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L A R t PA R T I T l O N

la justice, le voile d’ignorance concerne le stade legislatif. Le


Departement de l’arbitrage, pour sa part, n’est qu’une instance qui
compare des coüts et des avantages. 11 n’y apas pour lui de
restrictions concernant l’information (sauf celles necessaires äl’ef-
bcacite du Systeme) puisque ce departement depend du fait que
les citoyens connaissent leurs evaluations respectives des biens
prives et publics. II faut aussi remarquer que dans le Departement
de l’arbitrage les representants (et, ätravers eux, les citoyens) sont
kjuste titre guides par leurs interets. Par contre, dans notre
description des autres departements, nous presupposons que les
principes de la justice s’appliquent aux institutions seulement sur
la base d’informations generales. Nous essayons d’elaborer ce que
des legislateurs rationnels, limites de maniere adequate par le voile
d’ignorance et, en ce sens, impartiaux promulgueraient pour realiser
la conception de la justice. Des legislateurs ideaux ne votent pas
en fonction de leurs interets. Astrictement parier, donc, ce Depar¬
tement de l’arbitrage ne fait pas partie de la sequence des quatre
etapes. Neanmoins, il risque d’y avoir confusion entre, d’une part,
les activites du gouvernement et les depenses publiques necessaires
pour soutenir les justes institutions de base et, d’autre part, celles
qui decoulent du principe de l’egalite des avantages marginaux.
Si Ton garde presente äl’esprit la distinction entre les departe¬
ments, la conception de la justice comme equite devient, je crois,
plus plausible. II est certain qu’il est souvent difficile de distinguer
entre ces deux genres d’activites du gouvernement, et certains
biens publics semblent appartenir aux deux categories. Je laisse
ces problemes de cöte äpresent, esperant que la distinction theo-
rique est suffisamment claire pour mon propos.

44. Le Probleme de la justice


entre les gen^rations

Nous devons äpresent examiner la question de la justice entre


les generations. Nul besoin n’est d’insister sur la difficulte de ce
Probleme. II soumet les theories ethiques ädes epreuves tres
difficiles, pour ne pas dire impossibles äsurmonter. Neanmoins,
l’analyse de la justice comme equite serait incomplete sans un
examen de cette question importante. Le probleme se pose äpresent
parce que la question de savoir si le Systeme social comme un tout

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objectif. De fait, au-delä d’un certain niveau, eile risque plutöt


d’etre un obstacle, au mieux une distraction sans signification, au
pire une tentation de facilitö et de vide. (II va de soi que definir
ce qu’est un travail ayant un sens est un Probleme en lui-m6me.
Bien que ce ne soit pas un probleme concemant la justice, je fais
quelques remarques äce propos [§ 79].)
Nous devons äpresent combiner le juste principe d’epargne avec
les deux principes de la justice. Pour ccla, nous supposons que ce
principe est defini du point de vue des moins favorisös dans chaque
generation. Ce sont les individus representatifs de ce groupe ä
travers les generations qui doivent döfinir, gräce ädes ajustements
virtuels, le taux d’accumulation. Acet effet, ils soumettent äune
contrainte l’application du principe de difference. Achaque g6ni-
ration, leurs attentes doivent etre maximisees sous la contrainte
que l’on amis de cötc l’cpargne qui aete decidee. Ainsi, l’cnonce
complet du principe de difference inclut comme contrainte le
principe d’epargne. Tandis que le premier principe de la justice et
le principe de la juste egalite des chanccs sont premiers par rapport
au principe de difference äl’interieur d’une generation, le principe
d’epargne limite l’application de ce dernier en ce qui concerne les
rapports entre generations.
Bien entendu, il n’est pas necessaire que l’epargne des moins
favorises consiste en leur participation active au processus de pla-
cement financier. Elle consiste plutöt normalement dans leur appro-
bation de l’organisation economique et sociale necessaire äl’accu-
mulation souhaitee. L’epargne est realisee par l’acceptation politique
des mesures destinees äameliorer le niveau de vie des categories
les plus defavorisces des futures generations, c’est-ä-dire en s’abs-
tenant de gains immediatement disponibles. C’est en acceptant ces
dispositions que l’epargne necessaire peut etre realisee et que nul,
parmi les plus defavorises des futures generations, ne pourra repro-
cher äquelqu’un d’autre de n’avoir pas fait son devoir.
Tels sont, brifevement esquissös, les traits principaux d’un juste
principe d’epargne. Nous pouvons voir maintenant que des per-
sonnes appartenant ädifferentes gönerations ont des devoirs et des
obligations les unes vis-ä-vis des autres, exactement comme ä
l’egard de leurs contemporains. La generation actuelle ne peut agir
äsa guise, eile est liee par les principes qui auraient ete choisis
dans la position originelle pour definir la justice entre des personnes
qui vivent ädifferentes epoques. En outre, les ctres humains ont
le devoir naturel de conserver et de completer des institutions
justes et cela necessite l’amelioration de la civilisation jusqu’ä un

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ccrtain niveau. La deduction de ces devoirs et de ces obligations


peut scmbler, äpremiere vue, une application quelque peu arbi-
traire de la doctrine du contrat. Nöanmoins, ces exigences seraient
adtnises dans la position originelle et ainsi la theorie de la justice
comme equite s’applique äces qucstions sans modification de son
idee de base.

45. Prtf^rences intertemporelles

J’ai suppose que, lors du choix d’un principe d’epargne, les


personncs placees dans la position originelle n’ont aucune prefe¬
rence puremcnt intertemporelle. Nous devons envisager les raisons
d’une teile hypothese. S’agissant d’un individu, eviter une prefe¬
rence purement intertemporelle est une manifestation de son carac-
tere rationnel. D’apres Sidgwick, la rationalite implique que nous
considerions de maniere impartiale tous les moments de notre vie.
Le simple fait pour quelque chose d’etre situe differemmcnt dans
le temps, plus tot ou plus tard, n’est pas en lui-meme un motif
rationnel pour yaccorder plus ou moins d’importance. S’agissant
d’un avantage present ou dans un futur proche, il va de soi qu’on
lui donne plus de poids äcause de son degre plus eleve de certitude
ou de probabilite; et il nous faut prendre en compte les change-
ments de notre Situation et de notre psychologie. Mais rien de tout
ccci ne justifie que nous preferions un bien present moins grand ä
un bien futur plus grand, simplement parce que le premier est
plus proche dans le temps (§ 64).
Or Sidgwick pensait que les notions de bien universel et de bien
individuel sont semblables sur des points essentiels; de meme que
le bien individuel est constitue par la comparaison et l’integration
des differcnts biens ächacun des moments qui se succedent dans
le temps, de meme le bien universel est constitue par la comparaison
et l’integration des biens des differents individus. Les relations des
parties au tout et des parties entre dies sont analogues dans chaque
cas, car dies sont fondees sur le principe de l’agregation des
utilites Le juste principe d’epargne d’une societe ne doit donc
pas etre affecte par une preference purement intertemporelle puisque
la diffcrence de position temporelle des personnes et des generations
ne justifie pas en elle-meme qu’on les traite diffcremment.
Mais, comme dans la theorie de la justice comme equite les

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