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Jérôme Lèbre, 09.12.

03

La double vie de la famille hégélienne1.

Une double vie est à l’origine du couple, mais quant à la famille, elle ne vise sans
doute pas la reconnaissance de cette duplicité. De l’assumer comme un héritage, c’est,
semble-t-il, lui demander beaucoup.
La famille se pense en effet dialectiquement : une fois que deux individus se sont
décidés à ne faire qu’un, ils se vouent, au moins en pensées (ou en mots) à finir ensemble,
c’est-à-dire à vouloir et accueillir les moments où leur vie s’incarne dans une unité fuyante :
tels la naissance et le départ des enfants. La famille se pense ainsi, quitte à faire de la
naissance, mais aussi de l’amour et de la mort de chacun, l’histoire d’un autre : histoire qui
contient en elle-même la venue d’un autre, qui n’a de sens que par et pour lui. L’unité
familiale est ainsi tributaire d’une fuite en avant qui la détourne de son héritage.
Etrange affirmation : la famille ne peut penser son héritage ! On en déduira l’étrange
travail du philosophe, qui consiste à instaurer un véritable notariat de la pensée. Alors que le
notaire (en Allemagne comme en France) enregistre les actes qui modifient le patrimoine
privé et assure une médiation juridique compétente entre personnes, il revient au philosophe
de déployer une médiation supérieure : Hegel tient ainsi secrètement les comptes familiaux, il
relève la part du désir des uns dans l’héritage des autres ; attentif au fait que chacun vit
également pour soi, il se tient prêt à attester, quand il le faut et à qui de droit, de la double vie
menée par chaque membre de la famille.
Mariage, naissances, venue des enfants à la majorité, sacrifice consenti des parents
testateurs ; voici le répertoire des actes divulgués sur le plan de la nécessité juridique
clinquante. Mais quels doubles de ces grands moments le penseur d’une autre dialectique a-t-
il su minuter ?

1. Double entrée ; l’enfant et la fortune

a. La jouissance promise et l’enfant permis

Parlons d’amour, de l’amour au mariage. « Dans l’amour, ce qui est séparé est encore,
mais non plus comme séparé : comme un ; et le vivant a le sentiment du vivant »2. Cette unité

1
Ce texte a pour origine une intervention (mai 2002) dans le cadre d’un séminaire de recherche dirigé par J.F.
Kervégan et consacré depuis plusieurs années à la philosophie du droit de Hegel. J’adresse ici mes
remerciements au Professeur Kervégan et aux membres de l’équipe Nosophi (Paris I) pour leurs commentaires et
suggestions.
2

fragile entre deux êtres est tendue entre les deux extrêmes que sont le désir naturel et la liberté
de chacun. Sur le plan de la vie naturelle, se succèdent les moments de désir et les moments
de jouissance, mais aussi les naissances (êtres de l’union) et les morts (non-être de la
séparation). La vie consciente fait cependant naître un autre plan en intériorisant cette
succession. Plus précisément, elle fait de cette dernière un jeu contradictoire qui se joue
vraiment à deux : la satisfaction du désir de l’un est dans l’autre, mais chacun se trouve face
au défi de devenir lui-même alors que son être même est issu de l’autre. « L’amour est la
contradiction la plus prodigieuse : l’entendement ne peut la résoudre, entendu qu’il n’y a rien
de plus dur que cette ponctualité de la conscience de soi, qui est niée et que pourtant je dois
tenir pour affirmative »3.
L’unité, c’est alors seulement le mariage qui est en mesure de la garantir. Lui seul
donne un être à l’amour, en affirmant sa subsistance au-delà des successions naturelles et des
contradictions de la conscience. Les membres du couple marié font éthiquement un – avant de
faire des enfants. Ils deviennent, grâce à une reconnaissance réciproque maintenant déclarée,
« une unique personne »4. Selon la perspective de la femme comme de l’homme, « entrer
dans l’état de mariage » (in den Stand der Ehe zu treten) est donc une « obligation éthique »5.
Mais la question est alors : que reste-t-il du double, après cette double entrée dans l’éthique ?

Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux conséquences du mariage, inévitablement


situées sur deux plans divergents. Sa conséquence naturelle, non-éthique, est la « réunion
corporelle ». Entendons que l’acte nécessaire à la survie de l’espèce révèle ici sa contingence.
La jouissance est naturellement contingente, tout comme l’est la procréation, qui peut ou non
lui faire suite. C’est pourquoi le mariage prend corps dans sa simple déclaration, et n’attend
pas sa consommation dans l’union sexuelle ; c’est pourquoi également il ne peut être annulé si
l’un des époux est stérile6. Quelle est dès lors la conséquence à la fois éthique et nécessaire du
mariage ? Quelle est la véritable incarnation de l’unité du couple marié ? « La conséquence
suivante est… la communauté des intérêts personnels et particuliers »7, c'est-à-dire la
constitution d’une fortune commune, d’un patrimoine. Il y a donc une dualité conflictuelle,
entre le patrimoine, comme œuvre éthique du couple, et les enfants, modalités contingentes de
cette modalité du sexe qu’est la jouissance – donc simples accidents au second degré.
En d’autres termes, l’enfant, toujours naturel même quand il est légitime, est toujours
moins légitime que le patrimoine familial, cette œuvre éthique du couple. La fausse linéarité
des actes civils et notariés, du mariage aux naissances et des naissances aux testaments, est
ainsi rompue par la philosophie de la famille, qui met en opposition la vie éthique du couple,
constitutive du patrimoine, et sa vie sexuelle, naturellement constitutive de sa progéniture.
L’antagonisme de ces deux vies est immédiatement celui de la discipline, qui réfrène le désir,
et de la jouissance, prise pour elle-même.
Signalons que l’éthique se loge déjà, avant le mariage, dans la capacité de chacun à
retarder sa jouissance. Dès les premières versions de la philosophie de l’esprit hégélienne, elle
résulte d’une transformation de la nature par le travail. Elle s’incarne alors dans le bien

2
Hegel, [Entwürfe über Religion und Liebe 1797-1798 – Esquisses sur la religion et l’amour], Werke 1,
Frankfurt am Main, STW, 1970, p. 246 ; nous traduisons.
3
Id., Grundlinien der Philosophie des Rechts [Principes de la philosophie du droit], § 158 Zusatz, Werke 7,
Frankfurt am Main, STW, 1970, p. 308 ; nous traduisons.
4
Cf. Hegel, Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 519, Hamburg, F. Meiner, 1991, p. 404 ; trad. fr., B.
Bourgeois, Paris,Vrin, 1988, vol. III, p. 301.
5
Grundlinien...[Principes...], § 162 Anm., Werke 7, p. 311 ; trad. fr. J.-F. Kervégan, Paris, P.U.F., 1998, p. 242.
6
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), in Jenaer Systementwürfe III, F. Meiner,
Hamburg, 1987, p. 220 ; trad. fr., G. Planty-Bonjour, Paris, PUF, 1982, p. 71.
7
Ibid., mêmes références.
3

juridique de chaque personne8. Ainsi, quand on fait le compte de cette richesse


laborieusement acquise, on fait également celui de toutes les jouissances retardées, contenues
dans cette « possibilité universelle de la jouissance »9 qu’est l’argent gagné et épargné. Il
suffit de suivre cet héritage jusqu’au mariage pour comprendre « ce que l’amour a
d’éthique » : c’est alors bien « le refrènement et le retardement supérieurs de la simple
impulsion naturelle », lesquels, rajoute Hegel, sont élevés par la conscience et l’esprit
« jusqu’à la chasteté et à la discipline »10.
Bref, la richesse familiale s’oppose à l’enfant comme la somme d’une jouissance
promise au fruit d’une jouissance permise. Non seulement il n’y a pas d’enfant promis, mais
l’enfant est, comme la jouissance, immédiatement de l’ordre de la dépense indéfinie : dans la
mesure où il vaut pour lui-même, il livre la famille et sa richesse à un destin impersonnel11.

b. La dépense éducative

Mais les parents aiment leur destin : l’enfant est un « objet qu’ils aiment comme leur
amour, comme leur être-là substantiel »12. Il semble donc à ce stade que la double vie
(discipline et jouissance) fusionne en une seule. Il n’en est cependant rien. Car si les parents
sont pleinement fondés à aimer leurs enfants, ils ont justement le tort de les aimer comme on
aime son destin. Naît ici une nouvelle forme d’indiscipline parentale, qui s’incarne, on va le
voir, dans l’indiscipline de l’enfant.

L’amour maternel ou paternel n’a en effet de portée éthique que s’il est
immédiatement retardé, réfréné, au profit d’un avenir lointain : il ne doit pas porter sur
l’enfant comme produit naturel de l’union sexuelle, mais sur ce que l’enfant n’est pas encore,
sur ce qu’il doit devenir : les parents doivent aimer déjà la personne que l’enfant deviendra.
Cet amour éthique, loin de se limiter à de bons sentiments, en appelle alors au devoir des
parents, lequel n’a de valeur quantifiable que dans la somme des jouissances retardées, c’est-
à-dire dans la richesse issue du travail. Autrement dit, si les parents gardent la possibilité
abstraite de jouir de leur argent comme ils l’entendent, cette vue de l’esprit est maintenant
fortement modifiée par un devoir absolu de dépense au profit de l’enfant. En revanche ce
dernier n’a, vis-à-vis de la richesse familiale, aucun devoir : la discipline économique des
parents, dressée contre leur intérêt personnel, est justement là pour écarter l’enfant de toute
rentabilité, de tout travail effectif, et même – car Hegel pense vraiment à tout – de toute
dissimulation familiale du travail sous la forme du service domestique13. Bref, la dépense des
parents rend effectif le droit inné de l’enfant à devenir une personne, son droit à une
« deuxième naissance…la naissance spirituelle »14.

8
Cf. par exemple Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p.186 sq. ; trad. fr., p. 28 sq.
9
Ibid., p. 195 ; trad. fr., p. 39. L’importance de la richesse dans la compréhension hégélienne de la famille peut
être étayée, historiquement, par l’étude très vaste de Heidi Rosenbaum, Formen der Familie, Frankfurt am Main,
1982/90.
10
Grundlinien... [Principes...], § 164 Anm., p. 316 ; trad. fr., p. 244.
11
Cf. Hegel, Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 368; Ce destin est celui des Pénates, précisent les
Grundlinien... [Principes...]§ 173 : les Pénates représentent non l’éthique, non la nature, mais l’opposition de la
nature et l’éthique.
12
Grundlinien... [Principes...], § 173, p. 325 ; trad. fr., p. 250.
13
C’est là que s’accomplit le refus radical de l’enfant-knecht (enfant-esclave, enfant-valet), que le droit romain
rendait encore légitime, en raison de sa réduction poussée « jusqu’au monstrueux » du droit de vivre à l’intérêt
personnel. Ibid., § 357, p. 511 ; trad. fr., p. 422.
14
Id., Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 521, p. 405 ; trad. fr., p. 302 ; cf. Grundlinien... [Principes...],
§ 174.
4

Protégé économiquement par la discipline que les parents s’imposent, l’enfant est
aussi protégé juridiquement par la discipline qu’ils lui impose : celle-ci l’écarte de la rigueur
propre à la justice civile15. Alors que Hegel, parlant de théorie des peines16 avait rejeté tout
moralisme visant la prévention, l’intimidation et l’amendement, sa théorie de la punition des
enfants réintroduit tout ce qu’il critiquait : en effet, elle suppose moins un droit sur l’arbitre
qu’un devoir de former l’arbitre de l’enfant. La justice civile et la punition des enfants sont
donc à l’inverse l’une de l’autre.
Et s’il est protégé, économiquement et juridiquement, de tout devoir envers
l’extériorité, l’enfant ne peut finalement devenir intérieurement libre que sous l’effet de la
puissance extérieure des parents17. La discipline de toute la famille tend donc vers cette
négation par les parents de la naturalité de l’enfant : élever les enfants (erheben), c’est les tirer
vers le haut pour qu’ils deviennent plus grands (grossziehen)18, et cet acte a tout l’impact
négatif de la suppression dialectique (Aufhebung). C’est pourquoi il n’y a aucun équilibre à
attendre, dans la famille, entre la négativité de la discipline et l’aspect positif, réjouissant, de
l’éducation. C’est ce que Hegel, directeur d’un établissement scolaire, fait ressentir aux
parents en s’adressant à eux ; il leur réserve explicitement l’aspect le plus ingrat de la
transmission des savoirs : l’apprentissage purement mécanique des déclinaisons et des
conjugaisons latines, ce travail mort sur une langue morte, en laquelle se justifiait
juridiquement l’esclavage des enfants !19 En revanche, l’éducation publique, en particulier
celle du gymnase, se réserve les savoirs vivants, et n’admet dans ce domaine aucune intrusion
parentale20.

La dépense éducative est donc à la fois la plus légitime et la moins susceptible de


retour. Elle garantit le dédoublement éthique (déjà figuré dans le baptême protestant) de la
naissance de l’enfant, naturelle puis spirituelle. Toute dépense autrement orientée double alors
la discipline familiale et l’éthique elle-même ; elle est créé un déficit au détriment de
l’enfant : déficit affectif, déficit économique, déficit d’autorité parentale. Tous sont figurés
par la faute du père du famille, qui responsable de la gestion familiale, dilapide pour lui-
même, d’une manière ouverte ou dissimulée, la somme prévue pour l’éducation de ses
enfants21. Les spécialistes de la théorie des peines, qui ont peu commenté chez Hegel le
rapport inversé entre la justice pénale et la discipline éducative, en retrouve directement la
version juridique à chaque fois qu’ils étudient la responsabilité des parents dans les délits des
mineurs22.
15
Ibid., § 174, p 326 ; trad. fr., p. 250.
16
Cf. Ibid., § 99.
17
« Eltern Macht », disent les notes marginales au § 174 des Grundlinien... [Principes...], ed. cit., p. 326. Cf.
ibid., § 175.
18
Cf ., Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 396.
19
Cf. Id., Rede zum Schuljahrabschluss [discours de fin d’année et de distribution des prix], 30 août 1815, in
Werke 4, Frankfurt am Main, STW, 1970, p. 369-370.
20
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 239 et son addition ; cf. Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 396
Zusatz, trad. fr., p.436. La pédagogie hégélienne n’est qu’incidemment notre problème. Ce thème bénéficie
d’une littérature abondante. Pour une mise au point récente, cf. le regroupement d’articles des Hegel
Jachbuch… et en particulier : W. Schmied-Kowarzik, Hegel und die Pädagogik p. 183-194, Roberto Racinaro,
Zu Hegels Bildungsideal, p. 218-231 ; L. Sichirollo, Zur Pädagogik Hegels, p. 243-253. Si L. Sichirollo décrit
l’école comme le milieu de la différence aliénante opposée au calme et à l’atmosphère d’affection de la famille,
notre interprétation indique le versant inverse de la relation famille/école …
21
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 171. Sur la gestion patriarcale du bien familial en Allemagne à l’époque de
Hegel, cf Heidi Rosenbaum, op. cit., p. 288 sq.. Selon l’auteur, la structure de la famille allemande évolue peu
entre la fin du XVIIIème s. et le milieu du XIXème s. (ibid., p. 312).
22
Cf. la note de J.-F. Kervegan, trad. cit., p. 250, n. 1 ; Georg Mohr offre une mise au point et une bibliographie
récentes sur la théorie de la peine, dans son article « Unrecht und Strafe », in Hegel, Grundlinien der Philosophie
des Rechts, Rolf-Peter Horstmann, Berlin, Akademie Verlag, 1997, p. 95-124. Cf également Primoratz, Banquos
5

Mais il est une autre forme d’indiscipline, qui dédouble véritablement la vie familiale :
elle concerne moins le père, garant de la richesse et de l’éducation, que la mère et l’enfant.
C’est une dépense en nature, c’est-à-dire en affects23. Elle consiste à trop aimer ce qu’il y a
d’enfance dans l’enfant, et à épargner la modalité accidentelle de l’âge puéril, c’est-à-dire le
jeu : « Il est plus facile d’aimer les enfants que de les éduquer »24. C’est donc au nom de la
discipline que Hegel s’oppose à la « pédagogie ludique » rousseauiste25. Alors que l’éducation
négative, disciplinaire, puise son énergie dans l’insatisfaction de l’enfant qui veut devenir
adulte, la pédagogie ludique épuise l’énergie de l’enfant, qui en vient à se satisfaire de son
insatisfaction - donc de son mépris pour ses parents, lesquels se satisfont, du moins à ses
propres yeux, de ses propres jeux. Or cette auto-satisfaction méprisante, cette fierté naturelle
qui s’oppose l’éthique, est tout simplement la « racine de tout mal »26.
On voit pourquoi : la vie affective, quand elle double la vie éthique, enracine l’enfant
dans la famille au lieu de lui offrir la possibilité de s’en séparer pour vivre un moment de
liberté individuelle. Selon la droite nécessité éthique, les enfants sont éduqués jusqu’à ce
qu’ils « sortent (treten aus) de la vitalité concrète de la famille »27. Il reste à voir si cette
sortie, qui équilibre la double entrée des parents dans l’état de mariage, n’a pas elle-même son
double.

2. Double sortie ; la majorité et la rupture.

a. L’accession à la majorité (première entrée du droit privé dans la famille)

La nécessité éthique n’est pas faite pour surprendre. Comme l’exige l’éducation
donnée aux enfants, tout est prévu, ou même calculé d’avance : « le monde est déjà un monde
préparé »28. Tout est en germe dans la conscience des parents, qui anticipent en éduquant
l’enfant leur propre mort éthique : « En éduquant l’enfant, les parents posent en lui leur
conscience qui est devenue telle. Ils produisent ainsi leur mort, en le faisant vivre jusqu’à ce
qu’il atteigne la conscience »29. L’éthique de la dépense absolue concerne alors bien autant la
conscience que la richesse : « Ce qu’ils lui donnent, ils le perdent. Ils dépérissent en lui, car
c’est leur propre conscience qu’ils lui donne »30.
Pour tenir compte de la pleine amplitude de ce mouvement, il faut souligner que Hegel
reconnaît, dans l’indifférence objective de son notariat philosophique, la même valeur aux
mariages arrangés par les parents qu’à ceux qui naissent de l’amour31 : ainsi l’amour lui-

Geist -Hegels Theorie der Strafe, Bonn, 1986. Mais ces études ne parlent pas de la discipline familiale. Une
exception : Klesczewski, Die Rolle der Strafe in Hegels Theorie der bürgerlichen Gesellschaft, Berlin, Duncker
und Humblot, 1991. Il est significatif que l’auteur parle de la discipline familiale, non dans la partie de son
ouvrage portant strictement sur la théorie pénale, mais dans une partie consacrée à la criminologie (p. 186-207) :
il est ainsi directement question, sous la forme négative du déficit d’éducation (Erziehungsdefizit) et de la
tendance à la délinquance (Problematik einer Delinquenzneigung) de la discipline que doivent se donner les
parents dans l’éducation de leurs enfants, et de la responsabilité qui en découle. cf également p. 325 sqq, et sur le
droit de tutelle, p. 240.
23
Cf. ibid., § 165 et . § 175, dont l’addition.
24
Id., Rede zum Schuljahrabschluss [discours de fin d’année], 30 août 1815, p. 374.
25
Cf. Ibid., § 175.
26
Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 396 Zusatz, trad. fr., p. 435.
27
Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 522, p. 405 ; trad. fr., p. 302.
28
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1803-1804), trad. fr., M. Bienenstock, Paris, PUF, 1999,
p. 86.
29
Ibid., p. 84.
30
Ibid.
31
Grundlinien... [Principes...], § 162, p. 310-311 ; trad. fr., p. 241-242.
6

même peut-il devenir un moment de l’éducation, la conscience des parents maîtrisant le


sentiment des enfants jusqu’à ce moment de négation radicale qu’est la naissance d’une
nouvelle famille.

Le moment crucial du départ des enfants n’est pas simplement prévu par les parents ;
il leur est imposé extérieurement par le droit privé. A ce stade, « le droit qui revient à
l’individu singulier…fait son entrée dans la forme de ce qui est de droit » et « grâce à cette
autonomie les enfants s’en vont »32. Le verbe de ce double mouvement (treten in, austreten)
est bien celui de l’entrée des fiancés dans l’état de mariage, mais comme il ne doit rien à la
naturalité de l’amour, sa date est fixée de l’extérieur et par avance : c’est l’âge de la
majorité33. Ainsi s’affirment simultanément les trois aspects du passage à l’âge adulte : le
droit d’être une personne vivant pour elle-même, la liberté de propriété (fondement formel du
droit privé – et de la richesse de la famille) et le droit d’avoir sa propre famille, d’être mère ou
père.
Le droit à la majorité s’oppose alors, non seulement à l’arbitraire des parents, mais
aussi à la nécessité naturelle de la lignée familiale34. Les lignées reposent uniquement sur la
succession des générations, si bien que les enfants, même devenus adultes, restent définis par
leur appartenance à une famille. Ce principe de transmission des charges et des privilèges, qui
règne sur les familles antiques et féodales35 et régente les mariages, est dissout par la société
civile moderne, laquelle repose sur le principe inverse de la liberté individuelle. Il n’en reste
(du moins au niveau familial) qu’un aspect incontournable : la transmission de la richesse
familiale à la mort naturelle des parents. De même que la dépense éducative garantissait la
double naissance de l’enfant (naturelle puis éthique), l’ultime dépense que constitue l’héritage
garantit le dédoublement de la mort de la famille (éthique puis naturelle).
Mais dès lors, qu’en est-il ici de l’arbitre des parents vis-à-vis de celui des enfants ?
N’y a-t-il pas ici un nouveau champ ouvert pour l’incalculable, l’imprévisible, l’indiscipline ?

b. La rupture (deuxième entrée du droit privé dans la famille)

La rupture du mariage est ici très significative : arbitraire, imprévisible, parfois


soudaine, elle brise la dialectique de la famille – et même son exposition philosophique36.
Dans la Philosophie du droit, Hegel vient de montrer comment l’enfant acquiert sa « capacité
à sortir » de la famille, quand soudain, c’est un parent qui sort et s’en va ! La rupture du
mariage double ainsi la nécessité éthique : elle la dépasse et la devance, contre toute attente.
Le libre arbitre parental, qui ne devait plus s’affirmer pour lui-même, le fait brusquement
lorsque l’un des parents déclare sa double vie. Cette duplicité, ou ce redoublement de la vie
individuelle, complique singulièrement le calme sacrifice de soi que semble impliquer
l’amour, « le renoncement pacifique à la vie mortelle de la différence »37.
Le mariage « est en soi indissoluble »38, disait Hegel. Il se situe « au-dessus de la
contingence des passions et du bon vouloir temporel particulier ». Et c’est bien ainsi que les
choses doivent être. Comprenons que la stabilité du mariage reste un devoir-être pour chaque
parent, qui engage son arbitre à respecter le lien éthique et à ne pas suivre ses passions. Mais
32
Grundlinien... [Principes...], § 159, p. 308 ; trad. fr., p. 240 ; Cf. § 177 et Encyclopédie…§ 522.
33
Cf. Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), in Jenaer Systementwürfe III, p. 221 ; trad. fr,
p. 72.
34
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 172.
35
Cf. ibid., § 62, Anm. : si la liberté de la personne exige depuis la naissance du christianisme, la liberté de la
propriété date d’hier.
36
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 176.
37
B. Bourgeois, Le Droit naturel de Hegel, Paris, Vrin, 1986.
38
Grundlinien... [Principes...], § 163, p. 313 ; trad. fr., p. 243.
7

les passions triomphent parfois de l’arbitre, et celui-ci peut toujours, comme arbitre, se
désengager39.
Les lois de l’éthique peuvent alors bien être d’une stabilité supérieure à celles de la
nature ; il reste que le principe subjectif, sentimental et a-juridique du mariage s’avère le
moins stable (car le plus naturel) des principes éthiques40. C’est la version moderne du
principe d’Antigone : la seule chose qui est naturellement impossible, c’est d’avoir un
nouveau frère quand les parents sont morts ; mais un époux est remplaçable. La singularité du
désir « est quelque chose de contingent qui peut toujours être remplacé par une autre
singularité »41. Et dans le monde moderne, il n’est pas nécessaire que l’époux meure, il suffit
que le sentiment meure.

L’intrusion de la contingence (naturelle ou arbitraire) dans le mariage semble faire de


la rupture la simple déliaison de ce qui était lié, et c’est pourquoi le divorce est maîtrisable
juridiquement. Mais la vraie difficulté, pour un notariat philosophique, est de prendre acte de
l’intrusion du droit lui-même dans la relation familiale. Il faut alors procéder par étapes.
Le mariage est la déclaration devant un tiers éthique (l’Etat ou l’Eglise) d’un
sentiment naturel ; la rupture exige donc à nouveau, non seulement « des dispositions d’esprit
et des actions contraires et hostiles »42 au mariage, mais une déclaration devant le même tiers
éthique. L’argumentation se détaille ainsi43 : Il serait absurde qu’une loi sauve le mariage au
nom de l’éthique si le sentiment s’y oppose ; mais il serait également absurde que le mariage
se dissolve pour de simples causes naturelles (stérilité ou adultère). Ainsi se justifie
l’intervention d’un tiers, non pour choisir arbitrairement entre deux volontés arbitraires
(volonté d’entrée dans le mariage et volonté d’en sortir) mais pour peser l’éthique, le naturel
et la considération (personnelle) du mariage avant de décider de la rupture.
On peut aller plus loin: les déclarations de mariage et de rupture doivent se répondre
dialectiquement, puisque la première n’est rien d’autre qu’un engagement à ne pas rompre.
Elle engage l’arbitre, elle ne peut donc être levée arbitrairement. Ce raisonnement fait
ressortir une nuance contractuelle dans le mariage. Quand Hegel dit que l’autorité éthique
tierce « maintient le droit du mariage »44, il ne veut donc pas simplement dire qu’elle rappelle
le devoir-être de l’indissolubilité du mariage pour le stabiliser face aux bourrasques des
sentiments naturels et de l’arbitraire : Elle maintient le droit du mariage au-delà de lui-même,
donc non seulement comme devoir-être, mais comme loi juridique.
Le droit privé entre donc dans l’éthique de la famille, modifiée par l’arbitraire
subjectif ; dans un paragraphe qui oppose clairement la sortie éthique des enfants et la rupture
du mariage, Hegel écrit : « suivant cette contingence ainsi présente, les membres de la famille
s’engagent les uns à l’égard des autres dans le rapport de personnes, et c’est par là seulement
que des déterminations relevant du droit, chose qui est en soi étrangère à ce lien, entrent
(treten ein) dans celui-ci »45. Ainsi, après avoir tant dit que le mariage n’est pas un contrat
(c’est la vraie perspective du pasteur), Hegel montre la valeur éthique du contrat de mariage,
comme garantie de protection individuelle en cas de rupture (c’est la perspective, finalement

39
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 220 ; trad. fr., p. 70.
40
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 176.
41
Id., Phänomenologie des Geistes [Phénoménologie de l’esprit], Hamburg, F. Meiner, 1988, p. 300 ; trad. fr.
Hyppolite, Aubier, 1941, t. II, p. 25.
42
Grundlinien... [Principes...], § 176, 329 ; trad. fr., p . 252.
43
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 220 ; trad. fr., p. 70-71
44
Grundlinien... [Principes...], § 176, p. 329 ; trad. fr., p. 252.
45
Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 522, p. 405 ; trad. fr., p. 522.
8

plus philosophique, du notaire)46. C’est en se fondant sur ce contrat que le tiers éthique peut
véritablement défendre le droit des tiers, c’est-à-dire le patrimoine comme les enfants, face à
tout détournement de la richesse familiale par son principal gestionnaire (le père) 47. C’est par
cette médiation juridique que les membres de la famille « conservent…dans la séparation,
donc seulement selon des aspects extérieurs (richesse, alimentation, coût de l’éducation, etc.)
le type de moment déterminé qu’ils constituaient dans la famille »48.

L’intrusion du droit dans la famille ne permet cependant pas encore de comprendre ce


qui rend la rupture plus que contingente. Soulignons que le contingent n’est pas seulement ce
qui aurait pu ne pas être ; c’est aussi ce qui finit par ne plus être : il est temporaire.
L’Encyclopédie trahit cette idée, à propos des sentiments du couple marié : l’intimité est
soumise « au hasard et à la caducité » (Vergänglichkeit)49. Aucune discipline éthique ne peut
retarder ce moment de caducité, qui, dans sa naturalité même, concerne non l’amour, mais le
désir sexuel. Le désir peut alors renaître ailleurs, comme désir d’un (une) autre, désir
d’adultère. Plus éthiquement, cette auto-négation du désir pourrait bien d’emblée se situer
dans un autre membre de la famille, dans son tiers naturel, l’enfant.
L’amour du couple, dit Hegel, est un « abandon mutuel sans partage »50. Mais quand il
en résulte un tiers (l’enfant), chacun aime l’autre dans ce nouvel autre, et c’est la suppression
de l’amour du couple : l’enfant est « l’amour satisfait »51 ; « en lui, les deux époux
contemplent l’amour »52. D’abord simple conséquence accidentelle de la satisfaction sexuelle,
l’enfant se charge donc ensuite de retarder et de réprimer cette satisfaction53 : si le mariage
rend le désir éthique, l’enfant rend le mariage vraiment éthique, au risque de pousser l’éthique
vers l’ascétique !
En ce sens, la dialectique de la rupture pourrait bien rester secrètement centré sur
l’enfant, pour qui sait faire le compte des recettes (les jouissances réfrénées) et de la dépense
éducative : « En lui, les deux époux contemplent l’amour…ce mouvement conscient est le
devenir de l’être pour soi de l’enfant, l’éducation »54. Cependant, comme réalisation négative
de l’amour du couple, l’enfant n’a pas plus à rendre cet amour que les parents ressentent en
s’aimant en lui, qu’à assumer la responsabilité de la rupture. Lui-même ne peut penser le
retour d’affection que comme parent dans une autre famille.

3. Double adieu ; la mort et le testament

a. Maîtrise éthique de la mort

L’amour triomphe de la mort, dans les premiers écrits de Hegel. Dans les derniers,
c’est plutôt la discipline. Mais cela n’est pas immédiatement évident. Car si l’on conçoit que
la discipline du travail, du mariage puis de l’éducation retarde la jouissance tout en

46
A l’inverse, le droit romain, visant à affirmer le plein arbitraire au père de famille, rendait immédiatement le
divorce facile. Les Grundlinien... [Principes...], § 180 Anm., rappelle ainsi que Cicéron renvoya son épouse pour
payer ses dettes avec la dot d’une nouvelle.
47
Cf. ibid., § 172 Anm.
48
ibid., § 159, p. 308 ; trad. fr., p. 240.
49
Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 522, p. 405 ; trad. fr., p. 522.
50
Grundlinien... [Principes...], § 167, p. 320 ; trad. fr., p. 246 ; cf. 1803-04, p. 83 : « la jouissance consiste en cet
acte de s' intuitionner soi-même dans l'être de l'autre conscience ».
51
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 194 ; trad. fr., p. 38
52
Ibid., p. 195 ; trad. fr., p. 40
53
Cf. Grundlinien... [Principes...], §§ 163-164.
54
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 195 ; trad. fr, p. 40
9

l’autorisant, on ne voit pas quel effort éthique pourrait retarder la mort. Celle-ci est, vis-à-vis
du mariage lui-même, la dissolution de l’indissoluble, la séparation absoute par nécessité55.

Disons tout d’abord que si l’éthique ne peut retarder la mort, elle peut du moins la
maîtriser56. Ce qui, dans la nature, est de l’ordre de la course aléatoire - il faut que la
progéniture soit autonome avant que les parents (surtout la mère) ne meurent - devient dans
l’éthique une pluralité de parcours déjà préparés et balisés : en cas de disparition accidentelle
des parents, la société dispose de ses propres ressources pour assister les enfants mineurs et
les éduquer jusqu’à la majorité.
Ensuite, si les enfants, mineurs ou majeurs, ressentent profondément la mort de leurs
parents, l’éthique demande à tout âge une résignation qui domine l’affliction en se
soumettant, dans le même mouvement, la naturalité de la mort et celle du deuil. Ce que dit la
Phénoménologie sur la fille est vrai pour tous les enfants : « elle doit en réalité voir disparaître
ses parents avec une émotion naturelle et une résignation éthique, car c’est seulement aux
dépens de cette relation qu’elle parvient à l’être pour soi d’une façon positive »57. Ainsi
s’accomplit la difficile appropriation de la mort ; celle-ci, comme le montre C . Malabou en
commentant Hegel et Freud, suppose le détour par la mort des proches58. Rajoutons alors
simplement que dans le deuil, l’appropriation de la mort devient bien une question de
discipline, dès qu’il est question de faire le compte de ce qui à chacun revient en propre : c’est
tout le problème de l’héritage.

Le travail éthique du deuil, supprimant progressivement une affliction naturelle, est


indissociable d’une forme d’immortalité éthique, qui donne à l’appropriation de la mort son
sens concret, juridique et politique : la transmission de richesses59. Celle-ci prend sens à partir
du moment où la mort des parents n’est pas pour les enfants la condition de l’accès à la
richesse : dans la société civile moderne, c’est le droit à la majorité et le droit au travail qui
doit jouer ce rôle. L’héritage se révèle alors plutôt comme la conclusion définitive donnée à la
dissolution éthique de la famille : un solde de tout compte, qui règle la tension entre la
richesse familiale et les enfants, en transmettant à ces derniers le droit de maîtriser ce qui fut
la condition matérielle de leur existence. L’héritage confirme par ce biais que la mort
naturelle des parents, laquelle peut effectivement survenir à tout moment, est le redoublement
maîtrisé de la mort éthique de la famille. La famille moderne permet aux parents de mourir,
alors que dans la famille féodale, qui confondait l’héritage économique (die Erbschaft) et
l’hérédité naturelle de la lignée (die Erblichkeit), les parents devaient implicitement promettre
de mourir pour laisser vivre leurs enfants.
L’héritage, par lequel on entre en possession de la richesse familiale, modère l’aspect
négatif du rapport entre famille et société depuis le départ des enfants majeurs. Ce dernier ne
leur donnait que la liberté vide de s’enrichir ; l’héritage donne un corps à la fois familial et
social à cette liberté ; quant aux parents, ils trouvent dans la survie de leur patrimoine et la
sécurité économique apportée à leurs enfants un gage objectif de leur immortalité. Et comme
la richesse nationale trouve dans les successions familiales un élément de stabilité macro-
économique, l’Etat les favorisent par un cadre légal et des baisses d’impôts60.

55
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 178.
56
Entre devenir essentiel de l’accident et devenir accidentel de l’essence, la mort fait son chemin », di C.
Malabou à propos de Hegel et Freud : « Naissance de la mort – Hegel et Freud en guerre ? » in Autour de Hegel
– Hommage à Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2000, p. 331.
57
Id., Phänomenologie des Geistes [Phénoménologie de l’esprit], p. 299-300 ; trad. fr., t. II, p. 25.
58
Cf. C. Malabou, art. cit., passim, en particulier p. 329.
59
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 178 et remarque.
60
Pour fonder le privilège de la lignée dans l’héritage, Fichte supposait un laps de temps, après la mort du père,
où la richesse serait un bien sans maître. Laps de temps qui serait le plus court possible - car déterminé par le
10

La possibilité de transmettre la richesse familiale apparaît ainsi comme un élément


essentiel de la liberté éthique ; mais elle peut alors aussi bien être le cheval de Troie pour une
nouvelle forme de duplicité et d’indiscipline.

b. L’immortalité et l’indiscipline : le testament

La maîtrise éthique de la mort naturelle garde un moment d’arbitraire individuel :


l’héritage n’est pas le lien nécessaire, naturel, de l’hérédité, si bien que les parents gardent la
possibilité abstraite de dépenser leur bien, avant ou après leur mort. Le conflit entre la
communauté de principe de la richesse familiale et le libre arbitre des gestionnaires (en
particulier du père)61 éclate nécessairement à ce stade, alors qu’il n’était que contingent dans
la rupture arbitraire du mariage. Le temps qui s’écoule entre la mort éthique de la famille et la
mort naturelle des parents, qui reste aveugle au notaire, donne ainsi tout son sens à la
discipline familiale : celle-ci, tout en se sachant mortelle, doit tenter ici de maintenir un libre
arbitre qui ne veut pas mourir, doublant, comme dans la rupture du mariage, sa présumée
résignation au sacrifice familial.
Au départ des enfants, le patrimoine reste - et le devoir éthique de dépense se mue
immédiatement en discipline de l’épargne : la richesse familiale doit être sauvegardée en vue
de l’héritage, et non dilapidée. Cette discipline n’est cependant pas la plus dure. Elle trouve
son appui dans une nécessité naturelle, qui agit à la fois négativement et positivement. D’un
côté, l’intérêt personnel faiblit : « le vieillard vit sans intérêt déterminé (…) l’avenir ne lui
promet rien de nouveau »62. De l’autre, l’amour pour les enfants reste intact : que l’on pense
au père Goriot, dépensant sans réserve pour ses filles, sans retour autre que la culpabilité d’un
déficit constant.
Mais la discipline de l’épargne n’a elle-même de sens que vis-à-vis du testament63 :
elle est comme la chasteté qui précède le mariage, tandis que la dilapidation du patrimoine
serait comme l’infidélité qui précède le divorce. Le testament constitue donc, après le mariage
et le divorce, la troisième entrée déclarée du libre arbitre dans la famille. Seule la déclaration,
ici encore, permet à la volonté éthique d’assurer sa maîtrise sur la nécessité naturelle et de
donner une base solide à la discipline. Le testament est à la fois le solde de l’épargne et
l’anticipation d’une dépense éthique post mortem, au profit des enfants. Dans sa forme à la
fois économique et contractuelle, il anticipe sur la nécessité naturelle de la disparition et la
supprime par ce biais : Comme personne, l’individu « ne meurt pas ; c’est sa volonté déclarée
qui vaut sur sa propriété, et non le fait qu’il soit vivant ou mort »64 .

Dans sa puissance d’immortalisation, le testament rapproche la famille finie et son


double religieux, la sainte famille – avec la richesse dans le rôle du Saint Esprit. Rappelons
que selon J. Derrida, la famille, comme milieu originel de toute éco-nomie (la loi de la famille
est la loi de la tombe –oikos) vise à permettre au sujet de s’approprier sa mort : en ayant des
enfants, les parents décident de leur mort et se l’approprient : ils ne sont pas morts, ils sont

droit du premier occupant : autrement dit, les parents, les plus proches physiquement, spatialement, seraient alors
les premiers à se déclarer possesseurs. Ce laps de temps fait entrer l’état de nature comme tel dans la société,
laquelle ne pourrait le contenir qu’en imposant de l’extérieur une loi obligeant les enfants à rester proches des
parents : c’est toujours le même formalisme extérieur et autoritaire de Fichte : « cette fantaisie ne prend pas en
considération la nature du rapport familial », dit Hegel (Philosophie de l’esprit (1805), trad. fr., p. 71 : « ce n’est
pas au premier venu à prendre possession de ce bien de famille ; l’état de nature n’entre pas en jeu ».
61
Cf Grundlinien... [Principes...] § 171.
62
Enzyklopädie… [Encyclopédie…] (1830), § 396 Zusatz, trad. fr., p. 439.
63
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 179.
64
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 221 ; trad. fr., p. 71
11

morts65. Cette appropriation définit l’économie de la mort comme spéculation, qui évite toute
perte absolue, et obéit ainsi déjà au principe de l’économie restreinte (Bataille) qui régit la
société civile. Par là, est atteint le principe religieux, chrétien, de la sainte famille : le Père
meurt dans le fils crucifié, le fils revit auprès du Père.
Cette interprétation est l’occasion d’une réponse de J. H. Smith66. Selon cet auteur, la
dialectique de la dernière volonté n’inscrit pas directement la famille dans la dialectique
vie/mort, mais dans une dialectique qui n’a jamais été déconstruite, celle de la volonté. La
volonté, en se continuant juridiquement par-delà la mort de l’individu, dépasse toute
métaphysique de la subjectivité qui lui assignerait une présence immédiate, propre. L’auteur
trouve significatif que Derrida évite de parler de la volonté dans Glas, et ne commente pas les
paragraphes concernant le testament : ce n’est pas Hegel qui fait taire la voix de la mort (celle
d’Antigone, voix d’outre tombe), mais plutôt Derrida qui tait la dernière volonté du mort. Or,
le libre arbitre qui se déclare dans le testament est le moment déconstructeur de la volonté,
révélant la contradiction entre la volonté singulière et la volonté commune, sans décider entre
l’une et l’autre. La résistance du libre arbitre face à l’éthicité fait éclater la loi de la famille,
qui devait être, selon la riche analyse de Derrida, le noyau irréductible du hégélianisme.

Le testament, comme moment déclaré de l’arbitraire, fait en effet exploser la famille


dès que le testateur choisit d’autres héritiers que ses enfants. L’arbitraire opère ici, plus
précisément, une série de dédoublements qui sont autant de substitutions : un élément éthique
est clairement doublé par un élément contingent. La volonté du testateur se substitue aux lois
de la société civile qui distribue les richesses selon des critères non-familiaux (la différence
des talents ou les circonstances)67. Elle se substitue même à la corporation, cette seconde
famille68qui protège ses membres des fluctuations de revenus en se fondant, non sur la
consanguinité, mais sur la reconnaissance (Anerkennung). En effet, le père se forge
arbitrairement sa propre seconde famille, quand il substitue dans son testament ses
connaissances au processus de la reconnaissance. Cette substitution du Bekannte (ein Kreis
von Freunden, Bekannten69) à l’Erkannte ou à l’Anerkannte est toujours pour Hegel la pire
des fautes. Ici, elle pervertit la sainte communion elle-même, c’est-à-dire ce moment où le
Fils élargit la sainte Famille au cercle de la cène en distribuant les dons du Père70.
En usant ainsi de son arbitre, le testateur se trouve en faute vis-à-vis de lui-même : il
se sert de sa mort pour faire valoir son propre intérêt personnel, mais le dresse
contradictoirement contre l’intérêt de ses héritiers. C’est ce que montrent toutes les formes de
chantage vis-à-vis de ces derniers71. Cette spéculation se retourne d’autant plus facilement
contre le testateur que ses héritiers peuvent de leur côté préparer et s’approprier sa mort en le
flattant et en le trompant, comme le font deux filles du roi Lear. A ce stade, la part de
« contingence, d’arbitraire, d’intentions visant des fins égoïstes »72 est telle qu’elle détruit
tous les rapports éthiques : chacun, testateur et prétendants à l’héritage, spécule pour soi et
tente de désapproprier l’autre de sa mort ou de sa naissance. Selon les termes de la
Philosophie du droit, le libre arbitre devient ici « sottise », « perfidie », « vanité »,

65
Ibid., p. 151.
66
J.H. Smith, « On spirit and Will », in Coll., éd. Stuart Barnett, Hegel after Derrida, London/New-york,
Routledge, 1998.
67
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 200.
68
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 253.
69
Ibid., § 179, p. 332 ; trad. fr., p. 253. voir l’addition et la note marginale (tout est commun entre amis…). et
l’addition au § 180 : la « soi-disante famille d’amis » (« die sogenannte Familie der Freundschaft ») ne doit être
constituée que si les liens de famille sont inexistants.
70
Smith le remarque déjà dans l’article cité.
71
Ibid., § 179 Anm., p. 332-333 ; trad. fr., p. 254.
72
ibid., mêmes références.
12

« tracasserie ». Il est condamnable moralement, même s’il ne fonde visiblement pas une
condamnation juridique : il n’est pas interdit d’être sot, perfide, vain, tracassier en dilapidant
son héritage.

La mise en concurrence du cercle familial par un autre cercle que trace arbitrairement
le testateur fait exploser l’éthique familiale ; mais il y a pire : son implosion, due à un partage
inégalitaire de l’héritage à l’intérieur de la famille73. C’est ici que, par le biais du testament,
l’arbitraire entre (eintritt) de la manière la plus fracassante et la plus durable dans un milieu
qui n’est pas fait pour l’endurer.
A ce stade, le testateur tente de se donner une puissance supérieure à la mort même,
qui ne suit pas de préférences subjectives. Mais cette puissance n’est pas pour autant celle de
l’amour : un père ou une mère aiment également tous leurs enfants, avant même que leur
caractère ne se détermine. La préférence n’est certes plus interdite (Antigone n’avait pas ce
droit envers ses deux frères), mais elle est toujours contraire à la nature74 et à l’éthique.
L’héritage inégal ne peut donc « avoir lieu que d’une manière extrêmement restreinte »75,
restrictions maintenues par des mesures juridiques qui volent au secours de la discipline
familiale.
L’arbitraire du testateur « ne contient rien qui soit à respecter plus hautement que le
droit de famille lui-même »76. Et de fait, puisque le testament est une décision solitaire et non
un contrat, on voit vite que le respect de l’arbitre du testateur, pris au mot, devrait être laissé à
l’arbitre des successeurs. Le respect immortel pour la personne du défunt est donc avant tout
une question d’amour, et confirme, contre toute attente, la préséance du rapport familial. Plus
précisément, pour Hegel, on respecte le testament par amour ou par défaut : le poids de
l’arbitre est en raison de l’éloignement du lien de parenté. La seule cause d’inefficacité totale
de ce lien, ce doit donc être une dispersion objective de la famille, et non un éloignement
apprécié subjectivement par le testateur.

Le droit de tester vient confirmer un équilibre fragile entre deux extrêmes. D’un côté,
se trouve l’arbitraire total, qui fut effectivement principe du testament à l’époque romaine77.
Le pater familias se donnait un droit de vie ou de mort sur sa femme et ses enfants, et, par
surcroît, le droit de décider des conséquences de sa propre mort : « les difficultés et les erreurs
de notre droit d’héritage viennent du fait que l’on est resté attaché à ce système »78, précise
Hegel ; et il ne pense pas moins au droit anglais, livré aux « caprices fantasques dans les
testaments (Thellusson) »79. A l’autre extrême, se trouve la fausse nécessité naturelle de la
lignée, qui est effectivement le principe du droit successoral. Celui-ci fixe également des
préférences, orientées vers la conservation du nom (telle la loi salique). Il se fonde sur une
détermination naturelle (la différence des sexes ou l’âge), viole le principe de la personne (la
liberté de la propriété80) ; il viole aussi le principe de l’égalité abstraite. On doit donc faire
valoir contre lui l’égalité abstraite des membres de la famille et la contingence de l’arbitre :
73
Cf. ibid., § 180.
74
Cf. ibid., § 306.
75
Ibid., § 180, p. 333 ; trad. fr., p. 254.
76
Ibid.
77
Cf. ibid., § 172, § 3 et § 180, Zusatz.
78
Ibid., § 180, Zusatz, p. 337.
79
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 222 ; trad. fr., p. 71-72. Hegel pense à Peter
Thellusson (1737-1797), un marchand anglais qui s’est rendu célèbre en contournant dans son testament la loi
sur les accumulations de capitaux au profit de ses héritiers lointains. Cette affaire a donné lieu au « Thellusson
act » ou « Accumulations Act de 1800 » (cf. édition allemande citée, note des éditeurs p. 307-308, et, sur l’acte
lui-même, qui pour Hegel compte autant que l’affaire, Encyclopaedia Britannica, éd. de 1911, art.
Accumulation). Sur ce point, cf. également § 180, Zusatz.
80
Cf. Grundlinien... [Principes...], § 177.
13

celle-ci est préférable à la contingence naturelle, et elle l’inclut grâce au rôle de la préférence
sentimentale qui fait que l’on privilégie normalement toujours les membres de la famille81.
Mais seule la loi, comme droit privé, peut assurer cet équilibre82. On ne peut ici se
passer d’un jugement, d’une décision, par un tiers, l’Etat. Les lois doivent agir, comme un
destin extérieur, face au destin trop particulier, non universel, non éthique, qu’impose
l’arbitraire d’un père (pire que le destin grec, au moins tenu par la lignée). La loi « complète
l’insuffisance de la famille en tant que pure volonté des parents immédiats »83 ; elle devient
« la tutelle inconsciente sur le singulier dont la famille est morte », elle « protège chacun dans
sa possession immédiate, dans l’héritage et dans l’échange »84. Bref, elle est la véritable
continuation de la discipline familiale. Si le libre arbitre de l’enfant est le résultat évident de la
dialectique de la famille, un autre fil se tend de la discipline au droit, montrant, avant même
qu’il soit question de la société civile, l’intensité de la lutte contre l’arbitraire, naturel ou
humain.

Conclusion

L’union du mariage est tout aussi bien un mélange : un « mélange de personnalité et


d’impersonnalité du naturel » ou « de rapport substantiel, de contingence naturelle et
d’arbitraire interne »85. Alors qu’une dialectique trop simple opposerait la nature et l’arbitre,
ceux-ci forment les deux aspects d’une contingence qui vient déranger le lien familial. En
d’autres termes, la nécessité éthique de la famille, qui repose sur ses propres dédoublements
augustiniens ou luthériens (double naissance, naturelle puis éthique ; double mort, éthique
puis naturelle) est véritablement doublée par l’imprévu, naturel ou arbitraire, qu’implique la
vie individuelle : l’un des parents peut partir pour une autre vie (éternelle ou amoureuse)
avant que les enfants ne partent pour des raisons éthiques. Ou encore, la richesse familiale
peut être dépensée ou déviée par le testateur au profit de ses amis au lieu de revenir aux
descendants. Le notariat juridique ne peut que prendre acte de ces accidents et de ce qui en
résulte pour les arbitres individuels, dans le cadre du droit privé. Mais seul le notariat
philosophique peut faire le compte de ce qui ici se mélange jusqu’à entraîner l’entrée risquée
du droit privé dans le cadre de la famille ; il évalue la part de l’indiscipline, recense les
dépenses détournées, les excès d’amour pour les enfants, les désirs d’adultère, les caprices
contradictoires propres aux mourants. En pensant tous ces doubles accidentels de la vie
familiale, il ne vise pas un quelconque sursaut de l’éthique, qui est bien, ici, tout ce qu’elle
peut être. Il divulgue ce qui pour la famille est secret de notaire, mais doit être, pour

81
Une exception : le droit successoral pour la noblesse de la chambre haute (§ 306). La Chambre des pairs est
fournie par une noblesse de sang : cette chambre a justement pour fonction de souder immédiatement et
naturellement le lien éthique, contre l’arbitraire. « La richesse devient ainsi un bien héréditaire inaliénable »,
transmise à l’aîné seulement. La famille princière est également soudée par un droit successoral strict ; cette
continuité héréditaire est un des membres de la chaîne qui a fait que l’Etat est devenu l’Etat.
82
« Il faut faire jouer autant que possible la rigueur de la loi ; lorsque cela ne devient pas trop excessif, il faut
respecter le plus possible la volonté » : Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 221 ;
trad. fr., p. 72. L’édition et la traduction citées placent le point-virgule après « excessif », ce qui rend la phrase
peu lisible, et dénature le sens du raisonnement. Le changement que nous proposons demande cependant à être
vérifié sur le manuscrit.
83
ibid., p. 221 ; trad. fr., p. 72.
84
Ibid., p. 222 ; trad. fr., p. 73. Cf. Grundlinien... [Principes...], § 170 et § 146.
85
Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 219 ; trad. fr., p. 69 ; Grundlinien...
[Principes...] § 180 Anm., p. 335 ; trad. fr, p. 256.
14

l’éthique sociale et politique, un héritage conscient : la fragilité essentielle de ce qui se veut


nécessaire86.

86
Cette lecture permet de souligner que la contradiction entre la famille et la société implique une communauté
de sens entre ces deux entités, qui appartiennent bien au même monde. Certes, la famille est dissoute
« essentiellement de par le principe de la personnalité », qui n’est autre que le principe de la société ; mais
précise Hegel, « il faut que les moments liés dans l’unité de la famille, en tant qu’elle est l’idée éthique (…)
soient congédiés » (Grundlinien... [Principes...], § 177, p. 330 ; trad. fr., p. 252). Or ces moments, plus ou moins
bien tenus par la discipline familiale, sont précisément la contingence naturelle et l’arbitraire personnel.
Le passage de la famille à la société n’est donc pas seulement le passage d’un milieu protégé à une
forme de vie livrée à la contingence. La contingence s’accumule déjà dans la vie familiale ; elle se déclare et
devient presque quantifiable, sans être plus prévisible, dans le montant de l’héritage : celui-ci est un « parfait
hasard », en comparaison duquel le revenu du travail, livré à la contingence sociale, n’est qu’ « une autre forme
de hasard »( Id., Philosophie des Geistes [Philosophie de l’esprit] (1805), p. 222 ; trad. fr., p. 73).
Réciproquement il y a encore une forme de protection, prévue par la société, contre les accidents naturels et
arbitraires, et cette protection se caractérise toujours par une entrée de la société dans la famille. L’entrée se fait
d’abord sous la forme du droit, qui pénètre ainsi « les rapports éthiques qui reposent sur le cœur, l’amour et la
confiance, dans la seule mesure toutefois où ceux-ci contiennent le côté du droit abstrait » (Grundlinien...
[Principes...], § 213, p. 365 ; trad. fr., p. 283). Ensuite, face à l’indiscipline du parent qui s’en va, qui dilapide la
richesse familiale, ou qui se substitue clairement à la société en distribuant arbitrairement ses richesses, la société
a un droit de tutelle, qui est une obligation de substitution : « elle a l’obligation et le droit de prendre en tutelle
ceux qui, par gaspillage, anéantissent la sécurité de leur subsistance et celle de leur famille, et d’accomplir à leur
place la fin de la société et la leur » (ibid., § 240, p. 387 ; trad. fr., p. 301). D’une manière plus générale, la police
civile assure la discipline, mais aussi la protection des individus contre les accidents. Et finalement, si le secours
qu’apporte l’héritage est déplaisant, si celui qu’apporte la police est humiliant, seul la protection de la
corporation repose sur une forme de reconnaissance qui équilibre la famille (déjà socialisée) et la société civile
(ibid., § 253 Anm. et § 280 Zusatz).
Il ne suffit pas ici de dire que les différentes sphères de l’éthique hégélienne se réfléchissent les unes
dans les autres. Il faut toujours rajouter que l’éthique est aussi, dans toutes ses sphères, une tentative de freinage,
de maîtrise, ou d’appropriation du hasard. Mais celui-ci renaît toujours sous de nouvelles formes, empruntées à
la vie ou à la mort. Il résiste à l’unité de la vie familiale, sociale et politique. En d’autres termes, l’identité de la
nécessité et de la liberté, que doit exprimer la philosophie du droit de Hegel, est toujours travaillée par la
différence entre la discipline et la contingence.

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