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François Recanati

Intervention
au séminaire du docteur Lacan
Seminar 19, ... ou pire, 1971/72,
Sitzung vom 14. Juni 1972
sowie ein Brief com 18. Juni 1972

Ce texte n'est ici produit qu'au'titre':de mémorial d'une interven-


tion; il ne s'agit pas d'un écrit : e'est dire qu'il se prête à tous les vents
dont la fonétion est de supporter le vol de la parole, à distinguer en
ceci donc du vol de la lettre, qu'un e'm't justement, pour la parole, peut
officier en cette dispersion, pour faire sentir ce qui nécessairement
dans le passage se perd. Qye Pécrit puisse être effet de la parole, n'im-
plique pas néanmoins que Pinverse soit vrai (de relever de la loi de
leur chute, les corps ont peine a se relever). -- Un coup de pouce
dès lors s'impose, sous forme d'un avertissement en trois points :
1) L'emprunt aux textes intéresse non pas la tbíorie qu'ils connotent,
mais la daãrins qu'ils expriment: c'est d'elle qu'émane Peffet tragique
d'.une dárueïmle de flruãîure, qui est le moins qu'on attende d'une réfé-
rence à la cosmologie. La théorie par contre, en Poccurence la logique
de Peirce, fait défaut dans Pexposé, sauf la où elle défaille å dans le sui-
cide que confiitue pour elle la doélarine du potentiel. z) Ceci n'empêche
pas que la doétrine soit le défilé essentiel à la théorie : essentiel à être,
par elle, obstrué. C'est le dérisoire dela doétrine qui fonde le sérieux
de la théorie. La doétrine a une fonétion d'irnpasse qui garantit la cir-
culation (Pordination) de la théorie. Ainsi des concepts comme paten-
tiel ou rubrïame doivent se comprendre à partir de cette fonétion : “ non
comme catégories, mais comme modes de colleétiviser le signifiant ”.
3) Le dévoilement de cette fonétion, et la localisation' des concepts
doétrinaux dans Péconomie théorique, sont absents de Pexposé, qui
se voulait seulement support de Peffet tragique dit plus haut. Ils ont
fait Pobjet des séances du ra et du 19 décembre 1972 au séminaire du
doéteur Lacan.

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IN'I'ER.VEN'I'ION AU SÉMINAIRE DU DOCTEUR LACAN

I. Texto parlé de l':"atcr:/cation faire lc 14 juin 1972 par mx assistant


au Séminaire du docteur Lacan å lafaculté de Droit (Paris 1).

Il faut ici que je me présente : je le ferai par les circonstances


qui ont déterminé ma situation. J'ai envoyé il y a quelques jours
au docteur Lacan la traduction de quelques textes de C. S. Peirce,
a qui il a déja fait les références que vous savez. Ces textes, je les
lui ai envoyés, non qu'il ne les conriût pas, mais parce qu'ils parais-
sent sortir de la catégorie de ceux que d'ordinaire on cite. Il s'y
agit de cosmologie et de mathématiques. Quant a la mathémati-
que, Peirce y critique les définitions habituelles qu'on donne du
continu, et ce en fonétion d'un critère unique : ces définitions ne
marquent pas comme telles i le fait précisément qu'a le définir, on
détermine d'une certaine manière le continu, que la définition
plonge peut-être son objet dans plusieurs dimensions a la fois,
sans tenir compte par ailleurs de ce plongement. Peirce veut que la
prise cn vue du continu soit elle-même marquée quelque part dans
les définitions qu'elle ordonne. Quant à la cosmologie, Peirce
part du problème de la genèse de Punivers; la encore, la même
préoccupation intervient : on ne peut accéder a ce qu'il y avait
“ avant ” par la simple opération analytique qui consiste a enlever
a ce qu'il y a eu“ après ”, tout ce qui fait le caractère de cet“ après ”.
Car P “ avant ” qu'on détermine alors n'est Pavant que de cet
“ après ”, il n'est qu'une spécification imaginaire de cet “ après ”.
L' “ avant ” n'est à ce titre qu'un “ après ” raturé; c"'est même
cette inscription de Pavant sur le mode de cette rature, qui caraété-
rise, qui fonde P “ après ” comme tel. L'après ne diffère donc ainsi
de Pavant que par cette inscription particulière. Mais le fait que
Pavant soit inscrit dans l*a_;brè.r n'implique nullement qu'on puisse
Py retrouver : puisque la seule chose qui caractérise Pavant, c”est
jafiemcnt de n'être pas inscrit, c'est-a-dire de n'être pas non plus
inscrit comme non-inscrit. Autrement dit, Pavant est ce qui n'est
pas inscrit, qui n'est rien, et Paprès est le même rien, mais ins-
crit. Le non-inscrit en général, Peirce Pappelle le potentiel, qui
fait problème dans sa détermination. C'est de ça que je dois par-
ler.
Mais avant de le faire, je voudrais ouvrir une parenthèse sur ma
position ici. Elle est paradoxale. En efiet, je ne suis pas un spécia-
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_
INTERVENTION AU SÉMINAIRE DU DOCTEUR LACAN

fiãe, pas plus de Peirce que d'autre chose. Gest d'autant plus vrai
que je n'ai pas eu le temps pour aujourd'hui d'ouvrir Pédition des
œuvres de cet auteur, qui miintroduit pourtant. Mon intervention
à propos des thèmes qu'évoque le docteur Lacan est donc para-
doxale en son fondement : puisque je n'énonce rien qu°à le lui
prendre, je conserve dans ma parole mon štatut. d'auditeur, d'un
auditeur qui ne signifierait dans son message que le fait d'avoir
écouté... dès lors, à qui m'adresser ? Pas ã ceux qui comme moi,
ont écouté, à qui cela ne servirait à rien. Et ceux qui n'ont pas
écouté, je ne peux que les faire persévérer dans leur non-écoute,
puisque si j'inscris ce rien, ça ne servira pour eux qu'à fonder une
élaboration qui par principe exclut ce rien, à le relativiser. C'e§t en
tant que mon intervention ne dérange rien, qu'ici je représente
Pauditoire : mais à le représenter, je Pexclus de ce qui se dit, puis-
que les interventions d'Aris`tote ne se produisent que :apposée:
dans le discours de Parménide. Aristote ne saurait. prendre vrai-
ment la parole qu°à avoir aussi son auditeur muet :V alors il peut
s'identifier à celui-là. Alors il dit, dans la Métap/gyríque nommément:
“ Nous, platoniciens. ” Tant que Parménide parle, ou Platon, il
s'en abštient. Uhomonymie des deux Aristote est ici précieuse pour
établir ce lien. e
Mais ce paradoxe niétant pas mon fait, je laisse au doêteur Lacan
le soin de' le commenter. Je reviens à Peirce.
On ne peut pas, dit-il, opposer le vide, le zéro, au quelque chose,
car le zéro peut être quelque chose. Le vide représente quelque
chose, il fait partie de ces concepts “ secondants ” : il n'est pas une
monade, mais il est relatif. En ef1'et,, si l'on pose le vide, on Pins-
crit. En Poccurrence, Pinscription de Pensemble vide donne ceci:
{ Ø }, qui se reconnaît pour être Pensemble vide comme un élément
de Pensemble deses parties dont, si on veut en faire aussi Pensem-
ble des parties, on peut aussi écrire quelque chose comme ça :
{Ø, { Ø }} ce qui conduit àfceci: {{ Ø }}, qui peut à la rigueur repré-
senter le nombre z. On voit comment la répétition d'une inexištence
fonde la suite des entiers, mais aussi cette inexištence ne se répète
pas comme telle, puisque ce qui compte, c'eš`t Pinscription. On
rejoint le propos mathématique de Peirce : quand on veut définir un
système où cette inexištence est répétée, il faut préciser qu'elle est
répétée comme inscrite : au départ, il y a cette inscription d'une

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nvruavaunon au súnnvarnn nu nocruua Lacan
inexistence. Ceci est très important pour la logique : le quanteur
universel tout seul ne saurait rien définir. Le quanteur universel,
pour Peirce, dans son usage courant en mathématique, est quelque
chose de recandant, comme il dit, il est relatif à quelque chose. Ce
qui fonde ce quanteur, c'est la néantisation préalable et inscrite des
valeurs qui le contredisent. Ainsi d°un point de vue purement
méthodologique, Peirce s'attaque à Cantor : Cantor a tort, parce
que sa définition du continu renvoie à tous les points de Pensemble.
Peirce précise : une ligne ovale n°est continue que parce qu'il est
imparrible de nier qu"au moins un de ses points doit vérifier une
fonétion qui ne caraétérise pas Pensemble. La négation est ici
érigée en fonôtion et Pensemble des éléments pertinents pour
cette fonétion est : Pensemble vide, qui inscrit la négation comme
impossible. Le même type d'exemple pourrait être pris en topolo-
gie : le théorème des points fixes devrait s'énoncer comme suit :
3x{ Hxfbx } : il est impossible de nier que, dans une application
d'un disque sur son bord, au main: un point échappe à la déforma-
tion générale, qu'iliautorise par son fait (...).
C'est avec des considérations de cette sorte que Peirce construit
le concept de potentiel : le potentiel est le lieu où s'inscrivent les
impossibilités, il est la possibilité générale des irnpossibilités non
efl`e&uées, c'est-à-dire non inscrites. Mais il ne comporte, par
rapport aux inscriptions qui s'y produisent, aucune nécessité;
ainsi le z n'est pas susceptible d'aucune explication ratiwmelle au
sens de Hegel, c'est-à-dire nécessaire. Le potentiel permet de défi-
nir le paradoxe du continu : si un point d'un ensemble continu
potentiel se voit conférer une détermination, une inscription, une
existence précise, alors la continuité est rompue [-- Réflexions de
Peirce sur la définition kantienne du continu; cf. Vol VI, § 168.]
Revenons à la cosmologie : le zéro aÿrolu, diiïérent du zéro qui
se répète dans la suite des entiers, n'est autre que Pordre en géné-
ral du potentiel. Ainsi le zéro absolu a une dimension propre. Le
problème est : comment peut-on passer de cette dimension à
Pautre. Peirce le présente ainsi : co mment penser non temporelle-
ment ce qu'i1 y avait avant le temps P Ça rappelle Spinoza et saint
Augustin, mais ça rappelle surtout les empiristes qui par excel-
lence ont préparé Peirce. On reconnaît leur style dans pas mal de
ses écrits. Ce qu”on a moins remarqué, c'est que la question des
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2-
nrrxavmmon au såmmamn nu nocruua Lacan
deux dimensions, potentielle et temporelle, c'est-ã-dire la question
du zéro absolu et du zéro de répétition, cette question est présente
depuis le début de Pépopée empiriste. Je voudrais en toucher un
mot, avant d'en venir à. la sémiotique de Peirce.
Tout d'abord, et on s'est obstiné à ne pas le voir, Pobjet de la
psychologie empiriste, c'est le problème des signes. Il s'agit .d'une
extension du système quaternaire des signes de Port-Royal : la chose
comme chose et comme représentation, le signe comme chose et
comme signe, Pobjet du signe comme signe étant la chose comme
représentation. C"est la même chose d'ailleurs que dit Saussure :
le signe comme concept et comme image acoustique. Seulement on
a évacué, avec la scolastique, le problème de la chose en soi. On
a même été jusqu'à voir dans le monde le signe de la pensée. Ou
encore : le monde comme représentation remplace la chose, et la
pensée du monde remplace la représentation. De surcroît, le monde
de pensée ne peut que s'identifier à la pensée du monde. A partir
de quoi, il faut soit abandonner le système quaternaire, soit le
changer. Berkeley Pabandonne (pas de diíférence entre la pensée et
le monde), et Locke le change : les idées ne représentent pas les
choses, elles se représentent entre elles, les idées les plus complexes
représentant les plus simples. Voilà pour la topique de Locke, qui
est _à peu près ce qu”on en a dit : une hiérarchie des facultés et des
idées. Seulement il y a une autre faculté qui seule permet que le
système fonétionne, c'est la faculté d°obserznztion, qui ressemble
étrangement à l'interprátation de Peirce. Liobservation transforme
les idées simples en idées complexes, et elle est à. la fois le processus
de la transformation et liélément, le milieu, du transformé. L”idée
complexe est Pimage de Pidée simple, mais connotéo de l'z'nsor:j›tion
de sa transformation en image. On voit tout de suite le problème :
qu'est-ce qui se passe au début ? Quel est le premier objet de l'obser-
vation ? Ou plutôt, qu'est-ce qui permet Pobservation ? Locke ne
s'explique pas, il dit que c°est la nature humaine, que ça sort de
Pexpérience. Condillac lui succède et sa méthode est exemplaire.
Il va cerner ce quelque chose dfinatteignablie en lui donnant un
nom; il s'en sert comme d'une inconnue dans une équation. Il dit
que ce quelque chose mystérieux, c'est ce qui passe dans la sensa-
tion. Tout ce qui arrive après est déjà potentiellement la-dedans.
Alors il va caraftériser Pensemble de ce qui se passe après la sensa-
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nvmavnnnon au sémnaran nu nocmun Lacan
tion, c'est-à-dire Pentendement en général, pour définir mieux le
quelque chose qui permet tout ça. l
Le propre de Pentendement, dit-il, c'est l'ordre, la liaison en
.général qui unit les idées, les signes, les besoins. Chez Phomme,
dit-il, Pordre fonãtionne tout seul, tandis que chez les bêtes, il faut
pour mettre Pordre en branle une impulsion extérieure ponctuelle.
Entre les hommes et les bêtes, il y a les imbéciles et les fous :
les uns n'arrivent pas à accrocher Pordre, les autres n'arrivent plus
a s'en détacher : ils en ont trop, ils :ont la passion de la liaison 1.
L'ordre c'est ce qui permet de passer d'un signe à l'autre, c'est
la possibilité diavoir une idée de la frontière entre deux signes.
Chaque signe représente, non la chose, mais Pordre lui-même,
c'est-à-dire qu'il substantifie un intervalle entre deux signes.
Seulement les signes en général sont censés représenter quelque
chose; comment se fait alors la liaison entre le signe formel et
sa référence P Cette liaison elle-même, dit Condillac, dérive de
Pinconnue, la sensation. Alors Pinconnue est déjà une relation :
entre le signe comme événement, et le signe comme insorzjotion de Péné-
nernent. Ça, ce n"est pas Condillac qui le dit, ciest Destutt de Tracy,
son exégète. Et Maine de Biran construit toutes ses théories là-
dessus : il y a un perpétuel décalage entre Pévénement et Pinscrip-
tion, et ce décalage vient du décalage chez Pêtre parlant entre le
sujet de Pénoncé et le sujet de Pénonciation. Je ne plaisante pas ;
Maine de Biran dit ça dans ses Fondements de la psychologie. Pour
Condillac Pordre des signes a comme modèle l'espace pluridimen-
sionnel du temps. Le temps n'est qu'une répétition infinie de ponc-
tualités* (la ponétualité comme temps-zéro) mais ce n'est pas la
même ponftualité, celle qui se répète dans le temps et celle dont le
temps est issu, la ponétualité zéro comme transparence entre Pins-
cription et Pévénement. Car la ponétualité qui se répète dans le
temps est relativisée comme cette ponétualité-là, présente, passée,
1. “ Je suppose deux hommes : Pun chez qui les idées :font jamais pu se lier;
Pautre chez qui elles se lient avec tant de facilité et tant de force, qu'il n'est plus le
maître de les séparer. Le premier seroit sans imagination et sans mémoire, et n'auroit,
par conséquent, Pexercice d'aucune des opérations que celles-ci doivent produire.
Il seroit absolument incapable de réflexion; ce seroit un imbécile. Le second auroit
trop de mémoire et d'ímagination, et cet excès produiroit presque le même effet que
Pentière privation de l'une et de l'autre. Il auroit à peine Pexercicc de sa réflexion,
ce seroir un fou. ” Condillac, Essai, Paris, An VI, p. 81, Sa.

6o
rn-rnnvunrron au sémnaraa nu nocrnua Lacan
au à venir, elle est considérée du point de vue de ses bords. Ainsi
le temps, plutôt qu'une série de ponétualités, est la série des fron-
tières interponétuelles. Il y a la même différence entre la ponétua-
lité absolue et le temps, qu'entre Pensemble vide et Pensemble de ses
parties : c'est lïnseription dn zéro qui est élément de celui-ci, de même
que c”est Pinscription de la ponftualité qui est Pélément du temps.
Ainsi, il y a une faille qui est donnée au départ, et que Maine de
Biran a essayé de cerner 1. Le système des signes n'est que la répé-
tition infinie de cette faille. En tant que telle, pure faille, elle sort
de Pexpérience et de Pinvestigation de ~l'école empiriste. Mais tous
les phénomènes en sont marqués : la temporalité et les signes,
comme ordre, en sont le produit. C'est cette faille qui permet Panto-
motricité du système de signes, chez Phomme, pour Condillac.
On rejoint par là la sémiotique de Peirce ; il appelle qaotvspóv Pen-
semble de tout ce qui est présent à Pesprit, réel ou pas, Pimmédiate-
ment observable. Il se constitue de trois éléments indissociables,
qu'il appelle le prirnnn, élément complet en lui-même ; le seoondan,
force statique, opposition de deux éléments. Et le tertian, élément
immédiatement relatif à un premier et un troisième. Toute conti-
nuité, tout procès relèvent pour Peirce de la ternarité.
A partir de là, il construit une logique, qui se spécifie en sénziotiqne,
la sémiotique se spécifiant à son tour comme rhétorique. Tout tient
dans sa définition du signe, ou represenfnrnen :“ C”est quelque chose
qui pour quelqu'un tient lieu d'une autre chose d'un certain point
de vue ou d'une certaine manière. ” Il y a quatre éléments :
1) Pour quelqu'un, “ cela signifie que le signe crée dans Pesprit
du destinataire un signe plus équivalent ou même plus développé ”.
z) Donc la réception du signe est un deuxième signe, fonétion-
nant comme interprétant.
5) La chose, dont le signe tient lieu, est dite son objet.
Ces trois éléments seront les sommets du triangle sémiotique.
4) Le quatrième terme est plus discret mais non moins intéressant :
Le signe tient lieu de Pobjet non absolument, mais en réfé-
1. ]'ai caraétérisé ailleurs les points de vue de Locke, Condillac, Maine de Biran
de la façon suivante : pour Locke la chose est supposée entre Paffeétion qu'elle pro-
duit et la sensation qui est Paffeélzion exposée å l'ol›servaiion. Pour Condillac, la chose
est supposée entre la sensation et son signe. Pour Maine de Biran, le sujet est supposé
entre un signe et un autre signe.

61
rnrnavmvrron au sémnamn nu noc-mon Lacan
rence a une espèce d'idée, appelée le ground: sol de la relation du
signe et de Pobjet.
Ces quatre termes définissent trois relations qui sont les objets
respeétifs des trois branches de la sémiotique :
A. Relation signe-fond : grammaire pure ou spéculative. Il
s'agit de reconnaître ce qui doit être vrai du signe pour avoir du
sens. L'idée est la focalisation du representnrnen sur un objet
déterminé, selon le ground, le point de vue. De même, le represen-
tnnzen est par rapport à son fond la détermination d'un certain
point de vue qui commande le rapport a Pobjet. Le ground est
donc le potentiel, Pespace préliminaire de Pinscription.
B. Relation representarnen-olÿet: c'est le domaine de la logique
pnre : science de ce qui est vrai du represenfarnen pour qu'il tienne
lieu d'un objet.
C. Relation representarnen-interprétant, que Peirce appelle avec
génie la rhétorique pure : qui reconnait les lois selon lesquelles un
signe donne naissance à un autre signe (qui le développe). Cette
idée comme quoi le mécanisme de produétion d'un signe par un
autre signe ressortit de la rhétorique était déjà le fait de Condillac.
Dans son ,Conrs d'étnde pour Péducation du prince de Parme, il
fait Papologie des tropes, et montre que tout signe est à Porigine
trope : comme condensation de deux autres signes, substanti-
fication de leur frontière. Bréal, dont le maître est Condillac,
assène Quintilien dans sa Sérnnntiqne: sans les tropes, il n'y aurait
pas beaucoup de vocabulaire. Etc.
Cette question de la rhétorique pure, Peirce Paborde ã l'aide de
son triangle sémiotique :

R I

0'

“ Le represenrarnen, premier, a une relation primitive à un deuxième,


l'objet. ,Mais cettetrelation peut déterminer un troisième, Pinterpré-
tant, à avoir ln inzêäne relation à son objet que lui-même entretient. ”
62.

1-
m-mavsnnon au ssmnatau nu nocrnua Lacan
Le ground, absent ici, détermine la relation representunzen-objet, qui
détermine comme répétition la relation representnnzen-interprétant, et
ainsi a Fini-ini. L'infinité de ce cursus permet de dire que le rapport
fgpresentanzen-objet n'est pas déterminable. Le vide entre le represen-
fnnzen et Pobjet est ce qui se répète dans le cursus des interprétants.
Le triangle sémiotique reproduit d'autre part la même relation
ternaire que les armoiries des Borromée : les trois pôles sont liés
par cette relation, d'une manière qui niadmet pas de relations
duelles multipliées, mais une triade irréduétible.
Peirce : “ L'interprétant ne peut avoir de relation duelle à Pobjet,
mais à la relation que lui commande celle du signe-objet, qu'il
ne peut avoir cependant identique, mais dégénérée. La relation
signe-objet sera le propre objet de Pinterprétant comme signe. ”
Le triangle se développe donc en chaîne, comme interprétation
interminable :

R-
(J
Exemple : O = justice R = balance I, === égalité I, =-= communisme etc...
La relation égalité-justice est de même ordre que balance-justice,
mais pas la même. Égalité vise non seulementjustice, mais aussi le
rapport hnlnnee-jusiiee. Tel est le modèle du procès de signification
en tant qu'il est interminable. D'un premier écart, naît une série
d'autres, et Pélément pur du premier écart était ce ground, analogue
au pur zéro. Ici encore, surgit la double fonétion du vide.
On pourrait citer plus d'un exemple : ce serait s'en tenir au
commentaire. @e le discours de Lacan permette de redonner
sens à d'autres discours plus anciens, c'est le premier fruit qu'on
peut en retirer. Mais le repérage de ce qui s'est produit sous la
plume de Peirce d°un frayage logique, n'est que Pinscription de ce
qui comptait jusque-la pour du beurre. Les suites de cette inscrip-
tion sont peut-être infinies, il faut dorénavant leur laisser la place,
ce que je fais à Pinstant.
65
rnrnnvxnnon au ssmnamu ou nocrutm Lacan
II. Commentaire de Pinteruention,
enfornse de lettre adressée au docteur Laean (1 8juin 1972). s

Cher Monsieur,
Je change Pair, mais je garde la chanson: pour un commentaire
de ce que j'ai dit au Panthéon.
La question est celle du thème central qui ordonnait la diversité
des trois problèmes examinés.
La cosmologie de Peirce retrouve une tradition philosophique,
mais après un détour par sa logique. Aussi peut-on partir de n'im-
porte quel bout, ou presque : j'ai commencé, à tort, par une remar-
que mathématique, qui aurait mieux fait de venir à la fin (: que le
fait de définition doive* être, comme le dit Peirce, pour certains
cas, marqué en un point de la définition - implique qu'il y ait
un “ effet de définition ”). Je laisse cela ici. Mais cette remarque
était liée par Pordonnancement des Collected Papers (vol. VI), à
celle qui dans mon exposé l'a suivie : sur le problème de la genèse
de l'univers.
Peirce dit que la valeur néant-absolu (avant Punivers) ne se
distingue pas des valeurs “ après ” (ordre de l'u.nivers), par aucune
qualité intrinsèque venue de celles-ci surcharger celle-là. Le néant
absolu était une possibilité infinie tous azimuts : cette potentialité
générale n'a rien à voir avec une série de possibilités individuelles.
Une potentialité ne se réalise certes qu'individuellement, mais
alors la potentialité est détruite. Seul le potentiel embrasse indistinc-
tement tous les points d'un ensemble. Ainsi le potentiel n'a pas
de commune mesure avec Pordre de ses réalisations individuelles.
L'ordre de la réalisation se caraétérise au contraire par le fait qu'il
y est impossible d'embrasser tous les points à la fois. Cest le prin-
cipe de cet ordre, et par là ce sont les points qui y échappent qui
le fondent. De plus, toute singularité ne se constituecomtne réali-
sation qu°à immédiatement inscrire Pexception, Pimpossibilité.
D'où le paradoxe de ce premier trait singulier : en même temps
qu”il vient représenter, inscrire, comme réalisation, ce qui s'est
donné comme potentiel, il le supprime par son fait, et son premier
elfet est de forclusion : il passe tout de suite à la limite du potentiel,
il en institue .les frontières. Cette inadéquation fondamentale entre
le potentiel et Pindividuation est le sol de ce qui tend à se systé-
64
rnmxvsnnon au sfimnamr. ou nocrnun Lacan
matiser dans Pindividuation : la recherche du quanteur universel
Pgfdu. Dans le quadrant logique* de Peirce, les deux portions perti-
nantes pour Vx<l>x indiquent bien ce passage : du néant de la portion
4 à la systématisation individuelle de la portion I, qui pourrait
être invalidée par la survenue à tout moment d'un trait horizontal,
dont Pévitement ne passe que par son remplacement préventif
gn ce lieu par un trait vertical, et ce jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de
blancs --- non plus dès lors que de traits verticaux.
Autrement dit il y a trois niveaux : 1) le néant germinal, z) le trait
forclusif, 3) la répétition infinie du trait. L'essentiel, c'est que
1) ae 5). C'est le sens de Passertion : il ne suffit pas de barrer
Paprës pour retrouver l'arant: comme Paprês est lui-même un avant
barré, Paprës barré ne sera qu'un avant barré deux fois. Et le propre
du néant germinal, comme avant, c°est de n”être pas du tout inscrit.
Si tant est qu°il y a une efficacité de Pinscription (ceci ayant portée
générale), alors on ne saurait, à vouloir effacer Pinscription, ã
barrer la barre, que la redoubler. Ce redoublement est la repétition
dite plus haut véhiculer le trait forclusif. p n
La double valeur du zéro apparaît immédiatement : le potentiel
ne le reste qu'à inexister effeétivement ; Palternative est : le potentiel
comme possibilité infinie ne possède aucune garantie de sa potentia-
lité, en n'étant pas inscrit. A s'inscrire, il se perd lui-même, car en
transportant Puniversalité potentielle sur le mode de Pinscription,
il ne lui reste plus qu'à épuiser cette universalité dans Pexhaustion
des inscriptions, tâche impossible, à cause du premier trait irré-
dufiible.
Ce qui est en jeu, c°est donc la sauvegarde du tous (V) dans
Pexistence (El).
L'exemple que j'ai donné de Pinscription de Pensemble vide
est insuffisant pour pointer cet enjeu : les différents traits n'y sont
pas distingués: Ø, { Ø} (trait forclusif), {{ Ø }} (répétition)... Mais
il est néanmoins intéressant de marquer que chaque ensemble n'est
pris en vue que rapporté ã un autre ensemble (celui de ses parties).
Un modèle préférable serait celui où les traits sont liés aux quan-
teurs comme indices de Pordre (potentiel ou singulier). S'il est
explicité, le théorème des points fixes peut servir à ce dessein.

1. Cf. Seilisel, n° z/5, p. 115-1 14.

65
5
rnrnavnnrron au súmnamn nu nocrnun Lacan
“ -Ce qui fonde le quanteur universel, avais-je dit, est la néantisation
préalable et inscrite des valeurs qui le contredisent ” : mais alors,
plus de quanteur universel. On peut s'en tirer autrement, en main-
tenant la distinétion potentiel-singulier :
Le trait forclusif, qui veut énoncer le potentiel, le transforme en
irnpotentiel; il laisse encore possibles bien des impossibilités, mais
ae _ toutes. Autrement dit, Paétion
. dans . . du _ P otentiel n'est P as diminuée,
.
mais sa récu ération
.s1ble. Ce qui.Ppeut s'écr1re l'1nscr1
_ ainsi
_ _ :P tion se P 1? comme 1mP os-
c étue

(I) Ill est possiblej--îšv* (4)

(2) soiiimpossiblel (5)

où l*on voit s'ordonner différentes relations. Les termes en sont


les suivants :
1) le quanteur universel comme relevant du potentiel (Il est
possible...). A _
z) le trait forclusif (spécification du potentiel - position corré-
lative d'une impossibilité). _
5) les négations spécifiques comme fonétion du trait forclusif.
4) les existences singulières comme effet des négations impossibles.
Si l'on intervertit les termes dans les relations, la proposition
devient différente : Pexistence singulière (4) venant à la deuxième
place (relation 1-4) joue le rôle du trait forclusif. Etc. Donc les
places déterminent les fonétions, et le tableau peut s'écrire dans sa
généralité :
Universalité potentielle Existence singulière

1 î
Trait forclusif --› Négation comme fonétion
de la forclusion
in-si

Ainsi la formule Élx { 3x<l>x } peut se décomposer comme suit:


Barre négative supérieure = trait forclusif (“ s'il existe, alors il
n'est pas vrai ”); barre négative inférieure gauche = négation
66
mmnvnnnou AU SÉMINAIRE DU noctrzun mcm
comme fonélzion de la forclusion (“ iqu'on ne puisse pas dire ”).
Proposition proprement dite :E|x<I>x, existence singulière (“ qu'il
y a un x tel que (bx ”).
Le premier šlx est inadéquat pour représenter le potentiel.
Les accolades {} remplissent mieux cette fonéizion. L'exištence
singulière terminale se constitue comme fait de négation.
Les trois relations apparaissent nettement dans ce schéma :

V*%Elx<Îx 1) Vx_è_È-lx' 'Ê-×'


z) Vx-:› Elx (Dar
°""" ã 5) Vx %ÊÎx <ÎÎx
qui sont les relations du potentiel respeétivement à la négation
(fonôizion de la forclusion), à Pexištence singulière, et au trait forclu-
sif. Ces trois re1ations,_qu.i connotent Pinscripion du potentiel, sont
indissociables. Entre le potentiel, d'une part, et Pexištence singulière
de Pautre, il y a les deux autres, inrazÿfion du “ potentiel” (trait
forclusif), et répétition de Pinscription (négation comme fonétion).
Cette inscription de ce qui n'es`t plus dès lors le potentiel - se
fait sur le dos du quanteur universel. C'ešt štriétement àses dépens
que se constitue Pexištence singulière; si l'on veut essayer d'éta-
blir une application de tous les points d'un disque sur ceux de son
bord, le seul moyen de faire pour le mieux sera de commencer par
établir un point qui échappe å. la déformation; de telle sorte qu'on
ne peut inscrire Elx (bx qu'après avoir posé : Vx (bx. L'exemple
classique en est la tasse de café où la cuiller ne saurait par un remous
continu déplacer jamais tous les “ points ” du liquide. Ce qui caraété-
rise singulièrement Socrate, dit Peirce, c'eš`t diêtre sage, et il n'ešt
pas vrai que “ tout hommeešt un sage ”,* ni que “ tout homme ne
l'e$`t pas ”.
Le décalage de lfuniversel et de l'exis`tence a rarement été posé
aussi parifiuemmt que par Peirce. En ce sens, il est irréduétible,
par exemple, à Pempirisme (que jiai présenté sous un jour peut-
être un peu trop sympathique). Les trois catégories qui expriment
ce décalage (potentiel, inscription, répétition) sont présentes à
tous les moments de son développement. Même quand il ne les déve-
loppe pas toutes, il mentionne chacune (cf. Particle “ négation ”,

67
mmnvnmxon au summum nu nocmun mcm
dans la Logique des Proporilionr, vol. 2. où la “ négation absolue ”,
classée au début, n'est pas du tout développée; de même Pabandon
du ground, au milieu de la sémiotique). Et le chapitre 4 des Priu-
ajoles of Philosophy intitulé The Logic: ofIl/Iatheozaticr, commence par
un exposé de ces three categories.
Lïintérêt est que les 'trois catégories, dans ce texte, ne s'énoncent
pas comme “ potentialité, inscription, répétition ”, mais comme
“ qualité, fait, lois ”. Ça permet très bien de faire le joint entre ce
qui nous occupe et la psychologie empiriste.
Il arrive que Peirce s'attelle à une “ phénoménologie ” du
potentiel; alors il exemplifie celui-ci comme étant le “ purjeeliug ”.
C'ešt ce qui se " suffit à soi-même, Pindifférencié non singularisé,
non détaché comme fait, non mis en rapport. La pure qualité est
diiïérente du fait, qui- se détache d'elle, qui la découpe, qui Pin-
forme brutalement. Lefeeling comme qualité est une continuité mélo-
dieuse, où l'on ne saurait établir de frontières, sauf à considérer
Pirruption cl'événements, de faits, dont la “ matérialité ”, qualifiée
par Peirce de “ brutale ”, est portée en avant comme un flambeau,
en tant que telle, c'est-à-dire bloc de matérialité flottante et irré-
duétible. La qualité, alors, se focalise sur le fait, s'ordonne à son
image : elle prend connaissance de ses bords, perd toute sa poten-
tialité, devient un fait singulier. Le fait n'est jamais qu'un précipité
de qualité, durci et entifié. Il y a, dit Peirce, dans le fait, quelque
chose qui ne va pas, qui résiste, qui achoppe. Qui résiste, å quoi?
A ce qui reste toujours donné comme qualité potentielle, et dont la
nature fluante se brise àla solidité des caillots qu'elle a portés. Toute
singularité faétualise ainsi la qualité. Les sensations en général sont
un composé de Pindifiérencié qualitatif et du différencié faétuel.
Mais la différenciation faétuelle ne saurait jamais épuiser les possi-
bilités de l'indifi`érencié qualitatif “ potentiel ”.
La troisième catégorie, après la qualité et le fait, est celle des
lois : “ The third category of elements ofphenomena oourifír of what we
call law: when we eorztemplafe them from the outside, but which when we
:ee hoth :ide: of the shield we call thoughts. ” Les “ hard: ” de la qualité
se constituaient avec son embrigadement commefait : les lois, c'est
la prise en vue des frontières elles-mêmes, en tant' qu'elles jouent
un rôle privilégié. Car la tendance des fait: est de se réordonner
suivant la continuité originelle potentielle : comme un roulement
68

1-._
mrnnvnmron au summum ou nocmon mcm
à billes qui voudrait imiter la mer. Ainsi se crée une sorte de
continuité-de-singularité, d'ailleurs impossible par définition, dit
Pcirœ Le contiqïu, c'est le potentiei. Lq coptincršie singvi1larisé,_ ça
eut as marc er our toute: ces smvu ant s. rtes, e continu
Êîešt rierli s'il ne se vlérifie pas dans auömoins une singularisation.
Ainsi Pélément dans quoi est évoqué le continu est-il un compro-
mis entre le “ potentiel ” et le “ singulier ”, qui est le “ général ”,
the general falls, distingué aussi bien du fait singulier que celui-ci
gopposait au potentiel. Le potentiel était Pabsence de raison pour
justifier de son être. Le fait singulier était la négation d'aucune
raison de son imposition brutale. Le général, par contre, c'ešî:
Pordre de la raison, du fonétionnement, de la formule. Il fait la
liaison entre le potentiel et le singulier : “ Ar general, the law,
or general fail, concern: the potential world g qf qunligy, .while ne fnã,
it concerns the aãual world of o¿*îuol:`¿'y. ” Ciest le mathématique comme
ordre des processus, ordre de la production. Son objet estlafron-4
tière entre les faits, qui rend compte de ce mouvement interne,
en équilibre toujours instable, qui conduit un fait à en engendrer
un autre. Cela est dû à ce que, dans les genernlfnãïr, le potentiel
toujours actuel continue de s'opposer à ses figurations singuli_ères
détachées : que le fait singulier ne soit jamais quiune des réalisations
possibles du potentiel, ordonne que ce qui est manqué des autres
réalisations, se produit le coup d'après, pour lui aussi n'être qu'une
singularité parmi d'autres, etc. Le mathématique, c°est la passion
du quanteur universel. C'est comme si, dit Peirce, on avait habillé
le potentiel d'un vêtement qui ne convient pas à son être d'univer-
salité; comme il n'y a pas de vêtement universel, on le déshabille
alors pour lui en faire endosser un autre, et ceci dans Pespoir qu'un
jour tout aura été essayé : “Ê Une série (infinie de représentations,
chacune représentant la précédente, peut être conçue comme ayant
un objet absolu pour limite. Le sens diune représentation ne sau-
rait être autre chose qu'une représentation. En fait, ce n'est rien
que cette représentation elle-même, conçue comme dépouillée de
vêtements inadéquats : mais ces vêtements ne peuvent être j tota-
lement enlevés; ils sont seulement remplacés par d'autres, plus
diaphanes. Il y a donc ici une régression ini-inie... ” (vol. I, p. 171).
Le décalage entre la fin et les moyens, très apparent dans cette
formule, est comparable à celui de la puce et des gants de boxe.

69
mrnnvnnnou AU sunmarnn nu nocrnux Lacan
L'objet du mathématique, c'est une impossible réconciliation.
Le tertiant (en Poccurrence le mathématique) est toujours pour
Peirce à la fois produit et totalisation des deux termes précédents
(“ B_y the third, I mean the medium or eonneãing bond hetween the absolute
jîrsï and last ”), mais totalisation ratée parce qu'impossible : tota-
lisation qui ne dépasse nine supprime rien. La dialeétique de Peirce
est matérialiste : le processus y estrivé à son espace de départ (la
faille entre le potentiel et le singulier, entre Puniversel etPexistence).
Legénéral, en tant que participant à la fois du potentiel et de la singu-
larité, concentre en lui les deux dimensions dont il exprime la
discordance : la mathématique par exemple doit rendre compte de
ces deux dimensions et de cette discordance qui sont à. Poeuvre dans
certaines de ses définitions :“ La définition oantorienne de la conti-
nuité ne répond pas à des critères bien définis, par le fait qu'elle
renvoie de façon confuse à tous les points, ce qui nous laisse per-
plexe. Il me parait nécessaire de souligner ceci : il est impossible
de se faire une idée de la continuité sans concevoir deux dimensions.
Une ligne ovale est continue parce qu'il est impossible de passer de
Pintérieur à Pextérieur sans passer par un point de la courbe ”
(vol. VI,§ 165). Çaiveut dire : pour toute possibilité d'un passage
de Pintérieur à Pextérieur, il existe un point de la courbe qui
obvie; Puniversel est du côté du potentiel, la singula.tité¿_ du
côté de Pexistence. I
Maintenant, quelques précisions sur comment s'articulent ces
difiérents niveaux. Les éléments de:chaque niveau ont comme objet
ceux du niveau précédent : comme ohjet signifie qu°ils sont prisen
vue dans la perspeétive formelle de leur mise en rapport avec des
éléments qui ne sont pas eux, même s'ils sont de même catégorie.
L'0pération de cette prise en vue est aussi bien Fohservntion de
Locke que lïnterprétation de Peirce. Pour ce qui est du passage du
premier niveau (qualitatif) au second (faétuel), il ne s'agit pas
d'une simple révélation de Pobjeétivité des éléments, mais de sa
constitution même, par Pimposition de bords, de frontières. Le
paradoxe de cette opération est que, par Pimposition de ces bords,
elle croit dire la vérité sur ces éléments, puisque ces éléments ne
sont compréhensibles, de son propre point de vue, qu'après cette
transformation. Les nouveaux “ objets ” “ représentent ” donc,
mais pour Popération qui les transforme, les éléments indifférenciés
70
n~rrERvE.N'r1oN AU SÉMINAIRE DU DOCTEUR LACAN
initiaux. C'est ce que dit aussi Condillac : d'un “ signifié 'i origi-
naire et fluant, se détache quelque chose de diiïérent, grâce à Pin-
tervention des “ opérations ” de Pentendement. Ce quelque chose,
appelons-le le “ signifiant ”, n'est autre que le “ signifié ” origi-
naire, mais transformé. Il représente au niveau réel ce signifié,
Puisqu'i1 Pa inscrit, mais en Pinscrivant il en a fait quelque chose
d'autre. Selon Port-Royal : “ @oiquiune chose dans un état ne
puisse être signe d'elle-même dans ce même état, puisque tout
signe demande une distinétion entre la chose représentante et celle
qui est représentée, néanmoins il est très possible qu'une chose
dans un ,certain état se représente dans un autre état... Ainsi la
seule distínéiion d'état sul-lit entre la chose figurante et la chose
figurée, c'est-à-dire qu'une même chose peut être dans un certain
état chose figurante, et dans une autre chose figurée ” (Logique,
I, _Iv). Condillac s°aperçoit du problème : le “ signifiant ” nouveau
représente le “ signifié ” originaire, mais de son point de vue actuel
de signifiant : et comme représenter le signifié, pour Popération qui
est le sol du signifiant, c'est justement le transformer en
signifiant alors le “ signifié ” originaire est perdu pour la
représentation, et le signifiant ne représente que lui-même. Vou-
loir tirer un trait entre un bout de signifié et un autre - revient
à couper les ponts. Mais cette rupture n'exp1iquerait pas, pour
Peirce, la nostalgie que le signifiant a du signifié, sous la forme du
quanteur universel. Ce qui permet cette nostalgie, c'est la pérennité
du potentiel : toujours aétuel, il ne cesse de pointer la discordance
entre ses possibilités irréduétibles, et la pauvreté des réalisations qui
ne peuvent se produire qu'une à la fois : une réalisation s'eEeéi:ue
ã sa place de Pinfinité de celles que le potentiel gardait en réserve.
L'inscription négative de cette i infinité, par la réalisation aétuelle,
conduit à la tentative d'exhaustion qui consiste à les inscrire à leur
tout : mais dès qu'une nouvelle réalisation siinscrit, ne fût-ce que
comme possibilité, une nouvelle infinité lui fait écho, à quoi elle
s'est substituée en tant qu'unique. Il y a là une véritable progression
arithmétique.
_Dan_s un premier temps donc, ce qui n'avait pas encore de valeur
s'_1nscr1t : comme ce qui veut être inscrit, c°est ce qui pouvait Pêtre,
Pmscription initiale doit à son tour s'inscrire comme non-unique,
comme ponctualité parmi des possibilités infinies. C'est donc le
71
mmnvxmrou au sfimuarnn on nocrnux Lacan
rapport de Pinscription a ce qui voulait être inscrit, qui fait Pobjet
d'une seconde inscription : et a son niveau, Popération se répète.
Ø: potentiel comme “ rien d'inscrit ”.{ Ø} :inscription unique du
potentiel. {{ Ø }} : inscription de la première inscription comme inex-
haustive de son objet, etc. Si Fon voulait reprendre le quadrant
logique de Peirce, il faudrait, comme je l'ai souligné plus haut,
établir que les deux portions qui satisfont vraiment aux exigences
du quanteur universel sont : une portion entièrement blanche, et
une portion entièrement noire.
La troisième catégorie, les “ lois ”, le mathématique, a pour
objet le signe comme élément de la fusion du signifiant détaché
avec le signifié déchu. Comme cette fusion consiste aétivement en
un découpage, c'est la génération des frontières qui est le véritable
objet. Cette catégorie et par suite le signeest une “ triade ”, de ce
qu'elle condense les deux niveaux précédents à quoi elle est indis-
sociablement liée, à la façon borroméenne, telle que si deux sont
donnés, le troisième aussi. Dès qu'est donné le découpage du maté-
riel, le fonctionnement a lieu. Cependant, il y a une distinétion
à faire : si Pinscription du signifiant comme décolle conduit quasi
nécessairement à la répétition, il n'en va pas ainsi du décollement du
signifiant lui-même, qui est' véritable saut, passage fondamental
du potentiel à Pinscription. La distribution des trois catégories
répond aux trois branches de la sémiotique et aux trois éléments
indécomposables du qmwepóv. En même temps, les trois catégories
sont des catégories de struéture, et il est amusant de voir qu'à cha-
que point de struéture correspond, a un niveau élaboré où il s'agit
de toute façon de signes, une catégorie d'éléments. Chaque “ idée ”
est d'ailleurs pour Peirce un composé de primarité, de secondarité
et de tetnarité, où Pune des trois domine plus particulièrement.
A ce titre, toute la théorie de Peirce ressortit de quelque chose
comme le sens commun, puisque c'est Pidée de signe en général
qui implique la ternarité. Mais la valeur de ces théories n'en est pas
au ses yeux diminuée, puisque d'un .point de vue global, le signe,
c'est Pidée de signe. Il est curieux de constater par cette remarque
que la constitution réelle d'une idée transparaît immédiatement,
pour Peirce, dans_ son contenu : ce qui justifie la correspondance
entre les stades “ génétiques ” du processus des signes, et les classes
de signes singuliers d'autre part. Aussi bien .ceci s'accorde-t-il
'[2

-
mrnuvnnnou au sámnvarnu ou nocruun Lacan
ãvee le fait que ce qui caraétérise un signe, c'est la position de ses
bords, et ce qui distingue les trois niveaux c'est justement le rôle
des frontières. Il y sa néanmoins un paradoxe, qui se résout ainsi :
la primarité, la secondarité et la ternarité ne transparaissent pas
dans le contenu immédiatement, puisque tout signe est passé par la
temarité. La primarité ne peut dominer dans une idée, qu'à ce que
les deux autres niveaux que nous avons dits indissociables soient
posés négotioenzent; par exemple liidée de liberté : est libre quelque
diese qui n'a rien derrière soi pour déterminer ses aétions. Il y a
là, dit Peirce, une relation négative à l”Autre, comme ground négatif
du premier. De même, l'idée secondaire pose négativement le
troisième terme.
Le ground est ce qui représente le général pour le singulier : l'adé-
quation de ce ground général avec un signe plus singulier est le
problème de la grammaire spéculative. Le ground permet à une
abstraétion de se spécifier comme prédicat pour un signe singulier.
(Exemple :“ Ce four est noir ” = il y a de la noirceur dans ce four).
Le ground fait le raccord entre le potentiel et la singularitéï.
La science de Pélément mathématique des signes est ainsi la rhé-
torique pure, le système des signes _n”étant que la métaphore de la
faille 2. Je ne referai pas Pexposé didaétique sur la sémiotique de
Peirce, qui vaut pour elle-même, non plus que sur Locke-Condillac-
Maine de Biran. Je travaille depuis juste assez longtemps sur ces
derniers auteurs pour que la redite de ce qui au début y constitua
ma surprise ait perdu pour moi tout son sel; surprise qui de sur-
croit se prête mal au résumé. Le seul point qui de ces études ne
transparaît pas dans ce que je dis de Peirce est le problème du temps
et de la ponéiualité, mais comme il emprunte pour se formuler les
mêmes voies que le potentiel ça nia pas beaucoup d'importance.
I F J I I Q 0 I I I I O U I * I U O 0 1 'UIQUIUIÔOIIUYIUFUIIQOOIOOUIIOIDÊUU

1. Cf. Duns Scot, Trnctotus de nsodás rignsfisandi sengrnmrnatisa spe.*:nlntioa ; et, pour
la « singularisation prédicative ››, l'exposé du 12 décembre sur la Logique de Port-
Royal au séminaire du Dr Lacan.
1. Que dans mon manuscrit je viens d'écrire : phszille.

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