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I-a justice comme équité

Dans ce chapitre d'introduction, j'esquisserai quelques-unes dcs


idées principales de la théorie de la justice que je souhaite déve-
lopper. L'exposé en est informel et a pour but de préparer les
argumentations plus détaillées qui suivront. Inévitablement, cette
présentation et les analyses ultérieures se recoupent quelque peu.
Je décris pour commencer le rôle de Ia justice dans Ia coopération
sociale et je fais une analyse rapide de I'objet premier de la justice :
la structure de base de la société. Ensuite, je présente I'idée
principale de la justice comme équité, théorie de la justice qui
généralise et conduit à un plus haut niveau d'abstraction la concep
tion traditionnelle du contrat social. Le contrat est remplacé par
une situation initiale qui comporte certaines contraintes dans la
procédure de I'argumentation devant mener à I'accord originel sur
les principes de la justice. J'examine aussi, pour opérer un contraste
éclairant. les conceptions classiques utilitaristes et intuitionnistes
et j'étudie certaines des différences entre ces points de vue et la
théorie de la justice comme équité. Mon objectif est d'élaborer
une théorie de la justice qui soit une solution de rechange à ccs
doctrines qui ont dominé depuis longtemps notre tradition phile
sophique.

l. Le rôle de la justice

La justice est la première vertu des institutions sociales comme


la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique
que soit une théorie, elle doit être rejetée ou réviséc si ellc n'cst
pas vraie ; de même, si efficaces et bien organisées que soient des
institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si
elles sont injustes. Chaque personne possède une inviolabilité fon-

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LA JUsrlcE coMME ÉQulrÉ I. LE RôLE DE LA JUSTICE

dée sur la justice qui, même au nom du bien-être de I'ensemble moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base
justice de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices
àe ta societé, ne peut être transgressée. Pour cette raison, la
que'la liberté de certains puisse être justifiée par et des charges de la coopération sociale.
intridit pàrte de
i'àUtention, pai d'autres' d'un plus grand bien' Elle n'admet pas u Or, nous dirons qu'une société est bien ordonnée lorsqu'elte n'est
our f.i ru.iific.t pétit nombre puissent être compensés
imposés à un ias seulement conçue pour favoriser le bien de ses membres, mais
'lorsqu'elle est aussi déterminee pâr une conception publique de la
J^i i'.unt.ntation'des avantages dont jouit le plus grand nombre'
b;.rt fo"utquoi, dans une société juste' l'égalité.des droits civiques justice. C'est-àdire qu'il s'agit d'une société où, premièrement,
et des'tiberiés pour tous est considérée comme définitive; les droits chacun accepte et sait que les autres acceptent les mêmes principes
par la lustice ne sont pas sujets à un marchandage politique de la justice et où, deuxièmement, les institutions de base de la
ii"u.-tir
ru* àalculi des intérêts sociaux' La seule chose qui nous société satisfont, en général, et sont reconnues comme satisfaisant
ces principes. Dans ce cas, même si les hommes émettent des
ferr"ttrait de donner notre accord à une théorie erronée serait
exigences excessives les uns à l'égard des autres, ils reconnaissent
i'uUrtn"t d'une théorie meilleure; de même, une injustice n'est
ioterable que si elle est nécessaire pour éviter une plus grande néanmoins un point de vue commun à partir duquel leurs reven-
injuriic.. Étant les vertus premières du comportement humain, la dications peuvent être arbitrées. Si la tendance des hommes à
vérité et la justice ne souffrent aucun compromrs' favoriser leur intérêt personnel rend nécessaire de leur part une
Àinri ,".i1. s'exprimer notre conviction intuitive de la primar{é vigilance réciproque, Ieur sens public de la justice rend possible
de la justice. Sans àoute est-elle formulée avec trop de-force'. En et sûre leur association. Entre des individus ayant des buts et des
tout càs, mon propos est de cherche r à savoir si de telles affirmations projets disparates, le fait de partager une conception de la justice
àu O'uuit.t témtilabttt sont fondées et, dans ce cas' comment il établit les liens de I'amitié civique; le désir général de justice
est possible d'en rendre compte. Pour cela, il.est nécessaire d'éla- limite la poursuite d'autres fins. Il est permis d'envisager cette
borËr une théorie de la justice à la lumière de laquelle ces conception publique de la justice comme constituant la chartc
affirmations peuvent être interprétées et évaluées' Je commence fondamentale d'une société bien ordonnée.r
par examinei le rôle des principes de la justice. Posons, pour fixer Bien entendu, les sociétés existantes soht rarement bien ordon-
nées en ce sens, car ce qui est juste et injuste est habituellement
ies idées. qu'une société est une association' plus ou moins auto
suffisante, de personnes qui, dans leurs relations réciproques, recon- I'objet d'un débat. Les hommes ne sont pas d'accord sur les
principes qui devraient définir les termes de base de leur association.
naissent certaines règles de conduite comme obligatoires, et
qui,
pàur ta plupart, agisient en conformité avec elles' Supposons, de Cependant, nous pouvons dire, en dépit de ce désaccord, qu'ils ont
quË cés règlei déterminent un système de coopération visant chacun une conception de la justice, c'est-à-dire qu'ils comprennent
irtur,
â fu"*ittt le bien de ses membres. Bien qu'une société soit une le besoin d'un ensemble caractéristique de principes et sont prêts
tentative de coopération en vue de I'avantage mutuel, elle se à les défendre; ces principes permettent de fixer les droits et les
caractérise donc à la fois par un conflit d'intérêts et par une identité devoirs de base et de déterminer ce qu'ils pensent être la répartition
d'intérêts. Il y a identité d'intérêts puisque la coopération sociale adéquate des avantages et des charges de la coopération sociale.
procure à tou; une vie meilleure que celle que chacun aurait eue C'est pourquoi il semble naturel de considérer le concept dejustice
!n cherchant à vivre seulement grâce à ses propres efforts' Il y a comme étant distinct des diverses conceptions de la justice et
conflit d'intérêts puisque les hommes ne sont pas indifférents à la comme étant défini par le rôle qu'ont en commun ces différents
ensembles de principes, ces différentes conceptions de la.iustice t.
façon dont sont repariis les fruits de leur collaboration, car, dans
la'poursuite de leurs objectifs, ils préfèrel tous une part plus Ceux qui ont des conceptions différentes de la justice peuvent
besoin d'un alors, malgré tout, être d'accord sur le fait que des institutions
Iruha. de ces avantages â une plus petite.-on.a donc sont justes quand on ne fait aucune distinction arbitraire entre les
Ëni"rnUf. de principei pour choisir entre les différentes organisa'
personnes dans la fixation des droits et des devoirs de base, et
tions sociales-qui déterminent cette répartition des avantages et
quand les règles déterminent un équilibre adéquat entre des reven-
pour conclure un accord sur une distribution correcte des parts'
dications concurrentes à l'égard des avantages de la vie sociale.
bes principes sont ceux de la justice sociale: ils fournissent un
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LA JUSTIcE coMME ÉQulrÉ 2, L'OBJET DE LA JUSTICE

Les hommes peuvent être d'accord sur cette description de ce que oriorité, étant la plus importante vertu des institutions, il
est
sont de justès institutions; en effet, les notions de distinction âeændant vrai, toutes choses égalcs par ailleurs, qu'une conccption
arbitraire et d'équilibre adéquat, qui sont comprises dans le concept de la justice est préférable à une autre quand ses conséquenccs
de justice, sont laissées ouvertes à I'interprétation de chacun, selon plus générales sont encorc plus désirables.
ses propres principes de la justice. Ces principes identifient les
ressémblances et les différences entre les personnes permettant la
détermination des droits et des devoirs et ils précisent la répartition
adéquate des avantages. Il est clair que cette distinction entre, 2, L'obiet de la justice
d'unè part, le concept et, d'autre part, les diverses conceptions de
la justice ne règle aucune question importante. Elle aide simplc-
ment à identifier le rôle des principes de la justice sociale. On appelle justes ou injustes beaucoup de choses différentes:
Cependant, un certain degré d'accord sur les conceptions de la oas seulement des lois, des institutions et des systèmcs sociaux,
justicè n'est pas la seule condition préalable à une société humaine mais aussi les actions particulières les plus variées, par excmplc
viable. Il existe d'autres problèmes sociaux fondamentaux, en des décisions, des jugements ou des imputations. Nous appelons
particulier ceux de la coordination, de I'efficacité et de la stabilité. aussi justes ou injustes les attitudes et les traits de caractère d'êtrcs
ô'est ainsi que les projets des individus ont besoin d'être coordonnés humains comme ces êtres eux-mêmes. Mais, ici, nous avons à
de façon à ce que leurs activités soient compatibles entre elles et traiter de la justice sociale. Pour nous, I'objet premier de la justicc,
puissent toutes être menées à bien sans que les attentes légitimes c'est la structure de base de la société ou, plus exactement, la
àe quiconque soient gravement déçues. De plus, la réalisation de façon dont les institutions sociales les plus importantcs répartissent
ces projets devrait permettre d'atteindre certains buts sociaux par les droits et les devoirS fondamentaux et détermincnt la répartition
des moyens à la fois efficaces et compatibles avec la justice. Et des avantages tirés de la coopération sociale. Par institutions lcs
pour finir, le système de coopération sociale doit être stable: il plus importantes, j'entends la constitution politique et les princi-
iaut qu'on y obéisse plus ou moins régulièrement et qu'on se pales structures socioéconomiques. Ainsi, la protection légale de
confoime volontairement à ses règles de base; lorsque des infrac' la liberté de pensée et de conscisnce, I'existencc de marchés
tions ont lieu, il faudrait que des forces stabilisatrices interviennent concurrentiels, la propriété privée des moyens de production et la
pour empêcher de futures violations et restaurer I'organisation famille monogamique en sont des exemples. Si on les considère
àntérieure. Or il est évident que ces trois problèmes sont liés à comme un système unique, elles définissent les droits et les devoirs
celui de la justice. En I'absence d'un certain degré d'accord sur des hommes et elles influencent leurs perspectives de vie, ce qu'ils
ce qui est juste et injuste, il est évidemment plus difficile pour des peuvent s'attendre à être ainsi que leurs chances de réussite. C'est
individus de coordonner efficacement leurs projets afin de garantir cette structure de base qui est I'objet premier de la justice parce
lc maintien d'organisations mutuellement bénéfiques. La méfiance que ses effets sont très profonds et se font scntir dès le début.
et le ressentiment rongent les liens de la civilité et le soupçon L'idée intuitive que je propose ici est que cette structure comporte
comme I'hostilité sont une incitation à des actes qu'autrement on différentes positions sociales et que des hommes nés dans des
évitcrait de commettre. Ainsi, tandis que le rôle particulier des positions différentes ont des perspectivÊs de vie différentes, déter-
conceptions de la justice est de préciser les droits et les devoirs minées, en partie, par le système politique ainsi que par lcs
de base ct de déterminer la répartition adéquate, la façon dont circonstances socio.économiques. Ainsi, les institutions sociales
elles remplissent ce rôle affecte nécessairement les problèmes favorisent certains points de départ au détriment d'autres. Il s'agit
d'efficacité, de coordination et de stabilité. Nous ne pouvons pas, là d'inégalités particulièrement profondes. Car elles sont non seu-
en général, évaluer une conception de la justice d'après son seul lement présentes un peu partout, mais elles affectent les chances
rôle distributif. si utile qu'il soit pour identifier le concept de des hommes dès le départ dans la vie; il n'est en aucun cas possible
justice. Nous devons prendre également en considération ce à quoi de les justifier en faisant appel aux notions de mérite ou de valeur'
elle est plus largement reliée; car, même si la justice a unc certaine C'est donc à ces inégalités, probablement inévitables dans la
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2. L'OBJET DE LA JUSTICE
LA JUSTICE COMME ÉQUITÉ
justice sur la nature d'une société parfaitemcnt juste. C'est pourquoi je
structure de base de toute société, que les principes de la considère en premier licu ce que j'appelle la théorie de I'obéissancc
;;;i;i;'i"i";"t s'appliquer en tout piemier lieu'.Ensuite' ces prin-
stricte aux principcs de la justice qui est opposee à celle dc
àeitttinent j; choix d'une constitution politique et les p.rin- I'obéissancc partielle ($S 25, 39). Cette dernière étudic les principcs
"io"i
;;;;;;i;ffits du svstème socioéconomique' La justice d'un
de la manière dont les qui commandent notre conduite face à I'injustice. Elle comporte
;il;i; àe société dépênd essentiellement attribués ainsi qùe d-el des questions comme la théorie des peines, la doctrine de Ia guerrc
;;;;;-.i1.; devoirs fondamentaux sont
juste et la justification des différentes formcs d'opposition à des
oàrriliriie, e"onomiques et des conditions sociales dans les diffé- régimes injustes, dcpuis la désobéissance civile et I'objection de
ients secteurs de la société.
'-ï;;';;q;àt. conscience jusqu'à la résistance militante et la révolution. Elle
limitée de deux façons' Tout d'abord' je
.tt justice' Je comprend aussi des questions de justice compensatrice ainsi que
m'intéresse â un crs particulier du problème de la la misc en balance d'une forme d'injustice institutionnelle avec
;;;;;i;; pas la justice en général des institutions ou des prdtiques
une autrc. Visiblement, ce sont les problèmes abordés par la théorie
r*i"Ër. iusiice du droit international public et des relations de I'obéissance partielle qui sont urgents et contraignants. Nous y
"i'ttsi ce n'est en passant (S 58)' C'est pou-rquoi' si I'on
;;,;; Éi"lt. juitice s'applique chaque fois qu'il v a sommes confrontés dans notrc vie quotidienne. Mais la raison qui
;;;; t; Ë concept deoude désavantages pouvant rationnellement
me pousse à commencer par la théolie des conditions idéales est
IôàttÏtion d'avantages que cela me fournit, je crois, la seule base pour comprendre de
de
èiie lonsidérés comme tels, seul un aspect de cette application par manière systématique ccs problèmes plus urgents. Toute l'étude
i" iurti.. nous intéresse ici. Il n'y a aucune raison de supPoser
du problème de la désobcissance civile, par exemple, en dépcnd
il;;;;"; h. frincipes qui soni satisfaisants peuvent pour la structure de
fort bien ne ($$ 55-59). En tout cas, je partirai du principe que c'est la seule
Ëur. àËnt pour toui les cas. Ces principes
privées ou façon de parvenir à une compréhension plus profonde de la question
;;; r'";;iio";r aux règles et aux praiiques d'associations
pas être pertinents ct que la définition de Ia nature et des buts d'une société parfai-
["lio,ïË.r'ro.iaux plris restreints. Ils peuvent ne
tement juste est la partic fondamentale de la théorie de la justice.
o"ind àn les applique aux différenies conventions et habitudes Mais je reconnais volontiers I'imprécision du concept de structure
inf*t.fi.t de là'vie courante; ils peuvent ne pas du tout éclairer de base. On ne voit pas toujours clairement quelles institutions,
quant a la justice ou mieux, à l'équité (fairness) d'organisations ou quelles fonctions doivent en faire partie. Mais il serait prématuré
à.lro"eJ,ir.r décidées libremeni et en coopéralion, afin d'aboutir de s'en inquiéter ici. J'étudierai, tout d'abord, les principes qui
à dËs accords contractuels. Le droit international public_peut
exiger
s'appliquent effectivement à ce qui fait certainement partie de la
;;;;;;ip.t différents qui résultent.de démarches différentes' Je
structurc de base comprise intuitivement; ensuite j'essaierai
,"rai,atirf"it s'il est possible de formuler une conception raisonnable d'étendre I'application de ces principes aux élémcnts principaux
que nous
de la justice adaptéé à la structure de base de la société, de cette structure de base. Peutêtre ces principes se révéleront-ils
.o*ion, pour lè moment comme un système. clos, isolénedes autres
être tout à'fait généraux, quoique ce soit improbable. Il sumt qu'ils
,".lliei. ià valeur de ce cas particulier est évidente et demande
s'appliquent aux cas les plus importants pour la justice sociale; ce
pàiC.iprl"ution. Il est natuiel de supposer qu'une fois une théorie qu'il faut garder présent à I'esprit, c'est qu'une conception de la
[irn tonàe. établie pour ce cas particulier il seraplus aisé de traiter justicc pour la structure de base a une valeur intrinsèque. On ne
Ër problèmes de la justice grâce à elle' En y apportant- les
"uit"t devrait pas la rejeter sous prétexte que ses principes ne donnent
modifications nécessaires, une telle théorie devrait fournir Ia clé de pas satisfaction dans tous les cas.
--ùàit. de ces autres questions.
certaines Unc conception de la justice fournit donc, en premier lieu, un
étude est limitée en second lieu par le fait quel'examine' critèrc pour évaluer les aspects distributifs de la structure de base
pouii;.tttntlel, des principes de la justice destinés à servir de de la société. Cs critère, cependant, ne doit pas être confondu avec
;ègl;t à;;t une sociéié bien ordonnée' Chacun y est supposé agir les principes qui définissent les autres vertus; en effet, la structure
avËc justice et apporter sa contribution au maintien d'institutions de base et I'organisation sociale, d'une manière générale, peuvent
lustes. Bien que la justice puisse être cette vertu prudente et
être efficaces ou inefficaces, libérales ou non, et avoir bien d'autres
jalouse dont pàrle Hume 2, nous Pouvons néanmoins nous interroger
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LA JUsrrcE coMME ÉeulrÉ 3. L'IDÉE PRTNCIPALE PC LN TTTÉONIE DE LA JUSTICE
qualités, à côté de la justice ou de I'injustice. Comment appeler, 4ôDartient à quelqu'un d'autrc, propriété, récompense, emploi, etc.,
alors, une conception exhaustive qui définirait des principes pour il'rn t"futunt à une personne de lui rendre son dû, de tenir une
toutes les vertus de la structure de base et qui indiquerait leurs
irotrtt", de ,rembourser une dette, de montrer le respect qui lui
valeurs respectives au cas où elles entreraient cn conflit? C'cst r.
lst dt, etc Evidemment, cette défrnition est construite pour. s'ap
bien plus qu'une conception de la justice, il s'agit d'un véritable iliquer aux actions et les personnes sont considérées comme justcs
idéal social. Les principes de la justice ne sont qu'une partie, bien
ians la mesure où elles possèdent, comme un des éléments perma-
que peutétre la plus importante, d'une telle conception. En retour, juste'
ncnts de leur caractère, un désir constant et efficacc d'agir
un idéal social est lié à une conception de la société, à une vision ment. Il est clair que la définition d'Aristote suppose' cependant,
qui permet de comprendre les buts et les intentions de la coopé-
une analyse de ce qui appartient en proPre à une personne ct de
ration sociale. Les différentes conceptions de la justice sont comme ce qui lui est dû. Or de tels droits sont, je crois, très souvent
le prolongement des différentes idées que nous pouvons nous faire
dérivés des institutions sociales ainsi que des attentcs légitimcs
sur la société avec, à I'arrière-plan, les différentes façons de
auxquelles elles donnent lieu. Il n'y a donc aucune raison de penser
comprendre les nécessités naturelles et les possibilités qu'offre la ou'Aristote aurait été en désaccord avec cette affirmation et il est
vie humaine. Si I'on vcut pleinement comprendre une conception certain qu'il avait une conception de la justice sociale qui rendait
de la justice, il faut expliciter la conception de la coopération :conrpt€ de ces revendications. La définition quej'adopte est conçue
sociale dont elle dérive. Mais ce faisant, nous ne devrions pas
perdre de vue le rôle particulier des principes de la justice ni /. ooui s'appliquer directement au cas le plus important, celui de la
iustice de la structure de base de la société. Il n'y a là aucun
I'objet auquel ils s'appliquent en premier. ionflit avec I'idée traditionnelle de la justice.
Dans ces remarques préliminaires, j'ai distingué le concept de
justice - défini comme l'équilibre adéquat entre des revendications
concurrentes - d'une conception de la justicc qui, elle, est constitué€
par un ensemble de principes qui ont pour but de déterminer les 3. L'idé€ principate de la théorie
éléments pertinents dont il
faut tenir compte pour définir cet de la justice
équilibre. D'autre part, i'ai caractérisé la justice comme étant
seulement un aspect d'un idéal social, bien que la théorie que je Mon but est de présenter une conception de la justice qui géné-
propose élargisse, sans doute, In justice ) au sens quotidien. Cette
" ralise et porte à un plus haut niveau d'abstraction la théorie bien
théorie ne se présente pas comme une description de la signification connue du contrat social telle qu'on la trouve, entre autres, choz
ordinaire, mais conrme une analyse de certains principes distributifs Locke, Rousseau et Kant o. Pour cela, nous ne devons pas penser
qui s'appliquent à la structure de base de la société. Je pose comme que le contrat originel soit conçu pour nous engager à entrer dans
hypothèse que toute théorie éthique suffisamment exhaustive doit une société particulière ou pour établir une forme particulière dc
comporter des principes s'appliquant à résoudre ce problème fon- gouvernement. L'idée qui nous guidera est plutôt que les principes
damental et que ces principes, quels qu'ils soient, constituent la de la justice valables pour la structure de base de la société sont
doctrine de la justice propre à cette théorie. Le concept de justice I'objet de I'accord originel. Ce sont les principes mêmes que des
est donc défini par le rôle joué par ses principes constitutifs dans personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres
I'attribution des droits et des devoirs et dans la répartition adéquate intérêts, et placées dans une position initiale d'égalité, acceptcraient
oes avantages sociaux. Une conception de la justice, par contre, et qui, selon elles, définiraient les termes fondamcntaux de leur
est une interprétation de ce rôle. association. Ces principes doivent servir de règle pour tous les
Or cette approche peut sembler en désaccord avec la tradition. accords ultérieurs; ils spécifient les formes de la coopération sociale
Je crois cependant qu'il n'en est rien. Le sens Ie plus précis donné dans lesquelles on peut s'engager et les formes de gouvernement
par Aristote au terme de justice et dont dérivent les formulations qui peuvent être établies. C'est cette façon de considércr les principes
les mieux connues est le refus de toute pleonexia, c'est-àdire de de la justice que j'appellerai la théorie de la justice comme e4uité.
I'acquisition d'avantages pour soi-même en s'emparant de ce qui Par conséquent, nous devons imaginer que ceux qui s'engagcnt
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justesse de I'expression justice comme équité : elle


^*ntioue la ' '
I'idée que les principes de la justice sont issus d'un accord
."j,|.'itrt
j.i""ru a"nr une situation initiale elle-même équitable. Mais cctte
]i"t.sion ne signifie pas que les concepts de justice et d'équité
pas plus.que, par exemple, la formule " la pocsie
ioient identiques,
liÀmr mét"phore " ne signifie que poesie et métaphore soient
de la justice comme équité commence, ainsi que je
'oiii'li!l;'"
at, par un des choix les plus généraux parmi tous ceux que
fai
i'ln puisre faire en société, à savoir par le choix des premiers
qui définissent une conception de la justice, laquelle
^'in.iprt ensuite toutes les critiques et les réformes ultérieures
âïlr1irir"r^
i"s institutions. Nous pouvons supposer que, un€ conception de la
iiustice étant choisie, il
va falloir ensuite choisir une constitution
'ei une procéaure législative ponr promulguer des lois, ainsi de
tout ceci en accord avec les principes de la justice qui ont
"uite.foAi"t de I'entente initiale. Notre situation sociale est alors
\ie
lurtr quund le système de règles générales qui la définit a été
'oroduii par une telle série d'accords hypothétiques. De plus, si on
udrnrt qu. Ia position originelle détermine effectivement un enselnble
de principes (c'est-à-dire qu'une conception particulière de la
iustice y serait choisie), chaque fois que ces principes seront réalisés
âans les institutions sociales, les participants pourront alors se dire
les uns aux autres que leur coopération s'exerce dans des termes
auxquels ils consentiraient s'ils étaient des personnes égales et
libres dont les relations réciproques seraient équitables. Ils pour-
raient tous considérer leur organisation comme remplissant les
conditions stipulées dans une situation initiale qui comporte des
contraintes raisonnables et largement acceptées quant au choix des
principes. La reconnaissance générale de cc fait pourrait fournir
ia base d'une acceptation par le public des principes de la justice
correspondants. Aucune société humaine ne peut, bien sûr, être un
système de coopération dans lequel les hommes s'engagent, au sens
strict, volontairement; chaque personne se trouve placée dès la
naissance dans une position particulière, dans une société parti-
culière, et la nature de cette position affecte matériellement ses
perspectives de vie. Cependant, une société qui satisfait les prin-
cipes de la justice comme équité se rapproche autant que possible
d'un système de coopération basé sur la volonté, car elle satisfait
les principes mêmes auxquels des personnes libres et égales don-
neraient leur accord dans des circonstances elles-mêmes équitables.
En ce sens, ses membres sont des personnes autonomes et les

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LA JUSTIcE coMME ÉeutrÉ r. I,'IOÉE PRINCI LE DE LA THÉORIE DE LA JUSTICE

obligations qu'elles reconnaisscnt leur sont imposees par clles.


mêmes.
Un des traits de la théorie de la justice comme equité est qu'clle
conçoit les partenaires placés dans la situation initialc commc dcg
êtres rationnels qui sont mutuellement désintéressés (mutually
disinlerested). Cela ne signifie pas qu'ils soient égoibtcs, c'est-i.
dire qu'ils soient des individus animés par un seul type d'intérêts,
par exemple la richesse, le prestige et la domination. C'est plutô1
qu'on se les représente comm€ ne s'intéressant pas aux intérêts
des autres. Il faut faire I'hypothèse que même leurs buts spirituels
peuvent être opposés, au sens où les buts de personnes de religions
différentes peuvent être opposés. En outre, le concept de rationalité
doit être interprété, dans la m€sure du possible, au sens étroit,
courant dans la théorie économique, c'est-àdire comme la capacité
d'employer les moyens les plus efficaces pour atteindre des fins
données. Je modifierai ce concept dans une certaine mesurc, comme
je I'explique plus loin ($ 25), mais il faut essayer d'éviter d'y
introduire un élément éthique sujet à controverses. Quant à la
situation initiale, elle doit être caractérisée par des stipulations
largement acceptées.
Dans la mise au point de la théorie de la justice comme équité,
il est clair qu'une tâche essentielle est de déterminer quels sont
les principes de la justice qui seraient choisis dans la position
initiale. Pour ce faire, nous devons décrire cette situation plus en
détail et formuler avec soin le problème posé par Ie choix qu'elle
comporte. Je reprendrai. cette question dans les chapitres qui dépend d'un système de coopération sans lequel nul ne saurait
suivent immédiatement.l Cependant, on peut observer que, à partir auàir une existence satisfaisante, la répartition des avantages doit
du moment où I'on pense que les principes de Ia justice résultent être telle qu'elle puisse entraîner la coopération volontaire de
d'un accord originel conclu dans une situation d'égalité, la question chaque participant, y compris dos moins favorisés. Les deux prin-
reste posée de savoir si le principe d'utilité r serait alors reconnu. cipes que j'ai mentionnés plus haut constituent, semble-t-il, une
A première vue, il semble tout à fait improbable que des personnes base équitable sur laquelle les mieux lotis ou les plus chanceux
sc considérant elles-mêmes comme égales, ayant le droit d'exprimer dans leur position sociale - conditions qui ne sont ni I'une ni I'autre
leurs revendications les unes vis-à-vis des autres, consentent à un dues, nous I'avons déjà dit, au mérite - pourraient espérer obtenir
principe qui puisse exiger une diminution des perspectives de vie la coopération volontaire des autres participants: ceci dans le cas
de certains, simplement au nom de la plus grande quantité d'avan' oir le bien4tre de tous est conditionné par I'application d'un système
tages dont jouiraient les autres. Puisque chacun désire protéger de coopération 6. C'est à ces principes que nous sommes conduits
ses intérêts, sa capacité à favoriser sa conception du bien, personne dès què nous décidons de rechercher une conception de la justice
n'a de raison de consentir à une perte durable de satisfaction pour qui empêche d'utiliser les hasards des dons naturels et les contin-
lui-même afin d'augmenter la somme totale. En I'absence d'instincts gences sociales comme des atouts dans la poursuite des avantages
altruistes, solides et durables, un être rationnel ne saurait accepter politiques et sociaux. Ces principes expriment ce à quoi on aboutit
dès qu'on laisse de côté les aspects de la vie sociale qu'un point
' L'exposé et la bibliographic de I'utilitarisme se trouvsnt cn n' 9, $ 5 (N'd.n. de vue moral considère comme arbitraires.

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LA JUsrlcE coMME ÉQutrÉ ], L'I pRTNCIpALE ne ln rsÉonrE DE LA JUSTICE

n'en demeure pas moins que le problème


du.choix des principes transmet I'idée que les principes de la justice peuvent être conçus
ll j.
J;;,.il;"nt aim.it.. nt tn'àtt"nds pas à.ce que la réponse .orrr des principes que des personnes rationnelles choisiraient et
tout le monde' Il vaut la peine de peut ainsi expliquer et justifier des conceptions de la justice.
;i:î';;ffi;etii t"iiti"t* contractuelles' la
ou'on
l-a théorie de Ia justice est une partie, peut-être même la plus
remarquer que' comme- Jtoutttt conceptions.
;;;;i;'d; la'justice comme équité est constituée de deux parties :
importante, de la théorie du choix rationnel. N'oublions pas, d'autre
nait, que les principes de la justice ont affaire à des revendications
il;i;iô.édli"n à" ta iiiu"tion initiale et du problème
pose, et un ensemble de principes susceptibles
de choix
d'emporter ionflictuelles, portant sur les avantages acquis grâce à la coopé-
qui s'y
l'adhésion. On peut la première partie de la théorie (ou ration sociale; ils s'appliquent aux relations entre plusieurs per-
;;;";;;;t """.pt"
*rirnt"r) tait atc"pttt I'auire' et inversement' Le ionn.t ou groupes. Le mot " contrat o suggère cette pluralité ainsi
oue les conditions d'une répartition adéquate des avantages, à
;;;;; àïsituation ii'titiâit contràctuelle peut paraître raisonnable
àvoir qu'elle doit se faire en accord avec des principes acceptables
#;Ïii';-t;j;ït i;t-ptincipes particuliers qui sont proposés'
f idée que la conception la plus Dar tous les partenaires. Une autre condition, celle du caractère
iit.";"t.;il, Je soutraite iefen'dre fublic que doivent avoir les principes de la justice, est aussi
a. tôtte situation conduit effectivement à des principes
"'ie"""1"
Ëùîil;r q"ït""iïi;opposé de I'utilitarisme et du fournit
perfcction- lonnotée par la terminologie du contrat, c'est-àdire que, si ces
nisme et que, pa, conséqulnt, la doctrine
du contrat une orincipes sont le résultat d'un accord, les citoyens ont connaissance
;;ili"" o.1."rt'ung" à cli conceptions Cependant' cette-affirma' bes principes suivis par les autres. Il est caractéristique des doc-
.éÀ. ri lbn concède que la méthode du trines du contrat qu'elles insistent sur la nature publique des
îi""-r.rt. aircutaùle orincipes politiques. Enfin, pour justifier cette terminologie, pensons
;;#;;a;;e manit.e utile d'étudier des théories éthiques et à la longue tradition de la doctrine du contrat. Montrer les liens
d'exposer
- leurs PrésuPPosés'
est un exemple de ce que qui nous unissent à cette ligne de pensée aide à définir les idées -
ï ,"hé"il,ili" iuiti". comme équité peut naturellement formuler et s'accorde avec la piété naturelle. Il y a donc différents avantages
i'^I"oJâune théorie du contrat' Oï
à.t iii.iîàlit a i eg..a du terme ' c-ontrat D et d'expressions du à utiliser le terme de contrat; si I'on prend les précautions néces-
même genre, mals Je pense qu'it exprime assez
bien ma pensée' saires, il ne devrait pas nous induire en erreur.
Beaucoup de mots ont àes connotations trompeuses qu.i' d'abord' Une dernière remarque, pour finir. La théorie de la justice
comme équité n'est pas une théorie du contrat complète. En effet,
;û;;;;e't"duire en erreur' Les termes ( utilité ' et * utilitarisme
comportent des sugges-
' il est clair que I'idée de contrat peut être étendue au choix d'un
ne font sûrement pas exception' Eux aussi
tions malencontreuses qul Att critiques hostiles
ont volontiers système éthique plus ou moins exhaustif, c'est-àdire comportant
termes asse,z clairs pour ceux des principes pour toutes les vertus et pas seulement pour lajustice.
"r.,LiiJ"., i ;ill;,
cependant, cè des utit itariste. on pourra it en. dire
sont rine
1; doct Or, pour I'essentiel, je ne considérerai que les principes de la justice
oî,i riirIileii Pour et ceux qui y sont étroitement liés. Je ne ferai aucune tentative
luunt a,i terme de ccntrat " appliqué aux théories morales'
' pour discuter des vertus d'une manière systématique. Il est évident
bi;;'i;;;ptendre, coÀme je iâi deja.dit' il faut garder présent
d'abstraction' En que si la théorie de la justice comme équité s'avère relativement
à l'esprit que ce mot compo'ie un-certain niveal
narticulier. le contenu Je I'uctotO pertinent n'a pas à se réaliser satisfaisante une étape suivante serait d'étudier la conception plus
ffiiï;';";teià'àà""e. à f"itt'adop.ter une forme donnée de
"i Jéfrnit put'l'acceptation de certains
générale que suggère I'expression < la rectitude morale comme équi-
(rightness as fairness). Mais, même cette théorie plus large ne
mais ii-se té>>
".r*rnà*tnt. réussit pas à englober toutes les relations morales, puisqu'elle
ffij#;ï;;;ui.-nn outtt, les engàgements auxquels il se. réfère
unJ cinception contractuelle pose n'inclut, semble-t-il, que nos relations avec d'autes personnes, sans
#;Ïffi;;l rtvp"ir'etiq".t '
il; t'.;i;i; printipes ttiuiint acceptés dâns une situation initiale tenir compte du problème posé par notre comportement à l'égard des
animaux et du reste de la nature. Je ne prétends pas gue la notion
bien définie.
de ce qu'elle de contrat offre une voie d'approche pour ces questions certaine'
Le mérite de la terminologie du contrat vient
ment très importantes et j'aurai à les laisser de côté. Nous devons
IL,exposéetlabibliographieduperfectionnismesetrouvent$50(N.d.Ti). donc reconnaître les limites de la théorie de la justice comme

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LA JUsrrcE coMME ÉQutrÉ 4. LA POSITION ORIGINELLE ET LA JUSTIFICATION

equité et du type général de conception qu'elle représente- Mais 4e ces conditions préalables devrait être, en elle-même, naturelle
on ne peut, parâvancc, décidcr dans quelle mcsure ses conclusions Ir olausible; certaines p€uvent paraître inoffensives et même banales.
devront être révisées, une fois comprises ces autres questions. i.. Uut ae I'approche contractuelle est alors d'établir que, prises
loutes ensemble, elles imposent des limites considérables aux prin-
justice qui pourraient être acceptés. Le résultat idéal
cipes de Ia
que toutes ces conditions déterminent un ensemble unique
""rait
iL principes: mais je serai satisfait si elles permettent de classer
4. La position originelle justice sociale.
et la justification tes brincipales conceptions traditionnelles de la
li ne faut donc pas être induit en erreur par les conditions
ouelque peu inhabituelles qui caractérisent la situation originelle.
J'ai dit que la position originelle représentait le slatu quo initial ll s'agit simplement de bien prendre conscience des restrictions
adéquat qui garantit l'équité des accords fondamentaux qui pour- ou'il semble raisonnable d'imposer aux argumentations en faveur
des principes de la
justice et, en conséquence, à ces principes eux-
raient y êire èonclus. De là I'expression " la justice comme équité '.
ll est donc clair, selon moi, qu'une conception de la justice est rnêmes. Il semble donc raisonnable et généralement acceptable que
plus raisonnable, ou plus susceptible de justification,-qu'une autre nul ne doive être avantagé ou désavantagé par I'intervention du
ii ses principes sont choisis de préférence à ceux de I'autre par hasard de la nature ou des circonstances sociales dans Ie choix de
des peisonnis rationnelles placées dans cette situation initiale. Les ces principes. Il semble aussi largement admis qu'on ne puisse en
conieptions de la justice doivent être classées en fonction de leur aucun cas concevoir ces principes en fonction des circonstances de
capacité à être acceptées par des personnes placées dans les son cas particulier. On devrait, de plus, garantir que ni les incli-
circonstances que je viens de citer. Comprise en ces termes, la nations, ni les aspirations particulières, ni les conceptions que
question de la justification trouvs sa réponse dans la solution d'un chacun se fait de son propre bien ne puissent affecter les principes
problème de délibération: nous avons à établir quels principes.il adoptés. [.e but, ici, est d'exclure les principes qu'il serait seulement
ierait rationnel d'adopter dans la situation contractuelle. Ceci relie rationnel de proposer à I'approbation - si minimes que soient les
la théorie de la justice à la théorie du choix rationnel. chances de succès - à la condition d'avoir certaines informations
Si cette conception du problème de la justice a des chances sans importance du point de vue de la justice. Par exemple, si un
d'être féconde, nous devons, bien sûr, décrire en détail la nature homme savait qu'il était riche, il pourrait trouver rationnel de
de ce probtème de choix. Un problème de décision rationnelle n'a proposer le principe suivant lequel les différents impôts nécessités
de réponse définie que si nous connaissons lcs croyances et les par les mesures sociales doivent être tenus pour injustes; s'il savait
intérêis des partenaires, leurs relations les uns avec les autres, les qu'il était pauvre, il proposerait rès probablement le principe
options entre lesquelles ils ont à choisir, la procédure selon laquelle iontraire. Il faut donc, pour se représenter les restrictions néces-
ils se décident et ainsi de suite. Comme les circonstances se saires, imaginer une situation où tous seraient privés de ce type
présentent de façon différente, des principes différents seront d'informations. ll faut exclure la connaissance de ces contingences
àdoptés. Le concept de la position originelle, comme je I'appelle' qui sème la discorde entre les hommes et les conduit à être soumis
est i'interprétation philosophiquement préférable de cette situation à leurs préjugés. De cette façon, on parvient tout naturellement à
de choix initial en vue d'une théorie de la justice. -I'idée du voile
æ d'ignor4nce. Ce concept ne devrait pas faire de
Mais comment décider de I'interprétation préférable? Je pars' difficultés ai nous gardons présentes à I'esprit les contraintes qu'il
tout d'abord, du fait qu'il existe un large accord pour que lcs est censé exprimer à l'égard de nos argum€ntations. Nous pouvons
principes de la justice soicnt choisis sous certaines conditions' Pour nous mettre dans la position originelle, pour ainsi dire, à n'importe
justifrêr une delcription particulière de cette situation initiale, on quel moment, simplement en suivant une certaine procédure, à

montre qu'elle satisfait à ces conditions préalables généralement sàvoir en présentant des arguments en faveur des principes de la
partagéei. On raisonne à partir de prémisses largement acceptées justice qui soient en accord avec ces restrictions.
mais faibles, pour arriver à des conclusions plus préciscs. Chacune Il semble raisonnable de penser que, dans la position originelle,
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LA JUsrrcE coMME ÉeumÉ 4. LA PoSITION ORTGINELLE ET LA JUSTIFICATION
points de vue. Nous
les partenaircs sont égaux. Cela veut dire qu'ils ont tous les mêmes -:..,rtiolt, nous tenons compte de ces deux
droits dans la procédure du choix des principes; chacun peut fairg lïi,ï.nconr par la décrire dc manière à ce qu'clle corresponde à
des propositions, soumettre des arguments en leur faveur et ainsi lI. lonaitions préalables généralement partagées et, de préférencc,
de suite. Le but de ces conditions est, bien sûr, de représenter ïiîi"s. Ensuite, nous examinons si ces conditions sont assez fortes
l'égalité entre des êtres humains en tant que personnes morales, 1L,i' conduire à un ensemblo non trivial de principes' Sinon, nous
en tant que créatures ayant une conception de leur bien et capablss Iiiinuonr à chercher des prémisses qui soient tout aussi raison-
d'un sens de la justice. La base de l'égalité est constituée par la ÏÏ'ii.i, trt"ir si cela réussit et que les principes correspondants
ressemblance entre les hommes de ce double point de vue. Les l.li""ordent avec nos convictions bien réfléchies sur la justice, nous
systèmes de fins ne sont pas classés selon leur valeur; et chaque ïuuonr être satisfaits. Il est toutefois probable qu'il y aura des
homme a, pcnse-t-on, la capacité requise pour comprcndrc les Ii"*tqrn.rt. Dans ce cas, nous avons le choix : ou bien nous
principes adoptés, quels qu'ils soient, et agir selon eux. Ces condi- iroaifiont I'analyse de la situation initiale, ou bien nous révisons
tions ainsi que le voile d'ignorance définissent les principes de la Ï^" oropr.s jugements, car même les jugements que nous consi'
justice comme étant ccux auxquels consentiraicnt des personnes ÏZioit. itouitoirement comme des points fixes sont susceptibles de
rationnelles en position d'égalité et soucieuses de promouvoir leun l;.ui.ion. Par un processus d'ajustement, en changeant parfois les
intérêts, ignorantes des avantages ou des désavantages dus à des conditions des circonstances du contrat, dans d'autres cas en
contingences naturelles ou sociales. i"tirant des jugements et en les adaptant aux principes, je présume
On peut, cependant, justifier d'une autre façon unc description norr finirons par trouver une description de la situation initiale
particulière de la position originelle. C'est en voyant si les principes "u.
Jui. tout à Ia fois, exprime des conditions préalables raisonnables
qu'on choisirait s'accordent avoc nos convictions bien pesées sur Jt conduise à des principes en accord avec nos jugements bien
ce qu'est la justice ou s'ils les prolongent d'une manière acceptable. oesés, dûment élagués et remaniés. Je qualifie cet état final d'équi-
7.
Nous pouvons nous demander si I'application de ces principes nous iibre réfléchi On peut parler d'équilibre parce que nos principes
conduirait à émettre les mêmes jugements que ceux que nous et nos jugements finissent par coïncider et il est le résultat de la
faisons maintenant intuitivement sur la structure de base de la réflexion puisque nous savons à quels principes nos jugements se
société, jugements dans lesquels nous avons Ia plus grande confiance; conforment et que nous connaissons les prémisses de leur dérivation.
ou si, dans des cas où nos jugements actuels sont incertains ou Pour le moment, donc, tout est en ordre. Mais cet équilibre n'est
hésitants, ces principes proposeraient une solution à laquelle nous Das nécessairement stable. Il est susceptible d'être troublé par la
pourrions nous rallier après réflexion. Il y a des questions auxquelles boursuite de I'examen des conditions qui devraient être imposées
nous sommes certains qu'il faut répondre de telle et telle façon. à la situation contractuelle, ainsi que par des cas particuliers qui
Par exemple, nous sommçs certains que I'intolérance religieuse et peuvent nous conduire à réviser nos jugements. Cependant, pour
la discrimination raciale sont injustes. Nous pensons avoir examiné ie moment, nous avons fait notre possible pour rcndre cohérentes
avec soin ces problèmes et avoir atteint un jugement, selon nous, et justifiées nos convictions quant à la justice sociale. Nous avons
impartial qu'un excès d'attention pour nos propres intérêts ne atteint une conception de la position originelle.
risque guère de déformcr. Ces convictions sont, pour nous, des Bien entendu, je ne développerai pas toutes les phases de ce
points fixes provisoires que doit respecter n'importe quelle concep processus. Cependant, nous pouvons considérer I'interprétation de
tion de la justice. Mais nous avons bien moins d'assurance quand la position originelle présentée dans ce livre comme étant le résultat
il s'agit de voir comment répartir correctement la richesse et d'un tel enchaînement hypothétique de réffexions. Elle représente
I'autorité. Il nous faut alors chercher un moyen de dissiper nos la tentative pour faire entrer dans un seul système de pensée à la
doutes. Nous pouvons donc tester la valeur d'une interprétation de fois les conditions philosophiques raisonnables qui pèsent sur les
la situation initiale par la capacité des principes qui la caractérisent principes et nos jugements bien pesés sur la justice. Lorsqu'on
à s'accorder avec nos convictions bien pesées el à nous fournir un parvient à I'intcrprétation préférable de la situation initiale, on n'a
fil conducteur, là où il est nécessaire. fait nulle part appel à l'évidence, au sens traditionnel, de concep
Dans notre recherche de la description préférable de cette tions générales ou de convictions particulières. Je ne prétends pas,

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satisfaction des systèmes de désirs des nombreux individus qui en

5. L'utiritarisme crassiqu. lillL"ffi


désirs,
tJsru:
i""l'Ëiff;
le principe pour la
i;illJ:iiiï;.,ï:""iif,i,iï:
société est d'augmenter autant quc
Il y a de multiples formes d'utilitarisme et le développement de pssible le bicn€tre du groupe, de réaliser au plus haut- degté le
système complet dl désir auquel on P-?lvicnt à partir dcs désirs
cette théorie s'esï poursuivi pendant ces dernières années. Je ne
;;;.;i ;;, * ."uu" ici touies ces formes et je ne tiendrai pas dc ses membres. De même qu'un individu met en balance ses

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6. QUELQUES OPPOSTTTONS CONNEXES
LA JUSTICE coMME ÉQulrÉ
De cette façon, il vériûe I'intensité de ces désirs et il leur attribuc
préférera la plus égale si elles produisent la même satisfaction
la valeur qui convient dans le système unique de désirs; c'est au
iotale'2. Il eit vrai-que certains préceptes de justice venant du
législateur idéal, ensuite, d'essayer d'en maximiser la satisfaction
sens commun semblent contredire cette affirmation, particulière-
cn ajustant les règles du système social. Dans cette conception de
ment coux qui concernent la protection des libertés et des droits la société, on représente les individus comm€ autant dc producteurs
ou qui expriment les revendications liées au mérite. Mais, d'un de satisfaction séparés auxquels il faut distribuer des droits et des
poini de vue utilitariste, ces préceptes, ainsi que leur caractère devoirs et allouer des moyens limités de satisfaction, selon des
àpparemment contraignant, s'expliquent, car ce sont ces préceptes règles permettant la plus grande satisfaction totale des désirs. La
mêmes qui, I'expérience le montre, doivent être strictement res- nature de la décision prise par le législateur ideal n'cst donc pas
pectés ei dont on ne doit s'écarter que dans des circonstances
6atériellement différente de celle d'un entrepreneur décidant
èxceptionnelles si I'on doit maximiser la somme des avantages '3' comment maximiser son profit en produisant telle ou telle mar-
Ainsi, comme tous les autres préceptes, ceux de justice sont dérivés chandise, ou de celle d'un consommateur décidant comment maxi-
du but unique qui est d'atteindre le plus grand total de satisfactions. miser sa satisfaction par I'achat de telle ou telle série de biens.
C'est pourquoi-il n'y a pas de raison de principe pour laquelle les Dans chaque cas, il y a une seule personne dont le système de
gains âe certains ne compenseraient pas les pertes des autres ou,
désirs détermine la meilleure répartition de moyens limités. La
ét ceci est plus important, pour laquelle la violation de la liberté décision correcte est essentiellement une question de gestion effi-
d'un pctit nbmbre ne pourràit pas être justifiée par un plus grand cace. Cette conception de la coopération sociale est le résultat dc
bonhéur pour un grand nombre. Il se trouve sirnplement que, dans I'cxtension à la société du principe de choix valable pour un individu
la plupait des conditions, du moins à un stade assez avancé de et, ensuite, pour rendre efficace cette extension, on traite toutes
civilisàtion, ce n'est pas de cette façon que I'on atteint la plus les personnes comme unc seule, grâce à I'activité imaginaire du
grande somme d'avantages. Il n'y a aucun doute que la .rigueur spectateur impartial et capable de sympathie. La pluralité dcs
àes préceptcs de justice du sens commun a'une certaine utilité car personnes n'est donc pas vraiment prise au sérieux par I'utilitarisme.
elle limité la propension des hommes à I'injustice et à des actions
nuisibles à la société, mais I'utilitariste n'en pense pas moins que
faire de cette rigueur un des premiers principes de la morale est
une erreur. Car, de même qu'il est rationnel pour un homme de 6. Quelques oppositions connexes
maximiser la satisfaction de son système de désirs, de même il est
juste pour une société de maximiser le solde total de satisfactions
parmi tous ses membres.
' La façon la plus naturelle, donc, d'arriver à I'utilitarisme (quoique
De nombreux philosophes ont pensé - et ceci paraît être aussi
le point de vue soutenu par les convictions du sens commun - qu'il
ce ne soit par la seule façon, bien entendu), c'est d'adopter pour y a pour nous une distinction fondamentale entre, d'une part, les
la société dàns son ensemble le principe du choix rationnel valable revendications faites au nom de la liberté et de ce qui est juste et,
pour un individu. Une fois cela reconnu, on comprend aisément la d'autre part, le fait de souhaiter une augmentation du bien4tre
irlace du spectateur impartial et I'accent mis sur Ia sympathie
dans
total de la société, prise comme un agrégat; et c'est au premier
i'histoire de la pensée utilitariste. Car c'est bien en concevant le terme de cette distinction que nous donnons, semble-t-il, une
spectateur impartial et en utilisant I'identifrcation par la- sympathie certaine priorité, à défaut d'une valeur absolue. Nous pensons que
pour guider notre imagination que le principe valable pour un chaque membre de la société possède une inviolabilité fondée sur
individu est appliqué à la société. La fiction du spectateur sert à la justice ou, comme le disent certains, sur le droit naturcl, qui a
représenter l'ôrganisation requise des désirs de tous en un seul priorité sur tout, même sur le bienétre de tous les autres. La
système cohérent et à traiter de nombreuses personnes comme une justice nie que la perte de liberté de certains puisse être justifiee
sêule. Doué de pouvoirs idéaux de sympathie et d'imagination, le par un plus grand bien que les autres se partageraient. Le raison-
spectateur impaitial est I'individu parfaitement.rationnel qui s'iden' nement qui fait le total des gains et des p€rtes de personncs
tifie aux désiis des autres et les vit comme s'ils étaient lcs siens.
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6. QUEVQUES OPPOSITIONS CONNEXES
LA JUsrIcE coMME ÉQulrÉ
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différentes comme si elles étaient une seule personne est donc lcs partenaires, dans\la position originelle, ne choisiraient pas le
principc d'utilité pour dçfinir les termes de la coopération sociale.
.i.fu i"i. C'est pourquoi' dans une société juste, les libertés de
Éur.lonl considérées ôomme irréversibles et les droits
garantis par il y a là une question difficile que j'examinerai plus tard. Il est
h j;rtt;; n. tont pas sujets à des marchandages politiques ni aux parfaitemcnt possible, étant donné tout ce que I'on sait jusqu'ici,
que soit adoptée une forme du principe d'utilité et que, finalement,
--1. d'intérêts sociaux.
calculs
la théorie du contrat conduise à unc justification plus profonde et
if,Zoti. de la justice comme équité tente de rendre comptela
priorité de olus complète de I'utilitarisme. En fait, une dérivation de cette
de ces convictions àu sens commun, concernant la
i;,;;;. Lï'tontrunt qu'elles sont la conséquence de principes qui iorte est parfois suggérée par Bentham et Edgeworth, bien qu'ils
';;;i;,;i,;l;it à."i tâ position originelle' Ces jugements.reflètent nc la développent jamais de façon systématique, mais rien de ce
Bien
i;; ;;;l;;;;;;t tutionn.ittt et l'égalité i nitiale des partenai rer genre ne $e trouve, à ma connaissance, chez Sidgwickra. Pour le
-moment, j'affirmerai
oue I'utilitariste reconnaisse qu'à strictement parler ll y a connlt simplement que les personnei placées dans la
li". ,. â*riin, ., .r, sentiments de justice, il maintient que les position originelle rejetteraient le principe d'utilité et adopteraient
â la place, pour les raisons esquissées plus haut, les deux principes
;;;;;;;à; iustice du sens commun ei les notions de droit naturel dc la justice que j'ai déjà mentionnés. En tout cas, du point de
;;;;;ïL;;iatidité suboroonnée en tant que..règles secondaires;
ùr'.eËù, i""t dues au fait que, dans.les conditions d'une société vue de la théorie du contrat, on ne peut pas arriver à un principe
.iriri.8.,1 .ti très utile sociâlement de suivre ces principes' pour du choix social par la seule extension du principe de prudence
f.ti.nti.f, et de n'en permettre des violations que dans des cir- rationnelle au système de désirs élaboré par le spectateur impartial.
;;;;i;; .*..ptionn.ttes. on reconnaît même au zèle excessif Quand on procède ainsi, on ne prend pas au sérieux la pluralité
avec lequel noui auons tendance à affirmer ces principes.et à faire et le caractère distinct des individus, pas plus qu'on ne reconnaît
aooel à ces droits une certaine fonction, car il contrebalance une comme base de la justice ce à quoi les hommes donneraient leur
,.i,iO-"".. ï.iurelle de I'homme à les violer d'une façon que le consentement. Ici nous pouvons noter une anomalie curieuse. Il
oiln"io. d'utilité justifie pas' Une fois compris cela' I'apparente
ne cst habituel de considérer I'utilitarisme comme un individualisme
iirpttiie ."it" I. ptin"ip. uiilitariste et la force de ces convictions et il y a certainement de bonnes raisons pour le faire. Les utili-
C'est mristes étaient de solides défenseurs de la liberté politique et de
.n ?uu.ut de la juitice n'est plus une difficulté philosophique
il;q;;i, i-àii qu. la doctrlne du contrat accepte comme fondées'
'l'ensemble, nos convictions en faveur de la priorité de la
la liberté de pensée, et ils affirmaient que le bien de la société est
àans constitué par les avantages dont jouissent les individus. Cependant,
L*iL", f urifitarisrne, au contraire' cherche à en rendre compte I'utilitarisme n'est pas un individualisme, du moins pas quand on
'com;; si elles étaient une illusion socialement utile' I'envisage à partir de I'enchaînement de pensée le plus naturel;
-'U..
t..""Oe opposition est constituée par le fait que' tandis que car, alors, traitant tous les systèmes de désirs comme un seul, il
t'rtliiiuritt. étenà'à la société le principe de choix valable pour applique à la société le principe de choix qui est valable pour un
un inAi"iAu, la théorie de la jusiice comme.équitg' étant.une individu. Et ainsi nous voyons que la seconde opposition est bien
doctrine du contrat, pose que les principes du choix
social et' reliée à la première, puisque c'est ce traitement et les principes
Dartant. les principes de la justice'sont èux-mêmes I'objet d'un en découlant qui soumettent les droits individuels garantis par la
justice aux calculs des intérêts sociaux.
;;;;J;;'gi.;i.lr i-''y a pas dé raison de supposer que les principes
à-gouvernei une association humaine soient simplement La dernière opposition que je mentionnerai à présent, c'est que
destinés
un. .*ttntion du principe du choix individuel' Au contraire' I'utilitarisme est une théorie téléologique, ce qui n'est pas le cas
si

nou, ooront oue le principe qui doit gouverner un objet quelconque pur la théorie de la justice comme équité. Par définition, cette
des individus'
il;#J;;'lt";;;;; J. Ë.t àuj.t et-que la pluralité essentiel des
dernière est une théorie déontologique, c'est-àdire une théorie qui
soit ne définit pas le bien indépendamment du juste, soit n'interprète
;;;;;;;;i!À.t o. fins séparés, ést
pas
un caractère
nous attendre à ce que pas le juste comme une maximisation du bien. (ll faudrait noter
s|ciétés humaines, nous ne dèvrions
de I'utilitarisme' que les théories déontologiques sont définies comme étant des
i;t-;;i".it.t
--B'ien du choix social soient ceux
jusqu'ici ne prouve que théories non téléologiques, et non pas comme des doctrines qui
.nt.ndu, rien dans ce qui a été dit
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LA JUSTIcE coMME ÉQulrÉ 6. QUELQUES OPPOSITIONS CONNEXES

caractériseraient ce qui est juste dans les institutions et les acteg


indépcndamment de leurs conséquences. Toute doctrine,éthiqus
dignè de considération tient compte des conséquences dans sotl
évâluation de ce qui est juste. Cclle qui ne le ferait pas serait toul
simplement absurde, irrationnelle.) La theorie 'le la justice co.Tme
équité est une théorie déontologique au second sens. Car, si I'on
pose que les personnes placées dans la position originelle choisi.
iaicnt-un principe de liberté égale pour tous et limiteraient les
inégalités iocialés et économiques à celles qui sont dans I'intérêt
de ihacun, il n'y a aucune raison de penser que des institutions
justes maximiseiaient le bien (ici je suppose, âvec. l'utilitarisme,
que le bien est défini comme la satisfaction du désir rationnel).
Éien sûr, il n'est pas impossible que le plus grand bien soit ainsi
produit, mais ce serait une coïncidence. Comment parvenir au plus
grand solde net de satisfaction est une question qui ne se.présente
jlmais dans la théorie de la justice comme équité; ce principe de
maximisation n'y est pas du tout utilisé.
Il y a encore un point à noter dans ce contexte' Dans I'utilita'
risme, la satisfaction d'un désir, quel qu'il soit, a de la valeur en
etle-même et il faut la prendre en considération quand on décide
de ce qui est juste. Lorsqu'on calcule le plus grand solde net de
satisfaction, I'objet des désirs n'entre pas en ligne de compte, si lcs individus doivent développer leurs objectifs et il fournit un
ce n'est indirectement ''. Nous devons organiser nos institutions cadre constitué de droits et de possibilités ainsi que de moyens de
afin d'obtenir la plus grande somme de satisfactions, nous ne posons satisfaction, à I'intérieur duquel et grâce auquel ces fins peuvent
pas de questions sur leur source ou leur qualité, mais nous nous être équitablement poursuivies. On rend compte de la priorité de
àemandôns seulement comment la satisfaction des désirs affecterait la iustice, en partie, en affirmant que les intérêts qui exigeront la
la quantité totale de bien-être. Le bien'être social dépend direc' violation de la justice n'ont aucune valeur. N'ayant aucun mérite
tement et uniquement des niveaux de satisfaction ou d'insatisfac- dès le départ, ils ne peuvent avoir priorité sur les exigences de la
tion des individus. C'est pourquoi, si des hommes prennent un iusticer6.
certain plaisir à établir des discriminations entre eux, à imposer Cette priorité du juste sur le bien dans la théorie de la justice
aux auties une diminution de liberté afin d'accroître le sentiment comme équité s'avère en être un trait central. Elle impose que la
de leur propre valeur, il faut alors, dans nos réflexions, accorder à forme de Ia structure de base dans son ensemble obéisse à certains
la satisfaction de ces désirs un poids qui soit en rapport avec leur critères; son organisation ne doit pas engendrer des tendances et
intensité, ou selon d'autres critères, et faire de même pour les des attitudes contraires aux deux principes de la justice (c'est-à-
autres désirs exprimés. Si la société décide de refuser de les dire à certains principes auxquels dès le début on attribue un
satisfaire ou de les réprimer, c'est parce qu'ils tendent à être contenu défini), et elle doit garantir la stabilité des institutions
socialement destructeurs et qu'un plus grand bienétre peut être justes. C'est pourquoi on impose certaines limites initiales à la
obtenu par d'autres moyens. définition de ce qui est bien et des formes de caractère moralement
Au côntraire, dans la théorie de la justice comme équité' les valables, et donc au genre de personnes que les hommes devraient
personne$ acceptent par avance un principe de liberté égale pour êtrc, Or, toute théorie de la justice établira des limites de ce genre,
ious et elles le font dans I'ignorance de leurs fins plus particulières' à savoir celles qui sont nécessaires à I'application de ses principes
Elles acceptent implicitement, pour cela, de conformer I'idée qu'elles premiers, étant donné les circonstances. L'utilitarismc, aussi, exclut

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LA JUsrtcE coMME ÉeurrÉ INTUITIONNISME
des désirs et des tendances qui, s'ils étaient encouragés ou permis
entraîneraient, étant donné la situation, une baisse dans la somrnc
)^ o^îanlir que les scules dérogations permises à l'état de nature
11"ï"ettes qui respectent ces droits et qui servent I'intérêt commun.
totale de satisfaction. Mais cette restriction est largemcnt formellc
ÏÏ'Ï.i ctuir que toutes les transformations à partir de l'état de
et, en I'absence d'informations assoz détaillécs sur les circonstances.
elle ne donne guère d'indications sur ce que sont ces désirs et cqs i.'^*r qur Lockc approrlve satisfont à cette condition et sont telles
tendances. Ceci ne constitue pas, en soi, une objection à I'utilita.
Ïi.-ari hommes rationnels soucieux de promouvoir leurs fins y
risme. C'est simplenrent un aspect de la doctrine utilitariste qug ^qli."ntiraient, placés dans un état d'égalité. Nulle part, Hume ne
de s'appuyer, dans une large mesure, sur les faits naturels ainsi li""utr tu justesse de ces conditions. Sa critique de la doctrine du
Iànirct O" Locke. ne nie jamais sa thèse fondamentale; elle ne
que sur les contingences de la vie humaine pour déterminer les
formes de caractère moral qu'il faut encourager dans une sociét6 lltaît même Pas la reconnaître.
juste. L'idéal moral de la justice comme équité est inclus plus '-l,e mérite de la doctrine classique telle qu'elle a été formulec
profondément dans les principes premiers de la théorie éthique, -oi Bentham, Edgeworth et Sidgwick est qu'elle reconnaît claire-
C'est ce qui caractérise les doctrines des droits naturels (la tradition
T)1t ce qui est en jeu, à savoir la priorité relative des principes
du contrat) par comparaison avec la théorie de I'utilité. Ï. ta justice et des droits établis par ces principes. La question
En mettant en lumière ces oppositions entre la théorie de lq l"r de savoir si le fait d'imposer des désavantages à un petit nombre
justice comme équité et I'utilitarisme, je ne me suis référé qu'à la ieut être compensé par une plus grande somme d'avantages dont
doctrine classique. C'est celle de Bentham et de Sidgwick ct des Iouiraient Ies autres; ou si la justice nécessite une égale liberté
'norr tout et n'autorise que les inégalités socioéconomiques qui
économistes utilitaristes Edgeworth et Pigou. La forme d'utilita.
risme qu'adopte Hume ne servirait pas mon propos; d'ailleurs, elle lont dans I'intérêt de chacun. Ces oppositions entre la theorie de
n'est pas à proprement parler de I'utilitarisme. Par exemple, dans la justice comme équité et I'utilitarisme classique renvoient impli-
ses arSumentations bien connues contre Ia théorie du contrat de
citêment à une différence dans les conceptions de la société qui
Locke, Hume maintient que les principes de fidélité et d'allégeance leur sont sous-jacentes. Dans le premier cas, nous nous représentons
une société bien ordonnéc comme étant un système de coopération
ont tous deux le même fondcment dans I'utilité et que, par consé.
oui vise à I'avantage mutuel, gouverné par des principes qui seraient
quent, on ne gagne rien en fondant I'obligation politique sur un
contrat originel. La doctrine de Locke représente, pour Hume, une
.hoirir pu. des personnes placees dans une situation initiale d'équité.
Dans le second cas, nous nous la représentons comme étant I'ad-
complication inutile : on pourrait aussi bien faire appel directement
ministration efficace des ressources sociales qui vise à maximiser
à I'utilité17. Mais tout ce que Hume semble vouloir désigner par
le terme utilité, ce sont les nécessités et les intérêts généraux d'une
la satisfaction du système de désirs construit par le spectateur
impartial à partir de la multiplicité des systèmes individuels pris
société. Les principes de fidélité et d'allégeance dérivent de I'utilité
comme des données de base. La comparaison avec I'utilitarisme
au sens où le maintien de I'ordre social est impossible sans lc
classique dans sa dérivation la plus naturelle met en évidence cette
respect général de ces principes. Mais, ensuite, Hume affirme que
opposition.
tout homme a des chances d'y trouver du profit, si I'on en juge à
long terme, quand la loi et le gouvernement se conforment aux
préceptes fondés sur I'utilité: Aucune mention n'est faite de la
possibilité que les gains de certains compcnsent les désavantages
des autres. Pour Hume, en somme, I'utilité semble identique à
7. L'intuitionnisme
quelque forme du bien commun; les institutions satisfont à ses
exigences quand elles fonctionnent dans I'intérêt de chacun, du J'envisagerai I'intuitionnisme d'une manière plus générale que
moins à long terme. Or, si cette interprétation de Hume cst correcte,
d'ordinaire, comme la doctrine selon laquelle'il y a une famille
il n'y a, à première vue, aucun conffit avec la priorité dc la justice irréductible de principes premiers que nous devons mettre en
ni aucune incompatibilité avec la doctrine du contrat de Locke. balance les uns par rapport aux autres en nous demandant, par un
En effet, le rôle de l'égalité des droits, chez Lockc, est précisémcnt jugement mûrement réfféchi, quel équilibre est le plus juste. Une
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7. L'INTUITIONNISME
LA JUsrrcE coMME ÉeulrÉ
encore celle des peines et ainsi de suite.
fois atteint un certain nivcau de généralité, I'intuitionnistc mainticnq -rr. des impôts, un autre
qu'il n'existe pas de critère constructif d'un plus haut nivcau po111 ',Îii,â,uru"ni, à la notion de salaire équitable' par exemple, nous
|iiànit en balance d'une façon ou d'une autre des critères
déterminer de façon adéquate I'importance relativc des principçg "
de la justice concurrents. Comme la complcxité des faits moraul
^"tt
""-)J-amerents et concurrent$, comme les revendications de qua-
nécessite un grand nombre de principcs distincts, il n'y a pas dç ?,'iii,;Ât. de f.ormation, d'effort, de responsabilité et les risques du
tt'-lii", et nous devons aussi tenir compte des besoins. Il est
critère unique pour en rendre compte ou leur attribuer I'importançs
*lilliirr q"r personne ne prendrait la déàision-à partir d'un seul
qu'ils méritent. Les théories intuitionnistcs ont alors deux carae^
l'""ies préceptes et qu'un compromis entre eux devrait être trouvé.
téristiques; tout d'abord, elles consistent en une pluralité dc prin.
cipes premiers qui peuvent entrer en conffit et donncr dcs directivçs i-^-aeùrmination des salaires par les institutions existantes repré-
contraires dans certains types de cas; ensuite, cllcs ne comprcnnent l-te. elte aussi, une certaine façon d'estimer le poids relatif de
aucune méthode explicite, aucune règle de priorité pour mettre er1 l-".-.eurndications. Mais elle est normalement influencée par les
balance ces principes les uns par rapport aux autres: nous dcvons ll-ander de différents intérêts sociaux et donc par des positions
simplement découvrir un équilibre par intuition, d'après ce qui lJutiu.r de pouvoir et d'influence. Elle peut donc ne pas être
nous semble le plus proche du juste, Ou bien, s'il y a des règles
à la conception que tout un chacun pourrait se faire
"^nforme
de priorité, elles sont présentécs comme plus ou moins insignifrantes iiun salaire équitable. Ceci risque particulièrement d'être vrai
et comme n'étant pas d'une aide sérieuse pour parvenir à un i,,isoue des personnes ayant différents intérêts auront tendance à
jugementts. l"nsisfer sur les critères qui favorisent leurs propres buts. Ceux qui
Il est fréquent d'associer d'autres thèses à I'intuitionnisme, de ont plus de capacités et d'instruction sont enclins à insister sur les
dire, par exemple, que les concepts du juste et du bien sont àroiis que donnent la compétence et la formation, tandis que ceux
inanalysables, que les principes moraux, quand ils sont adéquate- oui en sont dépourvus insistent sur les droits liés aux besoins. Et
non seulement nos idées quotidiennes sur la
justice sont influencées
ment formulés, n'expriment que des propositions évidentes sur les
revendications morales légitimes, etc. Mais je laisserai tout ceci de Dar notre propre situation, mais encore elles sont fortement teintées
côté. Ces doctrines épistémologiques ne sont pas unc partie néces- bar l'habitude et les attentes ordinaires. Et par quels critères allons-
saire de I'intuitionnisme tel que je le comprends. Peutétre serait- nous juger Ia justicc de la coutume elle-même et la légitimité de'
il préférable que nous parlions de I'intuitionnisme en ce serrs élargi ces attentes? Pour atteindre un certain degré de compréhension et
comme d'un pluralisme. Cependant, une conception de la justice d'accord qui dépasse une résolution purement de facto de ces
peut être pluraliste sans qu'il soit nécessaire d'évaluer I'importance conflits d'intérêts, et une confiance dans les conventions existantes
de ses principes par I'intuition. Cette conception peut comporter et les attentes reconnues, il est nécessaire d'aller vers un système
plus général qui puisse déterminer un équilibre entre les préceptes
les règles nécessaires de priorité. Afin de souligner cct appel direct
à notre jugement bien réfléchi pour mettre en balance les différents ou, du moins, le cerner dans deslimites étroites.
principes, il semble approprié de se représenter I'intuitionnisme C'est pourquoi nous pouvons considérer les problèmes de la
justice en nous référant à certains buts de politique sociale. Cepen-
sous cet aspect plus général. La question de savoir dans quelle
mesure une telle conception est liée à certaines théories épisté' dant cette approche aussi risque de s'appuyer sur I'intuition puis-
mologiques est un problème distinct,
qu'elle prend normalement la forme d'une mise en balancc de
différents objectifs économiques et sociaux. Par exemple, supposons
De ce point de vue, il y a donc de nombreuses formes d'intui-
que soient acceptés comme buts sociaux I'efficacité des allocations,
tionnisme. Non seulement nos idées quotidiennes sont de ce type,
le plein emploi, un revenu national plus élevé et sa répartition plus
mais peut-être aussi la plupart des doctrines philosophiques. Le
égale. Alors, selon I'importance relative désirée de ces buts et les
niveau de généralité de leurs principes est un moyen de distinguer
institutions existantes, les préceptes d'équité des salaires, de justice
entre les différentes versions de I'intuitionnisme. L'intuitionnisme
des impôts, etc., recevront I'importance qui leur est due. Afin
du sens commun prend la forme de groupes de précaptes assez
spécifrques, chaque groupe s'appliquant à un problème particulier
d'arriver à plus d'efficacité et d'équité, c'n pourra suivre une
politique qui aura pour effet d'insister sur la compétence et I'effort,
d-e;ustice. L'un concerne Ia question de l'équité des salaires, I'autle

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LA JUSTICE COMME ÉQUITÉ 7. L'INTUITIONNISME

dans la détermination des salaires, en laissant à d'autrcs formcs relatifs diftrcnts. Par exemple, s'il y a une somme élevée de
d'action le soin de satisfaire au précepte du besoin, peutétre, par mais qu'elle est inégalement répartie, nous penserons
"atisfaction, qu'il est plus urgent d'augmenter l'égalité que dans
exemple, par des transferts de prestations sociales. Une conception nrobablement
intuitionniste des buts sociaux-fournit une base pour décidcr si la L cas où cette grande somme (totale) de bien-être serait déjà
détermination dc salaires fuuitablcs est sensée, étant donné lcs ôNngée de manière relativement égale. Ceci peut être exprimé
imoôts qui seront nécessairei. Nous évaluons les préceptes d'un le manière plus formelle en utilisant I'outil des courbes d'indiffé-
."it"in groupe en fonction de notre façon de les évaluer dans un Lnc. a.t économistes'n. Posons qu'il est possible de déterminer
autre. A'insi,'nou$ avons réussi à introduirc une certaine cohércnce dans quelle mesure certaines organisations de la structure de base
dans nos jugements sur la justice, nous avons dépassé le nivcau du satisfont ces principes; représentons la satisfaction totale sur I'axe
compromis?troitement de facto entre des intérêts pour arrivcr à des X positifs et I'égalité sur I'axe des Y positifs. (Cette dernière
un point dc vue plus large. Bien entendu, nous dépendons.encore oeut être supposée avoir une borne supérieure, l'égalité pariaite.)
de i'intuition poui mettre en balance lcs différentes fins po.litiques La mesure dans laquelle une organisation de la structure de base
d'ordre plus ilevé. Les différences dans I'estimation de telles fins satisfait ces principes peut maintenant être représentée par un
sont loin d'êtrc des variations insigniliantes, elles correspondent, point dans le Plan.
au contraire, souvent à des oppositions politiques profondes'
Lcs principcs des conceptions philosophiques sont dc nature très
généraie. Non sculemcnt ils ont pour tâ-clle de rendre compte dcs
hns de la politique sociale, mais encore I'importance donnée à ces
'dtut"it détcrminer, de manière correspondante, l'équi-
principes
libre entre ces frns. Pour illustrer notre propos' prenons comme
base de discussion une conception assez simple, mais bien connue' \
basée sur la dichotomie entre masse et répartition (aggregative-
.o 'q
distributive dichotomy). Elle comporte deux principes : la structure
de base de la société a pour but tout d'abord de produire le plus 6

sênt du plus grand solde net de satisfaction,
OD
srand bien possible, {!
l {J.1

It ensuite de répartir"ude manière égale les satisfactions' Les deux


D

principes ne valênt, bien sûr, que toutes choses égales par ailleurs'
Le prËmier principe, le principe d'utilité, fonctionne, dans ce cas,
Bien-être tota Bien-étre tot
un ôritère d'effièacité, nous pressant de produire la plus
"orr"
grande quantité possible, toutcs chosès égales par ailleurs ; tandis
FIGURE I FICURE 2
justice,
[ue le ùcond piincipe fonctionne comme un critère de
limitant ta pouisuite du bien-être total et rendant égale la rêpzr-
tition des avantages.
Cette conception est intuitionniste car elle ne fournit aucune
règle de prioriié pour déterminer comment mettre en balance ces
àJux priricipes I'un par rapport à I'autre. On peut leur accorder ll est clair qu'un point, situé au N-E par rapport à un autre,
à., uit"urr'r"latives qui varient grandement tout en restant cohé- corrcspond à une meilleure organisation: il est supérieur des deux
rentes avec le respeôt de ces principes. Sans doute, certaines points de vue. Par exemple, le point B est meilleur que le point A
irypotttet.t sont-ellei plus naturelies que d'autres sur la façon dont dans la figure l. Des courbes d'indifférence sont formées en reliant
des points jugés également justes. Ainsi la courbe I dans la figure 1
ii'plup".t des gens, en réalité, les mettraient en balance' Selon onla
représente tous les points jugés égaux au point A qui se trouve sur
combinaison dù total de satisfaction et du degré d'égalité dont
pàit, il est probable que nous accorderons à ces principes des poids cette courbe; la courbe II représente tous les points jugés égaux à

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7. L'INTUITIONNISME
LA JUsrIcE coMME ÉQunÉ

B et ainsi dc suite' Nous pouvons supposer que ccs -courqes sûr, on pourra prétendre que, dans la pondération, nous sommes
descendent vcrs la droite et qu'elles ne se coupent pas, sinon leg ouidés, sanScn être conscients, par certains critères supplémentaires
jugements qu'ellcs représentcnt seraient incohérents' La pente de iàctrés ou bien par la meilleure façon de réaliser une certaine fin.
en n'importe quel point exprime les poids.relatifs de peut-êre les poids que nous attribuons sont-ils ceux auxquels nous
irIo"ru"
l;égalité et de la iatisfaciion totale pour la combinaison que- lc ..rions parvenus en appliquant ces mêmes critères ou en poursui-
pàïni i"ptet"nte; le changemcnt dc.pent'ed'une courbe d'indiffê vant cette même fin. Il faut alors admettre que toute mise en
rence montre comment l'ùrgence relâtive des principes se modiûe hâlance de principes est sujette à une telle interprétation. Mais
reion qu'ifs sont plus ou moins satisfaits' Ainsi, nous déplaçant le i'intuitionniste prétend qu'en fait il ne peut y avoir une telle
long dès deux côurbcs d'indifférence de la figure l, nous voyons ;nterprétation. Il affirme qu'il n'existe aucune conception éthique
qïLl t'-ait que l'égalité dg"Ittr un accroissemcnt de plus en plus exprimable qui sous-tende ces pondérations. Une figure géomé-
grand de la sommJdes satisfactions est nécessaire pour compenser tribue ou une fonction mathématique peuvent les décrire, mais
ine diminution supplémentaire de l'égalité' il ;'y a aucun critère moral sur lequel fonder leur caractère
De plus, des ponôérations très différentes sont compatibles avec raisonnable. Pour I'intuitionnisme, nous en venons nécessairement,
ces principes. Posons que la figure 2 représente les
jugemcnts de dans nos jugements sur la justice sociale, à une pluralité de
àiuf p"rtànnes différentes. Lei lignes en trait plein décrivent les orincipes premiers, dont nous pouvons seulement dire qu'il nous
iue"il.ntr de celui qui donne une valeur relativement élevée à parait plus juste de les équilibrer de cette façon plutôt que de
i éialité, tandis que lès lignes en pointillé montrent les jugements cette autre.
de"celui qui donne un poids rslativement élevé au bienêtre total. Or, il n'y a rien d'intrinsèquement irrationnel dans cette doctrine
Àinsi, tandls que, pour'la première personne' I'organisation D est intuitionniste. Il se peut même qu'elle soit vraie. Nous ne pouvons
àq;i;;lt"t. à l"orgânisation C, la secônde juge D supérieure' Cette Das tenir pour acquis qu'il doive exister une dérivation complète
cônc"ption de la Justice n'impose pas de limites aux pon9érations àe nos jugements sur la justice sociale à partir de principes éthiques
.orrr"t"r; c'est ùurquoi elle permet à des personnes- 9ifférentes évidents. L'intuitionniste croit, au contraire, que la complexité des
à" puru"ni, à un'équilibre difféient entre les principes._Néanmoins, faits moraux défie nos efforts pour rendre compte complètement
si une telle concepiion intuitionniste s'accordait à la réflexion avec de nos jugements et nécessite une pluralité de principes en concur-
nosjugementsbienpesés,etleneseraitcertespassansimportance. rence. Il affirme que les tentatives pour aller au-delà de ces
nu môins mettrait;lle en évidence les critères importants, les axes orincipes soit nous ramènent à des affirmations insignifiantes, comme
pour ainsi dire, de nos jugements bien pcsés sur la iorsqu'on dit que la justice sociale consiste à donner à chacun son
"fpui"ntt, espère que' une fois ces axes ou ces dû, soit nous conduisent à des erreurs et à des simplifications
iûdtice sociâte. L'intuitionniste
'piln"ip", identifiés, les hommes les mettront en balance de manière extrêmes, comme lorsqu'on décide de tout selon le principe d'utilité.
ou moins semblable, du moins s'ils sont impartiaux et s'ils ne La seule façon de conteste r I'intuitionnisme est de mettre en avant
itu, les critères éthiques évidents qui rendent comptc du poids quc,
iont pu, motivés par une attention excessive pour leurs propres
intérêts. Ou bien, s'il n'en est pas ainsi' ils pourront du moins.se d'après nos jugements bien pesés, nous pensons correct d'attribuer
mettred'accordsurunsystèmggrâceauquelleurpondérationdes à ces principes, dans leur pluralité. Une réfutation de I'intui-
principes parviendra à un compromis' . lionnisme consiste à présenter cette sorte de critères constructifs,
' ll eit esientiel d'observer que I'intuitionniste ne nie pas que nous qui. d'après lui, n'existent pas. Bien sûr, la notion de principe
puissions décrire comment nous équilibrons des principlt éthique évident est vague, quoiqu'il soit facile d'en donner de
!iIl"Y]- nombreux exemples tirés de la tradition et du sens commun.
ience ni comment n'importe qui le fait, à supposer,que nous les
pondérions de manière différente' L'intuitionniste admet la possl' Mais il est sans intérêt d'examiner cette question dans I'abstrait.
bititC qu" ces pondérations puissent être représentées par des L'intuitionniste et son critique auront à trancher cette question
pgn' une fois que ce dernier aura présenté son exposé de manière
courbes d'indiffêrence. En connaissant la description de 9€s
plus systématique.
dérations, les jugements qui seront faits pcuvent être prévus' En
On peut se demander si les théories intuitionnistes sont téléolo-
.. ,.nr, ces juge,iments onf une structure cohérente et définie' Bien
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LA JUsrtcE coMME ÉQutrÉ a. Le pnosLÈME DE LA pnronrrÉ

giqucs ou déontologiques. Ellcs peuvcnt être I'un ou I'autrc et lui, essaie, bien entendu, d'éviter tout recours à I'intui-
ïoii", f.r conceptiois'éthiques onl certainement à faire confiancc
a iintuition tut L"au.oup dt points, dans une certaine mesurc' Par
on oourrait souicnir, comme Moore I'a fait, que I'affcction
"*"rnole.
entre'des ptttonnet et la compréhension humaine, la création et
i" .ontt-it"tion de la beauté, la reche-rche du savoir et sa valo
20' Et on pourrait
ri."tion soht les principaux biens, avcc le plaisir
aussi soutenit (mais Moore ne I'a pas fait) que ce sont là les seuls
Uirnr inttinteques. Puisque ces vatlurs sont précisées indépendam'
ment du justô, nous avons là unc théorie téléologique, dc .type en cc scns quc, lorsque nous sommcs confrontés à un conffit dc
piiicctioniiste si le juste est défini commo maximisant le bien' oréccptes ou à des notions vagu€s et imprécises, nous n'avons pas
blf"nAunt, cn cstim;nt cc qui prod-uit le plus de bien, la theoric à'autre choix que d'adopter I'utilitarismc. Mill et Sidgwick croient
perit soutenir que ces valeurs ont à êtrc mises en balance lcs unes ou'il arrive un moment où il nous faut un principe unique pour
22. Il est indéniable
iar rappott aux autres cn utilisant I'intuition: un ellc peut dire qu'il mettre en ordre et systématiser nos jugements
ir'y a pâl, pour nous conseiller, de critères ayant contenu concret' ou'un des grands attraits de la doctrine classique est la façon dont
S6u"ént.'é"p"ndant. les théories intuitionnistes sont déontologiqucs. elle envisage le problème de la priorité et essaie d'évitcr tout
pu"t iu'prêsentation définitive de Ross, la répartition dcs biens rccours à I'intuition.
r"rcn f" valeur moralc (justice distributive) est inclusc dans les Comme je l'ai déjà fait remarquer, il n'y a rien de nécessairement
biens qu'il faut rechcrchtr, et, tandis que le principe dc la pro irrationnel dans le recours à I'intuition pour réglcr des questions
àu"tioti du plus grand bien possible cst -classé comme principp de priorité. Nous devons admettre la possibilité ds n'arriver à rien
pi*i.t, ce itln"i-p" dc la jusiicc n'cst qu'un de ceux qui doivent de mieux qu'une pluralité de principes. Probablement, un€ conccp.
étr" ,i. en lialanct intuitiviment face aux revendications d'autrcs tion de la justice, quelle qu'elle soit, doit faire confrance à I'intuition
princlpes prima lacie 2'. Le fait d'être téléologique ou.deontolo dans une certaine mesure. Néanmoins, nous devrions faire notre
des conceptions intui-
iiqu"'n'"ti donc pas un caractère distinctifplace Dossible pour limiter ce recours direct à nos jugements bien pesés.
iionnistes, ce qui compte c'cst plutôt .la particulièrcmcnt bn effet, si les hommes mettent différemment en balance les
irportuni" qu'illcs donnent au reiours à nos capacités d'intuition, principes les plus importants, ce qu'ils font probablement souvent,
saris qu'eltej soienr guidées par des..critères éthiques évidents ct ieurs conceptions de la justice seront différentes. L'estimation dcs
cànst.ictif*. L'intuiti-onnisme nie qu'il existe une solution utile et pondérations est une partie essentielle, et non pas mineure, d'une
au problème de la priorité. Je passerai maintenant à unc conccption dc la justice. Si nous ne pouvons pas expliquer la
"rfti"ir.
brève étude de ce problème. détermination de ces pondérations par des critères éthiques raison-
nables, il n'y a plus moyen de poursuivre I'analyse rationnelle. Une
conception intuitionniste de la justice n'est, peut-on dire, qu'une
conception incomplète. Nous devrions faire notre possible afin de
8. Le problème de h Priorité formuler des principes explicites pour le problème de la priorité,
même si la dépendance vis-à-vis de I'intuition ne peut être complè-
tement éliminée.
Nous avons vu que I'intuitionnisme pose le problème de-la Dans la théorie de la justice comme équité, Ie rôle de I'intuition
systématique de nos jugements bicn réflé' est limité de plusieurs façons. Cor.me toute cette question est
-iriUiiitéf" d'une anaiyse
En pariiculier, il soutient qu'il n'existe assez difficile, je me contenterai ici de quelques remarqucs dont
if,i, ,ui juste et I'iijusté.
pat A. tepoït" constructive au pioblème de la pondération à donner le sens ne s'éclaircira complètement que plus tard. Le premicr
â des principes de justice concurrents. Pour ce cas, du moins, nous point est lié au fait que les principes de la justice sont ceux qui
ar"oni t"iré confiànce à nos capacités d'intuition. L'utilitarisme seraient choisis dans la position originelle. Ils sont le résultat d'un

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LA JUsrtcE coMME ÉQutrÉ A. IC PNOUÈME DE LA PRIORITÉ

choix issu d'une certaine situation. Or, étant rationnelles, leg d(erai en fait, comme un cas particulier important, unc hiérarchic
personnes placées dans la position originelle reconnaissent qu'elles fi" g"n o; je classcrai le principc dc la libcrté égalc pour.tous
âevraient ixaminer la priorité de ces principes. Car, si elles veulent To'nle principc qui gouverne les inégalités economiques ct socialcs.
établir des critères acceptés par tous pour arbitrer leurs revendi. iÂ^u".rt dire, cn cffet, que la structure,de base de la société doit
cations, elles auront besoin de principes de pondération. Elles ne ilotniser les inégalités de richesse et d'autorité selon des formes
peuvent pas partir du principe qu'en général leurs jugements l"ioatibles avec les libertés égales pour tous qui sont cxiSécs par
intuitifs iur la priorité seront identiques; étant donné leurs diffé' il-"i1céaent principc. Il est certain qu'à prcmière vue le conccpt
rentes positions dans la société, c'est certainement impossible. C'est 'jrlrdre lexrcal. ou sériel, ne paraît pas très prometteur. En effet,
pourquoi je suppose que, dans la position originelle, les partenaires ï .Lmble choquer notre s€ns de la modération et de cc qu'est un
èssaiént d'atteindre un accord sur la façon d'évaluer les principes in.,n iugement. De plus, il présupposc que les principcs mis cn
particulièrc. Par-exemplc-, à.moins
de la justice. L'idée d'avoir à choisir les principes a, entre autres, àiaté rônt d'une espèce assez
I'avantage que les raisons qui incitent à les adopter en premier i,tr les premiers principes n'aient qu'une application limitée ct
lieu inteiviennent aussi pour leur accorder des valeurs relatives. Jr- ntisscnt des exigences bien déterminées susceptibles d'être
Puisque, dans la théorie de la justice comme équité, on ne considère loiirfrittt, les principes suivants n'entreront jamais en jeu. Ainsi
pas lès principes de la justice comme allant de soi, mais comme iJ orincipe de liberté égale pour tous peut occuper une position
irouvani leur justification dans le fait qu'ils sont I'objet d'un puisqu'il peut, supposonsle, être satisfait. Tandis que,
choix, nous pouvons trouver dans les raisons de ce choix quelques
"r"mier"
Ii te principe d'utilité était premier, il rendrait caducs tous lcs
indications, ou limitations, sur la façon dont ils doivent être mis rritarèr suivants. J'essaierai de montrer que, du moins dans
en balance. Étant donné la situation dans la position initiale, certaines circonstances sociales, une mise en ordrc lcricale dcs
certaines règles de priorité peuvent être clairement préférables orincipes de Ia justice offre une solution approchée au problème
à d'autres, pour le même genre de raisons qui font que I'on âe la priorité.
donnera son accord initial aux principes. En soulignant le rôle Enfin la dépcndance à l'égard de I'intuition peut être réduite
de la justice et les traits particuliers à la situation du choix en posant des questions plus limitées et en substituant au juge-
initial, on aura peut-être moins de difficultés pour résoudre le ment moral celui de la prudence. Ainsi, si quelqu'un sc trouve
problème de la priorité. confronté aux principes d'une conception intuitionniste, il pcut
Une seconde possibilité serait que nous soyons capables de répondre que, étant privé de lignes directrices pour sa réflexion,
trouver des principes qui puissent être placés dans ce que j'appel- il ne sait que dire. Il pourrait soutenir, par exemple, qu'il ne
lerai un ordre sériel ou lexical 23. (Le terme correct est ' lexico æurrait pas mettre en balance I'utilité totale face à l'égalité
graphique n, mais il est trop lourd.) C'est un ordre qui demande àans la répartition des satisfactions. Non seulement les notions
qu. t'on satisfasse d'abord le principe classé premier avant de en question sont trop abstraites et trDp vastes pour qu'il puisse
passer au second, le second avant de considérer le troisième, et avoir confiance dans son jugement, mais encore d'énormes compli-
âinsi de suite. On ne fait pas entrer en jeu un (nouveau) principe cations surgissent dès qu'on veut en interpréter le sens. Sans
avant que ceux qui le précèdent aient été entièrement satisfaits ou doute, la dichotomie entr€ masse et répartition est-elle une idéc
bien reconnus inapplicables. Un ordre lexical évite, donc, d'avoir séduisante, mais, pour ce cas, on ne peut rien en tirer, semble-
jarnais à mettre en balance des principes' Ceux qui se trouv€nt t-il. Elle ne divise pas le problème dc la justice socialc en
placés plus tôt dans la série ont une valeur absolue, pour ainsi éléments assez petits. Dans la théorie de la justice comme equité,
dire, par rapport à ceux qui viennent après, et n'admettent pas le recours à I'intuition se concentre sur deux aspects. Tout
d'exception. Nous pouvons considérer une telle hiérarchie comme d'abord, nous choisissons une certaine position dans le système
étant ànalogue à une suite de principes de maximisation sous social à partir de laquelle le système sera jugé, et ensuite nous
contraintes. Car nous pouvons supposer que tout principe qui demandons si, du point de vue d'un individu représentatif placé
apparaît dans l'ordre devra être maximisé, sous la contrainte que dans cette position, il serait rationnel de préiérer telle organisation
lej principes précédents aient été complètement satisfaits. Je pro de la structure dc base à telle autre. En partant de certaines

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LA JUsrIcE coMME ÉQutrÉ QUELQUES REMARQUES SUR LA THÉONIT MORALE

hypothèscs, les inégalités sociales et économiques doivent être revient aux p€rconnes placees dans la position originclle
pnnclpes, ce sera à elles de décider de la simplicité
iuiées sclon les atténtes à long terme du groupe social le moins 6e
iaiorisC. Bien entendu, la définition de ce groupe n'est pas, très ou de la complexité qu'elles veulent donner aux faits moraux.
cxacte et certainement nos jugements basés sur la prudence L,accord originel établit les limites dans lesquelles elles sont prêtcs
a"cotO"nt également une large place à I'in-tuition, puisqu'il . se à faire des colnpromis et des simplifications afin d'établir les règles
justice.
Deut que nous ne soyons pal capables de formuler le principe de priorité nécessaires à une conception commune de la
posé une question bien Jiai passé en revue deux moyens évidcnts et simples de traitcr
iuii"J aet.t.ine. Néânmoin., nous avons
ilus limitée et nous avons substitué à un
jugement éthiq-ue .un de manièrc constructive le problème dc la priorité, à savoir soit
la décision
iui"rn"nt issu de la prudence rationnelle. Souvent dépendance oar un seul principc d'ensemble, soit par une pluralité de principcs
prendte à fait évidente' La 'mis cn ordrc lexical. D'autres moycns cxistent sans doute, mais jc
âuî nout devrions est tout
i t;esara de I'intuiiion est d'une nature différente et elle est bien nc traiterai pas la question ici. Les theories morales traditionnelles
moin?re que dans la dichotomie masse-répartition, telle qu'on la étant pour I'esscnticl basées sur un scul principe ou étant intui-
trouve dans la conception intuitionniste. tionnistes, l'élaboration d'un ordre lexical est une nouveauté suffi-
Quand on aborde ie problème de la priorité, la tâche
est de santc pour une première étape. Bien qu'il soit clair qu'cn général
rédùire et non pas d'éliminer entièrement le nécessaire recours aux un ordre lexical ne peut être absolument correct, il peut être unc
jui"r"ntt intuitifs. Il n'y a pas de raison de supposer..que I'on aDproximation éclairante, dans certaines conditions particulières,
Lu'i*." ou doive éviter tout reèours à I'intuition quel qu'il soit' Le mâis significatives ($ 82). De cette façon, il pcut indiqucr la
[ufpratiqu. est d'atteindre un consensus relativemcnt solide dans structure d'ensemble des conceptions de la justice et suggércr lcs
i"i lirærn'.ntt afin de parvenir à une conception commune de la grandcs lignes d'une appréciation plus exactc.
iusticà. Si les iugements des hommes quant à la priorité des
"orin.iper *ont témllubles, il n'est pas important, d'un point de vue
iratiql., qu'ils ne puissent pas formuler les principes qui rendent
.ompi. que
de'ces convictions ni principes existent ou non'
de tels t. Quelques remarques X
Des'jugements qui s'opposeraient' cependant, soulèveraient une sur lr théorie morde
àim.irfie puisque' la base pour arbitrer ces. revendications resterait
en conséquenôe obscure.- Ainsi, notre objectif devrait être de
formuler ùne conception de la justice qui tende à faire converger Arrivés à ce point, il semble souhaitable, pour évitcr des malen-
nor jugit.nts bien'pesés sur lâ justice,.quelle que soit.la part de tcndus, d'examiner brièvement la naturc de la théorie moralc. C'cst
t'intuit'ion, basée sur l'éthique ou la prudence. Si une telle con€e* cc que jc fcrai en expliquant plus en détail le concept de jugement
iion .*itt" effectivement, alors, du point de vue de la position bicn pesé résultant d'un équilibre réfléchi et en donnant les raisons
àrinineffe. il v aurait de solides raisons pour I'accepter car il est de I'introduirc 24.
,"-tir""i a'i"iroduire davantage de cohérence dans nos convictions Posons que chaque personn€ audclà d'un certain âgc, et poe-
ao-tun"t sur la justice. En fait, à partir du moment où nous sédant les capacités intellectuelles nécessaires, développe un scns
de la justice dans des circonstances sociales normales. Nous deve-
;"c;;;; les choés du point de vue-.de la situation initiale' le plus cxperts dans I'art de juger de ce qui est juste et injuste
ffiblJnre de la priorité n'èst plus de faire face-à la complexité- de nons
et d'appuyer ces jugements sur dcs râisons. En outre, nous avons
i;it;';;;"; Jeia aonnet qui ne peuuent pas être modifiés' c'est
de proposirions raison- ordinairement un certain désir d'agir cn accord avec ces jugements
ùir" pi"tàt le pioblème de'la formulation
nàur.',.t généialement acceptables qui produiraient le consensus et nous attendons des autres un désir semblable' Il est clair que
JZri* ,nti. Ies jugements. Dans une-doctrine du contrat, les faits cette capacité morale est extraordinairement complexe. Pour nous
qui seraient choisis dans
,ïi""i ,ô"t aeier-minCs par les principesprécisent en rendre compte, il suffit de remarquer le nombre potentiellement
i;-;"*i"" originelle. ies principes- quelles sont. les infini et la variété des jugements que nous sommes prêts à faire.
Le fait que, souvent, nous ne savons que dire et que parfois nous
"oniioeiutiont iertinentes dri poini de vue de la justice sociale'
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LES PRINCIPES DE LA JUSTICE

Car, si I'on supposÊ que les institutions sont raisonnablement justes,


alors il est très important que les autorités soient impartiales, que
des considérations peisonnelles, Ênancières ou autres, non perti.
nentes, ne les influencent pas dans leur manière de traiter les cas
particuliers.
La iustice formelle, dans les cas d'institutions légales, est sim-
plement un aspect de l'État de droit (rule of law) qui soutient et
garantit des attentes légitimes. Une forme d'iniustice consiste
dans le lait que des juges et ri'autres fonciionnaires ne s'en tiennent
pas aux règles adéquates ou à leurs interprétations, lorsqu'ils
arbitrent des revendications. Une personne est injuste dans la
mesure où, par caractère et inclination, elle est portée à de telles
actions. De plus, même là où les lois et les institutions sont injustes,
il vaut souvent mieux qu'elles soient appliquées de manière consé-
quente. De la sorte, ceux qui leur sont soumis savent au moins ce
qui est exigé et ils peuvent essayer de s'en protéger eux-mêmes,
tandis qu'il y a encore plus d'injustice si ceux qui sont déjà
désavantagés sont aussi traités arbitrairement dans les cas parti-
culiers, là où les règles pourraient leur donner une certaine sécurité.
D'un autre côté, il est possible qu'il vaille tout de même encore
mieux, dans certains cas, alléger le fardeau de ceux qui sont
tl. Iæs deux principes de la justice
v
injustement traités grâce à des dérogations aux normes existantes. I

Une des questions les plus complexes de la justice politique est Je présenterai maintenant, sous une forme provisoire, lcs dcux
bien celle de savoir jusqu'où nous sommes justifiés en agissant orincipes de la justice sur lesquels se ferait un accord dans Ia
'pæition La prcmière formulation de principes est
ainsi. en particulier au détriment d'attentes fondées de bonne foi originelle. ces
sur les institutions existantes. En général, tout ce qu'on peut dire, une simple esquisse. Au fur et à mesure, j'examinerai plusieurs
c'est que la force des revendications de justice formelle, d'obéis- formulations et ferai des approximations successives de la présen-
sance au système dépend clairement de la justice réelle des insti- htion finale qui, elle, doit être donnée beaucoup plus tard. Je crois
tutions et des possibilités de les réformer. que cette méthodc permet à I'exposé de se dérouler de manière
Certains ont soutenu qu'en fait justice réelle et justice formelle naturclle.
tendent à aller de pair et que, pour cette raison, des institutions La première présentation des deux principes est la suivante:
visiblement injustes ne sont jamais, ou en tout cas rarement,
administrées avcc impartialité et de manière conséquente u. Ceux En premier lieu: chaque petsonne doit avoir un droit égal au
qui soutiennent des organisations injustes et en profitent, et qui système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui
soit compatible avec le même système pour les ounes.
récusent avec mépris les droits et les libertés des autres, ne risquent
En second lieu: les inégalités sociales el économiques doivenl
pas, dit-on, de laisser des scrupules concernant l'État de droit être organisées de façon à ce que, à Ia fois, (a) I'on puisse
èontrecarrer leurs intérêts dans des cas particuliers. Le caractère raisonnablemenl s'attendre à ce qu'elles soienl à I'avanlage de
inévitablement vague des lois en général et le vaste champ qu'elles chacun et (b) qu'elles soienl attachées à des posilions et à des
offrent à I'interprétation encouragent un certain arbitraire dans le fonctions ouverles à lous.
processus de décision que seule une fidélité à la justice peut réduire.
C'est pourquoi on soutient que, là où nous trouvons la justice Il y a deux expressions ambiguës dans le second principc, à
formelle, I'Etat de droit et le respect d'attentes légitimes, nous savoir * I'avantage de chacun ' et ( ouvertes à tous '. Pour en

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LES PRINCIPES DE LA JUSTICE II. LES DEUX PRINCIPES DE LA JUSTICE

déterminer le sens avec plus d'exactitude, nous serons conduih -.,^i. d'ailleilrs, aucun€ n'est absolue; mais, même si elles doivent
une seconde formulation du principe dans la section 13. La l.",l"modifiécs de manière à former un systèmc, ce systèmc doit
finale des deux principcs est donnée dans la section 46; la section ilii rc nene pour tous. Il est difficile, et pcut€tre impossible, de
examine I'interprétation à donner au premier principe. Iïnnrr un" définition complète de ccs libertés indépendamment
Ces principes s'appliquent, en premier lieu, comme je I'ai dit,; ÏI" circonstances social€s, économiques et technologiques parti-
la structure sociale de base; ils commandent I'attribution des droiti iliiar.r à une société donnée. L'hypothèse est que I'on peut
ct des devoirs et déterminent la répartition des avantages éconq iï,ieiner la forme générale d'unc telle liste avec asscz d'cxactitudc
miques et sociaux. Leur formulation présuppose que, dans q l,"ui routrnit cette conception de la justice. Bien sûr, lcs libcrtés
perspective d'une théorie de la justice, on divise la structure sociale llÀrrrunt pas sur cette liste, comme le droit de posséder certaines
en deux parties plus ou moins distinctes, le premier principç l'Ïtm"rr O. propriété (par exemple lcs moycns de production), la
s'appliquant à I'une, le second à I'autre. Ainsi, nous distinguon5 iilrerté de contrat comme dans la doctrine du . Iaissez fxils r, ne
entre les aspects du système social qui définissent et garantissell pas des libertés de base et ainsi elles ne sont pas protégées
l'égalité des libertés de base pour chacun et les aspects qu1 ".nt priorité du premier principe. En ce qui concerne finalcment
nar là
spécifient et établissent des inégalités sociales et économiques. O1, l" second principe, la répartition de la richesse et des rcvcnus ainsi
il est essentiel d'observer que I'on peut établir une liste de ces nue les positions d'autorité et de responsabilité doivent être compa-
libertés de base. Parmi elles, les plus importantes sont les libertél ilbles aussi bien avec les libertés de base qu'avec l'égalité dcs
politiques (droit de vote et d'occuper un emploi public), la libené .hun.$. Pour I'instant, on devrait remarquer que ces principes
d'expression, de réunion, la liberté de pensée et de conscience; ls ;ont un cas particulier d'une conception de la justice plus générale
liberté de la personne qui comporte la protection à l'égard 6s qui peut être exprimée de la façon suivante:
I'oppression psychologique et de I'agression physique (intégrité
de la personne); le droit de propriété personnelle et la protection à Toules les valeurs sociales - liberté et possibilitês ofertes à
l'égard de I'arrestation et de I'empris,onnement arbitraires, tels I'individu, revenus el richesse ainsi que les bases sociales du
qu'ils sont définis par le concept de I'Etat de droit. Ces libertés respect de soi-même - doivent être réparties également à moins
doivent être égales pour tous d'après le premier principe. qu'une répartition inégale de I'une ou de toules ces valeurs ne
Le second principe s'applique, dans la première approximation, soit à I'avantage de chacun.
à la répartition des revenus et de la richesse et aux grandes lignes
des organisations qui utilisent des différences d'autorité et de L'injustice alors est simplement constituée par les inégalités qui
responsabilité. Si la répartition de la richesse et des revenus n'x ne bénéficient pas à tous. Bien sûr, cette conception est extrême-
pas besoin d'être égale, elle doit être à I'avantage de chacun et, ment vague et a besoin d'une interprétation.
en même temps, les positions d'autorité et de responsabilité doivent Comme première étape, supposons qu€ la structure de base de
être accessibles à tous. On applique le second principe en gardant la société répartisse certains biens premiers Qtrimary goods), c'est-
les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on à-dire que tout homme rationnel est supposé désirer. Ces biens,
organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce normalement, sont utiles, quel que soit notrc projet de vie rationnel.
que chacun en bénéficie. Pour simplifier, posons que les principaux biens premien à la
Ces principes doivent être disposés selon un ordre lexical, le disposition de la société sont les droits, les libertés et les possibilités
premier principe étant antérieur au second. Cet ordre signifie que offertes à I'individu, les revenus et la richesse. (Plus loin, dans la
des atteintes aux libertés de base égales pour tous qui sont troisième partie, le respect de soi-même, comme bien premier, a
protégées par le premier principe, ne peuvent pas être justifiées ou une place centrale.) Tels sont les biens sociaux premiers. D'autrcs
compensées par des avantages sociaux et économiques plus grands. biens premiers, comme la santé et la vigueur, I'intelligence et
Ces libertés ont un domaine central d'application à I'intérieut I'imagination, sont des biens naturçls; bien que leur poosession soit
duquel elles ne peuvent être limitées et remises en question que si inffuencer par la structure de basc, ils ne sont pas aussi directement
elles entrent en conflit avec d'autres libertés de base. C'est pour- sous son contrôle. Imaginons, alors, une organisation initiale hypo

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LES PRINCIPES DE LA JUSTICE II. LES DEUX PRINCIPES DE LA JUSTICE

thétique oir tous les biens premiers sociaux soient répartis 6u .:^6 raisonnable de la
justice et, dans beaucoup de conditions, de
manière égale : chacun a des droits et des devoirs semblables, st
llii" frcon, les deux principes placés cn ordre lexical peuvent être
les revenus et la richesse sont partagés sans inégalités. Ce16 ttfJilii'o*
situation fournit un point de repère pour évaluer les amélioratioq. les deux principes s'appliquent aux institutions a
Si certaines inégalités de richesse et des différences d'autori16 conséqu€nces. Tout d'abord, les droits et les libertés de
^"trÀinet
amélioraient la situation de chacun par rapport à cette situatiol i"" auxqu.lt se réfèrent ces principes sont ceux qui sont définis
hypothétique de départ, alors elles s'accorderaient avec la concepr Il,-res règles publiques de la structure de base. La liberté ou
tion générale de la justice. Ili,."n"r de liberté des hommes est déterminée par les droits et
Or, il est possible, du moins théoriquement, qu'en abandonnall i.îevoirs établis par les plus importantes institutions de la société.
certaines de leurs libertés fondamentales les hommes reçoive11 ii fAertâ cst un certain ensemble de formes sociales. Ce premier
ijrnciæ exigc simplcment que certaines sortes de règles, celles qui
Ïinniisent les libertés de base, s'appliquent à chacun de manière
iiàte et qu'elles permettent la liberté la plus étendue, compatible
litec une même liberté pour tous. La seule raison pour mettre une
iirirc ou* libertés de base et les rendre moins étendues est que,
.inon, elles s'entraveraient les unes Ies autres.
De plus, quand des principes se réfèrent à des personnes ou
cxicent que chacun tire un gain d'une inégalité, on s€ réfère à des
oirionn*r représentatives occupant les différentes positions sociales
ôu les fonctions établies par Ia structure de base. C'est pourquoi,
en appliquant le second principe.
je suppose qu'il est possible
dans des circonstances particulières (SS 26,39). d'attribuer aux individus représentatifs qui occupent ces positions
Je laisssrai de côté, pour I'essentiel, la conception générale de une attente vis-à-vis du bien-être. Cette attente indique leurs
la justice et, au lieu de cela, j'examinerai les deux principes placél Derspectives de vie envisagées à partir de leur position sociale. En
en ordre lexical. L'avantage de cette façon de procéder est que, iénêral, les attentes de personnes représentatives dépendent de la
dès le début, la question des priorités est reconnue et un effort esl iépartition des droits et des devoirs partout dans la structure de
fait pour trouver des principes pour y répondre. On est conduit à baie. Les attentes sont reliées entre clles: en améliorant les
faire sans cesse attention aux conditions qui déterminent la parl perspectives dc I'individu représentatif occupant une position don-
de relatif et la part d'absolu dans I'importance qu'il serait raison' il
est probable que nous améliorons ou réduisons les perspec-
irée,
nable, face aux avantages sociaux et économiques' d'accorder à la qui sont dans d'autres positions. Puisqu'il s'applique
tivcs de ceux
liberté, ceci étant défini par I'ordre lexical des deux principes. A à dcs formes institutionnelles, le second principe (ou plutôt la
première vue, cette hiérarchie paraît extrême et un cas trop première partie de celui-ci) se réfère aux attentes des individus
particulier pour avoir beaucoup d'intérêt; mais, en réalité' on pcut rcprésentatifs. Comme je I'analyserai plus loin ($ l4), aucun des
iui trouver-plus de justification qu'il n'y paraît. C'est ce que, du deux principes ne s'applique à des répartitions de biens particuliers
moins, je soutiendrai ($ 82). De plus, la distinction entre libcrtés entre des individus particuliers qui pourraient être identifiés par
et droiis fondamentaux, d'une part, avantages sociaux et écono leurs noms propres. Le cas où quelqu'un doit réfléchir à I'attribution
miques, de I'autre, indique une différence entre les biens sociaur dc ccrtains biens à des personnes dans le besoin qu'il connaît
pr.ti.tt qui suggère une division importante à I'intérieur du n'entre pas dans lc champ des principes. Ceux-ci sont faits pour
iystème soôiat. nièn entendu, les distinctions esquissées et I'ordre gouverner des organisations institutionnelles de base. Il faut insister
proposé sont, au mieux, de simples approximations. ll existe sûre' sur le fait que, du point dc vuc de la justice, il n'y a guère de
ment des circonstances dans lesquelles elles sont inadéquates. Mais point commun entre I'attribution dc biens par I'administration à
il est essentiel de tracer clairement les grandes lignes d'une conceP des personnes définies et la question de la bonne société. Nos
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LES PRINCIPES DE LA JUSTICE I2. INTERPRÉTATIONS DU SECOND PRINCIPE

intuitions du sens commun quant au premier cas peuvont être ur


mauvais guide Pour le second.
"'ôt,
i" "t."onà principe impose que chaque lersonne. benéfiç;,
des inégalités peimises dans la structure de base'. ctJt..t"tqlini
qu'il doit être râisonnable, pour chaque individu représentattl defi\ (L'avantage de chacun>
Ë", structure et consèient qu'elle fonctionne.bien'.de préféq
".tt.
nour lui-même un avenir comportant des lncgalltes a un aveli,
de revel*
ians elles. On n'a pas le droit de justifier des différcnces rOuYertes Principe Principe de
responsabilité en dgnnant comq d'eflicacité
ou de positions d'autorité et de à tous> diffërence
raison que les désavantages de ceux qui occupent, un€. certaiq
position sont compensés par les avantages plus g.rands obtenus p4
ceux qui occupeni une autre position' Encore.moins P:,ut-o.n :o.nih Êgatitë délit.tie
balanôer de iette façon des atteintes à la liberté' Il est
évidsn A. Système de la C. Aristocratie
nar les carrrcres liberté naturelle naturelle
oue c'est de façon infiniment variée que tous peuvent trouver ds oirtrlrt aux tolents
ivantages ptt i"pport à la situation initiale d'égalité
qui est priq
.ortt-point de'rèpère. Comment alors choisir entre.ces.possibi
aboutir à un'
ii;;;ï Lit ;ti"cipes'doivent être précisés de façonceàproblème' Juste I fair) B. Êgalité D. Ê,galité
là"ti*i-'Oét"ttiné.. Je vais à présent traiter égalité
des thanccs
libérale démooatique

12. Interprétations du second principe

I'avantage Je me ré\érerai à Ia première interprétation comme étant (dans


J'ai déjà remarqué que, puisque les expressions ' dr

tout' iont ambiguës, chacune des deur l'une et I'autre séquence) le système de la liberté naturelle. Dans
"fr"*-'.t.ouve;tesà principe a deux sens naturels Comme ces seq cette interprétation, la première partie du second principe est
oarties Ou second
comprise comme étant le principe d'efficacité modifié de façon à
il;;'i;d6""dants i'un de I'autre, le principe a quatre signifrcation s'aDpliquer aux institutions ou, dans ce cas, à la structure de base
possibles. En supposant que le premier principe de la liberté égal
de'lâ sàciété; et la seconde partie est comprise comme étant un
;;;-;;;t;"rdà'tout le'temps le même sens' nous avons alor
système social ouvert dans lequel, pour reprendre I'expression
deux principes' Ils sont indiqués sur I
[;;; t"t.;trétations des
cbnsacrée, les carrières sont ouvcrtes aux talents. Je suppose dans
--l;E;;ci-contre.
tableau toutes ces interprétations que le premier principe de la liberté
I'une après I'autre les trois interpr.étations suivantes
égale pour tous est satisfait et que l'économie est, dans I'ensemble,
le wstème de la liùerté naturelle, l'égalité libérale et l'égalit'
un système de libre marché, bien que les moyens de production
il;;;;iiq";. À certains égards,..cet enchaînement est le pltl
de puissent être ou non propriété privée. Le système de Ia liberté
i"*i,ii, fi}il cetul qui patsà pat I'interprétation I'aristocratl
j'en ferâi un commentaire rapidr naturelle affirme alors qu'une structure de base satisfaisant au
;;;;;;ii.;;;;t jas sais intérêt àtjuitice comme équité' nous devor
principe d'efficacité, et dans laquelle les positions sont ouvertes à
Ë;l;;;;a lâ theorie de la rai celle de l'égalit ceux qui sont capables et désireux de faire des efforts pour les
;;;ù;t;;i;i"*rf rétation préf?rable' J'adopte la significatio obtenir, conduira à une juste répartition. Le fait d'attribuer les
ffi;ilû;;, en'exptiquant dans qui la section suivante
droits et les devoirs de cette laçon donne, pense-t-on, un système
à.'."ii" Le'raisonnement conduit à I'adopter dansL
qui répartit la richesse et les revenus. I'autorité et la responsabilité
"àtLin. n'"tt
otigin"[t pas présentê avant le prochain chapitre'
;;.i;;;
97
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