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La question

philosophique de la
Justice et du Droit

⚫ La citation-débat : « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa
force en droit et l'obéissance en devoir » (Rousseau, Du contrat social 1762).
⚫ La morale est-elle le fondement de la justice et du droit ?
⚫ La problématique-sujet : Une justice à la fois contraignante et conforme à la nature de l’homme est-elle
possible ?
⚫ Sommes-nous tous égaux ?
⚫ La justice n’est-elle que question de loi ?
⚫ Quel fondement juridique est-il le mieux apte à assurer la justice au sein de la société ?
⚫ Obéir à la loi suffit-il pour faire de nous des hommes justes ?
⚫ Qu’est-ce qui assurerait le caractère souverain de la loi ?
⚫ Doit-on respecter la loi même si elle est injuste ?
⚫ Faut-il favoriser une justice inaltérable ?

1- La justice a-t-elle un sens unique ?

1.1 Les différents niveaux de la justice

S’il semble spontanément difficile de trouver une définition acceptable et définitive de la justice, il
existe, en revanche, un accord sur les critiques qui lui sont faites : soit la justice est jugée comme étant
relative, arbitraire et variable, soit elle est considérée comme une pure utopie. La justice n’est-elle donc
qu’un mot, un rêve ?

Le concept de justice renvoie à différents niveaux de réalité : (1) Un niveau moral selon lequel la
justice est conçue de manière subjective comme une valeur morale édictée par la conscience morale. Les
principes : donner à chacun ce qui lui est dû, ne pas punir l’innocent, etc., semblent donc relever de ce premier
niveau (2) Un niveau juridique où il est question de l’institution judiciaire qui véhicule les principes de la
légalité et de l’équité. (3) Un niveau politique où la justice parait être au fondement moral de l’organisation
du pouvoir ainsi que le garant de sa légitimité. (4) niveau social où la justice est conçue comme une
redistribution des richesses dans le but de réduire les inégalités et de donner à chacun les mêmes chances de
réussir. Si la justice recouvre des niveaux aussi variés, cela ne menace-t-il pas son unité conceptuelle ? Quel
sens général pourrait-il unifier toute cette variété sémantique ?

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1.2- Justice ou équité ?

Idéalement, la justice doit-elle être telle une morale rigide et inflexible ou tel un corpus de lois et de
droits adaptables et flexibles ? Adapter la loi au cas particuliers, cela s’appelle l’équité. Un juge ne doit pas
appliquer la loi mécaniquement, mais il doit l’adapter aux cas individuels présentés devant lui. Cette
adaptation peut donner lieu à la jurisprudence, c’est-à-dire à l’interprétation par un tribunal d’un détail de la
loi qui vaut ensuite comme loi ;

1.3- Justice en fait et justice en droit ?

D’une certaine façon, on peut dire que la justice relève moins de ce qui est en fait, c’est-à-dire du
factuel, que de ce qui est en droit, c’est-à-dire du normatif. Cela veut dire la règle de droit sur laquelle repose
la justice doit relever non pas de ce qui est, mais de ce qui doit être. Que la justice soit difficilement appliquée
comme idéalité n’empêche pas qu’elle sert au moins un but. Avoir les mêmes chances à l'école relève de la
justice normative ; dire à la manière du sociologue qui se charge d’étudier les faits sociaux, que l'école
reproduit les inégalités sociales, c'est un fait : un fait injuste, dirions-nous. La normativité de la justice
implique la question de son rapport au droit : pour être juste, la règle de droit doit-elle être normative ou
plutôt réglée sur le ressenti naturel et spontanée ?

2- La justice et le droit sont-ils identiques ?

2.1. Chevauchement sémantique

La justice et le droit sont des notions voisines, qui se croisent et se chevauchent aussi bien
étymologiquement que moralement et juridiquement. Le mot latin jus, duquel est dérivé le mot français
justice, signifie en effet « le droit » ; le mot latin justitia signifie la conformité au droit dans la mesure où
c’est également une conformité aux règles morales. Ajoutons que le substantif « droit » fut employé au
singulier chez les Grecs pour désigner ce qui est juste, à la fois moralement et juridiquement. Deux questions
peuvent être posées ici : le droit est-il nécessairement juste ? La variété des espèces de droit ne menace-t-elle
pas l’unité du concept de droit et, par là-même, l’idéal d’une société et d’un État justes ? Répondre à ces
questions exige peut-être de commencer par répondre à une tout autre question préalable : quelle espèce de
droit convient-elle à l’idéal de la justice ?

2.2- La justice entre le droit objectif et le droit subjectif

Le sens de la justice dépend en grande partie de l’espèce de droit sur lequel elle se fonde. Il s’agira
d’abord de distinguer entre les différentes formes de droit. On peut distinguer entre le droit objectif et le
droit subjectif. Le droit, au sens objectif, est l’ensemble des lois qui régissent les rapports des hommes entre
eux tantôt sous forme d’ordres et de règles à respecter infailliblement, tantôt sous forme de sentences
répressives. Le droit ordonne ; et en cas d’infraction, il punit comme dans le Code pénal en France qui
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contient l’ensemble des lois fixant les différentes peines. Quant au droit subjectif, il trouve son fondement
dans la nature de l’homme, précisément dans la faculté et le devoir de faire, de procéder et d’exiger comme
semble nous l’imposer notre nature. Ce droit peut être en contraste avec le droit objectif. Faut-il intégrer les
éléments du droit subjectif dans l’élaboration des lois du droit objectif ? Jusqu’à quel point le droit objectif
pourrait-il être conforme à la nature humaine ? Comment concilier ces deux espèces de droit en vue d’une
justice à la fois contraignante et conforme à la nature de l’homme ? Que dire, entre autres, du droit à
l’avortement ? Afin de répondre à ces questions, il conviendrait de s’interroger sur l’existence d’un droit
naturel et, plus particulièrement, sur ce qui l’opposerait au droit positif.

2.3- La justice entre le droit naturel et le droit positif

2.3.1- La justice, le droit naturel et la légitimité

Par droit naturel il est généralement entendu le droit dérivé de la nature des choses ou de l’homme,
une sorte de loi universelle et immuable qui transcende toutes les lois positives établies par l’homme, parce
qu’elle relève de ce que devraient être les lois par nature. Le droit naturel fonde ce qu’on appelle les droits
fondamentaux (droits « de »), ces derniers se distinguent de ce que l’on appelle les droits dits « socio-
économiques » (droits « à »). Les premiers semblent innés chez l'homme ; c’est le cas par exemple du droit
d'expression. Les seconds sont générés par les institutions de l'État et visent à égaliser les conditions de vie
comme, par exemple, le droit au logement ou le droit au congé de maladie. La question qu’on peut se poser
ici est : la frontière entre ces deux types de droits est réellement infranchissable ? N’est-il pas vrai d’ailleurs
que, de nos jours, le droit d’expression est passé d’un statut de droit fondamental à un statut de droit civil ?

Le droit naturel relève de la légitimité, non de la légalité. La légitimité désigne ce qui relève d’une
justice au-dessus des États, des circonstances. Ainsi en va-t-il des déclarations des droits de l’homme, mais
aussi de certaines désobéissances aux pouvoirs établis (droit de résister à l’oppression, désobéissance
civile…), que pourrait justifier l’idéal de légitimité.

Dans La République de Platon, le personnage de Calliclès symbolise la notion de droit naturel


comme droit du plus fort. Il s’agit de la conception sophiste qui, tirant argument de la différence des qualités
et des compétences des humains, en vient au principe de la nécessité de conformer le droit aux lois de la
nature, les seules d’ailleurs à attester de l’inégalité entre les hommes. Calliclès vante les mérites d'une justice
ne reposant que sur la force. S'il existe des plus forts par nature, il est juste qu'ils puissent dominer les faibles
et les incapables. Calliclès prétend même que le tyran et le roi méritent leur pouvoir et avantages, avant
d’ajouter qu’il est tout autant juste qu'ils l'emportent sur le reste des citoyens.

Rousseau critique vigoureusement cette forme de droit qui, eu égard à la justice, reste sans valeur
réelle. Selon lui, le droit du plus fort ne peut assurer une justice sociale sans faille, car la force ne peut fonder

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et assurer une autorité durable, c’est-à-dire que son efficacité ne dure qu’aussi longtemps que dure la force :
« Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et
l'obéissance en devoir » (Du contrat social 1762). L’annihilation du « droit du plus fort » favorise la
soumission volontaire à l’autorité légitime et multiplie les chances d’établir une forme de droit juste.

Rousseau pense que la caractéristique dominante chez l'homme à l'état de nature, ce n’est pas la
force, mais la pitié. C’est parce qu’elle signifie la répugnance à voir souffrir autrui, que la pitié empêche
chacun de nuire à autrui ; avec l'amour de soi, c’est-à-dire le souci de se conserver, elle mène à cette « loi
naturelle » inscrite en l'homme originel, l'homme précédant la société, qui prouve que, pas plus que
l'injustice, l'inégalité n'est jamais « autorisée par la loi naturelle ». Le droit naturel comme droit du plus fort
mène à l’idée de propriété, la pitié et l’amour, eux, se rangent du côté du « principe naturel » selon lequel «
les fruits sont à tous et la terre n'est à personne ». La propriété est une injustice ; la pitié et l’amour sont
l’égalité elle-même.

2.3.2. La justice et le droit positif

Le droit positif est l'ensemble des lois en vigueur dans une société telles qu'elles existent et telles
qu’elles sont établies par une autorité humaine ou divine. La tradition, les mœurs et les coutumes de la société
sont un des fondements de ce droit. Les lois établies définissent le domaine de la légalité, c’est-à-dire de la
conformité aux lois établies par l’État telles qu’elles existent dans tel pays, à telle époque. La légalité ne
trouve donc son fondement et sa justification ultime que dans l’institution étatique et l’ordre établi. Sauf que,
aux yeux d’une règle supérieure, cet État peut être injuste et ses lois condamnables.

On peut reconnaître dans le droit positif les limites du droit naturel. En sa qualité de droit créé
artificiellement par les sociétés, posé et établi par une institution, le droit positif peut aider à mettre fin à
l’égoïsme et à l'agressivité des hommes qui, livrés à eux-mêmes, risquent de contrevenir aux lois. Comme
le fait remarquer Thomas Hobbes, le droit naturel est le droit des hommes « sur toutes choses, et même…
sur le corps des autres ». Or les lois prescrites dans le cadre d’un droit positif peuvent rendre caduque une
loi si aveugle ; en répondant aux besoins incessamment renouvelés de la société, ces lois favorisent
l’harmonie tant souhaitée du droit et de la justice. L’État en est le seul garant à travers ses différents organes
: le pouvoir législatif (chargé d'établir les droits), le pouvoir exécutif (chargé de faire appliquer le droit) et le
pouvoir judiciaire (chargé de juger les délits et les peines). Un tel État, s’appelle l’État de droit. Jusqu’à quel
limite la justice dépend des lois artificielles que les hommes se doivent d’inventer eux-mêmes et de respecter
? Telle est la question.

Cette variété de droits auxquels on peut ajouter ce que saint Thomas d'Aquin (1224- 1274) appelle
le droit divin (issu de la manière dont Dieu a disposé les choses), rend difficile d’établir une notion de droit
qui soit la seule juste ou la seule injuste. Une même et seule situation serait donc susceptible d'être examinée
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de différentes façons possibles, selon le type de droit observé ou adopté. Pour n’en donner qu’un exemple,
la propriété commune apparaît aux yeux des partisans du droit divin comme injuste, car les choses
n’appartiennent qu'à Dieu ; aux yeux des partisans du droit naturel, elle apparait comme juste, car il est
naturel de posséder en commun des biens pour subvenir aux besoins. Et inversement, la propriété personnelle
n’apparait comme juste qu’aux yeux des partisans du droit positif, car la vie en société est facilitée, si les
hommes ont des biens propres.

3. La justice : une question de volonté ou de vertu ?

Avant de s’inscrire dans la loi et dans les institutions, la justice est d’abord un sentiment intérieur,
qui se remarque très tôt chez l’enfant par une sensibilité aiguë face à toute injustice qui le touche ou qui
touche tous les autres. Chez l’adulte, ce sentiment prend la forme d’une conscience particulière, que les
anciens appelaient « vertu ». Le simple fait d'obéir extérieurement à une loi juste ne suffit donc pas pour
faire de l'homme un homme juste. Être juste suppose la volonté d'être juste, aussi bien intérieurement, c’est-
à-dire par l'effet de sa propre conscience, qu’en vertu d'un principe moral nous faisant comprendre la finalité
et le caractère souverain de la loi à laquelle on obéit.

Un récit du livre II de la République de Platon montre que l’obéissance aux lois ne rend pas
nécessairement l’homme juste en lui-même, pas plus qu’il ne fonde nécessairement la morale. Il s'agit de
l'histoire de Gygès, berger reconnu par tous comme un homme droit et vertueux, et qui, mis en possession
d'un anneau le rendant invisible, va se livrer à tous les crimes et délits possibles. Le récit illustre la distance
qui sépare l’acte juste et moral, d’un côté, et la justice et le droit, de l’autre.

Seul l’accord du principe et de l’acte semble pouvoir réduire cette distance. Être juste, c’est veiller
d’abord à ce que le principe et l’acte soient en accord. Or cela présuppose un effort préalable que doit faire
chaque citoyen sur lui-même en apportant un certain équilibre au sein de l’âme ; car de cet équilibre
individuel pourra naître une cité juste, vertueuse et équilibrée. L’homme juste, pour Platon, est celui qui
s’arrache à sa nature déraisonnable afin d’assurer l’équilibre entre les trois vertus que sont : la vertu de la
tempérance, qui domine les désirs des individus (les producteurs au sein de la cité utopique imaginée par
Platon), la vertu du courage, (qualité des gardiens de la cité) et la vertu de la sagesse, qui, elle, caractérise
les sages pressentis pour la gouvernance (philosophes-rois). Seuls les hommes aux âmes harmonieuses
connaissent la justice et peuvent ensemble donner vie et forme à une cité juste. Un homme à l’âme
harmonieuse est quelqu’un dont chaque partie de l’âme est à sa place et dont les trois parties de l'âme -
rationnelle, irascible et désirante - sont ordonnées de telle sorte que la partie irascible maîtrise la partie
désirante tout en se laissant, à son tour, guider par la partie rationnelle. C’est ainsi que l’homme acquiert de
la tempérance et cesse d’abuser des plaisirs.

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Bien qu’il ait rejeté l’idéalisme utopique de Platon, Aristote n’a pas hésité à reprendre l’idée
platonicienne de l’équilibre pour affirmer que l’équilibre juste en nous-mêmes et par rapport aux autres vient
de la vertu, celle-ci étant, par définition, justice ; en d’autres termes, si l’on ne choisit pas la vertu, c’est-à-
dire si on ne la veut pas, l’âme peinera à être harmonieuse.

Spinoza (1632-1677) pose la question autrement. Pour lui, l’important, c'est de savoir pourquoi on
obéit à une loi. Car c’est la seule façon d’éviter les malentendus à ce sujet. Dans un passage de Traité
théologico-politique, Spinoza fait remarquer que les hommes éprouvent de la difficulté à comprendre ce que
sont les lois en elles-mêmes, à savoir les règles que l'homme s'impose lui-même dans un certain sens. On
fait comprendre aux hommes que les lois sont des contraintes asservissantes, c’est-à-dire des règles
auxquelles on doit obéir sous peine de sanction. Mais l’obéissance aux lois simplement par crainte d'être
puni ne fait de nous des hommes libres et justes. Seul l'homme qui obéit à la loi « parce qu'il connaît la vraie
raison des lois et de leur nécessité » peut être libre et juste. Obéir à une loi juste est loin de suffire pour être
réellement juste ; il faut de la volonté aussi. Obéir volontairement, en étant en accord avec ses principes (de
raison), est ce qui permet d’obéir comme si l'on obéissait à soi-même. L'homme obéit à la loi, parce qu’il
obéit à la raison avec laquelle il est désormais en parfaite harmonie.

4- Doit-on respecter la loi même si elle est injuste ?

Dans Criton, Platon raconte la manière dont Socrate, alors condamné à mort par sa cité et informé
de sa mort prochaine, réagit à la proposition que lui fait Criton de prendre la fuite. Socrate n’acquiesça pas
à cette proposition. Il commence par condamner comme injuste le fait de vouloir rester en vie à tout prix ou
encore le fait de se venger, puis il montre qu'il faut respecter le jugement des lois, dont l'autorité est
souveraine. Dans un passage célèbre, Platon fait ainsi imaginer à Socrate le discours qu'auraient les lois, si
elles apprenaient son désir de prendre la fuite. Telle est la prosopopée (personnification) des lois, qui parlent
par la bouche de Socrate. Condamner le jugement des lois reviendrait à remettre en question tous les
fondements de l'État et à renier tous ses bienfaits. Socrate leur fait dire que c'est par elles qu'il a été mis au
monde, élevé et éduqué, et qu'il était libre de choisir une autre cité s'il préférait d'autres lois. Puis Socrate
décrit le sort indigne qui l'attendrait s'il s'enfuyait, obligé de justifier sa conduite ingrate et de subir en enfer
la colère des lois de sa cité trahie. Par ce discours, Socrate montre à quel point l'homme est redevable à la
cité et à ces lois, par lesquelles seules il peut acquérir une éducation et dompter sa nature sensible. Si les lois
sont injustes, c'est seulement par la faute des hommes, l’allusion étant faite ici à ses détracteurs et ennemis,
les sophistes.

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5-La justice entre l’égalité et l’équité

On peut penser qu'une loi doit, pour être juste, reposer sur le principe de l’« égalité », en imposant
à tous les hommes les mêmes devoirs et en faisant respecter pour tout un chacun les mêmes droits. Mais il
ne semble pas suffisant pour être juste de faire respecter les mêmes droits pour chacun et obéir à la loi. Les
hommes sont différents. D’où peut être l’importance de considérer plutôt l'« équité », c’est-à-dire, comme le
soutient Aristote, l’adaptation des lois aux cas particuliers, comme fondement de la loi juste.

Théoriquement, on peut s’imaginer une société réglée sur le principe de l’égalité juridique (l’égalité
devant la loi), l’égalité économique et sociale et l’égalité des chances (la gratuité de l’école). Néanmoins, la
mise en œuvre concrète de ces principes par les lois pose problème. D’un côté, une justice qui se contente
d’affirmer l’égalité en droit entre les hommes sans chercher à la réaliser concrètement semble inefficace.
D’un autre côté, on ne peut, au nom du principe théorique d’égalité, décider de redistribuer toutes les
richesses et de supprimer toutes les inégalités sociales et économiques. Le risque serait alors de porter atteinte
à la liberté individuelle. Dès lors, comment concilier liberté et égalité, initiative personnelle et égalité des
chances, concurrence et solidarité sociale ?

En quel sens la justice peut-elle être sociale sans manquer d’être équitable ? Réaliser une telle
justice exige que des conditions soient infailliblement remplies dont, entre autres :

1 – La distinction entre la justice commutative et la justice distributive. Cette distinction vient d’Aristote
dans son fameux Éthique à Nicomaque. Aristote est conscient que les deux principes de justice différent,
mais rien n’empêche qu’ils soient complémentaires. D’un côté, l’on peut aspirer à une justice commutative
(qui se charge de régler l’égalité des échanges) qu’exprime le principe : « à chacun la même part », principe
qui veut que les individus soient considérés comme égaux et que les mêmes droits leur soient accordés, c’est-
à-dire que, dans l’échange juste, les produits échangés doivent être de valeur égale. D’un autre côté, l’on
peut tout autant aspirer à une justice distributive qui, elle, renvoie à une égalité proportionnelle que gouverne
le principe : « à chacun son dû », en fonction de son travail, de son mérite, de ce qu’il a dépensé….
De toute évidence, cette distinction vise à éviter l’égalitarisme (le fait d’attribuer à tous la même
chose sans tenir compte des différences) autant qu’elle vise à éviter l’inégalité. Le problème se pose plus
avec la justice distributive, car elle peut être perçue de deux façons divergentes : soit en fonction du mérite
de chacun (« À chacun selon son mérite » pour la récompense et les salaires par exemple) ; soit en fonction
des besoins de chacun (« À chacun selon ses besoins », par exemple en matière d’allocations familiales en
fonction du nombre d’enfants à charge dans une famille et des revenus)

2 – La condition qui consiste à fonder la justice sur les punitions, sans laisser de place à une marge de
vengeance. Car dans les punitions, l’on peut supposer des lois établies par un arbitre neutre, alors que dans

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la vengeance, c’est le sentiment subjectif qui triomphe. Nous avons un exemple sur ce type de justice pour
soi-même dans la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent). Certes, une loi de ce genre vise essentiellement
à mettre un frein à la spirale de l’injustice des sévices et à rappeler la capacité de tout un chacun à résister à
l’injustice. Il n’en reste pas moins vrai qu’une telle loi connait des limites, car elle n’est juste qu’à mesure
qu’elle parvient à lutter contre la tentation des individus de se faire justice eux-mêmes.

3 – La condition qui consiste à établir une justice sociale qui soit proportionnelle, c’est-à-dire fondée non
pas sur l’égalité entre les droits de chacun, mais plus précisément sur une redistribution des richesses qui
autant qu’elle tienne compte de l’équilibre au sein de la société cherche à compenser les inégalités. Pour
Marx, en effet, un droit absolument juste est un droit inégal et idéaliste. La véritable justice sociale ne doit
pas être fondée sur l’égalité, car celle-ci peut être injuste dans les circonstances concrètes de la vie. La
véritable égalité doit se fonder sur un traitement inégal de chacun. Le socialisme, selon Marx, doit être défini
selon le principe : « À chacun selon son travail », le communisme selon le principe : « À chacun selon ses
besoins ». Pour conclure, on peut dire qu’une justice est réellement sociale, si elle s’inspire et des principes
de la légalité et des principes de la légitimité.

Fin

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