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RÉFLEXIONS SUR LE PLURALISME Pluralisme familial et création de


FAMILIAL  | Odile Roy la famille

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TABLE DES MATIÈRES

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CITÉ PAR

La place du modèle familial


dans un système pluraliste
Christèle Clément

p. 123-133

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL

DE PROFESSEURE À DIRECTRICE DE THÈSE, Marie-France Nicolas-


Maguin a jalonné mon parcours universitaire. Elle m’a inspirée,
guidée, soutenue. Je lui dois un fort attachement à la riche
discipline du droit de la famille. Aussi est-ce un grand honneur
de pouvoir lui rendre l’hommage qu’elle mérite au travers d’une
intervention dans le cadre de ce colloque, intervention consacrée
à « La place du modèle familial dans un système pluraliste ».

Sous couvert d’une affirmation claire, l’intitulé soulève


assurément bien des interrogations. D’emblée, il renvoie à deux
questions clé :

y a-t-il une place pour un modèle familial dans un système


pluraliste ?
et si oui, quelle est cette place ?

Tels sont du reste les deux axes autour desquels vont s’articuler
mes réflexions.

Mais, avant même d’entrer dans le fond du sujet, d’autres


interrogations se doivent d’être levées. Comme tout thème de
réflexion, l’intitulé de mon intervention pose des questions liées à
sa compréhension. Du pluralisme, les interventions précédentes
ont donné une idée nette. Du modèle, tout reste encore à dire 1.

En effet, qu’entendre par «  modèle  »  ? Jusque lors, les


interventions l’ont tenu pour synonyme du mot «  exemple  » ou
«  illustration  ». Mais le terme est polysémique. Un modèle peut
se comprendre tout d’abord comme un exemple à suivre, un
idéal, une référence, un « objet d’imitation » au sens du Nouveau
Littré 2. Le modèle ainsi compris s’inscrit dans un rapport
hiérarchique. Il s’impose par sa supériorité et renvoie la copie,
qui l’imite, à un niveau inférieur.

Mais le « modèle » peut également s’entendre comme la figure


représentative d’une certaine réalité. Il est alors, pour reprendre
la définition du Petit Robert 3, «  ce qui possède au plus haut
point certaines qualités ou caractéristiques qui en font le
représentant d’une catégorie  ». Le modèle de ce genre
n’implique aucune exclusivité. Il laisse place à des configurations
parallèles, lesquelles s’apparentent toutefois à des cas rares,
voire à de véritables exceptions.

Au risque de décevoir les attentes de certains, c’est dans ce


second sens que j’ai ici choisi de saisir le mot «  modèle  ».
Autrement dit, je me suis interrogée sur la question de savoir si
le pluralisme familial laisse encore une place à l’existence d’une
famille type, à l’existence d’une configuration familiale majeure
aux traits communs identifiables.

Je tiens néanmoins à préciser que l’opposition entre les deux


sens donnés au terme « modèle » ne doit pas être exagérée. En
effet, il n’existe pas de véritable frontière imperméable entre le
modèle pris comme un idéal à reproduire et le modèle entendu
comme l’image synthétisée d’une réalité. En effet, ce qui est en
droit correspond bien souvent à ce qui est perçu comme ce qui
doit être. Pour ramener ce constat à notre propos, cela signifie
que la figure représentative de la famille admise à émerger sur la
scène juridique présente plusieurs traits de la famille idéalement
conçue par le législateur et les juges. L’occasion nous sera
donnée de le constater.

Il est en tout état de cause une certitude : la question du modèle


se pose avec d’autant plus de prégnance dans un système où
règne la diversité. Les précédentes interventions ont montré
combien cette diversité caractérise aujourd’hui les différentes
législations européennes. L’exemple français, autour duquel j’ai
choisi d’articuler mes réflexions, sans pour autant m’affranchir de
toute vision internationale, n’est à cet égard pas en reste. Il y a
en effet de multiples points d’entrée dans la famille. Tous se
diversifient : les couples sont pluriels, les parentés aussi.

0 Déterminer, dans ce cadre, si le pluralisme familial ambiant,


entretenu par l’internationalisation des situations, laisse place à
un modèle familial et à quel modèle m’a obligée à faire en amont
le tri entre ce que le droit français accueille et ce qu’il rejette,
entre ce qu’il autorise et ce qu’il interdit. Ces données dégagées,
il m’est apparu que le pluralisme familial ne fait pas obstacle à
l’existence d’un modèle de famille. Malgré le pluralisme, il y a
persistance d’un modèle de famille, même si les lignes s’en
trouvent aujourd’hui déplacées. Il reste toutefois que le
pluralisme ambiant éprouve, chahute, bouscule le modèle de
famille en place. Le modèle familial existant est en effet débordé
par le pluralisme.

LA PERSISTANCE D’UN MODÈLE AU


SEIN D’UN SYSTÈME PLURALISTE
Pendant longtemps, le modèle familial français s’est construit
autour du mariage. Il n’était alors de conjugalité que
matrimoniale et de famille que légitime. Ce n’est pas à dire que
les couples non mariés ne jouissaient d’aucune reconnaissance
juridique et qu’aucun groupe ne se constituait à l’arrivée de
l’enfant né de parents non matrimonialement unis. Mais, d’une
part, la loi française n’offrait pas à proprement parler de statut
aux concubins. D’autre part, la famille naturelle se réduisait au
cercle formé par les parents et leurs enfants.

2 Sous la poussée du pluralisme, les choses ont évolué. On


observe ainsi aujourd’hui une césure plus nette entre le groupe
conjugal et le groupe parental. Il y a le couple stricto sensu et le
couple considéré comme le point d’entrée dans la famille, dirait-
on, parentale. Or, dans l’un et l’autre, le modèle de la famille
bâtie autour du mariage a certes cédé du terrain. Mais il n’a pas
totalement disparu pour autant. Son fantôme continue en effet de
planer sous une forme moins évanescente qu’il n’y peut paraître.

3 Ainsi, d’un côté, le pluralisme conjugal a conduit à une dilution


du modèle préexistant  ; de l’autre, le pluralisme parental en a
provoqué la redéfinition.

Pluralisme conjugal et dilution du


modèle familial préexistant
4 Le schéma de la conjugalité en France s’est brouillé au moment
de l’introduction dans notre droit du Pacs. Entre mariage,
concubinage et partenariat, les formes de vie conjugale reçues
par le droit français se sont diversifiées. Encore que la question
de l’admission des concubins au rang de groupe familial se
discute, compte tenu de l’absence de statut véritable de ce
couple et d’effet proprement familial attaché aux rapports entre
concubins. Isabelle Corpart les désigne d’ailleurs comme des
«  couples sans dimension familiale 4  ». Néanmoins, si l’on s’en
tient à l’aspect purement symbolique des choses, on retiendra le
concubinage aux côtés du Pacs et du mariage comme
expression de la conjugalité juridiquement consacrée par le
système français.

5 Cette diversité configurale pose la question de l’existence d’un


modèle. Une chose est dès à présent sûre  : la figure
représentative du groupe conjugal d’hier, qui était alors celle d’un
couple hétérosexuel constitué autour de personnes unies par
une communauté affective et matérielle et n’ayant entre elles
aucun lien de parenté ou d’alliance proche s’est éteinte.
Plusieurs manifestations le montrent : tout d’abord, si, d’un côté,
comme l’a rappelé la Cour de cassation le 13 mars 2007 5, le
mariage ne peut unir que deux personnes de sexe différent, de
l’autre, le Pacs et le concubinage sont ouverts à des couples
hétéro – comme homosexuels. Par ailleurs, l’interdit de l’inceste
n’est formalisé que dans le cadre du mariage et du Pacs. Il
n’existe qu’à l’état de principe d’ordre social et moral en matière
de concubinage. Le couple présente donc de multiples facettes
et cette diversité peut faire douter de la persistance d’un modèle
familial dans le droit français. Pourtant, elle n’en laisse pas
moins poindre l’existence de quelques traits saillants du groupe
conjugal dans le droit de la famille contemporain. Ce groupe
s’organise ainsi inlassablement autour du principe
monogamique. Le groupe conjugal se comprend de fait comme
un couple, un binôme, dont les membres s’unissent autour d’une
vie partagée.

6 Le pluralisme a donc incontestablement conduit à donner des


contours plus flous à la figure représentative de la famille créée
par le lien conjugal. Il a provoqué la dilution du modèle
préexistant de famille conjugale.

7 Mais, ouvrons là une parenthèse, il a parallèlement favorisé la


promotion du mariage au rang de modèle pris dans le premier
sens du terme 6. Dans le canevas de la conjugalité à la
française, le mariage garde valeur d’exemple. Il constitue la
forme d’union à laquelle est attachée une plénitude d’effets et
par rapport à laquelle les deux autres sont dans une situation de
carence normative. En outre, le mariage exerce une force
attractive sur la plus réglementée des deux autres formes de
conjugalité, le Pacs. En effet, le Pacs, tel que réformé par la loi
du 23 juin 2006 7, emprunte beaucoup de règles au mariage.

8 Pour conclure, il apparaît que, sous l’effet même du pluralisme


caractérisant aujourd’hui la vie en couple, le mariage s’inscrit
plus nettement encore aujourd’hui comme un modèle à
reproduire, une référence, en tant qu’il est placé dans une
situation de supériorité et tenu pour un objet d’imitation.

9 En résumé, le pluralisme conjugal n’a pas eu raison de


l’existence d’un modèle de famille rassemblée autour du couple.
Mais il en a tout de même provoqué la dilution.

0 Le pluralisme des formes de parenté a, quant à lui, débouché sur


une véritable redéfinition du modèle de famille constituée autour
de l’enfant.

Pluralisme parental et redéfinition du


modèle familial préexistant
1 Il est différents points d’entrée dans la parenté  : des relations
charnelles à l’adoption, en passant par l’assistance médicale à la
procréation. Peut-il sortir de ce pluralisme une figure
représentative de la famille parentale en droit français  ? L’on
peut en douter si l’on prête attention aux conditions positives qui
entourent l’accès à la parenté dans notre système. Ainsi, là où la
PMA est réservée aux couples, indifféremment mariés ou non,
l’adoption peut profiter aux personnes seules mais reste fermée
aux couples de concubins. Quant à la famille parentale
constituée en accord avec le schéma naturel de la reproduction,
elle se crée autour d’un enfant et d’un couple ou d’un enfant et
d’une personne seule. La diversité semble rendre assez
insaisissables les caractéristiques phares de la famille parentale
en droit français.

2 Cette impression se dissipe toutefois, si l’on observe les interdits


édictés en matière d’accès à la parenté. Ainsi, il ressort du plus
évocateur d’entre eux que le couple homosexuel, confronté à
l’impossibilité physiologique de procréer, n’est admis en France
ni à adopter, ni à solliciter le recours aux méthodes de PMA. Le
seul couple appelé à former une famille autour d’un enfant est
hétérosexuel aux termes de la loi française.

3 Par ailleurs, si une personne seule peut juridiquement se porter


candidate à l’adoption simple ou plénière d’un enfant, son
homosexualité justifie classiquement le refus administratif de lui
délivrer ce permis d’adopter qu’est l’agrément, et ce avec le
soutien des juridictions administratives 8 et de la Cour
européenne des Droits de l’homme elle-même 9.

4 L’on découvre là en définitive un trait saillant de la famille


parentale du droit français. Celle-ci est en effet de préférence
hétérosexuelle, elle se constitue autour de personnes dont la
sexualité peut être procréatrice. Cette famille repose donc
largement sur le présupposé biologique. Du reste, ce
présupposé est clairement confirmé au regard de certaines des
exigences entourant l’adoption et la PMA concernant notamment
l’âge des demandeurs.

5 Un autre trait saillant du groupe parental ressort du


rapprochement d’autres règles du droit français de la filiation
entre elles : le refus de soumettre en France la reconnaissance
d’un parent à l’assentiment de l’autre, la possibilité toujours
ouverte de combler un vide de filiation dans une branche et
l’interdiction d’établir plusieurs liens de filiation dans une même
ligne soulignent en effet une volonté de considérer le couple
comme le groupe fondateur premier de la famille parentale.

6 Certes, en pratique, la famille bâtie autour de l’enfant peut


parfois être monoparentale, mais il faut souvent y voir les suites
d’un accident de la vie (comme la mort). Quant à l’adoption par
une personne seule, si elle est juridiquement admise, elle reste
d’une pratique mesurée et elle prend le plus souvent en pratique
la forme d’une adoption de l’enfant du conjoint. Elle se fait ainsi
l’instrument de la naissance d’une famille parentale constituée
autour d’une mère, d’un père et de l’enfant.

7 En définitive, il apparaît que le pluralisme familial existant n’a pas


sonné le glas de l’existence d’un modèle de famille parentale. Il
en a déplacé les lignes et redéfini les traits. Ce modèle n’est
donc plus celui du couple marié, vivant ensemble. Construit sur
ses vestiges, il est aujourd’hui celui du couple hétérosexuel,
biparental, dont les membres sont en situation de procréer.

8 Mais, comme le modèle s’entend ici de la figure représentative


d’un genre plus large, il n’empêche pas l’émergence de
configurations parallèles, faisant figure d’exception.

9 En définitive, même s’il existe plusieurs points d’entrée dans la


conjugalité et la parenté, signe d’un pluralisme familial actif, il
n’en reste pas moins, au vu de ce que rejette et admet le droit
français, que se dessine l’image d’une famille en titre. Réduite au
groupe conjugal, elle prend les traits d’un couple de personnes
unies par une vie en commun. Élargie au groupe parental, elle
se constitue autour d’un couple nécessairement hétérosexuel,
uni, offrant à l’enfant un foyer biparental et entretenant avec lui
une généalogie commune, au moins en apparence. Ainsi, malgré
le pluralisme familial existant, législateur et juges français
persistent à dessiner la famille admise à pénétrer sur la scène
juridique sous des traits communs, soient-ils redéfinis.

0 Cependant, il reste à déterminer quelle est la place de ce modèle


de famille dans le système pluraliste actuel. Or, à cet égard,
force est de constater que le pluralisme a dernièrement eu pour
effet de bousculer ce modèle, de le déborder. L’on assiste en
effet à l’émergence d’une vie familiale juridiquement consacrée
en marge de la famille en titre.

UN MODÈLE FAMILIAL DÉBORDÉ


PAR LE PLURALISME : L’EXISTENCE
D’UNE VIE FAMILIALE
JURIDIQUEMENT RECONNUE EN
MARGE DE LA FAMILLE EN TITRE
1 Depuis peu, l’on assiste en France à un certain débordement du
modèle de famille parentale précédemment décrit. Il s’instaure
en effet une vie familiale juridiquement reconnue en marge de la
famille en titre comprise comme constituée autour de deux
parents de sexe différent, unis et donnant l’illusion d’avoir
engendré l’enfant.

2 Ce débordement s’opère par deux voies  : à travers l’extension


de la responsabilité parentale, ou de certains attributs qui lui sont
normalement attachés, au bénéfice de personnes qui ne peuvent
avoir le statut de parent, en premier lieu, par suite de la réception
en France de situations familiales atypiques créées à l’étranger,
en second lieu. Tel est là le résultat de l’internationalisation
croissante des situations familiales sur fond de diversification
des droits internes de pays voisins.

Le débordement du modèle en place


par la reconnaissance d’une vie
familiale au sein du couple homosexuel
3 Confortant l’image de la famille parentale constituée autour d’une
mère et d’un père unis dans une relation de couple, la Cour de
cassation vient, par deux arrêts du 20 février 2007 10, de refuser
l’adoption simple de l’enfant né par insémination artificielle par la
compagne de sa mère. Rappelons que l’argument avancé à
l’appui de cette solution tenait à la non-conformité de l’adoption
avec l’intérêt de l’enfant, eu égard à la gravité des conséquences
qui découleraient de son prononcé. Si elle avait été permise,
l’adoption simple aurait en effet entraîné le transfert de l’autorité
parentale au profit de l’adoptante et la perte corrélative par la
mère de tous ses droits et devoirs envers l’enfant, qu’elle aurait
pourtant continué à élever avec sa compagne. De fait, si
l’adoptante, seule investie de l’autorité parentale, était décédée,
la mère aurait pu se voir retirer son enfant. En outre, l’adoption
simple ayant précisément pour effet de transférer la pleine
autorité parentale au profit de l’adoptant, elle n’aurait su être
raisonnablement invoquée comme une circonstance justifiant un
partage ou une délégation ultérieur(e) d’autorité parentale. Il y
aurait là deux choses inconciliables.

4 L’argument ainsi avancé au soutien de la solution ne me semble


suffire à cacher un refus de la Cour de cassation de reconnaître
le titre de parent à deux personnes de même sexe.

5 La famille en titre continue donc à s’articuler autour d’un couple


hétérosexuel. Néanmoins, cela n’empêche pas la Cour de
cassation de considérer qu’une vie familiale puisse exister en
marge de ce modèle et mériter une reconnaissance juridique.
Elle contribue ainsi au débordement par les faits du modèle de
famille parentale existant.

6 En effet, par un arrêt du 24 février 2006 11, elle a admis une


mère à déléguer totalement ou partiellement l’autorité parentale
sur son enfant au bénéfice de sa compagne, dès lors que les
circonstances l’autorisent et dans la mesure de ce que
commande l’intérêt de l’enfant.

7 Ainsi, si le titre de parent persiste à être dévolu dans le respect


du modèle familial en place, la fonction parentale le déborde. La
jurisprudence offre d’autres illustrations de ce phénomène  :
citons pour exemple l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai
2005 12 accordant un droit de visite au bénéfice d’un
transsexuel, de sexe féminin d’origine, dont la reconnaissance
de paternité avait été annulée à la demande de la mère, son
ancienne compagne, en raison de sa contrariété avec la vérité
biologique.

8 Dans le même ordre de démarche, l’on peut encore évoquer la


décision du juge aux affaires familiales près le tribunal de grande
instance de Bressuire du 6 janvier 2000 13, octroyant un droit de
visite et d’hébergement de l’enfant à la compagne de la mère,
postérieurement à la séparation du couple. La décision rend
pareillement compte de ce que la famille parentale admise à se
former en droit français respecte une configuration générale qui
repose sur les principes de monogamie, d’hétérosexualité et de
biparenté. L’existence de ce modèle ne laisse pas moins place à
la reconnaissance juridique de situations familiales en ses
marges.

9 Le modèle en place y résistera-t-il ? La question est posée. Elle


est d’autant plus présente que la pression exercée sur le modèle
vient d’un autre bord encore. Elle résulte en effet de l’existence
en France de formes de vie familiale valablement constituées à
l’étranger en dehors de notre modèle de famille.

Le débordement du modèle en place


par la reconnaissance de situations
familiales atypiques constituées à
l’étranger
0 Plusieurs pays européens voisins du nôtre ont ouvert la voie au
mariage aux couples homosexuels ou, du moins, ont aligné les
effets de l’union entre personnes de même sexe sur ceux du
mariage. Tel est le cas des Pays-Bas, de la Belgique, de
l’Espagne, du Royaume-Uni 14.

1 La plupart de ces États offre le bénéfice de ces unions dès lors


qu’un des membres est un de ses nationaux ou réside sur son
sol. Il est donc parfaitement indifférent que la loi du conjoint
prohibe ce genre d’union.

2 Certains de ces pays admettent en outre que ce mariage produit


tous les effets d’une union matrimoniale traditionnelle, dont celui
d’ouvrir droit à l’adoption. D’autres encore reconnaissent le droit
d’adopter ou de recourir aux techniques de PMA aux couples de
même sexe, quel que soit leur statut.

3 La généralisation de ces pratiques aux portes de nos frontières


ne pourra à terme rester sans influence sur l’état de notre droit.
Mais elle pose d’ores et déjà le problème de la réception en
France de ces situations familiales atypiques au regard de notre
configuration familiale de base. La circulation des personnes au
sein de l’Union européenne, et au-delà même de ses frontières,
renforce la difficulté.

4 Or, à cet égard, s’il n’a jamais fait véritablement de doute, eu


égard aux règles fondamentales du droit international privé,
qu’une union homosexuelle valablement célébrée à l’étranger
entre un Français et un citoyen de l’État de la célébration ne
pourrait jouir d’aucune reconnaissance en France, la question de
savoir si le mariage régulièrement contracté à l’étranger entre
deux personnes de même sexe pouvait produire effet en France
a donné prise à des réponses divergentes. Au nom de l’ordre
public atténué, certains auteurs ont préconisé de laisser ces
unions ne déployer en France que les conséquences qui ne
heurtent pas nos principes fondamentaux 15.

5 Cependant, par deux fois, le garde des Sceaux a adopté à ce


sujet une position plus souple 16  : toute union célébrée au sein
d’un couple homosexuel conformément à la loi nationale de
chacun de ses membres doit être reconnue en France. Elle doit
donc déployer tous les effets d’ordre personnel que la loi du lieu
de célébration lui attache (dont le droit d’adopter parfois) et
emporter les conséquences de nature patrimoniale que la loi de
résidence des époux reconnaît au mariage.

6 Sans agir directement sur le modèle de famille en cours en droit


français pour le remettre en cause, le pluralisme familial conduit
donc à admettre en ses marges des situations familiales
atypiques. La question reste ouverte aujourd’hui de savoir si, à
terme, ces débordements dont il est ainsi l’objet auront raison du
modèle actuellement en place en droit français.

NOTES
1. Le modèle familial n’en est pas moins un riche sujet d’études. Voir
notamment : DEKEUWER-DEFOSSEZ Françoise, « Modèles et normes en
droit contemporain de la famille », in Mélanges Mouly, Paris, Éditions
Litec, 1998, p. 281 ; FULCHIRON Hugues, « Existe-t-il un modèle
familial européen ? », in Defrénois, n° 19/05, art. 38239, p. 1461 ;
TERRASSON DE FOUGÈRES Aline, Le Modèle dans le droit de la famille :
notion et fonction (essai de droit comparé interne), Thèse, Droit privé,
Université Paris II, 1994.

2. Le Nouveau Littré, édition 2006, V° « Modèle ».

3. Le Petit Robert, V° « Modèle ».

4. CORPART Isabelle, « L’homosexualité à l’épreuve du droit de la


famille », in RRJ – Droit prospectif, 2003-2, p. 701, spéc. p. 715.

5. Cass. 1re civ., 13 mars 2007, in D., 2007, 1375, note Hugues
FULCHIRON ; ibid., 1389, note Gérard PLUYETTE ; ibid., AJ, 935, note
Inès GALLMEISTER ; ibid., 1561, note Jean-Jacques LEMOULAND et
Daniel VIGNEAU.

6. Supra, p. 124.

7. SIMLER Philippe et HILT Patrice, « Le nouveau visage du Pacs : un


quasi mariage », in JCP, 2006, I, 161.

8. Trib. adm. Paris, 25 janvier 1995, in D., 1995, 647, note François
BOULANGER ; LPA, 1995, n° 78, p. 20, note Jean-Yves PLOUVIN ; CE, 9
octobre 1996, in JCP, 1997, I, 3639 et II, 22766, concl. Christine
MAUGÜÉ ; LPA, 11 juillet 1997, note Jacques MASSIP : RTD civ., 1997,
409, note Jean HAUSER.

9. CEDH, 26 février 2002, arrêt Fretté, in AJ Famille, 2002, p. 142 ;


AJDA, 2002, p. 401, note Isabelle POIROT-MAZÈRES ; JCP, 2002, II,
10074, note Adeline GOUTTENOIRE-CORNUT ; RJPF, 2002-4/30, p. 20,
note Marie-Christine LE BOURSICOT.

10. Cass. 1re civ., 20 février 2007, in JCP, 2007, II, 10068, note Claire
NEIRINCK ; ibid., Act. 109, note Yann FAVIER ; D., 2007, 721, note
Christelle DELAPORTE-CARRE ; ibid., 1047, note Daniel VIGNEAU.

11. Cass. 1re civ., 24 février 2006, in D., 2006, Point de vue, p. 876.

12. Cass. 1re civ., 18 mai 2005, in Bull. civ., I, n° 211 ; D., 2006, 1147,
note Frédérique GRANET.

13. TGI Bressuire, 6 janvier 2000, in D., 2000, IR 88 ; JCP, 2002, I,
101 ; RTD civ., 2000, 313.

14. Sur cette question, voir : BRULE-GADIOUX Florence et LAMOTHE


Éric, « Le mariage homosexuel en Europe », in Defrénois, n° 08/05,
p. 647 ; CADET Fabien, « La réforme du droit de la famille espagnol
par les lois du 1er et 8 juillet 2005 : entre évolution et révolution », in
Dr. famille, décembre 2005, Études, p. 6 ; FULCHIRON Hugues, « La
reconnaissance de la famille homosexuelle aux Pays-Bas », in JCP,
2001, Act., p. 1033 ; GRANET Frédérique, « Concubinages,
partenariats enregistrés et mariages entre homosexuels en Europe »,
in Des concubinages – Droit interne, droit international, droit comparé,
études offertes à J. Rubellin-Devichi, Paris, Éditions Litec, 2002, p.
375.

15. En ce sens : FULCHIRON Hugues, « Le droit français et les


mariages homosexuels étrangers », in D., 2006, 1253.

16. Réponse ministérielle du 26 juillet 2005, in LPA, 3 avril 2006, n°


66, p. 6, note Fabienne JAULT ; confirmée par la Réponse ministérielle
du 9 mars 2007.

AUTEUR

Christèle Clément
Docteur en droit privé

Du même auteur
Avant-propos in Ré&exions sur le pluralisme familial, Presses universitaires
de Paris Nanterre, 2011

© Presses universitaires de Paris Nanterre, 2011


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