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LA JUSTICE

I- La justice peut-elle tolérer l’inégalité ?


A- Définition
La justice est d’abord la vertu des échanges et de la distribution. Il s'agit de donner à chacun ce qu’il
lui appartient de recevoir suivant son mérite ou son démérite : droits, biens ou châtiments. Elle est
ensuite une institution qui juge les crimes et les délits. 
La justice commutative règle les échanges suivant une proportion mathématique : les deux termes
échangés ont la même valeur. 
La justice distributive règle les échanges suivant une proportion géométrique : le don le plus
important va au plus méritant. 
La justice sociale donne à tous les moyens indispensables pour survivre et progresser dans la
communauté humaine. Elle se doit donc de compenser les inégalités de départ, en créant des
conditions d’équité. 
La justice répressive correspond à l’appareil judiciaire et fixe les sanctions, les confiscations, les
privations et l'application des peines. 

B- Les inégalités peuvent être justes


Si la justice est la vertu du partage rationnel (réalisé avec justesse), on peut initialement penser
qu’elle consiste à partager un bien suivant le principe de la stricte égalité. Cependant, la justice doit
tolérer les inégalités, dans la mesure où elles sont équitables : celui qui contribue le plus à une tâche
mérite de recevoir plus, comme l’affirme Mill. 
Pourtant, le mérite doit-il récompenser l’effort ou bien la seule efficacité ? En effet, favoriser le
premier n’incite guère celui qui pourrait être plus efficace ; et favoriser la seconde revient à donner un
avantage social à celui qui a déjà le bénéfice du talent.

C- Les inégalités peuvent être bénéfiques à tous


Pour assurer la justice sociale, Rawls nous invite pourtant à approuver certaines inégalités dans la
mesure où elles ont, malgré tout, un avantage pour l’ensemble de la société. Si la richesse d’une
minorité permet de créer des infrastructures publiques (sportives ou médicales, par exemple) la fortune
de quelques-uns est un bien pour tous. Mais ce principe de différence ne doit entrer en application
qu’une fois que le principe de la plus grande équité est réalisé. 

D- Le droit, condition et forme de la justice


La justice est la sortie de l’arbitraire, l’instauration des mêmes règles pour tous, le souci de la
proportionnalité dans la punition. 
Le droit coïncide avec le moment où les hommes se mettent d’accord sur des règles communes : les
décisions, les actions, les relations intersubjectives vont désormais se placer sous ces règles. La
justice est inséparable des lois, ce que l’étymologie du terme de justice nous indique (« justus » en
latin signifie « conforme au droit »).
Le droit revêt ce que Rousseau appelle une « double universalité », qui seule peut garantir la
justice : universalité de l’objet (la loi ne fait pas référence aux hommes comme individus singuliers
mais comme citoyens ou personnes abstraites), et universalité de la volonté car l’instauration des
règles juridiques doit émaner de la volonté générale. 
Le droit se caractérise par son impartialité : il suppose et garantit l’introduction d’un tiers dans
les règlements des conflits. Le droit s’applique de la même façon à tous, sans exception : c'est ce qu'on
appelle l'isonomie. Les lois se caractérisent par leur accessibilité publique, elles doivent pouvoir être
connues de tous (« nul n’est censé ignorer la loi ») : c'est le principe de publicité des lois. 
Le droit s’oppose à l’usage de la force par les particuliers. Ainsi la vengeance n’est pas
justice puisqu’elle sert une passion individuelle et reste arbitraire. Lorsque le droit se présente sous la
forme de la vengeance, Hegel considère qu’il est une nouvelle offense qui provoque de nouvelles
vengeances et ne permet plus de garantir la justice.

II- Les fins de la justice


A- La vertu de justice
Pour les philosophes de l’Antiquité, la justice est désirable en elle-même, car elle conduit au bien
humain suprême (voir l’analogie de Platon dans la République entre l’harmonie des parties de l’âme
et l’harmonie de la cité juste). Ainsi il vaut mieux subir l’injustice que la commettre puisque
l’âme n’est pas pervertie dans le second cas. 
Aristote montre que la vertu de justice ne fait pas que découler des institutions justes : elle vient aussi
les parfaire. Une cité juste engendre bien des hommes justes : un homme élevé sous de bonnes lois
finira par développer une disposition à vouloir les actions que les lois prescrivent. 

B- Sécurité, propriété et liberté


Pour la pensée moderne, les institutions n’ont pas à rendre les citoyens vertueux mais à rendre
possible la coexistence des individus. Sans elles, les hommes, poursuivant chacun leur intérêt
personnel, seraient dans un état de guerre permanent (Hobbes et le Léviathan). 
Le but de toute société civile et l’instauration de la justice, selon les trois pouvoirs : législatif, exécutif
et judiciaire, ont pour objectif d’assurer la protection de la propriété (Locke).
L’utilitariste John Stuart Mill désigne la liberté individuelle comme fonction première de la
justice : chacun doit jouir de la plus grande liberté possible, tant qu’il ne commet aucun tort envers
autrui.

C- L’égalité
Une dernière finalité de la justice semble bien être l’égalité, mais en quel sens exactement ?
Aristote distingue deux espèces d’égalité à partir de la distinction entre la justice corrective et la
justice distributive. L’égalité stricte de la justice corrective concerne toutes les transactions passées
dans un cadre privé et la justice pénale, qui concerne la réparation des torts et la punition du coupable.
L’égalité proportionnelle de la justice distributive porte sur les divers biens à répartir au sein de la
cité. 
Le problème qui demeure est celui de savoir comment déterminer les critères de la répartition.
La position égalitariste revendique ainsi une redistribution des biens qui tienne compte du mérite
et des inégalités sociales.

III- Les fondements de la justice


A- Un fondement divin
Selon Aristote, la justice ne se conçoit que sur la base de l’amitié. Cette amitié est une forme de
considération minimale qui crée un lien, un point de communauté, entre les gouvernants et les
gouvernés. La justice suppose de créer avec autrui un type de rapport qui dépasse le pur intérêt. Ainsi
il n’y a pas de justice entre l’instrument et l’artisan, pas plus entre le maître et l’esclave, la justice
supposant une communauté que l’amitié rend possible.
Les trois monothéismes ont situé en Dieu l’origine de la justice et du droit. La Justice divine est
représentée par les religions comme un modèle et un fondement à la justice imparfaite des
hommes.
Une rupture s’opère aux XVIIe et XVIIIe siècles, où des écrivains et philosophes s’interrogent sur le
fondement divin de la justice.

B- Un fondement moral
La variabilité des lois selon le lieu et les époques peut conduire à adopter un point de vue relativiste.
C'est ce qu'exprime Pascal par la formule : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». 
Cependant, nous sommes capables de porter un jugement critique vis-à-vis du droit ou d’une
norme de justice défaillante. Cela ne nous indique-t-il pas que la justice ne saurait être simplement
fondée par les institutions ? 
Les théoriciens modernes du droit naturel vont s’attacher à démontrer que l’individu possède un
certain nombre de droits inaliénables qui doivent jouer le rôle de fondement du droit positif. Ces
droits sont inhérents à tout homme, quel qu’il soit : droit de conservation, liberté, etc.
L’article 2 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 reprend
l’ensemble de ces droits naturels : « ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à
l’oppression ».
Des auteurs contemporains, comme Léo Strauss, affirment l’importance d’un droit naturel
pour pouvoir juger de la valeur de nos lois civiles en s’appuyant sur une norme supérieure.

C- Un fondement politique
Le fondement du droit par lui-même : le positivisme juridique soutient qu’il n’y a pas de justice anté-
juridique, précédant la définition précise des droits dans les textes de loi, mais que la justice se
réduit au droit institué avec toutes ses garanties. Cette école de pensée, nommée positivisme
juridique, est représentée par Kelsen ou Bentham.

IV- Faire progresser la justice


A- Le pouvoir judiciaire
La Constitution et les lois sont légales lorsqu’elles sont émises sans contrevenir aux règles formelles
du droit législatif, mais elles ne sont légitimes que si elles garantissent la liberté des citoyens et leurs
droits fondamentaux : intégrité physique, liberté d’opinion, d’expression, de conscience, d’association.
La légalité est la qualité d’une forme, la légitimité est la qualité d’une finalité du pouvoir judiciaire.
Le pouvoir ne doit pas être concentré dans les mains d’un seul homme, d’une seule institution ou d’un
seul groupe. Suivant Montesquieu dans L’Esprit des lois, il faut organiser le pouvoir selon une
division étanche : les individus chargés de la rédaction des lois (pouvoir législatif), ceux qui les
mettent en œuvre (pouvoir exécutif) et ceux qui répriment les transgressions (pouvoir judiciaire)
devront être indépendants. 
Le rôle des juges est lui aussi capital, en vue de l’instauration d’une justice véritable. Juger vient de
l’allocution jus dicere, qui a donné judicare. C’est donc dire le droit, prononcer le droit. Juger, c’est
aussi parfois interpréter la loi de telle sorte que celle-ci puisse s’appliquer à des cas imprévus de la
meilleure façon (Aristote).

B- Vers une plus grande justice sociale


L’exigence de progrès vers une société plus juste se fait dans la répartition des biens et dans le cadre
d’une mise en œuvre concrète des droits. D’un point de vue économique et social, la paupérisation
d’une partie de la population mondiale, les inégalités flagrantes qui continuent de se creuser dans
chaque pays, les discriminations selon le sexe ou l’origine ethnique sont loin d’avoir disparues.
La question devient de savoir selon quelles modalités les pouvoirs publics, le droit international et
l’action individuelle se doivent d’engager des mesures efficaces et pouvant être reconnues comme
légitimes par l’ensemble des citoyens.
La justice internationale repose la question de la relativité des normes en fonction des choix
idéologiques, religieux, politiques et philosophiques de chaque nation. Une justice internationale est-
elle d’ailleurs concevable sans un État de droit minimal fédérant les nations ?

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