant, mais bien plutôt un non-être, le néant de l'être dont il est le en-tant-que-
quelque-chose (das als-Etwas). Il semble donc qu'ici, être aboli signifie être
L'essence est bien plutôt un non-être : le néant de l'être dont il est la réflexion.
C'est précisément pour cela qu'elle est appelée une « négativité ». Un point
53 HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik, II, Surkhamp, Berlin, 1986, p. 17 : « L'essence est
premièrement réflexion. »
54 Ibid., p. 22.
55 Ibid., p. 18.
35
fondamental ici est qu’il ne faut ici ne pas confondre la non-étance de l'essence
avec la non-étance de l'autre quelque chose étant face au premier quelque chose
dont il est question dans la logique de l’être. Pourtant, Hegel insiste 56 : ce point
de vue est le premier point de vue par lequel on en vient à structurer l'essence par
rapport à l'être. C'est-à-dire que le premier point de vue, certes faux, par lequel on
« L'essence a ainsi l'immédiateté face à elle [...] l'essence elle-même est dans
relation à l'essence, pas en et pour lui-même, l'essence donc est une négation
déterminée. »58
ce que nous dit Hegel est qu’on l’appréhende tout d’abord comme une relation de
contiguïté entre deux êtres juxtaposés par le mot und.59 Le und, cependant,
que dans la logique de l’être. La structure dans laquelle le quelque chose est
réfléchi comme quelque chose d’autre, ne sera plus conçue comme une
juxtaposition simple entre deux quelques choses, mais d’une façon différente.
étant en relation au quelque chose étant; mais bien la négation de l'être réfléchi
en tant qu'il est réfléchi. L'essence, comme une telle réflexion, n'est donc pas une
56 Ibid., p. 17 : « L'essence sortant de l'être semble lui faire face [comme un être]. »
57 C’est le passage que nous avons ci-dessus appelé le passage de l’hypostase absolue ou isolée à
l’hypostase en relation à une autre hypostase.
58 Ibid., p. 18.
59 C'est pourquoi la section concernant « Le quelque chose » est suivie de la section concernant
« Quelque chose et un autre » (Etwas und Anderes).
36
négation étante, mais une négativité.60
avait pour résultat une deuxième position d’immédiateté, ici l’abolition de la position
montrer que c'est bien l'être qui a pour fonction de fonder l'essence, et non pas
l'inverse, selon ce que nous en dit lui-même Hegel dans la Logique de l'essence.
négatif dans l'essence, à l'extérieur de l'essence, il n'est pas. Il est le négatif posé
dans l'essence, l'être est apparence. Rappelons-nous que l'essence est réflexion,
37
c'est-à-dire réflexion de l'être : on peut l'appeler ce en tant que quoi l'être est
pensé, ou posé. En fait, on peut aussi déterminer cette forme comme l'intérieur
de l'être63. Dès lors, si la réflexion est une traversée dans l'intérieur de l'être, alors
cet être est l'apparence sur laquelle on réfléchit et que l'on traverse.
être : il n'est qu'en tant que ce qui est traversé, réfléchi par la réflexion. Hors de
simplement pas. C'est-à-dire que son être consiste en ceci qu'il est la
signifie simplement qu'il tient sa position de ce qu'il est ce qui est présupposé
comme à abolir, à dépasser : sa position ne consiste qu'en ceci qu'il est à abolir, à
réfléchir :
« L’immédiateté [de l'apparence] [...] n’est donc rien d’autre que l’immédiateté
Qu'elle ne soit pas immédiateté étante signifie ici qu'elle n'est pas
l'immédiateté que l'on a remarqué dans la logique de l'être : dans celle-ci en effet,
immédiat d'un nom. Elle se révélait ensutie comme médiatisée dans sa forme. Ici,
63 Que le réfléchi de l'être soit l'intérieur de l'être est présent dans la terminologie de HEGEL, cf.
op. cit., p. 13 : « L'être est l'immédiat. Dans la mesure où le savoir veut connaître le vrai, ce
qu'est l'être en et pour soi, il n'en reste pas à l'immédiat mais perce au travers de lui, avec la
présupposition que derrière l'être est quelque chose d'autre que l'être-même [...] Mais ce
chemin est le mouvement de l'être lui-même. Il se montre à même lui, qu'il s'intériorise par sa
propre nature (es durch seine Natur sich erinnert). »
64 Ibid., p. 22.
38
elle est immédiateté qui n'est d'emblée que comme intermédiée, ou immédiateté
l'immédiateté ne soit qu'en tant qu'elle est réfléchie : c'est cela que signifie la
proposition selon laquelle l'être n'est que comme moment dans la structure de
l’essence
Dire que l’essence, dans la logique de l’essence, fonde l’être, ne peut pas
être accepté ici : l’essence, dans la logique de l’essence, abolit l'être. Elle n'est
l'être, qui est, et qui supporte l'être : elle est un non-être ou néant qui l'abolit dans
la mesure où elle en est la réflexion. Cet être est cependant en même temps ce qui
est sa référence présupposée. Ainsi, cet être même se révèle dans la suite de la
l'être ait pour fonction dans la logique de l'essence celle de fondement est ce
L'essence est réflexion. Or l'être, en tant qu'il est déterminé par la réflexion,
comme on l'a vu, est quelque chose réfléchi en tant que quelque chose, c'est-à-
dire en tant que lui-même. C'est pourquoi on peut lire que l'essence est d'abord
fonderons largement sur l'article de Bruno Haas intitulé « Urteil » qui nous a
65 HEGEL, G.W.F., op. cit., p. 36 : « L'essence est d'abord relation simple à soi-même, pure
identité. »
66 HAAS, Bruno, « Urteil », in La Science de la Logique au Miroir de l‘Identité Gilbert Gérard,
Bernard Mabille (éd.), Louvain, Peeters, 2017, p. 195.
39
formuler A = A, deux A doivent être présupposés, qu'on peut tout aussi bien noter
A et A' : l'identité peut ainsi tout aussi bien écrire A = A'. C'est pourquoi l'identité
donc pour elle la contradiction n'est pas sa fin mais sa consistance, sa répétition :
soulignons). »67
Cette stabilité ou indépendance qui n'est pas un être correspond tout à fait
à ce que nous disions plus haut : l'essence ou l'identité est un non-être, non un
et A', celui-ci devrait obligatoirement être un néant puisqu'il ne peut pas être. La
contradiction binaire qu'est l'identité A = A' se laisse tout à fait penser comme un
fonctionnement de l'identité.
s'abolir. Que cette indépendance soit momentanée est déjà contenue dans ceci
67 Ibid., p. 203.
40
dire le néant, ou la position comme quelque chose de l'être : elle lui est donc
résolvait par une nouvelle nomination, celle de cette contradiction même comme
étante. Ici, la contradiction est résolue d’une autre façon dans la mesure où elle
est résolue par ceci que l’être-posé de cette contradiction indépendante est
abolie :
l'indépendance. »68
avoir pour résultat le néant de l'être-posé, son autre : c'est-à-dire l'être 69. L’être a
l’être-posé. C’est dans la mesure où il est le non-être de cet être-posé, qu’il est la
41
en soi. C’est-à-dire que c’est dans la mesure où il est l’être référence de la
apparence. »71
relatif. Elle n’est plus simple être-posé, n’est plus indépendante ou absolue, mais
n’est que relativement à cet être. Cet être, on dit de lui qu’il est identique à lui-
correspondre ici à la relation entre l’être et ce que l’on dit ou pense de lui, c’est-
à-dire de l’être comme apparence. Nous sommes ici face à une immédiateté qui
immédiateté nous est rappelée dans son fonctionnement par la phrase qui suit :
das durch das Wesen wiederhergestellte Sein, das Nichtsein der Reflexion, durch
s’intermédie avec cet être dans la mesure où celui-ci en est la référence étante, ce
***
71 Ibid., p. 82.
72 Ibid., p. 82.
42
CONCLUSION : l'immédiateté comme référence
Peut-on ici parler d’une simple hypostase ? Dans la logique de l’être, nous
ainsi comme immédiateté immédiate. Puis le quelque chose, comme on l’a vu,
est l’être dans la mesure où il n’est que comme relatif à un autre être dans lequel
il passe. Répéter ici ce qu’on a dit sur le quelque chose semble inapproprié dans
la mesure où l’être dont il s’agit est le résultat de l’abolition d’une réflexion, non
d’un être ou d’un autre être, mais d’un non-être, qui peut par exemple revêtir la
forme d'une relation d'identité « A=A » ou même d’une proposition « S est P ».73
L’être dont il s’agit ici est donc la référence d’une réflexion non-étante : la
référentielle.74
révèle comme une médiation niée, comme dans la première partie de notre
travail. Cela dit, ici, cette médiation niée se spécifie plus précisément comme
résultat de l’abolition d’une telle réflexion. Il s’agit donc encore ici d’une critique
43
Remarque : la proposition dans la logique analytique
comme le « premier » Wittgenstein, encore une fois, est tout à fait différente.
propositionnel consiste en ceci, qu’en lui ses éléments, les mots, sont entre eux
telle façon que les objets de la pensée correspondent aux éléments du signe
propositionnel. »77 S’installe donc une analogie de rapports entre d’un côté, la
s’intéresse maintenant à ce qui peut les faire entrer dans un rapport déterminé, on
rien : que les constantes logiques ne signifient rien en elles-mêmes est appelée
par Wittgenstein son « idée fondamentale ». Elles n’ont pour fonction que d’être
44
Pour Hegel, la proposition est en elle-même non pas une construction ou
la différence ne soit le principe l’une de l’autre, mais que ces deux structures se
Qu’elle ne soit pas considérée comme une construction, mais comme une
contradiction, rend encore une fois problématique une structure, qui ne l’est pas
comme être-posé, indique sa référence comme son fondement. Elle devient alors
proposition référentielle par son abolition : c’est avec elle que s’ouvre la
BILAN
Nous avons donc dans cette première partie tâché de montrer en quoi la logique
de Hegel peut à certains égards être considérée comme une critique du point de
mesure de faire cela une fois que nous aurons désamorcé un préjugé tenace sur le
45
analogue à quelque principe créateur de l'être est une idée reçue véhiculée par de
l'idée : selon lui, « c’est [...] la même idée créatrice qui se présente dans la
l'idée que « comprendre, pour la philosophie, la nature et l’esprit, c’est voir dans
primordial, qui est bien une extériorisation, mais une extériorisation qui, comme
Bernard Bourgeois, que nous citerons une nouvelle fois ci-dessous afin de
discuter son explication du concept, dans son manuel, indique que « Le concept
est le principe créateur de l'être. »79 Ce préjugé du concept créateur est donc
tenace.
***
46
II. LA MISE EN OEUVRE DE MOYENS DE CONNAISSANCE
Que le concept, ou l'idée soit créateur, est un préjugé dont on peut trouver
La deuxième étape est de mettre en évidence une réponse évidente, celle qui
d'une telle réponse évidente est souvent cherchée dans le Ménon, où face à la
question « qu'est-ce que la vertu ? », Ménon répond par toute une énumération de
ses amis, et du mal à ses ennemis […] », mais aussi la vertu de la femme qui est
de « bien gouverner sa maison »81 ; mais aussi celle des enfants, mais aussi (καὶ
ἄλλη) celle des vieillards, de l'homme libre, de l'esclave, etc. Suite à quoi on
donnes un essaim tout entier. »82 La troisième étape consiste en ceci qu'on
explique que la bonne réponse est de donner une définition universelle, c'est-à-
47
dire valant pour tous les cas particuliers ici énumérés, de la vertu. Peu importe ce
qu'elle est, nous pouvons en dégager deux caractères : l'unité mais aussi le fait
qu'elle se répète, qu'elle vaut pour chacune de ces instances. Si l'idée est une et se
répétitions : et une réponse toute trouvée est celle selon laquelle l'idée est un
véritablement étant qui est la cause de chacun de ses exemplaires. L'idée est ainsi
l'être est, alors A, B, C sont. Que le beau en soi ou l'être en soi soient des étants
créateurs est donc la thèse principale d'un platonisme peu précis. Or le concept
hégélien n'a pas du tout la fonction d'un tel étant créateur : c'est ce que nous
l'entendrait Hegel :
sens général abstrait de contenus d'abord sensibles qui, eux, révéleraient le réel.
différenciation interne.
48
3. Le concept est le principe créateur de l'être. »
concept, celle qui est elle-même citée par Hegel dans la partie consacrée au
« Concept en général » : « « l’objet », dit Kant […] est ce dans quoi le multiple
d’une intuition donnée est unifiée. »84 La fonction du concept de cet objet est
qu'elle soit immédiate, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas être-posé mais simple être,
aurait donc d'abord, dans un premier temps, donation d'un tel être, puis dans un
ici appelé l'objet : une telle synthétisation semble être la fonction de ce que Kant
appelle « concept ».
l'intuitionné qui apparaît comme le vrai réel, et le concept qui apparaît comme
une sorte de corruption de celui-ci. C’est d’ailleurs ce qu’écrit Hegel dans cette
même introduction :
« Cette relation [entre l’entendement et ses formes] est considérée, tout aussi
(zuerst für sich da ist) et qu’ensuite l’entendement y advient (dann der Verstand
49
l’universalité. »85
vide pour elle-même, qui d’une part n’obtient de la réalité que par un tel contenu
concept n’est ici pas une fonction de synthétisation d’un contenu préalablement
donné.
certaines notions dont celle de loi de composition. Or la loi est une notion traitée
dans la Logique de l'essence : il est donc clair que le concept n'est pas une loi.
définition.
et le concept kantien et ceci que tandis que l'unification proposée par le concept
selon un sens immanent au contenu réel même, de telle sorte que ce contenu se
déploie de façon immanente selon une loi une, qui serait donc le concept. On
aurait donc l'impression ici, que le contenu réel, ou l'être, ait une structure, qui
85 Ibid., p. 258.
86 Ibid., p. 258.
50
concept permet de comprendre en quoi le concept est objectif, c’est-à-dire en
Cela dit, on saisit bien pourquoi Bernard Bourgeois pose cette relation de
signifier une loi immanente ? Ici, elle semble être spécifiée d’une façon un peu
plus précise : le concept est une synthèse immanente à son contenu dans la
qu’il pourrait le faire comprendre. Cela n’est pas sans rappeler l’entendement de
Dieu, tel qu’il est décrit par Kant au §21 de la Critique de la Raison Pure : un
des objets donnés, mais qui seraient donnés et apportés par la représentation de
cet entendement même. » Mais cela, précise Kant, est impossible pour un
entendement humain.
De même pour Hegel : nous parlons ici d’un concept humain, non d’une
dans les Leçons sur la philosophie de la religion et ayant une validité dans ce
51
domaine en particulier. Elle y est alors convoquée pour expliquer une
De toute façon, il est impossible que le concept soit dit créer l’être, dans
l'être, et l'être, en tant qu'être, passe dans l'être-posé, semble être une remarque
s'effondre également : le concept ne crée pas l'être, mais dans le concept, l'être-
posé en tant qu'être-posé, disparaît dans l'être et l'être disparaît en tant qu'être
dans l'être-posé :
zunächst überhaupt als das Dritte zum Sein und Wesen, zum Unmittelbaren und
52
dernière remarque : dans la mesure où il n'est pas simplement réflexion, comme
l'est l'essence qui est la réflexion de quelqu'être, il n'est pas simplement être-posé
de l'être, c'est-à-dire non-être de cet être et relatif à un être extérieur à lui. C'est-à-
quelqu'être. Cela suffit à prouver que le concept n'a pas une fonction de
« L’être et l’essence sont dans cette mesure les moments de son devenir ; il est
qui est en et pour soi ; le concept est maintenant cette unité absolue de l’être et
de la réflexion, de telle façon que l’être-en-et-pour-soi n’est que par ceci qu’il
est tout aussi bien réflexion ou être-posé et que l’être-posé est l’être-en-et-pour-
das Setzen dessen, was an und für sich ist; der Begriff nun ist diese absolute
Einheit des Seins und der Reflexion, daß das Anundfürsichsein erst dadurch ist,
pour soi-même. On peut lire cette phrase de la façon suivante : dans le paradigme
de l'essence, nous avons une référence réelle, ici étante et désigné comme étante
en et pour soi-même, qui est posée comme, ou réfléchie comme ce qu'elle est.
89 Ibid., p. 245.
90 Ibid., p. 246.
53
Le concept est l'unité absolue de l'être et de la réflexion, c'est-à-dire leur
identité. Une remarque qui permet de mieux saisir la nécessité d'une telle identité
ou devenir entre l'être et l'être-posé est évoquée par Hegel : elle explique que
d'abord au titre même de la section consacrée à cette structure chez Kant, « Von
pluriel : cela doit nous amener à faire le rapprochement entre cette identité et
« L’être en et pour soi est par ceci, qu’il est tout aussi bien réflexion ou être-posé
et que l’être-posé est l’être en et pour soi. (das Anundfürsichsein erst dadurch
relatifs à une quelconque référence, mais de la façon dont ils se présentent eux-
mêmes et d'eux-mêmes. Tandis donc que Kant pose, d’une façon assertorique,
l’être s’auto-posant du « Je pense » – qui n’est en soi qu’en tant qu’il se pose, ou
ne se pose qu’en tant qu’il est en soi, qu’il s’impose –, on peut dire qu’ici Hegel
cherche à parler de cet être particulier de l’être se posant en soi. C’est ainsi qu’il
54
l’individualité : elles sont des moyens d'analyser le fonctionnement, l’être, la
mais absolue, cela explique aussi qu’elle soit décrite comme une « identité
absolue »92.En effet, la réflexion est une identité. Lorsqu’elle est appliqué à un
contenu divers, mettons A et B, elle signifie que A = B. C’est-à-dire que par cette
l’essence, le contenu de cette réflexion lui était extérieur et, par exemple, la
dire qu’il est un être-posé simple, c’est-à-dire posé, non par rapport à quelque
comme pensant n’est intermédié par rien et est immédiat, que la différence entre
qu’elle est schlechthin gesetzt, qu’elle s’est schlechthin gesetzt, et ainsi d’un seul
tenant, est une différence seulement apparente. Nous disons d’un seul tenant : en
réalité, ce que nous souhaitons ici exprimer est ce fait que tandis que la réflexion
est toujours relative – étant ainsi toujours en deux temps, le temps de l’être
présupposé et celui de son abolition –, ici, l’être-posé est posé en un seul coup,
l’être. L’être-posé étant posé d’un seul coup, ce qui est ici posé n’est pas un autre
extérieur à lui, mais lui-même. Il est ainsi en soi, commence de lui-même. Il est
92 Ibid., p. 274.
55
c. La distinction du concept hégélien et de la conception commune du
Le concept est trop général par son abstraction. C’est une critique que l’on
retrouve chez Nietzsche, ou encore beaucoup plus tard par Bergson. Seulement,
elle repose sur une conception erronée du concept selon lequelle il serait une
contenir ce qui est représenté dans l’objet à subsumer, car c’est cela que signifie
subsumé change de nom et prend celui du subsumant. Une critique fort claire de
la fonction d’un tel concept subsumant se trouve dans un petit texte inachevé de
immédiatement concept par le fait qu'il ne doit pas servir justement pour
naissance, c'est-à-dire comme souvenir, mais qu'il doit servir en même temps
strictement parler, jamais identiques et ne doit donc convenir qu'à des cas
56
entsteht durch Gleichsetzen des Nichtgleichen). » 94
présenté n’est qu’une représentation hypostasiante qui en tant que telle n’a rien à
notre science, la logique pure, les étapes du concept sont l’être et l’essence. Dans
l’être à l’étape de l’essence ou de la réflexion. (sich vom Sein auf die Stufe des
« l’esprit, qui est déterminé naturellement comme âme, est en tant que
57
conscience en relation à cette déterminité comme à un objet extérieur. […]
L’intelligence dirige tout aussi bien son attention vers et contre cet être-hors-de-
soi et est l’éveil à soi-même dans cette sienne immédiateté, son interiorisation-
façon analogue à l'être tel qu'il est présenté dans la Logique de l'essence. En effet,
l’être aussi était désigné par Hegel, dans son passage à l'essence, comme ce dont
le mouvement est l’intériorisation dans soi, die Erinnerung in sich.97De même ici,
on peut dire que le contenu de l'intuition est ce que réfléchit l'esprit théorique
comme l'objet d'une attention, ce qui n'est pas sans rappeler la fonction de l'être
§451 :
si l’on reprend ce dont nous parlions au-dessus, qu’elle est ce qui réfléchit cette
intuition. Le texte insiste ici également sur le fait pour cette représentation d'être
58
conditionnée : comme c’était le cas de la réflexion de la logique de l’essence, elle
présuppose un être extérieur à elle, qu’elle réfléchit, mais qui cependant demeure
immédiat et non-posé par elle car il est sa référence. C’est cela que signifie la
que quoi il est ou est signifié. C’est pourquoi l’essence est exprimé par le nom,
dans la mesure où celui-ci est considéré comme forme ou réflexion d’un être.
Nous avons déjà évoqué une telle idée lorsqu’on a fait remarquer que toute
nomination est déjà structurellement une réflexion – dans la mesure où le nom est
peut avoir pour expression un nom qui se réfère au contenu de celle-ci. Ce nom
engage cette intuition, mais comme abolie, et seulement comme abolie, c’est-à-
dire réfléchie.
59
iii. Reprise de la critique de Nietzsche
abstrait en ceci que sa forme, le mot, remplace, tient lieu de la forme, du mot de
aussi la subsomption en tant que telle, désigne simplement l’abandon d’un nom
concept est un simple nom relatif à une immédiateté dont il est la réflexion ou
forme. C’est précisément pour ceci que lorsque Nietzsche parle du concept de
feuille en général, il en parle comme d'un mot référé à un être immédiat qui serait
la feuille en général :
représentation, comme s'il y avait dans la nature, en dehors des feuilles, quelque
espèces, puis en genres : un nom est substitué à une autre, c'est-à-dire d’abord
celui de l’espèce à celui des individus, puis celui du genre à celui des espèces. Se
pose alors la question de savoir quelle est la référence du nom du concept : une
60
« Mais à quoi ressemble une image de feuille qui ne présente aucune forme
particulière, mais ce qui est commun à toutes les formes de feuille, et non une
verte « qui se trouve dans mon esprit » ? – l’échantillon de ce qui est commun à
Mais que le concept soit représentation, c’est-à-dire nom d’un être aboli,
est contradictoire avec la propriété du concept hégélien selon lequel il est être-
posé immédiat et non relatif, un être-posé qui soit lui-même un être. Que le
concept est l’être-posé immédiat. Cela signifie qu’il est l’être-posé qui n'est pas
pour expression un nom, on peut dire que le concept est le nom sans référence, le
, et que lorsqu'on le considère, on doit le considérer comme nom pur, non comme
Cela dit, s’il est identité absolue, il est évident, d’après la logique de
différenciation non relative, c’est-à-dire une division originaire : ein Urteil. C’est
61
d. Le jugement comme moyen non-hypostasiant de connaissance
fait une critique d’une idée préconçue que nous avons du fonctionnement du
consiste.
comme des noms. C’est pourquoi on lit qu’« il est approprié et nécessaire,
d’avoir pour les déterminations du jugement ces noms, sujet et prédicat. »102
deux concepts, son fonctionnement véritable, en général, est celui d’une relation
une relation établie entre deux noms. Il est intéressant de voir ici en quoi, encore
Ainsi, dans l’image habituelle que l’on se fait du jugement selon Hegel, le
jugement a deux parties. La première d’entre elles est le sujet : celui-ci est
102Ibid., p. 302.
62
nom (ein Art von Name). C’est une hypostase, au sens dans lequel nous l’avons
concept ». Cet universel, cette essence, ou ce concept est censé exprimé ce qu’est
mais ce concept est exprimé dans le prédicat ». Ainsi, cette prédication est tout
aussi contingente que l'est le nom du sujet. La prédication est ainsi décrite :
Autrement dit, le prédicat attribué à ce sujet, est tout aussi bien un simple
nom que le nom du sujet lui-même. La prédication aussi est une nomination,
premier. On pourrait expliquer ceci en disant que dans cette idée préconçue du
jugement, deux noms appellent une même chose, de façon synonyme, de telle
façon cependant que ce dont il est question ne soit en aucun cas mieux connu.
Dans la mesure où il est deux fois appelé, il reste aussi indéterminé, comme le
corrélat immédiat de deux noms. C’est ce que Hegel explique clairement dans la
suite du texte :
« si le jugement est expliqué habituellement de telle façon qu’il est une liaison
de liaison, et même que les deux éléments mis en relation doivent être des
103Ibid., p. 304.
63
que […] l’explication est bien meilleure que la chose ; car ce ne sont pas des
concepts, qui sont visés, pas des déterminations conceptuelles, mais proprement
Vorstellungsbestimmungen). »104
qu’elle est apparue dans La logique de l’être, comme passage d’un être à un autre
être liés par le und. Ici également est critiquée la liaison de deux positions
d’immédiateté. Le jugement n’est donc pas une liaison de noms. Qu’est-il donc ?
que quelque chose est la relation d'identité, « A = A » et on peut tout aussi bien
qui est le jugement. Or nous l’avons vu, la contradiction est un néant : dans la
le prédicat ne doit pas être ce que le sujet est, ici une contradiction est présente
et que le jugement est la réalité du concept, ainsi son mouvement en avant est
104Ibid., p. 304.
105Ibid., p. 310.
64
seulement développement […] il y a déjà en lui ce qui advient en lui, et la
qui est déjà présent dans les extrêmes du jugement, mais ce poser aussi est lui-
Que le jugement ne soit pas réflexion signifie ceci : il n’a pas pour
provenance ou le fait d'être fondé par un être. Ici, ce qu’il montre n'est pas un
être, mais lui-même. C'est-à-dire qu'il n'est pas la poser ou la médiation d'un être,
mais un poser lui-même étant et déjà là. On a déjà exprimé ce fait que le concept
même. C’est pourquoi ces deux termes sont dits être des extrêmes en relation :
n’est pas référentielle. Tandis, donc que cette contradiction est un néant, ce néant
subsiste, est un étant, un néant consistant qui ne s’abolit pas dans son être-posé. Il
faut mesurer l’intensité d’une telle thèse : tout jugement est une contradiction qui
***
106Ibid., p. 310.
65
CONCLUSION : l'immédiateté identifiée à la médiation
objectif. Simplement, l'abolition dont il s'agit ici n'est pas celle de l'être-posé de
de la médiation a ici une autre fonction que celle de l'être référence de la Logique
de l'essence.
« Si l’on nomme l’être ce quelque chose, qui est conçu (erfasst wird), et le en-tant-que-
quelque-chose (das Als-Etwas) le modèle, cela signifie alors que le quelque chose est
effectivement conçu comme quelque chose, mais pécisément comme quelque chose
d’autre (etwas Anderes). Car il est de l’essence du modèle, qu’il soit quelque chose
Ici, le concept objectif est bien dit être quelque chose d’autre que l'être
qu'il modélise. Il n’est donc pas une pure médiation non-étante comme l’était la
réflexion qui s’abolit dans l’être. Le concept objectif fonctionne donc d’une
façon différente de celle de la réflexion qui s’abolit dans son fondement. C’est
66
n’est pas un concept se référant directement à l’être qu’il explique : mais il se
modélise un autre être que lui : c’est en cela que consiste le concept objectif
selon Hegel.
Que tout être-posé ou toute forme modélisant un être soit une forme
nom devient indépendant, ou libéré, de l’être qu’il explique, que le point de vue
***
En tant que structure logique, le concept peut avoir des applications : parmi elles,
on trouve selon Hegel l’application au sujet, au moi – que nous traduirons ici par
le « Je » afin de conserver le sens de Ich. Nous avons déjà observé les analogies
Mais cela est de nouveau énoncé clairement dans la partie consacrée au « concept
universel » : « La vie, le Je, l’esprit (Leben, Ich, Geist), le concept absolu ne sont
pas des universels comme les genres les plus généraux, mais des concrets
[...] ».109 Nous étudierons dans cette partie, à partir de passages précis de
108 HAAS, Bruno, art. cit., p. 153 : « On peut se demander si toute locutio directa n'est pas aussi
structurellement toujours une locutio obliqua, c'est-à-dire si la logique du modèle n'est pas
déjà impliquée dans la logique d'un discours direct et immédiat. » Ici est bien mis en évidence
que le modèle est un être-posé référé de façon oblique à sa référence, à la différence de la
réflexion ou essence, qui elle est un être-posé référé directement à la référence.
109 HEGEL, G.W.F., op. cit., p. 279.
67
l'Encyclopédie, la façon dont Hegel conceptualise le Je, que nous identifierons à
pensante
la tendance à poser comme une immédiateté, comme une simple chose étante, le
infère de ce fait qu'il pense, qu'il est une chose pensante. Autrement dit, si ça
pense, c'est que quelqu'être pense : c'est-à-dire que tout mode ou toute affection
lequel le néant n’a pas d’attribut110, c'est-à-dire que tout attribut présuppose un
être qui l'a. Il est intéressant de voir que ce qui permet le raisonnement de
Descartes repose sur une structure dont parle Hegel : il s’agit ici d’un
110 DESCARTES, René, Principia Philosophiae, Forgotten Books, Londres, 2018, p. 3 : « nous
remarquerons qu’il est manifeste, par une lumière qui est naturellement en nos âmes, que le
néant n’a aucunes qualités ni affections (nihili nullas esse affectiones sive qualitates), et qu’où
nous en apercevons quelques-unes il se doit trouver nécessairement une chose ou substance
dont elles dépendent. »
111 DESCARTES, René, Ibid., p. 15.
68
l'occurence, la pensée – est ce en tant que quoi se montre la substance étante
pensante, autrement dit elle en est la réflexion ou la forme. Selon le principe ci-
dessus énoncé, on peut dire que toute forme est forme d'un être : c’est-à-dire que
dans la Logique de l’essence. En effet, ce principe, que le néant n’a pas d’attribut,
semble signifier que tout attribut est attribut de l’être, autrement dit, dans la
être-posé.
notre conscience habituelle, Je est seulement la chose simple, qui est aussi
nommée âme (das einfache Ding, welches auch Seele genannt wird), à laquelle
logique du concept.
se fonder sur les textes de l'Encyclopédie relatifs à ce que Hegel appelle l'esprit
69
subjectif, et en particulier l'esprit théorique. L’esprit comme esprit théorique,
infinie, comme borné par un contenu, et ne se tient plus en relation à lui comme
peut à ce titre comparer le §413 qui concerne la conscience où nous lisons que
théorique qui a pour fonction un savoir qui n’a pas de référence : cela est à
retenir fermement. On comprend dès lors le §440, dans lequel on lit que :
seulement à ses propres déterminations. (Der Geist fängt daher nur von seinem
C’est pourquoi l’être de l’esprit n’est plus relatif car l’esprit lui même
n’est plus référentiel : il est en soi dans la mesure où il ne commence que de lui-
même et se rapporte non aux déterminations d’une référence étante, mais à ses
113 HEGEL, G.W.F, Phänomenologie des Geistes, Meiner, Hamburg, 1988, p. 64.
70
de la réflexion à la sphère du concept : l’esprit ici, fonctionne comme le concept,
Nous avons déjà fait référence ci-dessus à la psychologie hégélienne. 114 Nous
sentiment dans son intériorité, dans son propre espace et son propre temps. »115
réflexion en tant que quelque chose. Il est ici fait état d'un médium dans lequel le
du temps extérieur, et du contexte immédiat dans laquelle elle s’est trouvée. »116
l’intériorité propre du Je, qui est désormais la puissance [disposant d’elles]. »117
71
ceci, que la matière – der Stoff – de l’image, ou des images de la représentation,
« l’intelligence est dans la fantaisie (in der Phantasie) accomplie comme auto-
créatrice d'images non plus relative à l'être de l'intuition, mais en soi. C'est
pourquoi nous lisons par la suite que « dans cette unité du contenu intérieur et de
est fait n’est plus extérieur mais intérieur au milieu de la réflexion elle-même,
alors cette image n’est plus relative à l'être intuitionné mais an sich, c’est-à-dire
« [Cette intuition] est une image, qui s’est remplie d’une représentation
signe. »119
Cette intuition, ou immédiateté, est une image, qui a pour contenu non pas
un être auquel elle se rapporterait, mais une représentation qui est fournie par
« le signe est toute intuition immédiate, qui représente un tout autre contenu, que
celui qu’elle a pour soi ; la pyramide, dans laquelle est transposée et conservée
72
une âme étrangère. (versetzt und aufbewahrt ist) »120
structure du signe ait une importance telle dans une psychologie. Hegel trouve
note dans la psychologie ou aussi dans la logique, sans que l’on pense à leur
dem Systeme der Tätigkeit der Intelligenz). La place véritable du signe est celle
représentations. »121
intuitions et abolit leur contenu – dans le texte est présent le terme tilgen,
tant qu’aboli, c’est-à-dire que son être consiste en ceci qu’il signifie, renvoie à ce
qu’il signifie :
73
Nous lisons ensuite que :
l’intuition, qui est un signe, est un être-là dans le temps, – une disparition de
Il est ici on ne peut plus clair ici que le signe s’extériorise comme la voix,
qui est un être-posé par l’homme qui parle, et immédiatement aboli car signifiant
l’intériorité :
général une existence, qui vaut dans le royaume du représenter. (Reiche des
Vorstellens) »126.
il est ici étudié dans sa figure, et il apparaît dans sa figure comme un être-posé
74
Etwas de l’intuition. C’est-à-dire qu’il s’agit aussi ici d’une réflexion : nous
non pas Anschauung ayant un objet extérieur, doit soigneusement être distingué
celle-ci, dans elle-même, parcourt les séries en tant que ressentante, etc. »128
C’est-à-dire qu’ici, on apprend que le langage est une série de mots que
spécifie ici plus en détail : il est faiseur de signes, c'est-à-dire qu'il a pour
signification.
à-dire sans référence. Cela est en cohérence avec ce que nous avions annoncé en
75
c'est-à-dire comme un être-posé absolu et enchaîné uniquement à lui-même.
se trouve dans la signification, la liaison de ceux-ci en tant que noms avec l’être
est encore une synthèse et l’intelligence dans cette sienne extériorité n’est pas
Le domaine des significations et celui des signifiants, les noms, sont ici
est qu'à ce stade, pour l'esprit théorique qui parle, les noms se combinent entre
eux suivant des règles qui découlent de leur signification. On lit par la suite que :
identifié, unifié par l’intelligence – dans la mesure où elles sont toutes provenues
des noms qu'elle enchaîne; 2. la différence entre les noms et leur signification
disparaît.
76
« l’espace universel des noms en tant que tels, c’est-à-dire de mots sans sens.
(sinnloser Worte) »131 Les noms, dans la mesure où la différence entre eux et
leurs significations a été abolie, sont désormais sans sens, c’est-à-dire sans
signification. Mais la série des noms n’étant plus relative à la série des
dire dans un espace qui n’est plus relatif mais est un être. Cet être qui est l’espace
« Je, qui est cet être abstrait, est en tant que subjectivité en même temps la
puissance des noms divers, le lien vide (das leere Band) qui consolide en lui-
le subjectif n’est plus quelque chose de divers, si bien que cette intériorité est en
universel est pour elle dans la double détermination de l'universel comme tel et
comme le véritable universel, qui est l'unité de lui-même ayant prise sur son
autre, l'être. »
131 Ibid., § 463.
132 Ibid., § 463.
133 Ibid., § 464.
77
Cet universel étant ou immédiat n'est pas sans nous rappeler l'universel du
concept : il est ici évident que la structure du concept est tout à fait appliquée à
l'esprit ou au Je comme penser. Si nous disons que cette structure est appliquée,
et que le Je n'est pas le concept lui-même, c'est que tandis que le concept était
immédiat, ici, cet être-posé immédiat revêt une forme, qui est celle d'un
référence. L'intelligence comme penser n'est pas une réflexion, c'est-à-dire une
articulation en pensées d'un être référence : elle est une articulation étante en
comme penser :
« sait que ce qui est pensé est ; et que ce qui est, est seulement dans la mesure où
signification
C’est précisément sous cet aspect que l’on a cru trouver des moyens de
C’est que dans ces deux théories, nous sommes amenés à un signifiant qui ne
signifie rien et entre dans une structure, c’est-à-dire un signifiant non pas relatif à
78
étant, un signifiant lui-même originaire.
Le concept est en effet le tiers terme entre l’être et l’être-posé, leur identité. Que
la pensée consiste en ceci qu’on ait des pensées, c’est-à-dire des chaînes de mots
n’est originairement pas quelque chose qui soit un moyen pour transmettre des
ne signifie rien » du séminaire sur Les Psychoses, Lacan exprime l’idée selon
notion de communication ? Vous allez me dire que c’est évident : il faut une
réponse. »135 Pour expliquer la façon dont une réponse fonctionne, Lacan fait
retour de quelque chose qui est enregistré quelque part et comme tel, du fait de
cet enregistrement, déclenche une opération qui, de quelque façon qu’elle agisse,
réponse. »136
Mais il s’agit de remarquer ici que le signifiant n’a pas cette fonction de
tel » n’a lieu que lorsque ce qui est important pour le récepteur, « ce n’est pas
135 LACAN, Jacques, Les Psychoses, « Le signifiant, en tant que tel, ne signifie rien.. », p. 299.
136 LACAN, Jacques, op. cit., p. 299.
79
l’effet du contenu du message, ce n’est pas l’hormone qui du fait qu’elle survient
va déclencher quelque part dans l’organe telle ou telle réaction, c’est qu’au point
effet une réaction, mais en tant qu'on en prend acte comme signifiant. L’exemple
« Je suis dans la mer, capitaine de quelque chose, un petit navire. Je vois quelque
part des choses qui dans la nuit s’agitent d’une façon qui me laisse à penser qu’il
Les deux façons d'agir face à ces signes sont les suivantes: d'abord je
C’est-à-dire que moi, le récepteur, agit comme l’effet de ce signe – qui ici est un
message.
humain, j’inscris sur mon livre de bord : « À telle heure, par tel degré de
s’agitent de telles façons qu’il semble qu’il puisse s’agir de signes, alors il s’agit
non d’un immédiat, mais d’un être-posé, d’une médiation. Dans la mesure
cependant où on ne sait pas ce que signifie cette médiation, c'est-à-dire que c'est
une médiation sans signifié, cette médiation est considérée comme médiation
immédiate, une médiation étante, sans référence : on peut dire que l’opacité de ce
80
clairement que ce signifiant qui est là, donné, originaire, est analogue dans son
« Ce qu’il y a de propre au signifiant, que j’ai appelé du nom d’S1, c’est qu’il
n’y a qu’un rapport qui le définisse, le rapport qu’il a avec S2 : S1 → S2. C’est
en tant que le sujet est divisé entre cet S1 et cet S2 qu’il se supporte, de sorte
qu’on ne peut pas dire que ce soit un seul des deux signifiants qui le
représente. »143
Premièrement, on peut noter que le sujet fonctionne comme une série d’au
minimum deux signifiants entre lesquels il est divisé. Cela semble en accord avec
dire fonctionnant comme une série indépendante, étante – chez Hegel. Autrement
dit ici, le sujet se révèle bien comme ce « lien vide » entre des noms ou des
pensées sans signification qu’a décrit Hegel dans les pages de l’Encyclopédie
citée au-dessus. Évidemment, chez Lacan, le signifiant est tout ce qu’on peut lire
81
le symptôme du patient sont des signifiants susceptibles d’être lus et compris. Le
patient conscient de son problème, comme l’analyste, ont ici le même point de
« Elle sait que ce qui est pensé est ; et que ce qui est, est seulement dans la
d’avoir des pensées : elles sont comme son contenu et objet. »144
les pensées sans signification, c’est-à-dire, selon l'analogie que l'on essaie
signifiants, on voit bien que ce qui est appelé sujet n’est pas un sujet conscient de
conscient parle, quelque chose d'un s'y répète ou insiste au cours de cette chaîne
chose que Lacan appelle « être » : il indique en effet dans son séminaire intitulé
sujet est soutenue par quelque support « dont il n’est pas abusif de le qualifier du
« si le terme d’« être » veut dire quelque chose, c’est le réel pour autant qu’il
s’inscrit dans le symbolique, le réel intéressé dans cette chaîne que FREUD nous
82
dit être cohérente et commander, le comportement du sujet. »147
commande le sujet : voilà le sujet véritable. Le sujet conscient est donc certes le
lacanien est que ce réel, bien qu'il défile là, « se défend »148 de la connaissance du
quelque chose dans le sujet conscient s’articule qui est au-delà de sa conscience.
C’est pourquoi ce réel, le seul sujet véritable, est le sujet de l’inconscient pour
objet, alors que le penser est décrit comme un être, ou un absolu, c’est-à-dire qui
établie entre le sujet lacanien et le sujet hégélien tel qu'il se présente dans les
paragraphes de l'Encyclopédie que nous avons étudiés. C'est que toute réalité
auquelle le concept serait applicable peut en même temps être comprise comme
une série ou une structure de signifiants. Autrement dit, pour tout ce qui
fonctionne comme le concept selon Hegel, le signifiant tel que Lacan l'entend
147 Ibid.
148 LACAN, Jacques, « La chose freudienne », in Écrits, I, Seuil, Paris, 1999, pp. 398-433.
83
peut être un outil d'analyse judicieux.
Leçons, et par exemple dans ses Leçons sur la philosophie de la religion. Dans
[…] et troisièmement le concept, qui se relie avec lui-même (sich mit sich
dans lequel il est inégal à lui-même, à lui-même, de telle façon qu'il parviennent
la religion est sans aucun doute un objet auquel le concept s'applique. Cela
signifie donc qu'elle est susceptible d'être analysée comme une structure de
signifiants.
84
traduit die Allgemeinheit par « l'universalité », c'est que ce dernier mot met
Pourtant, die Allgemeinheit met d'abord l'accent sur le caractère complexe d'un
ensemble d'éléments. Comme on peut le lire chez Lacan dans son texte intitulé «
notre accord pour autant qu'elle évite les implications de la totalité ou les
épure. »150 : ce sont ces implications de la totalité que l'on veut éviter ici en
C'est après avoir épuré ce préjugé de la totalité du concept que l'on peut
commencer à comprendre les notes introductives qui nous sont parvenus du cours
le réel qu'une religion y est adaptée. C'est prendre l'affaire à l'envers : il s'agit
précisément pour cela que nous avons traduit « Begriff der Religion » non par
concept de religion – comme si il y avait une seule religion modèle sur laquelle
se calquerait toutes les autres – mais concept de la religion, voire même pourrait-
rechercher des structures signifiantes, qui en tant qu'elles sont des structures
150 LACAN, « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », op. cit., 124-162.
151 Ibid., p. 66.
85
signifiantes sont des religions. Le concept ou structure de la religion ainsi
développe. »152 Le concept est donc surtout une activité : il est structure mais
dans le concept (Begriff) d'une religion est le pur structurel (das rein Allgemeine),
Allgemeinheit). »153
est le structurel, qui en tant qu'activité est le penser »154. Comme l'écrit Lacan
dans une intervention que nous avons déjà cité, « l'unité de signification [d'une
réel, mais toujours renvoyer à une autre signification […] c'est-à-dire que la
signification ne se réalise qu'à partir d'une prise des choses qui est
structuration, alors il est clair que quand le penser prend les signifiants ensemble,
cet ensemble qu'elle prend est simplement son activité même : il n'y a pas de
86
Il faut bien ici se souvenir de ce que nous disions ci-dessus : le penser,
Nous avons ainsi posé la façon dont la religion fonctionne : elle est un concept,
entière (die ganze Philosophie) n'est rien d'autre que l'étude des déterminations
toujours l'unité, mais de telle façon que celle-ci est toujours plus déterminée »
(eine Reihenfolge von Einheiten, immer die Einheit aber so, dass diese immer
weiter bestimmt ist)156. Si la philosophie de la religion est une étude d'une série
Que signifie « unité » dans ce contexte ? Notre hypothèse est que cela
l'étude d'une série de structures de signes de plus en plus élaborées. En quoi peut
consister ici l'élaboration ? En ceci que, au fil de ces différentes structures, celles-
156 HEGEL, G.W.F., Werke 16, Vorlesungen über die Philosophie der Religion, I, Surkhamp,
Berlin, 1986, p. 101.
87
ci deviennent de plus en plus indépendantes d'un présupposé être signifié
sens lacanien. Cela est sensible, par exemple, dans le passage de la religion
substantialité. »157
qui est utilisée et appliquée à la religion indienne. La substance est une structure
que la réflexion s'abolit dans une référence qui est l'être. Nous lisons dans
l’étalage : quelque chose qui est ausgelegt, c’est quelque chose d’étalé, comme
sur une table. Ce qui s’étale ici en l’occurence, est la substance elle-même, ou
plutôt sa forme. Dans la mesure où Brahma est posé comme la substance étante
157 Ibid., p. 341.
158 Ibid., p. 218.
88
dans elle-même face aux diverses apparitions, il est hypostasié comme la
existences, et en tant qu'essence étante dans soi ou en tant que substance, elle est
Tout est ici expliqué : en tant qu'elle est posée comme l'abstrait étant hors
signes, c'est-à-dire ici la nature, est posé comme étant en dehors de l'être auquel il
est référé, Brahma. Le deuxième point est le suivant : ce système, dans la mesure
où il se conçoit comme posé par cet autre indicible, n'est pas indépendant, n'est
religion indienne :
fondement des existences, et toutes ces existences sont [comprises] comme étant
autre substantiel, ce système de signes est conçu comme son négatif et comme
n'étant qu'être-posé par lui, comme son second. Ici, ce statut fondamental second
du système des signifiants est exprimé par l'expression « Je suis Brahman » que
tout sujet religieux indien se dit à lui-même ; mais aussi pourrait-on dire par le
jugement « Cela est Brahman » que tout sujet religieux évoque : « l'eau et le
89
soleil est Brahman. […] l'air également, le mouvement de l'atmosphère, le
Ainsi, le sujet religieux indien pose tout comme Brahman ; mais en même
temps sait que rien ne le pose véritablement, dans la mesure où Brahman est
l'autre étant de l'ensemble de son système. C'est-en ce sens que celui-ci est aboli
autre du signe. Cet être référence de cette structure de signifiants hante cette
l'essence, c'est-à-dire de l'être-posé qui s'effondre (zu Grunde geht) dans un être
référence.
l'essence – elle est ici dans la forme d'un être-posé se structurant en soi-même.
« dans la mesure où l'esprit est libre, le fini est seulement moment idéel en lui, il est donc
posé en lui même concrètement, et dans la mesure où nous le traitons lui et la liberté de
l'esprit comme concret, ceci est l'esprit rationnel ; le contenu constitue le rationnel de
l'esprit. »162
90
L'idéalité désigne le fait pour un élément d'entrer d'avoir une fonction au
sein d'une structure : ici, chaque fini de la nature est une partie de la structure
laquelle il en vient à traiter les choses toujours par une vue d'ensemble, de telle
façon que les différentes déterminations de cette structure qu'est la nature soient
réunies dans une seule détermination, un seul but. Cette Erschaffung n'a pas de
« le sujet ne laisse rien conister à côté de lui, ce qui est non spirituel, simplement
naturel […] la subjectivité est la forme infinie, et en tant que telle ne laisse pas
plus poussée de la religion pour la religion judaïque, c'est que la fonction de Dieu
de la nature, de telle sorte que l'être divin n'est plus l'être référence de celles-ci,
lacanien. Tandis que Brahman n'était signifié nulle part dans la nature, le Dieu de
la religion judaïque est ce qui fait signe de lui-même au travers de la nature qu'il
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structure. Ce faisant, il fonctionne comme un concept, c'est-à-dire une structure
signifiante absolue.
***
réalités. Les liens que nous avons tenté d'établir au cours de la troisième partie de
faisant, nous avons mené indirectement la critique d'une autre manière de lire la
Bourgeois dans son Vocabulaire de Hegel : « pour Hegel, le concept est bien le
avec les religions réelles, c'est quelque chose que nous avons remarqué, certes :
mais cet accord n'est pas un accord fortuit, il est un accord issu d'un travail de
92
Dieu, de même qu'il n'y a pas de « doctrine » de la logique. Parler d'une
réitérer intérieurement sans cesse le passage d'une structure logique à une autre.
c'est la refaire pour et en soi-même, que lire l'Encyclopédie, c'est la récrire. »166
Nous ne savons honnêtement pas ce que veut dire ici Bernard Bourgeois, car de
quelque chose, auquel cas nous ne voyons pas vraiment ce que pourrait signifier
une science dont la relecture serait la réécriture ; ou l'oeuvre de Hegel est une
corpus de recherches déjà achevé. Nous sommes donc plus que sceptiques face à
cette affirmation selon laquelle « pour Hegel, plus que pour tout autre
93
philosophe, est vraie cette affirmation que, pour comprendre une œuvre, il faut la
non pas se répéter ses textes, mais réitérer sa technique d'analyse à de nouveaux
domaines.
94
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages utilisés :
1986.
1986.
Ouvrages cités :
Logik, der Kunst und des Religiösen, Berlin: Duncker und Humblot,
2003.
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/laches.htm.
95
• PLATON, Ménon, texte numérisé sur
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/menon.htm.
Paris, 1993.
Articles utilisés :
Kervégan, Bernard Mabille (éd.), CNRS éditions, Paris, 2012, pp. 129-
144.
pp. 195-216.
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Table des matières
INTRODUCTION .................................................................................................2
I. LA CRITIQUE DU POINT DE VUE DE L'HYPOSTASE DANS LA
LOGIQUE DE L'ETRE ET LA LOGIQUE DE L’ESSENCE...............................5
Préliminaire : une première approche de cette critique chez Lacan..................5
A. Le premier dépassement du point de vue de l’hypostase dans la logique de
l’être........................................................................................................................7
a. Critique de l’approche de Bernard Bourgeois................................................7
b. Que signifie logiquement « point de vue de l'hypostase » ?..........................9
c. Le paragraphe introductif : introduction de l’ « objet » de la logique de
l’être............................................................................................................10
Remarque : le préjugé dans la compréhension de l'en soi...........................12
d. Le dépassement de la position d’immédiateté.............................................13
Remarque 1 : les éclaircissements de la logique de 1812................................18
Remarque 2 : un commentaire sur la différence entre la logique analytique et
la logique hégélienne.......................................................................................21
Remarque 3 : l'autre façon de concevoir le passage de l'être au néant............25
e. De l’immédiateté immédiate à l’immédiateté médiatisée.......................26
CONCLUSION : de l’hypostase à l’hypostase relative...................................33
B. La seconde critique de l’hypostase dans la logique de l’essence................34
a. Critique de l’approche de Bernard Bourgeois..............................................34
b. L’être comme présupposition abolie............................................................37
c. L’être comme fondement: le retour d’une hypostase ?................................39
CONCLUSION : l'immédiateté comme référence..........................................43
Remarque : la proposition dans la logique analytique................................44
BILAN.............................................................................................................45
II. LA MISE EN OEUVRE DE MOYENS DE CONNAISSANCE NON-
HYPOSTASIANTS DANS LA LOGIQUE DU CONCEPT................................47
Préliminaire : Le concept ne « crée » rien.......................................................47
a. Critique de l’approche de Bernard Bourgeois..............................................48
b. L’approche générale du concept : l’identité de l’être et de l’être-posé........52
c. La distinction du concept hégélien et de la conception commune du concept
comme représentation générale........................................................................56
i. Que signifie « représentation » ?..............................................................57
ii. La représentation et le mot......................................................................59
iii. Reprise de la critique de Nietzsche........................................................60
d. Le jugement comme moyen non-hypostasiant de connaissance..................62
CONCLUSION : l'immédiateté identifiée à la médiation...............................66
III. LA STRUCTURE DU SUJET : HEGEL ET LACAN...................................67
Préliminaire : la critique de la représentation du sujet comme chose pensante
..........................................................................................................................68
a. L’esprit théorique comme application du concept.......................................69
b. Le rôle du signe dans l'intelligence..............................................................71
c. Le penser comme enchaînement de signes sans signification......................75
d. Hegel et Lacan : le sujet comme enchaînement de signifiants sans
signification......................................................................................................78
i. Le signifiant lacanien : une médiation immédiate, comme le concept....78
ii. Le sujet comme série de signifiants sans signification...........................81
d. La structure signifiante comme outil d'analyse des réalités : l'exemple de la
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philosophie de la religion.................................................................................83
i. La religion comme structure de signifiants..............................................84
ii. L'évolution de la religion........................................................................87
CONCLUSION FINALE : pourquoi mettre en évidence cette analogie entre
Hegel et Lacan ?...................................................................................................92
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................95
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