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PRÉSENTATION

Alors que ces deux comportements semblaient presque révolus depuis la


«  révolution sexuelle  » des années 1970-1990, virginité et chasteté
connaissent en réalité un fort regain. Dans une société pourtant
hypersexualisée, des individus ou des groupes en font aujourd’hui un
objectif de vie, sans qu’il soit forcément lié à une croyance religieuse.
Cette remarquable synthèse interroge sur le temps long (16e-21e siècle) les
pratiques extrêmement variées que recouvrirent en Europe ces deux termes
trop souvent confondus et plus complexes qu’il n’y paraît. En dépit du
magistère moral de l’Église sur les laïcs, qui tenta de leur imposer
l’impératif absolu de la procréation et la dénégation du plaisir charnel, tous
les cas de figure furent possibles, entre idéal mystique et turpitudes
assumées. Cette quête d’un improbable idéal qui tourmenta les populations
témoigne surtout de nos rapports difficiles à la sexualité et du poids des
fantasmes masculins sur la condition féminine.
 
Alain Cabantous, professeur émérite d’histoire à Paris 1, et François Walter,
professeur honoraire d’histoire à l’université de Genève, aiment à gravir
ensemble les montagnes quand ils ne décryptent pas nos pratiques
culturelles. Ils ont déjà écrit à quatre mains un essai remarqué sur la
longue histoire de Noël (Payot, 2016).
ÉDITIONS PAYOT & RIVAGES

payot-rivages.fr

Ouvrage dirigé

par Sophie Bajard

Conception graphique de la couverture : Stéphanie Roujol -

Illustration : Cornelis Cornelisz van Haarlem, Frans Hals Museum, Haarlem.


© Heritage Images / Fine Art Images / Akg

© Éditions Payot & Rivages, Paris, 2020

ISBN : 978-2-228-92538-9

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client.
Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de
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atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
REMERCIEMENTS

Cette recherche a bénéficié des conseils, des apports et des relectures


de Pierre Annycke, Jesùs Asurmendi, Isabelle Brian, Consuelo Frauenfelder,
Bernard Gainot, Bénédicte Idoux-Renard, Jacques Longuet, Jean-Clément
Martin, Anne-Marie Walter-Coquoz. Que toutes et tous trouvent ici
l’expression de notre gratitude.
INTRODUCTION

Les chemins incertains

Et si l’amorce de cette recherche commençait par l’énoncé de quelques


« brèves » ? D’après plusieurs enquêtes sociologiques établies au cours de
ces dernières années, au moins en Europe, bien peu de jeunes gens,
environ 10  %, arrivent vierges au moment de convoler… s’ils convolent
encore. Proportion qui n’a cessé de décroître en cinquante ans. Et pourtant,
alors que beaucoup de filles, peut-être la moitié, ne saignent pas lors de
leur premier rapport sexuel, un certain nombre d’entre elles recourent à
une chirurgie réparatrice avant de se marier pour reconstituer un hymen
qui, de fait, physiologiquement n’existe pas en tant que tel  ! Chez les
femmes musulmanes en particulier, la hausse de l’hyménoplastie s’inscrirait
même « dans un mouvement de libération sexuelle » (Nedra Ben Smaïl) 1.
À l’inverse, un site basé en Allemagne, Cinderella Escorts, se propose de
vendre aux enchères (mise à prix un million d’euros) la virginité de jeunes
«  filles  » qui en font la demande. En mai 2019, plus de 300 avaient
entrepris cette démarche 2. Enfin, à l’occasion de la découverte des
multiples scandales sexuels, spécialement dans le clergé catholique, 5 à
15 % des prêtres auraient commis des abus sexuels et entre 25 et 40 % de
ses membres entretiendraient ou auraient entretenu une ou des liaisons
amoureuses hétéro ou homosexuelles durant leur ministère et ce, jusqu’au
plus haut niveau de la hiérarchie 3. Comme si, à travers ces exemples
éclairants, notre perception de la virginité et de la chasteté se limitait à une
trop grande simplification des comportements.
C’est, au contraire, à partir de la complexité de ces deux états que nous
avons tenté de construire ce sujet apparemment insolite puisqu’il s’agit, à
travers ces appellations, de désigner un statut physique, charnel même, qui
se transforme en une référence souvent éthique et spirituelle. Ce passage
d’une réalité platement humaine à une identité hautement morale et
vertueuse ne permet-il pas à certains de penser, en plagiant une nouvelle
fois la formule érasmienne, qu’«  on ne naît ni vierge ni chaste, on le
devient » ? C’est donc autour des références culturelles dont se nimbent ces
«  vertus  » – sauvegarde de la «  pureté  », tempérance et contrôle des
pulsions – assises sur une discipline imposée ou assumée, mais aussi de
leur opposé, que virginité et chasteté vont évoluer selon des rythmes rien
moins que linéaires. À ce sujet, la comparaison entre un XIXe siècle qui s’y
réfère haut et fort, et les instrumentalise en termes de bonne convenance
éducative, et les périodes qui l’encadrent dévoile massivement le poids du
contexte social et religieux dans lequel s’élaborent, se déforment,
s’exacerbent et se délitent ces notions.
Dès lors, l’ambition de ce travail est multiple. Il s’agit d’abord, et de
manière analytique, de mesurer les liens ou les distinctions possibles entre
virginité et chasteté. Or, dans ce domaine, les confusions sont nombreuses
et ont été souvent maintenues à dessein. Les discours des moralistes
catholiques ont continûment entretenu ces ambiguïtés. En estimant que la
virginité était le plus haut niveau de la chasteté, ils ont imposé non
seulement une échelle de valeurs, mais créé une sorte d’interdépendance
qui n’est que théorique ou plutôt qui s’inscrit dans les efflorescences d’une
théologie spéculative. En 1848, dans son Traité de théologie morale,
Thomas M.-J. Gousset distingue, selon des gradations dépréciatives, la
chasteté des vierges, celle des personnes veuves et celle des personnes
mariées. Au passage, il n’évoque pas celle des clercs. Sur ce point, le décret
conciliaire relatif à la formation des prêtres, publié en 1965, évoque « leur
nécessaire renoncement au mariage [afin que] le célibat ne soit source
d’aucun dommage pour leur vie et leur activité mais leur permette
d’acquérir une meilleure maîtrise de l’âme et du corps ».
Le droit canonique de janvier 1983 est tout aussi sibyllin. Dans la partie
traitant de la vie consacrée (canon 599), on peut lire :

«  Le conseil évangélique de chasteté, assumé à cause du royaume


des cieux qui est le signe du monde à venir et source d’une plus grande
fécondité dans un cœur sans partage, comporte l’obligation de la
continence parfaite dans le célibat. »

À son tour, la littérature entretint souvent ces confusions, à l’instar de


J.-K. Huysmans qui écrit dans Certains (1889) :

«  Il n’y a de réellement obscènes que les gens chastes. Tout le


monde sait, en effet, que la continence engendre des pensées libertines
affreuses. »

Virginité, chasteté, continence, célibat, abstinence se mêlent,


s’imbriquent, paraissant ainsi dépendre les uns des autres pour justifier (?)
et imposer au plus grand nombre un modèle clérical. Brouillages
généralisés et accentués par le fait que l’on peut être vierge, compris ici
comme n’ayant eu aucun rapport sexuel abouti, sans pour autant être
chaste, que l’on peut être chaste sans être vierge ou continent sans être
chaste !
Le deuxième élément que structure le présent propos souhaite se
démarquer de plusieurs travaux antérieurs sérieux (Y.  Knibiehler ou P.
Mortas), qui ont focalisé la notion de virginité sur les seules jeunes filles
sous l’influence d’un XIXe siècle « virginal », particulièrement prégnant en ce
domaine, puisque le modèle vient du ciel lui-même, et où s’accentue la
distinction entre filles et garçons dans les interdits propres à
l’apprentissage de la sexualité. Or, la référence à la virginité concerne
également ces derniers, même si le terme employé est plutôt associé au
pucelage tandis que la chasteté touche l’ensemble des membres de la
société, tant ecclésiastique que laïque, et renvoie à la lancinante question
propre à la nature et aux finalités du mariage.
Ce qui conduit à une autre approche. Comment se déploie le  passage
de la théorie à la pratique ? Comment le discours religieux, dont les textes
de certains Pères de l’Église constituent la matrice obsédante, puis celui de
la rhétorique médicale, le plus souvent dévalorisants à l’égard des « fureurs
vénériennes  », s’immiscent-ils dans l’épaisseur des réalités sociales  ? Les
sources, délicates et fragiles, montrent que la confrontation entre le
prescrit et le vécu ne plaide pas nécessairement pour une disciplinarisation
uniforme et admise sans inventaire. Dans ce domaine de la sexualité, et
plus que dans d’autres sans doute, les bornes fixées, réitérées par le
magistère moral, semblent trouver leurs limites en se heurtant au front du
réel, des coutumes, des pulsions, des «  errances  » des baptisés pourtant
dûment chapitrés. Outre la prétention à régenter aussi la grammaire des
corps, l’intérêt malsain voire morbide pour le sexe, spécialement chez les
clercs de l’Église catholique, n’était pas sans risques pour la fidélité
religieuse des chrétiens d’hier, hommes d’abord, femmes ensuite, urbains
comme ruraux. Et le risque fut.
Si la référence de la virginité à la féminité est classique, en revanche
l’élargissement de perspective est novateur. Moins parce que cet état était
censé désigner une vertu mais bien parce que cette vertu, entendue ici
comme « une action véritablement utile à la société » (J. M. Gaudin, 1782),
est première et non ultime. Elle n’est pas une fin en soi mais un donné
intime et personnel perverti par un ensemble d’éléments liés au processus
de domination massivement masculine. Il ne s’agit donc pas ici de proposer
une histoire de la sexualité mais d’interroger deux de ses composantes qui
ont participé à la construction de la modernité occidentale, puis de
mesurer, si possible, la réappropriation permanente de ces notions dans un
champ culturel. Entre valorisation et remises en cause, ignorance ou
dénigrements, un pareil cheminement semble redéfinir en permanence les
enjeux, les attitudes sexuelles et morales, déterminer le rapport au corps
comme le rapport à soi qui, dans notre histoire contemporaine, finiront par
dépasser la seule référence religieuse reliée aux lourds héritages de
l’Antiquité tardive. Il s’en suit, méthodologiquement, la nécessité de
contextualiser au plus près les thématiques abordées pour tenter de saisir
au mieux les choix magistériels ou politiques, les déclinaisons artistiques,
les nuances géographiques et les réceptions sociales de ce qui demeure
avant tout une contribution à notre histoire culturelle.
Depuis cinq siècles environ, et en dépit des modèles imposés, le
passage de la déviance assumée à la contrainte modélisée, puis de la
contrainte à la liberté de choix, qui semble caractériser notre époque,
constitue un processus qui touche aussi bien la virginité que la chasteté.
C’est la raison pour laquelle ces «  modèles  » sont restés un improbable
idéal dans la mesure où leur progressive instrumentalisation a provoqué
davantage de contradictions et d’apories que d’adhésions véritables
rendant souvent hors d’atteinte les visées initiales. Aujourd’hui, le rôle et
l’intensité de la pression sociale puisés à la lecture critique des anciens
prolégomènes éthiques valorisent, à travers des choix assumés, l’autonomie
du sujet avant tout autre chose. C’est en cela que, disjointes ou associées,
virginité et chasteté construisent vraiment une histoire à la fois intime et
collective, fondamentale et complexe face à laquelle chacune et chacun
sont invités discrètement ou publiquement à se déterminer.
PREMIÈRE PARTIE

Des mots et des choses
1

De quoi parle-t-on ?

Oui, de quoi parle-t-on vraiment quand on évoque la virginité, la


chasteté et l’hymen alors que les certitudes réitérées côtoient les
interprétations diverses et contradictoires  ? Quand le discours médical
innove par ses désignations physiologiques, et même invente les
pathologies psychologiques qui y sont, paraît-il, liées ? De quoi parle-t-on
enfin lorsque le vocabulaire lui-même est, volontairement ou non, instable,
interchangeable, ambigu à propos de désignations qui alimentent d’abord
bien des fantasmes de la science et de la théologie, ces domaines réservés
du masculin ?
Rien que l’étymologie du mot « vierge » lui-même est révélatrice de la
charge idéologique qui peut peser sur ce statut  ; elle illustre plus
précisément à quel point il est empreint de fantasmes masculins. Des
appréciations fantaisistes ont cru pouvoir identifier dans ce vocable une
combinaison du latin vir («  homme  ») et genere («  engendrer  »), ce qui
donne « conçu pour l’homme 1 » ! De même, de virgo (« vierge ») dériverait
de manière scabreuse le mot «  verge  », ce «  membre viril avec lequel on
fouette le ventre des vierges », écrit un auteur coquin faisant allusion aux
vestales fautives 2. Pour le très sérieux Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, le mot
vient de viror (la couleur verte) :
« De même que l’on dit vert et gardant sa verdure le végétal qui n’a
pas brûlé par une chaleur excessive, de même la virginité implique,
chez celui qui la garde, d’être épargné par la brûlure de la convoitise
qui semble se réaliser dans ce qui est le comble de la délectation
physique : le plaisir sexuel 3. »

Plus récemment, les linguistes comprennent le terme latin virgo comme


un composé privatif d’une racine hittite qui signifie « monter, saillir » : en
clair, et trivialement dit, « non montée 4  ». Il semblerait d’ailleurs aller de
soi dans une société dominée par les mâles que la pratique de la vraie
chasteté ne peut concerner que les femmes. Il ne paraît guère possible
qu’elle puisse être exigée d’un homme, toujours poursuivi par des
concupiscences charnelles. À entendre la virginité comme la préservation
d’une intégrité sexuelle, il est certain que les vierges masculins semblent
peu crédibles au-delà de la puberté où tout mâle se découvre sujet de
pollutions nocturnes même en l’absence d’activité sexuelle. Si a priori
l’idéal de la virginité a la réputation d’être réservé avant tout aux femmes,
il suffit d’ouvrir un quelconque manuel de civilité du milieu du XVIIIe siècle,
écrit naturellement par un homme, pour saisir que la chasteté forme le
fondement de ce qu’on désigne comme les « vertus des femmes 5 ».

Chasteté et virginité : les vertus angéliques

Vu de l’extérieur, le choix de la chasteté peut apparaître comme une


démarche de répression et de refoulement, ce qui implique qu’une
personne continente peut ne pas être chaste du tout ! Ainsi quand George
Sand écrit en 1836 :

« J’ai beaucoup souffert de ma chasteté, je ne vous le cache pas. J’ai


eu des rêves très énervants. Le sang m’a monté à la tête cent fois, et au
grand soleil, au sein des belles montagnes, en entendant les oiseaux
chanter et en respirant les plus suaves parfums des forêts et des vallées,
je me suis souvent assise seule à l’écart avec une âme pleine d’amour et
des genoux tremblant de volupté. »

En réalité, en protestant de sa chasteté, elle signifie simplement à son


amant du moment qu’elle lui reste fidèle même si une absence de six
semaines lui pèse singulièrement :

«  C’est de vous que je rêve quand je m’éveille trempée de sueur,


vous que j’appelle quand la nature sublime chante des hymnes
passionnées, et que l’air des montagnes entre dans mes pores par mille
6
aiguillons de désirs . »

La virginité pourrait être assimilée à « un état, défini par l’intégrité de


7
la chair, c’est-à-dire par l’abstinence de tout acte vénérien consommé   ».
Cette acception purement physique permet de souligner que l’idéal de
virginité choisi n’est réalisable qu’en visant à la plus grande chasteté. Cette
dernière est donc la vertu qui permet de conserver la première. À l’extrême
opposé, il est possible de rencontrer des vierges très peu chastes comme
celles dont abuse le libertin criminel du marquis de Sade. Dans Justine,
Rosalie explique à Thérèse que Rodin, son propre père, âgé de 40 ans, à la
fois chirurgien et maître d’école, tient une pension d’enfants où il n’admet
que des filles et des garçons sans «  défauts corporels  ». Rodin se targue
d’abuser «  des jeunes filles de la même manière que des jeunes garçons
[…]  ». Par ce moyen, «  les filles ne sont point déshonorées, point de
grossesses à craindre, et rien ne les empêche de trouver des époux […] 8 ».
À l’inverse, la perte de la virginité n’empêche pas la chasteté. Ainsi dans la
Cité de Dieu, saint Augustin s’intéresse aux conséquences des viols :

« Certes, un tel attentat n’enlève pas la chasteté, si l’âme la retient


avec la plus grande fermeté, mais il n’en alarme pas moins la pudeur.
Elle redoute en effet qu’un outrage, qui peut-être n’a pu s’accomplir
sans éveiller une volupté charnelle, ne paraisse accompli avec le
consentement de l’esprit. »

Plus loin, il examine le cas de Lucrèce, épouse de Tarquin Collatin, qui,


abusée par Sextus Tarquin, fut poussée au suicide. Il conclut que cette
« Lucrèce innocente, chaste et violentée, se fait malgré tout la meurtrière »
d’elle-même, mais qu’au moins elle sut éviter l’adultère 9.
Aussi subtiles que soient ces distinctions, il faut remarquer que durant
des siècles, depuis les Pères de l’Église jusqu’au XIXe siècle, chasteté et
virginité ont souvent été confondues ou assimilées. La chasteté est parfois
laissée un peu en retrait, désignée, en parlant des jeunes filles, par le terme
de «  modestie  ». La pudeur concerne plus généralement la retenue
naturelle que ressent une personne à se dévoiler physiquement et
moralement. Magnifiée, la virginité, elle, devient la «  belle vertu  », la
« vertu céleste » ou mieux encore « la vertu angélique ». En effet, vivre la
virginité conduit à se situer du côté des anges. Pour les auteurs chrétiens,
dès les premiers siècles, cette option revient à anticiper l’état du corps
après la résurrection, lorsque les pratiques sexuelles auront disparu, même
si la plupart considèrent que le corps ressuscité sera complet et différencié
entre homme et femme. En choisissant «  par vertu ce que l’ange est par
nature » (Alain Corbin), en renonçant à l’usage de ses facultés génitales, la
vierge chaste semble accéder, « moralement du moins, à un état où la chair
10
disparaissait au profit de l’esprit   ». L’une des clés de lecture des textes
anciens est de comprendre cette opposition binaire comme distinguant
précisément le corps de l’âme, ou la chair de l’esprit.
Pour le jésuite Jacques Coret (1631-1721), auteur d’un best-seller
réédité jusqu’à la fin du XIXe siècle, nul doute que les anges préfèrent les
femmes et spécialement les veuves et jeunes filles chastes qu’ils préservent
au demeurant :
« Qu’ils ont arrêté visiblement des maris, ou en les repoussant, ou
en leur donnant des soufflets, ou en faisant naître quelque obstacle
imprévu, et qu’ils ont empêché, par ces admirables faveurs, le crime
11
épouvantable qu’ils avaient projeté en fait d’incontinence . »

La vertu angélique permet de résister à la violence sexuelle jusqu’au


martyre. Quand ce dernier n’est plus d’actualité, c’est l’ascèse qui s’auréole
de la virginité.
Dans le christianisme, la chasteté sert de réponse à la tyrannie du désir.
Le projet consiste à dépasser une forme de sublimation primaire, qui
transforme les passions en tensions (au risque parfois de dérives et de
perversions), et d’atteindre une dimension spirituelle. Dans le cas d’une
vocation religieuse, la chasteté devrait s’orienter de manière exclusive vers
l’amour de Dieu. La retenue face à toute délectation physique volontaire
devient un choix pratiqué en vue de n’appartenir qu’à Dieu. Au Moyen Âge,
le dominicain Thomas d’Aquin a contribué à en faire un précepte,
discriminant pour l’Église catholique, qui fixe la condition de clerc.
Comme, écrit-il, «  l’état religieux demande l’éloignement de tout ce qui
empêche la volonté humaine de se porter tout entière au service de Dieu »
et que «  la pratique de l’union charnelle empêche l’âme de se consacrer
totalement au service de Dieu  », la continence est nécessaire afin
d’échapper à la « violence des délectations 12 ».
Pour une religieuse à l’abri du cloître, le risque de se perdre concerne
moins la virginité que la chasteté. Le lyrisme est d’usage quand on en
parle. Dans la règle qu’il destinait aux visitandines en 1610, François de
Sales précisait :

«  Considérez combien cette vertu est noble, qui tient nos âmes
blanches comme le lys, pures comme le soleil  ; qui rend nos corps
consacrés, et nous donne les moyens d’être tout entièrement à sa divine
majesté, cœur, corps, esprit et sentiment. »
Selon les conseils d’un manuel de piété de 1865, «  tout en vous doit
exhaler un suave parfum de modestie et de pureté », car « un regard, une
pensée, un mot, un geste, peuvent aussi ternir et même flétrir en vous la
plus belle des vertus  ». Les Instructions spirituelles de 1884 destinées aux
sœurs de la Charité rappellent qu’« un coup d’œil suffit pour exciter dans
les sens un incendie d’une passion contraire à la chasteté 13 ».
On verra que ces recommandations peuvent aussi avoir un effet inverse
en suggérant l’existence d’une partie encore insondable d’un moi que l’on
pourrait somme toute commencer à explorer.
Le grec par lequel s’expriment les Pères de l’Église est très ambigu dans
la mesure où le terme parthénia peut désigner autant la chasteté que la
virginité. L’expression n’évoque aucunement un état physique d’intégrité
mais seulement un statut social et relationnel, celui d’une fille nubile pas
encore mariée. Seule la pénétration du sexe masculin (la défloration) peut
mettre fin à ce moment de la vie d’une femme qu’est la nubilité 14. En
attendant, cette vierge peut vivre de manière plus ou moins chaste, la
chasteté impliquant plutôt un détachement intérieur. Si l’on suit cette
définition genrée, la virginité ne concerne certainement pas les hommes ! Il
en va autrement de la continence (enkrateia en grec), qui signifie
l’abstention volontaire (ou imposée) des plaisirs charnels. Moins absolue,
la vertu de tempérance permet de maîtriser tout ce qui relève de la
concupiscence par deux dispositions  : d’une part la sobriété (en rapport
avec le plaisir de l’alimentation et de la boisson) et d’autre part la chasteté
(en lien avec le plaisir sexuel).
Dans l’iconographie religieuse ou dans les récits édifiants, l’éclat
immaculé de la virginité doit refléter la condition angélique. Il en découle
une véritable « esthétique de la virginité » (Peter Brown) dont la blancheur
et le blanc sont les premières composantes. La « culture des apparences »
(Daniel Roche) concerne aussi le corps et sa variante, le corps virginal, de
telle sorte que des normes identificatrices ont été produites par la société
pour construire l’image de la vierge idéalisée dont le corps intact semble
assurer la «  jonction entre ciel et terre  ». Propageant l’identification du
blanc avec une valeur morale, le christianisme a représenté le péché
comme une tache sur la blancheur virginale de l’âme. L’albâtre de la peau
est signe de pureté alors que la face brunie évoque les turpitudes. Pendant
des siècles, la blancheur a été en outre associée à la beauté 15. Rapprocher
ainsi candeur, pudeur, blancheur et codes de la beauté virginale n’a fait que
compliquer les significations. Au-delà de ses enjeux symboliques, la
virginité est-elle un problème physique ou une question théologique ?

La construction d’une virginité physique

« Hymen : membrane qui obstrue partiellement l’orifice vaginal chez la


vierge » ; « Vierge : fille qui n’a jamais eu de relations sexuelles complètes,
et possède encore l’hymen ». Ces deux définitions du Petit Robert mettent
en évidence un fait anatomique. La virginité serait une simple affaire de
cloison incomplète ou de tissu biologique non occlusif. En général
annulaire, ce repli de la muqueuse vaginale peut prendre aussi l’aspect
d’une lunule, ou d’autres formes plus rares. Son élasticité dépend
beaucoup de l’âge de la personne. L’hymen doit être suffisamment ouvert
pour laisser s’écouler le flux menstruel. La taille de l’orifice s’agrandit avec
le temps et peut varier du simple au double suivant les données compilées
par des études physiologiques.
Des rapports consentis font subir des tensions à la membrane avec pour
résultat un degré de rupture difficile à déterminer. Un grand nombre
d’experts médicaux «  admettent que ce que l’on considère comme le
déchirement et le saignement ne peuvent pas être systématiquement
16
attendus après le premier coït   ». Résultant de fines lésions de la paroi
vaginale, la probabilité d’un saignement augmente en cas de pénétration
brutale ou de viol, d’absence d’excitation ou de lubrification, d’infection
vaginale, plus rarement de la perforation de l’hymen lui-même. La
recherche de signes physiologiques se concentre donc plus sur l’attrition
des parties que sur l’hypothétique perforation. D’ailleurs, le déchirement,
s’il est observable, peut aussi provenir de causes autres que des rapports
sexuels, comme l’insertion du doigt ou d’un objet étranger (un tampon
hygiénique par exemple), voire d’activités sportives ou d’une chute brutale.
Parfois aussi, le tissu cellulaire est suffisamment élastique pour permettre
une pénétration sans perforation. Des prostituées peuvent ainsi se prévaloir
d’une virginité intacte ! Si bien que l’hymen n’est jamais un critère fiable de
totale chasteté ! Ni septum (cloison) rigide, ni peau mince sur une béance,
l’hymen est tout au plus le simple résidu embryologique d’une fine
membrane muqueuse ou d’une plicature flexible. Autrement dit, les traces
de sang attendues après la nuit de noces ne sont rien d’autre qu’un mythe.
Prudents et manifestement embarrassés pour le dire, les médecins
préfèrent s’attarder sur les significations psychologiques et culturelles de la
petite membrane.

De l’hymen nulle nouvelle ?

Contrairement à ce que l’on a prétendu (et prétend parfois encore),


l’hymen ne peut pas servir de preuve médico-légale. Sur la base d’une
dizaine d’études comparatives, un article récent conclut à l’impossibilité de
prouver la virginité par un examen médical et attire l’attention de la
communauté internationale sur le peu de fiabilité des prétendus tests de
virginité pratiqués à grande échelle dans certains pays d’Asie et d’Afrique 17.
Après avoir défini 21 traits susceptibles de caractériser l’hymen, une
recherche a pu mettre en parallèle des observations portant sur 200 jeunes
filles n’ayant pas encore eu de rapports sexuels et 192 autres ayant subi un
viol. La conclusion est sans appel : 2,5 % seulement des femmes violentées
présentent une configuration spécifique de la région hyménale qui pourrait
faire la preuve d’une pénétration vaginale. Une autre étude portant sur 213
filles ayant subi des abus sexuels fait état d’observations suspectes dans
9  % des cas seulement. En particulier, le diamètre de l’orifice de l’hymen
n’est pas significativement différent chez des jeunes filles n’ayant pas eu de
rapports complets  ; il ne constitue en aucun cas un indicateur irréfutable
pour le médecin chargé de constater les traces d’un abus sexuel chez une
mineure. Une enquête conclut que les deux tiers des femmes examinées
pour un test de virginité obtiennent un résultat en contradiction avec celui
d’un deuxième test effectué à un autre moment. D’où une conclusion
péremptoire :

« Du point de vue des droits humains, les tests de virginité sont une
forme de discrimination des genres, une violation des droits
fondamentaux de la personne et, quand ils sont pratiqués sans le
consentement de la personne concernée, une forme de violence
sexuelle 18. »

Dans sa grande majorité, la communauté médicale considère


aujourd’hui que la virginité n’est pas une évidence scientifique.
Pourtant, durant longtemps, les avis ont été assez tranchés à propos de
la présence irréfutable ou non de cet indice anatomique. Parmi les livres
populaires les plus célèbres et les plus diffusés, le «  Grand Albert  » tient
une place importante. Dans un paragraphe sur «  les marques de la
virginité  », son auteur demeure perplexe à propos de l’existence d’une
« pellicule qu’on appelle hymen, et qu’on dit fermer l’entrée du vagin ». En
fait, il ne s’agirait que d’une «  duplicature de la membrane qui tapisse
l’intérieur de ce conduit  », et qui s’efface «  par l’exercice réitéré de cette
partie  ». Cependant, poursuit le texte, les «  préjugés courants  »
19
perdurent . Certains ont opté pour une «  nature imaginaire  », un
simulacre, alors que d’aucuns tiennent à ce «  cachet de peau  », à ce
«  fétiche  » promis à l’effraction masculine. Dans la pensée antique, il n’y
20
avait pas de signe physique certain de la virginité . Rapportée par Diogène
Laërce, une rencontre entre Hippocrate et Démocrite permet à ce dernier
de faire preuve de sagacité en reconnaissant au regard une fille qui n’a plus
sa virginité. Bien plus tard, Pierre Bayle classera cette historiette parmi les
«  fraudes pieuses  », telle la prétention de détecter qu’une servante vient
d’être dépucelée à sa voix ou qu’il y aurait un rapport proportionnel entre
les organes de la génération et le gosier : en mesurant la taille du cou des
filles, il serait possible de «  connaître si la virginité s’en était allée ou
non 21 » !
 
Le chirurgien et anatomiste Ambroise Paré (1510-1590) interroge et
confond par leurs contradictions les matrones qui «  disent trouver une
ruption d’une taye  » lors du premier coït. Pour lui, «  on trouve cette
panicule hymen rarement ». Encore empêche-t-elle parfois l’écoulement du
sang menstruel et la « compagnie de l’homme ». Le sang du dépucelage ne
vient pas de la rupture de l’hymen mais des « rugosités du col de la matrice
qui n’ont encore été étendues et déprimées  ». Si la nouvelle mariée n’est
pas trop jeune et si le marié possède une « verge proportionnée au col de
sa matrice », il n’y aura nulle douleur ni flux de sang au moment où la fille
22
est dépucelée .
Le traité de Nicolas Venette (1633-1698), connu sous le nom générique
de  Tableau de l’amour conjugal, a été largement diffusé avec 36 éditions
depuis sa première parution en 1686. Il a été traduit notamment en
anglais, en espagnol et en allemand. Dans sa description des organes
féminins, Venette remarque la présence de caroncules myrtiformes parfois
liées par des membranes. Leur séparation lors de la nuit de noces peut
donner du sang, ce qui était autrefois pour les juifs un «  signe de la
défloration  ». Ce sont ces caroncules que les Anciens ont nommées
«  hymen  ». Il ajoute aussi qu’il arrive «  fort rarement  » que s’ajoute une
membrane trouée (pour laisser passer le sang des règles mais aussi la
23
semence de l’homme) qu’on appelle également « hymen » .
Au début de la seconde partie de son traité qui compte plus de 600
pages, Venette compose un «  éloge de la virginité  ». Il distingue deux
conceptions de cette estimable qualité. Pour les théologiens, elle est « vertu
de l’âme » : « On a beau baiser amoureusement une fille, elle ne perd pas
pour cela sa Virginité, à moins qu’elle n’y consente. » En revanche pour les
médecins, «  la virginité est un lien & un assemblage naturel des parties
d’une fille, qui n’a pas été corrompue par l’approche d’un homme 24 ».
Venette s’attache à cette définition « physique » et précise à l’intention
des matrones combien les signes supposés de la virginité sont toujours
« équivoques et incertains ». La prudence s’impose donc en cette matière,
car certaines filles, qui «  n’ont point naturellement d’hymen, ni de
membranes qui lient les caroncules de leurs parties », n’en sont pas moins
chastes. En l’absence de «  marques assurées  », Venette se moque des
matrones jurées et de leurs rapports certifiant qu’il y a eu pénétration. Non
sans ironie, il détaille la complexité de leurs observations qui ne s’en
tiennent pas à la seule recherche d’un hypothétique hymen. Une déposition
de 1672  rend compte d’une entreprise qui a «  tout visité au doigt & à
l’œil », c’est le cas de le préciser. Les préposées ont examiné les « balunaus
pendants  » (les lèvres), les «  baboles abattues  » (les nymphes), les
«  halerons démis  » (caroncules), l’«  entrechenat retourné  » (membranes
des caroncules), le «  barbidau écorché  » (clitoris), le «  guillenard élargi  »
(vagin) et la «  dame du milieu retirée  » (l’hymen proprement dit qui
n’existe donc plus  !). Et de conclure  : «  Les signes dont elles se servent
pour prouver le violement d’une fille sont la plupart très faux ou très
légers.  » Venette se borne à constater «  l’ouverture étroite  » des parties
naturelles et conseille de ne pas se mettre en peine des quelques gouttes de
sang éventuelles du premier coït. Au pire, concède-t-il afin d’assurer la paix
des familles, une future épousée pourrait s’introduire dans « le conduit de
la pudeur  » quelques boulettes de sang d’agneau séché afin de «  paraître
25
sage   ». Les femmes y gagnent en réputation et les hommes conservent
l’illusion d’une quelconque supériorité virile, le tout afin de conforter la
stabilité de l’institution du mariage.

L’invention de l’hymen par la médecine

Des Pères de l’Église à Buffon, la majorité des auteurs qui écrivent sur
la virginité sont d’avis que les signes anatomiques, pour autant qu’ils
existent, ne suffisent pas. Apologiste de la continence, Ambroise de Milan
(340-397) a mis en cause la crédibilité de l’examen manuel d’une vierge
par des matrones et les propos d’Augustin d’Hippone (354-430) ne doivent
pas nous leurrer :

«  Soit malveillance, soit inexpérience, soit accident, une sage-


femme, sous prétexte de vérifier avec sa main la virginité d’une jeune
fille, la lui enleva, en l’examinant. Or personne, j’imagine, ne sera assez
fou pour croire que cette jeune fille a perdu quelque chose de la
sainteté de son corps du fait qu’un de ses membres a perdu désormais
son intégrité 26. »

En réalité, c’est l’attouchement mentionné qui le préoccupe. En effet, il


pourrait avoir éveillé une sensibilité charnelle jusqu’alors préservée. Perdre
ou conserver son intégrité reste de l’ordre de la vertu spirituelle. Nulle
trace dans ce texte d’un détail anatomique qui baliserait une quelconque
clôture physique !
Il convient de préciser que le discours de l’Église catholique est resté
largement en deçà du discours médical lorsqu’il s’en tient à une conception
de la virginité comme vertu, la perte de l’intégrité physique par le
commerce charnel étant seulement un signe de souillure morale. La source,
du moins depuis le XVIIIe siècle, est toujours l’interprétation thomiste
donnée par Charles-René Billuart (1685-1757). Repris, souvent de manière
tronquée et déformée, par les moralistes, ce théologien distingue un point
de vue naturaliste (l’intégrité de la chair) et un autre moral (l’abstinence
volontaire de toute délectation charnelle). Aussi une jeune fille peut-elle
mener une «  vie voluptueuse  » tout en conservant «  intact le sceau de la
virginité ». Et Billuart de définir alors la position ecclésiale sur l’hymen :

«  Certains auteurs entendent par le sceau de la virginité cette


membrane ou pellicule nommée hymen que le coït abolit en la
déchirant ; mais d’autres, et surtout les plus récents, prétendent que ce
n’est pas autre chose que la contraction ou le repliement de l’orifice du
vagin que le contact de l’homme dilate  ; et ainsi le vase est ouvert.
Cette dernière opinion semble la plus vraie, car d’après les médecins et
les anatomistes modernes, la pellicule en question n’existe pas chez
toutes les vierges, notamment chez les très jeunes filles 27. »

Autrement dit, la théologie morale ne s’intéresse pas vraiment à


l’hymen comme tel. La virginité reste avant tout une qualité morale qui
implique une totale chasteté. Force est de constater que l’Église va
abandonner complètement aux médecins le soin d’exploiter leur obsession
de l’hymen.
 
Pourtant, au milieu du XVIIIe siècle, le comte de Buffon (1707-1788) a
semblé tirer un trait définitif sur ce vaste débat en écrivant :

« Les hommes, jaloux des primautés en tout genre, ont toujours fait
grand cas de tout ce qu’ils ont cru pouvoir posséder exclusivement et
les premiers  ; c’est cette espèce de folie qui a fait un être réel de la
virginité des filles. »

Et de continuer par une définition de la virginité perçue comme «  un


être moral, une vertu qui ne consiste que dans la pureté du cœur  ». Il
désespère de pouvoir détruire « les préjugés ridicules » qui ont transformé
la virginité en « un objet physique dont tous les hommes se sont occupés »,
car, dit-il, «  les choses qui font plaisir à croire, seront toujours crues 28  ».
Pour sa part, passant en revue les opinions contradictoires des anatomistes
qui soutiennent ou non l’existence d’un cercle membraneux qui borde le
vagin ou d’une membrane charnue unissant les caroncules myrtiformes, le
chevalier de Jaucourt conclut dans l’Encyclopédie (1765) :
« Cette contrariété d’opinions de maîtres de l’art dans un fait qui ne
paroît dépendre que de l’inspection, répand la plus grande incertitude
sur l’existence ordinaire de la membrane de l’hymen, & nous permet au
moins de regarder les signes de virginité qu’on tire de cette membrane,
non seulement comme incertains, mais comme imaginaires &
frivoles 29. »

Ce fragment suggère aussi qu’insidieusement la membrane, jugée


virtuelle ou en tout cas discutée et incertaine, a pris de la consistance au
point de se substituer à la réalité anatomique et de s’imposer comme un
objet inévitable. Ce qui n’était qu’un fantasme dissipé par l’observation
scientifique retrouve sa pleine force dès le XIXe siècle. La virginité physique
est donc une invention du tournant de ce siècle.
C’est ainsi qu’en 1817, le Nouveau Dictionnaire d’histoire naturelle
affirme à l’article «  Hymen  » rédigé par le naturaliste Julien-Joseph Virey
(1775-1846) :

« Membrane placée vers l’ouverture du méat urinaire de la femme


encore vierge. Elle a la figure d’un croissant dont les cornes sont
tournées du côté du pubis. Le milieu forme une ouverture ronde et
étroite, pour la sortie des règles. »

Et un deuxième paragraphe précise :

«  Plusieurs anatomistes ont nié l’existence de cette membrane  ;


mais il est reconnu maintenant qu’elle se rencontre réellement chez
toutes les filles vierges. Lorsque la femme perd sa virginité, cette
membrane se déchire ordinairement et répand quelques gouttes de
sang 30. »
Les caroncules myrtiformes ou excroissances du vagin en sont les
vestiges. Dans une thèse soutenue en 1827 devant la faculté de médecine,
Célestin Gaullier s’étonne que «  l’existence d’un objet qui tombe sous les
sens  » puisse avoir été révoquée en doute. Pour lui, sa présence est «  la
preuve de la virginité », même si des rapports sans rupture de la membrane
et d’autres où la membrane manque, alors que la fille est vierge, ne sont
pas à exclure. Il propose de conserver l’expression de « caroncules » pour
désigner les débris de l’hymen tout en considérant comme une erreur « de
31
s’en rapporter à lui pour établir l’état de chasteté d’une jeune fille  ». Dans
son adaptation d’un ouvrage espagnol paru en 1853 et devenu ensuite un
best-seller, Pierre Garnier (1819-1901), convaincu des incertitudes du
signe physique, prétend que le visage est « le miroir de l’âme de la jeune
fille nubile et pure ». Il y observe « un certain vernis virginal du teint, une
candeur, un je ne sais quoi, aussi difficile à expliquer que facile à
distinguer  », autant de signes permettant d’«  apprécier la pureté et la
continence 32 ».
L’observation scientifique de l’hymen continue à occuper des dizaines
e 33
de chercheurs et de publications au XIX siècle . Pellicule, voile, membrane,
saillie du vagin, repli ou prolongement de la muqueuse, simple
duplicature, le vocabulaire hésite. Même ramené à un «  repli
membraneux  » (Dictionnaire Littré, 1863-1877) ou à un résidu
embryonnaire, l’hymen est devenu une réalité anatomique incontestable.
Comme l’écrit avec pertinence Giulia Sissa :

«  Ni la mariologie, ni la psychanalyse, ni la médecine légale, ni la


littérature érotique ne sauraient renoncer à la croyance en cette
matérialisation de l’intégrité féminine qui permet d’imaginer le premier
coït d’une femme comme une blessure positivement reconnaissable 34. »

Alors que les typologies histologiques restent prudentes, il a acquis à


force d’en parler le statut de véritable organe spécifique suivant un
processus d’invention détaillé dans l’étude récente de Pauline Mortas. Cette
auteure résume le problème par une belle formule :

«  Les parties du corps et les organes nommés par le discours


médical acquièrent, parce qu’ils sont désignés par lui, un statut et une
indépendance qui n’existent pas a priori, qui sont créés parce qu’ils sont
dits 35. »

Des comptages, des mesures, des dessins, la multiplication d’échanges


scientifiques à travers les grands réseaux internationaux répliquent à l’envi
que l’hymen existe chez toutes les filles alors que l’ironie cloue les
objections de ceux qui n’y croient pas 36. Les médecins ont donc réussi à lui
donner une existence anatomique, conviction qui persiste jusqu’à nos
37
jours .
Pauline Mortas relève aussi ce qu’elle appelle un «  paradoxe de
l’écriture médicale  ». D’un côté les médecins ont promu la réalité de
l’hymen comme signe de la virginité, mais de l’autre, confrontés à la
demande sociale qui leur confie le rôle de distinguer entre la femme vierge
et la femme déflorée, ils se retranchent tous derrière le caractère
38
hypothétique de la preuve . C’est pourquoi ils laissent libre cours à la
conviction populaire selon laquelle la défloration par déchirure sanglante
est l’indice de la consommation du mariage, tout en insistant sur le
«  caractère hasardeux  », la «  preuve équivoque  », le signe «  illusoire  ».
Comme ce sont exclusivement des auteurs masculins qui s’expriment, il se
peut bien, comme l’écrit encore Mortas, que «  cet enchevêtrement
d’apparences trompeuses  » puisse refléter «  une inquiétude masculine
[…] devant l’impossibilité avérée de lire dans le corps féminin son histoire
sexuelle, et donc de contrôler la sexualité féminine 39 ».
N’est-ce pas là une autre manière de lire le «  tabou de la virginité  »
évoqué par Freud  ? Dans certaines cultures dites «  primitives  », la
défloration confine à l’interdit religieux, au point que l’accomplissement de
cet acte doit être évité au futur époux. La suppression de l’hymen
s’accomplit pour cette raison en dehors du mariage. C’est que la femme
apparaît comme une source de danger, à la limite une menace castratrice.
Or, explique Freud, dans la société bourgeoise, ce péril est surmonté dans
la mesure où il est compensé par la sujétion de l’épouse que le mariage
instaure. Pour cette raison, explique le psychanalyste, la virginité passe du
statut de tabou à celui d’idéal, à savoir le «  droit de possession exclusive
d’une femme  », monopole que forme l’essence même de la monogamie
occidentale 40. C’est pourquoi, l’obligation de la virgo intacta est dûment
codifiée. En ce sens, la virginité est un artefact culturel, une doctrine ou
simplement une qualité qui détermine la valeur d’une fille sur le marché du
mariage 41. Dans le droit civil allemand figurait, jusqu’en 1998, un article
précisant qu’une épouse vierge au mariage a droit à des dommages de
défloration si son époux la quitte sans raisons, parce qu’elle a perdu de la
valeur sur le marché matrimonial 42  ! On comprend mieux la révolte de
Fanny, personnage d’un drame de Frank Wedekind joué en 1904, qui
déclare à un prétendant fâché de savoir qu’elle n’est plus vierge :

«  Donc, à cause de cela, ne suis-je maintenant plus rien  ? C’était


donc la chose principale chez moi  ? Peut-on imaginer un affront plus
ignominieux pour une créature humaine ? – une prime qui est la seule
43
raison d’être aimée ?! – Comme si on était une pièce de bétail  ? »

Le fétichisme de la virginité est profondément et durablement ancré


dans la culture masculine.
Par ailleurs, le regard porté par la société sur la violence sexuelle et le
e
viol explique l’importance accordée par le XIX   siècle à la preuve de la
virginité. Depuis le Code pénal de 1791, le viol n’est pas seulement un acte
de luxure masculine qui fait perdre à la victime tout crédit matrimonial et
entache l’honneur familial. La femme est désormais considérée comme
victime de l’acte violent dont l’auteur doit être puni parce qu’il constitue
une menace sociale. « Ce basculement de l’univers de l’impudeur à celui de
la violence ne sera plus remis en cause  », écrit Alain Corbin 44. Mais
l’hymen demeure au centre de la procédure, puisque l’outrage du viol est
précisément la perte de la virginité et que les médecins légistes en
recherchent les traces. À défaut de déchirure, et pour rester conséquents
avec ce que l’anatomie leur enseigne, ils perquisitionnent le corps féminin
pour détecter des meurtrissures de la vulve. Au demeurant, les tribunaux
estiment souvent que seule une vierge peut être violée. Une femme qui a
déjà connu le mâle est censée savoir se défendre et résister. Sinon, on la
soupçonne de provocation et de consentement. Les « mauvais instincts », la
«  malice  », dire qu’une fille est «  précoce  » ou «  avancée  », autant de
manières de laisser entendre qu’elle a quelques notions sur la sexualité, et
donc de facteurs aggravants 45.
Le vécu populaire attache de l’importance au fantasme lui-même. Il
e
existe indéniablement un érotisme de la virginité. À la fin du XIX  siècle, la
presse a fait grand cas du trafic de fresh girls recherchées par les clients des
maisons spécialisées qui exigeaient des certificats prouvant qu’il ne
s’agissait pas de « marchandise avariée 46 ». Des rumeurs laissent entendre
que la copulation avec une vierge peut guérir des maladies vénériennes ou
que le criminel porteur d’un objet fétiche – un bas ou un soulier dérobés à
une vierge – demeurera impuni. N’est-il pas significatif cependant que le
prolixe Dictionnaire érotique d’Alfred Delvau (1825-1867), un lexicographe
proche des milieux faubouriens, ne comporte aucune entrée « hymen 47 » ?
Publié une première fois en 1864 puis réédité jusqu’à nos jours, l’ouvrage
contient un article «  Déflorer  »  : l’opération consiste à «  enlever  » le
pucelage, « une rose diablement épineuse ». Ce terme est associé à « avoir
son pucelage  », qui est, selon Delvau, une manière hyperbolique de
s’exprimer pour « n’avoir pas fait œuvre de chair depuis plus ou moins de
temps ». Au mot « vierge », on lit :

«  Fille qui n’est pas encore devenue femme, c’est-à-dire dont le


vagin n’a pas encore été habité par un membre viril. »
La pornographie suggère au moins la nécessité d’un déplacement de la
problématique  : ne pas en rester à l’histoire des idées ou aux fantasmes
complaisants mais saisir le vécu des pratiques.

Les pathologies virginales

Assurément, les conséquences du discours sur la perception de la


femme vierge modèlent les attentes que la société projette sur elle.
La simplicité, la pudeur et l’ingénuité figurent parmi les vertus que doit
incarner une femme. Tout ce qui va à l’encontre de leur expression devrait
susciter une émotion intense qui va jusqu’à la syncope. C’est le sens de la
pâmoison, cette défaillance connue de la médecine hippocratique et
présente dans la Bible, notamment pour figurer la douleur ressentie par la
e
Vierge Marie à la vue de son fils sur la croix. Toutefois, au XVIII   siècle,
l’évanouissement soudain devient systématiquement un phénomène
démonstratif attestant de l’innocence de la femme ignorante des choses de
l’amour. Cet état d’abandon s’accompagne de sensations de bien-être, à
moins qu’il ne survienne au seuil du basculement dans la jouissance dont il
épargne la pleine conscience. Dans la littérature préromantique, de
nombreuses femmes incarnent cette attente masculine : Pamela et Clarissa
chez Samuel Richardson, Julie qui sombre après son premier baiser dans
La Nouvelle Héloïse de Rousseau, Mlle de Sternheim scrutée par Sophie von
La Roche, ou La Marquise d’O… de Heinrich von Kleist en sont des
stéréotypes. Les hommes peuvent certainement aussi s’évanouir mais dans
des circonstances où intervient une émotion forte comme la perception
d’une menace. En l’occurrence, un débauché ou une libertine ne sauraient
être éprouvés à ce point par l’étreinte charnelle.
Dans l’Encyclopédie, la pâmoison est encore définie de manière neutre
comme «  sorte de lipothymie ou de défaillance, dans laquelle le malade
perd la force, le sentiment & la connaissance  ». L’article ajoute que cette
pathologie est «  ordinaire dans les malades, qui sont sujets à l’affection
hypocondriaque & hystérique 48 ». Mais c’est la littérature qui procède à la
codification de ce symptôme en l’associant systématiquement à la femme et
à son ignorance supposée des choses du sexe 49.
D’une manière générale, la défaillance féminine est l’occasion pour le
mâle de montrer sa supériorité. C’est lui qui raisonne, alors que la femme
cultive son innocence 50. En même temps, le comportement peut être feint
51
par une courtisane . D’où la méfiance d’un personnage du drame de
Schiller, Cabale et amour (1784), qui met en cause la valeur d’ordalie de la
pâmoison. Cette épreuve du feu ou ce quasi-jugement de Dieu, destinés à
52
prouver l’innocence d’une femme, peuvent être détournés ou simulés . Il
n’en reste pas moins que le topos de la syncope contribue à construire une
vision du corps féminin, plus encore une certaine conception bourgeoise de
la féminité où l’affirmation du désir demeure une énigme, de l’ordre de
l’inavouable ou de l’inconscient. Au lieu de se laisser déborder par une
situation sexuelle souhaitée ou au contraire redoutée, il en va de la
convenance sociale d’affecter une pâmoison ou « d’avoir des vapeurs ». Ce
symptôme stéréotypé de suffocation persiste dans la littérature médicale et
les écrits de vulgarisation 53.
Le discours médical du XIXe siècle à propos de l’hystérie découle de ces
présupposés sur l’excès de sensibilité. Le corps féminin, dont on présume
qu’il est particulièrement exposé aux émotions, a été interprété selon la
conception hippocratique et galiénique qui voyait dans l’évanouissement
une manifestation de la «  suffocation de matrice  », diagnostic ensuite
abandonné auquel on substitue simplement l’hystérie. C’est entre 1680 et
1750 que la médecine opte pour des affections mentales dérivées de
l’hystérie 54. De la pathologie gynécologique on passe au champ immense
de la psychiatrie. Ainsi confronté à l’énigme d’une jeune paysanne vierge,
née en 1704 dans le diocèse de Brescia et prétendument sainte, le
bénédictin mandaté est convaincu que les visions sont obsessionnelles et
que la fille se laisse guider par son imagination. Autre exemple à Crémone
e
où une jeune vierge vit d’étranges phénomènes au milieu du XVIII  siècle, en
vomissant des pierres, des aiguilles et des morceaux de fer 55. Des années
durant, médecins et théologiens débattent du prodige. Finalement, la
médecine l’emporte par une explication rationnelle évoquant la maladie
mentale, ce que les catégories du temps appellent l’hystérie. La vierge de
Crémone, très affectée par son mariage manqué – son fiancé étant décédé
brusquement  –, souffrirait d’un désir sexuel insatisfait, déviant ou
réprimé 56. Cette affaire marque sans doute un tournant dans le traitement
des manifestations surnaturelles.
De son côté, la morale laïque issue des Lumières reprend les normes
élaborées depuis des siècles par la théologie morale. C’est la sexualité
reproductive qui ordonne les comportements. La virginité de la jeune fille
pubère doit être protégée ; au pire, le discours masculin s’accommoderait
du saphisme qui au moins conserve l’intégrité physique. Le jeune homme
célibataire, lui, doit se contenir dans les limites qui ne nuisent pas à sa
santé. Si l’homosexualité est perçue comme une dérive, il semble en
revanche logique qu’un homme ait des maîtresses. Dans son manuel pour
les époux, Pierre Garnier (1819-1901) a cette magnifique formule :

«  L’homme voudrait toujours être le premier amour de sa femme,


tandis que la femme se contenterait d’être le dernier amour de son
mari 57. »

Quant aux jeunes mariés, ils peuvent s’ébattre tant que le désir de
procréation habite leur plaisir 58. Ce qui est traqué par les médecins, ce
n’est plus le péché associé à la sensualité et la concupiscence qui conduit à
la damnation, mais le comportement exposé à une sanction plus immédiate
sous la forme de diverses pathologies. Elles guettent autant l’abus des
plaisirs que leur trop grande raréfaction 59. Au risque de la masturbation
devenue une obsession depuis l’époque de Samuel Tissot, le médecin des
Lumières, se sont ajoutées une série d’affections qui menacent notamment
la jeune femme.
Dès le XVIe siècle, les médecins ont décrit la « maladie des vierges » ou
morbus virgineus 60. L’appellation moderne de « chlorose », dérivée du grec
signifiant jaune pâle, verdâtre ou blafard, remonte au début du XVIIe siècle.
e
La médecine du XIX  siècle reprend ces idées en leur ajoutant une critique
énergique contre la virginité dont le prolongement paraît néfaste. La
continence, lit-on dans une thèse universitaire de 1817, est « un effort par
lequel on résiste au penchant qui nous porte aux plaisirs de l’amour ». Le
docteur François-Charles Quesnel y livre les résultats de sa recherche en se
défendant d’«  attaquer les institutions sublimes du christianisme  ». Si les
sociétés ont respecté la virginité, poursuit cet auteur, c’est d’abord parce
qu’il « résulterait de très graves inconvénients » d’une situation où les êtres
humains se livreraient aux plaisirs de l’amour suivant la nature. Réprimer
le désir de copuler est profitable au développement des organes afin
d’engendrer des enfants « forts et vigoureux ». Or la nature « a joint à l’acte
qui nous reproduit le plaisir le plus vif », ce qui constitue son attrait :

« Malgré cette sage prévoyance, on a vu, et l’on voit encore tous les
jours des hommes […] lutter contre les désirs qu’elle fait naître, et
même, par une philosophie ténébreuse, proclamer le célibat comme
l’état le plus parfait de la créature 61. »

Froissée par cet outrage, car les célibataires sont nuisibles à la société,
la nature les accable de maladies. Prisonnier de l’imaginaire masculin,
Quesnel estime que la femme, plus voluptueuse que l’homme, éprouve
aussi plus fréquemment les pathologies liées à l’abstinence sexuelle. Parmi
les effets de la continence prolongée, il mentionne la chlorose, mais aussi
la nymphomanie ou fureur utérine ainsi que l’érotomanie ou délire
érotique. Des cas de grossesses fictives peuvent même se produire. Chez les
hommes, il signale des cas de satyriasis avec érection constante de la verge.
En deux nuits, un patient aurait ainsi chevauché 87 fois la femme qui
tentait de le calmer par une potion composée d’orties, de cantharides et de
ciboule.
Mais l’affection par excellence liée à la continence prolongée se
rattache à l’hystérie. Le mariage en est selon Quesnel le remède infaillible,
complété au besoin par une friction de la vulve avec de l’« huile de lis, de
musc et de safran  ». Une jeune fille bien née s’est soignée en faisant
pendant quelques mois le métier de courtisane avant de se marier et d’être
parfaitement guérie. Cependant, la «  répression des désirs vénériens  »
affecte aussi les garçons qui souffrent de la « rétention de semence ». À un
jeune homme de 16 ans «  obsédé de désirs  », il fallut prescrire des
saignées, de l’eau de fontaine et des poudres de nitre :

«  On peut dire, écrit-il, que l’hystérie qui reconnaît pour cause la


répression des plaisirs de l’amour sera souvent combattue
avantageusement par le coït. »

Aux personnes qui ont fait vœu de «  la plus sévère continence  », des
remèdes pharmaceutiques sont indiqués, une diète, des frictions, des
toniques et des fortifiants ainsi que de l’exercice et un travail pénible. En
plus, il convient de faire en sorte qu’elles évitent «  tout ce qui pourrait
réveiller en elles le désir qu’elles ne peuvent satisfaire », ou leur « procurer
une espèce de pollution, au défaut d’un mari  », en procédant à «  un
attouchement qui ne serait nullement déterminé par le libertinage 62 ». La
médecine remet donc en cause la théorie antique sur l’épuisement et la
débilité que produirait «  l’évacuation du fluide séminal assimilé aux
humeurs nutritives  » pour s’attaquer de front au célibat religieux «  gardé
contre le vœu de la nature  ». C’est ainsi que, dans les établissements
conventuels, les hommes de l’art constatent une fréquence accrue
d’affections tels les « engorgements scrofuleux du système lymphatique ».
Cette maladie peut dégénérer en phtisie pulmonaire. Les personnes trop
chastes souffrent de crachements de sang, de palpitations cardiaques, font
des cauchemars et multiplient les pollutions débilitantes, sans parler de
l’inflammation de leurs parties sexuelles. Ils diagnostiquent chez les
hommes la gonorrhée, le priapisme, le satyriasis, l’atrophie des testicules et
la spermatocèle. Chez les religieuses se multiplient les cas de langueur,
leucorrhée, chlorose, hystérie et fureur utérine. Les cancers utérins et du
sein menacent aussi «  les vierges dévouées au culte du Seigneur  ». Et les
statistiques confirment : sur 324 aliénées admises en 1818 à la Salpêtrière,
une centaine seulement sont mariées  ! Autant d’arguments qui vont à
l’encontre du célibat, «  dans lequel on se trouve enchaîné par des
circonstances indépendantes de la volonté, par des vœux indiscrets, par des
idées abstraites d’une perfection qui n’est pas faite pour l’homme  ». Pour
échapper à la mélancolie et éviter de renouveler quotidiennement le
«  combat pénible des sens avec la raison  », qui conduit à «  la ruine du
corps  », l’auteur conseille «  l’usage modéré des plaisirs de l’amour  »,
63
autrement dit le mariage . Déjà Hippocrate concluait les quelques pages
qu’il nous reste de son traité sur les Maladies des jeunes filles en
recommandant de marier les filles qui souffrent d’hystérie 64.
Un moine de la Grande-Trappe, Pierre Jean-Corneille Debreyne (1786-
1867), lui-même ancien professeur de médecine à la faculté de Paris, s’est
illustré par de nombreux ouvrages de morale mâtinés de physiologie et
d’hygiène destinés au clergé. Il a acquis une notoriété certaine dans les
milieux catholiques, porté par la légitimité de sa formation scientifique.
Son Essai sur la théologie morale, publié en 1842, accorde une place
importante à l’«  embryologie sacrée  » qui traite d’avortement, de
tératologie et de situations critiques au moment de l’accouchement. La
deuxième partie de l’ouvrage, centrée sur l’onanisme et les pollutions,
s’efforce de contrecarrer les critiques relatives à la chasteté monastique et
au choix de la virginité. Pour lui, ce qu’il appelle « l’exubérance séminale »,
à savoir les pollutions nocturnes, est moins fréquente chez «  les hommes
toujours tempérants, sobres, chastes, maîtrisant parfaitement leurs
passions ». Elle se manifeste plus fréquemment chez ceux qui s’adonnent à
l’intempérance et à l’excès de nourriture. Debreyne se réfère aux travaux
du docteur François Lallemand (1790-1853), spécialiste des maladies du
cerveau, qui font autorité 65. Il en tire des conseils utiles aux clercs : ne pas
se coucher sur le dos, dormir sur un matelas de crin, éviter les aliments
échauffants et l’alcool, boire glacé, multiplier les bains froids et appliquer
localement de la glace pilée 66.
En définissant la virginité comme «  l’abstinence des fonctions
génératrices  » et «  la continence absolue  », Debreyne admet qu’il s’agit
d’une «  condition presque angélique  ». Mais il récuse l’argument selon
lequel cet état serait «  contre la nature humaine  ». Selon lui, hors des
«  courts moments  » de la reproduction, «  les animaux sont chastes par
instinct  ». Si l’union des sexes avait le seul plaisir pour fin, ce serait
contrarier « les vues de la nature ». La quête effrénée du plaisir favorise au
67
contraire les «  mœurs infâmes   ». Cette «  disposition érotique  » conduit
« aux plus grands désordres », soit à la masturbation et à la nymphomanie.
Trop répandu parmi la «  classe opulente  », l’onanisme explique la
fréquence des «  vapeurs  », les symptômes de suffocation, ce que l’on
nomme « hystérie ». Et la conclusion s’impose d’évidence :

« Cette maladie nerveuse, comme tout le monde sait, ne se guérit le


68
plus souvent radicalement que par le mariage . »

Les conseils de Debreyne reflètent à coup sûr les inquiétudes


masculines face à la sexualité féminine.
2

De lourds héritages

Même si le cadre chronologique de cette étude concerne


essentiellement les temps modernes et contemporains, on ne peut pas faire
l’économie d’un rappel précis des éléments successifs qui fondent
l’approche chrétienne de la sexualité à partir du IIe siècle mais plus encore
au cours de l’Antiquité tardive (IVe et Ve  siècles). En effet, la succession des
écrits de ceux que l’on désignera comme les Pères de l’Église constituera la
référence essentielle des moralistes de notre période. Mais leurs exégèses
plus ou moins sophistiquées vont peu à peu occulter une part de la
révolution éthique qu’a instaurée le christianisme primitif au regard de la
morale conjugale antique ou de l’assujettissement des femmes pour mettre
l’accent sur la nature toujours peccamineuse de la sexualité. Le
développement des mouvements cénobitiques, les témoignages de ces
moines, même torturés par les aiguillons de la chair, vont favoriser, et pour
longtemps, la voie de l’ascétisme et la lourde suspicion à l’égard du corps,
ce territoire du plaisir honni, dans la nécessaire recherche du salut.

Les traditions bibliques et antiques

Les Actes de Paul, écrit apocryphe, relatent l’histoire de Thècle à


Iconium 1. De la fenêtre voisine du lieu où l’apôtre enseigne, la jeune vierge
écoute longuement sans être vue. «  Immobilisée par ses paroles comme
une araignée à la fenêtre  », comme dit sa mère, elle est séduite par des
propos sur le Dieu unique et la nécessité de se garder chaste :

« Heureux les continents, proclame-t-il, parce que Dieu parlera avec


eux […]. Heureux les corps des vierges parce qu’ils seront agréables à
Dieu. »

Thècle, qui voit «  beaucoup de femmes entrer auprès de Paul  »,


succombe elle aussi au charisme du prédicateur. De nombreux habitants
d’Iconium sont mécontents de ce « séducteur » qui « trompe les âmes des
jeunes gens et des vierges, afin qu’ils ne se marient pas ». D’abord, rapporte
le récit, « surprise de voir la pudeur si grande de la vierge troublée d’une
manière aussi pénible  », et bientôt furieuse, la mère de Thècle attise la
jalousie d’un fiancé délaissé. Celui-ci va traduire l’apôtre Paul devant le
gouverneur en l’accusant d’empêcher « les vierges de se marier ». Dans la
suite de l’histoire, c’est à cause de cette idée dangereuse pour la cité que
Paul est jeté en prison où Thècle s’empresse de le rejoindre en attendant
que les siens la retrouvent « prisonnière avec lui dans l’amour ». Cette fable
édifiante a connu une diffusion rapide en dehors de l’Asie Mineure et
constitue le socle sur lequel s’articule la valorisation chrétienne de la
virginité.
Durant les premiers siècles du christianisme, le thème de l’immoralité
et des mœurs corrompues rejoint le discours sur l’austérité sexuelle.
Cependant, l’insistance chrétienne sur le renoncement total au sexe ne
peut se réduire à une réaction à la débauche des classes cultivées de
2
l’Empire . Au contraire, le christianisme étonne par son entière nouveauté
en déplaçant les enjeux de la maîtrise des sens pour les recentrer sur une
dimension communautaire, une connaissance située à un autre niveau que
la simple connaissance de soi, une valeur spirituelle au-delà de l’intégrité
corporelle.
Au fil de l’Histoire de la sexualité qu’il a laissée inachevée à sa mort en
1984, Michel Foucault a insisté, souvent de manière elliptique, sur les
changements apportés par le christianisme au travail éthique du sujet sur
lui-même, le plaisir sexuel étant d’une telle vivacité qu’il porte
virtuellement à l’excès. Face à ce constat, la spiritualité chrétienne se
distingue de la philosophie antique par sa focalisation sur le licite et
l’illicite. Ainsi les Grecs ne dissocient pas le désir du plaisir et de l’acte
sexuel alors que la pastorale chrétienne n’a de cesse de les dévaloriser.
Dans la Bible, le sexe sert d’ailleurs de métaphore à la chute originelle et à
la stigmatisation de la nature humaine. Pour les Grecs au contraire, ce n’est
jamais un mal qu’il faut éviter, mais un simple risque d’intempérance à
gérer : il s’agit d’ajuster son comportement tout comme on le fait face à la
nourriture et au vin 3. Insistant sur la nécessité de contrôler les désirs, la
tradition stoïcienne considère par exemple que le trop-plein d’amour est
néfaste  : selon un fragment attribué au philosophe Sénèque (mort en 65
apr. J.-C.), «  un homme sage devrait aimer sa femme avec discernement,
4
non avec tendresse  ». La copulation pour le plaisir est réservée aux ébats
avec une maîtresse, mais l’union avec son épouse se justifie par l’objectif de
la procréation. Il n’y a là nulle préoccupation de ce qu’en pensent les
épouses grecques ou romaines, pour lesquelles ce devoir conjugal sans
plaisir s’apparente plus à une frigidité programmée qu’à l’expression de
pulsions impérieuses.
Pour arriver à une pratique morale des plaisirs, l’Antiquité grecque vise
à la domination de soi, à la maîtrise et à la docilité alors que la spiritualité
chrétienne promeut le renoncement et la purification et substitue une
5
éthique de la pureté à la soumission libre de ses propres désirs . Dans
l’Antiquité, c’est le sujet masculin tempérant qui incarne la vertu sexuelle,
un idéal de virilité. Dans la société chrétienne, ce sera la femme ou la jeune
fille qui sauvegarde sa virginité. Voilà un déplacement de paradigme
notoire quand on passe d’une esthétique de l’existence à une
herméneutique du désir :
« Ce n’est donc pas tellement la domination parfaite de soi par soi
dans l’exercice d’une activité de type viril qui caractérisera le sujet
moral, mais plutôt le renoncement à soi, et une pureté dont le modèle
est à chercher du côté de la virginité 6. »

Récemment édité, le quatrième volume de l’ensemble prévu par


Foucault reprend de manière exhaustive la littérature patristique qui
prolonge l’analyse des textes prescriptifs composés dans l’Antiquité pour les
transformer en une « pratique singulière », celle d’un « art de la virginité »
et celle d’un « usage du mariage 7 ». Le philosophe y démontre que le choix
de la virginité est « bien autre chose et bien plus que la disqualification ou
la prohibition pure et simple des rapports sexuels  ». Cet idéal donne un
sens à l’expérience spirituelle vécue par la personne. Le christianisme, non
réductible à «  l’intériorisation d’un catalogue d’interdits, substituant à la
prohibition de l’acte celle de l’intention  », est plutôt une ouverture
permettant d’atteindre ainsi une vérité sur soi-même et de chasser ce qui
serait «  inducteur d’impureté 8  ». En même temps, la finalité de cette
connaissance de soi est l’« ascension vers Dieu », définie par le monachisme
comme la « vie parfaite », une forme d’existence qui associe la pureté à la
connaissance.

L’enseignement du judaïsme

Le mariage d’Isaac et de Rébecca au chapitre 24 de la Genèse peut être


considéré comme le modèle du mariage juif. «  Isaac la fit entrer dans sa
tente… Il prit Rébecca et elle devint sa femme. Isaac l’aima…  » (Gn 24,
67). L’union conjugale relève d’abord d’une obligation sociale ; l’amour (la
passion amoureuse) vient par surcroît.
Manger et engendrer, ces deux nécessités fondamentales de l’être
humain ne devraient pas être régies par des pulsions mais soumises à une
régulation, même si, dans le cas de la faim et de la soif, elles exigent la
satisfaction immédiate. Le but de la loi est précisément d’orienter et de
donner sens aux pulsions, voire de les métamorphoser pour les « élever du
domaine naturel-pulsionnel au domaine culturel-spirituel  » par le biais
d’un certain nombre de prescriptions sous la forme d’interdits alimentaires
9
et sexuels . Dans ce dernier cas, ceux-ci désignent nommément les
relations incestueuses et extraconjugales, et ce qu’ils considèrent comme
des déviances, l’homosexualité et, plus encore, la bisexualité qui est
10
sacrilège parce qu’elle « serait volonté d’empiétement sur l’être de Dieu  ».
Lors de la fête du Kippour, le jour du Grand Pardon, la célébration la plus
sainte de l’année juive, on relit le chapitre 18 du Lévitique : il réglemente
l’explosion des sens et le débordement des passions en  énumérant toutes
les «  abominations  » et les actes de «  dépravation  » qui rendent l’être
impur. Cependant, en aucun cas on ne trouve de valorisation d’une
condition ascétique. Les prêtres du judaïsme pratiquent certes la chasteté
durant leur service périodique auprès de l’autel. Mais comme celui-ci n’est
pas permanent, il est logique qu’ils prennent une épouse. Quant aux
vierges élevées dans le Temple, elles n’y restent qu’un temps.
Au livre 22 du Deutéronome, rédigé entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C.,
se trouvent exposées les lois de Moïse sur l’intégrité physique. Lorsqu’un
homme a pris femme et ne l’a pas trouvée vierge, les parents de la jeune
fille sont tenus de fournir «  la preuve de la virginité  ». Le texte précise
comment ceux-ci se présenteront au tribunal qui siège aux portes de la
cité : là, « ils déploieront le manteau devant les Anciens de la ville » (Dt 22,
17). La version œcuménique de la Bible laisse entendre qu’il s’agit du drap
de la couche nuptiale qui serait taché de sang. La traduction de Louis
Segond évoque plus banalement le «  vêtement  » de la jeune fille, ce qui
pourrait aussi signifier que les parents apportent les linges souillés des
dernières règles pour prouver que la mariée n’est pas enceinte. Si
l’accusation est mensongère, une forte amende frappe l’homme concerné,
coupable d’avoir fait « une mauvaise réputation à une vierge d’Israël » ; il
est même obligé de prendre la fille pour femme. Au cas où l’accusation
serait vérifiée, la fille, considérée comme infâme pour s’être prostituée, est
lapidée par les habitants de la ville devant la porte de la maison de son
père (Dt 22, 13-21). Suivent quelques autres situations de réprobation des
relations hors mariage : l’homme qui couche avec une femme mariée ; une
fiancée qui se laisse subjuguer par un autre que son promis ; le suborneur
d’une vierge (Dt 22, 22-29). De toute façon, la tradition juive se rattache
expressément à des signes visibles de la virginité, soit le sang qui
accompagnerait le premier rapport sexuel, soit simplement le flux
menstruel ; n’est mentionnée aucune inspection plus intime qui mettrait en
évidence un changement anatomique dû à la défloration. La virginité est
d’abord une valeur essentielle, condition du mariage valide et garantie de
la pureté de la lignée. S’y ajoutent en toute logique le tabou de l’onanisme
pour ne pas gaspiller la semence et la répression de l’adultère pour
protéger la famille. Ce n’est pas par hasard que les versets du Deutéronome
viennent à la suite de prescriptions prohibant les mélanges : ne pas mettre
une autre culture avec les plants de vigne, ne pas faire labourer ensemble
un bœuf et un âne, ne pas porter des étoffes hybrides (Dt 22, 9-11).
En outre, les récits d’amour dans la Bible donnent une vision positive
de la sexualité. David est un grand séducteur. Dans sa vieillesse encore, ses
serviteurs, persuadés de l’aider, lui amènent «  une jeune fille vierge  »
extrêmement belle pour le « réchauffer » (1 R 1, 1-4). Elle va servir le roi
sans pour autant qu’il la « connaisse » : soit, dans le langage biblique, sans
qu’ils aient de relations sexuelles. D’une manière générale, la Bible valorise
le coït fécondateur, car une lignée nombreuse atteste d’une bénédiction
divine. Le patriarche Jacob en est le personnage emblématique avec ses
douze garçons et son unique fille nés de ses deux femmes, Léa au « regard
tendre  » et  Rachel «  belle à voir  », ainsi que de leurs servantes. Les deux
sœurs, Léa et Rachel, rivalisent pour donner des enfants à leur époux. Au
chapitre 30 de la Genèse, Léa cède à sa cadette des « pommes d’amour »,
soit des mandragores aux vertus aphrodisiaques et fertilisantes (Gn 30, 14-
16). Cependant, les textes scripturaires se gardent de tout érotisme
exagéré. Les spécialistes signalent d’ailleurs la pauvreté du vocabulaire
sexuel de l’hébreu 11. Seul fait exception le Cantique des cantiques, une
e
compilation saturée d’érotisme qui remonte au IV  siècle av. J.-C. et a laissé
perplexe pendant des siècles. Son admission dans la Bible hébraïque et
er
dans la tradition chrétienne au I  siècle apr. J.-C. tient à ce qu’on a voulu
comprendre de manière purement allégorique ses formules sensuelles en
traduisant amour par agapè et non pas par érôs, qui désigne l’amour
physique. C’est même devenu une manière de rendre compte des rapports
entre Dieu et son peuple ou ceux du Christ et de son Église. Aujourd’hui,
on lit souvent ce livre dans son sens littéral  : le fiancé et sa fiancée
expriment les délices du désir et du plaisir humains, avec, selon les canons
sociaux du judaïsme, une évidente subordination de la femme à l’homme
dans l’objectif de lui assurer une abondante progéniture.
Cependant, après la prise de Jérusalem par les Romains en 70 apr. J.-
C., une tendance à la ritualisation et à l’austérité traverse le judaïsme. Dans
ce vaste recueil hébréo-araméen de compilations qu’on appelle le Talmud,
la mise par écrit de débats juridiques et rituels, de maximes et de récits,
procède d’une obsession des transgressions. D’où la multiplication des
prescriptions, notamment celles qui imposent au mariage la finalité de la
procréation et promulguent des interdits sexuels tout en laissant au couple
une totale liberté dans l’intimité. L’image de la femme tentatrice et
sensuelle n’y est pas étrangère non plus. Alors que l’observation de la loi
devrait permettre au mâle de maîtriser ses pulsions, la femme ne cesse
d’utiliser la ruse pour séduire. Mais pas question de valoriser chasteté et
virginité.
Seule exception, le groupe des Esséniens. Les historiens Flavius
er
Josèphe et Pline l’Ancien ont évoqué au I   siècle ces communautés
d’hommes sans femmes en Judée et notamment à Engaddi au bord de la
e
mer Morte (la communauté de Qumrân). Ils y vivent depuis le II  siècle av.
J.-C. Leur objectif est sans doute de réformer Israël en refusant ce qu’ils
considèrent comme le laxisme païen (la nudité, l’amour homosexuel, la
promiscuité) avec des codes de pureté extrêmes. C’est proche de ce
12
contexte qu’ont vécu le prophète Jean le Baptiste mais aussi Jésus . Avec
le groupe des «  thérapeutes  » autour d’Alexandrie, les Esséniens figurent
parmi les premiers à choisir volontairement la virginité. Certains les
considèrent comme les précurseurs des moines chrétiens.

Les raisons de l’abstention sexuelle dans l’Antiquité

Dans l’Antiquité païenne, des arguments non seulement éthiques mais


sanitaires militent en faveur de la retenue sexuelle. Des médecins tels
er e e
Rufus d’Éphèse (I ou II   siècle), Soranos d’Éphèse (début du II   siècle) et
Claude Galien (131-201) constatent les effets positifs de l’abstinence. Pour
Galien, un homme qui conserve sa semence deviendra plus robuste et plus
courageux. Cette abstention sexuelle est, par conséquent, conseillée aux
athlètes. De son côté, Soranos consacre un bref chapitre d’un Traité des
maladies des femmes à se demander si la virginité perpétuelle est
13
salutaire . Pour lui, l’émission de semence est nuisible aux hommes,
comme aux femmes d’ailleurs, puisque les idées du temps considèrent que
les organes sexuels sont parfaitement symétriques dans leur
fonctionnement. «  La virginité est donc salubre  » alors que le «  coït
fréquent altère la santé ». D’ailleurs, ajoute-t-il, les femmes qui, enfermées
dans les temples, « se vouent à la chasteté sont moins facilement malades
que les autres  ». Elles peuvent certes devenir obèses, inconvénient que le
médecin attribue à la tranquillité de leur vie retirée.
Ces auteurs favorables à l’austérité sexuelle ne s’interrogent guère sur
les signes de la virginité. Ceux-ci ne sont pas encore anatomiques, le mot
virginité renvoyant simplement à une chasteté absolue. C’est d’autre part
14
une virginité sans hymen   : Soranos estime que «  c’est par erreur qu’on
parle d’une membrane ténue (constante), fermant le vagin, qui se romprait
pendant le premier coït et produirait de la douleur 15  ». Certes, le mot
« hymen » existe en latin comme en grec, mais dans une acception qui en
fait un synonyme d’hyménée, à savoir la fête du mariage ou simplement le
mariage lui-même.
Dans son Histoire de la sexualité, Michel Foucault a souligné pour sa
part ce qui lui semble une spécificité des premiers siècles, à savoir une
préoccupation accrue de soi-même, une inquiétude nouvelle à propos des
« troubles du corps et de l’âme » qui justifie « la privation des plaisirs » ou
du moins sa limitation à l’usage conjugal 16. En 62 apr.  J.-C., Sénèque le
stoïcien explique dans une de ses lettres qu’il vaut mieux participer aux
Saturnales que de s’en abstenir tout en comptant sur sa force morale pour
ne pas sombrer dans la luxure (luxuria) 17.
Foucault repère pour une période plus tardive un infléchissement avec
l’émergence d’une certaine réciprocité dans les relations du couple où
l’égalité concurrence la supériorité masculine. Chez le néo-pythagoricien
e e
Héliodore d’Émèse (III ou IV  siècle), il trouve les prémices d’une « nouvelle
érotique  » fondée sur l’hétérosexualité et sur une élévation de l’intégrité
18
virginale . Ainsi, dans le roman intitulé Les Éthiopiques, la belle Chariclée
désole son protecteur car elle repousse toute idée de mariage,
ambitionnant « de rester vierge toute sa vie » :

«  Elle met au-dessus de tout la virginité et la place au rang des


choses divines  ; elle l’appelle “pure” et “immaculée” et “sans tache”  ;
quant à Éros et Aphrodite, et tout le cortège du mariage, elle les envoie
promener 19. »

Avec son prétendant Théagène, lui aussi fervent adepte de la


circonspection sexuelle, ils traversent de nombreuses épreuves mais
résistent aux convoitises sensuelles suscitées par les autres, se réservant
pour le mariage. Voilà qui corrige l’idée fréquemment diffusée selon
laquelle les Anciens auraient été indifférents à des questions comme la
20
nature de l’acte sexuel, la fidélité monogamique ou la chasteté . Le
christianisme n’a pas l’exclusivité de ces interrogations.
Ménager une place à part à la virginité imposée pour des raisons
religieuses relève des exceptions qui mettent encore plus en évidence la
normalité de l’acte sexuel et de son cadre, le mariage. Chez les Anciens, le
célibat était considéré comme une impiété mettant en péril les liens reliant
les vivants aux ancêtres, un véritable malheur pour la famille et la
perpétuité de l’espèce. Les grandes héroïnes de la mythologie grecque
qualifiées de « vierges » (Atalante, Antigone, Électre, Iphigénie, Nausicaa)
sont toutes promises à un époux. Parmi les divinités féminines antiques, on
compte cependant des vierges et non des moindres puisqu’on y trouve
Athéna (Minerve chez les Romains), Artémis la chasseresse (Diane) et
Hestia (Vesta) qui règne sur la famille et le foyer domestique 21. Les vierges
ne manquent pas non plus dans la mythologie où les virginales muses,
nymphes, naïades et autres Néréides résistent aux assauts du désir
masculin. Destinée à rendre des oracles dans le temple d’Apollon, la Pythie
de Delphes était choisie par les prêtres parmi les jeunes filles vierges.
Lorsqu’elle devenait plus âgée, elle devait continuer à vivre dans la plus
stricte chasteté.
À Rome, le collège des vestales sous l’autorité du Grand Pontife
(Pontifex maximus) et de la Grande Vestale (Virgo maxima) est formé de
sept vierges dont le rôle est d’entretenir nuit et jour le feu sacré de la
déesse Vesta. Les candidates à cette dignité sont des filles de 6 à 10 ans
choisies par le Pontife parmi les grandes familles de Rome. Le biographe
d’origine grecque Plutarque (46-125 apr. J.-C.) attribue au roi Numa
Pompilius (qui règne de 716 à 673 av. J.-C.) l’institution de ce collège :

«  Il fallait qu’elles vouassent et gardassent chasteté l’espace de


trente ans, aux dix premiers desquels elles apprennent ce qu’il leur faut
faire, les dix d’après elles font ce qu’elles ont appris, et les dix derniers
elles enseignent les novices, passé lequel temps il leur est permis de se
marier si bon leur semble… »

L’honneur de revêtir la charge n’est pas un choix de la jeune fille ; c’est


le dignitaire religieux qui décide de la lui confier sans que le consentement
de la famille soit explicite. Condition liée à la dignité de la fonction et
garante des privilèges qui lui sont associés, la virginité n’est donc pas un
idéal choisi. Par ailleurs, la vestale qui laisse éteindre le feu est sévèrement
punie.

« Aussi quand elles ont fait quelque faute, elles sont battues par le
grand pontife, qui quelquefois les fouette toutes nues […] ; mais celle
qui a forfait à son honneur et violé sa virginité est enterrée toute vive. »

Durant le millénaire que dura l’institution, une vingtaine de cas de


vestales condamnées à mourir sont attestés. Le mâle impliqué (le stuprator,
le « séducteur ») est, lui, battu avec des verges.
Les raisons de cette exigence de virginité demeurent pour Plutarque un
mystère. Peut-être Numa pensait-il «  convenable de déposer la substance
du feu, qui est pure et nette, en garde de personnes non corrompues ni
polluées, ou qu’il pensait que la nature du feu qui est stérile et qui ne
produit rien, était bien séante avec la virginité ».
Le destin de ces filles coupées de leur vie familiale dès leur plus jeune
âge et censées revenir à la vie laïque trente ans plus tard relève de
l’énigme. Outre Plutarque auquel tous se réfèrent, les sources sont
extrêmement ténues. Le même auteur signale qu’à la fin de leur service
sacré, les vestales libérées peuvent théoriquement se marier. Mais, écrit-il,
« il n’y en a guère eu qui jamais aient usé de cette licence, et encore moins
en est-il bien pris à celles qui en ont usé, mais s’en sont toutes repenties
[…] ce qui a donné une crainte aux autres, de manière qu’elles ont mieux
aimé se contenir, et sont demeurées vierges jusqu’en leur vieillesse et
22
jusqu’à la mort  ».
23
Ici se pose le problème de ce qu’on entend à Rome par « virginité » .
Plutarque utilise le terme parthenia (traduit par «  virginité  ») mais aussi
celui de hagneia, soit la qualité de chaste, pur, continent. En latin, Cicéron
parlera de castitas  ; d’autres auteurs de pudicitia, concept qui signale la
conformité aux normes de comportement sexuel. Ensuite les auteurs
e
chrétiens, tel Ambroise de Milan au IV  siècle, useront indifféremment des
mots de chasteté (castitas), pudeur (pudicitia), intégrité (integritas) et
virginité (virginitas). Pour ceux-là, il est certain que la caractéristique des
vestales est uniquement leur intégrité physique. Non sans enjeux
polémiques, puisqu’il s’agit de mettre en évidence les différences entre
l’idéal chrétien et la conception païenne  : la première insiste sur la
dimension spirituelle de la virginité, alors que les païens tiendraient
compte seulement de la composante sexuelle. De fait, l’idéal des vestales
ne se réduit pas à l’intégrité physique mais comporte aussi un idéal
éthique, notamment celui de la pureté rituelle indispensable aux personnes
en contact avec les dieux, ce que le latin désigne précisément par castitas
(«  chasteté  »). Ici, la virginité corporelle conduit à l’exigence de chasteté
morale. Ainsi les vestales soupçonnées de ne pas la respecter l’ont été
souvent parce qu’elles avaient des comportements inadéquats en public,
sans pour autant avoir entretenu une relation sexuelle avec un homme.
Autrement dit, elles ont pu manquer à la chasteté sans mettre en péril leur
virginité corporelle. C’est pourquoi les documents les désignent comme
coupables d’inceste (incestum), ce qui signifie d’abord qu’elles ont commis
un acte contraire à la pureté des mœurs, au sens de souillure morale ; cela
peut aussi signifier l’impudicité ou le non-respect de l’abstinence
24 e
sexuelle . Les sources montrent cependant qu’à partir du III   siècle avant
notre ère, les accusations traitées par les procès impliquent des relations
physiques. L’aspect moral de la chasteté cède la place à une conception plus
concrète, celle du commerce charnel. Dans son étude détaillée des sources
latines, Alexander Bätz a montré que ce rigorisme pouvait être associé au
contexte des guerres puniques qui fragilisent la solidité de la République.
Rome se souvient alors de ses mythes fondateurs : n’est-ce pas la relation
incestueuse de la vestale Rhéa Silvia, enceinte du dieu Mars, qui a donné
naissance à Romulus et Remus  ? L’ébranlement de l’existence même de
Rome pourrait-il advenir d’une nouvelle grossesse 25 ?

La révolution chrétienne
Quel sort réserver à l’hypothèse du «  mythe si répandu d’une
26
“répression judéo-chrétienne” contre le sexe   »  ? Michel Foucault a sans
doute porté un coup décisif à cette idée ressassée quand il conclut le
deuxième volume de sa trilogie :

« Si on veut fixer une origine à ces quelques grands thèmes qui ont
donné forme à notre morale sexuelle (l’appartenance du plaisir au
domaine dangereux du mal, l’obligation de la fidélité monogamique,
l’exclusion de partenaires de même sexe), non seulement il ne faut pas
les attribuer à cette fiction qu’on appelle la morale “judéo-chrétienne”,
mais surtout il ne faut pas y chercher la fonction intemporelle de
27
l’interdit, ou la forme permanente de la loi . »

Convient-il alors de relativiser la rupture radicale que représente le


christianisme  ? Certainement pas en ce qui concerne la chasteté et la
virginité : la première est valorisée comme moyen d’obtenir la modération
des désirs et la maîtrise des sens par la raison ; la seconde se veut idéal de
perfection morale. Pour l’Antiquité, la continence est un état temporaire,
une suspension momentanée ; pour le christianisme, le choix est définitif.
Déjà Hiérakas de Léontopolis, un ascète égyptien de la seconde moitié du
e
III  siècle, estimait que le Christ a apporté une seule nouveauté, la virginité
comme garantie du salut 28. Plus récemment, Yvonne Knibiehler estime que
« le christianisme est doublement révolutionnaire ». Il transfigure l’idéal en
l’élevant au niveau spirituel  ; par ailleurs, il en affiche la validité autant
pour les hommes que pour les femmes. Pour ces dernières, une telle invite
à refuser le mariage et la reproduction constituerait «  un bouleversement
inouï » de leur condition, voire une affirmation égalitaire complètement en
dehors du cadre social où la virginité n’était qu’une attente du mâle. Cette
29
nouveauté surprenante est apparue comme dangereuse pour la cité . Elle
a pu en revanche être vécue par les femmes comme une libération envers
la famille et envers la société. Le revers de la médaille serait une certaine
culpabilisation de la sexualité 30. Plus qu’un manque de maîtrise de son
corps, l’acte sexuel confine non seulement à la souillure, mais à la faute, à
ce que le christianisme appelle le péché.

Une continence identitaire

En voie de constitution durant les premières décennies du IIe  siècle,


l’Église chrétienne a dû se démarquer non seulement du paganisme, mais
aussi du judaïsme. Aussi se dote-t-elle d’un code de conduite distinctif, en
adoptant un ensemble de normes qui constitue une loi nouvelle à côté de
la loi juive. Pour Peter Brown, « c’est la stricte règle de discipline sexuelle
qui en fournit l’essentiel  ». Aux interdits qui singularisent les juifs, le
christianisme ajoute le refus du divorce et la prévention contre le
remariage des veufs et veuves. Mais surtout, l’idéal de totale abstinence
distingue les chrétiens. Incroyable, et complètement en dehors de tout ce
qui était vécu jusqu’alors, l’absolue chasteté confine à de l’«  héroïsme
physique  ». Brown note en outre que l’abstention sexuelle renforce le
caractère universel de la religion chrétienne, parce que tous les êtres
humains sont « vulnérables au désir sexuel ». Plus que toute considération
théologique, le nouvel idéal est susceptible de faire l’unité de
31
communautés encore hétérogènes et dispersées .
Par ailleurs, pour saisir la portée de cette innovation, il convient de
tenir compte des spécificités de la démographie. Il est probable que durant
32
l’Antiquité, la quasi-totalité des femmes étaient mariées . Autrement dit,
pour une jeune fille nubile, il est impossible de repousser le mariage à
moins d’être orpheline, ce qui permet plus facilement de résister à la
pression sociale. À Rome, près d’une jeune fille sur deux est mariée avant
l’âge de 15 ans 33. Comme la mortinatalité et la mortalité infantile sont très
élevées, chacune de ces épouses doit donner le jour, en moyenne, à cinq
enfants au moins pour assurer la reproduction des effectifs
démographiques et la pérennité du lignage. La législation y ajoute une
incitation : garder le célibat implique que l’on renonce à une grande partie
de son héritage. Il faut attendre l’année 320 pour que l’empereur
Constantin abroge ces lois et donne aux célibataires les mêmes droits
qu’aux mariés. Par ailleurs, quand on sait que l’âge légal du mariage à
Rome est de 12 ans pour les filles, que les hommes se marient entre 18 et
25 ans et que la moyenne de l’espérance de vie s’établit autour de 25-30
ans, la probabilité d’un veuvage précoce devient très forte. La mort du mari
permet alors peut-être de réaliser le désir de continence ou d’obtenir ce
que saint Jérôme appelle «  la liberté de son corps 34  ». Auparavant, la
femme doit céder, taire son désir et satisfaire son mari. Le nombre
important de jeunes femmes en attente d’un éventuel remariage
constituera un vivier pour la réception d’un idéal de continence. Dans la
société patriarcale du temps, une jeune veuve avec une progéniture
nombreuse a déjà, en quelque sorte, rempli son devoir envers la cité.
Enfin, le contexte historique des premiers siècles influence directement
les auteurs des textes qui deviendront des références pour les tenants d’un
rigorisme sexuel. À Carthage, où il développe sa vision eschatologique et
millénariste de l’imminence de la fin des temps, Quintus Septimus Florens
Tertullianus, plus connu sous le nom de Tertullien (vers 150-220), est
confronté à la féroce persécution de Tertullus Scapula, le proconsul
d’Afrique, qui sévit en 210-212. L’insécurité et l’incertitude expliquent
pourquoi l’auteur conseille aux chrétiens d’éviter le mariage, voire de se
désintéresser d’une cité dominée par ceux qui condamnent les chrétiens
aux bêtes féroces dans l’arène. Empêcher la génération comporte-t-il un
risque de déclin pour les cités ? Au moins n’y aura-t-il plus personne pour
crier  : «  Un lion pour les chrétiens 35  !  » Plus tard, Jérôme, le traducteur
latin de la Bible, qui a vécu à la charnière des IVe et Ve siècles, est toujours
convaincu de l’imminence de la fin des temps et de la venue de
l’Antéchrist. Il évoque dans sa correspondance la guerre de Vespasien et de
Titus contre les juifs, le siège de Jérusalem, les grandes migrations des
peuples germaniques. «  Des peuplades sans nombre et d’une extrême
36
férocité ont occupé les Gaules toutes entières », écrit-il . Événements déjà
passés ou en devenir, la chute de Jérusalem et la fin programmée de
l’Empire romain sont mises en relation avec l’achèvement du monde. Voilà
qui oriente l’interprétation des textes bibliques : l’imminence de la Parousie
justifie en quelque sorte la continence totale. Dans un tel contexte, en effet,
le mariage et la procréation deviennent inutiles, voire dérisoires. N’est-ce
pas aussi ce que voulait dire l’apôtre Paul dans un passage de sa lettre aux
Corinthiens, seul texte des Écritures qui prône le mariage abstinent : « Voici
ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une
femme soient comme s’ils n’en avaient pas » (I Cor. 7, 29). Cette possibilité
d’endiguer le flux générationnel rend du coup évidente la fragilité de la
civilisation romaine. Loin d’être immuable, le cours de l’histoire pourrait
s’arrêter si les hommes renonçaient à perpétuer l’espèce. Dans Les
Stromates de Clément d’Alexandrie (mort vers 215), on trouve l’idée que
tant que la femme enfantera, la mort conservera sa puissance. Mettre au
monde des enfants est une manière de livrer des otages à la mort 37. Le
refus du sexe devient une victoire sur la mort puisque refuser d’engendrer
38
revient à lui soustraire de futures victimes .
Ce sont au départ les Églises d’Asie Mineure, de Syrie et de Palestine
qui se sont distinguées par un rigorisme extrémiste. Dans la mouvance des
e
courants dits gnostiques du II   siècle, qui ont en commun de refuser la
procréation parce que le monde n’est pas digne d’être perpétué, se
développent des tendances qui prônent l’abstinence sexuelle totale ainsi
que le refus de consommer viande et alcool. On les regroupe sous
l’appellation d’« encratisme », du grec enkrateia qui signifie emprise sur soi,
continence. Tatien le Syrien (120-173) est l’un des écrivains qui ont
soutenu le renoncement à la vie conjugale, imaginant une Église d’hommes
et de femmes s’abstenant de relations sexuelles.
Bien évidemment aussi, la nouvelle tolérance religieuse édictée par
l’empereur Constantin en 313 a facilité le développement du culte chrétien
puisque ses adeptes ne sont plus persécutés. Comme la perspective de
perdre la vie par le martyre et d’accéder ainsi à la sainteté immédiate
s’éloigne, il est possible qu’un idéal de vie ascétique dûment choisi ait pu
constituer une alternative pour ceux qui visaient la perfection. De la
parabole évangélique du semeur (Mt 13, 18-23), on retenait que, suivant le
sol dans lequel elles tombent, les graines vont donner 100, 60 ou 30
semences. Selon l’interprétation orientée de Jérôme, les auteurs grecs et
latins auraient rapporté le premier chiffre aux martyrs, le deuxième aux
vierges et le dernier aux veuves. De la bonne terre sont donc exclus les
gens mariés ! Dans la lecture qu’on en propose au IVe siècle, l’ascèse et la
virginité se substituent au martyre  ; elles deviennent «  une sorte de
martyre blanc  » subi dans le secret, à l’opposé du «  martyre rouge  »
39
médiatisé publiquement dans les arènes antiques . Le mariage peut donc
passer au troisième rang.
Toutefois, l’Empire romain entre surtout dans ce long processus où
christianisation et paganisme s’accommodent entre rivalités et métissages.
Suivant les travaux de Paul Veyne, les premiers siècles sont marqués par la
transition d’une bisexualité conquérante vers une hétérosexualité
40
reproductive . Cette formulation un peu rapide signifie que désormais le
chrétien oriente sa sexualité vers la reproduction, ce qui n’est pas nouveau,
en évacuant autant que faire se peut le plaisir. Mieux encore, il pourrait
choisir le célibat et la continence. Dit autrement, la société christianisée
navigue à partir du IVe siècle entre deux tendances contradictoires : d’une
part la résistance à l’encratisme qui suppose des positions plus modérées
sur le mariage ; d’autre part une acceptation d’un monde où l’ascétisme est
de mise. La recherche du compromis suppose de toute manière un
«  durcissement de la discipline sexuelle  » (Brown). Le nouveau rigorisme
se justifie moins comme réaction aux turpitudes supposées du monde
antique que comme résultante d’un débat à l’intérieur même du
christianisme qui appelle des codes sexuels bien définis  : contenir la
fornication des jeunes et proposer à l’admiration la femme chaste et
mariée 41.
Bien que issus d’une assemblée très provinciale et limitée à l’Espagne,
les canons du concile d’Elvire (Grenade, vers 305) ont une grande
importance, car ils sont les plus anciens de l’Occident chrétien. Ils illustrent
l’effort d’intégration et d’adaptation du christianisme à la culture religieuse
romanisée. En ce qui concerne notre sujet, une disposition concerne les
« vierges », c’est-à-dire les femmes qui se consacrent à Dieu. Celles qui se
laissent entraîner par la concupiscence (libido en latin) et perdent leur
virginité sont exclues de la communion (excommuniées)  ; elles peuvent
cependant réintégrer la communauté chrétienne si elles s’abstiennent de
coït. Pour les hommes, il n’y a pas mention d’une obligation de virginité. Le
texte se borne à préciser :

« Il a paru bon d’interdire absolument aux évêques, aux prêtres et


aux diacres, soit (encore) à tous les clercs employés au ministère,
d’avoir des relations (sexuelles) avec leurs épouses et d’engendrer des
enfants  ; si quelqu’un le fait, qu’il soit exclu de l’honneur de la
cléricature 42. »

Cela signifie que, pour l’Église des origines, le célibat est attendu de
ceux qui exercent une fonction sacerdotale et que les prêtres qui sont déjà
mariés renoncent désormais à tout commerce sexuel. Pour les Églises
orientales, le concile quasi contemporain d’Ancyra (Ankara, vers 314)
définit lui aussi des règles concernant le célibat des clercs et les interdits
sexuels. À la fin du IVe siècle, on se demande si l’integritas – la qualité de
vierge – concerne le clergé masculin. Les vertus attribuées aux femmes
peuvent-elles vraiment s’appliquer aux hommes ? Peut-être le clergé est-il
en grande partie célibataire dans les grandes villes où vivent de jeunes
ascètes zélés ? Ailleurs pourtant, ce sont souvent des prêtres mariés, voire
des dynasties familiales de prêtres qui officient. Pour eux, la continence est
simplement souhaitée. Dans une lettre de 384-385, le pape Sirice estime
néanmoins que le service de l’autel doit être réservé à ceux qui se sont
affranchis de la souillure de l’acte sexuel. C’est seulement en 1139 au
concile de Latran II que l’union conjugale est jugée incompatible avec la
consécration au sacerdoce. Désormais, un prêtre ordonné n’a plus la
possibilité théorique de se marier 43.
Compte tenu de leur caractère répétitif durant des siècles, il est certain
que ces normes en matière de discipline ecclésiastique et conjugale peinent
à s’imposer. Des idéaux comme la virginité pour les jeunes femmes, la
chasteté stricte pour les hommes et la continence dans le mariage semblent
difficilement accessibles ou, pour le moins, pénibles à observer.

L’enseignement des Pères

Durant ces siècles d’échanges et d’appropriation réciproque de valeurs


sacrées entre le paganisme et le christianisme, durant cette longue période
de formulation progressive de normes qui définissent l’appellation de
«  chrétien  » et délimitent l’identité des communautés face à une altérité
plus ou moins hostile, certains textes deviennent des références auxquelles
la « tradition » de l’Église va se rattacher. L’appellation de Pères de l’Église
est employée à partir du VIIe  siècle pour désigner ceux dont les opinions
présentent une certaine unité de doctrine puisque toutes les questions de
morale et de foi ne trouvent pas une réponse directe dans les Évangiles où
sont consignées les paroles du Christ. C’est beaucoup plus tard,
particulièrement lors de la Contre-Réforme catholique aux XVIe et
e
XVII   siècles, que la notion de Pères, utilisée significativement toujours au
pluriel, s’impose pour désigner les écrivains de l’Antiquité qui ont témoigné
de la doctrine chrétienne. Leurs écrits acquièrent une telle légitimité que
les communautés ecclésiales s’appuient sur eux pour construire
progressivement «  la Tradition  ». Jusqu’à nos jours, ce magistère sert
d’argument à la justification des positions d’éthique, notamment dans les
questions de sexualité.
e
Ainsi, au XVII   siècle, le manuel du confesseur publié par le jésuite
Étienne Bauny (1564-1649) s’appuie sur Basile d’Ancyre pour juger que le
toucher est le sens qui attise le plus la volupté  ; que, par conséquent, les
baisers et les embrassements les plus chastes, même ceux provenant de
44
proches, confinent à la plus grande impudicité . La simple allusion à un
auteur ancien suffit ici à fonder la légitimité d’un propos plus ample sur les
«  actes déshonnêtes  ». Autre exemple de gauchissement des textes
patristiques, l’exhortation pour la cérémonie de mariage diffusée dans le
diocèse de Rouen en 1739 inspire le sermon prononcé par le prêtre et
retransmis le plus souvent tel quel par les desservants  : d’abord l’état
conjugal aurait « été déshonoré chez les païens par leurs dissolutions » et
« dégradé chez les juifs par leurs divorces » avant que le christianisme ne
lui  redonne un honneur  ; ensuite, le modèle d’homélie se réfère à «  la
pensée de Tertullien  », un argument d’autorité pour expliquer les
«  nœuds  » que l’Église elle-même a formés, ce qui devrait suffire au
bonheur des époux. Voilà une vision pour le  moins éloignée de
l’enseignement de cet illustre auteur des IIe-IIIe siècles.
La démarche est identique chez Jean Girard de Villethierry, un prêtre
auteur d’une vingtaine de livres de piété, rigoriste et janséniste mort en
1709. La Vie des vierges (1693), best-seller de la théologie néo-
augustinienne méfiante envers la sexualité, modulée par l’horreur de la
volupté, se présente comme une mosaïque construite à partir d’un fichier
de textes le plus souvent patristiques  : Ambroise, Athanase, Augustin,
Basile d’Ancyre, Cassien, Jean Climaque, Jean Chrysostome, Cyprien de
Carthage, Grégoire de Nysse, Jérôme, Tertullien. Selon Girard de
Villethierry, « la plupart des saints Pères » observent que ceux et celles « qui
gardent la Virginité, ont une infinité de combats à soutenir et des victoires
à remporter, parce qu’ils sont revêtus d’une chair mortelle, assujettis à mille
nécessités de la nature, et obligés de vivre dans ce monde corrompu  ».
Franchement misogyne, il explique que les filles qui vivent dans le célibat
ne rejoignent pas toutes le rang des vierges chrétiennes. D’aucunes
refusent le mariage pour rester indépendantes, par peur de la maternité,
pour mener une vie licencieuse ou parce que personne n’a voulu les
épouser. La virginité n’est rien en elle-même ; elle ne prend sa valeur que
rapportée à Dieu 45.
Afin d’en respecter la portée, il convient donc de resituer les textes
patristiques dans leur temps. Ignace d’Antioche (35-107/113), dans les
Lettres qu’il écrit lors de son transfert à Rome où il est mis à mort dans
l’arène sous Trajan, exprime encore une position très favorable au
mariage 46. En revanche, l’Exhortation à la chasteté de Tertullien, écrite vers
208-212, constitue la première présentation systématique de l’objectif
d’abstinence sexuelle et de la supériorité de la virginité chrétienne. Il
s’adresse aux laïcs, des couples, des veufs et des veuves, dans un contexte
susceptible de conférer une force nouvelle à cet idéal. Parallèlement, un
fort courant de l’Église primitive tend à une vision plus exclusive de la
virginité. Origène (~185- ~253) en est le prototype. La légende rapporte
qu’il s’est fait châtrer à l’âge de 20 ans pour devenir eunuque, suivant à la
lettre le verset de l’évangile de Matthieu (Mt 19,12). La virginité du corps
continent devient une condition de l’harmonie entre l’âme immaculée et le
corps absolument pur afin d’accéder à la connaissance de Dieu. Les joies
47
sensuelles cèdent la place à l’allégresse spirituelle .
Au IVe  siècle, l’ère des persécutions terminée, le discours se polarise
entre les Pères enclins à tolérer le mariage et ceux plus rigoristes qui
prônent l’ascétisme. Méthode d’Olympe (mort en 311 ou 312) en Grèce a
sans doute imité Platon en composant Le Banquet des dix vierges, un
dialogue entre dix jeunes filles qui vante la chasteté tout en tolérant le
48
mariage comme une « concession à la fragilité humaine  ». Face aux excès
du gnosticisme, de l’encratisme, voire de l’eunuchisme, les conciles ont, de
leur côté, souvent réaffirmé la valeur du mariage. Ainsi, les canons du
e
concile de Gangres en Asie mineure au milieu du IV   siècle admonestent
ceux qui méprisent cet état de vie et refusent de communier lorsque le
prêtre est marié, mais dénoncent aussi les excès d’ascétisme, notamment
celui des femmes qui s’habillent en homme et abandonnent leurs maris.
Aussi le canon 9 affirme-t-il :

« Si quelqu’un garde la virginité ou la continence, quittant le siècle


par mépris pour le mariage et non pas à cause de la beauté et de la
sainteté de la virginité, qu’il soit anathème. »
Martyr en 362, Basile d’Ancyre, hostile aux dogmes du concile de Nicée
– cas typique d’un évêque tenu pour déviant et par conséquent jamais
considéré comme un Père – est l’auteur présumé d’un traité sur la virginité
(De virginitate) destiné aux femmes qui veulent garder la continence. Pour
lui, tous les sens engendrent le désir  : le souvenir même des images de
l’autre appartient au mécanisme de la séduction, ce qui doit inciter les
pieuses filles à se refuser au regard masculin. Il réprouve la masturbation,
penchant «  qui accompagne les nuits d’été passées au frais sur les
terrasses 49 ».
L’archevêque de Constantinople, Jean Chrysostome (mort en 407), fait
des références plus explicites aux difficultés que présente l’idéal de
chasteté. Pour les philosophes antiques, écrit-il, «  cette vertu était au-
dessus de la nature, étrangère même à l’humanité 50 ». Également reconnu
par les traditions catholique, orthodoxe et copte, il a laissé lui aussi un De
virginitate, exégèse de la première épître de Paul aux Corinthiens, adressé
aux cercles féminins ascétiques d’Antioche, qui établit les fondements de ce
choix de vie, principes sur lesquels on n’a cessé de disserter depuis.
Inférieurs aux anges, les hommes peuvent « s’élever à leur niveau » en les
imitant  : «  Les anges n’épousent pas, ne sont pas épousés  : la vierge non
plus.  » Certes, le mariage a voulu réguler la concupiscence dont la force
«  est semblable à celle du feu et de l’acier  ». Il est beau «  parce qu’il
maintient l’homme dans la chasteté et l’empêche de rouler dans l’abîme de
la fornication et d’y périr. Il ne faut donc pas en dire du mal : grande est
son utilité, car il ne laisse pas les membres du Christ devenir les membres
d’une prostituée […] 51  ». Combat long et difficile, semé de «  tentations  »
charnelles, le mariage est concédé au faible. L’homme fort, l’athlète de
Dieu, échappe à cet égarement. «  Quand serons-nous des hommes  »,
demande-t-il, si nous nous consacrons aux femmes et au plaisir  ? Seules
quelques figures bibliques (Élie, Élisée, Jean) ont pu se montrer les
«  authentiques amants de la virginité  ». Ils diffèrent des anges «  par les
seuls liens de leur condition mortelle ». Et de conclure : « S’ils avaient eu
52
femme et enfants, il ne leur eût pas été si facile d’habiter le désert . »
Il convient de retenir de ces enseignements une insistance à valoriser
une virginité qui relève d’un choix libre et qui ne peut être en aucun cas un
précepte ou une obligation, ce que Michel Foucault résume d’une formule
forte :

« Comment la virginité pourrait-elle être dite “sainte” si elle n’était


rien de plus que l’observation d’une loi édictée pour tous, et si elle
n’était librement choisie par ceux qui, légitimement, auraient pu se
marier 53 ? »

Jérôme et les Pères latins

Jérôme de Stridon, né vers 347 en Pannonie et mort en 420 à


Bethléem, accomplit ses études à Rome, où il se convertit à 18 ans. Attiré
par la vie érémitique, il s’installe en 373 dans la région de Chalcis en Syrie.
Dix ans plus tard, le pape Damase l’appelle à Rome pour qu’il traduise la
Bible en latin. Il retournera ensuite en Terre sainte.
Ancien anachorète, Jérôme contribue à diffuser parmi la bonne société
l’idéal monastique de l’ascèse. Il prend une certaine ascendance sur les
femmes de l’aristocratie romaine qui baignent dans la culture antique de la
maîtrise de soi. Sa nombreuse correspondance –  une cinquantaine de
lettres adressées à des femmes dont il assure la direction spirituelle  – est
une source privilégiée pour comprendre le développement de sa pensée.
Jérôme cite Sénèque, Aristote, Plutarque, Lysias et Platon. Il recommande
au mari de ne pas se précipiter «  avec passion vers le coït  », mais
condamne aussi chez l’épouse les «  embrassements voluptueux en usage
chez les courtisanes 54  ». Les inquiétudes suscitées par les troubles
politiques et la menace de dislocation de l’Empire confèrent une audience
inattendue à son discours sur la continence du couple et le renoncement
aux satisfactions de l’existence présente.
Les veuves qui suivent la voie de la continence prennent pour modèles
les femmes de l’Église d’Orient. En Asie Mineure, il n’y a rien d’étonnant à
ce qu’une femme soit recluse chez elle. Plus libres, les femmes occidentales
sont donc plus exposées. Pour éviter les séductions des rencontres
masculines, Jérôme leur conseille la prudence dans les foules et même
dans les églises :

« Il est plus périlleux pour des jeunes filles folâtres d’aller dans des
lieux consacrés à la religion que de se montrer en public 55. »

Il ne peut toutefois pas leur conseiller le mode de vie pénible et


aventureux du désert dont il a fait l’expérience lui-même avec difficulté.
C’est pourquoi le monachisme féminin occidental a plutôt ses origines dans
de petites communautés familiales.
Durant ses années de direction spirituelle, Jérôme est toujours obnubilé
par son propre vécu, lui qui a perdu sa virginité dans «  les plaisirs de
Rome » :

« Vous savez vous-mêmes, écrit-il à sa correspondante, combien est


glissant le chemin de l’adolescence ; moi aussi j’y ai fait des chutes 56. »

Jérôme ne manque pas de fustiger les «  agapètes  », ces femmes qui


cohabitent avec des religieux sous couvert d’une relation spirituelle,
phénomène semble-t-il fréquent à Rome 57. Dans ses conseils aux clercs
reviennent de nombreuses allusions à des «  vierges légères  » ou
«  mondaines  » qui ont chuté à cause des embûches du diable, ancrant
le stéréotype de l’inévitable pouvoir de séduction féminine :

« Si, pour remplir ta fonction d’ecclésiastique, tu visites une veuve


ou une vierge, n’entre jamais seul chez elle 58. »

Jérôme a été vilipendé par ses détracteurs pour la nature de ses


relations avec les nombreuses vierges qui suivaient ses cours d’exégèse. De
plus, certains auteurs ont cru pouvoir affirmer qu’une relation amoureuse
le liait à Paula (347-vers 404). Noble romaine, mère de cinq enfants et
veuve à l’âge de 35 ans, elle a transformé sa maison en une sorte de
monastère avant de suivre Jérôme à Bethléem en 385.
Le Père de l’Église a consacré quelques opuscules à la question de la
virginité, le plus souvent dans des textes polémiques comme son Contre
Jovinien dont le personnage principal, probablement un moine, estimait
que la continence et le jeûne n’avaient pas de mérites particuliers et aurait
incité plusieurs vierges à abandonner leurs résolutions avant d’être
condamné par un concile en 390. Déjà établi en Orient, Jérôme réfute celui
qu’il appelle l’«  Épicure des chrétiens  ». Et de poursuivre  : «  Nous ne
jugeons pas que tout coït est immonde », cela afin de ne pas être suspecté
de connivence avec l’hérésie des encratites contre le mariage 59. Pour lui, la
virginité est une valeur éminemment féminine, les vierges masculins ne
pouvant se targuer d’une intégrité physique  ; par là, il exprime une sorte
de tolérance pour l’homme et ses écarts. Tout au plus ce dernier peut-il
aspirer à une vie plus chaste, notamment… en se mariant !
En dehors de Rome, contribuant largement à la christianisation des
provinces lointaines du reste de l’Italie, de Gaule et d’Afrique, deux
contemporains de Jérôme jouent un rôle essentiel pour consolider la vision
de la chasteté  : Ambroise (340-397), évêque de Milan, et Augustin (354-
430), évêque d’Hippone. Vivant dans un monde à peine christianisé, ils
retrouvent un milieu aisé où les hommes abandonnent aux femmes les
questions religieuses. Ce sont les épouses et surtout les veuves pieuses qui
peuvent promouvoir la continence. Bientôt les enjeux commencent à
dépasser la vie spirituelle pour avoir un impact social, car l’Église est
devenue une institution qui attire les donations pieuses. Que des fortunes
soient détournées des familles pour lui être léguées n’est pas forcément
apprécié par les laissés-pour-compte. Beaucoup plus inquiétant encore
pour les patrimoines, le choix par les jeunes de la virginité perpétuelle : il
implique qu’une part des héritages est définitivement perdue et cédée à
l’Église. Les biens familiaux ancestraux ne risquent-ils pas d’être dispersés,
voire dilapidés ?
Sans doute la prédication d’Ambroise a-t-elle un but éminemment
politique. Compte tenu du contexte des menaces militaires aux confins de
l’Empire, il propose « le mirage attractif » d’une société romaine d’Occident
cimentée « par la fidélité sans faille à une cause unique et puissante », celle
du Christ et de l’Église. Mais, plus largement, Ambroise vise ce qu’il appelle
le «  siècle  », c’est-à-dire tout l’environnement matériel et social avec ses
tentations où règnent le démon et son arme préférée, la sensualité 60. Pour
y échapper, le baptême chrétien propose une voie de salut. En adhérant au
Christ, le baptisé adulte est confronté à un modèle de parfaite chasteté
puisque ce sacrement se veut «  participation intime à la perfection
charnelle du Christ  ». Comme le péché originel se transmet par l’acte
sexuel, le Christ sans péché puisqu’il est Dieu a eu le privilège d’une
naissance et d’une conception « soustraite au désir sexuel 61 ».
Augustin pousse encore plus loin l’élaboration de cette théologie de la
sexualité. Sa mère Monique, chrétienne, l’avait mis en garde contre la
fornication. À Carthage, il a fréquenté des cercles manichéens adeptes de
la continence, convaincus que l’union sexuelle est liée au mal. Pourtant, à
l’âge de 18 ans, Augustin s’attache une concubine qui donne naissance à un
fils nommé Adeodatus. Cette relation va durer treize ans, jusqu’en 385,
quand il répudie sa compagne. En 386, l’année de sa conversion, il
découvre le mouvement ascétique et les récits du désert égyptien.
Commencées lorsqu’il avait 43 ans, Les Confessions ont été écrites entre
397 et 401. Augustin y évoque les étapes de sa conversion  : d’abord les
errements des sens, qu’il appelle «  la chaudière des criminelles amours  »,
puis la découverte du véritable amour, celui de Dieu. « De conscience non
pas douteuse, mais certaine, Seigneur, je t’aime.  » Et de se demander  :
«  Mais quand je t’aime, j’aime quoi  ?  » Certainement pas la beauté d’un
corps ouvert «  aux charnelles étreintes  », plutôt une lumière «  où brille
pour mon âme ce que le lieu n’enferme, où résonne pour elle ce que le
temps ne vole 62  ». Augustin révèle ainsi la dualité fondamentale de la
conscience occidentale. Celle-ci oppose au monde extérieur des actes et
objets matériels que saisissent les sens un lieu intérieur retiré, de pure
spiritualité, comme une demeure de l’âme 63.
Pour lui, c’est encore le péché d’orgueil qui est à l’origine de toutes les
passions, ce qu’il appelle la vie selon la «  chair  ». Ce terme désigne aussi
bien le corps charnel sous l’angle de la sexualité qu’une vision plus
englobante de l’être humain tout entier, inéluctablement porté par ses
64
passions . Le récit de sa conversion à Milan est particulièrement
instructif :

« Le désir de l’union charnelle me tenait étroitement dans ses liens,


et les affaires du siècle m’asservissaient 65. »

Puis vient le célèbre passage du « tolle lege ». En pleurs, sous un figuier,


il entend une voix chanter : « Prends et lis ! Prends et lis ! » Et sa réaction
est immédiate :

«  Refoulant l’assaut de mes larmes, je me redressai, interprétant


cela comme une injonction divine  : tout ce que j’avais à faire, c’était
d’ouvrir le livre et de lire le premier chapitre sur lequel mon regard
tomberait. »

C’est un passage de la lettre aux Romains :

«  Plus de ripailles ni de beuveries  ; plus de luxures ni


d’impudicités  ; plus de disputes ni de jalousies. Revêtez-vous du
Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair
66
dans les convoitises . »

Augustin distingue la concupiscence (libido) des mouvements de l’âme


en général (passiones). Il s’intéresse d’abord à la «  concupiscence de la
chair » ou aux « tentations charnelles » :

« Tu nous commandes la continence, mais… je sais que personne ne


peut l’observer, si ce n’est par un don de Dieu, c’est déjà sagesse de
67
savoir d’où vient ce don . »

Dans sa mémoire, il conserve les « images » des plaisirs de la chair :

«  Quand je suis en état de veille, elles se présentent à moi, tout


affaiblies ; mais, pendant le sommeil, elles vont jusqu’à provoquer non
seulement le plaisir, mais le consentement au plaisir, et comme une
réplique de l’acte lui-même. »

Incapable «  d’éteindre les mouvements lascifs  » en dormant, il est


amené à «  consommer jusqu’à l’écoulement charnel ces turpitudes
68
dégradantes suscitées par un défilé d’images animées  ».
Chez Augustin, la continence est donc un don de Dieu mais qui résulte
d’une lutte que lui-même a menée 69. Dans son opuscule De la sainte
virginité destiné aux femmes qui choisissent cet état, il ne condamne pas le
mariage :

«  Il est évident pour nous, d’abord que le mariage n’est point un


péché, ensuite qu’il est inférieur en dignité et en mérite à la continence
70
virginale, voire même au veuvage . »

Ailleurs, réaliste par rapport aux mœurs du temps, il tolère pour


l’homme « certaines licences immodérées », autrement dit les raffinements
érotiques, compte tenu de l’irrésistibilité de leurs élans. Les manifestations
somatiques du désir étant difficilement maîtrisables, mieux vaut éviter que
le mâle ne choisisse la fornication avec une autre femme :
«  Quand l’usage du mariage se fait dans l’ordre naturel, mais en
dehors de la procréation, il n’est que péché véniel pour l’épouse, mais il
est péché mortel pour la concubine. Au contraire, l’usage contre nature,
tout horrible qu’il est dans une concubine, le devient bien plus encore
pour les époux. »

Ainsi, quelle que soit l’assiduité dont le mari poursuit son épouse,
«  l’honneur conjugal, c’est la chasteté dans la génération, et la fidélité à
rendre le devoir  ; telle est l’œuvre propre du mariage, œuvre proclamée
exempte de toute faute »…
Et il adresse ce dernier conseil :

«  Les époux sont d’autant plus saints qu’ils sont plus chastes, plus
fidèles et plus craignant Dieu, surtout s’ils nourrissent spirituellement
les enfants qu’ils désirent charnellement 71. »

Si la nature peccamineuse de l’acte sexuel est évidente, la faute est


plutôt légère, car le lien conjugal transforme la volupté en bien, au point
d’autoriser le pardon des errances momentanées :

«  Toutefois ceux-là même qui déploient la vigilance la plus active


pour éviter le péché, entraînés qu’ils sont par la fragilité humaine, le
commettent encore quelquefois ; ces péchés sont légers, ils sont rares,
mais enfin ce sont des péchés. Que l’orgueil vienne y ajouter son poids,
ils deviennent de graves et redoutables péchés 72. »

Il n’en reste pas moins que la valorisation de la continence est un


processus complexe, où convergent beaucoup d’idées et de pratiques
d’origines diverses. Il serait illusoire de trouver une filiation entre les soucis
de santé des aristocrates des premiers siècles, les aspirations des lecteurs
des philosophes stoïciens et la volonté cathartique des premiers chrétiens,
peu à peu délivrés de l’inquiétude de finir martyrs. La prolifération d’écrits
qui parlent de virginité, en particulier au IVe siècle, répond à de multiples
attentes qui ravissent aussi bien les épouses romaines vouées à la
procréation que les jeunes chrétiens des villes byzantines en recherche
spirituelle. Le discours moral sur la sexualité qui s’est élaboré surtout à la
e e
fin du IV   siècle et au début du V   siècle engage inexorablement le
christianisme dans la voie de la pureté ascétique. En même temps, très
explicitement depuis Augustin, le désir dépasse ce qui trouble l’âme pour
être durablement associé au péché. Désormais, comme un soupçon pèse
sur la sexualité.

Les modèles du désert
er
Dès la fin du I  siècle, des hommes et des femmes ont voulu mener une
vie chaste, acquérant en se vouant ainsi à Dieu une réputation de sainteté.
Le vocabulaire désigne les hommes comme des ascètes et les femmes sont
appelées vierges. Le phénomène commençant avant la fin des persécutions,
il est plus qu’une «  suppléance au martyre  », quoique la cessation des
e 73
sévices au III  siècle donne incontestablement un grand élan à cet idéal . À
ce moment-là, les chrétiens sont encore extrêmement minoritaires dans
l’Empire, peut-être 5  % de la population en Occident et déjà 10  % en
Orient. Un  siècle plus tard, en 392, l’empereur Théodose proclame le
christianisme religion officielle de l’Empire. En l’absence d’occasions de
martyre, c’est l’abstinence sexuelle qui devient pour les plus exigeants la
condition d’une identification au Christ. Les Pères participant aux premiers
conciles sont assaillis de questions qui proviennent d’évêques et de clercs
au sujet de cette pratique vertueuse.
e
À partir du IV   siècle se multiplient les ouvrages sur la virginité elle-
même, destinés aux femmes, au point qu’on a pu parler de mode
littéraire 74. Quand on lit les lettres de Basile le Grand (mort en 379), on
s’aperçoit que l’institution des vierges et de la vie cénobitique est assez bien
établie pour que l’évêque de Césarée puisse affirmer des règles très strictes
sur l’observation de cet engagement et la vie communautaire des femmes
qui ont choisi cette voie. Comme les « vœux de religion » existent déjà pour
les vierges mais pas encore pour les moines, Basile s’attache
prioritairement aux situations qui pourraient mener une femme à sa chute,
c’est-à-dire à céder à la sexualité. Faillir est assimilable à un adultère pour
lequel la pénitence privative des sacrements est lourde (quinze ans sans
communier !). Considérée par Basile comme « l’épouse du Christ et un vase
sacré voué au seigneur  », la vierge «  volontairement s’est offerte au
75
Seigneur, a renoncé au mariage et préféré la vie dans la sanctification  ».
Encore faut-il discerner si cette vocation est authentique. Basile exige que
les jeunes filles aient au moins 16 ou 17 ans ; que ce ne soit ni leur père, ni
leur mère, ni leurs frères ou d’autres parents qui souhaitent ce statut « pour
leur procurer une existence sûre, sans qu’elles se sentent d’elles-mêmes
portées vers le célibat 76 ».
En même temps, seul un nouveau cadre de vie pouvait correspondre à
ce choix de non-conformité sociale. Or, pour les femmes, il est encore
impensable socialement de s’arracher à la famille, si bien que opter pour la
continence signifie s’accommoder d’une retraite chez elles.
Pour les hommes, il est plus facile d’échapper aux contraintes de leur
entourage. Ce sont les déserts de Haute et Moyenne-Égypte qui ont
constitué le berceau de l’une des « nouveautés les plus étranges et les plus
radicales de la fin de l’Antiquité » (Aline Rousselle). Des milliers d’hommes,
au fil des ans, ont quitté les villes d’Égypte, et bientôt de Syrie et de toute
l’Asie Mineure, pour vivre une expérience solitaire d’éradication volontaire
du désir ou simplement entreprendre une pérégrination touristico-
spirituelle 77. Peu à peu, l’ascétisme rigoureux des anachorètes d’Égypte
exerce une séduction telle au-delà de l’Orient qu’il infléchit durablement le
christianisme.
Il reste difficile de fournir des raisons au surgissement du monachisme
dans l’Église. Des communautés ascétiques se sont installées, désignées
sous le terme de «  cénobites  » (un dérivé du grec koinóbion, «  vie en
commun »). Puisque les régions marquées par le phénomène font partie de
la province romaine de Thébaïde, il est devenu courant d’appliquer ce
toponyme à un ensemble de lieux divers où ont vécu les modèles de
l’ascétisme chrétien  : Antoine le Grand (251- vers 356), le fondateur de
l’érémitisme (du grec erêmos, désert)  ; son disciple Macaire de Scété
(~300-391), considéré comme le père de l’anachorétisme (du grec
anakhôrein, «  se retirer  »)  ; Pacôme de Tabennèse (vers 292-348), né en
Thébaïde, présenté comme l’initiateur du cénobitisme. Au début du
e
IV   siècle, de nombreuses colonies de renonçants commencent à se
disperser le long du Nil, au-delà du Delta, dans des montagnes sans eau.
Vers l’an 400, il y aurait eu près de 5 000 moines ermites ! L’imaginaire a
étendu fortement la réalité du désert comme bordure du monde connu. En
réalité, ils vivent à proximité de l’Égypte habitée, pas très loin d’Alexandrie
avec laquelle se poursuivent des échanges de services et de produits.
Pacôme y a fondé les premiers grands monastères, de vrais villages, mais
situés à l’écart du monde.
Pour les Romains, de telles références paraissent encore pour le moins
étonnantes. Claudius Rutilius Namatianus, poète gallo-romain qui a réussi
une belle carrière de fonctionnaire à Rome, fait allusion dans une œuvre
écrite vers 419 à cette « espèce d’hommes qui fuient la lumière » et qui « se
donnent le nom grec de moines, parce qu’ils veulent vivre seuls et sans
témoins  ». Pour cet homme cultivé, le choix de s’infliger un mode de vie
78
qu’il considère comme un châtiment est suspect . Et, effectivement, on
peut se demander pourquoi les pratiques ascétiques de ces chrétiens
d’Égypte ont trouvé un écho dans l’aristocratie romaine et dans tout
l’Occident. Le témoignage de Rutilius démontre que ce sont plus les ouï-
dire que la lecture des Pères grecs (jamais traduits en latin) qui propagent
les informations concernant l’ascétisme des ermites. En revanche, les récits
anecdotiques et embellis de la vie des moines du désert ont eu une
diffusion plus immédiate par des traductions dans la partie occidentale de
l’Empire.
Après 360 environ, la vogue de l’ascétisme monacal a donc gagné
e e
progressivement l’Occident pour se diffuser aux V et VI   siècles. Le
mouvement monastique masculin est attesté jusqu’au-delà des Alpes, par
exemple à Lérins au début du Ve  siècle. En même temps, on assiste à
l’apparition des premières communautés féminines informelles à Rome
comme à Constantinople. La veuve byzantine Olympe de Constantinople
(368-408) protège jusqu’à 250 de ces femmes vouées à devenir, selon
l’expression d’Athanase, patriarche d’Alexandrie en 356, les «  fiancées du
Christ  ». Appartenant le plus souvent à l’aristocratie, ces converties
suscitent l’étonnement et les réactions hostiles de leur milieu social.
Soutenues par le pape Damase à Rome, certaines vont quitter leurs palais
pour la campagne et, bientôt, pour la Terre sainte.
Parmi d’autres, Jean Cassien (vers 360/365-vers 433/435) a découvert
ce mode de vie lors de ses déplacements en Palestine, en Égypte et à
Constantinople. S’entretenant de la perfection monastique avec le père
Choeremon du désert de Scété (delta du Nil), Cassien distingue six degrés
de pureté dans l’acquisition de la chasteté parfaite pour un religieux : « ne
pas succomber pendant la veille aux tentations de la chair  »  ; «  ne pas
arrêter son esprit aux pensées déshonnêtes », chasser les images de femmes
susceptibles d’éveiller la concupiscence  ; ne pas être troublé par la vue
d’une femme ; n’éprouver aucune érection pendant le jour ; être capable de
parler ou d’entendre parler sans la moindre émotion «  de tout ce qui
regarde la génération humaine, comme d’une chose indifférente  »  ; et le
sixième  : «  Ne plus être sujet, pendant son sommeil, aux illusions des
sens.  » Il conclut que bien peu de personnes peuvent atteindre le degré
supérieur de pureté, à savoir la chasteté : « Ce don particulier de Dieu est
79
une grâce si rare, qu’il ne faut pas en faire un précepte pour tous .  »
Cassien est encore plus explicite dans ses Institutions cénobitiques, rédigées
vers 420-424. L’un des douze livres de ce recueil d’environ 250 pages porte
sur « l’esprit de fornication », un sujet qui n’a rien d’une obsession puisqu’il
occupe une quinzaine de pages, soit quelque 6  % de la surface
rédactionnelle. D’autres problèmes sont souvent plus développés comme la
colère, l’acédie, l’orgueil ou encore la souffrance qui résulte de la faim et
de la soif, susceptibles de conduire à  l’indifférence, voire à un état de
dépression, le moine allant jusqu’à quitter sa cellule, s’abandonnant à
80
l’errance tel un animal dans le désert . Comme de nombreux auteurs,
Cassien fait grand cas des pollutions nocturnes des moines. Il cherche à
discerner dans les rêves érotiques les effets de l’ingérence du diable qui, en
suscitant les jouissances involontaires, parvient à écarter le religieux de
l’eucharistie. Une certaine anxiété accompagne donc les plus aguerris à la
vertu angélique. Et pourtant, concède Cassien, les pollutions nocturnes
sont une «  nécessité de la nature  », qui se débarrasse ainsi «  de la
surabondance de ses humeurs  ». Elles affectent même le moine vertueux,
en moyenne « tous les deux mois » suivant sa propre expérience. La preuve
de l’intégrité du cœur serait «  qu’aucune excitation voluptueuse ne nous
survienne pendant notre sommeil, et que nous ne soyons pas conscients
81
des pollutions auxquelles nous contraint la nature  ». Tant que, dans son
sommeil, le cénobite est le jouet d’imaginations, c’est qu’il n’a pas encore
atteint « une chasteté totale et parfaite ».
Pour Cassien, il y a donc une différence très nette entre la continence et
la chasteté. La première consiste à résister, à se faire violence, alors que la
seconde est l’état de libération de toute inquiétude charnelle. Celui qui y
parvient n’a plus à combattre les mouvements de la concupiscence mais il
vit dans la paix, l’équivalent de la sainteté. Cassien écrit :

« Ce sont deux choses différentes que d’être continent – c’est-à-dire


encratès – et d’être chaste et, pour ainsi dire, passer à cet état
d’intégrité ou d’incorruption qu’on appelle hagnos [chasteté], vertu qui
n’est guère accordée qu’à ceux-là seuls qui demeurent vierges dans leur
chair et dans leur esprit, comme furent on le sait, les deux Jean du
Nouveau Testament et, dans l’Ancien, Élie, Jérémie et Daniel. »
Par crainte de l’enfer ou désir du royaume des cieux, le continent tente
d’étouffer les tentations charnelles en les réprimant. Mais «  vivre dans la
fragilité de la chair sans en sentir les aiguillons » est une grâce particulière.
Et de citer un adage qu’il attribue à Basile de Césarée : « Je ne connais pas
de femme, et pourtant je ne suis pas vierge.  » Derrière cette formule
énigmatique, Cassien veut sans doute dire que l’incorruption de la chair
doit plus à l’intégrité du cœur qu’à l’abstinence du sexe 82.
Les conseils de Cassien témoignent surtout du succès de la vie
e
érémitique qui produit dès le milieu du IV   siècle une importante
littérature. La matrice du genre est la Vie d’Antoine écrite vers 360 par
Athanase d’Alexandrie (296/298-373), évêque qui a soutenu le
cénobitisme. Plusieurs périodes d’exil l’ont conduit en Occident, et
notamment à Rome vers 340-346. Son récit est connu en latin dès 370, ce
qui lui assure une diffusion extraordinaire pour l’époque. Il raconte
comment Antoine (251-356), tourmenté par les « douceurs de la volupté »
et le démon de l’impureté, a vécu reclus dans un tombeau. Après quarante
ans de lutte, il a choisi le désert proche de la mer Rouge, où le diable prend
cette fois l’aspect de bêtes féroces et venimeuses 83.
Un autre cénobite nous est connu par une biographie écrite de la main
de saint Jérôme lors de son séjour au désert entre 374 et 378. Il s’agit de
Paul de Thèbes (mort vers 345) qui a servi de modèle au traducteur de la
Bible et passe pour l’un des premiers Pères du désert. Jérôme lui-même a
fait largement état de sa propre expérience. Les jeûnes, le manque de
sommeil dû aux veilles prolongées et à l’inconfort de dormir assis, voire
debout ou par terre, la faim, la malpropreté, les membres déformés à force
de reposer sur la terre battue, tels sont les traits qui caractérisent
l’anachorète. La vigueur morale se fortifie par l’affaiblissement de la chair.
Dans sa correspondance, Jérôme évoque l’impossibilité de chasser ses
fantasmes érotiques. Il craint de s’endormir précisément à cause du risque
de rêves sensuels :
«  Dans ma jeunesse, quand le désert de la solitude me servait de
rempart, je ne pouvais supporter les excitations des passions et l’ardeur
de la nature. J’avais beau chercher à les briser par la fréquence des
jeûnes, mon âme était toute embrasée par les mauvaises pensées. »

Toutefois, Jérôme prône une modération dans les macérations.


Maltraité, le corps sera tout de même conservé suffisamment pour
84
continuer à prier et à lire l’Évangile .
Deux séries de textes témoignent encore des difficultés rencontrées par
les habitants des thébaïdes  : l’Histoire lausiaque et les recueils
d’apophtegmes. Comme le relève Aline Rousselle, l’intérêt de cette
littérature réside dans le fait qu’il s’agit de témoignages d’anachorètes et
non pas d’observateurs extérieurs plus ou moins portés à signaler des
85
comportements jugés étranges .
Dans l’Histoire lausiaque, le moine Palladius originaire de Galatie
raconte à Lausus, chambellan de l’empereur, la vie de ces moines d’Égypte,
pays où il a passé dix-sept ans (entre 388-399 puis entre 406-412).
L’objectif est de fournir un modèle à ceux « qui veulent ceindre la couronne
de la continence et de la chasteté  » grâce à un florilège de pratiques
ascétiques destinées à éteindre la concupiscence. Palladius a croisé les
personnages dont il cite les exploits. Sur les 70 notices du recueil, une
cinquantaine concerne des hommes. Une dizaine d’entre eux sont tentés
par la « concupiscence bestiale ». Quand il s’agit de femmes, dans 80 % des
cas, la qualité de vierge est mentionnée.
Parmi ces histoires édifiantes figure celle d’Évagre le Pontique (346-
399). Il s’est installé dans les sables de Nitrie, après avoir fui
Constantinople où le tenait une liaison avec une femme de la bonne
société. Les images de luxure ne cessent de le poursuivre  : «  Et pendant
chaque nuit, il se tint nu dans le puits – c’était l’hiver – au point même que
ses chairs étaient figées. » L’un des récits les plus extraordinaires concerne
un moine du désert de Scété qui dut lutter jour et nuit pendant douze ans
contre le désir de femme, de l’âge de 50 à celui de 62 ans. Par désespoir, il
alla se coucher dans la caverne d’une hyène, mais les bêtes ne firent que le
flairer. Au retour dans sa cellule, le démon l’assaillit en prenant l’aspect
d’une jolie jeune fille éthiopienne qui s’assit sur ses genoux, ce qui l’excita
considérablement. L’ayant souffletée pour la faire partir, il constata que sa
main dégageait une odeur méphitique insupportable qu’elle conserva
durant deux ans :

«  Étant réellement devenu découragé et désespéré, je sortis errant


çà et là dans le grand désert. Et ayant trouvé un petit aspic et l’ayant
pris, je le porte à mes parties génitales, afin que je mourusse, quand
même je fusse mordu d’une pareille façon. Et ayant écrasé la tête de la
bête contre les parties, en quelque sorte causes pour moi de la
86
tentation, je ne fus pas mordu . »

Après cet épisode, le moine put passer le reste de ses jours en paix.
On peut remarquer que ni la masturbation ni l’homosexualité ne sont
évoquées, alors que les préceptes du fondateur, Pacôme le Grand (mort en
348), montrent bien que des mesures sont prises pour éviter les occasions :
ne jamais partager sa natte avec un jeune homme, ne pas regarder les
autres, couvrir son corps et ne pas laisser égarer son regard en s’habillant,
87
ne jamais s’isoler à plusieurs, garder les cellules ouvertes . Qu’il soit
féminin ou masculin, le corps est toujours présenté comme chargé de
sollicitations charnelles.
Aujourd’hui encore, les apophtegmes, compilés aux Ve et VIe siècles, font
partie des lectures pratiquées dans les monastères. Sur près de 1 000 pages
de la collection systématique de ces fragments, 73 seulement sont
consacrées à la fornication, ce qui relativise fortement la thématique
sexuelle  ! Même si les textes concernent en très grande majorité des
hommes torturés par le plaisir sensuel, les femmes peuvent elles aussi en
éprouver le tourment, à l’instar de cette amma (« mère ») Serra qui subit
durant treize ans les assauts du démon de la fornication jusqu’à le vaincre.
Mais le plus souvent, les femmes sont présentées comme les tentatrices
usant de ruses pour mettre en péril la virginité des moines. Abba (« père »)
Gérontios relève combien, « même à l’âge des cheveux blancs », beaucoup
sont «  tentés par les plaisirs du corps, même sans avoir de relations
charnelles forniquent en pensée et, tout en gardant leur corps vierge, se
88
prostituent dans leur âme  ».
Les moines du désert ne consomment guère plus de 1 500 calories par
jour, en adoptant un régime très sobre (céréales et légumineuses). Selon la
diététique de l’Antiquité, il s’agit d’assécher les sources du plaisir. En effet,
l’émission de sperme proviendrait d’une «  surabondance d’humeurs  » que
les excès de nourriture favorisent. L’ordinaire se compose de lentilles, olives
salées, figues, raisins, prunes, sel, poisson séché, saumure, vinaigre,
poireau (le seul légume vert), tous aliments considérés comme
desséchants. Les restrictions alimentaires ou le jeûne prolongé induisent
inéluctablement une impuissance sexuelle des hommes comparable à
l’aménorrhée chez les femmes. Manger peu, boire sans arriver à satiété,
dormir seulement trois à quatre heures par nuit, tel est le régime propice à
rendre chaste en quelques mois. Aussi une expérience a-t-elle été menée en
1944 aux États-Unis sur un échantillon de 32  hommes. Nourris à 1  400-
1  700 calories durant six mois, ils ont perdu tout désir, y compris sous
forme de rêves et d’éjaculations nocturnes. Avant d’accéder à cet état
d’«  impuissance de famine  », leurs fantasmes sexuels ont toutefois
augmenté durant la première phase du jeûne, ce que les sources antiques
89
observaient déjà en incriminant les « attaques redoublées du démon  ».
3

Des eunuques pour le Royaume

Le récit des débuts de l’humanité dans la Bible, en Genèse I, aboutit à


l’expulsion d’Adam et d’Ève du jardin d’Éden. En général, les
commentateurs insistent sur la liberté laissée par le Créateur qui autorise la
transgression. Autrement dit, l’épisode où Ève cueille le fruit défendu, qui
doit, selon le serpent tentateur, lui révéler la connaissance du bonheur et
du malheur, est une manière de poser la question de l’existence du mal et
des choix laissés au libre arbitre des humains. La Bible précise aussi
qu’Adam et Ève étaient nus (Gn 2, 25) et que, après avoir mangé le fruit,
ils ont pris conscience de cette nudité (Gn 3, 10), si bien que Dieu leur a
donné des tuniques de peau de bête. C’est ensuite seulement qu’Adam
« connut » sa femme, celle-ci engendrant deux fils (Gn 4, 1). On a donc pu
en déduire que la faute d’Adam (appelée aussi «  péché originel  » depuis
saint Augustin) était de fait une révélation de la sexualité. Sous la
métaphore du fruit défendu se tient le serpent, incarnation de l’érotisme,
qui aurait insufflé le désir sexuel à la femme désormais libidineuse. Pour
d’autres, en particulier pour l’Église d’Égypte, le péché originel aurait
plutôt consisté en une «  gourmandise vorace  », qui prend tout son sens
dans le monde antique, hanté par la famine. Cette deuxième interprétation
présente indéniablement l’intérêt de valoriser le jeûne comme réparation
du « péché fatal d’Adam 1 ».
Ce que disent les textes

Dans l’une de ses versions, la Genèse relate aussi que la femme est
dérivée d’un fragment d’Adam, prélevé par Dieu sur le corps de l’homme
endormi. À travers leurs relations charnelles, les deux premiers êtres
humains s’efforceraient donc de recomposer l’unité originelle puisque,
destinés à vivre ensemble, ils copulent pour devenir «  une seule chair  »
(Gn 2, 24). Cette unité première à laquelle ils aspirent découlerait aussi de
la manière dont le récit de la Création évoque l’apparition de l’homme :

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les


créa homme et femme afin qu’ils soient féconds. » (Gn 1, 27.)

Le passage du singulier (« il le créa ») au pluriel (« il les créa homme et


femme  ») laisse planer une ambiguïté sur l’état de la créature  : fut-elle
d’abord androgyne  avant de prendre la forme de deux êtres sexués
séparés  ? L’enjeu est de savoir si la division des sexes précède la
connaissance du mal. Pour les gnostiques, c’est la Chute qui les sépare.
C’est pourquoi le Christ, lui-même né d’une femme en dehors d’une
implication masculine, apporte la Rédemption, qui est aussi reconstitution
de l’androgynie édénique originelle. Comme l’exprime la formule (logion
en grec) de l’évangile apocryphe selon Thomas (première moitié du
e
II   siècle), le mâle et la femelle feront alors «  un seul et même être, de
façon à ce que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus
2
femelle  ». Se suffire à soi-même en fuyant la complémentarité des sexes et
la tension sexuelle est certes un moyen de préserver la virginité.
L’implication sexuelle de la faute originelle est fréquente chez les Pères
de l’Église. Tatien le Syrien (vers 120-vers 173) pense que le serpent a
appris aux deux occupants du paradis terrestre ce que font les animaux, et
que désormais ils partagent avec eux la réalité de la copulation. Au début
e
du III  siècle, Clément d’Alexandrie assimile la chute à la consommation du
3 e
mariage par Adam et Ève . Jean Chrysostome (IV   siècle) estime qu’au
paradis terrestre, avant la faute, «  il n’était nullement question de
mariage », car le « désir de l’union charnelle » et même « toute forme de
corruption  » étaient absents de leur âme. Ainsi la vie d’Adam et d’Ève
4
s’écoulait, « parée des ornements de la virginité  ». Pour Grégoire de Nysse,
vers 370, la désobéissance d’Adam lui fait perdre l’immortalité et l’amène
donc à découvrir des pulsions sexuelles comme les animaux, afin d’assurer
la continuité de l’espèce humaine dans la durée.
C’est saint Augustin qui donne son développement ultime à
l’association entre sexualité et faute originelle. En se désolant dans la Cité
de Dieu que les organes destinés à la génération ne puissent être soumis à
la volonté, il en vient à commenter le passage de la Genèse : « Tous deux
étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte » (Gn
2, 15). S’il y a activité sexuelle avant la Chute (ce qui est controversé aux
e e
III et IV   siècles), elle se déroule sans libido, l’organe de la reproduction
restant docile, au même titre que les doigts de la main. Selon lui, leur
nudité était pure puisque leurs organes obéissaient à la volonté alors
qu’après avoir goûté le fruit défendu, la concupiscence – ce qu’il appelle
libido – va, dit-il, mettre « en mouvement leurs membres indépendamment
de leur décision  ». Inhérente à leur désobéissance, la libido, dit Augustin,
en constitue le châtiment, quand s’est produite «  par un mouvement de
leurs corps, une forme d’impudeur nouvelle qui rendit leur nudité
indécente  » et les remplit «  de confusion  ». En clair, Adam, gêné du
spectacle de son érection inopinée, se couvrit le membre viril d’un pagne
de feuilles de figuier 5. Désormais, conséquence de cette « libidinisation du
sexe  » (Foucault), les organes de la reproduction sont des «  parties
honteuses  », la concupiscence ou forme sexuelle du désir étant assimilée
aux «  passions vicieuses de l’âme  ». Michel Foucault a raison de rebondir
sur la perplexité d’Adam pour élargir le propos et la portée des stigmates
de la chute : « Ce mouvement involontaire reproduit dans le corps humain
la révolte de l’homme dressé contre Dieu 6. » Ou, suivant une formulation
encore plus explicite  : «  D’un mot, le sexe “surgit”, dressé dans son
insurrection et offert au regard. Il est pour l’homme ce que l’homme est
pour Dieu : un rebelle 7. » Il s’ensuit que tout le discours chrétien, à la suite
d’Augustin incapable d’associer amour et sexualité, va répercuter la
suspicion sur le plaisir charnel.

Se marier ou brûler ?

Dans le Nouveau Testament, rien de tel pourtant. Rien ne laisse


entendre que la sexualité doit être orientée uniquement vers la
procréation. Jamais le Christ ne parle directement de ce sujet  ! Une
première allusion se trouve dans l’évangile de Matthieu au chapitre 19 par
le biais d’une discussion entre le Christ et les pharisiens à propos de la
répudiation. Jésus se réfère au passage de la Genèse où il est dit qu’homme
et femme ne feront plus « qu’une seule chair ». La suite concerne un aparté
avec les disciples qui s’interrogent sur l’intérêt du mariage pour l’homme,
moment où Jésus insère une phrase plutôt énigmatique :

« En effet il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein maternel ; il
y a des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes ; et il y en a
qui se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du Royaume des
cieux. Comprenne qui peut comprendre ! » (Mt 19, 12.)

Le mot « eunuque » désigne ici la continence. Le Christ fait-il allusion à


une polémique ou à des accusations portées contre lui ? Pour se conformer
à la loi juive, il aurait dû être marié, car l’absence de descendance ou la
stérilité sont reçues comme une punition divine. Les eunuques sont
d’ailleurs exclus de la communauté d’Israël et du sacerdoce lévitique. Or,
Jésus, à l’inverse, les réhabilite et semble reconnaître comme une grâce le
libre renoncement à une descendance sans l’imposer 8  ! Outre cette
hypothèse, les exégètes ont surtout retenu une dimension eschatologique,
choix totalement libre d’une priorité donnée au Royaume de Dieu, soit une
fécondité spirituelle qui requiert une disponibilité absolue. Dès lors, poser
la continence comme condition de la pureté rituelle est sans conteste une
distorsion de sens. Pourtant, cette interprétation s’est imposée dans l’Église
latine.
À l’époque d’Origène, la castration volontaire aurait été assez
répandue, associée à la recherche d’une condition angélique. Quand les
caractères sexuels secondaires comme la barbe ne se développent pas,
l’eunuque adulte se distingue en effet par un visage glabre qui jette sur lui
l’opprobre d’un défaut de masculinité. À partir du VIe  siècle cependant,
l’eunuque est considéré comme l’équivalent d’un ange et, dans
l’iconographie, les anges sont systématiquement représentés comme des
créatures asexuées au visage féminin et glabre 9. Pourtant, si la mutilation
rend les hommes inféconds, ils ne deviennent pas nécessairement chastes
ni incapables d’avoir des rapports sexuels. Sinon comment comprendre
qu’au XVIe siècle, le pape Sixte Quint, particulièrement rigoriste, se soit ému
de la « luxure » des castrats en leur interdisant le mariage qui, à défaut de
procréation, ne pouvait qu’avoir une finalité jouisseuse ?
Plus couramment, la référence aux eunuques évangéliques reste
purement métaphorique. Ainsi, pour ne retenir qu’un exemple à l’époque
moderne, un auteur du milieu du XVIIe siècle, qui pensait pouvoir supporter
la vie monastique, n’a guère été plus loin qu’un séjour dans une abbaye
bénédictine. Dans son manuel de civilité, il conseille la chasteté en
louant  la continence des «  eunuques volontaires  » car ils «  multiplient la
vertu » à défaut de multiplier « la nature 10 ». L’exégèse récente estime pour
sa part que le passage sur les eunuques reflète plus les idées de Matthieu,
influencé par les milieux esséniens, qu’il ne rapporte d’authentiques
paroles du Christ. Ce serait le non-accomplissement du retour du Christ, ou
du moins son retard par rapport aux attentes, qui aurait déterminé dès les
premières générations de disciples le choix de l’ascèse, autrement dit une
sorte de «  programme volontariste pour tenir jusqu’au bout  » dans la
difficile condition d’être humain exilé sur la terre. Dès lors, comme le
pense un théologien contemporain, le célibat « émane bien plus du besoin
d’être délivré de l’existence terrestre que d’une soi-disant animosité à
11
l’égard de la sexualité ou de la femme  ».
Dans l’évangile de Luc (Lc 20, 34-36), une autre intervention du Christ
répond à une question des sadducéens sur la résurrection :

« Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.


Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la
résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari. C’est qu’ils ne
peuvent plus mourir car ils sont pareils aux anges 12. »

Cette affirmation a souvent été détournée pour justifier le célibat des


clercs alors que Jésus se borne à signaler que, dans la vie après la mort, il
n’y aura plus de sexualité, même lorsque le corps sera complet comme le
veut la conviction de la résurrection. Autrement dit, aucun des textes
fondateurs du christianisme n’érige en règle l’abstention sexuelle ou la
supériorité de la virginité. Aucun non plus ne rattache ce style de vie à
l’organisation ecclésiale ou aux contraintes du ministère.
Reste à considérer les écrits pauliniens, eux aussi fortement sollicités
par des lectures orientées. Dans l’épître aux Galates (vers 50-51), Paul
oppose la chair et l’Esprit. Ce dualisme lui permet de cibler les désirs –
parmi eux les pulsions sexuelles – auxquels l’Esprit (la volonté qui
appartient à l’âme) peut difficilement résister : « Aussi ne faites-vous pas ce
que vous voulez  », dit l’apôtre (Ga 5, 17). Dans sa lettre aux Colossiens
(vers 54-60), il exprime une certaine désillusion envers les « doctrines des
hommes » qui peuvent bien prendre « figure de sagesse », telles l’ascèse et
la dévotion, mais qui sont sans valeur « pour mater l’insolence de la chair »
(Col 2, 22-23). Dans la première épître aux Corinthiens (vers 55-56), il fait
un éloge appuyé du célibat parce que, dit-il, «  le temps se fait court  » et
que «  la figure de ce monde passe  » (1 Co 7, 29 et 31), autant
d’affirmations eschatologiques souvent répétées aux premiers  siècles du
christianisme. Certes, dit-il, « il est bon de rester ainsi, comme moi » (1 Co
7, 8-9) et d’ajouter cette injonction dont la postérité s’est emparée avec
empressement :

« Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient ;


car il vaut mieux se marier que brûler. »

Brûler signifie ici céder à ses passions et forniquer. En affirmant que


n’être pas marié permet de se soucier davantage des affaires du Seigneur et
moins de celles du monde, l’apôtre se situe franchement à contre-courant
des normes sociales qui considèrent le célibat comme infamant (1 Co 7,
32-34). Il est par ailleurs hautement subversif de prétendre, comme il le
fait, qu’une femme peut se réaliser « dans son corps et dans son esprit » (1
13
Co 7, 34) sans avoir besoin d’un homme  ! Mais Paul, lui-même célibataire
volontaire, respecte pleinement le mariage dans la mesure où la chasteté
complète n’est pas accessible à tous. Compte tenu de «  votre incapacité à
vous maîtriser, écrit-il aux chrétiens de Corinthe, je vous fais une
concession  : “Pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa
femme et chaque femme son mari” » (1 Co, 7, 1-7). Dans son premier écrit,
la lettre aux Thessaloniciens (vers 50-51), déjà, il souhaite « que chacun de
vous sache avoir sa propre femme et vivre avec elle dans la sainteté et le
respect, sans se laisser emporter par le désir comme font les païens » (1 Th
4, 4-5).
Paul reprend la tradition judaïque qui oppose la jouissance de la luxure
au désir sexuel destiné à la génération. S’adressant aux Églises naissantes
de Rome (vers 57-58), il stigmatise le risque de céder aux « convoitises » et
aux « passions avilissantes » quand les « femmes ont échangé les rapports
naturels pour des rapports contre nature », ou quand les hommes « se sont
enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme
à homme  » (Rm 1, 24-27). Pourtant, il insiste aussi sur la nécessité des
rapports sexuels au sein du couple marié (1 Co 7, 5)  : «  Ne vous refusez
pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement. »
Les disciples de Jésus qui prêchent l’imminence du Royaume de Dieu
ne peuvent que se distinguer du mode de vie normal des juifs de leur
temps. Leur vocation religieuse les constitue en personnes à part. Paul est
symptomatique de ces prêcheurs détachés des obligations coutumières aux
juifs de Palestine mais qui restent juifs tout de même. Dans l’attente du
retour du Christ, il a une conscience forte des limites du corps, ce corps
fragile et mortel, vulnérable aux impulsions de la chair qui rendent
esclaves, ce que Paul oppose à la liberté procurée par le choix de l’Esprit de
14
Dieu . Les prédicateurs itinérants comme lui sont pauvres et sans attaches
familiales. Néanmoins, l’épître aux Corinthiens précise aussi, en évoquant
les autres apôtres, tous mariés, qu’il leur est tout à fait licite d’emmener
15
avec eux leurs épouses (1 Co 9, 5) .
Le choix de la continence pleinement assumée par Paul va
certainement marquer les premières générations chrétiennes. La «  chair  »
paulinienne a pu être identifiée au corps lui-même, porté au désir
vénérien, sinon au péché de luxure. Échapper le plus possible au
comportement «  charnel  » devient alors une condition du salut comme le
laisse entendre un verset de l’épître aux Romains :

«  Si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez  ; mais si, par


l’Esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez. »
(Rm 8, 13.)

C’est ce que Peter Brown qualifie d’« héritage catastrophique 16 ». Quant


au mariage, il est devenu le remède indispensable à ceux qui ne peuvent se
contenir. À ce titre, il est le lieu de l’harmonie sociale, en servant de
manière normée la reproduction de la société tout en recelant le risque
permanent de la concupiscence fautive. En admettant le compromis d’une
sexualité ordonnée, Paul coupe court probablement aussi aux excès des
adeptes fervents d’une abstinence sexuelle totale dont l’influence sur les
communautés visitées par l’apôtre devait être problématique. Sans le
mariage, la communauté chrétienne se serait repliée sur un groupe de
17
célibataires, annihilant toute perspective d’expansion .

Une tradition dévalorisante

Par la suite, les Pères de l’Église ont transmis des interprétations


tendancieuses et restrictives de Paul. Tertullien au début du IIIe  siècle et
Jérôme à la fin du siècle suivant en sont les exemples les plus flagrants : le
premier en plaçant la virginité au sommet des qualités propres à la
sanctification, le second en propageant l’idée que la sexualité est
incompatible avec la « vie parfaite », cet idéal monastique qui associe une
conduite pure avec la connaissance de la vérité. Entre eux deux, Jean
Chrysostome gauchit lui aussi la pensée paulinienne en écrivant à propos
du chapitre 7 de la première lettre aux Corinthiens :

«  Jamais le mariage n’est loué pour lui-même, mais à cause de la


fornication, des tentations et de l’incontinence. »

Ceux qui, «  par mollesse, refusent l’effort […] pour éviter ces
désordres  » vont donc se marier 18. Il est notoire qu’à travers ses propos,
l’archevêque de Constantinople ne place pas la procréation comme finalité
19
première du mariage  ! L’exégèse de Jérôme transforme encore la morale
matrimoniale paulinienne. Le mariage devient un moindre mal qui sert à
lutter contre la débauche. Autrement dit, ce qui était un choix purement
personnel chez Paul, celui de la chasteté associée à la continence absolue,
est fortement recommandé par les Pères avant de s’ériger en obligation
20
pour les clercs dans l’Église latine .
Saint Augustin, enfin, va plus loin lorsqu’il commente le passage de
l’épître aux Galates qui condamne les œuvres de la chair «  avec ses
passions et ses désirs » (libertinage, impureté, débauche) pour louer « les
fruits de l’Esprit » (amour, joie, paix, maîtrise de soi) (Ga 5, 19-24). Dans
son sermon, il écrit que l’apôtre a considéré la fornication comme le plus
grave des péchés. Lorsque l’homme «  se livre frénétiquement à cet acte
brutal  », son âme est «  comme submergée et engloutie dans cette fange
honteuse ». Et d’étendre le sens de fornication, concept qui, « embrassant
absolument tout, consiste à s’attacher au monde et non pas à Dieu », l’âme
21
s’adonnant ainsi à une sorte de «  prostitution générale   ». En rupture
partielle avec la pensée paulinienne, la tradition catholique s’enlise dans
une dévalorisation de la sexualité.
L’orthodoxie catholique se réfère en permanence à Thomas d’Aquin
(1224/1225-1274), précisément surnommé le «  docteur angélique  »,
22
allusion à sa spiritualité de haut vol . Considérée «  comme le premier
“traité des passions” produit par un intellectuel chrétien au Moyen Âge »,
la Somme de théologie (Summa theologiae), condensé de la pensée
patristique et de la doctrine, a inspiré d’innombrables gloses et
23
commentaires jusqu’à l’époque contemporaine .
Ainsi, la chasteté modère les « convoitises de ce qui procure du plaisir
en matière sexuelle  ». Elle s’oppose à la luxure et lui ordonne la pudeur,
définie comme une réserve par rapport à la honte que suscitent les actes
sexuels et les organes génitaux. Elle est de l’ordre de la raison, impliquant
une résolution de s’abstenir perpétuellement du plaisir sexuel pour
conserver «  l’incorruptibilité dans une chair corruptible  ». Ce n’est pas la
perte de l’intégrité qui annihile la virginité, c’est bien «  le plaisir qui
provient de l’émission du sperme  », semence qui, dans la conception
ancienne, est émise autant par les hommes que par les femmes. Pour
Thomas d’Aquin, le choix de la virginité ne consiste pas à s’abstenir de tout
plaisir mais seulement du plaisir sexuel, en vue de valeurs supérieures.
Cependant, céder à la concupiscence est irréversible, car si Dieu peut
potentiellement restaurer miraculeusement l’intégrité virginale perdue,
aucun miracle n’est possible pour «  celui qui a fait l’expérience de la
volupté charnelle ». La continence signifie que l’on « se “contient” de suivre
la passion » ; elle « implique la cessation de tous les plaisirs sexuels ». Au
contraire, l’incontinence consiste à céder à ses assauts au lieu de suivre le
conseil de la raison. Les plaisirs du sexe étant plus « véhéments » que les
autres, la « convoitise de la chair » triomphe chez celui qui ne résiste pas
avec suffisamment de force.
La luxure est définie comme le péché de mésusage du plaisir sexuel,
soit que l’on s’oppose à la génération de l’enfant ou que l’honneur de l’être
humain n’est pas respecté. Instituant une partition qui sera sans cesse
reprise ensuite par les manuels de confession, Thomas distingue six cas de
luxure : la fornication simple, qui est « un accouplement fortuit, ayant lieu
en dehors  du mariage  », l’adultère, l’inceste, le stupre (défloration
d’une  vierge sous la contrainte), le rapt (l’action d’enlever une personne
par séduction ou violence pour la soustraire au mariage légitime  ;
assimilable au viol) et le vice contre nature (bestialité et homosexualité).
Cette énumération suit une  gradation dans la gravité du péché,
l’homosexualité, qui ne « tient pas compte du sexe requis », surpassant le
«  péché de celui qui n’observe pas le mode qui convient pour l’union
24
sexuelle  ».
Il n’y a pas lieu de faire l’histoire des appropriations diverses de la
pensée thomiste. Pour l’époque plus contemporaine, en revanche, le père
Charles-René Billuart (1685-1757) occupe une place particulière. Son
œuvre est sans doute le commentaire le plus exhaustif de la Somme de
saint Thomas, et même le dernier guide de lecture en date du docteur
angélique. Billuart a servi de source à tous les auteurs d’ouvrages de
théologie morale et surtout de pénitentiels, ces manuels à l’appui du
ministère de la confession composés par des virtuoses de la casuistique.
Confrontés à la nécessité de transposer les normes dans la vie pratique,
autrement dit de décortiquer des multitudes de cas particuliers où l’action
singulière cherche à se conformer à l’enseignement général, les moralistes
ont en effet décliné en résolutions diverses, quasi à l’infini, des exemples
vécus et d’autres simplement imaginés.
e
De 1746 à 1751, Billuart a produit 19 volumes in-8 en latin, qui
passent pour situer la théologie morale dans la ligne voulue par Rome, à
mi-chemin entre le rigorisme janséniste et le laxisme dont avaient été
accusés les jésuites. Cet énorme ouvrage a été réédité à plusieurs reprises.
Compte tenu de l’autorité que prendront ses considérations sur le péché de
luxure, il n’est pas dénué d’intérêt de constater que, à en croire ses
panégyristes, le père Billuart lui-même a lutté pour dompter sa chair. Entré
chez les dominicains à l’âge de 18 ans, il s’est enveloppé d’une robe de
laine blanche comme la couleur d’un linceul  : de «  sourds orages  »
menaçaient la solitude de sa cellule dont seules l’étude et la prière
l’auraient protégé.

«  Ô Croix, s’écriait-il en l’embrassant, […] sauve-moi […] que je


sois crucifié moi-même avant que de vous souiller dans mes membres !
Et cet amoureux recours au Sauveur achevait de lui conserver sans
25
tache le lustre de sa chasteté . »

Ses sermons insistent sur les pièges de la vie dans le monde, les
« amitiés lascives », « l’indolence d’une vie molle et oisive » et encouragent
à « se priver volontairement de tous les plaisirs des sens », et plus encore à
«  déclarer une guerre continuelle à  son corps  », avec pour armes les
«  disciplines, haires, cilices  » et autres macérations, afin de conserver le
26
«  trésor de chasteté   ». C’est donc non sans ignorer les risques de la
concupiscence que le savant dominicain commente et exemplifie les
questions déjà traitées par son illustre prédécesseur angélique sur
la  chasteté et son contraire, la luxure. Loin de constituer  une obsession,
cette dernière couvre environ 70 pages, la Somme de Billuart s’étendant sur
plus de 4  000 pages dans les dix volumes de l’édition in-quarto de 1857.
En conséquence, l’exposé des péchés contre la chair occupe en définitive
moins de 2 % de la surface rédactionnelle totale.
L’auteur s’efforce de préciser en quoi consiste le bon usage du mariage,
à savoir une orientation exclusive de la copulation vers la génération. Les
conjoints, en acceptant que leurs corps servent à l’introduction de la
semence dans le vase naturel prévu pour la recueillir, ont l’obligation de
rendre le « devoir » conjugal. Tout ce qui s’en éloigne est cause de péché,
de gravité croissante dès le moment qu’il y a «  effusion de semence  »
(pollution). C’est pourquoi l’auteur précise que les baisers, attouchements,
regards et conversations érotiques entre époux sont tolérables s’ils
s’arrêtent avant ce point de non-retour 27.
Si la luxure est définie comme un « penchant peu ordinaire aux plaisirs
de la chair  », la chasteté devient «  une vertu qui réfrène la délectation
charnelle conformément à ce que prescrit la raison 28 ». Elle se décline en
trois variantes  : conjugale, de veuvage et virginale. La première implique
l’abstinence des plaisirs illicites et l’usage modéré des plaisirs licites dans le
mariage. La deuxième se défend non seulement de ce qui est prohibé, mais
encore de ce qui est autorisé dans le mariage. La troisième est
renoncement à toute expérience en ce domaine et abstinence perpétuelle.
Cette dernière est évidemment un état d’excellence supérieur au mariage.
De longs développements traitent de la masturbation féminine, semble-
t-il moins grave que la masculine, parce qu’il n’y a pas flux extérieur de
semence. Tel n’est pas le cas de ce qu’il appelle mollities («  mœurs
efféminées ») : l’expression désigne la pollution volontaire masculine. Chez
la femme, la virginité se perd irrémédiablement par l’introduction du
membre masculin ; réciproquement chez l’homme par la pénétration. Une
simple délectation mentale – ce que la casuistique appelle la « délectation
morose  », soit les images mentales de copulation dans lesquelles on se
complaît délibérément – est en revanche amendable et ne cause pas la
perte du statut de vierge. Ainsi, Billuart, dans les méandres de ses subtiles
distinctions, met surtout en évidence l’écart existant entre chasteté et
virginité. Par ailleurs, il se préoccupe particulièrement de la différence
entre l’homme et la femme par rapport à cette dernière. Un homme qui
fornique ne nuit à personne car il a l’entière propriété de son corps, aussi
bien de son sexe que de ses autres membres, les yeux notamment. Pour la
jeune fille, en revanche, une ouverture de la porte virginale, par elle-même
ou par un tiers, entraîne des conséquences non seulement pour l’intéressée,
mais aussi pour les autres, en premier lieu pour ses parents, qui ont la
garde de son corps. En effet, la perte de la virginité empêche la conclusion
d’un mariage légitime, ce qui constitue une grave injustice pour sa famille.
La gravité de la faute s’en trouve majorée d’autant.
Totalement inadaptées à la réalité de la vie du couple, les «  lois du
mariage  » suscitent inévitablement l’anxiété de ceux qui tentent de s’y
conformer. Ici, les contradictions ecclésiales deviendront de plus en plus
difficiles à supporter. Ainsi, près de deux siècles après Billuart, dont la
doctrine n’a pas subi le moindre correctif, le recueil de lettres publiées par
Martine Sevegrand rend compte de la misère psychologique de croyants
tiraillés par leur exigence d’authenticité et qui  cherchent en  vain des
réponses auprès d’un prêtre, l’abbé Jean Viollet, afin de concilier l’amour et
la morale 29. Le mariage n’est-il plus qu’une occasion de s’enfoncer dans le
péché ? Déconnecté des réalités psychologiques, ce moralisme figé ne peut
guère intégrer ce que François Mauriac a expérimenté comme la
« souffrance du chrétien ». Au plus fort de sa crise personnelle et religieuse
vers 1930, l’auteur a exprimé sa révolte contre l’inhumanité d’un certain
catholicisme en constatant que le christianisme ne prend pas en compte la
chair puisqu’il la supprime 30. Et de citer Pascal  qui voit dans le mariage
« la plus basse des conditions du christianisme, vile et préjudiciable selon
Dieu ». Bossuet, lui aussi cité, va plus loin encore :

«  Souillés dès notre naissance et conçus dans l’iniquité, conçus


parmi les ardeurs d’une concupiscence brutale, dans la révolte des sens
et dans l’extinction de la raison, nous devons combattre jusqu’à la mort
le mal que nous avons contracté en naissant. »

Pour Mauriac, s’arracher à la beauté des corps dépasse nos forces. En


effet, la concupiscence attache l’âme au corps. Impossible de vaincre le
désir qui rive l’âme à son support charnel et empêche de ne pas souhaiter
étreindre et posséder. Comment, s’interroge l’écrivain, «  oser regarder en
face l’exigence chrétienne  ?  ». À vrai dire, selon Mauriac, la majorité des
chrétiens «  adhèrent à une loi qui leur demeure inconnue  ». Dès lors, les
mystiques sont les « seuls chrétiens véritables » ; ils savent aimer Dieu en
aspirant à le posséder. C’est pourquoi le langage des effusions mystiques
est si proche de celui de la passion amoureuse. Les mystiques ne sont-ils
pas « les amants de Dieu » ?

La virginité magnifiée ou la défiance du sexe

Assurément, le renoncement au monde et à ses voluptés est loin d’être


une évidence. Au cours de la vie religieuse, les relations avec les autres
peuvent s’avérer délicates si l’on prétend éviter le piège des tonalités
affectives. Le Manuel du séminariste de Louis Tronson (1622-1700)
comporte ainsi des règles de maintien pour observer la «  modestie du
visage  » qui sied à l’état clérical  : tenir les yeux baissés, ne pas regarder
fixement une personne, se tenir droit, ne pas se toucher soi-même sans
nécessité, ne pas se pencher de manière indécente, éviter les postures
lâches ou efféminées 31… Les religieuses, tout comme les jeunes filles dans
le monde d’ailleurs, respectent des consignes de décence, de prudence et
de chasteté. Celles-ci sont tellement intériorisées dans la société
occidentale jusqu’à nos jours qu’elles n’ont plus besoin d’être davantage
précisées 32. C’est pourquoi les Constitutions des moniales déchaussées
(carmélites) sont plutôt avares de détails. La première, datée de 1567,
prescrit :

«  Aucune sœur n’en embrassera une autre, ni ne touchera son


visage ni ses mains  ; elles n’entretiendront point d’amitiés
particulières. »

Vivant chacune dans une cellule séparée, les carmélites observent le


silence durant leurs activités et les nécessités de la  vie en communauté.
Céder au « péché de sensualité » est considéré comme une faute très lourde
33
et entraîne l’emprisonnement et l’exclusion du chapitre des sœurs .
L’édition remaniée de 1581 qualifie de «  coulpe très grave  » le fait de
« tomber dans le péché de la chair 34 ». Adaptée en 1991, la règle actuelle
s’arrête moins sur les dérives et les punitions que sur les richesses du
charisme thérésien :

«  Conscientes de leur fragilité, les sœurs pratiqueront la


mortification, en s’appliquant avec soin à la garde du cœur et à la
maîtrise des sens. »

Don divin, la chasteté consacrée devient le témoignage de l’amour


sponsal pour le Christ. En même temps, la règle insiste sur « l’équilibre de
la personne  » qui suppose aussi que les religieuses aient une «  formation
suffisante et positive sur la nature humaine et ses inclinations les plus
profondes  ». Leur «  maturité psychologique et affective  » devient la
condition de « l’observance de la continence parfaite 35 ».
Autrement dit, dans la perspective religieuse, l’affectivité est tout
entière orientée vers l’absolu transcendant. Elle comporte sans doute un
aspect charnel, qui se démarque néanmoins de tout engagement du corps
dans sa dimension sexuelle. L’amitié peut se trouver valorisée comme
inclination de l’âme à condition qu’elle renforce la relation avec Dieu. Dans
cette logique, les amitiés spirituelles dans les monastères seraient
vertueuses par définition et n’auraient absolument rien à voir, comme
certains l’ont pensé, avec une quelconque tolérance pour l’homosexualité 36.
Le moindre attachement affectif étant prohibé, «  la seule issue était
37
verticale, en Dieu  ».
D’une certaine manière aussi, la virginité magnifiée constitue tout
simplement une négation du sexe. Cette forme de désexualisation
chrétienne peut certes être perçue comme un affranchissement par rapport
aux contraintes imposées aux femmes. Néanmoins ne pourrait-elle être
aussi tenue pour un renoncement implicite à toute féminité 38 ?
L’équivoque mystique

Les textes des Pères de l’Église primitive laissent l’impression d’une


défiance permanente vis-à-vis du corps, voire d’une haine pour les pulsions
de la chair. Au-delà de ce constat de base, Peter Brown a montré comment
les théologiens ne cessent de porter une énergie intellectuelle, qu’il qualifie
de «  féroce  », à une question fondamentale, celle soulevée «  par
l’incarnation du Christ et à son résultat, la fusion de l’humain et du divin
en une seule et même personne 39 ». Jésus, totalement homme et en même
temps de nature divine, devient le modèle du rapport entre le corps et
l’âme dans chaque individu. Comme l’explique le maître byzantin Jean
Climaque (~579-~ 649), «  quand la nature est vaincue, l’on doit
reconnaître que cette victoire est un effet de la présence de celui qui est au-
dessus de la nature ». Et cette définition de la chasteté :

« Le chaste est celui qui bannit l’amour sensuel par l’amour divin &
éteint le feu de la terre par le feu du ciel 40. »

Autrement dit, la vie spirituelle est considérée par l’ascète syrien


comme « une guerre contre le corps », et il conseille de ne jamais se fier « à
41
cette boue impure dont votre corps a été formé  ». Chez Ignace de Loyola,
au XVIe siècle, le mépris du monde ira encore plus loin puisque le fondateur
de la Compagnie de Jésus souhaite qu’à sa mort sa dépouille soit jetée sur
un tas de fumier. Mais comment donc Jésus-Christ, le fils de Dieu, a-t-il pu
s’incarner dans un corps considéré comme aussi vil ?
Seule une profonde transformation peut rendre le corps conforme à
celui de Jésus ou du moins s’approcher de son modèle. La conservation de
l’intégrité de la chair par la virginité et le témoignage du martyre y
contribuent. En effet, les désirs humains prennent sens dans les souffrances
et la mort du Christ, ce que désigne le mot qui prend désormais une
majuscule, la «  Passion  ». Cette identification avec l’humanité du Christ
entraîne l’appropriation personnelle de sa dimension divine. Les
contraintes les plus douloureuses infligées au corps procurent alors aux
ascètes l’impression de dominer leurs pulsions dans « un état de béatitude
42
et un sentiment de liberté   ». Comme le dit dans une belle formule
Damien Boquet, «  le corps des passions, par analogie avec le Corps de la
Passion, est au centre désormais des stratégies individuelles et collectives
43
de salut  ».
L’épreuve mystique remplace durant les Temps modernes le martyre
physique sanglant, celui du «  confesseur  » qui proclame sa foi malgré la
persécution. Désormais, le « martyre vivant » d’anéantissement par l’ascèse
(ou d’autres formes de souffrance physique) est magnifié. L’horreur du
corps vecteur de péché se complaît à envisager l’épreuve d’une vie entière
faite pour souffrir. C’est à ce prix que «  le corps martyrisé du mystique
devient “image sensible” du corps du Christ 44  ». Dans les cas extrêmes
racontés par les biographies pieuses, des religieuses s’efforcent d’être
défigurées par la petite vérole. D’autres supportent stoïquement, voire
souhaitent les interventions les plus douloureuses des chirurgiens. Les
témoins vont pouvoir transmettre les faits et leur donner le sens attendu,
e
celui d’un lien entre le corps du mystique et le Christ. Au XVII  siècle, chez
Fénelon, la notion connaît encore une extension avec ce qu’il appelle « le
martyre intérieur du pur amour ». Cette épreuve est l’attente du Christ, la
souffrance de l’absence de l’époux, l’expérience de la sécheresse, le
désagrément de ne pas pouvoir mourir encore, l’impression d’être
abandonné de Dieu, le désespoir, les grandes tentations. Cette métaphore
du martyre a été vécue très péniblement avec des douleurs bien réelles par
les mystiques, convaincus que ces tribulations sont inhérentes à la vraie vie
chrétienne 45.
Il n’empêche, les émotions et l’affectivité sont au cœur de l’expérience
mystique, quand « le principe même de la contemplation devient un face-à-
face amoureux avec le Christ 46  ». C’est dire que les états émotionnels
extériorisés par la mystique ne doivent pas s’interpréter uniquement en
recourant à des catégories sociologiques qui les transforment en pratiques
irrationnelles. La participation du corps à ce vécu ne peut se réduire non
plus à un mécanisme de somatisation. En cela, les formes de vie mystique
relèvent de l’expérience individuelle et de l’indicible difficilement
accessibles à l’analyse. Les témoignages demeurent toujours très réservés
car l’aveu de ce qu’il y a de plus intime se heurte à l’ineffable 47.
Quand il critique un confrère espagnol auteur d’un ouvrage de
théologie mystique, le carme Jean Chéron (1596-1673) ne manque pas
d’ironiser sur le langage, un « assemblage de paroles métaphoriques » qui
décrivent des «  jouissances amoureuses  » et des «  attouchements  » en
utilisant autant de mots équivoques dont il donne la liste :

« Extase, ravissement, liquéfaction, union, pénétration, écoulement,


transfusion, exultation, jubilation, attouchement, goût, embrassement,
baiser, entrée dans l’obscurité divine, introduction dans la cave de
Dieu, ébriété spirituelle et perte d’esprit 48. »

Inévitablement, un sens littéral de corporéité se dessine pour celui qui


rencontre ce vocabulaire. L’amour divin y est décrit comme on le ferait pour
les relations entre deux êtres humains. Cette équivoque mystique joue en
défaveur de la vie spirituelle dès le XVIIe siècle, justifiant la méfiance face à
des pratiques qui s’attachent à rendre accessible, par des analogies
49
ambiguës, une relation plus étroite avec Dieu . Une parole troublée,
explique Sophie Houdard, qui s’avère tout au plus «  une allégorie
métalinguistique 50  ». À chaque fois, l’équivoque alimente surtout la
transposition littérale de situations pour le moins scabreuses qui
inspireront pour le meilleur et pour le pire autant les auteurs de romans
érotiques que la psychanalyse religieuse. En réalité, le langage mystique ne
peut se comprendre qu’à condition de dépasser les analogies, car l’amour
mystique a besoin d’exprimer l’union de l’âme à Dieu. Or le vocabulaire
utilisé cache un déplacement de niveau et de sens de plus en plus difficile à
percevoir pour le lecteur moderne pour lequel il recèle l’extravagance
d’une relation intégrée dans une psychologie de l’affectivité. Cette
difficulté, mise en évidence dès le XVIIe siècle, met les mystiques eux-mêmes
mal à l’aise  : ne serait-ce pas seulement «  un attouchement imaginaire
qu’ils prennent pour une union divine & mystique avec Dieu », se demande
Chéron 51 ? Le XIXe siècle viendra accentuer la défiance, les lecteurs critiques
des grandes œuvres inspirées étant convaincus qu’il est improbable
d’enraciner le mysticisme dans une expérience du divin.
C’est en associant psychologie et sentiment religieux que se comprend
la dimension transcendante « simultanément orientée vers Dieu et vers le
52
monde  », combinant désir et ravissement . La mystique sponsale dérive
directement d’une lecture du Cantique des cantiques où le Christ et l’Église
sont les fiancés de l’âme contemplative. Leur relation intrigue la littérature
psychanalytique, des «  jaculations mystiques  » de Jacques Lacan à
l’«  érotique du Corps-Dieu  » chez Michel de Certeau 53. Lacan situe la
jouissance mystique – ce que Thérèse d’Avila désigne par el gozo («  la
félicité ») – dans le registre du réel et non plus de la symbolisation. Il parle
de «  jouissance autre  », qui n’est pas comparable à celle du coït, et
s’exprime par des oxymores comme «  exquise blessure 54  ». Pour Lacan,
Thérèse d’Avila «  jouit, ça ne fait pas de doute. De quoi jouit-elle  ? Il est
clair que le témoignage essentiel des mystiques, c’est justement de dire
qu’ils l’éprouvent, mais qu’ils n’en savent rien 55 ».
Une ambiguïté que ne lèvent certainement pas les scénographies
baroques qui figent dans la pierre les émois du pâtir corporel, comme dans
la célèbre extase de marbre du Bernin à Santa Maria della Vittoria de Rome
(vers 1647-1652).
Les mystiques eux-mêmes se sont efforcés de « dire » leurs expériences.
La «  stratégie du visible  » est inhérente à la tradition ecclésiale depuis
e
l’émergence de ce qu’on désigne dès le XIV   siècle comme de la
56
« mystique », à savoir une expérience directe du divin . La rhétorique des
images y joue un rôle majeur dans l’optique du «  faire voir pour faire
croire 57  ». Comme les théologiens se défient de manifestations qui
échappent à un processus de connaissance immédiate, celles-ci, pour être
validées, doivent s’inscrire dans un protocole d’énonciation et de
communication étroitement canalisé par les directeurs de conscience ou les
confesseurs des personnes concernées, afin de rendre accessibles les
fictions de l’âme. C’est même la condition pour que le ressenti émotionnel
e e
accède à la parole et existe. Entre le XIV et le XVII   siècle, nombreux sont
celles et ceux – il s’agit en majorité de femmes – qui se plient ainsi à
l’exercice de la communication verbale afin d’extérioriser leurs expériences,
surtout celles qui confinent à ce que les esprits raisonnables
considéreraient comme des fables ou de la folie. La démarche suscite la
méfiance puisque, pour la première fois, des femmes s’expriment sur des
sujets qui étaient jusqu’alors un monopole du pouvoir clérical, seul habilité
à légitimer le discours.
Jacques Le Brun a évalué à 7  000 ou 8  000 les récits de vies de
religieuses rédigés durant l’âge classique. À travers une enquête menée sur
un millier de ces biographies, il retrouve les lieux communs sur la précocité
des vertus, les tentations diaboliques, les contrariétés rencontrées par la
vocation avant la «  victoire sur le monde  », le bénéfice des interventions
surnaturelles (guérisons miraculeuses, visions) que procurent les
mortifications, afin de dompter son corps, jusqu’à une mort édifiante.
Substitut du martyre et voie vers la sainteté, l’ascèse repose sur la virginité
qui en est la condition première. Jeûnes jusqu’à l’anorexie, macérations
raffinées, absence de sommeil, enlaidissement volontaire, effacement de la
féminité sont des stéréotypes qui transforment les narrations en
martyrologes même si tous les guides spirituels recommandent la retenue
et l’équilibre dans les épreuves choisies. Pourtant, seules quelques
visionnaires obtiennent la «  suprême récompense de cette ascension de
l’âme » qu’est le « mariage mystique », réservé à celles qui sont devenues
les « épouses du Christ 58 ».
Comme l’hagiographie est un genre littéraire destiné à diffuser un
exemple, il est normal que nombre de religieuses aient été poussées à
reproduire dans leur propre vie ce qu’elles avaient lu dans les biographies
édifiantes. Se mettent aussi en place des réseaux informels par lesquels
circulent la rumeur de l’exploit ascétique et le vocabulaire pour le dire.
L’apprentissage de l’oraison insiste par ailleurs sur le caractère intérieur de
l’expérience qui doit conduire à trouver en soi la jouissance amoureuse de
l’amour de Dieu. Si les pratiques de dévotion permettent une certaine
intimité spirituelle avec le Christ, l’aspiration à s’identifier à son corps
souffrant peut produire des manifestations comme la stigmatisation et
autres marques d’élection.
Les textes écrits par Thérèse d’Avila (1515-1582), notamment son
célèbre Libro de la vida publié en 1588 à la demande de ses confesseurs,
sont l’exemple le plus achevé de ce processus d’énonciation. Elle évoque
dans son autobiographie son expérience de l’extase qu’elle dénomme
«  jouissance  », «  ravissement  » ou «  transports  » et qui prend chez elle la
forme ultime de la transverbération, une blessure du cœur beaucoup moins
représentée dans la mystique que les stigmates. Ailleurs, dans ses Relations
(1576), elle précise :

« Il semble à l’âme qu’on lui passe une flèche au travers du cœur et
au travers d’elle-même. Elle en ressent une douleur si vive, qu’elle en
gémit, mais en même temps si délicieuse, qu’elle voudrait ne la voir
jamais finir. Cette douleur n’est pas dans les sens, et cette plaie n’est
pas une plaie matérielle : elle réside à l’intérieur de l’âme et ne laisse
pas de marque sur le corps. »

Et d’ajouter :

« Je ne crois pas que ces choses peuvent s’expliquer autrement que
par des comparaisons, c’est pourquoi je me sers de ces images, bien
grossières, il est vrai, pour un pareil sujet ; mais je ne vois pas le moyen
de m’exprimer différemment. Au reste, tout cela ne peut ni se dire ni
s’écrire. Pour le comprendre, il faut l’avoir éprouvé 59. »
Ces phénomènes touchent en grande majorité des femmes. Parfois, les
privations suppriment les menstruations (aménorrhée) et c’est le
saignement périodique des stigmates qui les remplace comme si s’opérait
une dérivation de la circulation sanguine du Christ Rédempteur, une
«  transfusion spirituelle 60  ». L’ont éprouvée notamment Catherine de
Raconisio (1486-1547), Véronique Giuliani (1660-1727), ou Anne-
Catherine Emmerich (1774-1824). Dans d’autres cas, les stigmates ne sont
pas visibles quoique les souffrances qui leur sont liées semblent bien réelles
comme chez Agnès de Langeac (1602-1634). Globalement, il y aurait 321
cas connus de stigmatisés jusqu’à la fin du XIXe siècle, dont 281 concernent
des femmes 61.
Bien étudiée par Bernard Gorceix, la mystique germanique fournit des
exemples d’anthologie. En effet, après la mystique féminine des XIIe-
e
XIII  siècles (Hildegarde de Bingen, les visionnaires béguines) et la mystique
masculine rhéno-flamande du XIVe au XVIe  siècle (Maître Eckhart, Henri
e
Suso, Jean Tauler), la spiritualité ascétique et contemplative du XVII  siècle
fait grand usage des métaphores nuptiales, non sans érotisme et références
sexuelles explicites.
Parmi d’autres, Catharina Regina von Greiffenberg (1633-1694)
marque l’apogée de la mystique allemande. Cette luthérienne, propriétaire
terrienne, a laissé plus de 1  000 pages débridées. Exprimant son amour
pour Jésus, elle lui demande qu’il la «  prenne  » et en reçoit un plaisir
qu’elle compare à un «  incendie voluptueux  ». Cette ardeur de l’amour
accompagne une souffrance qui la touche, elle, «  pauvre femelle en
chaleur  » devant le corps douloureux sanguinolent, souillé de larmes du
62
crucifié . De son côté, le théosophe Quirinus Kuhlmann (1651-1689),
auteur des Baisers de l’amour céleste, est connu comme inspirateur du
végétarisme contemporain 63. Ce cordonnier illuminé a fini sur le bûcher
après des années d’errance à travers l’Europe. Sa mystique nuptiale prend
des tournures particulièrement équivoques quand l’aimé « cherche, la nuit,
dans son lit […] celui que son âme aime ». Le pélican, emblème alchimique
et symbole de l’amour paternel, est utilisé comme métaphore du corps du
Christ, avec d’autres images où dominent le pourpre des plaies et le blanc
marmoréen du cadavre. Trop longtemps demeurée vierge, l’âme en chaleur
tombe en pâmoison lors de sa copulation sacrée. Revenue à la vie, elle ne
cesse de s’enflammer dans des noces inaltérables quand Quirinus
Kuhlmann peut s’exclamer  : «  Totalement pénétré que je suis, de Jésus,
mon maître  !  » Il dérive ensuite vers une mystique sophianique où
intervient une personnification de la Sagesse, perçue comme une perle que
l’âme aspire à posséder par une forme d’accouplement contemplatif. Le
don de la perle, symbole de la virginité, marque ainsi l’union nuptiale.
Celle-ci précède une transmutation alchimique de l’âme pénétrée par l’or
de Jésus et purifiée, comme le plomb se transforme en or  : «  Amour
céleste ! Viens vite ! […] Rends douces mes lèvres ! Dépêche-toi ! J’attends
64
tes baisers  ! »
Un certain nombre de saintes et de saints passent pour avoir vécu
intensément le mariage mystique. Parmi les femmes largement
majoritaires, le cas de sainte Catherine de Sienne sert de modèle aux
descriptions que fournissent les hagiographies parfois déroutantes. Le
processus d’union de l’âme avec le Christ passe par plusieurs étapes de
transformation spirituelle, ce que les mystiques traduisent par des
métaphores. Les mots ne peuvent l’exprimer, tous les mystiques le répètent,
mais de grands poètes comme Jean de la Croix (1542-1591) ont cherché à
dire l’union d’amour de l’Épouse et de l’Aimé, ces figures allégoriques de
l’âme et de Dieu. La quête de l’époux, les retrouvailles et l’union ont fait
l’objet des deux versions du Cantique spirituel, sorte de pastorale inspirée
du Cantique des cantiques. C’est dans le «  cellier intérieur… qu’il me
donna son cœur ; c’est là qu’il m’enseigna science très savoureuse et qu’en
effet je me donnai à lui sans rien réserver 65… ».
Bien avant le carme espagnol, le motif des noces mystiques a été
formulé, amplifié et magnifié par les récits légendaires autour de la vie de
Catherine d’Alexandrie, qui aurait vécu aux IIIe-IVe siècles et subi le martyre
vers 307 à l’âge de 18 ans. Après son baptême, l’Enfant Jésus (ou le Christ
adulte selon les versions) l’aurait prise pour épouse en présence de Marie
et de la cour céleste en lui passant un anneau au doigt. Les diverses
versions de la Passion de Catherine, dont la plus ancienne mention
remonte au IXe siècle, relatent les épisodes fabuleux de la vie de cette jeune
fille. Les plus grands peintres en ont été inspirés, le culte de sainte
e
Catherine étant extrêmement populaire. Autant Hans Memling au XV  siècle
que Lorenzo Lotto, le Parmesan ou Paolo Caliari dit le Véronèse au siècle
suivant ont fixé l’iconographie de ses noces, sans omettre les attributs
comme la robe blanche et le lys, emblèmes de la chasteté, la palme du
martyre ou la présence des anges puisque, par la virginité, Catherine a
triomphé de la chair et approché la condition angélique. Cet exemple a
sans doute inspiré des voyantes qui vécurent le même degré d’aspiration à
l’union mystique et eurent une vision de leur mariage avec Jésus.
Une telle élévation spirituelle, Catherine Benincasa (1347-1380), fille
d’un teinturier, plus connue sous le nom de Catherine de Sienne, l’a
expérimentée dans son corps. Que cette jeune femme, ne sachant pas
écrire et ignorante du latin, soit plus tard proclamée « Docteur de l’Église »
en 1970 est pour le moins singulier. Gratifiée de nombreuses visions, de
colloques avec Jésus dans ce qu’elle nomme sa « cellule intérieure », où il
la visite spirituellement, cette ascète anorexique a relaté son «  mariage
mystique » en 1368. Au cours d’une extase, le Christ lui a remis un anneau
qu’elle seule a pu voir et dont elle conserve ensuite l’impression de la
présence permanente, marque invisible d’une réalité céleste alors que la
mystique est elle-même revenue dans la vie terrestre. Ce qu’on en rapporte
provient du récit composé par l’un de ses confesseurs, Raymond de
Capoue, en 1430 :

« Et la Vierge Mère de Dieu de sa très sacrée main prit la main de la


vierge […] en priant qu’Il daigna l’épouser. Ce que le Fils de Dieu très
agréablement octroya, prenant un anneau d’or […], le mit au doigt qui
appartient à la main droite de la vierge en disant  : Je te marie avec
Moi, ton Créateur et Sauveur, afin que jusqu’à ce que tu célèbres tes
noces perpétuelles au ciel avec Moi, toujours tu seras gardée nette et
pure 66. »

Toutefois, il importe de se démarquer des extravagances langagières et


des métaphores utilisées par les grands auteurs. Dans la réalité de la vie
religieuse, il est certain que la spiritualité mystique est très au-dessus de ce
qui peut sembler s’apparenter à une dérive malsaine, écho qu’elle n’avait
e
probablement pas au XVII  siècle. Si les religieuses sont appelées « épouses
du Christ  », cela n’a rien à voir avec «  quelque trouble substitut mystico-
sentimental à résonance plus ou moins érotique, comme on l’imagine assez
facilement 67 ».

Le combat des vierges

Durant l’époque moderne, une fois que la Réforme a épuré la mystique,


deux modèles de sainteté se profilent  : le mysticisme prophétique et
l’ascétisme pénitent, le premier représenté surtout par les femmes, le
second par les hommes. Ces figures évoquent toujours une vie de combat
contre la tentation sexuelle qui fait de ses protagonistes de véritables « ex-
voto vivants  » et rappellent les épreuves cénobitiques de l’Antiquité
68
tardive . Aux saints, il convient de porter une bure rugueuse qui recouvre
les cilices, mettant la peau à vif. La nuit, ils couchent sur la terre battue, se
lèvent pour se donner la discipline avec des verges de fer. Au besoin,
l’immersion en plein hiver dans une eau glaciale suffira à mater la
concupiscence. Les exemples ne manquent pas, de l’Espagnol Pierre
d’Alcántara (1499-1562) au Breton Pierre Le Gouvello, seigneur de
Kériolet (1602-1660). Plus rarement, des femmes sont mentionnées telle
Antoinette Bourignon (1616-1680), mystique laïque des Flandres familière
du cilice et dormant dans un cercueil 69. La Légende dorée avait déjà fixé les
traits de ces résistances héroïques  : saint François nu dans la neige, saint
Bernard se plongeant dans un étang glacé, saint Benoît se déchirant dans
les ronces. Quant à saint Aldhelm, évêque des Saxons, mort au début du
e
VIII  siècle, il aurait si bien dompté sa concupiscence que les plus belles des
filles n’allumaient plus sa convoitise ; il poussait l’exercice jusqu’à coucher
avec l’une d’elles pour vérifier sa victoire sur les tentations les plus
dangereuses. Un peu paradoxalement cependant, dans une tradition
chrétienne très misogyne, c’est moins la virginité des ascètes dépenaillés et
barbus que celle des femmes vivant dans un milieu urbain qui est devenue
le modèle stéréotypé de la chasteté virginale.
Si les sources se taisent généralement sur le vécu des religieux et
religieuses qui veulent se conformer à leur vœu de chasteté, quelques
témoignages laissent entendre que les impulsions de la sensualité dans leur
retour quasi obsessionnel ne les épargnaient pas. Dans son journal
spirituel, un jésuite exprime ainsi vers 1630 sa hantise de l’impureté. Il fuit
les femmes et la vue de la nudité de ses propres pieds, celle des bras ou des
70
jambes de ses compagnons de collège lui fait craindre pour sa chasteté .
En étudiant les monastères de religieuses contemplatives aux XVIIe et
e
XVIII   siècles, Geneviève Reynes qualifie l’obligation de la chasteté de
« chantage » exercé sur des jeunes filles tourmentées par l’idée que tout ce
qui relève du sexe confine au mal. C’est pourquoi l’ignominie de la
sensualité doit être prévenue par des attitudes que l’on inculque de
manière répétitive. Les murs de la clôture doivent non seulement préserver
des contacts masculins, mais aussi protéger les religieuses contre elles-
mêmes 71. Issue d’une famille de commerçants vénitiens, souffrant d’une
claudication, ce qui semble rédhibitoire sur le marché matrimonial, Elena
Cassandra Tarabotti (1604-1652) a été « forcée » au couvent par son père.
Enfermée à l’âge de 13  ans, elle prononce ses premiers vœux quatre ans
plus tard et fait sa profession à 19 ans. Devenue sœur Arcangela, elle
s’accommode de la situation pour se créer un espace de liberté à l’intérieur
des contraintes monastiques en composant des écrits féministes avant
l’heure. Partout, la jeune femme dénonce la dramatique réalité de filles
séquestrées pour des raisons socio-économiques, contre leur volonté et
72
sans qu’elles aient la moindre vocation religieuse . Relativement pudique
et retenue sur le thème, sœur Arcangela laisse entendre que le dérèglement
sexuel est une conséquence du cloître forcé puisqu’une jeune fille
contrariée et rebelle a moins de scrupules à violer la règle monastique de
la chasteté. Dans la plupart des cas, il s’agirait de ce qu’elle appelle un
« adultère mental ».
À côté de ces exemples extrêmes, ce sont des femmes moins
exceptionnelles qui suscitent l’intérêt par leur témoignage sur leur manière
de vivre la chasteté, souvent en référence à des modèles prestigieux. Parmi
les lectures spirituelles de Barbe Acarie (1566-1618), on trouve ainsi le
livre d’Angèle de Foligno (1249-1309), une mystique qui a mené une vie
ascétique après quarante ans de vie mondaine, bénéficiant de nombreuses
visions de la Passion du Christ. Le biographe de Barbe Acarie explique
comment, victime de plusieurs accidents de cheval qui la laissent
partiellement handicapée, « elle ne connut plus son mari », lequel a ensuite
rapporté que son épouse, «  par amour pour la pureté, avait demandé à
Dieu cette longue suite de maladies graves 73  ». Ainsi délivrée du devoir
conjugal, elle vécut « en d’étranges austérités », accompagnées de moments
d’extase et de l’impression des stigmates. Conserver la chasteté, disait-elle,
nécessite de «  se faire violence  » pour «  abattre la pétulance de la
74
nature  ». Au décès de son mari, Barbe entre au Carmel en 1613 sous le
nom de Marie de l’Incarnation. C’est d’ailleurs elle qui, après avoir lu
Thérèse d’Avila, avait installé les premières carmélites déchaussées à Paris
en 1604.
Comme d’autres mystiques, Armelle Nicolas (1606-1671), a été
marquée par la vie de Catherine de Gênes (1447-1510), qui, après sa
conversion, aurait pratiqué un jeûne complet tout en vivant chastement en
frère et sœur avec son époux, tous les deux au service des malades
indigents. Armelle, de son côté, n’est qu’une simple bonne d’origine
paysanne, un peu bornée et sans aucune instruction. Elle a manifestement
désiré se placer afin d’éviter le mariage. À l’âge de 29-30 ans, elle a subi
pendant environ deux ans des tentations très violentes. Comme le rapporte
sa biographe, elle qui avait toujours « aimé la pureté » fut abandonnée « à
la rage du démon d’impureté  ». Elle ne comprenait pas pourquoi, après
avoir fait vœu de chasteté, elle n’avait dans son esprit « que ce qui lui était
75
plus opposé  ». De cette nuit des sens, elle se trouva ensuite brusquement
délivrée. Toutes ses passions furent comme anéanties et elle ne ressentit
plus «  la moindre étincelle d’affection pour aucune créature  », comme si,
explique le récit, Dieu « s’était servi de l’ordure même pour la purifier » de
toute tentation de «  l’amour désordonné de la créature  ». Reste que ses
démonstrations nouvelles d’amour pour le Christ semblent totalement
extravagantes. Poussée par un ardent « désir de jouir de Lui », elle enlace
les piliers des lits ou les arbres dans les bois !
Dans son étude des biographies spirituelles, Jacques Le  Brun signale
comme un trait récurrent les situations dans lesquelles une future
religieuse est seule face à l’homme qui l’aborde. Être l’objet d’un désir
masculin suffit à susciter l’horreur. Dans la mémoire de celles qui en
parlent est gravé le souvenir d’avoir échappé presque miraculeusement au
danger tout en restant marquées d’une blessure difficile à exprimer mais
déterminante pour leur entrée au couvent. Elles vivent une sorte de
retournement intérieur en récusant le désir de l’homme et s’abandonnent à
une seule aspiration, celle de l’absolu de Dieu 76. Le Brun cite ainsi un texte
manuscrit de 1678 où une religieuse est surprise par un gentilhomme dans
un cabinet à l’écart. Elle s’en remet à Dieu de telle manière «  qu’elle se
trouva en ce moment hors de là, sans savoir de quelle manière elle en avait
été tirée ». En termes discrets est évoquée ici la sauvegarde miraculeuse de
la virginité 77.
Parmi d’autres tentations figure celle vécue en 1686 par la sœur
ursuline Marie Bon de l’Incarnation qui a la vision d’un faux crucifié
cherchant à la séduire. Dès lors, elle ne peut plus lever les yeux sur une
78
croix sans être traversée d’idées impures . La sœur Louise Boussard
(décédée en 1643) est, elle, poursuivie par l’image de sa supérieure aussi
aguicheuse qu’une prostituée. Elle entend aussi le démon lui suggérer que
la Vierge Marie n’est pas ce qu’on en croit et qu’elle a mené avec Joseph
79
une vie très ordinaire . Ce genre de fantasme constitue une facette non
négligeable de l’évolution des normes iconographiques. Depuis la fin du
e
XVI  siècle, il est devenu indécent de représenter le Christ en croix sans un
80
vêtement . De même, montrer Notre-Dame des Grâces allaitant les âmes
du purgatoire passe pour inconvenant. Plus question d’exhiber le sein de la
vierge ! Ce modèle de la maternité doit être totalement épuré de tout signe
de sexualité.
Une sainte reconnue comme Veronica Giuliani (1660-1727) aurait lutté
contre les séductions du démon qui prenait l’apparence d’un jeune homme
commettant avec d’autres des actes si honteux que même « la nature a en
81 e
horreur   ». Au XIX   siècle, Marie Lataste (1822-1847) a, selon son
biographe, vécu «  en butte à des tentations très violentes et presque
continuelles contre la chasteté », épreuves qui s’estompent au moment où
elle prononce ses vœux 82. Plus expansif, l’hagiographe de Marie-Eustelle
Harpain (1814-1842) mentionne lui aussi le combat mené par cette
mystique de Saintes surnommée «  l’ange de l’eucharistie  ».
Périodiquement, elle a subi des assauts «  contre la belle, admirable, mais
délicate vertu  ». Après un intermède, «  les tentations que Marie-Eustelle
avaient déjà éprouvées contre la chasteté, vinrent fondre sur elle avec une
telle furie, que son âme, en quelque sorte déracinée par la tempête
infernale, ne paraissait plus tenir à la Grâce que par un fil ». Et de désigner
«  des légions infâmes d’esprits impurs qui l’obsédaient, qui la cernaient,
comme pour la forcer à être témoin du spectacle affreux qu’ils présentaient
83
à son imagination alarmée  ».
Les textes normatifs abondent en prescriptions de toutes sortes visant à
préserver le religieux de la souillure charnelle. Un Guide des séminaristes et
des jeunes prêtres du milieu du XIXe siècle classe les candidats à la prêtrise
en quatre catégories  : mauvais, tièdes, bons, fervents. Pas moins de seize
chapitres détaillent les défauts qui guettent le futur prêtre en formation
dont l’un stigmatise «  le séminariste peu affermi dans la pratique de la
sainte vertu  ». En effet, l’impureté, le pire des vices, est cause de
«  l’opprobre de l’Église et [de] la ruine des peuples  ». Au contraire, la
chasteté assure « la gloire de l’Église et l’édification des fidèles », car « un
prêtre parfaitement chaste est par là même un saint prêtre ». Dans le cas
du mauvais sujet, la funeste influence précède l’arrivée au séminaire du
jeune homme déjà enseveli dans la «  boue infecte  » des passions. Le
ferment du mal est ancré en lui :

« L’aiguillon de la chair se fait sentir par des tentations fréquentes et


quelquefois très vives, et, ces tentations, il les combat avec mollesse et
avec lâcheté. »

Ses sens s’éveillent à la moindre rencontre de femmes car ses yeux sont
loin de rester inactifs. En outre, sa nature sensuelle le pousse à nouer des
«  amitiés particulières  » qui le rassurent «  par la similitude du sexe  »,
quand les «  sentiments tendres  » et les «  regards affectueux  » ne laissent
pas d’être équivoques. Au contraire, « l’élève pieux et parfaitement chaste
est rempli d’estime pour la chasteté  ; il frémit à la pensée de tout ce qui
peut la ternir ; il fuit avec empressement les occasions qu’elle redoute, et il
aimerait mieux mourir que de se permettre un acte impur quelconque ».
Le bon séminariste va éviter «  les maisons où se trouvent de jeunes
personnes ». Si d’aventure un candidat peu chaste est admis au sacerdoce,
il va certainement devenir «  un prêtre sensuel  », enclin à fréquenter la
société où il va rencontrer «  quelque cœur aussi faible que lui  ».
Inévitablement arrivera «  le jour du grand scandale  » et le transfert dans
une autre paroisse où le coupable formera de nouvelles liaisons. « Maudit
soit le prêtre libertin 84 ! »
Si les textes hagiographiques se montrent peu bavards et plutôt allusifs
à propos du dérèglement des sens, les images des saints censées en
proposer l’exemple aux fidèles sont, elles aussi, très sobres à propos des
épreuves séductrices du démon dont la figuration pourrait s’avérer
ambiguë, voire dangereuse. Seul l’art flamand et allemand traite le thème
des tentations avec un personnage vedette, saint Antoine l’ermite du
désert. Il inspire de multiples artistes dès le XVe  siècle, fascinés par la
variété des sévices orchestrés par le diable, la présence d’une belle jeune
femme sensuelle n’étant que l’un des tourments auxquels il doit faire
front 85. Au triptyque foisonnant de diableries grotesques ou hideuses que
lui consacre Jérôme Bosch vers 1505 ne manquent ni les femmes dénudées
ni d’autres richement vêtues, toutes porteuses de propositions provocantes.
Concernant saint Jérôme, autant le traducteur de la Bible fait l’objet de
multiples icônes, autant les incitations à la faute dont il a lui-même fait
mention sont rarement présentes dans l’iconographie. On peut mentionner
Francisco de Zurbarán qui a peint vers 1640 l’ermite au corps ascétique
entouré par six gracieuses musiciennes. Et que dire des désirs coupables
que traduisent les représentations alanguies de Marie-Madeleine  ? Cette
dernière a été assimilée par la tradition iconographique à une prostituée
e
repentie. Au XVII   siècle, près du quart des illustrations pieuses de saints
intercesseurs sur les parois des intérieurs parisiens donnent à voir les
carnations de cette femme à la longue chevelure 86.
La fiction littéraire exploite le filon des prêtres tiraillés par l’aiguillon
charnel. Chez Émile Zola, La Faute de l’abbé Mouret (1875) illustre ces
tensions, tout comme celles du jeune prêtre, Pierre Froment, dans le cycle
intitulé Les Trois Villes (1893-1898). Celui-ci a cru pouvoir «  tuer la chair
en lui  » mais, en étant «  maître de sa sensualité  », il s’est retranché
volontairement du nombre des hommes, à l’instar de Serge Mouret, qui, au
sortir du séminaire, « se sentait féminisé, rapproché de l’ange, lavé de son
sexe, de son odeur d’homme […], purgé des ordures humaines […]. Il lui
semblait encore être demeuré pendant des années dans une huile sainte
87
[…]. Certains de ses organes avaient disparu … ». En croisant à Lourdes
sa voisine de chambre, une femme cachée avec son amant, Pierre Froment
éprouve à nouveau l’odeur de l’amour, alors que sa chasteté demeure « son
dernier soutien ». À la fin du roman, Zola lui fait raconter l’histoire de la
voyante Bernadette qui meurt dans la solitude, sa «  virginité torturée,
clouée sur la croix », « frappée de la déchéance de n’avoir pas été femme,
ni épouse ni mère, parce qu’elle avait vu la sainte Vierge ».
Et le livre se conclut par une charge contre le dogme de l’Immaculée
Conception :

«  Décréter que la femme n’est digne d’un culte qu’à la condition


d’être vierge, en imaginer une qui reste vierge en devenant mère, qui
elle-même est née sans tache, n’est-ce pas la nature bafouée, la vie
condamnée, la femme niée, jetée à la perversion, elle qui n’est grande
88
que fécondée, perpétuant la vie  ? »

Dans le grand cycle romanesque de Jules Romains, Les Hommes de


bonne volonté, la figure du prêtre, l’abbé Jeanne, est conçue sur un modèle
similaire. Vers 1910, le protagoniste se remémore son temps de séminaire
et sa lutte contre les pulsions, une sorte de «  sport spirituel  » qui sert à
entraîner la vocation. Ce qui lui paraissait le plus terrible, c’est « l’idée que
les désirs charnels ne désarmeront jamais, vous réattaqueront par cent
détours, viendront empêcher par leurs incursions incessantes les états
supérieurs que l’on se flattait d’atteindre… ». De quoi se demander pour un
jeune clerc si véritablement «  il est de ceux dont Dieu accepte les
89
services  ».
Les tentations de la chair ne concernent pas seulement les personnes
dont on attend qu’elles s’en tiennent à la chasteté de leur état. Dans la
littérature, certaines figures de laïcs ont incarné le tiraillement que chaque
être ressent à chaque fois que monte le désir. Quand Octave, le personnage
de Musset, évoque l’épisode de son dépucelage à 19 ans, il affirme avoir
vécu un bonheur rare avec sa maîtresse en donnant à l’amour sa virginité.
Mais, en même temps, il se découvre démuni face à l’alternative : posséder
ou aimer  ? Comment le véritable amour peut-il s’allier avec la
90
sensualité  ? Faut-il se résigner à choisir entre l’amour sans sexe et le sexe
sans amour ? Plus que tout autre, Léon Tolstoï a exprimé cette tension dans
des récits où la part autobiographique est fortement présente. Ainsi, dans
Le Diable (1889), il transpose une liaison qu’il a entretenue en 1862 à
Iasnaïa Poliana juste avant son mariage. Le titre fait allusion directement
au tentateur qui inspire le désir de la chair. En exergue, il place en outre un
verset de l’évangile de Matthieu (Mt 5, 28) qui résume le dilemme du
récit  : «  Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son
cœur, commis l’adultère avec elle.  » Le principal protagoniste, Eugène
Irténiev, se retire à la campagne. La continence lui pèse et il songe à
s’accorder un retour en ville, car il lui faut absolument une femme afin de
préserver sa santé, comme il se le répète. Un intermédiaire lui procure
alors une jeune et jolie paysanne qu’il rencontre régulièrement dans une
cabane forestière en échange d’un peu d’argent. Au moment de son
mariage, très amoureux de sa jeune épouse, il cesse sa liaison. Mais quand,
l’année suivante, il croise à nouveau la jeune paysanne, le voilà enflammé
par la concupiscence au point de ne pouvoir résister à cette obsession.
Déchiré par le besoin des sens et l’amour de sa femme, Eugène finit par se
91
suicider .
Un thème proche inspire La Sonate à Kreutzer (1891) où Tolstoï mêle la
musique à l’attirance sensuelle. À la lecture de ce texte qu’elle recopie, la
femme de l’écrivain, Sofia Andreïevna Tolstoï, mère à l’époque de 13
enfants, est frappée par les similitudes avec sa propre vie de couple : elle
« comprend soudain que l’homme l’a aimée seulement quand elle lui était
nécessaire, et que, sitôt satisfait, il passait brusquement du ton tendre au
ton strict et sévère, voire hargneux ».
En corrigeant les épreuves, Sofia avoue à son mari combien il lui a fait
du mal. C’est en date du 21 juillet 1891 qu’elle note dans son journal :

«  Aujourd’hui, j’ai déclaré à L[éon] que je ne vivrais plus avec lui


conjugalement ; il m’a assuré qu’il ne désirait que ça, mais je n’en crois
92
rien . »

C’est ainsi qu’animosité réciproque et désaccord alternent avec


moments de sensualité, une relation d’amour-haine qui durera tout de
même quarante-huit ans ! À plus de 80 ans, en 1910, c’est lui qui écrit :

«  L’appréciation que je porte sur ta vie avec moi est la suivante  :


moi, qui étais un homme débauché, profondément vicieux sur le plan
sexuel, plus de première jeunesse, je me suis marié avec toi, une jeune
fille de dix-huit ans, pure, belle et intelligente, et malgré mon passé
sale et vicieux, tu as vécu près de cinquante ans avec moi, en m’aimant
[…]. »

Dans la suite de cette lettre, Tolstoï énumère les raisons du


refroidissement de leurs liens qui, outre «  la cessation de nos relations
conjugales », relève surtout d’une vision différente « du sens et du but de la
93
vie  ».
Dans La Sonate à Kreutzer, par l’intermédiaire de son personnage
Pozdnychev, Tolstoï prône une totale abstinence, en contradiction avec sa
propre vie  ! La conclusion de sa nouvelle fait l’éloge de la continence  :
« condition essentielle de la dignité humaine pendant le célibat », elle doit
devenir « obligatoire dans le mariage ». L’amour charnel n’est qu’un « culte
de soi-même » et l’idéal du Christ est, selon le romancier, une « aspiration à
94
la chasteté complète  ». Tolstoï lui-même a certes pu devenir végétarien,
renoncer à l’alcool, au tabac et à la chasse, mais jamais il n’eut la force de
la tempérance sexuelle dont il prône l’idéal en admirateur de saint Alexis,
des bogomiles du Xe siècle, des puritains shakers du nord de l’Amérique (fin
e e
du XVIII   siècle) et des scoptes russes (dès le XVIII   siècle) qui prêchaient
l’ablation des organes sexuels pour retrouver la pureté précédant le Péché
originel.
DEUXIÈME PARTIE

Des contradictions cléricales
aux équivoques laïques
4

Comment vivre la chasteté ?

Lors d’une ambassade auprès du roi Louis XI, un envoyé du roi de


Bohême ne semble pas s’étonner de la promiscuité qu’il observe aux bains
de Baden en 1464 :

« Nous nous lavâmes avec de belles demoiselles, des dames et des


comtesses dans des bains chauds […]. Et le vicaire de l’évêque de
Constance et d’autres prêtres et moines se lavèrent avec de très belles
nonnes qui étaient venues avec eux de Constance 1. »

L’indulgence semblerait de mise pour les galanteries, spécialement


lorsqu’elles impliquent de jeunes mâles. Néanmoins, cela ne veut pas dire
que les pouvoirs tant religieux que laïques se sont montrés tolérants ou
laxistes en matière de morale sexuelle. Au contraire, ils sont de plus en
plus enclins à débusquer la fornication et toutes les occasions qui peuvent y
conduire. Dès le XVe siècle, la pastorale redouble d’efforts contre la luxure
alors que des groupes de pénitents et des communautés expriment de
manière démonstrative leur engagement pour la continence. Si le monde
urbain est particulièrement réceptif à ces avertissements, les campagnes ne
se hâtent guère encore de considérer comme des vices les comportements
propres à éveiller les sens.
Dans les turbulences

Le concile de Trente, quatorzième concile général pour l’Église de


Rome, répond aux remises en cause formulées par Luther et aux critiques
soulevées par la Réforme protestante. Entre 1545 à 1563, il se déroule en
trois phases distinctes et 25 sessions qui abordent les thèmes controversés.
La continence, la chasteté et le mariage ne constituent pas une priorité, car
le concile s’attache avant tout à clarifier les points essentiels des grands
dogmes de la foi. Sauf en ce qui concerne le clergé, les questions
disciplinaires et morales demeurent marginales. Les pères conciliaires s’en
occupent seulement à la fin de leurs travaux, durant la seconde moitié de
l’année 1563. C’est ainsi que la session XXIII traite du sacrement de l’ordre
avec des «  canons  » (décisions) décrétés par l’assemblée des évêques qui
concernent la continence et la chasteté :

«  Seront ordonnés sous-diacres et diacres ceux qui ont une bonne


réputation […] espérant pouvoir, avec la grâce de Dieu, pratiquer la
continence. »

Pour être ordonné prêtre, il faut avoir été diacre au moins pendant une
année avec, parmi les conditions, « qu’ils se montrent si remarquables par
leur piété et leurs mœurs chastes que l’on puisse attendre d’eux l’exemple
éclatant de bonnes mœurs et une vie exemplaire ».
Enfin, un décret concernant les réguliers et les moniales prescrit que les
uns et les autres organisent leur vie selon la règle dont ils ont fait
profession, en respectant les «  vœux d’obéissance, de pauvreté et de
2
chasteté  ».
La mise en œuvre des instructions du concile par le biais de livres de
piété ou de recommandations aux pasteurs a souvent consisté à
paraphraser le texte du catéchisme tiré des décrets conciliaires et surtout à
le condenser ; mais, à y regarder de près, on constate l’ajout de précisions
qui en accentuent le sens, en particulier lorsqu’il s’agit de freiner la
3
concupiscence . Certes, la tradition patristique soutenait que l’acte sexuel
et le péché étaient difficilement séparables mais inévitables compte tenu de
l’impératif de perpétuer l’espèce. Or, en modifiant la hiérarchie des finalités
du mariage, le concile de Trente incline, on le verra plus loin, à réhabiliter
le couple et, indirectement, sans en faire mention explicite, le plaisir
sexuel, ce qui dénote une ouverture certaine vers des considérations plus
psychologiques que moralisatrices. Au XVIe  siècle, certains théologiens ont
pu laisser entendre que prendre du plaisir dans le mariage sans forcément
vouloir procréer était tout à fait licite 4. Or, la tendance réductionniste
s’affirme de plus en plus pour l’emporter nettement durant les  siècles
suivants. Alors que les textes de Trente se référaient essentiellement, voire
exclusivement, à la Bible, les catéchismes postérieurs recourent
massivement aux commentaires des théologiens ainsi qu’aux Pères de
l’Église, et pour cause. En effet, pour faire face aux accusations des
réformateurs de trahir la Parole divine, les théologiens restés fidèles à
Rome n’ont eu de cesse de redonner vie à ce qu’on appelle la tradition de
l’Église, à savoir non seulement la Bible elle-même comme le prône la
Réforme protestante, mais aussi les commentaires des premiers temps du
christianisme transmis à travers les siècles. Au XVIIe  siècle, ce retour aux
sources anciennes passe par une relecture des Pères, avec la multiplication
des études érudites et des éditions de leurs écrits. La culture patristique
classique est ainsi à la base de la prédication, de la liturgie et de la
pastorale sacramentelle, non sans contradictions d’ailleurs entre le
rigorisme appuyé des uns et le laxisme supposé des autres 5. Ce renouveau
de la pensée religieuse confère aux textes longuement cités dans les
chapitres précédents une actualité qui comble l’abîme qu’aurait pu
représenter le millénaire séparant l’âge classique de ses sources
paléochrétiennes.
Les historiens attribuent une grande place au pontificat du pape Sixte
Quint (1521-1590) dans le tournant rigoriste du  XVIe  siècle. Élu pape en
1585, il a entrepris de nombreuses réformes dans l’administration de ses
États et les mœurs du clergé, notamment en traquant les péchés de
fornication. L’adultère fut passible de la peine de mort, ce qui était
évidemment utopique compte tenu du nombre de cas 6  ! Au début du
e
XVII   siècle, la Congrégation de l’Inquisition, mandatée pour surveiller la
doctrine et les mœurs, insiste sur l’importance des questions de sexualité et
la gravité de tous les péchés contre la chasteté, autrement dit la recherche
du plaisir sexuel 7. Ces préoccupations obsessionnelles marquent une
sérieuse inflexion dans la manière de concevoir l’éthique sexuelle et la
place de la chasteté. La tendance est très marquée dans les manuels du
e
XVII   siècle. «  La volupté est une chose très vaine & qui n’a point de
solidité  », écrit par exemple un jésuite, le père Martin Fornari, dans ses
Instructions pour les confesseurs (1674). Il l’associe immédiatement à la
« fornication ». Or, selon lui, les chrétiens doivent « s’abstenir des passions
charnelles  », éviter «  la violence de la passion  » qui sème le «  désordre  »
dans la volonté et trouble le jugement, autant d’affirmations qu’il rattache
comme bien d’autres à des références pauliniennes ou à saint Thomas. Il en
résulte que dans le mariage, la règle essentielle est ainsi formulée :

« Que les deux parties se rendent le devoir mutuel dans la crainte


de Dieu au temps & au lieu convenable non pour le plaisir, mais pour la
multiplication du genre humain suivant le conseil de l’Ange à Tobie.
Vous épouserez, lui dit-il, une vierge avec la crainte de Dieu pour en
avoir des enfants, plutôt que pour satisfaire à votre sensualité 8… »

Les positions de la Réforme protestante se distinguent nettement de


celles des moralistes catholiques en ce que les réformateurs évitent toute
valorisation exclusive de la continence. Si, explique Luther, avant la chute
d’Adam, « il était facile de rester vierge et chaste », désormais ce n’est plus
possible « voire impossible sans grâce divine particulière 9 ». C’est pourquoi
les vœux monastiques sont selon lui « opposés à la liberté évangélique 10 »,
si bien que le choix de la Réforme a été, pour nombre de moines et de
prêtres déjà concubinaires, une manière d’échapper à la contrainte du
célibat. Sans parler de l’aspect économique, car, dans les principautés
ecclésiastiques d’Allemagne, les amendes pleuvaient sur les clercs qui
avaient des enfants, les princes ecclésiastiques pénalisant sérieusement les
11
prêtres concubinaires . Néanmoins, par des voies diverses, catholicisme et
protestantisme se retrouvent sur des positions similaires à propos des
finalités du mariage et de la sexualité. Certes, la démarche catholique
insiste sur la menace de la punition que fait courir le péché alors que la
voie protestante tend plus à valoriser l’autonomie du couple dans la
maîtrise des pulsions. Dans les deux cas cependant, et peut-être plus
encore dans les pays protestants, les pasteurs imposent «  un très fort
contrôle social sur la vie conjugale et sexuelle 12 ».
D’une manière générale, les historiens ont relevé combien la période
e
des Réformes religieuses au XVI  siècle s’est accompagnée d’une volonté de
remise en ordre rigoureuse. Pour l’Église catholique, extirper ce qu’elle
considère comme l’hérésie protestante, ou du moins la contenir
étroitement, est une priorité. C’est dans ce contexte que les tendances
mystiques seront soigneusement décryptées : toute prétention à vivre une
relation privilégiée avec Dieu que manifesteraient des charismes
particuliers, voire des visions ou des phénomènes extatiques, sera
suspectée de confiner à l’hérésie. En Espagne, dès les années 1520, sous
couvert d’accusations d’hypocrisie, de tromperie ou d’illusion démoniaque,
l’Inquisition va poursuivre ceux que l’on désigne sous le terme
13
d’alumbrados ou «  illuminés   ». Plus tard, c’est l’appellation de
« quiétisme » qui servira de catégorie générique. Dans ce contexte, le corps
avec tout ce qui touche à la sexualité est souvent associé aux dérives
désignées comme hérétiques.
Pour Jacques Gélis, «  un double mouvement d’anoblissement et de
mésestime  » traverse le discours chrétien sur le corps 14. Le XVIIe  siècle
reproduit ce «  balancement  », avec une nette inclination pour le second,
marqué par le rigorisme, auquel le courant janséniste sert de vecteur 15. Le
dire aussi catégoriquement risque cependant d’exagérer «  les rigidités
terroristes du Grand  siècle  », lequel se présente volontiers aussi comme
celui d’un âge d’or de la mystique. Marcel Bernos n’a pas tort de dénoncer
une certaine vision caricaturale qui veut que la normalisation des
comportements ait eu pour effet de jeter «  dans de froides clôtures de
pauvres jeunes filles ne rêvant que d’amours terrestres » et de transmuter
16
«  de galants garçons en d’hypocrites barbons ou en clercs refoulés   ».
Certes, toute licence sexuelle est condamnée, et la copulation justifiée
uniquement par la volonté d’engendrer. La sexualité s’exerce donc dans le
mariage où la modération guidera le couple en excluant la recherche de la
volupté pour elle-même. Au pis, l’amour des conjoints n’est pas
indispensable pour se marier puisque le penchant amoureux passe pour
empêcher l’exercice de la raison dans la décision de contracter une
union 17. Sur ces sujets, les règles disciplinaires mises en place par les
Églises vont ensuite durer au moins quatre siècles.
Néanmoins, deux tendances contradictoires s’imposent peu à peu,
d’une part la dissociation de l’amour et du mariage qui ramène ce dernier à
un devoir voué à la reproduction, de l’autre une valorisation du sentiment
e
et du bonheur à partir du XVIII   siècle, laquelle inévitablement va
bouleverser les normes morales. L’épanouissement de la personne
commence à compter véritablement, si bien qu’à la fin du XIXe  siècle, il
paraîtra totalement abusif d’associer un couple pour la vie sans son
consentement. Une certaine inclination, si possible réciproque, que l’on
nomme «  amour  » rapproche les partenaires et s’épanouit dans l’union
conjugale. Bien que confinée, la sexualité y gagne du moins une place.
Commencent alors des turbulences inattendues : on assiste à la remise en
cause de ce modèle par l’aspiration à une nouvelle dissociation de l’amour
et du sexe dans un climat d’érotisation croissante des rapports sociaux.
Quoique l’amour appelle la sexualité, le sexe sans amour est lui aussi
envisageable et la chasteté déjà peu comprise sera de plus en plus
chahutée. Toujours auréolée d’héroïsme, cette valeur considérée par la
tradition comme la perle des vertus est de moins en moins perçue comme
la condition naturelle de la femme avant le mariage, au même titre que le
chaste célibat ne peut plus figurer comme allant de soi pour ceux et celles
qui se destinent à la vie religieuse. Même si ces évolutions complexes ne
s’emboîtent pas mécaniquement mais restent parallèles ou concomitantes,
il convient pour la clarté de l’exposé de les envisager successivement.

e e
Les suspicions de la raison (XVII -XVIII  siècles)

Dans la procédure de reconnaissance de la sainteté, où la vénération


des fidèles joue un grand rôle, les dérives sont toujours possibles. Aussi les
manifestations mystiques n’ont-elles cessé de déployer autour d’elles des
polémiques et des soupçons, au point que la hiérarchie ecclésiale a
toujours cherché à en reprendre le contrôle 18. Désormais, il vaut mieux
être homme que femme, clerc plutôt que laïc et appartenir à un ordre
reconnu pour avoir la chance d’être proclamé saint. C’est ce qui ressort du
bref Caelestis Hierusalem cives publié par le pape Urbain VIII en 1634.

La fin de la voie mystique
e
Dès la deuxième partie du XVII   siècle, les témoins et relateurs des
expériences mystiques se méfient des expressions d’excès amoureux et
tendent à classer l’extase dans une catégorie médicale. Les directeurs de
conscience et, de plus en plus, les médecins se trouvent face à des
phénomènes dont le sens dépasse le constat somatique et relève du
psychisme. Cette tendance devient même la norme lorsqu’il s’agit de
codifier la sainteté. Élu pape en 1740 sous le nom de Benoît XIV, Prospero
Lambertini (1675-1758), auteur d’un important ouvrage publié avant son
élection, est l’un des principaux artisans de ce déplacement 19. Son livre va
servir au contrôle étroit des procédures jusqu’en 1917, instaurant comme
règle la méfiance du surnaturel et des miracles pour privilégier le
comportement et la moralité du saint présumé. Une personne auréolée de
vénération populaire est a priori suspectée de fausse sainteté. Des enquêtes
évaluent l’origine divine des inspirations ou au contraire les rapportent à
des mouvements humains. Les vertus paraissent préférables à la
contemplation infuse. Les femmes éveillent la méfiance, suspectes d’excès
de sensibilité. Là où les authentiques mystiques comme Thérèse d’Avila
affirment leurs doutes et s’avèrent prudentes – elle emploie très
fréquemment le verbe «  sembler  » pour décrire ses états intérieurs –, les
théologiens vont très vite dénoncer des supercheries ou des excès
d’enthousiasme féminin, extériorisés par des larmes, soupirs, gémissements
et tremblements. Consciente de la malice du monde, Thérèse conseillait
d’ailleurs le retrait et  le secret plutôt que l’extase publique, qui lui
paraissait profondément malséante.
Comment distinguer les langueurs d’une imagination échauffée
d’authentiques ferveurs célestes, quand les excès d’ascèse conduisent aux
marges de la folie  ? Les manifestations extatiques deviennent des signes
pathologiques, des objets médicaux. On emprisonne des mystiques  :
Jeanne-Marie Bouvier de La Motte (1648-1717), plus connue sous le nom
de Mme  Guyon, ou encore Louise de Bellère du Tronchay, dite Louise du
Néant (1639-1694), enfermée à la Salpêtrière. Plus tard, avec les médecins
e
du XIX   siècle, de Charcot à Freud, les écrits mystiques seront réduits à
n’être plus que des procès-verbaux de maladie. Mais les signes de
stigmatisation continueront pour longtemps à embarrasser autant la
hiérarchie religieuse que les médecins. Parmi des cas plus tardifs qui ont
alimenté la polémique, ceux de Palma Maria Addolarata Matarelli (1825-
1888) dans les Pouilles, de Louise Lateau (1850-1883) en Belgique et de
Marie-Julie Jahenny (1850-1941) près de Nantes : mandatées par l’autorité
diocésaine, des expertises médicales ont été menées sans accréditer
formellement le caractère surnaturel de ces manifestations 20. Les médecins
ne se contentent plus de dénoncer les conséquences d’un imaginaire
mystique et de traiter les stigmatisations comme une supercherie ; certains
développent une explication scientifique de type physiologique alors
qu’une majorité s’en tient à l’hypothèse pathologique de troubles
hystériques. À nouveau la sexualité apparaît comme l’une des composantes
de mises en scène répétitives. Ainsi le cas de Marie-Julie a été jugé
totalement pathologique par l’évêque de Nantes. Certains ecclésiastiques
ont dénoncé le caractère érotique des positions cataleptiques de la jeune
fille, spectacle auquel des milliers de pèlerins, potentiellement libertins
selon quelques témoins, essaient d’assister au début des années 1870.
Autrement dit, depuis la Réforme luthérienne et sa contamination
jugée hérétique, d’autres ennemis ont fait irruption au sein même de
l’institution et se cachent sous des aspects de dévotion tranquille,
susurrante ou franchement silencieuse. Ce sont avant tout la France,
l’Espagne et l’Italie qui sont touchées par le revirement qui signale jusque
dans l’espace public les « mystiqueries ». Nombreux sont les ouvrages qui
dénoncent les illusions et les équivoques des émotions mystiques. Sophie
Houdard a mis en évidence l’impact médiatique de ces questions à travers
des scénarios érotico-comiques où dialoguent le directeur de conscience et
la dévote. Ainsi Charles Sorel, un romancier satirique, écrit un libelle paru
une première fois en 1634. L’intrigue fait comparaître devant un tribunal de
la langue des plaignants, pères de l’Oratoire, qui demandent la
reconnaissance des mots de la spiritualité utilisés dans les livres de feu le
cardinal de Bérulle. Pour éviter l’équivoque, une marquise suggère même
de limiter l’usage de «  conception  » à l’expression «  conception
immaculée  » en évitant d’en faire un synonyme de pensée  ! Les effets de
ces querelles langagières se répercutent jusqu’au dictionnaire d’Antoine
Furetière, quand l’article «  Mystique  » se modifie singulièrement entre la
première édition de 1690 et la deuxième de 1702. Les expressions
nouvellement employées pointent de façon dévalorisante «  leurs extases
fanatiques & leurs amoureuses extravagances  ». La mystique est
considérée, poursuit Furetière, comme « un langage à part » qui « mène au
fanatisme ». Déjà, plus personne ne peut comprendre des allusions réduites
à n’être, comme dit Sophie Houdard, qu’«  un répertoire de signes sans
21
relation à un monde référentiel   ». Cette auteure souligne combien ces
tendances critiques, qu’elle rattache à une certaine culture libertine en
e
vogue au XVII  siècle, inaugurent un mouvement de « désenchantement du
monde  » et de détachement du sacré, qui réduit le religieux à des signes
22
extérieurs .
Durant les années 1680 particulièrement sont signalées des
connivences possibles avec l’illuminisme et le libertinage sexuel.
Dénonciation ou au contraire apologie, le discours est très contrasté. Ce
sont les enseignements de Miguel de Molinos (1628-1696) et son Guia
esperitual, très peu apprécié des courants jésuites, qui focalisent l’attention.
Ce prêtre espagnol s’est taillé une réputation de directeur spirituel en
incitant à la prière du cœur, affranchie des démonstrations extérieures où
l’âme, de manière passive, trouve la paix en union avec Dieu, d’où le nom
de quiétisme qu’on décerne à ce mode d’oraison. Dans l’indifférence au
monde terrestre et une totale passivité, le sujet nie son propre soi-même,
l’abandon à la grâce divine permettant la rencontre avec Dieu. L’essentiel
du livre consiste à introduire à la mystique  : comment progresser dans
l’oraison et arriver à la contemplation intérieure dans la foi pure, en toute
quiétude ou, comme dit son auteur, «  sans images ni représentations,
simple, sans raisonnements, et universelle, sans réflexion sur quoi que ce
soit  »  ? Molinos pointe en particulier les «  suggestions libidineuses et
pensées immondes », la « foule de pensées inconvenantes, importunes ou
impudiques  » qui assaillent l’âme à travers le temps de l’oraison et qu’il
23
faudrait écarter . Dès 1685, cependant, Molinos est incarcéré à Rome  ;
après des tergiversations, sa doctrine est condamnée par le Saint-Office.
L’Inquisition se méfie surtout des communautés mystico-charismatiques
de femmes, attirées par l’oraison de quiétude. Ce sont les liens étroits entre
les pénitentes et leur confesseur qui, désormais, sont toujours entachés de
soupçons de relations charnelles. Autrement dit, une situation quelque peu
ambiguë et ses virtualités deviennent un topos criminalisé par les autorités
de la Curie romaine 24. D’abord utilisé pour stigmatiser des attitudes
laxistes concernant les éventuelles turpitudes commises dans la direction
de conscience ou par les supérieures de couvents, le terme de
« molinisme » désigne peu à peu toutes les affaires de mœurs et les délits
25
sexuels dans le cadre de la pastorale ecclésiastique . Ainsi, encore au
e
XIX  siècle, lors de la condamnation en 1816 pour fausse sainteté de sœur
Maria Agnese Firrao, c’est l’accusation de «  quiétisme  » – mot dont la
prévenue n’avait jamais entendu parler – qui est retenue. Le terme
recouvre aussi bien ses prétendus stigmates et ses extases que ses relations
avec un prêtre et ses deux avortements. Comme l’a justement relevé
l’historien Hubert Wolf, ce mot abscons permet de ne pas attirer l’attention
et d’éviter ainsi toute spéculation « sur d’éventuelles aventures érotiques à
26
l’abri des murs du monastère  ».
C’est le pape Innocent XI qui s’est trouvé confronté à la polémique,
quoiqu’il ait d’abord manifesté une certaine sympathie pour Molinos. Une
année après l’arrestation de ce dernier, il élève à la pourpre cardinalice
Matteo Petrucci (1630-1701), soupçonné de quiétisme, peut-être pour le
protéger 27. Ce prélat, membre de l’ordre des oratoriens, a fondé à Jesi
(Marches) un institut pour recueillir les jeunes filles égarées (le
Conservatorio delle zitelle), en leur imposant un style de vie monacal en vue
de préserver leur honneur. En 1687, des accusations de privautés sexuelles
sont portées contre lui. Plusieurs de ses pensionnaires se seraient trouvées
enceintes. Petrucci n’est pas poursuivi pour ces faits puisqu’il est condamné
pour hérésie et ses œuvres mises à l’Index. Absous, il poursuivra sa carrière
comme carmerlingue (trésorier) du Sacré Collège (collège des cardinaux).
Mais, entre-temps, le pape publie, le 20  novembre 1687, la constitution
apostolique Cœlestis pastor qui condamne les erreurs doctrinales de
Molinos, en les présentant sous la forme de propositions considérées
comme déviantes, tirées en partie de sa correspondance avec ses
pénitentes. Ainsi des affirmations 41 et 42 :

« Dieu permet et veut pour nous humilier, et pour nous conduire à


la parfaite transformation, que le démon fasse violence dans le corps à
certaines âmes parfaites, qui ne sont point possédées, jusqu’à leur faire
commettre des actions animales, même dans la veille et sans aucun
trouble de l’esprit, en leur remuant réellement les mains et d’autres
parties du corps, contre leur volonté […]. Ces violences à des actions
terrestres peuvent arriver en même temps entre deux personnes de
différent sexe, et les pousser jusqu’à l’accomplissement d’une action
mauvaise 28. »

Autrement dit, on attribue insidieusement à Molinos l’idée que la


quiétude de l’âme peut mettre la personne dans un état de paix tellement
imperturbable (la « mort mystique ») que les pulsions des sens ne sont plus
contrôlables.
En France, le rigorisme et l’augustinisme du courant janséniste
détestent eux aussi les élans mystiques et se rejoignent dans leur
dépréciation de la sexualité. Les écrits de la mouvance de Port-Royal, ceux
de Pierre Nicole en particulier, diffusent une vision très négative de la
femme et du couple. La concupiscence est de toute manière « déréglée et
honteuse en elle-même » et le mariage acceptable seulement par l’analogie
risquée qu’on peut en tirer pour expliquer «  l’union de Jésus-Christ avec
29
son Église   ». Parallèlement à la condamnation du mystique espagnol
Molinos s’est développée la querelle à propos de la théorie du «  pur
amour  ». Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai, a soutenu l’idée
d’une contemplation sublime dégagée de tout intérêt (récompense ou
châtiment), au fond un don total de soi par pur amour de Dieu. En 1699,
le bref Cum alias du pape Innocent XII (1699) a condamné cette doctrine.
Proche de Fénelon, Mme  Guyon, également inquiétée par le pouvoir, a
transcrit les idées quiétistes dans sa conception des rapports de genre. Pour
elle, il est évident que la femme est une victime immolée puisqu’elle doit se
résigner à sa destinée de mère dans une relation conjugale de total
renoncement 30.
Rien d’étonnant à ce qu’un observateur des mœurs comme Jean de La
e
Bruyère à la fin du XVII   siècle épingle les tartufes, ces dévots considérés
comme «  modèle d’une vertu sincère  ». Ils excellent à faire croire sans le
dire qu’ils portent une haire, qu’ils lisent des livres de piété, qu’ils jeûnent
et « ne connaissent de crimes que l’incontinence, parlons plus précisément,
que le bruit ou les dehors de l’incontinence. Si Phérécide passe pour être
guéri des femmes, ou Phérénice pour être fidèle à son mari, ce leur est
31
assez […]  ».
Dans le contexte germanique, la voie mystique est très vite assimilée à
du sentimentalisme ou de l’intuitionnisme ; les nouveaux courants qui s’y
développent dès le XVIIe  siècle cherchent nettement à s’en démarquer. Les
piétistes, pourtant très influencés par Molinos, ne croient plus à l’union
avec Dieu comme expérience mais comme simple postulat. Dans la foulée,
e
le débat théologique sur le « pur amour » continue au XVIII  siècle, focalisé
sur la réfutation d’un certain fanatisme 32.

Laxisme, rigorisme et probabilisme

Depuis que le concile de Latran IV (1215) a exigé la confession


auriculaire privée annuelle, cette contrainte a pesé autant sur les croyants
33
que sur les confesseurs . Dans la mouvance tridentine, la disciplinarisation
des pratiques religieuses concerne directement le sacrement de pénitence
dont le moment est dûment codifié 34. Ainsi, pour être efficace, le
confesseur connaîtra tous les types de péchés possibles, d’où la tendance à
le transformer en une sorte de juge, habilité à déterminer la gravité des
fautes dont s’accuse le pénitent, d’en fixer la peine, voire de refuser
e
l’absolution. Très rapidement, au XVI   siècle, les cas de conscience
constituent une matière en soi dans la formation des prêtres. À travers les
subtilités de ses circonstances et ses intentions, le péché se désocialise. Il
est moins la conséquence de rapports entre les êtres, qui engendrent des
tensions ou des conflits, qu’une affaire de comportement individuel, de
pensées intimes, d’actes commis dans le secret. La multiplication des cas de
conscience – jusqu’à 28  000 chez le théatin Antonio Diana au milieu du
e
XVII   siècle – a peut-être facilité la tâche des confesseurs mais a surtout
encouragé l’attitude dite «  probabiliste 35  ». Face à la loi, au lieu de
multiplier les inquiétudes individuelles autour de ce qui serait moralement
certain et néanmoins impossible à déterminer, mieux vaut favoriser la
liberté de la conscience personnelle. Dans le doute, celle-ci est encouragée
à se fonder sur une opinion probable afin d’alléger le poids de l’obligation
et d’éviter le désespoir. N’est-il pas absurde d’avouer en confession que l’on
a pris trop de plaisir à rendre le devoir conjugal se demande un casuiste.
Puisque le coït comporte une dose de plaisir, en jouir, même pour lui-
36
même, n’est donc «  probablement  » pas un péché . De même, la
masturbation, certes considérée comme un vice, est si répandue que cette
«  impudicité  » (mollities en latin) est regardée avec indifférence et jugée
e
plutôt inoffensive. Dès la seconde moitié du XVII   siècle, cependant,
ce desserrement de l’obligation au bénéfice de la liberté individuelle a été
perçu comme relâchement moral, de telle sorte qu’en 1665-1666, en 1679,
puis en 1690, les papes Alexandre  VII, Innocent XI et Alexandre VIII
rejettent des options jugées laxistes et pernicieuses. Désormais, la porte du
salut se rétrécit singulièrement  : la légèreté en matière sexuelle est
fermement condamnée ; on n’ose plus consentir au plaisir dans le mariage.
L’idée qu’un baiser entaché de délectation sensuelle ne soit qu’un péché
véniel semble peu admissible. Le Saint-Office réitère sa réserve sur ce point
encore en 1929 37 !
En France, le retour à l’augustinisme strict est encouragé par le
mouvement janséniste. Il s’oppose à toute tolérance dans le sacrement de
pénitence, prescrivant aux confesseurs de vérifier l’authenticité de la
contrition du pénitent et de ne pas admettre trop facilement des
circonstances atténuantes. Ils n’accorderont pas l’absolution à ceux qui ne
cesseraient pas de pécher, pas plus qu’ils ne permettront l’accès à
l’eucharistie trop aisément. Mais, avec sa pastorale de la peur des fins
dernières, le rigorisme n’a pas été suivi des effets que souhaitaient les
théologiens les plus acharnés. Les campagnes y échappent, bien que des
cas spectaculaires aient pu être évoqués, comme ces filles forcées à se tenir
à genoux à l’entrée de l’église pour avoir dansé le dimanche précédent 38.
Selon Jean-Louis Quantin, les propositions rigoristes ont contribué à la
39
désaffection des masses pour la pratique religieuse . Nombreux sont les
hommes qui se sont vu refuser l’absolution après avoir admis recourir à des
pratiques contraceptives ; ils ont ensuite déserté la messe et les sacrements.
Le recours à la confession est un bon observatoire pour mesurer
l’impact des mesures disciplinaires 40. Accompagnant cette inflexion vers
l’intime, un rapport malsain de subordination, qui pèse sur le fidèle, s’est
inévitablement installé. C’est d’ailleurs pour prévenir la gêne de la
proximité du prêtre-juge que le cardinal Charles Borromée (1538-1584)
avait prescrit une séparation matérielle, une barrière entre le confesseur et
le pénitent. C’est lui qui invente le confessionnal, ce meuble qui dissimule
les visages et étouffe les sons, pour protéger des oreilles indélicates
extérieures l’aveu des péchés, mais surtout qui dresse un grillage censé
protéger l’anonymat face au regard inquisiteur du prêtre. Borromée est
aussi l’auteur d’Instructions publiées en 1583, texte succinct et peu
systématique, composé de conseils, qui sera fortement sollicité ensuite
dans un sens ou dans un autre par ceux qui s’aviseront de formaliser
l’examen de conscience 41.
Fin connaisseur des manuels de confession, Marcel Bernos insiste sur
quelques points importants de méthode en écrivant notamment :

«  Contrairement à ce qu’on croit souvent, […] la sexualité occupe


généralement une place très modeste dans les manuels de confession
[…] par une assez habituelle absence des détails plus ou moins
scabreux, qu’on s’attendrait à y trouver 42. »

Les préceptes donnés aux prêtres s’avèrent  très discrets sur le sujet,
contrairement à la prolixité des conseils de morale économique, sur le
pouvoir de l’argent, l’enrichissement frauduleux des riches, le juste salaire
des pauvres et la simonie ecclésiastique 43  : quatre pages pour le sixième
commandement (défense de l’adultère) contre 453 pour le septième
(défense de s’approprier le bien d’autrui) dans le Cours de théologie morale
de Raymond Bonal en 1631. Bernos estime à 600 le nombre de manuels
sur la confession parus entre 1550 et 1650. Les plus intéressants
e
appartiennent à la première moitié du XVII siècle, car ils sont moins
pudibonds que les manuels ultérieurs qui s’expriment par périphrases.
Reste que les textes les plus connus s’en tiennent prudemment à des
conseils généraux. Ainsi, l’ouvrage du jésuite Paul Segneri (1624-1694),
publié en italien en 1669 puis traduit en français, allemand, arabe,
espagnol, latin, néerlandais, polonais, portugais et turc, déplore les
conséquences de la fornication :

«  C’est ce péché qui cause à tant de garçons & à tant de filles la


perte de leur virginité, laquelle est un joyau si précieux, que lui seul
fait de notre boue des vaisseaux d’honneur & de gloire  ; au lieu
qu’après une telle perte, elle devient aussi méprisable que ces chétives
coquilles qui restent sur le rivage de la mer après qu’elle s’est retirée,
dans lesquelles au lieu de poisson, il n’y a qu’un peu de sable & de
vase. Que cette fille se lamente tant qu’elle voudra, qu’elle fasse une
autre mer avec ses larmes  ; il est constant qu’elle ne pourra jamais
recouvrer la perle précieuse qu’elle a une fois perdue 44. »

Au XVIIIe siècle, Alphonse de Liguori (1696-1787), considéré comme un


rénovateur de la morale, a partiellement corrigé la vision rigoriste du
prêtre-juge, pour insister sur son rôle paternel de curateur des âmes 45. Si
l’on s’en tient à son Confesseur des gens des campagnes, l’un des manuels les
plus diffusés, les préceptes concernant les péchés contre le sixième
commandement occupent à peine une dizaine de pages sur les 428 du livre
(soit 2,3  %), alors que le chapitre sur le vol, les prêts et les contrats en
compte une cinquantaine (12 % de la surface rédactionnelle). Le chapitre
IX qui décrit les turpitudes de la chair est en latin, une précaution prise par
les auteurs moralistes, soucieux de ne pas heurter des lecteurs non
préparés. Il s’agit d’une simple reprise des distinctions usuelles sur la
fornication, le stupre, l’adultère, l’inceste et les actes contre nature. Au
chapitre XXI sont précisés les devoirs du confesseur, tenu de faire avouer
aux parents qu’ils « ont accordé l’entrée de leur maison aux jeunes gens qui
demandaient la main de leurs filles », allusion très claire aux coutumes des
fréquentations prénuptiales contre lesquelles bataille le clergé : « Sur cent,
précise le théologien, il y en aura à peine deux ou trois exempts de péché
mortel. » C’est même pour lui un cas de refus d’absolution que ces visites
des fiancés, autant d’occasions de fauter facilement, «  du moins par
pensées, ou par paroles  ; car tous leurs regards et leurs discours les
excitent à désirer les actes qui devront avoir lieu après leur mariage ».
Des femmes, il apprendra « si elles ont rendu le devoir conjugal », mais
avec tact, par exemple en évitant de formuler une question par trop
directe. En effet, précise le fondateur des rédemptoristes, souvent elles sont
en état de péché sur ce point et, comme leurs maris sont enclins à chercher
ailleurs une satisfaction sexuelle, ce sont elles qui sont responsables de la
fornication extraconjugale 46  ! Avec les enfants, le prêtre doit demeurer
« très prudent ». Il leur demandera « s’ils ont badiné avec d’autres enfants,
garçons ou filles, et si ces plaisanteries ont été faites en cachette, en se
touchant avec les mains  ». Si l’enfant est affirmatif, on passera à
l’investigation des «  actions déshonnêtes  ». S’il s’en défend, poursuivre
l’interrogatoire s’impose « pour voir s’il le nie par honte ». Quand l’enfant
dort dans le lit de ses parents, il convient d’obtenir l’aveu de «  quelque
péché en regardant, ou en écoutant les parents s’accoupler ». Mais Liguori
suggère aussi d’éviter des questions trop explicites, comme de savoir si, en
se tripotant, est advenue une émission de semence. En effet, concède-t-il,
« il est préférable de manquer à l’intégrité matérielle de la confession, que
de les mettre dans le danger d’apprendre ce qu’ils ne savent pas, ou
d’éveiller en eux la curiosité de l’apprendre 47 ».

La valorisation de l’amour

Les courants rigoristes s’opposent frontalement à une autre grande


tendance du siècle, celle qui réhabilite le plaisir et le bonheur. Il faut
rappeler que, durant la période 1680-1730, que l’on désigne depuis l’essai
de Paul Hazard (1935) comme le temps de la «  crise de la conscience
européenne  », se dessinent des orientations nouvelles  : l’individu prend
conscience de soi, de son corps et de sa santé. Désormais, l’épanouissement
e
personnel passe par la valorisation de sa propre image. Le XVIII   siècle
découvre ainsi un «  univers de fébrilité, palpitations ou vibrations
aiguillonnant notre existence 48  ». Le ressenti intime et les sensations
acquièrent un statut de réalité, ce que répercutent les livres de médecine et
de pathologie attentifs aux nerfs et aux tensions internes de l’être. Les
sujets s’inquiètent de leurs émotions et les mettent en résonance avec des
sensations physiques, voire des douleurs, car on ne peut plus séparer les
différentes manières de réagir aux stimulations extérieures. Chez Rousseau
(1761), par exemple, sentiment religieux et sentiment amoureux se
recoupent :

«  Comme l’enthousiasme de la dévotion emprunte le langage de


l’amour, l’enthousiasme de l’amour emprunte aussi le langage de la
dévotion 49. »

C’est pourquoi le philosophe se montre extrêmement critique envers les


mystiques. Il évoque Thérèse d’Avila, « un cœur amoureux qui se donne le
change et veut se tromper d’objet », ou Mme Guyon qui se fait « mettre à la
Bastille pour des rêveries où l’on ne comprend rien ». Leur forme d’amour
extatique cède la place à une conception qui tient compte de la
composante physique quitte à ne voir plus qu’elle. Ainsi Rousseau
n’apprécie guère la duplicité de « ce langage mystique et figuré qui nourrit
le cœur des chimères de l’imagination, et substitue au véritable amour de
Dieu des sentiments imités de l’amour terrestre, et trop propres à le
réveiller 50 ».
C’est justement cet amour terrestre que les élites de la seconde moitié
e
du XVIII   siècle se refusent à réprimer. Jusqu’alors, l’amour véritable
n’existait qu’en dehors du mariage puisque le discours religieux se méfiait
des sentiments d’inclination et préconisait une formule très puritaine de la
sexualité. Désormais, on attend une certaine libéralisation des sentiments
au cœur même du mariage 51. C’est ce que traduisent par exemple les
rituels des unions nuptiales, lorsqu’ils intègrent des souhaits de « longue et
heureuse vie sur terre  », comme le prescrit le diocèse d’Arras en 1757 52.
D’une certaine manière, tendresse et pulsion érotique tendent à se
rejoindre. Il est même question de « chaste amour ».
Parmi d’autres indices, les allusions de la marquise de Merteuil dans Les
Liaisons dangereuses (1782) témoignent des hésitations d’un  siècle où
amour, mariage et plaisir ne rimaient pas encore forcément. Dans la lettre
CIV à Mme de Volanges, la marquise évoque l’union projetée entre Cécile
et M. de Gercourt. Ils ne se connaissent pas et vont s’étudier et s’observer.
Chacun va bientôt comprendre « ce qu’il faut qu’il cède de ses goûts et de
ses volontés, pour la tranquillité commune  », afin d’amener «  peu à peu
cette douce amitié » qui forme « le solide bonheur des mariages ». Certes,
continue-t-elle, «  les illusions de l’amour peuvent être plus douces  ; mais
qui ne sait aussi qu’elles sont moins durables  ». À la lettre CXXXI, la
marquise de Merteuil interroge le vicomte de Valmont, cet homme que
seuls les « orages des passions » guident :

«  N’avez-vous pas remarqué que le plaisir, qui est bien en effet


l’unique mobile de la réunion des deux sexes, ne suffit pourtant pour
former une liaison entre eux 53 ? »

Encore y faut-il de l’amour !


Ancien officier au service de la Hollande et homme de lettres, Samuel
de Constant de Rebecque (1729-1800) est un proche de Voltaire. Auteur de
plusieurs romans épistolaires, il a aussi publié de manière anonyme un
Catéchisme de morale à l’usage de la jeunesse (1783). Pour lui, l’amour a
été proscrit des mariages et «  relégué dans les romans  ». Manifester de
l’amour en public, même à son épouse, exposerait à la raillerie. Et
pourtant, un mariage sans tendresse est assimilable à un rapt. Au passage,
l’auteur se démarque vertement de « l’esprit de débauche » qui valorise le
célibat afin de «  se livrer plus librement au libertinage  ». Il suggère de
renouveler les mesures qui ont flétri les célibataires « comme ennemis des
Mœurs & de la Patrie  ». Le célibat est, selon lui, assimilable à un vice
monstrueux 54.
Admirateur de Rousseau, Étienne Pivert de Senancour (1770-1846),
dans son traité sur l’amour, s’étonne lui aussi de la permanence d’une
« doctrine austère », d’une « manie de la constante répression des désirs ».
Pour cet auteur, la continence reste impensable pour les hommes, alors que
la chasteté est une vertu attendue des femmes. Mais il prône ouvertement
la jouissance :

«  N’exigeons pas que le plaisir ait constamment pour but direct la


procréation, puisque cette fin de l’amour n’en est pas la seule fin
connue. »

Comme le plaisir de l’amour surpasse de loin celui de la maternité,


Senancour refuse de condamner une femme qui «  reçoit un homme dans
ses bras sans que ce soit avec l’intention de devenir mère 55 ».
Enfin, cette ouverture à la jouissance se trouve confortée par le récit
des explorateurs qui se sont aventurés vers les mers du Sud. En 1771,
Bougainville relate dans son Voyage autour du monde comment, lors de son
arrivée à Tahiti, la « Nouvelle-Cythère », les indigènes ont fait preuve de ce
qu’on a pu appeler une «  hospitalité sexuelle  » (Serge Tcherkézoff). Les
navigateurs français, comme d’ailleurs les Anglais – le Journal de James
Cook paraît en 1773 –, ont conclu un peu vite à la liberté sexuelle totale
des Polynésiens, en s’étonnant toutefois qu’à la suggestion des habitants
eux-mêmes, la consommation de l’acte, quand elle a eu lieu, ait dû se faire
en public. Pour les visiteurs ignares, il est évident que les femmes des îles
ne songent qu’à l’amour, en conformité avec ce qu’on désigne alors comme
«  l’état de nature  ». Par ailleurs, Bougainville retrouve l’idée chère au
e
XVIII   siècle d’une certaine autonomie de la femme qui peut elle-même
choisir celui qu’elle aime, voire changer d’amant 56. Ici, l’évolution des
rapports de genre dans la société occidentale n’évacue pas vraiment les
fantasmes masculins.
Cet éloge du plaisir va rester une constante de la littérature
romanesque. Au début du XIXe siècle, le plus bel exemple en est
certainement, chez Théophile Gautier, la troublante expérience de
Madeleine de Maupin, travestie en homme, et dont Albert tombe
amoureux en soupçonnant sa véritable identité. Elle déplore son
«  ignorance du corps  »  : «  Je veux savoir ce que c’est qu’un homme et le
plaisir qu’il donne. Je suis possédée des plus violents désirs, – je languis et
je meurs de volupté » en restant chaste et vierge « au sein de la dissipation
la plus éparpillée ». Après sa nuit d’amour, elle poursuit l’expérience au lit
avec son page, une jeune fille également travestie en homme. La
philosophie du livre est que la jouissance est « le but de la vie et la seule
chose utile au monde » ; il faut profiter du privilège de l’être humain « de
faire l’amour en toutes saisons, ce qui nous distingue de la brute beaucoup
plus que l’usage de lire des journaux et de fabriquer des chartes 57 » !

e e
Face à l’érotisation de l’amour (XIX -XX -siècles)

Au XIXe siècle, dans l’ensemble de l’Europe, un certain nombre de


courants théologiques semblent privilégier le vécu des fidèles et réhabiliter
contre le rationalisme une théologie du cœur. C’est ainsi qu’en 1817, un
manuel de morale s’adresse non seulement comme les anciens ouvrages
aux futurs pasteurs, mais à tous les chrétiens 58. Par le don de la Grâce plus
que par l’observation rigoureuse de préceptes, ceux-ci pourront s’élever
vers la sainteté, en faisant usage de leur liberté. La théologie morale,
cependant, reste le plus souvent prisonnière d’un juridisme étroit. C’est le
constat a posteriori de l’un des experts du concile Vatican II :
«  D’une école à l’autre les manuels rédigés à l’usage du clergé
semblent d’accord pour perpétuer la formule des  Instructions morales
créée par les jésuites à la fin du XVIe  siècle et consacrée par saint
Alphonse [de Liguori] 59. »

En ce qui concerne les ministères, il semble qu’on s’en tienne à la


formule attribuée au père Henri-Dominique Lacordaire (première moitié
du XIXe siècle) à propos de l’ordination sacerdotale  : «  Une goutte d’huile
sainte fait un prêtre chaste 60. »

L’obsession génitale de la société bourgeoise

e
 (XIX siècle-1950)

La société occidentale n’abandonne pas pour autant sa vision restrictive


de la place du corps et de la sexualité. Ce qui évolue, ce sont les frontières
du licite et de l’illicite, de manière différentielle selon les contextes
sociaux 61. Se redéfinit au XIXe siècle, comme durant les siècles précédents,
ce qui est considéré comme normal, donc tolérable, et ce qui passe pour
déviant, donc inacceptable pour la bienséance bourgeoise. En évoquant
e
Vienne à la fin du XIX siècle, lorsqu’il n’avait pas encore 20 ans, Stefan
Zweig déplore à quel point la famille, l’école et la «  morale publique  »
imposent en matière de sexualité «  le secret et la dissimulation  ». Une
«  morale du silence  » fermente ainsi dans un «  air étouffant et malsain,
saturé d’effluves parfumés ». À force d’être à l’affût de tout ce qui pourrait
« blesser les mœurs », on en arrivait en réalité à être forcé « d’y penser sans
62
cesse  ». Michel Foucault soulignera aussi que faire valoir le sexe comme
le secret par excellence relève d’une stratégie d’incitation au discours, à
l’opposé d’une censure 63.
e
Le terme de « sexualité » est utilisé au XIX  siècle d’abord en anglais puis
en allemand et, vers 1840, en langue française pour regrouper les
comportements liés à la génitalité. Le concept de libido, repris par Freud
dès 1895 pour désigner la pulsion sexuelle, contribue à une mise à distance
et à une déculpabilisation des manifestations du désir physique,
phénomène normal et naturel. De son côté, le psychiatre allemand Richard
von Krafft-Ebing (1840-1902), dans son célèbre traité Psychopathia
Sexualis (1886), propose une classification des pathologies sexuelles qui va
servir de base aux médecins légistes et aux tribunaux pour évaluer les
perversions attribuées à l’état névropathologique ou psychopathologique
des sujets incriminés. En introduction, l’auteur hésite à penser que
l’humanité est devenue plus morale avec le progrès de la civilisation censé
« dompter les passions sensuelles » :

«  Il n’est donné qu’aux caractères doués d’une grande force de


volonté de s’émanciper complètement de la sensualité et de goûter cet
amour pur qui est la source des plus nobles plaisirs de l’existence
humaine 64. »

Une éducation sexuelle autre que simplement empirique est prônée


tardivement par les hygiénistes et les médecins dans l’idée de réguler les
comportements. Jusqu’aux années 1900, la littérature prescriptive sur la
question redouble simplement le discours religieux sur la finalité
reproductive de la sexualité, suivant un code strictement hétéro-sexiste. Il
est éclairant de suivre le raisonnement d’une pionnière de l’émancipation
féminine comme Emma Pieczynska (1854-1927). À partir de sa thèse de
médecine interrompue pour des raisons de santé, elle rédige un livre
d’éducation sexuelle destiné à ses contemporaines. Elle y adhère aux idées
qui encouragent la chasteté et l’abstinence partagées entre les futurs
époux. C’est pourquoi elle dénonce l’hypocrisie bourgeoise qui veut que
l’homme vive des expériences avant d’épouser une femme pure, à laquelle
il offre « en échange de sa pureté le corps d’un prostitué 65 ». Pieczynska ne
veut plus de « l’émoi de la pruderie », ni de la vertu assimilée à l’ignorance,
ni d’un « idéal féminin de pureté » qui se résume au « type de l’ingénue » !
Au nom de l’égalité des sexes, elle réclame pour la jeune fille « un époux
vierge comme elle ». Dans un vibrant appel à la virginité avant le mariage,
elle souhaite épargner aux femmes « le rôle de reproductrice involontaire
66
et sacrifiée  ».
C’est une tout autre opinion que défend le jeune Léon Blum (1872-
1958), connu comme critique littéraire avant d’entrer en  politique. En
1907, dans un livre foisonnant et peu structuré – plus de 300 pages en six
chapitres compacts sans titres ni sous-titres –, mais truffé de références
littéraires, de témoignages et d’anecdotes, Blum propose de réformer le
mariage en s’attaquant au préjugé de la virginité des filles :

« L’essence même du mariage tel qu’il est institué dans nos mœurs
est d’unir une fille vierge à un homme déjà fait, et de remettre à
l’expérience de l’homme l’éducation de la vierge. »

De là vient, selon lui, la fausseté de l’union conjugale et l’évidence de


ses échecs. Pour y remédier, il importe qu’une jeune fille n’ait plus «  à
choisir entre le déshonneur et la chasteté forcée » et qu’elle puisse accéder
au mariage avec un passé d’aventures sans être vierge 67.
Ce type de laxisme sexuel cède le pas aux arguments médicaux, qui,
eux, répercutent des inquiétudes grandissantes face à la baisse de la
natalité. C’est l’une des raisons qui conduisent les autorités administratives
à considérer la morale sexuelle comme enjeu échappant au monopole des
Églises. Mais comment l’inculquer  ? L’humaniste et pacifiste Friedrich W.
Foerster (1869-1966), professeur d’éthique, estime que, dans une relation
amoureuse, «  l’information en matière de sexualité ne garantit pas la
capacité de s’en servir à bon escient ». Il dénonce « la lumière crue projetée
sur les aspects physiques de la sexualité, au détriment de l’affectivité, de la
relation intime de la personne à son corps, à son usage des plaisirs ». Selon
lui, il faut faire appel à la responsabilité critique pour arriver à une
« maîtrise de soi » et à « l’émancipation de la tyrannie des pulsions 68 ».
Ce qu’on a pu appeler «  l’obsession génitale  » (A.-M. Sohn) du
e
XIX   siècle bourgeois conserve assurément l’idée que le mariage à finalité
reproductive est le seul enjeu d’une sexualité responsable. L’auteur d’un
manuel pour les jeunes mariés l’exprime avec emphase en 1884 :

« Vous étiez vierge, vous serez mère […] si vous allez tout à l’heure
perdre à jamais le droit de ceindre votre front de la virginale couronne
d’oranger, vous gagnerez du même coup une puissance et un titre
nouveaux. Vous étiez fille, vous serez une femme […]. Voilà tout le
secret du mariage et de l’amour 69. »

L’expression « éducation sexuelle » semble avoir été utilisée vers 1918,


à un moment où les enjeux de cette initiation sont clairement posés. En
médecine et en psychiatrie, la prolifération des écrits contribue à fonder
une science du sexe, ce qu’on appelle, à la suite des travaux des psychiatres
allemands Iwan Bloch (1872-1922) et Magnus Hirschfeld (1868-1935), la
« sexologie ». La préoccupation majeure est alors de délimiter la normalité
par rapport à des dérives pathologiques. Dans ce contexte se retrouve
exprimée la conviction que la chasteté est préjudiciable. Comme l’écrit
Pierre Vachet, l’un des précurseurs français de la discipline, dont le livre
Connaissance de la vie sexuelle (1930) sera encore réédité en 1969, la
chasteté entraîne « des maux de tête, des troubles digestifs, des angoisses,
des palpitations, des insomnies, des cauchemars, et surtout des obsessions
sexuelles terribles. Les moins résistants versent dans les manies et les
délires 70 ».
Avec d’autres, Vachet pense d’abord à ce qu’il considère comme des
perversions, à savoir la masturbation et l’homosexualité (qui concerne « les
invertis  » et beaucoup moins le lesbianisme) et, bien pis encore, dans la
gradation du vice, la pédophilie. Le remède à ces déséquilibres est à coup
sûr le mariage qui, pour les filles, mettra fin à leur incomplétude… grâce à
l’intervention masculine.
e
Durant ce premier XX  siècle attentif à percer le mystère des alcôves et à
rompre le silence convenu autour de la sexualité, une majorité de
médecins et d’éducateurs sont pourtant enclins à valoriser la continence
pour l’homme comme pour la femme. Le contexte est très certainement la
peur des maladies vénériennes. Selon une étude de 1903, 13 à 15 % de la
71
population masculine parisienne serait atteinte par la syphilis . On
considère qu’il s’agit d’une affection héréditaire qui pourrait entraîner la
dégénérescence de l’espèce et la dépopulation, hypothéquant ainsi l’avenir
de la France. Chasteté juvénile, mariage précoce et fidélité conjugale
mettraient à l’abri du « péril vénérien ». Pendant la guerre, la propagande
prophylactique s’adresse aux soldats :

«  Pour ne pas contracter les maladies vénériennes, il n’est qu’un


moyen efficace  : ne pas s’y exposer. La chasteté ne fait rire que les
72
imbéciles . »

Entre 1870 et 1940, les interdits sexuels ont certes perdu de leur force
au profit d’une érotisation croissante de l’intimité du couple. Le mariage
d’amour supplante les mariages arrangés et implique par la force des
choses des relations prénuptiales. Si une jeune fille sur cinq y a consenti à
la Belle Époque, elles sont probablement plus d’un tiers dans l’entre-deux-
guerres. Les épreuves de la séduction font partie de la nouvelle donne
73
amoureuse .
Dans un petit livre publié en 1962, François Mauriac pense avoir
avancé sur une route de plus en plus désertée, celle de la béatitude
promise aux cœurs purs par le Christ dans son Sermon sur la montagne. Il a
vécu dans un milieu où les « idées étaient aux antipodes de celles qui ont
cours aujourd’hui touchant les choses de la chair  ». Il avoue ressentir un
profond déchirement entre «  l’exigence de pureté si singulière  » d’un
message chrétien intransigeant et «  l’exigence de la nature et  l’immense
complicité qu’elle trouve au dehors  ». Ce contraste  se marque par
l’omniprésence du sexe dans le monde contemporain. Lui qui a connu une
enfance où il fallait l’ignorer et surtout ne pas en parler est confronté à son
exaltation, notamment à travers le langage cinématographique. Il
poursuit  : «  Il nous fallait vivre en union avec une bête féroce qui devait
nous demeurer inconnue.  » Dans son enfance (avant 1900), quand on
parlait de « vertu », c’est de la pureté et de l’innocence face aux choses de
la chair dont il s’agissait. « Il est difficile, écrit-il, de concevoir aujourd’hui
74
ce monde d’avant Freud . »
Dans le mouvement général pour introduire l’éducation sexuelle à
l’école, l’Église n’est pas totalement absente en essayant de donner une
impulsion qui dépasse la simple prophylaxie sanitaire. Selon un texte de
1929, l’objectif serait d’insuffler «  la pureté de l’Amour divin dans cette
75
puissance qui porte l’homme et la femme à s’aimer selon la chair  ».
En même temps, le vocabulaire change : au lieu de parler pudiquement
d’«  éducation de la pureté  », les enseignants chrétiens se risquent à la
formule « initiation sexuelle » qui, à l’époque, a pu en choquer plus d’un.
Fondatrice de l’École des parents, Marguerite Vérine-Lebrun (1883-1959)
se rend à l’évidence :

«  À temps nouveaux, éducation nouvelle. Je ne veux pas dire du


mal de l’oie blanche d’autrefois, elle eut son charme et sa poésie au
temps des omnibus et de la douceur de vivre ; mais aujourd’hui, sur la
route encombrée et périlleuse, non seulement elle risquerait de se faire
écraser, mais par son action négative elle ne servirait pas la cause du
bien et de la vertu. »

Les filles ne doivent plus être des vierges austères et pudibondes ; elles
se montreront suffisamment déterminées pour imposer du respect et le
remords «  aux folles demi-vierges d’aujourd’hui, qui, la cigarette aux
lèvres, prennent parfois, hélas  ! dès l’âge de seize ans, des allures
provocantes de courtisanes 76 ».
Retrouver le sens chrétien de la sexualité

e e
 (2 moitié du XX  siècle)

Il faut attendre les années 1950 pour que les positions commencent à
bouger sur le front de la théologie morale. Force est de remarquer
l’enseignement de Bernhard Häring (1912-1998), un rédemptoriste, qui a
influencé des générations de prêtres. Ses ouvrages ont connu plusieurs
centaines d’éditions et ont été traduits en 17 langues. Parmi eux, La Loi du
Christ (1954) a servi de guide à la pastorale préconciliaire. L’auteur y
consacre un long chapitre aux «  échanges corporels  », associant «  la
communion des corps et la virginité  ». Pour lui, la «  faute primitive  »
d’Adam et d’Ève n’est pas nécessairement «  une faute sexuelle  ». Le texte
de la Genèse suggère néanmoins « à quel point l’équilibre de la sexualité a
été compromis par la déchéance de l’homme 77  ». Häring se refuse à
enfermer la sexualité dans le péché puisque c’est à travers elle, par la
descendance d’Ève et Adam, qu’est annoncée l’espérance de la Rédemption
(le Christ). Le désir sexuel doit être intégré et non pas refoulé, ce qui
n’annule pas l’exigence de vigilance vis-à-vis de « tout désordre charnel »,
afin d’assurer un «  amour authentique  » et responsable. L’ambiguïté de
l’éros (attirance psychique qui évolue vers le physico-sexuel) trouve un
ennoblissement dans la pureté de l’agapè (amour spirituel ou charité).
Dans cette optique, la chasteté (désignée aussi comme pureté) concerne
aussi bien le mariage que la virginité en étant « la parfaite et courageuse
maîtrise de la fonction sexuelle et de l’éros dans un respect sacré inspiré
par la charité 78 ».
Rien à voir avec « la sainte ignorance » dont le culte a prévalu durant
des siècles :

« Ainsi la chasteté chrétienne n’est pas la peur du corps et du sexe.


Mais, vertu positive, elle entend arracher le corps à la seule loi de
79
l’instinct ou à la tyrannie de l’esprit perverti … »
Et quel retournement quand le moraliste met en garde contre la
«  casuistique minutieuse des péchés sexuels  » pour la remplacer par une
« nette mise en lumière des valeurs » de l’amour vrai ! Cela n’aboutit pas à
nier la réalité du «  péché d’impureté  », qui n’a rien à voir avec le plaisir
sexuel en soi mais avec «  sa recherche abusive hors de l’ordination
procréatrice du mariage ». Dans la classification des fautes, Häring reprend
les distinctions usuelles  sous l’étiquette de fornication qui inclut le
concubinage, la prostitution, le viol, le rapt, l’inceste, le sacrilège (la
«  sollicitation de pénitentes  » au moment de la confession). Toute forme
d’ipsation (onanisme) est considérée comme un péché grave. Quant à
l’homosexualité (sodomie, pédérastie, saphisme et lesbianisme), «  elle est
souvent une perversion caractérisée, résultat de la séduction et d’une
complète dépravation sexuelle 80  ». Plus loin, dans le paragraphe sur le
devoir conjugal, l’auteur précise qu’il faut s’en tenir à «  une modération
raisonnable », ce qui signifie que, « habituellement, on n’a pas de raison de
81
répondre à plus d’une demande par jour  ». Häring estime par ailleurs que
le plaisir sexuel a été voulu par le Créateur et que la volupté sexuelle est
« bonne et digne de l’homme 82 ». De ce point de vue, le changement de ton
et l’objectif valorisant de l’amour marquent une rupture avec des siècles de
culpabilisation malsaine.
En référence à l’encyclique Sacra virginitas (1954) du pape Pie XII,
Häring consacre une vingtaine de pages à la virginité, ce mystère du
« corps inviolé » et du « cœur virginal ». Selon lui, elle se situe « en dehors
de la loi légalement prescrite à tous  » et ne peut se vivre qu’appuyée sur
une « vocation spéciale ». Et de préciser :

« Personne n’est obligé à la virginité, même pas celui que le Christ


83
appelle dans un amour et une grâce particulière . »

Si le Christ laisse entendre son appel exclusif, ce n’est donc pas par
obligation – dont le non-respect serait sanctionné – que la personne
concernée répond à cette invitation, mais par amour. C’est le choix qualifié
de «  téméraire  » de cet amour sans partage pour le Christ qui justifie le
célibat. Ce dernier ne serait-il pas seulement une disposition de la loi
ecclésiastique qui le justifie par les exigences du ministère et par des
84
raisons pastorales   ? Häring reste prudent  : il affirme que du «  célibat
consacré » découle une exigence de chasteté et pas seulement d’abstention
du mariage. Autrement dit, pour l’Église latine, et cela a des conséquences
très importantes, avoir vocation au sacerdoce implique par là même
d’accepter la chasteté et le célibat.
Concernant les gens d’Église, le Code de droit canonique promulgué
par Benoît XV en 1917 prescrivait évidemment la chasteté. Les clercs « ne
peuvent contracter mariage  ; ils sont tenus d’observer la chasteté  ; s’ils
enfreignent cette obligation, ils se rendent aussi coupables de sacrilège  »
(canon 132). Ils sont autorisés à ne « cohabiter qu’avec des femmes dont la
proche parenté ne permet de rien soupçonner de mal » ou dont l’âge écarte
tout soupçon (canon 133). Mais s’il y a «  danger d’incontinence  », il
85
appartient à l’évêque d’intervenir pour interdire cette proximité . Lors du
concile Vatican II, la constitution dogmatique sur l’Église du 21 novembre
1964 réaffirme la place éminente du don accordé « à certains » de se vouer
à Dieu dans la virginité et le célibat, c’est-à-dire, précise le texte, à une
«  continence parfaite à cause du Royaume des cieux  ». Il s’ensuit un
raisonnement alambiqué : la tempérance absolue n’est pas exigée « par la
nature même du sacerdoce », et pourtant, le célibat demeure la condition
pour que le prêtre puisse se vouer entièrement et librement « au service de
Dieu et des hommes 86 ». Dans un monde où « une parfaite continence est
jugée impossible », il est préconisé aux clercs de demander « la grâce de la
87
fidélité   ». À plus forte raison en ce qui concerne la vie religieuse, le
concile recommande un temps de probation et de n’admettre que des
candidats «  avec la maturité psychologique et affective nécessaire  »,
88
capables de pratiquer « la mortification et la maîtrise des sens  ».
Le nouveau code promulgué par Jean-Paul II en 1983 reprend ces
dispositions de manière encore plus coercitive  : il répète «  l’obligation de
e
garder la continence parfaite et perpétuelle ». Les théologiens du XX  siècle
n’ont pas tranché la question de savoir si le célibat est en lui-même un vœu
de chasteté ou simplement une règle de discipline ecclésiastique 89. Le
canon 277 astreint certes les clercs au célibat qualifié de « don particulier
de Dieu ». L’obligation d’un vœu contraignant n’est donc pas formellement
mentionnée. La chasteté serait indirectement la conséquence du célibat
imposé. En outre, le texte canonique recommande aux prêtres la prudence
envers «  les personnes qui pourraient mettre en danger leur devoir de
garder la continence  ». Si l’amitié est tolérée, elle est toutefois peu
souhaitable entre personnes de sexe différent parce qu’elle conduirait
naturellement à l’amour sexuel, la tentation menaçant continuellement.
Dans le cérémonial de la préparation à la liturgie, le célébrant est d’ailleurs
invité à réciter une courte prière lorsqu’il revêt les ornements liturgiques à
la sacristie. Au moment de nouer le cordon qui entoure l’aube, il prononce
les mots suivants :

«  Ceins-moi, Seigneur, du lien de chasteté et de pureté, et éteins


90
dans mes reins toute convoitise mauvaise . »

Les versions plus anciennes demandaient d’«  éteindre dans ses reins
l’humeur de luxure ».
Alors qu’il a fallu des siècles pour associer le mariage, seul lieu de la
e
sexualité légitime, et l’amour, la seconde moitié du XX siècle expérimente
massivement la rupture de ce lien, dissociant à nouveau union conjugale,
sexualité et amour, avec la possibilité de recréer d’autres configurations sur
des modes multiformes. En effet, le droit au plaisir justifie la multiplication
des rencontres sexuelles. Au lieu du mariage, la vie en couple s’accommode
du concubinage, qui permet de tester la stabilité d’une relation. Le
détachement de la finalité reproductive constitue ce qu’on a appelé la
«  libération sexuelle  », qui apparaîtra peut-être bientôt comme une
« parenthèse enchantée », celle de la sexualisation des relations sociales et
de l’importance accordée à l’engagement sexuel dans la réussite
91
personnelle . La dissociation des rapports sexuels et de la procréation est
également au cœur des objectifs de l’éducation sexuelle  : introduite
d’abord dans les écoles scandinaves puis adoptée progressivement comme
une ouverture nécessaire à la santé sexuelle, cette information relève
souvent, du moins jusqu’aux années 1980 et la découverte du sida, d’un
banal apprentissage de la physiologie de la reproduction. De leur côté, les
médias contribuent à l’invasion de l’espace public par des thématiques
réservées précédemment à l’intimité sans parler des images plus ou moins
érotisées de la publicité 92. En 1971, le médecin français Jean Carpentier
(1935-2014) a défrayé la chronique en rédigeant et diffusant un tract sur
la sexualité intitulé « Apprenons à faire l’amour », parce que l’important est
moins d’apprendre comment sont les organes sexuels que « de savoir s’en
servir ».
À la suite du concile de Vatican II, le discours ecclésial a paru
légèrement s’infléchir. Alors que l’encyclique Casti connubi de 1930 en
restait à la conception traditionnelle d’un mariage pour la propagation de
l’espèce en dénonçant la « licence criminelle » de la « seule volupté », les
propos des années 1970 se recentrent sur la famille et l’aventure spirituelle
de la vie en couple. Mais la constitution pastorale intitulée « L’Église dans le
monde de ce temps  » oppose encore la chasteté dans le mariage à
« l’inclination purement érotique », tout en valorisant « la procréation 93 ».
En toute logique cléricale, en 1968, l’encyclique de Paul VI sur le mariage
et la transmission de la vie (Humanae vitae) soutient que le recours à des
méthodes artificielles de régulation des naissances, dont procède un « acte
conjugal rendu volontairement infécond  », est «  intrinsèquement
déshonnête  ». Ce message a jeté le trouble et a été très mal compris.
Certains ont pensé que la vie conjugale devenait «  plus dure que la vie
monastique  » et que les méthodes naturelles encouragées par le pape
contraignaient à ne plus « faire l’amour que trois ou quatre nuits par mois
94
au plus   ». De son côté, l’Église de France a cru bon de publier une
déclaration sur l’érotisme, diffusée au journal télévisé de 20  heures le
6 janvier 1972. Le déferlement du sexe constitue « une espèce d’insulte au
respect de l’Homme et de la Femme », « une sorte de provocation » dont on
peut penser qu’elle est soutenue «  à certains moments par un certain
capitalisme ». Le porte-parole ajoute que « la sexualité est bonne en soi » à
condition de s’inscrire dans « une conception totale de l’amour de l’homme
95
et de la femme  ».
Un petit livre du père André Barral-Baron (décédé en 2012) se fait
l’écho des ajustements intériorisés par le clergé depuis le concile. Ce prêtre,
âgé d’une soixantaine d’années, réagit au mépris du corps, prône sa
revalorisation tout en sachant, comme il l’écrit, que «  l’habit religieux ne
suffit pas à éloigner les attentes des corps sexués ». Pour lui, le célibat est
simplement un état de vie indépendant d’un «  lien socialement reconnu
avec un partenaire privilégié ». La chasteté peut y être vécue, comme dans
le mariage d’ailleurs, en tant que résistance à se laisser investir par les
désirs et les pulsions affectives, ce qui est déjà tout un programme. Quand
il aborde dans un bref chapitre le célibat consacré, c’est pour souligner la
vulnérabilité de la personne, malgré les «  conseils de sagesse et de
prudence  » distribués aux novices et aux séminaristes. Il est question de
«  combattre  » les tentations charnelles et de maîtriser les «  pulsions
sexuelles plus ou moins perverses ». La justification de ce choix est, dit-il,
96
qu’il fait regarder plus loin, vers la personne du Christ .
D’autres observateurs se sont montrés beaucoup plus critiques. Aussi
un prêtre du diocèse de Strasbourg, Paul Winninger (décédé en 2016), a-t-
il argumenté en 2003 contre l’obligation du célibat. Alors âgé de plus de 80
ans, il relève une contradiction dans le Code de droit canonique entre le
canon 277 (obligation de la continence) et le canon 220 qui accorde à tous
les fidèles le droit « de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un
état de vie ». Et de citer les textes de l’évangile de Matthieu et des lettres
de Paul qui, on l’a signalé précédemment, ne font aucune allusion à une
97
obligation, tout au plus à un libre renoncement . Assurément, le célibat
obligatoire ne fait nullement partie de la révélation évangélique ; il est une
pure tradition de l’Église latine. Il s’agit d’«  une règle prudentielle  »
codifiée parce qu’elle sanctionnait une coutume convenant à l’état
98
sacerdotal . Il est donc légitime de la remettre en question dans le monde
d’aujourd’hui, sans que cela ébranle les fondements de la foi.
5

Galanteries monastiques et prêtres


e e
volages aux XVII -XVIII siècles

En 1431, dans son dialogue philosophique sur le plaisir, l’humaniste


Lorenzo Valla prête à l’un de ses personnages des propos véhéments à
l’encontre du célibat religieux qu’il qualifie de superstition inventée par
« des gens âgés », soit déjà frigides, soit trop avares pour offrir une dot. En
plus, il est tromperie, tourment, perfidie et injustice pour les femmes.  Et
comment s’y tenir ?

«  Si le sexe fort ne l’est pas assez pour conserver la chasteté…


comment le sexe faible pourrait-il y parvenir 1 ! »

À l’époque de Valla, la clôture conventuelle n’était pas forcément


stricte. Rien que dans les neuf monastères féminins de Venise, il y aurait
eu, entre le milieu du XIVe siècle et la deuxième moitié du XVe siècle,
quelque 170 cas de relations sexuelles avérées entre des moniales et des
personnes extérieures. Plus d’une vingtaine de naissances sont également
mentionnées par les procédures. En 1561, l’un des plus gros scandales
éclabousse le monastère des converties, censé accueillir les filles repenties,
qui abrite environ 400 moniales, en majorité jeunes et belles selon le
rapport du nonce au cardinal Borromée. Un confesseur et directeur de
conscience s’était arrangé pour bénéficier des privautés de la communauté.
D’après le rapporteur, ce prêtre était comme le Grand Turc en son sérail ; il
avait à sa disposition tout ce qui était nécessaire à le remettre de la fatigue
amoureuse qui inévitablement le guettait 2. Autre cas connu, celui de la
nonne de Monza, une histoire promise à une grande postérité grâce à la
place que lui a accordée bien plus tard Alessandro Manzoni avec le
personnage de Gertrude des Promessi Sposi (Les Fiancés) en 1827. La figure
historique qui a inspiré Manzoni est la sœur Virginia Maria de Leyva
(1575-1650), jeune fille de haute naissance, forcée au couvent par son
père ; elle a entretenu une longue liaison avec le comte Osio dont elle eut
deux enfants. Pour peu que des témoins risquaient d’ébruiter l’affaire, ils
étaient tout simplement supprimés. Finalement, la religieuse indigne a été
condamnée à passer le reste de sa vie dans un monastère de Milan,
emmurée dans une minuscule cellule sans aucun contact avec l’extérieur.
Au-delà d’un florilège d’exemples ponctuels, il est vain de chercher à
quantifier le degré de dépravation au sein du clergé. Ainsi, entre 1590 et
1680 à Venise, 187 cas de sodomie ont été déférés devant les tribunaux
civils ; il s’agit en très grande majorité de poursuites pour pédérastie dont
une bonne moitié concerne des mineurs. Or, 18 % des affaires impliquent
des ecclésiastiques, ce qui est tout de même considérable compte tenu du
3
fait qu’ils représentent au plus 3 % de la population masculine de la cité .
Si l’on tente ensuite de dresser une typologie des turpitudes
ecclésiastiques, il est frappant de constater la place prise par les abus des
confesseurs qui profitent de leur autorité morale pour séduire les filles,
ainsi que par différentes variantes d’impostures mystiques qui mobilisent
les juridictions ecclésiastiques. À chaque fois, la chasteté est fortement
compromise. Partout en Europe, les autorités ecclésiastiques se sont
efforcées de sévir contre les dérèglements en édictant des règles drastiques.

Monastères et confessionnaux libertins


e
Venise comptait au milieu du XVII siècle quelque 2  500 religieuses,
réparties dans une trentaine de couvents. Des incartades à l’observation de
la règle monastique y sont souvent tolérées. Rien d’étonnant à ce que des
filles mises au cloître à 16-17 ans contre leur volonté cèdent à toutes les
tentations et s’amourachent du premier venu. Des affaires de mœurs sont
mentionnées dans les couvents de Santa Croce, Santa Caterina et San
Daniele en 1602 et 1604. En 1611, des moines de San Zaccaria ont été
surpris à l’intérieur de la clôture d’un monastère féminin. La même année,
une sœur réussit à fuir son couvent déguisée en prêtre. En 1643 une
4
nonne, ex-prostituée, disparaît avec un gentilhomme anglais . Et l’on
pourrait multiplier les anecdotes.
Les couvents lupanars sont attestés surtout en Espagne et en Italie,
mais, en France, à la fin du XVIe siècle, les monastères féminins ont eux
aussi une très mauvaise réputation. Ce sont certainement des îlots de vie
confortable où les religieuses ne dédaignent pas les galanteries. Ainsi Henri
IV inclinait à confondre le couvent de Maubuisson avec un harem et se
réservait les faveurs d’une professe à l’abbaye de Longchamp. Plusieurs
nonnes y ont d’ailleurs attrapé la syphilis. En 1652, Vincent de Paul lui-
même a déploré l’état de dépravation de cette abbaye :

«  Les parloirs ne sont point fermés, accessibles au premier venu


même à des jeunes gens non parents, que la plupart des religieuses
viennent entretenir seules et sans témoin, à l’insu de l’abbesse et
souvent malgré elle. Les Frères mineurs, recteurs du monastère, sont
bien éloignés de diminuer le mal. Ils l’augmentent plutôt, surtout les
confesseurs, en venant de nuit, à des heures indues, s’entretenir avec
les religieuses. On a surpris un de ces frères qui avait été introduit
nuitamment par une des jeunes religieuses dans les lieux claustraux  ;
elles y ont pareillement introduit d’autres jeunes gens 5. »
Aux portes de Lisbonne, les couvents de femmes, en particulier celui
d’Odivelas, défrayent la chronique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les souverains
Afonso VI (1662-1667) puis João  V (1708-1750) y jouissent de
nombreuses liaisons parmi les nonnes ; même la supérieure est devenue la
maîtresse attitrée du roi 6.
La confusion entre vie mondaine et vie conventuelle justifie sans doute
les allusions glissées par Jean-François Senault (1604-1672), supérieur
général de l’Oratoire, dans l’oraison funèbre qu’il prononce en 1671 en
l’honneur de Magdelaine de La Porte, la « sainte » abbesse de Chelles. Fille
d’honneur de la reine mère à l’âge de 18 ans, elle a su résister aux
« cajoleries » :

«  Le miracle que Dieu fait en conservant la chasteté d’un jeune


homme ou d’une jeune fille dans la Cour, n’est pas moins considérable
que celui qu’il fit dans la fournaise en préservant de la mort ces trois
enfants 7. Les flammes du feu ne sont pas si redoutables que celles de
l’impureté. »

À 20 ans, voilà cette sage personne chez les bénédictines. Ici pas de
serpent pour séduire les filles d’Ève, continue le prédicateur, mais une lutte
incessante pour préserver la chasteté. Et de citer Tertullien pour qui il est
« plus facile de mourir une fois pour elle que de vivre toujours avec elle, &
8
de résister à tous les combats  ».
Magdelaine fut abbesse de plusieurs monastères avec mission de les
réformer. En effet, à partir de Louis XIII, on observe une tendance assez
nette à réagir contre les dérèglements.
À Venise également, le Conseil des Dix, principal organe de la
République, s’est vu contraint de prendre à maintes reprises des mesures
pour mettre de l’ordre dans les cloîtres féminins. Des sanctions frappent
ceux qui se présentent aux parloirs sans avoir de lien de parenté avec une
moniale ou qui transgressent les horaires. L’intrusion d’un homme entraîne
9
par ailleurs l’excommunication des coupables . Comme l’austérité et la
rigidité deviennent la norme, les couvents passent pour des prisons où sont
enfermées, souvent contre leur gré, de nombreuses filles de l’aristocratie.
Si elles existent encore, les galanteries monastiques ont lieu de manière
plus discrète qu’auparavant. C’est pourquoi les historiens incitent à ne pas
«  exagérer l’ampleur de tels désordres  ». Selon Geneviève Reynes, la
e
réputation sulfureuse est surfaite. C’est au XVIII siècle que le laxisme
supposé des monastères avant 1650 est interprété exclusivement comme
un libertinage des sens, ce qui n’était pas forcément toujours le cas.
Pourtant, même si les archives restent peu bavardes, il faut se garder de
penser que les aventures conventuelles relèvent uniquement de la
convention romanesque 10. À Niort, qui compte sept maisons religieuses,
seize grossesses provenant de relations illégitimes de religieuses carmélites
et ursulines et quatre viols sont instrumentés par la justice entre 1730 et
1770 11. À Montmorillon, en 1767, deux jeunes professes, qui ont pris la
fuite, déclareront à la sénéchaussée qu’elles voulaient échapper aux
« pratiques de débauche de ce couvent, qui accueille tous les hommes de
rang de ce lieu pour satisfaire leurs désirs, ce à quoi nous ne voulions pas
nous plier 12 ».
Le prêtre confesseur est souvent le seul homme que les femmes
rencontrent librement en dehors de leur environnement familial. Profiter
de la situation de directeur de conscience pour nouer des relations plus
intimes, et même induire une pénitente à des pratiques sexuelles, est donc
une opportunité que certains clercs indélicats ne craignent pas de mettre à
profit. En 1559, l’année même de la publication de la liste des livres
interdits et des grands autodafés à Séville, le diocèse de Grenade est le
premier à sanctionner le crime, dénommé dans les sources sollicitatio ad
turpia, un délit de harcèlement sexuel. La bulle Contra sollicitantes du pape
Paul  IV confère à l’Inquisition locale la tâche de le réprimer. En 1561, la
mesure est étendue à toute l’Espagne par Pie IV. Plus de 260 cas sont
déférés au tribunal de Tolède entre 1561 et 1640 13. Mais il est probable
que de nombreuses femmes hésitent à dénoncer leur propre confesseur par
crainte de perdre leur honneur et d’entacher celui de leur famille. Par
ailleurs, les archives très lacunaires pourraient laisser penser à l’éradication
progressive du mal, ce qui n’est certainement pas le cas.
Comme l’Inquisition espagnole a juridiction sur le Milanais et Naples,
la pratique s’étend à l’Italie. À Venise, 78 procès impliquant des clercs
suborneurs sont instruits au XVIIe siècle, 38 au siècle suivant. La diminution
est quasi identique devant l’Inquisition d’Udine : elle passe de 74 procès à
38 14. Plusieurs enquêtes mettent au jour des circonstances particulièrement
troubles comme lorsque les prêtres incriminés ont réussi à convaincre une
femme qu’elle pouvait pécher avec eux, revenir derechef au confessionnal
pour recevoir de son séducteur l’absolution et communier à la messe que
celui-ci célèbre dans la foulée  ! Les confesseurs savent profiter de la
crédulité réelle ou feinte des pénitentes pour donner libre cours à leur
libido. Mais la misogynie ambiante laisse toujours entendre que la femme
est par nature lascive et tentatrice. Ainsi celle qui refuse de céder et gifle le
prêtre agresseur sera de toute manière poursuivie pour sacrilège 15 !
Dès 1622, c’est l’ensemble du monde catholique, y compris l’Amérique
espagnole, qui est concerné par la lutte contre ces scandales sexuels. Cette
année-là, une bulle de Grégoire XV, connue sous le titre d’Universi Dominici
gregis, instaure une procédure spéciale de l’Inquisition contre les prêtres
coupables de séduction. Suivant les cas, ils seront sévèrement punis par les
tribunaux ecclésiastiques de la privation de bénéfices, de l’exil, des galères,
de la réclusion perpétuelle, ou seront même déférés aux tribunaux
séculiers. Entre-temps, la délimitation de la turpitude a évolué puisqu’elle
ne concerne plus uniquement les femmes mais aussi les hommes et les
enfants. Une relation prohibée entre un confesseur et un pénitent quel qu’il
soit est assimilée à un inceste spirituel.
Entre le milieu du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, le tribunal de
l’Inquisition de Mexico a instruit près de 2  000 procès de transgressions
sexuelles de clercs en Nouvelle-Espagne. Sur un échantillon de 136
dossiers, l’historien Alessandro Stella a établi que la grande majorité (soit
16
plus de 100) concernait des sollicitations au confessionnal . Pour
l’ensemble de la chrétienté, cet historien parle de milliers de cas, qui
occuperaient entre 2 et 6 % de l’activité des tribunaux de l’Inquisition, sans
tenir compte des autres occurrences de rupture du vœu de chasteté. Rien
qu’à Tolède, la moitié des affaires traitées par l’Inquisition concerne des
délits sexuels mais aussi la propagation d’idées considérées comme
hérétiques. Par exemple, l’affirmation que le mariage est égal, voire
supérieur, au célibat ecclésiastique est hautement subversive, tout comme
l’opinion très répandue selon laquelle la fornication entre personnes non
mariées ne serait pas un péché mortel. En 1565, à Séville, un grand procès
concerne 75 inculpés dont le tiers ont été poursuivis pour leur laxisme sur
la fornication. Tous écopent de peines diverses (essentiellement des coups
de fouet et l’obligation de porter l’habit de pénitent) et sont contraints à
une cérémonie de pénitence publique (un autodafé), durant laquelle est
17
répétée une formule d’abjuration . En Italie, Atanasio Bilotta, un théatin
de Vérone, est dénoncé en 1604 pour avoir enseigné à ses pénitents que
l’union mystique ne pouvait être parfaite qu’à condition que celle des corps
procure le plaisir, car, selon lui, la jouissance vient directement de Dieu. En
clair, il veut substituer le plaisir sexuel au fastidieux devoir du mariage.
Déclaré hérétique en 1611, il est condamné à l’incarcération à perpétuité 18.
À Florence, Pandolfo Ricasoli Baroni (1581-1657) dirige une institution
pour jeunes filles. Dénoncé au Saint-Office, accusé de quiétisme, il est
poursuivi pour avoir expérimenté le coït avec ses pensionnaires comme
exercice de perfectionnement spirituel qui libère le corps de l’esclavage des
19
sens et prépare l’élévation de l’âme vers Dieu   ! Abjuration publique et
réclusion perpétuelle frappent le coupable en 1641.
À la fin du XVIIe siècle, au moment de la condamnation du quiétisme, on
note une recrudescence des dénonciations, comme si sévissait une
épidémie de subornations au confessionnal. Difficile d’en donner une
évaluation quantitative, compte tenu de l’immensité des documents
rassemblés par les tribunaux inquisitoriaux. À Venise, les affaires sont
répétitives au XVIIIe siècle. Ainsi en 1756, une femme accuse un prêtre
auquel elle a fait part de son indigence en confession de lui avoir proposé
un logement si elle acceptait de coucher avec lui. Le même s’est enquis
auprès d’une pénitente de la taille du membre viril de son amant  !
Incarcéré en 1757-1758, ce récidiviste est puni de trois ans de prison et de
la suspension perpétuelle de toute activité de confesseur. Il suffit qu’une
femme avoue ses pulsions charnelles et voilà qu’un autre directeur spirituel
lui propose un rendez-vous afin de lui enseigner un secret contre de telles
20
tentations . Ce genre de comportement n’est pas isolé. La littérature y
trouvera matière à des scènes sulfureuses en fixant le poncif des filles
ignorantes initiées par les propos de leur directeur de conscience. Dans Les
Liaisons dangereuses (1782), la marquise de Merteuil raconte qu’elle s’est
accusée d’avoir « fait tout ce que font les femmes » sans savoir de quoi elle
parlait et que les insinuations du « bon père » lui firent conclure « que le
plaisir devait être extrême », si bien qu’« au désir de le connaître succéda
celui de le goûter 21 ».

Le diable contre la chasteté

À ces dérives, il faut ajouter les dossiers de possession, fondés sur la


conviction que le diable peut agir sur le corps à l’insu du sujet ou malgré
lui. En effet, les possédés ne s’expriment guère sur ce qu’ils ressentent
22
physiquement comme si les sens restaient muets . L’affaire de Loudun est
restée célèbre. Auteur d’un pamphlet contre Richelieu, le curé Urbain
Grandier fut la victime toute désignée d’une cabale politique où les
ursulines et leur mère prieure, Jeanne des Anges, ont joué les premiers
rôles. Inculpé pour avoir ensorcelé les nonnes et leur avoir suggéré des
obscénités, le religieux est condamné au bûcher en 1634. Chargé
d’exorciser la communauté, le père Surin estime que le diable est l’auteur
des comportements excentriques des sœurs, la prieure étant habitée par un
esprit d’impureté :
«  Toute la nuit il la tentait violemment, faisant sur son corps des
abominations que l’on ne saurait raconter, et portant la nuit dans sa
chambre des magiciens et des magiciennes qui pratiquaient leurs
23
impudicités à la vue de cette vierge consacrée à Dieu . »

Comme elle ne fléchissait pas, le diable la fit devenir enceinte avec tous
les signes liés à la maternité pour la diffamer. Surin reprend ici le
stéréotype de l’accouplement démoniaque.
À Aix-en-Provence, selon un scénario identique, des ursulines ont
accusé le curé Louis Gaufridy de les avoir ensorcelées, d’être lui-même en
relation avec Satan et surtout l’auteur de perversions sexuelles, ce qui lui
24
vaut d’être exécuté en 1611 . Chez les ursulines de Louviers en
Normandie vers 1643, érotisme et saphisme sont attribués à l’influence du
confesseur, qui aurait suborné plus de 50 religieuses, lesquelles se
25
prétendent ensuite possédées du démon .
Dans les cas documentés de possession diabolique, on assiste
certainement à un transfert massif des émotions mystiques vers des
expériences sexuelles. Que l’exorciste Surin puisse croire encore à l’action
de maléfices qui induisent des religieuses à l’amour charnel va à l’encontre
des thèses psychopathologiques défendues par les médecins 26. Ainsi,
e
lorsque les courants les plus novateurs finiront par l’emporter au XVIII
siècle sur la tradition métaphysique, on tendra à ramener les accusations
extravagantes des dépositions à des problèmes de santé mentale et à des
27
manifestations hystériques . Peu à peu, la médecine prime sur la
théologie  ; désormais deux champs séparés œuvrent sur des registres
différents, perçus comme incompatibles. Comment ces femmes qui ont fait
vœu de chasteté peuvent-elles aller aussi loin dans l’évocation de l’amour
physique et les gestes obscènes  ? La plupart du temps, le délire érotique
dissimule une crise affective qui fixe l’intérêt d’une religieuse sur un
confesseur. Puis le délire sensuel gagne la communauté non sans une
composante de révolte féministe, les possédées s’acharnant à dénoncer des
hommes de pouvoir, les prêtres d’abord, mais aussi les médecins, comme à
l’abbaye de Chelles, en 1676, où la beauté d’un homme de l’art émoustille
28
tellement les nonnes que l’évêque exige son renvoi . Quant aux mœurs
saphiques des couvents, peu de témoignages en font état, ce qui,
évidemment, ne les exclut pas.
Une variété de dérives à connotations sexuelles touche les cas de
sainteté feinte, ce que l’Inquisition appelle « affettata santità ». Étudiée par
Judith C. Brown en 1986, l’affaire la plus médiatisée se passe en Toscane.
Benedetta Carlini (1590-1661), entrée à l’âge de 9 ans chez les théatines
de Pescia, est sujette à des états extatiques, dûment observés par des
témoins avant 1620, une consœur constatant même l’impression de
stigmates. L’historienne américaine opte pour des symptômes somatiques
29
inexplicables pour les médecins . On est donc plus proche d’un grave
conflit psychologique dont l’objectif est de gagner l’attention de l’entourage
que d’une authentique expérience mystique.
Le scénario des visions ne laisse pas de surprendre. Benedetta se sent
par exemple poursuivie par des jeunes gens qui l’agressent. En 1619, elle a
une apparition du Christ «  sous la  forme d’un beau jeune homme aux
cheveux longs et à la  longue robe rouge  », et évoque un ange gardien,
«  très beau  garçon  » vêtu de blanc. Habilement mis en scène, certains
symptômes redoublent ce que l’on connaît d’autres mystiques : notamment
l’échange du cœur entre le Christ et la voyante, prodige transmis par les
hagiographes à propos de Catherine de Sienne et de Catherine de Ricci.
Benedetta va jusqu’à relater son mariage mystique avec Jésus. Elle souffre
aussi d’anorexie avec l’effacement des menstruations qui s’ensuit. Tout
auréolée de sa prétendue sainteté, la voilà élue abbesse.
Les autorités ecclésiastiques éprouvent d’emblée de la méfiance face à
ces manifestations. Dans un contexte où la Réforme protestante a tourné
en dérision miracles et croyances populaires, l’Église, plutôt que de vanter
d’hypothétiques dispositions surnaturelles, se serait volontiers
accommodée d’un exemple de vertu. Or, Benedetta manque de charité,
d’humilité, de patience, de pudeur et d’obéissance ; un besoin de publicité
accompagne toutes les étapes de son délire. Comme les impostures ne sont
pas rares, on procède à une enquête. La première vérification ne donne
rien de suspect. Demandée par le nonce de Florence, une nouvelle
expertise (1622-1623) met en émoi les enquêteurs lorsqu’ils découvrent le
contenu érotique et lascif des visions. Certaines nonnes témoignent alors
en défaveur de leur abbesse, l’ayant vu raviver ses stigmates à l’aide d’une
aiguille. Le rapport fait état de « paroles amoureuses et impudiques » qui
ont notamment suggéré à une autre nonne «  que ce n’était pas péché de
faire des choses très impudiques ». Pendant deux ans, trois fois la semaine
selon les dires de celle-ci, Benedetta « l’attirait sur le lit et, l’ayant enlacée,
la mettait sous elle et la baisant lui disait mots d’amour, et tant s’agitait sur
elle qu’elles se corrompaient toutes deux et ainsi par force la retenait
30
tantôt une tantôt deux et tantôt trois heures […]  ».
Même le scribe qui note la déposition est troublé de telle sorte que sa
calligraphie comporte plusieurs ratures. Alors que des relations
hétérosexuelles entre nonnes et clercs ainsi que l’homosexualité masculine
font partie de ce que les inquisiteurs peuvent imaginer, les relations entre
femmes semblent inédites, voire inconcevables. Selon les conceptions du
temps, une femme ne devrait éprouver du désir que pour un partenaire
masculin. Il faut attendre la publication en 1700 du traité de Lodovico
Maria Sinistrari d’Ameno (1632-1701), conseiller du Saint-Office, pour
trouver un important développement sur la sodomie des femmes. Cet
auteur répond à la perplexité des théologiens en précisant que deux
femmes se frottant l’une contre l’autre sont coupables de « mollesse » par
«  leurs trémoussements réciproques  ». Il y a véritablement sodomie,
explique-t-il, si ces «  femmes fricatrices  » (les tribades) se servent d’un
instrument imitant le membre masculin ou si leur clitoris est
particulièrement développé. Ainsi prévenus, les confesseurs à l’affût
d’aveux de pénitentes s’accusant d’avoir «  grimpé d’autres femmes avec
délectation 31 » sauront discerner la gravité du péché.
Le tribadisme est donc très grave parce qu’il transgresse le genre,
Benedetta usurpant en l’occurrence un rôle masculin. C’est d’ailleurs parce
que sa propension au saphisme lui semble particulièrement dévoyée qu’elle
incrimine un ange de sexe masculin qui agirait à travers elle. Les juges
n’ont à propos de ce type de délit guère de jurisprudence à laquelle se
référer ! Comme la sœur admet avoir été abusée par le diable à son insu et
malgré ses efforts, sa possession démoniaque involontaire amène les
rapporteurs à conclure en 1623 à des « illusions du démon ». L’historienne
qui relate toute l’histoire perd ensuite la trace de Benedetta, décédée
trente-cinq ans plus tard à l’âge de 71 ans. Il est probable qu’elle a été
incarcérée dans son propre couvent, échappant au bûcher pour sodomie
alors que la ferveur publique se prolonge autour de sa mémoire en dépit
des conclusions judiciaires.
Plusieurs autres impostures ont entraîné des enquêtes dans lesquelles
la dimension sexuelle n’est pas toujours explicite 32. On enregistre plus
e e
d’une quinzaine de fraudes à Venise aux XVII et XVIII siècles alors qu’à
Naples, ce type de dérive est avéré, notamment avec Alfonsina Rispoli,
33
inquiétée en 1581, et Giulia di Marco entre 1608 et 1615 . Cette dernière
bénéficie d’une réputation de sainteté illustrée par son don éminent de
chasteté. Pourtant, lors de son procès en 1614-1615 devant l’Inquisition
romaine pour «  affettata santità  », ses relations sexuelles avec son
confesseur furent le principal élément à charge. Elle prétendait pouvoir se
laisser posséder sans ressentir aucune émotion charnelle. Moins naïvement,
le rapport la concernant conclut qu’elle a confondu l’orgasme avec l’extase
mystique. Le soupçon de sainteté contrefaite va continuer pendant
longtemps à attirer l’attention des autorités ecclésiastiques toujours
vigilantes à dénoncer les supercheries, notamment durant la première
e
moitié du XIX siècle.
L’essentiel des affaires de mœurs dans les couvents concerne des
relations hétérosexuelles. Les exemples de saphisme sont plus rares. Outre
celui de Benedetta, on connaît la relation entre deux religieuses
dominicaines de Prato en 1774-1775, Caterina Irene Bonamici (50 ans) et
Clodesinda Spighi (38  ans), accusées de gestes déplacés et
d’attouchements. Elles auraient incité d’autres sœurs à faire de même. Mais
les deux comparses entretenaient également des liaisons avec leurs
directeurs spirituels, lesquels encourageaient les nonnes à
l’accomplissement de leur vœu de chasteté en copulant, actes qui
relèveraient, selon eux, de la charité fraternelle. Lors de leurs
interrogatoires, les juges ont cherché à les confondre, en les accusant de
quiétisme, c’est-à-dire d’hérésie. L’une des prévenues aggrava son cas en
prétendant que le Christ n’était pas né d’une mère vierge mais, comme tout
34
le monde, d’un rapport sexuel entre un homme et une femme .

Les prêtres délinquants

L’idéal du vrai sacerdoce demeure la chasteté. Pour Jean-Baptiste


Massillon (1663-1742), de la congrégation des oratoriens, qui donne des
instructions aux clercs, le prêtre doit absolument éviter les contacts avec
des personnes qui peuvent être dangereuses, par « les pièges de leur sexe ».
L’onction sacerdotale n’a pas « effacé le sceau funeste de corruption que la
chute d’Adam y a gravé  ». Au contraire, poursuit-il, «  l’engagement de
continence […] irrite et soulève les passions de la chair », alors même que
le prêtre est privé par la sainteté de son état du remède qui sert « de frein
dans le commun des hommes » [sous-entendu, le mariage]. Il n’a plus que
«  la fuite et la prière  ». «  Tout est donc péril pour un prêtre  » dès qu’il
s’approche d’une femme. Le voilà au bord du précipice et il  «  en sortira
rarement sans y être tombé 35 ».
La réalité vécue est singulièrement différente et moins dramatique, car
les curés de paroisse se permettent souvent une vie quasi conjugale.
Comme le constate une historienne, le couple prêtre et concubine n’a
même pas à cacher ses sentiments, leur relation ne choquant guère «  les
fidèles qui, finalement, acceptent plutôt bien les égarements amoureux  »
de leur pasteur, à condition qu’ils ressemblent à une liaison conjugale 36. En
revanche, les écarts à la norme, telles l’homosexualité, la sexualité
débridée, les amours vénales et bien sûr les perversions sexuelles, sont très
mal reçus des communautés, d’où émanent les plaintes. Au Portugal, lors
des visites pastorales, les dénonciations de clercs portent en grande
majorité sur des cas de « défaillances » sexuelles, à savoir la fréquentation
des bordels et des relations sexuelles multiples avec des femmes de toutes
conditions, certaines mariées dont le mari est absent 37.

Perversions, laxisme et misogynie

C’est ainsi que le curé flamand Jan Schuermans (1620-1672) traîne


une réputation sulfureuse de pochard et de coureur de jupons. Nommé en
1646 curé d’Ename (actuellement province belge de Flandre orientale), il
est surveillé de près : son assiduité auprès d’une jeune domestique, décrite
par les sources comme « toute entière charnelle », lui vaut des poursuites.
Des témoins l’ont surpris, lors d’une traversée sur un bac, lui soulevant les
jupes. Plus grave encore, il est venu coucher avec elle et l’a «  connue
charnellement », alors même que la plus jeune fille de son patron, âgée de
5 ans, dormait dans le même lit. Un enfant va naître de cette relation dont
le curé tentera de dissimuler la paternité. On le soupçonne d’autres
fredaines encore. Il est alors banni de son évêché et finira son ministère
dans une petite paroisse excentrée 38.
Sur le périmètre de l’officialité de Beauvais, au cours des XVIIe et XVIIIe
siècles, 170 prêtres ont été condamnés pour délinquance sexuelle. Une
étude sur le diocèse de Cambrai à la même époque a mis au jour quelque
75 cas où des membres du clergé ont fait l’objet d’une enquête. Les deux
tiers des prévenus ont été inquiétés pour une liaison avec une femme, une
moitié d’entre eux vivant même maritalement. Le tiers restant fornique et
c’est contre lui que sont portées des accusations pour des actes qui causent
39
un scandale public . Une grande majorité des concubines sont les
servantes des prêtres  ; la proximité affective et la nécessité de gérer un
ménage expliquent tout naturellement leur intimité. Parmi les clercs
critiqués par leurs ouailles entre 1600 et 1799, une douzaine est mal vue
pour avoir plusieurs partenaires. Treize sont poursuivis pour des
attouchements, de l’exhibitionnisme, voire pour viol.
Si quelques cas concernent des abus sur des enfants, les crimes
pédophiles sont assez peu documentés. À Venise, entre 1700 et 1740, sur
61 affaires de sodomie traitées par le Conseil des Dix, une majorité
implique des mineurs ; une sur six désigne des ecclésiastiques amateurs de
garçons 40. À Brescia, Giuseppe Beccarelli (1666-1716), prêtre quiétiste
formé chez les jésuites, a ouvert un collège en 1683. Arrêté par
l’Inquisition en 1708, il est soumis à la question, puis condamné à sept ans
de galères et vingt ans de prison. Parmi les chefs d’accusation figurent la
sodomie, la sollicitatio ad turpia, la sainteté feinte, l’hérésie pour avoir
soutenu que des rapports extraconjugaux n’étaient pas un péché mais un
acte de charité. Beccarelli a notamment obtenu des fellations d’une dizaine
de jeunes. Une vingtaine de filles ont subi ses pressions au confessionnal
où il insinuait que des rapports sexuels avec lui n’avaient rien de
condamnable 41.
En Nouvelle-Espagne, Alessandro Stella a trouvé dans les archives
inquisitoriales un certain nombre de cas de pédophilie, bien que très
minoritaires. Souvent (et cela concerne aussi la subornation au
confessionnal), les prêtres pédophiles obligent leur victime mineure à se
masturber puis à leur prodiguer la même faveur. Or, seule la sodomie est
alors considérée comme un crime. Ainsi un chapelain est brûlé vif à la fin
e
du XVI siècle pour avoir sodomisé «  une quantité innombrable de jeunes
42
garçons  » en quarante-huit ans de sévices   ! Parmi les sodomites
poursuivis par le tribunal de Saragosse au milieu du XVIe siècle, le clergé est
certainement surreprésenté (environ 10  % des accusés) 43. Cependant,
force est de constater que la pédophilie n’est pas vraiment envisagée
comme un délit durant l’époque moderne, avant tout parce que les âges de
la vie sont, tant culturellement que socialement, construits différemment 44.
Certes, le viol d’une jeune fille a toujours été poursuivi, mais il ne faut pas
oublier non plus que celle-ci peut théoriquement se trouver mariée très
jeune (dès 12 ans) et de surcroît à un homme très largement son aîné. Au
même âge, la plupart des garçons travaillent et ne sont plus considérés
comme des enfants. Autrement dit, dans une société où une fille est apte à
se marier dès ses premières règles et où les garçons entrent rapidement
dans le monde des adultes, la marge est ténue pour transformer en délit
des relations sexuelles que nous considérerions aujourd’hui comme
impliquant des mineurs abusés. Il est assez stupéfiant qu’en Nouvelle-
Espagne, durant l’époque moderne, 6 % des filles sollicitées par les prêtres
au confessionnal soient âgées de 9 à 13 ans !
À côté de ces prêtres à la main baladeuse, on peut soupçonner qu’un
nombre difficile à estimer s’arrange pour que leurs aventures demeurent
clandestines et n’émargent donc pas aux dossiers de l’officialité. Plusieurs
études avancent que la mise en ménage de prêtres, les relations
concubinaires avec les servantes de cure comme le nombre de cas déviants
diminuent au XVIIIe siècle. Faut-il y voir l’effet des réformes tridentines, les
progrès dans la formation des séminaristes ou plus simplement la
diminution du nombre de desservants ? D’aucuns ont pensé que les clercs
incontinents sont amenés à chercher la satisfaction sexuelle de manière
«  plus libertine  » ou à sombrer dans la perversité. C’est ce qui ressort
notamment de l’augmentation des cas de pédophilie, des accusations de
luxure, de prostitution et de viol. À Paris, au milieu du XVIIIe siècle, la police
se livre à une véritable chasse aux ecclésiastiques libertins. Plus de 1 000
45
arrestations sont recensées entre 1751 et 1764 . Mais comment convient-
il d’interpréter un rapport de police  ? Peut-on risquer une généralisation
quand on y apprend qu’en 1763 le père Guichard du couvent des Petits-
Augustins, « qu’on dirait sorti de Dom Bougre », fréquente la maison d’une
entremetteuse pour y souper et coucher avec des filles ? Ce moine achète
par ailleurs des godemichés pour en fournir à des religieuses 46. En même
temps, la lecture que l’on propose de ces faits souvent sordides évolue vers
plus de sévérité. Ainsi le pape Benoît XIV (1675-1758) doit faire face à une
flambée de cas de sollicitatio ad turpia. L’objectif affiché est de faire cesser
toute intimité excessive entre confesseurs et pénitentes. Des décrets de
1745 et 1752 visent les prêtres coupables. Ils suggèrent aussi de traiter
avec discernement les dénonciations, si tant est qu’à plusieurs reprises de
fausses accusations ont été lancées. À Venise, sur un mode un peu
différent, la moindre fréquence des scandales serait due à un meilleur
encadrement religieux, à l’effet dissuasif des condamnations pour délits
sexuels et à la campagne systématique contre la fornication
extraconjugale 47.
Dans tous les cas de rupture du vœu de chasteté par des
ecclésiastiques, il est frappant de constater que le secret et le silence sont la
règle. Les jugements des tribunaux ecclésiastiques se font à huis clos sans
aucune médiatisation, car la honte de la faute doit absolument être
épargnée à l’institution. La réticence à rendre publics des comportements
déviants peut nous permettre d’imaginer que le nombre de cas répertoriés
48
se situe largement en deçà de la réalité . Ensuite, les peines véritablement
appliquées nous paraissent pour le moins symboliques. Quand des
confesseurs profitent de la situation pour imposer aux femmes des
attouchements, des fellations et des relations complètes, quand ils
bénéficient impunément pendant des années de faveurs sexuelles, ils sont
sanctionnés par une interdiction de confesser les femmes, par le
bannissement du lieu des exactions ou la réclusion momentanée dans un
cloître. La mansuétude est de mise lorsque les prêtres incriminés font valoir
que les sollicitations n’ont pas eu pour théâtre le confessionnal, ce qui leur
épargne l’accusation de sacrilège. Au fond, les prévenus se mettent
simplement quelque temps au vert puis recommencent leurs manigances.
Le déplacement dans un autre couvent ou une autre paroisse reste une
punition légère, surtout destinée à préserver la réputation du coupable.
Implacable quand il s’agit d’hérésie et de sorcellerie, l’Inquisition s’est
révélée beaucoup plus accommodante envers les turpitudes ecclésiastiques.
Qui plus est, le discours dominant, par exemple lors de l’examen des
cas mystiques, quand il s’agit de distinguer la vraie sainteté de la fausse,
renforce le pouvoir masculin. Déjà franchement misogyne par le
présupposé largement partagé depuis l’Antiquité que les femmes sont
particulièrement manipulables et soumises aux illusions des sens, la
rationalité à laquelle prétendent les experts, tous masculins, réduit donc à
des manifestations hystériques les situations équivoques relevant de
l’impensable et de l’impossible. La méfiance grandissante vis-à-vis des
phénomènes paranormaux et inexplicables renvoie les femmes « au monde
trouble des licences de la chair, comme si le corps cessait de pouvoir
exprimer un dialogue avec l’invisible et était ramené dans le domaine
naturel des plaisirs terrestres 49 ».
Les procédures inquisitoriales à propos des dérives sexuelles des
couvents ont par ailleurs contribué à dénaturer ce qu’avait d’authentique
l’expérience mystique pour la transposer sur «  la scène morale et
50 e
romanesque des amours dans le cloître   ». À partir du XVIII siècle, il est
devenu totalement suspect d’évoquer l’insondabilité de l’amour divin pour
justifier des comportements étranges. Il suffit d’être femme pour le vivre.

Les fantaisies des Lumières

Le siècle des Lumières ajoute au dossier des turbulences sexuelles


quelques innovations  : la mise en cause grandissante du célibat
ecclésiastique et le détournement du thème par la littérature érotique qui
démultiplie les fantasmes.
Dans les milieux savants des années 1770 a circulé un récit
autobiographique fictif décrivant les altérations physiologiques et
psychiques d’un certain Blanchet qui ressemble à l’un des ecclésiastiques de
La Religieuse de Diderot. Assailli d’images obscènes, engorgé par la liqueur
séminale que sa chasteté forcée l’empêche de répandre, le curé Blanchet
sera guéri par le renoncement au célibat 51. Ce motif occupe aussi la
littérature médicale et poursuit les intéressés eux-mêmes.
Loin d’arranger son cas, Urbain Grandier, l’accusé de Loudun, mort sur
le bûcher en 1634, avait écrit vers 1630 ou 1631 un Traité du célibat des
prêtres. Pour lui, le mariage est «  expressément ordonné par la loi de
nature » ; l’homme et la femme possèdent « le désir et l’appétit » de copuler
et les «  instruments propres à cet usage  ». Le Christ n’a jamais interdit le
mariage à ses apôtres même si, pour le suivre, les disciples ont dû «  par
commodité » quitter leurs femmes. Sa conclusion est catégorique :
«  Le célibat ou l’abstinence de femmes est une fondrière d’où
s’élèvent les vapeurs des adultères, des incestes, fornications et
sacrilèges qui ternissent l’épouse du Christ [l’Église] 52. »

De telles opinions sont encore réprimées au siècle suivant. Ainsi, en


1758, le chanoine Pierre Desforges se désole de voir tant de prêtres
« contraints » qui auraient été d’excellents pasteurs en étant mariés. « Que
personne ne fasse des vœux, à moins qu’on ait 60 ans accomplis  »,
53
s’exclame-t-il, de quoi lui valoir  un enfermement à la Bastille . Quant à
Jacques Gaudin (1735-1810), ancien curé des Sables-d’Olonne, il a quitté
l’habit pour être élu à l’Assemblée législative en 1791. Son pamphlet,
imprimé à Genève sans nom d’auteur pour échapper à la censure,
considère le célibat forcé comme « un attentat contre les mœurs publiques
puisque celui d’un seul nécessite un double sacrifice et livre au désespoir et
54
à la débauche un des deux cœurs que la nature avait destinés à s’unir  ».
Se référant à l’évangile de Matthieu, il estime que les paroles du Christ lui-
même «  ne peuvent à raison de leur obscurité servir de fondement à une
55
règle par la facilité qu’il y a à se méprendre sur leur interprétation  ».
L’ouvrage suscita le débat public et fut réédité, fournissant sans doute
des arguments aux partisans du mariage des prêtres sous la Révolution 56.
e
La controverse se poursuivra ensuite au XIX siècle, souvent sur la base
57
d’arguments similaires .
La littérature érotique mettant en scène des religieuses ou des clercs
libertins constitue un genre à succès. Faire d’un monastère le lieu des
transgressions ajoute encore du piment aux récits. Les relations lesbiennes
à l’abri des clôtures deviennent un stéréotype, alors qu’elles sont
probablement moins fréquentes que l’homosexualité masculine.
L’archétype des récits sulfureux doit beaucoup à un fait divers de 1731,
lorsqu’un jésuite de Toulon, le père Jean-Baptiste Girard (1680-1733), fut
dénoncé par l’une de ses pénitentes, Catherine Cadière, pour inceste
spirituel. Il échappa de peu à la condamnation. Cette histoire a donné lieu
à de nombreuses polémiques et a inspiré notamment Thérèse philosophe
(1748), roman attribué au marquis de Boyer d’Argens. Un directeur de
conscience lubrique y encourage sa pénitente à se masturber :

« Ce sont des besoins de tempérament, aussi naturels que ceux de la


faim et de la soif […] : il n’y a nul inconvénient à […] soulager cette
partie par le frottement qui lui est alors nécessaire. Je vous défends
cependant expressément d’introduire votre doigt dans l’intérieur de
l’ouverture qui s’y trouve […] cela pourrait vous faire tort un jour dans
l’esprit du mari que vous épouserez 58. »

D’une veine analogue, l’Histoire de Dom Bougre, portier des chartreux


(1741) et Mon noviciat ou les joies de Lolotte (1792) figurent parmi les
titres les plus diffusés.
Les philosophes des Lumières ne ratent pas le filon pour se déchaîner
contre l’aliénation des filles au couvent. « Quel besoin a l’époux de tant de
vierges folles, et l’espèce humaine de tant de victimes  ?  », se demande
Denis Diderot (1713-1784). L’histoire de Marguerite Delamarre, qui a
sollicité en 1758 l’autorisation de sortir du cloître où ses parents l’avaient
enfermée, a sûrement inspiré la Religieuse (1780/1796), roman bien
informé qui n’a rien d’extravagant. L’innocente Suzanne Simonin, une fille
naturelle contrainte à prononcer des vœux, se trouve cloîtrée à
Longchamp, sous l’autorité d’une abbesse éclairée qui a proscrit cilices et
disciplines et autorisé les sœurs à détenir un Ancien et un Nouveau
Testament, sous couvert qu’il suffit d’être chrétien «  sans accepter le nom
de janséniste ou de moliniste  ». Les choses se gâtent au changement de
supérieure. Suzanne subit dorénavant les humiliations et les sévices
physiques de sa communauté dans un climat morbide :

« On dit que le démon de l’impureté s’était emparé de moi […]. En


vérité je ne suis pas un homme, et je ne sais pas ce qu’on peut imaginer
d’une femme et d’une autre femme, et moins encore d’une femme
seule. »

Après le refus de l’autorité de résilier ses vœux, la voici déplacée à


Sainte-Eutrope (Arpajon). La mère abbesse a des comportements très
équivoques pour cette professe de 19 ans, en la prenant sur ses genoux, en
l’embrassant sur la bouche et la poitrine, en venant dans son lit. N’avez-
vous jamais pensé « à promener vos mains sur cette gorge, sur ces cuisses,
sur ce ventre… ? », lui souffle-t-elle en se pâmant de transport amoureux.
Apparemment insensible, Suzanne, qui demande à son confesseur ce qu’il y
a de mal dans ces caresses, s’entend répondre  : «  Il y a des lumières
59
funestes que vous ne pourriez acquérir sans y perdre .  » Finalement,
Suzanne va s’enfuir du monastère, échapper à un viol tenté par un
religieux lubrique et mourir épuisée chez la blanchisseuse qui l’a recueillie.
En 1783, Louis Sébastien Mercier, aux propos toujours corrosifs, décrit
l’inanité de la vie monastique, en regrettant la présence de «  ces
déplorables monuments d’une antique superstition […] au milieu d’une
ville où la philosophie a répandu ses lumières ».
Enfermées dans ces « prisons sacrées », les religieuses survivent, selon
lui, dans le désespoir, la résignation, l’abrutissement d’esprit. Pour ces
épouses stériles de Jésus-Christ, «  le vœu de virginité, loin d’être une
perfection de la nature humaine, entraîne après lui tous les excès qui la
déshonorent 60 ».
Le même Mercier fantasme sur la « beauté de 17 ans » à genoux dans la
« boîte » (le confessionnal) dont l’haleine pure « se perd dans la barbe grise
d’un capucin ». N’y reste-t-elle pas fort longuement avant de sortir le rouge
aux joues, qui n’est certainement pas celui de la honte 61 ? Et dans un autre
paragraphe, il pointe les «  dérèglements presque inévitables  » des
séminaires 62. L’anticléricalisme du XIXe siècle prolongera cette réflexion
dubitative et volontiers ironique.
La fin d’une contrainte ?

L’abbé Henri Grégoire (1750-1831), grande figure de la Révolution,


évêque constitutionnel partisan de la liberté des cultes et d’une Église
gallicane, publie en 1826 une Histoire du mariage des prêtres. Il y dresse un
tableau accablant de la « dégradation des mœurs du clergé » au XVIIIe siècle,
tout en répétant cependant son hostilité à la suppression du célibat 63. Il
partage le clergé en  deux grandes catégories  : d’un côté les
humbles  prêtres vertueux  qu’il désigne du nom générique de
« jansénistes » ; de l’autre les « transfuges de la vertu » dont la vocation se
confond avec « l’ambition et la cupidité ». À ceux-ci les titres, les honneurs,
les sinécures, tous abbés «  postiches  » de ville et de cour multipliant les
fonctions « honoraires ». C’est ce parasitisme, cette avidité de richesses et
de luxe plus que le libertinage qui expliquent, selon Grégoire, les mesures
prises pour réformer le clergé durant la Convention. Dans la tourmente
révolutionnaire, explique-t-il, nombreux ont été ceux qui, parmi cette
«  tourbe d’hommes équivoques  », abdiquèrent «  un costume dont ils
n’avaient ni l’esprit, ni les mœurs », pour se marier.
Les historiens ont repris le dossier et souligné que la majorité de ceux
qui ont abandonné leur célibat ont été confrontés à une alternative
impossible : le cachot et la mort ou le mariage. On estime à quelque 6 ou
7 % la proportion des ecclésiastiques mariés entre 1789 et 1815, alors que,
chez les religieuses, on atteint 1 % seulement 64. Un tiers aurait décidé de
convoler pour échapper à une continence devenue difficile à assumer. Ainsi
l’abbé Jacques Mare, du diocèse de Séez, explique être entré au séminaire
«  avec des inclinations toutes opposées à la vertu de chasteté  ». Il a
entretenu une liaison avec une sœur de la Providence dont il était le
confesseur et vécu des aventures avec des femmes mariées 65. Travaillant
sur un échantillon de 356  nonnes, dont l’âge moyen est de 35 ans, Ruth
Graham a montré que 20 % d’entre elles ont rompu leurs vœux parce que
leur vocation avait été forcée et 15  % à cause des entraves du milieu.
Quelques-unes affirment avoir été séduites par des hommes et une seule
mentionne son « désir sexuel 66  ». D’autres encore (12  % de l’échantillon)
ont obtempéré par crainte des mesures terroristes de l’an II. À la suite des
nombreux mariages blancs contractés à ce moment, certains ont affirmé
avoir gardé la continence. Tel ce chanoine du diocèse de Bourges qui a
épousé sa domestique, lui à 60 et elle à 58 ans, et qui, «  depuis son
67
prétendu mariage », n’a jamais usé de ses « prétendus droits   ». L’un des
cas les plus célèbres a été celui d’Antoine Franchet, curé de Mornand
(Rhône-et-Loire). Il a prêté serment à la Constitution civile du clergé en
1791 et saisi l’opportunité du décret de l’Assemblée nationale du 27 août
1791 (instituant le mariage civil) pour épouser en novembre de la même
année sa gouvernante, Antoinette Dufai, avec laquelle il vivait
maritalement depuis deux ans. Lui-même se justifie en ces termes :

« Étant donc parvenu à un âge [49 ans] où ma faible santé me rend


indispensables les secours d’une personne qui s’attache à moi, ne
pouvant plus me passer d’une domestique ou changer comme je le
faisais pour éviter la fornication indigne de l’honnête homme, ayant
inutilement essayé d’engager à mon service de vieilles femmes dont
j’étais content, mais qui se laissaient persuader que, tôt ou tard, j’aurais
vis-à-vis d’elles le même air que les jeunes avaient éprouvé sans en
savoir la cause, enfin bien résolu de ne plus être sévère à un cœur
bienfaisant qui a souffert patiemment ma sévérité forcée pendant trois
ans de suite, je me suis empressé de profiter des succès assurés de la
Révolution pour me pourvoir consciencieusement d’un contrat secret
naturel et sacramentel, afin de rendre matrimoniale et légitime devant
68
Dieu la cohabitation à laquelle je craignais d’en venir . »

Une fois les tensions apaisées, ce sont environ 3  200 prêtres qui
déposèrent des dossiers pour retrouver leur situation initiale et reprendre
leur ministère.
En ce qui concerne les couvents, les dispositions du pouvoir
révolutionnaire de novembre 1789 mettent les biens ecclésiastiques à la
disposition de la Nation et suspendent les vœux de religion. En février
1790, une autre mesure enjoint aux religieuses de préciser leur intention
d’y rester ou de les quitter, avant l’abolition de toutes les congrégations en
1792, la dispersion des religieuses expulsées de leurs couvents entre 1791
et 1794 et la fermeture de toutes les églises en 1793. Dans les quatre-
vingts communautés de Paris, presque toutes les sœurs optèrent pour la
fidélité à leurs vœux. Le faible nombre d’abandons contraste avec le choix
beaucoup plus fréquent chez les hommes de rentrer dans le siècle. Des faits
divers tragiques témoignent de la force de leurs convictions, notamment
pour défendre leur chasteté : les carmélites guillotinées de Compiègne ou
cette sœur Thérèse Vexiaud de Poitiers, bien connue pour son engagement
social, brocardée par la vindicte populaire et contrainte à une chevauchée
sur un âne dans les rues de  la ville avant d’être dénudée et violée
69
publiquement . Toutefois, l’unanimité observée à propos du maintien du
statut religieux omet une circonstance importante  : comment ces femmes
habituées à la sécurité du cloître auraient-elles pu s’intégrer dans le
monde ? Avec quelles perspectives d’insertion professionnelle et de survie
matérielle  ? Ce qui est envisageable pour un clerc abandonnant
volontairement les ordres l’est beaucoup moins pour une femme.
On notera aussi qu’un certain nombre de religieuses ont su exploiter le
climat contestataire en transmettant des suppliques pour se plaindre de
leur confesseur ou de leur supérieure. Parmi celles qui ont opté pour la
liberté offerte aux «  victimes du cloître  », onze moniales de l’abbaye de
Montmartre ont déclaré s’en aller en juillet 1790 à cause du « despotisme »
et des «  vexations  » que leur faisait subir l’abbesse 70. Dans le diocèse de
Poitiers, un couvent attire l’attention en 1791, parce que sept professes sur
treize affirment renoncer à cause des «  actes de débauche auxquels se
livrent celles d’entre nous qui auraient dû montrer l’exemple aux
71
autres  ».
Aux dernières pages de son opuscule, l’abbé Grégoire rappelait que la
continence comme toutes les autres vertus est « un don de Dieu », de telle
sorte que pour s’assurer de la pureté des mœurs du clergé, il faudrait peut-
être reculer l’âge d’entrée dans les ordres. Mais surtout, suggérait-il, faire
preuve d’une «  circonspection plus sévère sur la maturité de raison,
l’étendue de science et l’intégrité de conduite des aspirants au
sacerdoce 72 ». Autant de conseils dont l’actualité demeure intacte.
6
e
Encombrante chasteté XIX -
e
XX  siècles

Pour faire face aux périls que représentent pour elle les idées libérales
et la déchristianisation, l’Église catholique a fait montre d’une grande
réactivité. Un élan religieux et une dévotion particulièrement
démonstrative ont marqué le XIXe siècle. La reconstitution du réseau
conventuel et la création de très nombreuses communautés nouvelles
témoignent notamment de l’ampleur de la régénération des ordres
féminins après le retour à la légalité (entre 1798 et 1827) 1. Ici n’est pas le
lieu d’insister sur l’authenticité des engagements, le dévouement extrême
et les valeurs portées par la très grande majorité des prêtres, religieux ou
religieuses, fidèles à la règle de vie qu’ils ont choisie et témoins de leur foi,
à travers leur activité sociale dans l’enseignement et les soins hospitaliers.
La vivacité du catholicisme et ses indéniables succès ont creusé la coupure
entre des croyants attachés aux rites, confortés dans leur soutien à
l’institution, et une majorité croissante d’indifférents religieux prompts à
dénoncer des pratiques jugées d’un autre âge. Les excès et les fantasmes
accompagnent autant le cléricalisme militant que la réaction inverse,
l’anticléricalisme latent, friand d’histoires sulfureuses impliquant le clergé
ou les couvents.
Poncifs anticléricaux et faits divers

En contrecoup à cette vitalité recouvrée, le célibat a subi


d’innombrables critiques et provoqué des réactions de dérision beaucoup
plus violentes que durant les siècles précédents. En 1829, Balzac relève que
la continence voulue par la profession de prêtre doit rester une exception :

« De ce que les besoins de la civilisation ossifient certaines fibres du


cœur et forment des calus sur certaines membranes qui doivent
résonner il n’en faut pas conclure que tous les hommes soient tenus de
subir ces morts partielles et exceptionnelles de l’âme 2. »

La libéralisation des mœurs et le développement de l’édition confèrent


en outre une audience accrue à la pornographie. Le thème des
transgressions ecclésiastiques y inspire une abondante littérature. Ainsi
L’Enfant du bordel (1800) fait dialoguer trois jeunes filles autour de leur
virginité, dont Sophie, qui, sous prétexte de purification lors d’une
confession avant sa première communion, a connu les délices de décharger
voluptueusement avant de perdre son pucelage. Avec Gamiani (1833),
Alfred de Musset met en scène la supérieure luxurieuse d’un couvent. L’un
des protagonistes des Pucelages conquis… (1850) va jusqu’à s’étonner de
trouver encore des vierges dans un monastère et qu’une jeune fille n’ait
jamais connu d’homme, « pas même son confesseur » ! Dans Fleurs de chair
(1893), la jeune Paulette découvre la masturbation à la suite des questions
de son directeur de conscience. D’autres récits, par exemple chez Alphonse
Momas (1846-1933), auteur dans les années 1890 sous divers
pseudonymes de nombreux romans érotiques, mobilisent couramment les
curés vicieux responsables des dépravations de leurs très jeunes
paroissiennes 3.
Les mœurs supposées dissolues des clercs servent la propagande
anticléricale de tout bord et la relation des crimes sordides est exploitée
dans ce sens. Dès les années 1820, on trouve dans la Gazette des tribunaux
des mentions d’attentats commis par «  des abbés à la réputation
douteuse ». Des abus dans les colonies pénitentiaires et les internats sont
dénoncés dès les années 1840. En 1845, un prêtre est inculpé pour
tentative de viol sur une fille de moins de 11 ans ; réfugié en Andorre, il
4
est extradé et condamné aux travaux forcés à perpétuité . En 1847, on
retrouve le corps d’une fille de 15 ans à Toulouse  ; lors d’une parodie de
justice, un frère des Écoles chrétiennes est injustement mis en cause puis
5
condamné au bagne à perpétuité . En 1854, quand un curé de village est
accusé d’avoir abusé des petites filles, un quotidien commente  : «  Voilà
donc encore un nom à joindre à la longue litanie de la corruption
jésuitique.  » Depuis 1880, Le Petit Parisien publie des «  Chroniques
cléricales  » consacrées aux attentats à la pudeur commis par des prêtres.
Sans indication de sources, un opuscule compte, entre 1877 et 1884, « 70
prêtres et 63 frères condamnés pour affaires de mœurs par les tribunaux »,
sans parler de tous ceux qui ont été punis par leur évêque 6. En 1898, le
corps d’un élève violé et assassiné est découvert dans un établissement des
frères ignorantins à Lille. Une lettre anonyme accuse un religieux de 35 ans
qui, selon la presse, «  cache sous son froc des passions… sauvages  ».
S’ensuivent des débats passionnés, avec des bagarres de rue et des
campagnes de presse contre les catholiques. Certaines localités de la région
décident même de « retirer le droit d’enseigner à tout individu faisant vœu
de chasteté ». Le clerc incriminé est toutefois libéré au bénéfice d’un non-
lieu. Au fond, l’affaire ne tourne pas autour de la perversion ou des
victimes mais se focalise sur une dénonciation du «  statut religieux des
coupables supposés  », ceux qu’un journal appelle les «  satyres en
7
soutane  ».
Des couvents ont été agressés lors de l’affaire de l’Hôtel-Dieu de
Montréal révélée par le livre de Maria Monk en 1836. Elle y dénonce les
abus sexuels et les infanticides dont se rendent coupables les nonnes
hospitalières de Saint-Joseph et les religieux du séminaire voisin, leurs
maisons étant reliées par un tunnel 8. Prévenus contre le monde
conventuel, les protestants se complaisent à évoquer la carmélite Barbara
Ubrik, séquestrée depuis 1848 dans son couvent de Cracovie, nourrie aux
pommes de terre et à l’eau, trouvée nue et folle en 1869. Avides de
sensationnalisme anticatholique, les anticléricaux pointent des pratiques
jugées « d’un autre âge », les vœux perpétuels d’une « gravité effroyable »
étant contraires au droit moderne qui n’admet plus d’engagement
irrévocable même pour le mariage 9. Les «  vieux-catholiques  » également,
séparés de l’Église catholique romaine après le concile de Vatican I (1870),
ont fortement critiqué l’accompagnement pastoral dont le but serait de
«  cadavériser les consciences  » selon une procédure savamment mise au
point selon eux par les jésuites. Refusant l’obligation du célibat pour les
prêtres, ils considèrent le confessionnal comme un «  nid d’impureté  »
dangereux «  pour les prêtres qui confessent, pour les femmes qui se
confessent et pour les hommes qui ne se confessent pas 10 ».
L’extravagante affaire de Sant’Ambrogio vers 1860 n’a fait l’objet
d’aucune médiatisation  ; elle est demeurée dans le secret des archives
vaticanes jusqu’en 1998 quand les documents la concernant sont devenus
accessibles aux chercheurs 11. Elle dépasse cependant tout ce que les
auteurs les plus imaginatifs de la littérature érotique ont pu mettre en
scène. Exfiltrée du monastère des religieuses du tiers ordre de saint
François à Sant’Ambrogio della Massima (Rome), une religieuse fait part
de ses doutes concernant la maîtresse des novices, sœur Maria Luisa de
Saint-François-Xavier (1832- ?), en formulant de graves accusations devant
le Saint-Office en 1859. C’est ainsi qu’est révélé comment Maria Luisa a
demandé à une jeune sœur de dormir dans son lit sous prétexte qu’elle
avait peur du démon, alors que la règle interdit formellement de partager
sa cellule – sauf pour des raisons de santé et sous la surveillance d’une
religieuse âgée. Pendant une année, ladite consœur a subi des
attouchements et elle avoue avoir dû s’unir à sa supérieure d’une manière
totalement «  illicite  » avant d’être chassée du monastère. Une autre
professe la remplace alors dans le lit et la plupart des jeunes sœurs ont été
impliquées dans ce qui apparaît comme des rites d’initiation lesbiens. Leur
dépendance émotionnelle poussait les novices à croire à des gestes dictés
par la mission divine de leur supérieure.
Par ailleurs, l’enquête met en lumière le fait qu’Agnese Firrao (?-1854),
la fondatrice de l’ordre, condamnée pour « quiétisme » en 1816, s’était vue
poursuivre pour falsification de sainteté et errements sexuels. Or, lors de
son procès, Maria Luisa explique que les rapports lesbiens ont été inspirés
par la  fondatrice, qui aurait reçu «  de Dieu le don de communiquer sa
vertu, son esprit, sa pureté en se couchant et se frottant sur les
religieuses ».
Cette dernière a prescrit le recours à des confesseurs jésuites qui
octroient une «  bénédiction extraordinaire  » consistant en un baiser
profond, ce que la théologie morale considérait comme un grave péché de
luxure. Ce sont ces pratiques érotiques que la tradition du monastère
véhicule et poursuit par des rites d’initiation durant lesquels les nonnes se
font instiller la «  liqueur  » du sexe mouillé et sucer les seins pour
concrétiser la dévotion de la Vierge Marie allaitant les âmes du Purgatoire.
Maria Luisa a été initiée à ces pratiques et ne fait donc que reproduire une
tradition vieille de plus de soixante ans. Dans toutes ses manigances, elle
bénéficie de la complicité de son confesseur jésuite, le père Giuseppe
Peters, qui a ses entrées dans le monastère, pratique les bénédictions dites
extraordinaires et bénéficie sans doute des privautés de la maîtresse des
novices.
Ce nom de Peters est un pseudonyme que l’intéressé porte depuis son
noviciat en Suisse, en vue d’échapper aux poursuites de la Prusse pour
avoir été impliqué dans les mouvements estudiantins et les révoltes
libérales. De sa véritable identité, il s’agit de Joseph Wilhelm Carl Kleutgen
(1811-1883), théologien reconnu et très actif dans les préparatifs du
premier concile du Vatican (1869-1870)  ; il a largement contribué à la
définition controversée du dogme de l’infaillibilité pontificale. Il a
vraisemblablement joué sur ses deux identités : celle du grand théologien
proche de la papauté – Léon XIII l’appellera « prince des philosophes » – et
celle du confesseur de Sant’Ambrogio avec ses dérives inavouables. Durant
son procès, il a toujours prétendu pratiquer ces attouchements non pour le
plaisir mais en accomplissant un rite, jouant ainsi sur les ambiguïtés de la
frontière entre le vécu religieux et le vécu sexuel 12.
Le verdict est prononcé dans le secret en 1862. Le père Peters/Kleutgen
écope de trois ans de réclusion (peine réduite ensuite) dans une maison de
l’ordre, soit une retraite dorée qui lui laissera le temps de poursuivre ses
recherches théologiques. Maria Luisa, emprisonnée depuis 1860, est
condamnée à vingt ans de réclusion (ramenée à dix-huit par le pape) puis
internée dans un asile pour démence. On ne connaît pas la date de son
décès.

Les dérapages d’une pastorale du sexe

En abordant le sacrement de pénitence, nous en sommes réduits à des


supputations, le secret de la démarche laissant fort peu de traces, tout au
plus quelques filaments, non sans risque d’y chercher «  parfois,
complaisamment, les obsessions de notre époque  », comme l’écrit Marcel
Bernos en pensant aux comportements sexuels 13. Sous l’influence de la
mouvance rigoriste, les recommandations qui concernent la mortification
des sens se font certes insistantes au XIXe siècle, complétées par la menace
du refus de l’absolution, moyen contraignant pour impressionner le
pénitent récidiviste en matière de morale sexuelle. En même temps, avec
l’obligation de la confession une fois par an pour pouvoir communier, le
risque de décourager les paroissiens n’est pas négligeable. La pastorale de
l’abbé Goumet à Jussy-Champagne dans le Cher (diocèse de Bourges) entre
1789 et 1837 en fournit une mesure  : en 1790, on compte 100  % de
pénitents sur les 291 communiants de Pâques  ; 81,1  % de pénitents sur
285 en 1802 et 26,7 % seulement sur 344 pascalisants en 1837. Dans cette
paroisse, mais elle n’est probablement pas la seule, le déclin de la
confession après la Révolution est probablement à mettre en lien avec le
refus ou le délai d’absolution. Il concerne une cinquantaine de paroissiens
en moyenne  ; les autres renoncent visiblement aux aveux devant le
14
prêtre .
C’est au confessionnal que le prêtre supposé chaste se confronte au laïc
exposé à toutes les tentations. Rédigés à l’usage exclusif du clergé, les
manuels de confession sont sur tous ces sujets extrêmement répétitifs.
L’exhaustivité n’amènerait guère de variantes, mais il est instructif de
parcourir les plus diffusés.
Les textes destinés à guider les jeunes prêtres restent très allusifs. En
effet, l’innocence est présumée chez le jeune qui entre au séminaire. Il a
été en quelque sorte prédestiné à sa vocation et a, en général, vécu en
milieu protégé, dans une ignorance totale des tourments de la chair contre
lesquels on le met en garde en se limitant à des conseils généraux. Ainsi
un manuel distribué aux séminaristes jusqu’au milieu du  XIXe siècle veille à
susciter un questionnement judicieux du pénitent :

« Voir si l’on ne fait point de lectures dangereuses ; s’il n’y a rien de


licencieux dans les entretiens même domestiques ; si l’on n’a point de
familiarité trop humaine ou trop charnelle avec les personnes de l’un
ou de l’autre sexe  ; si l’on garde sur soi-même la plus exacte
15
pudeur . »

Celui de Jean-Joseph Gaume (1802-1879), publié une première fois en


1843, se distingue aussi par la discrétion et la prudence avec lesquelles ce
théologien ultramontain traite des thèmes de morale. Son bref passage sur
le sixième commandement est en latin, perdu parmi les 600 pages de
l’ouvrage. Il recommande à celui qui doit «  juger les choses les plus
16
impures  » de se limiter à une «  recherche modérée   ». À côté de tels
ouvrages plutôt anodins, il y a bien sûr les sommes écrites par des
moralistes de renom dont il est difficile de connaître l’exacte diffusion en
dehors des cercles de casuistes ou des professeurs de morale. Eux
fourmillent en détails scabreux.
L’ouvrage de référence demeure la dissertation sur le sixième précepte
du décalogue de l’évêque du Mans, Jean-Baptiste Bouvier (1783-1854).
Rigoureusement réservé aux ecclésiastiques, il est paru en latin en 1827 et
17
a été réédité vingt fois . Dans ce cas comme dans d’autres, similaires,
l’usage du latin ne doit pas être surinterprété. La langue de la théologie est
utilisée également par les milieux scientifiques. Ainsi, beaucoup plus tard
dans le siècle, en 1886, le psychiatre Richard von Krafft-Ebing, qui
s’intéresse aux pathologies sexuelles, croit utile de préciser dans sa
préface :

«  Afin de ne pas inciter les profanes à la lecture de cet ouvrage,


l’auteur lui a donné un titre compréhensible seulement des savants, et
il a cru devoir se servir autant que possible de termes techniques. En
outre, il a trouvé bon de n’exprimer qu’en latin certains passages qui
18
auraient été trop choquants si on les avait écrits en langue vulgaire . »

Même en latin, la précision des formules laisse pantois, tout comme le


caractère vicieux des questionnements. Pour le coït conjugal, Bouvier
insiste sur la seule position licite, dite du missionnaire, où l’homme
surmonte la femme renversée sur le dos. Toutes les autres sont sévèrement
blâmables, notamment les postures supra virum et more canino 19. Pour
débusquer la masturbation, il suggère de « dire prudemment » :

«  Avez-vous ressenti des mouvements dans le corps (ou dans la


chair)  ? – Avez-vous éprouvé dans les parties secrètes une agréable
délectation après laquelle les mouvements se sont calmés 20 ? »

On y apprend que le plaisir de regarder une jolie femme ne peut pas


être anodin, car on ne s’arrête jamais à cette simple délectation visuelle.
Faut-il pour autant proscrire la fréquentation de l’église à une femme à
cause de sa beauté ? La question mérite d’être posée. L’auteur précise aussi
que toute personne informée des déviances d’un prêtre est tenue de le
dénoncer à son évêque.
Le manuel du cardinal Thomas-Marie-Joseph Gousset (1792-1866),
l’un des casuistes les plus renommés des courants ultramontains,
recommande au confesseur la modestie, la réserve et la circonspection. Son
Compendium de théologie morale paru en 1844, en deux volumes de près de
400 pages sans cesse réédités, consacre une part minime aux questions
sexuelles. Dans le premier tome, 26 pages traitent des « péchés de luxure
non consommée  » (pensées obscènes, attouchements, danses et mode
impudiques) et de ceux «  de luxure consommée  » (fornication, adultère,
vices contre nature). Elles sont rédigées majoritairement en latin. Le
second volume consacre de longs développements au sacrement de
pénitence et aux devoirs du confesseur. Ainsi, lorsque celui-ci interroge sur
le sixième commandement, il lui est conseillé de commencer par ce « qu’il
y a de moins odieux », les désirs, puis les paroles puis les attouchements et
de veiller à ne pas faire subir aux pénitents (en particulier aux enfants) un
interrogatoire qui « pourrait faire connaître ou soupçonner le mal dont ils
n’ont encore aucune idée  ». Rappeler aussi que Dieu voit tout et que les
pénitents sont tenus d’avouer «  ce qu’ils n’oseraient faire en public ou en
présence de leurs parents  ». Pour les personnes mariées, «  demander
l’espèce de ce péché honteux, sans vous informer comment il s’est fait ; et
si quelqu’un, par ignorance ou par défaut de pudeur, voulait s’expliquer,
avertissez-le avec bonté que cela n’est point convenable. Ne soyez pas le
premier à interroger un pénitent sur le devoir du mariage, si ce n’est d’une
manière générale, par exemple  : dans votre union, vivez-vous d’une
manière chrétienne  ?  ». Il ne faut pas scandaliser en instruisant les
pénitents de choses qu’ils ignorent, ce qui affaiblirait « l’idée que tout fidèle
21
doit avoir de la sainteté et de la modestie sacerdotales  ».
Les travaux déjà cités du moine de la Grande-Trappe Pierre  Jean-
Corneille Debreyne (1786-1867) distillent des propos beaucoup plus crus.
Sa théologie morale détaille par exemple  les types de masturbation
féminine – clitoridienne ou vaginale – à l’intention des jeunes prêtres dont
il déplore l’ignorance sur le fait que «  des femmes [puissent] aimer des
filles avec autant d’empressement que les hommes les plus passionnés ». Le
clitoris étant «  l’organe principal de la volupté charnelle  », le confesseur
doit amener les jeunes filles à s’exprimer sur le sujet et prendra – la
formule est pour le moins équivoque – « grand soin de toucher légèrement
cette matière lubrique et dangereuse  ». Parce que les pénitentes ne
s’attendent pas, et pour cause, à ce que leur interlocuteur en sache long sur
des détails « tout à fait étrangers aux prêtres », il leur expliquera que son
22
savoir sur la question vient des livres de  médecine . En 1845, Debreyne
publie la première édition de sa Moechialogie (néologisme dérivé d’adultère
en grec), livre « exclusivement destiné au clergé ». Les péchés de la chair y
sont abordés en latin, notamment plusieurs pages  concernant les
« personnes consacrées » (religieux ou religieuses) pour lesquelles le péché
d’impureté est un sacrilège puisqu’il souille ou profane ce qui est voué à
Dieu. La sollicitatio ad turpia est également traitée, quoique de manière
plutôt unilatérale :

« Lorsqu’une femme ou une fille s’accuse d’avoir commis des actions


impudiques avec son confesseur ou d’avoir été sollicitée par lui à en
commettre, on doit lui défendre absolument de retourner à lui à
confesse, et ne point donner l’absolution à cette femme qu’elle ne
23
promette qu’elle ne se confessera plus à ce confesseur . »

En 1858, le père René D. Louvel (1802-1887), qui fut supérieur du


grand séminaire de Sées et vicaire général, publie en latin un Traité de
chasteté, deux volumes de plus de 400 pages, dont le premier aborde la
chasteté dans et hors du mariage et  le second la luxure, soit le péché
contre la chasteté. Les questions  sont insidieuses, bien au-delà de la
prudence de ses  prédécesseurs  ; elles visent par exemple à acquérir la
certitude de pratiques masturbatoires  : interroger «  les jeunes gens
pubères » pour apprendre des garçons si, à la suite d’attouchements, « ils se
sont sentis mouillés  » et des jeunes filles si elles ont vécu «  une volupté
extraordinaire 24 » ? Peut-on se montrer plus suggestif ?
C’est à travers la pastorale de la jeunesse que des efforts sont entrepris
durant la seconde moitié du siècle, en lien avec les prescriptions du Saint-
Siège, qui encouragent la formalisation de la démarche de pénitence avant
25
même la première communion . Dans le Traité de la confession des enfants
et des jeunes gens (1865-1867), le père Joseph Timon-David (1823-1891)
analyse « le vice contre la sainte vertu » chez les enfants de 6 à 11 ans sur
une quinzaine de pages avec un a priori de bon sens :

« Il est incontestable que beaucoup, surtout dans certaines classes,


franchissent ces premières années sans en avoir l’idée […] mais il est
vrai aussi que le vice dont nous parlons est celui qui perd le plus
d’âmes et qu’un très grand nombre d’enfants, surtout parmi ceux qui
vont de bonne heure aux écoles, perdent leur innocence aux premières
époques de la vie 26. »

Comment le confesseur va-t-il éviter de « donner l’idée du mal » par des


questions imprudentes  ? Aux enfants bien élevés, il suffit de demander
« s’ils n’ont pas fait des choses sales ». Surtout il n’ira pas plus loin quand il
s’aperçoit que l’enfant pense non pas au sexe mais à un besoin naturel  !
Face aux plus mal élevés, notamment dans les grandes villes ceux qui
traînent à l’extérieur ou qui vont dans les ateliers, il poursuivra
l’interrogatoire surtout s’ils baissent la tête : « Vous l’avez fait quelquefois
avec vos petits camarades  ? […] Eux l’ont fait devant vous  ?  » Avec la
présomption qu’un jeune pénitent est prompt à avouer les fautes des
autres, le confesseur a tout loisir de continuer  : «  Vous avez regardé les
autres  ? Ils vous ont regardé vous-même  ? Ils vous ont touché  ?  » Si
l’enfant admet qu’il a été forcé à le faire, il lui demandera alors si cela lui a
procuré du plaisir. Bientôt, on apprendra « des horreurs » dont il convient
de préciser les circonstances, les récréations mal surveillées, les
promenades, les bains dans la mer ou la rivière, autant de lieux de
« grands désordres ». Malgré tout, les sujets sont abordés avec une certaine
décence sans mobiliser un vocabulaire technique ou simplement
anatomique. Par exemple le confesseur devrait se contenter d’aveux
génériques comme :

«  “Je m’accuse d’avoir fait des immodesties.” “Seul ou avec


quelqu’un  ? – Seul.” Cette réponse doit suffire, le confesseur devine
assez de quoi il s’agit. »

C’est la curiosité des enfants qui produit les plus grands «  ravages  »,
27
car, « quand une fois ils ont su, ils sont dévorés du désir d’essayer  ».
Avec les plus âgés (de la première communion au mariage), le
changement de terminologie rend les choses plus explicites et la matière
plus étoffée (plus d’une centaine de pages sur près de 400). Certains
paragraphes plus scabreux sont rédigés en latin, notamment celui qui
concerne la masturbation. Pour s’y confronter avec discernement, le
meilleur confesseur est toujours le plus chaste, ce qui prouve, selon
l’auteur, l’utilité du célibat ecclésiastique. Certes, les prêtres demeurent
souvent bien naïfs et démunis :

«  L’innocence de leur vie, leur heureuse ignorance pratique, leur


modestie naturelle, les font précisément tomber dans les inconvénients
qu’ils eussent voulu éviter. Un prêtre bien instruit interroge peu,
comprend vite à demi-mots […]. »

Toutefois, dans ces matières, «  le prêtre qui a toujours eu le bonheur


d’être chaste a une très grande supériorité sur celui dont la jeunesse aurait
été orageuse. Si l’un sait plus de choses par ses connaissances pratiques et
personnelles, les vierges ont une grâce spéciale pour lire dans les cœurs et
28
les convertir  ».
Le père Timon-David s’indigne de l’influence néfaste d’opuscules
médicaux nourris de « détails dégoûtants » qui ont pu corriger un lecteur
sur 1 000 alors que les 999 autres « n’en seront que plus pervertis ». Tout
un paragraphe stigmatise les «  amitiés particulières  », cette plaie des
pensions et collèges, où presque chaque élève trouve « sa Dulcinée dans un
de ses camarades ». Puis il constate, amer, « combien les usages actuels de
notre société rendent la chasteté difficile aux jeunes gens  ». Seul le plus
petit nombre « arrive chaste jusqu’au mariage 29 ». Il « bondit d’effroi » ou
« la plume [lui] tombe des mains » quand il considère les « empoisonneurs
publics » que sont selon lui les auteurs d’« ouvrages voluptueux », comme
Honoré de Balzac, Eugène Sue, Alexandre Dumas, Victor Hugo, George
Sand, Frédéric Soulié, Georges Feydeau… sans parler des photographies de
«  scènes ignobles  » qu’il a, semble-t-il, collectées (complaisamment  ?)
avant d’avouer : « J’en ai brûlé des centaines. » Jusqu’au dictionnaire dont
le principal usage serait, selon le théologien, de chercher les mots
honteux : « Les uns leur révèlent les autres, ils les lisent, les font lire à leurs
camarades 30. »
À parcourir ces manuels aux préoccupations malsaines et
obsessionnelles, on ne peut que donner raison à l’abbé Jeanne dans la
grande fresque romanesque de Jules Romains. Au début du XXe siècle, il
dénonce la débauche mentale de ses collègues «  qui, avec un plaisir très
analogue à celui de la souillure, posent aux enfants, de préférence aux
fillettes, des questions moins faites pour les soulager d’un péché qu’ils
ignoraient que pour leur en enseigner clairement la pratique 31 ».
Le même abbé Jeanne découvre avec stupeur que son collègue vicaire
entretient une liaison et qu’un autre fréquente les maisons closes. Mais en
interrogeant ses confrères, il arrive finalement à la conclusion que le clergé
de Paris abonde «  en prêtres vertueux  », «  sans grand héroïsme  », par
habitude ou par timidité peut-être.

Du vécu et des fantasmes
Le tabou de la sexualité rend exceptionnels les témoignages directs et
le moment de la pénitence est rarement fixé par l’iconographie. De cet
exercice imposé et redouté par les pratiquants, c’est inévitablement une
femme qui inspire une scène de genre chez Giuseppe Molteni (1800-1867),
dans une œuvre célèbre de 1838. D’autres artistes, tel Giuseppe Maria
Crespi (1665-1747) en 1712, ont montré un confessionnal ouvert où la
discrétion semble loin d’être assurée. Quant à la direction de conscience
dans un cadre privé peinte par Frank Dicksee (1853-1928), la position
alanguie de la jeune femme en robe blanche dans son fauteuil est loin de
l’austérité attendue d’une contrition sincère. Plus suggestives encore, les
œuvres de Clovis Trouille (1889-1975) mêlent érotisme, subversion et
dérision pour évoquer la sexualité ecclésiastique et le confessionnal. Bien
que remplies de signification, ces scènes ne nous disent rien d’essentiel.
Quand les auteurs de textes littéraires sont plus explicites, c’est pour
évoquer un souvenir honteux, un acte qui laisse des traces dans la
conscience individuelle, tant l’attrition – aveu par crainte du châtiment –
est plus fréquente que la contrition véritable, soit le repentir et la
résolution de ne plus céder.
Ainsi, dans la trilogie autobiographique écrite entre 1852 et 1855 par
le jeune Léon Tolstoï (1828-1910), rien ne filtre des modalités de son
apprentissage sexuel ni de ses premiers émois. Très pudique, il signale
cependant qu’à l’âge de 15 ans, il s’est donné pour règle de vie de ne plus
regarder les femmes  : «  Jamais, jamais je n’entrerai dans la chambre des
servantes, je m’efforcerai même de ne pas passer devant […].  » Il se
promet de se marier aussitôt, dès qu’il sera majeur, ce qui sous-entend qu’il
32
veut éviter que la concupiscence ne l’amène dans de mauvais lieux . Plus
loin, il mentionne une confession générale accomplie avec ferveur, sauf
que, le soir venu, un scrupule lui remet en mémoire « un péché honteux »
qu’il a omis d’avouer.
C’est aussi un fort sentiment de culpabilité qui pousse en 1858 sœur
Marie-Zoé, âgée de 29 ans, membre des sœurs de Marie-Joseph, l’une des
e
nombreuses nouvelles congrégations féminines du XIX siècle, à écrire
directement à un confesseur célèbre et lointain, Jean-Marie Vianney, le
curé d’Ars. Elle relate qu’à l’âge de 14 ans, elle a été abusée par son oncle :
«  Aussi, en peu de mois, mon innocence fut-elle perdue.  » Durant son
noviciat, elle est séduite par un prêtre  : «  Je lui avais raconté ma vie
première et lui la continuait.  » Néanmoins, elle conserve depuis de
«  malheureuses habitudes  » car, ajoute-t-elle, «  le feu de la volupté me
poursuit sans cesse  ». On comprend son ultime démarche auprès du curé
Vianney, dont on ne sait pas s’il lui a répondu 33.
Dans le grand roman d’apprentissage de Joseph Malègue, la confession
générale du personnage principal, Augustin Méridier, intervient juste avant
son décès au sanatorium de Leysin au milieu des années 1920. C’est son
ami jésuite, le père Pierre Largilier, qui lui pose des questions en termes
succincts, pour ne pas épuiser son faible pénitent : « Luxure ? Impureté ? »
Ce à quoi Augustin, prenant le temps « d’explorer cette sorte d’honorabilité
austère, marque de son exceptionnelle vie, cette rigidité orgueilleuse…  »,
s’entend répondre tout bas  : «  Chasteté de vie… Moindre chasteté de
cœur 34. »
D’une autre nature encore, le prodigieux témoignage de Joachim
Martin, menuisier de son état. Il avait l’étrange habitude, vers 1880-1881,
de coucher ses humeurs non pas sur un cahier mais à l’envers des planches
du parquet qu’il posait dans un château des Hautes-Alpes. Ce n’est pas sur
sa propre sexualité qu’il livre des confidences. Tout au plus apprend-on que
sa femme était vierge quand il l’a rencontrée. On découvre surtout, en
répercussion aux dires de son épouse, combien le questionnement du curé
du village au confessionnal lui semble indélicat :

«  D’abord je lui trouve un grand défaut de trop s’occuper des


ménages, de la manière que l’on baise sa femme. Combien de fois par
mois, si on la saute, si on fait levrette, si on l’encule, enfin je ne sais
combien de choses qu’il a demandées et défendues à toutes les femmes
du quartier. De quel droit misérable. Qu’on le pende ce cochon 35. »
Plus tard, Joachim dénoncera au préfet des Hautes-Alpes les tentatives
de subornation au confessionnal dont se serait rendu coupable le même
curé. Lors de la Noël 1881, son épouse était à l’intérieur de l’église où
celui-ci «  envoya appeler la femme plusieurs fois sans rien obtenir  ». Le
menuisier n’ajoute guère de détails, mais le geste a deux conséquences  :
d’abord, la victime des avances « n’a plus remis les pieds à l’église » et ses
enfants « très peu » ; ensuite, lui-même, le mari « commence à entrer dans
un état d’exaltation » contre cet « être révoltant 36 ».
Si l’emprise abusive du clergé sur les consciences est devenue un
leitmotiv des opposants à l’Église, elle inaugure parallèlement un thème
littéraire. Selon George Sand, qui consacre un roman à la rivalité entre le
mari et le prêtre, à l’époux confronté à la « concurrence des eunuques », la
confession livre les femmes au pouvoir des soutanes. «  Ils n’en peuvent
avoir une, et ils vivent avec toutes familièrement. » Pour l’innocente fillette,
le confesseur est « le premier, avant qu’elle puisse faillir, [qui] lui nomme le
péché… ». Maudit prêtre « qui a déjà prélevé ses droits sur la virginité de
l’esprit et la pureté de l’imagination de nos femmes en leur apprenant ce
que nous seuls eussions dû leur apprendre 37 » !
Chez Octave Mirbeau, le lecteur est plongé dans l’atmosphère trouble
d’une institution d’enseignement. Anticlérical militant, lui-même
pensionnaire durant son enfance dans le collège jésuite de Vannes où se
déroule l’action, le romancier a peut-être subi de mauvais traitements. Au
confessionnal, vers 1862, le prêtre demande à brûle-pourpoint à Sébastien
Roch, le protagoniste de la fiction, s’il a pratiqué des «  attouchements
impurs » sur sa petite amie. Or, Sébastien, âgé de 11 ans, n’a jamais pensé
à cela, se contentant du plaisir de la promenade avec une jeune voisine et
sa mère. Il sent confusément que «  quelque chose de sa pudeur, que
quelque chose de la virginité de Marguerite [c’est le nom de la fille] était
restée là entre les mains violatrices de cet homme  ». Lors d’un congé, les
paroles du confesseur lui reviennent et il se surprend à chercher en pensée
sur le corps de cette fille « la place des mystères impurs, les dévoilements
de la chair défendue et maudite ». Durant sa troisième année de collège (il
a alors 14 ans), il tombe sous le charme de son maître des études, le père
de Kern, qui n’en est pas à sa première victime. Il entre peu à peu « dans
une atmosphère énervante et voluptueuse où, sous le voile de l’amour
divin qui masque toutes les exaltations charnelles, toutes les sensualités
irritées, toutes les dépravations organiques […] montent du sexe vierge au
cerveau déjà souillé… ».
Un soir, Sébastien est violé par le père jésuite. Celui-ci s’arrange ensuite
pour dénoncer le jeune homme à la direction de l’école, prétendant l’avoir
surpris avec un camarade à faire des « saletés ». Quand l’accusé clame son
innocence auprès d’un autre maître, celui-ci n’a qu’une seule
préoccupation, «  empêcher la divulgation de ce secret infâme, même au
prix d’une injustice flagrante », et donc éviter la révélation publique de tout
ce qui pourrait s’avérer «  préjudiciable à l’orgueilleux renom de la
congrégation  ». Abattu, Sébastien promet «  de garder, toujours, le silence
sur cette affreuse chose 38  ». Désormais sa vie est détruite. Il va végéter
durant plus de cinq ans sans rien entreprendre jusqu’au jour où, mobilisé
lors de la guerre de 1870, il est tué dans un engagement. Si le livre
d’Octave Mirbeau n’eut que peu d’échos lors de sa parution en 1890, il n’en
demeure pas moins le premier à aborder le thème de l’enfance détruite par
un abus sexuel en un temps où les traumatismes psychologiques d’un viol
n’ont encore guère préoccupé la médecine 39.
Certains abus similaires bien concrets ont figuré à la chronique des
journaux  : en 1841, le curé de Duclair (Normandie) poursuivi pour
«  outrages à la pudeur  » sur de jeunes garçons  ; en 1844, un religieux
condamné pour avoir abusé des garçons dans une institution  ; ou encore
un prêtre suborneur de jeunes au collège de Château-Gontier entre 1878 et
1881. Voilà qui a pu renforcer l’argumentaire anticlérical en France, en
particulier durant le vaste débat sur l’enseignement et la place des
congrégations.
C’est essentiellement sur le dossier de la confession que s’est focalisée
l’offensive des «  bouffeurs de curé  ». Une importante presse satirique
appuie les opinions anticléricales en s’en prenant aux calotins, culs bénis,
corbeaux ou autres rats d’église. Comment ne pas évoquer Michelet pour
qui dévotion et sensualité vont de pair  ? Il imagine le prêtre tout
émoustillé, « l’étroit réduit de chêne noir, où cet homme ému, cette femme
tremblante, réunis si près l’un de l’autre, vont causer  ». Et son épouse
Athénaïs le conforte dans sa vision  : «  Depuis que j’ai cessé d’aller à
40
confesse, je suis devenue plus pure .  » Comment ne pas citer Paul Bert
(1833-1886), médecin et ministre de l’Instruction publique (1881-1882),
considéré comme l’un des fondateurs de l’école laïque ? Ce pourfendeur du
cléricalisme s’est attaqué aux jésuites  qui symbolisaient pour lui la
mainmise de l’Église sur les consciences. Il leur amalgame, comme bien
d’autres à l’époque, tout ce qui s’apparente à la réaction et à l’anti-
41
progressisme . Son ouvrage La Morale des Jésuites, paru en 1880, est
construit comme une parodie des traités de théologie morale, en pointant
les contradictions de la casuistique qui, avec le probabilisme, permettraient
à chacun de choisir pour se gouverner moralement «  ce qui fait le
mieux son affaire pratique ». La source principale en est le Compendium du
théologien jésuite Jean-Pierre Gury (1801-1866), paru une première fois
en 1850 puis réédité à plusieurs reprises, que Bert traduit
consciencieusement du latin 42. Pour lui, les turpitudes sexuelles des prêtres
sont une évidence. Un « dévergondage d’imagination lubrique » fournit la
«  preuve de la préoccupation érotique qui hante en toutes circonstances
et  en tous lieux l’imagination du jésuite, et qui lui fait introduire  les res
venereae dans toutes les matières de la casuistique 43 ».
Aussi, dans son chapitre sur la luxure, Bert reprend-il pas à pas la
structure d’un manuel de confession dont il copie des extraits et tire des
syllogismes qui rendent évidente l’absurdité de certaines affirmations. Si,
par exemple, l’usage du mariage en vue du seul plaisir est un péché mortel,
en pratique il ne peut l’être puisqu’on recherche le plaisir pour remédier à
la concupiscence, ce qui est précisément l’une des fins du mariage 44  !
Inutile de préciser que Paul Bert a été la cible de la hiérarchie catholique,
qui n’a pas beaucoup apprécié cette satire mordante.
Avec Gabriel-Antoine Jogand-Pagès (1854-1907), voilà un polygraphe
qui a défrayé la chronique par son art du canular et des mystifications  !
Écrivant sous de multiples pseudonymes, l’homme est surtout connu sous
le nom de Léo Taxil. En manipulateur avisé, il a formulé de violentes
critiques contre la confession 45. Un certain nombre des opuscules qu’il
compile pour les publier ne se trouvent pas dans les bibliothèques  ; il en
réédite donc des traductions partielles avec des extrapolations, des
omissions et des mentions d’éditeurs improbables 46. Taxil prévient les
objections par l’affirmation que son édition est «  scrupuleusement
conforme aux textes originaux des traités de luxure en usage dans les
séminaires  ». En réalité, ceux-ci n’existent guère comme tels. Les sources
qui en parlent mobilisent d’ailleurs le terme bien moins accrocheur de
chasteté et l’abordent accessoirement dans le cadre plus vaste de la morale
générale. Chez Taxil, la focalisation sur la luxure a pour finalité de faire
croire que les prêtres confesseurs en sont tellement obsédés qu’ils
interrogent uniquement sur ces matières délicates :

«  Si le public connaissait ces turpitudes, quel père laisserait ses


enfants aller au confessionnal  ? Quel mari y laisserait aller sa
femme ? »

En s’attaquant à « l’ordure vénérienne » qu’on enseigne selon lui dans


les séminaires sous couvert de cours de morale, l’objectif est de dénoncer
une «  plaie hideuse  » et corruptrice pour obtenir l’interdiction légale de
l’exercice de la confession 47.
Parmi les textes douteux récoltés par Taxil se trouve un pastiche en
français de Llave de oro (La Clé d’or) d’Antonio Maria Claret (1807-1870) 48.
De ce jésuite canonisé en 1950, ses hagiographes ne manquent pas de
signaler comment, au séminaire, il a traversé «  l’épreuve du feu de la
chasteté  », assailli par une tentation obsédante. Il fut archevêque de
Santiago de Cuba avant de devenir, dès 1857, confesseur de la future reine
Isabelle d’Espagne, alors âgée de 7 ans. Dans un contexte d’intrigues de
cour pour le pouvoir, Claret est l’objet de campagnes de calomnies.
Certains de ses écrits ont été falsifiés pour donner de lui l’image du prêtre
dépravé obsédé de sexe. Des images obscènes ont été diffusées et il
apparaît même dans certaines publications érotiques de la fin du XIXe siècle.
Publié en espagnol en 1857, l’ouvrage original de ce prélat contient des
recommandations plutôt générales. Ainsi, au début du chapitre sur le
sixième commandement, on lit comment, « poussés à l’acte charnel par les
aiguillons de la chair », les hommes « épousent une femme et peuvent alors
[…] donner satisfaction à cette passion d’une manière légitime et sans qu’il
en résulte le moindre désordre 49 ». Ou encore ce constat : « Un célibataire
conservera son état de chasteté, s’il le veut, avec la grâce de Dieu », mais
« l’homme marié ne peut contenir ses désirs sensuels 50 ». La version qu’en
donne Taxil comporte en annexe un Questionnaire à l’usage des confesseurs
pour interroger les jeunes filles qui ne savent pas ou qui n’osent pas faire
l’aveu de leurs péchés d’impureté  : sa teneur est franchement
pornographique et la décence empêche de le citer. Ce sont des pages qui
n’existent dans aucun manuel de confession !
Il n’empêche, on imagine mal l’audience dévastatrice de ces
publications. En isolant de leur contexte les pages sur le sexe, en traduisant
en français des paragraphes que leur auteur, en choisissant le latin,
souhaitait ne pas diffuser trop largement, les anticléricaux obtiennent un
effet d’amplification plus qu’espéré. Désormais, la confession et les prêtres
ne peuvent que susciter la dérision alors que la perception de la sexualité
par l’Église catholique est unilatéralement jugée comme en marge du vécu
des croyants. Indéniablement, la pression psychologique bien réelle et
souvent maladroite sur les fidèles pour qu’ils confessent les péchés de la
chair s’est transformée en formidable « machine à fabriquer de la sexualité,
productrice de fantasmes 51 ».

e e
La continence malmenée (XX -XXI  siècles)
e
La période contemporaine, de la fin du XIX siècle à nos jours,
recompose la plupart des interdits sociaux qui prescrivaient une retenue
pudique, ou du moins une certaine réserve dans l’assouvissement des
désirs ou l’étalage des fantasmes. La chasteté est encore une fois au cœur
des turbulences qui accompagnent l’affranchissement progressif des
impératifs qui pesaient sur les corps, celui des femmes en particulier.

Des obligations contestées

À travers le sacrement de pénitence, l’Église a conféré une grande


importance à une pastorale de la honte pour inciter à la maîtrise des
émotions. La sévérité constatée à propos des péchés contre le sixième
commandement s’explique par la nécessité de valoriser un célibat consacré,
idéalisé par rapport à la chasteté improbable du commun des mortels. À
travers la notion de faute (ou de péché), plus que la perspective
relativement abstraite de l’enfer et de la damnation, c’est la crainte de
subir l’ignominie ou d’être blâmé pour ses comportements qui a fonctionné
comme obstacle à ce que les conventions considèrent comme des dérives,
voire des vices. Celle-ci se différencie de la pudeur coupable qui enferme
l’individu sur lui-même. La pratique du sacrement de pénitence se situe à
la confluence des deux attitudes quand la confusion intérieure du pénitent
se transforme en honte de la faute devant le confesseur 52. Depuis les
e
Réformes du XVI siècle, cette pédagogie n’a cessé d’être contestée au nom
de la miséricorde infinie de Dieu. En outre, on assiste à l’érosion
progressive d’une pratique sacramentaire perçue de plus en plus comme
une atteinte à l’intimité des individus et des couples. Face à une
désaffection croissante tout au long du XXe siècle, quelques aménagements
ont été proposés tardivement durant la période post-conciliaire. Il devient
moins question de confession que de «  réconciliation  » avec Dieu, de
pénitence que de réparation. Cependant, contre la vogue momentanée des
cérémonies avec absolution collective qui implique en conscience l’auto-
examen des fautes, l’autorité ecclésiale a toujours répété la nécessité de
l’aveu auriculaire individuel.
Étudiant une paroisse rurale bretonne, Yves Lambert constate combien,
durant les années 1920, la pratique régulière du sacrement est encore bien
ancrée, malgré le déséquilibre qui amène deux fois plus de femmes que
d’hommes au confessionnal. L’érosion est continuelle ensuite  : les prêtres
de la paroisse passent au confessionnal l’équivalent de trente-quatre
journées par an en 1934, nombre qui tombe à vingt-quatre en 1954 puis
treize en 1960 et sept en 1974. À en croire un sondage, la chute est encore
plus marquée à l’échelle de la France : si 3 % des catholiques admettaient
53
en 1952 ne jamais se confesser, le chiffre est de 54 % en 1974 . Alors que
l’Église est encore la « seule instance à transmettre une morale explicite »,
la grande majorité de la population rejette tout légalisme et n’a plus
54
aucune conscience claire de la notion de péché .
Souvent citée, une enquête de l’hebdomadaire Témoignage chrétien en
1966 a révélé que 83  % des aveux au confessionnal concernaient des
55
péchés en rapport avec le sexe . Ce constat a motivé en 1973
l’investigation de journalistes italiens, qui ont imaginé des situations types
comportant des «  péchés de chair  ». Sur cette base, ils ont enregistré, à
l’insu des prêtres évidemment, des aveux fictifs dans les confessionnaux de
toute l’Italie. Six cent trente-six confessions, dont les trois quarts
concernent des femmes – une proportion qui semble correspondre à la
réalité pastorale du temps –, ont été ainsi recueillies. Ce matériau met en
évidence l’embarras et même le désarroi des prêtres face à des pénitents
qui révèlent leur situation de couples concubins ou reconstitués, auxquels
sont recommandées l’abstinence, la prière pour dominer les sens, voire,
parfois, la fréquentation des sacrements dans une paroisse éloignée pour
éviter tout scandale. Les relations sexuelles avant le mariage sont
sévèrement prohibées par les confesseurs, qui enjoignent d’interrompre ces
familiarités, y  compris les gestes de tendresse. Certains, très minoritaires,
choquent leurs pénitents par des questions plus précises sur leurs pratiques
sexuelles. Tous s’abritent derrière une loi morale intangible et sont
dépassés par l’anxiété que cherchent à communiquer les récits des
simulateurs 56.
Vingt ans plus tard, la même idée de débusquer l’insolite et les
obsessions cléricales conduit à nouveau un journaliste à parcourir l’Italie
imaginant des scénarios d’aveux, avec la complicité de deux comparses.
Une centaine de confessions fictives ont été retranscrites et publiées. Là
aussi – c’était l’objectif de l’enquête –, les questions de morale sexuelle
tiennent une grande place. Dans tous ces cas, on est bien loin des
interrogatoires obscènes auxquels s’attendaient peut-être les journalistes.
Les propos simulés reproduisent souvent des clichés, et les prêtres, seuls à
parler vrai dans ces entretiens, se gardent d’entrer dans la spirale des
57
détails scabreux pour répéter un discours moral convenu .
Plus parlante encore, une enquête portant sur les souvenirs marquants
de la pratique du sacrement de pénitence a été menée en 1995. Parmi les
69 réponses (dont 50 de femmes), plusieurs se rapportent à des questions
intimes relevant de circonstances surannées puisque les faits relatés datent
d’avant 1950. En voici trois exemples. Née en 1924, une domestique à la
campagne a appris au catéchisme la sentence «  Tu ne commettras pas
d’impureté  » sans savoir de quoi il s’agissait. Un jour, un prêtre lui a
demandé si elle ne connaissait pas un jeune homme qui cherchait à lui
faire « certaines choses ». Interloquée, elle s’enquiert auprès de sa patronne
et s’entend répondre qu’elle verra bien quand elle sera mariée  ! Menacé
d’un refus d’absolution s’il n’interrompt pas immédiatement une relation
prénuptiale, un ouvrier né en 1909 n’a plus jamais remis les pieds dans un
confessionnal. Dernier cas d’espèce, celui d’une jeune fille, née en 1930,
qui se confie à un prêtre lors d’un séjour à l’hôpital, à l’âge de 19 ans.
Celui-ci, en l’écoutant avouer qu’elle se masturbe, ne cesse de plonger
ostensiblement son regard dans le décolleté de sa chemise 58  ! Ce type
d’interrogatoire suspicieux s’est poursuivi dans les années 1950-1960 sans
qu’il faille bien sûr généraliser des comportements malsains sans doute
minoritaires.
Après le concile Vatican II (1962-1965), qui recadre la pastorale sur les
valeurs essentielles, le dossier du célibat ecclésiastique crée un malaise
durable parmi le clergé. Il est décuplé par l’incidence des mouvements liés
à Mai  1968 qui ont conduit de nombreux prêtres à s’interroger sur leur
insertion dans la société, et surtout à se démarquer d’une «  Église-
institution  ». Certains ont éprouvé la nécessité de se réaliser par des
engagements familiaux, politiques, professionnels et sociaux. Beaucoup ont
quitté le ministère. Le pape Paul VI s’est efforcé de prévenir l’exode en
publiant une encyclique, Sur le célibat sacerdotal, «  dans ce climat où
fermentent tant de nouveautés » (juin 1967). Les difficultés liées au respect
de la chasteté n’y sont pas ignorées ; le pape admet que « l’ignorance et le
mépris de l’instinct sexuel et de l’affectivité  » nuisent «  à l’équilibre
59
physique et psychologique   ». Sans dévier de la tradition canonique, le
pontife réaffirme simplement que « la loi du célibat » est liée au ministère.
Cette exigence, un prêtre ordonné durant cette période l’a parfaitement
intégrée  : émettre le désir d’être prêtre ou «  avoir la vocation  » signifiait
automatiquement qu’on admettait la loi du célibat :

«  Ainsi, je pense que j’ai forcément refoulé certaines questions,


certains désirs, j’ai interdit certaines expériences, parce que d’emblée je
me situais du côté du renoncement. »

Ne s’autorisant aucune relation sexuelle, il avoue que «  le mystère


féminin  » le fascine et lui «  fait un peu peur  ». Sans doute l’obligation
universelle du célibat peut-elle poser problème à certains. Quand on lui
demande s’il y est favorable, sa réponse est sans ambiguïté : « Je suis pour
le mien, ce qui ne veut pas dire que je veuille l’imposer aux autres 60 ! »
Inédit, un autre témoignage, laissé par un vicaire qui a quitté
l’institution, est révélateur du malaise qui couve durant les années 1960-
1970. Considérée comme évidente pour les futurs prêtres, l’acceptation du
célibat implique pour le jeune entré dans la filière de formation à la
prêtrise qu’il est maintenu «  dans l’ignorance et, presque toujours, dans
une certaine dépréciation du mariage, de la sexualité, de l’affectivité, de la
femme ».
De tout cela, le candidat « apprend surtout les possibilités de chute » et
jamais la grandeur. En contrepartie, les prêtres dans leur solitude
cherchent des compensations psychiques et physiques :

«  Maintenant, trop d’entre eux se réveillent avec une affectivité et


une sexualité meurtries, déchirées, seuls avec leur charme infantile et
leur recherche inavouée d’affection. »

L’engagement d’un célibat à vie est, toujours d’après cet ecclésiastique,


impossible :

«  Promettre de rester célibataire durant toute sa vie est un peu


comme si un adolescent promettait de ne pas avoir de barbe à
61
20 ans  ! »

Fréquents sont les récits de vie qui font état de la difficulté d’accepter
cette exigence. Un ex-prêtre raconte ainsi en mars 1969 l’expérience de ses
cinq ans de séminaire, qualifiée d’«  escroquerie au célibat  ». Il allait «  de
soi, on n’en parlait pas ». En revanche, la femme est présentée « comme la
tentatrice ». La vision de la sexualité en a été faussée :

« La sexualité prend alors une importance d’autant plus inquiétante


qu’on en a moins l’expérience. Et plus tard, les longues heures passées
en entretiens ou au confessionnal contraignent le prêtre à n’entendre
parler de la sexualité qu’en termes de péchés ou d’abus, jamais en
termes d’épanouissement, de joie et de beauté (ceux qui vivent une
sexualité heureuse n’en parlent pas). »
Et de conclure :

«  Mon engagement au célibat a donc été basé pour moi sur une
peur de la femme et de la sexualité, il a été vécu plus comme une
mutilation que comme une offrande volontaire 62. »

Consignés en 1971, les souvenirs d’un ancien dominicain, né en 1931


et ordonné à la prêtrise en 1959, décrivent l’univers mental d’un jeune
ecclésiastique dont la formation religieuse a été axée surtout sur la phobie
des « choses impures » et le risque du péché, à quoi s’ajoutait « un silence
presque total sur les réalités sexuelles  ». Cette ignorance a fait de lui un
être «  asexué, quelque peu “angélique”  », resté à l’écart de la vie au
village : « Je crois bien que j’ai dansé une seule fois de toute ma jeunesse. »
Plus tard, au noviciat, lors de ses études de théologie, le voilà confronté au
choc des réalités : « Je me suis mis à me masturber, donc à l’âge de 23-24
ans environ. » En même temps il apprend, lors d’une séance d’information
«  que, contrairement aux animaux, l’homme et la femme, pour s’unir
sexuellement, se font face  : jusqu’alors je croyais que la pénétration se
faisait par l’anus. Découverte éblouissante, mais aussi méconnaissance
antérieure désastreuse… ».
Après son ordination, le voilà vicaire dans la région parisienne puis à
Genève, souffrant d’une profonde « discordance » entre son ministère et ce
qu’il ressent en privé dans sa solitude :

«  Rêveries, pratiques masturbatoires, découragements, pertes de


temps, longues séances de télévision […], films érotiques […], laisser-
aller sentimental à l’égard d’une jeune fille travaillant à la cure… »

Aumônier d’un foyer pour étudiants au plus fort de la radicalisation de


la fin des années 1960, il est confronté « à des difficultés d’ordre sexuel »
qui le poussent à chercher des compensations, telles l’errance à travers les
quartiers de prostitution, «  la masturbation au moment du réveil le
matin  », la lecture furtive de magazines érotiques puis enfin une relation
clandestine avec une jeune fille qui l’amène à se dévoiler, à quitter
l’institution et à commencer une psychanalyse 63. D’autres anciens prêtres
ont fait part de frustrations semblables :

«  La masturbation, soigneusement camouflée depuis mon


adolescence, compensait régulièrement un besoin violent, refoulé.
64
J’étais conscient de braver un interdit mais c’était insurmontable . »

Ils imaginent que le ministère leur apportera la maîtrise et la


sublimation, un degré de maturation auquel ils ne sont pas encore arrivés.
La déception n’en sera que plus marquée.
Ceux qui ont publié le récit de leur itinéraire de prêtre marié répètent
des constats identiques. « Une religion moralisante et culpabilisante » dans
l’enfance qui engendre une peur névrotique de l’enfer, remarque un ancien
prêtre, né en 1931, ordonné en 1956 et marié treize ans plus tard.
Adolescent, il a été confronté au « péché d’impureté » à une époque où le
domaine de la sexualité « occupait presque toutes les forces et le temps des
confesseurs 65 ». Sans renier les amitiés féminines platoniques, il admet que
sa chasteté de jeune destiné à la prêtrise a été «  plus craintive que
positive  », bien qu’il n’en ait pas véritablement souffert, affichant
courageusement son épithète de «  curé  » puceau lors de son service
militaire. Au séminaire ensuite, le règlement met soigneusement en garde
contre les « amitiés particulières », expression dont il comprend le sens en
repérant des couples de séminaristes sans être certain qu’ils « pratiquent »
leur homosexualité, flagrante à ses yeux. Comme jeune prêtre, il est
confronté aux difficultés du célibat, une contrainte vécue plus comme
«  une mutilation  » que comme une «  ascèse épanouissante  », mais mieux
66
respectée qu’on ne pourrait l’imaginer . Et d’évoquer les paroissiennes
entreprenantes qu’il faut éconduire et les jeunes femmes pour lesquelles on
ressent de l’amitié en collaborant aux tâches pastorales. Comment garder
de la distance  ? Lors de son travail à l’aumônerie de la JOC (Jeunesse
ouvrière chrétienne), il côtoie d’autres prêtres qui ne craignent pas de
parler de leurs combats et de leurs frustrations sexuelles. C’est en 1964
qu’il rencontre la jeune fille qui va bouleverser sa vie, une relation d’abord
clandestine puis de plus en plus avouée, jusqu’à la rupture avec l’institution
ecclésiale en 1969 et à son mariage, nourrissant l’espoir bien vite déçu de
ne pas devoir abandonner le sacerdoce.
Pour être libre, pour échapper à une «  hiérarchie propriétaire de [sa]
vie  », un autre prêtre a quitté l’Église en 1968 à l’âge de 36 ans. Au
séminaire, témoigne-t-il, « les étreintes de mon supérieur dans son bureau,
malgré ma gêne, je les vivais comme des marques pressantes de chaleur
paternelle. Je ne sentais rien sous la soutane comme d’autres l’avaient
enregistré ». Nous ne sommes pas encore à l’époque de la dénonciation des
pédophiles : mais, « aurais-je parlé en ce temps-là si j’en avais été conscient
ou si j’avais été physiquement violé  ?  ». Il lui semble que son corps
d’homme consacré était « placé sous vide comme une chair aseptisée ». Il
vivait à côté de son propre corps 67.
Tous les témoignages répètent des trajectoires de garçons étiquetés au
seuil de leur adolescence comme destinés à la prêtrise, hyper protégés et
maintenus en marge de la vie réelle parce que plane sur eux l’ombre sacrée
de leur futur ministère, comme s’ils étaient des êtres d’exception. Cette
mutilation de la personnalité s’accompagne au séminaire d’une méfiance
envers la femme, ce sexe interdit, et d’une pudibonderie qui s’assimile à
une véritable castration. La question de l’amour n’est jamais explicitée,
d’autant qu’interrompre la voie tracée ne manquerait pas de décevoir la
68
famille et tout un environnement social déjà conditionné . L’admission à
l’ordination était par ailleurs déterminée par un engagement à la « chasteté
éprouvée ». Concrètement, durant au moins une année, le futur prêtre doit
avoir su résister à la tentation charnelle, en particulier le « vice secret » de
la masturbation. «  En échec  » sur ce point, nombreux sont ceux qui ont
69
renoncé à poursuivre leur formation .
Les désaffections se sont multipliées dès la fin des années 1960. Il est
impossible de proposer même des approximations car, dans tous les
diocèses et encore plus au Vatican, les statistiques n’ont jamais été établies,
même si les chiffres, notamment ceux des clercs «  réduits à l’état laïc  »
selon la formule officielle, doivent exister. Les estimations récentes
évoquent le nombre de 100  000 prêtres qui ont été déliés de leur célibat
depuis les années 1970. Tous ne l’ont pas fait pour se marier, certes, mais
70
tous ont subi les pressions de leur hiérarchie . Éviter le scandale, telle est
l’obsession des évêques. Ici, comme dans les dossiers d’abus sexuels, la
culture du secret prévaut face à ceux que l’opinion peu amène qualifie de
«  défroqués  ». C’est pourquoi la plupart des prêtres qui ont quitté l’habit
passent en quelque sorte dans la clandestinité, s’expatrient et tentent de
refaire leur vie en ayant coupé totalement avec leur passé comme des hors-
la-loi. Échapper à l’hypocrisie a donc un prix, celui de la souffrance et des
épreuves pour dénoncer l’«  erreur terrible qui voudrait faire croire que
71
prêtre et célibat vont obligatoirement ensemble  ».
Au début du XXIe siècle, le site critique Golias recense 15 à 20  % de
prêtres dotés d’une compagne et 10 à 15  % entretenant des relations
homosexuelles 72. L’affirmation de sa propre identité homosexuelle
n’épargne pas les milieux d’Église. Paru en 1985, le livre à succès Lesbian
Nuns a contribué à faire connaître des situations complètement ignorées
73
jusqu’alors . Rien d’affriolant dans cette cinquantaine de récits pudiques
de sœurs qui ont pris conscience de leur orientation sexuelle et dont une
minorité a quitté le couvent. Jeannine Gramick (1942-), elle-même ex-
nonne, cofondatrice en 1977 du mouvement New Ways Ministry (NWM),
défend la cause LGBT et anime un forum de discussion online où se
retrouvent les sœurs lesbiennes. Nombreuses sont celles qui expliquent
vivre sereinement leur célibat sans mener une vie sexuelle active. À
contrecourant de la culture ambiante qui glorifie le sexe, Gramick insiste
sur le fait que toute relation d’amitié forte ne débouche pas forcément sur
une relation génitale. Quand la découverte d’une identité sexuelle s’inscrit
dans un processus d’épanouissement personnel, le coming out est
pleinement assumé 74. Similaire, un mouvement masculin a été dissout en
2009 par crainte des conséquences des nouvelles instructions vaticanes
visant à éviter d’ordonner des gays.
La cause des prêtres gays a été révélée au grand public par le père
Donald B. Cozzens (1939-), qui a exercé de nombreuses responsabilités
dans son diocèse de Cleveland. Estimant à 30-50 % (voire à 80 % dans les
congrégations religieuses !) la proportion des tendances homosexuelles au
sein du clergé, il va jusqu’à se demander si la prêtrise ne devenait pas une
75
profession fortement homosexuelle . Ce qui est certain, c’est que les
prêtres du passé ne s’interrogeaient guère sur la nature de leur orientation.
Il en va tout autrement depuis qu’assumer son identité est vécu comme une
exigence, jusqu’à faire son « outing », c’est-à-dire déclarer publiquement sa
préférence homosexuelle. Comment alors se positionner dans une
institution qui juge «  désordonnés  » de tels actes  ? Pour cet auteur, les
tendances homosexuelles sont involontaires, l’orientation sexuelle n’étant
pas un choix de la personne. Elles n’ont pas automatiquement d’impact sur
le célibat. Mais il est surtout convaincu que le célibat est moins accessible à
l’hétérosexuel qu’à l’homosexuel dont les qualités d’altruisme et
d’ouverture à la communauté rendraient l’engagement beaucoup plus
assumé. Par ailleurs, si le célibat est un don particulier de Dieu, pourquoi
faut-il l’imposer par un règlement canonique ? S’il est libération, il ne peut
qu’être embrassé librement. Or, tous les prêtres n’ont pas reçu ce charisme.
Sa conclusion est sans appel : un célibat imposé conduit à l’immaturité, à
l’excentricité, à une profonde solitude, à l’anxiété morale et, « dans certains
cas, tragiquement, à un penchant aux abus sexuels sur des adultes ou des
mineurs 76 ».

Le choc de la pédophilie

Le théologien et psychanalyste allemand Eugen Drewermann (1940-)


est encore un prêtre en rupture de ban avec l’Église catholique, qu’il a
d’ailleurs quittée en 2005. Sa critique de la bureaucratie cléricale lui a
conféré une large notoriété. Dans son livre Fonctionnaires de Dieu (1989), il
constate qu’il vaut mieux pour un prêtre «  une vie dans la masturbation
que de séduire une femme ou, pire encore, se laisser séduire par elle  ».
Selon lui, pour s’engager dans le célibat consacré, une prédisposition
latente à l’homosexualité est requise  ; il relève des «  traits de nature
homosexuelle fort caractéristiques de la fonction même des clercs ». Et sa
conclusion est sans appel  : «  Pas de salut possible dans le statut psycho-
religieux d’une secte aussi névrotique que névrotisante 77. »
D’autres constatent combien les membres du clergé recourent de plus
en plus à la psychothérapie, souffrant de dépression associée à un contexte
78
sexuel . Cette insinuation résonne comme en écho à la remarque de
Wilhelm Reich dans son livre de 1933 :

«  Aucune couche sociale n’est dans la même mesure sujette aux


79
hystéries et aux perversions que les milieux de l’Église ascétique . »

Le même auteur voyait dans l’homosexualité comme un antidote à la


sexualité naturelle, favorisée par « l’angoisse sexuelle » que l’appartenance
au célibat consacré encouragerait. Quelques études sérieuses ont mis en
évidence des liens entre troubles de la personnalité et crises spirituelles.
Ainsi, dans une clinique psychiatrique gérée par un ordre religieux à Zoug
(Suisse), établissement où 10  % des patientes hospitalisées sont des
nonnes, des observations systématiques ont pu être menées. Sur 152
malades provenant de diverses maisons religieuses, les neuf dixièmes ont
été traités pour dépression, avec pour une bonne moitié d’entre eux des
névrotismes graves. Selon l’étude, la période préconciliaire ne laissait que
peu de place à la personnalité dans les ordres cloîtrés où régnait une
discipline stricte, alors que l’aggiornamento post-conciliaire a donné un
espace de liberté qui a permis l’expression des émotions. L’étude met en
évidence des cas de délire schizophrène, de manie de la persécution et
d’obsession sécuritaire, associés parfois à des crises mystiques sans qu’on
80
incrimine encore leurs composantes de frustration sexuelle . Sur ce point,
la parole s’est libérée récemment.
Il n’empêche, les dérives sexuelles concernent aujourd’hui quasi
exclusivement des hommes, tant la domination masculine et la
sacralisation du pouvoir clérical ont imprimé leur sceau sur toutes les
institutions ecclésiales. Les couvents de religieuses fréquemment dénoncés
dans le passé comme des lieux de turpitudes échappent aux graves
accusations qui font la une des médias depuis plusieurs années. Mais
l’action dévastatrice moralement et psychologiquement de directeurs de
conscience profitant de leur ascendant sur des femmes qui ont tout donné
à Dieu et promis l’obéissance se poursuit impunément. Les témoignages qui
portent sur notre temps sont sidérants  : ils mettent au jour des dérives
similaires à celles que l’Église est censée traquer depuis au moins cinq
siècles ! Les abus sur de jeunes religieuses, jusqu’à des formes d’esclavage
sexuel en Afrique notamment, mettent en cause non seulement les prêtres,
mais aussi les supérieures femmes de ces communautés religieuses. Les
doctrines déviantes et les actes sordides de prédateurs sexuels ont jusqu’ici
été soigneusement minimisés et couverts par les hiérarchies concernées qui
81
préfèrent le silence feutré à l’étalage médiatique de scandales indicibles .
En l’absence de statistiques fiables, il n’est pas possible actuellement de
prouver que les abus sexuels sur des enfants sont plus fréquents au sein des
institutions de l’Église catholique que dans le reste de la société 82. C’est
dire la difficulté de proposer des conclusions péremptoires ou des
enchaînements d’évidences. Compte tenu des sensibilités exacerbées, la
confusion et les amalgames malsains guettent l’observateur. Ainsi,
d’emblée, il faut faire un sort à l’association supposée par maints
détracteurs entre homosexualité et perversité. N’en déplaise à de trop
nombreux auteurs, il est complètement déshonnête de laisser entendre que
l’homosexualité, probablement très fréquente chez les ecclésiastiques
83
célibataires, entraîne des dérives pédophiles . Cela n’enlève rien à
l’extrême gravité de ces crimes et à l’absolue nécessité d’en dénoncer les
abominations.
Comment en est-on arrivé à voir aujourd’hui dans la pédophilie, aux
côtés des actions terroristes, « le plus redoutable marqueur d’infamie » (A.
Stella) de notre société ? Pendant longtemps, la prédation sexuelle a paru
ne s’intéresser qu’aux filles. Le clergé lui-même a été suspecté de détourner
les femmes de leur devoir, tout en étant formé dans la hantise de céder à
leur séduction. Personne ne semble s’être avisé que les jeunes garçons
pouvaient aussi attirer les pervers. L’histoire de cette réalité sordide a été
écrite récemment seulement, en particulier dans le livre important d’Anne-
84
Claude Ambroise-Rendu .
La découverte de la pédophilie est liée à l’évolution des seuils de
tolérance et à de nouvelles configurations de la sensibilité face à ce qui est
admissible en matière de sexualité par rapport à ce qui est criminalisé.
C’est ainsi qu’en France, les infractions sexuelles sur des enfants au-
dessous de 15 ans ont été sanctionnées à partir du Code pénal de 1810. Le
texte distingue le viol (défini comme un abus violent sur une fille) et
l’« attentat à la pudeur » (attouchements avec violence sans pénétration).
Or, pendant des décennies, la contrainte sexuelle, spécialement à la
campagne, a fait l’objet de déni. Culbuter une fille ne choque guère,
surtout si elle appartient à un milieu pauvre. Toute servante est une proie
désignée. Obtenir  quelques caresses d’une fillette passe pour un jeu. Au
e 85
XIX   siècle, 77  % des victimes sont d’ailleurs des filles   ! Souvent elles se
taisent par crainte de perdre en réputation et d’être dévalorisées sur le
marché matrimonial. C’est pourquoi les crimes sexuels sur enfants tardent
à exister dans l’aire judiciaire, tant on cherche à éviter le scandale et à ne
pas exposer la victime au déshonneur, ou pour soustraire le coupable à une
condamnation afin de sauvegarder la réputation de la collectivité. En
France, un premier pas est fait en 1832 avec la révision du Code pénal, qui,
en s’alignant sur des dispositions déjà effectives dans plusieurs pays
d’Europe (Allemagne, Autriche, Suisse), introduit la notion d’«  infraction
d’attentat sans violence » et pas seulement celle d’attentat à la pudeur avec
86
violence . L’âge est précisé : moins de 11 ans en 1832, relevé à 13 ans en
1863 puis 15 ans en 1945. Autrement dit, la «  spécificité infantile  »
87
transforme l’enfant en victime « du fait de son âge  ». Les attouchements
banalisés jusqu’alors deviennent des transgressions, les attentats à la
pudeur considérés comme anodins sont criminalisés. Michel Foucault
estime que ce changement s’intègre dans une nouvelle « mise en discours
du sexe  » qui vise à «  chasser de la réalité les formes de sexualité qui ne
sont pas soumises à l’économie stricte de la reproduction  ». Pour lui, les
«  petits attentats  », les «  outrages mineurs  », les «  perversions sans
importance » éveillent tout à coup l’attention, font l’objet de rapports des
gendarmes, suscitent des expertises médicales, font naître des
thérapeutiques. Comment donc «  ce quotidien de la sexualité villageoise,
ces infimes délectations buissonnières  » ont-ils focalisé l’«  intolérance
collective  » et provoqué une action judiciaire et médicale, en un mot se
88
sont-ils mués en une « implantation perverse  » ?
Dès les années 1870, la presse populaire mentionne les délits dont les
victimes sont des mineurs. La loi de 1898 renforce «  la répression des
violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les
enfants ». Pour désigner l’agresseur, on évoque un débauché, un tripoteur
qui trousse les petites filles, un hyper-sexuel qui s’en prend aux enfants
faute de mieux. Outre le discours sécuritaire qui accompagne les « anxiétés
fin de siècle  », des éléments comme l’essor du féminisme, la crise de
l’identité masculine et la naissance d’un nouvel érotisme contribuent à
reformuler le discours sur les rapports de genre et la sexualité, donc sur les
limites à ne pas franchir 89.
En français, une appellation générique est utilisée dès 1897 par le
médecin Thésée Pouillet (1849-1923), un spécialiste de l’onanisme. Sans le
90
définir, il utilise le mot « pédophilie » qu’il distingue de la « pédérastie  ».
Plus précis, un article publié en 1896 par le psychiatre allemand Richard
von Krafft-Ebing (1840-1902) parle de Pädophilia erotica. Le pédophile est
présenté comme un individu taré qui s’adonne à des actes sexuels
« monstrueux et paradoxaux ». C’est un homme qui éprouve « un penchant
pour les impubères masculins  », ce qu’un autre spécialiste, le Suisse
Auguste Forel (1848-1931), qualifie de «  pédérose  » dans son livre La
Question sexuelle (1906). Il faut attendre 1931 pour que le terme
pédophilie soit admis en français quoique guère diffusé dans l’espace
91
public avant les années  1960 .  Se met peu à peu en place la figure du
délinquant sexuel pervers qui relève de la psychiatrie. Les médecins
mettent en garde contre la dangerosité de ces vicieux dégénérés et
constitutionnels, sujets d’anomalies morbides et de déviations narcissiques.
Jusqu’aux années 1970, les accusés appartiennent en grande majorité
aux catégories sociales défavorisées. Ce sont souvent des alcooliques et
l’abus sexuel apparaît comme la conséquence de la misère. Les prêtres et
enseignants sont plutôt rares, ce qui contredit «  l’image du prêtre satyre
92
largement construite par la presse  ». Il n’est pas dénué de fondement non
plus d’invoquer l’attachement de la France catholique à son clergé et les
protections dont profitaient encore jusqu’à peu les ecclésiastiques. Dans les
régions rurales de culture catholique fortement ancrée, les prêtres sont
longtemps restés intouchables, bénéficiant d’un prestige qui reléguait dans
la catégorie des menteurs ceux qui osaient se plaindre d’un éventuel
comportement intolérable.
Il serait néanmoins erroné de voir partout de la pédophilie. Pour
exemple, la situation imaginée par Henry de Montherlant qui met en scène
un collège catholique dans La ville dont le prince est un enfant (1951). Ici,
le penchant d’un prêtre enseignant pour un jeune de 14 ans en difficulté ne
manque pas de noblesse et s’apparente plus à une attention paternelle
exclusive. Sans qu’il y ait dérive génitale – il n’est jamais question de
«  péché  » ni même de Dieu –, la pièce de théâtre illustre ce que pouvait
être, dans une institution exclusivement masculine, une amitié adulte, sans
doute trop insistante, bien que honnête et désintéressée, telle une sorte de
substitut à un désir de paternité refoulé par la prêtrise.
Toutefois, pendant longtemps, le contexte est encore à la frivolité dans
ce genre d’intrigue ou, du moins, à la sublimation littéraire. Des œuvres
phares vont dans ce sens en empruntant largement à des faits
autobiographiques, comme le fait Roger Peyrefitte en publiant en 1945 Les
Amitiés particulières. L’histoire a également pour cadre un collège
catholique où, dès le début de l’année scolaire, il est recommandé d’éviter
ce type de liens amicaux qui se changeraient trop aisément en sensualité.
Le discours sur la chasteté est sans cesse sur les lèvres d’un prêtre au
comportement ambigu, donnant comme modèle à ses élèves Nicolas de
e
Tolentino (un moine du XIII siècle) qui, à l’âge de 14 ans, conservait sa
chasteté en portant ceintures de fer et cilices. Cet enseignant est renvoyé
sans qu’on sache si, en recevant des élèves dans sa chambre, il allait
jusqu’aux actes. Le propos de Peyrefitte demeure sobre en insistant sur la
pureté et le caractère platonique des amours adolescentes.
Plusieurs écrivains ont sans aucun doute contribué « à leur manière à
ce que les relations sexuelles entre adultes et mineurs apparaissent
93
progressivement dans l’espace public   ». André Gide, Michel Tournier,
François Augiéras, Gabriel Matzneff ont exprimé leur fascination pour le
corps des garçons et des filles prépubères, en faisant peu ou prou l’éloge et
la défense de la pédérastie. La critique littéraire, les plateaux de
télévision  et  leurs présentateurs vedettes accueillent alors avec
complaisance des auteurs qui avouent leur préférence pour les garçons et
les filles de moins de 16 ans.
Il est vrai que les années 1970 se sont distinguées par une « exaltation
de la liberté et de l’érotique puérile ». C’est le temps d’un rapprochement
momentanément assumé entre homosexualité et pédophilie, ce que montre
nettement le glissement de sens du terme pédéraste, qui n’est plus limité
au sens précis de la pédagogie antique mais désigne indifféremment et de
manière péjorative tout inverti. En 1979, le magazine homosexuel Gai Pied
dénonce les inculpations pour attentats à la pudeur comme «  psychose
venue de notre société libérale refoulée » et fulmine contre des « procès de
mœurs qui tournent au procès de la marginalité  ». Poursuivre «  ceux qui
aiment les enfants  » serait donc l’une des formes de la répression de
94
l’homosexualité . En 1977, des journaux comme Le Monde ou Libération se
sont émus de la sévérité requise contre des inculpés pour attentats à la
pudeur contre mineurs. La même année est fondé le « Front de libération
des pédophiles  » afin de s’associer à la lutte des enfants qui veulent
changer la société, obtenir l’autonomie sexuelle et faire exister la
pédérastie. Aimer les mineurs passe pour une question de goût, accepté au
nom du droit à la différence. La sexualité sans aucune contrainte, même
face à des enfants, a été revendiquée par le discours libertaire des années
1960-1970. La culture occidentale peine encore à se dessaisir d’une
certaine complaisance vis-à-vis des liaisons ambiguës que prône la
pédérastie.
Tout change durant les années 1980, quand se multiplient les
dénonciations de cas d’incestes et la mise au jour de réseaux qui font
circuler les films pornographiques ou exploitent la maltraitance sexuelle.
Dès lors, les voix prônant la pédophilie se font très discrètes. Dans son
livre, A.-C. Ambroise-Rendu met cette évolution en lien avec la levée du
tabou de l’inceste. En effet, en 1989 est promulguée une convention
internationale sur les droits de l’enfant qui vise aussi et surtout les
violences sexuelles domestiques et les sévices sexuels dans les familles. La
grande innovation consiste à donner désormais la parole aux victimes et
aux meurtrissures psychiques et physiques qu’elles subissent. Il est venu le
temps de rompre avec les clichés complaisamment ressassés, comme celui
du vieillard lubrique ou du marginal attardé. Désormais, le délinquant
sexuel est un proche, le père des enfants, un voisin, un ami de la famille,
un enseignant ou parfois un prêtre…
En France, la loi est modifiée en 1989 dans le sens d’une redéfinition
du viol qui devient un «  crime  », alors que l’atteinte sexuelle est un
« délit ». À partir de 1994, année de l’entrée en vigueur du nouveau Code
pénal, la terminologie relègue les mots de « mœurs » et de « pudeur », qui
qualifiaient les attentats depuis la loi de 1810, et précise trois sortes
d’infractions  : un crime, le viol  ; deux délits, l’agression sexuelle et
l’atteinte sexuelle. Quant à la pédophilie, elle est définie comme «  un
trouble de la préférence sexuelle ». Et l’« association impensable » s’impose
d’évidence  : le prêtre peut aussi devenir un prédateur et doit être déféré
aux tribunaux laïcs, sa hiérarchie contrainte de renoncer à faire le silence
ou à le protéger. Une première condamnation est prononcée en 2000
95
contre un abbé de Caen et son évêque pour non-dénonciation .
Sur ce point, le Code de droit canonique de 1917 était déjà très
explicite  : si les clercs «  ont commis un délit contre le sixième
commandement avec des mineurs de moins de 16 ans […] ils doivent être
suspendus, déclarés infâmes, privés de tous offices, bénéfice, dignité ou
charge qu’ils pourraient avoir et, dans les cas les plus graves, ils doivent
96
être déposés  ».
Depuis 1962, les instructions aux évêques connues sous le nom de
Crimen sollicitationis rappellent la procédure à suivre pour appliquer ces
normes disciplinaires. Son caractère confidentiel a suscité de nombreuses
critiques comme si l’autorité ecclésiastique voulait occulter les faits et les
soustraire à la justice civile. Il s’agit plutôt d’un réflexe suranné de
protection des personnes impliquées qui, en l’occurrence, profitait surtout
aux prêtres accusés. C’est tardivement que le Saint-Siège a réalisé
l’ampleur du problème et décidé de rompre avec la culture du silence. En
conformité avec le nouveau droit canon de 1983, un décret de 2001
confère à la Congrégation pour la doctrine de la foi toute compétence pour
enquêter sur les fautes graves, tels les crimes pédophiles. En 2001, la lettre
De delictis gravioribus du cardinal Joseph Ratzinger va beaucoup plus loin
encore en contraignant les évêques à prendre enfin sérieusement en
considération les accusations de pédophilie et de s’en remettre à la justice
civile. Les affaires ne peuvent plus relever de la seule juridiction
ecclésiastique. Depuis 2016, toute négligence dans leur dénonciation
devrait être sanctionnée. «  Atrocités  », «  honte  », «  repentir  », volonté
«  d’éradiquer la culture de l’abus  », telles sont les expressions qui,
désormais, font partie du vocabulaire pontifical. Du côté des fidèles
choqués, qui ne supportent plus la « légèreté » de la hiérarchie devant les
révélations accablantes, règnent colère et incompréhension. L’Église se
trouve disqualifiée  et délégitimée. Le prêtre sacré, intouchable et vénéré,
chargé de guider ses ouailles comme le Christ, est devenu « incestueux » en
souillant l’enfant, lui aussi sacré, choyé et sacralisé par la société
97
moderne .
Alors que les dénonciations à Rome étaient rares, voire inexistantes,
avant 2001, on assiste brusquement à leur multiplication, ce qui donne une
mesure de la gravité de la situation. De 2001 à 2010, quelque 3  000
accusations visant des prêtres diocésains ou des religieux pour des crimes
commis durant les cinquante dernières années ont été examinées, la
période des années 1960-1980 étant celle des abus massifs. Seuls 300 cas
(un dixième) ont été considérés comme des actes visant des garçons
impubères, donc de la pédophilie au sens strict, les autres relevant
d’infractions hétérosexuelles ou concernant des jeunes pubères. Au total,
98
600 cas ont été jugés «  particulièrement graves  » par l’institution . Il
convient néanmoins de rappeler que l’Église catholique compte plus de
400  000 prêtres et religieux à travers le monde. Ainsi, aux États-Unis, le
pays le plus touché par le scandale, un rapport de 2004 estime à 4 392 le
nombre de prêtres accusés d’actes sexuels sur des mineurs entre 1950 et
2002. Rapportée aux 109  694 prêtres en fonction durant toute cette
99
période, la proportion est de 4 %  ! En France, pays protégé par sa laïcité
et par ailleurs très déconfessionnalisé, les comportements sexuels
répréhensibles concernaient déjà 0,5  % des prêtres et religieux en 2010,
100
une proportion sans cesse revue à la hausse depuis . En Allemagne, où il
faut attendre 2018 pour prendre la mesure du fléau, un rapport révèle que
1  670  clercs ont agressé 3  677  mineurs, majoritairement des garçons de
moins de 13  ans, dans le cadre d’activités pastorales entre 1946 et 2014.
La proportion du clergé concernée est d’au moins 4,4  %  ! Seuls un tiers
101
d’entre eux ont été poursuivis .
Les analystes ont mis en évidence plusieurs facteurs. D’abord que le
célibat et l’homosexualité doivent être dissociés de la pédophilie. Ensuite
que l’immaturité affective est évidente chez les coupables, due à leur
formation en vase clos sans contact avec l’altérité sexuelle, avec l’unique
satisfaction narcissique de la masturbation. Certains ont ainsi pu
rechercher dans le célibat ecclésiastique un statut social, où ils incarnent
une autorité qui confine à l’immunité. Enfin, les institutions ecclésiales
offrent facilement des possibilités d’exercer des responsabilités éducatives
dans les milieux de jeunes. Les internats et autres établissements scolaires
coercitifs fermés et exclusivement masculins tenus par des religieux ont
sans doute constitué des lieux favorables aux abus et à l’impunité.
Il ne s’agit en aucun cas de relativiser la gravité des crimes sur les
mineurs et encore moins d’ignorer la responsabilité de l’Église. Cependant,
il convient de replacer le scandale de la pédophilie ecclésiastique dans un
contexte plus large, celui des agressions sexuelles sur les enfants d’une part
et celui de la fin d’une tolérance complaisamment affichée envers ce que
l’on considérait pourtant depuis longtemps comme des perversions. Ainsi la
maltraitance et les actes sexuels sur des mineurs se déroulent à plus de
90  % dans un cercle familial. Les infractions dans les contextes éducatifs
non religieux et surtout sportifs ne doivent pas être minimisées non plus.
Selon une enquête irlandaise, dans les agressions sexuelles 50,8  % des
agresseurs sont des parents, 34  % des proches et 3,4  % des figures
d’autorité (prêtre, enseignant) 102. Par ailleurs, le nombre de
condamnations pour des délits sexuels a globalement explosé à partir des
années 1980. Rien qu’en France, on en compte six fois plus entre 2001 et
103
2010 que durant les années 1980  !
Faute d’attention médiatique au problème, les autres confessions
chrétiennes échappent en partie à une mesure du taux de prévalence.
Selon un consultant de l’Église presbytérienne aux États-Unis, 10  % du
clergé protestant pourraient être déviants et 2 à 3  % impliqués dans des
104
actes pédophiles . Baptistes, épiscopaliens, mormons mais aussi juifs
orthodoxes ne sont pas épargnés par les abus sexuels, avec la même
105
réticence que l’Église catholique à la transparence . Dans un livre où elle
évoque son propre vécu, une avocate américaine qualifie les communautés
baptistes de paradis pour les prédateurs sexuels 106  ! Dans l’Église
luthérienne allemande aussi, près de 500 cas d’agressions sur des mineurs
ont été signalés depuis 1950 jusqu’en 2018. La plupart remontent à la
période comprise entre les années 1950 et 1970, et les deux tiers
concernent des institutions diaconales où les jeunes sont encadrés. Selon le
journal Die Zeit, l’Église évangélique allemande reconnaît plus de 400
107
cas .
La parole enfin libérée va sans doute multiplier encore les révélations
gênantes pour les institutions ecclésiales. Même si ces dérèglements ne
peuvent pas être associés directement au célibat imposé aux religieux, le
contexte est propice à remettre en cause sa valorisation exclusive et à
repenser les enjeux d’une chasteté mieux assumée.
TROISIÈME PARTIE

Les territoires du sexe
7

Les bouleversements du sensible

Comme on le constate depuis quelques années, les dévoilements


successifs des entorses commises par des clercs soulignent bien la difficulté
et les dérives parfois extrêmes et criminelles produites par le carcan d’une
discipline souvent impossible à respecter, mais pourtant inscrite dans des
règles d’application apparemment rigoureuses et en principe acceptées en
toute liberté vocationnelle. Soumis théoriquement eux aussi à des règles de
morale sexuelle prégnantes dans leur  objet comme dans leur pratique,
comment les laïcs intègrent-ils, transgressent-ils, adaptent-ils, ignorent-ils
ces formes de permis/défendu dans leur vie individuelle ou conjugale ?
Comment saisir, parmi les populations laïques et sur une longue
période, l’observance de la discipline prénuptiale rappelée sans cesse par
l’Église, qui fait du mariage un horizon d’attente chaste ? Entre constance
apparente du discours et fluctuations sensibles des pratiques, tenter de
répondre à cette question centrale nécessite la prise en compte de plusieurs
éléments importants à partir de matériaux parfois difficiles
d’interprétation.
Le premier touche à la longue durée avec ses changements de
perception et de comportements. Le XVIe siècle n’est pas le XIXe siècle, et les
années 1970 ne ressemblent pas tout à fait aux premières décennies du XXIe
siècle. Nulle évolution linéaire en  ce domaine. Et il serait erroné de
soutenir encore que la libération sexuelle des années 1960 a enfin mis à
bas vingt siècles de répression religieuse  ! La dimension géographique
vient se greffer à la réalité temporelle dans la mesure où des attitudes
culturelles, des règles communautaires tolérées par les autorités, des choix
confessionnels, après les Réformes, ont suscité des attitudes sexuelles très
différentes. Par exemple, la comparaison entre la France et l’Angleterre à
propos des conceptions prénuptiales au moins à l’époque moderne est très
révélatrice sur ce point. De même, des initiatives prises ici ne se
retrouveraient pas là.
Mais l’analyse se complexifie un peu plus avec la nécessaire prise en
compte des groupes sociaux. On pense d’abord à la traditionnelle
opposition culturelle entre villes et campagnes qu’il conviendra peut-être
de nuancer singulièrement. D’ailleurs, bien des observateurs bourgeois et
citadins du XIXe siècle déplorent à l’envi la perte du sens moral même dans
les sociétés apparemment fidèles à l’ancienne éthique. Dans La France
pittoresque, Abel Hugo écrit au sujet des paysans de Haute-Loire :

«  Quant aux mœurs, on chercherait en vain cette innocence jadis


regardée comme l’apanage du montagnard et l’heureux
dédommagement des qualités sociales dont il était privé. Le libertinage
s’y déguise peu et l’on y rencontre quelquefois des vices inconnus dans
1
les villes . »

Cette vision idyllique des temps anciens et une possible allusion à la


bestialité restent une reconstruction culturelle de la part d’un milieu urbain
qui, justement au cours du XIXe siècle, valorise très sensiblement la virginité
féminine comme pour la poser en rempart moral contre les catégories
ouvrières souvent adeptes du concubinage. Mais là encore, il ne faudrait
pas opposer trop frontalement classes supérieures et milieux populaires
2
puisque la vertu peut être « la dot des filles qui ne sont pas riches  ».
L’éveil à la sensualité

Par quelles médiations la jeunesse d’hier prenait-elle connaissance de la


sexualité et de ses possibles expérimentations ? Les truchements multiples
ont varié dans le temps selon l’efficacité de la répression institutionnelle et
la volonté éducative des parents. Le cadre quotidien de la famille et du
travail a pu constituer une première voie possible. Les enfants, qui
partagent pendant longtemps la même chambre, voire le même lit,
entendent ou devinent dans le noir les ébats de leurs parents. Le médecin
français Chambon de Montaux affirme que des femmes lui ont avoué « que
les premières émotions qu’elles avaient éprouvées avaient eu pour causes
les témoignages trop tendres de l’amour de leurs parents. Elles m’ont
ajouté qu’elles sentaient bientôt un penchant irrésistible qui les porte à
examiner secrètement tout ce qui se passait entre eux 3  ». Toutefois, la
différenciation progressive des lieux de vie avec la diffusion du besoin de
l’intime pour les adultes urbains impose de ne pas généraliser cette
approche.
Dans les campagnes, les circonstances possibles seraient multiples.
Selon une moraliste du premier XVIIIe siècle, Catherine Villers de Billy,
l’impureté rurale serait facilitée « par la fréquentation qu’ont ensemble dès
le bas âge les jeunes gens des différents sexes et par les occasions que leur
fournit la garde de leurs bestiaux dans la solitude des bois et des champs
où ils n’ont aucun frein qui s’oppose à leur corruption naturelle 4 ». Mais,
en observant l’accouplement des animaux qu’ils gardent, comprennent-ils
vraiment de quoi il retourne, au moins dans un premier temps  ? Si les
enfants peuvent voir, écrit Anne-Marie Sohn, « ils ne relient pas ce savoir à
la sexualité 5 ». À moins d’opérer, comme Rousseau, un rapprochement peu
gratifiant :

« Allant un jour au petit Saconnex par un chemin creux, je vis des


deux côtés des cavités dans la terre, où l’on me dit que ces gens-là
faisaient leurs accouplements. Ce que j’avais vu de ceux des chiennes
me revenait aussi toujours à l’esprit en pensant aux autres, et le cœur
me soulevait à ce seul souvenir 6. »

Les brûlants secrets

C’est davantage la sociabilité juvénile, entre fêtes de village et cours de


collège, qui dévoile plus aisément la connaissance de ces territoires
sensuels inconnus. Les échanges de bavardages, à travers des histoires plus
ou moins fantasmées mais secrètes, appuyées sur l’éventuelle expérience
des plus grands au sein des familles, étaient incontestablement une
pédagogie efficace. Le premier roman libertin français, L’Escole des filles ou
la philosophie des dames, paru en 1655 sous la plume d’un auteur alors
anonyme, fait dialoguer deux cousines, Fanchon, encore naïve sur les
choses de l’amour au début du roman, et Suzanne, déjà délurée, qui se
charge de son éducation en la matière et tente d’abord de faire sauter les
règles établies :

«  Ce n’est qu’une petite peccadille [que de faire l’amour avant le


mariage] que la jalousie des hommes a introduite dans le monde, à
cause qu’ils veulent des femmes qui ne soient qu’à eux seuls. Et si les
femmes gouvernoient aussi bien les Églises que font les hommes, elles
auraient ordonné bien le contraire 7. »

Avant de lui dévoiler son propre et riche savoir en la matière, Suzanne


ne manque pas de souligner l’importance du secret et de la duplicité au
regard de la société des gens mariés et des parents :

«  Ne parlant que de choses bonnes et honnêtes, tu seras louée et


estimée de chacun [alors que] la connaissance intérieure que tu auras
expérimentée en cachette te donnera une certaine petite joie 8. »
Peu à peu, la hardiesse de l’élève concrétisera les leçons de la
maîtresse 9.
Ce sont aussi les bribes de connaissance partagées, sédimentées,
amplifiées qui peuvent constituer un socle où l’imagination, si redoutée des
pédagogues des XVIIIe et XIXe siècles, enflamme aisément les jeunes esprits
et, selon une misogynie bien comprise, plus encore celui des filles. Le
médecin Étienne Labrunie résume parfaitement la chose pour s’en
alarmer :

« Si elle est liée avec de jeunes personnes de son sexe, elle peut en
recevoir quelques éclaircissements, elle leur en communique à son tour
et alors, rassemblant leurs idées et leurs différentes lumières, leur
imagination se procure de nouveaux matériaux et agit avec plus de
force et conséquemment avec un danger plus grand pour leur santé 10. »

À leur tour, les jeux entre filles et garçons souvent sexuellement


connotés constituent un terreau initiatique favorable. Nicolas Restif, dans
Monsieur Nicolas, décrit ainsi le jeu du loup pratiqué par des adolescents de
la campagne bourguignonne à la fin du XVIIIe siècle :

« Toujours réservé dans l’obscurité, on plantait un piquet en terre,


on y attachait une longue corde, on choisissait le premier loup, on
l’attachait à la corde ; on lui bandait les yeux puis on s’écartait. Alors
on lui jetait, les garçons leurs chapeaux ou leurs bonnets  ; les filles
leurs tabliers ou leurs fichus roulés et jusqu’à des camisoles et des
corsets. Le loup devinait à qui appartenait le chapeau, le tablier, le
fichu, ou il le mettait au pied de son piquet s’il ne le devinait pas ; on
tâchait alors de les reprendre. Mais s’il avait deviné un garçon, celui-ci
était loup à son tour ; au lieu que si c’était une fille, elle nommait un
garçon pour la remplacer. Si le loup saisissait un garçon
personnellement, il le rossait ; si c’était une fille, il la mangeait : c’est-à-
dire qu’il la fourrageait assez librement. […] Lorsque j’allai jouer au
loup pour la première fois, nous n’étions que des enfants et tout se fit
avec innocence. Mais ayant été deviné, je trouvai tant de plaisir à mon
rôle que j’aurais voulu le faire toujours. Le jeu de loup me familiarisa
11
promptement avec les filles . »

Plus d’un siècle et demi plus tard, les activités ludiques continuent,
semble-t-il, d’être des occasions de découverte. En avril 1948, la jeune Bab,
âgée de 15 ans, écrit dans son journal que, lors de soirées entre filles et
garçons, ils ont « joué à l’assassin. Gérard profitant de l’obscurité pour me
caresser doucement les bras […]. Après, nous avons joué aux petits papiers
puis au portrait puis à mimer des scènes d’amour. Puis à cache-cache dans
le noir. Le pire a été le jeu du tapis. Les garçons éteignaient la lumière
pendant qu’on s’embrassait. On ne voyait donc pas ce qu’on faisait. C’est
ainsi qu’ils m’ont tous embrassée dans le cou 12 ».
Ces amusements, parfois plus ponctuels, qui émoustillent n’en
demeurent pas moins les marqueurs indélébiles des premiers émois. En
1749 ou 1750, le prince Charles-Joseph de Ligne, à peine âgé de 15 ans,
fut mené à un bal du théâtre :

«  Deux petits masques s’emparèrent de moi. C’était du feu pour


mon cœur et mes sens. J’étais hors de moi. On me serrait, m’agaçait,
me tourmentait, me caressait, m’inspirait. Heureusement pour mon
innocence, monsieur de La Porte me découvre et vient me tirer du plus
charmant des précipices. Mais que de pensées, de désirs, de désordre
dans ma tête et dans mon âme ! Il me fut impossible d’étudier de deux
jours. Je dis que j’avais une migraine affreuse  ; je restai couché deux
fois vingt-quatre heures mais, hélas, je n’y dormis pas 13. »

À ces possibles initiations collectives s’ajoutent des rencontres plus ou


moins traumatisantes puisqu’elles mettent face à face des individus, soit
deux jeunes, soit, plus difficilement encore pour celle ou celui qui ne sait
pas vraiment, un jeune et un adulte. En 1735, le jeune Giacomo Casanova
en pension à Padoue éprouve un sentiment réel mais encore diffus pour
une dénommée Bettine de trois ans son aînée. Un matin, elle lui fait
remarquer la saleté de ses cuisses avant d’entreprendre de les laver :

«  Bettine assise sur mon lit poussa trop loin son zèle pour la
propreté et sa curiosité me causa une volupté qui ne cessa que quand
elle se trouva dans l’impossibilité de devenir plus grande. Me trouvant
calme, je me suis avisé de me reconnaître pour coupable, et je me suis
14
crus en devoir de lui demander pardon . »

Pour sa part, Nanette, fille de 15 ans, a déjà de réelles notions sur la


nature des relations sexuelles, lorsqu’elle entreprend le naïf Nicolas Restif,
âgé seulement de 10 ans et demi :

«  Dans un instant où j’étais caché tout au fond de l’étable aux


mules, Nanette vint doucement derrière moi, me surprit et me prenant
les deux mains : “Il faut que je vous embrasse à mon aise”, me dit-elle
en riant. Je feignis de vouloir me débarrasser, ce qui redoubla son
envie. Elle me pressa contre son sein, le plus beau que j’eusse encore
vu. Vivement ému, je l’embrassai moi-même. Alors Nanette parut
comme saisie d’une fureur utérine  ; elle me serra, s’empara de tout
mon être et me fit palper tout le sien. […] Elle pâlit, ses genoux
fléchirent ; elle me pressait et repoussait tour à tour. Enfin, il lui prit un
tel accès d’érotisme qu’elle voulut être possédée, et elle en prit les
moyens ; nouvelle Sapho, elle aida la nature, la fit agir et causa en moi
un bouleversement inconnu. À ce moment terrible de la première crise
de la reproduction, je m’évanouis. En revenant à moi-même, je me
15
trouvai inondé . »
Même si l’auteur des Nuits de Paris a pu procéder à une autre
composition écrite du réel, il avoue cependant au terme de la narration :

« Je n’avais moi-même qu’une connaissance confuse de ce qui s’était


passé et me rendis chez nous triste. »

C’est un sentiment plus traumatisant encore que ressentent d’autres


jeunes, parfois au seuil de l’adolescence, devant les initiations forcées qu’ils
subissent. Parmi de nombreuses illustrations possibles, on en citera trois
pour leur exemplarité. Dans ses Mémoires particuliers, la future
Mme  Roland, née Jeanne Marie Phlipon (1754-1793), évoque clairement
les avances successives qu’elle avait dû affronter vers l’âge de 12 ans (à la
fin de la décennie 1760) de la part d’un graveur d’une quinzaine d’années,
élève de son père. Un soir qu’elle se rendait dans l’atelier, «  il paraissait
travailler seul. Je m’approchais pour recevoir ce que je demandais  ; il
prend ma main, comme en jouant et, la tirant sous l’établi près duquel il
était, il me fait toucher quelque chose de fort extraordinaire. Je fais un cri
en m’efforçant de la retirer ; il se met à rire sans la relâcher en criant tout
bas : “Mais paix, donc ! De quoi avez-vous peur ? Quelle folie ! Est-ce que
16
vous ne me connaissez pas  ?” ».
S’engage alors un dialogue d’incompréhension qui va troubler plus
encore la petite Phlipon. Alors qu’elle reproche à l’apprenti d’avoir fait une
vilaine chose, ce qui traduit sa connaissance d’une norme morale même
floue, celui-ci répond  : «  Votre maman joue bien ainsi avec votre papa et
n’a pas peur », avant d’ajouter : « Ils s’y prennent différemment ; je vous le
dirai si vous voulez.  » Ce à quoi elle répond par un  : «  Je  ne veux pas le
savoir.  » À ce premier traumatisme d’apprentissage, la mère de Jeanne-
Marie en ajoute un second. Sa fille ayant fini par se plaindre de nouvelles
avances du garçon, sa mère «  fit tout intervenir, religion, vertu, honneur,
réputation, avec la chaleur d’une âme pénétrée pour faire servir les
dangers que j’avais courus au plus sûr préservatif qu’il fût possible de me
donner ». Et d’ajouter un « Je me crus perdue » qu’il faut entendre à la fois
comme la perte d’une réputation qui entacherait l’honneur de la famille et
comme celle de son propre salut.
Pour sa part, c’est à ce qui aurait pu s’apparenter à un viol qu’échappe à
l’âge de 15 ans (1738) la future grande comédienne Claire Josèphe
Clairon, du moins selon ses dires. À Rouen, un dénommé Gaillard, avec
l’aide involontaire d’une « vieille servante », réussit un matin à entrer dans
sa chambre :

«  J’étais encore couchée. J’étudiais, il faisait chaud, nul bruit


m’avertit de réparer mon désordre ; ma chemise et mes cheveux étaient
ma seule couverture. Cette vue ne lui permit pas de rester longtemps
maître de lui-même. Il accourut, voulut me prendre dans ses bras. J’eus
le bonheur de m’échapper. Mes cris firent entrer la servante et une
voisine. Nous prîmes les balais, les pelles et chassâmes ce
17
malheureux . »

Ici, c’est semble-t-il l’agression délibérée qui sert de révélateur sinon


aux intentions sexuelles de l’adulte, puisque Clairon affirmait plus haut
dans le texte sa totale ignorance en ce domaine, du moins à la violence
physique dont elle était soudain devenue l’objet.
Le dernier exemple concerne Rousseau, victime à plusieurs reprises
d’attentat à la pudeur dans des espaces privés mais dont seul le premier a
valeur fondatrice. Lorsque sa protectrice Mme de Warens, qui plus tard le
« déniaisera », l’envoie en 1728 à l’hospice des catéchumènes de Turin, le
jeune Genevois, déjà âgé de 16 ans, fait encore preuve d’une réelle naïveté
sexuelle. Seul un matin avec un « faux Africain », il lui arrive une « petite
vilaine aventure » :

« Il recommença ses caresses, mais avec des mouvements si violents


qu’il en était effrayant. Enfin il voulut passer par degrés aux privautés
les plus malpropres, et me forcer en disposant de ma main d’en faire
autant. Je me dégageais impétueusement en poussant un cri et faisant
un saut en arrière, et sans marquer ni indignation ni colère, car je
n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait, j’exprimai ma
surprise et mon dégoût avec tant d’énergie qu’il me laissa là  : mais
tandis qu’il achevait de se démener je vis partir vers la cheminée et
tomber à terre je ne sais quoi de gluant et blanchâtre qui me fit
soulever le cœur. Je m’élançai sur le balcon plus ému, plus troublé, plus
effrayé même que je ne l’avais été de ma vie, et prêt à me trouver mal.
Je ne pouvais comprendre ce qu’avait ce malheureux. Je le crus saisi du
18
haut mal ou de quelque frénésie encore plus terrible … »

L’incompréhension dont font preuve ces jeunes gens, au moins dans les
cas évoqués, face à ces comportements douteux et brutaux revêt leurs aînés
d’une image jusqu’alors inconnue en dépit de quelques possibles allusions
échangées avec leurs congénères. Cette mise en avant de l’apprentissage
sexuel de la jeunesse soumise à la perversité des adultes devint d’ailleurs
l’un des thèmes fréquents des romans libertins 19. À une nuance près
cependant. Face à cette «  pédagogie  » contrainte, les filles, en particulier,
ne semblent pas éprouver d’agression mais plutôt une révélation sensuelle
qu’elles vont largement cultiver. Dans le roman anglais de John Cleland
Fanny Hill, paru en 1749, c’est une prostituée de 25 ans qui initie aux
plaisirs de Sapho l’héroïne, âgée d’à peine 15 ans, échouée dans un bordel
de Londres mais « encore innocente » :

« Les libertés qu’elle prenait n’éveillaient en moi d’autres émotions


que celles d’un plaisir étrange que je n’avais alors jamais éprouvé. Elle
tenta d’approcher le poste principal, elle commença alors à s’insinuer
par petites saccades et, au bout du compte, à forcer l’entrée en
introduisant un doigt dans le vif du sujet. Ses attouchements lascifs
avaient allumé un feu nouveau et impudique qui courait dans toutes
mes veines. Je fus, ce soir-là, exposée aux premières étincelles de
nature à embraser mes sens et aux prémices de la corruption 20. »

Les choses devenaient plus simples et moins traumatisantes lorsque le


garçon et la fille d’un plein consentement acceptaient de se connaître. C’est
ce que donne à penser, a posteriori, la secrète remarque du menuisier de
l’Embrunais, Joachim Martin, déjà rencontré, qui se vante d’avoir dès l’âge
de 18 ans cajolé celle qui deviendra la femme de l’adjoint au maire, encore
21
fille âgée de 16 ans .

Les leçons de plaisir

Si les expériences individuelles plus ou moins abouties ont déjà mis fin
à l’hypothétique pureté de l’enfance et sérieusement compromis la chasteté
juvénile, la lecture représente un autre moyen solitaire de s’instruire en la
matière en privilégiant des «  livres qu’on ne lit que d’une main  » (Jean-
Marie Goulemot). En effet, pour ceux qui savent lire et peuvent se procurer
des œuvres licencieuses ou romanesques, le livre devient un truchement
e
important dans l’apprentissage sexuel. Déjà au XVI siècle, Brantôme, dans
Les Dames galantes, estime que bien des filles «  se sont jadis esmemes,
polluées et dépucellées par la lecture des Amadis des Gaules  ». Pour sa
part, le prédicateur André Valladier pense aussi que les filles saisies « de la
fureur vénérienne  » le doivent «  aux imaginations, aux poésies, peintures
22
amoureuses et à la lecture des Amadis   ». Plus ouvertement, L’Académie
des Dames (1680) se donne pour objectif affiché d’offrir «  des leçons de
plaisir  » aux jeunes vierges en attente de connaissances et de sensations
23
érotiques . On sait aussi que dans les collèges, malgré la surveillance mise
en place, les élèves externes fournissaient aisément des ouvrages
« interdits » aux internes. Edmond Ourliac explique que « c’est l’externe qui
procure le livre défendu, qui prend ses livraisons à mesure chez le libraire
24
et qui lui loue au cabinet de lecture du coin le roman à la mode  ».
Au sein des milieux aristocratiques ou bourgeois, la présence d’une
bibliothèque familiale constitue une autre possibilité pour des explorations
fortuites et interdites. Vers 1805, la jeune Anne Lister, née en 1791,
membre de la gentry, avoue dans son Journal s’être masturbée en lisant la
25
sixième satire de Juvénal . Plus discret, Jules Michelet, du haut de ses 13
ans, découvre un livre, La Pucelle, s’en empare et poursuit :

«  La crainte d’être surpris ajoutait au plaisir et, en la lisant ainsi


debout, l’oreille au guet, mon sang s’enflammait jusqu’à la fièvre. C’est
peut-être de ce plaisir solitaire que j’ai, dans la suite, trouvé la volupté
dans plusieurs choses faites dans la solitude 26. »

Pour sa part, le peintre Élisabeth Vigée-Lebrun reconnaît que, âgée de


16 ans, son «  bonheur voulait que je ne connusse pas un seul roman. Le
27
premier que j’ai lu, je ne l’ai lu qu’après mon mariage   », soulignant en
creux la dimension moralement nocive de la lecture. C’est ce qui
transparaît aussi du «  brûlant secret  » auquel s’initie le jeune Edgar, un
garçon de 12 ans, personnage d’une nouvelle de Stefan Zweig. Assistant à
la tentative de séduction de sa mère, il s’étonne des efforts que consentent
les adultes pour soustraire un enfant aux desseins amoureux. Car il le
connaît déjà, ce secret :

«  Ce doit être le même devant lequel on m’a toujours fermé les


portes, celui dont on parle dans les livres et dans les opéras, quand les
hommes et les femmes chantent face à face les bras écartés, s’enlacent
et se repoussent. Ce doit être quelque chose comme ce qui est arrivé
avec ma professeur de français qui s’est  si  mal comportée avec papa
qu’on a dû la renvoyer. Toutes ces choses sont reliées, je le sens, mais je
ne sais pas comment. Oh, le savoir, le savoir enfin, ce secret, la saisir,
cette clé qui ouvre toutes les portes, ne pas être plus longtemps un
enfant devant lequel on cache et dissimule tout, ne plus se faire
28
lanterner et tromper  ! »

Nourrie de lectures romanesques similaires, la jeune Lamiel, héroïne du


roman posthume de Stendhal, meuble ses rêveries sur l’amour vers 1830
en Normandie. Désireuse d’en savoir davantage, elle se laisse embrasser
par un jeune homme puis par un autre auquel elle demande de l’emmener
se promener dans les bois, ce que le curé défend absolument aux filles. Elle
donnera de l’argent à un jeune paysan pour se faire besogner en forêt
avant de  s’interroger  : «  Il n’y a rien d’autre  ?  » et, un brin déçue, de
s’exclamer : « Comment, ce fameux amour, ce n’est que ça 29 ! »
On retrouve ce thème poussé à l’extrême chez L’Ingénue libertine de
Colette. Dans ce roman de 1909, Minne, insatisfaite de son mariage, décide
de connaître la jouissance avec d’autres hommes, s’imaginant vivre «  ce
qu’elle a retenu de ses lectures » :

« Toutes les femmes que je connais parlent de ça, dès qu’elles sont
seules ensemble […]. Tous les livres aussi  ! Et il y en a qui sont d’un
formel  ! Celui d’hier encore […] Elle ouvre un volume tout moite
d’encre fraîche et relit : Leur étreinte fut à la fois une assomption et un
paroxysme. Alida rugissante enfonça ses ongles aux épaules de
l’homme, et leurs regards exacerbés se croisèrent comme deux
poignards empennés de volupté. Dans un spasme suprême, il sentit sa
force se dissoudre en elle, tandis qu’elle, les paupières révulsées,
dépassait d’un envol les sommets inconnus où le Rêve se confond avec
30
la sensation . »

Dans sa grande étude déjà citée, A.-M. Sohn souligne pourtant


l’importance de l’inconnaissance des jeunes filles. Sur les 182 dossiers
d’affaires de viols, d’attentats à la pudeur et de mauvais traitements
parentaux, elle rencontre 99 jeunes filles (49 %) sans aucune connaissance
des choses de la vie, 30 (16,5  %) avec des connaissances floues et 63
(34,5 %) plutôt informées, ayant intériorisé les prohibitions et les barrières
à ne pas franchir dans les gestes et les contacts avec l’autre sexe. Plusieurs
témoignages de fillettes qui ont subi des viols laissent entendre qu’elles
n’ont pas compris ce que voulait leur agresseur, embarrassées pour
désigner le pénis, cette «  affaire  », ce «  morceau de viande  », cette
« carotte ». En 1937 encore, après avoir examiné une jeune fille enceinte,
un médecin rapporte :

« Quand elle fut déflorée, elle ne connaissait rien aux choses de la


sexualité et ne savait pas à quoi elle s’exposait. Elle ignorait encore
comment venaient les enfants 31. »

Lorsque les victimes ont une vague connaissance des « vilaines choses »
ou des « saletés » que l’on voulait leur faire, la connotation avec l’interdit
est évidente et renvoie au « péché », notion que leur éducation religieuse a
fortement ancrée, si bien que tout geste prohibé, même forcé, peut
s’apparenter pour certaines à «  un consentement au péché  ». Dans le
subconscient des prévenues, le péché par excellence est la luxure. L’auteure
de la recherche comptabilise 65 témoignages qui « associent explicitement
sexualité et péché  » et 116 implicitement par le biais du qualificatif de
« sale 32 ». Une telle connotation démontre que la pudibonderie généralisée,
aussi bien dans les milieux urbains qu’à la campagne, tend à  répandre
«  une image repoussante et dangereuse, dissuasive donc, des relations
sexuelles ». Ce que résume bien une petite phrase d’une fille interrogée en
1870 : « Il me mettait le doigt dans mon péché et après, il […] me mettait
33
son péché dans le mien . »

L’épuisement des sens
Alors qu’elle semble peu évoquée dans les manuels de confesseurs et
les pénitentiels médiévaux jusqu’au XIVe siècle, la masturbation va devenir
peu à peu l’un des grands personnages de la sexualité juvénile au moins
e
jusqu’au seuil du XX  siècle et participer ainsi, au grand jour, des modalités
d’apprentissage du sexe.
Dans ce cas comme pour d’autres pratiques, la saisie de ce phénomène
culturel passe par le filtre discursif et normé. Comme on l’a vu, les
instructions, mises en garde et condamnations produites par le monde
ecclésiastique n’en sont pas moins significatives. Peu important jusqu’au
début des années  1300-1350, le péché de mollesse ou d’impureté, appelé
aussi à partir du XVIe siècle le péché d’Onan, concentra très longtemps une
bonne partie de l’énergie contemptrice des moralistes. La constance avec
laquelle l’Église romaine mena son combat contre l’onanisme ne se
démentit pas au moins jusqu’en 1975. À cette date, à l’encontre de la
psychologie et de la sexologie, qui considéraient cette étape comme
nécessaire, un document publié par la Congrégation de la doctrine de la
foi, avec l’aval du pape Paul VI, condamne sans ambages la masturbation
afin de mettre en garde les catholiques contre « cet acte intrinsèquement et
gravement désordonné ».
Devant cette obsession, et au sein d’un régime longtemps chrétien,
comment se manifeste et se modifie le comportement des individus  ? Si
certains, en raison d’une vive culpabilité, enfouissent l’aveu «  par une
pudeur toujours si forte qu’ils disent ne s’être jamais proposés de se
confesser » (Jean Gerson), d’autres – la plupart ? – avouent « n’avoir jamais
34
entendu dire ni su qu’un tel attouchement était un péché   ». Cette
dernière observation est évidemment très importante pour notre propos.
Elle montrerait à la fois le peu d’impact du discours de la théologie morale
sur bon nombre de baptisés et ainsi la possibilité pour jeunes et adultes de
s’adonner à la masturbation sans crainte peccamineuse. Au tout début du
e
XVIII siècle, Christophe Sauvageon, longtemps curé de Sennely en Sologne,
remarque que « les jeunes gens n’entendent pas ce qu’on veut dire quand
on leur parle du péché de mollesse ou de pollution. Il faut leur expliquer la
chose plus intelligemment […] et les interroger ainsi : n’avez-vous pas été
si malheureux que de faire couler votre semence  ? Ils n’entendent par
pensées déshonnêtes que les pensées de manquer de civilité et de respect.
Aussi lorsqu’on les examine sur le sixième commandement, il faut leur
demander s’ils n’ont point été tentés du péché de chair. Les filles ne
s’accusent jamais qu’à la mort de leurs impudicités quoiqu’elles y soient
35
très sujettes  ».
Pour sa part, dans les statuts synodaux qu’il publie en 1744, l’évêque de
Boulogne demande aux confesseurs d’interroger avec précaution les
pénitents «  sur la pollution volontaire, laquelle beaucoup ne pensent pas
qu’elle est comprise parmi les œuvres de chair  ». À l’image du prieur de
Sennely, il est probable que bien des curés auraient pu souscrire à ce
constat. D’ailleurs, ne lit-on pas dans un document de casuistique
condamné par Rome en 1679 la proposition suivante :

«  La pollution n’est pas défendue par le droit naturel. Dès lors, si


Dieu ne l’avait pas interdite, souvent elle serait bonne  ; quelques fois
36
même elle serait obligatoire sous peine de péché mortel  ? »

Si le discours clérical, dans ses constantes, n’a rien de surprenant, le


développement du discours médical, généralement négatif pendant plus
d’un siècle et demi, contribue à renforcer, avec d’autres arguments, la
37
condamnation religieuse . Il s’agit de mettre la jeunesse en garde contre
les dangers parfois mortels de ce qui est désormais considéré comme une
périlleuse épidémie sociale. Même si certains praticiens des années 1830-
1850 estiment que la masturbation n’est pas responsable par elle-même
«  de maladies ayant une forme et une place arrêtée dans les cadres
nosologiques », la plupart s’entendent pour la considérer comme un risque
réel pour le système séminal, entraînant «  la perte de l’attrait des
jouissances avec l’autre sexe 38 ».
Si cette forte opposition médicale à l’onanisme se développe, c’est
parce que les médecins y décèlent un réel danger pour l’espèce.
Contrairement à leurs lointains confrères Diafoirus qui, selon une source
ecclésiastique citée plus haut, n’hésitaient pas à prescrire la masturbation,
c’est bien de proscription radicale dont il est maintenant question,
exemples masculins aussi nombreux que terrifiants à l’appui. Ce type
d’écoulement séminal est d’abord une perte, notion à la fois physiologique
et morale, puisque se trouve remise en cause une sorte d’harmonie et du
corps individuel et du corps social renvoyant inévitablement au spectre de
la dépopulation si largement entretenu par les premiers démographes des
Lumières qui y associaient aussi le recours aux « funestes secrets » (Jean-
Baptiste Moheau) pour tromper la nature. En outre, les médecins
dénoncent fortement cette sollicitation extrême de l’esprit par le biais
d’une imagination qui «  excite les organes  » et affaiblit plus encore les
sujets.
Mais, là aussi, à l’image des condamnations religieuses, la
multiplication et la minutie des descriptions morbides de l’analyse
médicale ont-elles eu un impact sur les populations et lesquelles, tant il
semble que la masturbation était «  la chose du monde la mieux
partagée  »  ? Faute d’éléments quantitatifs décisifs, cette généralisation de
l’onanisme à partir de la puberté garde l’apparence d’une hypothèse
pourtant parfaitement plausible.
Certains historiens comme Jean-Louis Flandrin ou Peter H. Hare
pensent même que la répression des relations hétérosexuelles
anténuptiales et la séparation de plus en plus fréquente des sexes dans les
e
mondes catholique et protestant à partir de la fin du XVII siècle, le tout
soutenu par une menace vénérienne croissante, auraient favorisé une
extension de sa pratique 39. Mais d’une part, cette éventuelle amplification,
sans qu’on puisse la mesurer, montre au moins qu’elle était déjà bien
présente avant cette période. Flandrin avance d’ailleurs un argument
intéressant en remarquant que, dès le XVIe siècle, le péché de mollesse ne
figurait plus dans la liste des cas réservés à l’évêque et de conclure à sa
« fréquence parmi le peuple 40 ». D’autre part, on sait quand même qu’il a
toujours existé un hiatus entre le prescrit et le vécu. Pourtant, on voit mal
comment s’opère cette séparation des sexes, notamment dans les
campagnes. De son côté, Edward Shorter, sans véritable démonstration,
semble plaider à la fois pour une réelle chasteté de la jeunesse rurale et
pour une distinction sociale assez nettement marquée au sujet des plaisirs
solitaires. Face à des campagnards «  dépourvus d’érotisme avant les
années 1750 », l’onanisme aurait singulièrement crû parmi les adolescents
41
accédant à l’enseignement secondaire .
Il est vrai que la dénonciation des pratiques sexuelles dans les lieux
clos – collèges et académies militaires – devient un leitmotiv de la part des
e
éducateurs ou des moralistes. À la fin du XIX siècle, dans un roman
largement autobiographique, l’aumônier du lycée fréquenté par le jeune
Paul Vaton dans le Haut-Cantal évoque les «  graves périls [qui]
menaceraient bientôt leur adolescence  ». Il en parle avec un tel regard
langoureux que Paul se demande «  ce que signifiaient ces yeux
allusionnels, doucereux, veloutés, excitants comme une énigme 42 ». Selon
les auteurs de l’article dans le Dictionnaire des sciences médicales de 1821,
«  dans les lycées, l’acte de masturbation pour ainsi dire public est avoué
sans honte, exercé sans pudeur presque sous les yeux des maîtres 43 ».
Les exemples sont extrêmement nombreux qui incitent les pédagogues,
e
et ce, dès le XVII siècle avec le développement de l’offre scolaire, à la
vigilance dans les dortoirs qui devraient rester allumés et dans les latrines
dont on devrait mesurer le temps d’occupation. De la même manière, les
promenades souvent bihebdomadaires font l’objet d’une suspicion suscitant
l’appel à une surveillance serrée. Plus tard, après le début du XIXe siècle, on
commencera à réfléchir sur la nécessité accrue de faire du sport et de
porter des vêtements amples appropriés.
Si la masturbation est souvent un acte solitaire, les réunions de
jeunesse, les travaux collectifs et la concentration des pensionnaires ont pu
favoriser des pratiques partagées. Nicolas Restif dit avoir été le témoin de
«  la montre  » entre garçons d’une quinzaine d’années durant sa jeunesse
bourguignonne 44. Parmi d’autres confirmations, on peut puiser deux
exemples dans la littérature médicale du début du XIXe siècle. Duval, doyen
de la faculté des sciences de Montpellier, herborisant dans les Cévennes
vers 1820, se rend « un jour, au milieu d’un bois, [où] cinq ou six jeunes
bergers, assis en rond, se livraient à leurs infamies, en face les uns des
autres. À peine une présence inopinée put-elle les empêcher de
continuer 45 ».
Pour sa part, Pierre Debreyne, ancien médecin devenu trappiste, cite le
témoignage suivant d’un jeune homme :

« J’ai changé quatre fois de pension, et partout j’ai vu ce genre de


libertinage porté à l’excès ; dans celle où j’ai terminé mes études, nous
nous réunissions souvent au nombre de douze ou de quinze pour faire
ce beau manège 46. »

De cette sexualité de substitution, les petits font souvent les frais en


subissant la loi des plus grands, ce qui contribue à leur inculquer le sens de
47
la domination masculine . De là à l’homosexualité juvénile, il ne pouvait
parfois y avoir qu’un pas à franchir, une nécessité à assouvir.
Si ces données concernent essentiellement les garçons, les filles
n’étaient pas toujours étrangères à ces réalités. Et pourquoi auraient-elles
été exclues de l’expérience de l’onanisme d’une manière ou d’une autre,
même si l’ignorance dans laquelle celles de la bourgeoisie ont été
e
maintenues, surtout au XIX siècle, a pu constituer un obstacle pour
certaines  ? Non seulement, en bien des occasions, en ville comme aux
champs, elles pouvaient se retrouver en compagnie de garçons, mais les
pensionnats qui leur furent peu à peu ouverts facilitèrent de semblables
promiscuités et expériences possibles sous couvert d’amitiés particulières 48.
Certains médecins du XIXe siècle avancèrent même que la masturbation
demeurait plus fréquente chez les filles car plus dissimulable et qu’en outre
ces dernières pouvaient user d’un nombre d’objets d’une grande diversité
«  pour se donner du plaisir 49  ». Ce qu’au XVIIe siècle, l’abbé du Prat avait
appelé «  l’intromission extatique 50  ». Réalité ou fantasme masculin qui
vient remplir le silence des sources ? Le comptage effectué par T. Tarczylo à
partir des ouvrages littéraires parus entre 1683 et 1799 souligne pourtant
que la masturbation féminine est évoquée dans les trois quarts des romans
contre la moitié pour sa version masculine, illustrant l’éveil spontané du
désir, devenant même une habitude, notamment chez les religieuses, dans
l’attente d’une relation de couple 51. Autant de marqueurs sensibles
d’expériences plus ou moins semblables écornant singulièrement le respect
de la chasteté.
Enfin, sans qu’il soit possible, ici encore, d’en mesurer l’ampleur ni de
savoir si c’était d’abord des adolescents ou des adultes qui s’y astreignaient,
les hommes des campagnes ont pu s’adonner à la bestialité. C’était,
semble-t-il, souvent le cas parmi les jeunes bergers laissés seuls dans les
alpages avec leurs troupeaux. Très attentif à ses ouailles, le curé de
Sennely, déjà convoqué, écrit à ce sujet :

« Il est très rare aussi qu’ils s’accusent du péché de sod. [sic] et de
bestialité excepté à la mort ou dans les temps de jubilé. Ces infâmes et
détestables crimes ne leur sont que trop communs et ils ont le malheur
de s’en accuser presque jusqu’à la mort 52. »

Jeux de corps, jeux de société

En bonne place dans le catalogue des idées reçues figure la prétendue


prérogative du seigneur à passer la première nuit après les noces dans le lit
de la mariée. Le jus primae noctis du langage juridique est plus connu dans
ses acceptions populaires de cuissage, jambage ou cullage. De telles
utilisations masculines du pouvoir social à des fins charnelles auraient bien
pu n’être qu’une variante ancienne du harcèlement sexuel dénoncé depuis
une trentaine d’années. Las pour les contempteurs de l’oppression
masculine, ledit pouvoir n’a jamais existé et ne sert qu’à nourrir les
fantasmes propres à un Moyen Âge barbare. Dommage pour Beaumarchais
et Mozart. Le célébrissime Mariage de Figaro n’est-il pas largement
construit autour de ce droit du seigneur que le comte entend bien exercer
sur Suzanne, la femme de chambre ? Dans une enquête magistrale, Alain
Boureau a parfaitement déconstruit ce mythe qui avait la  faveur du XVIIIe
siècle, Voltaire lui-même ayant popularisé la  désignation «  cuissage  » et
inventé « jambage », toujours en bonne place, en compagnie de la ceinture
dite de chasteté, dans les anecdotes qui pimenteront les romans historiques
e 53
du XIX  siècle   ! Vers 1860, l’Académie des sciences morales et politiques
entend même un rapport érudit qui présente des documents attestant de
l’existence médiévale d’une taxe perçue par le seigneur au moment du
mariage de ses sujettes. Cette somme aurait correspondu au prix de rachat
du fameux droit jadis en vigueur. Pas du tout, proclament les incrédules, la
taxe relève tout simplement du droit de formariage prélevé communément
par le seigneur féodal quand l’une de ses sujettes épouse un homme en
dehors de la communauté. De même, le rachat du droit de cullage au
bénéfice du seigneur ecclésiastique permettrait au couple d’obtenir la
dispense de la nuit d’abstinence, que la tradition rattache à l’histoire
biblique de Tobie 54. Pour Alain Boureau, les récits concernant le cuissage
relèvent donc de plaisanteries grivoises nées de la vantardise de leurs
auteurs. À moins de les rattacher à des situations complexes cherchant à se
convaincre de l’obscurantisme médiéval ou à dénigrer le droit coutumier
capable de couvrir de telles turpitudes. Reste qu’à l’instar des révélations
qui défraient aujourd’hui la chronique, la crainte de l’abus sexuel subi de la
part des dominants est une constante bien réelle dans toutes les cultures.

Mœurs débridées ?

Attentifs à d’autres coutumes encore, les moralistes du XVIIe siècle puis,


plus tard, les folkloristes ont exprimé leur étonnement face à des pratiques
collectives qui soulignent à la fois la différenciation entre les sexes, les
apprentissages de la sexualité et le passage à l’état adulte. Au fur et à
mesure de leur avancée en âge, les jeunes gens, particulièrement dans le
monde rural, s’intègrent à des usages sinon institutionnalisés, du moins
ritualisés et parfaitement tolérés des communautés concernées, même si
les parents demeuraient conscients des dangers possibles encourus par les
filles.
En Europe occidentale, le plus répandu semble avoir été ce que l’on
nomme en Angleterre le night courship, le bundling au pays de Galles, le
kweesten aux Provinces-Unies, le kiltgang dans les pays germaniques, les
escraignes en Champagne, l’albergement ou la tressaz dans les Alpes
francophones. Ces substantifs synonymes, qu’on trouverait sous d’autres
occurrences en Basse-Alsace, dans le Jura ou en Audomarois, en Finlande
ou en Suède, désignent une sorte de cour nocturne menée par des jeunes
gens qui avait lieu en principe dans la chambre même d’une jeune fille en
âge de se marier. En 1608, le nouvel archevêque de Tarentaise, Anastasio
Germano, décrit clairement les scènes qui s’y déroulent tout en
développant des explications de prélat contre-réformé :

« Le samedi et les jours de fête, les jeunes paysans ont l’habitude de
veiller jusque tard dans la nuit avec les jeunes filles nubiles et, sous
couleur de l’éloignement de leurs demeures, ils leur demandent
l’hospitalité et veulent partager leur lit, ce qu’ils appellent vulgairement
alberger. Celles-ci, après avoir conclu un pacte pour conserver leur
pudicité et ne rencontrant pas d’opposition de la part de leurs parents,
ne leur refusent pas. Elles s’en remettent follement à leur loyauté,
seules à seuls dans le même lit, ayant cependant gardé leur chemise.
Là, malgré le vain obstacle de celle-ci, il arrive très fréquemment que la
fureur sexuelle force ce pacte ridicule et les verrous de la virginité et
que deviennent femmes celles qui peu de temps auparavant étaient
encore vierges. De reste qu’attendre d’autre d’une rencontre nocturne
55
d’amoureux de cette sorte dans une absolue solitude . »
En pays de Montbéliard, la description du même type ne donne pas lieu
à de semblables conclusions :

«  La jeune villageoise attend le samedi ses amoureux et veille


auprès du foyer. Si elle est couchée, elle se relève pour les recevoir et
les introduire auprès d’elle. Celui qu’elle favorise passe la nuit sur le
même lit. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il est rare que ces familiarités
56
aient des suites qui fassent tort à la réputation de la belle . »

Et il semble bien, à la lecture des sources démographiques, que la


virginité plus que la chasteté y ait trouvé son compte. Au cours de son
séjour à Soleure en 1760, Casanova s’étonne auprès d’un chirurgien du lieu
d’avoir vu un jeune paysan entrer par la fenêtre de sa promise pour y
passer la nuit « sans qu’elle lui doive accorder les dernières faveurs » :

« Si elle avait eu la faiblesse de céder à ses désirs, lui répond-on, il


est probable qu’elle ne l’épouserait pas et elle trouverait difficilement
57
un autre époux . »

Cette mise à l’épreuve de la vertu du futur couple constitue une


modalité de surveillance de la part des parents et, au-delà, de la
communauté tout en octroyant apparemment à la jeune fille une
responsabilité d’autant plus importante qu’elle jouait doublement son
avenir matrimonial entre le choix du galant, parmi « tous les jeunes gens
rangés autour de son lit », et la mise à distance réitérée 58. Et ce, même si
« souvent c’est à l’amant que cette victoire coûte le moins », ne manque pas
d’ajouter, un brin misogyne, un observateur de cette coutume dans le nord
de la Hollande à la fin du XVIIIe siècle 59. On précisera quand même qu’il
existait des limites morales probablement intégrées par les acteurs pour
éviter toute consommation charnelle. Dans le monde alpin, le garçon
promettait de respecter la virginité de la fille qui lui permettait de partager
son lit ; en Écosse, on attachait symboliquement les cuisses de celle-ci. Pour
autant, ces rencontres nocturnes étaient initialement destinées à converser
pour que l’ensemble des participants « puissent se faire une idée des divers
60
partenaires possibles qui s’offraient à eux   ». Mais, répétées avant un
éventuel mariage, sans aller jusqu’au coït, elles pouvaient constituer une
voie extrêmement précise des dévoilements possibles du plaisir sexuel au
même titre que d’autres pratiques juvéniles.
Le maraîchinage, géographiquement moins répandu, semblait peut-être
plus hardi encore dans la mise à l’épreuve de la chasteté. Au moins deux
témoignages circonstanciés bien mis en valeur par Jean-Louis Flandrin
permettent de saisir une grande part de la réalité préconjugale dans cette
partie du département de la Vendée 61. Auguste Simonneau, curé de Saint-
Urbain dans les années 1880, et surtout Marcel Baudoin, médecin parisien
originaire de Saint-Jean-de-Monts, au début du XXe siècle, chacun dans son
registre, ont décrit les formes que prenaient ces rencontres intimes entre
jeunes gens que le prêtre présente comme « un passe-temps frivole ».
Tous deux s’accordent sur un certain nombre de traits. D’abord les
lieux. L’auberge ou le cabaret, « dont l’accès [aux jeunes filles] est partout
regardé ailleurs comme une mauvaise note, n’inspire ici aucune
répugnance  », note le prêtre. Baudoin, pour sa part, souligne que les
auberges offrent le cadre principal « soit dans la grande salle soit dans les
chambres à coucher voisines ». Pour le premier, on s’y réunit « moins pour
boire que pour se voir et pour danser ». Pour le second, on s’y attable dans
un coin « en face d’un verre de liqueur ou plutôt d’une tasse de café, des
heures entières en se livrant au maraîchinage les uns à côté des autres sans
ouvrir la bouche, du moins pour prononcer une parole ».
Mais d’autres espaces publics moins propices aux ébats intimes servent
de décor aux fréquentations. Le dimanche après les vêpres, « au milieu de
la foule », les places et les rues deviennent des lieux de rencontre possibles,
alors que les rebords et fossés des routes restent des endroits privilégiés
pour les amoureux. Le médecin décrit ainsi les scènes plausibles :
« Supposez, avant 1914, un voyageur qui, vers sept heures du soir,
revient au mois d’août des courses de Challans. Sur son chemin
rencontre des deux côtés de la route, au bord du talus, d’énormes
parapluies violets, toutes voiles dehors. Qu’en passant en voiture et au
trot tout à côté, il fasse basculer d’un coup de fouet rapide et habile le
parapluie, il apercevra aussitôt un jeune couple, en habits de fête que
la plaisanterie n’aura guère surpris. Les amants ainsi découverts n’en
continueront pas moins de s’aimer. »

C’est un autre trait relevé par les deux observateurs que cette
impassibilité au regard ou aux remarques d’autrui. Ils ne s’inquiètent pas
des passants :

«  Le prêtre généralement respecté, passe. On le salue


convenablement sans se déranger davantage mais il fera bien de ne pas
admonester publiquement ces têtes exaltées. »

Baudoin note à son tour :

«  Ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette coutume, c’est le calme


avec lequel on opère. Les préliminaires sont parfois assez longs mais
rien n’est susceptible d’émouvoir nos amoureux attablés à l’auberge et
surtout abrités derrière le parapluie traditionnel. On a beau les
surprendre, les bousculer, les agacer, leur faire des farces, se moquer
d’eux : ils restent imperturbables. »

Seuls les étrangers au pays, soit géographiquement, soit


culturellement, dérangent par plaisir ou par devoir. En vain. Les acteurs du
maraîchinage poursuivent donc impassibles leurs approches à la vue et
donc sous le contrôle de tous, au moins sur les chemins. Comme s’il existait
ici un espace de liberté, fruit d’un accord tacite entre les familles, les
communautés ou les jeunes pour laisser ces derniers poursuivre des
expériences à la fois personnelles et inscrites dans les coutumes locales
traditionnelles. Contrairement à Edward Shorter, J.-L. Flandrin plaide avec
62
de forts arguments pour l’ancienneté de la coutume .
Ce qui se déroule derrière les talus ou, plus encore, au fond des
auberges reçoit alors un traitement assez différent chez les deux
«  ethnographes  ». Le curé parle de fréquentations «  dangereuses pour les
bonnes mœurs  », ailleurs de «  frivolité  », ailleurs encore «  de ferventes
accolades  ». Peut-être sa retenue toute ecclésiastique impose-t-elle
l’euphémisation des quelques annotations relevées. Le praticien, mêlant
description réaliste, diagnostic médical et doute professionnel, offre au
lecteur un long développement des scènes d’auberge avec des précisions
parfois toutes cliniques non dénuées d’observations conditionnelles que
l’emploi de pronoms impersonnels laisse un peu perplexe :

«  Le Maraîchin commence par embrasser sur les lèvres sa “bonne


amie”  ; et celle-ci lui rend son baiser avec un égal entrain. Quand
l’accoutumance est obtenue, on va un peu plus loin. On se serre  ; on
s’enlace ; on se roule sur le lit ! […] Et bientôt, à ce petit jeu, d’abord
sans conséquences, succède un éréthisme nerveux, local, qui, par
l’intermédiaire des centres, retentit rapidement sur les organes
génitaux de l’un et l’autre sexe. Cela va même si loin, quand il s’agit de
maraîchins ardents, et non encore blasés sur les… avantages de ce flirt
buccal, que très souvent une sensation voluptueuse s’ensuit, et pour la
femme et pour l’homme. On prétend même qu’il y a parfois éjaculation
véritable chez l’homme sans attouchement ou frottement local […].
Certains prétendent qu’à un moment donné la jeune fille énervée ne
résiste plus et qu’elle est à la merci de son galant. Celui-ci, dans ces
conditions, la masturberait à différentes reprises, cela pendant
plusieurs heures et presque sans relâche. En tout cas, jamais, à
l’auberge, il n’y aurait coït vrai. On dit aussi que la jeune fille se livrait
elle-même à des attouchements de la verge de son amant ; mais je me
permets de douter beaucoup de cette masturbation génitale
particulière, au point de vue de la coutume générale, s’entend […]. En
réalité, il n’y a guère là, à mon avis, qu’une masturbation buccale
réciproque. La sensation voluptueuse n’est obtenue que par
l’intermédiaire d’une muqueuse non génitale et du système nerveux
63
central . »

Ce type de rapports sexuels doublement répréhensibles au regard du


moralisme chrétien du temps n’était pas limité à cette petite région du
marais du Monts. De semblables attouchements ont été signalés non
seulement dans les cantons de Bressuire et de Parthenay du département
limitrophe des Deux-Sèvres, mais encore dans la zone du bocage vendéen
que l’historiographie religieuse et politique a longtemps opposée à celle du
Marais. Ailleurs aussi, dans certaines régions d’Angleterre, dans les Côtes-
64
du-Nord, en Basse-Bretagne, on peut relever des pratiques similaires . De
manière très explicite, un texte médical réprobateur de 1877 décrit un type
de relations proches dans la jeunesse rurale du Pas-de-Calais en certaines
occasions :

«  Lors d’une union matrimoniale entre campagnards d’une classe


peu élevée, les gens de la noce, jeunes filles et garçons, deux à deux,
après le repas nuptial et avant le bal, se retirent dans une chambre,
quatre, cinq ou six groupes ensemble, et là, après les quolibets d’un
goût équivoque, ils se trouvent adroitement plongés dans l’obscurité.
Les jeunes gens alors prennent leurs compagnes sur leurs genoux, et les
jeunes filles qui se livreraient à peine pour un empire à leurs
amoureux, se laissent, tant leur pudeur est élastique, manuéliser avec
65
plaisir . »

Ces observations à distance sur la multiplicité des comportements


sexuels « débridés » de la part d’une jeunesse rurale rustre ne pouvait que
susciter non seulement la critique morale des mondes religieux et
médicaux, objectivement unis une fois encore, mais provoquer aussi leur
répression plus ou moins efficace. Concernant les albergements et autres
night courtship, les condamnations ont été précoces puisque l’évêque
Germonio, déjà cité, excommunie les acteurs de ces rassemblements
nocturnes dès 1609. Sans beaucoup de succès, semble-t-il, puisque dans les
constitutions synodales du diocèse de Tarentaise publiées par Mgr Antoine
Rochaix en 1832, il est expressément demandé aux curés de ne rien
«  négliger pour faire disparaître de leurs paroisses l’abus funeste des
courses nocturnes, celui des veillées secrètes et les fréquentations entre les
personnes des différents sexes. Ils refuseront l’absolution aux jeunes gens
qui se montreront indociles à leur avis sur ce point ainsi qu’aux pères et
66
mères  ».
Quelques années plus tard (1835), son confrère d’Annecy, Mgr  Rey,
prenait des dispositions disciplinaires semblables. De leur côté, les
autorités civiles, du duc de Wurtemberg qui condamne fermement en 1772
ces rencontres « illicites » dans son pays de Montbéliard aux maires de la
IIIe République, ont aussi tenté de les éradiquer. Sans pour autant
bouleverser radicalement, semble-t-il, ces mœurs rustiques au moins
e
jusqu’à la fin du XIX siècle. Pour le marais vendéen, Baudoin, on s’en
souvient, évoque une période antérieure à 1914, ajoutant : « Aujourd’hui, il
serait peut-être un peu difficile d’assister à des scènes semblables parce que
tout se perd.  » Plus prosaïquement, la disparition de la cour nocturne en
Scandinavie serait due à l’ouverture des villages à la fois en raison de
l’arrivée d’hommes itinérants comme les bûcherons, qui, peu concernés par
le système, pouvaient abuser des filles sans les épouser et grâce au
développement de la bicyclette permettant à certains jeunes d’échapper à
67
la pression communautaire .
Pourtant, on ne peut que constater la pérennité de l’ensemble de ces
apprentissages sexuels à travers l’Europe occidentale sans pour autant
pouvoir en préciser leur véritable durée. Il convient juste de remarquer que
les observations relatives aux mœurs sexuelles des jeunes s’amplifient
après 1750 un siècle durant. Sans multiplier les exemples, on citera
quelques extraits de rapports rédigés par des fonctionnaires au sujet de la
Bavière catholique des années 1830-1850. Dans les campagnes de Haute-
Franconie, remarque l’un d’eux en 1833, « une fille qui a réussi à conserver
sa virginité jusqu’à l’âge de 20 ans constitue une exception et n’est pas le
moins du monde estimée de ses contemporains ».
Et en Basse-Franconie, quelques décennies plus tard :

«  Chaque fois que les célibataires, garçons et filles, vont ensemble


au bal ou à quelque distraction publique et […] dans le comté
d’Altötting, le fait d’avoir enfanté avant de se marier n’y est pas
68
considéré comme un péché . »

La succession de ces rapports entre 1750 et 1850 vise-t-elle à susciter


des sanctions efficaces  ? Ou, au contraire, désigne-t-elle cette période
comme une sorte de révolution sexuelle, notamment pour ce qui est de
l’apprentissage du plaisir comme le proposait jadis Shorter ? Probablement
pas puisque, en dépit des tentatives de répression parfois réussies, les
diverses voies de la cohabitation juvénile dans le monde rural favorisèrent
le maintien de ces pédagogies mutuelles. En réalité, ce sont deux
approches du mariage mais aussi du péché qui s’affrontent alors  : d’un
côté, une conception religieuse avec la sacramentalisation réitérée de
l’union et l’insistance sur une disciplinarisation des corps qui impose
l’abstinence totale avant les noces ; de l’autre, une conception coutumière
qui faisait de ces expérimentations une possible propédeutique
matrimoniale. Même si, en particulier dans le maraîchinage et ses
déclinaisons locales, les couples qui se formaient à cette occasion n’étaient
pas nécessairement ceux qui s’uniraient officiellement.
Outre ces «  pratiques d’attente  » (Flandrin), il y eut dans de
nombreuses régions d’Europe occidentale des coutumes qui permettaient la
cohabitation des futurs mariés une fois les parents accordés sur les
e
conditions du mariage. La coutume du comté de Leicester, à la fin du XVI
siècle, est particulièrement claire :

«  Tout homme demandant une femme en vue du mariage est ce


même jour requis de mener à conclusion le mariage déjà négocié. Si le
mariage est conclu et convenu, l’homme demeure la nuit qui suit le
69
contrat. Autrement, il doit partir sans rester pour la nuit . »

e
Au Pays basque au moins jusqu’au milieu du XIX siècle, ces sortes de
fiançailles non religieuses permettaient à celui qui était agréé par les
parents de sa maîtresse de se voir ouvrir la maison la nuit. Déjà, au début
du XVIIe siècle, le magistrat bordelais Pierre de Lancre, enquêtant en pays
de Labourd, signale, comme une marque d’infamie diabolique, la liberté
que les hommes prenaient « d’essayer leurs femmes quelques années avant
de les espouser et les prendre comme à l’essay fait qu’ils ne leur touchent
70
guieres le cœur  ».
Lors de la publication des statuts synodaux du diocèse de Grenoble,
Étienne Le Camus, à la fin du XVIIe siècle, vilipende une telle pratique :

«  La demeure commune et la fréquentation trop familière des


personnes fiancées leur étant souvent une occasion de péché et
donnant lieu à beaucoup de privautés contraires à la bienséance et à
l’honnêteté chrétienne, les curés auront soin que les fiancés soient
séparés d’habitation et si les deux parties demeurent ensemble sous le
même toit, ils suspendront la publication des deux derniers bans
jusqu’à ce qu’ils soient actuellement séparés 71. »

C’était aussi, là comme ailleurs, en Corse ou dans certaines régions


d’Angleterre, un moyen de s’assurer de la fécondité du couple.

Le flirt
Les bals, les pèlerinages locaux ou les fêtes nocturnes constituaient des
cadres propices pour entretenir ces formes de «  libertés  » sexuelles
possibles, codifiées, plus ou moins surveillées mais admises par les
communautés, même s’ils concernaient d’abord les mondes paysans encore
largement majoritaires en Europe occidentale dans les années 1830-1850.
Regardées comme des transgressions inadmissibles par les autorités
religieuses bien avant les années 1750 et comme des incongruités
paillardes par des cercles lettrés urbains, ces multiples initiations souvent
poussées furent de plus en plus tenues pour une contre-culture passéiste
non sans risques. En aucun cas elles ne pouvaient donc être la version
campagnarde du flirt urbain et bourgeois tel qu’il se développe dans la
e
seconde moitié du XIX siècle. D’ailleurs, l’ancienneté de ces rendez-vous
isolés et souvent de nuit, comme leurs manifestations concrètes,
constituent une réfutation claire de cette interprétation 72.
Le flirt, tel qu’il est pratiqué dans les milieux de la bourgeoisie citadine
et de l’aristocratie après les années 1870-1880, est le plus souvent le
prolongement du marivaudage du siècle précédent et de l’amour
e
romantique du premier XIX siècle. S’il concerne d’abord les filles, c’est
parce qu’il doit beaucoup à l’influence de la pédagogie anglo-saxonne dans
sa façon de concevoir leur éducation. À la veille de l’intrusion de cette
nouvelle forme de jeu amoureux, Alexis de Tocqueville note avec
perspicacité dans De la démocratie en Amérique :

«  Il ne faut jamais s’attendre à rencontrer chez la jeune fille


d’Amérique cette candeur virginale au milieu des naissants désirs […]
Les Anglo-Saxons, quoique fort religieux, ne s’en sont pas rapporté à la
religion pour défendre la vertu de la femme ; ils ont cherché à armer sa
raison 73. »

Cette sorte de confiance envers la jeunesse féminine surtout fut très


mal reçue par une partie de la bonne bourgeoisie française. Paul Bourget
tenait cette « cour légère » pour un « périlleux badinage, une petite guerre
entre les sexes où tout n’est que jeu et simulacre  ». Tandis que d’autres
contempteurs dénonçaient l’influence néfaste d’une nation de
« gigantesques épiciers » (Henri d’Alméras).
Si le flirt a une fonction quasi récréative contre l’ennui des jeunes filles,
il possède incontestablement pour beaucoup d’entre elles une dimension
éducative face à cette terra incognita. Certes, la plupart des filles se
contentent de flirter « du bout des doigts » à travers des jeux de regards,
des frôlements, des demi-caresses, voire de secrètes connivences 74. Entre
sourires entendus, faux calmes, complicités troubles, le flirt s’apparente
aussi à une mondanité, car cette forme de sociabilité, comme l’écrit Stefan
Zweig, «  jeu de masques de la concupiscence entre homme et femme
75
retarde toujours l’érotisme, ôte aux paroles leur ardeur  ». Dans un roman
à succès de 1894 qui connut de multiples rééditions, Marcel Prévost
propose le terme de « demi-vierge » pour désigner les « petites âmes fripées
sous leur masque de virginité  » qui peuplent les salons du Paris oisif et
libertin. Ces « chastes frôleuses » côtoient ainsi des hommes « à l’affût de
l’innocence » :

« La première leçon est donnée aux jeunes filles le soir du premier
bal  ; le cours se poursuit pendant la saison  ; vienne l’été, les
promiscuités de la ville d’eaux ou de la plage permettront au
déflorateur professionnel de mettre à son œuvre la dernière main 76. »

La jeune fille le sait d’avance comme elle sait que le déflorateur ne va


pas l’épouser.
D’ailleurs, certaines n’hésitent pas à pousser plus loin leur initiation
sexuelle aiguisée par les premières approches. Ici, cependant, lorsque les
codifications sont au rendez-vous à travers nombre de convenances qu’il
convient de respecter avant de franchir une nouvelle étape, elles
concernent d’abord les individus, contrairement aux jeux amoureux
souvent collectifs des rustiques. Toutefois, le flirt possède avec ces derniers
deux points communs importants  : l’assouvissement d’une curiosité
(féminine  ?), celle «  d’approcher l’homme  »  ; la nécessité de trouver un
mari sans la pression directe des parents ou de la famille.
Mais peu à peu, surtout au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le
flirt quitte les sphères sociales limitées du monde urbain privilégié pour se
« démocratiser » autour de références désormais partagées par les milieux
paysans, ouvriers ou petit-bourgeois. Le désenclavement rapide des
campagnes et, par voie de conséquence, leur ouverture à une autre culture
venue de la ville, l’influence de nouveaux médias, la radio et surtout le
cinéma, vont faire du flirt un autre moyen de rencontre entre filles et
garçons. Et leur premier terrain d’éducation sentimentale. Si les
témoignages soulignent la multiplication des gestes sensuels appuyés sans
aller jusqu’au coït au moins jusqu’à la révolution de la contraception des
années 1970, ils évoquent plus encore sa dimension positive, qui participe
entièrement à l’identité d’un âge bien défini de la vie : celui d’une longue
adolescence.
Bien entendu, la succession de ces voies possibles de la pédagogie des
réalités sexuelles peine à s’inscrire dans une chronologie réglée, peut-être
le flirt mis à part. En effet, le développement qui précède s’est d’abord
appuyé sur des récits de vie d’individus appartenant à des milieux sociaux
relativement, voire très favorisés pour certains. C’est ainsi que la
découverte de la sensualité par le biais de la culture écrite ou le monde des
collèges et des couvents pour jeunes filles ne concernent que certaines
franges supérieures de la société. Plus loin, nous constaterons que c’est
surtout la surveillance accrue des demoiselles bourgeoises durant une
e
bonne partie du XIX  siècle qui finit par limiter considérablement leur accès
aux choses du sexe. Toutefois, plusieurs de ces truchements, dont Nicolas
Restif se fait l’écho, semblent bien être des invariants. Les multiples
observations initialement mystérieuses offertes aux enfants, entre
l’accouplement des parents et les jeux plus ou moins érotisés, entre les
pratiques masturbatoires individuelles ou collectives et les copulations
animales, composent un large éventail possible pour bien des jeunes. Dans
tous les cas, ces informations qualitatives souvent redondantes mais
cohérentes incitent à penser que, dans le cadre d’une liberté et d’un
environnement culturel pourtant variables, de multiples apprentissages
semblaient s’imposer à la jeunesse des siècles passés et écornaient
singulièrement sinon l’idéal de la virginité, du moins la réalité de la
chasteté.
Autour des années 1980, les débats historiographiques sur le sujet ont
d’abord opposé Jacques Depaw et André Burguière puis Peter Laslett et
Edward Shorter à Jean-Louis Flandrin et Peter H. Hare. D’un côté,
Burguière et Laslett soutenaient l’absence de relations et d’expériences
sexuelles avant le mariage, le premier allant jusqu’à émettre une hypothèse
audacieuse faisant intervenir la sublimation de la libido. Si certains
n’échappaient pas aux névroses, l’immense majorité y serait parvenue en
investissant dans la ferveur religieuse et dans la volonté de puissance
77
économique . L’historien démographe anglais affirmait pour sa part que
«  la chasteté s’imposait pendant une partie plus grande de la vie des
individus que de nos jours. D’une part parce que nombre d’entre eux
étaient trop jeunes pour se marier ; d’autre part parce que le mariage, s’il
78
leur était possible, durait moins longtemps  ».
Edward Shorter avança une affirmation proche pour les jeunes ruraux
e 79
du XIX siècle . Et Flandrin de répondre :

«  J’avoue avoir du mal à imaginer comment 95  % des jeunes


paysans d’autrefois parvenaient à cette sublimation dont parle Freud à
propos de quelques intellectuels et artistes des XIXe et XXe siècles. Et je
comprends mal, également, comment, après avoir utilisé la solution de
la sublimation – ou celle de la névrose – pendant dix ou quinze ans, ces
garçons trouvaient en eux les ressources d’énergie sexuelle qui leur
donnaient le goût de se marier et de faire à leurs femmes beaucoup
d’enfants 80. »
Les données rassemblées lui ont largement donné raison.
8

La virginité et la chasteté
à l’épreuve

Des enseignements de la démographie

Les apports jadis novateurs de la démographie historique peuvent-ils


étayer, par le biais des conceptions prénuptiales, la voie qui se dessine et
qui, en dépit de son tracé hiératique, semble bien aller vers la même
conclusion  ? L’information fondée sur des données chiffrées constitue un
support apparemment solide pour la démonstration mais demeure
toutefois limitée. En effet, si la part des conceptions prénuptiales désigne
clairement une activité sexuelle précise et essentielle, le coït, elle ne
renseigne, à ce sujet, que sur une activité précédant les derniers mois du
mariage et ignore les possibles antécédents. En outre, elle sous-estime la
fréquence de ce type d’activités charnelles puisque seul un rapport sur huit
est fécond. Toutefois, ces données permettent de dégager deux formes de
relations sexuelles par rapport au temps des naissances. Entre celles qui
interviennent deux ou trois mois après l’union et celles qui surviennent
sept à huit mois plus tard, on peut discerner parmi les premières des
liaisons «  anciennes  » et, au regard des secondes, «  une impatience de
dernière heure 1  ». Pour leur part, J.-L.  Flandrin puis A. Armangaud ont
estimé que la diminution des premières durant l’Ancien Régime traduirait
une victoire de l’Église à l’encontre de la cohabitation juvénile et que
l’accroissement sensible des secondes serait un  succès en faveur des
mariages de réparation 2. En Italie, quelques éléments pourraient aller dans
le même sens. En effet, les tribunaux sont confrontés à un nombre
important d’affaires où une jeune fille se présente devant les juges pour
dénoncer son séducteur qui a réussi à «  usurper la fleur de la virginité  »
(expressions de 1778) contre une promesse de mariage pour ensuite se
récuser. À Venise, on relève 306 affaires de ce type au XVIIe siècle et 161 au
siècle suivant 3.

Les conceptions prénuptiales

Les données élaborées par les historiens-démographes proposent


globalement de dégager une tendance lourde qui peut se résumer
grossièrement en une augmentation très sensible des conceptions
prénuptiales entre le XVIIe et le début du XIXe siècle au moins. Dans les
villages français qui ont fait l’objet de travaux précis, l’orientation est à un
accroissement spectaculaire. À Tamerville (Cotentin), on passe de 9 % de
conceptions prénuptiales en 1624-1640 à 11,3 % en 1691-1740 et à 20 %
en 1741-1790. À Sainghin-en-Mélantois (Pévèle), l’augmentation est plus
importante encore  : de 15,2  % en 1690-1769 à 36,8  % en  1770-1789.
Ailleurs, la progression demeure elle aussi notable, puisque dans six
villages du canton de Bâle, l’on passe de 15  % en 1750-1760 à 25  % de
1790 à 1800. Même constat pour les campagnes polonaises avec une
e 4
proportion allant de 10 à 30  % au cours du second XVIII siècle . Le
comportement des jeunes couples urbains va dans le même sens en dépit
de la difficulté à pouvoir toujours bien en saisir les évolutions. À Ingouville,
faubourg du Havre, on atteint 14,7 % en 1730-1770 mais plus de 30 % à
Sotteville-lès-Rouen en 1760-1790. À  Rouen intra-muros, précisément
étudiée par J.-P. Bardet, la  part de conceptions prénuptiales de 3,3  % en
e
1640-1669 dépasse les 16 % (16,4 %) à l’aube du XIX siècle. Dans la ville
de Honfleur, on compte moins de 7  % de filles enceintes au moment de
leurs noces entre 1680 et 1739 mais 12,3 % de 1740 à 1786. À Lyon, au
sein de la paroisse Saint-Georges, le pourcentage aurait crû du simple au
double en l’espace d’un petit siècle (de 10 à 20  %). D’une manière
générale, et à l’échelle d’un pays, la France, la proportion de filles ayant eu
des rapports sexuels complets avant leur mariage aurait été d’environ de
30 % à la veille de la Révolution. Proportion élevée mais inférieure à celui
de l’Angleterre où, malgré la difficulté des calculs, ce sont plus de 40 % des
e 5
femmes qui, au XVIII siècle, étaient enceintes au moment de convoler .
Bien entendu, il faudrait pouvoir affiner tous ces résultats en fonction
des milieux socio-professionnels. Si l’on revient au cas rouennais, pour tout
e
le XVIII siècle, la proportion de filles enceintes lors de leur mariage aurait
été au minimum de 21,9 % pour les ouvriers, de 12,9 % pour les artisans
et de seulement 7,5 % pour les notables. Inversement, à Dunkerque, si le
taux de conceptions prénuptiales augmente bien parmi le monde des gens
de mer (8,2  % entre 1660 et 1690 contre près de 14  % entre 1761 et
6
1786), il ne se distingue pas vraiment de celui du reste de la population .
e
Ces données permettent malgré tout d’écrire qu’au cours d’un long XVIII
siècle, selon les régions et les pays, entre 25 et 40 % des filles avaient déjà
fait l’amour avant de se marier. Proportions qui ne se retrouvent en France
qu’entre les deux guerres mondiales. De 1920 à 1939, 20  % des jeunes
épouses sont enceintes et 12 % ont déjà des enfants… Ce qui demeure ici
aussi un minimum. Plus précisément, selon une enquête de l’Ifop de 1959,
30 % des femmes disent avoir eu des relations sexuelles avant leur union
mais 12  % ont refusé de répondre 7. À la fin des années 1960, le
pourcentage de filles déflorées avant leur mariage double (60  %) pour
e
atteindre 90 % à la fin du XX siècle. Si, jusque dans les années 1980, une
grande majorité de filles ont connu leur premier rapport sexuel avec celui
qui deviendra leur mari, l’abaissement de l’âge de cette expérience
initiatique entre les années 1960 et les années 2000 a rendu cette
observation caduque. Aux premiers temps de la République gaullienne, la
perte de la virginité se situait à 20  ans pour les filles et à 18 ans 6 mois
pour les garçons. Quarante ans après, elle est de 17 ans et 6 mois pour les
premières et de 17 ans et 2 mois pour les seconds. Mais au-delà de ces
moyennes, il faut rappeler qu’aujourd’hui plus de 20  % des garçons et
10 % des filles connaissent leur première expérience avant l’âge de 15 ans.
Ce qui, surtout pour ces dernières, signifierait « des rapports plus souvent
subis que souhaités 8 ».
 
Si la confrontation des évolutions perçues entre les siècles d’Ancien
e
Régime et le XX siècle recèle plusieurs points communs, que se passa-t-il
entre les deux périodes ? Autrement dit, comment situer le XIXe siècle dans
cette recherche d’une autonomie sexuelle totale de la part de la jeunesse ?
La réponse est assez complexe dans la mesure où les données proposées
sont un peu contradictoires. Au moins concernant la France, autour de
90  % des filles seraient arrivées vierges au mariage vers 1890-1900, soit
près de deux fois plus qu’en 1800 ! En revanche, dans la région alsacienne
du Hanau, le pourcentage des conceptions prénuptiales passe de 13 % vers
1870 à près de 30 % au moment de la Première Guerre mondiale 9 ; dans
plusieurs villages du Nord au milieu du siècle, leur proportion se serait
élevée à 54,8 % 10.
En travaillant sur les archives judiciaires, l’historienne Anne-Marie
Sohn a réuni 458 dossiers de femmes concernées par une maternité hors
mariage : parmi elles, 169 conceptions prénuptiales qui vont déboucher sur
un mariage réparateur ou demandé par les protagonistes  ; les 289 autres
liaisons entre deux célibataires ont pu aussi, selon l’historienne, se conclure
par un mariage 11. Les différents cas entrent donc dans la normalité
reproductive. Et de citer le témoignage, plutôt rare sur ce registre, de la
femme d’un tailleur de Verdun daté de 1883, qui correspond pleinement à
ce modèle  : «  Je me suis mariée à 21 ans et A. peut dire qu’il était le
premier qui me touchait. » A.-M. Sohn commente cependant :

«  Le roman a longtemps donné à penser que cette règle de la


e
virginité féminine […] allait de soi au XIX siècle au moins. Il n’en est
12
rien . »
Ce qui est très répandu, c’est la honte de la conception et l’acceptation
généralisée de relations sexuelles à condition qu’elles n’aient pas de suite.
Mais cela reste tacite et rarement exprimé. Ce qui est considéré comme une
« défaillance » vaut à la fille enceinte un jugement sévère de l’opinion et est
perçu comme un affront et un déshonneur par sa parentèle 13.
Dans sa quête inlassable des coutumes paysannes, Arnold Van Gennep
e
a constaté une certaine permissivité en Haute-Savoie au début du XX
siècle. L’un de ses amis médecin lui aurait confié que «  sur trente filles
d’une vallée de la Haute-Savoie, il n’y en a guère plus de deux ou trois en
moyenne qui sont encore vierges la veille de leur mariage ». Loin d’y voir la
perversion des mœurs ou ces « criminelles liaisons » que l’évêque d’Annecy
dénonçait déjà en 1834, le célèbre anthropologue considère qu’il s’agit de
pratiques liées à la vie commune sur les alpages. D’ailleurs, précise-t-il, il
est probable que ces relations concernent seulement des jeunes du même
village et qu’elles relèvent plus des suites d’un rite de fiançailles que d’une
permissivité généralisée 14.
Van Gennep ne manque pas pourtant d’observer un certain regain
d’attention à la contrainte de la chasteté durant les années 1920. Selon lui,
«  c’est un fait que, tout en acquérant une plus grande valeur sociale, les
femmes se sont vues en butte à une exigence masculine nouvelle ; et que
l’absence de virginité a été de plus en plus regardée par les hommes
comme une diminution de valeur à la fois marchande et psychique 15 ».
Ce qui ne veut pas dire que toutes les régions soient concernées par
cette remarque. Selon l’ethnologue Martine Segalen, «  le code de
l’honneur, qui se porte toujours sur la jeune fille […], varie selon les
endroits ». Et plus loin :

«  Les sociétés hiérarchisées qui ont une organisation sociale de


classe à défendre seraient beaucoup plus sévères vis-à-vis des relations
libres entre jeunes que d’autres, organisées sur une base égalitaire,
dont l’ordre social ne serait pas mis en danger par une union qu’il
faudrait précipiter en raison d’une grossesse future 16. »
Mais, à des échelles plus restreintes, d’autres disparités se manifestent :
ainsi dans une même région, la tolérance pour une fille enceinte hors
mariage peut voisiner avec la réprobation. En 1911, dans la France
septentrionale et en Alsace, un quart des mariages avaient lieu après la
17
conception d’un enfant . Dans le même sens, une étude effectuée sur six
villages allemands entre 1700 et 1899 montre un sensible accroissement
des conceptions prénuptiales 18. Inversement, durant l’entre-deux-guerres,
certaines localités alsaciennes fonctionnent comme « des noyaux de sévère
répression sexuelle  ». Les filles déshonorées sont reléguées au fond de
l’église, sur un banc séparé auquel est attachée une désignation
19
infamante . Pareillement, dans le monde méditerranéen, où le sens de
l’honneur peut conduire à des comportements violents, les relations
prénuptiales sont prohibées alors que, non sans contradiction derrière ce
rigorisme, l’initiation sexuelle des jeunes hommes est encouragée.
De pareils écarts comme de telles différences avec les siècles qui
l’encadrent permettent de saisir le XIXe siècle comme celui où les disparités
sociales au regard des relations sexuelles prénuptiales se sont accrues avec
une moindre importance accordée à la virginité dans certaines provinces
rurales et un développement certain du concubinage dans les milieux
ouvriers. Au lendemain du Second Empire, dans le quartier de la Belle de
Mai, à Marseille, c’est un couple d’ouvriers sur quatre qui vit ainsi 20. Si
bien que des groupes catholiques, à l’instar de la Société de Saint-François-
Régis, active dans les villes ouvrières comme Le  Havre, se forment pour
inciter à la régularisation des unions. Mais en revanche, c’est durant ce
siècle que le modèle bourgeois urbain, qui valorise de plus en plus
intensément «  cette vertu féminine  », s’est imposé peu à peu à d’autres
catégories sociales jadis moins attachées à cet état. Le terreau était
d’autant plus favorable dans les sociétés paysannes à structures
patrimoniales inégalitaires où le choix du conjoint faisait partie des
conditions destinées à éviter les mésalliances. Dans une société plus
égalitaire, celui-ci ne revêtait pas les mêmes enjeux, d’où des contacts plus
libres entre les sexes. Et, suivant le dicton :
«  Quand “Magnificat a été chanté avant vêpres”, que “les Pâques
ont été célébrées avant les Rameaux”, la fête du mariage est avancée et
21
tout est dit . »

D’après les archives judiciaires françaises, des régions comme la


Bretagne, la Sologne, le Midi méditerranéen, l’Auvergne ou le Limousin
sont alors assez inflexibles sur la question de « l’honneur des filles » qui ne
se confond pas toujours avec l’exaltation de la virginité, alors que le Pays
basque, l’Est, la Normandie, la Flandre, la Bourgogne ou le bassin Parisien
y attachent beaucoup moins d’importance «  sans tolérer pour autant la
22
débauche  ».
On touche ici à l’une des causes possibles du reflux d’une apparente
« permissivité » sexuelle dévoilée jadis par la part massive des conceptions
e
prénuptiales du XVIII siècle. Ne faut-il pas y voir aussi la perte d’influence
de traditions du « mariage à l’essai » que l’on trouvait en Corse, en Alsace
e
ou au Pays basque jusqu’au début du XIX siècle et l’encadrement plus strict
des libertés dont disposaient les jeunesses pour se fréquenter  ? Cette
moindre obligation des counting conventions, sorte d’équivalent coutumier
anglais donnant aux accordailles valeur d’alliance beaucoup plus
longtemps pratiqué outre-Manche 23 que sur le continent, a pu ici
contribuer au déclin irrégulier des conceptions prénuptiales. Et ce, d’autant
que le mariage n’y était pas tenu pour un sacrement et que l’influence
morale du clergé « anglican » restait moindre que celle du curé en France
ou aux Pays-Bas catholiques. Pour autant, faut-il invoquer la
prépondérance de la pression répressive de l’Église, à l’œuvre dès le milieu
du XVIIe siècle, qui, au moins dans le discours, lutta contre les mariages
arrangés par les familles, cette voie ouverte au concubinage  ? Quelques
rares exemples locaux du reflux des conceptions prénuptiales au cours du
e
XVIII siècle ne pèsent pas grand-chose au regard des données contraires
exposées plus avant 24. Comment alors expliquer que le développement des
conceptions prénuptiales s’accroît alors que la lutte des religieux battrait
son plein contre toutes les formes de pratiques sexuelles ? Pour contraindre
les parents à accepter les mariages décidés par les jeunes gens  ? Cette
25
hypothèse de J.-L. Flandrin ne repose que sur une intuition .
Certes, nous le verrons, l’Église catholique romaine insista beaucoup
sur la notion de virginité, apportant son soutien et sa caution morale à une
bourgeoisie qui pourtant n’avait pas été insensible aux «  secondes
Lumières » des années 1820-1850 à la fois anticléricales et laïques ! Cette
alliance objective consacra-t-elle le « triomphe du puritanisme » tel que les
26
autobiographies peuvent s’en faire l’écho  ? Mais si pareille valorisation de
la virginité a pu contribuer à un recul des relations sexuelles complètes
durant cette période, il semble bien que d’autres facteurs non religieux
aient joué. C’est d’ailleurs beaucoup moins le sens de commettre un péché
que celui d’un risque de grossesse qui a pu devenir l’une des causes de ces
retenues, d’où la remarque d’Anne-Marie Sohn :

«  Les jeunes filles considèrent les relations sexuelles comme une


audace, une faiblesse, voire une erreur mais jamais comme un acte
immoral et le terme de péché n’est employé qu’une fois par un jeune
homme. Tout au plus, certains concèdent avoir commis une faute mais
27
sans qu’on sache si elle est sociale ou religieuse . »

Suivant les procès-verbaux des procès étudiés par cette historienne, les
trois quarts des jeunes filles (soit 129 cas) évoquent leur « abandon » – « se
donner  » ou «  s’abandonner  » est déjà un vocabulaire significatif – en le
justifiant par la promesse de mariage de leur séducteur. Celle-ci joue
comme une sorte de « blanc-seing » et délimite la conduite permise de celle
qui est fautive, le comportement de la fiancée ou celui de la fille légère.
C’est pourquoi certaines en ont conservé les preuves écrites sous la forme
d’une lettre de leur promis pour montrer qu’il ne s’agissait pas d’un
amusement. Les femmes prennent plus de risques et rechignent à
s’abandonner. Elles font, comme l’écrit encore Anne-Marie Sohn, un « pari
28
sur la solidité et l’affection du partenaire  ».
Parmi les éléments possibles provoquant l’oscillation des conceptions
prénuptiales, l’intégration progressive des règles de droit a joué un rôle
certain du moins en France. Contrairement à l’Ancien Régime, où la
poursuite contre le séducteur pouvait s’exercer et lui imposer un mariage
de réparation, le Code civil (1804) puis le Code pénal (1810) ne protègent
plus la fille « tombée enceinte ». Ils interdisent les recherches en paternité
«  pour assurer la tranquillité des familles et éviter les conflits de
29
succession   ». Comme si, à partir de 15 ans, la fille séduite devenait la
seule coupable de sa situation, la seule responsable de son honneur
« bafoué » au regard de sa famille et de la société entière. Dès lors, dans
une certaine mesure, en continuant à prôner la virginité avant le mariage,
l’Église se faisait protectrice des jeunes filles alors que l’opprobre jeté sur
les filles mères devenait plus fort au moins dans de nombreuses régions
30
d’Europe .
C’est une sorte de paradoxe que révèle ainsi l’évolution des rapports
amoureux. Surtout en ville – plus difficilement dans les campagnes où
pèsent les contraintes de la continuité de l’exploitation rurale –, il est
e
incontestable que les jeunes filles peuvent dès la fin du XIX siècle refuser le
mariage arrangé et le prétendant choisi par leurs parents. Maîtrisant leur
destinée matrimoniale, pouvant même envisager une ascension sociale,
elles demeurent toutefois, comme le relève Anne-Marie Sohn, « en position
de faiblesse  ». Mais il faut aussi tenir compte pour plusieurs régions
d’Europe de l’avancée de l’âge des femmes au premier mariage, même si le
phénomène fut loin d’être général !

Le mariage retardé

L’un des éléments majeurs susceptibles d’accentuer, de limiter, voire de


contenir les expériences sexuelles pré-matrimoniales demeurerait le temps
de latence entre la maturité sexuelle et le mariage puisque, en Occident,
seul celui-ci autorisait l’exercice légal et unique de la sexualité. Dans ces
conditions, la clef demeure l’âge au premier mariage rapporté à celui de la
puberté et pris autant que possible sur le temps long – âge de plus en plus
tardif.

Âge au premier mariage 31


périodes filles garçons
1670-1689 24,5
1720-1739 25,6
1740-1759 25,7 27,6
1770-1789 26,3 28,5
1820-1829 26 27,5
1840-1849 25,4 28,5
1870-1879 24,3 28
1900-1909 24,1 27,5

Toutefois, contrairement au «  modèle  » français, dans certains pays


d’Europe l’âge moyen au mariage tend à augmenter sensiblement au cours
e
du XIX siècle, alors que l’âge de la puberté passerait de 15 à 13 ans. Ainsi
en Espagne où, en 1797, les hommes convolent à 24,5 ans et les femmes à
23,2 ans. Cent ans plus tard, la moyenne est respectivement de 27 et 24,2
ans et, en 1930, de 28,2 et 25,8 ans. Dans le monde rural allemand, les
données traduisent la même tendance 32 :

périodes 1700-1749 1750-1799 1800-1824 1850-1874 1875-1899


hommes 27,8 28 28,3 29,5 28,3
femmes 25,3 25,7 26,2 26,9 25,5

Si, donc, on considère que l’âge de la puberté se situe autour de 12-14


ans, il y aurait une période étendue sur une longue décennie, voire une
quinzaine d’années, durant laquelle les jeunesses auraient ou non connu
des expériences sexuelles. Intervalle qui, en outre, s’accroît régulièrement
bien au-delà de la fin du XVIIIe siècle, probablement en raison des difficultés
économiques rencontrées par les couples pour s’installer. Le reflux français
durant le siècle suivant, en particulier pour les femmes, concerne plus
encore nombre de filles de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, le plus
fréquemment mariées autour de 17 ou 18 ans. « Nous marions nos filles si
jeunes, écrit Claire de Rémusat en 1824, qu’elles n’ont pas eu réellement le
33
temps de rien regarder . »
Souvent très incomplète, la documentation concernant uniquement les
villes va dans le même sens et permet de fixer l’âge des filles au premier
mariage autour de 24,5 ans à Amsterdam en 1626-1627, mais de 26,5 ans
e
en 1677-1678 et de 27,5 ans au XVIII siècle, les garçons se mariant dix
mois à deux ans plus tard. Partie d’un niveau plus bas (19,6 ans avant
1650), les Milanaises convolent pour la première fois à 21,2 ans en 1700-
1749 34. On ajoutera enfin que le célibat définitif fut toujours
particulièrement élevé, et davantage encore chez les femmes que chez les
e
hommes. Ainsi, au seuil du XX siècle, il y aurait eu dans les pays d’Europe
occidentale entre un quart et la moitié de femmes célibataires pour la
tranche d’âge de 25 à 29  ans. Cette donnée doit évidemment entrer en
ligne de compte dans l’analyse des comportements sexuels ou non, c’est-à-
dire dans l’appréhension de la chasteté et de sa pratique comme dans son
rapport à la virginité. C’est donc cet important intervalle temporel entre
puberté et épousailles qui constitue le cadre de la problématique.

Les lois du genre

Les premières pages du précédent chapitre ont tenté de montrer que


certains apprentissages mettant à mal au moins la chasteté consistaient en
des pratiques partagées particulièrement en milieu rural, encore largement
majoritaire en Europe occidentale jusque dans les années 1840-1860. En
1690, l’évêque de Grenoble, Étienne Le Camus, estimait que «  les
impuretés et les concubinages commencent ordinairement dans les villages
par les veillées que les garçons et les filles font ensemble sous prétexte de
quelques travaux communs  ; dans les villes par les bals et les
35
assemblées  ».
Mixité que l’on retrouvera plus tard avec le flirt. Toutefois, ces
remarques ne doivent pas cacher de réels et sensibles déséquilibres dans la
«  perte de l’innocence  » des filles et des garçons. Dans la culture
occidentale, la liberté dont jouissaient ces derniers a toujours été beaucoup
plus grande que pour les jeunes filles, mais, là encore, selon des variantes
géographiques et chronologiques non négligeables. C’est bien d’une
«  norme double  » largement admise dont il s’agit puisque les jeunes
hommes peuvent expérimenter la sexualité alors que les femmes se doivent
36
de conserver leur virginité jusqu’au mariage .

Le dépucelage masculin

Jacques Rossiaud a bien montré que la vie sexuelle des jeunes


célibataires (domestiques, apprentis, «  écoliers  ») du XVe  siècle oscillait
entre viols et fréquentation des maisons de passe ou des étuves. Ces
«  esbats  » pouvaient parfois «  constituer un des rites pratiqués dans les
groupes d’adolescents organisés en abbayes ou non 37 ». Si la fermeture des
e
bordels municipaux devint une réalité au cours du XVI siècle, elle
n’empêcha nullement la prostitution de se maintenir et de constituer un
moyen possible et fréquent d’initiation sexuelle pour les garçons
célibataires qui pouvaient aussi bénéficier de l’expérience de femmes
mariées. Tel est par exemple le cas de l’étudiant libertin de Leyde Hadriaan
38
Beverland, vers 1670 . Lors de son long séjour en Angleterre, il estimait
que les époux «  cédaient plus volontiers [aux jeunes gens célibataires]
leurs femmes que leurs livres et que les épouses, quand je les interroge,
ouvrent davantage leurs jambes que leurs maris les portes de leurs
39
bibliothèques  ».
Même difficile à généraliser, l’exemple de Jacques-Louis Ménétra
semble plus significatif par sa précision. Entre 1751 – il a près de 14 ans –
et 1765, l’année de son mariage, ce vitrier parisien n’évoque pas moins de
52 relations sexuelles, dont sa première expérience avec une prostituée en
40
1756 . Les conquêtes féminines et éphémères de Ménétra sont sans
discrimination sociale  : entre bourgeoises mariées, veuves, boutiquières,
repasseuses et même… religieuses  ! Cette palette possible, peut-être un
peu fantasmée, illustre néanmoins l’éventail qui pouvait s’offrir sans trop
de risques (sinon les maladies vénériennes) aux jeunes hommes. On
e
retrouvera le phénomène au cours du XIX siècle où le dépucelage masculin
passait par la fréquentation non seulement des prostituées, mais aussi des
grisettes, des domestiques de la maison, voire des liaisons avec des femmes
mariées réputées expérimentées 41.
Ainsi, jusqu’à une date relativement récente, les années 1950-1960, le
dépucelage préconjugal masculin, sans être impératif ou inévitable, a pu
représenter «  une impérieuse obligation sociale répondant à l’acquisition
d’un savoir-faire, à la primauté du désir masculin  », ratifiant par là le
pouvoir des jeunes mâles en valorisant la virilité de «  ceux qui avaient
osé 42 ». Dans ses Souvenirs, Stefan Zweig résume bien le processus dans la
société viennoise de la Belle Époque. À la campagne et dans les milieux
ouvriers, cette initiation ne posait pas de problème. C’est dans la
bourgeoisie que le jeune homme devait «  pourvoir lui-même  » à ses
aventures. Quelques pères éclairés « dès que leur fils montrait les premiers
signes d’une barbe naissance » convoquaient le médecin de famille. Celui-ci
«  priait le jeune homme de le suivre dans une chambre, essuyait
minutieusement les verres de ses lunettes avant d’entamer une conférence
sur les dangers des maladies vénériennes, et recommandait instamment au
jeune homme, d’ordinaire déjà fort bien instruit par sa propre expérience,
d’éviter les excès et de ne pas négliger certaines précautions ».
D’autres « engageaient dans la maison une jolie servante dont la tâche
était d’initier pratiquement le garçon ». En général ajoute cet auteur, c’est
« la prostitution qui assure la vie érotique prénuptiale » :

«  La génération actuelle ne se représente plus guère l’effroyable


extension de la prostitution en Europe jusqu’à la guerre mondiale. »
Les trottoirs fourmillaient de femmes vénales à tel point «  qu’il était
plus difficile de les éviter que de les trouver  ». Pour un homme, monter
chez une prostituée est aussi banal qu’acheter des cigarettes ou un journal.
En même temps, ces réalités sont soigneusement dissimulées par la
pruderie de mise dans les cercles familiaux, surtout quand il s’agit des
écarts notoires de personnes considérées comme particulièrement
respectables 43.
Au Quartier latin à Paris, où les étudiants sont presque exclusivement
des hommes, les études sont perçues aussi «  comme une période
d’initiation sexuelle » favorable à toute une gamme de liaisons : « Amours
d’un soir, relations sexuelles furtives ou à la petite semaine  », amours
ancillaires et prostitution. Les amours entre étudiants et grisettes (jeunes
ouvrières) deviennent un topos littéraire. Vivre « à la colle » est souvent la
première expérience de vie conjugale, avec en plus pour l’ouvrière le
changement de classe sociale. Ces liaisons durent une année scolaire ou le
temps du cursus. Elles montrent une évolution des modes de socialisation
amoureuse vers plus de sentimentalité. L’amour vénal ne suffit plus. Mais
ce n’est qu’une étape initiatique avant le mariage qui respecte les codes
sociaux. Quant aux femmes vénales, elles peuplent les bordels, ce haut lieu
de la sexualité juvénile, bientôt concurrencés par les maisons de passe et
les brasseries à femmes. Ces dernières apparaissent avec l’exposition de
1867. Il y en a 24 dans le quartier de la Sorbonne et 22 dans celui de
l’Odéon en 1882. Là, des filles costumées (en Alsaciennes, en Espagnoles)
qui font le service se permettent des privautés licencieuses avec les clients,
qu’elles peuvent ensuite emmener dans des garnis 44.
Partout, la sexualité préconjugale des garçons est admise, et  même
tenue pour nécessaire. Bref, un rite de passage vers le monde des mâles.
Comme si, en creux, le fait de rester puceau, passé un certain âge, avait
servi à masquer une déviance, celle de l’homosexualité, de l’impuissance
ou de la perversité, c’est selon. L’écrivain Michel Leiris, souvent prolixe
concernant ses expériences morbides et sexuelles, évoque ses premières
érections vécues dans l’appréhension. Il redoute que la perte de sa virginité
ne puisse s’opérer sans «  douleur et effusion sanglante  ainsi qu’il en est
pour la femme ». Les avertissements de son frère le poussent à réfléchir :

« Sous prétexte de me mettre en garde contre les dangers dont tout


adolescent est menacé, [il] m’avait un jour parlé d’un certain petit
garçon qui, pour avoir couché, âgé de 12 ou 13 ans, avec sa “rosse de
bonne”, était (disait mon frère) devenu pour la vie infirme, ce qui
l’avait bien puni de ces amours précoces. Il n’en fallut pas plus pour
que le coït m’apparût comme un acte, non seulement coupable si l’on
s’y livre trop tôt, mais éminemment dangereux ».

Si bien qu’en 1919, durant une première nuit passionnée, il fut


incapable de la moindre virilité : « Ce n’est qu’un ou deux jours après que
je perdis effectivement ma virginité 45.  » Encore en 1946, où se situe le
dépucelage du héros dans un roman de Daniel Pennac, ses camarades du
réseau de résistance se montrent soupçonneux face à cet homme vierge de
23 ans  : «  Curé  ? Puceau  ? Impuissant  ? Viande froide  ? Échaudé à
l’amour  ? C’étaient les questions qu’on se posait à ton propos  », lui
46
rapporte la fille chargée de chercher la réponse sur le terrain .

L’innocence des filles

Ce que vivent les jeunes femmes avant leur mariage s’inscrit dans une
tout autre perspective : celle d’une surveillance accrue, notamment dans le
monde urbain des XVIIIe et XIXe  siècles, qui donne la primauté à «  la
pédagogie de l’ignorance » (G. Houbre) imposée. Comme l’écrit aussi Alain
Corbin, «  la sauvegarde de l’innocence première implique […], en toute
logique, l’ignorance des choses de la sexualité et le silence sur cette
47
question  ».
Peu ou prou, les filles de la campagne, à travers les événements
quotidiens, ne pouvaient ignorer certaines réalités du sexe sans toujours les
comprendre. En revanche, en ville et surtout dans les milieux
aristocratiques et bourgeois, le mot d’ordre était de protéger les filles de
possibles perversités en veillant d’abord sur la stricte séparation d’avec les
garçons puis en surveillant les fréquentations et les lectures de ces
demoiselles, enfin en ne soufflant mot de la corporalité. Préserver la
virginité mais aussi entretenir la chasteté qui aurait été menacée par les
bas instincts inhérents à la nature humaine en imposant des précautions
permanentes. Dans son Histoire de ma vie, George Sand fustige toutes les
préventions prises par les Dames anglaises, l’institution religieuse où elle
fut placée entre 14 et 16 ans (vers 1820) :

«  La grande erreur de l’éducation monastique [sic] est de vouloir


exiger la chasteté. On nous défendait de nous promener à deux, il
fallait être au moins trois ; on nous défendait de nous embrasser ; on
s’inquiétait de nos correspondances innocentes et tout cela nous eût
donné à penser si nous eussions en nous-mêmes seulement le germe de
mauvais instincts qu’on nous supposait apparemment 48. »

C’est en tous les cas ce que suggèrent en 1829 aussi les commentaires
non dénués de fantasmes masculins de Balzac à propos des filles éduquées
dans les pensionnats :

«  Leurs rendez-vous clandestins, leurs conversations, que tout l’art


des matrones ne saurait empêcher, doivent être dirigés par un génie
mille fois plus infernal que celui des collégiens […]. Elles seules
connaissent ces jeux où l’honneur se perd par avance, ces essais de
plaisirs, ces tâtonnements de volupté, ces simulacres de bonheur. […]
Une fille sortira peut-être vierge de sa pension ; chaste, non. Elle aura
plus d’une fois discuté en de secrets conventicules la question
importante des amants, et la corruption aura nécessairement entamé le
cœur ou l’esprit… »
Et si, d’aventure, la fille n’a pas participé directement « à ces friandises
virginales, à ces lutineries prématurées », du moins ses amies risquent fort
de lui transmettre des informations sur le sujet 49. Balzac développe le
thème en 1842 dans les Mémoires de deux jeunes mariées. Ce roman
épistolaire est un dialogue, vers 1824-1825, entre deux protagonistes,
Armande Louise-Marie de Chaulieu qui fait un mariage d’amour et Renée
de Maucombe pour laquelle le mariage est arrangé. Les deux filles se sont
liées lorsqu’elles étaient pensionnaires dans un couvent à Blois durant
toute leur jeunesse. Mlle de Chaulieu, âgée de 18 ans, dont neuf passés au
couvent, se sent totalement ignorante et lit tout ce qui lui passe sous la
main :

« Ce que j’ai lu de la littérature moderne roule sur l’amour, le sujet


qui nous occupait tant, puisque notre destinée est faite par l’homme et
pour l’homme. »

Soupçonnant une liaison de sa mère, elle avoue à sa correspondante


être prise « d’horribles fantaisies de savoir ce qui se passe » avec le jeune
homme en question. Renée, quant à elle, se trouve à 17 ans mariée sans
amour à un homme de vingt ans son aîné. Quand Louise la supplie de lui
raconter très exactement tout ce qui lui arrivera, «  surtout dans les
premiers jours, avec cet animal que je nomme un mari », elle justifie très
pudiquement son mariage de convenance. Plus tard, Louise épousera par
amour un noble espagnol. Se préparant à affronter le « terrible passage »
dont l’a avertie sa mère, elle évoque ensuite son heureuse surprise  :
«  Comment  ! On a nommé un devoir les gracieuses folies du cœur et
l’irrésistible entraînement du désir ? » Pourquoi avoir voulu convertir « ces
voluptés en devoirs » ? Et de forcer le trait en différenciant son union de
celle de son amie :
«  Ton mariage purement social, et mon mariage qui n’est qu’un
amour heureux, sont deux mondes qui ne peuvent pas plus se
comprendre que le fini ne peut comprendre l’infini. Tu restes sur la
terre, je suis dans le ciel ! Tu es dans la sphère humaine, et je suis dans
la sphère divine. Je règne par l’amour. Tu règnes par le calcul et par le
50
devoir . »

Mais c’est bien avant la jeunesse de Sand et celle des romans balzaciens
que se mettent en place des stratégies du corps nié et dérobé. Cette
pédagogie de l’infantilisation féminine peut compter sur l’éducation
dispensée dans les institutions religieuses et sur celle du foyer domestique
assurée par des mères qui ne font que reproduire le modèle : « Les mères
considèrent avec effroi l’étendue de la vigilance qui leur est imposée. […]
L’imminence des périls ne peut être balancée que par une grande confiance
de la jeune fille dans l’institutrice qui doit la préserver 51  », écrit Mme
Roland en se remémorant peut-être l’agression sexuelle subie dans l’atelier
paternel qu’elle finit par avouer à sa mère. Cette dernière [lui] « fit mille
questions entortillées pour ne pas m’en apprendre plus que je n’en savais et
pour s’assurer que je n’étais pas plus instruite 52 ».
Intelligente et observatrice, elle n’était pas totalement innocente
puisque, rapporte-t-elle :

«  Quand ma grand-mère me parlait de petits enfants trouvés sous


les feuilles de choux, je me disais que mon Ave Maria me disait qu’ils
53
sortaient d’ailleurs . »

En revanche, Élisabeth Vigée-Lebrun, alors jeune peintre de 16 ans, se


félicite que «  les principes de morale et de religion que ma mère m’avait
communiqués me protégeaient fortement des séductions dont j’étais
54
entourée  ».
Si les mères apparurent pendant longtemps comme les gardiennes des
corps sans chair, c’est bien la société entière qui était complice de ces
silences teintés de peur. La dépréciation du sexe et de la sexualité passa par
la nécessité d’éradiquer toute curiosité même naturelle (à propos de la
venue des règles par exemple), d’éteindre tout désir, d’ignorer toute
question. De créer ainsi ce que Marcel Prévost dans Les Demi-Vierges
(1894) appela les « oies blanches », autrement dit des êtres bêtes et naïfs
qui ne pourront apprendre le minimum requis que de leur époux, seul
habilité à leur révéler le plaisir. Elle sort de là pour être présentée au
monde dans les salons qu’un moraliste catholique appelle des «  bazars
matrimoniaux  ». Les parents exposent ainsi une «  fleur délicate  » aux
« tentations les plus dangereuses ». Pour qu’elle brille en société, on risque
« de la rendre idolâtre de son corps ». Après avoir employé « seize ou dix-
sept ans à élever chrétiennement une jeune fille », voilà que cette ingénue
est entraînée à la « sensualité », au « désordre » des sens, au « feu impur de
la volupté », souillant ainsi « le rayon de l’amour innocent et virginal 55 ».
Ce modèle demeure partiellement utopique et finira par se déliter
progressivement. Utopique parce que en dépit de l’usage du journal intime
pour y exposer ses émotions ou de la confession qui n’est pas sans
ambiguïté dans la mesure où le confesseur est, dans certains milieux, le
seul homme (célibataire) avec qui les jeunes filles peuvent échanger en
56
tête à tête, les informations se divulguent quand même –  entre
camarades ou à l’occasion d’une discussion avec une amie nouvellement
mariée, à travers les livres découverts ou les mots et gestes surpris 57.
Utopique aussi car comme le soulignait déjà Étienne Labrunie en 1805,
personne ne peut endiguer l’imagination féminine qui, vers l’âge de 14 ou
15 ans, « vient offrir la perspective d’un plaisir qui la fait déjà tressaillir, un
58
léger trouble d’une pudeur qui commence avec les désirs  ». C’est en lisant
secrètement la nuit le feuilleton du journal que Chérie, l’héroïne d’Edmond
de Goncourt, s’initie aux mystères de l’amour, mue par «  une curiosité
malsaine de vierge ». Vivant ainsi passionnée, Chérie se trouvait tracassée
de désirs, une «  obsession d’images, de visions, d’appétences troubles, et
elle ne pouvait défendre aux rêves voluptueux de violer la chasteté de ses
nuits ».
Elle en est arrivée à imaginer que le mariage est «  le fait de coucher
toute nue avec un homme » sans qu’il ne se passe autre chose, mais cette
idée suffit à la remplir d’horreur. C’est pour exorciser cette sombre
perspective que, tous les soirs, elle dévêt sa poupée afin que celle-ci repose
nue dans son berceau. La conviction se renforce lorsque pour rédiger une
composition sur le thème « Penthésilée, reine des Amazones », elle consulte
le dictionnaire « autorisé par le Conseil de l’Instruction publique » où elle
trouve cette phrase : « Chaque fois qu’une Amazone tuait un ennemi, elle
recevait un homme dans ses bras. » En un instant, elle acquit « la clef de
l’amour et du mariage 59 ».
D’ailleurs, peu à peu, le maintien de cette ignorance s’étiole sous
l’influence de plusieurs facteurs. Alors que dès 1824 Claire de Rémusat
dans son Essai sur l’éducation des femmes proposait déjà une éducation des
filles par le jugement, il faut attendre après 1870 l’introduction du modèle
anglo-saxon, favorisant l’autonomie de leur raisonnement et de leur
responsabilité, pour que l’étau se desserre progressivement. Pareillement
les théories hygiénistes, avec la valorisation du sport, permirent une lente
appropriation du corps  ; les premiers linéaments de la sexologie et
l’influence de la médecine feront vaciller à leur tour cette image imposée
de l’oie blanche. Pour autant, les familles, les autorités éducatives (Églises,
école) et même les politiques resteront particulièrement vigilants à propos
des corps vertueux des filles et l’on ne soulève pas aussi aisément la chape
qui pesait sur beaucoup d’entre elles et qui avait érigé la pudeur et la
répulsion de la nudité au rang de l’un des beaux-arts. Subsistera d’ailleurs,
dans beaucoup de milieux sociaux, cette opposition frontale entre la
permissivité accordée aux mâles et la sauvegarde de l’innocence exigée des
vierges. Non sans quelque nouvel embarras pour les parents. En 1929,
devant la gêne de son épouse, un père de famille strasbourgeois se décide
à mettre en garde sa fille :
« “Sais-tu pourquoi les garçons vont avec les filles ?
– C’est pour se promener.”
J’ai dit  : “N’est-ce pas aussi pour autre chose  ?” Et ma fille m’a
demandé :
“Que veux-tu dire ?”
J’ai répliqué  : “Sais-tu ce qui peut se passer lorsque les garçons et
les filles sont seuls ?” Cécile a alors compris.
“À moi, il n’arrivera rien 60.” »

La première fois

Les romanciers ont très tôt souligné l’aberration de ce modèle. Déjà,


Alfred de Musset en 1836 estime que les filles de la bonne société
bourgeoise ne peuvent pas s’épanouir en amour :

«  On l’enferme, on la verrouille  ; cependant elle cache un roman


sous son crucifix. Pâle et oisive, elle se corrompt devant son miroir, elle
flétrit dans le silence des nuits cette beauté verte et luxuriante qui
l’étouffe et qui a besoin du grand air. Puis tout d’un coup on la tire de
là, ne sachant rien, n’aimant rien, désirant tout  ; une vieille
l’endoctrine, on lui chuchote un mot obscène à l’oreille, et on la jette
dans le lit d’un inconnu qui la viole. Voilà le mariage, c’est-à-dire la
famille civilisée 61. »

Durant le second XIXe siècle surtout, de Dumas fils en passant par


Maupassant ou Ernest Feydeau, nombre d’écrivains se font l’écho de
62
l’hypocrisie du comportement imposé par les hommes . En même temps,
ces auteurs se heurtent au mystère féminin et ressassent les lieux communs
sur la versatilité et l’inconstance. Ainsi, cette tirade célèbre de L’Ami des
femmes d’Alexandre Dumas fils, pièce jouée pour la première fois en 1864 :
«  Nous parlions hier des conséquences, des erreurs, de l’illogisme
des femmes. Jamais, au grand jamais, je n’en ai eu une preuve aussi
flagrante. Se marier par amour, se refuser à son époux par pudeur, se
séparer de lui par jalousie, donner, de guerre lasse, son âme à un
monsieur qu’elle connaît à peine, s’offrir par dépit, deux heures après,
à un individu qu’elle ne connaît pas, se compromettre avec deux
hommes tout en adorant et  n’ayant jamais adoré que son mari, avoir
les chastetés d’une sainte, les allures d’une coquette, les audaces d’une
courtisane, et revenir à son époux, calomniée, innocente, amoureuse et
vierge, voilà des tours de force qu’une femme seule est capable
d’accomplir. Cherchez un atome de logique là-dedans, bien fin si vous
le trouvez 63. »

Thème littéraire s’il en est, la nuit de noces semblait comme un saut


dans l’inconnu, redouté par bien des futures mariées. Les sources directes
sont, on l’imagine aisément, plutôt rares et témoignent du vécu de jeunes
femmes issues de la bourgeoisie ou de la noblesse. Les quelques
informations que peut dispenser l’entourage familial exclusivement féminin
sur ce sujet précis n’éclairent pas toujours celles qui vont se faire
officiellement déflorer. Âgée de 23 ans, Marie Cappelle, à la veille de ses
noces en 1839, doit ainsi subir les explications alambiquées de ses tantes :

«  Après un déjeuner assez long et assez animé, mes tantes


s’enfermèrent avec moi dans le petit salon et commencèrent à m’initier
dans les effrayants mystères de mes nouveaux devoirs. Elles disaient
des paroles qui me faisaient si fortement rougir et trembler, que je les
arrêtai par un petit mensonge en leur assurant que je comprenais ce
qu’elles voulaient me faire comprendre. Cependant, comme je n’avais
jusque-là cherché la vérité que dans les nuages, je gardai ma théorie,
qui était innocemment stupide, mes frayeurs qui étaient épouvantables
[…] 64. »
À l’angoisse des jours qui précèdent la nuit de la défloraison s’ajoute
parfois l’épouvante confortée pour certaines par la douleur de ce premier
coït au souvenir peu amène. Alors âgée de 26 ans, Jeanne-Marie Phlipon
écrit sans détour :

« Les événements de la première nuit de mes noces [en 1780] me


parurent aussi surprenants que désagréables 65. »

Les écrits médicaux préviennent pourtant ces inconvénients, quoiqu’il


faille voir plutôt dans cette attention au ressenti féminin l’objectif d’éviter
au mari les conséquences «  d’une défloration mal gérée  », qui peut aller
jusqu’au refus ultérieur des rapports sexuels 66. Dans la préface de sa pièce
de théâtre, Dumas fils ne craint pas de comparer ce moment à un «  viol
légal » :

« Le jeune homme éloquent, bien élevé, tendre, se transforme tout à


coup. Là où la jeune fille rêvait un dieu rayonnant, elle voit sauter sur
l’autel une sorte de bête velue et trépidante, balbutiant des sons
rauques, affamée de sa chair, altérée de son sang. Ce n’est plus l’amour,
c’est le viol légal et consacré ; mais c’est le viol, aussi repoussant dans
sa forme que celui que la loi condamne, pour cette victime que rien n’a
préparée à cette immolation de ses plus saintes pudeurs 67 ! »

Vingt ans plus tard, en 1884, le docteur Adrien Corriveaud prévient


toujours les jeunes femmes du risque de tomber dans les bras d’un homme
pour qui la première nuit « est l’occasion d’une sorte de rut sauvage », qui
laisse des traces, notamment des inflammations que le médecin appelle
«  métrite par balistique  ». Pas d’autre choix pourtant selon lui que de se
laisser guider par la nature :
«  Après une période d’apprentissage quelquefois douloureuse –
  mais quelle rose n’a pas ses épines  ? –, vous serez étonnée d’être si
bien renseignée et surtout si complètement… consolée 68. »

La perception de l’événement semble avoir changé là aussi au seuil du


e
XX siècle et avoir perdu partiellement sa charge traumatique, ce qu’Alain
Corbin estime être la conséquence de l’érotisation du couple, pourtant loin
d’être alors généralisée. Les sources littéraires ne se font pas toujours le
témoin de ces mutations positives. Au contraire même, alors que certaines
œuvres dépeignent la première nuit comme un véritable viol (La Femme-
Enfant de Catulle Mendès, Une vie de Maupassant, L’Ingénue Libertine de
Colette), prélude douloureux à un devoir concédé mais peu consenti,
d’autres insistent sur le hiatus entre ce que la jeune fille avait pu s’inventer
au gré des fantaisies fantasmées de son imagination et la réalité crue
69
comme dans Chérie d’Edmond de Goncourt ou Minne de Colette . À
chaque fois, c’est l’affirmation de la nécessaire violence virile, garante de la
performance sexuelle du mâle, condition de la séduction de la femme, qui
sert de trame au récit. En peinture, le tableau d’Edgar Degas L’Intérieur
(1868), rebaptisé significativement Le Viol par le public, suggère ce rapport
de force entre un homme debout, vêtu de noir, les mains dans les poches
et, au milieu de la chambre, la femme assise, accablée, en chemise blanche,
partiellement dénudée, comme à la merci de son dominateur 70.
Le prototype de la défloration fantasmée par les hommes est sans
doute fourni par le récit de Maupassant, Une vie, publié en 1883. Jeanne a
été placée au couvent entre 12 et 17 ans, « cloîtrée, ignorée, et ignorante ».
Son père, « gentilhomme de l’autre siècle », souhaitait « qu’on la lui rendît
chaste à dix-sept ans pour la tremper lui-même dans une sorte de bain de
poésie raisonnable », autrement dit la dégourdir au contact de la nature et
de la vie rurale. Dans le manoir familial normand, la jeune fille ne rêve que
d’amour. La veille de son mariage, c’est son père qui l’avertit :
«  Il est des mystères qu’on cache soigneusement aux enfants, aux
filles surtout, aux filles qui doivent rester pures d’esprit,
irréprochablement pures jusqu’à l’heure où nous les remettons entre les
bras de l’homme qui prendra soin de leur bonheur. C’est à lui qu’il
appartient de lever ce voile jeté sur le doux secret de la vie. »

Elles risquent alors, redoute le père, de refuser à l’époux ce que la loi


lui accorde « comme un droit absolu ». « N’oublie pas ceci, lui dit-il encore,
que tu appartiens tout entière à ton mari.  » Arrive la nuit de noces où la
jeune épouse, révulsée par les attouchements brutaux, veut fuir l’homme
dont le contact du poil des jambes et de la poitrine la saisit :

«  Mais une souffrance aiguë la déchira soudain  ; et elle se mit à


gémir, tordue dans ses bras, pendant qu’il la possédait violemment. »

Durant le voyage de noces qui suit, elle se sent révoltée «  devant ce


désir incessant de l’époux », humiliée et dégoûtée jusqu’au jour où il la prit
en pleine nature sur la mousse près d’une source. Elle fut alors frappée
d’une «  étrange et véhémente secousse des sens  ». Ayant enfin connu le
plaisir, le reste du voyage « ne fut qu’un songe, un enlacement sans fin, une
71
griserie de caresses  ».
Le romancier Edmond de Goncourt ne fabule pas outre mesure en
tentant de reconstruire le point de vue féminin dans la scène où Chérie,
prototype de la jeune fille innocente, est avide de connaître le sort qui
l’attend. Là encore, c’est une amie fraîchement mariée «  de convenance  »
qui lui raconte dans une lettre avoir entendu sa mère dire à son gendre
cette phrase mystérieuse  : «  C’est à vous, mon cher Louis, d’éveiller les
petits sens de votre femme. » L’amie en question commente ensuite :

«  Le mariage étant un viol avec encouragement des parents, ils


devraient être tenus de faciliter ce viol de toute leur intelligence […]
72
eh ! bien, non, ils négligent les détails . »

Ce à quoi résonne la boutade d’une jeune fille de 17 ans évoquant un


possible mariage : « Baste, tiens, que c’est bête ! […] je me ferai, pardieu,
chloroformer 73 ! » Évoquant la nuit de noces de sa sœur, Pozdnychev dans
La Sonate à Kreutzer de Tolstoï rapporte :

«  Je me souviens encore de notre stupéfaction quand, pendant la


nuit de noces, nous l’avons vue s’enfuir de la chambre, toute pâle et en
larmes, tremblant de tout son corps, pour nous déclarer qu’elle ne
74
pouvait même pas nous dire ce que son mari avait exigé d’elle . »

Pourfendeur de l’hypocrisie qui attribue au mâle le rôle d’éveiller les


pulsions de son épouse, Stefan Zweig relate de son côté l’anecdote d’une
tante qui retourna chez ses parents au milieu de sa nuit de noces en
refusant de revoir « l’être abominable à qui on l’avait mariée », car ce fou
«  avait très sérieusement prétendu la déshabiller  ». Il en conclut que sa
génération était «  mille fois plus disposée à l’érotisme que la jeunesse
75
d’aujourd’hui avec sa plus grande liberté d’aimer  ».
Si ces représentations et ces réalités semblent aujourd’hui un  peu
obsolètes, en raison de la «  révolution sexuelle  » des années  1960-1970
(éducation, émancipation des femmes, légalisation progressive des moyens
de contraception mais aussi remise en cause de la virilité, marque
e
traditionnelle de l’identité masculine), les études du début du XXI siècle
soulignent cependant que la perte de la virginité, chez les filles comme
chez les garçons, n’est pas devenue une simple formalité. Si la défloraison
ou le dépucelage sont désormais vraiment cantonnés à une expérience
strictement personnelle, à un acte autonome où l’emprise du groupe social
est sinon nulle, du moins bien moindre ou plutôt référencée à d’autres
valeurs, ils ne se trouvent pas banalisés pour autant. C’est bien encore le
76
passage d’un monde à l’autre . Une enquête sociologique menée auprès
d’étudiants de l’université de Caen entre 1995 et 2005 confirme ces
77
caractéristiques . Les témoignages écrits anonymes soulignent dans leur
très large majorité l’importance de ce moment exceptionnel qui «  ne doit
être gâché pour rien au monde  » et qui s’inscrit dans «  une  » histoire
d’amour même si ce n’est pas «  l’amour pour toujours  ». La parité
d’inexpérience permet le plus souvent, selon les confidences des filles,
davantage de compréhension mutuelle et une moindre crainte. L’enquête
révèle aussi la nécessité d’être prêt(e) et presque exclusivement pour les
garçons «  d’être à la hauteur  ».  Se donner la première fois à son
amoureux(se), c’est aussi assouvir une curiosité, goûter une «  chose
magnifique  », accepter sciemment de vivre un apprentissage, voire se
débarrasser de sa virginité pour se conformer à ce que l’on pense être le
modèle du temps. Le refus légitime d’une banalisation, l’inscription dans
une histoire propre et revendiquée n’excluent ni la pérennité des
représentations ni une réelle partition des approches sexuées. Même un
film aussi brutal, amoral et vulgaire que Kids de Larry Clark (1995), qui
raconte la sexualité adolescente dans un contexte de consommation de
drogues et d’émergence du sida à New York, cède à l’esthétique des
« fucking première fois ». Au moment du générique, une voix off déclame :
«  Virgins. I love ‘em. No diseases, no loose as a goose pussy, no skank. No
nothin. Just pure pleasure ». [« Les vierges. J’les adore. Pas de maladie, pas
la chatte dilatée d’une salope, aucune saleté. Que dalle. Du pur plaisir 78. »]
Cependant, avec l’érotisation croissante de la société, l’apprentissage de
la vie sexuelle s’écrit de plus en plus précocement. Et ce qui est acquis, c’est
que l’initiation se fait entre jeunes sans l’intervention d’un homme ou d’une
femme plus âgés et expérimentés. Le modèle du mâle précocement
affranchi qui déniaise l’oie blanche a vécu. Par ailleurs, la fréquentation des
prostituées n’est plus la règle. En 1992, seuls 5 % des garçons y recourent
79
pour leur dépucelage .
Les nombreuses données mobilisées afin de saisir le respect ou la
transgression des normes éthiques concernant les pratiques de la sexualité
anté-matrimoniale demeurent parfois contradictoires géographiquement et
chronologiquement. D’autant que les sources ne permettent pas toujours
d’y voir clair. Ce que Philippe Lejeune a souligné à plusieurs reprises à
propos du silence qui enveloppe à ce sujet les journaux intimes d’un long
e 80
XIX siècle . Toutefois, le faisceau d’informations recueillies sur la longue
durée inciterait l’historien à penser que l’innocence des enfants et a fortiori
des jeunes, l’absence d’apprentissage individuel ou collectif, voire la
négation du sexe appartiennent davantage au discours fantasmé des
autorités de régulation morale, institutions religieuses puis médicales en
tête, qu’à la réalité de situations réitérées. Les oies blanches, bien sûr, ont
existé, mais pour autant, durant cette longue période qui précède le
mariage, dans les villages ou dans les villes, dans les collèges ou aux
champs, il existait de multiples occasions de prendre connaissance des
choses du sexe et de les expérimenter avec plus ou moins d’intensité mais
de les expérimenter quand même. Si donc la virginité et plus encore la
chasteté furent soumises à rude épreuve, et pas seulement après les années
1960, il n’en demeure pas moins que la valeur de cette dernière a quand
même constitué un objectif proposé à son tour aux couples mariés et par
les Églises et par la Faculté.
9

De chastes volontés ?

Les discours sur l’abstinence pré-matrimoniale tenus par les Églises et


leurs effets souvent limités au sein de la jeunesse occidentale
n’empêchèrent pas les clercs de continuer à fixer des lignes de conduite,
voire à définir des interdits à l’attention des couples mariés jusqu’à une
période très récente. En effet, depuis les premiers siècles, dans le contexte
d’une parousie attendue puis d’un effondrement de l’Empire, le
christianisme a été confronté à un dilemme opposant une anthropologie
angélique et une anthropologie de l’incarnation, l’homme-ange sans
sexualité et l’homme de chair et de sang, la continence et la reproduction 1.
Ce sont ces deux propositions éthiques parfaitement antinomiques qu’il a
tenté de concilier, notamment en direction des époux, à travers la chasteté
conjugale qui devait permettre d’unir le corps à l’esprit et de peupler la
terre tout en pensant au ciel.
Cette notion possédait donc ses caractéristiques tenues longtemps pour
des directives à suivre sous peine de pécher gravement. Mais, là encore, il
faut si possible s’interroger sur la mise en pratique de ce que les discours
religieux construisirent d’exigeant autour de la chasteté conjugale dans la
mesure où l’approche proposée au cours de sa longue histoire ne fut pas
exempte de variations jusqu’à la déshérence contemporaine. Toutefois,
depuis quelques décennies, d’abord assumée par des laïcs, voire par des
personnes sans religion, une attitude s’affirme en prônant le retour à une
chasteté ou même à une continence sexuelle choisie et revendiquée au sein
d’un couple ou non. Comme si même la morale sexuelle classique,
longtemps corsetée par une très sensible influence chrétienne, se laïcisait
partiellement à son tour.

Des approches complexes

C’est depuis saint Jérôme, semble-t-il, que les moralistes chrétiens ou


plutôt certains d’entre eux distinguent trois types de chasteté et répètent
cette trilogie à loisir. Bourdaloue à la fin du XVIIe siècle par exemple fait
pleinement sienne cette tripartition en distinguant lui aussi «  celle de la
virginité, celle de viduité et celle du mariage » et ajoute :

« La chasteté conjugale, quoique la plus imparfaite, est néanmoins


la plus difficile […] parce qu’il est bien plus aisé de s’abstenir
entièrement que de se modérer et de renoncer absolument à la chair,
qui est votre ennemi domestique, que de lui prescrire des bornes et de
la réprimer 2 ».

Trois brèves remarques s’imposent ici. D’une part, classiquement, le


célèbre prédicateur continue de considérer la virginité comme supérieure à
tout autre état, accordant un mépris délibéré à « la chair » ; d’autre part, il
reconnaît la difficulté de l’entreprise et les obstacles personnels  ; enfin, il
semble entretenir volontairement la confusion entre chasteté et continence
sexuelle. Confusion maintes fois reprise dans les textes de moralistes
rigoristes au cours de l’époque moderne et du XIXe siècle 3. Debreyne, par
exemple, en associant l’expérience de ses deux états successifs, n’écrit-il
pas :
« Il est certain que la chasteté virginale et la chasteté conjugale sont
la source la plus pure et la plus abondante d’une grande, saine et
robuste population. Ainsi, continence dans le célibat, chasteté dans le
mariage, voilà le secret de la meilleure population possible sous tous
4
les rapports. L’amour accouple, c’est la vertu qui peuple . »

Or, si effectivement Tertullien estimait déjà que le mariage se confond


avec «  une école de la continence  », pour autant, «  lorsqu’il parlait de
castitas, il entendait une activité réduite au strict minimum dans le cadre
5
du mariage   » et, dans ce sens, comme la plupart des théologiens
moralistes jusqu’à nos jours, il ne tenait pas pour stricte synonymie
chasteté et continence.
En outre, en désignant ces épreuves nécessaires, le célèbre théologien
carthaginois dessinait même très partiellement une partie des contours de
cette chasteté conjugale. Inscrite dans le cadre matrimonial, elle trouvera
souvent une délicate et laborieuse adéquation avec les finalités du mariage.

Le sexe, toujours

C’est dans le volumineux Catéchisme tiré des décrets tridentins que l’on
trouve un bref chapitre d’une vingtaine de pages sur le mariage. Il est
défini comme une union qui repose sur « le consentement que se donnent
réciproquement l’homme & la femme » et répond à trois motifs. Le premier
est «  l’instinct des deux sexes, qui fait qu’ils désirent naturellement d’être
unis, dans l’espérance du secours qu’ils attendent l’un de l’autre ». Le texte
précise que ce premier objectif implique «  de s’entresecourir l’un l’autre,
afin qu’ils puissent aisément supporter les incommodités de la vie, & se
soutenir dans les faiblesses & les infirmités de la vieillesse ». Le deuxième
motif « est le désir d’avoir des enfants, non tant pour les laisser les héritiers
de ses biens & de ses richesses, que pour les élever dans la vraie foi & la
véritable religion  ». Empêcher la conception ou avorter est considéré
comme «  une conspiration de gens dénaturés & homicides  ». Enfin, le
troisième est « de chercher dans le mariage un remède contre les désirs de
la chair, […] pour s’empêcher de tomber dans le péché de l’impureté » et
pour réfréner la concupiscence. Le catéchisme précise encore que d’autres
motifs peuvent conduire à épouser un bon parti, comme les richesses, la
beauté, la noblesse ou « la conformité de son humeur avec la sienne ». Plus
loin le texte insiste sur la « fidélité conjugale » qui « oblige encore le mari
& la femme à s’aimer d’un amour pur, saint, & tout particulier, & non de la
manière que s’aiment les adultères 6 ».
Les commentateurs n’ont pas manqué de relever le caractère novateur
du texte, qui place en tête l’entraide réciproque et non la génération et qui,
par ailleurs, évoque à maintes reprises «  l’amour  » entre conjoints 7.
L’attirance sexuelle et l’amour physique ne sont en aucune manière décriés
ou assimilés à une quelconque faute. En effet, dans le chapitre concernant
le sixième commandement – « Vous ne commettrez point d’adultère » –, les
auteurs du catéchisme recommandent «  beaucoup de précaution & de
prudence  » ainsi qu’«  une grande réserve  » à ceux qui doivent l’expliquer
aux fidèles. On reprend ici une pratique conseillée déjà par les moralistes
médiévaux qui consiste, par des questions trop précises, à éviter d’attirer
l’attention sur des perversions que les pénitents ignorent. Plutôt que de
détailler les manquements à ce précepte, le catéchisme insiste sur
l’obligation de «  garder la chasteté & la continence  ». En considérant la
« fornication » comme un « crime » ou un péché honteux et pernicieux, le
catéchisme ne s’étend pas sur les détails de l’acte mais recommande des
comportements réservés  ou des «  désirs modérés  »  : s’abstenir d’excès de
viande et de vin, car «  l’intempérance de la bouche est la mère de
l’impureté  »  ; contrôler son regard pour que ne s’allume pas «  le feu de
l’impureté  »  ; éviter «  le trop grand ajustement des habits  » qui attire les
yeux  ; fuir les danses, les livres qui parlent d’amour, les images
impudiques, en un mot « réprimer la sensualité du corps 8 ».
Autrement dit, nonobstant le refus de tout érotisme, sur le plan de la
sexualité, les textes tridentins peuvent être qualifiés de «  positifs, voire
9
optimistes  ».
En analysant une quarantaine de catéchismes parus depuis 1554
jusqu’en 1790, Agnès Walch a cependant mis en évidence une nette
inflexion dans ce domaine dès le second XVIIe siècle. Le premier, celui du
jésuite Pierre Canisius, antérieur à la version conciliaire, place encore
comme première fin du mariage « la propagation du genre humain en vue
de la gloire de Dieu ». Il concède seulement comme subsidiaire « le dessein
de prévenir le désordre de la fornication dans l’état actuel de faiblesse de
notre nature corrompue 10 ».
Mais après Trente et son ouverture positive, la tendance à la
moralisation se fait à nouveau croissante. Si le laïc François de Grenaille
vers 1640 admet l’entraide mutuelle au premier rang des finalités 11, un
catéchisme dont la première édition remonte à 1683 modifie la hiérarchie
en replaçant à la première place « la production des enfants », reléguant à
la deuxième «  le secours mutuel de l’homme & de la femme  », et à la
troisième « le remède contre la concupiscence 12 ». Les aspects spirituels du
mariage sont toujours valorisés alors que «  les aspects humains [aspects
affectifs, sexualité, soutien mutuel] semblent être passés au second plan à
partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle ». Réapparaît alors la conviction
«  qui tend à faire des enfants la seule justification de la sexualité et le
remède à l’incontinence  ». Ce rigorisme s’accroît encore au siècle suivant
où les catéchismes «  reproduisent une pédagogie centrée sur le péché et
13
véhiculent une peur de la chair plus marquée qu’au siècle précédent  ».

L’ouverture salésienne et protestante

Base de la spiritualité salésienne, l’Introduction à la vie dévote a été


publiée par François de Sales (1567-1622) une première fois en 1608, puis
enrichie en 1610 des chapitres 38 et 39 de la troisième partie à propos de
la vie conjugale. Écrit pour répondre au souhait de sa cousine Louise de
Charmoisy, mariée et mère de deux enfants dont François est le directeur
spirituel depuis 1607, le livre s’adresse au personnage fictif de Philothée,
«  l’âme humaine qui a soif de Dieu  ». L’évêque de Genève y définit la
chasteté comme « le lys des vertus », « la belle et blanche vertu de l’âme et
du corps  » qui rend «  les hommes presque égaux aux Anges  ». Le cœur
chaste est « comme la mère-perle » et ne « peut recevoir aucun plaisir que
celui du mariage, qui est ordonné du ciel ». En dehors de ce cadre légitime,
«  il n’est jamais permis de tirer aucun impudique plaisir de nos corps en
quelque façon que ce soit  ». François concède donc ce qu’il appelle les
«  délectations nécessaires  » à la procréation. Pour les couples, la chasteté
«  ne consiste pas à s’abstenir absolument des plaisirs charnels, mais à se
contenir entre les plaisirs ». Le mariage est certes un très bon remède à la
concupiscence « mais violent néanmoins, et par conséquent très dangereux
s’il n’est discrètement employé  ». En d’autres termes, «  le lit nuptial doit
être immaculé […], c’est-à-dire exempt d’impudicités et autres souillures
profanes ».
Dans un chapitre intitulé «  Un mot aux vierges  » – repris
ultérieurement dans les éditions expurgées sous un titre nouveau, «  Un
mot aux jeunes filles  » –, il s’adresse aux filles pubères  en ces termes  :
« Gardez donc jalousement votre premier amour pour votre premier mari »
afin d’éviter de lui présenter «  un cœur tout usé, frelaté et tracassé
d’amour ». Dans un précédent paragraphe, il traite « des amourettes », soit
des «  amitiés folâtres […] sans prétention au mariage  ». Il peut s’écouler
des années sans qu’arrive «  entre ceux qui sont atteints de cette folie,
aucune chose qui soit directement contraire à la chasteté du corps  ». Et
pourtant, selon lui, ces amitiés ne peuvent qu’aboutir «  au péché de la
chair ». Elles sont « le jouet des cours, mais la peste des cœurs 14 ». Encore
une fois, cette morale catholique ne récuse point le plaisir sexuel tout en
prônant le contrôle des pulsions et la maîtrise de l’érotisme.
Toutes choses qui vont inspirer vers le milieu du XVIIe siècle un genre
littéraire très prisé, celui des manuels de vie conjugale destinés aux fiancés.
De tels ouvrages ne consacrent d’ailleurs qu’une part très réduite aux
questions sexuelles pour insister davantage sur ce que Agnès Walch appelle
«  la bonne entente et la bonne participation de chacun des époux à
l’entreprise familiale 15  ». La seconde partie du siècle est marquée par
l’essor de l’amour-tendresse qui anime le nouveau modèle conjugal où
affection mutuelle et fidélité sont la norme. Comme l’écrit Maurice
Daumas, c’est alors que le mot « amour » abandonne « le charme vénéneux
de la passion pour la douceur intime du sentiment 16 ». Marcel Bernos, lui,
cite la belle formule d’un manuel de 1644 :

« Le soleil n’est pas plus nécessaire dans le monde que l’amour dans
le mariage ; tout le bien des mariés dépend de cet astre domestique ;
c’est lui qui en chasse la nuit et les ténèbres ; il y porte le jour et y fait
naître la joie ; c’est le père de tous leurs contentements 17. »

Dans la mouvance salésienne, des théologiens comme Bellarmin ou


Bertaut exposeront des vues proches. Ce dernier, dans La Conduite des
confesseurs (1627), précisera même que, dans ce cadre conjugal, la
concupiscence constitue une circonstance «  diminuante  » puisqu’elle
«  empesche le jugement de considérer parfaitement la malice morale et
deshonesteté qui est en l’action qu’on veut faire ». Voire un simple défaut
puisque « la pratique de la sexualité est pleinement conforme à la volonté
18
divine à condition d’en respecter les règles  ».
L’attitude positive de la spiritualité salésienne se trouve déjà en filigrane
dans le protestantisme. Par l’entremise d’un sermon de 1519, Luther
explique comment, par le mariage, « Dieu tempère la chair et l’empêche de
forniquer avec frénésie aux quatre coins de la ville  ». Mais Luther, très
marqué par la tradition augustinienne, partage aussi avec les Pères de
l’Église la conviction que l’exercice de la sexualité est inévitablement
peccamineuse. Certes, il concède que «  le désir charnel pernicieux qui
n’épargne personne n’est plus condamnable dans le cadre du devoir
conjugal ; mais y céder hors mariage reste péché mortel ».
Cependant, pour lui, l’état conjugal n’est jamais pur :
«  La tentation charnelle y sévit avec une telle force et impétuosité
que les mariages ressemblent à un hospice pour incurables ; il ne sert
qu’à empêcher les humains de commettre des péchés plus graves
19
encore . »

Pour sa part, Calvin dans l’Institution de la religion chrétienne souligne


«  que la société conjugale nous est ordonnée pour remédier à notre
nécessité, de peur que nous ne lâchions la bride aux mouvements fougueux
de l’incontinence ».
La chasteté complète est un don de Dieu réservé à quelques-uns. En
effet, dit-il, « il n’est pas au pouvoir de chacun de garder la chasteté dans le
célibat, quelque désir qu’il en ait  ». Calvin recommande néanmoins la
« sobriété » dans le mariage où les conjoints « ne doivent pas se figurer que
toutes choses leur soient permises ». Et il cite saint Ambroise à l’appui de sa
démonstration pour condamner toute convoitise mauvaise et ses
manifestations telles que les «  regards lascifs  », le corps embelli «  pour
20
exciter l’esprit à l’impureté  », les paroles «  deshonnêtes   ».
Paradoxalement, les puritains anglais sont peut-être ceux qui ont été les
moins répressifs par rapport à la sexualité conjugale en respectant les
sentiments et les inclinations des jeunes gens. C’est peut-être de ce côté
21
qu’il faut chercher « l’origine de notre actuel mariage d’amour  ».
Les traités sur les unions conjugales, ou conduct books, particulièrement
e e
nombreux en Angleterre entre la fin du XVI et le milieu du XVII siècle
jusqu’à devenir un véritable genre littéraire, nous éclairent sur ce point.
Contrairement aux présupposés de Max Weber exposés dans L’Éthique
protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905), ce sont des théologiens
e
puritains du XVII siècle, par exemple Thomas Gataker, William Gouge,
William Whateley ou Daniel Rogers, qui insistèrent sur la valeur du plaisir
et du bien-être entre les époux, éléments indispensables de « la constance
dans le couple 22  ». Dans la mesure où beaucoup d’entre eux tenaient
l’entraide et le réconfort mutuel comme le but premier du mariage, ils
estimaient que le plaisir sexuel et la sensualité conjugale étaient
indispensables à cet objectif tout en mettant eux aussi l’accent sur la place
fondamentale de la spiritualité dans la vie du couple. L’ouvrage d’Henry
Smith, par exemple, insistait sur la dimension essentielle de l’amour
conjugal, véritable don de Dieu, et sur l’importance de l’amour partagé
portée par des gestes de piété communs pour conduire à l’amour du
divin 23.
Pour autant, les interprétations extrêmes dans certains courants
réformés ont versé dans la licence sexuelle, de Münster où Jan Matthijs a
prôné en 1534 l’amour libre – un mouvement sévèrement réprimé par les
princes allemands –, jusqu’au ranters de la République anglaise au milieu
du siècle suivant. Jean Calvin lui-même a dénoncé la «  paillardise  » des
« libertins spirituels », une secte mystique qui s’est répandue des Pays-Bas
vers les Flandres et les communautés réformées de France. Selon lui, il
s’agit du «  plus vilain maquerellage dont jamais on eût ouï parler au
monde » : il donne la liberté « à l’homme ou à la femme de s’accoupler à
telle partie que bon lui semblera  » et ensuite de «  faire échange s’il s’en
offre quelque nouveau qui lui plaise mieux  ». De quoi exterminer, dit-il,
« toute chasteté du monde ». Et ils ont l’impudence d’appeler « mouvement
spirituel l’impétuosité furieuse qui pousse et enflamme un homme comme
24
un taureau et une femme comme une chienne chaude  ».

Le refus des excès sensuels

En revanche, d’autres figures marquantes sont beaucoup plus rigoristes


que François de Sales. Vincent de Paul (1581-1660), qui pourtant s’en
réclame, a jalonné son apostolat dans le monde des campagnes de
positions ascétiques : « Celui qui s’abandonne sans frein et sans pudeur à
sa passion devient en quelque sorte un adultère  », déclare-t-il dans une
prédication en milieu rural. L’homme ne doit pas traiter sa femme
«  uniquement dans des vues charnelles  », ce qui revient, spécifie Agnès
25
Walch, à diffuser une « représentation cléricalisée de l’existence  ». Roger
Daon, dans sa Conduite des confesseurs (première édition de 1739), écrit :
« La mauvaise paix est celle qui est fondée sur le vice lorsque deux
époux s’entr’aiment parce qu’ils s’abandonnent aux mêmes péchés, à la
26
volupté . »

Même approche restrictive dans la publication des Conférences


ecclésiastiques du diocèse d’Angers (1755) qui précisent en référence à
Augustin qu’« on ne doit donner le nom de mariage à l’union d’un homme
et d’une femme qui ne serait faite que dans la vue de contenter leur
passion 27 ».
Très souvent, ce sont les mêmes qui inscriront la procréation comme la
première et essentielle finalité du mariage chrétien, voire comme objectif
exclusif. Ainsi peut-on lire dans Les Règles chrétiennes établies sur les
maximes de Jésus-Christ (1664-1683) :

« Les mariés ne s’engagent dans le sacrement de mariage que pour


donner des enfants au monde de sorte que lorsqu’ils agissent pour une
autre fin, ils doivent savoir qu’encore qu’ils demeurent dans les bornes
du mariage, ils ne laissent pas de blesser en quelque sorte la pureté de
28
ses lois et de ses devoirs . »

À propos des finalités matrimoniales et du plaisir conjugal, une sorte de


premier tournant rigoriste semble bien s’être amorcé après les années 1680
avant de perdurer. Et si, comme le remarque judicieusement Maurice
Daumas, plus le mariage est valorisé comme sacrement, plus l’acte sexuel
se trouve dépénalisé, inversement ne peut-on dire que plus l’accent est mis
sur la sacramentalisation d’une union, plus il contraint les
époux  chrétiens  ? C’est ce qu’affirme Jean Girard de Villethierry, invitant
les couples «  à autant de retenue et de chasteté que demande un état si
29
saint   ». Dans son Catéchisme des gens mariés, écrit en 1743, publié en
1775, rapidement saisi et retiré de la circulation probablement à cause du
caractère osé du sujet 30, le père Féline ne dira pas autre chose. Si les époux
sont tenus d’être chastes c’est qu’«  ils doivent se souvenir que leurs corps
sont le temple de l’Esprit  ; qu’ils doivent éviter tout ce qui pourrait les
31
profaner  ».
Il se montre très classique non seulement au sujet de la procréation,
finalité princeps du mariage, mais, dans le sillage salésien, peu novateur à
propos du plaisir qu’il n’est pourtant pas défendu de goûter. Cependant,
dès les premières pages, il précise qu’il « faut encore s’abstenir des regards
passionnés, des attouchements déshonnêtes, des baisers lascifs, de
certaines privautés, et généralement de tout ce qui peut blesser
32
mortellement la chasteté conjugale  ».
C’est d’ailleurs lui qui circonscrit clairement l’ensemble de son propos
de questions-réponses dans ce qu’il estime être les caractéristiques de la
chasteté conjugale. Les leçons VII, VIII et IX de l’ouvrage en définissent les
trois aspects majeurs. Le premier auquel doit se plier la chasteté conjugale
l’inscrit dans une sorte de règle de droit puisqu’il en établit les objectifs qui
ne sont rien d’autre que ceux portés par le mariage. La trilogie édictée par
le concile de Trente se trouve, une fois encore, sensiblement adaptée  :
avoir des enfants, rendre le devoir à la partie qui le demande, procurer un
remède à la concupiscence. Par là, chasteté conjugale et sacramentalité se
trouvent étroitement liées et se renforcent l’une l’autre. Déjà, le jansénisant
Thomas Le Blanc écrivait un siècle plus tôt :

« Ne méprisons donc point le sacrement de mariage puisqu’il est si


utile et pour le bien de la République et pour l’utilité des familles. »

Selon lui, la couronne reposant sur la tête de la mariée serait le signe


de la victoire « remportée jusques à ce temps-là sur la concupiscence et sur
33
les passions  ». La deuxième règle, moins classique, énoncée par Féline a
trait «  aux préparations de l’acte conjugal  ». Ainsi, il est permis «  tout ce
qui est nécessaire pour parvenir à la consommation de l’acte charnel ». La
troisième, dans le droit-fil de la précédente, s’immisce franchement dans
l’intimité du couple en traitant «  de la posture dans laquelle doivent se
mettre les personnes qui se rendent l’une à l’autre le devoir conjugal ». La
réponse est brève : « La nature indique assez sans qu’il soit besoin de s’en
34
expliquer .  » Si la leçon X s’attache à «  d’autres objets de la chasteté
conjugale » sur lesquels nous reviendrons, on constate d’emblée que, sur ce
sujet, c’est d’abord de sexualité qu’il s’agit, assortie d’un certain nombre
d’interdits. S’il n’est pas prohibé de rechercher le plaisir charnel, il est
défendu « de n’avoir en vue que de contribuer à sa santé en se déchargeant
d’une surabondance d’humeurs  ». Pareillement, l’ecclésiastique réprouve
«  ce qui serait employé pour flatter la cupidité et pour faire durer plus
longtemps le sentiment de plaisir ». Ainsi sont tenues pour péchés mortels
la « distillation de semence occasionnée par des préparations trop longues,
trop vives et trop continuelles  » et toute autre position que «  naturelle  »
qui, en outre, «  procurerait une plus grande satisfaction  » jusqu’à refuser
l’absolution aux époux qui « changent de posture dans l’acte de mariage ».
C’est ici que resurgit la question et la condamnation ancienne et
classique de l’onanisme conjugal qui auront encore de beaux jours devant
elles. Dans l’encyclique de Pie XI Casti connubii, du 31 décembre 1930, ne
lit-on pas que «  ceux qui s’appliquent à contrevenir à la génération des
enfants agissent contre la nature et font une chose honteuse et
intrinsèquement déshonnête » ?
Vain barrage à la dépopulation de l’Europe dénoncée par de nombreux
évêques et réponse d’une Église intransigeante à la conférence de Lambeth
en juin 1930 au terme de laquelle les autorités anglicanes autorisaient la
contraception. Publié cinquante ans après la condamnation du divorce par
35
Léon XIII, le texte pontifical précise même un peu plus loin  :

«  Aucune difficulté extérieure (santé de la mère, conditions


économiques) ne saurait surgir qui puisse entraîner une dérogation de
l’obligation créée par les commandements de Dieu qui interdisent les
actes mauvais par leur nature même. Les époux doivent toujours
préserver leur chasteté conjugale de cette tache honteuse. »
Cette prétention cléricale, jusqu’à l’obsession, à contrôler la vie sexuelle
des couples entraînait des implications pastorales décisives. Dans les
recommandations aux confesseurs relatives à la chasteté conjugale, émises
par Léonard de Port-Maurice et Alphonse de Liguori au cours du second
e
XVIII siècle, puis par l’abbé Louvel plus d’un demi-siècle après, il convenait
d’interroger les époux sur les fantasmes entretenus lors de leur copulation :
ont-ils alors désiré d’autres femmes « quand et combien de fois ils se sont
36
délectés de cela en imagination   ?  ». Autrement dit, ont-ils commis un
«  adultère mental  »  ? Les épouses, pour leur part, devaient se voir
prudemment demander «  si elles rendent le devoir avec modestie et
soumission ». Ce n’est que lentement que les prêtres commencèrent à éviter
d’aborder ces types de sujet en confession.
À leur tour, les demandes de conseil adressées à l’abbé Viollet au cours
du premier XXe siècle par des laïcs militants et pratiquants soulignent à la
fois leur intégration du discours de l’Église et la tension qui les traverse pris
qu’ils sont entre les exigences strictes de Rome et la recherche d’un
épanouissement conjugal. Si quelques lettres prônent, entre deux
naissances, de longues plages d’abstinence dans le couple, beaucoup
d’autres s’interrogent sur l’impossibilité à suivre cet enseignement qui ferait
du mariage « un sacrement de damnation », poussant irrémédiablement à
l’abandon de la pratique. La lecture de ces témoignages révèle tout autant
le désarroi, la rébellion, le questionnement anxieux concernant la chasteté
conjugale, qui reste pour bien des moralistes synonyme de continence
«  jusqu’au moment où les circonstances le permettront de multiplier le
nombre de leurs enfants  ». Cette continence demeurant la seule voie
proposée à la fois pour rechercher «  une perfection plus haute  » et pour
limiter les naissances 37.
Ainsi, les premiers contours de la chasteté conjugale impliquent certes
le droit limité au plaisir partagé mais toujours au nom de l’incontournable
finalité créatrice et sans libertinage sexuel. Ici aussi, l’injonction
modérantiste est ancienne. On en trouve la confirmation dans le
catéchisme du concile de Trente :
«  Afin qu’un homme sage soit le maître de sa sensualité, dans
l’usage du mariage, ce doit être sa raison et non sa passion qui soit la
règle de l’amour qu’il a pour sa femme 38. »

Bien des moralistes de l’époque classique valoriseront cette notion de


modération qui contrevient heureusement à l’inconstance et à la passion
39
baroques et, par la raison, favorise l’harmonie, mesure de toute chose .
Commentant la lettre de Paul aux Corinthiens sur « l’usage du mariage », le
rédacteur des Règles chrétiennes établies sur les maximes de Jésus-Christ
(1683) précise que si « cet usage n’est pas sans imperfection et sans faute
[celle-ci] est d’autant plus légère et pardonnable que l’on se portera à rien
d’illégitime et de criminel mais seulement que l’on n’use pas avec assez de
40
modération de ce qui est permis  ».
D’ailleurs, pour Héliodore de Paris, capucin de la fin du XVIIe  siècle,
n’est-ce pas « Dieu lui-même qui veut de la modération en toutes choses » ?
Cet appel au refus de l’excès et des débordements sensuels incontrôlés,
ces références constantes à la mesure trouvent leur écho dans la réflexion
médicale, voire dans la littérature. La morale sexuelle laïque construit, elle
aussi, un discours de modération appuyé sur la théorie des humeurs et la
préservation de la santé. Les traités de médecine de la Renaissance et de la
première modernité, évoquant le respect de l’ordre naturel, conseillent aux
hommes de conserver leur semence, aux femmes de réfréner leur
concupiscence et aux couples de surseoir à de trop fréquentes copulations
afin de ne pas devenir «  froid et sec  ». Plusieurs traités précisent même
qu’il faut éviter de s’épuiser à l’amour et renoncer à «  certaines positions
qui ne conviennent pas à la dignité masculine 41  ». Le célèbre Nicolas
Venette non seulement soutient sur ce sujet que « l’action de l’amour nous
donne d’elle-même assez de plaisir sans en chercher de plus grand par une
autre figure  », mais recommande fermement la limitation des
accouplements, notamment pour favoriser la conception d’un… mâle 42.
Lorsque les médecins, au cours du XIXe siècle, se saisiront du problème –
  en dignes héritiers d’Hippocrate  !  –, ils donneront les mêmes conseils,
soucieux du bon coït conjugal. Dans son ouvrage à succès La Petite Bible des
jeunes époux, le docteur Montalban forge cet aphorisme  : «  Obéir à la
43
fougue de ses passions, c’est se rapprocher de la brute .  » Pour sa part,
Colombat de l’Isère préconise pour une épouse à « l’ardeur excessive dans
l’acte génital, un régime adoucissant, des bains, et surtout l’usage du lait
froid ». Les époux pourraient même « se séparer pendant quelques temps,
du moins apporter de la modération dans le plaisir des sens 44 ».

La chasteté conjugale

Une spiritualité

Comme les clercs ne manquent pas d’étayer leurs propos en s’appuyant


sur l’appel à la sainteté que constitue le sacrement de mariage, nombre
d’entre eux entendent aussi édifier la chasteté conjugale sur la sacralisation
de l’union et la grâce de Dieu. Les époux sont « obligés de ne s’entr’aimer
que d’une manière saine et dans la vue de se sanctifier et de se porter
mutuellement en Dieu  », résume Girard de Villethierry 45. Héliodore de
Paris précise même :

« Maris et femmes, gouvernez-vous comme les images et comme les


ministres de Jésus-Christ. Sanctifiez vos plaisirs par des intentions et
par une retenue qui puissent convenir à des personnes qui sont
responsables de son sang 46. »

C’est probablement ce que le jésuite Claude Maillard dénommait « cet


état de grâce avec les circonstances », rendant l’alliance aussi méritoire que
les bonnes œuvres 47. Dans son étonnant ouvrage qui fait l’éloge du
sacrement de mariage, Catherine Lévesque (1616-1693) conseille aux
époux de se mettre «  en prières tous les soirs & tous les matins  » afin de
bannir de leur esprit « toute pensée du monde & de la chair 48 ». La Vierge
Marie et «  son chaste époux  » seront les gardiens de la vertu conjugale
alors que l’ange devra « chasser l’esprit malin qui pourrait corrompre le Lit
Nuptial  », tout cela avant d’«  exercer le Sacrement sans scrupule, & sans
désordre, ainsi que Dieu l’a établi ».
Cette femme mariée à deux reprises, mère de trois enfants (dont le
premier conçu avant son mariage), condamne les «  esprits folâtres  » qui
considèrent que le sacrement permet de « faire toutes les folies », soit « des
caresses hors de temps, indiscrètes et lascives », « pratiquent le lit nuptial
[…] comme des fous […] et se prennent par tous côtés  ». Plus loin, elle
critique les couples qui font chambre séparée pour éviter les petits
inconvénients des faiblesses momentanées et des défauts du conjoint. Or,
quand l’un a besoin de l’autre, ne voit-on pas un laquais porter «  le
flambeau pour conduire le mari chez son épouse  », l’attendre devant la
porte « pour le reconduire dans son lit » :

«  Pendant que Monsieur est avec Madame mille pensées


déshonnêtes remplissent l’esprit de ces pauvres domestiques, & leur
font dire des sottises, & même tomber dans des péchés impurs. Pour la
femme, elle n’oserait aller trouver son mari  : les domestiques la
railleraient, & la regarderaient comme une débauchée 49 ! »

Afin de parvenir à cette élévation de la chasteté conjugale, de plus en


plus soulignée après 1650 semble-t-il à travers la diversité des confessions
religieuses, plusieurs voies associant lieux et temporalités sont proposées
aux couples. Entre la chambre qui « permet que personne ne s’aperçoive de
ce qui se passe entre les époux  » (Féline) mais à condition qu’il y en ait
une, et le lit, le territoire de l’intime nécessite non seulement des
précautions, mais incite à des avis impératifs de la part des moralistes les
e
plus stricts. Le jésuite Jean Couturier au milieu du XVIII siècle entend
mettre en garde les (nouveaux) mariés afin qu’ils se souviennent toujours
de cette indispensable mise en condition spirituelle non dénuée de
menace :

«  Vous n’entrerez dans la chambre nuptiale qu’avec une sainte


frayeur. Vous attirerez sur vous les bénédictions célestes par de
ferventes prières que vous ferez d’un concert unanime. Vous purifierez
vos intentions, vous respecterez la présence du Seigneur dont les
regards divins pénètrent les plus épaisses ténèbres 50. »

Plus optimiste, le protestant Claude Baduel avoue combien l’habitude


de prier ensemble avec son épouse est propre à développer la piété :
« Les
prières réunies d’un mari et d’une femme ont un grand prix devant Dieu ;
elles affermissent la foi, ajoutent à l’affection mutuelle et sont à la source
d’une grande joie 51. »
Dans Les Principaux Devoirs du chrétien (1689), à la question «  Que
faut-il qu’ils fassent avant de se mettre au lit nuptial ? », l’auteur, Jacques
Le Coreur, répond :

« Ils doivent se mettre à genoux et demander à Dieu avec ferveur sa


52
sainte bénédiction et de faire un saint usage de leur mariage . »

e
C’est ce à quoi s’emploient en plein XX siècle Pierre-Dominique et
Mireille Dupouey selon la confession de cette dernière :

«  Toute enveloppée de ton regard, je ne pouvais soutenir sa


douceur, je baissais les yeux pour mieux goûter la clarté qui baignait
mon cœur. Combien de temps sommes-nous restés ainsi dans le silence
chargé de prière, d’action de grâce et d’amour  ? Dieu seul le sait qui
nous donna de vivre ces minutes ineffables. Qu’il soit à jamais béni 53. »
Si, pour François de Sales, le lit des époux est « honnête car c’est là que
se déroule un acte voulu par Dieu  », pour d’autres, comme Héliodore de
Paris, il doit devenir le lieu de la pureté, le réceptacle de la nécessaire
pudeur, caractéristiques étroitement associées à la chasteté conjugale. Dans
certaines contrées de l’Europe catholique germanique, les peintures qui
décorent la couche, souvent d’inspiration mariale, investissent le meuble
d’une sacralisation formelle porteuse d’une symbolique polymorphe dans
son usage. Mais la présence iconique de Marie, à travers « les mystères de
la vie de la Vierge  », s’apparente-t-elle à une prévention à l’endroit des
débordements sexuels éventuels  ? Ouvre-t-elle à «  un modèle d’union
chrétienne qui éloigne ou désarme la sexualité en l’asservissant aux
exigences de la procréation » ? Est-elle destinée à susciter la réflexion sur
la conception virginale  ? Quoi qu’il en soit, cette sémiologie mariale
s’adressait initialement à des couples enclins à une réelle spiritualité
54
conjugale .
Comme pour d’autres aspects de la vie de couple, la morale médicale
n’est pas en reste pour vanter les vertus du lit matrimonial, « centre de la
normalité  », écrit même Michelle Perrot en citant le docteur Montalban
sensible à la sémantique religieuse :

«  L’union des époux ne saurait se dérouler ailleurs que dans la


chambre, sanctuaire de l’amour et de la maternité. Un bon lit est le seul
55
lieu (autel) où puisse dignement s’accomplir l’œuvre de chair . »

La chasteté conjugale impose aussi un rythme orienté vers la


continence. Là encore se dégage une constante inscrite sur la longue durée.
Dans ses prescriptions sur la vie matrimoniale, le catéchisme du concile de
Trente, faisant suite aux observances médiévales, associe étroitement
continence et sanctification rapportée à la fois au couple et à la personne :
« Il faut que [les mariés] s’abstiennent de temps en temps de l’usage
du mariage pour vaquer [à la prière]  ; et particulièrement qu’ils s’en
abstiennent au moins trois jours avant que de s’approcher de
l’Eucharistie et même encore plus souvent pendant les jeûnes solennels
de carême. »

Plusieurs moralistes français (Le Coreur, Le Blanc, Girard de


Villethierry) rappelleront avec plus ou moins de force la nécessité de
sacrifier à l’abstinence sexuelle «  durant tous les temps consacrés à la
pénitence ». Ils seront relayés dans la diffusion de ces règles par les rituels
diocésains. En 1674, celui de Besançon en insistant sur la manière d’user
« saintement du mariage » précise aux époux qu’il « est à propos que vous
vous en absteniez en certain temps pour vaquer plus librement à la prière
et au soin de votre salut, principalement les jours de pénitence comme en
temps de Caresme et jours de jeûne, aux grandes solennités et aux jours où
vous recevrez la sainte communion 56 ».
Il convient alors de résister au désir des sens, de mortifier par l’esprit
les affections et les mouvements de la chair, de se faire violence, bref de
renoncer à soi-même pour mieux accueillir la grâce 57. Ici aussi, le soutien
des médecins fut longtemps assuré. Sur le sujet, Jean Liébault non
seulement affirme mais menace :

«  Ces jours-là, on doit s’employer son esprit et corps à la


contemplation des choses divines et bonnes œuvres non aux actions
voluptueuses et charnelles. Autrement, Dieu vous fera bénédiction
d’avoir enfans ou si en avez, vous les aurez maladifs, chétifs ou
morigenez 58. »

Toutefois, dans ce domaine aussi, l’unanimité doctrinale n’est pas


totale. Claude Maillard, déjà rencontré, n’écrit-il pas au milieu du XVIIe
siècle qu’il ne voit pas pourquoi  on interdirait aux mariés «  l’usage du
mariage les jours de feste voire les plus célèbres, ny les jours de jeûne, de
Caresme, tant s’en faut que l’usage du mariage soit mauvais et toujours un
59
péché   ». Pour sa part, un siècle plus tard, Féline sera plus expéditif
encore en affirmant que « l’on peut user du mariage en tout temps, de jour
et de nuit, puisque l’acte est le remède le plus prompt à la
60
concupiscence  ». Cependant, ajoute Villethierry à la suite de François de
Sales 61, cette décision de continence doit se faire par un mutuel
consentement et «  si l’un résistoit, l’autre n’auroit pas alors droit de lui
62
refuser le devoir  ».

Un marqueur anthropologique

Pareille précision sur l’entente entre conjoints ouvre au rapport à


l’autre et participe d’une véritable anthropologie de la chasteté conjugale
dont les contours, là encore, sont à la fois cohérents et contradictoires.
Même si la subordination de l’épouse reste une affirmation pérenne qui
structure les relations entre conjoints, elle n’exclut pas chez certains
63
(Calvin par exemple) une égalité fondamentale . L’unanimité sur la fidélité
que se doivent mari et femme demeure l’un des fondements du sacrement
lui-même et, bien sûr, ne fait pas débat. L’encyclique de Pie XI Casti
connubii fait d’ailleurs de la fidélité entre époux «  la foi de la chasteté
conjugale ». Cependant, dans quelle mesure cette préoccupation égalitaire
des devoirs est-elle valide pour l’ensemble de l’intimité matrimoniale ? En
dépit de la réciprocité de la dépossession charnelle fortement affirmée par
Paul dans 1 Corinthiens 7, 4 (« La femme ne dispose pas de son corps, mais
le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son  corps, mais la
femme »), les situations concrètes engendrées par l’environnement social et
largement soutenues par les législations demeurent beaucoup plus
déséquilibrées.
Culturellement persuadés de la supériorité masculine, plusieurs
moralistes insistent sur la responsabilité des maris dans la sauvegarde de la
chasteté du couple. Ainsi François de Sales à l’endroit des hommes :
« Voulez-vous qu’elles soient chastes ? Comportez-vous chastement
avec elles. Si vous leur apprenez les friponneries, ce n’est pas merveille
que vous ayez du déshonneur avec elles 64. »

D’autres soulignent la nécessité de traiter leurs épouses avec décence


en se souvenant que tout n’est pas permis avec elles (Villethierry, Féline) et
qu’elles ne sont pas des prostituées. Dans sa Somme des péchés (1584),
Benedicti déplore à ce sujet que les hommes qui ont fréquenté les bordels
fassent l’amour à leurs « sages et honnêtes femmes » comme si elles étaient
des prostituées 65. Comme pour étayer la figure de la femme tentatrice, un
«  manuscrit vénitien  » traduit par François Barbaro (1513) conseille aux
maris « qu’ils fassent connaître à leurs épouses qu’ils ne veulent pas être les
ministres de leur volupté mais les aides de leur nécessité 66 ».
Tout aussi clairement mais à front renversé, Catherine Lévesque fustige
dans sa Perfection de l’amour du prochain ces maris pour qui importe peu
«  comment ils satisfassent leur sensualité chacun en son particulier, sans
considérer l’intention de leur compagnie. S’ils pratiquent le lit nuptial, c’est
comme des fous, sans prendre garde à ce qu’ils font […] Une autre sorte
de libertin prend son plaisir à faire souffrir son épouse par des caresses
feintes, allumant ses feux par la démonstration des siens, et, sur le point de
les unir par le nœud conjugal, il se retire malicieusement, se raillant de son
épouse et du sacrement, ce qui est une impiété très criminelle 67 ». Claire
dénonciation à la fois du coït interrompu et constatation appuyée relative à
la frustration du plaisir féminin.
Les mises en garde et les conseils… masculins adressés aux femmes
sont évidemment très différents et parfois plus nombreux afin de leur
présenter la soumission comme l’une des composantes essentielles de la
chasteté conjugale 68. Car, écrit Girard de Villethierry, « sous prétexte de les
aimer et de les considérer, les maris ne doivent pas se laisser conduire et
dominer par elles, ce serait un déshonneur pour eux 69  », faisant de
l’obéissance féminine une obligation «  même lorsqu’ils sont de mauvaise
humeur  ». Commentant le livre de Tobie, Nicolas Cabrisseau, à travers la
figure de Sarah, insiste sur « sa docilité aux avis de son époux ce qui nous
apprend que le mari doit gouverner et la femme obéir dans tout ce qui est
juste, sain et raisonnable 70 ».
Plus elliptiques mais tout aussi significatifs, les propos de Catherine de
Billy ne renvoient pas dos à dos maris et femmes dans ce domaine. Aux
premiers, elle fait dire «  je n’ai pas gardé l’honnêteté et la chasteté
conjugales dans le mariage » tandis que les secondes s’accusent de « n’avoir
pas voulu donner le devoir conjugal  » et donc d’être la cause de la
«  débauche  » de l’époux 71. Mais, dans les deux cas, la femme est
responsable : d’une part, d’avoir été consentante en répondant à l’initiative
peccamineuse de son époux ; d’autre part, d’avoir refusé de lui céder et de
l’entraîner ainsi à commettre une faute plus grave.
De leur côté, les protestants proposent une autre éthique du mariage –
une association amoureuse et domestique – et une égalité des droits et
devoirs 72. À la fin du XVIe siècle, le poète occitan réformé Guillaume
Salluste du Bartas ne qualifie-t-il pas la vision du couple à travers sainteté,
chasteté, union des corps et accord des désirs ?

« Voilà comme un amour commencé sainctement


Et sainctement conduit lioit si fermement
Le chaste jouvenceau et cette chaste dame
Que leurs deux corps n’estoient animés que d’une âme
L’un ne vouloit sinon ce que l’autre vouloit 73. »

Néanmoins, nombre d’entre eux confirmaient eux aussi la nécessaire


soumission de l’épouse.
Les homélies catholiques prononcées lors de la cérémonie du mariage
le confirmèrent longtemps. À partir d’un corpus de 200 allocutions
collectées de 1817 à 1955, on a pu constater l’accent mis sur le sacrifice
conjugal. Les prédicateurs insistent lourdement sur ce que l’union des
époux ne peut pas être, à savoir une conjonction de sentiments :
«  Si Dieu n’y avait mis la main, le mariage n’intéresserait que la
partie sensible de notre être – il ne serait que l’alliance de deux
74
égoïsmes – cette alliance enfin serait passagère . »

Un autre célébrant dénonce l’insensibilité de ceux qui refusent les


enfants. Au cas où les époux se laisseraient entraîner par la concupiscence
de la chair et leur narcissisme, ils feraient « le malheur des deux ». Car, ni
l’un ni l’autre ne doivent « gaspiller au hasard et sans profit la sève qui est
en eux ».
Face aux profondes mutations culturelles des lendemains de la
Première Guerre mondiale qui avaient favorisé une réelle et nécessaire
émancipation féminine, Casti connubii semble être devenu encore plus
catégorique en la matière puisque « la soumission empressée de la femme »
constitue l’un des éléments de « la foi de la chasteté conjugale ». S’ensuit
une charge romaine contre ceux qui attaquent «  la fidèle et honnête
subordination de la femme à son mari, ternissant l’éclat de la fidélité et de
la chasteté nuptiales en proclamant que tous ces droits sont égaux entre
époux, estimant ces droits violés par la servitude ».
Mais pareille «  honnête subordination  » n’est pas exempte de
contradictions. Cette obéissance peut-elle aller jusqu’à ne rien refuser à
l’époux  ? Non, écrit déjà Daon dans sa Conduite des confesseurs, tout en
chargeant l’épouse d’une lourde responsabilité :

« Une femme vertueuse qui a lieu de croire que son mari, en usant
du mariage, commet le crime d’Onan, ne peut en conscience s’y prêter.
L’horreur qu’elle aura de ce crime n’empêcherait pas qu’il y eut part et
que la faute retombât sur elle si elle s’y prêtait tant soit peu 75. »

Car l’une des fonctions spirituelles de la femme dans la pratique de la


chasteté conjugale, c’est de détourner l’époux « d’un crime si énorme » et,
plus largement, de «  s’efforcer de porter son conjoint à la vertu et de le
gagner à Dieu par l’exemple de sa vie sainte et édifiante 76 ».
Cette dimension du respect réciproque, de l’entente mutuelle, à la
recherche d’une relation authentique parce que partagée, souvent en
filigrane dans les périodes antérieures, est aujourd’hui mise en avant par la
théologie morale. Tenir le conjoint pour une personne autre et non un
objet  ; une personne à qui l’on donne et dont on reçoit la liberté de dire
non conduit à «  renoncer à la toute-puissance  » (Xavier Thévenot). La
chasteté conjugale n’a donc rien à faire avec la continence « qui n’a pas de
sens en elle-même sinon le sens de celui qui la pratique jusqu’à
l’enfermement 77 ».
Elle est une expérience en mouvement puisque, là aussi, l’on ne naît
pas chaste, on le devient  ; elle est un exercice de séparation et de
distinction, une liturgie des corps qui demande totale et constante
attention 78. Mais, plus largement, la chasteté, conjugale ou non,
s’expérimente dans toute rencontre et s’apparente à «  une disposition du
cœur qui touche à tous les domaines de notre existence  ». Bref, elle est
devenue «  une morale de la relation humaine 79  ». Et J.-M.  Gueullette de
préciser : « La chasteté ne consiste pas à éviter à tout prix les émotions de
la vie affective mais à garder le cap de son engagement sur la longue
durée  », reprenant la mise en garde de Timothy Radcliffe pour qui «  la
contrefaçon de la chasteté est l’invulnérabilité, l’impassibilité,
l’insensibilité 80 ».

Pratiques des normes

En dépit de variantes et d’inflexions parfois non négligeables, la


chasteté conjugale se décline d’abord en fonction d’une double attitude,
celle du couple au regard des prescriptions religieuses, entre plaisir licite et
modération des coïts, et, pour chacun des époux, celle du rapport à l’autre,
entre fidélité et respect, entente et soumission. Reste évidemment à
mesurer l’impact et la réalité de ces impositions morales sur les
populations.

Histoires de couples

Très tôt, certains Pères de l’Église comme plusieurs décisions


conciliaires mirent sérieusement en garde les couples dont, par exemple,
l’épouse choisissait sciemment la virginité tout en vivant avec un homme
qui, lui aussi, avait fait le vœu de rester totalement chaste. Dans leurs
écrits, Jérôme ou Jean-Chrysostome s’élevèrent contre cette tendance qui
e e
se développait aux III et IV siècles. D’une part parce que ce choix
«  conjugal  » alimentait les racontars et les malveillances  ; d’autre part en
raison de l’impossibilité de nombreux couples à respecter cet engagement
initial – notamment, pour Jérôme, à cause des femmes 81 !
Cette réserve dubitative et misogyne n’empêche pas la multiplication
des récits hagiographiques durant l’époque médiévale afin de présenter
bon nombre de couples, célèbres si possible (on pense à saint Henri et
Cunégonde de Luxembourg pour l’Empire ou à saint Édouard le Confesseur
et Édith de Wessex en Angleterre) non seulement chastes, mais totalement
continents et ce, en principe, d’un commun accord. Dans le cas des
ecclésiastiques, c’est seulement lorsqu’ils deviennent évêques que les
prêtres, durant le haut Moyen Âge, renoncent à la chair. Dans celui des
couples dont l’un veut vivre dans « une pure abstinence » en recherche de
sainteté, il se peut qu’il ou plutôt qu’elle se résigne à céder à son époux
pour lui éviter des fornications gyrovagues comme l’illustre la vie de
Radegonde. Enfin, en dépit des réserves patristiques évoquées plus haut,
l’exemple le plus répandu demeure celui du couple qui se forme en
refusant sciemment et conjointement de s’unir charnellement même une
seule fois.
La référence écrasante sur ce point, et largement instrumentalisée, est
celle de Marie et de Joseph. L’authentique union des parents de Jésus est
tenue pour non consommée de la part des commentateurs qui ne
s’appuient que sur le présupposé d’une virginité mariale continue et même
perpétuelle. Pareil modèle, dont Jérôme se fit fort de citer plusieurs
illustrations au sein de la société romaine qu’il fréquentait, autorisa alors à
tenir pour valide une union sans accouplement, contribua largement à
établir une confusion durable entre chasteté et continence totale et permit
de valoriser ainsi l’exemple de certains couples décidés dès le départ à
82
atteindre la sainteté par cette voie .
Au XVIIe siècle surtout, s’impose un autre modèle, celui des couples qui,
ayant procréé, décident dès lors de « vivre dévotement ». Évidemment, une
telle décision se trouvait parfois grandement facilitée par la mort de
l’époux, autorisant la veuve à rejoindre un monastère. Telles Louise de
Marillac, Marguerite Pignier-Romanet ou la belle Acarie dont la sexualité
matrimoniale et la vie mondaine n’avaient jamais été entravées par ses
83
extases quasi mystiques . Autant de femmes qui ont fait l’objet de
biographies édifiantes où la chasteté conjugale, voire la continence
s’inscrivaient dans un parcours spirituel modélisé. Plus près de notre
époque, on a pu mettre en valeur le comportement du couple de Louis et
Zélie Martin, parents de Thérèse de Lisieux, qui décident de rester chastes
durant plusieurs mois après leur mariage célébré en juillet 1858. Ils auront
leur premier enfant en février 1860… Une longue nuit de Tobie en quelque
sorte. Louis écrit même de sa main un texte qui reprend en grande partie
les instructions concernant le mariage contenues dans de nombreux rituels
diocésains :

« Le lien qui constitue ce sacrement (de mariage) est indépendant


de sa consommation. Nous avons une preuve éclatante de cette vérité
dans la Sainte Vierge et saint Joseph qui, bien que véritablement
mariés, ont gardé une continence perpétuelle. Ces illustres époux ont
eu depuis pour imitateurs plusieurs saints qui vivaient dans le mariage
comme des vierges, se sont bornés à l’union toute pure de cœur,
renonçant d’un commun consentement au commerce charnel qui leur
84
était permis . »
Selon une rhétorique bien rodée, c’est toujours la transposition à la fois
historique et spirituelle qui est à l’œuvre  : celle du modèle du couple de
Nazareth comme celle de l’union du Christ avec l’Église, tenue pour
parfaite. Sans ignorer ce que l’institution religieuse autorise, c’est un appel
à un dépassement de soi qui seul peut permettre de tendre vers la pureté et
l’union des âmes.
Marié en 1914, le couple Joseph et Alice Ollé-Laprune n’a vécu qu’une
très brève période de vie conjugale puisque Joseph meurt en 1915. Les
textes qu’Alice a publiés témoignent d’un idéal similaire de chasteté :

« Pour trouver Dieu, il n’y a qu’à chercher en son mari. Je crois que
Dieu a des bénédictions spéciales pour ceux qui s’efforcent de réaliser
sa pensée sur l’union conjugale, de représenter l’union de Jésus-Christ
85
et de l’Église, de puiser dans cette analogie . »

Presque simultanément, et avec des motivations sensiblement


différentes ou dans tous les cas plus explicites, après sept ans de mariage et
une vie amoureuse similaire à «  celle d’un jeune homme et d’une jeune
femme très épris l’un de l’autre  », mais sans enfants, Jacques et Raïssa
Maritain, dans la cathédrale de Versailles le 2 octobre 1912 et après avoir
86
pris conseil auprès du père Humbert Clérissac, font le vœu suivant  :

« Renoncer à ce qui dans le mariage ne satisfait pas seulement un


besoin de l’être humain, chair autant qu’esprit, mais est chose légitime
et bonne en soi. […] Je ne dis pas qu’une telle décision fut facile à
prendre. Elle ne comportait pas ombre de mépris pour la nature mais
dans notre course vers l’absolu et notre désir de suivre à tout prix, tout
en restant dans le monde, au moins un des conseils de la vie parfaite,
nous voulions faire place nette pour la recherche de la contemplation
et de l’union à Dieu et vendre pour cette perle précieuse des biens en
87
eux-mêmes excellents . »
Cet idéal d’abstinence sexuelle plus que de chasteté était porté depuis
plusieurs années d’abord par Jacques, dès 1901 semble-t-il, pour qui le
compagnonnage spirituel entre époux s’inscrivait comme un soutien
réciproque dans cette quête d’absolu et de chemin vers Dieu. N’était-ce pas
d’ailleurs l’un des objectifs du mariage ? Même après la probation d’un an,
la difficulté d’une pareille décision leur permettait cependant,
conjointement et librement, de puiser à une source intellectuelle unique et
radicale. Elle cimentait plus encore ce couple en recherche d’une vie pieuse
hors du commun mais sûrement pas hors du monde.
C’est évidemment à de tout autres visées que devaient se soumettre les
jeunes époux « ordinaires » lors des nuits de Tobie.

Nuits de Tobie

Celles-ci en effet leur étaient recommandées comme une sorte de bref


pis-aller face à l’impossibilité de l’immense majorité des couples à suivre les
modèles proposés, à la fois sublimés et souvent peu compatibles avec
l’injonction du «  Croissez et multipliez  ». En lieu et place d’une longue
continence faisant suite au sacrement de mariage ou après quelques
naissances, l’Église romaine proposait de façon inégale la pratique des
nuits de Tobie, en référence aux noces de ce dernier avec Sarah qui, sur les
conseils de l’ange Raphaël, furent seulement consommées après trois nuits.
En fait, dans la version grecque, seule une nuit est évoquée pour être
d’abord consacrée à la prière. Tobie demande à Dieu une longue vie pour le
couple dans la fidélité et l’entraide, puis après le dernier «  amen  », le
88
mariage est consommé . S’inspirant de cet exemple manipulé par la
e
Septante, plusieurs conciles dans l’Antiquité tardive (IV   concile de
e e
Carthage au IV siècle, concile de Valence au VI   siècle) demandèrent aux
89
époux de passer au moins leur première nuit en prières . C’est semble-t-il
le Ve concile diocésain de Milan, sous l’épiscopat de Charles Borromée
(1564-1584), qui, dans un décret, exigea «  que le curé ne manque pas
d’avertir les mariés qu’après qu’ils auront reçu la bénédiction nuptiale de
garder la continence pendant trois jours de suite par respect de ce
sacrement ».
Qu’en fut-il réellement en Piémont  ? Jean-Eudes, pour sa part, en
er
référence à saint Évariste, pape de la toute fin du I  siècle, rappelait cette
90
« coutume » en forme d’obligation . Est-ce l’un des marqueurs du tournant
rigoriste français évoqué plus avant  ? Jean-Pierre Camus (1584-1652),
évêque de Belley, disciple de François de Sales, y fait allusion. Cet
apologiste prolifique a notamment écrit plus de 30 romans pour
l’édification des fidèles. Dans Roselis ou l’Histoire de sainte Suzanne (1623),
il réécrit le récit biblique dont l’iconographie du temps retenait surtout la
scène du bain et le corps dénudé de la sainte sous les regards lubriques des
vieillards 91. Rhabillée chez Camus, parangon de la pureté idéale, Suzanne
retrouve son mari :

« Mais il est temps que nous nous retirions et que nous laissions en
paix la chaste Roselis dans le palais de son époux car il la va introduire
dans son cellier à vin, c’est-à-dire dans ses cabinets de délices, pour
rétablir en elle l’ordre de sa dilection ; elle s’esjouira en Dieu & en lui,
& lui en Dieu & elle, ils vont prier ensemble comme Isaac et Rebecca,
ou plutôt comme le jeune Tobie et Sara, ils vont remercier Dieu qui les
a délivrés de ces deux démons 92. »

Girard de Villethierry conseille la démarche à ses lecteurs à la fin du


e
XVII siècle, tout en ajoutant :

« Même qu’il fût si fort à souhaiter que tout le monde l’observât, je


ne prétends pas néanmoins condamner ceux qui ont tenu une autre
conduite en se mariant soit faute d’instruction ou parce qu’ils n’en n’ont
pas eu le mouvement. Je ne dis pas non plus qu’on soit absolument
obligé d’embrasser cette pratique car mon intention n’est pas en ce
point de gêner les fidèles 93. »
Pourtant, presque au même moment (1702), l’oratorien François-Aimé
Pouget déplore que l’on ne recommande plus les nuits de Tobie aux jeunes
mariés. La « continence pour le premier jour » reste toutefois un « conseil
salutaire » ou, comme le dit la théologie, non pas une obligation mais une
94
abstention surérogatoire .
e
En revanche, plusieurs ouvrages du XVIII siècle commentant le livre de
Tobie ne tirent que des réflexions spirituelles bien générales et sans
implications pastorales réelles qui s’apparenteraient à une incitation forte.
Ainsi, Jean de La Neuville en 1723, à propos du passage sur le mariage de
Sarah et Tobie :

« Sera-ce à la sensualité, à la passion, à l’intempérance ou bien à la


modération, à la sobriété, à la religion qu’un chrétien consacrera les
prémices d’un mariage dont Dieu est l’auteur, dont Jésus-Christ est le
modèle et dont un sacrement forme le nœud et sanctifie l’usage ? […]
Si j’ai la foy, de la piété pour Dieu, du zèle pour mes véritables intérêts,
je me ferai un devoir de sacrifier au Seigneur la liberté qu’il m’accorde ;
95
au moins aurai-je soin de la sanctifier avant de m’en servir . »

On peut alors s’interroger sur la chronologie de cette pratique qui


pourrait avoir été à nouveau encouragée au cours de la seconde modernité
96
européenne . Elle est par exemple attestée par Jacques Cambry à Scaër,
district de Quimperlé, lors de sa tournée dans le département du Finistère
en 1794 :

« Dans ce pays, la première nuit de noces est à Dieu, la seconde à la


Vierge, la troisième au patron du mari ; celui-ci n’approche sa femme
97
que la quatrième nuit . »

e
Au début du XX siècle, Van Gennep en trouve encore des traces en
98
Bretagne, Normandie, Bresse et Savoie . Dans une volonté de
déchristianiser le folklore, Pierre Saint-Yves explique cette pérennité en
l’associant à un rite de purification, préparation indispensable à tout
commencement, et la défloraison d’une vierge en est un, et aux conditions
qu’il convient de respecter pour se prémunir contre les menaces qui
pourraient peser sur l’union. Or, l’ivresse fréquente du jeune marié après le
repas de noces n’est pas le meilleur des gages pour opérer cet
99
accomplissement initiatique .

De la contraception

Même si Catherine de Billy, sévère observatrice du monde des


e
campagnes au milieu du XVIII siècle, déplore à plusieurs reprises l’absence
de chasteté et de pudeur qui y règne, comment savoir réellement si
l’accouplement des chrétiens se pratiquait selon les normes recommandées
par les ecclésiastiques 100  ? Concernant le refus d’une procréation
systématique, les historiens-démographes ont montré depuis longtemps
que la pratique des « funestes secrets » (Moheau) était monnaie courante
en France mais pas seulement, et probablement assez répandue à partir
101
des années 1730-1750 . Des comportements contraceptifs se rencontrent
aussi assez tôt dans les villes helvétiques (Zurich ou Genève), dans le
Palatinat, sur les rivages allemands de la mer du Nord ou dans les îles
frisonnes de culture protestante, mais tout autant dans la région de Murcie
ou au Pays basque espagnol. Dans le royaume des Bourbons, les pratiques
contraceptives se développèrent au cours de la seconde modernité depuis
les ducs et pairs jusqu’aux modestes paysans, de la capitale aux grandes
villes (Rouen), des grandes villes aux plus petites, Vernon ou Vic-sur-Seille
par exemple 102. À Rouen, la descendance théorique des femmes mariées de
15 à 49 ans passe chez les grands notables de 7,05 enfants en 1640-1669 à
3,7 en 1760-1792. Dans le même temps, elle recule de 7,3 à 3,3 chez les
103
boutiquiers et de 7,2 à 4,8 chez les ouvriers . À Meulan, la proportion de
couples stériles ou contraceptifs passe de 24,1 % en 1765-1789 à 46,5 %
104
en 1790-1814 puis à 59,4 % entre 1815 et 1839 . La baisse sensible du
taux de fécondité, d’abord marquée dans le Sud-Ouest, en Bourgogne et en
Normandie avant 1789, touche peu à peu l’ensemble des provinces
françaises à partir de la Révolution où « se produit un brusque décrochage
de la natalité » (L. Henry et E. Gautier).
Même si ces données ne résultent pas uniquement d’un délitement
dans l’application de la norme religieuse, même si elles peuvent
possiblement provenir de difficultés économiques ou de l’émergence d’une
autre idée de la famille grâce à une préoccupation nouvelle et positive pour
l’enfant, il n’empêche. Le discours moral volontariste et vitaliste de l’Église
devenait moins prégnant pour nombre de couples avec le risque pour
l’institution de provoquer une déprise sacramentelle irréversible. Bien des
curés de paroisse après 1815-1820 s’en ouvrirent à leur évêque pour savoir
quel comportement adopter à ce sujet. Ainsi, en 1842, Jean-Baptiste
Bouvier, évêque du Mans, se signale par une intervention auprès du pape
dans laquelle il demande des directives à propos des couples qui contrôlent
leur fécondité et n’avouent pas leur péché en confession. Les jeunes époux
«  se sentent ordinairement très offensés lorsque leurs confesseurs les
interrogent sur la manière dont ils usent des droits matrimoniaux […]. Aux
murmures de leurs confesseurs [en particulier à propos de la contraception
par retrait du membre viril], ils opposent l’abandon des sacrements de la
pénitence et de l’Eucharistie 105 ».
Faudrait-il dès lors s’abstenir d’interroger les personnes mariées pour
ne pas les blesser ? La réponse de la Sacrée Congrégation de la Pénitence
est plutôt restrictive, dénonçant l’usage imparfait du mariage et insistant
sur le devoir de fécondité. Ce thème demeurera récurrent durant tout le
siècle, particulièrement lorsque se renforcera dans l’espace public la crainte
de la dépopulation. On vilipendera durant les années  1890 l’onanisme
infanticide et les curés seront incités à intervenir à ce sujet au
confessionnal et en chaire. Ainsi, vers 1910-1911, lors d’une mission dans
le Centre de la France, un prédicateur fulmine contre l’onanisme conjugal.
À la sortie, révoltés par cette condamnation, un groupe de jeunes gens se
106
concertent et jurent «  de ne plus jamais remettre les pieds à l’église   ».
Confirmation a posteriori de la crainte de Bouvier.
Le changement d’attitude du magistère à partir des années 1850-1860
par sa condamnation de plus en plus catégorique de l’onanisme répond au
développement marqué de la limitation volontaire des naissances dans la
plupart des pays européens et dans l’ensemble des milieux sociaux, peut-
être à l’exception notable du monde ouvrier, mais aussi  à  la volonté de
lutter contre l’influence des théories néomalthusiennes. Alors que Malthus
considérait que le problème de la surpopulation devait se résoudre par « la
contrainte morale  », le néomalthusianisme, d’origine anglo-saxonne, dont
la fameuse London Secular Society, prône au contraire la diffusion de tous
les moyens pour favoriser la limitation des naissances, se heurtant ainsi à
l’enseignement des Églises, qu’elles soient romaine ou protestantes.
La pratique des formes possibles de la chasteté conjugale se reflétait
concrètement dans d’autres attitudes d’appréhension délicate. En dehors
du peu de respect pour les temps proscrits, en partie connu grâce au
repérage démographique des conceptions, qu’en était-il des oraisons
préliminaires, des usages de la seule position tenue pour légitime, de
l’obscurité nécessaire, de la pudeur requise, entre une nudité mal
apprivoisée ou honnie et des vêtements adéquats dont la célèbre chemise
fendue  ? Cette chemise dont se gausse Anatole France à travers la
description qu’en fait M.  Nicodème, «  président de la Compagnie de la
pudeur » :

«  Sachez monsieur que la société que j’ai fondée fait faire des
trousseaux pour les jeunes mariés où il se trouve des chemises amples
et longues avec un petit pertuis qui permet aux jeunes époux de
procéder chastement à l’exécution du commandement de Dieu relatif à
la croissance et à la multiplication. Et pour mêler, si j’ose dire, les
grâces à l’austérité, ces ouvertures sont entourées de broderies
agréables. Je me flatte d’avoir imaginé de la sorte des vêtements
propres à faire de tous les nouveaux couples une autre Sarah et un
autre Tobie et à nettoyer le sacrement de mariage des impuretés qui y
107
sont malheureusement attachées . »

Si l’usage de la nuit de Tobie semble être devenue aujourd’hui obsolète


au moins en Occident, en revanche, le refus réitéré du divorce de la part de
l’Église romaine la conduit à exiger de ceux qui ont rompu le lien
sacramentel puis contracté une nouvelle union de vivre dans la continence
totale « entre frère et sœur ». Deux des derniers pontifes, particulièrement
conservateurs en la matière, l’ont rappelé solennellement mais de façon
différente. Dès les premières années de son pontificat, dans son
exhortation apostolique Familiaris consortio de novembre 1981, Jean-Paul
II présente cette continence conjugale comme le seul engagement possible
aux yeux du magistère 108. Au nom de l’Église, Benoît XVI, sans transiger
sur le fond, « encourage ces fidèles à s’engager à vivre leur relation selon
les exigences de la Loi de Dieu, comme amis, comme frère et sœur  ; ils
109
pourront ainsi s’approcher de la table eucharistique  ».
Ce qui est en jeu se résume donc toujours à la même chose. L’union
sacramentelle implique une conséquence radicale : pas de sexe en dehors
du mariage-sacrement. On passe alors de la chasteté conjugale  à la
continence absolue. Une fois encore, on peut se demander, pour
aujourd’hui, quel est l’impact de ces interdits normatifs sur la vie des
catholiques pratiquants, spécialement dans les milieux urbains de la
chrétienté occidentale où la multiplication des paroisses garantit
l’anonymat des situations matrimoniales. Combien s’y plient, combien
transgressent mais si souvent encore avec une conscience déchirée ?
Et il y a quelques décennies seulement, suite à l’encyclique Humanae
Vitae (juillet 1968), Henri Caffarel, le prêtre fondateur des Équipes Notre-
Dame, ce mouvement de laïcs pourtant en recherche d’une spiritualité et
non plus d’une morale matrimoniale, définissait encore «  la chasteté du
chrétien marié, même si elle apparaît comme une difficile conquête
[comme l’]une des plus éloquentes affirmations que, depuis la venue du
Christ, l’homme n’est pas inéluctablement asservi à la matière 110 ».
No sex !

Comme pour répondre de manière radicale à ce constat à la fois


réaliste et un tantinet suffisant se développe depuis deux décennies, et
d’abord dans le monde nord-américain, un ensemble de mouvements qui
encouragent soit à la continence avant le mariage, soit à la pratique de la
chasteté pour célibataires ou gens mariés. Si le phénomène n’est pas
nouveau, il prend actuellement une certaine ampleur grâce au contexte
favorable d’une sensible réaction morale. Devant cette réalité, il faut
pourtant se garder de confondre, à l’instar de quelques auteurs pressés,
continence ou chasteté volontaires et asexualité 111.

Quêtes utopiques

Alors que les hommes de la Réforme ont contesté fortement la


supériorité du célibat et de la virginité sur le mariage et, par là,
l’enseignement de plusieurs Pères de l’Église et l’influence de sectes au
cours des premiers temps du christianisme, ce sont pourtant plusieurs
courants de pensée issus du protestantisme qui vont valoriser le célibat
totalement vertueux, mais dans un cadre et un contexte souvent bien
e
précis. Les groupes de la mouvance réformée qui, entre le milieu du XVII
siècle et les années 1870, prônent l’abstinence sexuelle sous diverses
formes appartiennent généralement à des mouvements millénaristes.
Autrement dit à des groupes qui, dans leur interprétation littérale ou
allégorique du livre de Daniel ou de l’Apocalypse, préparaient la seconde
venue du Christ sur la Terre pour mille  ans, durée pendant laquelle
l’humanité serait libérée du péché et de la mort. « Mille ans de bonheur »
112
en quelque sorte . Ces aspirations utopiques s’appuyaient souvent sur des
visions répétées de leurs fondateurs ou fondatrices qui organisaient ces
petites communautés selon des règles économiques et morales précises où
la sexualité, qu’elle soit conjugale ou individuelle, était extrêmement
codifiée, voire bannie. Car si le royaume attendu est bien terrestre, il sera
aussi céleste par la pureté des individus et «  le règne des saints avec le
Christ » (J. Mede 113). Cette aspiration à un retour à l’état de l’homme avant
la Chute avait un cadre tout trouvé après la colonisation du Nouveau
Monde. Entre Virginie – ce « paradis du monde » décrit par Thomas Harriot
– et New Haven, ces contrées, terres nouvelles et cieux nouveaux, étaient
assimilées à l’Éden terrestre où « naîtront des chrétiens […] pour devenir
participants de l’héritage des saints dans la lumière 114 ».
C’est dans cet horizon d’attente qu’il convient de replacer le discours
des sectes qui, dans la préparation du Royaume, revendiquent l’éradication
115
«  des débauches et des vices avilissants qu’engendre l’impiété   ».
Exception faite des ranters dans les années 1650 pour qui « aux purs toutes
116
choses sont pures   » ou, plus tard, de la communauté d’Oneida fondée
par John Noyes en 1846 qui prônera à la fois l’amour libre et la continence
masculine maximale comme moyen de contraception, les autres groupes
d’obédience millénariste revendiquaient au contraire une stricte
117
abstinence . Tel est, par exemple, le cas des shakers, société fondée par
Mother Ann Lee en 1774 près de New York. Alors qu’elle vivait encore en
Angleterre, elle annonçait, après de multiples visions, le retour du Christ,
persuadée que «  les plaisirs de la chair étaient la cause de la Chute  ». Sa
condamnation radicale de la sexualité, effet probable de son mariage forcé
et de ses quatre grossesses non désirées, ne se retrouve pas totalement
dans le Male Purity Movement, fondé en 1830 par Sylvester Graham,
Samuel Woodward et William Alcott. Soucieux de «  la conservation de la
semence  », ils militaient d’abord pour la continence préconjugale et ne
justifiaient «  le commerce charnel  » que par la maternité, décrivant les
dangers de l’orgasme, cette sorte de «  paroxysme convulsif associé à
l’assouvissement des appétits sexuels [causant] la plus forte agitation à
118 e
laquelle le système puisse être soumis   ». Pour sa part, au début du XX
siècle, George Baker, Father Divine, fils d’esclaves, impose à ses fidèles une
stricte abstinence sexuelle, ne serait-ce que pour faire barrage à la
supposée sexualité débridée des Noirs 119.
Ces exigences reposent toutes sur un fond religieux puisque plusieurs
des fondateurs ou membres importants proviennent des milieux
presbytériens, des adventistes du septième jour ou des quakers. Mais la foi,
les exercices de la prière ou l’attente eschatologique ne suffisaient pas
toujours à entretenir l’ascèse sexuelle souhaitée. La valorisation du sport, le
travail communautaire – ou non –, les effusions sans fin comme libération
des pensées mauvaises, mais plus encore le choix de la nourriture devaient
y contribuer. Si Baker, reprenant des propositions patristiques, fit de la
consommation des aliments une sorte de compensation des manques,
inversement, S.  Graham, avec la préconisation du pain au son ou des
légumes sans assaisonnement, et John Harvey Kellogg, grâce à l’invention
des corn flakes, souhaitaient ainsi procurer la nourriture la plus insipide
possible pour ne pas attiser la libido. Mais, au sein de chacun des groupes,
c’est aussi la surveillance mutuelle, la mise en place d’anciens et
d’anciennes, chez Mother Ann par exemple, aux pouvoirs coercitifs
importants (lecture du courrier, séparation des filles et des garçons, écoute
des « confessions ») qui permettaient de tendre dans une certaine mesure
vers l’idéal abstinent.
Le délitement plus ou moins long de ces mouvements après la
disparition du fondateur ou de la fondatrice porta justement sur la
question de l’exigence sexuelle imposée. Après la mort de Mother Ann en
1784, la secte des shakers continua d’abord de prospérer en Nouvelle-
120
Angleterre et dans le Massachusetts avant d’entamer son déclin . Sur 144
garçons présents dans la secte entre 1821 et 1864, huit moururent, dix
furent enlevés, deux renvoyés, 102 retournèrent au monde et 22 seulement
furent capables de supporter cette discipline pour en devenir des membres
adultes 121. Dans le cas du groupe de Father Divine, et en dépit de son
extension californienne, les Rosebuds, qui faisaient vœu de «  chasteté
perpétuelle  », c’est davantage le vent de permissivité sexuelle soufflant
après 1950 qui entraîna la décadence du mouvement.
Sauver la jeunesse

Face au contexte nouveau qui s’esquisse après 1960 avec la sensible


multiplication des grossesses précoces puis le développement alarmant des
maladies sexuellement transmissibles, les années 1970-1980 vont dessiner
un nouveau paysage moral, principalement sous l’impulsion des Églises
évangélistes américaines. Il est vrai qu’en 1976, Jimmy Carter, un
néoconverti (born again), est élu président et que le pasteur télévangéliste
Jerry Falwell fonde en 1979 la Moral Majority («  Majorité morale  »), une
organisation politico-religieuse qui regroupe non seulement des
évangélistes, mais aussi d’autres protestants et des catholiques, faisant
entrer avec force cette idéologie réactionnaire dans l’espace public. Avec
plus de six millions de fidèles à son apogée, la M.M. joua non seulement un
rôle dans l’élection de Reagan ou, plus tard, de G. W. Bush, mais surtout
milita pour le rétablissement de valeurs oubliées ou bafouées.
Simultanément ou successivement se développa ensuite aux États-Unis une
nébuleuse de groupes d’obédience proche soutenus par des personnalités
(Élisabeth Elliot, Carla Stephens), producteurs de très nombreux écrits
destinés à vanter les valeurs familiales traditionnelles et les mérites
spirituels de l’abstinence sexuelle, particulièrement en direction de la
122
jeunesse .
Si certaines associations, comme le Born Again Virgins of America
Movement (BAVAM), s’adressent aux jeunes femmes qui ont déjà perdu
leur virginité, la majorité d’entre elles visent davantage les filles et les
garçons des établissements secondaires. La plus importante, semble-t-il, fut
le mouvement fondé par un pasteur de Nashville, Richard Ross, en 1993
intitulé True Love Waits et soutenu par la Lifeway Christian Ressources,
une branche de l’Église baptiste du Sud. Approchés grâce aux méthodes
éprouvées du marketing, les futurs membres du TLW doivent d’abord
publiquement signer une carte d’engagement contenant le texte suivant :
« Croyant que le véritable amour peut attendre, je fais le serment à
Dieu, à moi-même, à ma famille, à mes amis, à l’être à qui je m’unirai,
à nos futurs enfants de vivre selon la pureté et de respecter l’abstinence
sexuelle selon les lois de la Bible à partir d’aujourd’hui jusqu’au jour de
mon mariage 123. »

Dans les collèges, on multiplie les distributions de tracts ou de tee-


shirts aux slogans accrocheurs (Pet your dog not your girlfriend, Stop your
urgin, be a virgin) et les réunions, rallies, concerts, expositions comme lors
124
du Valentine’s Day . Des événements annuels comme le Light Purity Ball,
où sont valorisées les jeunes filles ayant refusé toute relation sexuelle avant
le mariage, le lancement d’opérations médiatiques à l’image des Crossing
Bridges of Purity en 1999 donnent une large visibilité à l’organisation. Le
mouvement profita des Jeux olympiques d’Athènes de 2004 pour présenter
alors 400  000 cartes d’engagement en provenance de 20 pays
essentiellement anglophones et africains (Kenya, Ouganda, Afrique du
Sud).
Ces groupes de pression médiatisent aussi force récits de vie. L’ouvrage
à succès de Joshua Harris, I Kiss Dating Goodbye, publié en 1997, réédité et
traduit en plusieurs langues, est révélateur de ce mode opératoire auprès
125
des jeunes . Dans un style très simple, l’auteur, devenu pasteur, s’appuie
sur des témoignages réécrits, souvent de teenagers, afin de démontrer que
le flirt et les relations sexuelles avant le mariage ne sont que des
satisfactions égoïstes et immédiates qui ne respectent pas le/la partenaire
du moment. Elles ne conduisent qu’à «  se blesser soi-même, à blesser les
autres et à pécher contre Dieu  », lui qui «  nous offre le célibat, cette
période de notre vie qui ne ressemble à aucune, étant donné les
innombrables occasions qu’elle nous donne de mûrir, d’apprendre et de
126
servir  ».
Le flirt devient ainsi une voie néfaste, un mauvais usage de notre
liberté qui nous éloigne de la pureté et de la sainteté, vertus
indispensables. Il convient donc, et selon les desseins divins, d’attendre.
Bien sûr, ce temps d’attente n’exclut pas l’amitié entre jeunes puisque toute
relation est «  une occasion de vivre l’amour du Christ  », mais il est
indispensable afin de conforter l’engagement définitif de chacun vers le
127
mariage . Toutefois, un tel dynamisme, qui fait la part belle aux born
again et aux «  repenti-e-s  », a ses limites. Selon une enquête du
gouvernement fédéral, entre 1995 et 2001, 82 % de ceux qui s’étaient ainsi
engagés ont rompu leur promesse. En outre, 80 % des jeunes évangélistes
ont leur premier rapport sexuel plus précocement que les autres
128
protestants ou que les jeunes catholiques .
À côté du True Love Waits, certaines de ces organisations ne ciblent pas
seulement les générations adolescentes et s’adressent aussi aux adultes afin
de les convaincre du bienfait qu’il y a à refouler, voire à refuser tout désir
sexuel et ses multiples formes d’accomplissement. Ces comportements de
contrôle sont donc souvent présentés comme un code de conduite touchant
aussi aux actions du quotidien, susceptibles de faciliter l’accès à la vie
éternelle. C’est la conviction de Jim Burns, qui affirme que son Purity Code
« is not just about sex » mais bien «  une façon de vivre qui peut apporter
beaucoup plus de liberté en envisageant le futur avec optimisme [puisqu’il]
favorise un apport émotionnel et spirituel dans les relations et
129
spécialement dans le mariage  ».
Afin de conforter cette disposition, Burns ne fait que reprendre les
e
anciennes recettes du XIX siècle  : nourriture appropriée, exercices
physiques, refus de regarder des images dégradantes, d’entendre des mots
ou de la musique qui pourraient éloigner de Dieu. Mais, à terme, c’est
toujours la recherche de la pureté corporelle et son exaltation qui sont
mises en avant. À cause de la sexualité humaine, le corps tendrait en
quelque sorte à se dévaloriser alors qu’il est assimilé dans le christianisme
au temple de l’Esprit.

Le choix laïque de la chasteté


Si, pour nombre d’individus, la dimension religieuse est importante,
sinon fondamentale dans le choix de la continence, au minimum avant le
mariage, tel n’est pas le cas de celles et ceux qui, soit collectivement, soit
plutôt individuellement, font de la virginité et/ou de la chasteté un mode
de vie en fonction de critères qui ne se réclament pas d’une référence
chrétienne. Lorsqu’il ne se trouve pas effectivement influencé par une
emprise spirituelle, le choix personnel de la chasteté peut être motivé par
la peur de l’autre, la peur de soi à travers la perte de sa virginité ou la
timidité. Mais il peut être aussi l’expression d’un militantisme. Sally Cline,
par exemple, explique que la chasteté permet à une femme d’échapper à
130
un rapport de domination et d’oppression masculines . Et pour celles et
ceux qui ont déjà fait l’expérience de la sexualité et de la parentalité, c’est
un moyen, à un moment électif de leur vie, de rechercher leur plaisir
différemment et donc d’éveiller leur sensualité selon des voies spécifiques.
Il ne s’agit donc pas pour les personnes chastes ou devenues chastes
d’ignorer leur corps, mais bien de l’explorer autrement à travers la
respiration, les mouvements, les sons. La voix d’autrui par exemple possède
pour certains un pouvoir érotique incontestable. De même le
développement de l’imaginaire sensuel, qui n’est pourtant pas réservé aux
chastes, participe à son tour de ces moyens distincts d’éprouver le plaisir.
Dans son gros ouvrage sur l’histoire de la chasteté, Élisabeth Abbott
explique en conclusion non pas les raisons qui l’ont poussée à devenir
chaste, alors qu’elle était mariée et mère de famille, mais les «  avantages
tangibles qu’elle en retire dans sa vie quotidienne 131 ».
Assez marginal au regard de ces options volontaires et personnelles, le
cas très particulier des vierges jurées d’Albanie répond pour sa part à des
motivations sociales, économiques et culturelles dans un milieu donné qu’il
semble intéressant d’exposer. Voici des femmes qui acceptent de rester
vierges parce qu’elles doivent désormais tenir le rôle d’un homme ou plutôt
celui du chef de leur famille ou de leur clan. Les origines de cette tradition,
encore actuelle, sont controversées, mais non leurs finalités 132. La nécessité
de répondre au manque d’héritier mâle, garant à la fois de l’honneur et de
la défense de la famille, soit en raison de l’absence de naissances
masculines, soit parce que les jeunes hommes ont été victimes de la
«  reprise de sang  » ou dette d’honneur, est, de très loin, la cause la plus
répandue de ce choix. Il existe en fait deux grandes catégories de vierges
jurées  : celles dont ce statut a été décidé par leurs parents dès leur
naissance  ; celles qui ont pris cet engagement lors de la puberté, parfois
aussi pour échapper à un mariage arrangé. Pareille obligation dans cette
partie des Balkans (nord de l’Albanie, Monténégro, Macédoine, Kosovo) se
trouvait essentiellement liée aux structures patriarcale, patrilinéaire et
e
exogamique imposées par des coutumes codifiées au cours du XV siècle au
sein d’au moins quatre kanun, ces recueils écrits de lois orales,
spécialement ceux de Lekë Dukagjini et de Skenderbeg. C’est d’ailleurs ce
dernier qui traite le plus longuement de la question des vierges jurées.
D’après le kanun, les femmes qui «  choisissent  » de revêtir ce statut,
sans pour autant le motiver, font aussi le vœu de rester vierges à vie. En
contrepartie, elles sont autorisées à vivre comme des hommes  : s’habiller
comme eux, s’asseoir les genoux écartés, fumer, cracher, jurer, «  s’enivrer,
porter des armes, circuler librement, garder les troupeaux dans la
montagne  ». Bref, «  se libérer ainsi de leur position subalterne de
pourvoyeuses d’enfants, de soins domestiques et d’occupations
agricoles 133  ». Ces femmes, qui assument désormais une condition
masculine au sein de la famille, sont acceptées et respectées comme telles
dans leur communauté villageoise. Elles ne sont pas traitées comme un
genre intermédiaire mais bien comme «  des hommes sociaux  » (M.
134
Dickemann) . Même si leur condition est un peu différente en ville où le
phénomène s’est implanté plus tardivement, même si le délitement des
traditions, l’évolution du statut de la femme et les migrations risquent fort
de faire disparaître le modèle prochainement, ces femmes estiment
positivement leur état. Elles ont trouvé, dans le contexte qui était le leur, la
façon la plus fonctionnelle de répondre à une situation familiale délicate
tout en endossant le prestige attaché à la masculinité. Certes, en
contrepartie, le prix à payer reste le refus de toute sexualité et, partant, du
mariage et de la maternité, alors que ces dernières conditions se trouvent
imposées aux femmes albanaises sous peine de déshonneur là encore.
Mais, et sans généraliser, comme le confiait en 1995 une vierge jurée à
Antonia Young  à propos d’une question qui suscite la gêne et le mutisme
135
des intéressées : « J’ai toujours été sans besoin sexuel . »
C’est un peu la même réponse que pourraient faire et que font
d’ailleurs les membres disparates de cette autre nébuleuse que constitue le
monde de l’asexualité.

Asexualité
e
Depuis la fin du XX siècle, des individus revendiquent en effet une vie
sans sexe. La création par David Jay d’un site en 2001, Asexual Visibility
and Education Network (AVEN), a eu pour première revendication la
reconnaissance de l’asexualité non comme une pathologie, une réaction de
défense contre le «  tout sexuel  » ou un effet pervers de l’individualisme,
mais bien comme un vécu identitaire non choisi 136. Les multiples
témoignages qui depuis alimentent la Toile montrent que, s’il peut y avoir
ici ou là une phobie du contact, si même l’asexuel peut faire l’amour pour
« paraître normal » ou faire plaisir à son/sa partenaire, c’est toujours sans
désir. Un chercheur de l’université Brocks (Ontario), Anthony Bogaert,
précise d’ailleurs que le tiers des asexuels vivent en couple et que 11  %
déclarent avoir déjà eu une relation amoureuse 137.
e
À la fin du XIX siècle, certains médecins comme le Britannique
Havelock Ellis, l’un des pères fondateurs de la sexologie, en rendaient
responsable l’influence néfaste de la morale chrétienne. Thèse qui, au vu
des enquêtes sociologiques, n’est plus de mise aujourd’hui puisque les
personnes interrogées ne mentionnent pratiquement jamais des
motivations d’ordre religieux. En revanche, la dimension et les
dérèglements pathologiques, déjà soulignés par Richard von Krafft-Ebing
dans sa Psychopathia Sexualis (1886), à travers la description de ce qu’il
nomme « l’anesthésie », reste une explication très forte chez les sexologues
contemporains. Valérie Cordonnier écrit à propos des asexuels :

«  Ce n’est pas un choix librement consenti mais un leurre. Ils


croient être dans la maîtrise totale de leur corps en niant la machine du
désir mais c’est une utopie 138. »

Jacques Waynberg est plus radical :

«  S’ils veulent passer à côté du plaisir, pourquoi pas  ? Mais qu’ils


réclament le droit au respect, voilà qui est insupportable. Pourquoi
139
devrions-nous respecter des cancres  ?  »

Pourtant, ces «  cancres du sexe  », ces porteurs de comportements


stigmatisés, ces dissidents du grand jouir qui refusent d’y voir une
pathologie représenteraient aujourd’hui environ 1  % de la population
mondiale 140. Uniquement en France, selon l’enquête dirigée par Nathalie
Bajos et Michel Bozon, 0,8 % des femmes et 1,4 % des hommes de plus de
141
25 ans n’ont jamais eu de rapports ni de désirs sexuels .
Cet ultime exemple souligne à sa manière la complexité à cerner la
chasteté tant les interprétations médicales ici, religieuses ailleurs proposent
ou imposent des grilles de lecture différentes. Tant et si bien que, selon les
cultures et les moments, le glissement de la virginité à la chasteté et de la
chasteté à l’abstinence sexuelle a été fréquent tout en brouillant les pistes.
Tel est le cas aujourd’hui des groupes qui, surtout aux États-Unis,
demandent à leurs jeunes adeptes de rester chastes, c’est-à-dire vierges,
jusqu’au mariage. De ce fait, la mise en avant jusqu’à une période récente
de la chasteté conjugale a pu longtemps constituer un oxymore même aux
yeux de l’enseignement de l’Église. Or, si cette expression pouvait, chez
certains auteurs et certains couples, être assimilée à la continence sexuelle,
elle recouvre en fait une réalité plus complexe et plus riche. Il ne s’agit pas
de refuser la procréation dans le mariage mais de définir ce qui est permis,
défendu, toléré dans l’union des sexes. Se profile alors la question du
plaisir comme celle de la modération. En fait, et plus largement, la
réflexion contemporaine sur la chasteté conjugale a sensiblement modifié
le contenu de la notion en ne la cantonnant plus seulement dans le
périmètre de la sexualité. Elle consisterait à refuser de subordonner l’autre
à son seul désir, qu’il s’agisse d’accouplement ou de relations sociales. Cette
dimension élargie à travers une sorte de déclinaison sociologique le plus
souvent laïcisée se retrouve dans le choix de chasteté que font, à titre
individuel, des hommes et des femmes hier mariés. On est assuré que, dans
ce dernier cas, les intéressés assument totalement leur résolution alors que
les discours moralistes exigeants relatifs au respect de la chasteté old
fashion eurent des effets à la fois variables chronologiquement et
socialement, mais de moins en moins en phase avec la norme imposée.
10

La fabrique des vierges

Une famille vierge

«  Tu dis que Marie n’est pas restée vierge. Quant à moi, j’exige
davantage. Qu’à cause de Marie, Joseph a été vierge pour que d’une
union virginale naisse un fils vierge 1. »

Cette formule de saint Jérôme rappelle d’abord qu’en régime chrétien


et plus encore dans la culture catholique, la notion de virginité renvoie
immanquablement à l’image de Marie, mère de Jésus. L’insistance avec
laquelle s’est déployé le culte marial autour de cette qualification
ontologique, et tout spécialement au long du XIXe siècle, nécessite que l’on
expose les éléments qui ont fait de Marie l’essence même de LA virginité
jusqu’à la caricature.

D’une vierge à l’autre

En 325, au terme d’une longue polémique entre Nestorius (partisan du


terme Anthropotokos, «  mère de l’Homme  ») et Cyrille, Alexandre,
patriarche d’Alexandrie, proclama Marie Theotokos mère de Dieu,
appellation confirmée par le concile d’Éphèse en 431. Antérieurement, des
Pères de l’Église s’étaient cependant interrogés sur la conception de Jésus
d’abord à partir du texte lucanien (Luc 1, 30-34) mais pas seulement de
lui 2. En effet, à plusieurs reprises dans les Évangiles, Luc et Matthieu
désignent Jésus comme «  le fils de Joseph  » ou «  le fils du charpentier  ».
Pourtant, les deux apôtres, dont les récits de la naissance ne coïncident
pas, voire se contredisent, évoquent le statut original de cette conception,
signe probable d’une tradition renvoyant à un midrashet et, de ce fait, déjà
ancrée dans la culture des communautés chrétiennes à la toute fin du Ier
siècle 3.
Pareille affirmation d’une conception sans recours masculin mérite
cependant que l’on y prête historiquement attention afin d’évoquer au
moins les possibles compréhensions avancées et divergentes, alors que,
depuis le IVe siècle, sous le poids de la patristique puis du magistère, s’est
imposée une lecture quasi littérale de ces passages soutenue par
l’impossibilité de penser Jésus le Christ selon les voies naturelles de la
procréation. Saint Éphrem le Syriaque au milieu du IVe siècle l’exprime
clairement :

«  C’eût été une honte que le Christ fût procrée ex viri semine. En
même temps, il ne convenait pas qu’il naquît d’une femme en dehors
4
du mariage . »

Lecture qui n’a pas été pour rien, au moins à travers ses effets, dans
l’instrumentalisation de la virginité mariale, spirituellement, culturellement
et socialement. Ainsi, Ambroise de Milan, à la fin du IVe siècle, grand
apologiste de la continence, use pour Marie de toutes les métaphores de
l’étanchéité : enclos, fontaine scellée, verrous, cloisons, sceaux. Cependant,
écrit Giulia Sissa, « dans le contexte du discours mariologique, le sexe de la
Vierge, et par conséquent, de toute vierge, est scellé, l’hymen existe. Il est
désormais un présupposé nécessaire pour l’interprétation de l’Écriture  :
c’est le détail physique qui rend miraculeux, proprement mystérieux le pas
5
franchi par un fils de vierge, qui se doit d’être Unique  ».
Toutefois, justement dans cette exégèse et comme si l’enjeu était faussé
dès le départ, on remarquera que la référence à Isaïe (7, 14) dans Luc
s’appuie sur une erreur volontaire de traduction. Le prophète utilise le mot
almah, soit une jeune femme mariée ou non. Ce terme que l’on retrouve
une dizaine de fois dans le premier Testament ne se rapporte jamais à une
6
vierge puisque le terme hébreu qui désigne cet état était betoulah . Or, Luc,
en s’essayant au commentaire d’Isaïe, utilise la version grecque des
Septante, qui traduit almah par parthenos, et impose  le verset suivant  :
«  Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils  », au lieu d’écrire  :
« Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils. » En effet, si le
mot hébreu peut désigner aussi bien une fille pubère dans l’expectative du
mariage, une jeune veuve ou une concubine, le terme grec s’applique
exclusivement à la seule jeune femme nubile 7. De plus, on ne possède
aucun indice selon lequel les juifs hellénistiques donnaient à ce passage le
8
sens d’une conception virginale .
Selon l’exégèse récente, les hypothèses historiques mais non
théologiques qui conduisirent Luc, directement, et Matthieu,
indirectement, à affirmer la conception virginale de Jésus sont plurielles
sans toutefois s’exclure l’une l’autre. L’inscription culturelle de cette
affirmation renvoie au rôle de la femme au sein des civilisations agraires
qui se réduisait à « un matériau de base » pour constituer le fœtus tandis
que l’homme tenait le rôle essentiel lors de la copulation 9. Pourtant, tout
en participant de cette culture, on ne trouve aucun écho d’une conception
10
virginale de Jésus dans la tradition juive, même indirectement . Faut-il
faire appel aux récits mythologiques qui relatent les naissances
miraculeuses issues de l’union d’une femme et d’un dieu ? La plupart des
exégètes aujourd’hui rejettent ce parallèle pour plusieurs raisons. D’abord
il est très difficile de dater précisément la première apparition de ces
récits ; ensuite parce que même au Ier siècle, « il est hautement improbable
qu’elles fussent connues et acceptables comme source de la part des
premiers chrétiens 11 » ; enfin, parce que ces énonciations évoquent presque
toujours des relations sexuelles où le mâle divin prend la place du mâle
humain. Rien de tel dans les versets évangéliques puisque l’Esprit, associé
aussi à la résurrection, «  authentifie l’intimité singulière qui unit Jésus à
son Père 12 ». Comme dans la Genèse où il plana sur les eaux, il enveloppe
ici Marie pour instituer une nouvelle création.
La précision lucanienne de la conception virginale s’apparente-t-elle à
une surenchère dans la compétition que se seraient livrés Jean-Baptiste et
Jésus  ? Le premier, né d’une vieille femme nullipare et stérile, le second
conçu par la puissance de l’Esprit 13  ? Est-elle une réponse à la rumeur
rapidement (?) répandue dans certains milieux du judaïsme selon laquelle
Jésus serait un fils illégitime né de l’union de Marie avec un soldat romain
(l’hypothèse Pantera), rumeur avalisée par Celse en 178 dans son Discours
véritable contre les chrétiens et rapportée par Origène (Contre Celse,
248) 14  ? La pérennité de ce récit montre pour le moins que certains juifs
connaissaient depuis longtemps les évangiles de l’enfance et leurs
apparentes étrangetés et que ce soupçon adultérin représentait «  un aveu
implicite du caractère extraordinaire de la naissance de Jésus 15  ».
Toutefois, par cette accusation, Marie n’entrait-elle pas plus aisément dans
la lignée féminine de la généalogie qui ouvre l’évangile de Matthieu,
rejoignant les quatre figures (Tamar, Rahab, Bethsabée et Ruth), toutes
porteuses d’un scandale moral et sexuel ?
Ce bref rappel des possibles racines de ces versets souligne en creux
l’aporie à laquelle se heurte l’historien sur ce point. Mais, dans l’évolution
de cette histoire virginale centrée sur Marie, c’est bien davantage la
question de la triple virginité de la mère de Jésus qui devint centrale et où
le modèle d’une Marie semper virgo… laetare qui plus est sera largement
décliné et exposé à la foi des fidèles. Toujours vierge ? Soit ante partum, in
partu, post partum. Si l’ante partum fut reçu sans trop de difficulté à travers
la lecture littérale de l’affirmation évangélique, en revanche, les références
directes aux frères et sœurs de Jésus, dont l’interprétation lexicale n’est
16
plus vraiment discutable , comme la mention du « fils, premier-né » dans
Luc ou la fin du premier chapitre de Matthieu, ne laissaient aucun doute
sur la possibilité de naissances ultérieures pour Marie 17. Telle fut déjà la
compréhension d’Hégésippe vers 150 puis de Tertullien. C’est dans le
e
premier quart du III siècle qu’Origène, s’appuyant sur le protévangile de
Jacques, s’opposa à cette interprétation et ouvrit un débat auquel
participèrent, entre autres, Athanase d’Alexandrie, Ambroise, Augustin et
Grégoire. Tous, en délicatesse avec la sexualité tenue pour une souillure,
estimaient impensable et insupportable l’image d’une virginité interrompue
pour la mère du Seigneur. Ambroise, qui d’ailleurs avait changé d’avis en
391-392, écrit dans De Institutione virginis que «  l’accouchement n’a
nullement lésé l’intégrité virginale de sa mère ». Beaucoup s’appuient aussi
sur le protévangile de Jacques rapportant l’épisode de la sage-femme,
Salomé, qui, voulant vérifier la virginité de l’accouchée Marie, voit sa main
18
se dessécher . Sur ce thème, largement sujet à caution, Dominique
Cerbelaud fait finement remarquer que cette croyance désormais ancrée
fait passer «  d’un plan théologique à un plan physiologique et d’une
19
perspective christologique à une perspective mariologique  ».
Plusieurs conséquences importantes découlèrent de cette pseudo-
certitude qui n’a évidemment aucune base scripturaire 20. D’abord la
justification d’une dévalorisation de l’acte sexuel, fût-il reproducteur, de sa
dimension peccamineuse et malsaine (concile des évêques d’Illyrie en
392)  ; ensuite une présentation de Marie comme l’archétype de la vierge
chrétienne, une sorte d’exemplum permanent, de modèle offert, ce que
relève déjà Athanase d’Alexandrie :

«  Voilà l’image de la virginité et, de fait, Marie fut telle. Que celle
qui désire être vierge la considère. »

Enfin, influencé lui aussi par le protévangile de Jacques qui s’attarde


sur l’enfance de Marie (la Genna Mariae), isolée dans le Temple de l’âge de
3 ans à ses fiançailles avec Joseph  afin de la soustraire à tout ce qui
pourrait altérer sa pureté 21, Augustin affirme qu’elle a fait un vœu privé de
virginité et ajoute que «  les vierges sacrées sont même, elles aussi, avec
Marie, les mères du Christ si elles font la volonté de son Père 22 ».
Ainsi, par leurs obsessions interprétatives souvent univoques, plusieurs
Pères de l’Église et, par la suite, leurs multiples commentateurs et
compilateurs ont souvent mobilisé Marie moins comme celle qui répond au
dessein de Dieu qu’elle ne parvient pas à comprendre que comme la figure
d’une sexualité négative et honnie, à l’abri de la contamination du mâle,
ferme dans ses engagements juvéniles inventés. Cette insistance
grandissante portée à la virginité mariale aura parfois élevé «  Marie au
23
rang de déesse-mère  », mais aussi à celui d’une femme à la fois épouse et
fille de son fils 24. Alors que la profession de foi de Jésus, fils de Dieu, « est
indépendante de la conception virginale et n’est pas fondée sur elle  » (J.
Moltmann), Joseph Ratzinger lui-même, en dépit d’une tournure un peu
ambiguë, n’écrit-il pas : « La divinité de Jésus ne serait pas mise en cause
s’il était issu d’un mariage normal 25. »
e
Joseph, dont le culte tardif (à partir du XVII siècle) s’épanouit – est-ce
un hasard  ? – au XIXe siècle, partagerait cette virginité perpétuelle avec
Marie. C’est Jean Gerson qui le premier semble-t-il, dans ses Considérations
sur Joseph (1413), met l’accent aussi fortement sur deux points. Dans
l’approche chrétienne de la paternité, Joseph est au croisement de deux
traditions  : la juive, fondée sur les liens du sang, la romaine qui autorise
26
l’adoption . Mais Gerson insiste beaucoup et avant d’autres sur la virginité
du père putatif de Jésus, allant ainsi à l’encontre des croyances issues des
apocryphes selon lesquelles il aurait été marié et aurait eu des enfants 27. Si
les quelques statues d’un Joseph appuyé sur un bâton fleuri, signe de
virginité, sont attestées au XVIe siècle, c’est à partir du milieu du XVIIe siècle
que le thème d’un « joséphisme » virginal devient envahissant. En 1645, le
jésuite lorrain Jean Jacquinot considère d’ailleurs ce caractère comme une
rupture culturelle majeure dans le monde juif d’alors :
« Il leva le premier l’étendard de la virginité conjugale en un temps
et un pays où la stérilité était tenue pour opprobre et malédiction. »

Qui plus est, Joseph accomplit, lui aussi, le dessein que Dieu lui avait
assigné  : veiller sur la virginité de son épouse. Ainsi se voit-il qualifié de
« père-vierge de Jésus, vierge-époux de Marie, gardien et compagnon de sa
virginité 28  ». Pour sa part, un autre jésuite, Étienne Binet, presque au
même moment, dans le chapitre qu’il consacre aux « grâces éminentes de
l’âme de saint Joseph », place en premier lieu sa virginité :

«  Il fut vierge et il se signala tellement en ce point que sa pureté


virginale ne le céda en éclat et en mérite qu’à celle de la Reine des
vierges. Quelles grâces suprêmes devait-il avoir reçues pour conserver
cette angélique vertu dans un siècle qui méprise les vierges. […] Au
dire des saints Pères, un homme qui conserve intact le trésor de la
virginité l’emporte sur les anges mêmes. Mais pour que saint Joseph
l’ait gardé le premier dans l’état conjugal et si fidèlement durant tant
d’années, se mettant au hasard d’être moqué des hommes, à quel degré
29
de sainteté n’était-il pas nécessaire qu’il fût parvenu  ? »

Ce que Bossuet résume ainsi fortement :

«  Ce sont deux virginités qui s’unissent et se conservent


éternellement l’une l’autre par une chaste correspondance et comme
deux astres qui allient leur lumière 30. »

Qui plus est, ce rapprochement intime et pur avec Marie se trouve


renforcé par une démarche spirituelle accomplie indépendamment par
chacun d’eux. En écho à la vocation virginale de Marie affirmée dès son
plus jeune âge, nombre de « biographes » de Joseph lui attribuent la même
31
démarche . Dans sa Vie de saint Joseph, le vicaire général d’Évreux René
Pieau n’hésite pas à relater un dialogue entre Marie et Joseph lors d’un
moment crucial pour leur couple. Marie vient alors de lui annoncer qu’elle
avait fait vœu de virginité « depuis sa plus tendre enfance » :

« Joseph eut peine à contenir sa joie en écoutant cette ouverture si


conforme à la disposition dans laquelle il se trouvait lui-même […]  :
“Je brûlais du désir de vous ouvrir mon cœur sur le point dont il s’agit.
Maintenant, je vous dirai que, dès la douzième année de mon âge, je
me consacrai comme vous au Seigneur par un vœu perpétuel de
virginité et de chasteté, vœu qui m’a toujours été cher et que j’estime
plus que ma vie même. Bien loin de mettre obstacle à votre
consécration, je la protégerai de tout mon pouvoir et vous aiderai à
remplir fidèlement les obligations qu’elle vous impose. Oui, nous
servirons (ce Dieu puissant) ensemble dans une entière pureté et, tout
en nous aimant comme frères, nous ferons qu’il règne en souverain
dans nos cœurs 32.” »

Ces engagements parallèles de Marie et de Joseph résultaient non d’un


appel de Dieu, mais bien d’un choix personnel et assumé en rupture totale
er
avec la conception traditionnelle de la virginité dans le judaïsme du I
siècle, cet état « dont la prolongation est aussi bien une tare qu’un danger
33
possible   ». Mais, dans l’ordre des caractères vertueux, les mises en
parallèle entre les deux personnages purent être poussées plus avant.

Conceptions immaculées

Bien que la virginité mariale ne puisse en principe se confondre avec la


notion d’Immaculée Conception, leur association courante n’est pas
totalement sans fondement. D’abord le terme commun de «  conception  »
qui renvoie à une réalité charnelle ou à sa négation  ; ensuite parce que
Marie, la vierge, confirme elle-même cette identité particulière en
apparaissant quatre ans après la proclamation du dogme à Bernadette
Soubirous (1858) : « Je suis l’Immaculée Conception. » Enfin parce que le
péché originel, qui aurait épargné Marie, possède une acception sexuelle
puisque, selon plusieurs Pères de l’Église et surtout Augustin, c’est d’abord
par la libido amandi, la concupiscence sexuelle, après la Chute, que se
transmit ledit péché 34.
Étrange appellation néanmoins qui désigne une personne par un acte
biologique, la fécondation, longtemps resté mystérieux. En fait, l’idée de
penser Marie conçue sans péché n’alla pas de soi. Dès l’Antiquité
chrétienne, les avis étaient très contrastés sur le sujet. En se référant aux
récits évangéliques eux-mêmes, Tertullien ou Jean Chrysostome ne
croyaient pas la mère de Jésus sans défaillances, Augustin ou Zénon de
35
Vérone non plus . C’est, une fois encore, l’influence d’Ambroise qui
e
s’impose peu à peu à partir du V siècle sans faire taire de fortes et longues
oppositions entre les dominicains, Thomas d’Aquin en tête, farouchement
contre, et les franciscains, avec Jean Duns Scot, relayés ensuite par les
jésuites 36. Les conciles de Bâle (1439) puis de Trente (1545-1563) ne
e
tranchèrent pas la question alors qu’au XVII siècle s’affirmèrent des fêtes
solennelles en Espagne ou aux Pays-Bas en l’honneur de Marie Immaculée
et que plusieurs associations de catholiques se réclamèrent aussi de ce
37 e
patronage . Après une accalmie au cours du XVIII siècle, c’est l’apparition
de la rue du Bac en novembre 1830 qui relança singulièrement
l’engouement immaculiste grâce à la diffusion «  à des millions
d’exemplaires de la médaille miraculeuse portant l’invocation  :
Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous 38 ».
En fait, la proclamation du dogme Ineffabilis Deus par Pie  IX le
8 décembre 1854 met un point final au débat dans un contexte politique et
religieux bien particulier. Le texte justifiant le dogme ne mentionne
quasiment aucune référence scripturaire probante. En revanche, en
s’appuyant lourdement sur les écrits de papes précédents (Sixte IV, les
papes du concile de Trente, Alexandre VII), Pie IX promulgua l’unique
39
dogme catholique défini par un pape seul . Marie est reconnue comme
l’Immaculée Conception « par une grâce et un privilège particulier de Dieu
tout-puissant  ». Cet argument d’autorité se trouvera conforté en deux
autres occasions  : d’abord avec le  Syllabus dénonçant catégoriquement
«  les principales erreurs de notre temps  » publié… le 8  décembre 1864  ;
ensuite par la proclamation de l’infaillibilité pontificale en juillet 1870 qui
justifiait a posteriori 1854. Dans une atmosphère tenue pour apocalyptique
par Rome après les révolutions qui secouèrent l’Europe des années 1789-
1850 et dans un monde où l’Église était devenue une forteresse assiégée,
Marie se trouvait ainsi mobilisée pour combattre efficacement les erreurs
du siècle et, à nouveau, écraser le serpent. Le lien entre la condamnation
40
des errements séculaires et le nouveau dogme sera durable .
De manière beaucoup moins appuyée et dans des situations moins
sensibles, mais afin de rendre plausible sa sainteté, plusieurs ouvrages
e
consacrés à Joseph, au moins jusqu’au XVII   siècle, tentent d’établir une
sanctification in utero, dans le sein même de sa mère. Jean Gerson,
défenseur de l’Immaculée Conception, s’y emploie :

« De même, écrit-il, que Marie a été sanctifiée dans le sein maternel
avant sa naissance, ainsi peut-on le croire pieusement de Joseph, son
virginal époux mais non pas exactement de la même manière. Joseph a
été sanctifié dans le sein de sa mère par le baptême de désir après avoir
41
contracté le péché originel . »

Paul Payan remarque finement que «  la sanctification de Joseph


proposée par Gerson repose essentiellement sur une logique de
contamination sacrée  : elle se fonde sur sa proximité avec la Vierge et
l’Enfant – une idée présente déjà chez Bernard de Clairvaux – et sur son
rôle de gardien et de nourricier. C’est la prédestination à ce rôle, dès le
ventre de sa mère, qui conduit à l’idée d’une consécration in utero 42 ».
Dans un ouvrage controversé, condamné par l’Inquisition, la mystique
franciscaine espagnole Maria d’Agreda (1602-1665), relatant les écrits que
lui dictait directement la Vierge, reprend la même idée :

«  Elle [Marie] savait qu’il avait été sanctifié à l’âge de sept mois
dans le sein de sa mère, et que le feu de la concupiscence avait été
comme éteint, tout le temps de sa vie. Jamais il n’éprouva le plus léger
43
mouvement d’impureté, ou d’affection déréglée . »

e
Assertion relayée dans plusieurs ouvrages du XIX siècle consacrés au
44
sujet . Dans cette veine, il n’est donc probablement pas anodin de
remarquer que la reconnaissance de Joseph comme «  patron de l’Église
universelle » fut proclamée par le même Pie IX le… 8 décembre 1870.
e
C’est encore au cours du XVII siècle que des jésuites italiens tentèrent
d’inclure Anne, la mère de Marie, dans le mouvement immaculiste. En
1677, le père Imperialis, supérieur des jésuites de Naples, demanda
l’érection d’une confrérie en l’honneur d’Anne et fit imprimer le bref sous le
titre de Beata Anna, Virgo et Mater Matris Domini. Il justifiait cette
désignation au prétexte que Marie, sa fille, ayant été conçue sans péché
originel, « il n’y avoit eu ni commerce d’homme ni concupiscence dans sa
naissance 45 ». Mais, dans ces conditions, jusqu’où fallait-il remonter dans la
généalogie pour trouver une femme marquée par le péché originel ? C’est
la raison pour laquelle, en dépit d’une autre offensive jésuite, la
proposition tomba d’elle-même. On remarquera néanmoins que pareille
interprétation contribuait à nourrir la confusion entre virginité et
immaculée.

Les dévotions virginales

Éventail des ferveurs

Assez vite après le concile d’Éphèse furent instaurées quelques fêtes


particulières dédiées à Marie : la Mémoire de la Vierge (le 26 décembre),
e
la Mère de Dieu (le 15 août), puis, au VI siècle, la Naissance de Marie (le
8  septembre), suivie de la Conception de Marie à la fin du VIIe siècle.
Toutefois, au-delà du calendrier liturgique, le statut devenu indiscutable de
la virginité mariale a-t-il développé des pratiques dévotieuses spécifiques
dans l’incroyable profusion de l’hyperdulie ?
En réalité, force est de constater que cette caractéristique est d’abord
un élément totalement englobant. En effet, Marie est et demeure toujours
la Vierge dont la majuscule souligne le caractère unique de cette mère dont
la figure humainement contradictoire ne peut être dépassée que par la
libre confiance dont elle est devenue le modèle. Pour autant, les très
e
nombreuses mariophanies qui se multiplient au cours du second XIX siècle
et du premier XXe siècle sont rarement porteuses d’une proclamation de
l’identité virginale de l’apparition. Si à Beauraing (Wallonie) lors de l’hiver
1932-1933, Marie se présente bien aux enfants comme «  la Vierge
Immaculée  », si à Gietrwald (Pologne), en juillet 1877, elle dit être «  la
Très Sainte Vierge Marie Immaculée  », cette dénomination plurielle et
souvent usitée se rapporte plus précisément, comme à Lourdes en 1858, au
dogme récent de l’Immaculée Conception. Toutefois, les premiers
bénéficiaires de ces apparitions sont singulièrement des enfants ou des
femmes, comme si la naïveté et la pureté sexuelle pouvaient venir
contrebalancer l’érotisation supposée du monde 46.
De la même manière, les prières liturgiques mariales, anciennes et très
populaires, ne font pas de la naissance virginale de Jésus le cœur de
l’oraison. Ainsi, le verset liminaire de l’Angélus (Angelus Domini nuntiavit
Mariae) ou la méditation du premier des quinze mystères du rosaire, cher
aux dominicains, restent les seules références explicites mais non
exclusives sur le sujet 47. Certes, des guides de prière relatifs au rosaire
purent ici et là insister sur la dimension virginale. Dans sa Dévotion au
saint Rosaire, et en guise d’illustration méditative au mystère de
l’Annonciation, le père Antoine Duserre écrit en 1708 :
«  Vierge sainte, la plus heureuse de toutes les femmes, la plus
glorieuse de toutes les mères, je vous supplie, par le mérite de votre
divine maternité, de m’obtenir la grâce de ma conversion et celle de
48
tous les pécheurs . »

Pour leur part, les nombreuses congrégations et sodalités mariales, qui


constituent quand même entre 25 et 28 % de toutes les confréries pieuses
de l’Europe catholique entre 1650 et 1750, portent un nom qui se réfère
bien plus à la miséricorde, à l’intercession et à la protection de Marie à
l’égard des vivants et des mourants qu’à la pureté ou à la conception.
Toutefois, les exceptions ne sont pas rares et se doublent alors d’une
sélection sociale marquée, notamment dans le cadre des sodalités jésuites.
Dans la maison professe de Naples en 1595, on compte une congrégation
de la Nativité réservée aux nobles, une de la Purification pour les clercs,
une de l’Assomption pour les artisans et commerçants, une de la Vierge des
anges pour les laquais et gens de maison. À Anvers, en 1610, il y a deux
congrégations de l’Annonciation (prêtres et lettrés), une de la Nativité
(pour les artisans non mariés), une de l’Immaculée Conception (pour les
artisans et marchands francophones) 49. Parfois, ces confréries mariales se
trouvent associées à d’autres ferveurs. C’est ainsi que le succès de la
e
dévotion à l’ange gardien au cours du XVII siècle a donné, entre autres,
naissance dans les années 1670 à l’Association en l’honneur de la reine et
des neuf chœurs des anges, particulièrement attentive à la virginité
féminine individuée. Son promoteur, Henri-Marie Boudon, qui tient
l’observance de la chasteté pour une « vertu angélique », n’écrit-il pas dans
l’ouvrage qu’il consacre au règlement et aux objectifs spirituels de cette
congrégation :

« Aimez les anges, ô Vierges, ô Vierges, encore une fois, aimez avec
ferveur les Anges. Ce sont de grands amis de la virginité  ; ils en sont
même les admirateurs, voyant dans des vaisseaux fragiles un trésor si
précieux et des créatures si faibles vivre en la terre comme ils vivent au
50
ciel . »

Bien entendu, les démarches pèlerines dans certains sanctuaires


mariaux concernent d’abord et surtout les femmes enceintes puisque seule
Marie « a pu concilier l’inconciliable : concevoir, donner la vie à un enfant
51
sans avoir connu l’acte de chair  ».
Si, une fois encore, Marie n’est pas la seule à patronner des sanctuaires
protecteurs des parturientes, elle est la seule à en  compter le plus grand
e
nombre alors que le XVII siècle connaît  un nouveau développement du
culte marial  : Notre-Dame-de-Délivrande, Notre-Dame-de-Toutes-Aides,
Notre-Dame-du-Bon-Secours, Notre-Dame-du-Lige, Notre-Dame-de-
Quintin 52.
En réalité, à travers ces supports dévotieux, le modèle marial se mêle
au modèle virginal des saintes martyres du christianisme antique dont les
figures, données en exemple aux femmes et aux filles, ne cesseront de se
e
multiplier durant le XIX siècle.

L’invention des vierges saintes

La découverte des « corps saints » dans les catacombes romaines depuis


la fin du XVIe siècle et leurs attributions liées au martyre selon des « signes
certains  » définis par le décret pontifical d’avril 1668 provoquèrent une
diffusion accrue de ces restes anatomiques à travers le monde catholique,
tout spécialement après 1830. Ce ne sont pas moins de 2  500 «  corps  »
environ qui sont distribués essentiellement en Europe durant le premier
e 53
XIX siècle . Entre 1837 et 1850, la France à elle seule en reçoit 300. Ce
mouvement participait de ce que Philippe Boutry désigne comme «  le
retour vers Rome  », c’est-à-dire cette inclination des catholiques à se
référer avec une fidélité sans failles au pouvoir théologique et intellectuel
d’une papauté de plus en plus centralisée et marquée par un discours
intransigeant, voire apocalyptique, face au monde moderne et libéral.
Cette épure défensive de la romanité, appuyée sur «  la tradition  » et
l’histoire chrétiennes des premiers temps, favorisait en fait l’émergence de
notions comme la pureté, la jeunesse et le martyre déjà à l’œuvre dans
l’exaltation virginale 54. Ces valeurs s’articulaient parfaitement à
l’amplification du développement de la piété mariale où l’image de Marie,
compatissante et consolatrice, venait contrebalancer, en retour, celle d’un
Dieu vengeur et justicier. Même si la Vierge s’en faisait quand même le
truchement lors de ses apparitions parlées dont celle de La Salette en
septembre 1846 constitue l’exemple quasi caricatural.
Cet appel aux corps saints constituait encore une manière de combler
le vide laissé par la destruction de nombreuses reliques lors de l’époque
révolutionnaire et de remplacer ces anciennes empreintes souvent issues
du terroir par celles qui avaient directement été extraites de ce territoire
sacré marqué par le sang du sacrifice, par le poids de l’histoire et
authentifié par l’autorité du magistère.
Or, justement, comme en contradiction, cet engouement atteint son
apogée alors que les critiques déjà anciennes sur les attributions et les
dénominations des restes se font de plus en plus radicales, à un moment où
l’on trouve des corps de non-chrétiens dans les catacombes. Les demandes
pressantes des diocèses, des paroisses, des particuliers, clercs ou laïcs,
auprès du Vatican traduisent une forme de résistance réactionnaire,
apparemment unanime, pour mieux affirmer la vérité professée par une
Église romaine assiégée et sur la défensive. C’est d’ailleurs au cours de ces
premières décennies du XIXe siècle que l’on fabrique de toutes pièces
l’histoire de saintes, vierges et martyres, au prétexte d’interprétations des
signes repérés sur et dans les sarcophages (palme et vase ayant pu contenir
du sang) facilitées par une lecture controuvée d’inscriptions mais en
réponse à une nécessité impérative puisque « trouver des ossements, c’est
trouver une histoire 55 ».
Concernant les vierges, le phénomène n’était pourtant pas nouveau
avec l’exemple célèbre de sainte Ursule et des onze mille vierges. C’est au
e
IX siècle à Cologne qu’une inscription abrégée (XI.M.V., soit onze vierges
martyres) fut interprétée de façon erronée en « onze mille vierges », alors
que sur une pierre funéraire voisine on déchiffrait le prénom d’Ursula. En
1103 ou 1106, suite à la construction d’une nouvelle enceinte de la ville,
on découvrit des restes humains aussitôt identifiés comme ceux des vierges
anonymes. Quelques décennies plus tard, les visions d’une mystique,
Élisabeth, confirmèrent leur identité. Il s’agissait d’une cohorte de filles qui
se firent tuer par les Huns assiégeant Cologne, alors qu’elles suivaient
sainte Ursule qui, de retour de Rome, faisait route vers l’Angleterre. Dès
lors, à coups d’inventions, de lectures faussées, d’extases justificatives, se
déploya la machine à fabriquer les vierges saintes… par milliers. Ursule
devint même la protectrice des jeunes filles. Un minimum.
C’est par un cheminement assez proche et dans le contexte rappelé plus
avant que surgit de nulle part sainte Philomène, elle qui n’exista jamais. En
mai 1802, on découvre dans le cimetière de Priscilla un loculus (ou niche
funéraire) portant une inscription en trois parties (Lumina paxTe cum fi),
deux ancres, une palme, trois flèches, une fiole et les ossements d’une
probable jeune fille. À partir de là, on inversa d’abord les termes de
l’inscription (PaxTe cum Fi Lumina) de manière à ce que les os aient un
nom jusqu’alors totalement inconnu du monde romain. Les révélations
d’une religieuse du diocèse de Nole, dans le royaume de Naples, où les
restes avaient été transportés, et les interprétations des symboles suffirent
à construire l’histoire. Pourtant, ce que l’on regarda comme un lys
(expression de la virginité) n’est qu’une feuille de lierre servant à la
séparation des lettres.  De même les prétendus signes du martyre (les
flèches et l’ancre pour signifier une noyade) sont de simples décorations. Si
l’on ajoute que bien souvent on utilisait d’anciens supports d’épitaphes
pour boucher les tombes récentes, ce qui fut peut-être le cas, on comprend
56
que l’existence présumée de la vierge ne repose sur… rien .
Néanmoins, à ce moment, rien n’empêcha la dévotion de s’installer. Au
contraire. D’abord le pouvoir thaumaturgique des reliques de Filumina
exposées à Mugano, dont bénéficia la Lyonnaise Pauline Jaricot, fondatrice
de l’œuvre de La Propagation de la foi et future vénérable, guérie en 1835.
Ensuite la reconnaissance implicite des papes, Grégoire XVI d’abord qui en
fait la protectrice des Enfants de Marie, puis Pie IX qui accorde un office
propre en 1855, enfin le relais du curé d’Ars en France 57. Tous ces éléments
contribuèrent au développement rapide du culte de la pseudo sainte. Très
vite aussi, à partir des années 1830, elle fit l’objet de très nombreuses
biographies. Fille de parents convertis, Philomène fait le vœu d’une
virginité perpétuelle à l’âge de 11 ans alors qu’elle «  avait tout pour
captiver l’attention de l’Empereur, beauté, jeunesse, naissance illustre,
éducation mais aussi candeur, innocence et modestie 58  ». Elle refusa
d’ailleurs sa demande en mariage car «  Dieu et la virginité que je lui ai
vouée avant tout, avant tous, avant ma patrie [font que] mon royaume,
c’est le ciel 59 ».
Condamnée à périr, elle échappa miraculeusement d’abord à une
noyade dans le Tibre puis aux traits des archers avant de succomber
décapitée «  le vendredi 10  août 288 à trois heures 60  ». Chaque
présentation  historique «  autorisée  » semble vouée à donner plus
d’épaisseur et de véracité à la légende. Par exemple, Jean-François Darche,
suivant une habitude des biographes du temps, multiplie les dialogues
entre les divers protagonistes pour mettre « d’authentiques paroles » dans
la bouche de la sainte. À la demande matrimoniale de Dioclétien, elle
aurait répondu :

«  Prince, vos promesses non plus que vos menaces ne sauraient


faire changer la volonté que j’ai de demeurer fidèle à ma foi et à ma
virginité 61. »

Mais c’est la prolifération d’histoires assez semblables afin


d’authentifier cette succession très importante d’inventions de squelettes
devenus ceux de saintes vierges et/ou martyres qui constitue la novation la
plus marquante. De sainte Suzanne à sainte Clémentine ou sainte Anatolie
qui reçut avant son martyre ces paroles de Jésus-Christ lui-même :

« La virginité est une pourpre royale qui relève au-dessus de toutes
les autres celles qui les revêtent. La virginité est une pierre d’un prix
inestimable, elle est le trésor du Roi et des rois 62. »

Même celles pour qui rien n’est assuré sur ce point bénéficient toujours
de descriptions et de passages qui pourraient les assimiler aisément à des
vierges. Alors qu’elle était mariée, sainte Theudosie est désignée par les
vertus qualifiantes de « martyre très douce, femme incomparable et épouse
très innocente 63 ». Au lecteur de déchiffrer la signification des termes. Lors
de l’invention de sainte Atilie en 1842, ses restes «  annonçaient qu’elle
avait sacrifié sa vie à un âge encore tendre 64  ». Ce qui incline à la
considérer implicitement comme vierge.
Tout aussi instructives dans leur insistance sont les longues prières et
les méditations de neuvaine qui terminent souvent ces pieuses biographies.
Le premier jour de la neuvaine de sainte Philomène commence par une
réflexion qui donne le ton :

«  Considérez que sainte Philomène fut VIERGE et toujours pure


jusqu’à la mort. Quel modèle ! »

L’oraison qui la prolonge permet d’exalter, dans une version strictement


féminine, cet état supérieur entre tous :

« Comme les vierges sont les membres les plus saints et la portion la
plus noble et la plus illustre du troupeau de Jésus-Christ, c’est sur les
vierges que sont tombés dans tous les temps toutes les persécutions, les
premiers coups et les plus grands efforts des ennemis du christianisme.
[…] Paraissez ô glorieuses vierges de Jésus-Christ [suivent 31 noms].
Venez montrer au monde ce que le Seigneur sait inspirer à ses chastes
épouses, de générosité, de grandeur d’âme, de courage, de
détachement à ceux qui ont le cœur pur et que, par un privilège tout
particulier, il a appelés à marcher dans les voies sublimes de la
perfection évangélique à la suite de celui qui se plaît au milieu des lis
de la pureté virginale [puisque] la virginité est la plus belle des
vertus 65. »

La biographie de Darche se conclut elle aussi par une série de prières


en lien avec les différents états sociaux. Ainsi celle « d’une vierge à sainte
Philomène » :

« Ma sainte protectrice, je place ma virginité sous votre patronage.


Vous êtes l’épouse sainte du roi Jésus auquel j’ai voué ma pureté. Faites
par votre crédit puissant auprès de lui que je sache sacrifier tout, la vie
même, plutôt que de trahir la sincérité de mes promesses à son
66
égard . »

Dans les méditations du deuxième jour de la neuvaine de sainte


Clémentine, il est davantage question d’une vertu partagée non
exclusivement féminine, la chasteté cette fois, puisque c’est elle qui « élève
l’homme jusqu’à la hauteur des anges, au-dessus même des anges sous
certains rapports 67 ». Suivent prière et recommandations :

«  Demandez par l’intercession de sainte Clémentine la grâce de


comprendre tout ce qu’il y a de vraie grandeur dans cette belle vertu et
de conserver ce trésor si précieux. La chasteté se conserve par la
vigilance. Fuyez les occasions dangereuses, les mauvaises lectures, les
mauvaises compagnies, les amusements voluptueux ; veillez sur vous-
même, votre sens, votre imagination, sur votre cœur. La chasteté se
conserve par la pénitence. Mortifiez votre corps, mortifiez vos
inclinaisons coupables, redoutez la mollesse et la sensualité. La
chasteté se conserve par la grâce divine. Cherchez-la par la prière
68
surtout au moment de la tentation . »

Les cantiques composés à cette occasion, vecteurs importants d’une


transmission dévotieuse, insistent eux aussi sur cette marque fondamentale
de la sainteté. Dans celui composé en l’honneur de sainte Clémentine, par
exemple, on peut lire :

« Ô Jésus, délice des vierges et force des martyrs/ Donnez-nous sa


pureté de vierge/ sa charité de martyre/ Rendez-nous invincibles
69
comme elle . »

Le cantique à sainte Solange, dont l’auteur de la brochure note «  la


poésie peu relevée qui n’a de prix que parce qu’il est ancien et que,
transmis par les pèlerins, il est devenu un chant de famille chez le bon
peuple des campagnes », est plus allusif et moins pieux :

«  C’est en vain qu’un amour peu sage/ Veut de ses feux brûler le
cœur/ Solange oppose avec courage/ Le bouclier de son honneur 70. »

Les litanies qui le suivent précisent néanmoins les choses puisque


Solange est reconnue « zélée pour la pureté et la chasteté, vierge de corps
71
et d’esprit, émule des vierges  ».
Les neuvaines aux martyres de la pureté que l’on retrouve aujourd’hui
sur certains sites catholiques traditionalistes, tout en modernisant à la fois
les modèles et les propos, ne véhiculent en fait pas autre chose que la
valorisation de la virginité… féminine 72. En 2017, celui de « L’Étoile Notre-
Dame  » proposait une neuvaine aux martyres de la pureté en choisissant
neuf femmes, de sainte Philomène, «  dont le nom et les miracles sont
connus jusqu’aux extrémités de la terre  », à la bienheureuse Anuarite
Neugapeta, religieuse zaïroise assassinée en 1964. Toutes ont été tuées
après avoir subi et résisté à une tentative de viol. Les prières adressées aux
saintes (cinq sur neuf), et non aux bienheureuses, insistent sur
l’importance de la pureté virginale qui doit servir de modèle aux jeunes
«  pour vaincre la tentation  » (prière à Agnès) afin d’être capables «  de
défendre la pureté du corps et du cœur  » (prière à sainte Maria Goretti,
morte en 1902). Le texte du site Hozana consacré à cette jeune sainte
italienne contemporaine ne traduit pas autre chose :

« Regardez-la, surtout vous les adolescents, vous les jeunes. Soyez,


comme elle, capables de défendre la pureté du cœur et du corps  ;
efforcez-vous de lutter contre le mal et le péché, en alimentant votre
communion avec le Seigneur par la  prière, l’exercice quotidien de la
mortification et la scrupuleuse observance des commandements. »

Dans Nouvelle Évangélisation, le texte consacré à la bienheureuse


Pierina Morosini, morte en 1957, souligne le lien entre la résistance au
péché et la puissance eucharistique en évoquant les impressions de son
agresseur :

«  Il la déflore sans pouvoir toutefois accomplir son acte


entièrement. Il se sent comme impuissant et dira plus tard : “Elle était
plus forte que moi.” De la force que donne l’Eucharistie et la grâce ! »

Intentions que reprennent souvent les litanies qui achèvent ces


neuvaines à travers les attributions octroyées à ces figures «  fidèles à la
parole donnée, pleines d’amour pour la chasteté, vierges d’esprit et de
corps » et devenues « martyres pour la dignité de la femme 73 ».

Des vierges à l’usage des femmes


La représentation centrale des filles, femmes, voire veuves dans ces
expressions religieuses sur la virginité ou la chasteté s’inscrit donc sur une
longue durée (surtout XIXe et XXe siècles) mais s’enracine à travers des
modèles bien antérieurs où la mobilisation de l’histoire leur octroie un
poids considérable dans un héritage catholique revendiqué. Ces
vierges/martyres sont instituées comme des figures essentielles des
premiers siècles du christianisme lorsque la persécution frappait celles qui,
à l’instar des hommes, non seulement refusaient de renier leur foi, mais
encore, au nom de celle-ci, affirmaient cette spécificité sexuée. Il s’agissait
pour elles de préserver au péril de leur vie leur intégrité physique, affichée
comme une revendication affirmée et personnelle : celle « de consacrer sa
virginité à Jésus-Christ  » quoi qu’il leur en coûtât. Ces deux formes
d’opposition se trouvaient étroitement associées.
e
C’est dans le contexte d’un premier XIX siècle au catholicisme
identitaire qu’il faut situer une publication importante par sa portée. En
1822, à partir de sources rapidement évoquées et plus ou moins fiables –
  entre les bollandistes, Arnaud d’Andilly, Jean-François Godescard et don
Ruinard avec une place particulière à La Légende dorée de Jacques de
Voragine 74  –, «  plusieurs ecclésiastiques  » publient à Paris trois forts
75
volumes intitulés Vies des saintes femmes, des martyres et des vierges . Il
s’agit en fait d’un sanctoral qui précise pour chacun des jours de l’année la
ou les saintes ou bienheureuses à fêter. Chacune bénéficie d’une notice
biographique plus ou moins fournie. Si Geneviève, Agathe ou Marie, la
mère de Jésus, ont droit à de substantiels développements de plusieurs
pages, beaucoup d’autres, de l’aveu même des rédacteurs, ne sont
mentionnées que pour mémoire à l’exemple d’Euthalie, vierge et martyre
sicilienne, fêtée en août, dont «  les actes sont entourés d’incertitude. On
sait qu’elle menait la vie des vierges du temps de la persécution ».
e e
Ou encore celui d’Honorine, vierge du III ou du IV siècle, originaire du
pays de Caux, « dont l’histoire est tellement altérée qu’on n’en peut donner
aucun détail. » Quelquefois même un rédacteur instrumentalise la vacuité
des sources pour proposer une sorte de réflexion moralisante :
«  Nous savons très peu de choses, écrit l’un d’eux à propos de
Cyrille, vierge et martyre étranglée sous l’empereur Claude, mais
l’exemple de sa généreuse mort doit être pour nous comme un
continuel reproche de nos lâchetés et de notre faiblesse à supporter les
moindres croix que Dieu nous envoie 76. »

L’éventail des références est très large depuis Ève, «  mère du genre
humain  », honorée le 20  janvier, jusqu’à Jeanne-Françoise de Chantal, la
fondatrice des visitandines morte en 1641 et canonisée en 1767, ni l’une ni
l’autre n’étant vierge ou/et martyre. En effet, ce sanctoral fait aussi une
place à la figure de mères de famille et de veuves, autres exemples
possibles pourcelles à qui l’ouvrage est d’abord destiné. Toutefois, sur les
497 noms, les vierges (martyres ou non) constituent au minimum près de
la moitié (45,1  %) du corpus rassemblé. Parmi celles-ci, c’est une
proportion identique qui vécut et mourut avant la fin du IVe siècle de l’ère
chrétienne 77. C’est d’ailleurs cette icône antique de la virginité qui se
trouve mise en relief dès l’introduction du livre et constituée en une sorte
d’archétype exemplaire. Les auteurs, en effet, y soulignent à la fois les
obstacles parfois rédhibitoires des femmes ordinaires, en raison «  de la
faiblesse de leur sexe », à se maintenir dans cet état sans « le secours de la
grâce » et la possibilité du rachat pour « certaines [qui ont] tant aimé les
plaisirs d’un instant  ». Mais il leur faudra «  mépriser le monde pour ne
servir que Jésus-Christ et, à l’exemple de Marie, le modèle des vierges, des
mères, des épouses, des veuves, elles se sanctifieront dans la retraite, les
austérités, la prière et l’exercice des bonnes œuvres ». Autant d’attitudes et
de caractères que déclineront les biographies offertes à l’édification des
lectrices.
Et, dans ce siècle en passe d’être impie après la déchirure
révolutionnaire, les vierges représentent, une fois encore, le salut d’une
Église martyrisée par les idées sacrilèges comme le fut celle des premiers
temps :
«  Tandis que de nouveaux persécuteurs du nom de philosophes
s’efforcent encore de saper l’édifice impérissable de la religion sainte,
n’est-ce pas dans les vierges, épouses de l’Homme-Dieu, que nous
78
voyons prier la plus noble constance  ? »

Ainsi, la résolution farouche des vierges d’hier devient exemplaire pour


les filles et femmes contemporaines de ce nouveau temps d’épreuves,
d’irréligion et de tentations sans recours. Mais l’intérêt d’un tel document
réside aussi dans les éléments structurels des quelque 230 notices
biographiques qui, en dépit d’informations sérieuses pour certaines, sont
construites sur un modèle semblable mêmes pour les plus ténues.
Les filles dont il est question plus encore sous l’Empire romain que
durant le haut Moyen Âge saxon, franc ou musulman sont pour l’immense
majorité issues de milieux aisés et même de familles proches du pouvoir. À
quelques exceptions près, telle Brigide, devenue abbesse d’Armagh en
Irlande au milieu du Ve siècle dont la naissance, précise le rédacteur,
« prouve que Dieu peut tirer la pureté même d’une matière immonde. Car
79
elle était le fruit d’un adultère de son père avec une esclave  ».
Certaines sont élevées dans un environnement chrétien,
particulièrement à l’époque médiévale, mais d’autres sous l’Empire romain
ont embrassé la foi chrétienne à l’insu de leurs parents païens convaincus
telles Julienne, Basille, Estelle, Fébronie ou Justine. Elles assumaient, non
sans risques, une première transgression culturelle d’abord tenue cachée.
Celle-ci en implique une seconde manifestée publiquement cette fois : leur
refus d’épouser un individu généralement choisi par les parents mais
surtout au prétexte de rester fidèles à un engagement pris le plus souvent
dès leur enfance  : celui de demeurer vierge, partie constitutive et
essentielle de leur conviction religieuse. Cet ancrage de la virginité
provenant soit de la dévotion à Marie, soit, plus explicitement ici, de
l’influence d’un personnage important. C’est Paul qui fit comprendre à
Thècle « toute l’excellence de la virginité ». C’est Jérôme qui fera de même
avec Eustachie quelques siècles plus tard. C’est l’ange gardien qui déclare à
Anatolie et Victoire en prière :

« Le mariage est bon mais la virginité est meilleure. Le mariage est
d’argent mais la virginité est d’or. »

Dans la plupart des cas, Apolline exceptée, ce sont des jeunes filles,
entre 10 et 18 ans, dotées d’une belle intelligence mais plus encore d’une
80
grande beauté, sainte Irène est même qualifiée « d’extrêmement belle  ».
Malgré elles, elles attirent de nombreux soupirants et attisent plus encore
le désir, voire l’impudicité et la lubricité des hauts personnages (consul,
gouverneur, empereur même dans le cas de Catherine) qui les convoitent.
De ce fait, les fiancés déçus et les amoureux éconduits deviennent les
instruments de la délation (Lucie, Rufine, Seconde, Victoire) et à terme de
la répression, d’autant plus aisée qu’ils sont les détenteurs du pouvoir.
Pourtant, quel que soit le statut social du prétendant, les menaces
proférées ou la position du père –  certaines comme Kyneswide ou
Kynedride sont même filles de sang royal dans les principautés anglo-
saxonnes du haut Moyen Âge  –, elles manifestent à chaque fois une
résistance farouche et opiniâtre comme si le désir de demeurer vierges leur
octroyait une liberté de choix et la possibilité de s’opposer frontalement à
l’autorité masculine qu’elle fût princière ou paternelle. L’incompréhension
déstabilisante est telle que le père de Christine en vient à faire torturer lui-
même sa propre fille. Face aux codes socioculturels du temps, c’est à la
seule autorité de Dieu qu’elles entendent se soumettre en refusant de
sacrifier aux idoles. Conjointement, c’est à la fidélité à « l’époux » qui les a
choisies et qu’elles se sont choisies librement. Ainsi s’exprime explicitement
e
Théodore, vierge d’Alexandrie au début du IV   siècle  : «  C’est de Jésus-
81
Christ que je tiens la liberté et l’honneur . »
Cette relation quasi amoureuse entre le Christ et les vierges, dont la
sauvegarde de l’intégrité physique devient l’objectif fondamental et ultime,
se traduit clairement dans le langage dont elles usent pour repousser les
avances masculines. Agnès, « vierge très sage de 13 ans », explique au fils
du préfet romain que celui qu’elle aime «  a apposé un signe sur mon
visage, afin que je n’aie pas d’autre amant que lui, et son sang a orné mes
joues ; je me suis déjà liée à lui en de chastes étreintes, son corps s’est uni
au mien, il m’a montré des trésors incomparables, qu’il a promis de me
82
donner si je persévère en lui  ».
Cécile, «  jeune fille romaine de race noble  », tient un discours moins
sensuel car plus théologique à son fiancé Valérien :

« J’ai pour amoureux un ange de Dieu qui surveille mon corps avec
une jalousie très grande. S’il a le moindre soupçon que, par un amour
impur, tu veuilles me toucher, alors il te frappera et tu perdras la fleur
de ta très gracieuse jeunesse. Mais s’il sait que tu m’aimes d’un amour
83
sincère, il t’aimera comme il m’aime et te montrera sa gloire . »

Les châtiments qui résultent généralement de leur ténacité, au moins


pour les martyres, sont évidemment atroces entre les tortures multiples et
raffinées infligées par le fer, le feu ou les bêtes sauvages. Autant de
blessures qui se referment miraculeusement dans leur prison ou devant la
foule. Seuls le glaive et plus encore la décapitation, largement utilisée,
mettent définitivement fin à leurs souffrances et à leur vie terrestre. Mais
pour plusieurs d’entre elles, l’humiliation physique, apparemment plus
difficile à affronter, répond directement à la volonté des autorités de
s’attaquer à leur virginité. Denyse demande à ses bourreaux de «  la
tourmenter comme il leur plairait mais de respecter sa pudeur  ». Voyant
que les supplices n’avaient aucun effet sur Euphémie de Chalcédoine, le
juge Priscius, suppôt de Dioclétien, choisit « de convoquer tous les jeunes
débauchés, afin qu’ils abusent d’elle jusqu’à ce qu’elle défaille
d’épuisement 84 ».
De même, à Syracuse, le consul Paschase, devant l’entêtement de Lucie,
la menace  : «  Je vais donc te faire conduire au bordel, afin que tu y sois
violée et que tu perdes le Saint-Esprit. » Ce à quoi Lucie rétorque :

«  Le corps n’est corrompu que si l’esprit y consent  ; si tu me fais


violer contre ma volonté, la chasteté qui me vaudra la couronne sera
doublée. »

Paschase fit alors «  venir les souteneurs et leur dit  : “Invitez tout un
chacun à prendre son plaisir sur elle et qu’on abuse d’elle jusqu’à la
85
mort !” ».
Épisode retenu dans La Légende dorée mais dont Vies des saintes femmes
ne souffle mot 86. Agnès, dépouillée de ses vêtements, Agathe, Théodore,
Antoinette, enfermée dans «  un lieu infâme  », ou Denyse sont chacune
envoyées au bordel dont elles sortent indemnes grâce à des interventions
célestes. Condamnée à être menée nue au lupanar, la jeune Agnès, âgée de
13 ans, résiste à toute séduction : selon la légende de Jacques de Voragine,
un miracle «  donna une telle épaisseur à ses cheveux qu’ils la cachaient
mieux que des vêtements  ». Et quand elle entra dans «  ce lieu de
turpitude  », un ange du Seigneur l’attendait remplissant l’endroit d’une
clarté extraordinaire, en même temps qu’il lui préparait une robe
87
resplendissante de blancheur. Ainsi « le bordel devint un lieu de prière  ».
Quant à Théodore, elle eut la chance d’avoir pour premier client un
chrétien, Didyme, heureusement « suscité par Dieu » et « après une prière
de la sainte, il la fit évader déguisée en homme 88 ». Parfois, comme dans le
cas d’Antoinette, on ignore comment elles purent parvenir à préserver leur
89
intégrité . Rarement, comme dans celui de Pélagie, elles choisissent de se
donner la mort pour éviter toute souillure sexuelle. Face à la persécution
des «  deux tyrans, Maxence à Rome et Maximin Daïa en Orient  », qui
voulaient attaquer l’honneur des femmes et des vierges, Pélagie, vierge
d’Antioche, préféra sauter d’un toit et se jeter sur le pavé.
Il existe une variante, particulièrement instructive par sa possible
exemplarité pour la vie matrimoniale des femmes lectrices : la continence
du couple. Plusieurs cas l’illustrent grâce à la conviction de l’épouse à
l’endroit de son jeune mari. Après la célébration de son mariage avec
Martinien, alors «  qu’il voulait la regarder comme sa femme, Maxime lui
dit qu’elle était l’épouse d’un Dieu et ne pouvait être l’épouse d’un homme
mortel. Elle lui conseillait de se donner aussi tout entier à son Dieu. Le
cœur de Martinien fut touché et les deux époux promirent de garder leur
90
continence  ».
C’est un peu le même schéma dans l’histoire de Cécile, qui, ayant
revêtu un cilice le jour de ses noces, priait Dieu pour que son cœur et son
corps « restent immaculés ». Pour ce faire, elle envoya son époux, Valérien,
auprès de l’évêque saint Urbain caché dans les catacombes pour qu’il se
91
convertisse avant de vivre chastement jusqu’à leur martyre . Plus maligne,
Anastasie feignit une maladie de langueur auprès de son premier époux
« et se refusa à la vie conjugale ». Comme le second, qui voulait la violer,
fut frappé de cécité, elle mourut brûlée vive mais vierge 92. Les choses
étaient plus simples lorsque les deux époux étaient en accord pour vivre
ainsi dès leur mariage. Ce que firent sainte Delphine et son époux le comte
93
Elzéar . Ainsi, d’une manière ou d’une autre, par le châtiment mais mieux
encore par la conversion et la grâce, la chasteté d’un couple est toujours
possible, une fois peut-être des enfants nés, ce qu’excluent les histoires
édifiantes de ces jeunes filles-femmes.
Au total, ces biographies revisitées des saintes des premiers siècles,
largement inspirées de La Légende dorée, mais plus prolixes sans être
réellement inventives, associent toujours étroitement virginité et martyre
comme l’expression d’un double sacrifice qui, à travers la sauvegarde de
son intégrité, fait du corps le lieu du renoncement à tout plaisir des sens.
Dans beaucoup d’exemples, refuser de renoncer à la foi en Christ, c’est
défendre sa virginité coûte que coûte. Comme si les deux éléments étaient
irrémédiablement liés et témoignaient l’un pour l’autre. Pourtant, au
regard de l’histoire, il semble bien que chez les martyres des deux premiers
siècles, la défense de la virginité ait été alors un élément très secondaire
dans l’acceptation victimaire. Au contraire, c’est à partir du moment où les
persécutions s’espacèrent puis prirent fin que la virginité et la continence
volontaire se substituèrent au martyre en leur conservant une signification
94
sacrificielle comparable . C’est donc bien d’une réécriture de l’histoire
dont il s’agit une fois encore afin de magnifier l’état virginal.

Sociologies virginales

Microsociétés particulières

C’est aussi autour de la virginité, d’abord dans son acception religieuse,


e e
que s’élaborent, entre le XVIII et le XX siècle, des modèles culturels qui, en
France tout au moins, structurent la société ou partie d’entre elle.
Le plus connu parce que le plus répandu jusqu’à sa quasi-disparition
dans les années 1960-1970 demeure le mouvement des Enfants de Marie
Immaculée 95. C’est à la suite de l’apparition de Marie à une novice des
Filles de la Charité (Catherine Labouré) de la rue du Bac à Paris, d’abord la
nuit du 18 juillet 1830 et en réponse à la demande de la Vierge, que fut
fondée «  une confrérie d’enfants de Marie  ». Officialisée en juin 1847,
évidemment réservée aux filles, elle se répandit rapidement dans le monde
catholique par l’intermédiaire des établissements scolaires et des paroisses,
celles des grandes villes comme celles des campagnes reculées. En 1851,
l’association qui s’établit à Marseille dans les quartiers populaires est déjà
e
la 113 fondation avant d’essaimer dans d’autres pays aussi divers  que
l’Italie ou l’Angleterre. Le monde des campagnes adhère souvent plus tard
au mouvement. En Finistère rural, des villages comme Landunvez, Lanilis
ou Milizac entre 1884 et 1901 rejoignent un réseau déjà dense.
En dépit de quelques variantes selon les lieux, son objectif principal est
de réunir des jeunes filles «  autour de la Très Sainte Vierge et sous sa
protection maternelle  », «  d’entretenir et d’augmenter dans tous ses
membres la dévotion [mariale]  », «  d’honorer et de faire honorer Marie
Immaculée par l’imitation de ses vertus ». Ces vertus, sans cesse « étudiées
pour en faire la règle de leur conduite dans toutes leurs actions », sont au
96
nombre de quatre  : pureté, humilité, obéissance et charité . Si certaines
prescriptions particulières mettent en avant l’humilité « qui consiste surtout
en la connaissance et le mépris de soi-même » (Limoges), d’autres insistent
d’abord sur la pureté, à l’image de ce texte destiné à un pensionnat du
Mans :

« Marie a été la Vierge des vierges, une fleur sans tache. La beauté
incomparable de sa pureté a laissé bien loin derrière celle des anges.
Les Enfants de Marie auront une prédilection pour cette céleste vertu
qui les rend si singulièrement chères au cœur de leur divine Mère. […]
Elles garderont donc, à son exemple, la plus exacte modestie dans leurs
habillements, dans leur regard, et surtout dans leurs conversations.
Elles n’oublieront jamais qu’une personne consacrée au culte de la
Mère de Dieu doit estimer la chasteté plus que tous les trésors du
97
monde et la conserver au péril même de leur [sic] vie . »

Si les enfants de Marie ont très vite porté des rubans de couleurs
différentes auxquels pendaient la médaille miraculeuse, vert pour les
aspirantes, bleu ciel pour les enfants, violet pour celles qui sont mariées,
c’est surtout à la fin du XIXe siècle que s’impose un uniforme blanc (voile et
robe) et bleu (ceinture), avant de se transformer au XXe siècle en jupe bleu
marine, chemisier blanc et béret bleu dont on trouve aisément aujourd’hui
98
quelques réminiscences dans certains milieux catholiques . La cohésion du
groupe passait aussi par une structure quasi identique concernant les
conditions d’admission, le rôle du directeur (toujours un prêtre), de la
directrice et du conseil. Ce sont ces instances qui organisaient les
nombreux exercices pieux, qu’ils fussent quotidiens (méditations,
chapelet), hebdomadaires (réunions, messes, visite au saint sacrement) ou
mensuels (communion, fête d’un saint patron), sans compter les
rassemblements particuliers propres aux fêtes mariales (sept dans la
paroisse de la Madeleine à Paris). Si l’instruction religieuse tournait parfois
à « l’obsession de la perfection », elle permettait aux adhérentes d’assumer
des activités et de concrétiser certaines des vertus attribuées à Marie  : le
service au bénéfice de la paroisse (chorale, décoration florale) ou de la
pastorale (recherche des enfants non baptisés) et la charité (visites aux
personnes âgées, vente de la presse catholique) 99. En outre, l’association
possédait une dimension sociale indéniable qui contribua à son succès.
Puisque Marie était présentée comme la «  divine ouvrière  », humble et
obéissante, dans l’atelier de Nazareth, les Enfants à leur tour, en recevant
aussi une instruction pratique, devinrent d’excellentes travailleuses
recherchées puisque « la vraie humilité rendra l’Enfant de Marie pleine de
déférence pour ses supérieurs et même pour ses compagnes. Elle lui
apprendra à renoncer à son jugement et à sa volonté pour les soumettre à
100
ceux des autres  ».
On comprend que le patronat ait favorisé parfois leur recrutement mais
que, parallèlement, la formation de cette élite religieuse laïque ait
e
contribué à fonder plusieurs syndicats chrétiens au début du XX siècle.
Cette catholicité au féminin, qui a su s’adapter à certaines mutations
sociales des années 1890-1920, demeura quand même marquée par la
construction d’un modèle marial privilégié par beaucoup de familles
101
d’origine bourgeoise ou modeste, toutes attachées « à la vertu des filles  »
et où la caractéristique virginale conserva toujours une place éminente et
102
exemplaire .
Le deuxième type d’organisation spirituelle autour de la virginité
féminine concerne lui aussi un apostolat laïc, réservé aux adultes et
sanctionné par un rituel souvent plus solennel que celui qui présidait à
l’adhésion des Enfants de Marie. On relève dans ce domaine deux
ensembles importants : celui des femmes adhérant au tiers ordre et le cas
des vierges consacrées. Au titre des premières, il n’est pas rare de trouver
la référence à l’abstinence sexuelle pour celles qui veulent y adhérer. Ainsi,
dans le règlement du tiers ordre de la bienheureuse Vierge Marie du mont
Carmel de 1678, il est demandé aux femmes de « faire vœu de chasteté et
d’obéissance ». Au cours du XIXe siècle, alors que le développement de ces
institutions est en plein essor peut-être en raison d’un plus grand célibat
féminin (en Bretagne par exemple), «  la profession dans les tiers ordres
apparaît comme la lecture chrétienne d’un état qui tend à devenir naturel :
103
le célibat   ». Plusieurs de ces obédiences spirituelles «  ne reçoivent que
des vierges qui sont dans la résolution de toujours vivre dans la chasteté »,
tandis que le chanoine Le Clanche, au début du XXe siècle, valorise « cette
élite de vierges vivant dans le monde mais séparées de lui par le goût des
choses ecclésiastiques 104 ».
Le second groupe concerne les vierges séculières consacrées
appartenant à un ordre, l’Ordo virginum, remis en valeur après le concile
de Vatican II et mettant fin à la longue déshérence de ce type
d’engagement. Le nombre des vierges consacrées vivant isolément ou en
groupes (sans être des religieuses cloîtrées) avait, en effet, fortement
diminué avec le temps, au point de quasiment disparaître avant 1930. Sont
désormais admises à la consécration autant des moniales que des femmes
au service de l’Église tout en restant dans le monde en exerçant une
105
profession et en subvenant à leurs besoins matériels . Toujours dissocié
de la profession religieuse, le rituel formalisé en 1970 comporte des signes
analogues à ceux d’un mariage, avec la remise de la couronne et de
l’anneau. Le texte lu à cette occasion pose nettement la question :

« Comment un être de chair pourrait-il, en effet, maîtriser les appels


de la nature, renoncer librement au mariage et s’affranchir des
contraintes de toutes sortes, si tu n’allumes ce désir, Seigneur, si tu
106
n’alimentes cette flamme et si ta puissance ne l’entretient  ? »

Le rituel de 1970 ne relève pas de vœux privés mais bien de la


promesse solennelle de «  n’avoir pas vécu publiquement ou notoirement
107
dans un état contraire à la chasteté  » pris devant l’autorité épiscopale .
Compte tenu de l’évolution des mœurs, l’obligation de l’intégrité physique
pour les vierges consacrées a été sérieusement interrogée, et Nicole
Hausman pense même que l’identification de la virginité à l’inexistence de
relations sexuelles, même éphémères, «  présente un défaut de théologie
108
qui pourrait emporter avec lui tout le reste  ». Pour l’auteure, la chasteté
chrétienne est avant tout valorisée parce qu’elle fait «  mémoire dans la
chair de la chair du Seigneur [le Christ] ». Elle est possible par un don de
Dieu et ne sert pas à manifester « notre propre intégrité ». Ici, la virginité
tend à se confondre avec la chasteté. Elle n’est plus une particularité
anatomique mais un choix moral librement assumé. D’ailleurs, en réponse
à une demande d’éclaircissement sur ce point de la part de plusieurs
évêques, la récente instruction du Vatican, Ecclesia sponsa imago de juillet
2018, va dans le même sens en estimant que « l’appel à rendre témoignage
de l’amour virginal, sponsal et fécond de l’Église envers le Christ n’est pas
réductible au signe de l’intégrité physique et que le fait d’avoir gardé son
corps dans une parfaite continence ou d’avoir vécu d’une manière
exemplaire la vertu de la chasteté, même en revêtant une grande
importance par rapport au discernement, ne constitue pas un prérequis
déterminant en l’absence duquel il ne serait pas possible d’admettre à la
109
consécration  ».
Ainsi, la virginité physique n’est plus une condition indispensable pour
devenir une vierge consacrée, ouvrant par là à une autre approche de la
désignation, longtemps occultée dans le catholicisme  ; interprétation que
l’association des Vierges consacrées des États-Unis a ouvertement et
rapidement critiquée.
Le troisième impact socioculturel possible est à rechercher dans le
développement des fêtes en l’honneur des rosières. Tout en valorisant
initialement la virginité des élues, elles connaissent surtout une évolution
qui, jusqu’à nos jours, en infléchit le sens premier. Ces fêtes ont une origine
très obscure même si la légende attribue son institution à saint Médard
e
dans le village de Salency à la fin du V siècle et dont la première
110
bénéficiaire, Médrine, aurait été la propre sœur de l’évêque de Noyon .
e
Plus assurément, il s’agissait, peut-être depuis le XVII siècle, de couronner
une jeune fille de la paroisse reconnue pour sa vertu, sa conduite
irréprochable et sa piété. À partir des années 1760, cette manifestation est
adoptée par de nombreux villages proches de Paris ou d’Île-de-France, du
Hurepoix à la Brie ou à la Picardie (dont Salency) 111.
Il s’agissait alors, dans le contexte généralisé d’un retour à la nature, de
magnifier les vertus champêtres, la simplicité exemplaire de la vie rurale
face aux dépravations de la ville et, plus encore, de la capitale. Claude
Fauchet, futur évêque constitutionnel du Calvados, prononça à l’occasion
de la fête de la rosière de Suresnes le 10  août 1788 un discours très
politique mais qui, en dénonçant «  la corruption dans les cœurs,
l’irréligion, la licence et l’indigence des excès populaires liés au trop
funeste voisinage de la capitale », se félicitait de « participer à cette pompe
agreste, à cette fête virginale, à cette solennité pastorale, à ces saintes
assises des naïves vertus et des mœurs innocentes […] parmi ces bons
vieillards et ces jeunes vierges ingénues  ; au milieu de simples
cultivateurs 112 ».
L’ecclésiastique trace clairement le caractère-type de la rosière  : une
naïve modestie, un généreux désintéressement, une fille vertueuse,
honorée de l’estime de tout le village, «  digne de tous les prix de
113
l’innocence   ».  Les qualificatifs dont il use ne sont pas sans rappeler la
réflexion de Buffon qui tenait la virginité pour « une vertu qui ne consiste
que dans la pureté du cœur ».
Même si l’emprise cléricale est patente pendant longtemps – le curé et
le syndic désignent l’heureuse élue, le couronnement se fait à l’église, une
messe est célébrée – pour tenter de revaloriser, par cette initiative, une
morale sexuelle mise à mal par la jeunesse, l’essor de ces fêtes à la fin de
l’Ancien Régime doit beaucoup à l’influence de la noblesse 114. Souvent, l’un
de  ses membres éminents préside la cérémonie (la comtesse d’Artois à
Suresnes) et dote la jeune fille soit d’une récompense en espèces, soit d’une
rente. Selon Jean-Louis Haquette, «  la noblesse progressiste voit dans ces
rassemblements ruraux un attachement aux valeurs de la simplicité et de la
vertu dans une utopie d’harmonie sociale qui met en scène une autorité qui
115
ne dépend pas de la naissance mais de la bienséance  ».
C’est contre cette instrumentalisation nobiliaire qu’il juge hypocrite que
s’élève Restif de La Bretonne :

«  Les villages à rosières, loin d’être aujourd’hui les plus innocents,


sont les plus licencieux ; le vice s’y cache comme à la ville, et les filles y
sont libertines sans faire d’enfants. D’où vient cela  ? C’est que les
dames qui allaient présider ces ridicules solennités menaient avec elles
leurs valets, leurs amants et leurs vices. Je tiens du constituant
Clermont-Tonnerre que, sa femme ayant fait une rosière à
Champlâtereux, un seigneur de la Cour se donna le plaisir piquant de
la déflorer deux heures avant la cérémonie du couronnement 116. »

Quelles que soient les dérives possibles, la dimension religieuse de la


fête et son insistance sur la vertu virginale se maintiendront encore
e
jusqu’au milieu du XIX siècle. À ce moment (1854), et non sans quelque
condescendance, Charles Monselet écrit :

«  Derrière le tambour entre le maire et son adjoint, la rosière [de


Nanterre] venait les yeux bas, rougissante et modestement
117
embarrassée de sa vertu . »

La disparition explicite des références catholiques s’inscrit bien dans


une progressive laïcisation de la manifestation même si, ici ou là, le lien
entre rosière et Enfant de Marie n’est pas à exclure. La désignation de la
vertu élective ne dépendra plus de la « sage conduite de l’élue » mais de ses
118
qualités de labeur, de respect filial, d’honnêteté . De nos jours, c’est
l’engagement associatif ou les activités en faveur de l’intérêt public qui sont
valorisés comme le symbole de l’union entre un individu et sa
communauté, image de la rosière citoyenne 119. La sociologie élective varia
aussi sensiblement. Choisies d’abord parmi les filles des notables de village,
elles furent de plus en plus souvent prises au sein des milieux défavorisés.
Instaurée à Montferrand en 1880, l’institution d’une rosière constitua « un
excellent moyen de moraliser les jeunes filles pauvres de la localité, dont
beaucoup sont forcées d’aller chercher du travail dans les usines de
Clermont-Ferrand où leur jeunesse est souvent exposée 120 ».
Le choix des rosières parmi les «  familles méritantes  » (Nanterre)
devint une constante devant laquelle s’effaça puis disparut toute référence
explicite à la virginité. Déjà sous l’Empire, dans le département de Sambre-
et-Meuse, les candidates devaient fournir un certificat de pauvreté à
121
l’administration municipale à l’égal de celui de bonne conduite . Dans les
communes du Bordelais où cette pratique fut instaurée assez récemment,
on peut désormais élire «  une femme qui a un compagnon mais qui ne
122
court pas trop [sic]  ».
L’effacement sensible des marques du catholicisme demeure pourtant
inégal. À Nanterre, où la tradition était ancienne et peut-être en raison de
cela, il faut attendre 1935 et l’arrivée d’une municipalité communiste pour
que la rosière ne soit plus coiffée à l’église tandis qu’elle continuait à porter
les symboles de l’« état » initial (robe blanche, couronne) 123. Dans d’autres
communes qui ont établi la fête beaucoup plus tardivement pour l’orienter
dans un sens nettement républicain, tout signe religieux est soit exclu, par
e
exemple dans les villes auvergnates de la fin du XIX siècle (Montferrand,
Vic-sur-Cère, Riom-ès-Montagnes, Saint-Sauves), soit minimisé. Mais, au
e
XX siècle, dans plusieurs localités de l’agglomération bordelaise en voie
d’urbanisation (La Brède, Pessac, Créon, Lesparre), une messe reste
célébrée à l’occasion de ce qui devient une sorte de fête identitaire
124
autorisant la revendication d’un héritage rural et l’intégration de
125
nouvelles populations sans pour autant associer désormais « la virginité
de la rosière avec l’inviolabilité de la commune » (M. Segalen).
Temps, lieux, symboles

Alors que dans ses désignations toponymiques l’adjectif «  vierge  »


désigne des espaces inexplorés au moins par les Européens, telle la forêt
vierge, d’autres dénominations géographiques sont clairement associées à
la virginité. Par exemple les îles Vierges des Caraïbes nommées ainsi par
Christophe Colomb en 1493 en l’honneur de sainte Ursule et de ses vierges
légendaires, ou encore la Virginie, baptisée de cette façon en mai 1607
re
pour rappeler la mémoire d’Élisabeth I d’Angleterre, cette « reine vierge »,
décédée quelques années plus tôt.
Mais les références mariales et, par contrecoup, virginales sont
beaucoup plus tangibles dans la structuration du temps. C’est en effet, et
e
une fois encore sous l’influence jésuite, qu’au début du XVIII siècle, le mois
de mai devient le mois de Marie. Les raisons de ce choix sont assez
énigmatiques puisque aucune fête associée à la Vierge ne marque alors le
sanctoral. Et si, depuis Pie V, le dernier jour du mois fixe celle de la
Visitation, son commencement célèbre la nuit de Walpurgis 126 ! Faut-il voir
dans cette élection une réminiscence romaine faisant de mai un mois
néfaste aux mariages ou, comme l’avance Van Gennep, la convergence de
trois influences : romaine (fête de la déesse Flore), gauloise et chrétienne ?
Durant les années 1880, en pleine période de mariolâtrie, des religieuses
milanaises soutenues par le jésuite Ange Brazzoli instaurent même le mois
de Marie enfant en septembre, initiative qui connut quelque succès dans la
France de l’Ouest 127.
Quoi qu’il en soit, durant ce mois de mai, alors que le nombre de fêtes
de saintes, vierges et martyres, reste modeste, des dévotions collectives
comme la récitation régulière du chapelet, des récollections dans les
collèges, des neuvaines, des initiatives domestiques comme l’érection
d’« autels à la vierge » dans les maisons scandent le rythme et dessinent le
décor de ces jours de printemps 128. Pour autant, au moins durant l’Ancien
Régime, la continence sexuelle n’est pas de mise puisque mai, avec juin,
constitue, dans l’Europe catholique, un pic de conceptions alors que la
proportion des mariages remonte singulièrement après le creux du carême.
Le nivellement saisonnier des comportements démographiques au cours
des XIXe et XXe siècles interdit toute conclusion significative divergente à ce
sujet.
Pour sa part, la mobilisation des images susceptibles d’enraciner la
virginité, mariale ou non, dans la culture d’abord religieuse se traduit par
l’usage des supports symboliques forts et pérennes de la flore au bestiaire
en passant par les vêtements et le coloris.
Dans la mythologie grecque, la licorne est l’emblème de la virginité.
C’est pourquoi l’iconographie l’associe fréquemment à une jeune fille, car
seule l’odeur d’une vierge est réputée pouvoir faire sortir l’animal fabuleux
de sa cachette. Quant à la tourterelle ou à la colombe de variété blanche,
elle avait déjà séduit les Pères de l’Église. Dans le Cantique des cantiques,
elle sert à désigner la bien-aimée dont on entend la voix et que l’on attend.
Au XIIe siècle, saint Bernard estime la tourterelle «  chaste en quelque âge
que ce soit » et fidèle à un seul mâle. Séparée de son compagnon, elle ne
souffre pas de l’incontinence :

« On voit la tourterelle dans le temps de son veuvage pratiquer tous


les exercices de cet état saint […]. Vous la voyez toujours solitaire […]
pour vous apprendre à fuir les plaisirs de la volupté comme une
peste. »

Elle se perche sur les sommets ou sur le faîte des arbres «  pour nous
apprendre à mépriser les choses de la Terre & à aimer les choses du Ciel, ce
qui est très convenable à l’état de la chasteté  ». Son chant est une
« exhortation à la pureté 129 ».
François de Sales, reprenant un passage de l’Histoire naturelle de Pline
(livre VIII, chap. V) sur la pudeur et la fidélité des éléphants, engage les
jeunes mariés à se purifier de leurs «  sensualités et voluptés  » avant de
pratiquer d’autres activités «  plus pures et relevées  » en s’inspirant du
pachyderme, promu au rang de modèle de chasteté conjugale :

« L’éléphant n’est qu’une grosse bête, mais la plus digne qui vive sur
la terre […] : il ne change jamais de femelle et aime tendrement celle
qu’il a choisie, avec laquelle néanmoins il ne parie que de trois ans en
trois ans, et cela pour cinq jours seulement et si secrètement que jamais
il n’est vu en cet acte  ; mais il est bien vu pourtant le sixième jour
auquel avant toutes choses il va droit à quelque rivière en laquelle il se
lave entièrement tout le corps, sans vouloir aucunement retourner au
130
troupeau qu’il ne se soit auparavant purifié . »

e
De façon plus péjorative, le XIX siècle finissant invente « l’oie blanche »,
qui, remplaçant « la blanche colombe, messagère du divin », désigne celle
dont l’ignorance totale de son sexe et de son corps confine « à la bêtise »,
permettant ainsi aux parents et aux éducatrices d’exercer davantage
131
d’autorité sur elle . Dans un roman de Marcel Prévost (1894), l’un des
protagonistes explique qu’il ne prendra jamais femme à Paris :

«  C’est folie d’y vouloir chercher la merlette blanche  : trop de


merlettes noires se teignent en blanc. […] Je me contenterai d’un
volatile moins rare, dont la couleur est plus solide. […] Une petite oie
blanche, née et nourrie dans un coin de province 132. »

Plus que le règne animal, le règne végétal est mobilisé pour filer la
e
métaphore. En langue française, dès le XIV siècle, le mot «  défloration  »
désigne le fait de déflorer une fille vierge. Auparavant le latin defloreo et
defloratio se limitait au sens prosaïque de défleurir, se flétrir. C’est donc
récemment que la langue tient une fille qui n’est plus vierge pour
irrémédiablement fanée, comme une fleur. Féminité juvénile fragile et
éphémère à la fois. Parmi les plantes associées à la virginité, il faut
mentionner le saule, qui a symbolisé la stérilité chez les Anciens avant de
figurer la chasteté chrétienne. On lui prête des vertus anaphrodisiaques. Il
est d’ailleurs appelé « l’arbre chaste ». Selon Pline, les jeunes filles vouées à
la chasteté à Athènes répandaient sur leur couche des feuilles de saule.
Dans le Banquet des dix vierges, écrit par Méthode d’Olympe (IIIe-IVe siècle),
les femmes ont suspendu leurs harpes, métaphore de leurs corps, à des
saules. L’une des protagonistes, Théopatra, prévient :

« Si l’on fait macérer ses fleurs [du saule], ce breuvage éteint tous
les bouillonnements et aiguillons de la sexualité, au point d’obtenir une
133
stérilité complète et de rendre inefficace tout effort de procréation . »

Dans son Introduction à la vie dévote, François de Sales réprouve les


impudicités et la lascivité en faisant référence à « l’herbe chaste », désignée
en latin par agnus castus 134. La plante en question est le vitex agnus-castus,
l’arbre chaste ou gattilier réputé pour calmer les ardeurs sexuelles, d’où sa
présence dans le rembourrage des matelas. Plus connu, le lys est sans
doute le symbole universellement répandu de la pureté, de l’innocence et
de la virginité associé systématiquement aux représentations
iconographiques de Marie. Sainte Cécile, martyre vers 220, fut, nous dit
Jacques de Voragine, «  un lys céleste par la pudeur de sa virginité  ». Son
nom même voudrait dire caeli lilium, c’est-à-dire « lys du ciel ». Comme tel,
«  elle posséda la blancheur de la pureté, la verdeur de la conscience,
135
l’odeur de la bonne réputation  ».
Mais, plus encore que la botanique, c’est la couleur blanche qui renvoie
à cet universel de la pureté et de l’innocence, voire à une dimension
transcendante associée aux rites de passage. Dans l’ancienne société, il
était d’usage d’accoucher sur un lit blanc. Le linceul de la mort l’est aussi,
toujours immaculé, comme pour rejoindre l’innocence virginale d’avant la
faute d’Adam et Ève, celle de l’enfant qui vient de naître. Dans la liturgie
de l’Église, le blanc des ornements portés par le prêtre renvoie à la pureté
sans tache de Dieu. C’est pourquoi le blanc sert lors des grandes solennités
(notamment Noël et Pâques). Il est également utilisé lors des fêtes de la
Vierge ainsi que celles des saints et saintes qui n’ont pas subi le martyre.
Les nouveaux baptisés, ayant «  revêtu le Christ  », portent également un
habit blanc. C’est aussi en référence au baptême que l’on adopte, d’abord
dans les pensionnats féminins de la fin du XVIIIe siècle, l’habit et le voile
blancs lors de la première communion 136.
Quant au mariage, la mode est aujourd’hui encore pour l’épousée de
porter un costume, un voile et des souliers de couleur blanche. Il n’en fut
e
pas de même avant le XIX siècle où l’on privilégiait les soieries noires ou
parfois colorées. Le blanc s’est invité d’abord sous la forme du châle dit de
e
cachemire importé en Europe dès le XVIII siècle et dont la variété blanche
est la plus recherchée. S’ajoutait à cela une ceinture de même couleur,
symbole de virginité, dénouée lors de la nuit de noces. Le bijou donné à la
mariée était à la fois une marque d’appropriation et une compensation
pour la perte annoncée de la virginité, comme si la femme était achetée
e
par son époux. Ce symbolisme s’est évidemment dissipé au cours du XIX
siècle. Si, longtemps encore dans le monde paysan, les filles se marièrent
en costume régional, elles ne manquaient de signaler leur virginité grâce à
un détail fiché justement dans la coiffure, en Picardie un ruban appelé
«  pucelage  », un petit miroir au fond de la coiffe en pays nantais 137.
Pourtant, à partir des modes urbaines et de la proclamation du dogme de
l’Immaculée Conception, le blanc symbolique de l’habit s’ancra peu à peu
138
dans les rites du mariage avant de s’imposer dans tous les milieux . Le
bouquet de la mariée que l’on déposait au pied de la statue de la vierge en
était un accessoire obligé. Ce code vestimentaire progressa parallèlement à
l’importance accordée à la virginité. Comme l’écrit l’anthropologue Arnold
Van Gennep, «  le blanc a fini par acquérir ainsi aux noces un caractère
magique et devenir une sorte d’immunisation à la fois antérieure et
139
postérieure au mariage  ».
Reconnaître une vierge en société ?

Toutefois, le voile plus l’habit blanc désignent-ils vraiment la vierge en


société ? Apparemment non puisque, d’une part, le premier constitue avec
le second un atour de circonstance et que, d’autre part, le port du voile
resta longtemps une pratique sociale répandue qui, après l’état nubile, ne
faisait aucune distinction entre les vierges et les autres femmes. Déjà, dans
son célèbre traité De velandis virginis (207-208), Tertullien écrivait :

«  Je t’en prie, vierge, que tu sois mère, sœur ou fille, pour vous
énumérer d’après les noms qui conviennent à vos âges, porte le voile ;
si tu es mère à cause de tes fils, si tu es sœur à cause de tes frères, si tu
es fille à cause des pères. Chaque âge en toi court un danger 140. »

Le voile était un signe censé protéger, avaliser l’infériorité en référence


141
à la première épître paulinienne aux Corinthiens et concerner toutes les
e
femmes alors que, au II siècle encore, le fait de rester tête nue pouvait être
142
considéré comme une prérogative des vierges qui honorait leur état .
Même si, sous l’influence des représentations d’une Marie voilée, se noua
peu à peu en Occident un lien entre voile et virginité, son port, on l’a vu,
n’est plus permanent et finit par correspondre à des rites de passage.
Comment alors, dans le rapport des échanges sociaux, éducatifs et
familiaux, savoir si l’on avait affaire à une vierge ? En dehors des examens
cliniques, on a longtemps eu la certitude que la simple observation
extérieure permettait de distinguer vierges authentiques et filles déflorées.
Les premières présentant un regard net, de beaux yeux, un nez charnu et
une voix claire ; les secondes, des yeux au blanc terni baissés et tristes, un
143
nez effilé, un gros cou, une voix âpre . Théophile Gautier repère
l’ingénuité virginale et l’innocence du bel âge qu’on peut tout bonnement
appeler aussi « niaiserie, ignorance, imbécillité ou hypocrisie ». La candeur
«  consiste à s’asseoir tout au bord du fauteuil, les bras serrés contre le
corps, l’œil sur la pointe du corset, et à ne parler que sur un permis des
grands-parents ».
L’innocence se pare de cheveux sans frisure et de robes blanches ; elle
ne sait que rougir et baisser les yeux. La pureté s’observe aux «  corsages
colletés  », car la gorge et les épaules ne sont pas encore formées. Avec
cynisme, l’écrivain conclut :

«  Je me soucie assez peu de faire épeler l’alphabet d’amour à de


petites niaises. – Je ne suis ni assez vieux ni assez corrompu pour
prendre grand plaisir à cela […]. Je préfère les femmes qui lisent
couramment, on est plus tôt arrivé à la fin du chapitre 144. »

De cette transformation, le romancier Marcel Prévost  rend compte en


décrivant les traces de l’amour sur une jeune fille de 20 ans :

«  De ses traits, de ses yeux, de tout son visage et de toute sa


personne, l’indécise auréole de virginité qui l’enveloppait tout à l’heure
[…], s’était effacée. Elle apparaissait femme, avec cette flamme chaude
dans le regard, ce je ne sais quoi de vaincu dans les poses, par où se
trahissent les vierges qui ont pâmé une fois sous les caresses 145. »

Toutefois, il convenait de se méfier de la duplicité de la gent féminine


susceptible de tromper son monde (masculin). Au XVIIe siècle, le médecin
Nicolas Venette estimait d’ailleurs que «  les femmes sont capables
d’inventer pour déguiser la perte de leur virginité et comme il est
impossible de garder la trace d’un bateau sur la mer, d’un aigle dans le ciel
et d’un serpent sur un rocher, il est aussi impossible de saisir le signe de la
perte de la virginité 146 ».
À quelle sainte se vouer désormais à ce sujet  ? Hier, on savait sans
savoir. L’exemplarité mariale, semper virgo, invasive au XIXe siècle, le
déferlement virginal surgi des catacombes romaines, les apparitions et les
confréries encadrant les filles de Marie constituaient un socle sur lequel
s’appuyaient tant les Églises que les familles afin de maintenir intact l’état
des filles à marier en dépit des entorses connues et réelles. Cet édifice
référentiel, à la fois social et culturel, a non seulement dû affronter les
changements de contexte faisant voler en éclats tant les enfants de la
Vierge que le culte de sainte Philomène. Il a subi aussi la critique
argumentée d’interrogations théologiques radicales relatives à la matrice
virginale du christianisme jusqu’à considérer, aujourd’hui, que les vierges
consacrées n’ont plus besoin de l’être.

Virginité et chasteté dans le champ du politique

Virginité et chasteté ne sont pas seulement des marqueurs du territoire


de la morale religieuse, chrétienne en l’occurrence, ou une forme
d’assignation sociale lorsque ces états deviennent un argument nécessaire
pour marier les filles. D’une autre manière, par l’instrumentalisation de
personnages exceptionnels, elles participent à la construction du roman
national comme elles peuvent valoriser toute entreprise révolutionnaire.

Vierges de combats

À l’encontre des images qui ont pu sourdre des pages précédentes, la


virginité voire la chasteté ne s’apparentent pas toujours à l’ingénuité, la
candeur ou l’évanescence. Déjà dans le panthéon grec, Athéna et Artémis
sont des vierges protectrices de la cité pour la première, des Amazones
pour la seconde et, à cet effet, portent volontiers les armes 147. Pour sa part,
le christianisme n’est pas en reste. C’est à partir du XIIIe siècle et sous
l’influence des ordres militaires (chevaliers Teutoniques, ordres de la
Reconquista) que Marie devient aussi une vierge guerrière. Caractéristique
e e
qui s’accentua très fortement aux XVI et premier XVII siècles lorsque les
souverains assignèrent à Marie le rôle de défendre l’Église romaine contre
les musulmans et les réformés. Ainsi la Vierge, « Pallas du monde chrétien,
Bellone de l’Église militante  », se trouve mobilisée à travers images et
prières dans plusieurs épisodes essentiels de la reconquête catholique, de la
bataille de Lépante (7  octobre 1571) à celle de la Montagne Blanche
(8  novembre 1620), sans compter les multiples mobilisations des troupes
148
de la Ligue lors des guerres de Religion en France . Les jésuites en
particulier iront même jusqu’à développer une réflexion théologique sur ce
rôle belliqueux marial. Antoine de Balinghem, en 1625, ou Toussaint
Bridoul, en 1640, décrivent la Vierge l’un comme «  un vrai foudre de
guerre  », l’autre comme «  la reine des armées  » dont «  les mains (sont)
promptes, habiles et adextres au combat et à manier la lame aussi bien que
le fuseau  » et les bras «  semblables à un arc d’airain, forts et nerveux à
149
frapper et à lancer des traits contre les ennemis  ».
e
Durant le XVIII siècle, cette référence à une bellatrix regina ou à une
Maria victrix continuera d’être partiellement entretenue grâce aux
« calendriers marials » remplis de références militaires. Et si la dimension
belliqueuse de Marie s’estompe par la suite, elle ne disparaît pas tout à fait
à chaque fois que l’Église de Rome se sent menacée. À titre d’exemple,
Turinaz, évêque de Nancy, dans une homélie prononcée à Dunkerque le
er
1   juin 1903 lors de la fête de Notre-Dame-des-Dunes, alors que la
République radicale mène une offensive anticléricale en règle, qualifie
Marie de « reine de la bravoure guerrière » et de « Mère toute-puissante du
Dieu des batailles 150 ».
Le recours à la Vierge devient parfois un moyen de gouvernement soit
pour rechercher un soutien céleste pour le royaume, soit pour couronner
e
les succès d’une politique agressive et victorieuse. Ainsi au milieu du XII
siècle, Louis  VII offre son royaume à la Vierge suite à une succession
chaotique et à un ensemble de fautes politiques dues à son père Louis VI le
Gros 151. Plus clairement associée à sa fonction guerrière, c’est à son
patronage que le roi de Portugal Alfonso-Henrique en appelle à la fin du
e
XIII siècle pour favoriser la reconquête entamée contre les Maures. Pour sa
part, Louis XIII, dans sa déclaration du 10  février 1638, consacre «  sa
personne, son État, sa couronne et ses sujets à la Très Sainte Vierge Marie
152
pour protection spéciale  », non, comme on l’a souvent écrit , en
reconnaissance de la grossesse d’Anne d’Autriche si longtemps attendue
mais bien parce que « la divine Providence a octroyé au royaume le soutien
de nos alliés en les rétablissant  en la possession de leurs États dont ils
avaient été dépouillés 153 ». La répétition de ce vœu par le jeune Louis XIV,
le 25 mai 1650, est encore beaucoup plus explicite dans la mise en relief
des raisons militaires qui ont présidé à la réitération.
C’est plus directement que la virginité de certaines héroïnes est
sollicitée pour expliquer que cet état leur permettait de mieux s’investir
physiquement et moralement au service de leur combat. Trois types de
figure peuvent être dégagés. D’abord, les vierges guerrières dont Jeanne
d’Arc constitue l’icône 154. Jeanne, dite la Pucelle et non la vierge, l’était
pourtant puisque l’on procéda au moins à deux reprises à sa vérification (à
Poitiers en février 1423, à Rouen en mai 1431). La jeune fille n’avait-elle
pas fait vœu de virginité à ses voix  ? Lors de l’interrogatoire du 3  avril
1431 à Rouen, elle dit les avoir vénérées plusieurs fois « en baisant la terre
sur laquelle ils marchaient en leur vouant sa virginité  ». Et plus loin, elle
précise que « les deux saintes (Catherine et Marguerite) lui ont révélé […]
qu’elle s’assurera le salut de son âme si elle garde la virginité qu’elle leur a
155
vouée la première fois  ».
De même, en réponse aux Anglais ou aux Bourguignons qui la
discréditaient en la décrivant comme la ribaude, la fille à soldat, la « putain
des Armagnacs  », ses défenseurs, souhaitant la révision du procès,
insistaient à leur tour sur sa virginité intacte conservée grâce à ses habits
d’homme. Mais le pucelage de Jeanne ne renvoie pas seulement à une
forme de spiritualisation du corps ou à un renversement du modèle
matrimonial imposé à toute pucelle. Il a à voir avec « le don de la force ».
Vierge, Jeanne défend avec la même fougue son intégrité physique et celle
du royaume. Vierge, Jeanne est robuste, sans fatigue, sans maladies et c’est
156
bien cet état « qui lui donne la victoire  ».
La virginité de Charlotte Corday, meurtrière de Jean-Paul Marat le
13  juillet 1793, est d’un autre usage politique 157. D’abord, elle n’est
nullement revendiquée par l’héroïne, ni mise en avant par ses accusateurs
révolutionnaires. À peine en trouve-t-on une évocation lors du procès
lorsqu’on lui demande si «  elle n’a jamais connu un homme  » et qu’elle
répond  : «  Non.  » C’est dans les biographies ultérieures ou dans les
histoires générales de la Révolution du XIXe siècle que cet état est
mentionné dans un contexte de condamnation des décennies précédentes
et de renouveau de la piété mariale. Ainsi, la jeune noble est-elle qualifiée
de « vierge de la Gironde » puis de « blanche vierge aux cheveux bruns »
158 159
par Paul Delasalle et de «  vierge héroïque  » par Louis Du  Bois .
Alphonse Esquiros, déjà auteur des Vierges martyres, met en avant
l’extrême pudeur de «  la femme vierge  et modeste  » qui profite de
l’obscurité de sa prison «  pour rentrer sous le voile ces appas sacrés sans
160
que le regard des hommes eût le temps de les profaner  ».
Avec d’autres intentions que celle de rapprocher la virginité du
sacrifice, de l’idéal girondin ou du martyr chrétien, comme le fera Auguste
161
Casimir-Perier, Lamartine met en avant un épisode imaginaire  :

«  L’infâme curiosité des maratistes chercha jusque dans les restes


inanimés de la jeune fille les preuves du vice dont ses calomniateurs
voulaient la flétrir. Sa vertu trouva son témoignage où ses ennemis
cherchaient sa honte. Cette profanation de la beauté et de la mort
162
attesta l’innocence de ses mœurs et de la virginité de son corps . »

Une manière pour l’écrivain de dénoncer avec effroi les pulsions


sexuelles d’un peuple qui, «  arrivé au pouvoir  », refuse d’intérioriser ses
163
désirs au nom d’une pudeur bourgeoise qu’il rejette absolument .
Le troisième type d’exemplarité virginale dans l’ordre du politique met
moins en valeur la violence militaire ou criminelle que le service du bon
re
gouvernement. Dans l’histoire européenne, Élisabeth I (1533-1603) en a
probablement constitué le modèle presque exclusif, modèle qu’elle s’est
elle-même forgé. Celle qui fut dénommée la « reine-vierge » ne l’était peut-
être pas puisque les chroniques lui ont prêté des aventures peu platoniques
avec Robert Dudley, Christopher Hatton ou Robert Devereux. Mais
l’expression elle-même est fallacieuse dans la mesure où c’est d’abord son
célibat volontaire qui a été mis en avant, célibat d’une souveraine tout
entière dévouée à la charge de son royaume. En mai 1559, à plusieurs
députés des Communes qui lui avaient demandé de se marier, elle répond :

« Quant à ce que vous travaillez tant à me persuader de me marier,


je vous dirai que je suis de longtemps persuadée que Dieu m’a fait
naître pour penser et faire sur toutes ces choses celles qui
appartiennent à sa gloire. […] Il semble que ce seroit une très
inconsidérée imprudence d’attiser par-dessus les soucis qui peuvent
naître d’un mariage. Au reste, je me suis déjà liée à un mari, c’est le
royaume d’Angleterre et cela doit vous suffire 164. »

Si le célibat assumé permet à Élisabeth de remplir plusieurs fonctions –


mère de son peuple et sœur de ses sujets –, elle donne à cette «  chasteté
consacrée  » une dimension politique intimement associée aux
circonstances. Par exemple, l’échec de l’Invincible Armada en août 1588
conforte l’inviolabilité de l’insularité anglaise et, en écho, fait de sa
souveraine une reine au corps resté intact et indépendant.
En dépit des différences d’approche autour de ces femmes, leur
virginité, revendiquée ou non, leur permet de ne pas s’encombrer
d’amants, d’époux, de vivre des histoires amoureuses parfois compliquées
afin de se consacrer entièrement à la cause politique et militaire vers
laquelle elles se sentent appelées. Et dans ce sens, elles rejoignent l’idéal
révolutionnaire d’autres héroïnes.

Chasteté, virginité et révolutions


On a pu observer dans le chapitre précédent que des mouvements
utopiques ou millénaristes, particulièrement dans le monde anglo-saxon
des XVIIIe et XIXe siècles, prônaient une chasteté stricte et pouvaient même
valoriser la virginité. Inversement, d’autres courants rattachés au
socialisme utopique, du Père Enfantin à Fourier en passant par les nihilistes
russes, allaient jusqu’à rejeter toute forme de restriction sexuelle au nom
165
du refus de la morale et du mariage « bourgeois » honnis . Lors du procès
des saint-simoniens les 27 et 28  août 1832, les prévenus s’adressant aux
magistrats pour leur «  montrer la fausseté de (votre) morale routinière  »
reprennent l’argumentaire de la philosophie du mouvement longuement
exposé dans un ouvrage paru la même année :

«  Devant la conception saint-simonienne, disparaissent l’anathème


de la chair, le mépris du temps et, à leur suite, tout ce règlement du
mariage, toute cette discipline de réserve, de chasteté, de pudeur  ;
toutes ces idées d’éternité et d’indissolubilité des liens individuels
introduits par le christianisme. La matière étant de l’essence de Dieu
comme l’esprit, ses manifestations sont tout aussi pures, tout aussi
glorieuses.
S’il n’y a pas lieu de réprimer les appétits de l’esprit […], il n’y a pas
lieu davantage de réprimer les appétits de la chair, de condamner les
satisfactions sensuelles ou de les enfermer dans les limites étroites du
mariage s’ils réclament une sphère plus étendue 166. »

C’est à un autre type de discours sur la chasteté en politique que


s’attachent les acteurs de la Révolution française où jamais cette notion,
comme la virginité d’ailleurs, n’a été tenue comme une vertu indispensable
à la vie des militants. Au contraire même, ces deux états sont réprouvés
pour diverses raisons. Ils se trouvent beaucoup trop associés au
christianisme et dénoncés comme tels lors des séances législatives
consacrées aux questions religieuses. À l’occasion d’un débat, le 31  mai
1790, sur la Constitution civile du clergé, le vœu de chasteté est tenu par
l’abbé Goulard pour «  un vœu antisocial  » et, le 10  décembre 1793, le
conventionnel Boursault dénonce « les hommes qui égarent le peuple pour
vivre à ses dépens qui prêchent la pauvreté au sein des richesses, la
chasteté à côté des courtisanes dont ils alimentent le luxe et la
richesse 167 ».
De plus, les hommes de la Révolution sont des populationnistes qui
valorisent les mères. Et si, au cours des fêtes, les vierges sont mises en
avant dans les cortèges, c’est parce qu’elles sont en attente d’être épouses
er
et mères. Saint-Just propose même que chaque année, au 1 floréal, «  le
peuple de chaque commune choisisse un jeune homme riche, vertueux et
sans difformité, âgé de vingt et un ans accompli qui choisira et épousera
une vierge pauvre en mémoire de l’égalité humaine 168 ».
Ici la virginité, même au nom de l’égalité, ne constitue-t-elle pas une
sorte de monnaie d’échange indispensable pour que la jeune fille sorte de
la misère grâce à l’aisance matérielle de son futur époux  ? En outre, les
politiques d’alors distinguent nettement les vertus publiques des vertus
privées au sujet desquelles ils se refusent à intervenir 169. Ce qui
n’empêchera pas Le Père Duchesne de dresser un tableau idéalisé du sans-
culotte où se mêlent qualités domestiques réglées et engagement gracieux
170
pour le bien public .  Enfin, parce que selon les théories médicales en
vigueur, d’Étienne Labrunie à Cabanis, la virginité et la chasteté comme le
171
libertinage conduisent à la maladie et à la mort .
C’est dans le double prolongement de ces suggestions et d’une partie
du discours religieux du XVIIIe siècle lié à l’équilibre à trouver dans l’activité
sexuelle de chacun et du couple en particulier que s’inscrira la morale
républicaine des années 1880-1900 et jusque tard dans le XXe siècle. On en
trouve la marque par la forte valorisation de la tempérance qui « règle nos
désirs et modère nos passions  », jusqu’aux conseils prodigués aux
instituteurs, et surtout aux institutrices, à travers le livre de Joseph ou
« code Soleil », constamment réédité de 1923 aux années 1970 172. On peut
lire dans l’édition de 1970 au chapitre sur la vie privée des instituteurs :
«  L’institutrice surtout aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu
considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les
méchantes langues. Bien sûr, la “demoiselle” de l’école ne doit pas vivre
esseulée comme une sainte dans sa niche mais elle ne saurait non plus
impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi ni se prêter à
173
des fréquentations douteuses . »

Si la grande Révolution n’a pas eu besoin de valoriser ces


comportements de refus ou de réserve pour édifier une autre morale, il
n’en reste pas moins que l’affirmation de la politique comme expression
concrète de la res publica et de la souveraineté démocratique fait de
l’action publique un nouveau sacerdoce qui demande, lui aussi, un ou des
sacrifices. Celui de la sexualité, dans certains mouvements du XIXe et du XXe
siècle, apparaît comme un abandon nécessaire afin de vivre seulement
pour le service de la cause.
Le théoricien français du syndicalisme révolutionnaire Georges Sorel
(1847-1922), sollicité en 1910 par la revue culturelle florentine La Voce
pour s’exprimer sur ce qu’on appelait au tournant du siècle la «  question
sexuelle », répond de manière assez inattendue par une note intitulée « La
valeur sociale de la chasteté ». Il part d’un constat :

« Le christianisme avait fait de la chasteté la plus noble vertu de ses


saints  ; la réaction païenne qui s’est développée, de façon presque
continue, après les dernières années du XVIIe  siècle, a célébré ce qui a
été souvent proclamé une réhabilitation de la chair 174. »

Pourtant, en parfait iconoclaste, au risque de passer pour un


réactionnaire, Sorel reprend une formule qu’il avait lancée en 1900 : « Le
monde ne deviendra plus juste que dans la mesure où il deviendra plus
chaste.  » Déjà avant lui, Pierre-Joseph Proudhon, Auguste Comte,
Hippolyte Taine et Ernest Renan avaient prôné les vertus de l’austérité
sexuelle. À  l’héroïsme guerrier, il convenait de substituer un nouvel
objectif :

«  La victoire qui mettra fin à la lutte formidable contre le monde


bourgeois dépendra, en grande partie, du respect que le monde ouvrier
aura acquis par l’austérité de ses mœurs sexuelles 175. »

Sorel se dresse ainsi contre l’hypocrisie bourgeoise qui sépare la famille


et la sexualité en cultivant un double standard éthique.
Selon de telles références culturelles, il paraît presque logique de
trouver d’abord des militants de la virginité parmi les femmes qui
dénoncent à la fois la situation qui leur est faite et qui voient dans la
revendication virginale une manière d’être libre pour mieux vivre leur
engagement et pour refuser la domination masculine.
Grande figure de la Commune en 1871, Louise Michel, que ses
contempteurs comme ses admirateurs surnommèrent «  la vierge rouge  »,
en fournit une bonne illustration. Pareille désignation recèle toute
l’ambiguïté avec laquelle son célibat était considéré, « mépris pour la vieille
fille dont se gaussent violemment les caricaturistes ou admiration
respectueuse pour celle qui, comme Jeanne d’Arc, a sacrifié sa vie de
femme et de mère à la cause révolutionnaire 176 ».
Sa virginité n’est pas, comme dans le cas des filles du christianisme
antique, le résultat d’une aspiration spirituelle mais bien un choix lié aux
exigences qu’elle expose concernant les qualités d’un futur époux qui aurait
dû être « généreux et fort pour mener avec elle le bon combat », un mari
dont elle refuserait «  d’être le potage 177  ».  Toutefois, même si en
« renonçant à l’hymen » et aux relations sexuelles la vierge rouge pouvait
se donner tout entière à la révolution, la référence religieuse affleure chez
plusieurs de ses biographes qui n’hésitent pas à la présenter comme une
sainte de la révolution, attachée à « sa foi républicaine » et pour laquelle
elle accepte « le sacrifice de sa vie ». Mieux encore, plusieurs auteurs font
un parallèle entre la  vierge de Domrémy et celle de Vroncourt, deux
villages lorrains proches. Dans un texte très militant, Henri Barbusse
souligne à plusieurs reprises les rapprochements évidents non seulement
entre les deux personnages, mais avec les premiers témoins du
christianisme :

« La comparaison s’impose entre elle et les premiers martyrs de la


foi chrétienne comme dans d’autres cas, elle s’impose entre elle et la
vierge lorraine qui naquit, il y a cinq cents ans dans la même région
qu’elle. […] Elle a donné sa vie comme les saints et les rédempteurs.
Elle ne l’a pas donnée pour complaire aux nébuleuses idoles du ciel
mais pour une cause terrestre, palpitante 178. »

Incontestablement, les luttes multiples de Louise Michel ont été


rendues possibles et efficaces grâce à cette disponibilité totale du corps et
de l’esprit, auréolant son image à l’égal d’une sainte laïque. Aux mérites de
la générosité, de la fougue militante, de l’attention aux autres, de la
déportation en Nouvelle-Calédonie, bref du don de soi qui l’érige sur les
autels de la Révolution, s’ajoute sa nature virginale qui permet de la fixer
dans la grammaire d’une nouvelle religion en passe de prendre la place du
christianisme mais bien proche de ses référents.
e e
Plusieurs femmes, au tournant des XIX et XX siècles, ont, à leur tour,
revendiqué une virginité politique, utilisée comme un refus de la
soumission maritale, voire d’une complicité avec le système économique et
social, pour tenter de faire avancer la cause féminine. Sans valoriser la
virginité pour autant, Marie Huot, militante écologiste de la limitation des
naissances et des droits des animaux (1846-1930), ira jusqu’à prôner la
« grève des ventres » pour frapper au cœur la société bourgeoise en faisant
«  tarir sur le marché la triple chair dont trafique le bourgeois, la chair à
canon, la chair à travail et la chair à plaisir 179 ! ».
Tout autre est le combat de Madeleine Pelletier (1874-1939). Cette
militante socialiste libertaire est aussi la première femme médecin
diplômée en psychiatrie, interne des asiles d’aliénés. Auteure de
nombreuses publications, féministe engagée contre tous les préjugés, elle
refuse les relations sexuelles, assumant une virginité combattante à
l’encombre des idées en vogue de l’amour libre. C’est ainsi que, dans une
brochure de 1923, elle prône le célibat qu’elle veut purifier des clichés qui
l’encombrent. La célibataire, c’était avant tout la « vieille fille » :

« Sa seule distraction est l’église où on lui donne un rôle. Elle dirige
les enfants de Marie, fait le catéchisme aux futures communiantes,
organise des sociétés de prière. Mais le clergé la déteste parce qu’elle le
surveille dans ses mœurs. »

Quand la vieille fille encore jeune subit maintes sollicitations, «  toute


son éducation s’élève contre l’idée d’accepter de telles offres ; elle aimerait
mieux mourir que de suivre ou d’amener chez elle un homme qu’elle ne
connaît pas ». Mais Madeleine avoue :

«  Heureusement, l’abstinence sexuelle est loin d’être une torture.


C’est surtout pour la femme que la sexualité n’est qu’une fonction
secondaire. Si elle est vierge, ses sens, faute d’aliments, ne s’éveillent
pas. Quelques vagues désirs, des rêves érotiques sont les seules
occasions où la nature parle. La vieille fille souffre beaucoup plus du
manque d’affection que de la privation charnelle 180. »

Dans son autobiographie romanesque publiée en 1933, elle va encore


plus loin. L’épanouissement sexuel lui paraît totalement exclu pour une
femme : « L’homme prend la femme pour assouvir son désir ; il ne se soucie
pas des conséquences.  ».La sexualité féminine est sur ce plan totalement
ignorée comme si la femme ne pouvait qu’être désirée et jamais désirer par
elle-même. Sur ce constat, Madeleine prend le parti de la chasteté en
affirmant que la sexualité féminine n’est pas aussi impérieuse que celle des
hommes  : «  L’homme seul a le plaisir, un plaisir animal. La femme
n’éprouve pas grand-chose…  » Elle refuse les alternatives, autant la
masturbation que le sexe entre femmes. Imprégnée de l’espoir
révolutionnaire, elle renvoie l’amour à des temps radieux : « La vraie façon
de vivre en paix, pour une femme, c’est de rester vierge 181. »
Pour sa part, la féministe bolchevique Alexandra Kollontaï, infatigable
défenseuse des droits des femmes dans la Russie prérévolutionnaire,
déplore dans Société et maternité (1915) que le « devoir conjugal, surtout
avec un mari insatiable sexuellement, empêche la femme de se livrer à
d’autres activités, plus particulièrement à la lutte pour l’égalité des sexes ».
Elle estime que lorsque la société sera totalement libérée, « on pourra
aussi aisément satisfaire un besoin sexuel que boire un verre d’eau ». C’est
d’ailleurs contre cette théorie du verre d’eau que s’élève Lénine dans une
longue discussion qu’il eut avec Clara Zetkin en 1920 :

«  Vous connaissez sans doute la fameuse théorie d’après laquelle,


dans la société communiste, satisfaire ses instincts sexuels et son besoin
d’amour est aussi simple et aussi insignifiant que d’avaler un verre
d’eau. Cette théorie du “verre d’eau” a fait que notre jeunesse est
enragée, littéralement enragée. Je ne veux point, par ma critique (de la
vie sexuelle de la jeunesse révolutionnaire), prêcher l’ascétisme. Loin
de là. Le communisme doit apporter non l’ascétisme, mais la joie de
vivre et le réconfort, dus également à la plénitude de l’amour. À mon
sens, l’excès qu’on observe aujourd’hui dans la vie sexuelle n’apporte ni
la joie de vivre ni le réconfort  ; bien au contraire, il les diminue. Or,
pendant la révolution, cela ne vaut rien du tout 182. »

Tout en se défendant à plusieurs reprises d’être un ascète mais très


opposé aux interprétations freudiennes de la sexualité qui agite alors la
jeunesse révolutionnaire tant en Allemagne qu’en Russie, Lénine fixe
cependant les priorités pour que se consolide le nouveau régime. Car si les
e
grands mouvements ou les organisations révolutionnaires du XX siècle ont
lutté victorieusement là où ils avaient pris le pouvoir pour se dégager du
modèle ancien des structures matrimoniales et des interdits (avec
l’officialisation de la limitation des naissances, voire de l’avortement), ils
n’ont pourtant pas manqué de rappeler, parfois indirectement, l’importance
moins de la virginité que de la chasteté en direction de l’avant-garde du
prolétariat ou des militants de base. À titre d’exemple, la Révolution
culturelle dans la Chine des années 1966-1968 fut une «  asexualisation
radicale du monde social 183  ». Dans ce domaine, les gardes rouges se
trouvèrent soumis à un encadrement politique strict. De telle sorte que « le
simple fait de parler d’amour, comme sentiment, donnait l’impression aux
jeunes gens de l’époque de commettre un crime 184 ».
Telle est bien à nouveaux frais l’ambiguïté de la chasteté et de la
virginité et de leurs usages à des fins idéologiques. Ici, radicalement et
volontairement coupées de leurs attaches culturelles passées, elles n’en
sont pas pour autant évacuées du discours partisan pour mieux servir la
cause nouvelle et permettre d’éviter de fâcheuses dérives. Dans la
construction d’une société autre, cette forme de sexualité refusée n’avait
probablement pas perdu toute sa pertinence, au moins aux yeux des guides
de la révolution sans pour autant qu’eux-mêmes s’y plient : Staline et Mao
jusqu’à l’excès. À cette tension militante entre désir et dévouement s’ajoute
celle, déjà bien éprouvée par les institutions religieuses de jadis, entre le
prescrit répressif et le vécu de chacun.
CONCLUSION

Un improbable idéal

Au terme de cette enquête entreprise sur une longue durée


pluriséculaire et dans le cadre occidental européen, malgré la place
privilégiée de la France, trois ensembles de conclusions peuvent être mis
en exergue tout en essayant d’échapper à de trop grandes simplifications.
Lorsqu’elle est possible, l’analyse conjointe de ces deux thématiques
engage le lecteur vers une réflexion historique sur le rapport au corps, le
sien propre comme celui qui le relie à la société. Il concerne alors de près
les formes multiples de la corporalité, autant la sensualité que le plaisir ou
la reproduction, interrogeant ses fonctions organiques, instinctives ou
spirituelles. Le corps, dans le christianisme, n’est-il pas temple de Dieu et,
par là, la voie privilégiée d’une communication avec le divin comme le
soulignent à loisir les nombreuses et diverses expériences mystiques, en
recherche de pureté ou plutôt de purification, qui ont longtemps traversé
cette religion  ? C’est à partir de cette corporalité, de ce conflit
anthropologique entre souillure et pureté, entre les aspirations aux réalités
d’en haut et les tentations des réalités «  d’en bas  » que s’inscriront
durablement les questions de la virginité et même de la chasteté. Au
moment de la période moderne notamment, elles s’adossèrent solidement
à une relecture des textes patristiques dont les auteurs, au moins certains
d’entre eux, avaient été véritablement obsédés par les apparentes
contradictions de cette dualité. Pour autant, l’exégèse plus ou moins
complexe des Pères sur ce sujet a souvent conduit les discours cléricaux à
devenir eux-mêmes des producteurs de sensualité en s’appuyant
directement ou non sur un vocabulaire non dénué d’équivoque.
Toutefois, la préoccupation des théologiens grecs et latins de l’Antiquité
a fourni au christianisme une autre occasion de se singulariser face aux
cultures du temps. Alors que celles-ci tenaient le célibat en discrédit
puisqu’il faisait peser une lourde hypothèque sur l’avenir de la cité, le
christianisme, en attente de la parousie, en promeut le statut qui permet
surtout aux femmes de s’affranchir du mariage et de s’épanouir
spirituellement en dehors des cadres traditionnels. Michel Foucault a bien
montré que ces notions de chasteté et de virginité avaient, elles aussi,
autorisé l’émergence d’une métanoïa, une conversion, par un travail du
sujet sur lui-même, à travers la distinction morale et personnelle entre
licite et illicite.
La pérennité d’un discours religieux, parfois radical, afin d’imposer
chasteté et virginité s’est trouvée largement confortée, au moins dans ses
conséquences, par la multitude des dissertations médicales, de la fureur
vénérienne à la masturbation, prônant à son tour une éthique laïque de la
tempérance et de la mesure, valorisant largement la reproduction, cette
fois pour des raisons démographiques et géopolitiques. Dans ce domaine,
e
un long XIX siècle étendu jusqu’au second conflit mondial a tenu une place
singulière. D’une part, la valorisation de la virginité, selon le modèle
bourgeois du mariage, impose une morale du silence et de l’inconnaissance
qui se veut protectrice pour les jeunes filles. Mais, d’autre part, c’est la
période où se manifestent sensiblement les inquiétudes masculines face
aux mystères de la sexualité féminine, impliquant une multiplication des
études médicales sur l’hymen. Le tout dans un contexte où les autorités
gouvernementales s’inquiètent des effets néfastes de la dépopulation qui
menace la grandeur et l’expansion de leur pays. Enfin, dans l’Église
catholique en particulier, ce siècle est celui où elle s’autodéfinit comme une
cité assiégée dont les «  valeurs éternelles  » sont bafouées par les
révolutions et le libéralisme. Face à l’histoire, elle construit un recours
identitaire autour des apparitions mariales, de l’invention des corps purs,
ou supposés tels, du martyrium romain et des dogmes pontificaux, où
l’exaltation de la virginité tient une place centrale à travers des figures
exemplaires et puissantes, Marie en tête. Bref, entre les menaces barbares,
l’attente du retour du Christ et la fin de la «  civilisation chrétienne  »,
dénoncée par les autorités religieuses au moins jusqu’à la Première Guerre
mondiale, c’est bien à travers les fins du monde que semblent se
singulariser sinon s’épanouir chasteté et virginité, moins pour protéger
l’humanité que pour se sauver soi-même.
C’est à partir de l’établissement de ces cadres à la fois rigides et
mouvants que l’on peut aborder la question de l’impact des discours sur les
pratiques. Sur ce plan, le constat semble désormais entendu. En dépit du
e
poids écrasant du magistère moral des clercs au moins jusqu’au premier XX
siècle pour imposer ces conduites éthiques, tous les cas de figure furent
possibles. Se créa ainsi une sorte de très grand écart entre la vie des
mystiques, ascétique et physiquement exacerbée parfois, et les turpitudes
cléricales dénoncées depuis longtemps bien au-delà du thème littéraire et
anticlérical. Ce hiatus entre le prescrit et le vécu toucha de très larges
franges de la population tant masculine que féminine, tant célibataire que
mariée. La multiplication des témoignages au sujet des diverses
expériences sexuelles juvéniles, l’importance inégale mais croissante des
conceptions prénuptiales concourent à tenir la référence ecclésiastique sur
l’interdit des relations sexuelles avant le mariage, sur l’impératif absolu de
la procréation et sur la dénégation du plaisir charnel comme autant de
notions très relatives, voire ignorées, volontairement ou non, de la part de
l’immense majorité des baptisés catholiques ou réformés, même si, chez ces
derniers, les puritains n’étaient pas toujours ceux que l’on croit… du moins
e e
au cours des XVI et XVII siècles. Toutefois, simultanément à l’hypocrisie
d’une certaine morale bourgeoise qui fleurit au XIXe siècle et qui, tant bien
que mal, tend à vouloir séparer la morale familiale de la sexualité en
valorisant à l’excès l’importance de la virginité des filles, des couples, peu
nombreux cependant, firent le choix de vivre dans la chasteté, voire dans
la continence au nom de leur foi, et ce, dès les premières décennies de la
Contre-Réforme.
À cet ensemble de figures générales possibles se greffent des disparités
sociales, géographiques et chronologiques, génératrices de nuances
sensibles. Entre les dénigrements d’une sexualité non reproductive ou hors
mariage réitérés dans les instructions romaines et l’hyper-sexualisation de
la société contemporaine  ; entre les apprentissages des adolescences
campagnardes, tenus tantôt pour «  naturels  » tantôt pour débridés, et la
surveillance accrue des filles de « bonne famille », volontairement laissées
dans l’ignorance la plus crasse  ; entre les pratiques du maraîchinage
longtemps à l’œuvre dans plusieurs régions d’Europe et la mise au ban des
filles mères dans les villages de l’Écosse à l’Alsace  ; entre l’encadrement
tacite de la communauté à l’endroit des frivolités juvéniles dans le monde
alpin et le choix assumé du concubinage au sein des villes industrielles du
e
XIX siècle, tous les comportements qui mettent en jeu ces deux états se
rencontrent et rendent ainsi très difficile l’établissement d’une modélisation
qui n’a probablement existé que chez certains moralistes en mal de rigueur
sinon pour eux, du moins pour les autres.
Toutefois, en dépit de ces éclatements au rythme séculaire erratique,
cette enquête entendait aussi souligner et confirmer une constante  : la
subordination aiguë, violente parfois, de la femme face aux états de
virginité et de chasteté. À travers l’évolution de ces deux notions, c’est bien
la question du genre qui est posée avec une réelle brutalité. Au-delà de
l’enracinement d’une misogynie qui n’est pas l’apanage des seuls gens
d’Église, l’analyse montre d’abord l’incapacité masculine à envisager la
sexualité féminine autrement que par rapport au mâle et à ses désirs. En
cela, comme une sorte de contradiction, l’insistance sur la supériorité de
l’état virginal de la part de l’Église apparaîtrait comme une assurance
protectrice pour bien des filles. La virginité – désignation qui, au cours des
siècles, se décline de plus en plus exclusivement au féminin – comme la
chasteté deviennent les révélateurs de la nécessaire soumission de la
femme, de son infériorité sexuelle et du refus total de son autonomie dans
ces domaines. Ils traduisent largement l’impuissance de l’immense majorité
des pères, des maris ou des frères, a fortiori des confesseurs, à envisager la
sexualité des femmes en dehors d’un cadre normé  : celui de
l’hétérosexualité matrimoniale. Et d’exclure à la fois le plaisir féminin,
suspect puisque mystérieux et obligatoirement subordonné à celui de
l’époux, leurs éventuelles relations homosexuelles et bien sûr la perte de
l’hymen avant de convoler. L’hymen d’ailleurs n’est-il pas cette invention
tardive des hommes qui leur permet encore de fantasmer au sujet de
l’emprise de leurs conquêtes légitimes ou non et d’affirmer leur virilité  à
bon compte ? Laquelle, contrairement à ce que l’on interdit aux filles, peut
se manifester très jeune. Rien n’empêche un garçon de perdre sa virginité
ou plutôt son pucelage grâce à quelque soubrette compatissante ou à la
fréquentation du bordel paternel.
D’ailleurs, entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe  siècle, dans
l’Europe bourgeoise et urbaine d’abord puis, par capillarité culturelle, au
sein d’autres catégories sociales, la virginité confère à la femme une valeur
certaine sur le marché matrimonial. D’où l’essor de ces initiatives
communautaires dans le cadre du village, de la paroisse ou du collège qui
magnifient jusqu’à la caricature le statut des vierges. Des Enfants de Marie
aux fêtes des rosières, le but demeure peu ou prou identique même lorsque
ces dernières se laïcisent. De la protection virginale à la stigmatisation des
épouses vis-à-vis des entorses à la chasteté, il n’y a qu’un pas. Nombre de
productions d’abord religieuses mais pas seulement –  on pense ici aux
discours médicaux ou aux romans  – soulignent encore la responsabilité
entière de la femme dans tous les domaines de la sexualité conjugale. Si la
chasteté des femmes se définit d’abord par leur fidélité et leur
subordination, cette dernière doit les obliger, par exemple, à ne pas refuser
le devoir conjugal, ce qui serait coupable, de crainte de favoriser l’infidélité
de leur époux, ce qui doublerait leur faute  ! Un peu à front renversé, les
Anglaises Mary Astell (1666-1731) puis Mary Wollstonecraft (1759-1797),
l’une des pionnières du féminisme, font de la chasteté, avec la force et la
vertu, l’un des caractères héroïques de «  la femme nouvelle  », l’associant
l’une à une sauvegarde face à la sexualité prédatrice des hommes, l’autre à
l’affirmation d’une autonomie indispensable à la distinction égalitaire des
sexes. La leçon sera plus tard retenue par d’autres militantes.
En dépit de l’écroulement généralisé du mythe de la virginité dans les
sociétés occidentales actuelles, hormis certains groupes de pression
évangéliques nord-américains, et avec la dissociation radicale entre
sexualité féminine et reproduction depuis les années 1960, la dissymétrie
entre les deux sexes face à l’amour et à ses propédeutiques est loin d’avoir
disparu. Même si la requalification morale de la chasteté de la part de
certains théologiens permet d’assurer une meilleure équité entre hommes
et femmes. Mais qui s’en soucie désormais ? Pareillement, la médiatisation
actuelle d’une série de faits criminels (viols, abus sexuels et pédophilie)
constitue une sorte de rupture par rapport à l’idéal de la libération sexuelle
qui, en voulant éradiquer les références à la virginité et à la chasteté, avait
pu être pensé comme une voie ouverte vers le bonheur pour tous et…
toutes.
Néanmoins, « c’est souvent depuis le négatif que, ces dernières années,
les questions touchant au sexe (se sont) imposées dans l’espace public  »,
1
confirmant, une nouvelle fois, les limites de cet improbable idéal .
NOTES

INTRODUCTION. Les chemins incertains


1. «  Virginité et chasteté  : histoire d’une obsession  », Le Monde des religions, juillet-août 2019,
p. 48.
2. Article publié le 11 avril 2017 sur le site Le Point.fr.
3. Interview de Thiel Marie-Jo dans Le Monde du 25 juin 2019. Et aussi Soupa Anne, Consoler les
catholiques, Paris, Salvator, 2019, p. 38.

1. De quoi parle-t-on ?
1. O’Connor M., « Reconstructing the Hymen : Mutilation or Restoration ? », Journal of Law and
Medicine, août 2008, 16 (1), p. 161-175.
2. Delvau Alfred, Dictionnaire érotique moderne par un professeur de langue verte, Bruxelles, 1864,
p. 367.
3. Thomas d’Aquin, Somme théologique, II, 154, Paris, Cerf, 1985, t. 3, p. 858.
4. Garnier Romain, « Sur l’étymologie du latin uirgõ “vierge” », Studia Etymologica Cracowiensia,
2014, 19, p. 59-70.
5. Boudier de Villemert Pierre-Joseph (1716-1801), L’Ami des femmes, Hambourg, 1759, p.  160-
161.
6. Sand George, Correspondance, t. III (juillet 1835-avril 1837), Paris, Garnier, 1967, p. 563-565.
7. Selon Corbin Alain, « L’emprise de la religion », dans Corbin Alain (dir.), Histoire du corps. 2. De
la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 62.
8. Sade, Justine ou les malheurs de la vertu [1791], dans Œuvres II, Paris, Gallimard, 1995, p. 207.
9. Saint Augustin, La Cité de Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, I, XVI, p.  247 et I, XVIII,
p. 255.
10. Laurence Patrick, Jérôme et le nouveau modèle féminin : la conversion à la « vie parfaite », Paris,
Institut d’études augustiniennes, 1997, p. 165.
11. Cités par Manévy Anne, «  Le droit chemin  : l’ange gardien, instrument de disciplinarisation
après la Contre-Réforme », Revue de l’histoire des religions, 223 (2006), no 2, p. 205-206. Il s’agit de
Coret Jacques, L’Ange conducteur dans la dévotion chrétienne…, Liège, 1683. Ce livre a connu
740 éditions !
12. Thomas d’Aquin, Somme théologique, op. cit., p. 1072.
e
13. Textes cités par Arnold Odile, Le Corps et l’Âme : la vie des religieuses au XIX siècle, Paris, Seuil,
1984, p. 151-152.
14. MacLachlan Bonnie, «  Introduction  », dans MacLachlan Bonnie et Fletcher Judith (éd.),
Virginity Revisited  : Configurations of the Unpossessed Body, Toronto, University of Toronto Press,
2007, p. 7.
15. Depuis le milieu du XVIe siècle, une préparation appelée « lait virginal » constitue un classique
de la cosmétique moderne.
16. Hegazy Abdelmonem A. et Al-Rukban Mohammed, «  Hymen  : Facts and Conceptions  », The
Health, 2012, 3-4, p. 109-115.
17. McKeon Olson Rose et García-Moreno Claudia, «  Virginity Testing  : a Systematic Review  »,
Reproductive Health (2017), 14 :61, p. 3. On trouvera dans cette publication la présentation détaillée
de toutes les études recensées. L’article met en évidence les conséquences sociales et psychologiques
désastreuses et destructrices pour les filles qui n’ont pas obtenu le certificat de virginité dans les
pays où ce test est requis pour des raisons familiales ou professionnelles.
18. Ibid., p.  8. Déjà en 1978, la célèbre revue Lancet publiait un article au titre significatif  :
Underhill Rosemary A. et Dewhurst John, « The Doctor cannot always tell : Medical Examination of
the “Intact” Hymen », Lancet, 311.8060, 18 février 1978, p. 75-76.
19. Les admirables secrets d’Albert le Grand : contenant plusieurs traités sur la conception des femmes
[…], Lyon, 1758, p. 33-36. Les chapitres sur les « secrets des femmes » datent de l’édition de 1580.
20. Sissa Giulia «  Une virginité sans hymen  : le corps féminin en Grèce ancienne  », Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations, 39 (1984), no 6, p. 1119-1139.
21. Bayle Pierre, Dictionnaire historique et critique [1697], [Bâle], 1738, t. 2, p. 461-463.
22. [Paré Ambroise], Œuvres complètes d’Ambroise Paré, Paris, 1840, p. 748-749.
23. Venette Nicolas, De la Génération de l’homme, ou Tableau de l’amour conjugal [1687], 8e éd.,
Cologne, 1702, p. 20-22.
24. Ibid., p. 77.
25. Ibid., p. 79, 86-89, 93, 96.
26. Saint Augustin, La Cité de Dieu, 1959, op. cit., p. 251 (I, XVIII).
27. Billuart Charles-René, Summa S. Thomae, hodiernis Academiarum moribus accommodat…, t.
VIII, Paris, 1857, p. 144.
28. Leclerc Georges-Louis comte de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, t. II, Paris,
Imprimerie royale, 1749, p. 492-493. Cité d’après Mortas Pauline, Une rose épineuse : la défloration
au XIXe siècle en France, Rennes, PUR, 2017, p. 13.
29. Article «  Hymen  » dans Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers, [1765], t. 8, p. 393.
30. Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, à l’agriculture, à l’économie rurale
et domestique, à la médecine, etc., Paris, 1817, t. XV, p. 514-515.
31. Gaullier Célestin, De l’hymen, Paris, 1827, p. 6, 13 et 19. Les médecins se préoccupent aussi
des cas d’hymen imperforé. Voir par exemple Coley James M., «  On Imperforate Hymen, and
Retention of Urine Therefrom », Lancet, 20.512, 22 juin 1833, p. 395-396.
32. Garnier Pierre, Le mariage dans ses devoirs, ses rapports et ses effets conjugaux, au point de vue
légal, hygiénique, physiologique et moral, traduction libre, refondue, corrigée et augmentée de
l’« Higiene del matrimonio » du Dr Pedro Felipe Monlau, 10e éd., Paris, 1880, p. 205.
33. Concernant la découverte des sexes du point de vue biologique, voir Laqueur Thomas, La
Fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident, trad. de l’anglais, Paris, Gallimard, 1992,
p. 170 sq.
34. Sissa Giulia, Le Corps virginal : la virginité féminine en Grèce ancienne, Paris, Vrin, 1992, p. 20.
35. Mortas Pauline, op. cit., p. 88.
36. Voir les tableaux en annexe du livre de Mortas Pauline et notamment une liste de 80 auteurs
qui admettent l’existence de l’hymen (ibid.), p. 451 et p. 447-449).
37. Sur la place de la médecine, lire Bernau Anke, Mythos Jungfrau  : die Kulturgeschichte
weiblicher Unschuld, trad. de l’anglais, Berlin, Parthas Verlag, 2007, p. 12-39.
38. Mortas Pauline, op. cit., p. 103.
39. Ibid., p. 120.
40. Voir Freud Sigmund, «  Das Tabu der Virginität  » [1918], dans Beiträge zur Psychologie des
Liebeslebens. En français, Freud Sigmund, Psychologie de la vie amoureuse, trad. de l’allemand, Paris,
Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010, p. 71-104.
41. MacLachlan Bonnie, «  Introduction  », dans MacLachlan Bonnie et Fletcher Judith (éd.), op.
cit., p. 3-12.
42. Signalé par Lamott Franziska, «  Virginität als Fetisch  : kulturelle Codierung und rechtliche
Normierung der Jungfräulichkeit um die Jahrhundertwende  », Tel Aviver Jahrbuch für deutsche
Geschichte, XXI (1992), p. 153-170.
43. D’après Frank Wedekind dans Hidalla oder Sein und Haben (1904).
44. Corbin Alain, « Douleurs, souffrances et misères du corps », dans Corbin Alain (dir.), Histoire
du corps. 2, op. cit., p. 252.
45. Ce que montre un corpus de 117 cas étudié par Sohn Anne-Marie, Chrysalides : femmes dans la
vie privée (XIXe-XXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, vol. 1, p. 75.
46. Avec des officines spécialisées dans la reconstitution hyménale (hyménoplastie), ces patched
up girls dont parle l’un des fondateurs de la sexologie  : Bloch Iwan, Das Geschlechtsleben in
England…, Charlottenburg, H.  Barsdorf, 1901. Mentionné chez Lamott Franziska, op. cit., p.  153-
170.
47. Delvau Alfred, Dictionnaire…, op. cit.
48. Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1765, t. 11,
p. 805.
49. Nous suivons la démonstration de Mülder-Bach Inka, « Die “Feuerprobe der Wahrheit”. Fall-
Studien zur weiblichen Ohnmacht  », dans Baxmann Inge [et al.] (éd.), Das Laokoon-Paradigma.
Zeichenregime im 18. Jahrhundert, Berlin, De Gruyter, 2000, p. 525-543.
50. Stalfort Jutta, Die Erfindung der Gefühle : eine Studie über den historischen Wandel menschlicher
Emotionalität (1750-1850), Bielefeld, Transcript Verlag, 2013, p. 98.
51. Par exemple dans Diderot Denis, Paradoxe sur le comédien [1773-1777], Paris, Flammarion,
coll. « GF », 1967, p. 133-134.
52. Voir Arnaud Sabine. «  “L’art de vaporiser à propos”  : Et une marquise vaporeuse  », Dix-
huitième siècle, vol. 39, no 1, 2007, p. 505-519.
53. Par exemple Hunauld Pierre, Dissertation sur les vapeurs et les pertes de sang, Paris, 1756.
54. Brambilla Elena, Corpi invasi e viaggi dell’anima : santità, possessione, esorcismo dalla teologia
barocca alla medicina illuminista, Rome, Viella, 2010, p. 214. Sur la découverte de l’hystérie, voir par
exemple Whytt Robert, Observations on the Nature, Causes, and Cure of those Disorders which have
been commonly called Nervous, Hypochondriac or Hysteric, Édimbourg, 1767.
55. Porro Alessandro [et al.], «  Vomiting Stones  : Mental Illness and Forensic Medicine in 18th
Century Italy », dans Duffin C. J. [et al.] (éd.), A History of Geology and Medicine, Londres, London
Geological Society, 2013, p. 463-468.
56. Brambilla Elena, «  La fine dell’esorcismo  : possessione, santità, isteria dall’età barocca
all’illuminismo », Quaderni storici, 38 (2003), no 112 (1), p. 117-163.
57. Garnier Pierre, op. cit., p. 206.
58. Corbin Alain, « La rencontre des corps », dans Corbin Alain (dir.), Histoire du corps. 2, op. cit.,
p. 170.
59. Des propos convenus que les médecins étudient désormais sous la rubrique des « plaisirs de la
reproduction  », comme par exemple Berthier J. M.  François, Considérations physiologiques et
médicales sur le plaisir, Paris, 1821.
60. Voir King Helen, The Disease of Virgins : Green Sickness, Chlorosis and the Problems of Puberty,
Londres, Routledge, 2004.
61. Quesnel François-Charles, Recherches relatives à l’influence de la continence sur l’économie
animale, Paris, 1817, p. 8.
62. Ibid., p. 17-20.
63. Toutes les citations sont tirées de la thèse de Bousquet J., Du mariage considéré comme moyen
préservatif et curatif des maladies, Paris, 1820.
64. Hippocrate, Femmes stériles, Maladie des jeunes filles…, t. XII, 4e  partie, Paris, Les Belles
Lettres, 2017, p.  190. Voir aussi Andò Valeria, «  La verginità come follia  : il “Peri parthenion”
ippocratico », Quaderni Storici, vol. 25, no 75, décembre 1990, p. 715-737.
65. Lallemand François, Des pertes séminales involontaires, Paris, 1836-1841.
66. Les médecins donnent des conseils identiques aux jeunes filles afin d’éviter la trop grande
excitation des parties génitales. Voir par exemple Langlois de Longueville S.N.P., Éducation physique
et morale de la jeune fille, Paris, 1819, p. 16-17.
67. Debreyne Pierre Jean-Corneille (1786-1867), Essai sur la théologie morale, considérée dans ses
rapports avec la physiologie et la médecine. Ouvrage spécialement destiné au clergé, Paris, 1842, p. 97-
100.
68. Ibid., p. 133.

2. De lourds héritages
1. Actes de Paul, dans Écrits apocryphes chrétiens, Paris, Gallimard, 1997, vol. 1, p. 1131-1142.
2. Brown Peter, Le Renoncement à la chair  : virginité, célibat et continence dans le christianisme
primitif [1988], Paris, Gallimard, 1995, p. 44.
3. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 2. L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 68.
4. Cité et considéré comme authentique par Noonan John T., Contraception et mariage : évolution
ou contradiction dans la pensée chrétienne, Paris, Cerf, 1969, p. 64-65.
5. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 2…, op. cit., p. 95.
6. Ibid., p. 124.
7. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 4. Les aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018.
8. Ibid., p. 201 et 244.
9. Banon David, Le Bruissement du texte  : notes sur les lectures hebdomadaires du Pentateuque,
Genève, Labor et Fides, 1993, p. 110.
10. Ibid., p. 103.
11. Voir Tsitrone Abraham, « Sexe et mariage dans la tradition juive », dans Bernos Marcel (textes
réunis par), Sexualité et religions, Paris, Cerf, 1988, p. 95-133.
12. Brown Peter, op. cit., p. 66.
13. Soranos d’Éphèse, Traité des maladies des femmes, Nancy, 1895, p. 28-30.
14. Formule de Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine : mythes, fantasmes, émancipation, Paris,
Odile Jacob, 2012, p. 40.
15. Soranos, op. cit., p. 14.
16. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 3. Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984, p. 57.
17. Cité ibid., p. 83-84.
18. Ibid., p. 304. Voir aussi p. 130.
19. Romans grecs et latins, Paris, Gallimard, 1958, Livre II, 33, p. 582-583.
20. Voir Foucault Michel, Histoire de la sexualité 2…, op. cit.
21. Voir Sebbag Thierry, «  Virginité, virginité. De Gaïa à Marie…  », Figures de la psychanalyse,
2009/1 (no 17), p. 161-178.
22. Plutarque, « Numa », dans Les Vies des hommes illustres, Paris, Gallimard, 1937, p. 143-146.
23. Voir Bätz Alexander, Sacrae virgines  : Studien zum religiösen und gesellschaftlichen Status der
Vestalinnen, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2012, p. 212-226.
24. Ibid., p. 220.
25. Ibid., p. 224.
26. L’expression est de Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu  : les chrétiens et la sexualité de
l’Antiquité à nos jours, Paris, Le Centurion, 1985, p. 51.
27. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 2…, op. cit., p. 323.
28. Brown Peter, op. cit., p. 301.
29. Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 305-306.
30. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p.  61-62. Voir aussi Houziaux Alain,
« L’idéal de chasteté dès les débuts du christianisme, pourquoi ? », Études théologiques et religieuses,
89e année, 2008/1, p. 73-103.
31. Brown Peter, op. cit., p. 90-91.
32. Une étude pour l’Afrique du Nord basée sur les inscriptions des pierres tombales démontre
que 95 % des femmes étaient mariées. Cité par, dans ibid., p. 26.
33. Signalé par Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu, op. cit., p. 57. Dans les milieux chrétiens
des premiers siècles, ce sera moins d’une fille sur quatre. La pastorale chrétienne plaide pour « un
âge convenable pour les noces ».
34. Mot cité par Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 257.
35. Tertullien, Exhortation à la chasteté, Paris, Cerf, 1985, p. 101, 109 et 111.
36. Lettre citée par Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 248.
37. Voir Brown Peter, op. cit., p. 349-363.
38. Ibid., p. 95 et 120-121.
39. L’expression de « martyre blanc » est utilisée notamment par Gélis Jacques, « Le corps, l’Église
et le sacré », dans Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoire du corps.
1. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 2005, p. 47.
40. Voir Éloi Thierry, « La sexualité de l’homme romain antique », Clio : Histoire‚ femmes et sociétés,
22, 2005, p. 167-184.
41. C’est l’opinion défendue par Brown Peter, op. cit., p. 259-262.
42. Voir Ubina José F., «  Le concile d’Elvire et l’esprit du paganisme  », Dialogues d’histoire
ancienne, vol. 19, no 1, 1993, p. 309-318.
43. Sur le célibat des prêtres, lire Ranke-Heinemann Uta, Des eunuques pour le royaume des cieux :
l’Église catholique et la sexualité [1988], trad. de l’allemand, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 116 sq.
44. Bauny Étienne, Somme des péchez qui se commettent en tous estats  : de leurs conditions et
qualitez : & en quelles occurences ils sont mortels, ou veniels, 3e éd., Paris, 1635, p. 127.
45. Villethierry Jean Girard de, La Vie des vierges ou les devoirs et les obligations des vierges
chrétiennes [1693/1714], Paris, Honoré Champion, 2000, p. 67-69 et 83-84.
46. Ignace d’Antioche, Lettres, Paris, Cerf, 1958, p. 175, 177, 211.
47. Brown Peter, op. cit., p. 215-220.
48. Ibid., p. 235. Parmi ces vierges, on trouve Thècle, l’égérie de saint Paul.
49. Cité dans Rousselle Aline, Porneia : de la maîtrise du corps à la privation sensorielle (IIe-IVe siècles
de l’ère chrétienne), Paris, PUF, 1983, p. 238.
50. Jean Chrysostome, Les Cohabitations suspectes. Comment observer la virginité, Paris, Les Belles
Lettres, 1955, p. 96.
51. Id., La Virginité, Paris, Cerf, 1966, p. 127, 139, 143, 175-178.
52. Ibid., p. 377.
53. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 4…, op. cit., p. 284.
54. Nous suivons Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit. Toutes les citations des lettres et des œuvres
de saint Jérôme viennent du livre de Laurence auquel nous renvoyons. Sur les femmes et les Pères
de l’Église, voir aussi Salisbury Joyce E., Church Fathers, Independent Virgins, Londres. New York,
Verso, 1991.
55. Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 169.
56. Ibid., p. 173.
57. Ibid., p. 176.
58. Ibid., p. 171.
59. Ibid., p. 197.
60. Les formules citées à propos de l’enseignement d’Ambroise sont de Brown Peter, op. cit.,
p. 415-418.
61. Ibid., p. 421.
62. Saint Augustin, Les Confessions précédées de Dialogues philosophiques, dans Œuvres I, Paris,
Gallimard, 1998, X, VI, 8, p. 986-987.
63. Ce que suggère Vigarello Georges, Le Sentiment de soi : histoire de la perception du corps XVIe-XXe
siècle, Paris, Seuil, 2014, p. 31.
64. Bermon Emmanuel, «  La théorie des passions chez saint Augustin  », dans Besnier Bernard,
Moreau Pierre-François et Renault Laurence (dir.), Les Passions antiques et médiévales  : théories et
critiques des passions I, Paris, PUF, 2003, p. 173-197.
65. Saint Augustin, Les Confessions…, op. cit., VIII, VI, 13, p. 937.
66. Ibid., VIII, VII, 29, p. 951.
67. Ibid., X, XXIX, 40, p. 1008 (référence au Livre de la Sagesse).
68. Ibid., X, XXX, 41, p. 1008-1009.
69. Saint Augustin, «  De la continence  », dans Œuvres complètes de Saint Augustin, Bar-le-Duc,
1869, t. XII, p. 88-105.
70. Id., «  De la sainte virginité  », ibid., p.  132. Voir les développements de Foucault Michel,
Histoire de la sexualité 4…, op. cit., p. 283-361.
71. Id., « De ce qui est bien dans le mariage », Ibid., p. 112-113 et p. 118.
72. Id., « De la sainte virginité », ibid., p. 147.
73. Guy Jean-Claude (éd.), Les Apophtegmes des pères. Collection systématique. Chapitres I-IX, Paris,
Cerf, 1993, p. 16.
74. C’est l’avis de Rousselle Aline, op. cit., p. 171.
75. Joannou Périclès-Pierre, Discipline générale antique (IVe-IXe s.), t. II : Les Canons des Pères Grecs,
Roma, Tipografia Italo-Orientale, 1963, p. 145-146 et 118-121.
76. Ibid., p. 120-121.
77. Ibid., p. 11.
78. Cité par Bernos Marcel [et al.], Le Fruit de défendu, op. cit., p. 63.
79. Cassien Jean, Conférences de Cassien sur la perfection religieuse, Paris, 1868, p. 327-328.
80. Voir Brown Peter, op. cit., p. 270 et 272.
81. Cassien Jean, Institutions cénobitiques, Paris, Cerf, 1965, p. 287.
82. Ibid., p. 267.
83. Athanase, Vie et conduite de notre père saint Antoine, Bégrolles-en-Mauges, abbaye de
Bellefontaine, 1979.
84. Correspondance citée d’après Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 62 et p. 117.
85. Rousselle Aline, op. cit., p. 190-192.
86. Histoire lausiaque (vies d’ascètes et de pères du désert), Jérôme…, Paris, Alphonse Picard, 1912,
p. 185.
87. Voir Deseille, Placide et Pachomius (saint), L’Esprit du monachisme pachômien, Bégrolles-en-
Mauges, abbaye de Bellefontaine, 1980.
88. Guy Jean-Claude (éd.), Les Apophtegmes…, op. cit., p. 241 et 245.
89. Cité par Rousselle Aline, op. cit., p. 224-225.

3. Des eunuques pour le Royaume


1. Ce que relève Brown Peter, op. cit., p. 273.
2. Évangile selon Thomas dans Écrits apocryphes chrétiens, op.  cit., vol.  1, p.  38-39. Voir Molino
Jean, « Le mythe de l’androgyne », dans Viallaneix Paul et Ehrard Jean (éd.), Aimer en France 1760-
1860, t.  I, Clermont-Ferrand, Faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Clermont-
Ferrand II, 1980, p. 407.
3. Février Paul-Albert, «  Aux origines d’une exigence chrétienne  », dans Bernos Marcel (textes
réunis par), Sexualité et religions, op. cit., p. 165-181.
4. Jean Chrysostome, La Virginité, op. cit., p. 141.
5. Saint Augustin, La Cité de Dieu, in Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, XIV, XVII, p. 579.
6. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 2, op. cit., p. 182.
7. Id., Histoire de la sexualité 4…, op. cit., p. 336.

É É
8. Winninger Paul, Des prêtres mariés pour l’Église, Paris, Éditions de l’Atelier, 2003, p. 97-99.
9. Sidéris Georges, « Jouer du poil à Byzance : anges, eunuques et femmes déguisées en moines »,
dans Auzépy Marie-France et Cornette Joël (dir.), Histoire du poil, Paris, Belin, 2011, p. 93-114.
10. Grenaille François de (1616-1680), L’honnête fille où dans le premier livre il est traité de l’esprit
des filles [1639-1640], Paris, Honoré Champion, 2003, p. 481-482.
11. Drewermann Eugen, Fonctionnaires de Dieu, trad. de l’allemand, Paris, Albin Michel, 1993,
p. 428-429.
12. Luc fait écho à ce que rapporte plus succinctement Matthieu sur le même sujet (Mt 22, 30).
13. Ce que souligne le théologien protestant Collange Jean-François, De Jésus à Paul : l’éthique du
Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1980, p. 281.
14. Suivant le commentaire de Brown Peter, op. cit., p. 72-86.
15. On sait que ce verset, où les traducteurs ont remplacé dès le IVe siècle le mot uxor (« épouse »)
par celui plus général de mulier (« femme »), fait l’objet d’une controverse. Il est l’un des passages
les plus évidents qui plaident contre le célibat obligatoire des prêtres. Voir Ranke-Heinemann Uta,
Des eunuques pour le royaume des cieux, op. cit., p. 47-48.
16. Brown Peter, op. cit., p. 85.
17. Brown insiste sur ce compromis de Paul qui, à Corinthe, se trouvait tendanciellement débordé
par les tenants de l’encratisme (ibid., p. 82).
18. Jean Chrysostome, La Virginité, op. cit., p. 231.
19. Voir les longs développements sur la pensée de Jean Chrysostome dans Foucault Michel,
Histoire de la sexualité 4…, op. cit., p. 249-282.
20. Rondet Michel, «  Le célibat évangélique dans l’Église latine  », dans Bernos Marcel (textes
réunis par), Sexualité et religion, op. cit., p. 241-263.
21. Saint Augustin, Sermon 162 (en ligne sous
http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/doo.htm).
22. La légende veut qu’à sa naissance, le petit Tommaso ait empoigné un morceau de parchemin
où l’on trouva ensuite écrite la « salutation angélique », à savoir les paroles prononcées par l’ange
Gabriel au moment de l’annonce à la Vierge Marie de sa grossesse miraculeuse.
23. Boquet Damien, «  Les passions du salut dans l’Occident médiéval  », dans Corbin Alain,
Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoire des émotions. 1, op. cit., p. 162.
24. Thomas d’Aquin, Somme théologique, op. cit., II, II, 153-156, p. 855-890.
25. Dunaime Stanislas (abbé), Compte-rendu de l’inauguration de la statue du P. Billuart suivi du
panégyrique de ce savant religieux, Charleville, 1858.
26. Sermons du r.p. C.-R. Billuart, t. 2, Paris, 1846, p. 256-257 ainsi que p. 264-265, 290.
27. En particulier Billuart Charles-René, Summa S. Thomae, hodiernis Academiarum moribus
accommodat…, t. X, Paris, 1878, p.  141-154. Le titre de la somme de Billuart serait en français
« Somme de saint Thomas mise en rapport avec la forme actuelle des études scolaires, ou cours de
théologie selon l’esprit de saint Thomas, enrichi au besoin de digressions sur l’histoire
ecclésiastique ».
28. Ibid., p. 288 et t. VIII, p. 122.
29. Sevegrand Martine, L’Amour en toutes lettres : questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-
1943), Paris, Albin Michel, 1996. Cette auteure a retenu 120 lettres qu’elle présente
thématiquement (comme par exemple le vice solitaire, la chasteté, le devoir conjugal, le plaisir des
femmes).
30. Voir Mauriac François, « Souffrances et bonheur du chrétien » [1931], dans Les Chefs-d’œuvre
de François Mauriac, t. IX, Genève, Edito-Service, s.d., p. 69-122.
31. Tronson Louis, Manuel du séminariste…, Paris, 1823. Plusieurs rééditions dont Goichot Émile
et Heyer René, Les «  Examens particuliers  » de M. Tronson  : Essai sur la formation du prêtre
« classique », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2005.
32. Ce que relève aussi Arnold Odile, Le Corps et l’Âme…, op. cit., p. 147.
33. Articles 28, 55 et 56 des Constitutions « primitives ».
34. Article 4 du chapitre 20 des Constitutions approuvées en 1581.
35. Articles 26 à 29 de la Règle et Constitutions des Moniales déchaussées…, Rome, ordre des
Carmes, 1991.
36. Voir Boquet Damien, Les Passions du salut…, op. cit., p. 113 qui réfute les thèses de Boswell
John, Christianisme, tolérance sociale et homosexualité  : les homosexuels en Europe occidentale des
débuts de l’ère chrétienne au XIVe siècle [1980], trad. de l’anglais, Paris, 1985. Voir aussi Boquet
Damien, «  L’amitié comme problème au Moyen Âge  », dans id. (dir.), Une histoire au présent  : les
historiens et Michel Foucault, Paris, CNRS, 2013, p. 59-81.
37. Arnold Odile, Le Corps et l’Âme…, op. cit., 1984, p.  159. Voir aussi Gueullette Jean-Marie,
« L’amitié dans la communauté : les enjeux théologiques d’une histoire complexe », Revue des sciences
philosophiques et théologiques, 87 (2003), p. 261-291.
38. Habermas Rebekka, « Die Beginen – eine “andere” Konzeption von Weiblichkeit ? », dans Die
ungeschriebene Geschichte : historische Frauenforschung, Vienne, Wiener Frauenverlag, 1984, p. 199-
207.
39. Brown Peter, op. cit., p. 291.
40. Jean Climaque, L’Échelle sainte ou les degrez pour monter au ciel…, trad. du grec, Paris, 1661,
p. 217.
41. Ibid., p. 220.
42. Gélis Jacques, « Le corps, l’Église et le sacré », op. cit., p. 51.
43. Boquet Damien, « Les passions du salut dans l’Occident médiéval », op. cit., p. 153.
44. Gélis Jacques, op. cit., p. 74.
45. Ibid.
46. Boquet Damien, « Les passions du salut dans l’Occident médiéval », op. cit., p. 158.
e
47. Le Brun Jacques, Sœur et amante : les biographies spirituelles féminines du XVII siècle, Genève,
Droz, 2013, p. 13, 24 et 27.
48. Chéron Jean, Examen de la théologie mystique…, Paris, 1657, p. 51-52.
49. Otten Willemien, « Le langage de l’union mystique : le désir et le corps dans l’œuvre de Jean
Scot Érigène et de Maître Eckhart », Les Études philosophiques, vol. 104, no 1, 2013, p. 121-141.
50. Houdard Sophie, Les Invasions mystiques  : spiritualités, hétérodoxies et censures au début de
l’époque moderne, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 204-205.
51. Chéron Jean, op. cit., p. 68-69. Voir Houdard Sophie, op. cit., p. 136-147.
52. Suivant Boquet Damien, « Les mots avant les choses : mystique cistercienne et anthropologie
historique de l’affectivité », dans Dierkens Alain et Beyer de Ryke Benoît (éd.), Mystique : la passion
de l’Un, de l’Antiquité à nos jours, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2005, p. 109-119.
53. Lacan Jacques, Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975 ; Certeau Michel de, La Fable
mystique XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1982.
54. Voir Sesé Bernard, « La jouissance mystique selon Thérèse d’Avila et Jean de la Croix », dans
Dierkens Alain et Beyer de Ryke Benoît (éd.), Mystique…, op. cit., p.  151-161. Lire aussi Blanco
Mercedes, « Les raisons de la jouissance chez Thérèse d’Avila », Savoirs et clinique, vol. 8, no 1, 2007,
p. 13-25.
55. Lacan Jacques, op. cit., p. 70-71.
56. Certeau Michel de, La Fable mystique, op. cit., p. 114.
57. Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au e
XV siècle,
Rome, École française de Rome, 1981.
58. Gélis Jacques, « Le corps, l’Église et le sacré », op. cit., p. 56.
59. Thérèse d’Avila, « Relation 5 », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Cerf, 2010, p. 383. Voir Sesé
Bernard, op. cit., p. 151-161.
60. Gélis Jacques, « Le corps, l’Église et le sacré », op. cit., p. 58-59.
61. Chiffre donné par Wolf Hubert, Le Vice et la grâce  : l’affaire des religieuses de Sant’Ambrogio,
trad. de l’allemand, Paris, Seuil, 2013, p.  113. D’autres avancent le chiffre de 600 cas jusqu’à nos
jours, dont 90 % sont des femmes.
e
62. Gorceix Bernard, Flambée et Agonie  : mystiques du XVII siècle allemand, Sisteron, Éditions
Présence, 1977, p. 139-141.
63. Ouédraogo Arouna P., «  De la secte religieuse à l’utopie philanthropique  : genèse sociale du
végétarisme occidental », Annales. Histoire, Sciences sociales, 55 (2000), no 4, p. 825-843.
64. Toutes les citations sont tirées de Gorceix Bernard, op. cit., p. 182-225.
65. Strophes 26 et 27 du Cantique spirituel (seconde rédaction), dans Jean de la Croix, Poésies,
Paris, Flammarion, coll. « GF », 1993, p. 87.
66. D’après Tylus Piotr (éd.), La «  Legenda Maior  » de Raymond de Capoue en français ancien,
Turnhout, Brepols, 2015, p. 146-147.
67. Ce que rappelle Arnold Odile, Le Corps et l’Âme…, op. cit., p. 148-149.
68. Selon la formule de Brown Peter, op. cit., p. 338.
69. Cas signalés par Gélis Jacques, « Le Corps, l’Église et le sacré », op. cit., p. 53-54.
70. Cité par Châtellier Louis, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, p. 181.
71. Reynes Geneviève, Couvents de femmes : la vie des religieuses contemplatives dans la France des
e e
XVII et XVIII siècles, Paris, Fayard, 1987, p. 123-124.

72. Voir Medioli Francesca, L’«  Inferno monacale  » di Arcangela Tarabotti [~1650], Turin,
Rosenberg & Sellier, 1990.
73. Bruno de Jésus Marie, La Belle Acarie : bienheureuse Marie de l’Incarnation, Paris, Desclée de
Brouwer, 1942, p. 133 et 186.
74. Du Val André, La Vie admirable de la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation… appelée dans le
monde Mademoiselle Acarie [1621], Paris, 1893, p. 334, 370, 461, 464 et 465.
75. Le triomphe de l’amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu nommée Armelle Nicolas
[1672], Mers-sur-Indre, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2012, p. 99.
76. Le Brun Jacques, op. cit., p. 66-67.
77. Ibid., p. 94.
78. Ibid., p. 113-114.
79. Ibid., p. 69.
80. Voir Steinberg Leo, La Sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement
moderne, Paris, Gallimard, 1987.
81. Wolf Hubert, Le Vice et la Grâce…, op. cit., p. 239-241.
82. Darbins Pascal, La Vie et les Œuvres de Marie Lataste religieuse du Sacré-Cœur, Paris, 1862, vol.
1, p. 11-12.
83. Mayet Claudius-Maria, L’Ange de l’Eucharistie ou vie et esprit de Marie-Eustelle, Paris, 1868,
p. 200-203.
84. Dubois Henri, Le Guide des séminaristes et des jeunes prêtres…, 2e éd., Paris, 1857. Les citations
proviennent du chapitre IX aux pages 215-229.
85. Voir Vasselin Martine, «  La figuration des tentations des saints dans la peinture à l’époque
moderne », Rives nord-méditerranéennes, 22 (2005), p. 15-33.
e e
86. Selon Pardailhé-Galabrun Annick, La Naissance de l’intime  : 3  000 foyers parisiens, XVII -XVIII
siècle, Paris, PUF, 1988, p. 432.
87. Zola Émile, La Faute de l’abbé Mouret, Paris, Le Livre de poche, 1998, p. 175.
88. Id., Les Trois Villes : Lourdes, Paris, 1894, p. 598.
89. Citations d’après Romains Jules, Les Hommes de bonne volonté, Paris, Robert Laffont, 2003,
vol. 1, p. 942.
90. Musset Alfred de, La Confession d’un enfant du siècle [1836], Paris, Flammarion, coll. « GF »,
1993, p. 80.
91. Tolstoï Léon, « Le diable », dans Œuvres posthumes, Lausanne, Rencontre, 1962, p. 161-212.
92. Tolstoï Sophie, Journal intime 1862-1910, trad. du russe, Paris, Albin Michel, 2010, p.  183,
189 et 239.
93. Tolstoï Léon, Lettres à sa femme, Paris, Rivages, 2012, p. 127.
94. Citations de Tolstoï Léon, La Sonate à Kreutzer [1889], Lausanne, Rencontre, 1961, p.  343-
344, 364, 376, 445-446, 453, 458.

4. Comment vivre la chasteté ?


1. «  Journal de l’écuyer Jaroslav sur l’ambassade du sieur Albert Kostka de Postupice auprès de
Louis XI, roi de France en 1464 », dans Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France (2009),
p. 97.
2. Alberigo G. [et al.] (texte établi par), Les Conciles œcuméniques, t. II - 2 : Les décrets, Trente à
Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1523 et 1577.
3. Le Catéchisme du Concile de Trente, trad. de François Vanet, 3e éd., Paris, 1686, p. 398.
4. Voir infra au chapitre 9.
5. Voir Quantin Jean-Louis, Le Catholicisme classique et les Pères de l’Église : un retour aux sources
(1669-1713), Paris, Institut d’études augustiniennes, 1999.
6. Voir Ranke-Heinemann Uta, Des eunuques pour le royaume des cieux, op. cit., p. 282-283. C’est
aussi Sixte Quint qui fit de la Vulgate avec toutes ses transpositions tendancieuses (notamment dans
les épîtres de Paul) la seule traduction latine autorisée de la Bible.
7. Voir Canosa Romano, Sessualità e Inquisizione in Italia tra Cinquecento e Seicento, Rome, Sapere,
2000.
8. Fornari Martin, Instructions pour les Confesseurs, Lyon, 1674, p. 91 et p. 184-196.
9. Les citations sont tirées de Luther Martin, « Sermon sur l’état conjugal », dans Œuvres 1, Paris,
Gallimard, 1999, p. 231-240 puis p. 946 et 1010.
10. Luther Martin, « Jugement de Martin Luther sur les vœux monastiques », dans ibid., p.  946-
947.
11. Franzen August, Zölibat und Priesterehe in der Auseinandersetzung der Reformationszeit und der
katholischen Reform des 16. Jahrhunderts, Münster, Aschendorff, 1969.
12. C’est la conclusion de Walch Agnès, La Spiritualité conjugale dans le catholicisme français (XVIe-
e
XX siècle), Paris, Cerf, 2002, p. 83.

13. Édits prononcés par l’Inquisition dès 1525 et renouvelés en 1568, 1574 et 1623.
14. Gélis Jacques, « Le corps, l’Église et le sacré », op. cit., p. 18.
15. Quantin Jean-Louis, Le Rigorisme chrétien, Paris, Cerf, 2001.
16. Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu, op. cit., p. 145.
17. Ibid., p. 156.
18. Lüdecke Norbert, « Heiligsprechung als Hierarchieschutz ? Sancti “von oben” statt sancti “von
unten”  », dans Wolf Hubert (dir.), “Wahre” und “falsche” Heiligkeit  : Mystik, Macht und
Geschlechterrollen im Katholizismus des 19. Jahrhunderts, Munich, Oldenbourg Verlag, 2013, p. 219-
248.
19. Benedetto XIV (Prospero Lambertini), La beatificazione dei servi di Dio e la canonizzazione dei
beati = De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione [1734], Città del Vaticano, Libreria
editrice vaticana, 2010. Voir aussi Samerski Stefan, “Wie im Himmel, so auf Erden”  ? Selig- und
Heiligsprechung in der Katholischen Kirche 1740 bis 1870, Stuttgart, W. Kohlhammer, 2002.
20. Guillemain Hervé, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques
thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, Éditions La Découverte, 2006, p. 153.
21. Houdard Sophie, op. cit., p. 151 sq.
22. Ibid., p. 307.
23. Molinos Miguel de, Guide spirituel, Paris, Cerf, 1997, p. 67, 74, 114, 115 et 118.
24. Voir Brambilla Elena, «  Manuali d’esorcismo, canoni di santità e nuova scienza (fine ‘600-
primo ‘700) : indice e sant’Uffizio tra neoscolastica spagnola e influenze cartesiane », dans Romano
Antonella (éd.), Rome et la Science moderne : entre Renaissance et Lumières, Rome, École française de
Rome, 2008, p. 555-593.
25. Arnold Claus, « Verketzerung von Spiritualität oder Verfolgung von Missbrauch », dans Wolf
Hubert (dir.), “Wahre” und “falsche” Heiligkeit…, op. cit., p. 59-70.
26. Wolf Hubert, Le Vice et la Grâce, op. cit., p. 105.
27. C’est ce que suppute Arnold Claus, op. cit., p. 66.
28. Texte en ligne sous http://www.papalencyclicals.net/innoc11/i11coel.htm
29. Cité par Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 300-302.
30. Voir Lehmann Hartmut, Schrader Hans-Jürgen et Schilling Heinz (dir.), Jansenismus,
Quietismus, Pietismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, p. 189-225 ; Terestchenko Michel,
« La querelle sur le pur amour au XVIIe siècle entre Fénelon et Bossuet », Revue du MAUSS, 2008/2
(no 32), p. 173-184.
31. La Bruyère Jean de, Les Caractères [1696], Paris, Le Livre de poche, 1965, p. 367-368.
32. Le Brun Jacques, «  Résurgences au dix-huitième siècle de la question du pur amour  », dans
Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, vol. 265, Oxford 1989, p. 1242-1246.
33. Voir Bériou Nicole, « Autour de Latran IV (1215) : la naissance de la confession moderne et sa
diffusion », dans Groupe de la Bussière, Pratiques de la confession : des Pères du désert à Vatican II.
Quinze études d’histoire, Paris, Cerf, 1983, p. 73-93.
34. Denzinger Heinrich, Symboles et définitions de la foi catholique. Enchiridion symbolorum, trad.
Peter Hünermann, 38e éd., 2001, nos 1667-1689.
35. Voir Quantin Jean-Louis, Le Rigorisme chrétien, op. cit., p. 54.
36. La formule est de Juan Sanchez dans ses Disputationes (1624). Cité dans ibid., p. 84-85.
37. Signalé par Häring Bernhard, La Loi du Christ : théologie morale à l’intention des prêtres et des
laïcs, t. III  : Théologie morale spéciale. La vie en communion fraternelle, Tournai, Desclée & Cie
éditeurs, 1960, p. 410.
e
38. Attesté dans le diocèse d’Alet au milieu du XVII siècle. Cité par Quantin Jean-Louis, Le
Rigorisme chrétien, op. cit., p. 102.
39. Ibid., p. 106.
40. Prosperi Adriano, Tribunali della coscienza  : inquisitori, confessori, missionari, Turin, Giulio
Einaudi, 1996, p. 484.
41. Bernos Marcel, «  Saint Charles Borromée et ses “instructions aux confesseurs”  : une lecture
rigoriste par le clergé français (XVIe-XIXe siècle)  », dans Groupe de la Bussière, Pratiques de la
confession…, op. cit., p. 185-200.
42. Id., « La sexualité et les confesseurs à l’époque moderne », Revue de l’histoire des religions, t.
209, no 4, 1992, p. 414.
43. Id., « Les manuels de confession peuvent-ils servir à l’histoire des mentalités ? », dans Histoire
sociale, sensibilités collectives et mentalités : Mélanges Robert Mandrou, Paris, PUF, 1985, p. 94.
44. Segneri Paul, L’Instruction du confesseur ou la méthode pratique du confessionnal, trad. en
français, Paris, 1696, p. 288. D’autres auteurs plus rigoristes s’intéressent surtout aux manquements
des femmes comme Habert Louis, Pratique du sacrement de pénitence ou Méthode pour l’administrer
utilement, Paris, 1689.
45. Voir la monographie consacrée à Liguori dans Filoramo Giovanni (éd.), Storia della direzione
spirituale. III. L’età moderna, Brescia, Editrice Morcelliana, 2008.
46. Selon Ranke-Heinemann Uta, Des Eunuques dans le royaume des cieux, op.  cit., p.  307, cette
insistance sur l’obligation conjugale pour éviter la fornication exprime clairement que, pour les
théologiens comme Liguori, « le rapport conjugal n’a rien à voir avec l’amour ».
47. Toutes les citations d’après Liguori Alphonse de, Le Confesseur des gens de campagne ou abrégé
de la théologie morale, trad. de l’italien, Avignon, 1830, p. 380-392.
48. Vigarello Georges, Le Sentiment de soi, op. cit., p. 58.
49. Rousseau Jean-Jacques, « Préface de Julie ou Entretien sur les romans » [1761], dans Julie ou
la Nouvelle Héloïse, Paris, Garnier, 1960, p. 742.
50. Ibid., p. 576 et 685.
51. Flandrin Jean-Louis, Familles  : parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris,
Hachette, 1984, p. 167.
52. Cités par Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 321 et 330.
53. Choderlos de Laclos Pierre, Les Liaisons dangereuses [1782], Paris, Pocket, 1989, p. 364-365.
54. Constant de Rebecque Samuel de, Catéchisme de morale, spécialement à l’usage de la jeunesse,
Paris, 1783, p. 91, 94-95.
55. Senancour Étienne Pivert de, De l’amour, selon les lois primordiales et selon les convenances des
sociétés modernes, [1806], 3e éd., Paris, 1829, p. 66, 72, 116.
56. Tcherkézoff Serge, « La Polynésie des vahinés et la nature des femmes : une utopie occidentale
masculine », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 22, 2005, p. 63-82.
57. Gautier Théophile, Mademoiselle de Maupin [1835], Paris, Le Livre de poche, 1994, p. 68 puis
p. 385-386.
58. Sailer Johann Michael, Handbuch der christlichen Moral, zunächst für künftige katholische
Seelsorger und dann für jeden gebildeten Christen, Munich, 1817.
59. Häring Bernhard, La Loi du Christ : théologie morale à l’intention des prêtres et des laïcs, t. I :
Théologie morale générale, 2e éd., Tournai, Desclée & Cie, 1956, p. 88.
60. Cité par Landry Jean, Potel Julien et Pousset Henri, Femmes et prêtres mariés dans la société
d’aujourd’hui, Paris, Karthala, 1997, p. 15.
61. Pour reprendre une formule utilisée pour l’époque moderne par Matthews-Grieco Sara,
« Corps et sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime », dans Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques et
Vigarello Georges (dir.), Histoire du corps. 1, op. cit., p. 177.
62. Zweig Stefan, Le Monde d’hier : souvenirs d’un Européen, Paris, Le Livre de poche, 2013, p. 88,
90, 92 et 95.
63. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 1 : la volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 49.
64. Préface citée ici d’après la traduction français de Krafft-Ebing Richard von, Étude médico-légale
psychopathia sexualis…, Paris, 1895. Pour le contexte, voir Chaperon Sylvie, Les Origines de la
sexologie (1850-1900), Paris, Payot, 2012.
65. Formule d’un physiologiste cité par Pieczynska Emma, L’École de la pureté, Genève, 1897,
p. 84.
66. Ibid., p. 248-249.
67. Blum Léon, Du Mariage, Paris, Société d’éditions littéraires et artistiques, 1907, p. 87 et 336.
68. Citations d’après Ottavi Dominique, « Friedrich W. Foerster et le défi de l’éducation sexuelle »,
dans Blanchard Véronique [et al.] (dir.), Les Jeunes et la Sexualité  : initiations, interdits, identités
(XIXe-XXIe siècle), Paris, Éditions Autrement, 2010, p. 57-58.
69. Coriveaud Adrien, Les Lendemains du mariage : étude d’hygiène [1884], 5e éd. Paris, Librairie J-
B. Baillière, 1927, p. 12.
70. Vachet Pierre, L’Inquiétude sexuelle, Paris, Grasset, 1927, p. 118.
71. Mortas Pauline, op. cit., p. 248.
72. Conseils donnés en 1916, cités par De Luca Barrusse Virginie, « Natalisme et hygiénisme en
France de 1900 à 1940. L’exemple de la lutte antivénérienne », Population 2009/3 (vol. 64), p. 549.
73. Sohn Anne-Marie, La Fabrique des garçons  : l’éducation des garçons de 1820 à aujourd’hui,
Paris, Textuel, 2015, p. 83.
74. Mauriac François, «  Ce que je crois  », dans Les Chefs-d’œuvre de François Mauriac, t. IX,
Genève, Edito Service, s.d., p. 271-273.
75. L’Église et l’Éducation sexuelle, Paris, Association du mariage chrétien, 1929, p.  3. Voir aussi
Hoornaert Georges, Le Combat de la pureté : à ceux qui ont vingt ans, Bruxelles, Action catholique,
1923  ; Viollet Jean, Éducation de la pureté et du sentiment, Paris, Éditions familiales de France,
1925  ; Lemaire Alfred, Le Rôle des parents et des maîtres dans l’éducation de la pureté, Paris,
Casterman, 1933. L’influence de l’enseignement de l’abbé Viollet peut être appréciée à travers la
correspondance émouvante qu’il a reçue et qui témoigne du désarroi des catholiques français face à
la sexualité (voir Sevegrand Martine, L’Amour en toutes lettres…, op. cit.).
76. Vérine-Lebrun Marguerite, dans L’Église et l’Éducation sexuelle…, op. cit., p. 169.
77. Häring Bernhard, La Loi du Christ : théologie morale à l’intention des prêtres et des laïcs, t. III :
Théologie morale spéciale, op. cit., 1960, p. 384.
78. Ibid., p. 405.
79. Ibid., p. 509.
80. Ibid., p. 421.
81. Ibid., p. 481. 
82. Ibid., t. I, p. 509.
83. Ibid., t. III, p. 495.
84. Dans l’Église latine, c’est le 2e concile du Latran (1139) qui prescrit définitivement le célibat
pour les clercs.
85. Gasparri Pietro, Codex juris canonici Pii X Pontificis Maximi jussu digestus Benedicti Papae XV
auctoritate promulgatus, Romae, Typis Polyglottis Vaticanis, 1917.
86. Alberigo G. [et al.], Les Conciles œcuméniques, op. cit., p. 1795-1797.
87. Ibid., p. 2154-2155.
88. Décret du 28 octobre 1965 (ibid., p. 1915).
89. Beertram Wilhelm, Der Zölibat des Priesters  : Sinngehalt und Grundlagen, Würzburg, Echter-
Verlag, 1960, p. 41.
90. Cérémonial de la sainte Messe à l’usage ordinaire des paroisses suivant le missel romain de 2002,
Perpignan, Artège éditions, 2010.
91. Voir « Le Sexe après sa révolution », dans Esprit, juillet-août 2017, no 436, p. 34-182.
92. Chaplin Tamara, «  Émile perverti  ? ou “comment se font les enfants  ?”: deux siècles
d’éducation sexuelle (du XVIIIe siècle à nos jours)  », dans Blanchard Véronique [et al.] (dir.), Les
Jeunes et la sexualité, op. cit., p. 22-36.
93. Alberigo G. [et al.] (texte établi par), Les Conciles œcuméniques, op. cit., p. 2233.
94. Témoignage d’un couple catholique cité par Walch Agnès, La spiritualité conjugale…, op. cit.,
p. 471. Voir Sevegrand Martine, L’Affaire Humanae vitae : L’Église catholique et la contraception, Paris,
Karthala, 2008.
95. http://www.ina.fr/video/CAF97057788.
96. Barral-Baron André, Le Célibat, chemin de vie, Paris, Cerf, 1990, p. 14, 15, 21 et 109.
97. Winninger Paul, Des prêtres mariés pour l’Église, op. cit., p. 97-99.
98. Besançon Alain, «  Observations sur le célibat des prêtres séculiers  », Commentaire, 2009/4,
o
n  128, p. 860-870. Cet article situe le célibat dans une perspective historique.
5. Galanteries monastiques et prêtres volages aux XVIIe-
e
XVIII siècles

1. Valla Lorenzo, Sur le plaisir [1431], Fougères, Encre marine, 2004, p. 84 et 88.
2. Canosa Romano, Il velo e il cappuccio : monacazioni forzate e sessualità nei conventi femminili in
Italia tra Quattrocento e Settecento, Rome, Sapere, 1991, p. 36, 63 et 64.
3. Canosa Romano, La restaurazione sessuale  : per una storia della sessualità tra Cinquecento et
Settecento, Milan, Feltrinelli, 1993, p. 239.
4. Affaires relatées par Medioli Francesca, L’“Inferno monacale” di Arcangela Tarabotti, op. cit.
5. Lettre de Vincent de Paul au cardinal de La Rochefoucauld… (1652), citée dans Gonjon Jean-Paul
(dir.), Le Grand Siècle déshabillé. Anthologie érotique du XVIIe siècle, Paris, Robert Laffont, 2017,
p. 360-361.
6. Couto Dejanirah, Histoire de Lisbonne, Paris, Fayard, 2000, p. 175.
7. Allusion à un épisode de l’Ancien Testament où trois jeunes Hébreux sont jetés vivants dans une
fournaise sur ordre du roi Nabuchodonosor (Da 3, 8-30).
8. Senault Jean-François, Oraison funèbre de Magdelaine de La Porte abbesse de Chelles, Paris, 1671,
p. 11 et 14.
9. Medioli Francesca, L’« Inferno monacale » di Arcangela Tarobotti op. cit., p. 133.
10. Reynes Geneviève, op. cit., p. 181 sq.
11. Murphy Gwénaël, «  Destins de religieuses pendant la Révolution française  : l’exemple du
diocèse de Poitiers », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 15 (2002), p. 122.
12. Cité par Murphy Gwénaël, Les Religieuses dans la Révolution française, Paris, Bayard, 2005,
p. 95.
13. Voir Haliczer Stephen, Sexuality in the Confessional : A Sacrament Profaned, New York, Oxford
University Press, 1996 et Stella Alessandro, Amours et désamours à Cadix aux XVIIe et XVIIIe siècles,
Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008, p. 55-73.
14. Canosa Romano, La restaurazione sessuale…, op. cit., p. 223.
15. Cas de conscience signalé par Prosperi Adriano, Tribunali della coscienza…, op. cit, p. 526. Voir
aussi Romeo Giovanni, «  Confesseurs et inquisiteurs dans l’Italie moderne  : un bilan  », Revue de
l’histoire des religions, t. 220, no 2, 2003, p. 153-165.
16. Stella Alessandro, Le Prêtre et le Sexe  : les révélations des procès de l’Inquisition, Bruxelles,
André Versaille, 2009, p. 163.
17. D’après Canosa Romano, La restaurazione sessuale…, op. cit.
18. Romeo Giovanni, Esorcisti, confessori e sessualità femminile nell’Italia della controriforma  : a
proposito di due casi modenesi del primo Seicento, Florence, Casa editrice Le Lettere, 1998, p. 190.
19. Suivant Canosa Romano, La Restaurazione sessuale, op. cit., p. 168.
20. Ibid., p. 212-223.
21. Choderlos de Laclos Pierre, Les Liaisons dangereuses, op. cit., p. 213-214.
22. Vigarello Georges, Le Sentiment de soi, op. cit., p. 52.
23. Surin Jean-Joseph, Écrits autobiographiques. Triomphe de l’amour divin sur les puissances de
l’Enfer (1654-1660). Science expérimentale des choses de l’autre vie (1663), Grenoble, Jérôme Millon,
2016, p. 36.
24. Fanlo Jean-Raymond, L’Évangile du démon  : la possession diabolique d’Aix-en-Provence, 1610-
1611, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017.
25. Dubos Roger (éd.), Les Possédées de Louviers  : histoire de Magdelaine Bavent d’après des
documents de l’époque, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1990.
26. Voir Certeau Michel de, La Possession de Loudun, Paris, Gallimard, 1980.
27. Donato Maria Pia, « Les doutes de l’inquisiteur : philosophie naturelle, censure et théologie à
l’époque moderne », Annales HSS, 64 (2009), p. 15-43.
28. Selon Michel de Certeau repris par Reynes Geneviève, op. cit., p. 171.
e
29. Brown Judith C., Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne. Toscane, XVII siècle [1986], trad. de
l’anglais, Paris, Gallimard, 1987, p. 76.
30. Selon le témoignage recueilli lors de l’enquête et largement cité par ibid., p. 155-156.
31. Formules de Sinistrari d’Ameno, De la sodomie : exposé d’une doctrine nouvelle sur la sodomie
des femmes, distinguée du tribadisme, Lyon, À rebours, 2007.
32. Keitt Andrew W., Inventing the Sacred  : Imposture, Inquisition, and the Boundaries of the
Supernatural in Golden Age Spain, Leiden, Brill, 2005.
33. Zarri Gabriella, «  “Affettata santità”  : Heiligkeit von unten oder eine Erfindung der
Inquisition  ?  », dans Wolf Hubert (dir.), “Wahre” und “falsche” Heiligkeit…, op. cit., p.  47-58  ;
Sallmann Jean-Michel, «  La sainteté mystique féminine à Naples  », dans Boesch Gajano Sofia et
Sebastiani Lucia (éd), Culto dei santi : Istituzioni e classi sociali in età preindustriale, Rome, Japadre
Editore, 1984, p.  681-702  ; Sallmann Jean-Michel, «  Les malheurs d’Alfonsina Rispoli  », dans
Sallmann J.-M. [et al.] (dir.) Visions indiennes, visions baroques : les métissage de l’inconscient, Paris,
PUF, 1992, p. 57-90.
34. Canosa Romano, Il velo…, op. cit., p. 208.
35. Massillon Jean-Baptiste, « Discours sur la manière dont les clercs doivent se conduire dans le
monde », dans Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés…, t. XLIII, Paris, 1854, no 526-
527.
36. Dumortier Cindy-Sarah, « Du prêtre concubinaire au curé volage (XVIIe-XVIIIe siècle, diocèse de
Cambrai) », Revue du Nord, 95 (2013), no 399, p. 63.
37. Léal Bruno, Visites pastorales et recherche des pécheurs publics dans le diocèse d’Algarve (1630-
1750), Paris, Centre culturel C. Gulbenkian, 2004, p. 417-453.
38. Voir Milis Ludo, Le Charme indiscret de Jan Schuermans, curé flamand du dix-septième siècle,
trad. du néerlandais, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2003.
39. Selon Dumortier Cindy-Sarah, op. cit. Voir aussi Deregnaucourt Gilles, «  Les déviances
ecclésiastiques dans les anciens diocèses des Pays-Bas méridionaux », dans Garnot Benoît (dir.), Le
Clergé délinquant (XIIIe-XVIIIe s.), Dijon, EUD, 1995.
40. D’après Canosa Romano, La restaurazione sessuale…, op. cit., p. 241.
41. Ibid.
42. Stella Alessandro, Le Prêtre et le Sexe…, op. cit., p. 115.
43. Bennassar Bartolomé, «  La répression des péchés abominables  », dans Bennassar B. (dir.),
L’Inquisition espagnole XVIe-XIXe siècle, Paris, Hachette, 1979, p. 350-351.
44. Stella Alessandro, Le Prêtre et le Sexe…, op. cit., p. 125.
e
45. Benabou Maria-Erika, La Prostitution et la Police des mœurs au XVIII  siècle, Paris, Perrin, 1987,
p. 121-154.
46. Rapport de police cité par ibid., p. 135, avec une allusion au roman pornographique à succès
de Jean-Charles Gervaise de Latouche, Histoire de dom B…, portier des Chartreux, Rome, [1741].
47. Ce sont les conclusions de Canosa Romano, La Restaurazione sessuale…, op. cit.
48. Janon-Thivos Tailland Michèle, Inquisition et société au Portugal. Le cas du tribunal d’Evora
(1660-1821), Paris, Centre culturel C. Gulbenkian, 2001, p. 287.
49. Houdard Sophie, op. cit., p. 17.
50. Ibid., p. 61.
51. Doria Alessandra, «  Le mémoire Blanchet ou l’autobiographie clinique d’un prêtre défroqué.
Célibat, sensibilité et droits naturels », Dix-huitième siècle, 2015/1 (no 47), p. 275-289.
52. Grandier Urbain, Traité du célibat des prêtres, Paris, éditions Hors Commerce, 1995, p.  31
et 43.
53. Desforges Pierre, Avantages du mariage et combien il est nécessaire & salutaire aux prêtres &
aux évêques de ce tems-ci d’épouser une fille chrétienne, 2 t., Bruxelles, 1758, p. 186.
54. Gaudin Jacques, Les inconvéniens du célibat des prêtres prouvés par des recherches historiques,
Genève, 1781, p. 12.
55. Ibid., p. 74. Il s’agit bien sûr du passage sur les eunuques dans Mt 19, 12.
56. Chopelin Paul, «  Le débat sur le mariage des prêtres dans le diocèse de Rhône-et-Loire au
début de la Révolution (1789-1792) », Chrétiens et Sociétés, no 10, 2003, p. 69-94.
57. Par exemple la brochure de Chatel Ferdinand François (1795-1857), Discours contre le célibat
des prêtres, Paris, [1835].
58. Boyer d’Argens Jean-Baptiste de, Thérèse philosophe ou Mémoires pour servir à l’histoire du P.
Dirrag et de Mlle Eradice, Arles, Actes Sud Babel, 1992.
59. Diderot Denis, La Religieuse, Lausanne, La Guilde du Livre, 1962, p. 152, 84, 128, 221, 267.
60. Mercier Louis Sébastien, Tableau de Paris, II, Paris, Mercure de France, 1994, p. 77 sq.
61. Ibid., p. 573-575.
62. Ibid., p. 140-143.
63. Grégoire Henri (abbé), Histoire du mariage des prêtres en France, particulièrement depuis 1789,
Paris, 1826.
64. Proportions avancées avec prudence par Langlois Claude et Le Goff T. J. A., « Les vaincus de la
Révolution : jalons pour une sociologie des prêtres mariés », dans Voies nouvelles pour l’histoire de la
Révolution française, Paris, Bibliothèque nationale, 1978, p. 281-312.
65. Rapporté par Maréchaux Xavier, Noces révolutionnaires : le mariage des prêtres en France 1789-
1815, Paris, Vendémiaire, 2017, p. 29.
66. Graham Ruth, « The Married Nuns before Cardinal Caprara : a Sociological Analysis of their
Petitions », dans Plongeron Bernard (éd.), Pratiques religieuses dans l’Europe révolutionnaire, 1770-
1820, Turnhout, Brepols, 1988, p. 321-331.
67. Maréchaux Xavier, op. cit., p. 142.
68. Cité par Chopelin Paul, op. cit.
69. Cas analysé par Murphy Gwénaël, Les Religieuses…, op. cit., p. 155-159.
70. Boussoulade Jean, Moniales et hospitalières dans la tourmente révolutionnaire  : les
communautés de religieuses de l’ancien diocèse de Paris de 1789 à 1801, Paris, Letouzey & Ané, 1962.
71. Murphy Gwénaël, Les Religieuses…, op. cit., p. 94.
72. Grégoire Henri (abbé), Histoire du mariage…, op. cit.

6. Encombrante chasteté
1. Langlois Claude, Le Catholicisme au féminin, Paris, Cerf, 1984.
2. Balzac Honoré de, Physiologie du mariage ou méditations de philosophie éclectique sur le bonheur
et le malheur conjugal [1829], dans Œuvres complètes, t. 21, Paris, Société des études balzaciennes,
1968-1971, p. 231.
3. Exemples cités par Mortas Pauline, op. cit., p. 316-319.
e e
4. Ambroise-Rendu Anne-Claude, Histoire de la pédophilie XIX -XXI siècle, Paris, Fayard, 2014, p. 63
sq.
5. Fabre Jean-Pierre, Le Forçat de Dieu, Paris, Presses de la Renaissance, 2002.
6. Bourgoint-Lagrange, L’inconduite des prêtres due à leur célibat forcé  : aperçu historique des
désordres du clergé catholique depuis la fondation du christianisme jusqu’à nos jours, Paris, 1889,
p. 27-28.
7. Voir Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit., p. 69.
8. Voir Franchot Jenny, Roads to Rome  : the Antebellum Protestant Encounter with Catholicism,
Berkeley, University of California Press, 1994 et Monk Maria, Awful Disclosures of Maria Monk,
Londres, Senate, 1997.
9. Gross Michael B., « The Strange Case of the Nun in the Dungeon, or German Liberalism as a
Convent Atrocity Story », German Studies Review, 23, no 1, 2000, p. 69-84.
10. Document de 1873 cité par Scholl Sarah, En quête d’une modernité religieuse  : la création de
l’Église catholique-chrétienne de Genève au cœur du Kulturkampf (1870-1907), Neuchâtel, Alphil,
2014, p. 316.
11. Révélé par le livre de Wolf Hubert, Le Vice et la Grâce…, op. cit.
12. Ibid., p. 323-370.
13. Bernos Marcel, « Les manuels de confession peuvent-ils servir à l’histoire des mentalités ? »,
op. cit., p. 94.
14. Cité par Cuchet Guillaume, «  La rénovation de l’émotion religieuse  », dans Corbin Alain,
Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoire des émotions. 2. Des Lumières à la fin du
e
XIX siècle, Paris, Seuil, 2016, p. 322-351.

15. Traité sur la confession à l’usage des séminaristes et des communautés religieuses tiré des œuvres
spirituelles du père Judde, Besançon, 1825, p. 110.
16. Gaume Jean-Joseph, Manuel des confesseurs, 11e éd., Paris, 1880, p. 156.
17. Bouvier Jean-Baptiste, Dissertatio in sextum Decalogi praeceptum et Supplementum ad
Tractatum de matrimonio…, Cenomani, 2e éd., 1828.
18. Krafft-Ebing Richard von, op. cit.
19. Sur l’origine de ces dénominations, voir Simon Hégésippe, «  Quand le missionnaire prend
position », Revue d’études colombiennes, 1854, vol. 2, p. 151-162.
20. Formule traduite par Taxil Léo, Les livres secrets des confesseurs dévoilés aux pères de famille,
Paris, P. Fort, 1901, p. 176.
21. Gousset Thomas-Marie-Joseph, Compendium de théologie morale à l’usage des curés et des
confesseurs, Reims, 1844, t. I, p. 370-396 et t. II, p. 457-460.
22. Debreyne Pierre Jean-Corneille, Essai sur la théologie morale…, op. cit., p. 152.
23. Id., Moechialogie, traité des péchés contre les sixième et neuvième commandements du décalogue
et de toutes les questions matrimoniales qui s’y rattachent directement ou indirectement, suivie d’un
abrégé pratique d’embryologie sacrée, 3e éd., Paris, 1865, p. 122.
24. Lupello, Tractatus de castitate, Parisiis, 1858, vol. 2, p. 353-355.
25. Voir Lagrée Michel, « La confession dans les visites pastorales et les statuts synodaux bretons
aux XIXe et XXe siècles », dans Groupe de la Bussière, Pratiques de la confession, op. cit., p. 245-248.
26. Timon-David, Joseph, Traité de la confession des enfants et des jeunes gens, 3e éd., Paris, 1875, t.
I, p. 166.
27. Ibid., p. 170, 241, 243, 305, 307 et 355.
28. Ibid., t. II, p. 161-165.
29. Ibid., t. II, p. 209 et 228.
30. Ibid., t. II, p. 195-199.
31. Romains Jules, Les Hommes de bonne volonté, op. cit., vol. 1, p. 948.
32. Tolstoï Léon, Enfance. Adolescence. Jeunesse, Paris, Gallimard, 1960, p. 311 et 324.
33. D’après Boutry Philippe, « Réflexions sur la confession au XIXe  siècle  : autour d’une lettre de
sœur Marie-Zoé au curé d’Ars (1858) », dans Groupe de la Bussière, Pratiques de la confession…, op.
cit., p. 225-238.
34. Malègue Joseph, Augustin ou le maître est là, Paris, Spes, 1935, t. 2, p. 485-486.
35. Boudon Jacques-Olivier, Le Plancher de Joachim : l’histoire retrouvée d’un village français, Paris,
Belin, 2017, p. 129.
36. Ibid., p. 224.
37. Sand George, Mademoiselle La Quintinie [1863], Paris, Calmann-Lévy, 1904, p. 43, 70 et 140.
38. Mirbeau Octave, Sébastien Roch. Roman de mœurs [1890], Paris, Charpentier, 1922, p.  105-
107, 125, 134, 145, 175, 243-246.
39. Voir Ferron Laurent, « Le viol de Sébastien Roch : l’Église devant les violences sexuelles », dans
Cahiers Octave Mirbeau, no 8, 2001, p. 287-297.
40. Citations de Michelet d’après Cabanis José, Michelet, le prêtre et la femme, Paris, Gallimard,
1978, p. 154-155. Sur ce thème en Espagne, Haliczer Stephen, Sexuality in the Confessional, op. cit.,
p. 183-203.
41. Voir Dalisson Rémi, Paul Bert : l’inventeur de l’école laïque, Paris, Armand Colin, 2015.
42. Gury Joanne Petro, Compendium theologiae moralis, 4e éd. (2 vol.), Tornaci, 1852.
43. Bert Paul, La Morale des jésuites, Paris, 1880, p. XV et XXI.
44. Ibid., p. 433.
45. Taxil Léo, La Confession et les confesseurs, Paris, 1882 ; id., Les Livres secrets des confesseurs, op.
cit.
46. Les mystères du confessionnal par Monseigneur Bouvier… Prologue. Manuel des confesseurs.
Épilogue par le curé X***, Bruxelles, [après 1864] ; Les mystères du confessionnal : cours de luxure à
l’usage des séminaires, Paris, [1883], 2 vol.
47. Avertissement sur la première page et conclusion de Taxil Léo, Les Livres secrets des
confesseurs…, op. cit.
48. Sur Claret, voir Ramos-Izquierdo Eduardo, L’Espace de l’Éros  : représentations textuelles et
iconiques, Limoges, PULIM, 2007 ; Cascales Josef G., Der heilige Antonius Maria Claret : ein Mensch
ringt um seine prophetische Sendung, Vienne/Klagenfurt, Hermagoras, 1992.
49. Claret Antonio María, Llave de oro o serie de reflecciones que para abrir el corazón de los pobres
pecadores ofrece a los confesores nuevos, Barcelone, 1857, p. 70.
50. Ibid., p. 97.
51. Selon l’expression de Stella Alessandro, Le Prêtre et le Sexe…, op. cit., p. 40.
52. Voir la conclusion de Nicole Bériou dans Sère Bénédicte, Wettlaufer Jörg et Gauvard Claude,
Shame between Punishment and Penance : [the Social Usages of Shame in the Middle Ages and Early
Modern Times], Florence, SISMEL - Edizioni del Galluzzo, 2013, p. 421- 430.
53. Lambert Yves, «  Crise de la confession, crise de l’économie du salut  : le cas d’une paroisse
bretonne de 1900 à 1982 », dans Groupe de la Buissière, Pratiques de la confession…, op. cit., p. 260.
54. Ibid., p. 263.
55. Enquête lancée dans Témoignage chrétien no  1125 (27  janvier 1966) avec les premières
réponses de lecteurs (trices) publiées dans le no  1126 (3  février) puis sous forme d’articles de
synthèse jusqu’au 24 mars 1966.
56. Valentini Norberto et Di Meglio Clara [entretiens recueillis par], Le Sexe au confessionnal, trad.
de l’italien, Paris, Flammarion, 1973.
57. Guerri Giordano Bruno, Enquête sur les mystères du confessionnal, trad. de l’italien, Levallois-
Perret, Filipacchi, 1995, p. 232 sq.
58. Scheule Rupert M. (Hg.), Beichten : autobiographische Zeugnisse zur katholischen Bußpraxis im
20. Jahrhundert, Vienne, Böhlau, 2001, p. 83-113.
59. Sacerdotalis Caelibatus, article  55
(http://w2.vatican.va/content/paulvi/fr/encyclicals.index.html#encyclicals)
60. Témoignage cité dans Rencontres au cœur de l’humain, Fribourg, Éditions de La Sarine, 2013,
p. 156-161.
61. « Quelques réflexions sur la promesse du célibat des prêtres » (vers 1968) (Genève, Archives
privées).
62. « Réflexions sur la préparation au célibat dans les séminaires » (mars 1969) (Genève, Archives
privées).
63. Mémoire daté du 6 février 1971 (Genève, Archives privées).
64. Brand Philippe, Des prêtres épousent leur humanité  : 24 témoignages de prêtres mariés 1954-
2005, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 124.
65. Perroux Jacques, De la peur à l’amour  : itinéraire d’un prêtre marié, Genève, Slatkine, 2005,
p. 19.
66. Ibid., p. 169.
67. Chavaz Jean-Jacques, De la cime à la racine, Vevey, L’Aire, 2005, p. 51, 17 et 25.
68. Voir Brand Philippe, op. cit.
69. Suivant Drewermann Eugen, Fonctionnaires de Dieu, op. cit, p. 479-491.
70. Évaluation du Parvis, réseau des chrétiens en liberté pour d’autres visages d’Église, en 2013.
71. Lettre d’un ancien prêtre, août 1969 (Genève, Archives privées).
72. Cité par Mignot Elisa, Amours interdites : des prêtres et des femmes parlent, Paris, Fayard, 2012,
p. 14. Voir aussi Landry Jean, Potel Julien et Pousset Henri, Femmes et prêtres mariés…, op. cit.
73. Curb Rosemary et Le Clézio Marguerite, Ma sœur, mon amour : les religieuses lesbiennes brisent
le silence, Paris, G. Pastre, 1990.
74. Gramick Jeannine, « Lesbian Nuns : a Gift to the Church », dans Hornbeck J. Patrick et Norko
Michael A., More than a Monologue  : Sexual Diversity and the Catholic Church, vol. 2  : Inquiry,
Thought, and Expression, New York, Fordham University Press, 2014, p. 62-78.
75. Cozzens Donald B. [et al.], Le Nouveau Visage des prêtres : réflexions sur la crise intérieure du
prêtre aux États-Unis d’Amérique, Paris, Bayard, 2002, p. 174 et 177.
76. Cozzens Donald, « Gay Ministry at the Crossroads : the Plight of Gay Clergy in the Catholic
Church », dans Firer Hinze Christine et Hornbeck J. Patrick (éd.), More than a Monologue : Sexual
Diversity and the Catholic Church, vol. 1 : Voices of Our Time, New York, Fordham University Press,
2014, p. 90.
77. Drewermann Eugen, Fonctionnaires de Dieu…, op. cit., p. 491, 496 et 548.
78. Demling Joachim, « Angemaßte Heiligkeit und religiöser Wahn : Versuch eine psycho(patho)-
logischen Annäherung an den Fall Sant’Ambrogio », dans Wolf Hubert (dir.), “Wahre” und “falsche”
Heiligkeit…, op. cit., p. 193-215.
79. Reich Wilhelm, La Psychologie de masse du fascisme [1933], trad. de l’anglais, Paris, Payot,
1998, p. 143.
80. Falcioni Raphaela M. et Scharfetter Christian, «  Zur Psychopathologie in Frauenklöstern  »,
Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie, 144 (1993), p. 463-473.
81. Voir le reportage inédit présenté sur Arte le 5 mars 2019 sous le titre : « Religieuses abusées,
l’autre scandale de l’Église ».
82. C’est ce que constate en note Wolf Hubert, Le Vice et la Grâce…, op. cit., p. 424.
83. Ni même de laisser entendre que le célibat attire les pédophiles ! Comme par exemple Clerc
Christine, Le Pape, la Femme et l’Éléphant, Paris, Flammarion, 2011, p. 228. Sur l’homosexualité dans
l’Église, voir Martel Frédéric, Sodoma : enquête au cœur du Vatican, Paris, Robert Laffont, 2019.
84. Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit.
85. Ibid., p. 74.
86. Brüggemann Johannes A.J., Entwicklung und Wandel des Sexualstrafrechts in der Geschichte
unseres StGB : die Reform der Sexualdelikte einst und jetzt, Baden-Baden, Nomos, 2013.
87. Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit., p. 27.
88. Foucault Michel, Histoire de la sexualité 1…, op. cit., p. 44 et 50.
89. Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit., p. 53.
90. Ibid., p.  90, qui se réfère à Pouillet Thésée, Psychopathie sexuelle, vol. 2, De l’onanisme chez
l’homme avec une introduction sur les abus génitaux, Paris, 1883, p. 5.
91. Voir Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit., p. 93.
92. Ibid., p. 103.
93. Ibid., p. 131.
94. Gai Pied, no 1, avril 1979, cité dans ibid., p. 168-169.
95. Ibid., p. 224, 229 et 243.
96. Gasparri Pietro, Codex juris canonici Pii X Pontificis Maximi jussu digestus Benedicti Papae XV
auctoritate promulgatus, Romae, Typis Polyglottis Vaticanis, 1917, canon 2359.
97. Pour reprendre les termes d’une vaste enquête menée en France : Bobineau Olivier [et al.], Le
Sacré incestueux : les prêtres pédophiles, Paris, Desclée de Brouwer, 2017, p. 206-207. En mai 2019,
un nouveau décret pontifical renforce l’obligation de dénoncer les cas d’abus sexuels commis ou
couverts par des clercs.
98. Selon des sources vaticanes (http://www.vatican.va/resources/resources_mons-scicluna-
2010_fr.html).
99. The Nature and Scope of the Problem of Sexual Abuse of Minors by Priests and Deacons in the
United States 1950-2002, a Research Study Conducted by the John Jay College of Criminal Justice,
Washington DC, USCCB, 2004, p. 4.
100. Selon Le Monde du 26 mars 2010.
101. Le Monde du 25 septembre 2018.
102. Cité par Ambroise-Rendu Anne-Claude, op. cit., p. 264.
103. Selon les chiffres donnés par ibid., p. 278 : 1 365 condamnations pour agressions sexuelles
entre 1951 et 1980 ; 1 628 entre 1981 et 1990 et 9 314 pour la décennie 2001-2010.
104. Voir le rapport de Rediger G. Lloyd, Beyond the Scandals : a Guide to Healthy Sexuality for
Clergy, Minneapolis, Augsburg Fortress Publishing, 2003.
105. Signalé par Bobineau Olivier [et al.], op. cit., p. 25-26.
106. Brown Christa, This Little Light : Beyond a Baptist Preacher Predator and His Gang, Cedarburg
WI, Foremost Press, 2009.
107. https://www.zeit.de/2018/43/evangelische-kirche-missbrauch-skandal-aufarbeitung

7. Les bouleversements du sensible
1. Abel Hugo, La France pittoresque, Paris, 1835, t. 2, p. 147. Cité par Flandrin Jean-Louis, Le Sexe
et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Seuil, 1981, p. 257.
2. Germain Christiane et Panafieu Christine de, La Mémoire des femmes, Paris, S. Messinger, 1982,
p. 224.
3. Chambon de Montaux Nicolas, Des maladies des filles, Paris, 1785, t. 2, p.  88. Cité par Alain
Corbin, L’Harmonie des plaisirs, Paris, Perrin, 2008, p. 105-106.
4. Catherine Villers de Billy, Instructions historiques, dogmatiques et morales en faveur des simples
fidèles et surtout les habitants des campagnes, Paris, 2e éd., 1751, p. 176.
5. Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, Paris, Aubier, 1996, p. 153.
6. Rousseau Jean-Jacques, Les Confessions, dans Œuvres complètes, I. Œuvres autobiographiques,
Paris, Seuil, 1967, p.  125. Nicolas Restif émet un avis contraire et dit éprouver une certaine
délectation en voyant un sanglier saillir une truie. Voir Restif Nicolas Edme, dit Restif de La
Bretonne, Œuvres t. VII. Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé, Genève, Slatkine, 1978, p. 49.
7. Anonyme, L’Escole des filles ou la philosophie des dames, Paris, 1655, p. 27.
8. Ibid., p. 27.
9. Dans Vénus dans le cloître ou la religieuse en chemise de l’abbé Du Prat (Cologne, J.  Durand,
1683), la sœur Angélique instruit sœur Agnès sur les plaisirs multiples de l’amour.
10. Labrunie Étienne, Dissertation sur les dangers de la privation et de l’abus des plaisirs vénériens
chez les femmes, Paris, 1805, p. 35.
11. Restif de La Bretonne, op. cit., p. 37.
12. Cépède Élisabeth, Le Journal de Bab, cité par Casta-Rosaz Fabienne, L’Histoire du flirt. Les jeux
de l’innocence et de la perversité (1870-1968), Paris, Grasset, 2000, p. 239.
13. Ligne Charles Joseph (prince de), Mémoires, lettres et pensées, Paris, F. Bourin, 1989, p. 51.
14. Casanova Giacomo, Histoire de ma vie, Paris, Robert Laffont, 2011, t. 1, vol. 1, p. 33.
15. Restif de La Bretonne, op. cit., p. 33.
16. Mme Roland, Enfance, éd. Martine Reid, Paris, Gallimard, 2010, p. 51-52 et 54.
17. Léris de La Tude Claire Josèphe Hippolyte, Mémoires de Mlle  Clairon, actrice du Théâtre-
Français, écrits par elle-même, Paris, 1822, p. 21-22.
18. Rousseau Jean-Jacques, Les Confessions, op. cit., p. 145.
19. Voir par exemple Les Égarements du cœur et de l’esprit (Crébillon fils, 1738), La Grivoise du
temps ou La Charolaise (Anonyme, 1747), Le Rideau levé ou l’éducation de Laure (Mirabeau, 1788),
Félicia ou mes fredaines (Andrea de Nerciat, 1790), Justine ou les malheurs de la vertu (Sade, 1791).
20. Cleland, John, Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir [1749], Paris, Gallimard, 2015.
21. En fait, il en avait à peine 16 lui aussi. Boudon Jacques-Olivier, Le Plancher de Joachim, op.
cit., p. 24.
22. Valladier André, La saincte philosophie de l’âme. Sermons de l’Avent preschez à Paris à Saint-
Médric en l’an 1612, Lyon, 1625, p. 661.
23. Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 356 et 360.
24. Ourliac Edmond, Physiologie de l’écolier, Paris, 1841, p. 96, cité par G. Houbre, La Discipline de
l’amour. L’éducation sentimentale des filles et des garçons à l’âge du romantisme, Paris, Plon, 1997,
p. 75.
25. Lister Anne, I Know my own Heart, New York, New York University Press, 1992.
26. Michelet Jules, Écrits de jeunesse, Paris, Gallimard, 1959, cité par G. Houbre, La Discipline de
l’amour…, op. cit., p. 77.
27. Vigée-Lebrun Élisabeth, Souvenirs, Paris, 1869, t. 1, p. 17.
28. Zweig Stefan, « Brûlant secret » [1911], dans La Confusion des sentiments et autres récits, Paris,
Robert Laffont, 2013, p. 378.
29. Beyle Henri dit Stendhal, Lamiel, Paris, 1889, p. 185 et 189.
30. Colette, L’Ingénue libertine [1909], Paris, Le Livre de poche, 1982, p. 149. Voir Joubi Pascale,
« L’éducation passionnelle des jeunes filles : de la Belle Époque à l’entre-deux-guerres », dans Savoirs
des femmes, automne 2013 (http://savoirsdesfemmes.org).
31. Sohn Anne-Marie, Du premier baiser…, op. cit., p. 373.
32. Ibid., p. 388.
33. Ibid., p.  375. Une ignorance corroborée par le dossier de lettres des années 1920-1930
commenté par Martine Sevegrand. Voir Sevegrand Martine, L’Amour en toutes lettres…, op. cit., p. 38
sq.
34. Flandrin Jean-Louis, Les Amours paysannes (XVIe-XIXe siècle), Paris, Julliard, 1975, p. 163.
35. Sauvageon Christophe, Registre concernant le prieuré de Sennely en Sologne, Marseille,
J. Lafitte, 1980, p. LXXXXIV.
36. Delumeau Jean, L’Aveu et le Pardon. Les difficultés de la confession, Paris, Fayard, 1990, p. 118.
37. Voir Carol Anne, «  Les médecins et la stigmatisation du vice solitaire (fin XVIIIe-début XIX
e

siècle) », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/1 (no 49-1), p. 156-172.


38. Deslandes Léopold, L’Onanisme, Paris, 1849, cité par Alain Corbin, L’Harmonie des plaisirs, op.
cit., p. 166.
39. Hare Peter H., «  Masturbatory Insanity  : the History of an Idea  », Journal of Mental Science,

n 108, 1962, p. 1-25.
40. Flandrin Jean-Louis, «  Répression et changement dans la vie sexuelle des jeunes  », dans Le
Sexe et l’Occident op. cit., p. 297.
41. Shorter Edward, Naissance de la famille moderne, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1977, p. 124-128.
42. Malègue Joseph, Pierres Noires, Paris, Ad Solem, 2017, p. 280.
43. Cité par Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 158.
44. Restif de La Bretonne, op. cit., p. 13.
45. Ibid., p. 161.
46. Debreyne Pierre Jean-Corneille, Essai sur la théologie morale…, op. cit., p. 63-64.
47. Sohn Anne-Marie, La Fabrique des garçons, op. cit., p. 34.
48. Par exemple l’aveu d’Athénaïs Mialaret, la seconde épouse de J. Michelet, dans Mémoires d’une
enfant, Paris, 1867, p. 223.
49. Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 160.
50. Abbé Du Prat, Vénus dans le cloître…, op. cit., p. 14.
51. Tarczylo T., Sexe et liberté au siècle des Lumières, Paris, Presses de la Renaissance, 1983, p. 223-
224.
52. Sauvageon C., Registre…, op. cit., p. LXXXXXV.
53. Nous suivons ici la démonstration de Boureau Alain, Le Droit de cuissage : la fabrication d’un
mythe XIIIe-XXe siècle, Paris, Aubier, 1995. Tout aussi mythique, la ceinture de chasteté, dont les
exemplaires présentés dans les musées datent du XVIIIe siècle, appartient au monde des fantasmes
masculins. Voir Classen Albrecht, The Medieval Chastity Belt  : A Myth-Making Process, New York,
Palgrave Macmillan, 2007.
54. Mot dont l’étymologie renvoie à cueillir, soit collecter de l’argent.
55. Hudry Marius, «  Les relations sexuelles prénuptiales en Tarentaise  », Le Monde alpin et
rhodanien, no 1, 1974, p. 95-100.
56. Cité par Flandrin Jean-Louis, Les Amours paysannes, op. cit., p. 125.
57. Casanova Giacomo, op. cit., t. 2, vol. 6, p. 307-308.
58. Cela dans la région de Suze en Piémont. Cité par Flandrin Jean-Louis, Les Amours paysannes,
op. cit., p. 124.
59. Cabantous Alain, Histoire de la nuit (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 2009, p. 90.
60. Shorter Edward, Naissance…, op. cit., p. 130.
61. Flandrin Jean-Louis, Les Amours paysannes, op. cit., p.  191-200. Il s’agit de l’article de
Simonneau Auguste, « Saint-Urbain », Annuaire de la Société d’émulation de la Vendée, 1882, XXIX,
p. 21-85 et de l’ouvrage plusieurs fois remanié de Baudoin Marcel, Le Maraîchinage, coutume du pays
de Monts (Vendée) paru en 1906 (Paris, A. Maloine).
62. Flandrin Jean-Louis, « Répression et changement…, op. cit., p. 286.
63. Baudoin Marcel, Le Maraîchinage…, op. cit., p. 84-88.
64. Flandrin Jean-Louis, « Répression et changement… », op. cit., p. 287.
65. Pouillet Thésée, L’Onanisme chez la femme, 2e éd., Paris, 1877, p. 62-63, cité par Flandrin Jean-
Louis, « Répression et changement… », op. cit., p 287.
66. Rochaix Antoine, Constitutions et instructions synodales du diocèse de Tarentaise, Annecy, 1833,
cité par Hudry M., « Relations… », op. cit., p. 10.
67. Wikman K. Robert, Die Einleitung der Ehe, Ȧbo, Ȧbo Akademi 1937, p. 284.
68. Cité par Shorter Edward, Naissance…, op. cit., p. 120.
69. Coutume du comté de Leicester de juillet 1598. Cité par Laslett Peter, Un monde que nous
avons perdu  : Famille, communauté et structure sociale dans l’Angleterre pré-industrielle, Paris,
Flammarion, 1969, p. 159.
70. Lancre Pierre de, Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, Paris, 1612, p. 38.
71. Le Camus Estienne, Ordonnances synodales du diocèse de Grenoble, Paris, 1690, p. 453.
72. C’est notamment celle de Shorter Edward, Naissance…, op. cit., contestée par Flandrin Jean-
Louis, « Répression et changement… », op. cit., p. 286.
73. Cité par Casta-Rosaz Fabienne, Histoire du flirt…, op. cit., p. 30-31.
74. Ibid., p. 47 sq.
75. Zweig Stefan, «  Brûlant secret  », op. cit., p.  368. Voir Bourget Paul, Physiologie de l’amour
moderne, Paris, 1891, p. 127-134.
76. Prévost Marcel, Les Demi-Vierges [1894], Paris, Flammarion, 1924, p. 56 et p. 62. Voir Isabelle
Dumas, « À l’ombre des jeunes filles en flirt : inscription du commerce amoureux chez la jeune fille
proustienne », dans Savoirs des femmes, automne 2013 (http://savoirsdesfemmes.org).
77. Burguière André, «  De Malthus à Max Weber  : le mariage tardif et l’esprit d’entreprise  »,
Annales E.S.C., 27 (1972), no 4-5, p. 1128-1138.
78. Laslett Peter, Un monde que nous avons perdu, op. cit., p. 161.
79. Shorter Edward, Naissance…, op. cit.
80. Flandrin Jean-Louis, «  Mariage tardif  et vie sexuelle  », dans Le Sexe et l’Occident…, op. cit.,
p. 253-254.

8. La virginité et la chasteté à l'épreuve


1. Bardet Jean-Pierre et Dupâquier Jacques, « Vierges sages ou vierges folles. Nos ancêtres étaient-
elles vertueuses  ?  », dans Bardet Jean-Pierre (dir.), La Première Fois ou le Roman de la virginité
perdue, Paris, Ramsay, 1981, p. 153-154.
e e
2. Armangaud André, La Famille et l’Enfant en France et en Angleterre du XVI au XVIII siècle. Aspects
démographiques, Paris, Sedes, 1975, p. 92-94.
3. Canosa Romano, La restaurazione sessuale…, op.  cit., p.  199-211  ; Cavalalo Sandra et Cerutti
Simona, «  Onore femminile e controllo sociale della riproduzione in Piemonte tra Sei et
Settecento », Quaderni storici, 15 (1980), no 44, p. 371.
4. Toinacz Wislicz, «  Dialectics of Virginity. Controling the Moral of Youth in the Early Modern
Polish Countryside », dans Lidman Satu [et al.], Framing Premodern Desires, Amsterdam, Amsterdam
University Press, 2017, p. 83-102.
5. Armangaud André, La Famille…, op. cit., p. 152-154.
6. Cabantous Alain, Dix mille marins face à l’Océan. Les populations maritimes de Dunkerque au
Havre (vers 1660-1794). Étude sociale, Paris, Publisud, 1991, p. 384-385.
7. Sohn Anne-Marie, Du premier baiser…, op. cit., p. 220 sq.
8. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p. 182.
9. Sohn Anne-Marie, Chrysalides, op. cit., vol. 1, p. 571.
10. Knibiehler Yvonne [et al.], De la pucelle à la minette. Les jeunes filles de l’âge classique à nos
jours, Paris, Messidor, 1983, p. 131.
11. Sohn Anne-Marie, Chrysalides, op. cit., vol. 1, p. 569.
12. Ibid.
13. Ibid., vol. 2, p. 572.
14. Van Gennep Arnold, «  De quelques rites de passage en Savoie  », Revue de l’histoire des
religions, vol. 62 (1910), p. 188.
15. Id., Le Folklore du Dauphiné : étude descriptive et comparée de psychologie populaire, Paris, G.P.
Maisonneuve, 1932, t. 1, p. 123.
16. Segalen Martine, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Armand Colin, 1980, p. 26-27.
17. Le Bras Hervé et Todd Emmanuel, L’Invention de la France, Paris, Pluriel, 1981, p. 160-161.
18. Représentant 16,7 % des naissances, légitimes ou non, entre 1700 et 1749, le taux se réduit
(14,5 %) pour le demi-siècle suivant avant de repartir à la hausse : 18,8 % en 1800-1849 et 21,1 %
en 1850-1899. Dans Bardet J.-P. et Dupâquier J. (dir.), Histoire des populations de l’Europe, t. 2, La
révolution démographique, Paris, Fayard, 1998, p. 404. En Carinthie et en Bavière, c’est un tiers des
enfants qui naissaient avant ou hors mariage (Le Bras H. et Todd E., L’Invention…, op. cit., p. 153).
19. Sohn Anne-Marie, Chrysalides, op. cit., p. 574.
20. Ibid., p. 577.
21. Cité par Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu, op. cit., p. 214.
22. Sohn Anne-Marie, Du premier baiser, op. cit., p. 228-229 et id., Chrysalides, vol. 2, Un monde
que nous avons perdu, op. cit., p. 571.
23. En dépit de leur abolition en 1753 par le Hardwicke’s Marriage Act. Voir Laslett Peter, Un
monde que nous avons perdu, op. cit., p. 157-159.
24. À Bilhères-d’Ossau, le taux de conceptions prénuptiales passe de 13 % en 1730-1749 à 8 % en
1780-1819 avant de tomber à 3 % en 1820-1859. Voir Fresel-Lozey Michel, Histoire démographique
d’un village du Béarn : Bilhères-d’Ossau (XVIIIe-XIXe siècle), Bordeaux, Biscaye Fr., 1969.
25. Flandrin Jean-Louis, « Répression et changement… », op. cit., p. 293.
26. L’expression est de Lejeune Philippe, « L’autobiographie et l’aveu sexuel », Revue de littérature
comparée, 2008/1, no 325, p. 37-51.
27. Sohn Anne-Marie, Chrysalides, op. cit., vol. 2, p. 594.
28. Ibid., p. 580 et 591.
29. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p. 146.
30. Segalen Martine, « Le manteau des jeunes filles. La virginité dans la société paysanne », dans
Bardet Jean-Pierre (dir.), La Première Fois…, op. cit., Paris, Ramsay, 1981, p. 119-138.
e
31. D’après Henry Louis et Houdaille Jacques, « Célibat et âge au mariage en France aux XVIII et
e
XIX siècles », Population, 1979, 34-2, p. 403-442.

32. D’après Bardet Jean-Pierre et Dupâquier Jacques (dir.), Histoire des populations, op. cit., p. 403
et 536.
33. Cité par Gabrielle Houbre, La Discipline de l’amour…, op. cit., p. 155.
34. Toutes ces données dans Bardet Jean-Pierre et Dupâquier Jacques, Histoire des populations, op.
cit.
35. Le Camus Estienne, Ordonnances synodales du diocèse de Grenoble, op. cit., p. 29.
36. Matthews-Grieco Sara, « Corps et sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime », op. cit., p. 193.
37. Rossiaud Jacques, La Prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988, p. 50-53.
38. Hollewand Karen, «  Between Books and Brothels. The Sexual Scholarship of Hadriaan
Berverland », dans Lidman Satu [et al.], Framing Premodern Desires…, op. cit., p. 151-173.
39. Ibid.
40. Ménétra Jacques-Louis, Journal de ma vie, Paris, Montalba, 1982, p. 39.
41. Zeldin Théodore, Histoire des passions françaises, 1848-1945, t. 1 (1980), Paris, Seuil, 2002,
p. 357.
42. Grisoni Dominique, « La preuve des corps », dans Bardet Jean-Pierre (dir.), La Première Fois…,
op. cit., p. 52 et 62.
43. Zweig Stefan, Le Monde d’hier, op. cit., p. 97, 103-106.
44. Gonzalez-Quijano Lola, «  Entre désir sexuel et sentiments  : l’apprentissage amoureux des
étudiants du quartier latin du second XIXe  siècle  », dans Blanchard Véronique [et al.] (dir.), Les
Jeunes et la Sexualité, op. cit., p. 180-188.
45. Leiris Michel, L’Âge d’homme [1939], Paris, Gallimard, 1984, p. 106 et 175.
46. Pennac Daniel, Journal d’un corps, Paris, Gallimard, 2012, note du 10 octobre 1946.
47. Corbin Alain, « L’emprise de la religion », op. cit., p. 65.
48. Cité par Houbre G., La Discipline de l’amour…, op. cit., p. 179.
49. Balzac Honoré de, Physiologie du mariage…, op. cit., p. 252-253.
50. Id., Mémoires de deux jeunes mariées [1842], dans Œuvres complètes…, op. cit., p.  264, 292,
350, 352, 355.
51. Mme Roland, Enfance, op. cit., p. 59.
52. Ibid., p. 55.
53. Ibid., p. 40.
54. Vigée-Lebrun Élisabeth, Souvenirs, op. cit., t. 1, p. 17.
55. Bautain Louis Eugène Marie (abbé), La Chrétienne de nos jours  : Lettres spirituelles. Première
partie : La jeune fille et la femme [1859], Paris, 1861, p. 61, 63, 67-68.
56. Muller Caroline, « Ce que confessent les journaux intimes », Circé. Histoire, culture et sociétés,
o
n  9, 2014.
57. C’est ce genre de truchements que met en scène Ernest Feydeau. Voir Feydeau Ernest,
Souvenirs d’une cocodette, écrits par elle-même [1878], Paris, Mille et Une Nuits, 2006.
58. Labrunie Étienne, Dissertation sur les dangers de la privation et de l’abus des plaisirs vénériens
chez les femmes, op. cit., p. 10.
59. Goncourt Edmond de, Chérie [1884], Paris, Flammarion & Fasquelle, 1921, p. 111, 192-194,
221.
60. Cité par Sohn Anne-Marie, Chrysalides, vol. 1, op. cit., p. 389.
61. Musset Alfred de, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., p. 66.
62. Voir sur ce thème les textes cités par Mortas Pauline, op. cit., p. 226-237.
63. Dumas Alexandre (fils), L’Ami des femmes, Pézénas, Mirondela Dels Arts, 2013, p. 229-230.
64. Cappelle Marie, Mémoires de madame Lafarge née Marie Cappelle écrits par elle-même, Paris,
1875, p. 188, cité par Mortas Pauline, op. cit., p. 345.
65. Mme Roland, Enfance, op. cit., p. 59.
66. Ce que note avec pertinence Mortas Pauline, op. cit., p. 126.
67. Dumas Alexandre fils, op. cit., p. 14.
68. Coriveaud Adrien, Le Lendemain du Mariage op. cit., p. 14-15. Voir aussi Saint-Ernest Octave
de, Physiologie de la première nuit des noces, Paris, 1846.
69. Buisson Léa, «  La nuit de noces, des savoirs prénuptiaux à l’initiation  », dans Savoirs des
femmes, automne 2013 (http://savoirsdesfemmes.org).
70. Degas Edgar, L’Intérieur, 1868, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art.
71. Maupassant Guy de, « Une vie » [1883], dans Romans, Paris, Gallimard, 1987. Citations aux
pages 4, 42, 44-45, 47-48, 53, 58 et 60.
72. Goncourt Edmond de, op. cit., p. 238.
73. Ibid., p. 170.
74. Tolstoï Léon, La Sonate à Kreutzer, op. cit., p. 361.
75. Zweig Stefan, Le Monde d’hier…, op. cit., p. 98 et 100.
76. Grisoni Dominique, La Preuve des corps, op. cit., p. 22-24.
77. Le Gall Didier et Le Van Charlotte, La Première Fois. Le passage à la sexualité adulte, Paris,
Payot, 2007. L’enquête porte sur environ 200 réponses circonstanciées.

É
78. Cité par Le Pallec-Marand Claudine, «  États-Unis  : le cinéma de Larry Clark, ou l’esthétique
des fucking premières fois (1995-2006) », dans Blanchard Véronique, Les Jeunes et la Sexualité, op.
cit., p. 168.
79. Selon Anne-Marie Sohn, en 1972, un quart des jeunes sont tous les deux vierges lors de leur
premier rapport et près de la moitié ont été initiés par un partenaire de leur âge. Voir Sohn Anne-
Marie, La Fabrique des garçons, op. cit., p. 132.
80. Lejeune Philippe, « L’autobiographie et l’aveu sexuel », art. cité, p. 37-51.
9. De chastes volontés ?
1. Houziaux Alain, « L’idéal de chasteté dans les débuts du christianisme », art. cité.
2. Bourdaloue Louis, Sermons pour les dimanches, Lyon, 1725, t. 1, p. 84.
3. Villers de Billy Catherine, Instructions historiques…, op. cit., p. 302.
4. Debreyne Pierre Jean Corneille, Le Prêtre et le Médecin devant la société, Paris, 1848, p. 188.
5. Brown Peter, op. cit., p. 194.
6. Le Catéchisme du Concile de Trente, op. cit., p. 381-385 et 393.
7. Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p 33-36.
8. Le Catéchisme du Concile de Trente, op. cit., p. 486-494.
9. Bernos Marcel, Les Sacrements dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles : pastorale et vécu des fidèles,
Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 149.
10. Ibid., p. 222.
11. Grenaille François de, L’Honneste Mariage, Paris, 1640, p. 23.
12. Fleury Claude, Catéchisme historique contenant en abrégé l’histoire sainte et la doctrine
chrétienne, Paris, 1735, p. 450.
13. Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p.  68. Voir aussi Daumas Maurice, «  La
sexualité dans les traités sur le mariage en France, XVIe-XVIIe siècles  », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, 2004, no 51-1, p. 7-35.
14. François de Sales, «  Introduction à la vie dévote  », dans Œuvres, Paris, Gallimard, 1969,
p. 164-167, 180-183, 240, 249.
15. Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 85.
16. Daumas Maurice, «  Cœurs vaillants et cœurs tendres  : l’amitié et l’amour à l’époque
moderne  », dans Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoire des
émotions. 1, op. cit., p. 344.
17. Cordier J., La Famille sainte, 1re éd., Paris 1644 ; éd. consultée, Paris, 3 vol., 1687, t. 1, p. 49.
Voir Bernos Marcel, Les Sacrements, op. cit., p. 264.
18. Cité par Delumeau Jean, L’Aveu et le Pardon, op. cit., p. 105.
19. Luther Martin, « Sermon sur l’état conjugal », op. cit., p. 231-240.
20. Calvin Jean, Institution de la religion chrétienne, trad. de Charles Icard [1713], Genève, t. I,
1818, p.  326-330. Beaucoup plus catégorique, le pasteur J.-F.  Ostervald de Neuchâtel associe
étroitement chasteté et pureté corporelle et spirituelle  : Ostervald Jean-Frédéric, Traité contre
l’impureté, Amsterdam, 1707, p. 186-201.
21. C’est l’avis de Flandrin Jean-Louis, Familles : parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société,
Paris, Hachette, 1984, p. 163.
22. Leites Edmund, La Passion du bonheur. Conscience puritaine et sexualité moderne [1986], trad.
de l’anglais, Paris, Cerf, 1988, p. 92.
23. Ibid., p. 105. Voir Smith Henry, A Preparative to Marriage, Londres, 1591 ou Gataker Thomas,
A Good Wife. God’s Gift and Wife indeed, Londres, 1624.
24. Calvin Jean, Scripta didactica et polemica, vol. 1, Contre la secte phantastique et furieuse des
libertins qui se nomment spirituelz [1545], Genève, 2005, p. 127-129.
25. Citations d’après Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 98 et 100.
26. Cité par Bernos Marcel, Les Sacrements, op. cit., p. 225.
27. Ibid., p. 227.
28. Ibid., p. 223.
29. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés, Paris, 1726, p. 17.
30. Selon Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 345.
31. Féline (Le père) Le Catéchisme des gens mariés [1775], Rouen, 1880, p. 23.
32. Ibid., p. 10.
33. Le Blanc Thomas, La Direction et la Consolation des personnes mariées, Paris, 1664, p. 13-14 et
95.
34. Féline (Le père), Le Catéchisme…, op. cit., p. 26-28.
35. Langlois Claude, « Sexe, modernité et catholicisme », Esprit, février 2010, p. 110-121.
36. Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 325.
37. L’abbé Viollet, prêtre de Paris, fondateur de l’Association du mariage chrétien et dont la revue
lance en 1924 le débat sur la chasteté conjugale. Voir pour la publication de cette correspondance
Sevegrand Martine, L’Amour en toutes lettres…, op. cit.
38. Cité par Bernos Marcel, Les Sacrements, op. cit., p. 220.
39. Rogers Henry et Rosenstein Robert, «  De l’inconstance thématique à une poétique de
l’inconstance », Neophilogus, vol. 72, no 2, avril 1988, p. 180-190.
40. Cité par Bernos Marcel, Les Sacrements, op. cit., p. 223.
41. Dans Daumas Maurice, « La sexualité… », art. cité.
42. Venette Nicolas, De la Génération de l’homme, op. cit., I, p. 342 et II, p. 265.
43. Montalban Charles, La Petite Bible des jeunes époux, Paris, 1885, p. 37.
44. Cité par Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 243.
45. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés, op. cit., p. 489.
46. Héliodore de Paris, Satan, ses pompes, ses œuvres, C.O.S., Montrouge, 1866, col. 138.
47. Maillard Claude, Le Bon Mariage ou le Moyen d’être heureux et de faire son salut en l’état de
mariage, Paris, 1647.
48. Voir Walch Agnès, «  Du singulier à l’universel  : La perfection de l’amour selon Catherine
Levesque (1616-1693) », Dix-septième siècle, no 209, 2000, p. 704-718.
49. Lévesque Catherine, La Perfection de l’amour du prochain dans tous les états, par l’union de nos
amours naturels aux amours de Dieu, Paris, 1685, p. 144, 146, 181.
50. Couturier Jean, Le Bon Mariage ou Avis à la jeunesse chrétienne pour un saint établissement,
Dijon, 1836, p. 115.
51. Baduel Claude, Traicté très utile et fructueux de la dignité du mariage, Paris, 1548, cité par
Pillorget René, La Tige et le Rameau. Familles anglaises et françaises, 16e-18e siècle, Paris, Calmann-
Lévy, 1979, p. 58.
52. Ibid., p. 223.
53. Dupouey Mireille, Cahiers, Paris, 1944-1945, p.  377. Texte cité par Walch Agnès, La
Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 384. Voir aussi Walch Agnès et Beauvalet Scarlett, « Le veuvage :
une expérience de spiritualité conjugale. Trois témoignages de veuves catholiques (1832-1936)  »,
Histoire, Économie et Société, 14 (1995), no 4, p. 609-625.
54. Christin Olivier, « Le lit, la Vierge et la mort », dans Châtelier Louis et Martin Philippe (dir.),
La Prière dans le christianisme moderne. Revue d’histoire des religions, t. CCXVIII, juillet-septembre
2000, p. 607-622.
55. Montalban Charles, La Petite Bible…, op. cit., cité par Perrot Michelle, Histoire des chambres,
Paris, Seuil, 2009.
56. Cité par Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 58.
57. Ce qu’illustre l’enseignement de Nicolas Letourneux (1640-1686), prêtre proche de Port-
Royal. Voir Letourneux Nicolas, Instructions chrétiennes, Paris, 1686, p. 31, cité par Walch Agnès, La
Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 222.
58. Liébault Jean, Trois maladies et infirmitez des femmes, Rouen, 1649, t. I, p. 53, cité par Darmon
Pierre, Le Mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, Seuil, 1981, p. 125.
59. Maillard Claude, Le Bon Mariage…, op. cit., p. 75.
60. Féline (Le père), Le Catéchisme…, op. cit., p. 32.
61. François de Sales, La Conduite des âmes, cité par Bernos Marcel, « Le concile de Trente et la
sexualité : la doctrine et sa postérité », dans Bernos Marcel (textes réunis par), Sexualité et religions,
op. cit., p. 226.
62. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés, op. cit., p. 490.
63. Bieler André, L’Homme et la Femme dans la morale calviniste, Genève, Labor et Fides, 1963,
p. 37.
64. Cité par Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 260.
65. Benedicti Jean, Somme des péchés et les remèdes d’iceux, Paris, 1601, p. 125.
66. Barbaro François, Deux livres de l’estat de mariage, Paris, 1667, p. 124.
67. Lévesque Catherine, La Perfection de l’amour…, op. cit., p. 147 et 149, cité par Walch Agnès,
La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 267.
68. Voir Pillorget René., La Tige et le Rameau…, op. cit., p. 59-60.
69. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés, op. cit., p. 491.
70. Cabrisseau Nicolas, Réflexions morales sur le livre de Tobie, Paris, 1772, p. 126.
71. Villers de Billy Catherine, Instructions historiques…, op. cit., p. 652-653.
72. Par exemple William Gouge estime que l’adultère du mari est aussi condamnable que celui de
l’épouse dans Of Domestical Duties. Eight Treatises, Londres, 1622.
73. Du Bartas Guillaume de Saluste, La Judit, Toulouse, Association des Publications de la faculté
des lettres, 1971, p. 54.
74. Cité dans Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 387-388.
75. Cité par Bernos Marcel, Les Sacrements, op. cit., p. 226.
76. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés, op. cit., p. 493.
77. Thévenot Xavier, Repères éthiques pour un monde nouveau, Strasbourg, Salvator, 1982, p. 44-
53.
78. Bianchi Enzo, « Comment vivre la chasteté dans son couple », Aletia, février 2017, p. 11.
79. Tainturier Jean-Christophe, « La chasteté dans le couple », Église et vocations, 2006, no 120,
Célibat et chasteté (https://archivesweb.cef.fr/public/archive.revue-
egliseetvocations.cef.fr/article50.html).
80. Gueullette Jean-Marie, La Vie en abondance. La vertu de chasteté pour les prêtres et les religieux,
Paris, Cerf, 2018, p.  30 et  54. Sur le sujet, l’auteur cite d’ailleurs à plusieurs reprises Radcliffe
Timothy, Je vous appelle amis, Paris, Cerf, 2000.
81. Joye Sylvie, « Couples chastes à la fin de l’Antiquité et au haut Moyen Âge », Médiévales, 2013,
o
n  65, p. 47-63.
82. Laurence Patrick, Jérôme…, op. cit., p. 226 sq.
83. Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 104-119.
84. Hénault-Morel Thierry, Louis et Zélie Martin, Paris, Cerf, 2015, p. 87.
85. Ollé-Laprune Alice, Liens immortels [1940], Chiré, Éditions du Chiré, 2018, p. 97.
86. Barré Jean-Luc, Jacques et Raïssa Maritain  : les mendiants du ciel, biographies croisées, Paris,
Stock, 2009, p. 142-143.
87. Note du Journal de Raïssa Maritain retirée de l’édition par Jacques, citée dans ibid.
88. Schünge-Straumann Helen, Tobit, Fribourg-en-Brisgau, Herder Verlag, 2005, p. 132-135.
89. Livre de Tobie 8, 4-10. Mais cette interprétation fantaisiste des trois nuits fut semble-t-il
reprise dans la traduction de Jérôme puisque le texte ne parle explicitement que de la nuit où « ils
se sont couchés et ont dormi » (verset 9).
90. Eudes Jean, La Vie du chrétien ou le Catéchisme de la mission [1651], Louvain, 1675, p. 136.
91. Oddo Nancy, « “Une vieille matière d’une manière nouvelle” ou comment romancer la vie de
sainte  : Roselis ou l’histoire de sainte Suzanne de Jean-Pierre Camus (1623)  » dans Les Dossiers du
Grihl [en ligne], 2015-01.
92. Camus Jean-Pierre, Roselis ou l’histoire de sainte Susanne, Paris, 1623, p. 612-613.
93. Villethierry Jean Girard de, La Vie des gens mariés…, op. cit., p. 99-100.
94. Pouget François-Aimé, Instructions générales en forme de catéchisme, Paris, 1714, p. 483.
95. La Neuville Jean de, Le Livre de Tobie avec des réflexions morales sur tous les versets, Paris,
1723, p. 208-209.
96. Coutume semble-t-il attestée en Écosse dans Dalrymple David (Lord Hailes), Annals of
Scotland, Édimbourg, W. Creech, 1797, vol. 3, p. 16.
97. Cambry Jacques, Voyage dans le Finistère en 1794-1795, Paris, 1799, t. 3, p. 160.
98. Van Gennep Arnold, Le Folklore français. 1, Du berceau à la tombe, cycles de carnaval, carême et
Pâques, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 480-483.
99. Saint-Yves Pierre, « Les trois nuits de Tobie », Revue anthropologique, 1934, p. 266-296.
100. Villers de Billy Catherine, Instructions historiques…, op. cit., en particulier p. 301-304.
101. Voir Livi-Bacci Massimo, «  Social Group Forerunners of Fertility Control in Europe  », dans
Coale Ansley J. et Watkins Susan C. (éd.), The Decline of Fertility in Europe, Princeton, Princeton
University Press, 1986, p. 182-200.
102. Voir Henry Louis, «  Ducs et pairs sous l’Ancien Régime. Caractéristiques démographiques
d’une caste », Population, 1960-15-5, p. 807-830.
e e
103. Bardet Jean-Pierre, Rouen aux XVII et XVIII siècles. Mutations d’un espace social, Paris, Sedes,
1983, p. 280.
e e
104. Lachiver Marcel, La Population de Meulan du XVII au XIX siècle (vers 1600- 1870). Étude de
démographie historique, Paris, S.E.V.P.E.N., 1969.
105. Bernos parle du « texte bien connu » de Bouvier dans Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu,
op. cit., p. 199.
106. Cité par Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 379.
107. France Anatole, Les Opinions de monsieur Jérôme Coignard, Paris, 1895, p. 204.
108. Familiaris consortio, 84 § 5.
109. Sacramentum Caritatis, no  29, exhortation post-synodale, février 2007. Les assouplissements
proposés par le pape François dans son exhortation apostolique Amoris laetitia (mars 2016),
concernant l’accès à la communion pour les divorcés remariés, ne sont pas allés sans résistance de la
part de certains évêques et de certaines franges identitaires du catholicisme.
110. Cité par Walch Agnès, La Spiritualité conjugale…, op. cit., p. 469.
111. Par exemple Fontaine David, No Sex last Year, Paris, Les Petits Matins, 2006 ou Tonnac Jean-
Philippe de, La Révolution asexuelle, Paris, Albin Michel, 2006.
112. Delumeau Jean, Mille ans de bonheur, Paris, Fayard, 1995.
113. Mede Joseph, Clavis Apocalyptica. Annotations sur l’Apocalypse, Londres, 1627, p. 72.
114. Sewall Samuel, A Description of the New Haven (1687) cité par J.  Delumeau, Mille ans de
bonheur op. cit., p. 278.
115. Mather Cotton, Call of the Gospel, Boston (1686), p. 24.
116. Clarkson Lawrence, A Single Eye (1650), par exemple, estimait l’adultère comme une chose
pure. Cité par Hill Christopher, The World Turned Upside Down, Londres, Temple-Smith, 1972,
p. 236.
117. Foster Lawrence, Free Love in Utopia, Urbana, University of Illinois Press, 2002.
118. Graham Sylvester, Lecture to Young Men on Chastity, Boston, 1838, cité par Abbott Elizabeth,
Histoire universelle de la chasteté et du célibat [1999], trad. en français, Québec, Fides, 2012, p. 255.
119. Watts Jill, God, Harlem U.S.A. The Father Divine Story, Berkeley, University of California
Press, 1992.
120. Kern Louis J., An Ordered Love. Sex Roles and Sexuality in Victorian Utopias, Chapel Hill, UNC
Press Books, 1981.
121. Abbott Elizabeth, op. cit., p. 192.
122. Elliot Elizabeth, Passion and Purity. Learning to bring your Love Life under Christ’s Control
(1984) et Carla Stephens, A Passion of Purity. Protecting God’s Precious Gift of Virginity (2003). Voir
Bernau Anke, Virgins. A Cultural History, Londres, Granta Books, 2007, p. 59.
123. Cité dans De Rogatis Amy, Saving Sex. Sexuality and Salvation in American Evangelicalism,
Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 28.
124. Abbott Elizabeth, op. cit.
125. Harris Joshua, J’ai tourné le dos au flirt, trad. en français, Lausanne, Maison de la Bible,
2007.
126. Ibid., p. 26 et 53.
127. Ibid., p. 58.
128. De Rogatis Amy, Saving Sex…, op. cit., p. 29.
129. Ibid., p. 30.
130. Cline Sally, Women, Passion and Celibacy, New York, Clarkson Potter, 1993.
131. Abbott Elizabeth, op. cit., p. 557-558.
132. En suivant Young Antonia, Albanian Sworded Virgins, Londres, 2001, trad. en français, Les
Vierges jurées d’Albanie, Paris, Non Lieu, 2016, p. 76. On comptait au début des années 2000 environ
une centaine de ces vierges jurées.
133. Ibid., p. 12.
134. Ibid., p. 149.
135. Ibid., p. 103.
136. Voir l’étude récente de Sastre Peggy, No sex. Avoir envie de ne pas faire l’amour, Paris, La
Musardine, 2010.
137. Ibid., p. 97.
138. Ibid., p. 129.
139. Ibid., p. 131.
140. Tonnac Jean-Philippe de, La Révolution…, op. cit., p. 14.
141. Bajos Nathalie et Bozon Michel, La Sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La
Découverte, 2008.
10. La fabrique des vierges
1. Jérôme (saint), Adversus Helvidium, De perpetua virginitate (383), 19, t. XXII, col. 203.
2. Cabantous Alain et Walter François, Noël, une si longue histoire, Paris, Payot, 2016, p. 93 sq.
3. C’est-à-dire « un récit interprétatif basé sur un élément antérieur de la tradition ». Voir Spong
John, Né d’une femme. Conception et naissance de Jésus dans les Évangiles, trad. en français, Paris,
Khartala, 2015, p. 40-53. Meier John P., Un certain juif, Jésus, t. 1, Sources, origines, dates, trad. en
français, Paris, Cerf, 2002, p. 142.
4. Ephrem le Syriaque, Hymnes sur la Nativité, cité par Dusserre Joseph, «  Les origines de la
dévotion à saint Joseph », Cahiers de joséphologie, no 1, 1953, p. 31.
5. Sissa Giulia, Le Corps virginal, op. cit., p. 195.
6. Baudoz Jean-François, « La virginité de Marie dans la tradition des synoptiques », dans Longère
Jean (dir.), La Virginité de Marie, Paris, Mediaspaul, 1998, p. 9-23. La virginité biologique de Marie
avant, pendant et après la naissance de Jésus est affirmée solennellement par le concile de
Chalcédoine en 451.
7. Ce que dit Sissa Giulia, Le Corps virginal, op. cit., p.  99. Voir aussi Foskett Mary M., A Virgin
conceived. Mary and the Classic Representations of Virginity, Bloomington, Indiana University Press,
2003, p. 9-10.
8. Meier John P., Un certain juif Jésus, op. cit., p. 143.
9. L’homme est le marqueur «  de l’être de l’enfant  » dans Moschetta Jean-Marie, Jésus, fils de
Joseph, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 303.
10. Chez Philon d’Alexandrie par exemple dans Cerbelaud Dominique, Marie, un parcours
dogmatique, Paris, Cerf, 2003, p. 28-29.
11. Meier John P., Un certain juif Jésus, op. cit., p. 364, note 4.
12. Moschetta Jean-Marie, Jésus…, op. cit., p. 304.
13. Brown Raymond E., The Birth of Messiah, Garden City (NY), Yale University Press, 1977,
p. 300 sq.
14. Origène, Contre Celse, 1, 28 et 32, Paris, 2005  ; Shaberg Jane, The Illegitimity of Jesus, San
Francisco, Sheffield Phoenix Press, 1987.
15. Sesboüé Bernard (dir.), Histoire des dogmes, t. III, Les signes du salut, Paris, Desclée, 2016,
p. 573.
16. L’analyse linguistique actuelle incline très fortement à penser que ceux que les évangélistes
eux-mêmes et Paul désignent parfois par leur nom sont bien des frères (adelphos) et non des cousins
(anepsios), tout spécialement chez Paul. Voir Lemonon Jean-Paul, « L’aîné d’une famille nombreuse »,
dans Doré Joseph et Pédotti Christine (dir.), Jésus, l’Encyclopédie, Paris, Albin Michel, 2017, p. 152-
153.
17. « Il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté un fils » (Mt 1, 25).
18. Cabantous Alain et Walter François, Noël…, op. cit., p. 91.
19. Cerbelaud Dominique, Marie…, op. cit., p. 67 et Rothen Johan, « État actuel sur la question de
la virginité de Marie », dans Longère J., op. cit., p. 221-263.
20. McHugh John, La Mère de Jésus dans le nouveau Testament, trad. de l’anglais, Paris, Cerf, 1977.
21. Jugie Jean, «  Le protévangile de Jacques et l’Immaculée Conception  », Revue d’études
byzantines, 1911, 86, p. 16-20.
22. Cité dans Cerbelaud Dominique, Marie…, op. cit., p. 71.
23. Expression de Maria S. Heister dans Maria aus Nazareth, Göttingen (1987), rapporté par
Rothen Johan, op. cit., p. 251.
24. Sebbag Thierry, « Virginité, virginité : de Gaïa à Marie », art. cité.
25. Ratzinger Joseph, Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Paris-Tours, Mame, 1969, p. 192.
26. Payan Paul, Joseph : une image de la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2006.
27. De Meulemeester Maurice, «  Controverses autour de la virginité perpétuelle de Joseph  »,
Cahiers de joséphologie, 1955, no 3, p. 29-40.
28. Jacquinot Jean, Les Grandeurs de saint Joseph ou la Gloire de saint Joseph représentée dans ses
principales grandeurs… [1645/1854], Croix de Cojouls, éd. Saint-Jean, 2013, p. 33, 227 et 255.
29. Binet Étienne, Le Tableau des divines faveurs accordées à saint Joseph [1639], Amiens, 1866,
p. 29-30.
30. Cité par Berlioux Martin, Saint Joseph, patron de l’Église catholique, Grenoble, 1872, p. 89.
31. Par exemple, dès 1522, le dominicain italien Isidore de Isolanis (cité par Delumeau Jean,
Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité en Occident, Paris, Fayard, 1989, p. 343).
32. Pieau René, Vie de saint Joseph, l’époux de la divine Marie et le père nourricier de Jésus,
Clermont-Ferrand, 1842, p. 35-36.
33. Wohlman Avital, L’Homme, le Monde sensible et le Péché dans la philosophie de Jean Duns Scot,
trad. en français, Paris, J. Vrin, 2000, cité par Zajtman Albert, « Judaïsme », dans Henryot Fabienne
et Martin Philippe, Dictionnaire historique de la Vierge Marie, Paris, Perrin, 2017, p. 225.
34. Cholvy Brigitte, «  Le péché originel, une invention d’Augustin  ?  », Itinéraires augustiniens,

n 45, janvier 2011.
35. Marie peine à croire le message de l’ange, elle parade à Cana et prend Jésus pour un fils
ordinaire. Voir Jouassard Georges, « Marie à travers la patristique », dans Maria. Études sur la Sainte
Vierge, Paris, 1949, p. 69-157. Cité par Sesboüé Bernard, Histoire…, op. cit., p. 594.
36. Les dominicains de Berne en viendront même en 1507 à monter de toutes pièces une fausse
apparition de Marie annonçant à un novice qu’elle n’avait pas été préservée du péché originel. Voir
Barnay Sylvie, « L’Affaire de Berne. Conception et apparitions de la Vierge », dans Fournié Éléonore
et Lepape-Berlier Séverine, «  L’Immaculée Conception  : une croyance avant d’être un dogme, un
enjeu social pour la Chrétienté », L’Atelier du Centre de recherches historiques [en ligne], 10 | 2012.
37. Par exemple, en 1619, Charles de Gonzague, duc de Nevers, institua dans la ville ducale
l’ordre de l’Immaculée Conception.
38. Suire Éric, «  Immaculée Conception  », dans Henryot Fabienne et Martin Philippe,
Dictionnaire…, op. cit., p. 210-214.
39. Cerbelaud Dominique, Marie…, op. cit., p. 173-174.
40. Langlois Claude, «  Mariophanies et mariologies au XIXe siècle  », dans Comby Jean (dir.),
Théologie, histoire et piété mariale, Lyon, Profac, 1997, p. 19-36.
41. Gerson Jean, Considérations sur saint Joseph, p. 349, cité par Payan Paul, « Pour retrouver un
père… La promotion du culte de saint Joseph au temps de Gerson », Cahiers de recherches médiévales
[en ligne], 4 | 1997.
42. Payan Paul, « La sanctification in utero de Joseph, une proposition gersonienne », dans Fournié
Éléonore et Lepape-Berlier Séverine, op. cit.
43. Maria d’Agreda, La Cité mystique de Dieu, trad. en français, Paris, 1670, chapitre 18.
44. Berlioux Martin, Saint-Joseph…, op. cit., p.  27. Pour une bibliographie étendue, voir les
premiers numéros des Cahiers de joséphologie, 1953, no 1 et 2 ; 1955 , no 1.
45. Lebrun Pierre, Superstitions anciennes et modernes  : préjugés vulgaires…, Amsterdam, 1733,
t. 1, p. 67.
46. Entre 1803 et 1917, on dénombre 129 apparitions mariales avec un pic entre 1870 et 1879
(32). Elles touchent surtout la France avec la moitié des phénomènes puis l’Italie (19  %),
l’Allemagne (7  %), l’Autriche (4  %). La péninsule Ibérique n’est pratiquement pas touchée.
Schneider Bernhard, « Marienerscheinungen im 19. Jahrhundert », dans Wolf Hubert (dir.), “Wahre”
und “falsche” Heiligkeit…, op. cit., p. 91. On en compte plus de 400 entre 1917 et 1960. On notera
aussi les rares apparitions de saint Joseph, dont l’une est particulièrement intéressante  : celle de
Fatima. Le 13 octobre 1917, relate sœur Lucie, « nous avons vu à côté du soleil saint Joseph avec
l’Enfant et Notre-Dame vêtue de blanc. Saint Joseph et l’Enfant semblaient bénir le monde ».
47. Voir Froeschlé-Chopard Marie-Hélène, « Rosaire », dans Henryot Fabienne et Martin Philippe,
Dictionnaire…, op. cit., p. 410-414.
48. Froeschlé-Chopard Marie-Hélène, « Le Rosaire, parole et image », Annales de Bretagne, 1991,
98-2, p. 148.
49. Chatelier Louis, L’Europe des dévots, Paris, Aubier, 1987, p. 33.
50. Boudon Henri-Marie, De la dévotion aux neuf chœurs des anges, Nancy, 1717, cité par Manevy
Anne, «  Le droit chemin. L’ange gardien, instrument de la disciplinarisation après la Contre-
Réforme », Revue de l’histoire des religions, t. 223, juin 2006-2, p. 205.
51. Gélis Jacques, L’Arbre et le Fruit. La naissance dans l’Occident moderne (XVIe-XIXe siècle), Paris,
Fayard, 1984, p. 140.
52. Ibid., p. 138.
53. Boutry Philippe, «  Les corps saints des catacombes  », dans Baciocchi Stefano et Duhamelle
Christophe (dir.), Reliques romaines, Rome, 2016, p. 225-259 ; Boutry Philippe, Fabre Pierre-Antoine
et Julia Dominique, Reliques modernes, Paris, EHESS, 2013, vol. 1, p. 121-173.
e
54. Boutry Philippe, « Papauté et culture au XIX siècle. Magistère, orthodoxie, tradition  », Revue
d’histoire du XIXe siècle, 2004/1, no 28, p. 31-58.
55. Moulinier Laurence, «  Élisabeth, Ursule et les onze mille vierges  : un cas d’invention de
reliques à Cologne au XIIe siècle », Médiévales, 1992, no 22-23, p. 173-186.
56. Nous suivons de près la critique développée par Leclercq Henri, Dictionnaire d’archéologie
chrétienne, Paris, Letouzey et Ané, 1929, t. V, 1600-1604.
57. Montrond Maxime de, Le Curé d’Ars et sainte Philomène, Paris, 1872.
58. Poupelier Claude-Amand-Napoléon (abbé), Abrégé de la vie de sainte Philomène, Troyes, 1854,
p. 4. Voir aussi Oudoul Jean-François, Histoire de sainte Philomène, vierge et martyre, Paris, 1838.
59. Ibid., p. 7.
60. Ibid., p. 16. On notera les similitudes chronologiques avec la mort du Christ.
61. Darche Jean-François, Vie très complète de sainte Philomène, Paris, 1867, p. 60.
62. Bouange Guillaume, Sainte Clémentine, vierge-martyre romaine, Toulouse, 1854.
63. Gerbet Philippe, Le Livre de sainte Theudosie, Amiens, 1854.
64. Bouange G., Sainte Atilie, martyre du diocèse de Saint-Flour, Saint-Flour, 1844.
65. Poupelier C.-A.-N., op. cit., p.  90-91. L’auteur semble s’être fortement inspiré du texte de
Hyacinthe de Montargon, Dictionnaire apostolique à l’usage de Messieurs les curés des villes et des
campagnes (article « Vierges »), t. 8, Paris, 1752.
66. Darche Jean-François, op. cit., p. 298.
67. Bouange G., Sainte Clémentine…, op. cit., p. 153.
68. Ibid., p. 155.
69. Ibid., p. 133.
70. Oudoul Jean-François, Vie de sainte Solange, vierge et martyre du Berry, Bourges, 1828, p. 36.
71. Ibid., p. 41.
72. Étoile Notre-Dame, Il est ressuscité, Réflexion chrétienne, Hozana, Nouvelle Évangélisation,
etc.
73. On pourrait aussi citer d’autres cas similaires de vierges assumant leur chasteté jusqu’à la
mort  : celui Karoline Kozka en 1914, d’Antonia Mesina en 1935 et d’Anna Kolesárová en 1944,
toutes trois assassinées à l’âge de 16 ans, les deux premières canonisées par Jean-Paul II et la
troisième récemment béatifiée.
74. Rédigée dans la seconde moitié du XIIIe siècle, La Légende dorée de Jacques de Voragine ne
mentionne que 18 % de saintes, soit un peu moins de 30 pour six fois plus d’hommes.
75. Vies des saintes femmes, des martyres et des vierges pour tous les jours de l’année, tirées des
écrivains sacrés…, Paris, 1822.
76. Ibid., t. 3, 2 octobre, p. 346.
77. Les saintes et bienheureuses ayant vécu entre Thècle, disciple de Paul, et la fin du IVe siècle
forment plus de 46  % des femmes mentionnées contre 38  % pour celles qui ont vécu du Ve au Xe
siècle, 12,9 % pour celles du XIe au XVe siècle, 3 % pour celles du XVIe et du XVIIe siècle.
78. Ibid., p. VII et IX.
79. Ibid., t. 2, p. 117.
80. Ibid., t. 3, p. 336.
81. Ibid., t. 2, p. 80.
82. Voragine Jacques de, La Légende dorée, Paris, Seuil, 2004, p. 140.
83. Ibid., p. 720.
84. Ibid., p. 772.
85. Ibid., p. 67.
86. Vies des saintes femmes…, op. cit., t. 2, p. 276 et 136.
87. Voragine Jacques de, La Légende dorée, op. cit., 2004, p. 141.
88. Vies des saintes femmes…, op. cit., t. 2 , p. 81.
89. Ibid., t. 2, p. 111.
90. Ibid., t. 3, p. 332-333.
91. Voragine Jacques de, La Légende dorée, op. cit., p. 720.
92. Ibid., p. 82-83.
93. Vies des saintes femmes…, op. cit., t. 3, p. 296.
94. Brown Peter, op. cit. et Houziaux Alain, « L’idéal de chasteté des débuts du christianisme », art.
cité.
95. Roman-Galéazzi Hélène, « Les enfants de Marie Immaculée. Formation d’une élite populaire
de la piété », Rives nord-méditerranéennes, 21, 2005, p. 75-90.
96. Cité dans ibid., p. 79.
97. Pensionnat des sacrés cœurs de Jésus et de Marie, Règlement de l’association des Enfants de
Marie, Le Mans, 1865, p. 46.
98. Roman-Galéazzi Hélène, art. cité, p. 80.
99. Ibid., p. 81.
100. Ibid., p. 85.
101. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p. 153.
102. Segalen Martine, « Le manteau des jeunes filles… », op. cit.
103. Claude Langlois cité dans Knibiehler Yvonne [et al.], De la pucelle à la minette, op. cit.,
p. 139.
104. Ibid.
105. Metz René, La Consécration des vierges : hier aujourd’hui et demain, Paris, Cerf, 2001.
106. Rituel de la consécration des vierges, Paris, AELF, 1976.
107. «  Ut numquam nuptias celebraverint neque publice seu manifeste in statu castitate contrario
vixerint », Ordo consecrationis virginum, editio typica, Roma, Libreria editrice vaticana, 1978.
108. Hausman Nicole, «  Note sur l’intégrité physique des vierges consacrées  : une question
disputée », Nouvelle Revue théologique, 131 (2009), no 3, p. 614-624.
109. Ecclesia sponsa imago, 4  juillet 2018, article 88. On compte actuellement plus de 5  000
vierges consacrées dans le monde.
110. Selon Le Nouvel Observateur (14  août 2018), la confrérie de Saint-Médard à Salency se
proposait de relancer en juin 2019 une fête de la rosière dont la dernière édition datait de 1987.
111. En 1766, l’intendant Lepelletier de Mortefontaine y conduisit Mme de Genlis. Maza Sarah,
«  The Rose-girl of Salency. Representations of Virtue in Prerevolutionnary France  », Eignteenth
Century Studies, 22-3 (1989), p. 395-412.
112. Fauchet Claude, Discours sur les mœurs rurales, prononcé dans l’église de Suresnes le 10 d’août
1788 pour la fête de la rosière…, Paris, 1788, p. 3-4.
113. Ibid., p. 38.
114. Everdell William, «  The Rosiere’s Movement, 1766-1789. A Clerical Precursor of the
Revolutionnary Cults », French Historical Studies, IX (1973), p. 23-36.
115. Haquette Jean-Louis, Échos d’Arcadie. Les transformations de la tradition littéraire pastorale
des Lumières au romantisme, Paris, Garnier, 2009, p. 212-213.
116. Restif de La Bretonne Nicolas Edme, Monsieur Nicolas…, op.  cit., p.  37. Champlâtreux est
dans l’actuel Val-d’Oise.
117. Monselet Charles, Figurines parisiennes, cité par Haquette Jean-Louis, op. cit., p. 215.
118. Déjà en 1774 à Romainville, la rosière devait être «  la fille la plus modeste, respectueuse
envers ses parents et la plus attachée à ses devoirs », dans Segalen Martine, « Du village à la ville. La
fête de la rosière à Nanterre », Ethnologie française, t. 12, no 2, 1982, p. 185-194.
119. Ribereau-Gayon Marie-Dominique, «  La rosière, incarnation et médiatrice d’une nouvelle
ruralité : les villes-rosières de Gironde », Norois, 2007/3, p. 53-65.
120. Passeleigue Louis, Les Fêtes en l’honneur des rosières de Montferrand (1881-1994), Clermont-
Ferrand, chez l’auteur, 1994.
121. Istasse Cédric, «  Les mariages de la Rosière dans le département de Sambre-et-Meuse  »,
Napoleonica. La Revue, 2009,1 (no 4), p. 11-29.
122. Ribereau-Gayon Marie-Dominique, op. cit., p. 57.
123. Segalen Martine, « Du village à la ville… », art. cité, p. 188.
124. En 2000, sur les 76 communes françaises qui avaient une fête de la rosière, les trois quarts
étaient rurales ou avaient moins de 10 000 habitants (Ribereau-Gayon Marie-Dominique, art. cité,
p. 54).
125. À Pessac en 1998 a été élue la première rosière musulmane (ibid., p. 63).
126. Belmont Nicole, Mythes et croyances dans l’ancienne France, Paris, Flammarion, 1973, p. 87
sq.
127. Brazzoli Angelo, Le Mois de Marie enfant, trad. en français de la 2e éd. [1891], Laval, 1895.
128. Vingt et une saintes vierges et martyres fêtées en mai contre 23 en juin et septembre et 26 en
juillet. D’après Vies des saintes femmes…, op. cit.
129. Les Sermons de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques, t. 2, Lyon, 1636, p. 189.
130. François de Sales, « Introduction à la Vie Dévote », op. cit., p. 243.
131. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p. 156.
132. Prévost Marcel, Les Demi-Vierges…, op. cit., p. 67.
133. Méthode d’Olympe, Le Banquet de Méthode, Paris, Cerf, 1963, p. 133 et 136.
134. François de Sales, « Introduction à la Vie Dévote » op. cit., p. 169.
135. Voragine Jacques de, La Légende dorée…, op. cit., p. 721.
136. Pellegrin Nicole, Voiles : une histoire du Moyen Âge à Vatican II, Paris, CNRS, 2017, p.  172-
174.
137. Segalen Martine, « Le manteau des jeunes filles », op. cit.
138. Muzzarelli Maria Guiseppina, Histoire du voile. Des origines au foulard islamique, trad. de
l’italien, Paris, Bayard, 2017, p. 158.
139. Van Gennep Arnold, Le Folklore du Dauphiné, op. cit., p. 123.
140. Tertullien, «  Le voile des vierges  », cité par Aboudrar Bruno-Nassim, Comment le voile est
devenu musulman, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 35.
141. 1 Cor 11, 2-16.
142. Muzzarelli Maria Guiseppina, Histoire du voile…, op. cit., p. 36.
143. Corbin Alain, L’Harmonie des plaisirs, op. cit., p. 139.
144. Gautier Théophile, Mademoiselle de Maupin, op. cit., p. 92-93.
145. Prévost Marcel, Les Demi-Vierges…, op. cit., p. 22.
146. Venette Nicolas, Tableau de l’amour humain considéré dans l’état du mariage, Amsterdam,
1686, t. I, p. 86.
147. Knibiehler Yvonne, La Virginité féminine…, op. cit., p. 17-18.
148. Propos attribué au carme Dominique de Jésus-Marie en mai 1622, cité par Marchal Corinne,
« Guerrière », dans Henryot Fabienne et Martin Philippe, Dictionnaire…, op. cit., p. 186.
149. Delfosse Annick, « Une vierge guerrière au service des Habsbourg », dans Béthouart Bruno et
Lottin Alain, La Dévotion mariale de l’an mil à nos jours, Arras, P.U. Artois, 2005, p. 343.
150. Cabantous Alain, « La mer, la ville et la fête aux XVIIIe et XIXe siècles dans la France du Nord.
Histoire d’une dépossession », Revue du Nord, 1987, no 284, p. 605-622.
151. Pastoureau Michel, Le Roi tué par un cochon, Paris, Seuil, 2015, p. 123 et 168-169.
152. Voir par exemple Lesurre Jacques-Pierre, Du vœu de Louis XIII et de nos devoirs envers la T.S.
Vierge, Paris, 1822.
153. De Seguin de Pazzis, Maxime, Vœu de Louis XIII, Paris, 1814, p. 11-12.
154. La situation paraît moins claire pour Jeanne Hachette, sorte de calque républicain de Jeanne
d’Arc, qui, sur les remparts de Beauvais, défendit les armes à la main les attaques menées par les
troupes de Charles le Téméraire en 1472. Elle est seulement qualifiée de «  jeune fille  » dans le
discours prononcé par André Talmont lors de l’inauguration de sa statue le 6 juillet 1851.
155. Le Brun de Charmettes Philippe-Alexandre, Histoire de Jeanne d’Arc surnommée la Pucelle,
Paris, 1817, t. IV, p. 45-47.
156. Beaune Colette, Jeanne d’Arc. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2008, p. 204-205.
157. Mazeau Guillaume, Le Bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat, 1793-
2009, Seyssel, Champ Vallon, 2009.
158. Delasalle Paul, Charlotte Corday, Paris, 1845, p. 52 et 86.
159. Du Bois Louis, Charlotte Corday. Essai historique, Paris, 1838, p. 20.
160. Esquiros Alphonse, Charlotte Corday, Paris, 1841, p. 108.
161. Casimir-Perier Auguste, « La jeunesse de Charlotte Corday », Revue des Deux Mondes, 1er avril
1862, p. 602.
162. Lamartine Alphonse de, Histoire des Girondins, Bruxelles, 1845, t. V, p. 191.
163. Mazeau G., Le Bain…, op. cit., p. 305.
164. Camden William, Histoire d’Élisabeth, reyne d’Angleterre, (1624), cité par Cottret Bernard, La
Royauté au féminin. Élisabeth Ire d’Angleterre, Paris, Fayard, 2009, p. 100-102.
165. Walch Agnès, Où va le mariage ?, Paris, Fayard, 2013, p. 140.
166. Discussions morales, politiques et religieuses qui ont amené à la séparation qui s’est effectuée au
mois de novembre 1831 au sein de la Société saint-simonienne, Paris, 1832, p. 5.
167. Archives parlementaires…, Paris, 1905, t. LXXXI, p. 278.
168. Saint-Just Louis-Antoine de, Fragmens sur les institutions républicaines, Paris, p. 63.
169. Biard Michel [et al.] (dir.), Vertus et politiques. Les pratiques des législateurs (1789-2014),
Rennes, PUR, 2015.
170. « Qu’est-ce qu’un sans-culotte ? », Le Père Duchesne, juillet 1793.
171. Saad Marianne, Cabanis. Comprendre l’homme pour changer le monde, Paris, Garnier, 2016,
p. 145-155.
172. Compayré Gabriel, Éléments d’éducation civique et morale, Paris, 1880, p. 122.
173. Le livre des instituteurs. Code Soleil, Paris, Sudel, 1970, p. 17.
174. « Il valore sociale della castità », La Voce, II, 9, 10 février 1910. Republié en français par Prat
Michel, «  Le point de vue du théoricien de la violence. Onze réponses de Georges Sorel à des
enquêtes (1899-1919)  », dans Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2004/1 (no  22), p.  173-
206.
175. Ibid., p. 185.
176. Gauthier Xavière, L’Insoumise, Levallois-Perret, Manya, 1991, p. 31.
177. Boyer Irma, La Vierge rouge. Louise Michel, Paris, A.  Delpeuch, 1927, p.  26 et  28. Dans cet
ouvrage on ne compte pas moins de 36 occurrences de cette expression.
178. Barbusse Henri, « Préface », dans ibid., p. VI.
179. Cité Bernos Marcel [et al.], Le Fruit défendu, op. cit., p. 263.
180. Pelletier Madeleine, Le Célibat, état supérieur (1923), cité par Sylvie Chaperon, « Sexologie et
féminisme au début du XXe siècle », Champ psy, 2010/2, no 58, p. 76.
181. Pelletier Madeleine, La Femme vierge [1933], Paris, Indigo & côté-femmes, 1996, p. 76 et 90.
182. Zetkin Clara, Cahiers du bolchevisme, no  28 (1er  octobre 1925) et no  29 (15  octobre 1925),
repris dans Lénine tel qu’il fut, traduction française, Paris, Bureau d’éditions de diffusion et de
publicité, 1934.
183. Honig Emily, « Socialist Sex. The Cultural Revolution Revisited », Modern China, avril 2003,
vol. 29, no 2, p. 143-175.
184. Pettier Jean-Baptiste, «  Politique de l’amour et du sexe dans la Chine de la révolution
sexuelle », dans Genre, Sexualité et Société, 3/printemps 2010 [en ligne].

CONCLUSION. Un improbable idéal


1. « Le sexe après sa révolution », art. cité, p. 43.
Des mêmes auteurs

Noël. Une si longue histoire..., Paris, Payot, 2016.

d’Alain Cabantous
La Vergue et les Fers. Mutins et déserteurs dans la marine de l’ancienne
France, Paris, Tallandier, 1984.
Le Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime (XVe-XIXe  siècle),
Paris, Fayard, 1990.
Dix Mille Marins face à l’Océan. Les populations maritimes de Dunkerque
au Havre aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Publisud, 1991.
Les Côtes barbares. Pilleurs d’épaves et sociétés littorales en France (1680-
1830), Paris, Fayard, 1993.
Les Citoyens du large. Les identités maritimes en France (XVIIe-XIXe  siècle),
Paris, Aubier, 1995.
Histoire du blasphème en Occident. Fin XVIe-milieu XIXe  siècle, Paris, Albin
Michel, 1998.
Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne (XVIIe-
e
XVIII  siècle), Paris, Fayard, 2002.
Les Français, la Terre et la Mer (XIIIe-XXe siècle), (dir. avec André Lespagnol et
Françoise Péron), Paris, Fayard, 2005.
Histoire de la nuit (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 2009.
Le Dimanche, une histoire  : Europe occidentale, 1600-1830, Paris, Éditions
du Seuil, 2013.
Être marin en Europe occidentale, 1550-1850 (avec Gilbert Buti), Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2016.
De Charybde en Scylla. Risques, périls et fortunes de mer du XVIe siècle à nos
jours (avec Gilbert Buti), Paris, Belin, 2018.
e e
Les Ombres de Clio. Les nuits historiques existent-elles  ? (XVI -XX   s.) (dir.),
Paris, CNRS éditions, 2018.

de François Walter
Les Suisses et l’environnement. Une histoire du rapport à la nature du
e
XVIII  siècle à nos jours, Genève, Éditions Zoé, 1990.
La Suisse urbaine, 1750-1950, Genève, Éditions Zoé, 1994.
Histoire de l’environnement européen (avec Robert Delort), préface de
Jacques Le Goff, Paris, PUF, coll. « Le nœud gordien », 2001.
Les Figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe (XVIe-
e
XX  siècle), Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
Catastrophes : une histoire culturelle. XVIe-XXIe siècle, Paris, Éditions du Seuil,
coll. « L’univers historique », 2008.
La Suisse  : au-delà du paysage, Paris, Gallimard, coll. «  Découvertes
Gallimard Histoire », 2011.
La Ville contemporaine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (avec Jean-Luc
Pinol), Paris, Points, coll. « Histoire » no 453, 2012.
Hiver : histoire d’une saison, Paris, Payot, 2013.
Une histoire de la Suisse, Neuchâtel, Éditions Alphil, Presses universitaires
suisses, 2016.
À propos de cette édition

Cette édition électronique du livre Les tentations de la chair d’Alain


Cabantous et François Walter a été réalisée le 18 décembre 2019 par les
Éditions Payot & Rivages.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 978-2-228-
92537-2).
Le format ePub a été préparé par PCA, Rezé.

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