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Jérôme Lèbre

Sur une invention hégélienne : les remarques


encyclopédiques

Avant le commencement se trouve la préface et avant elle, le titre. Choisissant de


nommer Encyclopédie l’exposition rigoureuse des sciences philosophiques, Hegel écrit
immédiatement : « Le titre d’Encyclopédie pouvait, il est vrai, initialement (anfänglich) laisser
de l’espace à une moindre rigueur de la méthode scientifique et à un assemblage
extérieur; mais selon la nature de la Chose, la connexion logique devait rester l’assise
fondamentale »1. Ainsi, s’ouvre dans le passé un espace étrange, celui de la « moindre
rigueur », que referme l’imposition radicale de l’ordre philosophique.
Cependant, cet espace ne reste-t-il pas, de fait, à jamais ouvert ? Comme ses
lecteurs le savent bien, l’Encyclopédie de Hegel, conçue comme un cercle de cercles2,
renferme au prix d’une certaine tension des remarques qui se glissent très souvent après
les paragraphes de présentation. Hegel justifie ainsi l’espace qu’il leur laisse : les
remarques « devaient initialement signaler en une brève mention les représentations
apparentées ou divergentes, les conséquences ultérieures et autres choses semblables qui
recevaient dans les cours le commentaire requis, ceci afin de clarifier de temps à autre le
contenu plus abstrait du texte et de tenir plus largement compte de représentations
courantes en ce moment pour des raisons faciles à comprendre » 3.
Notons d’abord que les remarques « devaient » (sollten) être brèves. L’espace de
la moindre rigueur, que le titre d’Encyclopédie « pouvait » ouvrir et que la nécessité logique
« devait » (musste) refermer, s’ouvre et s’avère plus grand que prévu. Ensuite, si l’absence
de rigueur concerne les seules remarques, et non les paragraphes, il faut bien reconnaître
que le rapport établi entre ces deux types de textes n’est pas lui-même rigoureux. Des
raisons allusives (faciles à comprendre) suffiraient pour que l’on tienne compte, mais sans
nécessité, donc de temps à autre, de représentations courantes. Celles-ci ne diffèrent pas
logiquement de la logique : elles sont « apparentées » ou « divergentes », ce qui ne traduit
aucune relation déterminée. De même, si le texte logique est « plus abstrait » qu’elles,
c’est en un sens que récusera toujours Hegel, puisque la logique se dicte à elle-même sa
propre concrétude. Notons enfin qu’on ne peut délimiter l’espace des remarques en
affirmant qu’il ne contient que des représentations non philosophiques, et donc
faussement concrètes. En effet, de temps en temps, les remarques exposent les

1 HEGEL, Enzyklopädie der philosophischen Wissenchaften [Encyclopédie des sciences philosophiques] (1827), Meiner,
p. 3 ; trad. fr. B. Bourgeois, Vrin, I, p. 121, modifiée.
2 Cf. ibid. (1817), § 6.
3 Ce passage n’appartient pas à l’Encyclopédie, mais aux Principes de la philosophie du droit (Grundlinien der
Philosophie des Rechts, STW, Werke VII, p. 11 ; trad. fr., J.F. Kervégan, P.U.F., p. 71, modifiée).
2

« conséquences ultérieures » qui découlent logiquement du texte des paragraphes…et


même d’ « autres choses semblables ». Or, que sont ces choses « semblables » aux
conséquences, ou pire, semblables à la fois aux conséquences logiques et aux
représentations ?
L’écriture hégélienne est ici désordonnée, comme le seront les remarques elles-
mêmes. Ce désordre semble d’abord hérité de l’exposition philosophique kantienne et
fichtéenne, qui thématise ouvertement sa propre imperfection. Pour Kant, il est
impossible de présenter adéquatement l’idée d’un tout encyclopédique : l’écriture
philosophique dépend de l’art des systèmes, même si elle renvoie à la législation de la
raison. Pour Fichte, il est impossible de conceptualiser adéquatement l’intuition
intellectuelle d’une totalité pure (non-encyclopédique) : l’écriture est historiographique, et
n’est toujours pas législatrice. Les paragraphes kantiens ou fichtéens ne sont donc que les
marques contingentes d’une systématicité qui les dépasse ; ils se contentent de rendre
plus claire l’exposition des concepts. Chez Kant, comme cette exposition est inadéquate,
non seulement à l’idée du tout, mais aussi à l’intuition, des remarques s’ajoutent aux
paragraphes, afin d’offrir par des exemples empiriques une clarification in concreto4. Mais
la philosophie hégélienne entend bien dépasser le double héritage d’une idée
encyclopédique non présentable et d’une intuition non-encyclopédique ; elle prétend
délaisser le simple devoir-être (idéel ou intuitif) du système au profit de son effectuation
encyclopédique totale : comment peut-elle dès lors s’accommoder de la forme écrite de
cet héritage ? Comment peut-elle rendre raison de la totalité (rationnelle, non
contingente) du contingent, et admettre une part de contingence dans son exposition
même ? Pour mieux le comprendre, il nous faut enquêter plus précisément sur l’origine
des remarques encyclopédiques, et déduire de cette recherche les différents ordres qui s’y
rencontrent. Ainsi, se dégagera la nécessité d’une pensée non rigoureuse, située dans un
temps toujours dépassé, et opposée à la vitesse idéale du savoir systématique.

A. L’origine des remarques

Système écrit et parole transcrite

Le système hégélien dans sa version définitive est la transcription d’une parole.


L’Encyclopédie est originellement un « livre de cours »5, servant de support à une
exposition orale. Elle est en cela fidèle à son contenu même, lequel précisera que la
parole est la première manifestation extérieure de la pensée ; l’écriture, composée de
« signes de signes »6 ne vaut qu’en position seconde.
Mais la pensée ne peut pas pour autant se déployer sans ce support écrit. La
parole n’est pas possible sans livre, comme le montre l’origine même de la philosophie
telle que Hegel la pense. Selon lui, la méthode socratique ne mérite pas encore vraiment

4 Cf. KANT, Critique de la raison pure (Préfaces et Architectonique), Critique de la faculté de juger (Introduction à
la première édition, XI) et Premiers Principes métaphysiques de la doctrine du droit, tr. fr. J. Masson et O. Masson,
Gallimard, p. 459, où il est directement question de la différence entre paragraphes et remarques ; pour
Fichte, cf. Sur le concept de la Doctrine de la science (1794), et « Avertissement sur la première édition des Principes
de la doctrine de la science », in Oeuvres choisies de philosophie première, trad. fr. A. Philonenko, Vrin, p. 14. Sur
l’aspect systématique du lien Kant-Fichte-Hegel, cf. B. BOURGEOIS, « l’Idée de système », in L’idéalisme
allemand, Vrin, pp. 97-106.
5 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…], p. 3 ; trad. fr., I, p. 121.
6 Ibid., § 459 Anmerkung, p. 371 ; trad. fr., III, p. 256. Les remarques seront signalées dorénavant par le
mot allemand abrégé « Anm. ».
3

le nom de méthode, parce qu’elle se déroule au rythme de la « conversation », et qu’elle


soude la pensée à la subjectivité particulière de son auteur7. Le dialogue platonicien est
par suite une retranscription trop directe de la parole socratique8. Toute l’histoire de la
philosophie livre ainsi les efforts déployés pour dégager la parole de la représentation,
c’est-à-dire pour écrire un système universel qui ne soit plus à la merci de vues
contingentes. La systématisation est seconde, comme l’écriture, et la parole rigoureuse est
nécessairement écrite. Ainsi, l’exposition du système hégélien est orale, mais elle part
nécessairement du texte divisé en paragraphes. Le texte est écrit en vue du cours, mais le
cours n’est que le moyen d’élucider le texte9.
Or le texte que commente Hegel dans ces premiers cours sur l’Encyclopédie n’est
qu’une succession de paragraphes10. Les remarques, quant à elles, dérivent directement
de ces commentaires oraux. Originellement, elles n’accompagnent pas l’écriture des
paragraphes, mais leur lecture. Libérées du texte par leur origine orale, elles restent plus
proches de la subjectivité particulière de celui qui s’exprime et de celle des auditeurs, et
s’autorisent nécessairement un mélange de genres qui tranche avec le travail
d’universalisation et d’épuration gouvernant l’écriture rigoureuse. Par là même, elles
retrouvent le style qui précédait cette épuration : l’origine des remarques garde trace de
l’origine de la philosophie, même si leur contenu est puisé dans des représentations
actuelles.

L’exotérique

Mais tout aussi bien, les remarques inversent l’origine de la philosophie, scindée
par la différence entre des paroles ésotériques et des écrits exotériques. Hegel affirme
l’inconsistance de cette distinction, dans sa forme traditionnelle : la pensée n’agit qu’en
manifestant extérieurement son contenu; le contenu ésotérique « existe seulement dans
son concept (…) C’est ce qui est parfaitement déterminé qui est en même temps
exotérique »11; il en découle qu’aucun philosophe ne peut garder ses idées dans sa
poche12. Cependant, quand l’écrit doit tenir « dans les mains des auditeurs »13 et
pourquoi pas, dans leur poche, l’espace restreint des pages « n’exclut pas seulement un
développement des idées selon leur contenu, mais rétrécit en particulier le
développement de leur dérivation systématique ». Le titre même de précis ou d’abrégé
indique « l’intention de réserver le détail pour l’exposé oral ». La parole est donc cette
fois-ci plus exotérique que l’écrit, parce qu’elle se déploie par définition dans un espace
libre.
Cet espace est encore, au dire de Hegel (déjà démenti par la transcription des
remarques) voué à une explicitation plus poussée de la pensée, sans solution de
continuité. Mais l’irréductibilité de l’exotérique quitte définitivement cet aspect quantitatif
au moment même où elle devient explicite, c’est-à-dire dans la préface de 1827 : « je me

7 Id., Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie [Leçons sur l’histoire de la philosophie], STW, Werke XVIII,
p. 156.
8 Il « comprend des éléments, des côtés très hétérogènes (…) cette diversité exprime qu’en eux le
philosopher authentique sur l’essence absolue et la représentation de celle-ci sont mélangées d’une façon
variable » (ibid., p. 20, nous traduisons).
9 Cf. Enzyklopädie…[Encyclopédie…], p. 3 ; trad. fr., I, p. 121.
10 Voir infra, « L’extérieur du système : la genèse de l’Encyclopédie et les autres encyclopédies ».
11 Id., Phänomenologie des Geistes [La Phénoménologie de l’esprit], Meiner, p. 11 ; trad. fr., Hyppolite, Aubier, I,
p. 14.
12 Id., Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie [Leçons sur l’histoire de la philosophie], STW, Werke XIX,
pp.21-22 ; nous traduisons.
13 Id., Encyclopédie…(1817), trad. fr., I, p. 117.
4

suis efforcé d’atténuer et de réduire le côté formel de l’exposé et aussi, grâce à des
remarques exotériques plus détaillées, de rapprocher des concepts abstraits de l’intelligence
ordinaire et des représentations plus concrètes qu’on en a »14. Les remarques ne se
contentent donc pas de détailler le contenu des paragraphes. L’exotérique n’est pas
qu’une extériorisation poussée, il suppose une « position extérieure » par rapport à la
pensée. La relation extérieure entre la parole et l’écrit remplace alors la scission
rationnelle entre l’intelligible et le sensible, qui excluait, selon Kant, toute version sensible
et populaire de la philosophie15. Si le philosophe ne peut être un écrivain populaire,
l’espace libre de la parole (et l’espace libéré dans le livre pour sa transcription) laisse place
chez Hegel à une parole populaire, qui diffère du contenu rigoureux de la pensée écrite16.
L’exotérique devient parole, transcrite certes, mais hors de l’écriture systématique.

L’extérieur de l’Encyclopédie : la Phénoménologie

Si les remarques prennent leur origine hors du système encyclopédique, elles


pourraient cependant bien découler de la première partie du système hégélien, c’est-à-dire
de la Phénoménologie elle-même. Dans l’Encyclopédie, il revient justement à une remarque de
citer cet ouvrage, qui « a pris le chemin consistant à partir de la première, la plus simple
apparition de l’esprit, la conscience immédiate, et à développer sa dialectique jusqu’au point
de vue de la science philosophique »17.
La Phénoménologie ne demande pas, elle, de complément exotérique : elle se trouve
par définition dans l’élément extérieur de la conscience, c’est-à-dire dans le milieu même
du mouvement entre l’écriture et la parole. En premier lieu, la conscience parle, en disant
« cela est » à propos de tout objet sensible. Mais « une vérité ne perd rien à être écrite »18.
Or, si l’on écrit « le maintenant est la nuit », cette vérité s’effondre à la levée du jour. Et
même si une parole irréfléchie peut encore contredire l’affirmation écrite, la conscience
qui réfléchit sur la contradiction entre la nuit transcrite et le jour dit observe que le sens
universel du maintenant s’est conservé : l’intelligibilité du sensible est toute entière
incluse dans le mot « maintenant », et donc dans le langage : « c’est le langage qui est le
plus vrai »19.
Ce mouvement tient compte cependant de la possibilité de son propre blocage,
lequel revient à opposer la représentation objective de la nuit ou du jour à la
représentation subjective du maintenant. Citons une phrase qui s’applique ici
parfaitement, alors même qu’elle concerne le mouvement de la conscience en général :
« Nous voyons que la conscience a maintenant deux objets, l’un le premier en-soi, le
second, l’être-pour-elle de cet en-soi. Ce dernier paraît être seulement d’abord la réflexion de

14 Ibid., p. 3 ; trad. fr., p. 121. C’est moi qui souligne. Mêmes références pour la citation suivante.
15 KANT, Métaphysique des moeurs, éd. cit., pp. 450-451.
16 B. Bourgeois, en annotant sa traduction de l’Encyclopédie, n’hésite donc pas à considérer le contenu des
paragraphes comme « ésotérique, essentiel, en droit autosuffisant » (éd. cit., p. 121, note 1) ; les remarques
sont quant à elles des « pauses » dans le développement (ibid., p. 12). Nous verrons plus loin que ces pauses
peuvent accélérer le mouvement.
Quand Karl-Heinz Ilting oppose, dans son édition des Grundlinien der Philosophie des Rechts, les écrits
hégéliens exotériques et réactionnaires à ses cours ésotériques et progressistes, il fait un usage non hégélien
de la distinction entre l’ésotérique et l’exotérique. Sur cette thèse et ses multiples opposants, voir la
présentation que J-F Kervégan fait de sa traduction des Principes de la philosophie du droit, PUF, p. 15.
17 HEGEL, Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 25 Anm., p. 59 ; trad. fr., I, p. 291.
18 Id., Phänomenologie… [La Phénoménologie…], p. 71 ; trad. fr., I, p. 83.
19 Ibid., pp. 71-72 ; trad. fr., I, p. 84.
5

la conscience en soi-même, une représentation non d’un objet, mais seulement de son
savoir du premier objet »20.
La représentation se définit alors clairement comme une conscience bloquée à l’un
des stades de sa progression : celui où la parole sur les objets sensibles est conservée dans
l’intériorité amorphe du sujet : « l’être-là est simplement passé dans la représentation »21.
Dès lors, tout ce qui est vrai devient faux, ou plutôt, l’un et l’autre se mélange « comme
l’huile et l’eau »22. A l’opposé, la conscience en mouvement supprime ce que la
représentation fige. Les affirmations singulières (c’est la nuit, c’est le jour) sont
supprimées par l’universalité du langage. Plus profondément, la différence de l’écriture
(nocturne) et de la parole (diurne) est dépassée par la réflexion de la conscience, laquelle
accède à un universel pur de toute affirmation contingente. Citons encore une phrase très
générale de Hegel sur ce mouvement général de la conscience : « au moyen de ce
mouvement, ces pures pensées deviennent concepts, et sont alors ce qu’elles sont en vérité,
des auto-mouvements, des cercles; elles sont ce que leur substance est, des essentialités
spirituelles »23.
Le trajet phénoménologique se trouve alors positivement à l’origine des paragraphes
encyclopédiques, qui présentent « l’auto-mouvement » de la pensée pure24, et négativement
à l’origine des remarques : l’apparition contingente de ces dernières montrent que la
représentation sensible est toujours là, comme le dépôt amorphe de toute affirmation en
mouvement. Il faudrait alors plutôt leur donner le statut d’un hors-texte radicalement
exclu du mouvement systématique. Dans ce cas, les remarques ne sont plus seules,
puisqu’elles héritent du style des préfaces et des textes introductifs.

Les préliminaires du système : préfaces et introductions

Nous touchons à ce stade une difficulté connue. Alors que la préface est
étymologiquement l’anticipation d’une parole (prae-fatio, Vor-rede), Hegel a choisi de
préfacer la Phénoménologie après l’écriture de l’ouvrage, et commence ce texte par une
critique de principe des préfaces en général : « la vraie figure dans laquelle la vérité existe
ne peut être que le système scientifique de la vérité »25, si bien qu’un éclaircissement
préliminaire « paraît, non seulement superflu, mais encore impropre et inadapté à la
nature de la recherche philosophique »26. Le contenu du texte mine son existence, en
deçà ou au delà, semble-t-il, de toute maîtrise dialectique de la contradiction.
Mais si la préface « appartient à la fois au dedans et au dehors du concept »27, elle
ne doit pas, pour autant être directement confrontée au « Logos absolu »28 tel qui
s’exprime dans la logique hégélienne, comme premier moment de l’Encyclopédie. Elle est
bien la préface de la Phénoménologie. La parole préliminaire tranche donc avec les
premiers mots de la conscience, « cela est ». Alors que la conscience supprime la
différence de la parole et de l’écriture dans l’affirmation de l’universalité du langage, la
préface ne peut venir à bout des confusions qui découlent de son origine orale, ou si l’on

20 Ibid., p. 66 ; trad. fr., I, p. 75. Nous soulignons le terme « représentation ».


21 Ibid., p. 24 ; trad. fr., I, p. 28.
22 Ibid., p. 30 ; trad. fr., I, pp. 34-35.
23 Ibid., p. 27 ; trad. fr.,I, p. 31.
24 La logique, premier moment de l’Encyclopédie, ne fait qu’exprimer la « nécessité intérieure » du trajet
phénoménologique (cf. ibid., trad. fr., I, p. 18).
25 Ibid., p. 6 ; trad. fr.,I, p. 8
26 Ibid., p. 3 ; trad. fr.,I, p. 5.
27 DERRIDA, La Dissémination, Seuil, p. 17.
28 Ibid., mêmes références. Prochaine citation, p. 21.
6

veut, de son dessein populaire. Alors que la conscience se systématise dans l’écriture, la
préface reste « une causerie (Konversation) sur le but et des généralités de cet ordre »29,
mélangeant nécessairement la pensée et les représentations courantes.
Le fait même que la préface ait été écrite après la Phénoménologie renforce cette
perspective : à la fin du trajet de la conscience, on est loin de toute « saturation
sémantique »30 qui ferait de tout commencement la dernière manifestation d’un résultat
déjà acquis (la préface n’est qu’une postface). On a simplement atteint la différence entre
le « système de la vérité », qui n’est pas encore exposé d’une manière pure, et le discours
oral, qui mélangera toujours le vrai et le faux. A partir de ce stade, l’écriture systématique et
la transcription de paroles désordonnées pourront co-exister. L’on comprend dès lors que
le même discours divergent se continue, sous la forme de différentes préfaces et
introductions, et finalement, à la fois à côté et au cœur du système, sous forme de
remarques. Ni les unes, ni les autres ne sont intériorisées par le discours qui les suit, ou
(puisque c’est le cas des remarques) les précède31.
Les remarques ont donc pour véritable origine les préfaces et les introductions -
qui ont elles-mêmes pour origine négative le trajet de la conscience dans la Phénoménologie
de l’Esprit. Mais au delà de la continuité de style évidente que l’on trouve dans ces textes
hors système, il nous faut également saisir leur différence de contenu. Les préfaces font
véritablement office de discours libre; elles considèrent dans sa généralité la relation,
toujours extérieure, du système et de la représentation. Les introductions précèdent un
moment du système. Elles se centrent donc sur la particularité de ce moment, et sur sa
relation extérieure avec les sciences correspondantes. Autrement dit, elles portent
principalement sur la division interne du système, et critique les divisions toujours externes
qu’implique une vue représentative sur les diverses parties du savoir32. Enfin, les
remarques, dont la seule présence finit de montrer que le discours non rigoureux ne
s’efface pas devant le système, traduisent les relations singulières entre système et
représentation. Elles sont, en un sens, ordonnées aux paragraphes, bien que leur lien avec
ces unités logiques soit toujours extérieur et contingent. Elles correspondent bien à ce
que Derrida appelle re-marque (ou double marque, les mêmes termes apparaissant dans
et en-dehors du système), mais ce dédoublement (qui est tout aussi bien
accompagnement, An-merkung) n’est nullement effacé par l’écriture hégélienne, qui au
contraire, rouvre l’espace nécessaire à la retranscription des vues représentatives.
Finalement, seules les remarques traduisent au coup par coup les rencontres entre
les paragraphes et les représentations. L’économie de la rencontre33 permet de comprendre à
la fois les versions successives de l’Encyclopédie hégélienne (avant la publication de
1817), son écart par rapport aux autres encyclopédies, et l’ordre même des remarques.

L’extérieur du système : la genèse de l’Encyclopédie et les autres Encyclopédies

29 HEGEL, Phänomenologie… [La Phénoménologie…], p. 4 ; trad. fr., I, p. 6 ; voir aussi p. 36 (trad. fr., p. 42) où
« Konversation » est traduit par « entretien ».
30 DERRIDA, op. cit., p. 27.
31 L’intériorisation de la représentation, comme Hegel ne cesse de le signaler, ne peut être effectuée que par
la Phénoménologie (HEGEL, Science de la logique, trad. fr. P.-J. Labarrière et G. Jarczyk, Aubier, I, I, p. 7 et p. 17 ;
cf. la remarque de l’Encyclopédie…, § 25).
32 Cf. DERRIDA, op. cit., p. 23 sq.
33 Rappelons une phrase de J.-L. Nancy, in La Remarque spéculative, Galilée : « Une économie des remarques
semble ainsi doubler l’économie du discours logique : une économie de remarques, c’est-à-dire une économie
subordonnée, « décrochée », dispersée, qui n’obéit pas à la stricte progression du concept, mais plutôt au
hasard des rencontres du texte et des bonnes (ou mauvaises) fortunes de l’écrivain puisant dans la langue »
(p. 66). Cet article se veut en discussion constante avec cette phrase, et plus généralement, avec cet
ouvrage. Le rapport des remarques à la langue s’éclaircira plus loin.
7

Le premier paragraphe écrit par Hegel date de 1808, soit un an après la


publication de la Phénoménologie, et traite du concept d’Encyclopédie : « Une encyclopédie
doit considérer le cercle entier des sciences d’après l’objet de chacune et d’après leur
concept fondamental »34. Le manuscrit, destiné à être lu devant les lycéens de
Nuremberg, mais non à être publié, ne transcrit aucune remarque orale. Hegel rédige en
revanche dans la même période, en vue de la publication35, une grande Logique, qui
développe entièrement la première partie du système encyclopédique, ne se divise pas en
paragraphes, mais s’adjoint un nombre considérable de remarques.
Ces deux filiations (encyclopédie - livre de cours en abrégé – paragraphes /
développement- publication –remarques) ne laisse pas place à la commande de
Niethammer, qui demandait à Hegel un abrégé de logique pour le Lycée. En revanche,
leur rencontre est déjà impliquée dans le projet de publication de l’Encyclopédie elle-même.
Dès décembre 1808, Hegel écrit à Niethammer que son manuel avance, sur les bases de
son cours au Lycée, donc sous une forme encyclopédique et non seulement logique. Le
titre même d’Encyclopédie surgit dans le programme de cours de 1811/1812. Il se
maintient jusqu’à la fin de l’enseignement à Nuremberg (1815/16), et en 1817, Hegel
publie pour la première fois son livre de cours…avec un ensemble de remarques
adjointes aux paragraphes.

Si la rencontre entre paragraphes et remarques est celle de deux filiations, celle de


l’abrégé et celle du développement, il en découle que les remarques (et d’abord celles de
la grande Logique) entretiennent également un lien étroit avec les autres encyclopédies,
qui tentent de développer chaque science particulière. Reprenons le texte de 1808 (§§5-6) :
« Dans une encyclopédie habituelle, les sciences sont relevées empiriquement, comme elles
se trouvent. Elles doivent donc être développées entièrement et de plus ordonnées de
telle sorte que le semblable et ce qui se rencontre sous des déterminations communes est
rassemblé d’après une parenté analogique (§5). En revanche, l’encyclopédie philosophique
est la science de la connexion nécessaire, déterminée par le concept, et de la genèse
philosophique des concepts et propositions fondamentaux des sciences » (§6).
Le mot « Encyclopédie » entraîne donc déjà la même mise en garde que le titre
donné, neuf ans plus tard, à la publication du cours. Mais ce n’est pas là le plus étonnant.
L’ordre propre à l’encyclopédie « habituelle » est en effet identique à celui qui autorise,
dans la publication du cours, l’adjonction de remarques. Il est question d’un côté comme
de l’autre de développer le contenu détaillé, et donc les « conséquences ultérieures » de
chaque science. Et d’un côté comme de l’autre, on ne peut éviter de confondre ce
développement avec ce qui lui est apparenté par analogie. Quant au terme même
d’encyclopédie « habituelle », il rappelle les titres que Hegel donne très fréquemment aux
remarques de la grande Logique, préparée à la même période36. Enfin, le texte de 1808
renvoie explicitement à une économie de la rencontre : le contenu d’un article
encyclopédique habituel comprend « ce qui se rencontre sous des déterminations
communes ». Par suite, la présence des remarques semble bien indiquer que

34 HEGEL, « Philosophische Enzyklopädie für die Oberklasse (1808 ff.) », in Nürnberger und Heidelberger
Schriften 1808-1817, STW, Werke IV, Suhrkamp, p. 9. Il est à noter que l’édition Meiner du système de
1803-1804 (Jenaer Systementwürfe, I), ainsi que sa récente traduction française par Myriam Bienenstock (Le
premier Système. La philosophie de l’esprit, PUF) ont levé l’ambiguïté que présentait l’édition Hoffmeister,
laquelle introduisait des paragraphes dans un texte qui n’en comportait pas.
35 Les deux premiers livres seront imprimés en 1812.
36 « la dialectique habituelle au regard du devenir » (remarque 4), « la signification habituelle de la réalité »
(remarque 6), « la signification habituelle de la qualité » (remarque 7), etc.
8

l’Encyclopédie hégélienne rencontre en permanence, en même temps que la signification


habituelle des mots qu’elle emploie, toutes les autres encyclopédies.

On confirmera ce point en précisant la référence laconique à l’encyclopédie


« habituelle », que Hegel réitère invariablement de 1908 à 1930, en la faisant glisser dans
une remarque dès que la publication le permet37. Notons d’abord que l’habituel n’est pas
l’historique. Alors que l’histoire est soumise à la visée de l’idée encyclopédique, qui ne se
réalise que chez Hegel (d’où la place qu’occupe historiquement, pour Hegel, la critique
kantienne, entièrement orientée vers une encyclopédie qu’elle ne peut présenter),
l’habituel ne peut être que le fruit de rencontres contingentes, situées dans un présent qui
vaut comme l’autre de l’idée philosophique. Si l’on tient compte, non seulement de
l’utilisation très courante du titre à l’époque de Hegel38, mais aussi de la ramification de
tendances que cache ce même titre, il faut alors dire que l’Encyclopédie philosophique se
différencie des encyclopédies consacrées à d’autres domaines39, supplée aux encyclopédies de
plus en plus volumineuses consacrées à l’ensemble des sciences, et s’oppose aux
dictionnaires se consacrant à l’autre de la science, donc à l’usage commun de la langue, et
plus précisément à ce que Hegel considère comme l’autre de la philosophie, la conversation
(les Konversationslexica sont alors en plein essor40). Plus précisément, Hegel ne pouvait
manquer de constater que les encyclopédies des sciences, se présentant comme des
dictionnaires de choses et non de mots, se contredisaient elles-mêmes en inventoriant les
sciences par nom et ordre alphabétique, au milieu d’autres mots, quitte à revendiquer un
ordre systématique sous-jacent. Ces ouvrages n’étant pas en fait systématiques, ne
pouvaient être en droit philosophiques, et devaient nécessairement mélanger, dans le
contenu de chaque article, la « signification habituelle » des mots et leur détermination
scientifique ; de même, ils devaient mélanger les articles à teneur scientifique et à teneur
lexicale, laissant ainsi la totalité de leur contenu dans un état d’incomplétude
contradictoire, malgré la multiplication progressive des volumes41.

Hegel aurait pu citer ici la plus volumineuse et la plus philosophique des


Encyclopédies : celle de Diderot et d’Alembert. Il ne le fait pas, il ne le fait jamais, et ce
silence semble incompréhensible42. Risquons une explication : l’ Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers » traduit par son titre même l’ambiguïté de sa visée

37 Id., Encyclopédie… (1817), § 10 Anm., trad. fr., I, pp. 159-161.


38 Cf. la préface d’Otto Pöggeler à Hegel, Enzyklopädie…, Meiner, pp. XXIV-XXV.
39 Le Littré juge impropre l’usage du mot encyclopédie dans un ouvrage spécialisé, en citant cependant
Furetière. Mais outre que cet usage est attesté pendant tout le XVIIème siècle, nous ne voyons pas
pourquoi le parcours d’un domaine précis ne pourrait être un cercle parmi les cercles, donc une
encyclopédie.
40 Le premier Konversationslexicon (Hübner) date de 1704 et comprend 100 articles en un volume. Il est
remplacé en 1796 par le Frauerzimmerlexicon de Löbel, dont le sixième et dernier volume sort précisément en
1808. La même année, les droits sont rachetés par Brockhaus. Le succès éditorial multiplie les éditions. La
quatrième amène un changement de titre significatif : Allgemeine Deutsche Real Enzyclopädie für die gebildeten
Stände : Konversationslexikon. La mode atteint du vivant de Hegel la Scandinavie (Dansk
Konversationsleksikon, 1816). En France deux ouvrages commencent à être publiés en 1833 : Dictionnaire
de la conversation et de la lecture et Encyclopédie des gens du monde). Sur ces points, cf. Encyclopaedia Britannica, article
« Encyclopaedia ».
41 Cf. HEGEL, Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 16, p. 49 ; trad. fr., I, pp. 181-182. Sur le lien entre
collection indéfinie et recherche de compléments, cf. id., Phänomenologie… [La Phénoménologie…], p. 167 ; trad.
fr., I, p. 207.
42 Cf. J.-C. BOURDIN, Hegel et les matérialistes français du XVIIIème siècle, Méridiens Klincksieck, p. 200.
Comme le dit cet auteur, Hegel ne pouvait ignorer l’ouvrage français. Si la présence de l’ouvrage à Berlin et
à cette époque ne fait aucun doute, notons de plus que d’Alembert lui-même avait séjourné à Berlin dans
une période qui intéresse historiquement Hegel, celle de Frédéric II.
9

systématique, si bien qu’elle ne trouve pas place dans l’histoire de la philosophie : elle est
intégrée implicitement dans les encyclopédies habituelles. Hegel ne manque d’ailleurs pas
de commenter la source vraiment systématique de l’ouvrage, c’est-à-dire le De augmentis
scientiarum de Bacon43. Il voit dans sa « division générale » (Mémoire/imagination/raison)
un inventaire extérieur de facultés spirituelles données, appliquées ensuite de l’extérieur sur
les objets. Si, à défaut de texte, nous suivons ce raisonnement, il faut dire que
l’Encyclopédie française fait fonctionner la double extériorité sur la base des textes et non
plus de l’expérience : l’arbre des facultés est trouvé… chez Bacon : il est cité, loué, et
modifié, mais reste la ramification extérieure de l’ouvrage, que le lecteur devrait appliquer,
non sur les objets, mais sur les articles classés par les auteurs en ordre alphabétique. Cette
double extériorité (Hegel le dit à propos de Bacon) masque totalement l’activité de la
pensée. Celle-ci s’extériorise en se divisant intérieurement, et systématise son objet en se
développant elle-même : l’ordre systématique ne doit donc plus être trouvé, ni cité, mais
pensé. En revanche, le désordre habituel des encyclopédies est rejeté à l’extérieur, et se re-
marque, au-delà des textes préliminaires, dans cet espace libre que Hegel invente, comme
par compensation : l’auteur du système encyclopédique doit en effet revendiquer la
disparition de la lettre « E », laquelle autorise les encyclopédies habituelles à faire – dans
la continuité de leurs préliminaires - de l’Encyclopédie un article.
Reportons-nous à l’article « Encyclopédie » rédigé par Diderot : il permet en effet de
penser le désordre, comme combinaison d’une pluralité d’ordres44, lesquels sont autant de
« moyens » de « concilier dans ce Dictionnaire l'ordre encyclopédique avec l'ordre
alphabétique »45. Il découle de cette combinaison que la division organique de
l’encyclopédie des sciences (l’arbre baconien) n’est qu’une perspective partielle sur un
nombre indéfini de déterminations, qui se rencontrent également soit sous un même terme
(comme éléments de sa signification nominale) soit dans une même substance (ou une
même signification réelle). Et finalement, Diderot préfère très nettement à l’arbre
encyclopédique, figuration d’une raison dépassée par l’infini du langage et des choses, un
ordre souterrain, dont le dynamisme est directement celui de la rencontre : l’ordre des
renvois, qui fonctionne ou entre les choses (favorisant les analogies inventives) ou entre
les mots (déployant un réseau de significations nominales qui évite de redéfinir chaque
terme entrant dans une définition)46. L’organisation des renvois tout comme la
combinaison des ordres constituent le véritable travail de l’éditeur, visant la publication
d’articles disparates. Lui seul peut suivre chaque partie « dans toutes ses ramifications »,
et surtout augmenter le nombre de parties, favoriser les rencontres entre perspectives,
bref, agencer un tout rebelle à l’unité ; ainsi, on s’accommode du fait que « le travail des
éditeurs seroit infini, s'ils avoient à fondre tous leurs articles en un seul »47. Cet

43 Hegel considère bien l’oeuvre de Bacon comme une « encyclopédie systématique des sciences » (Id.,
Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie [Leçons sur l’histoire de la philosophie], STW, Werke XX, p. 80 ; nous
traduisons).
44 « C’est l’édition où il doit régner le plus de désordre », mais « il n’est pas possible à l’architecte du génie
le plus fécond d’introduire autant de variété dans la construction d’un grand édifice, dans la décoration de
ses façades, dans la combinaison de ses ordres, en un mot, dans toutes les parties de sa distribution, que
l’ordre encyclopédique n’en admet » (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Redon). Nous citons une édition
sur CD Rom, donc non paginée.
45 DIDEROT, Prospectus de l’Encyclopédie; ces moyens sont au nombre de trois dans le Prospectus, et
de cinq dans l’« Encyclopédie ».
46 L’écart est ici maximal avec la vision pyramidale de l’ordre encyclopédique selon d’Alembert, qui ne
libère donc pas l’ordre des renvois comme le fait Diderot ; Cf. P. DE SAINT-AMAND, Diderot - Le labyrinthe
de la relation, Vrin, pp. 70-74.
47 DIDEROT, article « Encyclopédie » ; autre citation sur ce point : « les rapports augmentent, les liaisons se
portent en tout sens, la force de la démonstration s'accroît, la nomenclature se complette, les connoissances
se rapprochent & se fortifient ».
10

agencement se concilie parfaitement avec l’impératif d’un ordre que nous n’avons pas
encore cité, celui de l’étendue des articles, qui doivent se proportionner à l’étendue de
l’ouvrage. Et de plus, il se perfectionne au fil des éditions, la répétition de l’écrit
intensifiant les liaisons entre articles et diminuant la disparité des voix48.

Dès lors, la proximité non-systématique, non rigoureuse, mais néanmoins aussi


réelle et effective que l’intériorisation de l’habitude elle-même49, entre l’Encyclopédie de
Hegel et la grande encyclopédie française ne fait plus de doute. On peut la formuler en
disant simplement que le travail infini dont parle Diderot ne fait pas peur à Hegel : son
ouvrage intensifie et intériorise l’ordre encyclopédique jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul
article, se déployant en une suite de paragraphes, chacun offrant alors une perspective
singulière sur la totalité encyclopédique50. Mais si l’ordre des paragraphes est déterminé
purement par la singularisation de cette totalité, cette division est aussi une
extériorisation. Et c’est pourquoi les paragraphes rencontrent les remarques. L’ordre
encyclopédique et ses paragraphes ne sont pas affectés par ces rencontres, mais cela parce
que les remarques le sont. Il faut donc s’attendre à ce que le contenu de celles-ci implique une
combinaison d’ordres et une organisation de renvois.

B. Les ordres des remarques

L’ordre du concept : détails, vues d’ensemble et exemples.

Dire que les remarques sont affectées par leurs rencontres avec la présentation du
système, c’est admettre un premier ordre : celui de la présentation elle-même. Ainsi, les
remarques reprennent souvent le contenu des paragraphes correspondants, et il s’agit de
savoir dans quel but.

Serait-ce pour offrir une présentation plus claire de l’Encyclopédie ? Mais dans le
domaine du concept, on dit voir clair quand on y voit à peine, c’est-à-dire quand on
parvient tout juste à distinguer un concept d’un autre, sans pouvoir rien dire sur ce qu’il
contient51. La présentation serait-elle, dans les remarques, plus distincte ? Mais distinguer
le contenu d’un concept, cela veut dire le décomposer arbitrairement en une somme
indéfinie de marques distinctives, qui sont autant de concepts prétendument simples, c’est-
à-dire « clairs ».
Pour sortir de ce cercle, il faut absolument subordonner la clarté et la distinction
à l’exposition du concept adéquat, comprenant en lui-même sa capacité à poser la réalité et
à se distinguer d’elle. Et le concept adéquat, c’est finalement l’idée, qui se déploie en
restant identique à elle-même : « l’idée est le Vrai en et pour soi, l’unité absolue du concept et de
l’objectivité. Son contenu idéel n’est autre que le concept en ses déterminations; son
contenu réel est seulement l’exposition de celui-ci, qu’il se donne dans la forme d’un être-

48 « Les connoissances se rapprocheront nécessairement ; le ton emphatique & oratoire s'affoiblira » (ibid.)
49 Cf. HEGEL, Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), §§ 409-410.
50 Cf. ibid., § 160, p. 151 ; trad. fr., I, p. 407. Notons que le secrétaire de l’Académie de Prusse, Formey,
avait fait part à d’Alembert dans une lettre de sa volonté de publier une « encyclopédie réduite »,
provoquant la colère de l’éditeur français (nous tenons cette dernière indication d’Irène Passeron). L’idée
d’une encyclopédie philosophique abrégeant l’oeuvre française, mais publiée à Berlin, daterait donc
de…1756. Mais ce n’était pas encore une idée systématique !
51 Id., Science de la logique, trad. fr., I, I, p. 68 : « dans la clarté absolue on voit autant et aussi peu que dans
l’obscurité absolue »
11

là extérieur, et, cette figure étant incluse dans son idéalité, dans sa puissance, ainsi il se
conserve en elle »52.

Nous avons avancé : l’idéalité ou la puissance de l’idée ne se réalise qu’en


s’exposant dans la forme de l’extériorité; la présentation ou l’exposition encyclopédique
n’est ainsi que le déploiement actuel d’une unité intensive. On ne fera pas pour autant de
chaque moment exposé un degré d’intensité de l’idée, laquelle n’est pas en elle-même une
quantité. Mais en revanche, on peut dire que la présentation implique nécessairement un
ordre quantitatif, qui détermine l’étendue des paragraphes et leur proportion dans l’ensemble
de l’ouvrage; chaque moment s’en tient idéellement au même degré d’intensité dans
l’exposition de l’idée, ce qui proportionne son extension réelle à celles des autres
moments, et par suite à la totalité encyclopédique. Et dès lors, comme chaque degré
d’une quantité intensive renvoie négativement à tous les autres53, l’intensité déterminée
de l’exposition encyclopédique renvoie à d’autres expositions possibles, que les
remarques réalisent ponctuellement.
Ainsi s’explique que les remarques puissent augmenter l’extension des
paragraphes, c’est-à-dire, selon les termes d’un texte déjà cité, détailler les déterminations
de l’idée et poursuivre « le développement de leur dérivation systématique »54. La
constitution du nombre est de cette manière dérivée dans une remarque du concept de
quantité55, comme les diverses nuances (Schattierungen) du dérangement de l’esprit (délire
maniaque, manie, fureur, idiotie) sont dérivées de l’activité de l’âme56. Mais le texte des
remarques peut être également moins détaillé que celui des paragraphes : les nuances
voisinent alors avec les généralisations, qui replacent le contenu réel de la présentation dans
un mouvement plus vaste, en général à peine esquissé57.

52 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830),, § 213, p. 182, trad. fr., I, p. 446.


53 Cf. Ibid., §104, p. 119 ; trad. fr., p. 366.
54 Id., Encyclopédie…(1817), trad. fr., I, p. 117. En logique classique, une exposition détaillée augmente la
compréhension d’un concept et diminue son extension, c’est-à-dire sa généralité. Pour Hegel en revanche
(comme pour Leibniz) la vraie généralité est intensive et compréhensive : elle s’oppose radicalement à
l’extension amorphe d’un concept indéterminé.
55 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), §102 Anm., pp. 118-119, trad. fr., I, pp. 364-365. Cette
remarque fait son apparition en 1827 ; on ne trouve pas son équivalent dans la Doctrine de l’Etre de 1812,
mais seulement dans l’édition de 1831. C’est donc ici la Grande Logique qui reprendra un « détail » de
l’Encyclopédie. Hegel a montré dans le paragraphe qu’un quantum déterminé est le résultat d’un processus
dynamique : la répétition d’unités discrètes (la valeur numérique) atteint une cohérence minimale dans la
mesure où la même unité se continue en se répétant. La remarque elle-même organise les différents modes
de calcul (addition, multiplication, potentialisation) en continuant la dialectique de la discrétion et de la
continuité. Cette dérivation du « concept du nombre » permet de trouver « une nécessité et par là un
entendement » dans l’articulation de l’arithmétique, en insistant dans le même mouvement sur la fécondité
de la logique spéculative.
56 Cf. id., Encyclopédie…(1817), § 322 et Remarque, trad. fr., III, pp. 111-112, modifiée.
57 Citons un cas saisissant, qui trouve place dans la Science de la logique de l’Encyclopédie (1827-30), et plus
précisément dans la Doctrine de l’essence. Hegel explique que la forme est toujours un contenu non
réfléchi, et que le contenu n’est rien d’autre que la forme réfléchie en elle-même. Il rajoute alors dans une
remarque : « Ce renversement est l’une des déterminations les plus importantes. Mais posé, il ne l’est que
dans le rapport absolu » (§133 Anm., p. 135 ; trad. fr., p. 387). Autrement dit, les étapes suivantes ne feront
que détailler le même renversement, jusqu’à sa position totale, le rapport absolu impliquant qu’une
substance réelle se manifeste dans la totalité de ses accidents (§ 150 Anm., pp. 144-145 ; trad. fr., p. 399).
Même la dialectique de la nécessité ne sera, dans le mouvement des remarques, qu’une étape : dans tout
rapport nécessaire, une possibilité formelle se réfléchit dans une chose effective. Et si « le concept de la
nécessité est très difficile », si l’on doit par conséquent « présenter, d’une manière encore plus détaillée,
dans les deux paragraphes suivants, l’exposition des moments qui constituent la nécessité » (§ 147 Anm.,
p. 143 ; trad. fr., p. 397), le mouvement des remarques invite plutôt à passer directement de la nécessité au
rapport absolu.
12

Les remarques n’émanent donc pas des paragraphes comme les Schattierungen
(nuances, mais plus précisément ombres dégradées58) émanent de la lumière59; A la
logique de l’émanation manque l’essentielle négativité qui habitent les différences
conceptuelles, et avant tout la différence entre les degrés d’une quantité intensive. Ainsi
s’explique que l’ordre quantitatif de l’Encyclopédie hégélienne ne vise pas une exposition
infiniment détaillée, mais se réalise dans la différence entre des expositions plus ou moins
intensives, qui ne se rencontrent que dans les remarques.

Allons plus loin : les variations d’intensité dans l’exposition, qui constituent
l’ordre quantitatif de l’Encyclopédie philosophique, ne sont possibles que dans la mesure
où elles renvoient négativement à un autre ordre encyclopédique : son ordre qualitatif.
Détailler un moment dialectique est en effet une opération réductible au « passer et
repasser permanents d’un membre à l’autre de la contradiction qui demeure »60. On peut
même, comme le montre Hegel dans une étude très serrée de « l’opposition seulement
quantitative », faire varier cette opposition en répartissant différemment l’intensité entre
chaque terme61. Mais ces variations ne permettent jamais de dépasser une contradiction,
c’est-à-dire de passer d’un moment dialectique à un autre, qui diffère qualitativement du
précédent.
Ainsi l’exposition la plus détaillée, dégageant les nuances les plus infimes, ne fait
que renvoyer négativement à la suppression qualitative de la différence, c’est-à-dire à
l’identité. L’ordre qualitatif de l’Encyclopédie exige donc avant tout l’analyse la plus fine,
c’est-à-dire celle qui exprime sans reste tout le contenu d’un moment dans un autre62. De
même, l’exposition la moins détaillée, se contentant des différences les plus grandes, a
toujours pour limite la plus grande des différences, c’est-à-dire la contradiction qualitative :
celle-ci surgit au cœur de l’identité analytique, dans la mesure où la totalité d’un moment
ne se pose qu’en s’opposant à son expression immédiate, comme simple moment partiel
du déploiement de l’idée63. Et finalement, l’identité posée des termes contradictoires
réalise à la fois la plus grande (ou la plus intensive) des synthèses, et la plus fine (ou la
plus extensive) des analyses; elle implique et expose l’idée encyclopédique en sa totalité64.

58 Telle est bien la traduction choisie par Bernard Bourgeois pour « Schattierungen ». Sur la scène
spéculative comme théâtre d’ombres, cf. J.-L. Nancy, op. cit., p. 145.
59 L’émanation n’est pas un ordre encyclopédique : « Pour le concept, cette forme de l’immédiateté du
mouvement, de la détermination n’est pas suffisante » (Id., Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie [Leçons
sur l’histoire de la philosophie], STW, Werke XIX, p. 450 ; nous traduisons. Hegel parle ici évidemment de
Plotin).
60 Id., Science de la logique, trad. fr., I, I, p. 218.
61 Ibid., p. 225. On expliquera ainsi les nuances (Schattierungen) que l’on peut introduire au moment de
l’étude de l’inversion âme/corps, le dérangement de l’esprit changeant de symptômes et de définition selon
l’intensité de l’activité psychique et des affects corporels.
62 « la progression toute entière de la démarche philosophique, en tant que progression méthodique, c’est-
à-dire en tant que progression nécessaire, n’est rien d’autre que tout simplement la position de ce qui est
déjà contenu dans le concept ». On le sait, en quelque sorte, dès le commencement de l’ouvrage : celui-ci,
en s’écrivant, passe du néant dans l’être. Or cet être totalement indéterminé est le néant, qui a pour seul
contenu la même absence de contenu : « la déduction de leur unité, est, dans cette mesure, entièrement
analytique », écrit Hegel Ibid., § 88, Anmerkung, p. 108 ; trad. fr., I, p. 351. Cf. également Science de la logique,
I,1, p. 61 : « cette unité (être-néant) se trouve une fois pour toute au fondement et constitue l’élément de
tout ce qui suit ».
63 En exprimant le contenu de l’être, le néant exprime bien plutôt son in-détermination. De même, toute
qualité n’est ce qu’elle est qu’en s’opposant à une autre qualité, laquelle exprime donc vraiment ce qu’elle
est.
64 Ainsi, le passage de l’être dans le néant et du néant dans l’être, c’est-à-dire le devenir, réalise totalement
l’adéquation du concept encyclopédique : « toutes les déterminations logiques ultérieures : être-là, qualité,
13

Il faut alors distinguer très rigoureusement l’ordre quantitatif du détail, qui permet
de poursuivre plus ou moins loin une même contradiction dialectique, et l’ordre qualitatif
de l’exemple, qui exige la position de la contradiction en un terme autre : Le devenir, dit
ainsi Hegel, est « l’exemple le plus proche » de l’unité être-néant65.
Les remarques peuvent alors exemplifier le contenu des paragraphes sans quitter
l’ordre (qualitatif) du concept. Elles ne font dans ce cas que poser, par anticipation,
l’unité de la détermination présentée et de son contraire, exprimant ainsi le contenu réel
de cette détermination avant même qu’il ne se présente en une détermination nouvelle.
On expliquera de cette manière toutes les remarques qui commentent le passage d’un
moment à l’autre66.

L’articulation des deux ordres encyclopédiques (quantitatif et qualitatif) est à


l’œuvre dans chaque passage dialectique, qui pousse la plus petite différence jusqu’à
l’identité analytique, et la plus grande jusqu’à la synthèse des contraires. Il faut dire, dès
lors, qu’il n’y a qu’un seul ordre du concept : le développement de l’idée, laquelle se
continue en suivant le fil de l’identité, tout en s’opposant à elle-même dans chaque
passage. Tout l’avantage des remarques est alors de montrer l’essentielle plasticité67 de ce
développement : les détails et les vues d’ensemble qu’elles offrent montrent la possibilité
de poursuivre l’analyse d’un moment ou de le faire entrer dans une synthèse plus large ; à
chacun de ces degrés d’intensité dans l’exposition, correspond alors un exemple de dépassement
dialectique68. Cette étonnante plasticité de l’ordre encyclopédique finit de se clarifier par
contraste avec les blocages de la représentation – et les réfute en les éclairant.

L’ordre de la représentation : du blocage au supplément.

Le discours représentatif est continu : il ne diminue pas, il ne cesse pas, il affirme


son ordre et son style au fil des remarques encyclopédiques. On peut bien dire : « Au fur
et à mesure que l’on avance dans la Science de la logique, les remarques se font plus rares,

de façon générale tous les concepts de la philosophie, sont des exemples de cette unité (être-néant) »
(Science de la logique, I,1, p. 61).
65 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 88, Anm., p. 109 ; trad. fr., I, p. 353. Nous soulignons.
66 Citons l’une de celles qui concernent le « devenir » : ce dernier, dit Hegel, exprime l’unité de l’être et du
néant; mais cette « unité doit être saisie dans la diversité en même temps présente et posée » (ibid., § 88 Anm.,
p. 110, trad. fr., I, p. 354). Cette position est déjà celle d’un nouveau concept, l’être-là, qui est aussi le
« premier exemple » (ibid., § 89 Anm., p. 111; trad. fr., p. 355) du devenir. Le procédé est le même quand
Hegel montre que le concept en général se réalise dans l’objet (ibid., § 193, p. 170 ; trad. fr., p. 431). Cette
identité, dit la remarque, signifie que l’objet est en soi « la totalité du concept » ; elle n’a donc de que si les
différences de l’objet sont aussi celles du concept – ce que les paragraphes suivants démontreront.
67 Déjà remarquée par J.-L. Nancy, la plasticité hégélienne est le thème essentiel de l’ouvrage de
C. Malabou, L’avenir de Hegel – Plasticité, temporalité, dialectique, Vrin. Catherine Malabou insiste justement sur
l’importance du « raccourci conceptuel » (pp. 202-203), qui correspond à ce que nous nommons
« généralisation » ou « intensité élevée ». Mais en insistant sur le raccourci, ce texte manque selon nous les
possibilités infinies d’extension qu’offrent les remarques encyclopédiques. De plus, la plasticité est
expliquée uniquement selon l’ordre qualitatif de l’Aufhebung, alors que selon nous, il faut absolument tenir
compte de l’ordre quantitatif. C. Malabou fonde son raisonnement sur la force d’intensification de l’esprit
subjectif ; nous fondons le nôtre sur l’indifférence des variations quantitatives, qui s’articule avec la
différence qualitative – articulation exposée dans la Doctrine de l’Etre et qui nous semble encore bien plus
« plastique ».
68 On a vu ainsi, plus haut, comment l’apparition d’une subtance dans ses accidents pouvait directement
servir d’exemple au renversement de la forme en contenu. De même, une remarque de la Science de la logique
sur le concept subjectif précise qu’il est « l’absolument concret, le sujet comme tel », et donne un exemple
qui correspondra à l’ensemble du troisième moment de l’ Encyclopédie : « l’absolument concret est l’esprit »
(ibid., § 164 Anm., p. 154 ; trad. fr., p. 411). Dans cette plasticité de l’idée, on reconnaît l’indifférence
contradictoire de la quantité vis-à-vis de la qualité, qui est le point névralgique de la logique de l’Etre.
14

comme si on assistait à une réduction progressive de l’extériorité »69 ; mais cela ne se


vérifie pas empiriquement.
Pour mieux saisir ce style représentatif, il faut se reporter à nouveau à la première
parole de la Phénoménologie, qui est de fait une courte conversation : « qu’est-ce que le
maintenant ? Nous répondrons, par exemple : le maintenant est la nuit ». C’est cet exemple que
« nous notons par écrit ». Or, Hegel vient de l’expliquer, toute certitude déterminée se
présente sur le mode de l’exemple70. Ce que la conscience considère comme essentiel (le
maintenant singulier) se supprime dans des exemples contradictoires (la nuit et le jour).
Plus profondément, ce qui ne devait être qu’un exemple (ma visée singulière du
maintenant) s’avère être l’essentiel (le moi comme visée de tout maintenant). Et
finalement, toute la dialectique phénoménologique peut être vue comme la transcription
d’une parole essentielle sous forme d’exemples, lesquels en se supprimant renvoient à
une essence71.
La représentation bloque ce mouvement ; elle profère donc une parole indéfinie,
qui considère immédiatement l’exemple comme l’essentiel, et ne veut que des exemples,
quitte à rester dans l’inessentiel. Telle est la parole du « moi par exemple », qui se dilue
elle-même dans une suite de cas concrets, pris indifféremment dans le champ de
perception ou dans la mémoire du sujet singulier. Hegel, secrétaire de l’esprit du monde,
transcrit tout aussi bien ce discours représentatif : « ici un tilleul, à côté de saules, de
boutures, etc., et en bas une vache passe en courant »72.
Les remarques encyclopédiques continuent ce discours. Autrement dit, elles ne le
dialectisent plus. Elles marquent seulement l’écart entre la présentation du concept, qui est
toujours « exemple de lui-même »73, et les exemples représentatifs, immédiatement
lointains. Ainsi, l’identité de l’être et du néant, tout deux irreprésentables74, trouvent leur
exemple le plus proche dans le devenir; mais une remarque transcrit les « conséquences et
applications » de cette identité pour la représentation : « par exemple que, suivant celle-ci,
c’est la même chose, que ma maison, ma fortune, l’air pour respirer, cette ville-ci, le soleil,
le droit, l’esprit, Dieu, soient ou ne soient pas »75.

Peut-on cerner précisément ces lointains exemples ? Autrement dit : peut-on


trouver, dans les remarques, une véritable théorie de la représentation ? Nous répondons
positivement76. Dans la remarque que nous venons de citer, ces exemples sont autant de
substitutions : « on substitue subrepticement une différence pleine de contenu à la différence
vide de l’être et du néant ». Et ces substitutions sont autant d’ajouts : « En de tels
exemples [début de phrase rajouté par Hegel en 1830] (…) sont introduits
subrepticement des buts particuliers, l’utilité que la chose a pour moi, et l’on demande s’il m’est
indifférent que la chose utile soit ou ne soit pas ». On entend alors « par l’acte de

69 Introduction à la lecture de la science de la logique de Hegel, Coll., Séminaire de Saint-Cloud, Aubier, I, p. 11.
70 Citation in HEGEL, Phänomenologie… [La Phénoménologie…], p. 71 ; trad. fr., I, p. 83. Le mot allemand que
traduit « exemple » est « Beispiel », ce qui permet un jeu de mots hégélien avec « beiherspielen » (l’exemple
se joue à côté de l’essence) ; cf. Hyppolite, traduction citée de La Phénoménologie…, note 4, et le commentaire
très clair de P.-J. Labarrière, Introduction à une lecture de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel, Aubier, p. 92 sqq.
71 Ma visée n’est ensuite qu’un exemple de l’universalité du moi, défini dans une attitude naïve qui n’est
qu’un exemple, très immédiat, de la relation moi-objet.
72 Id., Notes et fragments, Iéna 1803-1806, texte original et traduction collective , Aubier, p. 54 ; trad. fr., p. 55.
73 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 88 Anm., p. 109 ; trad. fr., I, p. 353.
74 Ils ne sont que des « abstractions vides » (ibid., § 87 Anm., p. 107, trad. fr., I, p. 350).
75 Ibid., § 88 Anm., p. 108 ; trad. fr., I, pp. 351-352.
76 Nous ne déploierons ici cette théorie qu’à partir des remarques encyclopédiques ; mais elle forme
également l’objet principal du « Concept préliminaire » de la Science de la Logique incluse dans l’Encyclopédie
(Sur les textes préliminaires voir supra).
15

concevoir, encore quelque chose de plus que le concept proprement dit ; on réclame une
conscience plus diversifiée, plus riche, une représentation, de façon qu’un concept soit
exhibé comme un cas concret avec lequel la pensée en sa praxis habituelle serait plus
familiarisée » 77. La représentation supplée78 donc ses exemples au concept. Alors que la
présentation spéculative mène de concert l’analyse la plus fine et la plus grande synthèse,
réalisant en chaque moment une totalité virtuelle (l’idée spéculative), la représentation
substitue d’emblée à cette idée un concept concret, c’est-à-dire une synthèse actuelle
intuitionnée par un moi singulier, et en fait l’analyse grossière.
Ce supplément cache alors toute une économie de la rencontre79. Chaque synthèse
actuelle du moi n’est en effet qu’un ensemble d’affects rencontrés par hasard et soudés
dans la cohérence d’une notion. Déterminées par l’histoire individuelle du sujet, situées
« dans son propre espace et dans son propre temps »80, les notions s’objectivent sous la forme
de représentations liées aux termes de la langue naturelle. La signification habituelle d’un
mot se complique au fil des rencontres avec un signe, lesquelles évoquent d’autres
rencontres. Et finalement, un terme ne peut se présenter dans un paragraphe
encyclopédique sans évoquer une pluralité indéfinie de notions compactes et de
souvenirs vagues, re-présentées dans les remarques. Hegel peut donc bien dire (voir le
début de cet article) que les remarques signalent « de temps à autre » ces rencontres elles-
mêmes contingentes, et tiennent compte de représentations « apparentées ou
divergentes ». Ainsi s’explique également que les « conséquences ultérieures » du
mouvement logique soient comptées parmi les « choses semblables » aux représentations
; « il est contingent que ce qui relie soit quelque chose d’imagé ou une catégorie de
l’entendement, [comme] égalité et inégalité, raison et conséquence, etc. »81. On pourrait
tout juste réduire ces différents modes de liaison aux deux grands modes de l’association
d’idées : la similitude, reposant sur l’identité lâche des petites synthèses subjectives, et la
divergence, reposant sur les différences introduites par une analyse grossière. La structure
de l’exemplification lointaine se réduit à cela : quand un concept se présente en un mot,
l’intelligence représentative remplit ce mot de toutes les déterminations qu’elle lui attache
habituellement, et effectue des actes de composition et de décomposition qui permettent
de faire ou de défaire à l’infini des combinaisons arbitraires82.

77 Ibid., § 88 Anm., p. 109 ; trad. fr., I, p. 353. Nous soulignons « quelque chose de plus », qui est un ajout
de 1830. Citons également la Science de la logique, trad . fr., I,1, p. 61 : « La confusion dans laquelle s’égare la
conscience habituelle au sujet de telle proposition logique a pour raison qu’elle ajoute à cela des
représentations d’un quelque chose concret, et oublie qu’il n’est pas question de quelque chose de tel, mais
seulement des abstractions pures de l’être et du néant, et que c’est elles seules qui doivent être retenues
fermement en et pour soi ».
78 Dans tous les sens du terme – donc dans le sens que donne Derrida à ce mot (cf. par exemple, De la
Grammatologie, passim).
79 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 452, p. 364 ; trad. fr., III, p. 247. Nous condensons ici les
acquis de la « psychologie » hégélienne (cf. ibid., § 451 sqq). Sur les notions (Kenntisse), cf. § 449, addition,
trad. fr., III, p. 551. On pourra se rapporter ici à ce que dit B. Mabille de la « structure du Vorfinden » in
Hegel – L’Epreuve de la contingence, Aubier, p. 88 ; cet ouvrage est proche de l’économie de la rencontre, dans
la mesure où il insiste sur l’irréductibilité de la contingence ; mais les remarques n’y jouent pas de rôle
particulier.
80 Ibid., § 452, p. 364 ; trad. fr., III, p 247.
81 Ibid., § 455 Anm., pp. 366-367 ; trad. fr., III, pp. 249-250.
82 Hegel cite ainsi les représentations attachées aux termes d’égalité et de liberté (§ 539 Anm.) ; il montre
que les différents pouvoirs de l’Etat (législatif, exécutif, judiciaire), sont « liés par l’entendement en un
Rapport irrationnel » (§541 Anm.) ; ou, dans une autre sphère, il rappelle les facultés que l’on subordonne
au concept d’esprit (§440 Anm.). G. Lebrun (in La Patience du concept) dit à juste titre que les concepts
d’entendement sont critiquables « en tant qu’ils revendiquent déjà le statut des essentialités concrètes, et
non en tant qu’ils en donnent une approximation, en tant qu’ils imitent encore les objets perçus, dans leur
juxtaposition indifférente, et non parce qu’ils seraient des constructa plaqués artificiellement sur du
16

Il en découle que le mot est le lieu incontournable de la rencontre entre l’ordre de


la représentation et celui du concept. En s’actualisant à chaque moment dans son
exemple le plus proche, l’idée spéculative se rapproche nécessairement des synthèses toujours
actuelles de la représentation. Cette nécessité se transforme en liberté, dans la mesure la
philosophie peut déterminer son usage de la langue naturelle en fonction de son ordre
propre - comme le fait chaque sujet individuel en fonction de sa propre histoire : la
philosophie a « le droit, à partir du langage de la vie ordinaire, [langage] qui est fait pour
le monde des représentations, de choisir des expressions qui paraissent se rapprocher des
déterminations du concept. Il ne peut pour cette raison être question, pour un mot choisi
à partir du langage de la vie ordinaire, de prouver que dans la vie ordinaire également on lie
à lui le même concept pour lequel la philosophie l’utilise »83. Cette règle de l’ « à peu
près »84 n’affecte pas les paragraphes, qui usent de leur droit sans le dire, et l’étendent
même jusqu’au droit d’utiliser « l’abondance vide de la langue » pour exprimer des
déterminations du concept qui ne s’approchent d’aucune synthèse représentative85. Elle
est pleinement assumée dans les remarques, qui rendent compte de la proximité entre
l’usage spéculatif et l’usage ordinaire de la langue, tout en montrant la distance infinie
entre l’exemplification au plus proche de l’idée spéculative et les exemples concrets qui
surgissent à l’occasion pour la représentation. Entre ces deux ordres, se trouve en effet
toujours l’écart entre « un substrat donné, représenté comme déjà tout prêt » 86 et une idée
virtuelle se totalisant progressivement : l’écart entre ce qui a été fait d’une manière
contingente et ce qui reste à se faire d’une manière encyclopédique.

Disons les choses autrement : les paragraphes sont purement encyclopédiques.


En revanche, les remarques élaborent, au fil des rencontres entre les termes de
l’encyclopédie et la représentation, un dictionnaire de mots spéculatifs. Elles assument
donc la multiplicité d’ordres qu’implique une Encyclopédie philosophique des sciences
en langue naturelle.

L’ordre des sciences particulières

Nous avons vu plus haut que l’Encyclopédie hégélienne devait suppléer aux
autres encyclopédies de sciences, en conjurant leur défaut fondamental : la confusion
entre le développement systématique de chaque science et l’explication contingente,

sensible ». Mais de fait, l’entendement dans la représentation ne donne que des constructions approximatives :
il ne fait pas que fixer des déterminations, il en ajoute d’autres dans des synthèses arbitraires.
83 Id., Wissenschaft der Logik [La Science de la logique], STW, Werke VI, p. 406 ; trad. fr., III, pp. 212-213. Cf. B.
BOURGEOIS, Présentation de sa traduction de l’Encyclopédie, I, p. 78. Cf. également G. LEBRUN , op. cit.,
p. 325 : « il faut adopter le langage de l’entendement, puisque l’entendement seul a un langage ». Sur le lien
entre systématicité et liberté, cf. le texte déjà cité de B. BOURGEOIS, « l’Idée de système », in L’idéalisme
allemand, Vrin, pp. 97-106.
84 Citons à nouveau la remarque, très révélatrice, qui concerne le passage du concept à l’objectivité : « il n’y
pas pour autant à vouloir rendre ce passage plausible pour la représentation. On peut seulement évoquer la
question de savoir si notre représentation habituelle de ce qui est ici appelé objet correspond à peu près [nous
soulignons] à ce qui constitue ici la détermination de l’objet » (HEGEL, op. cit., § 193 Anm., pp. 169-170 ;
trad. fr., I, p. 430.
85 Cf. id., Wissenschaft der Logik [La Science de la logique], STW, Werke VI, p. 407 ; trad. fr., III, p. 213.
86 Id., Encyclopédie (1817) § 35, trad. fr., I, p. 199. Cet écart permet selon nous de conjurer le flottement
entre l’usage spéculatif de la langue et son usage naturel, qui fait l’objet de l’ouvrage déjà cité de J.-L.
Nancy, La Remarque spéculative. Rappelons que selon cet ouvrage, le mot aufheben serait le révélateur de cette
irréductible hésitation : « l’aufheben, de soi, s’engage dans l’approximation, se livre à la chance et à
l’accident du pluriel des mots… » (ibid., p. 171).
17

analogique, de la signification des mots, c’est-à-dire de ce qui « se rencontre sous des


déterminations communes ». Cela signifie-t-il pour autant que l’ordre du concept absorbe
tout autre ordre scientifique ?
Tel est bien le cas dans le premier texte hégélien qui énonce un projet
d’encyclopédie : une continuité parfaite entre philosophie et science donne alors à la
première le droit absolu - et la puissance- de développer ou non chaque science
particulière87. Ne sont visiblement exclues à ce stade que les démarches qui prétendent
indûment au nom de science, alors qu’elles se réduisent à de petites synthèses pratiques88.
Mais il en va tout autrement au moment où Hegel réalise son projet. S’il affirme
que l’encyclopédie embrasse toutes les sciences véritables89, il se corrige bientôt :
l’encyclopédie « doit être bornée aux éléments initiaux et aux concepts fondamentaux des
sciences particulières »90. La remarque qui suit distingue le projet hégélien de
l’encyclopédie « ordinaire », mais propose également une typologie des sciences. Cette
multiplication d’ordres, bien proche de la démarche de Diderot, est du plus grand intérêt.
Les deux premiers ordres concernent les agrégats de connaissances sans fondement (la
philologie) ou avec un fondement arbitraire (l’héraldique). Dans leur cas, il est clair que
les sciences sont « de part en part positives » et ne contiennent rien de plus que des
petites synthèses actuelles de la représentation; le nom de « science » y est tout
simplement usurpé, et il faudrait plutôt parler de collection91. Le troisième ordre est bien
plus ambigu : il regroupe des sciences qui « ont un fondement rationnel; cette partie
d’elle-même appartient à la philosophie; mais le côté positif leur reste propre »92.

Ce « fondement rationnel » devient alors le lieu de rencontre entre l’ordre du


concept et l’ordre des sciences particulières. Ce dernier part toujours de ce qui se donne
dans l’expérience, pour l’analyser et le réfléchir. Il dégage ainsi des principes, des genres
ou des lois, qui forment à chaque fois la raison d’être (ou le fondement) du donné. Le
fondement a donc le même contenu que ce qu’il fonde, mais sous la forme de la
pensée93. S’il paraît nécessaire ou essentiel, il garde forcément la trace de son origine,
d’où sa pluralité et sa contingence : les raisons d’être ne s’accordent en un système que si
l’une d’elles est posée arbitrairement comme genre, de façon à ordonner toutes les autres
comme autant de marques distinctives. Ces dernières ne déterminent pas vraiment le
genre, mais servent de signes caractéristiques pour reconnaître une espèce ou un objet 94.

87« La philosophie, par l’universalité du concept d’une déterminité et d’une puissance, se fixe
arbitrairement sa limite par rapport à une science déterminée. La science déterminée n’est rien d’autre que
l’exposition ou l’analyse (le mot étant pris en son sens plus élevé) progressive de la manière dont ce que la
philosophie laisse, sans le développer, comme une déterminité simple, se ramifie à son tour et est à soi-
même totalité » (id., Des Manières de traiter scientifiquement du Droit naturel, trad. fr., B. Bourgeois, Vrin, p. 84).
Même les sciences positives, c’est-à-dire celles qui prétendent à l’autonomie en se vouant à une analyse
moins élevée (c’est-à-dire purement empirique) peuvent être incluses malgré elles dans ce système tout
puissant. Sur ce qui suit (y compris sur l’Encyclopédie), cf. B. BOURGEOIS, Le Droit naturel de Hegel,
Commentaire, Vrin, pp. 561-569.
88 « Que n’appelle-t-on pas science aujourd’hui ! « Le terrassier, ou le tout de l’art des terrasses ». De même
l’exploitation de la tourbe, la fumisterie, l’élevage des bovins, etc., tout cela est science » (Id., Notes et
fragments, Iéna 1803-1806, p. 36 ; trad. fr., p. 37.
89 Id., Encyclopédie (1817) § 10, trad. fr., I, p. 159.
90 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 16, p. 48 ; trad. fr., p. 181.
91 Cf ibid., § 190, et id., Phänomenologie des Geistes [La Phénoménologie de l’esprit], p. 166 ; trad. fr., I, p. 207.
Voir également l’Encyclopédie, § 411 Anm., sur l’ « idée vide » de la cranioscopie.
92 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 16 Anm., p. 49 ; trad. fr., p. 182
93 Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 121, p. 130 ; trad. fr., p. 380.
94 Chacune d’elle « est en général seulement une détermination par quoi un tiers remarque un objet ou un
concept ; par conséquent elle peut être une circonstance tout à fait contingente. En général elle n’exprime
18

Selon l’idée érigée comme genre, il y aura donc plusieurs systèmes de signes, de marques
ou de remarques, et plusieurs théories scientifiques dans l’ordre de la science.

L’ordre de la science n’est pas celui de la représentation : il ne compose pas


immédiatement ce qu’il rencontre en petites synthèses arbitraires, mais à l’inverse,
commence par analyser un donné. Mais il en découle que la recomposition qu’il fait de ce
donné est encore une synthèse arbitraire. Pour cette raison, premièrement, l’encyclopédie
habituelle ne peut distinguer rigoureusement la présentation des termes scientifiques et
ceux des termes communs, et se confond avec un simple dictionnaire de mots ;
deuxièmement, l’ordre encyclopédique reste arbitraire tant qu’il s’inspire de celui des
sciences ; et troisièmement, l’ordre du concept doit nier chez Hegel un tel héritage. Après
s’être reconnu le droit de retrouver dans la représentation les déterminations
conceptuelles, la science spéculative, dit Hegel, se donne le droit de reconnaître dans les
lois ou même le contenu de chaque science une détermination conceptuelle et d’en faire
usage95. Cette reconnaissance se mue nécessairement en ingratitude : la philosophie laisse
à la science les analyses trop détaillées et les synthèses arbitraires, pour réaliser à elle seule
l’analyse la plus fine de la plus grande synthèse. Ainsi, elle « se crée et se donne à elle-
même son objet »96, et les paragraphes ne garderont rien de ce qu’ils doivent à l’analyse
de l’expérience.

Autrement dit, l’ordre du concept et celui de la science ne se rencontreront que dans


les remarques. Elles seules reconnaîtront dans une détermination conceptuelle le
« fondement rationnel » d’une science particulière. L’ingratitude des paragraphes est donc
compensée par la gratitude des remarques, mais celle-ci n’est pas gratuite : il s’agira
toujours de montrer que le concept, replacé dans l’ordre de la science, devient la marque
distinctive d’une espèce. Ainsi, la quantité comme fondement de la mathématique, se
divise immédiatement en grandeurs continue et discrète, « regardées comme des
espèces »97. De même, toutes les déterminations de la logique de l’essence sont des
« catégories de la métaphysique et des sciences en général », placées par ces dernières
« l’une à côté de l’autre », comme le seront, dans la mécanique, les forces attractive et
répulsive, ou dans la psychologie, les différentes facultés.
Les remarques ne se bornent donc pas à une critique des sciences, comme on en
a souvent l’impression. Elles jouent leur vrai rôle, elles re-marquent, font d’une concept
une marque. Elles peuvent alors affirmer le droit et l’ordre de la philosophie, en se
chargeant de reconnaître une différence conceptuelle dans le contenu d’une science
particulière ; dans ce cas, elles dérivent systématiquement les idées-signes du système
scientifique, et ne font qu’augmenter l’extension de la présentation spéculative98. Ou bien
elles affirment le droit et l’ordre des sciences. Dans la mesure même où l’ordre du concept

pas tant l’immanence et l’essentialité d’une détermination, mais le rapport d’elle à un entendement
extérieur » Id., Wissenschaft der Logik, STW, Werke VI, p. 290 ; trad. fr., II, p. 86. Nous soulignons
« remarque ». Cf. Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 229. « Merkmale » est traduit par « signes
caractéristiques » (Hyppolite, p. 208) ou plus souvent par « marques distinctives » ; les deux traductions
sont intéressantes, mais la deuxième est plus juste ; elle fait également ressortir la proximité des remarques
(Anmerkungen).
95 Cf. Id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 9 et § 12.
96 Ibid., § 17, p. 50 ; trad. fr., p. 183.
97 Ibid., § 100 Anm., p. 117 ; trad. fr.,I, p. 363. Citations suivantes : § 114 Anm., §269 Anm., § 440 Anm.
p. 124, p. 224, p. 355).
98 Sur la dérivation, voir supra. Citons également la très intéressante remarque au § 406 (pp. 332-336 ; trad.
fr.,III, pp. 205-210) concernant le magnétisme animal : Hegel insiste d’abord sur l’impossibilité factuelle de
donner les raisons de ce phénomène, puis sur l’inutilité de ce travail, qui ne convaincrait personne, avant de
choisir la voie de la dérivation conceptuelle.
19

actualise une totalité virtuelle, il ne peut rendre compte de la réalité actuelle en sa totalité.
En revanche, comme l’ordre des sciences part de la réalité actuelle et en rend raison, il
règne en maître quand il s’agit de remarquer des détails contingents : les sciences seules
peuvent « faire descendre l’universel dans la singularité et effectivité empirique » car « dans ce
champ de la variabilité on ne peut faire valoir le concept, mais seulement des raisons »99.
On distinguera donc strictement le détail spéculatif, qui étend l’encyclopédie, et le détail
scientifique, qui se remarque à côté d’elle, et indique la rencontre entre la virtualité de
l’idée et la réalité actuelle. Dans ce dernier domaine, les remarques se limitent elles-
mêmes à des indications, de façon à ne pas se perdre dans une variabilité infinie100.

L’ordre de l’histoire de la philosophie

Les remarques ne se font vraiment critiques que dans la mesure où l’ordre des
sciences empiète sur celui de la philosophie. Pour peu que l’on prenne les marques
distinctives pour des concepts adéquats, les fondements d’une science particulière
deviennent des déterminations qui se présentent comme « absolument valables »101. Dès
lors, le passage d’une détermination à l’autre est bloqué, la science devient positive dans
sa forme même et l’ordre de la science se confond avec celui de la représentation.
Cette prétention encyclopédique de la science ne nuit pas simplement à la
systématisation de toutes les sciences. Il porte directement atteinte à la philosophie, dont
les catégories ne se limitent pas aux raisons tirées de l’expérience, mais implique un
« autre cercle d’objets »102. L’atteinte est particulièrement nette quand la science
particulière usurpe le nom de philosophie : « le nom de philosophie a été donné à tout ce
savoir qui s’est occupé de la connaissance et de la mesure fixe et de l’universel dans
l’océan des singularités empiriques »103. La mécanique newtonienne est ici un cas
emblématique, dans la mesure où elle substitue les synthèses de l’expérience à celles de la
pensée, et prétend se passer de toute catégorie métaphysique104. Il en va de même de la
psychologie, quand elle substitue à l’activité du sujet la référence à un moi empirique, et
prétend expliquer à partir de lui tous les moments de la connaissance et de la pratique105.

On comprendra alors toute l’importance d’un autre ordre, celui de l’histoire de la


philosophie. Hegel le dit en effet dès le début des Leçons : c’est dans cette histoire
qu’apparaît pleinement la « parenté » (Verwandtschaft)106 entre la philosophie, la science et

99 Ibid., § 16 Anm., p. 49 ; trad. fr.,I, p. 182.


100 Dans la réalité immédiate, la nature, il revient à l’« l’histoire naturelle, la géographie, la médecine » (§16
Anm., p. 49 ; trad. fr.,I, p. 182) de donner des détails scientifiques. Ainsi, les cinq sens ne peuvent être
dérivés directement de la triplicité du concept (§ 358 Anm.) ; il en est de même de la richesse des espèces
naturelles, qui ne peut être dominée que par la recherche de marques distinctives (§§ 367 Anm et 368 Anm.).
Dans la réalité médiatisé par l’esprit, Hegel considére qu’il revient à une physiologie psychique d’étudier « la
traduction corporelle que se donnent des déterminations spirituelles, particulièrement en tant
qu’affects »(§ 401Anm., p. 327 ; trad. fr.,III, p. 198). De même, « la science du droit, par exemple, ou le
système des impôts directs et indirects exigent des décisions ultimes détaillées » (§16 Anm., p. 49 ; trad.
fr.,I, p. 182), ce qui se vérifiera dans les remarques des §§ 544 et 529 comme dans celles des Principes de la
philosophie du droit (§ 3 Anm., § 212 Anm.).
101 Ibid., §16 Anm., p. 49 ; trad. fr.,I, p. 182.
102 Ibid., § 8, p. 41 ; trad. fr.,I, p. 172.
103 Ibid., § 7, p. 39 ; trad. fr.,I, p. 171.
104 Ibid., § 270 Anm., p. 225-230.
105 Ibid., § 442 Anm., pp. 356-357 ; trad. fr., III, pp. 237-238.
106 Id., Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie [Leçons sur l’histoire de la philosophie], STW, Werke XVIII,
p. 75.
20

la représentation, ainsi que les efforts de la philosophie pour se dégager de l’une et de


l’autre.
Les remarques pourront par suite noter les rencontres entre les déterminations
conceptuelles et leurs représentations historiquement apparentées. Il s’agira de montrer, en
premier lieu, la confusion entre les philosophies antérieures et les sciences, qui se fait
toujours au détriment de l’une et de l’autre : ainsi, la substance spinoziste, démontrée more
geometrico, donne une version rigide de l’infini mathématique107, et l’atomistique, en
chosifiant le concept de quantité, gêne la physique108. Il s’agira, en second lieu, de
montrer l’aspect représentatif des philosophies antérieures, au moment même où elles
abordent des objets proprement philosophiques. En érigeant en principe absolu une
détermination conceptuelle, ces philosophies bloquent le mouvement, et substituent au
concept une simple représentation : la monade leibnizienne donne ainsi une version figée
de l’objet, la substance spinoziste une version figée de l’idée109.
La gratitude dont font preuve les remarques vis-à-vis des philosophies du passé
n’est donc, ici encore, pas gratuite. D’un côté, il s’agit bien ici de reconnaître (dans tous
les sens du terme) l’œuvre de la rationalité dans l’histoire de la philosophie110 – et de
signaler ainsi l’héritage historique de l’Encyclopédie. Mais d’un autre côté, les remarques
raisonnent de l’extérieur sur cette histoire, elles ne la rationalise pas111 : l’ordre
d’apparition des philosophies n’est même plus historique, puisqu’il est soumis aux
rencontres avec les paragraphes. Et finalement, tant par leur statut que dans leur contenu,
les remarques font surtout ressortir la part d’irrationnel inhérente à l’histoire de la pensée.

Les incursions des remarques dans les ordres de la représentation, de la science et


de l’histoire de la philosophie affirment donc avant tout le droit qu’a le concept de
reconnaître son propre mouvement dans des formes de savoir qui ne sont pas
véritablement systématiques. Elles offrent un mélange de dictionnaires (portant sur des
mots et des théories) dont la contingence contraste avec le développement autonome
de l’Encyclopédie philosophique. La puissance de ce développement est alors réaffirmée
au cœur même des remarques, grâce à un ordre spécifique, celui des renvois.

L’ordre des renvois

Les renvois sont des références d’un moment de l’Encyclopédie à un autre


moment distant. Leur justification spéculative ne pose aucun problème : la même idée se
déploie en chacun de ses moments, qui contient virtuellement la totalité de ce
déploiement ; le renvoi n’est donc que l’actualisation partielle de cette implication
virtuelle. Allons plus loin : Chaque moment est dépassé par un mouvement régressif
(l’analyse la plus fine de son contenu) et progressif (la position de ce contenu par la plus
grande synthèse). L’ensemble de la présentation encyclopédique repose ainsi sur la
détermination, à la fois régressive et progressive, de l’idée spéculative112; les renvois
peuvent donc également se faire vers l’avant ou vers l’arrière.
Cependant, l’ordre des renvois ne doit pas être assimilé à l’ordre du concept : car
si celui-ci est nécessaire, celui-là est pleinement contingent. Alors que tous les renvois

107 Id., Science de la logique, trad. fr., I, I, p. 249.


108 Cf. id., Enzyklopädie…[Encyclopédie…] (1830), § 98 Anm., pp.115-116 ; trad. fr., pp. 361-362.
109 Cf. ibid., § 194 Anm. et § 215 Anm..
110 Cf. ibid., § 117 Anm. (sur Leibniz).
111 Cf. ibid., § 13.
112 Id., Science de la logique, trad. fr., I, I, p. 42 ; cf. ibid., trad. fr., III, p. 386.
21

sont possibles et légitimes (les moments expriment tous la même idée), chacun d’eux
implique un choix singulier de l’auteur, sans règle impérative.

Les renvois les plus visibles reposent sur la numérotation des paragraphes et des
remarques. Ils sont alors tous régressifs sauf un113. Cette série de rappels permet à la fois
de refonder d’une manière plus concrète ce qui a été dit et de renforcer la continuité de la
progression. Comme la présentation spéculative n’est pas directement affectée par sa
rencontre avec les autres ordres, un paragraphe renvoie très rarement à une remarque114,
et très fréquemment à un autre paragraphe115. Il arrive qu’une remarque renvoie à une
autre; dans ce cas, on ne note pas de régression rationnelle, mais plutôt la continuation
d’un même discours reposant sur des associations d’idées, lesquelles portent
indifféremment sur des exemples ou des détails contingents116. Et finalement, le cas de
renvoi numéroté le plus intéressant est celui qui relie une remarque à un paragraphe
antérieur117. Il implique en général une régression plus forte et plus significative que celle
permise par les petits rappels reliant les paragraphes. De grands mouvements structurels
sont ainsi soulignés, comme la refondation des doctrines de l’être et de l’essence par la
doctrine du concept118, ou la reprise de la négation logique par l’acte d’élévation de la
conscience religieuse119.
Cependant, les remarques se chargent de renvois encore plus importants: ceux
qui ne se réfèrent pas précisément à un paragraphe ou une remarque, mais à des
moments désignés selon leur contenu. Dans ce contexte, le mouvement peut être
régressif ou progressif. Les régressions dévoilent l’intensité actuelle d’un moment, c’est-à-
dire sa capacité à réfléchir les moments antérieurs. Ainsi, une remarque révèle que
l’effectivité intériorise à la fois l’être immédiat et l’existence réfléchie120, une autre que la
pensée subjective intériorise tout le mouvement de la logique et tout le mouvement de la
conscience121. Les anticipations dévoilent quant à elles la virtualité d’un moment, c’est-à-
dire sa capacité à exprimer toute l’encyclopédie selon une perspective abstraite. Tout se
passe alors comme si l’exemple le plus proche d’une détermination conceptuelle pouvait

113 Nous avons compté 138 références ainsi numérotées dans les deux dernières éditions de l’Encyclopédie
(1827-30). Une seule est progressive : la remarque du paragraphe 368 renvoie à celle du paragraphe 392.
Les deux textes traitent de l’influence des grands rythmes naturels sur les êtres vivants. Il faut penser que
Hegel a rajouté ce renvoi lors d’une relecture – sans vouloir donner plus de signification à cet acte.
114 Nous n’avons noté que trois occurrences de ce type : § 322→ § 286 Anm., § 364→ § 345 Anm.,
§ 457→ § 455 Anm.. Il s’agit à chaque fois d’éviter une redite concernant la définition d’un phénomène
naturel ou psychologique (la cristallisation, la métamorphose par contamination, l’acte d’appropriation de
l’intelligence). Rajoutons que les renvois ne concernent que deux fois un paragraphe et sa remarque. Dans
le contexte de la première occurrence (§89 → § 82 et §82 Anm.) il s’agit « une fois pour toutes de rappeler »
que la dialectique ne progresse qu’à condition de ne pas s’en tenir à une détermination unilatérale. Ce
métadiscours fait clairement exception, d’autant plus que le paragraphe 82 appartient au « Concept
préliminaire » de la Science de la logique et non à sa progression. La deuxième occurrence (§445 Anm. → §136
et §136 Anm.) permet de souligner que la remarque du § 136 est un très bon exemple de « détail
spéculatif », sans solution de continuité avec le texte de présentation correspondant. Notons que la
remarque du § 445 (p. 360 ; trad. fr., III, p. 242) contient une autre exception : elle renvoie à elle-même !
115 75 occurrences. Prenons un exemple de fondation régressive : Hegel explique (§ 217) la structure
dynamique du vivant, fondée sur les trois structures syllogistiques de l’objectivité (mécanique, chimique,
téléologique). Il renvoie alors aux trois paragraphes présentant ces syllogismes antérieurs.
116 13 occurrences. Notons un renvoi qui insiste directement sur le statut –et l’insignifiance spéculative -
des détails, dans le domaine juridique : § 544 Anm.→ § 529 Anm.
117 47 occurrences.
118 § 162 Anm. → §§ 84 et 112.
119 §552 Anm. → § 192.
120 § 142 Anm..
121 § 142 Anm., § 467 Anm..
22

tout aussi bien être très lointain, tout en restant pleinement rationnel. Ainsi, « l’espace
pur, le temps, etc. peuvent être pris comme exemple de la quantité »; ou encore, « le
besoin, l’impulsion, sont les exemples les plus proches que l’on ait du but », qui n’est
pourtant qu’un concept logique122.
Ces traversées fulgurantes qui appliquent des moments logiques sur des moments
réels, ou reviennent de la réalité à la logique, ne s’opposent pas à l’ordre du concept. En
reliant deux moments distants, elles mettent en œuvre ponctuellement ce que le concept
réalise d’une manière systématique : elles intensifient des déterminations, dégagent leur
contenu actuel, dévoilent leur contenu virtuel. Alors que la présentation spéculative, en
vertu de sa plasticité, peut se déployer plus ou moins, le renvoi spéculatif transforme ce
déploiement en instantané. Alors que l’ordre du concept est plus ou moins intensif, le
renvoi indique la possibilité d’une intensité idéale, en dessinant au cœur de l’encyclopédie
des trajets multiples, parcourus à une vitesse infinie.

Conclusion
Il faudrait finalement regarder l’Encyclopédie de Hegel avant de la lire. Le propre
d’une encyclopédie n’est-il pas de faire en sorte que l’organisation du savoir saute aux
yeux ? Les lettrines ouvragées des encyclopédies médiévales sont les signes d’une
véritable conquête alphabétique du monde, organisé autour de notions fixes ; les
planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert affirment l’équilibre des sens et de
l’entendement, des sciences et des arts mécaniques. La distinction des paragraphes et des
remarques dans l’Encyclopédie hégélienne montre déjà que la science n’est pas seule au
monde qu’elle se trace dans un tissu de rencontres.
Les vues d’ensemble, les détails, les exemples, les marques, les significations
spéculatives et nominales, s’inscrivent dans différentes lignées généalogiques qui forment
autant d’ordres distincts. Cette pluralité n’affecte pas les paragraphes, mais uniquement
les remarques, qui mélangent ces ordres, entrecroisent ces lignes et montrent leurs points
de rencontre. L’ordre spéculatif fait valoir son droit de préséance sur cette profusion que
les encyclopédies ne peuvent habituellement maîtriser. Il ne l’ordonne pas totalement, mais
la soumet à la singularité des rencontres entre paragraphes et remarques. Ainsi, est
maintenue la possibilité d’abréger l’encyclopédie, de donner au système écrit la mesure
d’un compendium.

122 § 99 Anm. et § 204 Anm.. L’explication logique du mécanisme se réfère ainsi aux mécanismes physique
(pression et choc) ou mnémotechnique (§195 Anm.).
23

J. Lèbre, « Sur une invention hégélienne : les remarques encyclopédiques ».

Résumé en français.

L’Encyclopédie hégélienne n’indique pas ce que devrait être une philosophie


systématique, mais rend ce système effectif. Et pourtant, sa présentation rigoureuse, sous
forme de paragraphes, accepte le voisinage intermittent et désordonné d’un certain
nombre de remarques, munies du laissez-passer tout relatif que leur offre leur brièveté, et
récusant souvent par leur longueur cette justification même. On tente d’abord ici de saisir
l’origine des remarques, en s’intéressant aux différents voisinages du système
encyclopédique : la parole philosophique et populaire, le parcours phénoménologique, les
explications préliminaires, les esquisses d’encyclopédie non publiées, et l’énigmatique
« encyclopédie autre, habituelle » à laquelle se réfère régulièrement Hegel. Le désordre
des remarques s’explique alors par la rencontre entre différents ordres (ordre du concept,
de la représentation, des sciences particulières, de l’histoire de la philosophie, et des
renvois encyclopédiques).
On en déduit finalement qu’il y a place chez Hegel pour une logique de la non-rigueur, qui
fonde l’invention des remarques, en acceptant toutes les rencontres. Cette logique révèle,
selon ses propres termes, les parentés et les divergences entre les connaissances non-
philosophiques et la pensée pure ; elle assure la brièveté et la complétude de l’exposition.
Bref, elle réalise toutes les exigences d’une encyclopédie philosophique, elle la fait être.

Résumé en allemand

Die hegelianische Enzyklopädie weist nicht darauf hin, wie eine systematische
Philosophie beschaffen sein sollte, sondern sie verwirklicht dieses System selbst. Ihre
strenge Darstellung, organisiert in Paragraphen, lässt das zeitweilig unterbrochene und
ungeordnete Nebeneinander zahlreicher Anmerkungen zu. Deren Kürze verleiht ihnen
auf befremdliche Art einen Freibrief, eine Rechtfertigung, die jedoch durch die Länge
einiger Anmerkungen zurückgewiesen wird. Der vorliegende Artikel versucht zunächst,
den Ursprung dieser Anmerkungen zu erfassen, indem er sich den verschiedenen
Nebenbereichen des enzyklopädischen Systems zuwendet : der philosophischen und der
populären Rede, dem phänomenologischen Verlauf, den vorläufigen Erklärungen, den
unveröffentlichten Entwürfen der Enzyklopädie und schliesslich der rätselhaften
„anderen, gewöhnlichen Encyclopädie“, auf die sich Hegel regelmässig bezieht. Im
Lichte dieser Beziehungen erklärt sich die Unordnung der Anmerkungen alsdann als das
Ergebnis eines Zusammentreffens unterschiedlicher Ordnungen (Ordnung des Begriffs, der
Vorstellung, der besonderen Wissenschaften, der Geschichte der Philosophie, sowie der
enzyklopädischen Verweise).
Aus diesen Untersuchungen ergibt sich die Feststellung, dass Hegel einen Platz einräumt
für eine Logik der Nicht-Strenge, die die Erfindung der Anmerkungen begründet, indem sie
ein jegliches Zusammentreffen zulässt. Diese Logik enthüllt, nach ihren eigenen Worten,
die Verwandtschaften und Abweichungen zwischen den nicht-philosophischen Kenntnissen
und dem reinen Denken; sie sichert die Kürze und die Vollkommenheit der Ausführungen.
Kurz gesagt, sie erfüllt alle Anforderungen einer philosophischen Enzyklopädie, sie
verwirklicht ihr Sein.

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