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DOUTE ET CONVICTIONS

Introduction à la philosophie de Cicéron

Tome II : Chapitres annexes et bibliographies

Dissertation présentée par Stéphane Mercier


en vue de l’obtention du grade
de Docteur en Philosophie

Promoteur : prof. Jean-Michel Counet

Louvain-la-Neuve, septembre 2009


CHAPITRES ANNEXES
« Se consacrer à la lecture et à l’écriture, adoucir la
fatigue que donne l’une des deux par le repos que procure
l’autre, lire les écrits des Anciens, écrire ce que liront les
hommes à venir, et, en remerciement du bienfait que nous a
apporté la littérature antique, témoigner de la reconnaissance
et du souvenir au moins envers les hommes à venir si nous
ne le pouvons envers les anciens, sans nous montrer, autant
que possible, ingrats envers ceux-ci, mais faire connaître
leurs noms s’ils sont inconnus ou ramener à la lumière ceux
que leur grand âge a ensevelis et les transmettre aux
générations de nos arrière-petits-fils comme dignes de
respect ; les porter dans son cœur et les avoir à la bouche
comme quelque chose de doux et, pour finir, leur témoigner,
en les aimant de toutes les façons, en se souvenant d’eux et
en les célébrant, une reconnaissance obligée, à défaut d’être
égale à leur mérite », voilà tout ce que nous voulons
(Pétrarque, VS I 6).
REMARQUES PREALABLES
A PROPOS DES CHAPITRES ANNEXES

P laton, Sénèque et Pétrarque ont été sollicités dans le cours de notre étude, certes,
mais ne l’ont été que ponctuellement, et pas toujours sur les questions où l’on eût
escompté les croiser ; c’est que, à propos de ces questions (la vertu comme unique bien
chez Sénèque, par exemple), les rencontrer eût entravé la bonne marche de notre exposé,
en raison de l’abondance de la matière à invoquer 1 . Voilà pourquoi il nous a paru
préférable de réserver les convergences de vues, les parallèles les plus substantiels à ces
annexes. Celles-ci, étant conçues comme autant de suppléments aux notes de bas de pages,
prendront plutôt la forme d’essais, dans lesquels la trame des références sera très dense.
Point de « littérature secondaire » ici, car il s’agit seulement de mettre en évidence la
présence de réflexions et d’idées qui, chez ces auteurs, répondent aux vues de Cicéron
telles que nous les avons exposées dans le corps de notre étude.
Les essais formant nos chapitres annexes ont l’allure de constellations de références
(plus de 900 au total), car l’essentiel ne résidait pas dans l’analyse, mais dans l’invention –
au sens de « découverte » – des loci similes, et dans l’organisation de ceux-ci de manière à
former un tout cohérent. Plutôt que de nous cantonner à telle ou telle œuvre déterminée,
nous avons cru opportun, afin de mieux manifester l’étendue des similitudes relevées entre
nos auteurs, de limiter le nombre des auteurs en question, de manière à pouvoir proposer
un relevé tiré de la lecture de leurs œuvres intégrales (ce que, faute de temps, ou plutôt
parce que nous n’avons pas toujours employé au mieux ce bien aussi précieux que fuyant,
nous n’avons pu faire que pour Platon et Sénèque ; l’essai relatif à Pétrarque n’est, par
conséquent, que l’ébauche de ce qu’il eût été si nous avions lu toute son œuvre) ; il nous
semble en effet que lire un auteur dans son intégralité permet de mieux apprécier la

1
D’autres auteurs, nous l’avons signalé à la fin de notre préface, eussent également trouvé leur place en
annexe, tant il y avait des choses à dire les concernant et en relation avec Cicéron (et nous pensons en
particulier à Plutarque ou à Montaigne, dont il nous eût été agréable de traiter), mais, comme le dit Aristote,
il faut bien s’arrêter (Met. XII 3, 1070a4) ; et Platon lui-même est de cet avis, quand il observe qu’un travail
ne cesse jamais d’être fini, si on veut l’accroître et le peaufiner sans cesse : « Nous ressemblons » alors, dit
l’Étranger du Politique, « à des statuaires qui, dans leur zèle parfois intempestif à charger de détails ou à
agrandir plus qu’il ne le faut chacune de leurs œuvres, en retardent l’achèvement » (Pol. 277a ; à rapprocher
de Nom. VI 769a-b : « Tu sais, pour prendre un exemple, comment le travail des peintres qui cherchent à
reproduire différents êtres vivants paraît sans limites : mettre de la couleur ou en changer, ou quel que soit le
nom que les peintres lui donnent, ce travail d’embellissement semble ne jamais pouvoir s’arrêter »).
Remarques préalables 6

tournure d’ensemble de sa pensée, car « on ne doit pas juger les philosophes d’après
quelques mots », comme l’observe très justement Pétrarque, « mais bien d’après
l’ensemble permanent de leurs doctrines, comme je l’ai appris de Cicéron lui-même et,
plus encore, de la raison naturelle » (IGN 4).
Sénèque n’est pas d’un autre avis, quand, dans l’une de ses Lettres à Lucilius, il
recommande à son ami de « déposer l’espoir de goûter en l’effleurant le génie des grands
hommes : il faut que ton regard l’embrasse tout entier, que tu le retournes sous toutes ses
faces. Tout s’effectue chez eux par continuité. Chaque trait de l’œuvre de génie est un des
filaments qui composent la trame et qui la soutiennent ; rien ne s’en peut retrancher :
autrement, tout croule. Je ne refuse pas qu’on examine le détail des membres, mais que ce
soit dans le sujet entier. Une belle femme n’est pas celle dont on vante la jambe ou le bras :
c’est celle dont un ensemble de formes retire au détail l’admiration » (Ep. IV 33.5).
Dans cette perspective, et pour ne pas modeler servilement la progression de notre
exposé, dans ces annexes, sur le plan de notre étude consacrée à Cicéron lui-même, nous
organiserons la matière conformément à ce que nous suggèrent1 les œuvres de chacun des
auteurs traités dans ces chapitres : « Là où l’argument de la discussion, tel un souffle, nous
portera, c’est là que nous devrons nous rendre », comme le dit Platon (Resp. III 394d). Les
liens avec la pensée de l’Arpinate seront, du reste, suffisamment manifestes pour qu’il ne
soit pas indispensable de renvoyer sans cesse à l’étude principale : la chose, à notre avis,
serait fastidieuse, et sans profit réel.
En ce qui concerne l’étendue de chacun des trois essais qui vont suivre, il est naturel
que celui que nous consacrons à Pétrarque soit le plus bref, dans la mesure où il ne repose
que sur une lecture partielle de ses écrits. Les thèmes que nous avons choisi de retenir chez
Platon, parce qu’ils n’étaient pas toujours ceux qui nous sont apparus les plus pertinents
concernant Sénèque, expliquent que l’essai sur le premier de ces deux philosophes soit
sensiblement plus court que celui qui porte sur le second. Du reste, nous ne chercherons
pas à celer que, quoique nous admirions beaucoup l’œuvre du philosophe athénien, notre
affection toute particulière pour Sénèque, « le meilleur des maîtres de morale » aux dires
de Pétrarque (IGN 3), n’est pas étrangère à l’ampleur prise par les considérations portant
sur son œuvre…
Dira-t-on, enfin, que, tout cela, il suffisait de l’avoir vu dans notre étude principale, à
propos de l’Arpinate ; que quelques références eussent été suffisantes ; que, quitte à
aborder d’autres auteurs, une étude plus approfondie eût été plus souhaitable ? Le dernier
point est incontestable, mais chaque travail a ses limites, et ce que nous n’avons pu
entreprendre ici pourra fort bien être l’objet d’études ultérieures. Quant aux deux premières
remarques, elles concernent vraisemblablement la dimension répétitive des annexes que

1
La part donnée à la subjectivité est plus importante encore ici qu’ailleurs, puisque, dans le choix des
passages retenus afin d’élaborer ces chapitres, c’est en lecteur de Cicéron que nous avons lu ou relu Platon,
Sénèque et Pétrarque. Un autre point de vue, d’autres attentes, eussent assurément donné à ces pages une
toute autre physionomie ; et, comme le dit Pétrarque, « un même vent ne peut également contenter des
hommes que la navigation porte vers des rivages contraires » (VS I 3). Que les spécialistes de chacun des
auteurs traités ici nous pardonnent de les avoir moins utilisés pour eux-mêmes que dans la perspective de
notre étude sur la pensée de Cicéron !
Remarques préalables 7

nous proposons ; nous ne contestons nullement cet aspect de la question, mais bien la
conclusion qui en est tirée, car il est des choses qu’il n’est pas inutile de reprendre, de
redire et de mieux cerner en y revenant à plusieurs reprises. Comme l’écrit en effet Platon,
« c’est une belle chose, dit-on, que de parler deux ou trois fois des belles choses, et de les
examiner autant » (Gorg. 498e) ; et Sénèque assure de même que « toute vérité salutaire
veut être souvent retournée, souvent ressassée, de sorte que, non contents de la connaître,
nous l’ayons sous la main » (Ep. XV 94.26). Qui plus est, en revenant sur des éléments que
nous avons déjà rencontrés chez Cicéron, nous pensons les manifester sous un jour
différent en faisant porter sur eux la lumière d’un autre éclairage.
CHAPITRE PREMIER
PLATON*

1. Le point de vue socratico-platonicien


Nous n’avons certes pas la compétence pour proposer une étude sur Platon ; comme
nous l’avons indiqué dans la préface, ce n’est pas non plus notre ambition dans le cadre de
ce qui est, à proprement parler, un essai où, en tant que lecteur de Cicéron, nous nous
sommes efforcé de repérer quelques éléments qui, chez le fondateur de l’Académie,
trouvent un écho dans la philosophie de l’Arpinate telle que nous l’avons présentée.
L’insistance sur un nombre réduit de points ne doit pas déconcerter, puisque, s’agissant
de Platon et de Socrate, il est naturel de retrouver les mêmes affirmations sans cesse
répétées. Calliclès, dans le Gorgias, se croyait fondé à le reprocher à Socrate, et, croyant
l’humilier, il le représentait « rabâchant toujours les mêmes choses ». Loin de s’en indigner,
Socrate, comme on le sait, lui répondait avec bonhomie que ce qu’il disait était en réalité
pleinement conforme à la vérité : « Oui, non seulement les mêmes choses, Calliclès, mais
en plus les mêmes choses pour répondre aux mêmes questions » (Gorg. 490e). Or ce n’est
pas là un défaut, que du contraire, car, sous les dehors de la banalité et d’une répétition
constante des mêmes idées, nous découvrons une pensée rigoureuse, dont les
contradicteurs ne voient pas suffisamment la profondeur. Alcibiade note en ce sens que
Socrate « a toujours l’air de dire la même chose et dans les mêmes termes », et que ses
discours prêtent le flanc aux moqueries et aux critiques de ceux qui les méprisent (voir, en
ce sens, une remarque indignée du sophiste Hippias en Hipp. mai. 288c-d) ; mais, poursuit
alors Alcibiade, « une fois ces discours ouverts, si on les observe et si on pénètre en leur
intérieur, on découvrira d’abord qu’ils sont, dans le fond, les seuls à avoir du sens, et
ensuite qu’ils sont on ne peut plus divins, qu’ils recèlent une multitude de figurines de

*
Ce bref essai est fondé sur les neuf tétralogies de Platon, qui incluent donc un certain nombre de dialogues
dont l’attribution au fondateur de l’Académie est contestée (le Second Alcibiade, le Minos, etc.), mais que
l’Antiquité tenait généralement pour authentiques : notre propos, en effet, n’est pas de reconstituer la pensée
du Platon historique, mais de retrouver, dans le corpus platonicien (à l’exception de quelques œuvres
certainement apocryphes : Alcyon, Sur la vertu, etc., d’ailleurs extérieures aux neuf tétralogies rassemblées
par Thrasylle), des thèmes développés par Cicéron dans son œuvre. Les abréviations sont toujours données
d’après le titre latin (ou la forme latinisée du grec, comme pour le Banquet, noté Symp.), sauf pour les Lois :
nous y renvoyons en indiquant Nom., pour le grec Νόµοι, plutôt que Leg., pour éviter toute confusion avec
le traité cicéronien des Lois ainsi désigné. En ce qui concerne le Phèdre, nous y renvoyons par l’abréviation
Phdr., réservant Phaedr. à la tragédie de Sénèque ; de même, Epist. renvoie, dans ce chapitre, aux lettres de
Platon, tandis que Ep. est réservé à celles de Sénèque à Lucilius.
Chapitre premier : Platon 9

l’excellence, que leur portée est on ne peut plus large, ou plutôt qu’ils mènent à tout ce
qu’il convient d’avoir devant les yeux si l’on souhaite devenir un homme accompli »
(Symp. 221e-222a).
Ce que veut donc dire Alcibiade, c’est que sous l’apparente trivialité du propos
socratique et du « rabâchage » méprisé à tort par un Calliclès se cache une pensée dont la
portée n’est pas aisée à saisir. La question, pour nous, restera largement ouverte, et ce n’est
pas ici le propos de prolonger la réflexion sur la pensée du Socrate historique, ni, a fortiori,
sur celle de Platon mettant en scène son ancien maître dans un grand nombre de dialogues.
La prudence sera donc de mise, et nous pouvons reprendre à notre compte les hésitations
de Théétète lorsque, s’adressant à Socrate, il confessait : « En fait, je ne suis même pas
capable de distinguer si tu dis ces choses parce que c’est ton avis, ou si c’est moi que tu
mets à l’épreuve » (Theaet. 157c). Nous reviendrons plus loin sur le rôle essentiel du
dialogue pour approcher la vérité, mais, pour l’heure, ajoutons seulement que Socrate lui-
même ne prétend pas toujours dire ce qu’il pense. Ainsi, dans l’Axiochos par exemple, il
signale explicitement qu’il présente non pas tant ses propres réflexions que l’enseignement
du sophiste Prodicos, dont il se fait alors l’écho (Ax. 366b-c). De même, interrogé, dans la
République, sur ce que peut bien être son point de vue personnel sur la question dont il
discute avec les frères de Platon, Socrate s’empresse de faire une mise au point : jamais il
n’a prétendu que la position qu’il développait était effectivement la sienne, celle qu’il
professait à titre personnel (voir Resp. III 389a)…
Notre perspective est donc très réduite, et n’a guère d’autre prétention que de manifester
quelques points de rencontre entre la pensée platonicienne et celle de Cicéron ; mais
« mieux vaut embrasser peu, mais bien, que beaucoup, sans y arriver » (Theaet. 187e). Qui
plus est, rien ne nous assure que Platon, dans les dialogues publiés par lui, a réellement
choisi de nous livrer sa pensée : la célèbre lettre 7 contient, à cet égard, une mise en garde
qu’il n’est pas permis d’ignorer. À propos d’un traité prétendument composé par le tyran
Denys II le Jeune et relatif aux « matières les plus importantes », qui concernent la science
de la nature, Platon écrit avec insistance que « là-dessus, en tout cas, de moi en tout cas, il
n’y a aucun ouvrage écrit, et il n’y en aura même jamais, car il s’agit là d’un savoir qui ne
peut absolument pas être formulé de la même façon que les autres savoirs, mais qui, à la
suite d’une longue familiarité avec l’activité en quoi il consiste, et lorsqu’on y a consacré
sa vie, soudain, à la façon de la lumière qui jaillit d’une étincelle qui bondit, se produit
dans l’âme et s’accroît désormais tout seul » (Epist. 7 341c-d). Dans la suite de cette même
missive, il est encore parfaitement clair à ce sujet : « Aucun homme sérieux qui s’occupe
de questions sérieuses ne se risquera jamais, tant s’en faut, à faire tomber en écrivant de
pareilles questions dans le domaine public, où elles seront exposées à l’envie et à la
perplexité ». Il poursuit : « En conséquence, il faut donc, en un mot, chaque fois qu’on voit
des ouvrages écrits par quelqu’un, que ce soit par un législateur sur les lois ou par qui que
ce soit d’autre sur n’importe quel sujet, considérer que ce n’est pas là ce qu’il y a de plus
sérieux pour lui, si toutefois il est lui-même un homme sérieux, mais [ce qu’il y a de plus
sérieux] se trouve, je suppose, dans la partie de lui-même qui est la plus belle. À supposer,
au contraire, que ce soit ce qu’il prend réellement au sérieux qu’il a confié à l’écrit, ‘alors
oui, c’est donc que’ non point les dieux, mais les mortels ‘lui ont eux-mêmes
complètement ruiné l’esprit’ [Il. VII 360 et XII 234] » (Epist. 7 344c-d).
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Dans le même esprit, l’Étranger d’Athènes tenait des propos sévères sur l’inanité des
choses humaines dont on pouvait s’entretenir : « Même si, en vérité, les affaires humaines
ne méritent guère qu’on s’en occupe, il est toutefois nécessaire de s’en occuper ; voilà qui
est dommage » (Nom. VII 803b ; comparer avec Resp. X 604b-d, que nous citerons dans la
dernière partie de ce chapitre). Mégille, son interlocuteur lacédémonien, ne pouvait, tout
taciturne qu’il fût, manquer de s’étonner de l’entendre parler ainsi ; aussi l’Étranger reprit-
il, en modérant cette fois son propos : « Ne t’en étonne pas, Mégille, pardonne-moi plutôt.
Car c’est parce que j’avais le regard fixé sur le dieu et l’esprit plein de lui que j’ai dit ce
que je viens de dire. Mettons donc, si cela te fait plaisir, que le genre qui est le nôtre n’est
pas sans valeur, et qu’il mérite d’être pris quelque peu au sérieux » (Nom. VII 804b-c). Si
donc le propos de la lettre 7 doit peut-être, lui aussi, être tempéré dans une certaine mesure,
comment ne pas penser malgré tout qu’il y a, dans ce que Platon choisit de diffuser par
écrit, bien peu en comparaison de ce qui mérite d’être approché par les véritables
philosophes ? Zhuangzi, un peu dans le même esprit, dénonçait la vanité de l’écrit comme
n’étant, en fin de compte, que les restes rejetés par un esprit qui a digéré ses connaissances1,
mais nous n’en sommes pas là. Que du moins tout ceci nous serve de précaution, pour ne
pas croire que nous avançons quoi que ce soit de vraiment assuré, sous peine de prétendre
à plus que nous n’avons réellement pu saisir, et de devoir nous exclamer : « C’est d’un
songe, j’en ai peur, que nous nous sommes enrichis ! » (Lys. 218c).

2. Bien débuter ; engagement et désengagement


Puis donc qu’il ne faut pas nous laisser abuser par des mots, il n’est pas inutile de
considérer combien Platon met en garde son lecteur, pour lui éviter de se prendre à leur
piège en leur accordant une attention qui doit plutôt aller vers ce que ces mots nous
permettent de viser. Cela induit, de sa part, une exigence de clarté qui doit permettre de ne
pas « batailler sur les mots » (Crat. 430c-d), car, comme nous le lisons dans le Théétète,
« ce n’est pas du mot qu’il doit être question, mais de la chose qui est considérée sous ce
mot » (Theaet. 177e). Voilà pourquoi il est essentiel de bien s’entendre, de manière à ne
pas engager sans profit un dialogue de sourds qui, faute de s’appuyer sur un accord
préalable, ne peut être d’aucun profit pour ceux qui y prennent part : « Mais tout d’abord, il
nous faut, toi et moi, nous mettre d’accord sur ce que nous estimons être le sujet de notre
délibération, pour éviter que, comme il arrive souvent, je n’aille supposer une chose et toi
une autre, et qu’après un long entretien nous nous sentions tous les deux ridicules, moi qui
conseille et toi qui consultes, en comprenant que nous ne parlions en rien des mêmes
choses » (Theag. 122b-c). Nous retrouvons donc ici l’idée qu’une petite erreur initiale
engendre des divergences qui, à mesure que l’on progresse, vont croissant ; « suppose »,
dit alors Socrate dans le Cratyle, « que celui qui posait les noms ait commis une erreur au
début ; […] comme dans une suite de démonstrations géométriques, malgré une erreur
initiale, petite et imperceptible, toutes les démonstrations qui suivent s’accordent
désormais entre elles. C’est sur le principe de son entreprise que tout homme, dans tout

1
Voir la fin du treizième chapitre du Zhunagzi ; ces « restes » (糟, zāo) sont, précisément, la « lie » (ainsi
dans la traduction de Liou Kia-hway) de leurs pensées, et donc les « déjections » (ainsi Jean Lévi) de ceux
qui les laissent derrière eux.
Chapitre premier : Platon 11

domaine, doit bien raisonner, pour examiner si ce principe a été correctement fondé ou
non » (Crat. 436c-d).
Le danger n’est donc pas de ne plus pouvoir aller de l’avant, mais de ne pas mesurer
que la cohérence même du raisonnement, à cause de la faute du départ, entraîne celui qui le
suit à commettre de lourdes erreurs, dont il ne peut même plus s’apercevoir s’il ne se
reporte pas aux prémisses sur lesquelles il s’était initialement appuyé. Il arrive ainsi que
« la plupart des gens ne s’aperçoivent pas qu’ils ignorent ce qu’est chaque chose. Aussi,
croyant qu’ils savent à quoi s’en tenir, ils ne se mettent pas d’accord au début de la
recherche, et, à mesure qu’ils progressent, ils le paient, comme il fallait s’y attendre ; en
effet, ils ne sont d’accord ni avec eux-mêmes ni entre eux » (Phdr. 237c). C’est pour cela
que, « en toute tâche, la chose la plus importante est le commencement » (Resp. II 377a) ;
et l’on comprend ainsi l’insistance de Socrate sur ce point, lui qui a le double souci, nous le
verrons, de la vérité et du raisonnement bien conduit1 : « Mettons-nous donc d’accord de
manière encore plus précise, pour éviter de nous disputer au fur et à mesure que nous
progressons » (Resp. IV 436c). Et si nous connaissons bien aujourd’hui le proverbe chinois
d’après lequel, quand il y a dix pas à faire, les neuf premiers ne sont que la moitié du
chemin, il importe d’avoir également à l’esprit celui que rapporte Platon dans ses Lois :
« Un proverbe dit que le commencement est la moitié de toute action, et tous les beaux
commencements recueillent des éloges unanimes » (Nom. VI 753e). Mais ne nous
méprenons pas, car il s’agit bien d’être attentif au point de départ et au sens des mots dont
nous nous servons, pas d’être obsédé par une acribie langagière qui serait hors de propos ;
et tel est le sens d’une recommandation de l’Étranger du Politique, mettant Socrate le
Jeune – qui n’est pas le jeune Socrate, mais un homonyme – en garde, pour qu’il ne verse
pas dans l’excès contraire en se montrant trop « pointilleux à l’égard des mots » (Pol.
261e).
Prenons un exemple où le vocabulaire ne doit pas nous abuser : nous parlons des quatre
vertus (voir en partic. Resp. IV 427e suiv., mais aussi Nom.I 631c-d) comme de quatre
réalités bien différentes et, jusqu’à un certain point, indépendantes les unes des autres.
Mais, en réalité, à bien considérer les choses, « même s’il y en a beaucoup et de toutes
sortes, elles possèdent du moins une seule forme caractéristique identique chez toutes sans
exception, qui fait d’elles des vertus. Une telle forme caractéristique », poursuit Socrate,
« est ce qu’il faut bien avoir en vue pour répondre à qui demande de montrer en quoi
consiste la vertu » (Men. 72c). Si la discussion est moins claire dans le Protagoras (voir
Prot. 329c suiv.), il ressort par contre très nettement des Lois que les vertus sont appelées à
n’être pas envisagées isolément, mais comme formant un ensemble unique (voir Nom. I
630a-b) : « Il n’en reste pas moins que nous les désignons toutes comme une unité. Nous
déclarons en effet que le courage est une vertu, que la réflexion est une vertu, et que les
deux autres [justice et tempérance] sont des vertus, comme si au lieu d’être réellement

1
Sur ce dernier point, voir une remarque du Phèdre : « Tout discours doit être constitué à la façon d’un être
vivant, qui possède un corps à qui il ne manque ni tête ni pieds, mais qui a un milieu et des extrémités, écrits
de façon à convenir entre eux et à l’ensemble » (Phdr. 264c).
Chapitre premier : Platon 12

plusieurs choses, elles n’étaient que cette seule chose, la vertu » (Nom. XII 963a suiv. ; le
passage cité ici est en 963c).
Parmi les quatre vertus, s’il faut les envisager d’après ce qui les distingue, la justice est
évidemment omniprésente dans le projet platonicien de l’établissement d’une cité parfaite
tant dans la République – où ce projet est aussi bien psychologique que politique – que
dans les Lois. Mais ce qui frappe, par rapport à Cicéron, c’est l’aspiration, loin des
contingences humaines (auxquelles, nous l’avons vu, Platon regrette presque de devoir
accorder de l’importance), à la sagesse comme science des réalités les plus hautes. S’il
n’est vraisemblablement pas de Platon, l’Épinomis n’en est pas moins, à cet égard, très
significatif, quand il accorde le primat à une forme d’astronomie sur toutes les autres
considérations. Cicéron, d’ailleurs, est bien conscient de cette situation, quand il considère
que le stoïcien dissident Hérillus, qui accorde toute son attention à la seule quête de la
sagesse comme savoir, est peut-être plus proche de Platon que ne l’est Zénon (voir Luc.
129). Ce point est très manifeste dans le Philèbe en tout cas, où Socrate dit que le bien
n’est, en définitive, rien d’autre que « la réflexion, la pensée, la mémoire et tout ce qui leur
est apparenté » (11b ; voir également ce que dit le personnage de Protarque à propos du
point de vue socratique en ibid. 19d). Considérant ce que peut être la vie la plus heureuse
de toutes, Socrate note encore que « peut-être ne serait-il pas absurde que cette vie » dont
nous venons de parler « soit la plus divine de toutes » (Phil. 33b). Toutefois, il ne faut
peut-être pas attribuer à ces considérations une importance que la conclusion du même
dialogue relativise : quoiqu’il s’agisse, certes, de la position défendue par Socrate au départ
du Philèbe, la discussion en a révélé progressivement la fragilité (voir spécialement Phil.
20b et la conclusion du dialogue en 67a-b). Reste que, comme nous le lisons ailleurs, dans
le Protagoras, « la perfection du savoir est d’une bonté à triompher de tout » (Prot. 309c)
– nous reviendrons sur la question du bonheur dans la dernière section de cet essai.
Ceci permet peut-être de mieux comprendre pourquoi, chez Platon, le philosophe ne
cherche pas à s’engager en politique – ce dont Cicéron lui fait reproche, nous l’avons vu.
Ici encore, il importe de ne pas se méprendre : le dévouement sacré pour la patrie n’est
naturellement pas mis en cause par Platon, comme il ressort clairement des propos tenus
par Socrate prisonnier (voir Cri. 51a-c). Même lorsque Socrate parle de son peu
d’engouement à s’occuper des affaires publiques (voir Gorg. 473e-474a), son point de vue
n’est jamais celui d’un individu qui prônerait le désengagement par incurie ou par
misanthropie. C’est même tout le contraire, puisque Socrate, dans le Gorgias, est
parfaitement clair sur ce point : ne pas chercher à faire de la politique ne signifie pas que
l’on ne s’intéresse pas au bien de ses concitoyens. « Je pense », dit-il à cet égard, « que je
suis l’un des rares Athéniens, pour ne pas dire le seul, qui m’intéresse à ce qu’est vraiment
l’art politique et que, de mes contemporains, je suis seul à faire de la politique » (Gorg.
521d). Il ne se contente d’ailleurs pas de l’affirmer, au risque du paradoxe : il le prouve, et
d’une manière aussi inattendue qu’elle est plaisante – au passage, nous avons là, croyons-
nous, un excellent exemple de cette conversation spirituelle et riche en bons mots que loue
Cicéron (voir en partic. Off. I 104) – en expliquant que la meilleure preuve du service qu’il
rend à ses concitoyens, sans avoir besoin pour cela de s’engager en politique, est que ceux-
ci lui causent des soucis. Le bon médecin, dit-il en substance, prescrit des remèdes
salutaires, et non pas plaisants ou propres à flatter les sens de ses patients ; aussi est-il tout
Chapitre premier : Platon 13

naturel que, accusé devant une assemblée d’enfants par un confiseur habile à se les rendre
favorables par toutes sortes de sucreries qui leur plaisent sans être bonnes pour eux, le
médecin se retrouve en fâcheuse posture (Gorg. 521e-522a)… Poursuivi par des sots qui
ne comprennent pas qu’il travaille à leur amélioration, Socrate se révèle ainsi comme le
véritable politique (voir Gorg. 517c)1.
Toutefois, avec cette nuance qu’il faut avoir à l’esprit, il est clair, par ailleurs, que
Platon reconnaît, de la part du philosophe, une volonté de se désengager. Les gens de bien,
pense-t-il, tout occupés par des activités plus hautes et essentiellement contemplatives, ne
seront pas motivés par l’administration des affaires humaines. C’est pourquoi, parce qu’il a
le souci d’une cité juste où le bonheur ne doit pas être réservé à un petit nombre de
philosophes, le législateur dont parle Socrate dans la République doit avoir soin d’obliger
les philosophes à administrer l’État, sous peine de leur infliger une amende : « Il est
nécessaire que la perspective d’une punition vienne les contraindre à s’engager, s’ils
doivent consentir à prendre le commandement » (Resp. I 347b-c ; voir également VI 500d).
Plus loin encore, dans le même ouvrage, Socrate insiste sur la nécessité de contraindre le
philosophe à retourner dans la caverne, alors qu’il n’en éprouve pas le moindre désir (voir
Resp. VII 517c et 519b-520d) ; c’est que, comme il le dit alors, en regard de
l’administration des affaires de l’État, la quête de la vérité, à laquelle le philosophe peut se
livrer en quittant la geôle où sont demeurés enfermés ses frères humains, ressemble à un
séjour dans les mythiques îles des Bienheureux. Or c’est précisément parce qu’il n’a
aucune ambition temporelle et qu’il a vu la vérité de plus près, que le philosophe est aussi
le plus capable d’exercer le pouvoir : ne souhaitant pas l’obtenir, il ne risque pas de le
confisquer à son propre profit et au détriment de ses concitoyens. « Car voici en quoi
consiste le vrai là-dessus : la cité au sein de laquelle s’apprêtent à gouverner ceux qui sont
le moins empressés à diriger, c’est celle-là qui est nécessairement administrée de la
meilleure façon et la plus exempte de dissension, tandis que celle que dirigent ceux qui
sont dans l’état contraire se trouve dans la situation opposée » (Resp. VII 520d ; voir
encore 539). Le philosophe sera ainsi tout le contraire d’un tyran qui, lui, est avide de
pouvoir et opprime nécessairement les autres hommes, auxquels il devient étranger ; et
c’est ainsi que, « d’être humain, il se transforme en loup » (Resp. VIII 566a ; encore sur le
tyran, comme parricide à proprement parler, voir Resp. VIII 569b). Et lorsque, à la fin du
neuvième livre de la République, Socrate paraît envisager, de la part du philosophe, une
certaine volonté de s’occuper de politique (voir Resp. IX 592a), on peut penser que Platon
rappelle seulement ses propres espoirs de contribuer à l’instauration d’un gouvernement
éclairé en Sicile.
Car il est manifeste que, tout tourné vers les réalités intelligibles qu’il soit, le philosophe
platonicien éprouve en même temps le regret d’être contraint, dans ce que l’on qualifiera
de « région de la dissemblance », de ne pas voir se réaliser un idéal politique dont la
possibilité n’est pourtant jamais évacuée. Une fois encore, la lettre 7 apporte, sur ce point,
de précieux renseignements : « Au temps de ma jeunesse », écrit ainsi Platon, « j’ai

1
On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec ce que dira plus tard Marc Aurèle : « Si les matelots
parlaient mal du pilote, ou les malades du médecin, à quoi pilote et médecin songeraient-ils, sinon l’un à
assurer le salut de l’équipage, et l’autre à guérir ceux qu’il soigne ? » (VI 55).
Chapitre premier : Platon 14

effectivement éprouvé le même sentiment que beaucoup d’autres [jeunes gens]. Aussitôt
que je serais devenu mon maître, m’imaginais-je, je m’occuperais sans plus tarder des
affaires de la cité » (Epist. 7 324b-c). La situation, au terme de la guerre du Péloponnèse
n’y fut guère favorable, puis vint la chute des Trente tyrans : « Et voilà que, de nouveau,
mais avec moins de vivacité, me reprenait le désir de m’occuper des affaires publiques et
de politique » (Epist. 7 325b). Non par ambition personnelle, mais parce que l’État doit
nécessairement tirer le plus grand profit de cette situation, comme le dit encore Socrate
dans la République : « À moins que les philosophes n’arrivent à régner dans les cités, ou à
moins que ceux qui, à présent, sont appelés rois et dynastes ne philosophent de manière
authentique et satisfaisante, et que viennent à coïncider l’un avec l’autre pouvoir politique
et philosophie (…), il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de terme aux maux des cités, ni, il
me semble, à ceux du genre humain » Resp. V 473c-d ; voir également Resp. VI 487e). Ce
jugement rejoint celui de la deuxième lettre attribuée à Platon, où il est observé que, « par
nature, sagesse et pouvoir important tendent à s’unir pour ne faire qu’un, et ce sont des
choses qui mutuellement ne cessent de se poursuivre, de se rechercher et de s’assembler »
(Epist. 2 310e). Et Platon de confirmer encore ce point de vue dans la suite de la lettre 7,
dont nous lisions à l’instant des extraits, puisqu’il y présente les conclusions auxquelles il
parvint après avoir réfléchi sur la situation politique : « Je fus nécessairement », écrit-il,
« amené à dire, en un éloge à la droite philosophie, que c’est grâce à elle qu’on peut
reconnaître tout ce qui est juste aussi bien dans les affaires de la cité que dans celles des
particuliers ; que donc le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que la race de
ceux qui, dans la rectitude et la vérité, s’adonnent à la philosophie n’ait accédé à l’autorité
politique ou que ceux qui sont au pouvoir dans les cités ne s’adonnent véritablement à la
philosophie, en vertu de quelque dispensation divine » (Epist. 7 326a-b ; voir encore plus
loin en 328a-b et 335d).
À rebours du désir de désengagement par amour pour la contemplation, c’est donc bien
ici un idéal philosophique d’engagement au service de la communauté que présente
Platon : s’il avait refusé sa collaboration à l’instauration d’un gouvernement éclairé alors
même que celui-ci avait les meilleures chances d’aboutir, Platon reconnaît qu’il se fût à
bon droit attiré un blâme, alors que, en choisissant de soutenir activement le projet que lui-
même appelait de ses vœux, « je m’acquittais de façon irréprochable de ma tâche de
philosophe, alors que cette tâche eût été l’objet d’opprobre si, par mollesse et par crainte, je
m’étais lâchement déshonoré » (Epist. 7 329b). Et ceci rejoint pleinement la position de
Cicéron, pour qui le philosophe est le véritable politique, l’homme n’étant pas seulement
né pour lui-même, mais aussi pour ses semblables : ce n’est pas un hasard si, dans ce
passage des Devoirs (Off. I 22), l’Arpinate renvoie explicitement à Platon, dont il cite la
neuvième lettre, où le Philosophe déclare en outre que, « quand c’est la patrie elle-même
qui nous appelle à la gestion des affaires publiques, sans doute serait-il déplacé de ne pas
répondre à son appel. Car, du même coup, on se trouve laisser la place à des gens sans
valeur, qui accèdent à la gestion des affaires publiques sans avoir le meilleur en vue »
(Epist. 9 358a-b).
Chapitre premier : Platon 15

3. La recherche du vrai et l’entreprise de réfutation


Si nous revenons à présent au désir de connaître et à cette primauté de la sagesse dont
nous parlions avant d’en venir plus directement aux exigences de la justice qui conduisent
le philosophe à devoir œuvrer en vue du bien commun, nous touchons à tout ce qui a trait à
la passion pour la connaissance de la vérité. « Être rempli du désir de connaître et être
philosophe, n’est-ce pas la même chose ? », demande Socrate dans la République (Resp. II
376b). Dans un autre livre du même ouvrage, il s’enquiert de même : « Celui qui consent
volontiers à goûter tout savoir, qui se porte joyeusement vers la connaissance et qui se
montre insatiable, celui-là nous affirmerons en toute justice qu’il est philosophe, n’est-ce
pas ? » (Resp. V 475c). « Les philosophes véritables », assure-t-il encore, « ce sont ceux
qui aiment le spectacle de la vérité » (ibid. 475e).
Cela explique l’opposition constante de Platon aux sophistes, accusés de mettre leur
talent au service d’une efficace sans lien avec la recherche de vrai. Socrate, au contraire
des sophistes, est donc celui qui n’a d’autre ambition que de découvrir la vérité : jamais il
ne contredit ses interlocuteurs pour le plaisir, nous le verrons, parce que la réfutation n’est
pas un but, mais le moyen dont il se sert pour atteindre cela seul qui l’intéresse : la vérité.
« Il nous faut donc », dit-il, « faire tout notre possible, en la matière, pour atteindre d’une
façon ou d’une autre la vérité » (Phil. 11c).
C’est là une démarche exigeante, qui demande du courage, « car nous ne nous battons
pas maintenant pour la victoire, pour que l’emporte ce que je soutiens ou bien ce que tu
soutiens, toi, mais c’est pour ce qu’il y a de plus vrai que nous devons lutter l’un aux côtés
de l’autre » (Phil. 14b). Loin de chercher à prouver que lui-même ou l’un de ses
interlocuteurs avait raison, Socrate n’a donc pas d’autre ambition que de découvrir le vrai,
quitte à renoncer, pour cela, aux opinions qui étaient les siennes. Ce faisant, son attitude
conciliante est celle que nous trouvons dans le traité cicéronien des Lois, où Atticus et
Cicéron, pour progresser, s’accordent mutuellement des concessions (Leg. I 21 et 39) : loin
de tout fanatisme, un certain renoncement peut servir le désir de progresser, comme en
témoigne cette suggestion du Philèbe : « Peut-être qu’en nous faisant ces concessions l’un
à l’autre, nous parviendrons à une même position » (Phil. 13d).
La vérité, en effet, Socrate la conçoit comme l’aboutissement visé – mais pas toujours
atteint – au terme d’un dialogue : elle se découvre ensemble ; de là, pour en revenir à un
point que nous avons déjà évoqué ci-dessus, l’importance de bien s’entendre sur ce dont on
parle. Et puisqu’il s’agit d’un dialogue dans lequel les intervenants, parce qu’ils œuvrent
en commun, ne doivent pas être traités différemment les uns des autres, Socrate a le souci
constant de ne pas chercher à favoriser sa propre opinion au détriment de celle d’autrui.
Ainsi, par exemple, pour rester dans le Philèbe, Socrate ne souhaite pas que sa critique
porte seulement sur l’opinion de son interlocuteur, mais il veut éprouver aussi le point de
vue qui était le sien propre : « N’entreprenons pas, toutefois, de mettre à l’épreuve
l’ensemble du plaisir [la thèse opposée à la sienne dans ce dialogue], en donnant
l’impression de ménager excessivement l’intellect et la science [sa propre thèse]. Au
contraire, frappons-les hardiment partout pour voir s’ils n’ont rien de fêlé » (Phil. 55c).
Puisque toute opinion devra ainsi être passée au crible de la discussion, la neutralité
n’est-elle pas, comme il semble, l’attitude la plus sûre ? Devant les objections possibles de
Chapitre premier : Platon 16

part et d’autre, il semble en effet plus raisonnable de ne pas chercher à se prononcer. Telle
n’est pas cependant l’attitude juste, comme le fait remarquer Prodicos dans le Protagoras :
« Il faut », dit-il, « que ceux qui assistent à des débats de ce genre soient des auditeurs
impartiaux vis-à-vis des deux orateurs, mais non neutres. Car ce n’est pas la même chose.
Il convient d’écouter l’un et l’autre impartialement, sans pour autant rester neutres dans
nos jugements : il faut accorder plus au plus savant, moins au moins savant » (Prot. 337a),
et n’avoir en vue que la vérité. Voilà pourquoi Socrate, même dans le Phédon, où il traite
d’une question de première importance, l’immortalité de l’âme, ne prétend pas s’en tenir à
tout prix aux conclusions auxquelles il parvient, étant tout disposé à se ranger à un avis
meilleur, s’il est plus fondé que le sien propre, le philosophe n’étant pas homme à discuter
pour avoir raison, mais pour découvrir ce qu’il en est des choses dont il traite (Phaed. 86e
et 91a-b).
Nous comprenons par là qu’il est essentiel de soutenir des opinions, mais sans y être
attaché coûte que coûte. Ce faisant, le jugement sera aussi objectif que possible, à défaut
d’être pleinement assuré et satisfaisant, car toutes les positions en présence auront fait
l’objet d’un traitement identique, sans qu’aucune ait bénéficié d’un traitement de faveur :
« Veux-tu alors », demande en ce sens Socrate dans la République, « que nous en
débattions nous-mêmes entre nous, en nous mettant à la place les uns des autres, pour
éviter que les positions et les arguments de l’adversaire ne demeurent seuls à subir le
siège ? » (Resp. V 453a).
Socrate, avec l’humilité qui le caractérise, est ainsi le plus capable de marquer un
progrès vers la vérité précisément parce qu’il ne pèche pas par excès d’amour-propre.
Comme le dit en effet l’Étranger d’Athènes dans les Lois, à cause de ce mal qui pousse
chacun à montrer trop d’indulgence pour lui-même, « le jugement est erroné quand il porte
sur ce qui est juste, bon et beau », parce que chacun est alors « convaincu que son intérêt
doit toujours mériter plus d’estime que le vrai » ; et « c’est cette même erreur qui explique
aussi que tous les hommes prennent leur ignorance pour de la sagesse » (Nom. V 731e-
732a). Socrate, au contraire, progresse plus que tout autre parce qu’il ne se fait pas
d’illusions sur le compte de son savoir, dont il fait peu de cas, comme en témoigne son
étonnement lorsqu’il apprend que le dieu de Delphes l’a désigné comme le plus savant des
hommes (voir Ap. 21b). Parce qu’il n’est donc pas tout rempli de cet amour-propre qui
pervertit le jugement, Socrate est aussi le plus libre d’aller vers la vérité, où qu’elle se
trouve, à rebours même de ce qui avait été son opinion initiale : « Je suis homme à
n’écouter aucune autre de mes raisons que celle qui, une fois bien calculée, me paraît
clairement la meilleure » (Cri. 47b).
Il peut donc discuter en toute tranquillité, puisqu’il vise seulement le vrai et qu’aucune
réfutation dont il peut lui-même être l’objet ne l’embarrasse : « On n’a jamais réfuté ce qui
est vrai » (Gorg. 473b), et c’est bien assez aux yeux de Socrate, sur qui le vrai, seul, a du
pouvoir. Par conséquent aussi, comme il le dit à l’un de ses interlocuteurs, « tu ne peux pas
me forcer à être d’accord » (Gorg. 472b), car la vérité n’est pas affaire de force, mais de
raison. Personne ne doit donc agir contre sa conscience ; de fait, ce ne serait pas seulement
absurde, mais impie : « Il serait par ailleurs impie de trahir ce qui nous apparaît comme
vrai » (Resp. X 607c). À cette réflexion fait écho, dans les Lois, une remarque de
Chapitre premier : Platon 17

l’Étranger d’Athènes, lorsqu’il dit qu’il lui paraît « parfaitement inacceptable » de « ne pas
le [son point de vue] dire alors que je pense que c’est la vérité, car ce serait contraire à la
loi humaine et divine » (Nom. IX 861d). S’ensuit tout naturellement un rejet absolu de la
fraude et de la tromperie sous toutes ses formes, dans la mesure où il s’agit d’une offense à
la vérité, dont le caractère sacré vient d’être mis en avant : « La fraude, tout comme le
mensonge et la tromperie, voilà ce dont tout homme doit se convaincre que c’est une seule
et même chose » ; et cette chose, le philosophe la fuira à toute force (Nom. XI 916d).
Cet amour exclusif du vrai au mépris de tout artifice se manifeste de façon exemplaire
dans le plaidoyer de Socrate à l’occasion du procès pour impiété intenté contre lui par
Anytos, Mélétos et d’autres : accusé injustement par ses adversaires, il rejette les discours
ostentatoires qui, parce qu’ils n’ont en vue que la victoire dans les tribunaux populaires,
sont indignes de celui qui aime la vérité nue (voir Apol. 17b-c) : « Je préfère de beaucoup
mourir après m’être défendu comme je l’ai fait », déclare-t-il à ses juges, « plutôt que de
vivre après un plaidoyer à leur façon » (Apol. 38e). C’est donc un engagement très sérieux
que prend Socrate, puisque son adhésion au vrai est consentie au péril de sa vie. Nous
comprenons par là que les dialogues mis en scène par Platon ne sont jamais des
divertissements frivoles pour bavards oisifs, mais des entreprises on ne peut plus sérieuses.
Ainsi donc, le philosophe ne recherche pas davantage la victoire au terme d’une joute
verbale que la transformation de son interlocuteur en adversaire qu’il s’agirait ensuite de
réduire au silence.
Lorsque le sophiste Gorgias, se méprenant sur les intentions de Socrate, croit trouver en
lui un adversaire animé du seul désir de le contredire pour le plaisir de le mettre en
difficulté, celui-ci lui répond : « Vois-tu, je le répète, si je pose des questions, c’est pour
que notre discussion puisse se développer d’une façon cohérente, pas du tout pour te mettre
en cause » (Gorg. 454c). De même, plus loin, au moment de lui expliquer en quoi il trouve
que son discours manque de cohérence, Socrate dit encore à Gorgias : « Et puis, j’ai peur
de te réfuter, j’ai peur que tu ne penses que l’ardeur qui m’anime vise, non pas à rendre
parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer. Alors écoute, si tu
es comme moi, j’aurai plaisir à te poser des questions, sinon j’y renoncerai. Veux-tu savoir
quel type d’homme je suis ? Eh bien, je suis quelqu’un qui est content d’être réfuté, quand
ce que je dis est faux » (Gorg. 457e-458b ; voir encore 470c). Socrate réfute, certes, mais,
parce qu’il n’a souci que de la vérité ; par conséquent, il ne se récrie nullement à l’idée
d’être réfuté à son tour, que du contraire : « Même si tu me réfutes », dit-il en ce sens à
Calliclès, « je ne t’en voudrai pas comme toi, tu m’en veux, mais je citerai ton nom en
rappelant que tu es le plus grand bienfaiteur que j’ai eu » (Gorg. 506b) – nous y
reviendrons.
*
Le processus de réfutation apparaît ainsi non comme une manière de sophiste propre à
manifester le triomphe d’un dialecticien virtuose, mais une démarche proprement
cathartique. Plus haut, nous avons rappelé le passage où, se comparant à un médecin,
Socrate se représentait victime des vociférations d’une foule d’enfants dont les passions
seraient attisées par ses rivaux, les confiseurs. Ici encore, c’est bien d’une forme de
médecine qu’il s’agit, puisque la réfutation des opinions erronées, si elle n’est pas plus
Chapitre premier : Platon 18

agréable pour l’amour-propre de ceux dont les opinions sont battues en brèche que les
remèdes du médecin ne font la joie des enfants gâtés par les friandises, permet à l’âme
d’être soulagée du poids de ses errements : « L’âme ne pourra pas profiter des
connaissances reçues jusqu’à ce qu’on l’ait soumise à la réfutation, et que, grâce à cette
réfutation, on lui fasse honte d’elle-même et la débarrasse ainsi des opinions qui
empêchaient la connaissance. Elle sera ainsi purifiée et ne croira à l’avenir savoir que ce
qu’elle sait, et non davantage » (Soph. 230c-d).
Du reste, comme on le sait, Socrate, qui ne prétend pas détenir lui-même de savoir, est
convaincu que son rôle est d’aider ceux qui conversent avec lui pour qu’ils retrouvent une
vérité qui réside en eux. Nous ne nous étendrons pas ici sur cette maïeutique socratique,
liée à une théorie de la réminiscence (essentiellement développée dans le Ménon), mais
remarquons seulement que, une fois encore, cette modeste opinion qu’a Socrate de lui-
même lui permet de s’approcher mieux que tout autre d’une vérité qu’il n’a jamais la sotte
arrogance de détenir comme on détient une propriété. « J’ai au moins cet attribut qui est
propre aux accoucheuses », dit-il ainsi avec cette humilité que l’on retrouve trop souvent
chez lui pour croire qu’elle ne soit que feinte : « je suis impropre à la conception d’un
savoir ; et ce que beaucoup m’ont déjà reproché, à savoir que je questionne les autres, mais
que moi-même je ne réponds rien sur rien parce qu’il n’y a en moi rien de savant, c’est un
fait véritable qu’ils me reprochent. Et la cause de ce fait, la voici : procéder aux
accouchements, le dieu m’y force, mais il me retient d’engendrer » (Theaet. 150c).
N’étant pas un défenseur obstiné et inflexible de ses propres opinions, Socrate respecte
tous ses interlocuteurs sans accorder d’importance particulière à quelque autorité que ce
soit, car une chose n’est pas vraie pour avoir été dite par un homme, si éminent et
estimable soit-il : « Le respect pour un homme ne doit pas passer avant le respect pour la
vérité » (Resp. X 595c) . Pas plus qu’Homère, les grands législateurs – Lycurgue, par
exemple, dans les Lois – n’échappent à une critique, qui n’a jamais pour objectif de les
accabler, mais de peser leur enseignement pour en évaluer la vérité, une vérité que, s’ils
étaient hommes de bien, ils visaient eux aussi. Peu importe donc qu’une opinion ait été
professée par tel ou tel individu, il s’agit de l’examiner pour elle-même, comme le dit
encore Socrate à Charmide : « Il n’importe en rien » de savoir de qui il tient le propos qu’il
énonce, « car nous n’avons pas du tout à examiner qui l’a dit, mais si c’est vrai ou non »
(Charm. 161c). S’il devait faire acception des personnes, et si cela devait peser dans la
balance de son jugement, Socrate estime qu’il se rendrait ridicule devant quelqu’un qui, lui,
le jugerait sans concession : ce quelqu’un, évidemment, n’est autre que lui-même,
« Socrate, fils de Sophronisque, qui ne me laissera pas plus dire de telles choses sans les
vérifier qu’il ne me laissera parler comme si je connaissais ce que j’ignore » (Hipp. mai.
298b-c).
Ne craignons pas, en particulier sur ce point, de nous répéter, car Socrate, nous l’avons
dit, n’est nullement gêné pour reconnaître que lui-même ne fait rien d’autre que redire la
même chose, mais aussi parce que, comme nous le lisons à de nombreuses reprises dans
l’œuvre de Platon, « c’est une belle chose, dit-on, que de parler deux ou trois fois des
belles choses, et de les examiner autant » (Gorg. 498e ; Phaed. 63e ; Phdr. 235a ; Phil. 60a
– il s’agit de l’adaptation faite par Empédocle d’un ancien proverbe). Ce qui importe, donc,
Chapitre premier : Platon 19

c’est de découvrir la vérité, peu importe que cela nous contraigne à renoncer aux opinions
qui étaient auparavant les nôtres, car « il n’est assurément pas permis de ne pas donner son
accord à qui parle de façon juste » (Hipp. mai. 304a). Il est donc vain de chercher à savoir
ce que pense telle ou telle personne, puisqu’il faut plutôt rechercher la vérité. Aussi, quand
Critias demande à Socrate s’il partage son avis sur ce dont ils sont occupés à parler,
Socrate lui répond : « Laisse, car ce n’est pas mon opinion que nous examinons, mais ce
que toi tu soutiens présentement » (Charm. 163e). Mieux, il ne prétend pas même avoir de
réponse à la question posée : « Eh bien, Critias, tu t’adresses à moi comme si je prétendais
connaître les sujets sur lesquels je t’interroge, et comme si je pouvais, à ma guise, te
donner mon accord. Or il n’en va pas ainsi : j’examine sans relâche en ta compagnie le
sujet auquel nous sommes confrontés, car je n’en détiens pas la connaissance. Ce n’est
qu’une fois l’examen complété que je serai prêt à dire si je suis d’accord avec toi ou non.
Patiente jusqu’à ce que j’aie procédé à l’examen » (Charm. 165b-c). Voilà pourquoi
Socrate peut affirmer que « rien ne me plaît, s’il se trouve que ce n’est pas vrai » (Euthyphr.
14e) ; en ce sens, c’est une erreur de s’obstiner à rechercher ce que peut bien penser
Socrate : celui qui recherche le vrai trouve également, par le fait même, cela seul que
recherche Socrate : « Quant à vous », dit-il à ses interlocuteurs du Phédon, « si vous m’en
croyez, ne vous souciez pas trop de Socrate, mais beaucoup plus de la vérité » (Phaed.
91b-c) ; au fond, c’est de cela que Socrate, lui, se soucie.
Cet examen qui doit conduire à la vérité, nous l’avons dit, n’est jamais le fait d’un
individu seul. Platon a le souci constant de faire dialoguer ses personnages, de sorte que la
recherche de la vérité se fasse toujours en commun. Le lecteur peut certes trouver à redire
lorsqu’il découvre que, la plupart du temps, les interlocuteurs de Socrate ou du personnage
principal de chacun des dialogues platoniciens (Parménide dans le dialogue éponyme,
l’Étranger d’Athènes dans les Lois, etc.) paraissent n’avoir pas grand-chose à apporter en
termes de contribution au débat. Pourtant, s’il est vrai que, parfois, ils semblent ne rivaliser
d’ingéniosité que pour varier les formules d’approbation ponctuant un quasi monologue de
leur interlocuteur, leurs remarques sont quelquefois très pertinentes (ainsi les hésitations de
Simmias à la fin du Phédon, voir ci-dessous) ; mais surtout, il faut voir que, en dépit de
cette apparence qu’ils ont d’être, comme on dit, des béni-oui-oui, ils manifestent, par leur
présence et leur approbation, que les développements de Socrate (Parménide, etc.) ne sont
jamais imposés comme des oracles, mais doivent en permanence être validés par les
intervenants du dialogue, de telle façon que leur jugement sanctionne l’approche du vrai
qui leur est proposée, mais non pas imposée.
Socrate et les autres ont ainsi l’assurance, grâce à cette forme de recherche en commun
qui caractérise les dialogues de Platon, que la méthode employée ne permet d’aller de
l’avant que parce que les différentes intelligences mobilisées par le débat s’accordent pour
permettre à l’interlocuteur principal de poursuivre sa réflexion. Du reste – c’est là le
propos de la maïeutique mise en œuvre par Socrate –, en répondant aux questions et en
validant un point de vue simplement suggéré sur le mode interrogatif, l’interlocuteur de
Socrate prend davantage position que Socrate lui-même, qui se contente d’assurer un
progrès dans l’argumentation en la développant d’après la cohérence admise par celui avec
qui il dialogue. De la sorte, quand Alcibiade impute à Socrate les idées que, par ses
questions, celui-ci l’a conduit à défendre, son maître le reprend : lui, il interroge, et tout ce
Chapitre premier : Platon 20

que lui impute Alcibiade, c’est lui-même, Alcibiade, qui le dit, car Socrate ne fait rien
d’autre que l’interroger sans qu’il soit permis de lui attribuer ce qui vient d’être dit (1 Alc.
112d-113c).
Ce n’est donc pas un simple artifice que de dire, comme le fait Socrate dans le Second
Alcibiade par exemple : « Mais si tu me prêtes ton attention, peut-être que, en cherchant à
deux, nous allons trouver ? » (2 Alcib. 140a ; qui est une imitation de Il. X 224). L’auditeur,
s’il n’apporte pas d’éléments vraiment constructifs, est là pour faire opposition si jamais il
devait s’apercevoir qu’on essaye de lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Du
reste, nous comprenons par là pourquoi Socrate entend éviter les discours-fleuves : un trop
long discours ne lui permettra pas, dit-il au sophiste Hippias, de le suivre, car il est trop
ignorant pour cela, et mieux vaut le ménager en progressant doucement (Hipp. min. 373a).
Outre la modestie que reflète assurément cette requête, elle s’inscrit aussi, croyons-nous,
dans cette logique qui doit permettre au dialogue de progresser réellement en s’appuyant
sur l’approbation constamment sollicitée des participants au débat.
Seul ce recours systématique à un autre avis rend également possible une confrontation
réelle, un dialogue qui soit autre chose qu’une juxtaposition de deux ou plusieurs
monologues indépendants : « Tant que toi, de ton côté, tu exposeras longuement ce qui te
passe par la tête, et que moi, j’en ferai autant de mon côté, il n’y aura aucun moyen de nous
rencontrer, j’imagine. Si au contraire nous faisons de cette recherche une entreprise
commune, nous finirons peut-être par tomber d’accord. Ainsi, si tu le veux bien, examine
la chose en commun avec moi en me posant des questions, ou, si tu préfères, en me
répondant » (Min. 315d-e). Nous retrouvons également la même idée dans le Gorgias,
lorsque Socrate invite le sophiste à discuter avec lui en alternant les questions et les
réponses brèves (Gorg. 449b ; voir de même pour la discussion avec Polos en 461d).

4. La conviction sans la certitude, et le sens de l’ironie socratique


Cet examen, puisqu’il est recherche de la vérité, repose non sur un savoir authentique –
sans cela, nous ne serions en présence que d’un paralogisme, puisque le vrai serait acquis
dès le départ –, mais sur des opinions qu’il s’agit d’évaluer. Cette évaluation elle-même ne
peut reposer sur une science toute faite, sans quoi elle serait le résultat de l’enquête plutôt
que le truchement pour y parvenir. Voilà pourquoi Socrate demande à Alcibiade de
considérer non si ce qu’il dit est vrai, mais si cela lui semble vrai, si donc cela lui paraît
vraisemblable (1 Alcib. 120d). D’ailleurs, sur une question aussi importante que
l’immortalité de l’âme, Socrate indique très clairement à ses interlocuteurs qu’ils vont
examiner ensemble si la chose est ou non vraisemblable (Phaed. 70b), et il ne prétend pas
parler de certitude sur une question qui, pourtant, lui paraît de toute première importance
(contraster cependant avec l’assurance dont il fait preuve, entre autres, dans l’Axiochos, en
particulier en Ax. 372a).
Sur ce point comme sur les autres questions, les objections ne sont donc jamais perçues
comme des attaques malveillantes dirigées contre un donné sacré, mais plutôt comme des
points à envisager pour progresser véritablement et permettre à la discussion d’avancer
(voir Phaed. 84c). En effet, c’est bien d’avancer que nous parlons, et non d’aboutir, car
c’est une chose que d’être convaincu, c’en est une autre de pouvoir parler de certitude pure
Chapitre premier : Platon 21

et simple ; et c’est ainsi que, dans ce débat sur l’immortalité de l’âme, Simmias observe à
juste titre que la certitude est, sinon impossible à atteindre, en tout cas très difficile d’accès
– ce qui ne doit évidemment pas détourner de mettre tout le soin possible dans l’examen de
la question (voir Phaed. 85c-d). Dans un autre contexte – il s’agit d’établir que les
banquets sont un élément indispensable au bon fonctionnement de la cité –, l’Étranger
d’Athènes, qui est peut-être le plus « dogmatique » des personnages principaux mis en
scène par Platon, n’hésite pas à reconnaître que « il y a tant de contestations sur le sujet
qu’il revient à un dieu d’assurer qu’il en est bien ainsi, mais s’il s’agit d’exposer mon
opinion, je le ferai sans restriction » (Nom. I 641d). Et, pour en revenir au Phédon et à la
question de l’immortalité, Simmias, alors même que Socrate paraît avoir triomphé de ses
objections comme de celles de Cébès et qu’il n’a, pas plus que ce dernier, quelque chose à
ajouter, Simmias, donc, confesse qu’en toute honnêteté, quoique l’argumentation de
Socrate en faveur de l’immortalité, fondée sur la théorie de la réminiscence, lui paraisse
décisive, il ne peut s’empêcher de ressentir une forme de défiance (voir Phaed. 107b). Loin
de s’en indigner, Socrate abonde plutôt dans le sens de cette réserve en suggérant la
nécessité d’examiner les hypothèses de départ de son argumentation, qui peuvent avoir été
acceptées plus rapidement qu’elles n’auraient dû l’être.
Mais, nous l’avons dit, s’il ne prétend pas atteindre à la certitude, Socrate est un homme
de convictions : nous avons déjà évoqué son attitude à l’occasion du procès qui devait lui
coûter la vie ; et un passage du Gorgias, nous semble-t-il, résume fort bien la situation qui
est la sienne : contrairement aux sots arrogants qui croient savoir ce qu’ils ignorent – et
dont nous aurons à reparler sous peu –, Socrate sait bien qu’il ne dispose pas des éléments
qui lui permettraient d’atteindre à une certitude sans faille ; mais il est, en même temps,
conscient que, lorsqu’il aboutit à une position, il est dans son bon droit en s’y tenant aussi
longtemps que personne ne trouve rien de meilleur : « Je dis et je redis toujours la même
chose, que je ne sais pas ce qu’il en est de tout cela, mais que, malgré tout, de tous les
hommes que j’ai rencontrés, il n’y en a pas un qui ait pu dire, sans faire rire de lui, autre
chose que ce que je dis » (Gorg. 509a). Juste avant (ibid. 508a), il avait évoqué la « chaîne
de fer ou de diamant » de son argumentation, la jugeant inattaquable ; il est d’autant plus
remarquable que c’est donc au moment précis où il témoigne d’une très grande assurance
qu’il a la sagesse de ne pas tomber dans l’écueil du dogmatisme, où versent régulièrement
ses adversaires, impudents et sûrs d’eux, comme l’est, de manière peut-être plus excessive
qu’emblématique, le Thrasymaque mis en scène dans la République, lorsqu’il regarde ses
propres opinions comme autant de certitudes irréfragables (voir en partic. Resp. I 345e). En
montrant qu’on peut être tout ensemble assuré et dépourvu d’arrogance, Socrate manifeste
la possibilité de vivre selon la vérité en ayant non la science certaine de ce qui est, mais à
tout le moins des opinions vraies, définies, dans le Minos, comme « la découverte de ce qui
est » (Min. 315a).
Cette modestie constamment affichée par Socrate est-elle feinte ? Nous l’avons dit, sa
répétition nous paraît trop appuyée pour n’être que cela, et nous croyons plutôt que Socrate,
en distinguant judicieusement la science de l’opinion vraie, annonce d’une certaine
manière ce qui, mutatis mutandis bien entendu, sera le probabilisme de la « nouvelle »
Académie tel que le conçoit Cicéron. L’Arpinate, pensons-nous, a raison de croire que
Socrate ne feint pas d’ignorer : sans doute se donne-t-il pour moins subtil qu’il ne l’est en
Chapitre premier : Platon 22

réalité, mais il ne dissimule pas la réalité de son ignorance, qu’il est bien juste de qualifier
ainsi si on la compare à la science du dieu (c’était, entre autres choses, le propos de
l’Apologie).
Pas de dissimulation, donc, car il semble bien que Socrate, amoureux de la vérité
comme nous l’avons dit, n’éprouve que de l’aversion pour toute forme d’astuce. Dans
l’Hippias mineur, il cite en ce sens les paroles d’Achille qui, chez Homère, présente un
caractère « sincère et simple » lorsqu’il déclare, au rusé Ulysse, que lui est « odieux, autant
que les portes de l’Hadès, celui-là qui cache un mot dans son cœur et en dit un autre »
(Hipp. min. 365a-b, citation de Il. 308-314). Achille pourtant, n’est qu’un menteur (voir
ibid. 369-370), et nous savons, nous, que le caractère droit et simple loué par Socrate, c’est
en Socrate lui-même qu’il faut le trouver. C’est aussi pour cela que l’homme, d’après lui,
doit pouvoir exprimer sa pensée en toute franchise, sans que l’on puisse lui en tenir rigueur,
que du contraire : « Car il faut chérir l’homme, quel qu’il soit, quoi qu’il dise, qui fait de la
pensée son domaine de recherche et qui s’applique, courageusement, par ses efforts, à
exprimer jusqu’au bout ce qu’il pense » (Euthyd. 306c-d).
Or cette sincérité se manifeste bien souvent par un aveu de scepticisme : Socrate, parce
qu’il n’est pas un fol effronté trop sûr d’un savoir précaire, reconnaît volontiers et son
ignorance et l’embarras que lui cause cette situation. Une fois encore, son célèbre esprit de
contradiction ne fait que traduire l’incertitude où il se trouve lui-même : « Mais moi, il me
semble qu’un sort démonique me retienne : j’erre n’importe où et me trouve toujours dans
l’embarras » (Hipp. mai. 304b). La maïeutique, que nous évoquions ci-dessus, n’est donc
pas tant une méthode pratiquée pour son efficace qu’une nécessité qui s’impose à celui
dont c’est le destin d’aider les autres à enfanter du savoir que lui-même ne possède pas :
« Et ce qui est assurément le plus subtil dans mon art, c’est que je suis talentueux malgré
moi. Car je préférerais que mes arguments restent en place et demeurent fixes, privés de
mouvement, plutôt que d’avoir, en plus du talent de Dédale, les richesses de Tantale »
(Euthyphr. 11d-e). En ce sens, c’est une forme de nécessité qui le pousse à rechercher la
conversation d’autrui pour faire advenir un point de vue qu’il n’ose développer seul. Et
comme ce dialogue possède les vertus cathartiques que nous avons dites, Socrate doit
prendre garde à ménager la susceptibilité d’autrui : celui qui prétend savoir est toujours
considéré par lui avec plus de respect que d’ironie, car Socrate, qui ne demande qu’à
apprendre sans chercher à humilier qui que ce soit, est toujours disposé à envisager sans
arrière-pensée un point de vue qui peut-être meilleur que le sien, et dont il souhaite faire
l’épreuve en le développant (voir Crat. 428a-b).
Même l’indigne Calliclès, nous l’avons vu, est interpellé aimablement par Socrate, qui
était tout disposé à le louer s’il pouvait progresser grâce à lui. La preuve la plus sûre que
cette ironie socratique est plus désabusée qu’ironique au sens où nous entendons ce mot
aujourd’hui (raillerie moqueuse), et plus sincère que désabusée, ce sont les témoignages de
gratitude et de reconnaissance que Socrate veut adresser à ceux qui pourront l’instruire de
ce qu’il ignore, mais aspire à connaître. Sa réponse à Hippias, dans le plus court des
dialogues qui portent le nom de ce sophiste, va tout à fait dans ce sens : oui, lui dit-il en
substance, je suis ignorant, mais – voilà bien le signe d’un caractère aussi humble que
dépourvu de fausse modestie – je possède néanmoins cette belle qualité, que « je n’ai pas
Chapitre premier : Platon 23

honte d’apprendre, mais je m’enquiers, je pose des questions et je suis très reconnaissant à
celui qui me répond, sans avoir jamais été ingrat à l’égard de personne » (Hipp. min. 372b-
373a).
Même les sophistes prétentieux, même les personnages indignes que sont les
Thrasymaque (dans la République) et les Calliclès (dans le Gorgias) sont traités avec
égards, puisque Socrate, justement parce qu’il mesure l’étendue de son ignorance en regard
de la science véritable, ne veut pas préjuger de ce que pourront lui apprendre les autres
hommes. Cette absence radicale de malice explique qu’il éprouve les opinions avec autant
de franchise qu’il respecte ses interlocuteurs ; en refusant de prendre leurs paroles pour
argent comptant sans éprouver la solidité de leurs jugements, Socrate, bien loin de se
montrer hostile ou méfiant, témoigne au contraire d’une grande bienveillance à l’égard de
ceux qu’il estime assez pour bien vouloir examiner sans arrière-pensée leurs assertions,
même les plus effrontées.
Si donc nous revenons un instant aux reproches adressés à Socrate, qui, d’après certains
de ses interlocuteurs, prendrait un malin plaisir à les contredire, nous comprenons, d’après
ce qui vient d’être dit, que ces réactions sont compréhensibles, mais injustifiées. Critias,
parce qu’il ne comprend pas la distinction capitale entre le respect que l’on peut avoir pour
quelqu’un et l’évaluation des idées que défend celui-ci, est surpris quand Socrate, en dépit
de sa bienveillance, soumet ses idées à une rude critique. « Tu cherches à me réfuter », lui
dit-il alors, « sans égard au sujet de la discussion ». Or ce n’est pas le cas, bien entendu ; et
voici ce que lui répond Socrate : « Qu’est-ce qui te fais croire, repris-je, que si je te réfute
sans merci, je le fais pour un autre motif que pour celui qui me fait examiner à fond ce que
je dis, à savoir la crainte que je ne me rende pas compte, alors que je crois savoir quelque
chose, qu’en réalité je ne le sais pas. Et je t’assure qu’en ce moment même, c’est ce que je
fais : c’est surtout dans mon propre intérêt que j’examine cette proposition, et peut-être
même dans l’intérêt de mes amis. Ne crois-tu pas que c’est un bien commun à presque tous
les hommes que d’être au clair sur la nature de chaque chose ? » (Charm. 166c-d).
Aussi est-ce manifestement pour ménager la sensibilité d’Hippias et pour éviter que ne
se vexe l’impatient et irascible sophiste que Socrate use du plaisant stratagème que voici :
Hippias, lui dit en substance Socrate, il m’arrive que certain énergumène de ma
connaissance m’a mis dans l’embarras en m’interrogeant sur le beau. J’ai cru pouvoir lui
donner une réponse satisfaisante, mais lui n’a eu de cesse de me harceler avec des petits
riens qui m’ont laissé sans réponse ; il faut donc m’aider pour que je puisse lui tenir tête.
Cet énergumène, évidemment, n’existe pas, et c’est de Socrate lui-même qu’il s’agit,
quoiqu’il ne le révèle jamais qu’à mots couverts – mais cependant parfaitement clairs1. Par
ce procédé, qui donne lieu à des échanges fort plaisants (voir, par ex. Hipp. mai. 290d-e),
Socrate peut mener à bien un échange auquel le sophiste, indigné par ces petits riens bien
embarrassants auxquels il ne trouve pas non plus de réponses satisfaisantes, eût tout

1
Ceux qui ne l’avaient pas compris n’ont plus d’excuse quand, à la fin du dialogue, Socrate dit que c’est
« cet homme, qui se trouve être un parent très proche, [et qui] vit dans la même maison que moi, et dès que je
rentre chez moi et qu’il m’entend parler de la sorte, il me demande si je n’ai pas honte d’avoir l’audace de
discuter de ces belles conduites, alors que j’ai été si manifestement réfuté à propos du beau et que je ne sais
même pas ce qu’est la chose même dont je parle » (Hipp. mai. 304d).
Chapitre premier : Platon 24

simplement mis un terme s’il avait cru un seul instant que Socrate n’était pas seulement
l’homme qui lui demandait son aide, mais le contradicteur que son orgueil n’aurait pu
souffrir. Aussi bien Socrate peut alors (voir Hipp. mai. 287) mener un dialogue fait de
questions et de réponses, où lui-même, comme il le dit, joue le rôle du contradicteur, de
telle sorte qu’Hippias puisse le tirer d’embarras et l’« instruire le plus solidement
possible ».
Les questions que pose sans cesse Socrate – « Je vais te l’expliquer, mon cher Protarque,
en te posant des questions » (Phil. 53c-d) –, sont donc de nature à déstabiliser les hommes
qui s’y trouvent confrontés : « Je fais perdre aux hommes leurs moyens », dit-il (Theaet.
149a) ; et cela ne plaît pas à tout le monde, de sorte qu’en dépit de la bienveillance qui
l’anime, Socrate est en butte à la colère de ceux dont il fait disparaître les fausses certitudes.
Nous comprenons mieux encore la prudence qui l’a poussé à recourir au stratagème de
l’Hippias majeur quand nous réalisons avec Socrate que, déstabilisés, ses interlocuteurs
peuvent prendre cet embarras pour une humiliation, à telle enseigne qu’ils « sont prêts tout
simplement à mordre », parce que, dit Socrate, « ils ne croient pas que je fais cela par
bienveillance » (Theaet. 151c). L’exemple le plus manifeste est peut-être Thrasymaque,
puisque, à la morsure dont il vient d’être question, fait écho la description de l’antipathique
personnage qui agresse verbalement Socrate dans le premier livre de la République, et, « se
ramassant sur lui-même comme un animal sauvage, bondit sur nous comme pour nous
mettre en pièces » (Resp. I 336b). Thrasymaque, ce faisant, donne la preuve qu’il n’a pas le
moins du monde compris, lui qui est semblable à une bête, la manière pleine de douceur et
d’humanité de Socrate, qui réfute sans hostilité, par souci du vrai et non par badinage : un
homme d’âge mûr, en effet, « cherchera à imiter celui qui désire dialoguer afin d’examiner
le vrai plutôt que celui qui s’amuse à contredire pour le seul plaisir du jeu », faisant ainsi,
de cette occupation, un objet d’estime plutôt que de mépris (Resp. VII 539c-d).
Bienveillance et impartialité seront donc les maîtres mots d’un dialogue tel que le
conçoit Platon : « Peut-être qu’il en est ainsi, mais peut-être pas. Il faut donc examiner la
question avec vaillance et bien à fond, sans t’en laisser accroire » ; ensuite, parce que cette
enquête a pour but de découvrir le vrai, Socrate invite son interlocuteur à ne pas le priver
de ce que celui-ci aura pu découvrir, car lui-même n’a d’autre ambition que de s’instruire
(Crat. 440d) pour progresser à son tour sur la voie de la vérité. Mais savoir vraiment ? « Je
ne suis pas encore capable, comme le demande l’inscription de Delphes, de me connaître
moi-même ; dès lors, je trouve qu’il serait ridicule de me lancer, moi, à qui fait encore
défaut cette connaissance, dans l’examen de ce qui m’est étranger » (Phdr. 229e-230a). Si
donc la physique intéresse assez peu Socrate, c’est qu’il ne veut pas brûler les étapes : la
première chose sera de s’instruire sur lui-même, et une telle entreprise n’est pas une mince
affaire. Or, comme être humain, cette instruction sur lui-même, c’est par le dialogue avec
ses semblables qu’il l’obtiendra de préférence : « La campagne et les arbres ne souhaitent
rien m’apprendre, tandis que les hommes de la ville le font, eux » (Phdr. 230d).
*
Il est clair, d’après ce que nous avons dit, que l’ignorance de Socrate est tout sauf une
complète ignorance ; elle est plus exactement l’absence d’un savoir d’absolue certitude,
l’absence d’une science propre, sans doute, à la seule divinité. Voilà pourquoi, sans se
Chapitre premier : Platon 25

contredire aucunement, il peut répondre à Euthydème qui lui demandait s’il savait des
choses : « Oui, tout à fait, répondis-je, je sais même beaucoup de choses – de petites choses,
à vrai dire » (Euthyd. 293b). Outre le fameux passage de l’Apologie dans lequel Socrate
explique que son savoir se limite à se savoir ignorant (Apol. 21b-23b), il y a encore ce
passage du Théétète où il déclare ne rien savoir, « hors le peu qui se limite à obtenir d’un
autre savant une réponse, et à lui faire un accueil à sa mesure » (Theaet. 161b). Ailleurs,
c’est en matière d’érotique que Socrate se dit compétent, étant ignorant en toute autre
chose (voir Theag. 128b et Symp. 177d), mais l’érotique comme désir est avant tout désir
de connaissance, et donc de vérité : Socrate est donc celui qui cherche à savoir, ce qui,
nous allons le voir dans un instant, n’est possible qu’à condition d’être conscient de son
ignorance.
Ceci nous permet de revenir sur un point que nous avons déjà brièvement considéré ci-
dessus : Socrate a plaisir à être réfuté, comme il est naturel à quelqu’un qui a conscience de
ses insuffisances et souhaite s’en défaire avec l’aide d’autrui, afin d’être purgé de ses
opinions erronées — « Ce m’est un très grand plaisir d’être ainsi réfuté » (Euthyd. 295a)1.
Dans le Phédon, nous avons vu également que Socrate accueillait avec satisfaction les
objections que lui avaient adressées ses interlocuteurs (voir Phaed. 89a) ; et Alcibiade,
dans le Banquet, manifeste sur ce point d’excellentes dispositions, bien dignes de
l’enseignement de son maître, lorsque, se tournant vers lui, il lui adresse cette requête :
« S’il m’arrive de dire quelque chose qui n’est pas vrai, coupe-moi la parole quand tu le
souhaiterais, et fais-moi savoir que, sur ce point, je suis dans l’erreur ; en effet, ce n’est pas
de mon plein gré que je proférerai une erreur » (Symp. 214e-215a).
S’il n’est jamais question de préférer débusquer l’erreur à découvrir effectivement la
vérité, il arrive qu’il soit nécessaire de se satisfaire de ce qui, à défaut de nous permettre
d’obtenir ce que nous escomptions, nous délivre en tout cas de ce qui nous en détourne.
Voilà pourquoi, même si, d’aventure, sa méthode ne lui permet pas d’aboutir chaque fois –
loin s’en faut, d’ailleurs –, Socrate ne la renie jamais, dans la mesure où le résultat qu’elle
produit n’est pas non plus à négliger : « Ou bien nous trouverons ce vers quoi nous
marchons, ou bien nous ne croirons pas savoir ce que nous ne savons d’aucune façon ; et,
vraiment, une telle récompense ne serait pas à dédaigner » (Theaet. 187b-c)
Les insuffisances ne viennent donc pas de la méthode, mais, comme il le dit lui-même,
« c’est plutôt moi qui suis un piètre chercheur » (Charm. 175e). Pour autant, les
incertitudes, nous l’avons dit, ne sont pas de nature à entraîner le flottement : nous pouvons
fort bien avoir des convictions, tout en étant conscients des limites de notre connaissance à
leur endroit, comme il ressort de l’exposé du Charmide, où Socrate, qui a échoué à définir
la sagesse, ne reste pas neutre en dépit de cet échec : « Je persiste à croire que la sagesse
est un grand bien » (ibid.). Cette conviction fermement manifestée au moment même où le
dialogue débouche sur une impasse et se révèle décidément aporétique, cette conviction se
retrouve également dans le Lysis, par exemple, où il s’agit d’une autre affaire

1
En l’occurrence, le contexte est un peu particulier : Euthydème prétend prouver à Socrate que celui qui sait
une chose sait, et donc qu’il sait tout : Socrate, non sans plaisanter, se dit donc heureux d’être réfuté,
puisqu’il ne croyait pas qu’il pouvait en aller ainsi, et que soudain, on entreprend de lui montrer qu’il est
beaucoup plus savant qu’il ne le croit.
Chapitre premier : Platon 26

d’importance : l’amitié ; bien qu’il ne soit pas parvenu à en donner une définition
satisfaisante, Socrate ne renonce pas à l’amitié, mais la réaffirme tout en prenant acte de
l’insuffisance de son raisonnement : « Nous nous sommes tous couverts de ridicule, aussi
bien moi, qui suis vieux, que vous. Car ceux-ci qui s’éloignent diront que nous croyons
être amis les uns des autres – et, de fait, je me compte au nombre de vos amis –, mais que
nous n’avons même pas réussi à découvrir ce qu’est un ami » (Lys. 223b).
Qui plus est, l’aporie, quelque frustrante qu’elle puisse paraître au premier abord,
confirme la justesse de l’humble opinion qu’a Socrate de lui-même et de son propre
savoir : « Par ailleurs, comme je le dis déjà depuis un bon moment, j’erre de-ci de-là à
propos de ces questions et je ne reste jamais du même avis ; et il n’y a rien de surprenant
que moi et tout autre ignorant errions de cette manière ; mais si c’est vous-mêmes, les
savants, qui errez, nous en subirons nous aussi des conséquences fâcheuses, s’il est vrai
qu’il nous devient impossible, même en ayant recours à vous, de mettre fin à notre
errance » (Hipp. min. 376c). Cette modestie montre, une fois encore, la bienveillance de
Socrate qui, contrairement à plusieurs de ses interlocuteurs, n’étale pas ses propres
opinions comme autant de certitudes : en avouant son ignorance, il encourage tout un
chacun à faire part d’une opinion que lui-même, parce qu’il ne croit pas détenir la vérité,
n’écarte pas d’entrée de jeu.
Ceci rejoint un autre aspect de cette « éthique du dialogue » dont nous avons déjà eu
l’occasion de dire un mot : chacun doit pouvoir librement exprimer son opinion, pour que
celle-ci puisse être dûment envisagée et éprouvée dans la cadre d’une conversation qui soit
vraiment cathartique. Dans cet esprit, nous voyons Clinias inviter l’Étranger d’Athènes à
parler librement de son opinion relative à la justesse du système de lois qui a cours dans
son pays, en Crète : « Il ne faut pas te retenir de critiquer les lois qui sont les nôtres », lui
dit-il ; « il n’y a aucun déshonneur à reconnaître un défaut, et il arrive même que la
guérison survienne chez celui qui accueille ces observations sans éprouver de jalousie,
mais avec bienveillance » (Nom. I 635a-b). Accueillir avec bienveillance l’opinion d’autrui
ne signifie bien entendu pas que l’on doive s’y soumettre incontinent, mais seulement
qu’on se donne effectivement la possibilité d’en éprouver la valeur et la solidité. Un esprit
ouvert, pour le dire autrement, n’est pas une girouette, et, comme le dit très justement
l’Étranger d’Athènes peu après l’invitation de Clinias que nous venons de lire, « se laisser
convaincre tout de suite et sans résistance serait plutôt, je le crains, agir comme de jeunes
gens et comme des sots » (Nom. I 635e).
Toujours est-il que la bienveillance est une condition indispensable pour la bonne
marche du dialogue, et c’est ainsi que les personnages mis en scène par Platon montrent
l’exemple de ce qu’il convient de faire comme des impasses où conduit un comportement
dépourvu d’aménité. Le brutal Thrasymaque n’intervient guère que dans le premier livre
de la République, et ses manières pleines d’arrogance et de mépris le conduisent à se
détacher du groupe pour ne plus guère participer à la suite de la discussion ; de son côté,
Calliclès, dans le Gorgias, sombre lui aussi dans le mutisme par suite de son incapacité à
accueillir des propos en contradiction avec les siens propres. À l’inverse, partout où le
conflit peut être évité, le dialogue peut se poursuivre entre ceux qui continuent de se
témoigner des sentiments cordiaux. C’est précisément pour préserver la possibilité de cet
Chapitre premier : Platon 27

échange que Socrate, arbitrant, en quelque sorte, le débat entre Nicias et Lachès, intervient
lorsque celui-ci, par la faute des participants eux-mêmes, menace de tourner court : quand
Lachès accuse Nicias sous prétexte qu’il « raconte n’importe quoi », Socrate cherche la
conciliation : « Dans ce cas, instruisons-le, mais ne l’injurions pas » (Lach. 195a). Plus tard,
quand Lachès, décidément mal disposé à l’endroit de son interlocuteur, estime que Nicias
parle pour ne rien dire, Socrate sauve une nouvelle fois la possibilité de poursuivre le
dialogue : « Ne perdons pas de vue que Nicias a la conviction de dire quelque chose
d’important, et de ne pas prendre la parole pour le simple plaisir de parler » (ibid. 196c).
Dans l’Euthydème aussi, Socrate s’efforce d’apaiser Ctésippe et Dionysodore quand il
se rend compte que le ton monte entre les deux hommes (voir Euthyd. 285a, et de même en
288b, où Socrate manifeste qu’il a soin de favoriser la cordialité dans les entretiens). Dans
ce dialogue, justement, Ctésippe formule une remarque parfaitement exacte, qui rejoint ce
que nous avons dit à propos de la distinction entre la bienveillance manifestée aux
personnes, d’une part, et la critique de leurs opinions, d’autre part : « Pour sûr », observe-t-
il, « notre Dionysodore croit que je suis en colère contre lui ; or moi, je ne suis pas en
colère, mais je le contredis là où, à mon avis, quand il s’adresse à moi, il ne parle pas bien.
Mais toi, noble Dionysodore, acheva-t-il, la contradiction, ne l’appelle pas injure : c’est
autre chose en effet que l’injure » (Euthyd. 285d). Une requête de Prodicos, dans le
Protagoras, va tout à fait dans le même sens : « Je vous demande que vous nous accordiez
de discuter vos thèses entre vous, mais de ne plus vous disputer ; en effet, on discute entre
amis avec bienveillance, mais on se dispute entre rivaux et entre ennemis. Et c’est de cette
manière que notre réunion serait la plus réussie » (Prot. 337a-b ; sur la querelle et le
dialogue, voir également Resp. V 454a).
Ajoutons encore, sur ce point, un dernier exemple, tiré des Lois cette fois : l’Étranger
d’Athènes, au moment où il s’apprête à critiquer des institutions existantes, et, qui plus est,
celles des cités dont sont issus ses interlocuteurs lacédémonien et crétois, dit qu’il ne faut
« en aucun cas batailler âprement, mais poser tranquillement des questions, en le faisant de
telle sorte que les gens de ces pays et nous-mêmes traitions notre sujet avec le plus grand
sérieux » (Nom. I 629a) ; un jugement qu’il répète de manière limpide dans l’avant-dernier
livre du même ouvrage : « Que nul n’injurie personne. Quand dans un entretien il y a
matière à contestation, chacun devra écouter les raisons de l’autre et exposer les siennes,
tant à son adversaire qu’aux personnes présentes, sans y mêler aucune injure. Se répandre
en imprécations les uns contre les autres, se couvrir mutuellement d’injures et se diffamer
comme des mégères, ce n’est au point de départ qu’une affaire de mots, une chose légère,
mais dans les faits, ils engendrent les haines et les inimitiés les plus lourdes » (Nom. XI
934e-935a).

5. Opinion droite contre sentiment de la foule


Ces invitations à la modération, dans la perspective d’une « éthique du dialogue »,
rejoignent bien entendu un projet moral plus large, où la modération a sa place parmi les
quatre vertus déjà évoquées ci-dessus, un projet conforme à cette autre maxime delphique
Chapitre premier : Platon 28

qui, en plus de l’appel à se connaître soi-même1, recommande de ne faire « rien de trop ».


Nombreux sont les passages de l’œuvre de Platon qui vont dans ce sens, mais s’il ne fallait
en rappeler qu’un, ce serait peut-être celui que cite Cicéron dans sa cinquième Tusculane,
et qui est extrait du discours d’Aspasie rapporté par Socrate dans le Ménéxène : « De fait,
‘rien de trop’ passe depuis longtemps pour un beau dicton ; c’est en effet vraiment bien dit,
car l’homme qui a fait dépendre de lui-même tout ce qui conduit au bonheur ou en
approche, sans rester suspendu à d’autres dont les réussites ou les revers contraignent du
même coup à l’errance ses propres affaires, c’est lui qui a pris pour sa vie les plus
excellentes dispositions, c’est lui qui a fait preuve de modération, de virilité, de bon sens ;
c’est lui, soit que lui échoient des possessions et des enfants soit qu’il les perde, qui sera
pleinement soumis à la maxime, car il ne manifestera ni trop de joie ni trop de peine, pour
ne s’en être remis qu’à lui-même » (Menex. 247e-248a ; cité partim en Tusc. V 36). Il
s’agit donc bien d’être pleinement autosuffisant. Sans que nous ayons là un élément qu’il
soit permis d’intégrer comme tel à un débat sur le bonheur simple et le bonheur parfait,
notons que, peut-être, le point de vue de Platon serait davantage celui de Cicéron et des
Stoïciens que celui d’Antiochus, puisque, comme nous le lisons également dans le Philèbe,
à Socrate qui lui demande s’il est « nécessaire que le bien ait pour lot d’être parfait ou
non », Protarque est amené à répondre sans ambages : « Tout ce qu’il y a de plus parfait,
Socrate » (Phil. 20d).
C’est que, nous l’avons dit, les vertus marchent ensemble, et Socrate, qui est bien
convaincu que leur pratique est la condition du bonheur, répugne à séparer ce qui a
vocation à être uni. C’est là un enseignement qu’en matière de médecine, il dit tenir d’un
praticien thrace : celui-ci, constatant que l’homme était composé d’âme et de corps,
refusait de soigner le second indépendamment de la première, et d’autant plus que l’âme
doit avoir la priorité sur le corps ; « c’est aujourd’hui, disait-il, l’erreur répandue parmi les
hommes de vouloir guérir séparément l’âme ou le corps » (Charm. 157c). Celui qui sépare
ce qui est conjoint ne comprend pas la réalité de ce dont il n’envisage qu’un élément
indépendamment de celui qui lui est essentiellement associé. C’est dans cette perspective
que, quand Alcibiade soutient que le juste ne s’identifie pas à l’avantageux (1 Alcib. 113d),
Socrate entreprend de le conduire à admettre son erreur, pour reconnaître qu’au contraire,
ce qui est juste, en étant juste, est aussi utile (voir spécialement 114e suiv.). La même idée
se retrouve encore ailleurs dans l’œuvre de Platon, notamment dans le Second Alcibiade,
où « la science de ce qui vaut le mieux » ne se distingue pas de « celle de l’utile » (2 Alcib.
145c), ou encore dans le Gorgias, quand Socrate estime que, parmi les plaisirs, seuls les
bons sont utiles, tandis que les mauvais sont nocifs (Gorg. 499c-d).

1
Sur ce point, ajoutons encore ceci : « C’est ensemble que nous devons chercher de quelle manière nous
pourrions devenir meilleurs ; en effet, ce que je dis de la nécessité d’être éduqué s’adresse aussi bien à moi
qu’à toi » (1 Alcib. 124b-c). Pour cela, il faut se connaître soi-même : Socrate, qui a rapporté en ce sens le
précepte delphique (voir ibid. 124b), dit encore que, « en nous connaissant nous-mêmes, nous pourrions sans
doute connaître la manière de prendre soin de nous-mêmes. Sans cela, nous ne le pourrions pas » (1 Alcib.
129a) ; « il est clair que, si je connais et mes points forts et mes points faibles, je m’appliquerai à cultiver les
premiers, tandis que je me débarrasserai des seconds dans la mesure où je le pourrai » (Clit. 407a).
Chapitre premier : Platon 29

Que peut en effet gagner celui qui, en optant pour ce qui n’est pas bien, réussit surtout à
n’être pas en accord avec la volonté des dieux ? C’est que seul le bien leur agrée ; et tel est
le sens de l’anecdote rapportée par Socrate à propos des Lacédémoniens, qui « invitent les
dieux à adjoindre, aux biens qu’ils leur accordent, ce qui est convenable ; et personne ne
les entendrait jamais demander plus dans leurs prières » (2 Alcib. 148c). Les Athéniens,
explique-t-il, étaient autrefois en conflit avec les Lacédémoniens, mais ils avaient
systématiquement le dessous dans les batailles. Ils firent demander au dieu de Delphes
pourquoi il en allait ainsi, alors que leurs offrandes étaient toujours plus riches et plus
abondantes que celles de leurs adversaires. L’oracle leur fit savoir que les Lacédémoniens,
seuls, demandaient ce qui était juste, alors que tous les autres demandaient et de bonnes
choses et de mauvaises, selon ce qui leur passait par la tête, accumulant ainsi non les actes
de piété, mais les blasphèmes (ibid. 148d-149c). Voilà pourquoi nous pouvons rapprocher
cette anecdote de la prière composée par un poète inconnu, et dont Socrate rapporte les
vers dans le Second Alcibiade : « Zeus roi, dit-elle [cette prière], les biens que nous
demandons dans nos prières ou que nous dédaignons, donne-les nous ; les maux, écarte-les,
même si nous les demandons dans nos prières » (2 Alcib. 143a ; voir Xénophon,
Mémorables I 3.2). Ainsi donc, et en vertu de la primauté de la sagesse dans l’ordre des
vertus, les prières les plus justes, celles que les dieux écouteront avec la plus grande
bienveillance, seront comme le demande l’Étranger d’Athènes dans les Lois : « Mais ce
qu’une cité et chacun de nous doivent demander dans leurs prières et ce à quoi ils doivent
s’appliquer, c’est d’avoir de l’intelligence » (Nom. III 687e).
S’il est essentiel d’avoir l’intelligence, c’est évidemment pour être vertueux, mais aussi
parce que seul celui qui est intelligent peut, comme Socrate, être assez conscient de
l’ampleur de son ignorance pour avoir la volonté de s’instruire. À l’inverse, celui qui
manque d’intelligence, parce qu’il s’abuse lui-même, ne se met pas en peine de rechercher
un savoir qu’il croit posséder : « Je pense que tu l’aurais cherché, si tu avais cru l’ignorer »,
dit Socrate à Alcibiade (1 Alcib. 109a). C’est là l’un des motifs qui expliquent le caractère
déstabilisant de l’enquête socratique, puisqu’elle conduit à reporter son attention sur des
points que l’on n’avait pas interrogés auparavant, croyant en avoir une connaissance
satisfaisante. C’est ainsi que Lachès, dans le dialogue éponyme, témoigne de sa surprise :
« Il me semble que j’ai une conception de ce qu’est le courage, mais elle m’a tout à l’heure
fait faux bond – comment ? je ne le sais pas –, si bien que je n’arrive pas à la saisir en une
formule et à l’exprimer » (Lach. 194b)1. Or tel est le tort du grand nombre, qui croit détenir
une connaissance sur des matières qu’il ignore en réalité, et sur lesquelles, par conséquent,
il a des opinions toutes faites dont la fausseté ne lui apparaît pas le moins de monde.
Sachant cela, il faut se méfier du jugement de la plupart des hommes2, et comprendre
que l’arbitrage du grand nombre n’est pas un gage de vérité, que du contraire : « Tu ne te

1
On pense, bien sûr, à la fameuse réflexion d’Augustin, dans ses Confessions, à propos de la nature du
temps : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais bien ; mais si on me le
demande, et que j’entreprenne de l’expliquer, je trouve que je l’ignore » (Conf. XI 14).
2
Socrate, au témoignage de Marc Aurèle, qualifiait de ‘Lamies’, c’est-à-dire d’épouvantails, les opinions de
la foule (voir XI 23). Lamie était le nom d’une « femme » devenue l’équivalent antique du croque-mitaine
dont on effrayait les enfants : nous avons discuté quelques-unes des légendes relatives à celle que, sur base de
Chapitre premier : Platon 30

réfugies pas auprès de maîtres sérieux en te référant au grand nombre » (1 Alcib. 110e, et la
suite). Alcibiade, à qui Socrate adresse cette remontrance, tique : « Quoi donc ? »,
demande-t-il, « ce grand nombre n’est-il pas capable d’enseigner ? ». Son maître est
parfaitement clair sur ce point, et il estime que cette incapacité de la foule à donner un
enseignement satisfaisant ne se limite pas aux considérations d’importance, car le grand
nombre est un mauvais maître, même s’il ne s’agit que d’enseigner « le jeu du trictrac.
Pourtant, c’est un acte bien plus insignifiant que la justice, ne penses-tu pas ? » (ibid.).
Dans la suite de leur conversation, Socrate note que, en définitive, le public ne peut servir
de maître que lorsque tout le monde, sans exception, tombe d’accord : c’est le fameux
argument du consensus universel. Toutefois, dès lors que survient un désaccord au sein de
la foule – et l’on comprend qu’un tel désaccord survient presque systématiquement, quoi
que ce soit dont on s’enquiert auprès d’elle –, c’est assez pour nous mettre en garde et
prouver l’incompétence du grand nombre à servir de maître : celui qui, à l’instar de la foule,
est incapable de s’accorder avec lui-même, quel enseignement valable peut-il prétendre
dispenser (1 Alcib. 111) ?
Il suffit donc d’un petit nombre de personnes pour assurer la bonne marche du dialogue
socratique, et la multiplication des intervenants ne saurait être de nature à accroître la
validité de l’une ou l’autre thèse énoncée. Aussi, lorsque Lysimaque, pour résoudre un
désaccord entre deux interlocuteurs, pense qu’il lui suffira d’interroger une troisième
personne et de se ranger ensuite à l’opinion qui recevra le plus de suffrages, Socrate
conteste l’opportunité du procédé : « Qu’est-ce à dire, Lysimaque ? Vas-tu rejoindre les
rangs de celle des positions qui recueillera le plus grand nombre de nos suffrages ? » (Lach.
184d). Multiplier les avis ne sert de rien ; « pour qu’un choix soit juste, je crois en effet
qu’il doit se régler sur le savoir, et non pas sur le nombre » (ibid. e).
Il est toutefois un cas où, bien entendu, il vaut la peine d’en appeler au suffrage de
personnes supplémentaires, non pour suivre aveuglément leur opinion, mais parce qu’elles
ont de meilleures chances d’émettre un avis de valeur. « Mon cher Criton », demande
Socrate à son ami dans l’Euthydème, « ne sais-tu pas qu’en toute activité, nombreux sont
les gens médiocres et qui ne valent rien, et peu nombreux les hommes sérieux et dignes de
toute estime ? » (Euthyd. 307a). S’il en est donc qui sont dignes d’estime pour la qualité de
leurs jugements, il va de soi qu’on les consultera de préférence, en songeant que les avis ne
valent que par leur teneur, et non par le nombre de ceux qui les énoncent. Le poète
Agathon, dans le Banquet, est bien de cet avis quand, à l’adresse de Socrate, il dit : « Tu ne
me crois tout de même pas obsédé par le public du théâtre au point d’ignorer que, aux yeux
d’un homme de bon sens, un petit nombre de gens avertis est plus à craindre qu’un grand
nombre de gens qui ne le sont pas ? » (Symp. 194b).
Loin, donc, de se laisser entraîner par l’opinion du grand nombre des hommes, il y a fort
à parier qu’il faudra plutôt se détourner de leur avis comme d’une erreur dont l’ignorance
seule assure tant la survie que la diffusion. « Nous affirmons, une fois de plus, que c’est la

récits antiques conjugués, nous décririons assez exactement comme une ogresse hermaphrodite et cannibale
dans une étude intitulée « ΘΗΡΙΩΔΕΙΣ ΚΑΙ ΝΟΣΗΜΑΤΩΔΕΙΣ. Comportements contre nature en Éthique à
Nicomaque 1148b 15-1149a 20 » (2004, étude inédite).
Chapitre premier : Platon 31

majorité des gens qui se trompe sur ce qui vaut le mieux, parce que dans la plupart des cas,
j’imagine, ils se fient à l’opinion sans faire intervenir l’intellect » (2 Alcib. 146c-d). Voilà
pourquoi, puisque « le peuple est ingrat, vite dégoûté, cruel, envieux, sans éducation, une
mêlée indistincte de gens venus de tous côtés, violents et bavards », « quiconque prend son
parti est bien plus misérable encore » (Ax. 369a-b). Socrate, dans la République, compare
encore la foule à un gigantesque et monstrueux sophiste, lorsque les gens « se pressent,
nombreux, pour siéger dans les assemblées politiques, dans les tribunaux, dans les théâtres,
dans les camps militaires, et à tout autre rassemblement ou regroupement de la population,
et qu’ils blâment ou qu’ils louent ce qui se dit ou ce qui se fait, tout cela dans un grand
vacarme où ils dépassent les bornes, dans un sens comme dans l’autre, en hurlant et en
applaudissant, tandis que les rochers avoisinant le lieu où ils se trouvent leur renvoient
l’écho redoublé du tumulte de leurs huées et de leurs éloges » (Resp. VI492b-c ; la
comparaison avec un gros animal se poursuit, voir en particulier 493a-c).
Ainsi, puisque le nombre de témoins et la considération dont ils jouissent ne sont rien,
dans la mesure où « ce genre de réputation n’a aucune valeur pour la recherche de la
vérité » (Gorg. 471e), seul objet digne des considérations du philosophe, nous comprenons
en quel sens Platon nous engage à nous détourner de l’opinion commune. Ce n’est
évidemment pas par esprit de contradiction, nous avons suffisamment insisté sur ce point ;
en fait, une remarque de l’Étranger d’Athènes laisse entendre que c’est au contraire bien
malgré lui que le philosophe est conduit à prendre le contre-pied des opinions qui ont
cours : loin de toute impudence et de cet esprit provocateur qui distinguera plus tard les
Cyniques, il confesse que « soutenir le contraire de ce que disent des milliers et des
milliers de voix, cela met dans un embarras qui n’est pas mince » (Nom. VII 810d).
Certes, l’embarras est grand, mais, objectivement, il n’y a aucune raison d’accorder une
importance particulière à une opinion pour la seule raison qu’elle est commune à beaucoup
de gens. En fait, la publicité d’une opinion et sa vérité constituent deux données
indépendantes, et ce serait une erreur de penser qu’elles croissent en proportion l’une de
l’autre. « Mais pourquoi irions-nous nous soucier à ce point, bienheureux Criton, de
l’opinion du grand nombre ? » (Cri. 44c). Une fois encore, la qualité des avis est autrement
plus pertinente que le nombre de ceux qui les émettent : « Il ne faut donc pas du tout, mon
excellent ami, nous préoccuper comme cela de ce que dira le grand nombre, mais de ce que
nous disent le connaisseur du juste et de l’injuste, lui seul, et la vérité elle-même » (Cri.
48a). Par conséquent, il y a tout à gagner dès lors que, faisant taire la foule, nous écoutons
de préférence l’avis d’un homme avisé, fût-il tout seul à soutenir un point de vue opposé à
celui du grand nombre. « La Muse la plus belle est celle qui charme les meilleurs, c’est-à-
dire ceux qui ont reçu une éducation suffisante, et surtout la Muse qui arrive à charmer ne
fût-ce qu’un seul individu, celui qui se distingue par son excellence et par son éducation »
(Nom. II 658e).
Qui plus est, celui qui manque d’expérience aura tout intérêt à accorder une attention
particulière à l’avis des gens plus âgés, dont les opinions, pour n’être pas nécessairement
assurées, ont vraisemblablement été davantage éprouvées que les siennes propres :
« Examinons donc bien la question sans négliger l’aide de nos aînés. Car nous sommes
encore bien jeunes pour décider une affaire aussi grave » (Prot. 314b). Dans le Sisyphe
Chapitre premier : Platon 32

aussi – que ce dialogue soit ou non de Platon, il en porte certainement la marque sur ce
point –, nous trouvons un trait qui va tout à fait dans le même sens que l’anecdote relative
à Hannibal et au rhéteur Phormion dont nous parlions à propos de Cicéron (voir Or. II 75-
76) : « Est-il en mesure de dire comment s’y prendre comme stratège et comme capitaine
de navire, celui qui ne sait ni commander une armée ni diriger un navire ? » (Sis. 389d).
Dans le même esprit toujours, Socrate demande ailleurs si « cela ne paraît pas un manque
de retenue, que des gens à qui la science est inconnue expliquent ce que c’est que savoir »
(Theaet. 196d). Ce « manque de retenue » donne lieu à un savoir bon seulement pour la
parade, mais qui, à l’épreuve, se révèle parfaitement inutile et inconsistant ; aussi bien
celui qui parle de ce dont il n’a pas de connaissance éprouvée ressemble, comme le dit
Socrate, à un athlète énervé : « Tu te montres vaillant dans les exercices du gymnase, mais
tu fais piètre figure lors des compétitions » (Ax. 365a).
Ainsi, nous le voyons, le discours socratique ne s’oppose aux idées reçues que par
amour pour la vérité, et non par esprit de contradiction ou par incontinence verbale et
amour du bavardage. Platon, en effet, est convaincu que la sagesse, en raison du principe
qui réunit les vertus dans l’unité, doit, pour faire bonne mesure, être également
accompagnée des autres vertus, sans lesquelles elle est inefficace et pitoyable. Tel est le
sens de cette observation que fait l’Étranger d’Athènes, lorsqu’il se demande « que dire de
celui qui commande une armée ? est-il en mesure de commander s’il possède l’art de la
guerre, alors même qu’il est lâche au milieu des dangers et que l’ivresse de la peur lui
donne le mal de mer ? » (Nom. I 639b). Puisqu’il s’agit donc de la recherche d’une
connaissance vraie, il ne peut être question de bavarder sans avoir le souci d’agir, et voilà
pourquoi le même personnage déclare encore, au sixième livre des Lois : « Je ne me
contente pas de parler, mais je compte bien mettre en pratique ce que je dis, dans la mesure
de mes forces » (Nom. VI 752a).

6. L’ignorance et le mal ; les conditions du bonheur


L’amour du vrai, qui constitue le ressort du dialogue platonicien, est également stimulé
par l’horreur qu’inspire l’ignorance ; car l’ignorance, c’est le mal. Entendons-nous, car il
ne faut pas, comme nous le disions en commençant, nous laisser abuser par les mots.
L’ignorance est le mal en tant qu’elle consiste à ne pas savoir où est le bien. Mais il y a
ignorance et ignorance, car Socrate, quoiqu’il se dise ignorant par comparaison avec la
science du dieu, n’est pas un complet ignorant, nous l’avons vu. Qui sont donc les
véritables ignorants ? « Puisque ce ne sont ni ceux qui savent, ni ceux des ignorants qui
savent qu’ils ne savent pas, que reste-t-il d’autre sinon ceux qui croient savoir ce qu’ils ne
savent pas ? » Or c’est précisément « cette ignorance qui est la cause de ce qui est mal,
c’est elle qui est répréhensible » (1 Alcib. 117a-118a). L’étranger du Sophiste parle, lui
aussi, d’une « forme spéciale d’ignorance, difficile à saisir et qui égale, à elle seule, toutes
les autres » : il s’agit, explique-t-il, de « celle qui nous fait croire que nous possédons le
savoir quand, en réalité, nous en sommes dépourvus » (Soph. 229c). Quant à l’ignorance
relative de Socrate, parce qu’elle est, au contraire, une juste appréhension des limites
humaines par comparaison avec la science divine, elle est l’intermédiaire entre l’ignorance
véritable de tous les hommes et la science qui n’appartient qu’au dieu (voir Apol. 23a-b),
Chapitre premier : Platon 33

elle est la véritable sagesse de l’homme. Cette docte ignorance – osons l’expression,
quoiqu’elle appartienne à un contexte sensiblement différent – consiste, comme l’explique
Diotime à Socrate, à « avoir une opinion droite, sans être à même d’en rendre raison »
(Symp. 202a), sans être à même de l’établir sur base d’un savoir vraiment assuré et
pleinement maîtrisé, accessible à la seule divinité.
Mais l’ignorance où sont plongés les hommes abusés par une prétention trompeuse à la
science est source de tous les maux : en ne mesurant par les limites qui sont les leurs, les
hommes, dans leur grand nombre, se montrent insolents ; « les gens, parce qu’ils se
croyaient compétents, ne furent plus retenus par la crainte, et l’assurance engendra
l’impudence » (Nom. III 701a). Ce qui va, en définitive, former l’essence de la malice
propre au grand nombre des hommes, ce sont par conséquent leurs dispositions
intérieures ; et c’est à leur aveuglement sur leur propre compte qu’il faut imputer les vices
qui sont les leurs. « Pour toutes ces réalités que nous avons dites être des biens [réussite,
santé, naissance illustre, etc.], il y a des chances que la question à leur sujet ne soit pas de
savoir comment elles sont en elles-mêmes et par elles-mêmes des biens ; au contraire, voici,
semble-t-il, ce qu’il en est : si elles sont dirigées par l’ignorance, ce sont des maux plus
grands que leurs contraires – d’autant plus que ces réalités mettent davantage de capacités
au service d’une direction mauvaise en elle-même ; mais si elles sont dirigées par le savoir
et la raison, ce sont des biens fort grands ; au lieu qu’elles-mêmes et par elles-mêmes, elles
n’ont ni les unes ni les autres une quelconque valeur » (Euthyd. 281d-e ; voir également
Gorg. 497d) – on reconnaît, à peu de choses près, une amorce de ce qui sera la doctrine
stoïcienne des indifférents. La vertu n’est rien sans la réflexion, comme le courage qui
n’est qu’une audace préjudiciable (Men. 88b) ; plus généralement, « ce que l’âme
entreprend et ce qu’elle supporte, tout cela aboutit au bonheur si la raison en est le guide,
mais si c’est la déraison, le résultat obtenu est tout à fait contraire » (Men. 88c).
À propos de Stoïcisme, toujours, et du rôle décisif que joue la disposition de l’âme dans
la détermination de la bonté ou de la malice d’une situation ou d’un événement, nous ne
pouvons pas ne pas citer ce remarquable passage du dixième livre de la République – il est
un peu long, mais son importance, croyons-nous, justifie amplement son étendue : « La loi
dit qu’il n’y a rien de plus beau que de garder le plus possible son calme dans l’adversité et
de ne pas se révolter, d’abord parce que le bien et le mal inhérents à ces situations ne se
montrent pas avec évidence, ensuite parce que rien de bon pour l’avenir n’en résulte pour
celui qui les supporte mal, et enfin parce qu’aucune affaire humaine ne mérite qu’on s’y
intéresse sérieusement. De plus, dans ces situations, ce qui devrait se précipiter à notre
secours s’en trouve précisément empêché par notre souffrance (…) [Je veux parler] de la
réflexion qui délibère sur ce qui est arrivé (…) Il faut faire comme lorsque nous jetons les
dés : l’accepter et placer nos acquis en fonction de ce qui a été jeté, en suivant le moyen
que la raison a jugé le meilleur, au lieu de faire comme les enfants qui, quand ils ont reçu
un coup, portent la main sur leur blessure et s’épuisent à crier. Il faut au contraire
constamment habituer son âme à se hâter de venir guérir et rétablir ce qui est tombé, et qui
souffre, et à substituer aux lamentations l’art de la guérison » (Resp. X 604b-d).
Le mal suprême, en définitive, n’est autre que l’opinion qui fait de nous les esclaves de
la vanité, une opinion dont la fausseté ne nous apparaît pas – et c’est précisément pour cela
Chapitre premier : Platon 34

qu’il s’agit du mal suprême, car on en souffre sans même s’en apercevoir (voir Phaed. 83c).
Par conséquent, il est clair que le bonheur dépend tout entier, de la prise en compte de ce
vice radical, qui ne se résorbe qu’à condition d’être identifié et reconnu par l’homme qui
s’assagit en reconnaissant qu’il ne sait pas ce qu’il se trouve effectivement ignorer. « C’est
que, pour ainsi dire, l’acquisition des autres sciences, si elle n’est pas accompagnée de
celle de ce qui vaut le mieux, risque rarement d’être utile ; bien au contraire, elle risque le
plus souvent d’être nuisible pour qui la possède » (2 Alcib. 144d).
Tout cela est évidemment lié à cette doctrine bien connue, selon laquelle « nul n’est
mauvais de son plein gré », que développe à plusieurs reprises Socrate, notamment dans le
Ménon (Men. 77b-78b), ou encore dans le Protagoras, où il déclare n’être « pas loin de
croire qu’il n’est personne, parmi nos savants, pour penser que qui que ce soit commette
une faute volontairement, ou accomplisse volontairement des actes laids et honteux » (Prot.
345d-e). Ce faisant, Socrate interprète l’ἀκρασία comme étant bien, à proprement parler,
une faiblesse de l’intelligence (voir en particulier Prot. 352b-e), car personne ne fait le mal
en sachant que c’est le mal, mais seulement en jugeant – à tort – qu’il s’agit d’un bien.
« Personne », répète-t-il, « ne va volontairement vers ce qui est mauvais : ce n’est pas,
semble-t-il, dans la nature de l’homme de vouloir aller vers ce qui est mauvais au lieu de ce
qui est bon » (Prot. 358c-d). L’Étranger d’Athènes ne dit pas autre chose : « Aucun
homme ne commet l’injustice de son plein gré » (Nom. V 731c) ; et il consacre un
développement détaillé à cette question dans le neuvième livre des Lois, où est défendue la
thèse radicale d’après laquelle « tous les méchants, dans toutes leurs fautes, sont méchants
contre leur gré » (Nom. IX 860c).
La question est d’autant plus importante que, si le mal parasite l’agir de l’ignorant dans
sa totalité, il l’éloigne autant du vrai que du bien. Or, justement, rien ne vaut qu’on lui
sacrifie un agir bon : « Tu parles mal, l’ami », dit Socrate à l’adresse de son accusateur
dans le procès qui va lui coûter la vie, « si tu crois qu’il faut calculer les chances de vivre
ou de mourir quand on vaut un peu quelque chose, au lieu de n’examiner que cette unique
question : chaque fois que l’on se porte à l’action, cette action est-elle juste ou injuste, est-
elle l’œuvre d’un homme bon ou mauvais ? » (Apol. 28b). Nous retrouvons ici, en filigrane,
la distinction entre l’ignorance relative de Socrate, qui est la vraie sagesse de l’homme, et
l’ignorance, source du mal, qui sous-tend l’accusation de son adversaire. Car le savoir de
Socrate, c’est la conscience de ses limites, une conscience qui, d’après ce que nous venons
de dire, n’exclut pas les convictions, mais renforce la justesse de celles-ci, puisqu’elles se
déploient au sein du cadre vraiment humain de la sagesse réalisée dans la personne de
Socrate. Sa conviction, justement, la voici : « Quant à commettre l’injustice et à désobéir à
un meilleur que soi, dieu ou homme, je sais que c’est le mal et le déshonneur » (Apol. 29b).
« Le plus grand mal », disait-il dans le Gorgias, « c’est l’injustice » (Gorg. 469b) ; et
lorsque Polos lui demandait s’il aimerait mieux subir l’injustice que la commettre, Socrate
était parfaitement clair : « Moi, tu sais, je ne voudrais ni l’un ni l’autre. Mais, s’il était
nécessaire soit de commettre l’injustice soit de la subir, je choisirais de la subir plutôt que
de la commettre » (Gorg. 469c). Quand il parle en son nom propre dans cette fameuse
septième lettre que nous avons déjà citée à plusieurs reprises, Platon lui-même ne dit pas
autre chose, puisqu’il soutient qu’« il faut considérer que le fait d’être la victime de crimes
Chapitre premier : Platon 35

importants et de grandes injustices est un moindre mal que le fait de les commettre » (Epist.
7 335a).
Plus exactement, le plus grand mal sera d’être non seulement injuste, mais injuste et
impuni : le mal suprême affecte le méchant, nous l’avons dit, qui ne réalise pas l’ignorance
où il se trouve, mais il n’est jamais plus malheureux que lorsqu’il peut donner libre cours à
sa malice, sans que sa méchanceté reçoive une punition capable d’y mettre un terme (Gorg.
472e). Cette idée est également développée dans le neuvième livre de la République, où le
tyran est ainsi présenté comme l’homme dont la condition, loin d’être la plus enviable, est
au contraire la plus pitoyable de toutes, car un tel homme « ne passe pas sa vie dans une
existence privée » – ce qui, s’agissant d’un méchant, est déjà un sort terrible –, « mais il est
assez malchanceux pour qu’un concours de circonstances particulier l’amène à devenir
tyran », à exercer effectivement sur les autres hommes1 le pouvoir despotique de cette
cécité qui lui cache ses propres vices (Resp. IX 578b-c ; et 579d pour la reprise de cette
idée du « malheur absolu » du tyran). La même idée se retrouve dans les Lois, où le
méchant est d’autant plus malheureux qu’il vit longtemps, et que son malheur, loin de se
résorber, se prolonge dans la durée. Aussi bien « un moindre mal, pour un homme comme
celui-là, est qu’il survive le moins longtemps possible » (Nom. II 661b-c, et voir la suite,
not. e). L’Étranger d’Athènes est d’ailleurs conduit à développer plus longuement ce point
dans la suite du second livre des Lois, car son interlocuteur, Clinias, s’il reconnaît
volontiers que la méchanceté du méchant est chose honteuse, ne peut accorder
immédiatement ce qui, comme le lui montre bien l’Étranger, s’ensuit nécessairement, à
savoir que, parce qu’elle est mauvaise et honteuse, la vie du méchant est, de toute nécessité,
une vie de malheur (Nom. II 662a-663a). Plus loin encore, dans le cinquième livre du
même ouvrage, il revient encore sur cette question, en développant le thème que défendait
Socrate contre Calliclès dans le Gorgias : « Personne, pour ainsi dire, ne semble prendre en
compte ce qu’on appelle le pire des châtiments pour ce qui est de la malfaisance : le pire
des châtiments, c’est de devenir semblable à ceux qui sont des hommes méchants, et,
l’étant devenu, de fuir les gens de bien, les propos honnêtes, et de rompre avec eux pour au
contraire se coller aux autres en recherchant leur compagnie » (Nom. V 728b).
La conclusion de ces réflexions est lumineuse : « Si ce ne sont pas des gens de bien, ce
ne sont pas non plus des gens heureux » (Nom. V 743c) ; et elle reprend l’enseignement du
Premier Alcibiade, dans lequel Socrate s’efforçait de faire comprendre véritablement au
jeune homme qu’il est « impossible d’être heureux si l’on n’est pas tempérant et bon », que
« les hommes mauvais sont malheureux », et que « ce n’est pas en devenant riche qu’on se
délivre du malheur, mais en devenant tempérant ». « Est-il possible de donner en partage
ce que l’on ne possède pas ? », demande encore Socrate à son élève ; et comme celui-ci
doit admettre que la réponse est négative : « Il faut donc d’abord », repartit Socrate, « que
tu t’appropries toi-même l’excellence, comme le doit quiconque entend commander et
prendre soin non seulement de lui-même et de ce qui lui est propre, mais aussi de la cité et
de ce qui lui est propre » (1 Alcib. 134b-c).

1
Nous n’osons plus parler alors des autres hommes comme de ses semblables, puisque, nous l’avons vu, le
tyran cesse d’être un homme pour se changer en loup (voir Resp. VIII 566a).
Chapitre premier : Platon 36

Le rapprochement entre l’âme et la cité esquissé dans ce dialogue annonce les réflexions
psycho-politiques de la République ; et, fort de cette comparaison, Socrate enseigne au
jeune homme cette leçon qui vaut pour l’individu comme elle vaut pour l’État dans son
ensemble : « Ce n’est donc pas à la tyrannie, mon bon Alcibiade, qu’il faut vous préparer,
toi et la cité, si vous voulez être heureux, mais à la vertu » (1 Alcib. 135b). Le tyran,
esclave des vices nés de son ignorance, est ainsi l’exact contraire de l’homme sage, qui est
aussi le véritable souverain : « Le plus heureux des hommes est donc celui qui n’a aucun
vice en son âme, puisque c’est le vice qui nous a paru être le pire des maux » (Gorg. 478d).
Et, jouant sur le double sens de l’expression grecque εὖ πράττειν, qui signifie tout
ensemble « bien faire » et « réussir », Socrate montre à son interlocuteur que, loin de se
causer du tort à lui-même, celui qui s’enrôle sous la bannière du vrai et du bien se met lui-
même dans la situation de réussir, tandis que le méchant, le scélérat place nécessairement
sa conduite sous le signe de la misère (voir Gorg. 506c suiv., et spécialement 507c pour le
jeu de mots). Les gens heureux, poursuit-il à l’adresse de Calliclès (ibid. 508b) doivent
donc leur bonheur à la justice et à la tempérance, tandis que les malheureux sont plongés
dans le malheur à cause du vice. Voilà pourquoi aucun prétexte ne peut justifier ce qui, par
essence, ne l’est pas, l’injustice : « Il ne faut donc répondre ni par l’injustice ni par le mal à
quelque homme que ce soit, quoi qu’on ait subi de lui » (Cri. 49c) ; la suite est plus
explicite encore, s’il se peut : « Il n’est jamais correct d’être injuste, ni de répondre à
l’injustice par l’injustice, ni de se défendre d’un mauvais traitement en faisant du mal à son
tour » (Cri. 49d ; dans le même sens, voir Resp. I 335e).
Partant – et nous rejoignons ici l’idée qu’il faut se défier du jugement de la foule, qui
n’apporte rien de solide –, il est clair que, ce qui compte, ce n’est pas la réputation de
justice et de vertu, mais la vertu elle-même (Gorg. 527b). La véritable tranquillité est à ce
prix, dit encore Socrate, en des termes qui, une fois de plus, annoncent l’un des thèmes
favoris des futurs philosophes du Portique, « car il ne t’arrivera rien de terrible si tu es
vraiment un homme de bien et si tu pratiques la vertu » (Gorg. 527d). En effet, « l’homme
juste est heureux, l’homme injuste malheureux » (Resp. I 354a) : l’homme qui est juste,
non celui qui paraît l’être ; l’homme qui est injuste, non celui qui paraît l’être. Voilà
pourquoi il est indispensable d’aller au-delà des apparences, « car, ‘le peuple d’Érechthée
au grand cœur’ [Il. II 547] a bel aspect, mais il faut le dévêtir pour bien le voir » (1 Alcib.
132a).
Cette nécessité de la justice comme condition indispensable du bonheur n’est pas
seulement une thèse défendue par un sage, dont la moralité est au-dessus de tout soupçon ;
et Platon, par le truchement de Socrate, a encore le génie de montrer que, quelques
réticences que soulève cette thèse quand on l’énonce, elle est, en bonne logique, accordée
d’après les prémisses auxquelles tous donnent sans hésiter leur assentiment. N’est-il pas
vrai, demande Socrate, qu’un mauvais flûtiste aurait tort de ne pas confesser d’entrée de
jeu son manque d’habileté, pour éviter de se rendre ridicule ? À l’inverse, personne ne se
dira injuste, car tous les hommes sont également convaincus qu’ils ne peuvent accorder
une telle chose, « tant on considère que tout homme doit nécessairement avoir, d’une
manière ou d’une autre, part à la justice, ou être exclu de l’humanité » (Prot. 323a-c). C’est
ainsi que les brigands eux-mêmes, les soudards et tous ceux qui se trouvent engagés dans
Chapitre premier : Platon 37

une activité foncièrement injuste ne pourraient jamais parvenir à leur fin s’ils étaient
injustes les uns envers les autres (voir Resp. I 351c suiv., et not. 352c).
Puis donc que les méchants eux-mêmes doivent cultiver ne serait-ce qu’un reliquat de
justice, la vertu apparaît comme cette valeur absolue pour laquelle, comme le dit Socrate
dans le Phédon, il faut vouloir donner tout ce que l’on possède, « peu importe alors que s’y
ajoutent ou qu’on en retranche plaisirs, craintes et autres ingrédients de la sorte » (Phaed.
69b). L’homme vertueux, à proprement parler, se rend invulnérable, et ce n’est pas un
hasard si Arrien, synthétisant, dans son Manuel, l’enseignement de son maître, le stoïcien
Épictète, choisissait, parmi les formules que l’on doit toujours avoir « sous la main », un
passage tiré de cette belle déclaration de Socrate durant son procès : « Oui, sachez-le bien,
si vous me faites mourir, moi qui suis l’homme que je dis, vous ne me ferez pas un plus
grand tort qu’à vous-mêmes : moi, ni Anytos ni Mélétos ne sauraient me faire du tort. Ils
n’en auraient pas même le pouvoir : car je ne pense pas que les dieux permettent qu’entre
deux hommes le meilleur soit lésé par le plus méchant. Celui-ci peut bien le faire mourir,
l’exiler ou le priver de ses droits : il croit peut-être, comme un autre, je suppose, que ce
sont là de grands maux ; moi, je ne le crois pas, mais je tiens pour un mal bien plus grand
d’agir comme il le fait, lui, aujourd’hui, en entreprenant de tuer un homme injustement »
(Apol. 30c-d). L’homme de bien ne fera donc pas n’importe quoi pour échapper à la mort
(Apol. 38e), et il se souviendra qu’« il est impossible que nous interprétions correctement
les choses quand nous croyons que mourir est un mal » (Apol. 40b) ; au contraire, il
confessera « cette unique vérité, qu’il n’y a pas de mal possible pour un homme de bien »
(Apol. 41d). Une fois encore, ce n’est pas un hasard si, dans la première Tusculane cette
fois, Cicéron cite longuement ce passage (Tusc. I 97-99). « Le plus important », dira
encore Socrate, prisonnier, dans le Criton, « n’est pas de vivre, mais de bien vivre » (Cri.
48b). Bien vivre, c’est vivre selon la vertu, en se défaisant de cette coupable ignorance
dans laquelle se trouve, nous l’avons vu, la racine de tous les vices. Et puisqu’il est
nécessaire, à cette fin, de purifier son esprit des fausses conceptions qui y résident, nous
comprenons mieux pourquoi « une vie où l’on ne pourrait pas interroger n’est pas vivable
pour un homme » (Apol. 38a). Seule cette enquête permet en effet de découvrir qu’« il ne
faut poursuivre que le bien et le beau, sans tenir compte de la douleur » (Gorg. 480c).
Cette harmonie est celle qui fait du sage le véritable musicien, comme diront les
Stoïciens, faisant peut-être écho à cette parole du Lachès, dans lequel Socrate soutient
qu’« un tel homme me paraît être un musicien consommé, qui crée la plus belle harmonie,
non sur une lyre ou tout autre instrument de divertissement, mais en mettant réellement sa
vie en accord avec ses paroles » (Lach. 188c-d). C’est que, comme le dit justement
Protagoras dans le dialogue éponyme, « la vie humaine tout entière a besoin de rythme et
d’harmonie » (Prot. 326b). Or cet accord, nous l’avons dit, n’est pas fondé sur la répétition
des cris et des opinions du grand nombre, mais entre en résonance avec la voix de la vérité,
qui réside en chaque homme. Voilà pourquoi il vaut mieux être en désaccord avec autrui
que mal accordé avec soi-même (voir Gorg. 482b-c).
Le bonheur, en ce sens, est affaire de disposition intérieure et consiste dans le fait d’être
moralement disposé d’une certaine façon, d’avoir reçu une certaine éducation et de
posséder le sens de la justice : « J’affirme que l’être, homme ou femme, doté d’une bonne
Chapitre premier : Platon 38

nature morale est heureux, mais que l’être injuste et méchant est malheureux » (Gorg.
470e).

*
* *

Ajoutons encore quelques remarques à propos de la méthode socratique telle qu’elle est
mise en scène par Platon. Plus exactement, disons un mot à propos de ce qui ressort de la
comparaison entre cette manière qu’avait Socrate de conduire un dialogue et la méthode de
l’Académie conçue, d’après le témoignage de Cicéron notamment, comme une réfutation
généralisée.
Dans un stimulant article publié il y a de cela bientôt un quart de siècle déjà, Woodruff
(1986), réalisant que « Plato’s teachings tend to interest philosophers more than his
method » (p. 22), a choisi, pour sa part, de s’occuper de cet aspect négligé des études
platoniciennes. Il distingue trois types de réfutations mises en œuvre par Socrate dans les
dialogues de Platon, selon que cette réfutation est « purgative », « defensive » ou qu’elle se
présente comme un « definition-test ».
La première de ces trois méthodes vise essentiellement à dénoncer la vanité de celui qui
croit savoir ce qu’en réalité, il ignore (voir Soph. 230b-d et Men. 84a-d). La seconde,
illustrée de manière exemplaire par le Gorgias, consiste à mettre l’opposant à la thèse
défendue par Socrate dans une situation intenable, en le plaçant en face de ses propres
contradictions. Quant à la méthode visant à éprouver des définitions, il s’agit, en quelque
sorte, d’un approfondissement de la méthode « purgative », puisqu’il s’agit moins cette
fois de rabattre les prétentions des pseudo-savants que de découvrir, par le biais d’une mise
à l’épreuve de nos définitions, l’ampleur de notre ignorance sur des matières dont nous ne
soupçonnions pas la difficulté : c’est ce qui se produit dans l’Euthyphron, dans le Lachès,
dans le Théétète, et dans de nombreux autres dialogues.
Woodruff, abordant, dans cette perspective, la question du « scepticisme » de Platon,
entend le distinguer très nettement de celui des Académiciens depuis le scolarquat
d’Arcésilas. Les représentants de la « nouvelle » Académie témoigneraient, selon lui, de
l’existence de ce qu’il appelle « a decapitated Platonism » (p. 37). Il s’en explique :
« Plato’s body of arguments against taking appearances as reality survives in that school
without reasoned expectation that dialectic will raise a thinker to a higher level ». Ceci est
particulièrement intéressant, puisque cela rejoint à peu près – la « décapitation » en moins
– ce que nous disions dans notre étude sur Cicéron, en parlant du scepticisme académique
comme une manière de renouer avec le versant négatif du Platonisme primitif, le versant
positif (dogmatique) ayant été, d’après Cicéron, systématisé par les premiers disciples de
Platon.
Cicéron, dans ce cadre, s’inscrit clairement du côté négatif (réfutation et mise en cause
de toute prétention à la certitude), mais son scepticisme ne se borne pas à cet aspect du
Platonisme, puisqu’à l’instar de Platon, il développe, lui aussi, un point de vue appuyé sur
des convictions fortes, et un enseignement assuré qui évite le dogmatisme parce que son
Chapitre premier : Platon 39

épistémologie l’invite à la prudence. En ce sens, il nous paraît que le mot de Quintilien – M.


Tullius, qui ubique (…) Platonis aemulus exstitit (Inst. orat. X 1.123) – est on ne peut plus
judicieux : l’émule, d’après Littré, c’est « celui qui rivalise avec un autre », en particulier
dans les choses louables. Cicéron, c’est évident, n’est pas Platon, et ses préoccupations ne
sont pas toujours, bien loin s’en faut, celles du plus célèbre disciple de Socrate, mais ils se
rejoignent dans ce double mouvement de prudence et de conviction qui caractérise leurs
pensées respectives.
CHAPITRE 2
SENEQUE*

1. Action et contemplation ; rôle de la physique


Pour Cicéron, nous l’avons vu, il y a lieu de dépasser l’opposition entre action et
contemplation, dans la mesure où la contemplation elle-même débouche sur l’action et
n’est pas complète sans elle. Cet idéal « mixte », si l’on peut dire, se retrouve aussi chez
Sénèque, qui juge nécessaire de « combiner ces deux états : l’homme de loisir1 pratiquera
l’action ; l’homme d’action connaîtra le loisir. Consulte la nature », ajoute-t-il encore à
l’adresse de son correspondant Lucilius, « elle te dira : j’ai fait le jour et la nuit » (Ep. I
3.6). Le véritable philosophe n’est donc pas cantonné dans la sphère du savoir théorique,
mais son progrès n’est réel que si, à l’étude, il sait mêler la mise en œuvre pratique de son
savoir ; et voilà pourquoi Sénèque invite également Lucilius à faire retour sur lui-même,
pour découvrir « si c’est dans la science philosophique ou dans la pratique même de la vie
qu[’il a] progressé » (Ep. II 16.2). Car c’est la vie qui importe, et la connaissance doit être
mise au service de l’existence : « La philosophie enseigne à agir, non à parler ; elle exige
que chacun vive suivant la loi qu’il s’est donnée ; que la vie ne soit pas discordante au
langage ou discordante en elle-même, qu’il y ait, entre tous les actes, unité de couleur »
(Ep. II 20.2).
Le refus de la distorsion entre théorie et pratique concorde donc pleinement avec l’idéal
cicéronien, et Sénèque répète régulièrement sa volonté de ne pas penser l’une sans l’autre,
car, écrit-il encore, « la vertu comprend deux parties : la contemplation du vrai et l’action »
(Ep. XV 94.45), où l’action n’est pas seulement un complément à l’étude, mais où elle est,
à proprement parler, l’autre de l’étude et son prolongement : « La vertu repose en partie sur
la doctrine, en partie sur la pratique : tu dois apprendre, et puis confirmer par l’action ce
que tu as appris » (ibid. .47). Comme nous l’avons vu, c’était l’opinion de Chrysippe, pour
qui l’homme était né en vue de contempler le monde et de l’imiter (voir Nat. deor. II 37) ;
Sénèque reprend cette idée pour son propre compte en distinguant, chez l’homme, une

*
Puisque nous empruntons en général notre traduction à l’édition de la Collection des Universités de France
(et dans cette trad. revue par Veyne pour les traités et les lettres), nous n’avons pas séparé le livre XIX du
livre XX en citant les Lettres à Lucilius (comme le fait une partie de la tradition à la suite de la lettre 118). En
ce qui concerne les Questions naturelles, nous suivons l’ordre classique proposé dans cette édition, où le De
ignibus est le livre I, d’après le classement des mss. Quantum (voir préface au t. I, pp. xv et xix suiv.).
1
Otium, en latin, désigne, au niveau de la collectivité, la paix et la tranquillité ; au niveau de l’individu, ce
terme renvoie tout ensemble à la retraite, au repos ou au loisir (lettré, studieux).
Chapitre 2 : Sénèque 41

double finalité : contempler et agir (Ot. 4.2), la contemplation ne pouvant pas même se
concevoir sans ce lien avec la pratique (voir Ot. 5.8)
L’idée sous-jacente à cette volonté de conjoindre les deux aspects de l’activité pensante
et agissante de l’homme est que la pratique, l’expérience permet de tester la solidité et la
justesse du savoir que l’on a pu acquérir, au sens où, « pour se connaître, il faut s’être
éprouvé » (Prou. 4.3). La même idée se retrouve dans le dialogue sur Le loisir, où Sénèque
présente ce point de vue comme une évidence : « Qui niera que la vertu doive faire, dans la
pratique, l’épreuve de ses progrès, et ne pas se borner à concevoir comment il faut agir,
mais passer parfois à l’exécution et réaliser ses théories ? » (Ot. 6.3). Est-ce à dire qu’en
définitive, l’activité pratique l’emporte simplement sur la théorie ? Tel est bien, semble-t-il,
le point de vue d’Athénodore, un stoïcien du premier siècle – le philosophe attaché à Caton
d’Utique, ou un autre, également prénommé Athénodore, et attaché à la personne
d’Auguste, on ne sait –, dont Sénèque présente brièvement la doctrine sur cette question
dans sa Tranquillité de l’âme (Tranqu. anim. 3.3-4) ; mais l’opinion de Sénèque lui-même
est quelque peu différente et manifeste, à notre avis, son refus de subordonner purement et
simplement l’une des deux finalités de l’homme à l’autre : en fait, Sénèque n’oppose pas le
contemplatif à l’homme d’action, mais il conçoit de préférence la combinaison de l’un et
l’autre aspects dans la personne du véritable philosophe, capable d’agir quand il convient
d’agir, et de discerner la conduite la plus appropriée – qui peut être la retraite studieuse,
mais qui ne l’est pas nécessairement – à sa personne et aux circonstances dans lesquelles il
se trouve placé (voir spécialement Tranqu. anim. 4.3). Comme le dit en effet Sénèque dans
la suite du même traité, il importe de découvrir, parmi toutes les attitudes possibles, celle
qui convient le mieux à la circonstance ainsi qu’à la personne que l’on est, car il faut être
capable de s’évaluer soi-même, de connaître ses dispositions naturelles, et de ne pas
épuiser inutilement ses forces en décidant contre sa nature propre (voir Tranqu. anim. 6.2-
4 ; voir encore ibid. 12.1 et le traité sur La retraite ; en ce sens, « l’à-propos est un des
grands points du conseil », Ep. VIII 71.1).
Toutes choses étant égales par ailleurs, le mieux sera un mélange harmonieux où
l’action et la contemplation sont associées dans un même choix de vie (voir Tranqu. anim.
4.8), puisque l’une et l’autre dimensions sont complémentaires. Mieux : elles se
nourrissent mutuellement et contribuent ainsi à la vitalité l’une de l’autre ; voilà pourquoi
« la vertu ne peut exister sans l’étude d’elle-même, ni l’étude de la vertu sans la vertu »
(Ep. XIV 89.8). Récusant le renvoi de la philosophie aux seules heures de loisir, Sénèque
invite par conséquent Lucilius à se ménager du loisir pour la philosophie, dont les progrès
s’évanouissent quand on néglige de la cultiver, semblable à un ressort qui, n’étant plus
sollicité, perd sa tension et retrouve son inertie initiale (voir Ep. VIII 72.3).
Puis donc qu’il en est ainsi, nous comprenons en quel sens Sénèque dénonce cette forme
de perversion qui consiste à disjoindre ce qui doit être uni, à étudier la philosophie sans
guère viser d’amélioration morale – or cette philosophie dévoyée est en plein celle de notre
époque et des « êtres de chaire » dont nous parlions dans notre étude sur Cicéron… Contre
cette confiscation de la philosophie par ceux qui la réduisent à des mots privés d’incidence
existentielle, Sénèque écrit à Lucilius qu’il pourra « constater qu’ils sont en forte
proportion, ces auditeurs pour qui la salle du philosophe ne saurait être que le pied-à-terre
Chapitre 2 : Sénèque 42

de leurs loisirs. Ils ne songent pas à s’y défaire de quelque vice, à y recevoir quelque règle
de vie pour contrôler leurs mœurs : ils ne veulent qu’épuiser les satisfactions de l’oreille.
Tel ou tel, à vrai dire, y vient muni de ses tablettes : ce n’est pas pour y noter des idées,
mais des mots qu’il répétera sans profit pour les autres, comme il les entend sans profit
pour lui-même » (Ep. XVII-XVIII 108.6). Plus loin dans la même lettre, il n’a pas de mots
assez durs pour dénoncer ces gens, en qui « l’humaine engeance n’a pas, que je sache, de
pires ennemis », car, dit-il, ces individus « ont appris la philosophie comme un métier
mercenaire, gens dont la vie est sans rapport avec les règles de vie qu’ils prescrivent. Leur
propre personne, qu’ils promènent en tous lieux, est un échantillon de l’inutilité de leur
enseignement : ils sont esclaves de tous les vices qu’ils pourchassent » (Ep. XVII-XVIII
108.36). Encore les dénonçaient-ils à cette époque… Mais ce n’est pas notre propos.
La conclusion s’impose : « Il faut mêler un enseignement salutaire à tout ce que nous
disons et faisons » (Quaest. nat. II 59.2), afin que rien ne demeure stérile, et sous peine de
contribuer à cette réduction qui dénature la philosophie pour la réduire à un simple jeu
verbal que Sénèque condamne sous le nom de ‘philologie’ (voir Ep. XVII-XVIII 108.23 –
en quoi il se distingue très nettement de Platon, Resp. IX 582e).
*
Si donc la théorie ne doit ni peut être séparée de la pratique dans la mesure où tout
enseignement n’a de sens qu’à condition de déboucher sur un progrès spirituel ou moral,
que penser de la physique ? C’est que Sénèque, comme on le sait, s’intéresse beaucoup à la
philosophie de la nature (voir, par ex. Ep. XIX-XX 117.19 ; Breu. uit. 19.1-2 ; Helu. cons.
8.6 et 20.1-2 ; etc., et bien sûr, l’ensemble constitué par Quaest. nat.), et il n’y voit
certainement pas une vaine curiosité, comme nous verrons qu’il juge la dialectique. À une
objection que lui adresse vraisemblablement Lucilius à propos de son goût pour les
recherches en matière de physique, Sénèque répond vivement : : « Tu me défends d’entrer
en commerce avec le ciel ? c’est m’enjoindre de vivre le front baissé » (Ep. VII 65.20) – ce
qui laisse entendre, étant donné la station debout qui caractérise l’homme, que négliger la
philosophie de la nature contredit une aspiration naturelle de l’être humain en tant,
précisément, qu’il est humain. C’est effectivement là ce que suggère aussi une observation
des Questions naturelles, où Sénèque observe que « personne n’est si indolent, si obtus, si
courbé vers la terre, qu’il ne se redresse et ne s’élève de toute sa pensée vers les choses
divines, tout au moins lorsqu’un phénomène nouveau a brillé du haut du ciel », Quaest. nat.
VII 1.1). Dans le prologue du premier livre de cette œuvre, il va jusqu’à écrire que, s’il ne
peut pas étudier la science de la nature, ce n’était pas la peine de naître, car « l’homme est
chose méprisable, s’il ne s’élève pas au-dessus de ce qui est humain » (Quaest. nat. I pr. 4-
5).
L’intérêt de Sénèque pour la physique contraste ainsi vivement avec le mépris qu’il
affiche pour l’histoire et les recherches érudites en des matières si décidément ineptes
« qu’il faudrait les désapprendre si on les savait » : quelle était la patrie d’Homère ? qui
était la véritable mère d’Énée ? et d’autres questions du même ordre lui paraissent
intolérables de vanité et d’inutilité (Ep. XI-XIII 88.37). Dans La brièveté de la vie
également, il dénonce la sottise de ceux qui perdent leur temps à disserter sur des questions
aussi creuses que le nombre de rameurs d’Ulysse, et qui publient des travaux capables
Chapitre 2 : Sénèque 43

seulement de les rendre plus ennuyeux, mais non plus savants (Breu. uit. 13). Dans le
meilleur des cas, ces connaissances sont inutiles, même lorsqu’elles disent vrai – ce qui
n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, puisque Sénèque dénonce vertement les mensonges
des historiens (voir Quaest. nat. IVb 3.1), que ces erreurs soient le résultat de leur crédulité,
de leur insouciante paresse ou de leur perversité (Quaest. nat. VII 16.1). Plus grave, ces
connaissances, quand elles ne sont pas simplement inutiles, peuvent s’avérer nuisibles,
puisqu’elles font en quelque sorte la promotion du vice, exhumant des dérèglements
auxquels il eût été préférable de ne pas faire de publicité. Quel contraste avec les
recherches en philosophie de la nature ! « Combien il vaut mieux célébrer les œuvres des
dieux », écrit Sénèque, « que les brigandages d’un Philippe, d’un Alexandre et de tous les
autres hommes de guerre qui, illustrés par la ruine des nations, n’ont pas été pour les
hommes un moindre fléau qu’un déluge submergeant toutes les parties planes de la terre ou
qu’un embrasement qui dévore une foule de créatures vivantes » (Quaest. nat. III pr. 5
suiv. ; voir également la suite et Quaest. nat. IVa pr. 21).
Tout cela paraît bien éloigné de « l’histoire, maîtresse de vie » louée par Cicéron (Or. II
36), mais l’impression d’un fossé qui, sur cette question, paraît de prime abord séparer
Sénèque de l’Arpinate s’estompe dès lors que nous nous remémorons le peu de goût de ce
dernier pour les discussions oiseuses qu’il impute aux Grecs, et combien les deux
philosophes se rejoignent pour trouver, dans l’histoire, une réserve d’exempla propres à
exercer une influence morale bénéfique sur ceux qui en cultivent le souvenir. La conduite
des hommes illustres est alors le biais par lequel l’histoire rend de précieux services à celui
qui, tel Sénèque, estime encore que « plutôt que de savoir ce qui a été fait, il est mieux de
chercher ce qu’il faut faire » (Quaest. nat. III pr. 7).
Or, à cet égard, la philosophie de la nature, loin d’être un savoir inutile, rend à l’homme
de précieux services, et est très capable de le guider dans la conduite de sa vie, ainsi qu’il
l’écrit à Lucilius : « Quand je recherche pourquoi la nature a produit l’homme, pourquoi
elle lui a donné la prééminence sur les autres animaux, penses-tu que je laisse à cent lieues
la question morale ? Quelle erreur ! Comment sauras-tu quelles mœurs il faut avoir, si tu
n’as pas découvert ce qui, pour l’homme, est le meilleur, si tu n’as pas approfondi sa
nature ? » (Ep. XIX-XX 121.3). Aussi, quand Lucilius reprend les termes de Sénèque lui-
même pour condamner ces études qui rendent plus instruit sans rendre meilleur celui qui
s’y adonne (voir Ep. XVII-XVIII 106.11), son mentor entreprend de lui prouver par
l’exemple que la philosophie de la nature échappe à ce reproche : ce dont il traite alors,
dans le passage où figure cette objection, la neige, devient prétexte à une diatribe morale
dirigée contre la sensualité (Quaest. nat. IVb 13).
Plus généralement, et comme chez Cicéron, la physique est ce qui permet à l’homme de
savoir qui il est, nous venons de le voir, et de connaître sa place dans l’univers ; mais, là où
l’Arpinate bifurque directement sur les implications pratiques de cette observation,
Sénèque aime à s’étendre sur des études qui, en elles-mêmes, ont à ses yeux quelque chose
d’exaltant et de divin : « S’intéresser à ces questions, les étudier, s’y absorber, n’est-ce pas
s’affranchir de sa condition mortelle et passer dans une catégorie supérieure des êtres ? Tu
me demandes quel profit retirer de ces études ? celui-ci, à défaut d’un autre : je saurai la
petitesse de toutes choses, quand j’aurai pris la mesure de Dieu » (Quaest. nat. I pr. 17).
Chapitre 2 : Sénèque 44

Plus loin encore, il répète cette invitation à relativiser l’importance de tout ce qui est nôtre
comme de tout ce qui nous entoure au regard de l’immensité de l’univers : « Cet empire »,
observe-t-il, « nous paraît grand parce que nous sommes petits ; bien des choses tirent leur
importance de notre faiblesse, et non de ce qu’elles sont réellement » (Quaest. nat. III pr.
10). Partant, la physique est capable de nous détourner de ce dont nous découvrons, grâce à
elle, la mesquinerie et la bassesse ; qui plus est, dans la mesure où l’exercice intellectuel
exigé par l’enquête en philosophie de la nature est exigeant et porte sur de grandes choses,
« la pénétration de notre pensée, pour s’être exercée à propos des mystères de la nature, ne
s’appliquera pas avec moins de succès à ce qui est à notre portée », à lutter contre nos vices
(ibid. pr. 18). Voilà pourquoi Sénèque peut observer, à propos des tremblements de terre,
qu’il importe de faire grandir les connaissances que nous pouvons acquérir sur cette
matière « en courage plutôt qu’en savoir ». Toutefois, il ne manque pas d’ajouter aussitôt,
pour que son lectorat ne se méprenne pas, que « l’un, d’ailleurs, ne va pas sans l’autre : la
force d’âme n’a pas d’autre source que les hautes études et l’observation de la nature »
(Quaest. nat. VI 32.1).
Les recherches en physique, pour avoir une incidence pratique, ne se réduisent donc pas
aux résultats qu’elles sont capables de susciter : elles valent aussi par elles-mêmes, et cela
n’est pas sans manifester hautement cette double finalité active et contemplative de
l’homme, dont nous parlions à l’instant : « Tu te demandes quel avantage nous retirerons
de ce labeur ? Le plus grand de tous, connaître la nature. De semblables recherches
peuvent rendre beaucoup d’utiles services ; ce qu’elles offrent de plus beau, c’est de retenir
par leur splendeur même l’attention de l’homme, et d’être cultivées à cause de leurs
merveilles, et non pour le profit qu’on en tire » (Quaest. nat. VI 4.2).

2. Cynisme et popularité
Savoir et agir se renforcent donc mutuellement, et nous évoquions précédemment
l’exemple du courage, qui peut être nourri de la connaissance que procure, par exemple,
l’étude des tremblements de terre. En un sens, cette observation rejoint un aspect de la
pensée de Cicéron, qui, à propos du courage justement, observait que celui-ci n’étant
authentique qu’à la condition de se fonder en raison, sous peine de s’écarter de la mesure
qui convient à une vertu, et de n’être que cette forme de sauvagerie qui caractérise les
barbares (voir Off. I 81).
La réflexion sur le convenable avait ensuite conduit l’Arpinate à manifester son rejet du
Cynisme et des extravagances qui le caractérisent. Sénèque aussi, tout en admirant au plus
haut point son ami le cynique Démétrius, rejoint Cicéron dans sa critique des conduites
typiques des hommes que leurs manières ont conduits à être qualifiés de « chiens ».
Toutefois, si Cicéron conteste la légitimité des manières cyniques en s’appuyant sur le
concept du decorum, Sénèque condamne plutôt la vaine gloire que trahit le comportement
de ces individus, et le mauvais service qu’ils rendent à la philosophie : « Mine grossière,
chevelure longue, barbe négligée, haine affichée de l’argenterie, simple matelas sur la dure
et bien d’autres procédés peu naturels commandés par le désir de paraître, garde-toi de tout
Chapitre 2 : Sénèque 45

cela » (Ep. I 5.2)1. Ce qui contredit la nature, dans cette attitude cynique, c’est donc la
vaine gloire, le désir de paraître, la focalisation sur l’extériorité. Sénèque poursuit en
observant que le philosophe doit se distinguer non par sa tenue ou par sa mine, mais par ses
dispositions intérieures ; et l’excès de celui qui soigne trop peu son extérieur n’est pas
moins blâmable que l’excès de qui y apporte trop d’attention. En ce sens, celui qui se
présente couvert de crasse et négligé à l’extrême ne comprend pas que, loin de prouver par
là qu’il est un philosophe, il montre surtout qu’il ne sait pas assez la mesure de soin que
réclame la nature, mesure située entre le trop et le trop peu : la tempérance, en la matière,
est l’intermédiaire auquel va la préférence de Sénèque ; elle est une obligation, non un
supplice, et elle n’exclut pas tout apprêt (ibid. .3-5).
Dira-t-on alors que c’est une manière de philosopher au rabais que propose Sénèque,
une demi-mesure qui trahit les attaches matérielles d’un homme incapable de s’investir
véritablement en philosophie ? Nullement : outre que l’ostentation, nous venons de le voir,
témoigne non du sérieux, mais de la vanité de celui qui en fait parade, Sénèque observe à
très juste titre que, loin de n’être qu’une demi-mesure, la tempérance qu’il recommande est
plutôt un juste milieu. Or il est plus difficile d’emprunter cette voie médiane que de verser
dans l’excès qu’il réprouve chez les Cyniques : celui, écrit-il, qui ne touche pas à une
goutte d’alcool au milieu d’un peuple ivre manifeste assurément une certaine maîtrise,
mais plus grande est la mesure de celui qui peut se mêler à la fête, « qui ne s’isole ni ne se
singularise, et qui, sans se confondre avec la foule, agit comme la foule, mais d’une autre
manière, car on peut fort bien célébrer une fête sans passer au débordement » (Ep. II 18.4).
La voie que recommande Sénèque, loin d’être une solution de facilité, est donc celle de
l’aurea mediocritas, qui est aussi la plus exigeante, puisque, « dans certains cas, le
retranchement total coûte moins que l’usage modéré » (Ep. XVII-XVIII 108.16).
Dans d’autres contextes, la même observation suggérera d’autres attitudes, appropriées
aux cas envisagés, et c’est ainsi, par exemple, que, comme « toute passion est d’abord
faible et prend vitesse et force en s’avançant, lui fermer la place coûte moins de peine que
l’en déloger » (Ep. XIX-XX 116.3). De même, dans un autre contexte encore, qui n’est pas
sans évoquer les vertus du débat telles que nous les avons identifiées chez Cicéron,
Sénèque recommande de mettre un terme à une discussion qui menace de dégénérer et de
nous entraîner, car « il est plus facile de se tenir loin du combat que de s’en tirer » après
s’être jeté dans la mêlée (Ir. III 8.8).
L’attitude outrancière des Cyniques trahit une autre erreur de jugement : en faisant de la
philosophie un « objet de parade », ceux qui l’agitent bruyamment pour condamner les
défauts des hommes oublient de corriger d’abord leurs propres vices, et ils ne voient pas
que leur extravagance les rend coupables sur ce point : « Beaucoup de ses adeptes [de la
philosophie] », dit Sénèque, « coururent divers périls pour l’avoir pratiquée d’une manière
insolente et rebelle. Son rôle est de t’extirper tes vices, non de dénoncer ceux des autres.
Qu’elle ne brise pas avec les usages reçus et ne se donne pas l’air de condamner tout ce

1
Marc Aurèle dira de même que « l’orgueil qui s’enorgueillit sous sa modestie est le plus incommode de
tous » (XII 27).
Chapitre 2 : Sénèque 46

qu’elle ne fait pas. On peut être sage sans faste, sans provocation » (Ep. XVII-XVIII
103.5).
En ressemblant à tout homme par sa mise, mais en s’en distinguant par ses dispositions
intérieures, le véritable philosophe rend en effet, aux autres hommes, un service dont le
Cynique est incapable : en veillant à ne pas se singulariser par des mœurs bizarres, le
philosophe sera tel que les gens pourront se reconnaître en lui, tout en se jugeant inférieurs
à lui (Ep. I 5.5). « Ne dépassons pas la mesure », dit alors Sénèque, car « il y a loin de la
franchise au manque de retenue » (Tranqu. anim. 17.2). Ses manières ostentatoires font du
Cynique un objet de foire ; plus mesuré, le philosophe raisonnable « n’essaiera pas de
révolutionner les mœurs ; il n’attirera pas sur lui les regards du public par la singularité de
sa vie » (Ep. II 14.14). Pour Sénèque, donc, celui qui aime à se démarquer des autres
n’adopte pas une attitude propre à engager les hommes à se tourner vers la philosophie, et
« c’est pour cela qu’à propos de Diogène et des autres Cyniques, qui usaient
indistinctement de leur franc-parler et faisaient la leçon à tout venant, on en est souvent à
se demander s’ils devaient procéder ainsi » (Ep. III 29.1). Par son comportement, en effet,
le Cynique rend finalement un mauvais service à la philosophie, qui est déjà suffisamment
impopulaire1, et n’a pas besoin d’être ainsi desservie par ses adeptes (Ep. I 5.2)…
*
Les philosophes ont donc, manifestement, mauvaise presse. Mais la foule n’est pas un
juge dont on puisse se satisfaire, et son opinion, comme le fait dire l’auteur de l’Octavie à
Sénèque lui-même, est « vaine et légère » (Oct. 584). L’idée revient à de très nombreuses
reprises dans son œuvre, où il condamne « l’opinion, qui discerne mal le vrai, et est
souvent favorable à qui ne le mérite pas, et défavorable à la vertu » (Phaedr. 269-270).
Aussi Sénèque engage-t-il Lucilius à ne pas faire de cas de la satisfaction qu’il peut
éprouver lorsque sa conduite lui vaut l’approbation du grand nombre : « La foule
t’applaudit ? rien t’autorise-t-il à te montrer content de toi, si tu es fait pour que la foule te
comprenne ? » (Ep. I 7.12). Nous avons vu que c’était là un des motifs pour lesquels
Cicéron rejetait l’Épicurisme, que son succès même rendait suspect ; au jugement de
Sénèque toutefois, la critique ne serait peut-être pas admissible, puisqu’il cite Épicure
déclarant ne jamais s’être piqué de plaire au peuple, qui ne connaît pas ce qu’approuve
Épicure, et qui approuve ce qu’Épicure ne connaît pas (Ep. III 29.10 = Épicure, fr. 187
Usener). Or c’est là, ajoute alors Sénèque, un trait qui n’est pas spécifique à Épicure, mais
qui est plutôt commun à tous les philosophes, puisqu’aussi bien, demande-t-il, « qui peut
être aimé du peuple, du moment qu’il aime la vertu ? C’est par des mauvais moyens que se
gagne la faveur populaire » (ibid. .11). Arrêtons-nous un moment sur le cas d’Épicure

1
Il arrive pourtant à Sénèque de laisser entendre le contraire, puisque, à en croire ce qu’il écrit à Lucilius
dans la lettre 14 : « La philosophie ne saurait rencontrer le mépris », contrairement à l’éloquence qui soulève
les passions (et peut – ce qui rejoint les affirmations de Cicéron – donner l’avantage à la mauvaise cause :
« L’auditoire prend parti pour la mauvaise cause, séduit par la bonne voix de l’avocat », Ir. II 7.3) ; elle est,
poursuit Sénèque, honorée par toutes les autres sciences, et « jamais la dépravation ne croîtra si haut, jamais
la conjuration contre les vertus ne sera si puissante que le nom de la philosophie ne demeure vénérable et
saint » (Ep. II 14.11).
Chapitre 2 : Sénèque 47

avant de revenir au jugement de la foule, car il y, sur ce point, une divergence assez
marquée entre Cicéron et Sénèque.
L’un et l’autre s’accordent pour voir en Épicure un excellent homme, mais, là où
Cicéron se montre très sévère à l’endroit de sa philosophie et de l’incohérence de ses
propos, Sénèque montre infiniment plus de mesure dans sa critique, qui nous paraît fort
bien résumée dans le jugement suivant : « Pour moi », écrit-il, « Épicure a, lui aussi, de la
force, bien que sa tunique ait des manches trop longues » (Ep. IV 33.2). C’est que la troupe
épicurienne est « ennemie du grand air » (Ben. IV 2.1), mais n’est pas méprisable pour
cela ; et, loin de contester la cohérence doctrinale du Jardin, Sénèque dénonce, dans La vie
heureuse, les hédonistes vulgaires, jouisseurs pervers, qui « ne considèrent pas ce que la
volupté d’Épicure – c’est du moins mon sentiment – a de sobre et de sec » (Vit. beat. 12.4).
Même si son jugement peut être plus sévère par moments (voir, par ex., les reproches
adressés aux Épicuriens en Ben. IV 13.1), Sénèque parle généralement avec la plus grande
aménité des sectateurs du Jardin, allant même jusqu’à susciter l’occasion de parler en bien
d’Épicure quand rien ne l’exige (ainsi en Ben. III 4.1). Il y a plus. Alors que, nous l’avons
vu, Cicéron présente « un combat honnête, une dispute qui a de l’éclat » (Fin. II 68) entre
Stoïciens et Péripatéticiens, Sénèque fait de même, mais en confrontant les Stoïciens aux
Épicuriens : traitant du mépris à réserver aux injures, il compare l’une et l’autre écoles à
« deux intrépides gladiateurs » qui affirment, l’un, n’avoir pas même été blessé, l’autre,
n’éprouver nulle douleur, se rejoignant ainsi sur l’essentiel sans être séparées par rien
d’important (voir Const. sap. 16.2-3).
Ailleurs encore, parlant de la retraite et prenant acte des divergences de vue entre les
philosophes des deux écoles, Sénèque manifeste un bel esprit de conciliation en ajoutant
que « les deux doctrines mènent, par des voies opposées, au repos » (Ot. 3.2). Ce
concordisme s’inscrit pleinement dans la logique d’opposition aux chicanes verbales qui
est éminemment celle de Sénèque, et dont nous reparlerons plus loin : « Avant tout », écrit-
il encore pour couper court aux querelles ridicules entre écolâtres obtus, « laissons de côté
la polémique, faisons taire cette haine inexorable que nous vouons aux partisans des
doctrines adverses, et voyons si, sous des étiquettes différentes, tous ces systèmes ne
mènent pas au même résultat » (Ot. 7.1). Ce n’est pas que Sénèque se voile la face en
gommant les différences irréductibles entre partisans des divers systèmes philosophiques :
il sait fort bien, comme il le dit plaisamment dans son Apocoloquintose, que l’accord se
fera plus aisément entre philosophes qu’entre horloges (Apoc. 2.2 – la comparaison, inutile
de le préciser, avait davantage de sens à son époque qu’elle n’en a aujourd’hui) ; mais son
concordisme témoigne d’une volonté d’accentuer les traits fédérateurs qui rassemblent les
philosophes, plutôt que de rejoindre le grand nombre de ceux qui se plaisent à souligner
malignement les divergences entre écoles, pour le divertissement des ennemis communs de
la philosophie.
Restons-en là sur ce point, qui méritait cependant d’être soulevé, et revenons au
jugement de la foule : Sénèque propose à Lucilius de chercher l’approbation de sa propre
conscience, et non celle de la foule, car, dit-il, il ne sait que trop bien la nature du chemin
qui permet d’accéder à cette popularité (Ep. III 29.12). Il y a plus grave : l’homme
recherche naturellement le bonheur, c’est entendu ; or, à cet égard, il ne peut que s’en
Chapitre 2 : Sénèque 48

éloigner s’il lui vient à l’idée de suivre la voie tracée par le grand nombre. En effet, « ce
sont les chemins les plus battus et les plus fréquentés qui trompent le mieux » (Vit. beat.
1.2) ; et nous ferons bien de nous garder d’imiter les moutons, tant il est vrai que « rien ne
nous plonge dans de plus grands maux que de nous régler sur la rumeur publique avec
l’idée que le meilleur est ce qui est reçu par l’opinion générale, de prendre modèle sur le
grand nombre, de vivre non d’après la raison, mais par esprit d’imitation » (ibid. .3).
Sénèque continue de développer cette analyse dans la suite des réflexions qui ouvrent son
traité sur La vie heureuse, où son observation culmine dans ce jugement justement
célèbre : « Les affaires humaines ne marchent pas tellement bien que les meilleures
solutions plaisent au plus grand nombre ; la preuve du pire, c’est la foule » (Vit. beat. 2.1).
Souvent, le mieux sera donc d’emprunter la voie opposée à celle que suit le grand
nombre et que, sottement, nous sommes tentés de suivre par mimétisme (voir également Ot.
1.3) ; comprenons bien, d’après les reproches adressés par Sénèque aux Cyniques, qu’il ne
s’agit pas de prendre le contre-pied de l’opinion commune par désir de se singulariser : le
philosophe, et a fortiori le sage, est celui qui ne se sépare de la foule que pour lui montrer
le chemin, et non par caprice ou par vanité : « Quant au jugement public et au qu’en-dira-t-
on, leur place ne doit pas être devant nous, pour nous guider, mais derrière nous, pour nous
suivre » (Ben. VI 43.3). Ainsi « les décrets de la multitude », écrit Sénèque à sa mère
Helvia, « sont-ils généralement abrogés par les sages » (Helu. cons. 5.6), qui indiquent une
autre direction à suivre, et ressemblent à ces astres dont le mouvement apparent progresse
en sens inverse de celui des constellations (voir Const. sap. 14.4). Si, faute d’agir suivant
cette recommandation, « nous ne pouvons quitter le pli fâcheux de nous modeler sur le
grand nombre et de regarder non à ce qu’il faudrait faire, mais à ce qui se fait », nous ne
rendons pas davantage de service à nous-mêmes qu’à autrui, car cela reviendrait à
« prendre nos distances d’avec la nature pour nous livrer au public, conseiller toujours
suspect et absolument inconséquent » (Ep. XVI 99.17). Et, en agissant ainsi à l’encontre
des exigences de la nature, nous nous interdisons d’accéder au bonheur ; voilà pourquoi
« une des causes de nos misères, c’est que nous vivons d’après l’exemple d’autrui et qu’au
lieu de nous régler sur la raison, nous nous laissons égarer par l’usage » : suivant la mode
et le goût du jour, nous ne nous apercevons pas que « l’erreur nous tient lieu de principe
raisonnable en devenant l’erreur de tous » et celle dont nous faisons notre loi (Ep. XIX-XX
123.6)…
Ainsi donc, puisqu’il y a cette opposition radicale entre le jugement fondé en raison, qui
sied au philosophe, et celui d’une foule capricieuse incapable de se régler sur rien de stable,
Sénèque se demande ce qui peut bien être « plus misérable que la philosophie courant
après les acclamations » ; et la raison qu’il en donne est éclairante : la philosophie enseigne
la vertu, elle chasse les vices dans lesquels nous nous vautrons dès que nous nous laissons
aller sur la pente glissante qui nous entraîne à tous les dérèglements. La philosophie, en
deux mots, nous secoue et nous secourt, et cela nous déplaît, car, pour être salutaire,
l’opération n’est pas du goût du malade dont le mal est chevillé au corps : « Est-ce que le
patient complimente le chirurgien taillant dans sa chair ? » (Ep. V 52.9).
Nous comprenons par là que la foule, quand elle dénigre les philosophes, se cherche des
excuses, car elle redoute la guérison des vices qu’elle affectionne ; aussi ne trouvera-t-on
Chapitre 2 : Sénèque 49

« rien de véritable, rien d’assuré dans tout ce qui a la faveur de l’opinion » (Ep. IX 76.6).
Celle-ci, par conséquent, se plaît à qualifier les philosophes de « pédants » et de
« fainéants » (ibid. IX 76.4) ; et, puisque le grand nombre est si mal disposé à l’endroit de
la philosophie, la raison d’être du concordisme sénéquien n’en paraît que plus
manifestement : la philosophie doit pouvoir présenter un front commun et uni face à
l’opposition de la part du grand nombre. Et, de cette opposition, elle ne devra pas faire
grand cas, comme le dit Sénèque en citant son ami, le cynique Démétrius, qui « aime à dire
joliment qu’il faut faire autant de cas des propos des ignorants que des grondements
d’entrailles. ‘Que m’importe’, ajoute-t-il, ‘que ces bruits viennent par en haut ou par en
bas ?’ » (Ep. XIV 91.19). Quelle folie en effet, commente alors Sénèque, de craindre d’être
« diffamé par des infâmes ».
La réflexion sur ce point conduit le philosophe impérial à des considérations qui
rappellent de très près ce que nous avons vu à propos de Cicéron : « Le mot de ‘célébrité’
suppose une collection de suffrages, dit-on. Non : elle n’a besoin que de la voix d’un seul
homme de bien ; pour nous, Stoïciens, ce seul homme suffit (…) Qu’un homme de bien me
considère, c’est pour moi comme si tous les gens de bien avaient le même sentiment » (Ep.
XVII-XVIII 102.12). Dans la suite de son propos, Sénèque montre bien que ce « comme
si » doit être pris très au sérieux : en face de l’erreur multiforme et changeante, la vérité
présente toujours un visage uni ; ainsi, qu’un homme de bien apprécie notre valeur, il la
mesure sur l’étalon de la vérité, et l’unique homme de bien est ainsi le porte-parole de tous
ses semblables, qui ne jugeraient pas autrement que lui, s’ils avaient à se prononcer sur le
même cas. Voilà pourquoi il est utile de distinguer le suffrage du grand nombre de celui de
l’homme de bien ; et, dans le traité sur La colère, Sénèque exhorte son lecteur à privilégier
la qualité des jugements sur leur quantité : « Ne nous mettons pas en peine de la
renommée ; qu’elle soit mauvaise au besoin, si elle s’attache à nos belles actions » (Ir. III
41.1). En effet, « qui veut que sa vertu soit connue du public travaille non pour la vertu,
mais pour la gloire ». Et d’ajouter alors, à l’adresse de Lucilius : « Tu ne voudrais pas être
juste sans gloire ? Grands dieux, il t’arrivera souvent de devoir l’être au prix de la
calomnie ! Mais alors, si tu es raisonnable, que ce discrédit né d’un mérite vrai soit ta
délectation » (Ep. XIX-XX 113.32).
La véritable gloire resplendit encore davantage du fait de ce contraste, et de là cette
exclamation à propos du vertueux Marcellus (celui pour qui Cicéron prononça un discours
en présence de César), à la fin de la période républicaine : « Heureux Marcellus ! Plus
heureux le jour où son exil lui valut l’approbation de Brutus que le jour où son consulat
reçut l’approbation de la République ! Quelle grandeur que celle d’un homme qu’on ne
pouvait laisser en exil sans se croire soi-même exilé, et qui forçait l’admiration d’un
homme lui-même admiré de son cher Caton ! » (Helu. cons. 9.5). Entre César, qui avait
pour lui la faveur populaire, et Marcellus, l’opposition est maximale : « Qu’il jouisse de la
vénération et de l’adoration des peuples ! Contentons-nous d’être admiré de Brutus »
(ibid. .8). Et Sénèque de citer également, dans le même esprit, le vers de Névius que
rapportait également Cicéron (Fam. V 12.7), et d’après lequel c’est une belle chose que
d’être loué par une personne elle-même digne d’éloges (voir Ep. XVII-XVIII 102.16) ;
quant à recevoir les louanges d’une personne indigne d’en recevoir, il n’y a pas lieu de s’en
féliciter (Ep. V 52.11), que du contraire.
Chapitre 2 : Sénèque 50

3. Société et amitié
L’aversion pour le jugement de la foule est une chose, mais, en critiquant l’attitude
cynique, Sénèque a eu à cœur de montrer que le véritable philosophe doit pouvoir donner
un exemple à ses contemporains : ceux-ci doivent mesurer tout ensemble la proximité et la
distance, car c’est à ce prix que l’amendement est possible. Or le sage a le souci de rendre
possible ce progrès, de ne pas s’isoler en se retirant, solitaire, dans sa tour d’ivoire : étant
pleinement homme, le sage est aussi celui qui réalise parfaitement la nature sociale de
l’être humain, et ne voudrait pas d’une vie où il serait tenu de demeurer à l’écart du reste
du monde. « Suppose », écrit Sénèque à son ami Lucilius, « que la sagesse me soit donnée,
sous réserve de la tenir enclose et de ne pas divulguer ses sentences, je la rejetterais » (Ep.
I 6.4).
La philosophie a pour tâche de « dire la vérité sur les choses divines et humaines ; elle
est toujours accompagnée de la religion, de la piété, de la justice et du cortège des autres
vertus, qui se tiennent et sont indissociables [nous reviendrons sur l’unité des vertus]. Elle
enseigne à honorer le divin et à aimer l’humain : les dieux ont le commandement, les
hommes forment une société » (Ep. XIV 90.3 ; voir également Marc. cons. 18.1 et, à
propos de la faveur divine dont bénéficient les hommes, Ben. II 29.6). Nous reviendrons
sur la question de l’égalité entre les hommes en définissant plus loin l’homme par son
âme ; notons ici que, pour Sénèque, « la Nature nous a créés parents, nous tirant des
mêmes principes et pour les mêmes fins. Elle a mis en nous un amour mutuel et nous a
faits sociables. Elle a fondé l’équité et la justice ; en vertu de ses lois constitutives, c’est
une plus grande misère de faire le mal que de le subir » (Ep. XV 95.52 – et Jocaste de
déclarer, en ce sens, que, « lorsqu’il faut tromper les siens ou en être trompé, il vaut encore
mieux être victime du crime que de le commettre », Phoen. 493-494). Puisque tout homme
est notre concitoyen dans la grande cité du monde, le mouvement naturel qui nous porte les
uns vers les autres nous destine à nous protéger et à nous entraider par des services
mutuels : « Les mains veulent-elles nuire aux pieds ? les yeux, aux mains ? Si tous les
membres s’entendent entre eux, parce que la conservation de chacun intéresse l’ensemble,
de même les hommes épargneront les individus parce qu’ils sont faits pour s’assembler ; or
une société ne peut exister que par la protection et l’affection mutuelle de ses éléments »
(Ir. II 31.7).
Ainsi donc, comme le répète encore Sénèque, l’homme est « un être social né pour le
bien de la communauté », et il lui incombe de considérer « le monde entier comme une
seule famille » (Clem. I 3.2 et Ben. VII 1.7). L’unique devoir de l’homme – et nous
rejoignons par là le lien établi par Cicéron entre action et contemplation – est donc de se
rendre utile aux hommes, à tous, à beaucoup, à un petit nombre, à soi-même : c’est que
l’homme qui se rend authentiquement service à lui-même forme, ce faisant, un homme
capable de se rendre utile aux autres (Ot. 3.5). La sociabilité et la raison sont donc, pour les
hommes, les dons des dieux et le lieu où réside leur force (Ben. IV 18.2), et nous
comprenons ainsi l’affinité qui lie les dieux aux hommes : ils leur veulent du bien et sont
leurs amis, leurs semblables même et leurs parents, « car l’homme de bien », c’est-à-dire
l’homme qui vit en conformité avec sa nature d’être rationnel et sociable, « ne diffère du
dieu que par la durée » (Prou. 1.5).
Chapitre 2 : Sénèque 51

Si telle est bien la nature de l’homme, nous comprenons que ce n’est pas son apparence
ou son extérieur qui nous renseigne sur lui, mais ses dispositions intérieures (voir, avec
l’exemple d’un certain Claranus, Ep. VII 66.2-4) : s’humaniser, c’est se conformer aux
exigences de cette nature ; y renoncer en foulant aux pieds la société et les droits de la
raison, c’est être une bête sauvage à face humaine, et non un homme véritable. « Tu as tort,
si tu te fies à la physionomie des gens que tu coudoies : êtres humains en effigie, portant
des cœurs de fauves. Encore le fauve n’est-il guère malfaisant après le premier bond ; une
fois passé, il ne nous poursuit pas, car rien ne le porte à nuire que la nécessité : elle l’oblige,
affamé ou apeuré, à livrer combat. L’homme détruit l’homme par plaisir » (Ep. XVII-
XVIII 103.2). Encore est-ce là une forme de démence absolument extrême, car elle
contredit tellement la nature profonde de l’homme que Sénèque ne peut croire qu’un
méchant soit autre chose qu’un malheureux, et un malheureux qui fait le mal par faiblesse
plutôt que par plaisir (voir Ben. IV 17.3-4).
*
C’est dans cette perspective de sociabilité foncière de l’homme que s’inscrit tout
naturellement la question de l’amitié, puisque ce lien entre personnes est le lieu où
l’homme révèle pleinement sa nature sociale et répond à une aspiration profondément
ancrée en lui : « Vis pour autrui, si tu veux vivre pour toi », car le service rendu à la société
humaine est un service rendu à la cause de l’amitié, au sens où « tout sera commun entre
amis si presque tout l’est d’homme à homme » (Ep. V 48.3).
Le sage aussi, représentant par excellence de la race humaine, témoigne en faveur de ce
point, puisque, tout autosuffisant qu’il soit, il n’en a pas moins besoin d’amis. Si Sénèque
déclare, dans La constance du sage, qu’on ne peut être utile au sage (Const. sap. 8.1), il
soutient pourtant, dans ses Lettres, que le sage est utile au sage : « Ce qui a été porté au
plus haut degré de chaleur a besoin d’un complément de chaleur pour rester chaud », et le
sage ne peut donc pas « rester dans le même état mental qu’en ouvrant sa porte à des amis
qui lui ressemblent, pour mettre ses vertus en commun avec les leurs » (Ep. XVII-XVIII
109.9). Cette formulation extrême ne va pas sans difficulté, puisque le sage, en vertu de la
constance qui caractérise la vertu, ne peut en principe déchoir en aucune circonstance : la
vertu ne se perd ni ne se désapprend (Ep. V 50.8) ; elle est immortelle et ne peut cesser
d’être (Ep. VIII 74.24), puisque, si « une terre peut être aliénée, transmise à un tiers, la
sagesse ne peut quitter son propriétaire », elle est inamissible (Ep. XIX-XX 117.15)1.
Dans une autre lettre, sa doctrine sur le « besoin » d’amis du sage est plus assurée : le
sage, écrit-il, peut vivre sans amis et n’en pas ressentir de trouble, mais nous disons qu’il a
néanmoins besoin d’amis, car il veut vivre avec des amis ; semblable à Phidias qui, s’il
perd une statue, en sculpte une nouvelle, le sage se crée des amis (Ep. I 9.3-5). N’est-il pas
lui-même le meilleur des amis, et, à ce titre, le plus capable de susciter l’amitié ? C’est que

1
Notons cependant que, curieusement, outre le passage des Lettres à Lucilius que nous venons de lire et où le
sage est comparé au foyer qui a besoin d’être alimenté pour conserver sa chaleur, dans Les bienfaits aussi,
Sénèque paraît envisager que la vertu puisse s’éteindre, même s’il y a là, comme il le dit, une situation qui
n’est « pas naturelle » (Ben. VII 19.5) – mais peut-être parle-t-il abusivement des « hommes de bien » au sens
ordinaire (dans la suite de la distinction qu’il énonçait en Ben. VII 17.1), qu’il qualifie improprement de
« sages » ?
Chapitre 2 : Sénèque 52

le sage est le meilleur des hommes ; partant, il est tel qu’il mérite pleinement d’être aimé
de tous, car « les êtres les meilleurs sont incapables de faire souffrir » (Ep. IX 75.17) –
c’est d’ailleurs pour cela que, pour Sénèque comme pour Cicéron, il est inconcevable que
les dieux soient malfaisants ; inutile, donc, d’appeler sur ses ennemis la colère des dieux,
car ceux-ci ne causeront pas le tort escompté, et ils témoigneront de leur hostilité au
méchant en favorisant plutôt ses entreprises, car c’est alors que, sans rencontrer aucun
échec qui le conduirait à résipiscence, l’homme perdu s’obstine à édifier sa propre misère
(Ep. XIX-XX 110.2, nous reviendrons sur ce point dans la suite).
L’amitié parfaite du sage, modèle exemplaire de toute forme d’amitié, est donc de
nature à engendrer l’amitié, et Sénèque, reprenant une idée du stoïcien Hécaton, soutient
que celui qui aime ne peut manquer d’être aimé à son tour (Ep. I 9.6), puisque la loyauté et
la bonté appellent la confiance et l’affection. À l’inverse, la détestation et la crainte
engendrent nécessairement la haine et la peur, et « ce qui a provoqué, chez beaucoup, des
raisons de craindre, c’est que se faire craindre était en leur pouvoir » (Ep. II 14.10). C’est
tout le malheur de la tyrannie : « Qui se fait craindre craint à son tour. Il n’a jamais été
possible, inspirant de la terreur, d’être en sécurité » (Ep. XVII-XVIII 105.4) ; et Sénèque
dénonce à plusieurs reprises l’atroce folie qui isole le potentat adoptant l’odieuse maxime
que blâmait également Cicéron : « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ». Celle-
ci, en effet, loin de témoigner de la grandeur de celui qui se l’applique, souligne son
inhumanité, sa monstruosité (Ir. I 20.4-5 ; voir également Clem. I 12.4 et II 2.2).
Monstruosité : le terme n’est pas excessif, puisque, dès lors que la sociabilité est un trait
de l’humaine condition, celui qui se sépare de la communauté de ses semblables pour
exercer sur elle sa domination rompt les attaches de la Nature et devient étranger aux
autres hommes (voir Ben. VII 19.8). Ceux-ci, de leur côté, ne seront pas à blâmer s’ils
décident de supprimer l’être dévoyé qui les opprime, car c’est le tyran lui-même, à cause
de ce qu’il est, qui « ôte à toute entreprise dirigée contre lui son caractère sacrilège » (ibid.
20.1). Si certains autocrates peuvent être reconduits sur le droit chemin, il est assez clair
que, dans bien des cas, ils méprisent les conseils qui leur sont donnés (voir, par ex., Ir. III
14). Par conséquent, note alors Sénèque, « si sa guérison est absolument désespérée, je
ferai, d’un seul geste, un acte de bienfaisance envers tous, de restitution envers lui ; car,
pour des natures comme la sienne, sortir de la vie est le seul remède, et le meilleur parti est
de s’en aller quand on doit ne jamais revenir à soi » (Ben. VII 20.3). D’ailleurs, l’existence
même du tyran ne peut que lui être à charge, puisque, en inspirant la crainte à tous ceux qui
vivent sous son joug, il vit lui-même dans une crainte perpétuelle (Clem. I 19.5 ; Ir. II 11.3
suiv.) 1.

1
La question de la tyrannie est traitée par Sénèque dans la tragédie plus peut-être que partout ailleurs, où son
aspect contradictoire est manifesté par le tiraillement qui habite ces rois qui « veulent être craints, et
redoutent d’être craints » (Agam. 73). Les mises en garde contre cette perversion de la Nature y sont très
nombreuses : « Chacun des coupables subit le mal qu’il a commis », etc. (Herc. fur. 735 suiv.) ; et « aucune
victime plus belle et plus opulente ne peut être immolée à Jupiter qu’un roi inique » (ibid. 923-924). Le
pouvoir d’un autocrate est éphémère, et sa précarité est soulignée avec insistance : « On ne saurait garder
longtemps un pouvoir fondé sur la violence, tandis que la modération le rend durable » (Troad. 258-259) ; de
même : « Jamais on ne conserve longtemps un pouvoir détesté », (Phoen. 660 ; voir également Med. 196).
C’est donc bien à tort que le sinistre Lycus juge que sa situation est celle de tous les rois, même légitimes et
Chapitre 2 : Sénèque 53

Au contraire, donc, du tyran qui s’isole en bouleversant les aspirations de la nature


humaine à laquelle il se rend étranger, le sage, parce qu’il accomplit pleinement cette
nature qui le fait homme, tout en se suffisant, veut avoir des amis et vivre dans leur société
(Ep. I 9, spécialement .15 et .17) afin de les égaler à lui-même (Ben. II 15.1). L’homme, en
effet, tire profit de son association avec les bons, qui, par leur exemple, peuvent le rendre
meilleur.

4. Imitation et liberté
Puis donc que la sociabilité permet à l’homme de se former d’après l’exemple des
personnes de son entourage, il importe de ne pas jeter son dévolu sur le premier venu.
« Imiter », du reste, comme nous l’avons dit pour Cicéron, ne signifie jamais copier ou
reproduire servilement, mais être un émule. Plus précisément, pour Sénèque, il s’agira
d’emprunter, d’assimiler et de remodeler. La lettre 84 contient les réflexions les plus
éclairantes du philosophe sur cette question, et met en évidence la différence entre notre
conception ordinaire de l’originalité et une autre, que valorise Sénèque en parlant de ceux
dont l’imitation permet de retrouver les sources sans qu’elles aient été simplement
restituées comme telles (Ep. XI-XIII 84.5). Sénèque utilise massivement ici la métaphore
de la digestion qui permet à celui qui se nourrit d’assimiler, de faire sien ce qu’il tire de
l’extérieur : « Adhérons cordialement à ces pensées d’autrui, et sachons les faire nôtres,
afin d’unifier cent éléments divers, comme l’addition fait de nombres isolés un nombre
unique en comprenant, dans un seul total, des totaux plus petits et inégaux entre eux » (ibid.
7). Le produit sera donc davantage que la somme de tout ce qui a été intégré, puisqu’il sera,
en même temps, marqué par le cachet qui signale un bon « imitateur », c’est-à-dire un
émule capable de faire tendre les sources dont il est nourri à l’unité qui est celle de sa
propre individualité (ibid. .8).
Pour progresser sur la voie du bien et de l’honnête, nous aurons avantage à imiter les
bons modèles, et à nous représenter que ceux qui ont notre estime sont auprès de nous en
toute circonstance. Sénèque approuve ici pleinement Épicure recommandant de toujours

bons :« La première maxime d’un roi », dit-il, « est de savoir supporter d’être haï » (Herc. fur. 353 ; voir les
sentiments comparables d’Étéocle en Phoen. 654-659, et, sur le lien qui unit la haine au pouvoir, Oed. 703-
706). Assurément, cette remarque a quelque chose de juste, mais elle témoigne surtout ici de ce que Lycus ne
conçoit son pouvoir qu’à travers la haine qu’il inspire. En réalité, la royauté est en elle-même une situation
telle qu’elle peut paraître un châtiment pour celui-là même qui l’obtient sans crime ni fraude (voir Phoen.
645 suiv. ; sur les vicissitudes des puissants, voir not. Phaedr. 1123 suiv. ou Oed. 6 suiv., 771 suiv. ; Agam.
57 suiv. ; et encore Agam. 285, où nous lisons cette remarque terrible : « Jamais la fidélité ne franchit le seuil
d’un roi ») ; que dire alors d’un pouvoir conquis au mépris de toute justice, sinon qu’« un royaume obtenu
par un crime est pire que tout exil » (Phoen. 624-625 ; voir également, pour un autre tyran, les propos
d’Atrée en Thy. 205 suiv.) ? Se faire haïr est une absurdité, et cela est totalement étranger à ce qui doit
constituer l’essence même du pouvoir royal, car « le bien magnifique et immense que possèdent les rois sans
que rien ne puisse jamais le leur ravir, c’est le pouvoir d’aider les malheureux et de couvrir les suppliants de
la fidèle protection de leur foyer » (Med. 222-225). Finalement, la véritable royauté, est celle de l’homme qui
a vaincu ses passions (voir le splendide chant du chœur en Thy. 336 suiv.) et peut servir ses semblables.
Renvoyons encore, pour terminer, au dialogue entre Sénèque et Néron à propos des bons et des mauvais
souverains, dans l’Octavie (Oct. 448 suiv.).
Chapitre 2 : Sénèque 54

agir comme si nous avions pour témoin un homme bénéficiant de notre estime (Ep. I 11.8
= Épicure, fr. 210 Usener) 1 . « Heureux », ajoute alors Sénèque, « l’homme dont la
présence, dont la simple idée rend meilleur » ; et de recommander à Lucilius de se choisir
le modèle qu’il jugera le plus approprié, non pas le meilleur en soi, mais le plus approprié à
sa sensibilité personnelle : si Caton est trop raide, que ce soit Lélius : « Choisis celui chez
qui tout t’agrée », lui recommande-t-il, car « nous avons besoin de quelqu’un au patron
duquel notre caractère vienne s’ajuster » (ibid. 10). Voilà pour l’imitation elle-même ; plus
généralement, quand il s’agit d’agir, « nous devons régler notre vie comme si tout le
monde la regardait, et penser comme si quelqu’un pouvait lire au fond de nos cœurs » (Ep.
X 83.1 ; voir également Vit. beat. 20.4).
Parmi les modèles, nous venons de le voir, il est permis de ne pas limiter son choix à
des contemporains, et Sénèque n’hésite pas à conseiller de « remonter jusqu’aux Anciens »,
car, poursuit-il, « l’aide peut venir non seulement des vivants, mais de ceux qui ne le sont
plus » (Ep. V 52.7), et notamment des fondateurs et représentants illustres des écoles
philosophiques, qui continuent, par leurs œuvres et les témoignages qu’ils ont laissé
derrière eux, de servir les intérêts de ceux qui veulent marcher à leur suite : « À moins
d’être les derniers des ingrats, nous reconnaîtrons que les illustres fondateurs de nos saintes
doctrines sont nés pour nous ; c’est pour nous qu’ils ont organisé la vie » (Breu. uit. 14.1) ;
Sénèque est d’avis que nous pouvons convoquer le souvenir des siècles passés, fréquenter,
pour ainsi dire, les grands hommes d’autrefois, devenir meilleurs à leur école (voir
spécialement ibid. .5) et trouver en eux les maîtres qui nous profiteront d’autant plus qu’à
notre tour, nous les partagerons autour de nous (ibid. 15.3). Cette activité de diffusion
prendra alors le relais de l’étude et de la dimension plus contemplative que suppose, pour
commencer, cette fréquentation : « Nous avons », écrit encore Sénèque, « la facilité de
nous unir, dans la retraite, aux plus vertueux personnages, et de faire choix d’un modèle
sur lequel nous réglions notre vie » (Ot. 1.1).
Comprenons bien, toutefois, qu’il s’agit là de choisir des guides pour nous aider dans ce
qui n’est pas un esclavage, mais un choix de vie individuel : « Fixons donc et notre but et
les moyens d’y parvenir, non sans choisir quelque homme expérimenté qui connaisse à
fond le chemin où nous nous engageons » (Vit. beat. 1.2). Il est clair, pour Sénèque, que
notre rôle n’est pas d’imiter servilement les modèles qui doivent servir à nous rendre
meilleurs, et qu’il y a une différence entre s’attacher à un maître, et l’idolâtrer sans
discernement. Le cas de rappeler que « nous n’obéissons qu’à un roi ; chacun ne relève que
de lui-même » (Ep. IV 33.4). Plus loin, dans la même lettre, Sénèque blâme ceux qui
continuent de faire comme les enfants, à qui l’on fait bien d’apprendre quelques maximes
comme autant de fleurs à cueillir. Mais qu’un vieillard parle en citations seulement, et non
de son propre fonds, voilà qui est honteux, car il n’a finalement de sagesse que par
procuration (voir Ep. IV 33.6-7). Et Sénèque de conclure alors qu’il n’y pas lieu d’être
perpétuellement caché derrière un autre que soi : « ‘Zénon a dit ceci.’ Et toi, que dis-tu ?
‘Cléanthe pense ainsi.’ Et toi, que penses-tu ? Marches-tu toujours sous les ordres
d’autrui ? Sois un chef » (ibid. .7). Sénèque invite alors explicitement chacun, et Lucilius

1
« Dans les écrits des Épicuriens se trouve ce conseil : ‘Se rappeler continuellement quelqu’un des Anciens
qui ont pratiqué la vertu’ » (Marc Aurèle XI 26).
Chapitre 2 : Sénèque 55

en l’occurrence, à être lui-même l’auteur de citations que d’autres pourraient retenir, plutôt
que de se placer toujours dans l’ombre des grands hommes : telle est la distinction entre
celui qui exerce seulement sa mémoire et celui qui, parce qu’il sait, est capable de produire
à son tour (ibid. .8).
Ne nous méprenons pas cependant, car refuser de suivre un grand homme ou un grand
penseur comme nous nous plierions de façon inconditionnelle aux décrets d’un oracle ne
dispense pas de l’écouter attentivement et, cela va sans dire, de le suivre pour autant qu’il
nous paraît montrer la bonne voie. « Ceux qui ont remué avant nous ces problèmes ne sont
pas les maîtres arbitraires de notre pensée ; ils sont nos guides. La vérité offre accès à tous
[comme d’ailleurs la vertu, qui ne regarde ni la condition ni le rang social, Ben. III 18.2 ;
nous y reviendrons]. On ne se l’est pas annexée jusqu’ici ; et le champ qu’elle laisse aux
hommes à venir est encore bien plus vaste » (Ep. IV 33.11). En ce sens, la philosophie « ne
rejette ni ne privilégie personne » (Ep. V 44.2), et le disciple d’aujourd’hui peut être un
maître pour demain.
Voilà pourquoi Sénèque recommande à Lucilius non de le suivre aveuglément, mais
d’exercer lui-même son jugement, et de ne lire ses ouvrages que « dans la pensée que j’en
suis encore à chercher la vérité, ne l’ayant pas trouvée, et que je la cherche obstinément. Je
ne me suis aliéné à personne ; je ne porte le nom d’aucun patron. Je prête foi, dans une
large mesure, au jugement de nos grands hommes ; pour le mien aussi, je revendique
quelques droits » (Ep. V 45.4). Nous manquons quelque chose d’essentiel si nous pensons
en termes par trop exclusifs : maître ou disciple, mais non les deux – en réalité, le véritable
philosophe est un disciple qui respecte ses maîtres tout en étant lui-même capable de ne
pas suivre aveuglément les préceptes d’une raison qui n’est pas la sienne : « Serait-ce donc
que je ne suis pas les Anciens ? Si fait, mais je me permets d’inventer un peu,
d’abandonner sur quelque point leur doctrine. Je peux tomber d’accord avec eux : je ne
suis jamais leur esclave » (Ep. IX 80.1). Sénèque insiste beaucoup sur le caractère absolu
de la liberté, au point qu’il s’est fait pour règle la formule bien connue dans laquelle il
déclare : « Je n’obéis pas au dieu, je conviens qu’il a raison. C’est par inclination, non par
nécessité que je le suis » (Ep. XVI 96.2) ; il dira de même dans La providence : « Je ne
souffre aucune contrainte, je n’endure rien malgré moi ; je ne subis pas la volonté du dieu,
j’y adhère » (Prou. 5.6). Ce à quoi Sénèque donne son adhésion pleine et entière, c’est
donc à la raison ; aux maîtres qui le guident sur le chemin qui conduit à la reconnaissance
pleine et entière des droits de la raison, il témoignera toute sa gratitude, mais il saura aussi
montrer qu’il a bien appris d’eux et de leur amour pour le vrai quand il préférera suivre la
raison en dépit d’eux : comme hommes, ceux-ci restent faillibles, et aucune loyauté ne doit
nous contraindre à embrasser les erreurs de ceux qui se seraient empressés de les rejeter,
s’ils les avaient reconnues comme telles.
C’est pour cela que Sénèque s’oppose régulièrement aux Stoïciens, non qu’il veuille se
singulariser, mais parce que c’est être authentiquement stoïcien que de se régler sur la
raison, quitte à entrer, pour cela, en désaccord, avec d’autres représentants de l’école, que
ce soit sur des points de doctrine ou sur la validité des arguments mis en avant pour
soutenir une théorie (quelques exemples : Ep. VI 57.7, XIV 90.7 et .20, XV 94.38 ; Quest.
nat. I 5.11, 8.4, II 5.7, VII 22.1 ; Ben. I 3.8-4.6 ; etc.). Mieux : Sénèque n’hésite pas, quand
Chapitre 2 : Sénèque 56

il le croit justifié, à dénoncer sans ambages les « absurdités » que professent ses
coreligionnaires (Quaest. nat. IVb 6.1) ; et, même lorsqu’il partage leur avis, il a soin de
souligner qu’il ne défend pas une doctrine parce qu’elle est celle des représentants de sa
secte, mais parce qu’il la croit vraie, et qu’il se trouve que c’est celle des membres de
l’école dont il se réclame : « Quand je dis ‘notre opinion’, je ne m’attache pas à l’un de nos
maîtres stoïciens ; moi aussi, j’ai le droit d’émettre un avis » (Vit. beat. 3.2). Et lorsqu’il
entreprend de montrer que sa doctrine sur la retraite est conforme aux vues des premiers
scolarques du Portique, il note : « Ce n’est pas que je me sois fait une loi de ne jamais rien
entreprendre contre la parole de Zénon ou de Chrysippe, mais, sur le fond de la question, je
me trouve partager leur avis : se ranger toujours à l’opinion du même homme peut
convenir dans une faction, mais ne convient pas dans un sénat » (Ot. 3.1).
Ce faisant, Sénèque témoigne autant de sa loyauté que de son refus de s’enfermer dans
un dogmatisme borné, limité à un savoir absurdement tenu pour complet et définitif ; en
effet, dit-il, « si nos devanciers ont beaucoup fait, ils n’ont pas achevé l’ouvrage. Il n’en
faut pas moins les admirer et leur rendre les mêmes honneurs qu’à des dieux. Pourquoi les
grands hommes n’auraient-ils pas, eux aussi, chez moi leur image, objet à m’exalter
l’âme ? Pourquoi ne pas les nommer toujours pour leur marquer mon respect ? » (Ep. VII
64.9). Et ce n’est en aucun cas leur manquer de respect que de ne pas s’accorder toujours
avec eux, d’autant que Sénèque remarque qu’il n’y a, de sa part, aucune forme
d’iconoclasme, puisque les anciens Stoïciens eux-mêmes ne tombaient pas toujours
d’accord entre eux : « Ne va pas croire, du reste, que, parmi les nôtres, je sois le premier
qui ne répète pas le dogme inscrit au tableau et qui aie mon opinion à moi : Cléanthe et
Chrysippe, son disciple, ne sont pas d’accord sur ce qu’est une promenade » (Ep. XIX-XX
113.23).
Qui plus est, certaines matières sont fort débattues, et il n’y a pas une position qui serait
celle de l’école : « Nous renvoyons maintenant nos maîtres, et nous nous mettons à
marcher seul pour passer des faits reconnus par tout le monde à ce qui est matière à
discussion » (Quaest. nat. II 21.1). Enfin, même quand les Stoïciens paraissent s’accorder
sur un point, Sénèque ne se considère pas lié pour autant, bien qu’il n’éprouve aucun
plaisir à exprimer son désaccord, car il ne souhaite évidemment pas donner l’impression
qu’il manque de gratitude à l’égard de ceux à qui il doit sa formation. Aussi, quand
Lucilius le met dans l’embarras en le confrontant à une opinion du Portique qu’il
n’approuve guère : « Je ne saurai jamais », répond-il, « me séparer des gens de ma secte
sans manquer à la reconnaissance, ni m’accorder avec eux en conscience » (Ep. XIX-XX
117.1 ; voir encore .6).
Sénèque est donc bel et bien Stoïcien, il se présente comme tel, mais ne l’est
aucunement par fanatisme ; sans cela, d’ailleurs, il ne pourrait pas concevoir de plaisanter à
propos de son école, comme il le fait dans son Apocoloquintose (voir Apoc. 8.1). Cette
liberté qu’il revendique permet de mieux comprendre encore les jugements favorables qu’il
prononce en faveur d’Épicure, dont nous parlions ci-dessus : Sénèque se dit bien conscient
d’exprimer une opinion qui contredit celle de ses coreligionnaires quand il soutient que
c’est à tort que le Jardin a mauvaise réputation, et que celle-ci est absolument imméritée
(Vit. beat. 13.1-2). Toutefois, même lorsqu’il emprunte à Épicure, il ne cesse jamais d’être
Chapitre 2 : Sénèque 57

un Stoïcien, et, en se portant vers l’autre camp, il s’y rend non en transfuge, mais en
éclaireur (voir Ep. I 2.5). Car Sénèque est bien convaincu de la supériorité du Stoïcisme, et
il ouvre son traité sur La constance du sage, par une observation qui ne laisse aucun doute
sur ce point : « Entre les Stoïciens et les profès des autres sectes, la différence est aussi
grande qu’entre la femelle et le mâle » (Const. sap. 1.1)1…
Ainsi donc, il est indispensable, pour Sénèque, de ne pas confondre loyauté et
dogmatisme : respecter ses maîtres, c’est assimiler leur doctrine non sans apprendre à juger
par soi-même, et c’est dans cette perspective qu’il recommande à la fois de lire et d’écrire.
La lecture, dit-il, est un « aliment de l’esprit » qui permet de ne pas se contenter de ses
propres ressources, d’évaluer les découvertes déjà faites, et de prendre connaissance de
celles qui sont encore à faire ; aussi ne « doit-on pas plus se borner à écrire qu’on ne doit se
borner à lire. La première de ces occupations déprimera et usera l’énergie – je parle du
travail du style – ; l’autre l’énervera et lui ôtera sa trempe » : il s’agit donc de permettre à
l’une de soutenir l’autre, et réciproquement. Sénèque compare alors les deux versants de
cette activité à celle des abeilles, qui se nourrissent du suc des plantes avant de
confectionner les rayons (Ep. XI-XIII 84.1-3).
Nous voyons par là que cette liberté que revendique Sénèque n’est pas un prétexte pour
suivre ses caprices : celui qui s’attache à un maître, comme il est bon de le faire, ne doit
pas s’en écarter au gré de sa fantaisie, car ce serait manquer de constance, et révéler « une
âme à la dérive » — or il ne peut y avoir « de flottement pour ce qui est fixe et bien assis »
(Ep. IV 35.4). Le changement d’avis est donc permis dans la mesure où l’obstination
témoigne d’une « orgueilleuse sottise », et d’une étroitesse dogmatique : « Il n’y a point de
mal, quand la situation change, à changer aussi de résolution », car, en réalité, on ne
change pas d’avis, mais on demeure constant à sa volonté de fournir une réponse
appropriée aux circonstances (Ben. IV 38.1-2). Ainsi « la meilleure preuve d’une volonté
idéalement ferme, c’est l’impossibilité de changer » (Ben. VI 21.2), ce qui n’est nullement
contradictoire avec ce que nous venons de voir : alors que les passions et l’irrationalité
écartèlent celui qui s’y abandonne (voir par ex. la terrible description de Med. 922 suiv.), la
véritable liberté va de pair avec la constance, puisque la cohérence est aux antipodes de la
servitude ou, ce qui revient au même, du fanatisme : être cohérent, c’est rechercher une
conformité toujours plus exacte à la rationalité ; et seul celui qui est libre peut
véritablement aller de l’avant sur cette voie, que ce soit sur le plan intellectuel ou, en vertu
du lien qui unit la contemplation à l’action, sur le plan moral.

5. Progrès moral et sagesse


Le progrès moral, justement, est un thème de toute première importance chez Sénèque.
Nous avons vu que, dans sa critique du Stoïcisme, Cicéron rejetait les comparaisons

1
Sénèque n’est pas misogyne ; assurément, son jugement sur les femmes n’est pas celui de Musonius Rufus,
qui a, sur la question, des vues ouvertement égalitaristes, mais il ne méprise nullement les femmes. Aussi,
quand il souligne leurs faiblesses, ce n’est pas sans penser aussi que leur nature, moins assurée que celle des
hommes (c’est indéniablement son point de vue), est desservie par une éducation insuffisante. Voir, à ce sujet,
ce que dit Hadot dans son introduction à la traduction des Consolations par Lazam aux éditions Rivages
(1992, pp. 24-27).
Chapitre 2 : Sénèque 58

proposées par Caton d’Utique (le jeune chien qui vient de naître est sur le point de voir,
mais est encore complètement aveugle ; de même, le progressant qui est tout proche de la
sagesse est encore un complet insensé, Fin. III 48) au profit de comparaisons qu’il jugeait
plus opportunes et plus nuancées (l’homme qui souffre des yeux se rétablit
progressivement, et sa vue s’améliore ; de même, l’insensé en progrès est un homme qui
voit de mieux en mieux où est la vertu, Fin. IV 66). Sénèque, tout en conservant l’idée
stoïcienne d’une rupture très nette entre le sage et l’insensé, entend, non moins que Cicéron,
mettre plutôt l’accent sur la valeur réelle des progrès réalisés par les insensés en marche
vers la vertu. Il parle ainsi d’une « transformation » du progressant (Ep. I 6.1), et distingue
plusieurs étapes de l’avancement moral qui conduit graduellement l’insensé à la sagesse
(Ep. VIII 71.34-36). C’est que les progressants se distinguent nettement entre eux, et
doivent continuer d’aller de l’avant : celui qui n’avance pas recule, et « c’est déjà grande
avance prise que de vouloir avancer », tout de même que, comme nous le lisons dans la
Phèdre, « c’est une part de la guérison que de vouloir être guéri » (Phaedr. 249).
Mais cette mise en évidence de la valeur du progrès moral n’entraîne pas, de la part du
stoïcien Sénèque, une quelconque atténuation de la distinction entre le sage et l’insensé.
Chez Cicéron, d’après la teneur de la comparaison que nous rappelions à l’instant, cette
distinction paraissait s’estomper quelque peu, puisque l’insensé en progrès était
comparable à celui qui, guérissant peu à peu de son ophtalmie, finissait par avoir une vue
plutôt bonne, même s’il ne devenait pas un Lyncée pour cela. Sénèque, après qu’il a insisté
sur le progrès, entend conserver l’idée de rupture en reprenant fermement les paradoxes de
son école : « Eh ! non », écrit-il à Lucilius, « pour parler net, c’est peu : être homme de
bien1, c’est ne pas valoir mieux que les pires. S’aviserait-il de vanter sa vue, celui qui
verrait à peine s’il fait jour ? l’homme pour qui le soleil luit à travers un brouillard, s’il est
content pour l’instant d’avoir échappé aux ténèbres, ne jouit pas encore du bienfait de la
lumière » (Ep. IX 79.11). Sans être celui de Caton d’Utique dans Les termes extrêmes, le
discours de Sénèque n’est donc pas non plus celui de Cicéron.
Chaque fois qu’il veut éviter toute ambiguïté, Sénèque ne manque pas d’employer un
ton très ferme, ; ainsi, par exemple, quand il rappelle que « tout homme à qui il manque
encore quelque chose pour être bon est mauvais » (Ep. XIV 92.29). Entre le sage et le
progressant, il y a donc toute la différence qui sépare l’homme en parfaite santé de celui
qui, au sortir d’une grave et longue maladie, est dans un état précaire et « prend pour de la
santé un retour moins marqué des accès ». Le progressant peut faire une rechute, non le
sage (Ep. VIII 72.6) ; or, dans cette même lettre, Sénèque ne manque pas d’insister aussi
sur l’idée de progrès moral, qui lui est chère. Si chère, même qu’il n’hésite pas à risquer,
par ailleurs, des formules audacieuses, qui montrent qu’il n’insiste pas moins sur la

1
Notons au passage que Sénèque, comme souvent, parle, comme Cicéron, de « l’homme de bien » au sens
ordinaire, pour désigner celui qui, plus exactement n’est qu’un insensé en progrès. Cet intérêt pour le cas des
progressants désignés favorablement en recourant au langage « ordinaire », est commun à Sénèque et à
Cicéron, et se retrouve aussi chez Panétius, dont Sénèque rappelle ce témoignage : à un jeune homme qui lui
demandait si l’amour était le fait du sage, Panétius répondit que « pour le sage, c’est à voir. Pour toi et pour
moi, qui sommes encore bien loin de l’état de sagesse », etc. (Ep. XIX-XX 116.5 – la même question est
rappelée en Ep. XIX-XX 123.14, et Sénèque, au point suivant, suggère, à propos de l’amour des garçons, de
« laisser cette question aux Grecs et à leurs coutumes »).
Chapitre 2 : Sénèque 59

différence entre le sage et la foule des sots que sur celle entre les insensés en progrès et
ceux qui ne se soucient guère de leur avancement spirituel et moral : « Certains [sots] sont
étroitement attachés, enchaînés, garrottés même ; celui qui s’est avancé dans une sphère
supérieure et élevé plus haut traîne une chaîne plus longue ; il n’est pas encore libre, mais
quasi libre » (Vit. beat. 16.3)1. Voilà pourquoi, à la question de savoir si, « hors de la
sagesse, il n’y a plus que précipice », Sénèque répond clairement : « Non pas, à mon avis.
Celui qui est en progrès compte encore parmi la foule des sots, mais il est séparé d’eux par
un grand intervalle » (Ep. IX 75.8).
Du reste, même si, en vertu de l’égalité des fautes, tous les insensés sont également
pervers, Sénèque, qui ne néglige jamais le langage courant, insiste par ailleurs sur le fait
qu’assurément, « le sot a tous les vices, mais son penchant naturel ne le porte pas vers
tous : tel incline vers la cupidité », etc. (Ben. IV 27.1-3). Voilà pourquoi, dans le texte
capital qu’est la lettre 75, Sénèque distingue trois catégories de progressants : ceux qui sont
parvenus si près de la sagesse qu’il leur est même devenu impossible de déchoir, quoiqu’ils
demeurent encore sur une pente glissante (ils éprouvent des affects qui leur font ressentir
tout ce qui les sépare encore des sages, Ep. IX 75.9-12 – le mouvement éprouvé par le sage,
lui, est à peine perceptible, voir Ir. I 16.7) ; viennent ensuite ceux qui sont délivrés des plus
graves affections, des vices, mais ne sont pas pour autant à l’abri de toute rechute (Ep. IX
75.13) ; enfin, ceux qui ont échappé à certains vices, mais pas encore à tous (ibid. .14). Et
Sénèque d’insister alors sur le fait que rejoindre ne serait-ce que le dernier de ces trois
groupes n’est pas à mépriser. C’est que les vertus, au sens strict, sont extrêmement rares
(voir Tranqu. anim. 15.1) et que, par conséquent, le meilleur est, à proprement parler, le
moins mauvais (ibid. 7.2-3).
Dans cette perspective, Sénèque, s’adressant à un adversaire, peut lui déclarer qu’il
n’est pas un sage, que jamais il n’en sera un, mais qu’un progrès en direction de la sagesse
n’est pas à dédaigner : « Exige donc de moi non que je sois l’égal des meilleurs, mais
seulement meilleur que les méchants ; il me suffit de retrancher chaque jour quelque chose
de mes vices et de gourmander mes égarements » (Vit. beat. 17.3). Dans la suite de ce
dialogue sur La vie heureuse, Sénèque tonne avec autant de vigueur que de raison contre
l’indigne bassesse de ses détracteurs, qui lui reprochent de n’être pas à la hauteur de ses
discours sur la vertu. Or, leur répond-il en substance, je ne prétends pas dire comment je
vis en réalité, mais comment je dois vivre, et mes ennemis ne voient pas que les vices que
je dénonce sont d’abord les miens. Aussi Sénèque proclame-t-il qu’il continuera sur la voie
où il s’est engagé, en faisant l’éloge du vrai bien et de la vie pleinement honnête, désireux
seulement « d’adorer la vertu et de tendre vers elle en rampant à grande distance » (Vit.
beat. 18.1-2). Car enfin, « est-il surprenant qu’on ne parvienne pas au sommet, quand on
escalade des pentes escarpées ? Si tu es un homme, admire jusque dans les chutes les
grands efforts » (ibid. 20.2), comme le dit alors Sénèque, en observant que c’est une belle

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Aussi n’est-ce peut-être pas sans une pointe de mesquinerie – qu’un si grand homme, que nous admirons
tant, nous permette de le reprendre pour cette critique ! – que Sénèque, dans sa Brièveté de la vie, reproche à
Cicéron de se décrire comme « libre à demi » seulement, jugeant le propos indigne d’un sage (Breu. uit. 5.3).
Certes le propos n’est pas digne d’un sage, mais il n’est pas juste d’en faire le reproche à Cicéron, qui ne
s’est jamais prétendu sage.
Chapitre 2 : Sénèque 60

chose de ne pas tout mesurer d’après les faiblesses qui nous caractérisent individuellement,
mais plutôt d’après les hautes et belles aspirations de notre nature humaine.
Sénèque, si l’on nous accorde cette brève digression, répond ainsi, avec hauteur et
dignité, à ses détracteurs de toute époque, non moins qu’à ceux de Cicéron, qui se sont
ingéniés à le discréditer comme philosophe sous prétexte que, nous l’avons vu, il n’aurait
pas toujours été à la hauteur de ses principes. Or, d’après ce que nous venons de lire, il est
beau, au contraire, de soutenir un idéal qui dénonce les manquements personnels de celui-
là même qui le soutient et ne le promeut pas moins pour cela. Que de tels hommes sont
incomparablement plus philosophes que ceux qui énoncent des principes ne s’élevant pas
au-delà de leur misère, et drapent leur abaissement dans les plis d’une prétendue vertu
taillée tout exprès à la mesure de leur veulerie et de leur perversité ! Comprenons-nous
bien cependant : le vrai philosophe est celui qui ne renonce pas à des principes élevés, et
qui les prend au sérieux, de manière à progresser effectivement – car il ne s’agit
évidemment pas d’avoir de beaux principes, et de les négliger sans vergogne en se
contenant de les énoncer « du bout des lèvres » (voir Hort. fr. 42 = Non. 428, 2), comme
ces hypocrites justement dénoncés par les satiristes de toute époque, comme ces Tartuffes
qui, pour reprendre une expression de Juvénal, « se donnent des airs de Curius [un homme
d’État de l’ancien temps, célébré pour sa tempérance], mais vivent de Bacchanales » (Sat.
2.3).
Pour en revenir à nos progressants, ils s’exhorteront à marcher sur la voie qui conduit à
la vertu, sans renoncer à cause de leurs manquements. Ils reprendront à leur compte ces
mots que Sénèque met dans la bouche de Clytemnestre quand, reconnaissant ses fautes et
désireuse de s’amender, elle est sur le point de renoncer à Égisthe pour rentrer dans le droit
chemin : « Jamais il n’est trop tard pour retourner à la vertu, et, quand on se repent d’avoir
commis des fautes, on est presque innocent » (Agam. 242-243). Qui est presque innocent
ne l’est assurément pas, il est coupable, mais un coupable qui veut s’amender, qui voit,
pour reprendre une expression banale mais fort juste, le verre à moitié plein plutôt qu’à
moitié vide. Tel est le progressant de Sénèque : il réalise de mieux en mieux toute la
distance qui le sépare du sage, mais il se focalise avec raison sur la distance déjà parcourue
dans la bonne direction.
Voilà pourquoi Sénèque s’occupe de préférence de ces « hommes de bien » au sens
ordinaire, qui progressent et qui, pour n’être pas des sages, n’en sont pas moins « des
hommes qui, sans être arrivés à la perfection, veulent suivre un chemin honorable, mais
dont le cœur, souvent, ne se soumet pas sans révolte » (Ben. II 18.4). C’est que le sage
accompli, s’il n’est pas, chez Sénèque, l’horizon pour ainsi dire théorique conçu par
Cicéron, demeure extrêmement rare, puisqu’il « naît peut-être, comme le phénix, une fois
tous les cinq cents ans » (Ep. V 42.1). Toutefois, cette rareté ne doit jamais décourager les
aspirants à la sagesse, et c’est, aux yeux du philosophe impérial, l’un des mérites de
Sextius, « authentiquement stoïcien, quoiqu’il en dise » (Ep. VII 64.2), de « révéler les
grandeurs de la vie heureuse sans ôter l’espoir d’y atteindre » (ibid. .5). C’est qu’en effet,
« nombre de gens s’imaginent que nous promettons plus que ne le comporte l’humaine
condition. Grief légitime : ils n’ont égard qu’au corps. Qu’ils reviennent à l’âme : dès lors,
c’est sur le dieu qu’ils mesureront l’homme » (Ep. VIII 71.6). Nous reviendrons plus loin
Chapitre 2 : Sénèque 61

sur l’identification de l’homme à son âme, mais nous comprenons déjà pourquoi Sénèque
peut ainsi envisager de penser l’homme d’après le modèle divin, puisque, nous l’avons vu,
l’homme ne diffère du dieu que par sa durée. Partant, écrit-il à Lucilius, « je ne vois que
gens qui estiment impossible ce qu’ils ne peuvent faire, et déclarent que nos théories
dépassent les puissances de la nature humaine. Eh ! comme j’ai d’eux-mêmes meilleure
opinion ! Eux aussi pourraient en faire autant, mais ils ne veulent pas (…) Ce n’est pas la
difficulté qui fait manquer d’audace ; c’est le manque d’audace qui fait la difficulté » (Ep.
XVII-XVIII 104.25-26).
Ainsi donc, comme il le dit encore dans sa Constance du sage, « ce n’est pas une vaine
image que nous forgeons à la gloire de l’humanité, un idéal chimérique auquel nous
donnons dans nos rêves des proportions impossibles » : rareté n’est pas impossibilité ; et
Sénèque d’évoquer alors son héros par excellence, Caton d’Utique – « Les dieux immortels
nous donnèrent en Caton un modèle de sagesse plus accompli encore que les Ulysse et les
Hercule dont ils avaient doté les siècles primitifs » (Const. sap. 2.2) –, Caton qui, comme il
le dit encore non sans quelque exagération, l’emporte peut-être même sur ce modèle de
sagesse qu’il propose (ibid. 7.1). Parmi ses contemporains aussi, Sénèque n’est pas loin de
penser qu’il a le bonheur de côtoyer un sage en la personne de son ami le cynique
Démétrius, un « homme rigoureusement parfait en sa sagesse, bien qu’il s’en défende », un
homme dont il chante les louanges avec les accents d’une profonde admiration, en
particulier dans ses Bienfaits (voir Ben. VII 8.2-3).
La sagesse est donc à notre portée, puisque « tout ce que l’esprit s’impose, il l’obtient »
(Ir. II 12.4). Toutefois, bien que, comme nous le disions à l’instant, « c’est le manque
d’audace qui fait la difficulté », Sénèque admet que l’entreprise est malaisée, car, comme
le déclare sa Mégara, « ce n’est pas une voie de mollesse qui va de la terre aux étoiles »
(Herc. fur. 437). Mais il a toujours soin d’insister sur le fait que la difficulté n’engendre
pas l’impossibilité : « Est-ce donc en allant à plat que l’on parvient aux sommets ? Ce
chemin n’est d’ailleurs pas si ardu que certains se l’imaginent. Il n’y a que le début qui soit
semé de rocs et de précipices et qui ait l’air impraticable ; mais que de fois les sentiers de
montagne, lorsqu’on les observe de loin, semblent raides et tourmentés parce que l’œil est
trompé par la distance ; puis, à mesure qu’on se rapproche, les détails du terrain, qu’une
erreur de perspective mêlait en un tout confus, se dégagent insensiblement ; enfin, ce qui,
dans l’éloignement, faisait l’effet d’une muraille escarpée, devient une pente doucement
inclinée » (Const. sap. 1.2). Dans son traité sur La colère aussi, Sénèque souligne que « le
sentier des vertus n’est pas, comme quelques-uns le prétendent, ardu et raboteux ; on y va
de plain-pied » (Ir. II 13.1).

6. Critique de la dialectique
Il est donc bien clair que Sénèque ne minimise pas la différence entre le sage et
l’insensé en progrès, mais cela ne l’empêche pas de parler favorablement de celui qui
s’efforce d’aller de l’avant et d’emprunter le chemin qui conduit à la vertu. Ceux qui, à
proprement parler, restent des « insensés », n’en sont donc pas moins qualifiés, nous
l’avons vu, d’« hommes de bien » par un Sénèque soucieux d’employer un langage courant
(et encourageant). L’obsession du langage technique ne lui est ainsi pas moins étrangère
Chapitre 2 : Sénèque 62

qu’elle ne l’était à Cicéron, et Sénèque éprouve une aversion particulièrement marquée


pour les chicanes dialectiques qui embarrassent la pensée plus qu’elles ne servent le
progrès moral.
Plus proche de Platon que l’Arpinate, Sénèque étend même sa critique à la rhétorique,
dont il condamne les artifices de langage et le poli excessif du style au détriment de la
solidité du contenu. Dénonçant les travers d’une éloquence propre à agiter les esprits plutôt
qu’à les apaiser, Sénèque estime que « la parole qui travaille pour la vérité doit être sans
ornement et toute simple » (Ep. IV 40.4) ; avec Euripide, qu’il cite dans une autre de ses
lettres, il soutient que « la vérité s’exprime simplement » (Ep. V 49.12 ; voir Euripide,
Phoen. 469). Dans cette perspective, il est fondé à reprocher à Lucilius de mettre en cause
le style de tel ouvrage qu’il vient de lire, « oubliant qu’il s’agit d’un philosophe, pour
incriminer chez lui l’écriture » (Ep. XVI 100.1). Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas,
pour Sénèque, de mépriser l’éloquence, mais de montrer que la déclamation qui sied aux
discours n’est pas le ton approprié d’une œuvre de philosophie, qui est fort bien écrite, si le
style en est « coulant et paisible ». Pour le reste, comme il le dit dans la suite, « trop de
souci pour le style ne convient pas au philosophe » (ibid. .4) ; mais le sens de cette
recommandation s’éclaire alors, car Sénèque ne recommande pas la négligence, mais
conseille au philosophe de savoir choisir ses expressions, sans se mettre en peine de leur
donner la chasse (ibid. .5), autrement dit sans permettre au soin du style de prendre le pas
sur le fond de l’exposé en sacrifiant ce dernier sur l’autel de l’élégance cultivée pour elle-
même et par mesquinerie (voir également Ep. XIX-XX 115.1).
Puis donc que l’essentiel tient au fond plutôt qu’à la forme, nous comprenons que, par-
delà cette insistance qui le distingue de Cicéron, Sénèque rejoint pleinement l’Arpinate
pour s’opposer aux professionnels de l’acribie qu’obsède la définition de la formule juste,
alors que les mots doivent être au service des idées (voir également les réflexions qu’il
prête à Sérénus en Tranqu. anim. 1.14) : « On peut définir autrement le bien tel que nous le
concevons, c’est-à-dire que la même idée peut être enfermée dans des formules qui ne
soient pas les mêmes » ; et Sénèque de proposer alors un rapprochement illustrant
parfaitement ce qu’il veut dire : « Une même armée peut tantôt s’étendre sur un plus large
front, tantôt se masser », etc. (Vit. beat. 4.1). De même, lorsque, dans sa Clémence, il
distingue subtilement la vertu qu’il promeut du pardon, il signale que l’on ne doit pas se
focaliser sur des oppositions nominales quand on s’accorde sur le sens (Clem. II 7.4). C’est
pourquoi, dans son ouvrage sur Les bienfaits, il n’a pas plus tôt distingué différentes
formes de bienfaits qu’il s’empresse de remarquer, à propos de deux manières différentes
de justifier leur classification : « Tu peux admettre, de ces deux explications, celle que tu
voudras : à quoi nous sert ce genre de savoir ? » (Ben. I 3.4).
Mais ce que réprouve par-dessus tout Sénèque, ce sont les sophismes creux et ridicules
de la dialectique, ces « inepties grecques » propres à exercer la langue plutôt que l’âme (Ep.
X 82.8). Et, quand il s’agit de dénoncer des subtilités langagières, Sénèque n’est pas plus
indulgent pour ses coreligionnaires Stoïciens que ne l’était l’académicien Cicéron à l’égard
des théoriciens du Portique. Que du contraire, notamment dans la suite de cette lettre 82 où
est pris à partie nul autre que Zénon lui-même : Sénèque se moque des syllogismes par
lesquels le fondateur démontrait que la mort n’est pas un mal, sans pour cela que ses
Chapitre 2 : Sénèque 63

raisonnements pussent se targuer d’une quelconque efficace sur l’âme des auditeurs.
Comme le dit en substance Sénèque, devant la mort ou les supplices, j’ai besoin d’entendre
ce qui m’aidera à surmonter l’épreuve, et non des bêtises de dialecticiens. Ainsi donc, dit-il,
« je ne ramène pas les problèmes à la loi de la dialectique, à des finesses entortillées,
saugrenues et artificielles ; j’estime qu’il faut bannir ces interrogations où l’interrogé se
sent piégé et continue de penser le contraire de ce qu’il est forcé de répondre. Défendons la
vérité avec plus de franchise, combattons la peur plus virilement » (ibid. .19). Si, dans
toute cette lettre, Sénèque dénonce les arguties des dialecticiens avec une ironie cinglante,
sa sévérité est à la mesure de la gravité des problèmes soulevés : peur de la mort, de la
douleur, etc. sont des matières des plus sérieuses, et c’est s’assurer la défaite que de se
confier, pour les combattre, à des armes dérisoires. Il compare en effet le dialecticien
luttant contre la peur à coups de petits syllogismes au soldat lançant contre le serpent
monstrueux d’Afrique de minces projectiles, quand c’est de gros rochers qu’il faut accabler
la bête si l’on veut en venir à bout (ibid. 23-24)1.
Poursuivant sa critique de Zénon dans la lettre suivante, Sénèque exprime son
étonnement devant le fait que « le grand Zénon, fondateur d’une secte entre toutes
courageuse et vénérable », et d’autres personnes de grande intelligence avec lui aient pu
s’imaginer que leurs petits raisonnements étaient vraiment efficaces (Ep. X 83.8-9) ; lui-
même, en tout cas, n’en croit rien, et leur préfère de loin les exemples fournis par les
grands hommes ainsi que la convocation de représentations propres à nous permettre de
surmonter les épreuves (Ep. X 82.20 suiv. et 83.17 suiv.). Lucilius, pourtant, paraît difficile
à convaincre, suscitant, à l’encontre de la dialectique, de nouvelles charges de la part d’un
Sénèque qui lui répète son peu d’affection pour les fameux syllogismes des membres de sa
secte « ou imaginés dans le dessein de nous rendre ridicules » : en fait d’efficacité, ils ne
valent rien à ses yeux, et ne sont que « des poinçons » dont il a honte (Ep. XI-XIII 85.1).
La métaphore d’une lutte à bras le corps se retrouve également dans La brièveté de la vie,
où Sénèque évoque le souvenir de son maître Fabianus, qui n’était pas « un philosophe de
chaire, mais un vrai philosophe à la manière antique » ; cet homme, écrit-il, jugeait que les
subtilités dialectiques étaient impropres à obtenir un résultat quand il s’agissait de
s’opposer à la déferlante des passions, et qu’il valait mieux combattre celles-ci au moyen
d’armes plus solides, capables d’assommer l’adversaire, et pas seulement de lui infliger des
piqûres (Breu. uit. 10.1).
L’idée plus générale sous-jacente à ces observations est qu’on ne saurait produire le
résultat escompté sans recourir aux moyens appropriés à sa réalisation. Pour ce faire, il est
essentiel de prendre acte de la personnalité de ceux que doit secourir la philosophie, car les
mêmes remèdes ne conviennent pas également à tous : « Aux uns il ne faut que présenter le
remède ; à d’autres, il faut le leur mettre dans la bouche » (Ep. III 27.9). Tous, en effet, ne

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Le serpent géant dont parle Sénèque renvoie à un fameux épisode de la première guerre punique, lorsqu’une
armée romaine envoyée en Afrique fut confrontée à cette créature colossale, insensible aux traits lancés de
main d’homme, et dont les soldats ne purent venir à bout qu’en tournant contre elle des armes de siège.
L’épisode est brièvement relaté, entre autres, par Valère Maxime (I 8 ext. 19, d’après le récit,
malheureusement perdu, de Tite-Live) et fait l’objet d’une impressionnante mise en scène dans la Guerre
punique de Silius Italicus (VI 140-282).
Chapitre 2 : Sénèque 64

réagissent pas de manière identique, et l’on ne parviendra à rien sans un minimum de tact :
« Les moyens à employer varient selon les esprits : les uns cèdent à la raison ; à d’autres, il
faut alléguer de grands noms, dont l’autorité les enchaîne » (Marc. cons. 2.1) ; qui plus est,
il faut être attentif aux autres circonstances également, car, « dans les maladies aussi, rien
n’est plus dangereux qu’un remède prématuré » (Helu. cons. 1.2). C’est dans le traité des
Bienfaits que cette attention à l’opportunité de la circonstance transparaît avec la plus
grande netteté et la plus grande insistance (voir, par ex. Ben. I 12.3 ou IV 35.2-3), car c’est
un « tort de ne pas attendre le moment qui convient spécialement pour chaque chose ; or il
y a une faute égale à le laisser passer ou à le devancer » (Ben. VI 40.1). Et c’est à ce point
précis que la nourrice de Médée invite la Colchidienne égarée à prêter attention, quand elle
lui déclare qu’« il convient de se plier aux circonstances » (Med. 175).
Sénèque, qui est infiniment psychologue, a parfaitement compris que, outre que les
petits syllogismes de ses coreligionnaires ne sont pas de taille à lutter utilement contre les
peurs dont ils n’ébranlent pas sérieusement les fondements, les excès de langage et la
subtilité se révèlent contre-productifs, induisant des résultats opposés à ceux qui sont
attendus. Dès lors, il est plus judicieux de renoncer à des formules techniques ou abstruses,
même quand elles sont parfaitement exactes, si elles doivent désoler ou abattre celui
qu’elles prétendent relever. Ainsi, par exemple, en voulant remontrer à Lucilius que « c’est
plus souvent l’opinion que la réalité qui nous met en peine », Sénèque observe qu’il
emploie son propre langage de préférence à celui du Portique, qui ignore superbement la
force des affections qui, croyons-nous, causent notre souffrance : « Laissons-là », dit
Sénèque à son ami, « ces paroles si hautes et néanmoins, grands dieux ! si vraies » (Ep. II
13.4). Les Stoïciens ont donc raison, mais ce n’est pas la peine de servir leur sévère
discours à celui que de tels propos ne peuvent que rebuter, quand le même résultat – le
courage, le refus de plier devant la souffrance – peut être obtenu bien plus sûrement par
d’autres voies, par un langage moins sévère, mais plus efficace, à défaut d’être aussi exact.
Réfléchissant sur le pouvoir des mots, Sénèque se demande aussi, dans le même ordre
d’idées, si, au lieu d’examiner ce que sont réellement la richesse et la pauvreté, le mieux ne
serait pas de ne pas s’embarrasser de subtilités verbales, de prendre le problème à bras le
corps, « d’apprivoiser la pauvreté et d’ôter à la richesse sa morgue sourcilleuse plutôt que
de chicaner sur les mots, comme si le débat était clos sur le fond des choses » (Ep. XI-XIII
87.40). Tout cela parce que le but de la philosophie est de faire progresser vers la sagesse,
et non de rendre plus disert ou d’accroître la capacité à définir des concepts ; en ce sens,
comme le dit encore Sénèque en conclusion de cette lettre, il est plus souhaitable de
s’attaquer effectivement aux passions que d’en élaborer la définition (ibid. .41). Les mots
sont d’ailleurs si peu une fin en soi que, à leur attribuer une importance qu’ils n’ont pas,
nous ne voyons pas suffisamment combien ils sont de nature à nous abuser. Par exemple,
c’est « par pénurie de langage », que nous qualifions de ‘bienfait’ à la fois l’acte et l’objet,
qu’il ne s’agit évidemment pas de confondre, puisque « les deux choses portent le même
nom, mais leur signification et leur portée sont bien différentes » (Ben. II 34.4-5).
Si Sénèque s’oppose avec tant de résolution aux « chicanes verbales » et aux
« captieuses controverses qui ne mettent en jeu qu’une stérile subtilité » (Ep. V 45.5) et
qu’on ne perd pas davantage à ignorer qu’on ne gagne à les connaître (Ep. XIX-XX 117.8),
Chapitre 2 : Sénèque 65

c’est donc parce que, non contentes d’être simplement oiseuses – ce qui serait déjà grave
en soi, tant il est vrai que le temps est chose trop précieuse pour être gâtée par un mauvais
emploi (voir, pour ce thème important, not. Breu. uit. et Ep. I 1) –, elles ne nous permettent
pas d’aborder sérieusement ce qui importe vraiment : apprendre à vivre, apprendre à
mourir. Les exercices dialectiques, par conséquent, « ont ceci de très mauvais, qu’ils
dégagent un certain charme et que leur spécieuse finesse, ayant attiré l’âme, la captive,
l’amuse, quand un si vaste labeur la réclame, quand tout le temps de la vie suffit à peine
pour apprendre à mépriser la vie » (Ep. XIX-XX 111.5). Nous retrouvons ici les
« poinçons » de la lettre 85 (Ep. XI-XIII 85.1) dont nous parlions ci-dessus. Le vrai
problème est donc que le moment n’est pas venu de jouer, mais d’affronter la vie ; et ce qui
serait simplement inutile par ailleurs nous met en danger, par son inefficacité, quand il
s’agit de lutter pour de bon : « La Fortune t’a mis en face de tant de problèmes ; tu n’as pas
pu encore les résoudre, et tu fais maintenant l’ergoteur ? Quelle aberration, quand le signal
du combat t’a été donné, de t’escrimer contre le vent ! Laisse tomber ces fleurets : ce sont
des armes tranchantes qu’il te faut » (Ep. XIX-XX 117.25). C’est donc d’opportunité des
circonstances qu’il s’agit encore, puisque ce n’est pas tout à l’heure qu’il faudra être
éprouvé par la Fortune, mais tout de suite. Partant, les divertissements dialectiques ne sont
pas de mise et, comme le dit encore Sénèque, personne ne s’occupe de s’arrêter pour lire le
programme des jeux quand il va quérir la sage-femme pour sa fille qui est sur le point
d’accoucher ; personne non plus ne se demande comment dégager un pion mis en difficulté
sur le plateau de trictrac quand sa maison brûle (ibid. 30).
Il y a donc, chez les amateurs de dialectique, une forme de perversion, qui consiste à
dévoyer la philosophie, à en « faire un divertissement, alors qu’elle est un remède » (Ep.
XIX-XX 117.33). Qui plus est, cette fascination morbide pour l’inessentiel, qui consiste à
« torturer les mots » et à « éplucher les syllabes » (Ep. V 48.4), rend un très mauvais
service à la philosophie, puisque le dialecticien qui s’adonne à son vice trahit les attentes
de qui vient à lui comme à un médecin pour qu’il lui enseigne, suivant le mot de Virgile,
« comment l’on va aux astres » (Ep. V 48.11, citant Virgile, Aen. IX 641). La seule
conséquence issue de ces captieuses sottises, c’est d’énerver l’âme qui avait, au contraire,
besoin d’être fortifiée ; et de là cette plainte amère de Sénèque : « Ah ! si seulement elles
ne servaient à rien ! Elles nuisent (…), un naturel généreux se racornit et se débilite, quand
on l’a jeté en pâture à de telles arguties » (Ep. V 48.9 ; voir également XIX-XX 111.1-2).
Voilà pourquoi il faut abandonner « cette école élémentaire de philosophes qui réduisent à
des syllabes une matière de toute première importance, et qui, en enseignant des vétilles,
dépriment l’âme et l’usent petit à petit » : loin de servir la cause de la philosophie et d’en
manifester la grandeur, de telles gens la font paraître bien pénible (Ep. VIII 71.6) et bien
mesquine.
Toute cela permet de mieux comprendre la répugnance éprouvée par Sénèque à l’égard
de la dialectique, dont l’inanité ne peut qu’alimenter l’opinion de la foule, mal disposée,
nous l’avons vu, à l’endroit des philosophes, qu’elle tient pour des bavards aussi creux que
parfaitement vains. Les Stoïciens, puisqu’ils se sont particulièrement illustrés en logique,
n’ont réussi qu’à se discréditer davantage encore que les autres : « Pareilles subtilités, mon
bien cher Lucilius, nous ont fait prendre pour des gens qui font travailler leur esprit dans le
vide et qui perdent leur temps à des discussions sans profit. Je vais faire comme tu le veux,
Chapitre 2 : Sénèque 66

je vais t’exposer ce que pensent les nôtres, mais je te préviens que mon avis personnel est
différent : j’estime qu’il y a des sujets qui ne conviennent qu’à ceux qui portent phécases et
pallium » (Ep. XIX-XX 113.1), autrement dit à des Grecs, puisque les phécases désignent
leurs chaussures fermées, et que le pallium est leur habit d’extérieur.
Tout de même que Cicéron, Sénèque se fait ici l’écho du cliché dénonçant l’inanité des
Hellènes, largement perçus comme des hâbleurs patentés : quand ils ne se plaisent pas à
bavarder pour proposer des démonstrations qui, parce qu’elles s’ingénient à établir des
vérités plus claires que le jour, méritent de susciter non la discussion, mais l’indignation
(Ep. XIX-XX 113.15) ou le rire (ibid. .20 et .26), ils perdent leur temps avec des
considérations d’une futilité stupéfiante. C’est ainsi qu’à propos des Grâces, par exemple,
Sénèque note qu’il se trouve des gens pour discuter doctement sur leur air, leur port et
d’autres détails sans intérêt, des gens, écrit-il, qui sont « assez asservis à la pensée grecque
pour dire que ces considérations sont nécessaires » (Ben. I 3.6) En ce qui concerne les
noms que portent ces trois déesses, ils varient selon les auteurs ; mais alors, que signifient-
ils ? Chacun y va de son explication fantaisiste, et l’on ne se dit pas suffisamment qu’elles
ont été nommées d’après le goût du poète. Après Zénon et ses arguties, c’est au tour de
Chrysippe de faire les frais de l’ironie de Sénèque : l’illustre Chrysippe, « qui possède cette
finesse d’esprit célèbre allant au fond de la réalité, qui vise, en ses discours, à des résultats
pratiques et qui n’a de mots qu’autant qu’il en faut pour être intelligible, remplit de ces
fadaises le livre unique de son traité » sur les Grâces. Le problème ? C’est que les
considérations annexes, le bavardage occupe toute la place, et relègue les questions
réellement importantes au second plan (Ben. I 3.8 suiv.) ; en cela, Chrysippe montre bien
qu’il a beau être un brillant philosophe, il a le défaut que Sénèque attribue avec Cicéron à
la race grecque : Chrysippe est « un grand homme, ma foi, mais un Grec, après tout, dont
l’esprit trop subtil s’émousse et se replie trop souvent sur lui-même » (Ben. I 4.1)1.

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Dans la suite de ces réflexions sur la vanité propre aux Grecs, notons que Sénèque, à l’instar de Cicéron une
fois encore, répugne à utiliser des mots grecs : il évite explicitement l’emploi de σοφίσµατα et lui substitue
un équivalent latin, captiones, « attrapes » dans la lettre 45, et cauillationes, « chicanes » dans la lettre 111
(voir Ep. V 45.8 et XIX-XX 111.1-2) ; de même, dans une autre lettre, il note, à propos de l’ἄσθµα des
Grecs qu’il traduit par suspirium : « Je ne sais pas pourquoi je l’appellerais par son nom grec » (Ep.VI 54.1).
À propos de l’εὐθυµία également, Sénèque propose l’équivalent latin de tranquillitas plutôt qu’un simple
calque du grec, « car il est bien inutile d’emprunter notre vocabulaire et de calquer la forme des mots ; c’est
l’idée qu’il faut exprimer, au moyen d’un terme qui ait la signification du mot grec, mais sans en reproduire
l’aspect » (Tranqu. anim. 2.3). Sénèque, qui plus est, trouve un sujet de moquerie dans la grécomanie
langagière de l’empereur Claude (Apoc. 5.4 ; voir Suétone Vit. Claud. 42), ce qui confirme sa volonté de ne
pas mélanger les idiomes. Pour autant, et à la différence de Cicéron cette fois, Sénèque ne croit pas que latin
soit plus riche que le grec : « Que notre vocabulaire est pauvre et, pour tout dire, indigent ! », regrette-t-il à
l’occasion d’une réflexion sur Platon, « puisque je suis dans l’impossibilité de traduire en latin » le grec ὄν
(Ep. VI 58.7) : quod est paraît s’imposer, mais Sénèque estime que remplacer le nom par un tour verbal n’est
pas une bonne solution. Ailleurs, en employant le mot ‘analogie’, Sénèque explique que, s’il l’utilise, c’est
qu’« il a reçu droit de cité chez les grammairiens latins » ; partant, « il ne faut pas le rejeter, mais le traiter
comme un mot latin à part entière. Je l’emploierai donc comme un terme non seulement adopté, mais usité »
(Ep. XIX-XX 120.4). De manière équivalente, il emploie le terme grec eurus, mais non sans ajouter que
celui-ci a reçu droit de cité en latin, et qu’il n’apparaît plus comme un intrus (Quaest. nat. V 16.4).
Chapitre 2 : Sénèque 67

Mais ne nous y trompons pas : toutes ces remarques visent bien à réduire la dialectique
conçue comme vaine fascination pour l’inessentiel, qui est aussi ridicule qu’elle est
improductive et hors de propos ; il ne s’agit en aucun cas d’une quelconque forme d’anti-
intellectualisme, comme nous allons le voir et comme nous le savons déjà, ne serait-ce que
d’après l’intérêt de Sénèque pour la physique, dont nous avons parlé. Puisque le temps
nous est compté, dit en substance Sénèque, et qu’il y a des choses vraiment importantes,
comme le sont les objets de la philosophie naturelle et les résultats visés par l’éthique, ne
nous embarrassons pas de toutes sortes d’inepties, parmi lesquelles figure en bonne place
la science de la logique ; « hâtons-nous d’autant plus et que le travail répare le dommage
causé par tout ce que nous lui avons sottement dérobé de notre vie. Ajoutons au jour les
heures de la nuit. Diminuons le nombre des objets qui nous occupent » (Quaest. nat. III pr.
2).
Le temps est précieux et Sénèque condamne les frivolités qui, sous couvert de
philosophie, ne nous sont d’aucun profit réel, parce que, à ses yeux, tout ce qui ne
contribue pas à nous rendre meilleurs est suspect. Ainsi la métaphysique platonicienne des
idées ne recueille-t-elle pas ses suffrages, sinon dans la mesure où elle nous apprend le
caractère chimérique et transitoire de ce qui flatte nos sens (Ep. VI 58.26-27). Sénèque ne
manifeste donc aucun goût pour ce qu’il regarde comme une science « inutile », ainsi que
nous l’avons vu ci-dessus, et il n’hésite pas, ici encore, à critiquer ses coreligionnaires
Stoïciens, chez qui il y aurait, d’après lui, des coupes sombres à réaliser. Plus généralement,
il condamne les soi-disant philosophes qui « ont mieux su l’art de parler que l’art de
vivre » (ibid. .42), et qui ne comprennent pas que la dialectique n’a de sens que dans la
mesure où elle est au service de l’éthique (voir Ep. XIV 89.18) et où elle ne se complaît
pas en « abstractions probablement inconsistantes, à coup sûr inutiles » qui ne nous rendent
pas meilleurs (Ep. XIX-XX 117.20). « Que gagne-t-on en effet à résoudre laborieusement
des énigmes qu’on a soi-même composées pour les résoudre ? » (Ben. V 12.2)
Néanmoins, pour clore sur une note positive cette critique impitoyable de la dialectique,
Sénèque ajoute, dans la suite immédiate du passage que nous venons de lire, que les
exercices de logique ne sont pas dépourvus de toute valeur, puisqu’ils permettent, à celui
qui s’y adonne, d’exercer sa finesse d’esprit. Dans l’introduction au sixième livre des
Bienfaits, Sénèque écrit à son ami Aebutius Liberalis, le destinataire de l’ouvrage : « Il y a
des questions, Liberalis, homme bon entre tous, qu’on étudie uniquement pour exercer
l’esprit, et qui toujours demeurent en dehors de la vie pratique ; il y en a dont l’étude
divertit et dont la solution profite » ; or, « même avec les choses qu’il est oiseux d’étudier à
fond, il est utile de faire connaissance » (Ben. VI 1.1). En ce sens, comme il le dit encore
au livre suivant, les sciences qui sont là pour « charmer le loisir » sont permises à qui sait
ce qu’il doit savoir pour vivre en honnête homme : elles lui sont accordées comme autant
« d’excursions vers des spéculations qui assouplissent l’intelligence, mais ne la musclent
pas » (Ben. VII 1.7). Comprenons-nous bien, la spéculation n’est pas un simple à-côté, et
nous avons assez insisté sur l’intérêt de Sénèque pour la physique pour qu’il ne soit pas
nécessaire de revenir longuement sur ce point. C’est que, d’après lui, la vertu « prépare
l’âme à la connaissance des réalités célestes et la rend digne de participer à l’existence
divine » ; l’âme parfaite est celle qui, méprisant toute bassesse, « gagne les hauteurs du ciel
et pénètre jusque dans les replis intimes de la nature » (Quaest. nat. I pr. 6-7). Partant,
Chapitre 2 : Sénèque 68

l’étude de la nature a une incidence des plus favorables sur notre vie morale, puisqu’elle
nous invite, par la contemplation des choses élevées, à suivre la voie de l’unique bien, celle
de la vertu et de l’honnête.

7. L’unique bien, l’âme humaine et les risques de la sociabilité


Le grand axiome qui fonde toute la conduite morale est qu’il n’y a de bien que
l’honnête, réalisé par la vertu. Sénèque, en digne Stoïcien, répète constamment cette idée
dans toute son œuvre (not. Vit. beat. 4.3 et passim ; Phaedr. 140 ; Ep. VII 66.16 suiv., VIII
71.32, 74.1, IX 76.7, XIV 92.17 ; etc.). Dans la lettre 66 comme dans la lettre 92, nous
retrouvons la comparaison de la vertu avec le soleil, dont l’éclat éclipse celui de tous les
autres astres pris ensemble (voir Ep. VII 66.20 et XIV 92.5) ; car, en regard de la vertu,
tout le reste ne compte, au mieux, que pour une annexe sans importance (Ep. VII 66.35),
une adjonction qu’il n’y a pas lieu de rechercher pour elle-même (Ep. XIX-XX 117.5) et à
laquelle la vertu reste parfaitement insensible (Ep. XIV 92.24), parce qu’elle lui est
radicalement étrangère : « À lui seul l’honnête est un bien. Le bien découle de l’honnête ;
l’honnête est à lui-même sa source » (Ep. XIX-XX 118.11 ; voir Ben. V 12.5). C’est donc
une erreur de vouloir lui comparer quoi que ce soit d’autre : « Le souverain bien est
l’honnête ; et – ce qu’il faut remarquer davantage – il n’y a qu’un bien, l’honnête, tous les
autres étant faux et bâtards » (Ep. VIII 71.4). En ce sens qu’il n’y a rien de droit que la
droiture (Ep. VII 68.8, .28 et .32-33), comme l’exprime la formule que nous avons
également rencontrée chez Cicéron, et d’après laquelle la vertu « possède ses nombres au
complet » : elle ne peut ni croître ni s’altérer, pas davantage que la vérité (Ep. VIII 71.16).
Puisqu’il en est ainsi, Sénèque, tout naturellement, rejette la thèse de « l’ancienne école
académique », qui distingue la vie simplement heureuse de la vie la plus heureuse. Tout de
même que, pour l’Arpinate, être heureux, c’est comme être innocent : on l’est ou on ne
l’est pas (Tusc. V 41), pour Sénèque également, le bonheur est entier ou n’est pas (Ep. VIII
71.18), le souverain bien étant parfaitement immuable (Ep. VIII 74.26). Nous comprenons
ainsi pourquoi, comme le déclare Sénèque à l’adresse de son ami Liberalis dans Les
bienfaits, « à reculer, si c’était possible, le jour de ta mort, tu ne gagnes rien en fait de
bonheur, car un délai ne rend pas la vie plus heureuse, mais plus longue » (Ben. V 17.6).
Dans ces conditions, il est absurde de parler d’une vie qui serait « heureuse » sans être
parfaitement heureuse, sous peine de créer indûment « des gradations à l’infini dans le
souverain bien » (Ep. XI-XIII 85.19-23). Comme il le dit encore dans La constance du
sage, il ne saurait y avoir de demi-mesure en cette matière, puisque « la Fortune triomphe
de nous si nous ne triomphons pas d’elle entièrement » (Const. sap. 15.3 ; comparer avec
Med. 520, où la Colchidienne affirme fièrement qu’elle a toujours dominé sa Fortune). La
théorie vétéro-académicienne des degrés du bonheur est encore critiquée dans la lettre 92,
où Sénèque la rapproche de la position de son coreligionnaire, le stoïcien Antipater, qui
« dit qu’il accorde une influence aux biens extérieurs, mais tout à fait légère » (Ep. XIV
92.5). Pourtant, répète-t-il, aucun élément étranger à la vertu ne peut, du fait même de son
extériorité, affecter de quelque manière que ce soit la vertu en elle-même ; et voilà
pourquoi, quand la vertu rencontre des obstacles, « elle brille moins, sans être moindre »
(ibid. .18).
Chapitre 2 : Sénèque 69

Étant parfaite et inaltérable, la vertu est du même coup caractérisée par son unité –
« Toutes les vertus existent simultanément » (Ep. XIX-XX 113.14) – , en dépit des
circonstances qui la particularisent (Ep. VII 66.7) et rendent compte de la pertinence de la
quadripartition classique que reprend brièvement Sénèque dans la lettre 120, où il montre à
la fois les spécificités des « occurrences » de la vertu, et l’unité de fond qui relie celles-ci :
« La vertu, on la divisa en quatre : il fallait réfréner les désirs, comprimer les frayeurs,
prévoir les décisions à prendre, solder à chacun son dû : notre esprit conçut tout ensemble
les notions de tempérance, de courage, de prudence, de justice ; et chaque vertu se voyait
assigner son office. À quoi donc a-t-on reconnu la vertu ? Ses marques révélatrices étaient
l’ordre établi par elle, la bienséance, la constance dans ses principes, l’harmonie régnant en
toutes ses actions et cette grandeur d’âme qui se rend supérieure à tout événement » (Ep.
XIX-XX 120.11). En raison de cette unité qui la caractérise foncièrement, « la vertu
confère l’égalité à tout ce qu’elle avoue pour sien, ibid. .44), et c’est pourquoi le bonheur
dépend intégralement d’elle. Inversement, le malheur est tout entier dans le vice, et de là
cette formule qui synthétise, d’une certaine manière, l’éthique de Sénèque et de ses
confrères stoïciens : « Sachons qu’il n’est de mal que ce qui est malhonnête, de bien que ce
qui est honnête ; que cette norme nous serve à mettre de l’ordre dans les actes de notre vie ;
que cette maxime serve de règle à toute notre conduite et à tous nos jugements » (Ben. VII
2.2).
Puisque le vice est le seul véritable mal, nous retrouvons chez Sénèque, comme
d’ailleurs chez Cicéron, le thème platonicien du criminel malheureux, qui ne doit pas
attendre d’être jeté en prison pour recevoir la punition de sa faute, mais dont le vice même
forme le châtiment (Ep. XI-XIII 87.24 ; voir également Ir. II 30.2 et III 26.2), quelque
succès qu’il puisse rencontrer par ailleurs : « Pour qui commet une faute, le premier et le
plus grand châtiment, c’est de se trouver en faute ; pas un crime, dût la Fortune le décorer
de ses dons, le protéger, le couvrir, ne demeure impuni, le supplice du crime étant dans le
crime même » (Ep. XVI 97.14). Voilà pourquoi la nourrice de la tragédie peut parler à
Phèdre en ces termes : « Quand bien même la faveur complice des dieux cacherait ton
infâme adultère, quand bien même ta lubricité aurait la chance de trouver la complaisante
fidélité que n’obtiennent jamais les grands crimes, oublies-tu le châtiment immédiat que
sont les alarmes d’un cœur coupable, une âme remplie de sa faute et qui se redoute elle-
même ? » (Phaedr. 159-163)
Conformément à la logique de cette doctrine, Sénèque peut affirmer qu’aucun
« malheur » à proprement parler ne peut frapper l’homme de bien, celui que la Providence
offre aux coups du sort pour le donner en exemple : grâce à lui, dit le dieu, « tous les
hommes sauront que ce ne sont pas là des maux, dès lors que j’ai jugé bon d’en gratifier un
Caton » (Prou. 3.14). Celui qui est malheureux ne l’est que par sa faute (voir encore Ep.
VIII 70.15), qu’il soit ouvertement vicieux ou qu’il juge erronément de sa situation et
tienne pour des malheurs les désagréments que lui inflige la Fortune. C’est que telle est la
situation de bien des hommes, qui ne mesurent pas combien ils ne sont malheureux que
parce qu’ils croient l’être : « Tu ne comprends pas », écrit Sénèque à son ami Lucilius,
« qu’il n’y a, dans ce qui t’émeut, pas d’autre mal que ton indignation et tes plaintes » (Ep.
XVI 96.1 ; voir également Marc. cons. 19.1). Aussi bien personne n’est fondé à se plaindre
de ces « maux qui n’en sont réellement qu’autant qu’on les supporte mal » (Prou. 4.16 ;
Chapitre 2 : Sénèque 70

voir encore Ep. IX 78.13) ; et c’est notre sottise qui est en cause, cette erreur de jugement
qui « va si loin que ce n’est pas seulement la souffrance qui nous ronge, mais l’idée de la
souffrance » (Const. sap. 5.2).
Puisque notre bonheur dépend de nous, nous devons nous exhorter et suivre encore cet
autre conseil que donne Sénèque à Lucilius dans ses Questions naturelles : chaque fois que
le sort vous est contraire, recommande-t-il, dites-vous « que vous n’êtes pas malheureux, si
vous ne croyez pas l’être » (Quaest. nat. III pr. 15). Et, dans ses lettres, il ordonne – et il
nous paraît que ce mot est tout indiqué, dans la mesure où il désigne non l’ordre d’un chef,
mais l’ordonnance d’un médecin – à son ami d’être à lui-même la cause de son bonheur :
« Fais-toi heureux toi-même. Tu le seras, si tu reconnais que le bien, c’est ce qui est
pénétré de vertu ; le mal, ce à quoi le vice est mêlé » (Ep. IV 31.5 ; voir encore Ep. XVI
98.2). De fait, « on brise la violence de ses maux et on les allège quand on les supporte
d’une âme égale » (Herc. oet. 231-232), puisque, à bien juger des choses, on doit
s’apercevoir que « rien n’est grave lorsqu’on le prend bien, et rien n’est irritant que ce dont
notre irritation se fait une montagne » (Ep. XIX-XX 123.1).
C’est donc une erreur de croire qu’il est possible de soulager ses maux à force de
voyages par exemple, car la vraie source de nos maux est au-dedans de nous (voir Tranqu.
anim. 2.12-15), et « le mal n’est pas dans les choses, il est dans l’âme » ; c’est d’elle dont il
dépend, et non des conditions extérieures : Sénèque compare le malheureux au malade, qui
ne se trouve pas mieux quand il est placé sur un lit en or, ni plus mal sur une couche en
bois (Ep. II 17.12 ; voir également V 50.4). Puis donc que notre peur rend effrayantes des
réalités qui ne le sont pas (Ep. III 24.12), et que « ce n’est pas le dommage qui afflige,
mais l’idée d’un dommage » (Ep. V 42.10), Sénèque donne à Lucilius ce conseil : « Tu
n’as pas sujet de croire que rien au monde doive t’effrayer. Il n’y a que chimère en tout ce
qui nous émeut, nous consterne » (Ep. XIX-XX 110.5) ; qui veut le bonheur doit
comprendre que, parce que celui-ci tient à la seule vertu, il peut le trouver dans toute
situation, à condition de commencer par n’en tenir aucune pour intolérable (Tranqu. anim.
10.1).
Les « biens » comme les « maux » extérieurs se révèlent donc incapables d’exercer une
influence sur notre bonheur, qui tient tout entier à nos dispositions morales ; partant, la
vertu ou le vice sont foncièrement indépendants du résultat qu’ils obtiennent et qui peut,
lui, être affecté par des éléments extérieurs. La seule chose qui compte, au regard de la vie
morale, est dont l’intention. Comprenons-nous bien, ‘intention’ correspond ici à animus,
c’est-à-dire très exactement la disposition d’esprit : il ne s’agit pas seulement de l’intention
de faire telle ou telle chose, mais, plus profondément, de la structure même de l’acte en
tant qu’expression de la forme de l’âme. En ce sens, nous pouvons comprendre
correctement cette remarque des Lettres à Lucilius : « Bien conseillé, on fera ce qu’il
convient, je l’accorde, mais c’est encore trop peu, puisque le mérite n’est pas dans ce qu’on
fait, mais dans la manière d’agir » (Ep. XV 95.40). Voilà pourquoi « tout crime, avant
même d’être consommé, est accompli dans la mesure où il engage la responsabilité de son
auteur » (Const. sap. 7.4). Nous voyons aussi pourquoi, aux yeux du stoïcien Sénèque, le
proverbe bien connu d’après lequel l’occasion ferait le larron est erroné : l’occasion ne fait
pas le larron, elle le révèle, car le larron est tout entier ce qu’il est par la disposition de son
Chapitre 2 : Sénèque 71

âme. « On est brigand avant même de souiller de sang ses bras, parce que l’on est déjà
armé en vue de tuer et que l’on a l’intention de détrousser et de donner la mort ; l’acte n’est
que la mise en œuvre et la manifestation de la méchanceté, il n’en est pas le
commencement » (Ben. V 14.2). Quand Créon rechigne à accorder à Médée un délai avant
de la chasser de Thèbes, il se justifie en observant qu’ « un méchant n’a jamais trop peu de
temps pour nuire » (Med. 292) ; il ne croit pas si bien dire, car le mal est commis dès lors
que la disposition de l’âme est pervertie et portée au crime.
Inversement, dans cette perspective intellectualiste (elle ne saurait être, à proprement
parler, volontariste, selon ce que nous avons dit du volontaire chez Cicéron) ou le bien et le
mal dépendent de l’intention, c’est-à-dire de l’état d’esprit du sujet, « on n’est pas coupable,
quand on ne l’est pas délibérément », comme le dit la nourrice à Déjanire (Herc. oet. 886 ;
Hyllus lui assure également que « l’erreur est exempte de crime » en id. 983 – mais
attention toutefois, nous verrons plus loin en quel sens l’erreur peut être fautive). La
grandeur comme la bassesse ne réside donc nullement dans les objets qui les concrétisent,
mais dans l’intention qui les porte : « C’est l’intention qui grandit les petites choses, donne
du lustre à ce qui n’en a pas, (…) ; en eux-mêmes, les biens qui sont l’objet de nos désirs
ont une nature indifférente, qui n’est ni celle du bien ni celle du mal : il s’agit de savoir la
direction que leur imprimera la pensée ordonnatrice qui donne aux choses leur forme
réelle » (Ben. I 6.2). Ce n’est pas un hasard si cette réflexion est tirée des Bienfaits, car l’un
des enjeux majeurs de ce traité est de mettre en évidence le fait qu’un bienfait ne mérite à
proprement parler ce nom que s’il est évalué d’après l’intention du sujet qui l’accorde (ibid.
II 31.1, V 3.3, VII 14.6 ; voir également Ep. X 81.5), et non d’après le statut social de ce
dernier, par exemple (voir Ben. III 18.2).
Il faut ici se garder d’une erreur d’interprétation : si les conditions extérieures de la
réalisation d’un acte sont indifférentes à la moralité de celui-ci, cela ne signifie pas qu’une
éthique de l’intention, au sens où nous venons de voir que celle de Sénèque en est une,
serait une éthique égoïste : nous venons d’évoquer la question des bienfaits ; rappelons
également, puisque Sénèque rejoint incontestablement Cicéron sur ce point, que la vertu de
justice exige non seulement de se garder pur de toute initiative injuste, évidemment, mais
réclame aussi une opposition active à l’injustice : « Que c’est peu de ne pas nuire à qui l’on
doit faire du bien » (Ep. XV 95.51), écrit en ce sens Sénèque, qui, dans ses Troyennes,
prête à Agamemnon une réflexion similaire, « car ne pas empêcher un forfait, quand on le
peut, revient à l’ordonner » (Troad. 291). Si la droiture est donc indépendante du succès,
elle n’en est pas moins une intention agissante.
Aussi, puisque le succès n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’évaluer la
qualité morale d’une action, et puisque, nous l’avons dit aussi, la vertu « possède ses
nombres au complet » et est à même de garantir le bonheur, cette vertu est à elle-même sa
propre récompense (Vit. beat. 9.4 ; Ben. IV 1.3), de même que le vice était son propre
châtiment. « Le profit authentique de nos bonnes actions consiste à les avoir faites, et il n’y
a point de digne récompense à nos vertus en dehors d’elles-mêmes » (Clem. I 1.1) ; et,
nous l’avons vu, la gloire n’est pas un objectif qui mérite d’être poursuivi pour lui-même.
Pour autant, « une action ne laisse pas nécessairement d’être désirable en soi lorsqu’un
profit extérieur y est, par surcroît, inséparablement attaché » (Ben. IV 22.4). Or c’est
Chapitre 2 : Sénèque 72

justement le cas de la vertu, toujours accompagnée, nous dit Sénèque, de la gloire. En ce


sens, « il est naturel à la vertu d’aimer la gloire » (ibid. III 36.1).
Quoiqu’elle puisse, en effet, nous attirer l’inimitié, la vertu va nécessairement de pair
avec une gloire authentique, qui ne correspond pas toujours à la faveur du nombre : « La
gloire est l’ombre de la vertu ; même en dépit d’elle, elle l’accompagnera » (Ep. IX 79.13).
Cela étant, nous comprenons le sens de cette remarque des Bienfaits, selon laquelle « la
gloire s’attache de préférence à ceux qui la fuient » (Ben. V 1.4) : la véritable gloire,
inséparable de la vertu, est la compagne de ceux que toute leur âme porte vers cette
dernière, tandis que ceux qui recherchent avidement la gloire ne poursuivent que sa vaine
contrefaçon, la popularité. Parfois, la vraie gloire ne se manifeste que tardivement, le
temps pour l’opinion contraire du grand nombre de se déliter ; et Sénèque, dans la suite de
la lettre 79, observe que cette « ombre » qu’est la vraie gloire accompagnant la vertu, se
comporte en tous points comme une ombre au sens propre : inséparable de ce dont elle est
l’ombre, elle est tantôt devant, tantôt derrière celui qui la projette. Parfois la gloire ne se
révèle qu’après-coup, lorsque l’envie s’est tue. Et voilà pourquoi, tôt ou tard, « aucune
vertu ne demeure cachée ; le fût-elle pour un temps, c’est sans inconvénient pour elle. Le
jour viendra qui, des ténèbres où la malveillance des contemporains la tenait ensevelie, la
tirera pour la manifester au monde » (Ep. IX 73.17).
De même qu’elle est toujours glorieuse à défaut d’être populaire, la vertu est toujours
utile (Ep. VII 66.21), mais non toujours sans dommage : celui qui agit vertueusement rend
un grand service à l’humanité comme à lui-même, mais cette utilité ne signifie pas qu’elle
lui évite les peines et les dangers de toutes sortes (Ep. IX 76.19). Voilà pourquoi Sénèque
peut dire que « c’est en foulant aux pieds l’intérêt qu’il faut aller » à l’honnête ; « où qu’il
nous appelle, où qu’il nous envoie, nous ne devons ni songer à notre patrimoine, ni
quelquefois ménager le moins du monde notre sang pour y marcher, ni jamais lui refuser
notre obéissance » (Ben. IV 1.2). Parce que ce n’est pas là que réside l’utilité du bien, mais
dans sa capacité à réaliser le bonheur ; et, puisqu’il en est ainsi, « quelle est, en vérité, la
vertu qui n’a pas d’utilité ? » (Ben. IV 20.1).
*
Résidant tout entière dans la droiture, la vertu se définit aussi comme raison, car c’est
elle qui permet d’appréhender la nature de l’honnête et qui, dans la perspective
intellectualiste des Stoïciens, est responsable de l’appréhension du bien. « On ne conçoit
pas le bien sans la raison », écrit Sénèque ; « or la raison suit la nature. Qu’est-ce donc que
la raison ? L’imitation de la nature. Quel est le souverain bien de l’homme ? Une conduite
conforme au souhait de la nature » (Ep. VII 66.45). L’homme, par conséquent, est bon « si
sa raison est développée dans toute sa rectitude, en harmonie avec les aspirations de sa
nature. Voilà ce qu’on appelle la vertu, voilà l’honnête, c’est-à-dire l’unique bien de
l’homme. Puisque la raison seule rend l’homme parfait, seule aussi, elle le rend
parfaitement heureux ; et son unique bien est ce qui seul lui confère le bonheur » (Ep. IX
76.15-16). Partant, le seul moyen dont dispose l’homme pour échapper au pouvoir de la
Fortune et se rendre heureux, c’est de suivre le précepte delphique et de se connaître, c’est-
à-dire de se connaître et de connaître la nature (Ep. X 82.6). « Être heureux, c’est avoir un
jugement droit ; être heureux, c’est se contenter du sort présent, quel qu’il soit, et aimer ce
Chapitre 2 : Sénèque 73

que l’on a ; être heureux, c’est laisser à la raison le soin de donner son prix à tout ce qui
constitue notre existence » (Vit. beat. 6.2). Pourquoi cela ? mais parce que cela correspond
à notre nature d’êtres humains : « À ceux qui ont pour lot une nature raisonnable, que
proposer de mieux que la raison ? » (Vit. beat. 13.5), que cette raison qui permet de
triompher de tous les obstacles de la Fortune, de les abaisser et de les surmonter ? (voir
Tranqu. anim. 10.4).
Si la vertu est raison, elle prend la forme de la prudence ou de la prévoyance en
évaluant correctement les choses, de telle sorte que rien d’inattendu ne la trouble ni ne
l’abatte : « On entend parfois dire aux incultes : ‘J’étais sûr que ce coup m’arriverait.’ Le
sage sait toujours que le coup devait lui arriver ; quoi qu’il advienne, il peut dire : ‘Je le
savais’ » (Ep. IX 76.35) ; s’il peut s’exprimer ainsi, ce n’est pas qu’il avait connaissance de
l’avenir, mais parce que, sachant que cette épreuve de la Fortune était possible, il
l’attendait de pied ferme. Aussi n’y a-t-il « rien qu’on ne soit tenu de prévoir » (Ep. XIV
91.4), de manière à ne jamais pouvoir dire ce que disent souvent les insensés : « Je n’y
avais pas pensé ». Tu n’y avais pas pensé ? demande alors Sénèque, « et pourquoi pas ? »
(Tranqu. anim. 11.9, et la suite ; voir également Marc. cons. 9.5). « Fabius », le Cunctator,
écrit-il encore, « disait que la plus pitoyable des excuses, pour un général, était : ‘Je ne
l’aurais jamais cru’ ; elle l’est, à mon sens, tout autant pour tout homme » (Ir. II 31.5).
Mais alors, comme il s’agit de se montrer prévoyant et de s’attendre à tout ce qui peut
arriver, n’est-il pas judicieux de recourir à la divination afin de n’être jamais pris en
défaut ?
Sénèque, à vrai dire, n’a guère de goût pour la divination qui nous permettrait de savoir
si la conjoncture est favorable, ou si, n’étant pas propice, nous devons nous attendre à
quelque revers de fortune. En réalité, dit-il, il vaudrait mieux « qu’on m’apprenne que,
quelle que soit la position [des astres], ils sont propices et immuables » (Ep. XI-XIII
88.14) : puisque le bien comme le mal ne dépendent que de nous, pourquoi voudrions-nous
connaître les événements à venir, d’autant qu’ils se produiront inéluctablement 1

1
Ce point appelle des développements que nous n’entreprendrons pas ici, en dehors de la question de la
prière, qui appelle quelques observations, puisque la doctrine de Sénèque ne paraît pas assurée sur ce point.
Les destins sont absolument immuables, écrit-il à Marcia, et « nos vœux comme nos peines sont inutiles »
(Marc. cons. 21.6 ; voir Pol. cons. 4.1 ; Quaest. nat. III 29.8 ; Herc. fur. 519 ainsi que le chant du chœur en
Oed. 980 suiv., et spécialement 991-992 : « L’ordre des événements se suit pour chacun sans qu’aucune
prière puisse altérer son immutabilité » ). Critiquant pourtant le point de vue épicurien dans ses Bienfaits, il
note que les présents des dieux sont quelquefois accordés à notre prière (Ben. IV 4.2 ; mais, en ibid. V 25.4,
« nos vœux opèrent non comme des prières, mais comme des avertissements »). À propos des demandes
adressées, les rites d’expiation et de procuration (Quaest. nat. II 33.1 suiv.), il demande à Lucilius de lui
permettre « de soutenir la doctrine rigide de ceux qui accueillent ces pratiques avec un sourire et n’y voient
qu’un moyen de rassurer une âme malade ». « Les destins », poursuit-il, « font prévaloir leur autorité
autrement qu’on ne croit. Aucune prière ne peut les toucher. Ils ne se laissent détourner de leur route ni par la
piété, ni par la faveur » (Quaest. nat. II 35.1-2, et voir la suite du développement où le destin est comparé à
un fleuve qui ne revient jamais sur lui-même, 35-36). Toutefois – et ceci est particulièrement intéressant –,
Sénèque est en même temps de l’avis de ceux qui sont convaincus de l’utilité des cérémonies : « Les vœux
sont utiles, nous le reconnaissons nous aussi ; mais ils le sont sans que cela porte atteinte à la force et à la
puissance du destin. Il y a en effet des dispensations que les dieux immortels ont laissées en suspens ; ils les
font tourner à l’avantage de l’adorateur qui, à cet effet, leur adresse une prière ou formule un vœu. En ce cas,
Chapitre 2 : Sénèque 74

(ibid. .15) ? Sénèque n’est donc pas en train de dire que la divination est fausse, purement
et simplement (au contraire, voir Quaest. nat. II 32.1-3 et .5 ; voir également ibid. VII
30.3), mais il dénonce les faux prophètes qui parlent indûment de conjonctions néfastes, et
il désamorce la stratégie de ceux qui appuient leur prévoyance sur la mantique plutôt que
sur la raison. Car c’est dans la raison, qui constitue le fonds même de son humanité, que
l’homme doit trouver la voie qui, seule, peut le conduire au bonheur.
Pour le stoïcien Sénèque, en effet, l’homme est tout entier dans son âme, une âme
rationnelle prisonnière d’un corps qu’elle traîne avec elle et qui l’embarrasse : « Qu’est-ce
que notre corps ? Un poids sur l’âme pour son supplice », et un poids qui l’oppresse ;
heureusement, la philosophie permet à l’âme de s’élever en contemplant le monde (Ep. VII
65.16). Soit dit en passant, nous comprenons aisément pourquoi, dans cette perspective, le
sage ne se soucie pas le moins du monde du sort réservé à son cadavre, qui ne lui importe
pas davantage que celui réservé aux poils de la barbe qui vient d’être rasée ou aux cheveux
coupés (voir Ep. XIV 92.34-35).
Si le corps est à ce point extérieur à l’essence de l’homme, il est naturel que l’âme voie
en lui un obstacle dont elle se passerait volontiers, comme l’écrit Sénèque à Marcia :
« Jamais les âmes supérieures ne se plaisent dans ce séjour du corps : elles brûlent de fuir,
de s’évader, elles supportent impatiemment leur prison » (Marc. cons. 23.2 ; voir
également la suite de ce passage). C’est encore dans ce texte que le philosophe latin
prolonge le thème platonicien du corps comme tombeau de l’âme en déclarant que les
éléments qui composent le corps « ne sont, pour l’âme, qu’entraves et ténèbres », et ne sont,
tout au plus, qu’une image de qui nous sommes véritablement (ibid. 24.5). Aussi, pour
consoler cette amie de la perte de son fils, Sénèque lui remontre que, loin d’avoir péri, le
jeune homme s’est libéré d’une pénible servitude, s’en allant « tout entier » pour ne laisser
derrière lui qu’un cadavre qui n’est pas davantage lui-même que les vêtements dont il était
vêtu du temps de son séjour sur terre (Marc. cons. 25.1).
Cette étrangeté de l’homme à son corps constitue, par ailleurs, le soubassement de la
pensée de Sénèque sur l’esclavage, qu’il ne remet certes pas en cause, mais dont il marque
les limites en soulignant l’égalité de fond entre tous les hommes (voir Ben. III 18 suiv.),
puisque « c’est une erreur de croire que la condition servile pénètre l’humain tout entier : la
partie la meilleure reste en dehors » ; le corps peut appartenir à un maître, mais non l’âme
(ibid. 20.1). La véritable noblesse réside ainsi dans la disposition de l’âme, qui, seule, doit
être prise en considération pour juger d’un homme : le véritable esclave n’est pas celui
dont le corps est soumis au pouvoir d’autrui, mais celui dont l’âme est captive de ses
propres vices (ibid. 28.1 ; voir aussi, en partic. 28.5) ; quant au reste, pour ce qui est de

cette faveur n’est pas contre le destin ; elle fait elle-même partie du destin », et de réfuter l’alternative : cela
se fera ou pas, qu’il y ait ou non des prières, un point c’est tout – cela ne vaut pas, dit Sénèque, car il peut se
faire que « telle chose arrivera, mais à condition que des vœux aient été faits à son sujet ». Mais cela aussi
n’est-il pas compris dans le destin ? Sénèque propose de reparler plus tard de cette question, qui s’éloigne du
point d’où il était parti (Quaest. nat. II 37-38). Hélas, rien qui nous soit parvenu n’indique que la question ait
été reprise par lui, et il ne donne pas de solution au problème du déterminisme, laissant en suspens la réponse
à cette exclamation de Jocaste : « C’est la fatalité qui a causé ce crime, et la fatalité ne saurait rendre
coupable ! » (Oed. 1019).
Chapitre 2 : Sénèque 75

notre corps, nous avons tous la même origine, et « celui qui vante sa race ne se targue que
du mérite d’autrui » (Herc. fur. 340-341)1.
Tout étranger que soit le corps à ce qui fait de nous des êtres humains, il ne s’agit pas de
l’oublier purement et simplement en cours de route, pour reprendre l’expression de
Cicéron (voir Fin. IV 26), et c’est pourquoi, comme nous allons le voir à présent, Sénèque,
là encore, ne méprise pas la manière ordinaire de parler. Le mépris du corps, assurément,
est gage de liberté : « Le grand motif de ne pas se plaindre de la vie, c’est qu’elle ne retient
personne. Tout est bien dans les choses humaines dès que nul ne reste malheureux que par
sa faute » (Ep. VIII 70.15) ; et celui à qui le grand spectacle du monde ne plaît pas ou ne
plaît plus ne doit pas se plaindre, puisqu’il sortira par où il voudra (Ep. XIV 91.15), quelle
que soit la situation où il se retrouvera : menacée par Thésée de n’avoir pas à sa disposition
de moyen pour mettre fin à ses jours (Phaedr. 877), Phèdre lui rétorque que, « quand on
veut mourir, la mort ne saurait vous échapper » (ibid. 878). Toutefois, il faut distinguer le
mépris du corps de son rejet pur et simple ; entre les deux, il y a un pas que ne fait pas
Sénèque, pour qui le corps est tout ce que nous avons dit, certes, mais est aussi notre destin
aussi longtemps que nous vivons auprès de lui. « Le bonheur achevé de la nature
humaine », va-t-il même jusqu’à écrire, « est entièrement contenu dans la paix du corps et
de l’âme » (Ep. VII 66.46).
C’est pourquoi, adoptant un langage résolument « ordinaire », Sénèque parle des biens
du corps comme de véritables biens au regard du corps : dans l’absolu, ce ne sont pas des
biens, évidemment, car, s’ils ne sont pas sans prix, ils n’ont pas la dignité qui fait le bien
véritable (Ep. VIII 71.33). Aussi, si nous voulons être heureux, nous devons résolument
« sacrifier beaucoup de ces objets auxquels nous nous donnons complaisamment, les
prenant pour des biens » (Ep. VIII 74.12). Hors la vertu – redisons-le car Sénèque le répète
à moult reprises lui aussi –, « tous les autres biens sont d’opinion. S’ils ont la même
appellation que les véritables biens, ils ne possèdent pas la marque distinctive du bien.
Tenons-les donc pour des commodités que nous appellerons, pour le dire en notre langue,
choses préférables » (Ep. VIII 74.17).
Ce qui est remarquable, dans ce passage que nous venons de lire, c’est que Sénèque ne
conteste pas la légitimité du langage ordinaire, mais réfute les conclusions indues que nous
aurions tort d’en tirer en le suivant trop docilement dans les implications qu’il suggère : les
« biens » du corps sont qualifiés de ‘biens’ ? à la bonne heure, mais qu’on ne les confonde
pas avec les biens authentiques. Cela rejoint ce que nous disions plus haut à propos de la
« pénurie de langage » qui conduisait à appeler ‘bienfait’ l’acte et l’objet : seul le premier,
en vertu de l’intention qui préside à son accomplissement (dût-il ne jamais aboutir
concrètement), est un bienfait au sens propre. Il ne s’agira pas de refuser à l’objet sur
lequel porte cet acte le nom de ‘bienfait’, mais de ne pas se laisser abuser par le langage.

1
Sur ce point toutefois, il semble que Sénèque ne tienne pas toujours un discours aussi net, puisqu’il estime
qu’un homme peut être « couvert » par les mérites de ses ancêtres (Ben. IV 30), ce qui – osons le mettre en
cause sur un seul point pour mieux lui donner notre approbation pour tout ce qu’il écrit par ailleurs de
manière générale – n’est pas cohérent, puisqu’il écrit très justement, dans son traité sur La colère, que « rien
n’est plus injuste que de faire le fils héritier de la haine encourue par le père » (Ir. II 34.3) : le fils ne sera
donc pas davantage préservé par la vertu de son père qu’il ne sera condamné pour les vices de celui-ci.
Chapitre 2 : Sénèque 76

L’utilisation que fait Sénèque du langage courant n’entre donc pas en opposition avec
la langue technique du Portique : il se substitue à elle quand la précision n’est pas
indispensable. Mais la terminologie spécifique développée par Zénon et ses disciples
intervient ponctuellement, chaque fois qu’il paraît opportun de contrecarrer les abus contre
lesquels le langage ordinaire ne prémunit pas suffisamment la pensée. C’est ainsi, par
exemple que, dans La vie heureuse, après avoir parlé des « préférables » que sont les
« indifférents » ayant plus de prix que les autres, Sénèque entreprend de répondre à un
contradicteur reprochant aux Stoïciens de donner un autre nom à ce que tous les autres
appellent des « biens », les richesses par exemple. Sénèque ne conteste pas tellement qu’il
s’agisse de biens (ce sont des biens relativement à la situation matérielle de l’individu,
d’après ce que nous avons dit à l’instant), mais il note que, justement, la terminologie
stoïcienne a du sens et ne fait pas double emploi avec le langage courant : en parlant de
« préférés » plutôt que de « biens » pour désigner les richesses, la langue du Portique met
le doigt sur l’abîme qualitatif qui les sépare des biens véritables, et permet ainsi de les
posséder sans risque de se laisser posséder par eux (Vit. beat. 22.4-5). C’est ainsi qu’il n’y
a pas de contradiction de fond entre la langue technique (dont nous avons vu les faiblesses
en évoquant la critique de la dialectique) et la langue courante (qui peut prêter aux abus par
« pénurie de langage ») : « Les idées courantes sont parfois contredites par celles que nous
exprimons, mais celles-ci vont par une autre voie rejoindre les premières » (Ben. II 35.2) ;
tout dépend de l’objectif visé, du contexte, en un mot : des circonstances, auxquelles il faut
être capable, nous l’avons déjà dit, de se plier.
En mettant l’accent sur la véritable nature des choses, la langue technique permet de
sauvegarder la thèse de la vertu comme seul bien, car, à proprement parler, « on prostitue
ce nom de bien, si on l’attribue au pain, à la polenta, toutes les choses qui conditionnent le
train de la vie » (Ep. V 45.10). Il est clair que celui qui prête généreusement ce nom à
d’autres choses que la vertu peut être pris en défaut s’il s’embarrasse dans les filets d’une
argumentation en bonne et due forme : « Si tu admets cette opinion, qu’il existe un autre
bien que l’honnête, tu mets toutes les vertus à la gêne ; aucune ne se maintiendra, si elle se
préoccupe de quoi que ce soit en dehors d’elle-même » (Ep. IX 76.22) ; de même,
« l’homme qui préfère quoi que ce soit à la vertu ou croit à l’existence de quelque bien en
dehors d’elle ouvre le pli de sa toge aux dons que sème la Fortune » (Ep. VIII 74.6). Et de
reprendre le thème que nous avons déjà suffisamment développé dans ces pages :
« Quiconque aura résolu d’être heureux ne devra reconnaître qu’un bien, l’honnête »
(ibid. .10)…
Si Sénèque insiste à ce point sur ces questions, c’est que, comme nous le comprenons
suffisamment par tout ce qui précède, seul celui qui tient fermement ces conclusions peut
accéder à l’invulnérabilité. Pour le reste, tout est au pouvoir de la Fortune ; par conséquent,
« si le for intérieur est prémuni, on peut battre la place, on ne l’emporte pas » (Ep. VIII
74.19). Nous trouvons ici le thème fameux de la citadelle intérieure1 : « Que la philosophie
dresse tout autour de nous une forteresse inexpugnable », écrit Sénèque à Lucilius, une
forteresse « que la Fortune peut battre de toutes ses machines de guerre sans parvenir à s’y
ouvrir un passage. Elle occupe une position insurmontable, l’âme qui a évacué les choses

1
Plus tard, chez Marc Aurèle, voir en particulier VIII 48 (ou encore IV 3, sur la retraite au sein de l’âme).
Chapitre 2 : Sénèque 77

du dehors, pour se donner son indépendance au sein de sa citadelle : tout projectile tombe
au-dessous d’elle » (Ep. X 82.5 ; voir également Pol. cons. 18.1). Dans sa Constance du
sage aussi, il parle des « murailles qui protègent le sage » : elles sont, dit-il, « à l’épreuve
du feu et des assauts, elles n’ont point de brèches, elles sont immenses, inexpugnables,
aussi hautes que les dieux » (Const. sap. 6.8 ; voir Ir. III 5.8). L’homme vertueux domine
ainsi la Fortune du haut de la citadelle de l’honnête : plus qu’un « dieu parmi les hommes »,
comme le dit Épicure dans sa Lettre à Ménécée, le sage est celui qui est vraiment homme
parce qu’il vit à la hauteur des dieux, dont il ne se distingue, nous l’avons vu, que par la
durée1.
Invulnérable, en effet, ne signifie pas immortel. Et moins encore éternel. À propos de
l’immortalité, en effet, Sénèque n’est pas plus assuré que Cicéron : comme lui, il voudrait
y croire ; comme lui, il sait qu’il manque de raisons solides. « Je me plaisais », écrit-il, « à
étudier le problème de l’immortalité et, ma foi, à y croire. Je me prêtais complaisamment à
l’opinion des grands hommes dont les vues, si réconfortantes, promettent plus qu’elles ne
prouvent » (Ep. XVII-XVIII 102.2). De toute façon, que nous survivions ou non à notre vie
dans le corps, l’éternité n’est le lot que de la rationalité du monde : toute individualité est
destinée à se dissoudre dans le grand incendie – au niveau de notre planète, Sénèque parle
plutôt d’un déluge : voir le tableau saisissant qu’il en brosse dans ses Questions naturelles
(Quaest. nat. III 27 suiv.) – qui clôt chaque cycle de l’univers, lorsque « nous retournerons
nous perdre au sein des éléments premiers » (Marc. cons. 26.7).
Mais que penser de cette ignorance dans la perspective intellectualiste qui est celle de
Sénèque ? En effet, « où la raison n’a point de place, le bien n’existe pas » (Ep. XIX-XX
124.13, et encore .20) ; et, foncièrement, le mal, c’est l’ignorance : « Qu’est-ce qui est
bien ? savoir ce qui est vrai ; qu’est-ce qui est mal ? l’ignorer » (ibid. .6). Le « savoir »
dont parle Sénèque n’est pas étudié par lui du point de vue épistémologique, comme il
l’était chez Cicéron ; aussi son Stoïcisme s’accommode-t-il d’une humilité intellectuelle
que l’Arpinate juge incompatible avec les philosophies dogmatiques : par exemple, à
propos des thèses du Timée sur les raisons qui ont motivé l’artisan du monde, Sénèque
invite Lucilius à se prononcer sur ce qui lui paraît « le plus vraisemblable » ; et d’ajouter :
« Je ne dis pas la thèse la plus vraie, car pareille décision nous dépasse autant que la vérité
elle-même » (Ep. VII 65.10). De même, il parle encore en ce sens dans son dialogue sur La
retraite : « Plût au ciel que la science humaine achevée, que la vérité, mise en pleine
lumière, s’imposât par l’évidence, et que nos décrets fussent immuables ! Mais nous
cherchons la vérité, comme ceux-là mêmes qui nous l’enseignent » (Ot. 3.2). Toujours
dans le même esprit, Sénèque compare les « conjectures » que nous pouvons former ici-bas,
avec les vérités expérimentées directement par les âmes des défunts, délivrés de leur corps
(Marc. cons. 25.2). « Jamais nous n’attendons l’absolue certitude », écrit-il encore à
Aebutius Liberalis dans ses Bienfaits, « car la recherche de la vérité est ardue ; et le chemin
que nous suivons est celui de la vraisemblance. Telle est la méthode en toutes sortes de

1
Cette idée de « dieu parmi les hommes » que l’on trouve chez Épicure est également présente chez Platon :
dans le Politique, l’Étranger explique que la constitution droite, en regard des autres types de constitutions
possibles, est « comme un dieu parmi les hommes », et qu’il « faut la mettre à part de tous les autres
gouvernements » (Pol. 303b).
Chapitre 2 : Sénèque 78

tâches : semailles, navigation, (…) Nous nous guidons sur le raisonnement, ce qui ne veut
pas toujours dire sur la vérité » (Ben. IV 33.2). Voilà le point qui nous intéresse tout
particulièrement ici : vivre selon la raison, c’est vivre selon le savoir que l’on peut acquérir,
car c’est à ce prix que l’on peut être heureux. Le dieu n’excède pas seulement notre durée,
il est aussi plus savant que nous, mais nous pouvons être aussi heureux que lui malgré cela.
Nous rechercherons donc le vraisemblable, parce que, en tant qu’hommes, c’est le meilleur
moyen dont nous disposions pour suivre inlassablement les « traces du vrai » : « Les
soumettre à l’examen le plus rigoureux », écrit Sénèque dans la suite du passage des
Bienfaits que nous venons de lire, « sera le but de mes efforts, et je ne me hâterai pas d’y
ajouter foi » ; l’erreur restera possible, mais elle sera moins fréquente (Ben. IV 34.1-2).
Cette difficulté à cerner la vérité tient évidemment à nos propres limites, mais
également à la nature des choses ; et Sénèque reprend ici l’idée qui, nous l’avons vu dans
le cours de notre étude sur Cicéron, était celle de Démocrite (fr. B117 D.-K. ; voir Luc. 32 ;
Ac post. I 44 ; et Diogène Laërce IX 72), à savoir que, « enveloppée de mystère, la vérité
reste cachée au fond de l’abîme » (Ben. VII 1.5-6 ; voir également Quaest. nat. VII 32.4).
Voilà pourquoi, partant du mystère que continue de constituer notre âme, Sénèque observe
que « tant s’en faut que l’âme puisse acquérir une certitude sur ce qui n’est pas elle, qu’elle
en est encore à se chercher elle-même » (Quaest. nat. VII 25.2). Loin de toute arrogance
dogmatique, Sénèque fait preuve d’une belle réserve dans ses recherches en philosophie de
la nature, où justement Cicéron dénonçait les prétentions excessives de nombre des
philosophes : ainsi, à propos des comètes, il se demande si ses réflexions sont justifiées.
« Les dieux le savent », ajoute-t-il, « eux qui possèdent la vérité. Tout ce que nous pouvons
faire, c’est de scruter ces phénomènes et de nous avancer dans les ténèbres à l’aide de
conjectures, sans certitude, mais non sans espoir de trouver le vrai » (Quaest. nat. VII 29.3).
Et d’inviter alors ceux qui se penchent sur ces questions à montrer de l’humilité
intellectuelle, « afin de ne pas affirmer témérairement ce que nous ignorons et de ne pas
mentir impudemment à propos de ce que nous savons » (ibid. 30.1). Tout en rejoignant
l’Arpinate dans son refus des certitudes dogmatiques, Sénèque, que les questions
d’épistémologie ne préoccupent pas outre mesure, se distingue du philosophe républicain
en mettant l’accent sur notre savoir plutôt que sur notre ignorance1 ; l’un et l’autre se

1
En témoignent, par exemple, les pages splendides qu’il consacre aux progrès de la science, qui doivent nous
inviter tout ensemble à respecter ceux qui ont rendu possibles nos propres découvertes et à croire aux
développements futurs de la recherche (Quaest. nat. VI 5). Dans le septième livre des mêmes Questions
naturelles, témoignant de sa confiance dans les progrès réalisés en sciences de la nature, il annonce
prophétiquement la venue de Newton : « Un homme viendra un jour, qui expliquera dans quelles régions
courent les comètes, pourquoi elles s’écartent autant des autres astres, quelles sont leur grandeur et leur
nature. Soyons satisfaits de ce que l’on a déjà découvert, et permettons à nos descendants d’apporter aussi
leur contribution à la connaissance de la vérité » (Quaest. nat. VII 25.4-7). « La génération qui vient », dit-il
encore, « saura beaucoup de choses qui nous sont inconnues. Bien des découvertes sont réservées aux siècles
futurs, à des âges où tout souvenir de nous se sera effacé. Le monde serait une pauvre petite chose, si tous les
temps à venir n’y trouvaient matière à leurs recherches » (ibid. 30.5), et de comparer la Nature aux mystères
d’Éleusis, qui ne sont jamais révélés tout d’un coup : « Nous nous croyons des initiés ? elle nous arrête à
l’entrée » (ibid. 6). Enfin, le plus sûr moyen de se convaincre qu’il reste infiniment de progrès à réaliser est
que, alors que nous ne ménageons pas nos efforts lorsqu’il s’agit de faire progresser le vice, nous sommes
Chapitre 2 : Sénèque 79

retrouvent en montrant plus d’assurance en matière éthique, quoiqu’il ne faille jamais sous-
estimer le soubassement sceptique de la réflexion cicéronienne, nous l’avons vu.
Serons-nous donc heureux malgré notre ignorance ? Sénèque ne paraît pas s’être
spécialement inquiété de la question, car il s’agit, pour être heureux, non pas de tout savoir,
mais d’en savoir assez pour suivre la nature et obéir aux injonctions de la raison. Qu’il
subsiste en nous des imperfections n’est pas un obstacle : nous avons vu, chez Cicéron, que
la théorie des rôles permettait de comprendre que chacun devait agir d’après les
spécificités de sa propre nature. Dans le même esprit, Sénèque observe, à son tour,
qu’« aucune sagesse n’élimine dans le corps ni dans l’âme les imperfections naturelles : ce
qui est implanté en nous, né avec nous, l’art le tempère, il ne le réduit pas » (Ep. I 11.1). La
voie qui conduit à la sagesse n’est point barrée pour cela.
Si la vertu est une, en effet, nous avons vu qu’elle se particularisait d’après les
circonstances ; aussi celui qui est plus disposé à telle vertu qu’à telle autre – sa nature
individuelle est une circonstance à part entière, dont il est indispensable de tenir compte –
s’y perfectionnera-t-il de préférence, sans que son mérite soit supérieur au mérite d’un
autre homme, qui se conformera, lui aussi, aux dispositions qui lui sont propres :
« Quoique les vertus forment un chœur harmonieux et qu’aucune ne soit meilleure ou plus
belle qu’une autre, il en est néanmoins qui vont mieux à certains personnages » (Clem. I
5.3).
*
Mais alors, pourquoi le sage est-il aussi rare que le phénix, s’il n’est pas si malaisé de
suivre la voie de la nature, qui, loin de contredire la nôtre propre, l’épouse sans heurts ?
Sénèque dénonce ici « une commune démence », qui fait que les hommes se poussent les
uns les autres sur la voie du vice (Ep. IV 41.9). Nous avons vu ci-dessus que la sociabilité
de l’homme devait favoriser son développement harmonieux grâce à l’imitation des bons
modèles, qui pouvaient l’aider à s’humaniser en suivant la voie de la raison. Il est temps
maintenant d’aborder brièvement ce qui constitue, disons, le côté obscur de la vie en
société.
À l’instar de Cicéron, Sénèque pense que l’entraînement au vice remonte à notre petite
enfance, puisque même les vœux que forment les hommes pour ceux qu’ils aiment vont à
l’encontre du bien véritable chaque fois qu’ils demandent pour eux de faux biens (fortune,
etc.) en lieu et place du bien véritable. Cette idée, il la résume dans une formule terrible :
« Nous avons grandi parmi les malédictions de nos parents » (Ep. VI 60.1), non pas qu’ils
aient été mal disposés à notre endroit, mais parce que, ignorants du seul vrai bien, ils ont
contribué à nous détourner de lui : « Le culte admiratif de l’or et de l’argent, nos parents
nous l’ont enseigné ; inculquée à des êtres encore tendres, la cupidité s’est implantée et a
grandi avec nous » (Ep. XIX-XX 115.11).
Or c’est bien d’un détournement qu’il s’agit, puisque, en bon stoïcien, Sénèque est
convaincu de la bonté de la nature : nous sommes nés, dit-il, avec « les semences de toutes
les vérités morales » (Ep. XV 94.29). Un indice de cette disposition au bien et de cette

loin d’en avoir vu le bout ; que dire alors de la recherche du vrai, quand nous y mettons tellement moins
d’énergie ? De la philosophie en effet, « nul n’a cure » (Quest. nat. VII 31 suiv.).
Chapitre 2 : Sénèque 80

tendance naturelle vers l’honnête, nous l’avions vu avec Cicéron, c’étaient, par exemple,
les applaudissements unanimes que suscitait la geste d’Oreste et de Pylade (Lael. 24 ; voir
Fin. II 79 et 84). Sénèque parle tout à fait dans le même sens, lorsqu’il écrit à Lucilius
qu’« inciter les auditeurs à l’amour du bien est chose facile : la nature a mis chez tous les
fondations et le germe des vertus » ; puisque nous sommes nés pour la vertu, il suffit d’un
stimulus ad hoc pour que nous nous portions d’un même élan vers le bien que nous
reconnaissons tous également : « Ne voit-on pas, dans nos théâtres, les bravos éclater, dès
qu’y sont déclamées des sentences que l’opinion publique reconnaît pour siennes et dont le
consentement de tous atteste la véracité ? » (Ep. XVII-XVIII 108.8) ; et d’illustrer son
propos en donnant un exemple de générosité auquel applaudit jusqu’au plus avare et au
plus pingre des hommes (ibid. .9). Au passage, nous avons reconnu l’argument du
consensus, que nous retrouvons également dans une autre lettre, lorsque Sénèque affirme
que, pour les Stoïciens, le fait « qu’une chose soit crue de tous plaide en faveur de sa
vérité » (Ep. XIX-XX 117.6). Une idée qui ne s’oppose pas au soupçon qu’inspire le
jugement du grand nombre, ainsi que nous l’avons lu chez Sénèque comme chez Cicéron.
De même que tous sont naturellement portés à saluer les actes vertueux qu’ils voient
porter sur scène, de même ils condamnent à l’unisson les vices, comme le révèle une
anecdote rapportée par Sénèque dans sa lettre 115 : Euripide faisait un jour représenter une
pièce dans laquelle un personnage vantait la valeur absolue qu’avait pour lui l’argent ; on
n’avait pas plus tôt entendu ce discours au théâtre, assure Sénèque, que « l’assemblée
entière, pour chasser de la scène et l’acteur et la pièce, se dressa d’un même élan ; il fallut
qu’Euripide en personne se précipitât au milieu de la foule, demandant qu’on attendît pour
voir comment finissait cet admirateur de l’or » (Ep. XIX-XX 115.15). Cette présence
séminale de la vertu en nous se manifeste d’emblée à travers les comportements les plus
naturels de l’être humain, qui illustrent leur théorie de l’appropriation : « Aucune loi ne
nous commande l’amour de nos parents, la tendresse envers nos enfants – il est inutile, en
effet, de nous pousser dans le sens où nous allons déjà – ; aucun homme n’a besoin qu’on
l’encourage à l’amour de soi, sentiment qui lui vient dès l’instant précis où il naît ; non
plus qu’à l’amour de l’honnête en soi et pour soi. Celui-ci a un charme qu’il tient de sa
propre nature, et tel est l’ascendant de la vertu que, d’instinct, même les méchants
approuvent le bon parti » (Ben. IV 17.2 ; voir également id. V 9.1 sur l’amour de soi).
Hélas, cette tendance au bien qui est inscrite en nous est pervertie par les mauvais
exemples donnés par ceux qui nous entourent en exerçant sur nous une profonde influence,
un conditionnement au mal de grande ampleur : « On n’est pas libre, je le répète, de suivre
le droit chemin. Nos parents nous fourvoient, nos serviteurs nous dépravent. Qui s’égare ne
se met pas seul en risque : on répand la déraison sur ses entours et on la reçoit d’eux par
réciproque. Au reste, pourquoi les vices de la société se rencontrent-ils chez l’individu ?
C’est que la société les dépose en lui. On démoralise son prochain et, ce faisant, on se
démoralise. Après avoir appris le mal, on l’enseigne. Ainsi s’est constituée cette corruption
collective qui est faite de la réunion des opinions individuelles perverties » (Ep. XV 94.54).
Il y a donc, à proprement parler, une contagion du vice, qui s’étend au genre humain dans
son ensemble, dont les nouveaux membres se retrouvent infectés par ceux-là mêmes qui les
précèdent et les entourent, de sorte qu’à leur tour aussi, ils le répandront parmi ceux qui
viendront à leur suite (voir également Helu. cons. 16.3). Pire : le vice, à force d’être ainsi
Chapitre 2 : Sénèque 81

multiplié, gagne pour ainsi dire, le droit de cité ; et, au sein de l’épidémie universelle, on
songe de moins en moins à s’élever contre le mal qui ronge le genre humain tout entier
(voir Ben. III 16). Voilà pourquoi Sénèque recommande, pour briser l’influence néfaste du
vice et enrayer sa progression autant que possible, de choisir des hommes calmes et doux
pour faire d’eux les pédagogues de nos enfants, car « tout ce qui est tendre se modèle sur
ce qui l’entoure ; plus tard, les mœurs des adolescents reflèteront celles des nourrices et des
pédagogues » (Ir. II 20.9).
Ainsi donc, l’homme est un animal social à qui il incombe de s’humaniser à l’écoute de
la raison et d’après l’exemple des hommes de bien ; mais le revers de la médaille, c’est que
la société des hommes, au lieu de contribuer à ce développement harmonieux de l’individu,
peut aussi bien le pervertir en lui présentant les modèles dévoyés dont il reproduira les
défauts. Ou plutôt : dont il aggravera les défauts, au sens où, nous l’avons vu, l’imitatio est
affaire d’émulation plutôt que de reproduction pure et simple ; chaque génération étant
également capable d’être ainsi l’émule de la précédente, aussi bien dans la voie de la vertu,
que dans celle du vice. Il nous semble que l’expression la plus juste de cette tension interne
à la société, qui nous offre le meilleur et le plus nécessaire comme le pire et le plus
étranger à notre vocation d’homme, se trouve dans la Phèdre, où Sénèque met en scène un
dialogue entre la nourrice et le jeune Hippolyte : alors que la vieille femme recommande
au fils de Thésée, habitué à vivre loin de ses semblables, de suivre la nature et de la
prendre pour guide en fréquentant la ville et en recherchant la société de ses concitoyens
(Phaedr. 481-482), Hippolyte répond qu’« aucune vie n’est plus libre, plus exempte de
vices, plus conforme aux mœurs antiques que celle qui se plaît dans les forêts et s’éloigne
des murs de la ville », (ibid. 483-485). Le drame, c’est qu’ils ont raison l’un et l’autre :
l’homme naît avec les semences de la vertu, et la société, qui peut et doit l’aider à les faire
germer en lui, peut également les corrompre et le pervertir.
Sur un point, cependant, Hippolyte a tort, quand il pense que vivre à l’écart des autres
hommes lui permettra de renouer avec les vertus de l’âge d’or, quand les hommes étaient
innocents. Car il ne faut pas confondre l’innocence et la naïveté ou, comme le dit Sénèque,
« l’antique crédulité » (Const. sap. 2.3 ; voir également Quaest. nat. IVb 7.3, mais
contraster avec ibid. II 42). Le philosophe latin se montre en effet très réservé sur les
prétendues vertus de cet autrefois mythique que l’on se plaît à louer à outrance, alors qu’il
faudrait plutôt dire que les hommes de cette époque reculée n’avaient tout simplement pas
encore appris le vice (voir spécialement Ep. XIV 90.44 suiv.). Or, entre l’une et l’autre
formules, il y bien davantage qu’un simple écart verbal : « Ainsi nous arrivons à dire que
c’était leur ignorance qui faisait leur innocence. Ce sont des choses bien différentes, de ne
pas vouloir ou de ne pas savoir faire le mal. Il leur manquait la justice ; il leur manquait la
prudence ; il leur manquait la modération, la force d’âme. Il y avait quelque image de ces
vertus dans leur vie d’inexpérience : la vertu n’est conférée qu’à l’âme éduquée et instruite,
que de perpétuels exercices ont conduite au sommet de la perfection. Nous naissons pour
cette perfection, mais sans elle ; et dans le meilleur naturel du monde, avant qu’on ne
l’applique à l’étude, il y a l’étoffe de la vertu, il n’y a pas la vertu » (Ep. XIV 90.46). De
même, dans l’une des dernières lettres qui nous aient été conservées, Sénèque dit à Lucilius
que « nous n’avons pas reçu, de la part de la Nature, la science même, mais les germes de
la science » (Ep. XIX-XX 120.4) ; et la vertu, par conséquent, « est chose qui s’apprend »
Chapitre 2 : Sénèque 82

(Ep. XIX-XX 123.16). Voilà pourquoi, comme il le dit également dans son traité sur La
colère, « on ne naît pas sage, on le devient » (Ir. II 10.6).
Ainsi donc, quoique « l’état le plus voisin de la pureté est l’ignorance des crimes que
l’on a commis » (Herc. fur. 1098-1099), l’innocence prêtée aux hommes des premiers âges
du monde n’est que l’état transitoire où se manifeste leur naïveté avant qu’elle n’ait appris
ce qu’étaient vraiment le bien et le mal ; aussi « leur ignorance ne durera-t-elle qu’aussi
longtemps que leurs âmes seront encore neuves. Car la méchanceté s’insinue vite. La vertu
est difficile à trouver ; il faut, pour la connaître, un guide, un conducteur. On n’a pas
besoin de maître pour apprendre le vice » (Quaest. nat. III 30.8). Ainsi donc, même si les
germes de la vertu demeurent en nous, ils ont besoin, pour prendre de l’élan, d’être
stimulés ; or ce qui peut être aiguillonné peut aussi être dévoyé, et avec combien plus
d’aisance. De là vient que, aux yeux de Sénèque, cette « innocence » des premiers hommes,
mal préparés à cause de leur ignorance, a très rapidement été entraînée au vice par suite de
la contagion des maux dont nous parlions ci-dessus. Voilà pourquoi, loin de soupirer après
un âge d’or disparu, Sénèque ne croit pas que lui et ses contemporains soient des êtres
déchus en comparaison des hommes d’autrefois1 : les vices dont nous sommes aujourd’hui
les témoins, écrit-il, sont « les vices des hommes, et non des temps. Aucune époque n’a été
une époque d’innocence » véritable (Ep. XVI 97.1) : les hommes d’autrefois ne valaient
pas mieux que la génération actuelle, et « toute époque aura ses Clodius, mais toute époque
n’aura pas ses Catons » (ibid. .10), tant est rare le sage qui accomplit pleinement la
vocation de l’humanité. Il ne faut donc pas croire, comme certains, « que l’exclusivité du
mal pèse tout entière sur notre génération. C’était le grief qu’exprimaient nos ancêtres,
comme c’est le nôtre, comme ce sera celui de nos descendants : renversement des mœurs,
règne des méchants, humanité en décadence et sur la pente de tous les crimes… Mais le
mal demeure au même point, et il y demeurera, avec un très léger mouvement, sans plus,
en un sens ou en l’autre » (Ben. I 10.1 ; voir également la suite du passage). « J’ai
compris », dit encore Sénèque dans ses Questions naturelles, « que les vices dont souffre
notre temps, loin d’être récents, nous sont venus d’une haute antiquité » ; et, un peu plus
loin, il ajoute : « Ces fameux ancêtres, dont nous célébrons les louanges et auxquels nous
déplorons de ne pas ressembler, ont été amenés par l’espoir à percer des montagnes et à se
tenir au-dessous de roches croulantes pour chercher leur profit sous leurs pieds », comme
nous le faisons aussi nous-mêmes (Quaest. nat. V 15.2).
Autant, donc, pour l’enthousiasme d’Hippolyte, qui exalte indûment une Antiquité aussi
idyllique (voir sa description en Phaedr. 525 suiv.) qu’elle est fantasmée : Sénèque ne nie
pas qu’autrefois, « le monde, non encore épuisé, enfantait des créatures plus parfaites »,
qui étaient, selon ses propres mots, « plus proches, pour ainsi dire, de l’origine divine » (Ep.
XIV 90.44 ; voir également Ot. 5.5) ; mais ces créatures plus parfaites ont tôt fait de
déchoir à cause de leur ignorance. Aussi n’avons-nous pas à soupirer après un passé qui
n’est plus, puisque, à tout bien considérer, la sagesse est aux antipodes de cette ignorance
originelle, et ne nous est pas moins accessible qu’aux générations d’autrefois, si, jugeant

1
Contraster avec ce que dit Platon, par ex. Nom. III 679b-c, quand l’Étranger d’Athènes fait l’éloge de la
droiture, de la simplicité et de la bonté des hommes d’autrefois. Voir également une remarque du Philèbe, à
propos des « Anciens, qui valaient mieux que nous et qui étaient plus proches de dieux » (Phil. 16c).
Chapitre 2 : Sénèque 83

d’après la raison, nous considérons que « la nature ne donne pas la vertu : c’est un art que
de se rendre homme de bien » (Ep. ibid.).

8. La lutte contre les passions


La vertu est donc naturelle au sens où tout homme qui se forme à l’école de la raison,
lutte contre l’ignorance et obtient le secours de ses semblables, peut progresser sur la voie
qui conduit à la sagesse. Mais, comme nous l’avons vu, cette humanisation graduelle qui
culmine dans la figure du sage se retrouve souvent entravée par le vice, auquel l’homme
donne d’autant plus volontiers accès qu’il suit en cela l’exemple d’une société qui le
corrompt au lieu de le porter au bien, comme elle le devrait.
Et puisque l’homme est son âme, et que celle-ci est rationnelle, il lui appartient, pour se
réaliser pleinement comme homme, d’obéir en tout à la raison. Pour ce faire, il ne doit
surtout pas permettre à son âme d’être viciée en s’abandonnant aux pulsions passionnelles,
jugées essentiellement déraisonnables par Sénèque. La passion à laquelle il consacre
l’attention la plus soutenue n’est autre que la colère, autant parce qu’elle est, de toutes
celles à laquelle l’âme peut donner accès, la plus violente (voir, par ex., la description
saisissante de Med. 380-396), que parce qu’elle est le lieu par excellence où s’affrontent le
Stoïcisme et l’Aristotélisme.
En représentant fidèle du Portique, Sénèque milite pour l’extirpation complète des
passions, puisque, d’après l’anthropologie héritée de Zénon et de Chrysippe, il y a
incompatibilité radicale entre elles et la raison : « Passons-nous donc de ce mal, purgeons-
en notre âme, extirpons-le jusqu’en ses racines (…) ; ne tempérons pas la colère, mais
bannissons-la totalement : peut-on apporter quelque tempérament à une chose mauvaise ? »
(De ira, not. III 42.1). Comme le note Sénèque dans ses lettres à Lucilius, ce n’est pas tant
le goût de la mesure qui lui inspire ce rejet catégorique des passions que le désir de
« sauvegarder notre santé mentale » (Ep. II 18.15). Si donc Sénèque n’interdit pas
davantage que Cicéron de simuler quelquefois la colère (Ir. II 14.1 ; voir également ibid.
III 39.3), il demande de la bannir entièrement, puisque conserver une passion ou les
conserver toutes, c’est dans tous les cas s’interdire d’accéder à la véritable santé de l’âme :
« Peu importe », dit-il, « le nombre des maîtres, cela ne fait jamais qu’un seul esclavage »
(Ep. III 28.8).
La colère, du reste, comme toute pulsion passionnelle, n’est pas défendable en raison.
Considérons en effet la cause qui suscite la colère : il s’agit nécessairement de l’idée
qu’une injure nous a été faite, et que nous devons en tirer vengeance. Or, pour se rendre
invulnérable et devenir sage, l’homme doit travailler à l’édification de la citadelle
intérieure, contre laquelle aucun coup du sort, aucune injure ne peut rien ; et Sénèque de
nous donner Caton en exemple : frappé par un homme qui ne l’avait pas reconnu et qui lui
présentait ensuite ses excuses, Caton ne crut pas même devoir se souvenir qu’il avait été
frappé (voir Ir. II 32.2 ; voir également Const. sap. 9.3). Puisque le sage ignore l’injure, il
n’y a pas de place, dans son âme, pour la vengeance, et donc pas non plus pour la colère.
Dès lors, quand le sage punit, il ne le fait que pour amender les coupables (Const. sap.
12.3 ; voir Ir. I 6.1). Sur ce point, Sénèque s’oppose à Théophraste en faisant valoir que le
Chapitre 2 : Sénèque 84

sage châtie sans haine ni colère, avec le même esprit que les lois (Ir. I 14.1-2 ; voir encore I
16.6 et le livre II passim).
Nous comprenons par là que, comme toute passion, la colère est directement opposée à
la nature humaine, car, écrit encore Sénèque, « la vie humaine tient par la bienfaisance et la
concorde, et ce n’est pas par la terreur, mais par une affection réciproque qu’elle forme des
liens pour l’union et la solidarité » (Ir. I 5.3), autant d’éléments qui renvoient à tout ce que
nous avons dit à propos de la sociabilité de l’homme et de la folie des tyrans. Si donc il y a,
sur cette question, une divergence de vues radicale entre Stoïciens et Péripatéticiens, c’est,
nous l’avons vu en traitant de la question à propos de Cicéron, que les uns et les autres, en
vertu de leurs anthropologies respectives, conçoivent différemment l’homme et la passion.
Pour le stoïcien Sénèque, qui identifie l’homme à son âme et considère que l’essence de
cette âme est foncièrement rationnelle, « passion et raison n’ont pas un siège particulier et
séparé, ce ne sont que des modifications de l’esprit en bien et en mal » (Ir. I 8.3).
Le débat entre Péripatéticiens et Stoïciens est donc un faux débat aussi longtemps que,
parlant des passions, les représentants de l’une et l’autre écoles ne désignent pas une même
réalité sous ce nom ; et voilà pourquoi Sénèque peut écrire, que la colère, « si elle se laisse
modérer, doit porter un autre nom, car elle cesse d’être la colère, que je conçois effrénée et
indomptable » (Ir. I 9.3). Dans cette perspective, ne pas supprimer les passions pour se
contenter de les modérer, c’est « réduire singulièrement la taille du sage », en le présentant
comme seulement « plus fort que les faibles, plus gai que les affligés », etc. Or « un faible
degré de maladie n’est pas la bonne santé » (Ep. XI-XIII 85.4). Et s’il est vrai qu’une petite
passion soigneusement bridée paraît être une chose bien anodine, la multiplication des
passions produit davantage d’effets qu’une seule passion donnant tout sa mesure (ibid. .6).
Par conséquent, Sénèque rejette une fois encore la métriopathie, car elle revient à souhaiter
d’être non en bonne santé, mais seulement modérément malade (ibid. .9). La discussion est
également reprise dans la lettre 116 : proscription des passions avec les Stoïciens ou
seulement modération avec les Péripatéticiens ? « Pour moi », répond Sénèque, « je ne vois
pas qu’une maladie, si atténuée soit-elle, peut avoir de salutaire ou d’utile » (Ep. XIX-XX
116.1). Étant conçue comme une maladie de l’âme, la passion ne peut qu’entrer
radicalement en contradiction avec la nature rationnelle de l’homme, dont elle altère le
jugement ; ainsi, par exemple, la crainte, en tant que passion, est une maladie qui affecte
l’acuité intellectuelle de l’âme et ne lui permet pas de juger des choses en les voyant
comme elles sont, mais en pire (voir Herc. fur. 316)1.
De même qu’il proscrit les passions, Sénèque tient un discours très dur à l’endroit du
plaisir, et rejoint pleinement Cicéron sur cette question. S’adressant à Lucilius, il lui
demande en effet de considérer les plaisirs comme rien moins que des ennemis, les
comparant à « ces bandits que les Égyptiens appellent philètes : s’ils nous embrassent,
c’est pour nous étouffer » (Ep. V 51.13). Ce n’est pas qu’il soit interdit de se divertir et de
prendre un peu de relâche, que du contraire, puisque la détente n’est pas moins nécessaire à

1
L’espoir est à l’autre extrême du spectre, puisque celui qui espère, tout comme celui qui craint, est
incapable de s’ajuster adéquatement au présent. Or il y a excès, et donc vice, dès lors que l’acte n’est pas
mesuré par le temps qui lui est approprié ; en ce sens, empruntant une recommandation au stoïcien Hécaton,
Sénèque écrit : « Tu cesseras de craindre, si tu as cessé d’espérer » (Ep. I 5.7).
Chapitre 2 : Sénèque 85

l’homme qu’elle ne l’est au ciseleur qui n’œuvre jamais mieux que lorsqu’il se ménage des
pauses pour le repos de ses yeux (Ep. VI 58.24).
Mais le plaisir, même dans cette perspective, est traité sans ménagement par Sénèque,
qui y voit quelque chose d’indigne de la nature rationnelle de l’homme : le plaisir, dit-il,
« c’est le bonheur de l’animal » (Ep. XIV 92.6) ; à ce titre, la vertu « ne daigne pas le
voir » (ibid. .24 ; voir également Vit. beat. 10.3) et rien n’est plus absurde que de
l’adjoindre à la vertu pour former la fin dernière de l’homme. « Qu’on cesse donc de
joindre deux notions inconciliables, et d’accoupler vertu et volupté, procédé vicieux par
lequel on flatte les corrompus » (ibid. 12.3). Associer l’un et l’autre, c’est en effet affaiblir
ce qui, de soi, est invincible, en l’alliant à une nature débile et dépourvue de trempe (voir
ibid. 15.3). En rejetant cette association contre nature, Sénèque rejoint donc parfaitement
Cicéron dans la critique des positions que l’Arpinate attribue aux philosophes, mal connus
par ailleurs, Calliphon et Dinomaque.
Sénèque, donc, ne veut pas entendre parler d’un rapport entre plaisir et vertu, d’autant
plus que celle-ci « se fait gloire de le mépriser » ; elle est, poursuit-il, « son ennemi déclaré,
et, devant lui, fuit au plus loin d’un bond instinctif, plus familiarisée avec l’effort et la
douleur, épreuves dignes de son nom, qu’avec ce bien de nature efféminée » (Ben. IV 2.4).
Malgré cette opposition frontale dont Sénèque se fait le porte-parole, il sait également, non
moins que Cicéron parlant du plaisir comme d’un « assaisonnement » éventuel (Off. III
120), parler du plaisir comme d’une accessio, c’est-à-dire d’un « accessoire de surcroît »,
destiné, dit-il, « à rendre agréables les nécessités de la vie » (Ep. XIX-XX 116.3 ; voir
également Vit. beat. 9.2). Dans le même ordre d’idées, tout en ne permettant évidemment
pas au plaisir d’être tenu pour un guide, Sénèque lui accorde, d’après les Anciens, d’être un
« compagnon » aux sentiments droits et bons (Vit. beat. 8.1) ; et c’est donc avec beaucoup
plus de bienveillance qu’il le considère dans son dialogue sur La tranquillité de l’âme,
quand il soutient que le plaisir ne saurait être un mal opposé à la nature, puisque
« l’homme n’aurait pas tant de zèle pour les divertissements et les jeux, si le plaisir qu’il y
prend n’était pas naturel » (Tranqu. anim. 17.6). Si la condamnation que nous avons pu lire
précédemment était si sévère, c’était surtout pour contrecarrer le danger lié au plaisir, qui a
tendance à passer les bornes quand il est recherché pour lui-même — le cas de rappeler que
« tout ce qui dépasse la juste mesure est suspendu sur un précipice » (Oed. 909-910).
Si maintenant nous revenons aux passions, leur extirpation n’entraîne pas
d’insensibilité : nous avons vu, dans le cours de notre étude sur Cicéron, que les troubles
passionnels cédaient la place à des émotions raisonnables, sans lesquelles le sage cesserait
d’être humain, puisqu’il ne ressentirait rien de ce que ressentent les hommes. Décrivant la
genèse des passions, Sénèque note en effet que certaines réactions sont inévitables et
témoignent de l’inamissible sensibilité qui fait de nous des êtres humains : ce sont les
premiers mouvements éprouvés par l’âme, antérieurs à toute réponse de la part de celle-ci
(voir not. Ir. II 2.1 suiv. et spécialement 4.1-2). C’est ainsi, par exemple, que « les traits du
sage se crisperont devant une scène de tristesse », etc. (Ep. VI 57.4). Aussi bien ce qui
définit le sage réside dans sa capacité à donner une réponse pleinement rationnelle à de tels
stimuli, qui sont inévitables, sans se laisser le moins du monde troubler par l’élan
Chapitre 2 : Sénèque 86

passionnel, dont il étouffe les progrès dans l’œuf en leur substituant des émotions
raisonnables sous le contrôle de la raison.
Voilà pourquoi, « être invulnérable, ce n’est pas n’être pas frappé, c’est n’être pas
blessé » (Const. sap. 3.3) ; en effet, « quelle vertu y a-t-il à supporter ce qu’on ne sent
pas ? » (ibid. 10.4). De même, dans la consolation qu’il adresse à Polybe, Sénèque observe
que « ne pas sentir ses maux, c’est n’être pas homme ; et ne pas les supporter, c’est n’avoir
pas un cœur viril » (Pol. cons. 17.2). Le tout sera alors de mesurer la part accordée par la
raison à la sensibilité ; or, sur ce point, Sénèque, qui peut paraître un peu flottant, se
montre en réalité un psychologue avisé. Voyons cela d’un peu plus près. À propos de la
mort d’une connaissance, Sénèque ne veut pas interdire toute affliction à Atticus, même si,
au fond, « cela vaudrait mieux ». Mais, poursuit-il, on ne doit exiger une telle force d’âme
de personne, sinon de celui qui domine de très haut la Fortune ; il permettra donc à son ami
de verser des larmes, mais non de s’affliger (Ep. VII 63.1 ; il se donne lui-même en contre-
exemple au .14). L’idée qu’il développe dans La tranquillité de l’âme est identique,
puisqu’il accorde la permission de pleurer, à condition que ce ne soit pas pour la galerie, et
sans « jamais donner à la douleur autre chose que ce qu’exige la nature, et non ce que
réclame la coutume » (Tranqu. anim. 15.6 ; voir également Marc. cons. 12.6 suiv.). Le
sage, lui, ne pleurera jamais (Const. sap. 8.2), dit pourtant Sénèque, et c’est parce qu’il
considère l’inutilité des larmes qu’il en détourne fermement Marcia dans la consolation
qu’il lui adresse (voir Marc. cons. 6.2). Il semble donc, d’après ces différents témoignages,
que les larmes ne soient accordées qu’à titre de concession à ceux qui ne sont pas encore
capables de s’élever au niveau où leur inanité apparaît en plein et justifie qu’on les
bannisse purement et simplement.
Toutefois, considérant que les larmes peuvent éventuellement être tenues pour une
réponse simplement naturelle à un coup ressenti, Sénèque y voit aussi non une preuve de
faiblesse, mais de sensibilité, c’est-à-dire d’humanité. Et tel est le sens du discours qu’il
adresse à Polybe : « Jamais, pour ma part, je n’exigerai de toi que tu t’abstiennes
absolument de toute tristesse. Je sais qu’il y a des hommes dont la philosophie, plus austère
que courageuse, interdit la douleur au sage ; je suppose qu’ils n’ont jamais été mis à
l’épreuve (…) La raison aura fait assez si elle retranche l’excès et le superflu de la
douleur ; quant à la supprimer entièrement, nous ne devons ni l’espérer ni le souhaiter.
Maintenons-nous plutôt dans un juste équilibre, qui ne ressemble ni à de l’insensibilité ni à
de la démence ; soyons émus, mais non troublés : que nos larmes coulent, et qu’elles
sachent s’arrêter ; que des gémissements montent du fond de notre cœur, mais qu’ils aient
un terme » (Pol. cons. 18.6). Cette idée, que l’on ne peut proscrire intégralement la douleur
que si l’on n’a jamais été mis à l’épreuve, est audacieuse, de la part d’un Stoïcien, mais
c’est une observation de bonne psychologie : rappelons-le, Sénèque ne rechigne pas à
employer un langage plus souple (ou moins ferme, c’est selon), pour produire un résultat
que l’énoncé nu de la vérité stoïcienne ne parviendrait pas à obtenir.
Parfois, il faudra donc se montrer accommodant, en considérant que « souvent la
temporisation vient à bout de ce que le raisonnement est impuissant à guérir » (Agam. 130).
À défaut de pouvoir supprimer la douleur ou convaincre celui qui souffre que cette douleur
n’est nullement un mal, Sénèque pourra donc mettre, comme on dit, de l’eau dans son vin,
Chapitre 2 : Sénèque 87

non pour atténuer sa doctrine, mais pour administrer plus sûrement le remède. Inutile, en
effet, de recommander, à qui croit qu’il n’y ait « rien dont ne puisse pas triompher la
douleur » (Herc. oet. 1279), qu’il ne tient qu’à lui de la faire taire : un tel remède peut être
parfaitement inapproprié, et, dans ce cas, il réussira seulement à détourner le malade de la
philosophie. Aussi le bon médecin se contentera, pour commencer, d’exiger du patient
qu’il mette seulement un frein à sa douleur et la modère, car il sait qu’« une grande douleur
ne sait pas se donner de bornes » (Troad. 786), et il décide, en conséquence, de parer au
plus urgent.
Dans notre lutte contre les passions, nous ferons donc bien de ne pas chercher à brûler
les étapes ; comme le disait en effet Sénèque à ses adversaires dans un passage que nous
avons lu ci-dessus, c’est une bonne chose de retrancher chaque jour un peu à nos vices
(voir Vit. beat. 17.3). C’est en ce sens que, comme il l’écrit dans une de ses lettres, « vivre,
c’est être en guerre » (Ep. XVI 96.5). Mais il ne s’agit pas de mener une lutte sordide à
seule fin de surnager dans un monde hostile ; au contraire : c’est à un combat pour le
triomphe de la raison au sein d’une nature qui en est pénétrée que nous convie Sénèque
quand il nous exhorte à réaliser les aspirations profondes de notre humanité et à trouver la
tranquillité en accordant notre âme à la rationalité de l’univers. Or, pour établir en nous
cette harmonie et la diffuser autour de nous, nous avons besoin de la philosophie, nous dit
encore Sénèque, qui, sur ce point encore, rejoint Cicéron, et le rejoint même
explicitement : à Lucilius qui croit nécessaire de se rendre libre pour philosopher plus à
l’aise, il montre que c’est bien plutôt à la philosophie de l’aider à se libérer, car, dit-il,
si tu vois globalement combien la philosophie est profitable, tu n’en discernes pas encore
assez subtilement les détails et tu ne sais pas encore combien elle nous aide partout, de quelle
manière, jusque dans les plus grandes occasions, elle apporte sa ressource, comme dit
Cicéron, et descend jusqu’aux plus petites. Crois-moi, appelle-la en conseil : elle te
dissuadera de rester assis devant tes comptes (Ep. II 17.2, où le passage de Cicéron est Hort.
fr. 87).
CHAPITRE 3
PÉTRARQUE*

1. Les mérites de Cicéron et de la langue latine


Cicéron est assurément l’un des auteurs favoris de Pétrarque, qui le connaît
admirablement bien et l’a approfondi avec cette ardeur qui caractérise un amoureux des
études de toute première valeur : « Quand ma santé me le permettait, je ne passais pas un
jour sans étudier et réfléchir », note-t-il dans l’une de ses Invectives (ICQ 8). De même,
dans le traité sur Sa propre ignorance et celle de tant d’autres, il dit : « J’ai passé presque
toute ma vie à étudier. Quand j’étais en bonne santé, je passais rarement un seul jour sans
travailler, sans lire, sans écrire, sans penser aux lettres, sans écouter quelque lecture ou
sans interroger ceux qui gardaient le silence » (IGN 3). Il lit beaucoup, car il veut
apprendre beaucoup : « Bien qu’ignorant, je lis » (IGN 4) ; et de préciser alors ses
préférences littéraires : « Je lisais plus diligemment encore dans ma jeunesse. Mais je lis
encore philosophes et poètes : Cicéron principalement, dont le style et le génie m’ont
toujours particulièrement enchanté » (ibid.). L’Arpinate revient en effet constamment sous
la plume de Pétrarque, qui admire notamment en lui un homme capable, ou peu s’en faut –
nous y reviendrons dans un instant –, de parler « en apôtre plutôt qu’en philosophe »
lorsqu’il disserte, en particulier, sur la nature des dieux (ibid.).
Le charme fonctionne d’ailleurs si bien que, tenté de le citer toujours plus longuement,
Pétrarque doit se rappeler lui-même à l’ordre, car le style et la pensée de Cicéron le
ravissent tant qu’il prolongerait volontiers ses citations à l’infini. « Si tu ne me connaissais

*
L’essai qui forme ce chapitre ne repose pas, contrairement aux deux précédents, sur une lecture intégrale de
l’auteur, et c’est pour cela, entre autres choses, qu’il est aussi substantiellement plus court. De Pétrarque,
nous citerons essentiellement les ouvrages suivants : Invectiva contra medicum (ICM) ; Invectiva contra
quendam magni status hominem sed nullius scientiae aut virtutis (ICQ) ; Invectiva contra eum qui maledicit
Italie (ICE) ; De otio religioso (OR) ; De vita solitaria (VS) ; De sui ispius et multorum ignorantia (IGN) ; et
Secretum seu De secrecto conflictu curarum mearum (SEC). Pour les références, nous adoptons la
subdivision proposée dans les éditions publiées chez Jérôme Millon pour les trois Invectives et pour le traité
sur Le repos religieux. L’ouvrage sur La vie solitaire a également été publié chez Millon, mais, pour des
raisons purement contingentes, nous adoptons les subdivisions (en livres et chapitres, et non en livres,
chapitres et paragraphes) de la traduction publiée aux éditions Rivages. Le traité sur Son ignorance et celle de
tant d’autres est cité d’après l’ancienne traduction de Bertrand, qui divise le texte en 5 chapitres,
conformément aux éditions latines. Pour des raisons contingentes également, nous n’avons pas ajouté les
subdivisions ultérieures ajoutées à cette traduction (révisée), publiée plus récemment aux éditions Millon.
Enfin, en ce qui concerne le Secret, il n’a pas encore fait l’objet d’une nouvelle publication aux éditions
Millon ; aussi le citons-nous d’après l’édition Rivages.
Chapitre 3 : Pétrarque 89

pas », dit-il au dédicataire de son écrit, « tu pourrais t’étonner de la peine que j’ai à
m’arracher de Cicéron. Son génie me charme tant » (IGN 4) ; et, comme il le dit encore
dans la préface de son traité sur La vie solitaire, il éprouve une admiration incroyable pour
l’« illustre et divine éloquence » du grand homme (VS praef.).
Cela dit, Pétrarque est aussi profondément chrétien, et il se souvient – il semble même
que, à l’aube de l’humanisme, il soit le premier, ou du moins parmi les premiers à renvoyer
à ce passage – du célèbre reproche adressé autrefois par Dieu, dans une vision, à Jérôme :
« Tu es cicéronien, et non chrétien ! » (voir la célèbre Lettre 22 à Eustochie). Toutefois, se
défend Pétrarque, jamais Cicéron ne lui a nui en quoi que ce fût, bien au contraire. Se
réclamant d’Augustin (voir Lettre 118 à Dioscore), il déclare en effet que « Cicéron, lu
dans un esprit de fidélité et de modestie, ne lui [Jérôme] a pas nui et n’a nui à personne,
alors qu’il a servi à tous pour l’éloquence, à beaucoup pour la conduite de la vie » (IGN 4).
Il pense, tout naturellement, au rôle décisif joué par l’Hortensius dans le parcours spirituel
et intellectuel d’Augustin (voir Conf. III 4.7 et VIII 7.17).
Cicéron, pour autant, n’est pas exempt de reproches aux yeux de Pétrarque, qui blâme
l’inconséquence de son paganisme. Certes, Cicéron vivait avant l’incarnation du Fils de
Dieu, mais il reste que, quoiqu’il ait vu les défauts de la mythologie païenne, il s’est
abstenu d’une opposition catégorique et vigoureuse aux mensonges de celle-ci. Pétrarque
se demande en effet pourquoi les philosophes, sachant ce qu’ils savaient, qu’il n’y avait
pas lieu de croire aux dieux (en ICM III 1, il renvoie à une Rhétorique d’Aristote, qui est
en fait Cicéron, Inu. I 46), n’attaquaient pas plus ouvertement la superstition. Pour rendre
compte du cas de l’Arpinate, dont les idées sur la question ne font, dit-il, pas de doute,
Pétrarque, dans son Invective contre un médecin, reprend l’alternative suggérée par
Augustin : ce qui retenait Cicéron et les autres philosophes de s’opposer fermement aux
inepties du paganisme, c’était ou bien la peur ou bien « une connaissance particulière de
leur époque » (Vera relig. I 2). Pétrarque, à vrai dire, penche pour la crainte, car il se
rappelle l’universalité de celle-ci, qui n’épargna pas même les Apôtres avant l’effusion du
Saint-Esprit (ICM III 12).
Pétrarque aborde également cette question dans son traité sur Le repos religieux, où,
parlant de Cicéron, il s’exclame et se désole : « Plutôt que ses dieux, que n’a-t-il confessé
Dieu comme l’auteur de ses actes et de ses pensées ! Il l’aurait peut-être fait, s’il s’était
rappelé ce qu’il avait écrit : qu’il ne convient pas au philosophe de dire qu’il y a des dieux
[Inu. I 46, cette fois correctement attribué à Cicéron]. Mais je me fais de son esprit cette
idée pleine d’espoir, que, même si une crainte diffuse ou l’usage ont pu entraîner sa langue
et sa plume dans le torrent des erreurs communes, son âme cependant restait sur la terre
ferme, d’autant qu’il était doué d’une intelligence naturellement vive et raisonnable (…) et
qu’il avait appris de Platon que Dieu est l’unique artisan du monde [voir le Timée], comme
d’Aristote, son disciple, que n’existe entre tous les êtres qu’une seule et unique primauté
[Pol. IV 4, 1292a 13, où Aristote cite Il. II 204] » (OR I 6.7). Dans le deuxième livre du
même ouvrage, Pétrarque revient sur le paganisme de Cicéron, auquel il cherche
manifestement des excuses, comme il le reconnaît d’ailleurs lui-même : « Moi qui suis
attaché à la gloire de Cicéron autant que je le puis, je vois mon affection achopper sur ce
Chapitre 3 : Pétrarque 90

point-là ; et c’est bien volontiers que j’accepte les excuses d’un si grand personnage, ou
plutôt que je me les fabrique de toutes pièces » (OR II 8.12 ; voir également la suite).
Indiscutablement, pourtant, Cicéron, qu’il révère tant à tous les autres points de vue, lui
paraît fautif sur ce point, comme il le lui reproche en l’accusant de n’avoir pas été cohérent
sur ce point précis. N’avait-il pas si bien parlé du Dieu unique ? mais à quoi bon, si c’était
pour retourner ensuite au culte impie des divinités païennes ? « D’un seul mot tu as
renversé tout ce que tu paraissais avoir dit savamment et sagement. Que dis-je ? D’un seul
mot ? De plusieurs, au contraire. Car c’est souvent, à chaque instant que, comme en rêve,
tu reviens en arrière, du même pas chancelant, pour adorer ces dieux après les avoir
bafoués » (IGN 4). Après les critiques si judicieuses de Cotta, dans La nature des dieux,
Cicéron ne manifeste-t-il pas sa préférence pour la théologie païenne du Portique en se
retrouvant dans les déclarations de Balbus ? « C’est véritablement ta théorie que celle-là »,
celle des Stoïciens ; « quoiqu’à la façon platonicienne, tu préfères attribuer ton opinion aux
autres » (IGN 4). Mais n’est-ce pas, comme le dit encore ce même Balbus, « une habitude
impie de parler contre les dieux » (Nat. deor. II 67) ? Non pas, dit Pétrarque, qui observe
que l’homme parle ici « en pieux zélateur des dieux, bien que cette piété soit pernicieuse et
impie. Combien donc mauvaise et combien sacrilège ne doit pas paraître aux adorateurs du
vrai Dieu cette habitude de discuter à quelque propos que ce soit contre leur Dieu, c’est-à-
dire contre le seul Dieu, le vrai Dieu, le Dieu vivant du Ciel ? Car, si on le fait
sérieusement, c’est une grande scélératesse et une grande impiété ; si on le fait pour rire,
c’est là une plaisanterie inepte et digne d’être flétrie » (IGN 4).
Si donc ce reproche est incontestable, c’est bien le seul que Pétrarque adresse à Cicéron,
dont il ne cesse, par ailleurs, de célébrer les mérites – et nous reviendrons plus loin, dans la
troisième section de ce chapitre, sur un point que nous avions brièvement évoqué dans
notre étude principale, à savoir la stupéfaction de Pétrarque lorsqu’il découvrit, avec les
Lettres à Atticus, que Cicéron n’avait manifestement pas le goût qui était le sien pour la
solitude et la retraite.
Pétrarque, admirateur de Cicéron, est aussi, plus généralement, un admirateur de
l’Antiquité : à mesure que le temps passe, les changements se succèdent, et tout va de mal
en pis : « Tout a changé, je l’affirme, mais en pire » (ICE 20). Et de citer alors un passage
des Odes d’Horace, dans lequel le poète dit : « Que ne dégrade point le temps destructeur ?
La génération de nos pères, qui valaient moins que nos aïeux, a fait naître en nous des fils
plus méchants, qui vont donner le jour à une postérité plus mauvaise encore » (Carm. III
6.45-48). Ce thème de la décadence se retrouve également ailleurs dans l’œuvre de
Pétrarque, et notamment dans l’une de ses Lettres de vieillesse, tout entière consacrée à
cette question (Senil. X 2).
S’il éprouve un intérêt immense pour l’Antiquité en général, sa préférence va clairement
aux Latins. Sur ce point, Pétrarque reprend à son compte les critiques adressées par
Cicéron aux Grecs, aussi grandiloquents qu’incapables de traduire en actes leurs paroles1.

1
Il ajoute à cela, dans son Invective contre celui qui médit de l’Italie, que les Français méritent davantage ce
reproche que les Grecs, car les Français, explique-t-il, sans avoir le génie des Grecs, sont toutefois plus
vantards et plus grandiloquents encore qu’eux.
Chapitre 3 : Pétrarque 91

Car il est clair, pour Pétrarque, que Rome représente le sommet de la civilisation – et
d’ailleurs, « qu’est-ce que l’histoire tout entière, sinon un éloge de Rome ? » (ICE 15) –, ce
qui explique pourquoi, bien qu’il y ait assurément eu de grands hommes parmi les barbares,
ceux-ci « honteux de leurs origines, souhaitaient qu’on les appelât Romains, se glorifiant
de la splendeur de ce nom » (ICE 6 ; en ICE 26, il donne l’exemple de Sénèque : c’est un
Espagnol [encore que ce ne soit pas certain, bien qu’il soit né en Espagne], mais « ses
fonctions et ses relations, ses études et son style » font de lui un Romain).
Toujours à propos de la supériorité des Latins sur les Grecs, Pétrarque cite le prologue
de la première Tusculane, dans lequel Cicéron soutient que les Romains l’emportent en
sagesse sur les Grecs, et qu’ils les ont dépassés dans tous les domaines où ils se sont mis à
l’école des Hellènes. Pétrarque, qui approuve pleinement ce point de vue, ajoute un
exemple illustrant la nature de cette supériorité : « Aristote », écrit-il, « enseigne plus de
choses, mais Cicéron touche plus profondément les âmes. Les traités moraux du premier
sont plus subtils, ceux du deuxième plus efficaces. Aristote explique avec plus de précision
ce qu’est la vertu, Cicéron met plus de conviction à nous exhorter à la cultiver (…) Et je
place Sénèque sur le même rang que Cicéron : Plutarque1, grand penseur et grec de surcroît,
reconnaît que personne n’a pu l’égaler sur le plan de la morale en Grèce » (ICE 26).
Cette comparaison entre Aristote et Cicéron, que nous venons de lire dans l’Invective
contre celui qui médit de l’Italie, nous la trouvons aussi dans le traité sur Son ignorance et
celle de tant d’autres : l’éthique d’Aristote, dit Pétrarque, est de nature à rendre plus
instruits ceux qui la lisent, mais non meilleurs, car « comprendre est une chose, vouloir en
est une autre »2 (IGN 4). Dans la suite, il parle encore de « cet aiguillon interne, cette
ardeur qui poursuivent et qui enflamment l’esprit, et qui le font aimer la vertu, haïr le vice.
Dès qu’on les cherche, on les trouve chez nos auteurs latins, et particulièrement chez
Cicéron et chez Sénèque, ou encore, chose étonnante3 ! chez Horace, poète au style rude,
mais aux pensées pleines de charme » (ibid. ; voir également la suite de ce passage). Nous
retrouvons ici la distinction, très nette chez Cicéron, entre une pensée stérile et une
réflexion qui trouve à s’accomplir dans l’exercice d’un agir effectif. Et c’est alors bien
entendu la seconde qui est valorisée, car, comme le demande encore Pétrarque, « à quoi
peut bien nous servir de savoir ce qu’est la vertu si, une fois connue, nous ne l’aimons

1
Pour la référence à Plutarque, voir Ep. fam. XXIV 5.3 (Épître à Sénèque). Mais, comme on le sait,
Pétrarque n’a pas accès à Plutarque, dont les textes ne sont pas encore diffusés en Occident, et que Pétrarque
ne peut pas davantage lire dans l’original grec (voir ci-dessous, la dernière note du présent chapitre).
Pétrarque doit donc tenir cette information d’un lecteur de Plutarque parmi ses connaissances, ou d’une
source plus ancienne, mais nous ignorons laquelle. Plutarque, tel qu’il nous est parvenu, parle de Sénèque à
un petit nombre de reprises (dans la Vie de Galba et dans le traité sur Les moyens de réprimer la colère),
mais nous ne trouvons pas le jugement qui lui est attribué ici.
2
Où l’on voit, au passage, que la distinction nette entre les deux facultés que sont l’intelligence et la volonté,
absente (ou du moins largement absente), comme nous l’avons dit dans notre étude sur Cicéron, de la
psychologie antique, est parfaitement intégrée ici et sous-jacente à cette réflexion de Pétrarque.
3
Étonnante parce qu’il y a quelque chose d’insaisissable chez le poète capable, d’une part, de célébrer les
vertus sublimes du Portique ainsi que de l’austère tradition de Rome, mais, d’autre part, de prôner une
philosophie du plaisir en n’hésitant pas à se présenter comme « un pourceau du troupeau d’Épicure » (Epist. I
4.16).
Chapitre 3 : Pétrarque 92

pas ? » (IGN 4). Partant, il peut dénoncer la « grande erreur » de « ceux qui emploient leur
temps non point à acquérir la vertu, mais à l’étudier, non point à aimer Dieu, mais à
s’efforcer de le connaître ». Le même reproche est adressé par Augustin, dans le Secret, à
ceux qui négligent de mettre en pratique l’enseignement qu’ils ont puisé dans leurs livres
ou auprès de leurs maîtres : « Comme toujours avec les lecteurs ! », s’exclame-t-il ; « voilà
comment s’est répandue l’horrible engeance des pédants. Dans les écoles, on parle
beaucoup de l’art de vivre, mais bien peu le mettent en pratique » (SEC II).
Toujours dans le Secret, et pour en revenir plus directement à la question des mérites
respectifs des Grecs et des Latins, Augustin fait remarquer que les uns et les autres
dénigrent la pauvreté de la langue de l’autre. Il y a plus, poursuit-il, puisque, même parmi
les Latins, on trouve des avis divergents sous la plume de Cicéron et sous celle de Sénèque.
Reprenant la critique adressée par Cicéron à l’adresse de la langue grecque, Pétrarque
observe que « son ton était plein d’assurance, car il se savait le prince de l’éloquence latine
et n’hésitait pas à déclarer la guerre à la Grèce. » Il s’appuie, pour cela, sur le jugement de
Sénèque1, qui, dans ses Controverses, écrit que « tout ce que l’éloquence romaine peut
opposer ou préférer à la Grèce arrogante a fleuri au temps de Cicéron » (Controu. I 6).
« L’éloge est plein de vérité », poursuit l’Augustin du Secret. « Tu vois qu’en matière
d’éloquence, il existe une controverse non seulement entre les Grecs et vous, [qui êtes
d’expression latine,] mais entre les plus savants des Latins. Dans notre camp, certains se
rangent du côté des Grecs ; et, à ce qu’on rapporte de l’illustre philosophe Plutarque2, il en
est peut-être dans leur camp qui se rangent de notre côté. Enfin, notre Sénèque3, s’il rend
justice à la majesté et à l’harmonie du langage de Cicéron, décerne la palme à la Grèce.
Cicéron n’est pas de cet avis. Quant à moi, si tu veux savoir ce que j’en pense, je trouve
qu’ils ont raison tous les deux. L’Italie comme la Grèce, ces deux pays si fameux, ont de
bien pauvres langages. Que penser des autres ? » (SEC II). Ce jugement final est original :
Pétrarque, bien qu’il ait affirmé, nous l’avons vu, sa préférence pour le latin, avoue qu’en
définitive, penser en terme de richesse pour comparer le grec et le latin, c’est perdre de vue
la pauvreté foncière de notre langage humain4.
Tout naturellement, donc, pour en revenir au point d’où nous étions partis, les penseurs
et écrivains que Pétrarque suit de préférence sont les personnages illustres de l’Antiquité,
dont il aime à redire la valeur et les mérites. C’est que, comme il le dit lui-même, « je ne

1
Sénèque le Père, en réalité, mais il arrive à Pétrarque de ne pas faire la distinction entre le rhéteur, l’auteur
des Controverses et des Suasoires, et son fils homonyme, à qui nous consacrions notre précédent chapitre.
2
Nouvelle référence à Plutarque, que nous n’avons pu identifier (mais il est vrai que nous n’avons lu,
jusqu’ici, qu’une partie de l’œuvre de Plutarque) ; et nous ignorons d’où Pétrarque tient cette information.
3
Il s’agit cette fois de Sénèque le fils, dont nous avons cité le jugement sur la « pauvreté » et l’« indigence »
de la langue latine dans le précédent chapitre (voir Ep. VI 58.7).
4
Sans cette correction, du reste, peut-être lui eût-on reproché de préjuger de la valeur de sa langue sans être
en position de se prononcer légitimement sur cette question : Pétrarque, en effet, faute de maître, n’a pu
apprendre le grec, car Barlaam de Seminara (dont il dit d’ailleurs le plus grand bien en IGN 4), qui aurait dû
lui enseigner cette langue, n’eut pas l’occasion de lui inculquer davantage que les tous premiers rudiments.
Plus tard, auprès de Léonce Pilate, il ne put faire assez de progrès pour lire le grec, et toujours il regretta
qu’Homère, dont il était heureux de posséder un manuscrit, restât muet pour lui (« Ton Homère est muet pour
moi, ou plutôt c’est moi qui suis sourd auprès de lui », Epist. fam. XVIII 2.9)…
Chapitre 3 : Pétrarque 93

médis pas des grands hommes » (ICM I 13), mais je m’efforce de mettre mes pas dans les
leurs : « Qu’est-ce qui m’interdit de marcher sur leurs traces, puisque mon désir est égal au
leur, bien que mes enjambées soient plus modestes ? Il n’est personne de si rapide que, de
loin, on ne puisse suivre sa trace » (ICQ 4). C’est ainsi qu’en suivant l’exemple des
hommes illustres, Pétrarque, à son tour, croit – à bon droit – qu’il méritera la gloire à
laquelle il aspire.

2. La gloire, la vertu et les limites de la connaissance humaine


Sur ce point comme sur d’autres, Pétrarque ressemble à Cicéron : l’un et l’autre aiment
la gloire, l’un et l’autre savent qu’ils l’aiment peut-être trop, l’un et l’autre peuvent paraître
vaniteux. Pourtant, la fierté ne se confond pas davantage avec l’orgueil que l’humilité n’est
un synonyme de l’abaissement. Le sage, explique Pétrarque (ICM IV 12), sait faire la
distinction entre l’orgueil, superbia, et la confiance en soi, fidutia. Il cite à ce propos
Valère Maxime (III 7.3) représentant Scipion Nasica commandant au peuple de se taire
parce qu’il savait mieux lui-même ce qui pouvait être utile à l’État : voilà qui n’est pas de
la suffisance, mais une juste conscience de sa valeur. Et Pétrarque de commenter en effet
l’anecdote de la manière suivante : « D’aucuns interprètent ces propos aussi courageux que
véridiques comme de l’orgueil : c’est bien dans l’habitude du peuple ! Mais pour les
hommes lettrés, c’est de la noble confiance en soi » (ICM II 3 ; il cite également Tite-Live,
XXXVIII 50-51, à propos de Scipion l’Africain).
Cela étant, Pétrarque se souvient aussi, dans la suite de ce qui vient d’être dit, d’un
passage des Proverbes, où l’on peut lire cette recommandation : « Qu’un autre te loue, et
non ta bouche » (Prov. 27.2). Dans le même sens, il convoque le témoignage de Sénèque,
qui, dans ses Bienfaits, écrit : « Cessez cette vaine jactance ; les faits parleront d’eux-
mêmes, si vous savez vous taire » (Ben. II 2.6). Mais cette gloire que l’on est tenté de
poursuivre, et dont on doit cependant éviter d’être soi-même le promoteur, est-elle donc si
souhaitable ? Pétrarque reconnaît l’avoir obtenue de son vivant – le couronnement au
Capitole –, ce qui, comme il l’observe non sans satisfaction, « est chose fort rare. » Or
voici ce qu’il en dit : « Plût au ciel que je n’eusse pas cet avantage, et que je ne l’eusse
jamais eu, car il m’a été nuisible plus souvent qu’utile ! » (IGN 2). Augustin, dans le Secret,
place Francesco1 en face de son incohérence : « Que tu définisses la gloire comme ‘la
renommée éclatante qui vient des services rendus à ses concitoyens, à sa patrie, à
l’humanité’ [Cicéron, Marc. 26], ou comme ‘l’éloge que fait de vous la rumeur’ [Cicéron
encore, Tusc. III 3], la gloire est d’abord renommée. Or qu’est-ce que la renommée ? ».
Devant l’embarras de Francesco, qui redoute la direction que prend leur conversation,
Augustin poursuit : la renommée, ce n’est « rien d’autre qu’un bruit qui court sur les lèvres
des hommes ». Francesco, qui, à défaut d’être aussi saint qu’il le voudrait, est du moins
franc et loyal, accepte la définition et ses conséquences. Augustin de poursuivre alors :
« C’est donc un souffle, un vent qui souffle de-ci de-là, et, ce qui te choquera plus que tout,

1
Dans cet ouvrage singulier et singulièrement remarquable, Pétrarque met en scène trois dialogues entre
Augustin et Francesco sous le regard de Vérité. L’un et l’autre protagonistes de ce dialogue témoignent de la
tension qui règne dans l’âme de Pétrarque, partagé entre les ambitions mondaines de Francesco et les
aspirations plus hautes et plus saintes d’Augustin.
Chapitre 3 : Pétrarque 94

le souffle de la multitude. Je t’ai bien observé, tu sais, et je connais ta répugnance pour les
comportements et les mœurs du vulgaire. Quelle contradiction ! Tu es charmé des propos
de ceux que tu condamnes pour leurs actes » (SEC III) et – ajouterons-nous – dont tu
affectes de mépriser les opinions.
Augustin, d’ailleurs, a des paroles très fortes sur l’égarement des mortels :
« L’étonnement que me cause la folie des hommes me laisse sans voix. Tous les rhéteurs
du monde conjugueraient-ils leurs efforts que leur éloquence serait très au-dessous de la
vérité » (SEC III). Est-ce à dire, alors, qu’il faut renoncer à la gloire ? Non pas : « Jamais je
ne te conseillerai de vivre sans gloire, mais jamais je ne te conseillerai de lui sacrifier la
vertu. La gloire, comme tu le sais, n’est que l’ombre de la vertu1. Comme ton corps ne
manque pas de projeter une ombre par un jour de soleil, la vertu engendre nécessairement
la gloire sous le rayonnement divin qui est partout. Supprimer la vraie gloire, ce serait
supprimer la vertu (…) L’un n’a qu’à marcher, son ombre le suivra ; l’autre n’a qu’à
pratiquer la vertu, la gloire le suivra » (SEC III).
La vertu, qui plus est, n’est pas le terme que nous devons viser. Pétrarque, à ce sujet,
rappelle le célèbre débat opposant Péripatéticiens et Stoïciens à propos de l’honnête
comme bien suprême ou unique, un débat qui, dit-il, « dure depuis nombre de siècles déjà,
et se poursuivra à travers les siècles » (ICM IV 3). À vrai dire cependant, ce débat, qui
paraît ne pas devoir prendre fin, n’est pas non plus essentiel, puisque les tenants de l’une et
de l’autre positions s’accordent sur cela seul qui possède une valeur qui l’emporte sur toute
autre considération : la vertu. « Les Péripatéticiens voient dans la vertu le souverain bien,
les Stoïciens le seul bien ; ainsi les uns et les autres établissent-ils, à peu de choses près,
une fin unique ; qu’y aurait-il en effet au-delà du souverain ou du seul bien ? Il faut
s’arrêter là où on ne peut plus avancer ; et là où l’on s’est arrêté, le chemin de toute façon
prend fin » (OR II 7.2).
Pétrarque, sur cette question, se montre d’autant plus souple que, d’une part, le caractère
de chacun n’est pas sans exercer une influence sur la solution à adopter, et, d’autre part, la
vertu n’est pas le dernier mot de l’éthique ni le véritable terme qu’elle doit viser.
Premièrement, donc, il importe de reconnaître l’éminente valeur de la vertu, peu importe
qu’elle soit considérée comme le bien par excellence ou comme l’unique bien : « Je vois
que, dans la vie des mortels, il n’y a rien de stable sauf la vertu : elle seule rend heureux
ceux qui s’attachent à elle, et malheureux ceux qui la quittent ; et je me range, comme on
dit, tout entier à l’avis des Stoïciens, du moins pour préférer aux définitions de tous les
philosophes la définition suivante : la vertu consiste en une pensée juste au sujet de Dieu et
une activité juste parmi les hommes » (Epist. fam. XI 3.10). Ailleurs, la position
péripatéticienne paraît finalement plus raisonnable à Pétrarque, lorsqu’il concède que la
douleur est un mal (voir Epist. fam. XVI 6.14-15). La distinction, finalement, est peut-être
affaire de tempérament pour lui, de tempérament et de priorité, car voici ce que dit

1
Dans son Afrique aussi, Pétrarque développe ce thème : « Qu’il te plaise de la fuir ou que tu y sois contraint,
la gloire s’attachera à tes pas. De même que l’ombre de ton corps t’accompagne quand tu te promènes au
soleil, se dirigeant là où tu diriges ton pas, s’arrêtant si tu t’arrêtes, ainsi la gloire nous suit-elle de bon ou de
mauvais gré. Mais ne qualifierait-on pas de déraisonnable celui qui marcherait sur le sol brûlant pour voir son
ombre le suivre ? » (AFR II 487-493).
Chapitre 3 : Pétrarque 95

Augustin à Francesco dans le Secret à propos de la colère : « Comme je ne crains pas que
ce vent [la colère] te fasse faire naufrage, je te laisse renoncer aux promesses des Stoïciens,
qui prétendent extirper les maladies de l’âme, et te contenter de l’adoucissement des maux
que prônent les Péripatéticiens » (SEC II). Il s’agit donc, plutôt que de discuter sur la
meilleure définition de la vertu, de voir ce qui est plus approprié à chacun pour qu’il
conduise sa vie de la meilleure manière, sans s’échiner, dans le cas de Pétrarque par
exemple, à pourchasser toute trace de cette passion qu’est la colère si, pour son âme, le
véritable danger est ailleurs1.
Or ceci, justement, nous conduit à notre deuxième point, à savoir que la question de la
vertu n’est pas le dernier mot de l’éthique. C’est ce qui ressort très clairement du Repos
religieux, dans lequel l’auteur montre que le débat entre Péripatéticiens et Stoïciens a perdu
de son importance avec l’avènement du Christianisme : la vertu, et donc l’honnête, a cessé
d’être une fin pour n’être que la voie qui mène à la fin, sise en Dieu. Le Christianisme,
sans s’opposer aux termes du débat, les dépasse : « Nous [les Chrétiens] commençons là où
ceux-là [les philosophes païens] finissent, et nous n’allons point à la vertu comme à une fin,
mais comme au moyen qui soutient notre effort vers Dieu » (OR II 7.4 ; voir la suite du
développement, qui dénonce l’insuffisance du paganisme comme de toute « vaine
définition des savants » [II 7.7], vaine parce qu’insuffisante en regard de la fin dernière).
C’est donc la vérité du Christianisme qui fonde le dépassement de l’éthique telle qu’elle est
conçue par les représentants des écoles philosophiques de l’Antiquité. Pétrarque, chrétien
convaincu, ne remet jamais en cause la vérité de sa foi, mais, pour tout le reste, ne
méconnaît pas non plus les limites de l’intelligence humaine, et de sa capacité à
appréhender correctement les choses. C’est l’occasion de dire un mot du scepticisme tel
que le conçoit Pétrarque. Clairement, ce scepticisme est mitigé, et le grand précurseur de
l’humanisme sait éviter l’arrogance des philosophes de la certitude comme les excès des
soupçons sans fin, car « à force de soupçonner partout le hasard, nous ne laisserons rien à
la raison » (IGN 2).
Pétrarque dénonce en effet le ridicule d’un scepticisme qu’il juge excessif : « Socrate
affirme : ‘Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien’. Mais Arcésilas reprend cette
humble profession d’ignorance comme trop audacieuse. Il ne veut même pas affirmer que
l’on puisse affirmer que l’on ne sait rien. Et voici cette glorieuse philosophie proclamant
son ignorance ou, du moins, s’interdisant à elle-même jusqu’à la connaissance de son
ignorance ! Quel cercle vicieux ! Quel labyrinthe inextricable ! » (IGN 5). Pourquoi cette
opposition ? C’est que Pétrarque reconnaît assurément l’ampleur de notre ignorance, mais
rejette la complète ignorance, et ce, pour une raison que nous évoquions à l’instant :
l’avènement du Christianisme, la Révélation, qui « a rendu manifeste qu’il est possible de
savoir quelque chose » (IGN 5).

1
Nous rapprocherons volontiers ce point de l’idée qu’il faut adapter le remède au malade, une idée que l’on
trouve admirablement exprimée dans l’Afrique, lorsque Scipion, redoutant que Masinissa, à la nouvelle de la
mort de Sophonisbe, n’attente à sa vie, « le calme par des propos caressants et adaptés aux circonstances, le
réprimande par de douces paroles, le reprend avec bienveillance et désire le soulager de ses pensées funestes.
Ainsi un médecin, reconnaissant les premiers symptômes d’une maladie mortelle, distrait son malade par des
mots apaisants, lui redonne courage et voudrait lui faire oublier le danger qui le menace » (AFR VI 83-88).
Chapitre 3 : Pétrarque 96

Abandonnant donc le scepticisme au sens propre – Pétrarque ne paraît pas avoir


d’intérêt pour les distinctions plus subtiles entre représentation « compréhensive » dont on
affirme la vérité et opinion probable que l’on se contente d’approuver sans prétention à la
connaissance au sens strict –, il admet la possibilité d’un savoir limité, qui est cohérent
avec les attentes exprimées par le précepte delphique du « Connais-toi toi-même ». Car
c’est à cela qu’il faut viser plus qu’à la connaissance de la nature, ainsi que le dit Augustin
dans le Secret : « À quoi bon toutes ces connaissances si, après avoir étudié (…) tous les
secrets de la nature enfin, vous continuez à vous ignorer vous-mêmes ? » (SEC II ; voir
Conf. X 8.15, qui est aussi le fameux passage d’Augustin que lit Pétrarque en ouvrant son
manuscrit une fois parvenu au sommet du mont Ventoux, voir Fam. IV 1). Se connaître
soi-même non pas pour devenir simplement plus savant, mais surtout pour se rendre
meilleur avec la grâce de Dieu. Dans la suite de ce passage du Secret en effet, Augustin
s’en prend à ceux qui dissertent pour le plaisir, et traitent de la vertu sans avoir soin de la
mettre en pratique : « Vous avez, grâce à l’Écriture, découvert le sentier escarpé de la vertu,
et vous vous obstinez à prendre des voies de traverse. Vous avez appris par cœur les hauts
faits des grands hommes, mais vous ne vous souciez pas de ce que vous faites chaque
jour » (SEC II)…
Il s’agit donc de ne pas nier le pouvoir réel de la raison, tout en en soulignant très
nettement les limites, car, écrit Pétrarque, « je me demande ce que peut bien arriver à
connaître une seule intelligence et de quelle valeur est ce savoir. Bien plus, je me demande
si la science d’un homme n’est pas nulle, comparée je ne dis pas à la science de Dieu, mais
simplement à sa propre ignorance » (IGN 3). Il n’est pas surprenant que, dans ce traité sur
Son ignorance et celle de tant d’autres, où il s’en prend aux Averroïstes de l’Université,
fanatiques rationalistes d’Aristote, Pétrarque se montre particulièrement sévère à l’endroit
des prétentions de la raison. « Combien petite et proche du néant est, je ne dis pas la
science de tel ou de tel philosophe, de ceux dont le renom est le plus illustre, mais la
science réunie de tous les hommes, quelle petite portion des choses embrasse cette science
si on la compare soit à l’ignorance humaine soit à la sagesse divine » (IGN 5). Et plus loin :
« C’est chose très vraie que cette parole de Cicéron, qu’il n’est pas un philosophe sérieux
qui ne reconnaisse tout ce qui lui manque ; mais que ce manque-là, moins un homme a de
compréhension, moins il le sent, moins il en a souci » (IGN 5 ; voir Cicéron, Tusc. III 69) –
nous reviendrons sur le cas de ces ignorants qui ne le sont jamais plus que lorsqu’ils n’ont
pas conscience des limites fort étroites de leur intelligence.
Citant le traité sur La nature des dieux à propos de la condamnation, par Cicéron, des
tenants de l’ipse dixit, Pétrarque dénonce à son tour cette « coutume ridicule » ressuscitée
par ses adversaires averroïstes : « Pour moi », écrit-il, « je crois qu’Aristote a été un très
grand homme, un homme très savant, mais un homme, et qu’il a pu, par conséquent,
ignorer différentes choses, et même beaucoup de choses » (IGN 4). Plus loin, il dit encore :
« Je ne saurais accorder que jamais aucun homme, par un effort humain, ait pu tout
savoir » (ibid.), ce que les Aristotéliciens radicaux, eux, n’étaient pas loin d’affirmer.
Pétrarque, en s’opposant à eux, ajoute même que c’est Platon, et non Aristote, qui, aux
dires des vrais Chrétiens, est celui « qui s’est approché le plus près du vrai » (ibid.). La
Chapitre 3 : Pétrarque 97

chose est un peu piquante, à vrai dire1, et ses adversaires auraient eu beau jeu de lui
rétorquer que, pas plus qu’eux, il ne connaissait Platon, dont l’entretenaient certes ses
auteurs favoris (en particulier Cicéron et Augustin), mais que, faute de textes auxquels il
pût accéder, il ne connaissait pas vraiment, les œuvres de Platon étant encore, comme on le
sait, largement inaccessibles dans l’Occident latin. Toujours est-il que, dans la suite des
propos que nous citions à l’instant, Pétrarque demande encore : « Qui donc lui [Platon]
refuse le primat, sinon le sot, le bruyant troupeau des scolastiques ? » – et d’invoquer, à
l’appui de ses dires, plusieurs auteurs antiques, tant païens que chrétiens. Et, pour faire
bonne mesure en s’opposant au radicalisme de ses adversaires averroïstes, Pétrarque joue à
la fois la carte de la provocation et, aussitôt après, celle de la conciliation, qui condamne
seulement l’exclusivisme aristotélicien de ses contradicteurs : « C’est Platon qui est loué
par les plus grands ; c’est Aristote qui l’est par le plus grand nombre [cf. Augustin, Ciu.
Dei VIII 18.36 ; Cons. Euang. I 7] ; et tous deux sont dignes d’être loués et par les plus
grands et par le plus grand nombre. Car, en fait de choses humaines et de choses naturelles,
tous deux sont arrivés au plus haut point que puisse atteindre le génie humain, l’effort
humain » (IGN 4). Il procède alors à une répartition classique : Platon, le « divin Platon »,
l’emporte dans les choses divines ; quant au reste, la première place revient au
« démonique Aristote » (ibid. ; voir également Epist. fam. XVII 1 et XII 14).
Puisque, en tout état de cause, l’erreur est humaine, Pétrarque, en matière de pensée
philosophique, encourage l’éclectisme à la manière de Cicéron ou d’Aristote – ce dernier,
en effet, au témoignage de Chalcidius dans son commentaire au Timée de Platon, « avait
certaine façon qui lui était propre de choisir, dans une doctrine organique et parfaite, ce qui
lui paraissait bon et de négliger tout le reste avec une dédaigneuse insouciance » (In Tim.
13, cité par Pétrarque IGN 4). Ce qui distingue alors l’éclectisme de Pétrarque de celui de
Cicéron n’est finalement que l’option fondamentale d’après laquelle celui-ci est légitimé
(sur ce point, voir Hermand-Schebat 2006) : le premier est libre de juger par lui-même en
vertu de son affiliation à l’Académie ; le second, en vertu de son adhésion au Christianisme,
qui ne lui prescrit pas la pensée d’une école philosophique de manière exclusive et au
détriment de toutes les autres. « Parmi les opinions », écrit en ce sens Pétrarque dans l’une
de ses lettres, « certaines me plaisent, d’autres non ; c’est que je n’aime pas les écoles,
mais la vérité. Voilà pourquoi tantôt je suis péripatéticien, tantôt stoïcien, quelquefois
académicien ; mais souvent je n’adhère à aucune de ces écoles, chaque fois que j’y trouve
quelque chose qui soit contraire à la vraie et sainte foi ou qui lui soit suspect. C’est ainsi
qu’il nous est permis, en effet, d’aimer et d’approuver les écoles philosophiques, si elles
n’écartent pas de la vérité, si elles ne nous détournent pas de notre but principal » (Epist.
fam. VI 2.1).
C’est en ce sens qu’il faut comprendre ce qu’il déclare dans son traité sur La vie
solitaire, que « nulle liberté n’est plus grande que celle du jugement » ; et « c’est
pourquoi », ajoute-t-il, « je la revendique à mon compte afin de ne pas la refuser aux
autres » (VS I 4). En quoi il rejoint pleinement Cicéron. Mieux : il s’accorde encore avec

1
Cette remarque ne l’est pas moins : « Souvent, quand j’ai songé à ce divin génie, j’ai trouvé injuste que
Platon soit sommé de rendre des comptes, puisque les Pythagoriciens dispensent leur chef de cette
obligation » (SEC II).
Chapitre 3 : Pétrarque 98

lui pour accepter, malgré son refus de la soumission aveugle aux autorités, celle de
quelques auteurs dont il préfère le jugement au sien propre. En plus de l’Écriture sainte ou
de l’autorité de l’Église, dont il ne veut pas remettre l’enseignement en question, Pétrarque
exprime encore son entière soumission au jugement d’Augustin. Ainsi voyons-nous
Francesco demander à son interlocuteur du Secret : « Comment pourrais-je dire le contraire
[de ce que vous me dites], moi qui, dès l’adolescence, ai décidé que, si mon jugement
différait du vôtre, c’était moi qui me trompais ? » (SEC I). Pétrarque est d’ailleurs bien
conscient qu’il est, en cela aussi, l’imitateur de Cicéron, ainsi que le montre très clairement
cet autre passage, où il donne cette fois la préférence au jugement d’Ambroise sur le sien
propre : « Je ne veux pas contredire Ambroise ; je suis conscient qu’il dit la vérité, et, si je
ne l’étais pas, ce grand homme, avec une efficacité plus incontestable que celle qui aurait
donné la victoire à Platon contre Cicéron ‘me vaincrait par sa seule autorité’ » (VS II 13 ;
Cicéron, Tusc. I 49).
Voilà donc de quelle manière il s’agit, pour Pétrarque, de naviguer entre les écueils
opposés de l’orgueil dogmatique des rationalistes et la perpétuelle insatisfaction qu’il
attribue aux extrémistes du scepticisme, pour qui la suspension du jugement est comme le
dernier mot de la philosophie. Un jugement réfléchi et raisonnable s’impose donc en la
matière, de sorte que rien ne soit décidé à la légère dans un sens ou dans l’autre : « Même
pour de petites choses, toute sentence doit être mûrement réfléchie en pesant le pour et le
contre » (IGN 4). Et cette attitude implique, tout naturellement, une ouverture d’esprit
étrangère à toute forme d’obstination : « Ce qui nous égare, c’est de nous attacher à nos
opinions anciennes et de ne pas vouloir en changer » (SEC III). Un changement qui, cela
va sans dire, n’est pas assimilable aux palinodies incessantes d’une girouette, incapable de
montrer un tant soit peu de résolution. Voilà pourquoi « un savant personnage a dit qu’à
trop discuter, la vérité se perd, mais une discussion modérée a conduit beaucoup d’esprits à
la vérité » (SEC I ; le savant personnage en question est Publius Syrus, dont le témoignage
est rapporté par Aulu-Gelle XVII 14).
La formule de cet équilibre auquel vise Pétrarque et que nous venons d’esquisser, est
proposée dans le premier entretien du Secret, où nous lisons cette exhortation :
« N’acceptons donc pas tout indistinctement, comme le font les paresseux et les endormis,
mais ne luttons pas non plus passionnément contre une vérité manifeste, ce qui est le signe
d’un caractère querelleur » (SEC I). Cette autre réflexion, tirée du traité sur La vie solitaire,
va, elle aussi, dans le même sens : « Je ne veux pas », y déclare Pétrarque, « être davantage
un proclamateur audacieux de la vérité que son inquisiteur préoccupé. Bien que j’aspire
toujours ardemment à elle, il m’arrive cependant de craindre que le lieu reposant où elle se
dissimule ainsi qu’un mien souci ou un peu d’indolence intellectuelle ne me fassent
obstacle. Je pourrais de la sorte me retrouver prisonnier de la glu des opinions, tout en
cherchant la vérité. D’ailleurs, je ne voudrais pas traiter de ces questions à coup de
définitions, mais par l’observation et la recherche. L’art de définir incombe au sage, et je
ne suis ni sage ni proche de la sagesse, mais – pour utiliser l’expression de Cicéron – je
suis un être « très porté aux conjectures » (VS II 15 ; Cicéron, Luc. 66).
Et puisque nous voyons qu’il est ici question de l’art de définir, ajoutons que, dans la
suite logique de tout ce qui précède, et qui s’intègre pleinement à la perspective de
Chapitre 3 : Pétrarque 99

l’antique « rien de trop », Pétrarque dénonce les excès langagiers des scolastiques, qui
occultent les questions de fond pour les transformer en vaines disputes verbales. Or,
justement, « les bavardages des dialecticiens n’auront jamais de fin. Ils sont tout remplis de
ces définitions sommaires et se glorifient de prêter matière à des disputes éternelles ; mais
savent-ils seulement de quoi ils parlent ? » (SEC I ; et la suite, dirigée contre tous ceux
dont la spécialité est de se payer de mots). Il s’agit donc de dénoncer « les méfaits de la
langue, la vaine logorrhée souvent dommageable à l’homme qui parle, la philosophie
réductible aux seuls mots » (VS II 11). Et, si nous revenons un instant à la discussion entre
Péripatéticiens et Stoïciens à propos de l’honnête, nous voyons que, étant inessentielle aux
yeux de Pétrarque, elle doit impérativement être dépassée sous peine de se transformer en
une simple querelle de mots, propre seulement à détourner l’attention du terme véritable
que doit viser la discussion. « En effet », dit-il, « la plupart des ignorants s’attachent aux
mots comme le naufragé aux planches, sans imaginer qu’une même chose puisse être dite
de façons différentes, si grande est la misère de leur pensée et du langage qui leur sert à
traduire leurs idées » (IGN 4)…
Les experts en disputes verbales dont Pétrarque réprouve l’inanité des controverses, ce
sont les soi-disant philosophes dont nous avons déjà touché un mot, ceux qui ne cherchent
qu’à bavarder sans avoir véritablement le souci de se connaître eux-mêmes. Ces gens-là
sont d’autant plus vains que leur maladie paraît sans remède, aussi longtemps que, se
croyant savants, ils ne reconnaissent pas l’ampleur de leur misère intellectuelle et de leur
ignorance. Prenant violemment à partie le faux savant contre lequel il dirige son Invective
contre un médecin, Pétrarque l’apostrophe en ces termes : « Si tu cessais de te croire
intelligent – ce qui, je pense, est impossible –, tu commencerais peut-être à ne pas être
stupide. On ne peut devenir intelligent, à moins de se connaître soi-même et de détester sa
propre bêtise : commencer par la reconnaître puis en souffrir est le début de la sagesse »
(ICM III 13)1. L’homme de haut rang, mais aussi dépourvu de science que de vertu, qui
fait les frais d’une autre Invective, n’est pas mieux traité que le prétentieux médecin :
« Tout le monde reconnaît ta bêtise mis à part toi : car si tu la connaissais, tu ne serais pas
tout à fait sot ; avouer son ignorance, c’est déjà en sortir » (ICQ 9). Celui qui est incapable
d’une telle lucidité est un cas désespéré, « qu’il ne s’agit plus de châtier mais de brûler,
qu’il faut contraindre non par des mots mais par des maux2 » (ICM III 15). En effet, « si
penser faux est le propre de l’ignorance, soutenir imprudemment une opinion fausse est
signe à la fois d’ignorance et de vanité » (SEC III), ce qui est tout le contraire de ce que
l’on est en droit d’attendre d’un authentique philosophe. Et c’est ce qui, justement, nous
conduit à dire un mot au sujet des vrais et des faux savants.

1
Cela est tout à fait en phase avec ce que dit Cicéron, à un détail près, mais un détail d’importance : la
reconnaissance de notre ignorance ne doit pas, pour Cicéron, nous affliger : l’affliction ou le chagrin, étant
une perturbation passionnelle, doit être purement et simplement éliminée. C’était, nous l’avons vu, un
élément essentiel afin de bien comprendre pourquoi le sage peut être heureux alors même qu’il se sait
ignorant (voir le chapitre 3 de notre étude sur la philosophie de Cicéron).
2
Nous tâchons tant bien que mal de rendre le jeu de mots latin nec uerbis (des paroles, des mots) sed
uerberibus (des coups, et donc des « maux ») coercendus.
Chapitre 3 : Pétrarque 100

3. Le vrai philosophe et la retraite


Cicéron et Pétrarque sont-ils des philosophes ? Ils n’en portent pas la tenue
(prétendument) distinctive, donc… Mais c’est oublier que l’habit, comme le dit le proverbe,
ne fait pas le moine. Pétrarque propose, à cet égard, une réflexion qui va tout à fait dans ce
sens : « Je te répondrai donc à nouveau », écrit-il, piqué au vif par son adversaire, ce
médecin prétentieux dont il fait sa victime, « comme un homme de grande éloquence
répondit à un homme de ton espèce : ‘Je vois la barbe et la robe […], mais je ne vois pas de
philosophe !’ Réponse bien tournée ! Qu’ont à faire l’aspect ou la couleur avec la
philosophie ? Je dirais plutôt que c’est l’aspect et la couleur de l’âme que l’on recherche »
(ICM II 10 ; la référence est à Aulu-Gelle, Noct. att. IX 2.4, qui, dans ce passage, livre un
bon mot d’Hérode Atticus). Que vaut, d’ailleurs, la critique d’un ennemi appartenant à
l’espèce de ce médecin, jugeant d’après l’extérieur plutôt que d’après « la couleur de
l’âme » ? À vrai dire, les critiques d’un tel homme sont de loin préférables à ses louanges ;
et c’est ainsi que, dans la droite ligne de Cicéron préférant les reproches de Vatinius à
l’approbation d’un si méchant homme (voir Vat. 41), Pétrarque écrit à l’adresse de son
ennemi, l’homme de haut rang : « Aussi Dieu m’en est témoin – lorsque j’ai su que tu
t’attaquais à ma personne, ce fut vraiment pour moi comme de recevoir les éloges d’un
grand homme » (ICQ 4 ; pour Cicéron, voir également Harusp. resp. 50 ou Pis. 72).
Ainsi donc, il est absurde de juger de la qualité d’un philosophe en se fondant sur le port
d’un vêtement qui le distinguerait des autres hommes, comme si sa valeur résidait dans cet
appareil : « Mais par tous les dieux, je t’en prie, à quel moment m’as-tu surpris à être assez
stupide pour estimer non le cheval, mais son harnachement ? » (ICQ 13). Le vrai
philosophe, quant à lui, ne se reconnaît pas à quelque chose d’aussi mesquin, mais à sa
capacité à rendre meilleur – et nous avons vu que, sur ce point, pour Pétrarque, les
philosophes latins, Cicéron et Sénèque en tête, l’emportaient sur les Grecs. « Voilà donc
les vrais philosophes, les vrais professeurs de la vertu. Leur première et dernière intention,
c’est de rendre bon celui qui les lit ou les écoute » (IGN 4) – et tel est bien Cicéron, si nous
nous rappelons également le mot d’Érasme que nous citions dans la préface de notre étude,
et que nous reprenions à notre compte : Cicéron, disait le grand humaniste, « m’a ému et,
pour mon bien, il m’a rendu meilleur » (Epist. 1390).
Ajoutons que, si l’habit ne fait pas le moine et que, par conséquent, l’extérieur n’est pas
déterminant pour évaluer la qualité d’un philosophe, pour autant, cela ne veut pas dire que
la négligence et le laisser-aller sont de mise. En ce sens, Pétrarque critique le galimatias de
ceux qui ne se donnent pas la peine de soigner leur expression ; et il note que « seuls sont
en honneur aujourd’hui, chez les philosophes, ce manque d’éloquence, le langage obscur,
entortillé, et cette sagesse que Cicéron qualifie de ‘froncée, pleine de bâillements » (IGN
2 ; Cicéron, Or. II 144). Les adversaires sont ici les scolastiques, dont la langue hérissée ne
peut que heurter le goût d’un amateur des belles lettres comme Pétrarque ; mais, plus que
leur langue barbare, le précurseur de l’humanisme leur reproche surtout leur obscurité, car
le peu de soin qu’ils mettent à s’exprimer clairement, loin de révéler la profondeur de leur
pensée philosophique, témoigne de leur faiblesse d’esprit, « car la clarté est le plus sûr
indice de l’intelligence et de la science. Ce que l’on comprend clairement se peut
clairement exprimer, et ce qu’on a de très profond dans l’esprit peut être déversé dans
Chapitre 3 : Pétrarque 101

l’esprit du lecteur » (IGN 4 – immanquablement, on pense aux célèbres alexandrins de


Boileau, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous
viennent aisément »).
La négligence qu’il réprouve dans l’expression, il ne la blâme pas moins dans le port,
s’opposant autant que Cicéron ou Sénèque aux extravagances des Cyniques. Mais plutôt
que ces derniers, ce sont les gymnosophistes et les brahmanes que stigmatisme de
préférence Pétrarque : quoiqu’il y ait, chez ces hommes, bien des choses à admirer, « leur
nudité », écrit-il, « m’insupporte, car (…) un manteau convenable et honnête ne sert pas
seulement à se protéger du froid, mais à couvrir sa pudeur (…) Leur manque d’intérêt pour
le sommeil et la nourriture est comparable à celui des bêtes ; car lorsqu’on veut fuir les
soins de la vie, on doit faire attention à ne pas glisser dans l’extrême opposé » (VS II 11).
Somme toute, poursuit-il, il approuve lui aussi la juste mesure que, dans son traité des
Devoirs, Cicéron recommande de garder (voir Off. I 130)
Aussi bien dans sa tenue que dans son expression, le véritable philosophe évitera donc
de se signaler par des extravagances ou des négligences impropres à faire de lui un guide
auquel on puisse vouloir emboîter le pas. Car il s’agit bien, pour le philosophe, d’être
homme à rendre meilleurs ses semblables. Nous comprenons incidemment que, pour
Pétrarque non plus que pour Cicéron, le philosophe ne peut être un simple répétiteur. Ici
encore, ce sont les Averroïstes, sectateurs radicaux d’Aristote, qu’il vise : « Il y a des
hommes qui n’osent rien écrire de personnel, mais, avides qu’ils sont d’écrire tout de
même, se font commentateurs des œuvres d’autrui, comme des gens ignorants de
l’architecture et qui assumeraient la tâche de blanchir les murs pour chercher là-dedans une
gloire qu’ils ne sauraient obtenir ni par eux-mêmes ni par autrui » (IGN 4). Effectivement,
admirer un auteur, ce n’est pas l’imiter ou le reproduire, et c’est encore moins le copier
purement et simplement (ibid.). La véritable admiration est libératrice, tandis que les autres
démarches sont en quelque sorte serviles, et voilà pourquoi Pétrarque insiste sur la
nécessité pour chacun de trouver des maîtres dignes d’être appréciés, comme le dit Vérité
dans le prologue du Secret : « Chacun sait qu’une doctrine s’insinue plus aisément dans
l’esprit de l’auditeur qui a de l’affection pour son maître » (SEC prol. ; voir également OR
I 17.4).
Mais l’affection doit être raisonnée, sous peine d’être dommageable, puisque le maître
que l’on choisit peut exercer son influence en bien ou en mal. « Car bien que la nature de
chacun abonde en vices qui lui sont propres, une grande part des maux naît de l’émulation
et du mimétisme. Après tout, quel imitateur fut jamais satisfait des fautes de son
modèle ? » (VS I 8). Et, dans la suite de ce passage de La vie solitaire, Pétrarque développe
une théorie de l’imitation où ce sont hélas les mauvais modèles, et non les bons, qui font le
plus souvent et le plus aisément l’objet d’une imitation. Les choses vont donc de mal en pis
– ce qui rejoint une réflexion dont nous parlions ci-dessus à propos de cette pente
descendante que suit l’humanité : « La folie s’est transmise de main en main et s’est accrue
de l’un à l’autre ; il est difficile d’estimer par la pensée le niveau qu’elle atteindra avec les
derniers » (ibid.).
Si donc il faut se garder de l’influence néfaste que d’autres peuvent exercer sur nous,
nous devons a fortiori nous méfier de nous-mêmes, car un excès d’amour-propre nous
Chapitre 3 : Pétrarque 102

aveugle. Or ce maître, l’amour-propre, menace, lui aussi, de nous entraîner toujours plus
avant sur des voies de traverse : « Combien ne doit-on pas davantage redouter de se
tromper soi-même, alors que prévalent l’amour, la confiance, la familiarité ? », demande
Augustin dans le Secret ; « car chacun s’aime soi-même et s’estime plus qu’il ne veut.
Trompé et trompeur, c’est tout un » (SEC I). La lettre-préface au traité sur La vie solitaire
va tout à fait dans ce sens : « Quel homme, en effet, est capable de juger avec raison ce
qu’il aime avec force ? Si l’amour était capable de cerner et de discerner ce qui est juste,
pourquoi l’Antiquité l’aurait-elle dépeint aveugle ? » (VS praef. ; voir également II 14).
Parmi les mauvais maîtres, il faut bien sûr aussi compter la foule : nous avons déjà vu, à
propos de la gloire, qu’Augustin mettait Francesco en face de sa propre incohérence, lui
qui était avide de gloire et, par conséquent, de l’approbation d’hommes pour lesquels il
n’avait guère de considération par ailleurs. « Insensé qui cherches la vérité dans les
divagations du vulgaire », lui dit-il encore, « comptes-tu trouver la lumière en suivant des
guides aveugles ? Quitte les sentiers battus, vise plus haut, suis la voie du petit nombre,
alors tu mériteras d’entendre la parole du Poète : ‘Courage, noble enfant, c’est ainsi qu’on
parvient aux cieux !’ » (SEC I ; la citation est de Virgile, Aen. IX 641). De même, au cours
de leur seconde conversation, Augustin s’exclame encore : « Tu te laisses troubler par
l’opinion du vulgaire, dont le jugement n’est jamais droit, et qui ne sait pas même le nom
des choses ! Il me semblait que tu professais pour lui le plus grand mépris » ; et Francesco
de répondre alors : « Jamais je ne l’ai plus méprisé ; l’opinion qu’a de moi le vulgaire ne
m’importe pas plus que celle d’un troupeau de bêtes brutes » (SEC II).
S’il méprise la foule, c’est que Pétrarque lui préfère de loin le recueillement et la
solitude. Or cette solitude qu’il recommande et adopte de préférence doit être bien
comprise, car il ne s’agit nullement de l’isolement misanthrope d’un Timon. La solitude de
Pétrarque est une paisible et studieuse retraite, qui, dit-il en substance dans son Invective
contre un médecin, n’est à charge que si l’on est incapable de demeurer auprès de soi-
même : « Celui-là hait la solitude, qui s’y trouve seul ; et il redoute le repos, celui qui le
passe à ne rien faire. Mais combien il a de motifs d’en concevoir du chagrin, celui qui,
pour se réjouir, recherche la compagnie de la foule » (ICM 4). L’otium véritable est donc
tout le contraire de la torpeur qui rend l’oisif insupportable à lui-même ; c’est une retraite
qui permet de se concentrer sur ce qu’il y a de plus élevé en se recentrant sur les activités
de l’âme. Voilà pourquoi Pétrarque écrit encore, plus loin dans le même ouvrage : « Ce qui
fait le bonheur et ce qui fait le malheur résident au-dedans de l’âme ; aussi ce vers est-il
loué à bon droit : ‘Ne te recherche pas au-dehors’ (ICM IV 4 ; le vers est de Perse, Sat. 1.7).
Qui sont donc ces gens qui se recherchent au dehors ? Pétrarque répond à cette question
dans la préface de son traité sur La vie solitaire : ce sont les vaniteux qui, « comble de leur
folie », « se plaisent aux trépidations de la foule » et « qui ont rendu proverbiale la phrase
suivante : ‘Quelle belle chose de voir du monde, de fréquenter des gens’ ». À cette
démence, Pétrarque répond par une invitation à la retraite, loin du bruit et de la fureur où se
complaît le grand nombre : « Il est préférable, assurément, de voir des cavernes et des bois,
et de fréquenter ours et tigres » (VS I 3). Si les hommes vains aiment à être à ce point
empressés auprès de leurs semblables, que l’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas par amour
pour les hommes ; en réalité, ils « ne le font que parce qu’ils ne peuvent rester avec eux-
Chapitre 3 : Pétrarque 103

mêmes ». Ceux qui, au contraire, sont capables de demeurer auprès d’eux-mêmes sont
disponibles pour l’étude, ornement de la retraite en faveur de laquelle ils se sont décidés :
« La solitude sans culture est un exil certain, une prison, un chevalet de torture ; ajoute-lui
la culture, elle devient la patrie, la liberté, le plaisir », et de citer alors Cicéron : « Quoi de
plus doux qu’un loisir lettré ? » (VS I 3 ; Cicéron, Tusc. V 105).
Incontestablement, Pétrarque est de ceux qui, comme il le dit lui-même ; « conçoivent
le plus honnête des plaisirs dans les livres, l’intelligence et la réflexion » (ICM IV 5). Mais,
dans ce cas, la retraite n’est-elle pas une forme d’échappatoire ? C’est que Pétrarque se
souvient de l’Ecclésiaste : « Malheur au solitaire, car, s’il tombe, il n’a personne pour le
relever » ; et « Mieux vaut être deux plutôt que seul, car on a de la sorte l’avantage de la
compagnie » (Qo 4.10 et 4.9). Il rappelle encore Aristote qui, dans ses Politiques, soutient
que l’homme solitaire ne peut-être qu’un dieu ou une bête, mais non un homme (voir Pol. I
2.8). Ces objections, note cependant Pétrarque, n’en sont pas réellement, car le propos de
la vie solitaire n’est pas de nature à être agréé par tous, et il ne doit pas l’être non plus ; qui
plus est, Pétrarque ne se fait nullement le « héraut de la haine », et n’interdit pas le moins
du monde la société (VS II 15). C’est là ce qui ressort du rejet de la misanthropie au départ
de plusieurs textes cicéroniens sur la sociabilité de l’homme (Lael. 88 et Off. I 158) :
l’homme fuit naturellement la solitude, dont il ne voudrait pas, dût-il y jouir de tous les
biens en abondance. Or, explique alors Pétrarque, Cicéron, malgré les apparences, n’a pas
« condamné tout ce que nous disons sur la solitude » : « Vois ce qu’il ajoute », poursuit le
précurseur de l’humanisme renaissant, « afin que soit bien clair le fait qu’il parle seulement
de la solitude extrême et inhumaine (…), et qu’il condamne ainsi non pas notre opinion,
mais plutôt une autre, qu’il ne veut pas qu’en fuyant la solitude, on se précipite dans la
foule, mais qu’il ne désire qu’une seule chose, à savoir qu’on ne fuie pas l’humanité par
amour de la solitude » (VS I 7 ; voir également la suite).
La solitude, par conséquent, ne s’identifie pas à l’isolement pur et simple ; et celui qui
aime le calme trouve refuge dans sa retraite studieuse non pour y fuir la totalité des
hommes, mais pour mieux y retrouver ses amis, loin de la cohue de la foule. Voilà
pourquoi, « à vrai dire, jamais la présence d’un ami ne me semblera rompre la solitude,
mais plutôt l’embellir ». Ainsi « toute l’affaire se résume à ceci : comme tout le reste, je
partagerai la solitude elle-même avec mes amis, car je prête foi aux paroles de Sénèque
disant que ‘la possession de tout bien, si elle n’est pas partagée avec un compagnon, n’est
pas agréable’ ; et je ne doute pas que la solitude soit réellement un bien immense et doux »
(VS I 7 ; Sénèque, Ep. I 6.4)1. C’est tout à fait dans le même esprit que Pétrarque,
s’adressant au dédicataire de son traité sur La vie solitaire, lui dit encore : « Alors il me

1
Curieusement, toutefois, en VS II 4, parlant d’Augustin prenant congé d’Alypius, « son ami le plus fidèle »,
Pétrarque dit que le grand docteur africain « se retira dans un lieu plus à l’écart, parce que la présence fût-ce
d’un tel ami pouvait lui être pesante ». C’est un peu étonnant, non seulement si l’on compare ce propos avec
celui que nous citions de VS I 7, mais aussi parce qu’Augustin lui-même semble dire exactement le
contraire : « Je me retire donc au jardin, suivi pas à pas par Alypius : du moment que c’était lui, ma solitude
n’était pas entravée » (Conf. VIII 8.19). Comment expliquer cette erreur de Pétrarque, excellent connaisseur
des Confessions ?
Chapitre 3 : Pétrarque 104

semblera que j’aurai pleinement atteint la condition du solitaire, quand je serai avec toi »
(VS II 14).
Toutefois, s’il s’efforce de montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre son propos et
celui de Cicéron notamment, Pétrarque est bien conscient de n’être pas non plus tout à fait
en phase avec l’idéal de l’Arpinate. Nous avons déjà abordé brièvement cette question dans
l’introduction de notre étude sur Cicéron, à propos de la découverte, par Pétrarque, des
Lettres à Atticus. Celles-ci lui avaient révélé un Cicéron très engagé dans les affaires, et
bien éloigné de son idéal de lettré retiré. Car Pétrarque ne fait pas de mystère sur ce point :
« Les décisions, la conduite des affaires, l’administration des charges publiques sont pour
d’autres, qui sont nés pour ces activités ; pour moi, rien absolument ne me convient sinon
la retraite, le silence, la sécurité et la liberté : voilà mes soucis, voilà mes affaires » (ICQ
12). Mais peut-être y a-t-il, chez notre auteur, comme un sentiment diffus de culpabilité,
qui trouve à s’exprimer par l’organe d’Augustin dans le Secret : « Vous autres, mortels »,
dit-il à Francesco, « vous renoncez à bien des choses parce que vous désespérez de jamais
les obtenir » – c’est très exactement ce que disait Cicéron dans Les devoirs, quand il parlait
de ceux qui « paraissent redouter les peines et les désagréments ainsi que la honte, pour
ainsi dire, et l’opprobre des revers ainsi que des échecs » (Off. I 71). Augustin poursuit :
« Tu ne dis pas que tu n’as pas désiré les honneurs, mais que tu détestes les ennuis que
cause leur recherche, un peu comme celui qui s’effraie des fatigues d’un voyage à Rome et
renonce à partir » (SEC II). Toutefois, nous pensons que Pétrarque ne se fût pas attiré de
reproches de la part de Cicéron, qui, quelques lignes plus haut, dans le paragraphe que
nous citions à l’instant, justifiait le désengagement en faisant remarquer qu’il fallait
« excuser (…) les hommes de talent supérieur qui, sans embrasser une carrière politique, se
sont consacrés à la science. »
Mais alors, pourquoi Cicéron n’a-t-il pas lui-même manifesté plus de goût pour la
retraite ? Pétrarque, dans sa Vie solitaire, s’interroge sur l’attitude de l’Arpinate, et voici ce
qu’il écrit à ce sujet : « Le seul des lettrés qui ne tolérait pas, selon moi, la solitude avec
une sincérité suffisante fut Cicéron » (VS II 12). Mais, se hâte-t-il d’ajouter, ce qui lui était
odieux n’étant pas tant sa solitude elle-même que la cause de cette retraite (voir en partic.
le prologue de Off. III) ; du reste, poursuit en substance Pétrarque, Cicéron était aussi un
orateur et, à ce titre, il ne pouvait qu’aimer de trouver où son talent pût se déployer. Cela
dit, « les avantages fournis à Cicéron par cette solitude peu appréciée de lui1 sont bien
connus. Elle le rendit, de parfait orateur qu’il était, grand philosophe ; et aucun savant
n’ignore quel bénéfice ce fut là pour la culture latine » (VS II 12). Et nous ne résistons pas
au plaisir de citer plus longuement la suite de ce passage, qui nous servira de conclusion
pour cette trop brève annexe :
Dans ces lieux [ceux de sa retraite], il [Cicéron] établit les fondements des lois, renforça
l’Académie, arma l’orateur, détermina les devoirs, redessina le visage et la nature des dieux,

1
Graduellement, explique encore Pétrarque, Cicéron en vint à aimer cette solitude : dans la suite de son
propos, il réunit toute une série de témoignages, tirés de la correspondance de l’Arpinate, pour montrer que
celui-ci, avec le temps, recherchait de plus en plus la retraite qu’il avait commencé par fuir. Ce faisant, il est
tout à fait remarquable de voir comment Pétrarque parvient à découvrir, dans ces lettres, ses propres
sentiments, allant même jusqu’à dire qu’il croirait être lui-même l’auteur des passages qu’il cite.
Chapitre 3 : Pétrarque 105

arracha les racines de la divination, cette science du faux, définit les limites du bien et du mal,
et composa une splendide exhortation à la philosophie (…) Dans ces lieux solitaires, il
enseigna le mépris de la mort, l’endurante victoire sur les douleurs corporelles, il apprit à
chasser la tristesse de son âme en recourant à la raison, à extirper les maladies et leurs causes,
il enseigna enfin, contre l’opinion des plus grands hommes, que la vertu, en vue d’une vie
bonne et heureuse, n’a besoin d’aucun soutien et qu’elle se suffit à elle-même. Cette dernière
affirmation, plus que toute autre, donne, pour reprendre son expression, du lustre à la
philosophie. Et tandis que d’autres bavardent de manière aride et plate, il traita les mêmes
sujets avec exhaustivité et beaucoup d’élégance pour ne pas séparer l’utile et l’agréable, et
dans le dessein de faire correspondre à l’importance des contenus la splendeur et la
magnificence de la forme.

*
* *

« Il y aurait bien d’autres emprunts à faire (…), mais je m’abstiens, de peur que
l’ouvrage que j’entreprends ne soit, pour l’essentiel, le bien d’autrui. On aurait tort,
cependant, de considérer ainsi les acquis d’une longue et patiente recherche ; quand ils sont
salutaires et de grand goût, il ne s’agit plus des mots d’un auteur particulier : comme
Sénèque aimait à le dire, ‘ils appartiennent à tout le monde’ » (OR I 3.6 ; Sénèque, Ep. II
21.9)
BIBLIOGRAPHIES
BIBLIOGRAPHIE I

Première partie : sources anciennes et modernes. Par souci de commodité, et parce qu’il était
nécessaire de tracer une frontière (inévitablement arbitraire) dans le cadre des bibliographies, nous
avons fait commencer la littérature secondaire « contemporaine » (voir ci-après, « Bibliographie
II ») après la mort de Hegel (1831), vers l’époque où Madvig publiait ses célèbres éditions de
Cicéron : le Caton et le Lélius, en 1835, et surtout les Termes extrêmes, en 1839.
Les sources anciennes et modernes seront présentées comme suit dans cette première partie de
la bibliographie : d’abord Cicéron lui-même [1], puis les autres auteurs occidentaux [2], de
l’Antiquité d’abord [a], du Moyen-Âge jusqu’aux Temps Modernes ensuite [b] ; et enfin, très
brièvement, les auteurs chinois [3].

1. Cicéron

L’édition de référence en langue française (c’est elle que nous avons consultée de préférence, en
plus de quelques volumes des « Classiques Garnier »), avec le texte latin en regard, est celle de la
« Collection des Universités de France », publiée sous le patronage de l’Association Guillaume
Budé. Cette édition, forte de plus de cinquante volumes, n’est cependant pas complète, puisqu’il y
manque les Académiques, La nature des dieux et La divination. Voici comment se présentent les
volumes de cette collection :
§ Discours
Discours, vol. 1 : Pour P. Quinctius, Pour Sex. Roscius d’Amérie, et Pour Q. Roscius le
Comédien (éd. et trad. par H. de la Ville de Mirmont & J. Humbert).
Discours, vol. 2 : Pour M. Tullius, Discours contre Q. Caecilius, dit La Divination,
Première action contre C. Verrès, et Seconde action contre C. Verrès, I : La préture
urbaine (éd. et trad. par H. de la Ville de Mirmont).
Discours, vol. 3 : Seconde action contre Verrès, II : La préture de Sicile (éd. et trad. par H.
de La Ville de Mirmont).
Discours, vol. 4 : Seconde action contre Verrès, III : Le froment (éd. et trad. par H. de La
Ville de Mirmont & J. Martha).
Discours, vol. 5 : Seconde action contre Verrès, IV : Les œuvres d'art (éd. par H.
Bornecque, et trad. par G. Rabaud).
Discours, vol. 6 : Seconde action contre Verrès, V : Les supplices (éd. par H. Bornecque,
trad. par G. Rabaud).
Bibliographie I 108

Discours, vol. 7 : Pour M. Fonteius, Pour A. Cécina, et Sur les pouvoirs de Pompée [=
Pour la loi Manilia] (éd. et trad. par A. Boulanger).
Discours, vol. 8 : Pour Cluentius (éd. et trad. par P. Boyancé).
Discours, vol. 9 : Sur la loi agraire, et Pour C. Rabirius (éd. et trad. par A. Boulanger).
Discours, vol. 10 : Catilinaires (éd. et trad. par H. Bornecque & É. Bailly).
Discours, vol. 11 : Pour Muréna, et Pour P. Sylla (éd. et trad. par A. Boulanger).
Discours, vol. 12 : Pour le poète Archias, et Pour L. Flaccus (éd. et trad. par A. Boulanger).
Discours, vol. 13 : [Première partie] Au Sénat, Au peuple, et Sur sa maison (éd. et trad. par
P. Wuilleumier). [Deuxième partie] Sur la réponse des haruspices (éd. et trad. par P.
Wuilleumier & A.-M. Tupet).
Discours, vol. 14 : Pour Sestius, et Contre Vatinius (éd. et trad. par J. Cousin).
Discours, vol. 15, : Pour Caelius, Sur les provinces consulaires, et Pour Balbus (éd. et trad.
par J. Cousin).
Discours, vol. 16 : [Première partie] Contre Pison (éd. et trad. par P. Grimal). [Deuxième
partie] Pour Cn. Plancius, et Pour M. Aemilius Scaurus (éd. et trad. par P. Grimal).
Discours, vol. 17 : Pour C. Rabirius Postumus, et Pour T. Annius Milon (éd. et trad. par A.
Boulanger).
Discours, vol. 18 : Pour Marcellus, Pour Ligarius, et Pour le roi Déjotarus (éd. et trad. par
M. Lob).
Discours, vol. 19-20, Philippiques (éd. et trad. par P. Wuilleumier & A. Boulanger [pour le
vol. 19]).
§ Traités et dialogues philosophiques et rhétoriques
De l'invention (1 vol. éd. et trad. par G. Achard).
De l’orateur (3 vol. éd. et trad. par E. Courbaud & H. Bornecque [pour le vol. 3]).
L’orateur & Du meilleur genre d’orateurs (1 vol. éd. et trad. par A. Yon).
Divisions de l'art oratoire et Topiques (1 vol. éd. et trad. par H. Bornecque).
Brutus (1 vol. éd. et trad. par J. Martha).
Les paradoxes des Stoïciens (1 vol. éd. et trad. par J. Molager).
La République (1 vol. éd. et trad. par E. Bréguet).
Traité des lois (1 vol. éd. et trad. par G. de Plinval).
Traité du destin (1 vol. éd. et trad. par A. Yon).
Des termes extrêmes des biens et des maux (2 vol. éd. et trad. par J. Martha).
Tusculanes (2 vol. éd. par G. Fohlen, et trad. par J. Humbert)
Caton l’ancien : de la vieillesse (1 vol. éd. et trad. par P. Wuilleumier).
Lélius : de l’amitié (1 vol. éd. et trad. par R. Combes).
Les devoirs (2 vol. éd. et trad. par M. Testard)
§ Correspondance
Bibliographie I 109

Correspondance (11 vol., éd. et trad. par J. Bayet [vol. 4-5], J. Beaujeu [vol. 6 et 8-11] &
L.-A. Constans [vol. 1-4 et 7]).
§ Autres
Aratea & fragments poétiques (1 vol. éd. et trad. par J. Soubiran).
*
Pour les œuvres qui manquent dans cette collection, nous nous sommes reporté de préférence
aux éditions suivantes :
• De la divination / De divinatione (éd. et trad. par J. Kany-Turpin), Paris, 2004.
• La nature des dieux (trad. par C. Auvray-Assayas), Paris, 2002. Pour le texte latin de cette
œuvre, qui n’est pas proposé dans cette édition, nous renvoyons à Pease (1955-1958 dans
la bibliographie contemporaine).
• Pour les Académiques, la traduction française la plus récente est celle des Classiques
Garnier par Ch. Appuhn ; dans cette collection, nous avons également consulté la
traduction de l’ensemble des traités philosophiques par le même traducteur : La république,
et Les lois (1 vol.) ; La nature des dieux (1 vol.) ; La divination, Le destin, et les
Académiques (1 vol.) ; Les termes extrêmes des biens et des maux (1 vol.) ; les Tusculanes
(1 vol). ; et La vieillesse, L’amitié, et Les devoirs (1 vol.).
Dans la même collection des Classiques Garnier, nous avons encore utilisé la traduction des
Lettres familières (3 vol. trad. par É. Bailly) et des Lettres à Atticus (3 vol. trad. par É. Bailly), ainsi
que L’invention (1 vol. trad. par H. Bornecque) et plusieurs discours (Pour Sestius, Contre Vatinius,
Pour Caelius, et Les provinces consulaires, trad. par H. Bornecque).
En anglais, nous avons utilisé les traductions suivantes :
• Pour La république et Les lois, nous avons lu la traduction de N. Rudd (The Republic. The
Laws, 1998) dans les « Oxford World’s Classics ».
• Pour les Académiques, nous avons lu la récente traduction de Ch. Brittain (On Academic
Scepticism, 2006), qui surclasse de très loin toutes les traductions françaises disponibles.
• Pour Les termes extrêmes, nous avons consulté la traduction de R. Woolf (On Moral Ends,
2001) dans les « Cambridge Texts in the History of Philosophy ».
• Pour Les devoirs, nous avons utilisé les traductions de W. Miller (On Duties, 1913) dans la
« Loeb Classical Library », de E.M. Atkins (On Duties, 1991) dans les « Cambridge Texts
in the History of Political Thought », et de P.G. Walsh (On Obligations, 2000) dans les
« Oxford World’s Classics ». La meilleure, à notre sens, est celle d’Atkins, parce qu’elle
est, pensons-nous, à la fois très précise et vraiment rigoureuse.
En italien, nous avons utilisé la traduction de A.R. Barrile (I doveri, 1958) rééditée (avec de
menues corrections) dans la « Biblioteca Universale Rizzoli – Classici Greci e Latini ».

2. Autres auteurs occidentaux

Pour les auteurs grecs et latins cités, nous utilisons de préférence les volumes publiés dans la
« Collection des Universités de France », dans les « Classiques Garnier » ou dans l’ancienne
Bibliographie I 110

« Collection des auteurs latins » dirigée par Nisard. À cela s’ajoutent essentiellement les cinq
sites web suivants :
1. Le site de la Latin Library (www.thelatinlibrary.com), qui, si les textes qu’il propose
ne sont pas toujours d’une fiabilité exemplaire, constitue un outil de travail
extrêmement pratique auquel nous avons constamment eu recours.
2. Autre domaine précieux, le Site de l’Antiquité grecque et latine (dont le propos est
d’ailleurs plus étendu encore) animé par Ph. Remacle et d’autres, propose une foule de
textes et des traductions anciennes patiemment numérisées et relues : http://remacle.org.
3. Indispensables aussi, en particulier pour les moteurs de recherche très performants dont
ils sont pourvus, le site des Itinera electronica (http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/),
pour le latin, et celui des Hodoi elektronikai (http://mercure.fltr.ucl.ac.be/hodoi), pour
le grec, de l’Université Catholique de Louvain.
4. Pour un grand nombre d’ouvrages anciens, des éditions numérisées peuvent être
consultées sur le site http://gallica.bnf.fr/ de la Bibliothèque Nationale de France.
5. Enfin, GoogleTM Livres (http://books.google.be/books/) nous a permis de disposer très
facilement de nombreuses ressources anciennes, par ailleurs introuvables ou d’accès
malaisé – voir notamment, parmi les notices ci-dessous, celles que nous consacrons à
Juste Lipse ou à François de La Mothe Le Vayer.
Outre ces collections, ajoutons quelques éditions que nous avons également consultées pour
certains auteurs, par ordre alphabétique :

a. Auteurs antiques

Pour Aristote, nous avons utilisé surtout le Protreptique dans la traduction de Follon (Paris,
2000, sous le titre Invitation à la philosophie), l’Éthique à Nicomaque, dans les deux traductions de
Tricot (Paris, 1953) et de Bodéüs (Paris, 2004), la Métaphysique, dans la traduction de Tricot (Paris,
1953), et les Politiques, dans la traduction de Pellegrin (Paris, 1999).
Pour Augustin, bien que l’édition de référence en langue française soit publiée dans la
« Bibliothèque augustinienne », nous utilisons de préférence une ancienne traduction publiée sous
la direction de Raulx (Bar-le-Duc, 1869), intégralement disponible en ligne, avec de nombreuses
autres traductions, sur le site http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm. Pour le
texte latin d’Augustin, comme pour celui d’autres auteurs, une part substantielle au moins du
Patrologiae latinae cursus completus de Migne est disponible sur le site Documenta catholica
omnia à l’adresse suivante : http://www.documentacatholicaomnia.eu/_index.html.
Pour les Vies et doctrine des philosophes illustres de Diogène Laërce, l’ancienne et médiocre
traduction de Genaille est, depuis dix ans, remplacée très avantageusement par une nouvelle
traduction collective publiée sous la direction de Goulet-Cazé, Paris, 1999 (pour la deuxième
édition revue et corrigée).
Si nous avons généralement lu les poètes latins dans l’une ou l’autre des trois collections
générales mentionnées plus haut, ajoutons cependant que, pour Claudien, nous avons tiré profit de
deux sites proposant ses œuvres en latin ou en traduction : Lacus Curtius: Into the Roman World
(http://penelope.uchicago.edu/Thayer/E/Roman/home.html) et Curculio (http://curculio.org/).
Bibliographie I 111

Pour Épictète, outre la traduction de Bréhier (voir-ci-dessous, dans la notice relative à Marc
Aurèle) nous utilisons en priorité l’édition et traduction de Souilhé (et Jagu pour les livres III et IV)
dans la « Collection des Universités de France » pour les Entretiens. En ce qui concerne le Manuel,
c’est la traduction de P. Hadot qui a notre préférence (Paris, 2000).
Nous citons le code de Justinien (Iustiniani Digesta) d’après l’édition de Mommsen revue par
Krüger. Le texte est disponible en ligne, et nous l’avons consulté à l’adresse suivante: http://upmf-
grenoble.fr/Haiti/Cours/Ak/Corpus/digest.htm.
Parmi les nombreuses traductions de Lucrèce, notre préférence va à celle de Kany-Turpin, Paris,
1993, rééditée en volume de poche en 1997.
Pour Marc Aurèle, nous utilisons en priorité le précieux recueil traduit par Bréhier sous le titre
Les Stoïciens (Paris, 1962), auquel nous avons également eu recours pour plusieurs traités de
Sénèque, de Cicéron et d’autres textes stoïciens.
Pour Maxime de Tyr, nous avons utilisé, outre l’ancienne traduction de ses Dissertations par
Combes-Dounous (1802), disponible sur Le site de l’Antiquité grecque et latine (voir ci-dessus), la
traduction anglaise avec commentaire de Trapp : Maximus of Tyre: The Philosophical Orations
(Oxford, 1997).
Pour Musonius Rufus, nous utilisons la traduction de Jagu, Musonius Rufus. Entretiens et
Fragments. Introduction, traduction et commentaire (Hildesheim – New-York, 1979), que nous
préférons à celle de Festugière. Toutefois, cette dernière propose, en outre, une traduction de Télès
(Deux prédicateurs de l’Antiquité, Paris, 1978). Nous avons également utilisé la traduction
italienne de Ramelli, Musonio : Diatribe, frammenti e testimonianze (Milan, 2001) qui propose, en
regard le texte original dans l’édition de Hense (1905).
Pour Platon, nous utilisons surtout la nouvelle traduction de ses œuvres, publiée entre 1987 et
2006, aux éditions GF Flammarion. L’ensemble a été tout récemment repris et complété (par
quinze dubia et apocryphes) dans un volume unique (avec un appareil de notes extrêmement
succinct, qui ne dispense donc pas de recourir aux volumes séparés) aux éditions Flammarion en
2008. C’est de cette édition très commode dont nous nous servons de préférence.
En ce qui concerne les philosophes dits « Présocratiques », la référence est l’œuvre conjointe
de Diels & Kranz : Die Fragmente der Vorsokratiker, publiée pour la première fois en 1901 et dont
la sixième édition, en 3 tomes, a été publiée à Berlin en 1951-1952. L’édition que nous consultons
est celle de G. Reale, qui reproduit l’original et lui associe une traduction italienne complète : I
Presocratici (Milan, 2006).
Pour Sénèque, nous utilisons principalement l’édition bilingue de la Collection des Universités
de France (Dialogues, 4 vol. éd. et trad. par A. Bourgery [vol. 1-2] et par R. Waltz [vol. 3-4] ; La
clémence, 1 vol. éd. et trad. par F.-R. Chaumartin ; Les bienfaits, 2 vol. éd. et trad. par F. Préchac ;
Apocoloquintose, 1 vol. éd. et trad. par R. Waltz ; Lettres à Lucilius, 5 vol. éd. par F. Préchac, et
trad. par H. Noblet ; Questions naturelles, 2 vol. éd. et trad. par P. Oltramare ; Tragédies, 2 vol. éd.
et trad. par L. Herrmann, nouvelle éd. et trad. en 3. vol. par F.-R. Chaumartin), et, pour la
commodité, l’édition des « traités » (les « dialogues », La clémence et Les bienfaits) et des Lettres à
Lucilius revue par Veyne. Cette édition est très pratique (et il faut certainement la préférer à
l’ancienne de la C.U.F. pour La clémence, heureusement remplacée par l’éd. de Chaumartin), mais
nous ne saurions trop exprimer toutes les réserves que nous inspirent nombre de remarques, de
jugements, de rapprochements proposés par ce sinistre M. Veyne.
Bibliographie I 112

Pour les fragments des Stoïciens, de manière générale, la référence, ce sont les Stoicorum
Veterum Fragmenta de von Arnim (3 vol., Leipzig, 1903-1905, et 1 vol. supplémentaire d’Indices
par Adler en 1924) ; nous ne consultons pas cependant cette édition originale, mais celle qui, tout
en reprenant le texte de l’original, lui associe une traduction italienne, la seule complète qui soit
parue à ce jour à notre connaissance : R. Radice (éd.), Stoici antichi. Tutti i frammenti (Milan,
2002). — Pour Posidonius, nous avons consulté l’édition par Edelstein & Kidd, Posidonius. I. The
Fragments. Nous avons de même utilisé l’édition bilingue de Vimercati (voir ci-dessous, dans la
bibliographie contemporaine, Vimercati 2004) ; nous nous sommes également servi de l’édition
bilingue de Panétius par le même Vimerati (voir ibid., Vimercati 2002). — Pour Hiérocles, voir
Long (éd.), Elementi di etica dans le premier tome (I.1) du Corpus dei papiri filosofici greci e latini
(Florence, 1992, p. 268 suiv. pour une édition bilingue grec-italien).

b. Auteurs médiévaux, renaissants et modernes

La tragédie Cato (1713) de Joseph Addison est disponible sur le site suivant :
http://www.constitution.org/addison/cato_play.htm, qui reproduit une édition de 1848.
Pour Érasme, nous nous sommes servi de La correspondance d'Erasme dans la trad. de
Delcourt (Bruxelles, 1967 suiv.) d’après le texte de Allen (éditeur de l’Opus epistolarum).
Pour Fénélon, on peut commodément consulter ses Dialogues des morts sur le site
http://www.mediterranees.net/mythes/enfers/fenelon/index.html.
De Frédéric II, nous citons l’édition suivante : De la littérature allemande, voir les Œuvres de
Frédéric II, Roi de Prusse, publiées du vivant de l’Auteur, Berlin, t. III, 1789. L’ouvrage est
accessible via GoogleTM livres.
Nous avons consulté la Porcie de Robert Garnier dans l’édition de Ternaux (Paris, 1999).
Pour Gracián, nous citons le Criticon dans la traduction de Sollé (Paris, 1999 ; depuis lors
remplacée par celle de Pelegrin, que nous n’avons cependant pas utilisée). Le texte original est
disponible à l’adresse http://www.cervantesvirtual.com.
Pour Grotius, nous avons consulté son De iure belli ac pacis dans la première édition latine,
publiée à Paris en 1625 ; l’ouvrage est accessible sur le site de la Bibliothèque Nationale de France
(voir ci-dessus).
Nous citons Hegel d’après l’édition bilingue de sa préface à la Phénoménologie de l’esprit
(Paris, 1999, trad. Lefèbvre ; voir également la trad. de Bourgeois, Paris, 1997).
Les œuvres complètes de La Mothe Le Vayer, dans l’édition de Dresde (7 vol. doubles, 1756-
1759 – il s’agit de la dernière édition complète à ce jour) sont disponibles sur GoogleTM Livres.
Pour Lipse, nous avons consulté l’ouvrage suivant : De constantia libri duo qui alloquium
praecipue continent in publicis malis (Amsterdam, 1652). Nous avons également tiré profit des
ressources proposées dans l’anthologie suivante, composée par Nisaeus : Mellificium sive
Syntagma deliciarum quae in praeclarissimis Iusti Lipsi monumentis hactenus editis passim
habentur (Bautzen, 1679). Ces deux ouvrages peuvent être téléchargés via GoogleTM Livres.
Pour les Soirées de Saint-Pétersbourg de Joseph de Maistre, voir une édition en ligne
commode sur le site http://cage.rug.ac.be/~dc/Literature/JMSP/index.html, qui reproduit l’édition
de Lyon, 1842. Pour son De l'État de nature ou Examen d'un écrit de Jean-Jacques Rousseau, nous
Bibliographie I 113

citons l’édition de poche des Mille et une nuits, qui reproduit le texte de l’édition de Lyon (t. VII
des Œuvres, 1884, pp. 509-566).
Nous n’avons pas consulté le Moralium dogma dans l’édition de Holmberg (Upsal, 1929), mais,
par commodité, dans l’ancienne édition, qui figure dans le t. 171 du Patrologiae latinae cursus
completus de Migne.
Pour Pétrarque, outre les éditions mentionnées en note au début du chapitre annexe qui lui est
consacré, nous avons, pour le texte latin, consulté le site de la Biblioteca italiana
(http://www.bibliotecaitaliana.it), qui propose, entre autres ressources très nombreuses, les œuvres
complètes de Pétrarque.
Nous citons Thomas d’Aquin d’après le texte de ses œuvres complètes, proposé sur le site
www.corpusthomisticum.org.

3. Auteurs chinois

Nous lisons de préférence Confucius dans les traductions françaises de Cheng (Paris, 1981),
Ryckmans (Paris, 1987) et Lévy (1994). Pour Mencius, nous utilisons en parallèle les traductions
françaises de Pauthier (Paris, 1865) et de Lévy (Paris, 2008, qui reproduit sa traduction de 2003, les
coquilles en moins), d’une part, et la traduction anglaise de Van Norden (Indianapolis IN, 2008), de
l’autre : les interprétations peuvent être sensiblement distinctes. Pour Xunzi, faute d’avoir pu
accéder au texte traduit en anglais par Knoblock, nous lisons la seule traduction française de
Kamenarovic (Paris, 1987).
Pour Zhuangzi, nous utilisons à la fois la traduction de Liou Kia-hway (Paris, 1969) et celle,
plus récente, de Lévi (Paris 2006 ; n.b. : il s’agit bien ici de J. Lévi, et non d’A. Lévy).
Le texte chinois de tous ces auteurs (et de nombreux autres) est intégralement disponible et
aisément consultable sur le site http://chinese.dsturgeon.net/.
Enfin, nous avons lu le Mudan ting (Le Pavillon des Pivoines) de Tang Xianzu dans la
traduction de Lévy (Paris, 1998).

*
* *

Pour la bibliographie des ouvrages anciens et modernes, voilà qui doit être à peu près
complet. Sunt alii plures fortasse, pour parler comme Cicéron, sed e mea memoria
dilabuntur, « il y en a peut-être d’autres, mais ils échappent à ma mémoire » (13 Phil.
11)…
BIBLIOGRAPHIE II

Deuxième partie : littérature secondaire contemporaine. — De toute évidence, une telle


bibliographie ne peut être que très incomplète, et ce, d’autant plus que celle-ci ne comporte, pour
l’essentiel, que des titres français, anglais et, dans une moindre mesure, italiens. En effet, il faut
bien confesser que nous ne lisons pas l’allemand, tout en étant conscient que c’est là une grave
lacune…
Une bibliographie complète couvrant les différents aspects de la pensée cicéronienne que nous
avons abordés comme tels ou en ne les mentionnant, pour ainsi dire, qu’en passant, couvrirait sans
peine plusieurs centaines de pages. Il ne s’agit donc ici – puisque la composition d’une
bibliographie n’était pas le propos de notre étude, mais était plutôt au service de notre propos – que
des ouvrages et articles que nous avons effectivement consultés. Un petit nombre d’articles et
d’études ne nous sont connus que de seconde main : la chose est systématiquement mentionnée à la
suite des entrées concernées.
Remarque : les recueils ne font l’objet d’une entrée séparée que si plusieurs articles sont cités
dans la bibliographie ; dans ce cas, le lieu d’édition ainsi que le titre complet du recueil (s’il est
long) ne sont indiqués intégralement qu’à l’entrée de leur éditeur.

G. ACHARD,
—, « Les Paradoxa Stoicorum de Cicéron : éloquence ou philosophie ? », dans Revue des
Études Latines 77 (1999), pp. 72-86.
K.A. ALGRA,
—, « Chrysyppus, Carneades, Cicero. The ethical diuisiones in Cicero’s Lucullus », dans B.
Inwood & J. Mansfeld (éds), Assent and Argument, 1997, pp. 107-139.
K.A. ALGRA, & alii (éds),
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article que de seconde main.]
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TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES DU TOME II

CHAPITRES ANNEXES ............................................................................................... 1

Remarques préalables à propos des chapitres annexes ........................................................................... 5

Chapitre premier : Platon .......................................................................................................................... 8


1. Le point de vue socratico-platonicien ............................................................................................. 8
2. Bien débuter ; engagement et désengagement .............................................................................. 10
3. La recherche du vrai et l’entreprise de réfutation.......................................................................... 15
4. La conviction sans la certitude, et le sens de l’ironie socratique .................................................. 20
5. Opinion droite contre sentiment de la foule .................................................................................. 27
6. L’ignorance et le mal ; les conditions du bonheur ........................................................................ 32

Chapitre 2 : Sénèque................................................................................................................................. 40
1. Action et contemplation ; rôle de la physique ............................................................................... 40
2. Cynisme et popularité .................................................................................................................... 44
3. Société et amitié ............................................................................................................................ 50
4. Imitation et liberté ......................................................................................................................... 53
5. Progrès moral et sagesse................................................................................................................ 57
6. Critique de la dialectique ............................................................................................................... 61
7. L’unique bien, l’âme humaine et les risques de la sociabilité ....................................................... 68
8. La lutte contre les passions ............................................................................................................ 83

Chapitre 3 : Pétrarque ............................................................................................................................. 88


1. Les mérites de Cicéron et de la langue latine ................................................................................ 88
2. La gloire, la vertu et les limites de la connaissance humaine........................................................ 93
3. Le vrai philosophe et la retraite ................................................................................................... 100

BIBLIOGRAPHIES ................................................................................................... 106

Bibliographie I ......................................................................................................................................... 107


1. Cicéron ............................................................................................................................................. 107
2. Autres auteurs occidentaux .............................................................................................................. 109
a. Auteurs antiques ..................................................................................................................... 110
b. Auteurs médiévaux, renaissants et modernes ......................................................................... 112
3. Auteurs chinois ................................................................................................................................ 113
Bibliographie II 148

Bibliographie II ....................................................................................................................................... 114

TABLE DES MATIÈRES .......................................................................................... 146

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