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Logique et langage: L'idéalisme spéculatif

Author(s): CATHERINE COLLIOT-THÉLÈNE


Source: Archives de Philosophie , JANVIER-MARS 1999, Vol. 62, No. 1 (JANVIER-MARS
1999), pp. 17-45
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43037751

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Logique et langage
L'idéalisme spéculatif *
CATHERINE COLLIOT-THÉLÈNE
Université de Rennes I

RÉSUMÉ : L'on propose ici de lire le système hégélien tel qu'il est exposé dans les
œuvres de maturité ("Phénoménologie, Logique, Encyclopédie ), comme la réa-
lisation d'un programme de travail formulé dans l'écrit sur la Différence
( 1800), précisé dans Foi et Savoir ( 1802). Le point de départ de ce programme
est une critique de l'idéalisme transcendantal, en ses versions kantienne et
fichtéenne, auxquels il est reproché d'avoir pensé de manière inconséquente
l'identité du sujet et de l'objet, pour l'avoir conçue sous la forme d'une synthèse.
Un programme qui implique de repenser les rapports entre logique et langage,
c'est-à-dire de placer la théorie « linguistique » hégélienne, présentée dans un
texte apparemment marginal, la Psychologie de /'Encyclopédie, au cœur de
l'interprétation de la pensée spéculative.

MOTS- CLÉS : Idéalisme. Idéalisme psychologique. Imagination. Logique. Signi-


fication. Myticisme. Psychologie.

* Je cite les œuvres de Hegel d'après les traductions françaises les plus aisément accessibles
aujourd'hui : les trois volumes de la Logique dans la traduction de Pierre-Jean Labarrière et
Gwendoline Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972, 1976, 1981 [cité : Log., suivie du numéro
du volume] ; la première et la troisième partie de Y Encyclopédie des Sciences philosophiques (/,
La Science de la Logique et III, La Philosophie de l'Esprit ), dans les traductions de Bernard
Bourgeois chez Vrin, Paris, respectivement 1970 et 1988 [cité : Enc. I ou III] ; la Phénoméno-
logie dans la traduction de Jean Hyppolite, Aubier-Montaigne [cité : Phéno.] ; la Différence
entre les systèmes de Fichte et de Schelling dans la traduction de Bernard Gilson, Vrin, 1986
[cité : Z>5] ; Foi et Savoir , dans la traduction d'Alexis Philonenko et Claude Lecouteux, Vrin,
1988 [cité : F&S]. Les références des autres œuvres citées seront mentionnées dans les notes. La
Critique de la Raison Pure de Kant est citée d'après la traduction de A. Tremesaygues et B.
Pacaud, PUF, Paris, 1968 [cité : CRPure].

Archives de Philosophie 62, 1999

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18 C. COLLIOT-THÉLÈNE

ABSTRACT : The author proposes a reading of t


developed in HegeVs later works (Phenomenolog
the realisation of a project formulated in his essa
presented in more detail in Faith and Knowing ( 1
this project is the critique of transcendental idealis
Fichte. Hegel reproaches them for having accorded
identities of subject and object, and for having c
form of a synthetis. This project calls for the ret
between logic and language. That is to say, the repo
of the interpretation of speculative thought Hegel9
appears in the psychology found in the Encyclope
text.

KEY WORDS : Idealism. Psychological idealism. Imagination. Logic. Significa


tion. Mysticism. Psychology.

Le programme de l'idéalisme absolu

« La philosophie de Kant avait besoin de voir séparer son esprit de la


lettre et dégager le principe spéculatif pur du reste de ce qui appartient à la
réflexion raisonnante ou peut lui servir. En son principe d'une déduction des
catégories, cette philosophie est un véritable idéalisme et voilà quel principe
Fichte a dégagé avec une pureté rigoureuse, l'appelant l'esprit de la philoso-
phie kantienne. » Ainsi Hegel, dans l'Avant- Propos à l'écrit sur la Différence
des systèmes de Fichte et de Schelling , en 1800. Quelques lignes plus loin,
Hegel ajoute : « Dans [la] déduction des formes de l'entendement, le prin-
cipe de la spéculation, c'est-à-dire l'identité du sujet et de l'objet, se trouve
exprimé avec la plus grande précision. » (Z)S, p. 101 et 102)
La distinction entre l'esprit et la lettre de la philosophie kantienne est un
lieu commun dans le post-kantisme : on la trouve chez Fichte, chez Schelling,
et Hegel à son tour la fait sienne comme on vient de le voir. La philosophie de
Kant est un véritable idéalisme, ce qui signifie, sous la plume de Hegel,
qu'elle est véritablement philosophie, et elle l'est en vertu du principe pur
qu'elle a su porter au jour, à savoir : la déduction des catégories, c9 est-à-dire
l'identité de l'objet et du sujet . Hegel ici sait qu'il ne fait rien d'autre que
suivre le jugement de Fichte, qui avait affirmé que c'est dans l'Analytique
transcendantale de la Critique de la Raison Pure , et plus précisément
encore dans son second chapitre, « La déduction transcendantale », que se
trouvait énoncé le concept de l'idéalisme. Fichte lui-même désignera ce
concept sous l'expression « intuition transcendantale », qu'il formulera
encore : moi = moi, ou l'identité du sujet et de l'objet. Le jeune Hegel s'est
formé dans un milieu philosophique où la vocation de la philosophie à

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LOGIQUE ET LANGAGE 19

l'idéalisme était une évidence, et où les différe


pouvaient se jouer que sur la manière, plus ou
idéalisme était interprété. La prétention de H
Différence au moins jusqu'aux derniers textes
assumé cette vocation idéaliste de la philosophi
extrêmes, c'est-à-dire, tout simplement, de l'av
connaît cette déclaration provocatrice que l'on
« Toute philosophie est essentiellement idéalisme o
principe, et la question est seulement de savoir ju
est effectivement réalisé. [...] L'opposition d'u
d'une philosophie réaliste est par conséquent san
tion provocatrice, dont on comprend aisément
matérialistes ou empiristes de diverses obédien
dogmatisme hors du commun. Comment Hegel
pareille prémisse, que sa philosophie soit sans p
Mais avant de faire le procès du dogmatisme
s'entendre sur ce qu'idéalisme veut dire. Où nou
de la philosophie de Kant par ses successeurs i
philosophie qui a compris que dans la déduction
trouve exprimé le principe de toute philosophie
du sujet et de l'objet. Il est clair qu'une telle fo
tation du texte kantien qui ne sera certaineme
lecteurs et commentateurs de Kant. Pour que
l'intention des pages qui suivent, une remarque
n'ai nullement l'intention de défendre une inte
kantienne, pas même d'une partie de celle-c
parlerons ici, et ce qu'il nous importe de comp
Hegel a lu et compris Kant, dans la mesure
effectuée tout d'abord sous la conduite de Ficht
spéculatif hégélien. Pour une large part, le « sy
s'offre dans l'œuvre de maturité (. Phénoménol
en ses trois parties), est l'accomplissement d'un
essentielles sont tracées dès l'écrit sur la Différ
que Hegel adresse tant à Kant qu'à Fichte. Il est
programme traversera divers avatars, que nou

1. Il s'agit d'un passage de la remarque sur l'idéalisme, qu


chapitre de la première section de la Doctrine de l'être. Elle e
la première partie de la Logique (publiée en 1833) et ne f
traduction Labarrière/Jarczyk, qui correspond à l'édition
traduction, effectuée à partir de Wissenschaft der Logik , h
Verlag, Hamburg, 1971, vol. 1 [cité :WL /; il s'agit en l'
p. 145].

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20 C. COLLIOT-THÉLÈNE

grâce à la publication des cours de léna notamme


dès 1800 les problèmes que la philosophie spécula
il était encore loin de maîtriser les moyens « lo
répondra plus tard. Entre autres choses - et c
possédait pas encore le concept de la négativité
pour la première fois dans la Préface à la Phénomén
rétrospective, il est peut-être possible de percevo
tions du texte de 1800 une anticipation de ce conc
tion que « l'absolu est l'identité de l'identité et de la
ne faire qu'un coexistent en lui » (jDS, p. 168). Mais
de donner à pareille formule un sens précis si no
de Hegel que celui-ci. Au mieux s'agit-il d'une int
proposition brillante autant que sibylline : or
répéter, dans les textes de maturité, qu'une sim
exprimer la vérité.
A Fichte comme à Kant donc, Hegel reproche a
de manière inconséquente l'identité de l'objet et d
spéculatif de la déduction des catégories, pour s
cette identité dans la forme d'une synthèse. L'identi
objet {mutatis mutandis : entre conscience tran
empirique) n'est jamais atteinte parce qu'elle n'e
forme du résultat d'une synthèse entre des term
Les autres reproches que Hegel adresse à Kant o
vérité de cette critique fondamentale. 1) Critique
infini, que l'on retrouvera de manière récurrente da
et, thème étroitement solidaire du précédent : 2) cr
est conçu le rapport du temps et de l'éternité. « V
totalité, celle du temps infini, c'est dépasser le temp
à rien de recourir à son nom, à une progression d
vrai dépassement du temps, c'est le présent atem
la tendance à agir tout comme la persistance d'un
p. 149). 3) Critique visant tout particulièrement
mais qui découle directement des reproches adre
rique, des formes du Sollen et du Streben (devo
témoignent de l'incapacité de la philosophie crit
comme accomplie : le bien y demeure un but qui
que le principe « moi = moi devient le principe moi
encore : « La proposition moi = moi se métamorphos
à moi. » 4) Critique enfin de la manière dont Kan
rapport entre la pensée et la nature : la tâche dév

2. Logique et Métaphysique (léna 1804-1805 ), trad, de


mard, Paris, 1980.

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phie, celle que Hegel appelle de ses vœux (et don


il croit apercevoir les prémisses chez Schelling)
maltraitée par les systèmes de Kant et de Ficht
accord avec elle-même ». « Il faut, ajoute-t-il en
avec [la nature] en se formant elle-même com
forces » (1)5, p. 104).
L'ensemble de ces critiques a pour corrélat un pr
réside, semble-t-il, dans la problématique de l
nouvelle sera fidèle à l'esprit de la philosophie
contre la lettre de Kant, si elle parvient à supp
entre sujet et objet, ou, dans les termes de Fichte,
dantale et conscience empirique. Il lui faut pour ce
première. Pourtant, la problématique de la sy
l'œuvre de maturité la place centrale qu'elle a dans
œuvre dans laquelle Hegel critiquait Fichte dan
encore ceux de Fichte lui-même. Il est vrai
détaillée du « connaître synthétique » vers la f
s'agit que d'une sous-section de l'Idée du Vrai,
première articulation du connaître (la seconde é
de côté ici le sens qu'il faut prêter à cette «
l'encontre des représentations ordinaires que n
connaissance, englobe des enjeux pratiques (sou
aussi bien que théoriques. Ce qu'il m'importe seu
que, s'il est bien dans l'œuvre de maturité un m
de la connaissance synthétique, il ne paraît pa
central de la philosophie spéculative, celui de l'u
l'objectivité, soit traité comme une synthèse à r
pour Hegel, tant dans la Logique que dans la P
le plus accompli de la « méthode synthétique » e
et que, loin de voir dans cette « méthode » une sor
pensée conceptuelle rigoureuse, Hegel dénonce
qui ont été faites pour l'appliquer à la philosop
méthode philosophique en prenant la méthode d
L'efficacité de la méthode abstraite et synthé
géométrie, que Hegel ne conteste pas, vient de
nature finie (sensible) de ses objets. Or l'objet
nature radicalement différente, qui appelle par
méthode différente.
Il suffit pourtant de prêter attention à la structure d'ensemble de la
Logique (avec la distinction entre la logique objective, qui englobe la logique
de l'être et la logique de l'essence, et la logique subjective, ou logique du

3. Cf. Phéno p. 38-40.

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concept), ainsi qu'au mouvement de la troisième


logique du concept, qui nous reconduit du concep
vité, puis à l'Idée, unité de la subjectivité et de l'obje
cre que le problème central de la Logique hégélienne
désigné dès 1800 comme la pierre de touche de tou
démontrer l'identité du sujet et de l'objet, ou enc
réalité. Hegel prétend avoir mené à bien la tâche q
il faut désormais ajouter : ni Schelling - n'ava
quoiqu'ils en aient tous pressenti la nécessité, à sa
partir du concept (sur le terme de déduction, H
réticences, mais nous pouvons ici les laisser de côté 4
à concevoir cette unité comme le produit d'une sy
que notamment dans un passage de la Logique où
notion kantienne de « synthèse originaire de l'a
célèbre comme constituant « un des principes le
développement spéculatif »), il remarque que
« conduit facilement à nouveau à la représentation
d'une simple liaison de termes qui sont en et po
P-52).
Cette défiance à l'égard des présupposés impliqués dans la notion de
synthèse n'est pas nouvelle. On la rencontre déjà dans l'écrit sur la
Différence. Se donner pour objectif une synthèse suppose que l'on soit parti
d'une opposition, et c'est précisément parce que cette opposition initiale des
termes à unifier (le moi et le réel, la conscience pure et la conscience
empirique) est donnée au départ que leur unification est condamnée à la
forme d'un procès sans fin : « Quelle possibilité d'union existe-t-il si l'on
suppose, au départ, des termes absolument opposés ? A l'évidence aucune à
proprement parler [...] L'identité absolue est bien le principe de la spécula-
tion : cependant il reste, comme son expression moi = moi, une simple règle,
dont le système postule, mais ne construit pas l'application sans fin. » (1)5,
p. 141) Et le cheminement de pensée qui devait aboutir, dans l'œuvre de
maturité, à l'éviction de la question de la synthèse quand il est question de
l'unité du sujet et de l'objet, était clairement indiqué dans Foi et Savoir ,
texte qui date de 1802. C'est dans ce texte que l'on trouve la présentation la
plus claire de l'interprétation hégélienne de ce qu'est l'imagination pro-
ductrice chez Kant, c'est-à-dire de cette faculté qui est précisément pour
Kant la faculté de la synthèse (nous allons y revenir). Et c'est en traitant de
l'imagination productrice que Hegel remarque que, si la notion d'une « syn-
thèse originaire de l'aperception » est une idée hautement spéculative,

4. Cf. Log. III , p. 55 : « La déduction du réel à partir [du concept], si l'on veut nommer cela
déduction [...] ». L'expression que préfère Hegel est celle à* élévation du concept à Vidée (cf.
ibid., p. 49).

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LOGIQUE ET LANGAGE 23

l'expression d'« unité synthétique » présente n


d'éveiller l'impression que l'antithèse est le
synthèse viendrait par conséquent après l'oppos
l'unité synthétique est « l'identité absolue, orig
soi » 5.
Le système hégélien de la maturité reprend donc bien la tâche que Fichte
avait fixée à la philosophie : rendre compte de l'objectivation du moi trans-
cendantal, c'est-à-dire montrer l'identité du concept et de la réalité. Cette
démonstration est en vérité l'enjeu majeur de l'ensemble de la logique
spéculative, et elle n'est achevée que dans la dernière section de la Logique ,
l'Idée. Celle-ci est en effet, selon les propres termes de Hegel, la « présenta-
tion de la façon dont [le concept] forme en soi et à partir de soi la réalité qui
a en soi disparu » {Log. III , p. 54). Mais la manière dont cette démonstration
est effectuée n'est pas, pour des raisons dont nous allons tenter de montrer
qu'elles ne se limitent pas à une simple inconvenance sémantique, celle
d'une synthèse. Est-ce à dire que Hegel conteste que l'imagination produc-
trice exerce une fonction synthétique ? Non, mais il est notable qu'il ne traite
pas de l'imagination dans la Logique , quoique, comme nous venons de le
remarquer, le problème central de la logique spéculative soit bien celui que
Kant avait traité en abordant l'imagination productrice. Faut-il croire que
Hegel ait tout simplement abandonné la thématique de l'imagination ? Non,
encore une fois : mais ce n'est pas dans la Logique qu'il en traite, mais dans
la Psychologie , une sous-section de la Philosophie de l'esprit subjectif. Ce
déplacement éclaire la manière dont Hegel caractérise l'idéalisme kantien :
idéalisme « subjectif » ou idéalisme « psychologique ». L'erreur de Kant
serait d'avoir mêlé confusément des analyses relevant de niveaux hétérogè-
nes de la compréhension de la pensée : niveau logique proprement dit, et
niveau psychologique 6.

5. F &Sy p. 197. La traduction de Glauben und Wissen a été modifiée par mes soins, d'après
l'édition critique, Gesammelte Werke , vol. 4, Felix Meiner Verlag, Hamburg, 1968.
6. Cf. par exemple Log. III , p. 52 : « [...] la philosophie kantienne en est restée seulement au
reflet psychologique du concept [...]».

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24 C. COLLIOT-THÉLÈNE

L'interprétation hégélienne de l'imagination transcendant ale 7

A diverses reprises, dans la Logique comme dans Y Encyclopédie, Hegel


souligne l'importance fondamentale tant de la notion de jugement synthéti-
que a priori que de celle d'une aperception transcendantale de la conscienc
de soi. Ainsi, dans le texte introductif à la Doctrine du Concept : « I
appartient aux vues les plus profondes et les plus justes qui se trouvent dans
la Critique de la Raison que l'unité qui constitue l'essence du concept se
trouve connue comme l'unité originairement-synthétique de l'aperception,
comme unité du : Je pense, ou de la conscience de soi » {Log. III , p. 45). Et
quelques pages plus loin dans le même texte, Hegel célèbre « la pensé
hautement importante qu'il y a des jugements synthétiques a priori », en
ajoutant que la synthèse originaire de l'aperception qui fonde la possibilit
de ces jugements est « un des principes les plus profonds pour le développe
ment spéculatif » {Log. III , p. 51). Il est remarquable toutefois que, dans
aucun des deux textes mentionnés, Hegel ne dise rien de l'imagination, ni du
schématisme. Pourquoi ce silence sur un aspect de la Critique de la Raison
Pure qui n'a rien de secondaire, silence étonnant au regard de la connais
sance approfondie de l'œuvre kantienne dont Hegel témoigne en général ?
Il existe pourtant un texte hégélien qui propose une analyse détaillée de
l'imagination productrice : Foi et Savoir , c'est-à-dire un texte de jeunesse,
une fois encore, de deux ans postérieur (1802) à l'essai sur la Différence
(1800), que nous avons pris comme point de départ de cet article. Ce que
Hegel dit de l'imagination productrice dans ce texte explique son silence
ultérieur, confirmant par là l'hypothèse que nous venons de formuler :
l'interprétation hégélienne de Kant était fixée dès les premières années d
siècle, et le programme d'une philosophie radicalement idéaliste cerné dès
cette époque en ses traits essentiels. Or la lecture que fait Hegel de la doctrine
du schématisme a de quoi choquer un kantien orthodoxe : l'imagination
transcendantale, nous dit-il, est chez Kant la même chose que l'identité

7. Sur la lecture que Hegel fait de Kant dans Foi et Savoir , on lira avec profit l'article de
Béatrice Longuenesse, « Hegel, lecteur de Kant sur le jugement », Philosophie , 36, automn
1992, p. 42-70. B. Longuenesse justifie l'assimilation effectuée par Hegel entre l'imaginatio
productrice et l'entendement. Mais il me paraît difficile de la suivre quand elle soutient qu
Hegel identifierait le sujet logique du jugement avec l'immédiat sensible, ou encore qu'il opé
rerait une « coupe transversale » entre deux plans que Kant avait soigneusement distingués
le sensible et le logico-discursif (p. 61), de telle sorte que le jugement ne serait pas chez Hegel
une liaison discursive entre deux concepts, mais un rapport établi entre le sensible particulier e
la catégorie (p. 47). Nous n'approfondissons pas dans le présent article la théorie hégélienne du
jugement. Mais la formule que nous citons plus loin : « En tant que l'on doit connaître, la
comparaison avec l'intuition est déjà décidée et abandonnée » (Log. III , p. 337) signale suffi
samment qu'aux yeux de Hegel la question du rapport entre l'être-là sensible, c'est-à-dire
l'immédiat intuitionné, et la catégorie, n'est pas du ressort de la logique.

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LOGIQUE ET LANGAGE 25

originaire de Vaperception transcendantale. Pou


orthodoxe de cette affirmation, il faut rappele
l'imagination transcendantale chez Kant. Elle es
de la déduction transcendantale, comme faculté
tion et l'entendement. Le mécanisme du schématis
médiation entre les concepts purs de l'entendemen
sensible, est étudié plus en détail dans le prem
transcendantale du jugement ». Le problème,
comprendre ce qui permet l'application du
(aveugle), application sans laquelle, au dire
d'objet serait impossible. Le problème ne se po
concepts empiriques, tirés des phénomènes, e
ment homogènes au donné intuitif dont ils son
plus pour les concepts mathématiques, qui peuv
truits dans l'intuition pure. Il en va différem
l'entendement : la causalité, la possibilité, la néces
dans les phénomènes. La subsomption du donn
le concept (ou, ce qui est la même chose, V
contenu de la sensibilité) exige donc un terme tier
intuitif et concept pur. Ce terme tiers, qui doit ê
sensible, est ce que Kant nomme le schème tra
attribue le pouvoir de schématiser à l'imaginat
souligne que le schème n'est pas une image, ma
mettre en relation une image avec un concept,
concept in concreto , c'est-à-dire dans l'intuit
laquelle Kant s'arrête pour lever la difficulté de ce
puisqu'elle doit être à la fois intellectuelle et
dit-il, est une règle permettant la construction de
tion du sens interne (le temps), il est un procédé
monogramme de l'imagination pure a priori,
lequel les images sont tout d'abord possibles » (
En soutenant que l'imagination est la même c
naire de l'aperception transcendantale, Hegel n
l'avoir affrontée, la difficulté que Kant cherch
chapitre de la doctrine trancendantale du jugem
des raisons sérieuses à cette apparente néglige
question que Kant soulève en ce lieu ne peut app
problème. Nous touchons là au noyau de la dif
« subjectif » de Kant et l'idéalisme absolu. La né

8. Cf. CRPure , p. 151 : « Cette représentation interméd


élément empirique) et cependant il faut qu'elle soit, d'un
sensible. »

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26 C. COLLIOT-THÉLÈNE

intermédiaire entre concept et intuition, selon K


d'une « présentation in concreto », un concept n'aur
Certes, Kant avait bien soutenu que la nécessité d
pour fondement une condition transcendantale, c
cement du sens de « l'objectivité » pour laquelle H
s'est néanmoins obstiné à considérer que, sans r
catégorie ne pouvait avoir de réalité objective o
qu'une connaissance puisse avoir une réalité obje
dans la Critique de la Raison Pure , c'est-à-dire se
trouver sa signification et sa valeur, il faut que l
quelque façon. » (ibid., p. 160) Et encore, dans le
distinction entre phénomènes et noumènes : « Qu
la représentation de l'objet dont s'occupe cet
mathématique] soient produits tout à fait a p
signifieraient pourtant absolument rien, si nous ne
montrer la signification dans des phénomènes (da
Aussi est-il indispensable de rendre sensible un conc
de montrer dans l'intuition un objet qui lui corre
le concept n'aurait, comme on dit, aucun sens [
signification [Bedeutung] » (ibid., p. 218).
Or Hegel se refuse précisément à faire d'un pos
un contenu intuitif la condition de la significatio
tenté de résumer le noyau de son objection en di
signification d'un concept est distincte de celle d
différence d'avec Kant se réduirait alors à un sim
logie. Mais ce serait oublier la refonte que Hegel fait
terminologie philosophique de son temps, affecté
empiriste tenace. La « réalité objective » d'un co
plus, selon lui, de sa possible représentation sen
note-t-il à une occasion, est ambigu parce qu'il
qualifier quelque chose de réel revient communémen
vrai ou objectif. A l'inverse, quand on affirme
« subjectif ») que la réalité fait défaut au concept, o
pas la réalité pleine et entière, puisque l'objectivi
Dans l'optique de Hegel, l'identification de la réal
tion empirique est « l'erreur devenue opinion uni
nes », et il dira sans ambage dans la Logique que
fication est la condition du philosopher 9.

9. Cette modification du sens du terme réalité est directeme


Y abstraction du concept. Cf. sur ce point l'introduction à la D
en général »), Log. III , p. 49-50 : « Ce n'est véritablement pas
et la représentation qui peut se trouver valorisé comme le réel

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LOGIQUE ET LANGAGE 27

Comment « représenter les concepts purs in con


et c'est à cette question que la doctrine du schéma
ter une solution. Du point de vue de Hegel,
suspendre la signification des catégories à l
contenu intuitif, la question est dépourvue de
entre idéalisme psychologique et idéalisme abso
sition entre une conception référentielle et une c
sive de la signification du concept. « En tant
comparaison avec l'intuition est déjà décidée et
dans le deuxième chapitre de la dernière sectio
(« L'Idée du connaître ») {Log. III , p. 337) : en d
du rapport à l'intuition est déjà tranchée quand
du concept pur (c'est-à-dire au point de départ de
duit de la Phénoménologie ), a fortiori quand o
de la Logique , la « logique subjective », puisque
l'on vise représentativement l'être-là empiriqu
leur Nichtigkeit , c'est-à-dire de leur manque
de Y application du concept au donné de la sens
à ce niveau, qu'une question psychologique, ét
concepts, le seul dont la philosophie ait à rend
Hegel qualifie l'idéalisme kantien d'idéalisme « p
à l'intérieur d'une œuvre qui en son intention
logique (ce que montre sa caractérisation prem
dantale : une logique qui contiendrait les règles
des considérations qui n'ont leur place que dans
ment, dans l'œuvre de maturité, c'est dans la Ps
qu'il sera traité des relations entre intuition, im

qu'un concept " a-t-on coutume de dire quand on oppose c


excellent que le concept non seulement l'idée, mais l'êt
temporel [...]. L'abstraire, dans cette opinion, a la significa
pour notre usage subjectif, l'une ou l'autre caractéristique se
tomber bien d'autres propriétés et dispositions de l'objet, rie
concerne leur valeur et leur dignité ; mais elles se trouvent l
l'autre côté, au-delà, comme quelque chose d'encore toujours
que ce serait seulement l'impuissance de l'entendement de ne
de devoir se contenter de l'abstraction indigente. Quand don
et le divers de la représentation se trouve être pris comm
concept, c'est là une vue dont l'abandon n'est pas seulemen
trouve déjà présupposé par la religion. »
10. Cf. Log. III , p. 50 : « Quant à la philosophie, elle donne
ce qu'il en est de la réalité de l'être sensible, et avance com
niveaux du sentiment et de l'intuition, de la conscience sens
son devenir, elles sont ses conditions, mais de telle manière
leur fondement, à partir de leur dialectique et de leur inanit
serait conditionné par leur réalité. »

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28 C. COLLIOT-THÉLÈNE

Dans cette Psychologie , pourtant, Kant n'est p


tionné, et c'est probablement la raison pour laquelle
du système a été souvent négligée par les commenta
lire à travers les lignes la critique de Kant qui y
ment à travers le sort réservé à la question de la
arriver là, quelques mots encore sur Foi et Savo
encore tiré tout le parti possible. Les infractions
Critique de la Raison Pure ne se limitent pas en e
née. Hegel dit aussi que dans la déduction transc
définitive que les formes de l'intuition et les struct
pas séparées les unes des autres , comme si elles
facultés particulières distinctes 11 . On trouvera
plus tard dans les passages bien connus où Hegel c
de l'esprit comme une juxtaposition ou un agrégat d
indépendantes, analogues aux forces de la physiqu
y ait des différenciations dans les activités de l'espr
selon lui à réifier ces différentes modalités de fo
différents entre lesquels le rapport doit être res
qu'il paraît toujours une relation contingente.
Formes de l'intuition sensible et structures int
ment ne sont pas séparées. Comment pareille affi
Précisément, si l'on suit Hegel, en vertu de l'activ
gination productrice qui est à l'œuvre aussi bien
que dans la compréhension réfléchie de cette int
Hegel fait ici référence au paragraphe 24 de la secon
de la Raison Pure , qui traite de la synthèse figu
latine citée par Kant, synthesis speciosa. La synthèse
sensible, confesse Kant dans ce paragraphe, e
synthèse transcendantale de l'imagination : il ne
d'objet, même pré-conceptuelle, qu'en vertu d'un
gination transcendantale. C'est pourquoi Kant p
tion, puisqu'elle est ce qui fournit une intuition
certes à la sensibilité, faculté réceptive, comme l
synthèse qu'elle effectue est une fonction de la

11. Cf. F&S, p. 106 : « [...] les formes kantiennes de l'intuitio


se trouvent pas les unes en dehors des autres comme des facult
de se les représenter ».
12. Cf. Enc. III, § 445, p. 241 : « Une forme de la réflexion en
facultés de l'âme, de l'intelligence ou de l'esprit. La faculté est
fixée d'un contenu, représentée comme réflexion-en-soi. [...] Qu
on emploie l'expression : activités, cela ne fait absolument a
activités, on fait de même de l'esprit seulement un agrégat, et l
une relation extérieure, contingente. »

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LOGIQUE ET LANGAGE 29

quent de l'entendement. Plus précisément : la


l'imagination est un « effet de l'entendement s
p. 130). Hegel prend prétexte de ce passage, qui tr
dans les analyses kantiennes (car comment con
pure réceptivité, si elle est toujours déjà info
manifeste l'effet des catégories de l'entendement
dre au sens fort le caractère originaire de l'uni
tion transcendantale. Et c'est au nom de cette
terme synthèse, lequel évoque une opposition prem
ne seraient réunis que dans une seconde étape
l'ordre logique, nous n'avons en vérité que l'ide
laquelle seulement se constitue l'opposition du
identité, contenue dans la notion kantienne d
l'aperception, est l'identité de la pensée et de l
Arrivé si près du but, pourtant, Kant retombe
visme : en pensant l'identité originaire comm
opération du sujet, en sorte que le monde, qui l
« quelque chose de non-lié, quelque chose qui se
qui n'acquiert une connexion objective, un app
multiplicité et même une effectivité et une possib
de l'homme qui se comprend lui-même » 13.
On trouve un compte rendu et une critique d
de la doctrine kantienne de l'imagination dan
laygue, Leçons de métaphysique allemande , II.
comme plus tard Heidegger (mais pour parven
opposés) fait de l'imagination la source cachée d
pouvoir récuser cette interprétation en citant K
tion [...] relativement à la synthèse transcend
l'entendement pur. » 14 Ce qui signifierait, selon
l'imagination n'est rendu possible que par les r
lui sont donc antérieures logiquement : l'imag
uniquement médiatrice. Il est difficile pourtant
hégélienne soit par là effectivement réfutée. C
Hegel refuse principiellement la décomposition
rées, en sorte que la connaissance serait le rés
L'antériorité logique que Rivelaygue prête à l'en
glisser vers une antériorité chronologique s
représentation du fonctionnement de la connais
que l'activité synthétique de l'imagination prod
thèse figurée) soit sous-tendue par la fonction

13. F&S , p. 109 (traduction modifiée).


14. Jacques Rivelaygue, Leçons de métaphysique allema

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30 C. COLLIOT-THÉLÈNE

les catégories sont l'expression. Seul l'entendem


catégories sous leur forme pure. Mais il n'est nu
synthèse soient explicitées pour qu'elles agissen
synthèse (les catégories) sont les règles de V entend
ambigu. Si l'on entend par là que c'est l'entendem
exact, mais quasiment tautologique. Mais si l'on ve
doit les avoir énoncées pour qu'elles puissent êtr
possible une représentation d'objet, cela est contr
texte de Kant : la liaison, dont Kant dit qu'el
l'entendement, est déjà effective dans l'appréhe
reproduction par l'imagination. C'est pourquoi He
et Savoir , que l'entendement nest qu'un autr
productrice : « [...] cette imagination productrice
que dans la mesure où les catégories sont posées e
minées de l'imagination qui éprouve [der erfahre
sous la forme de l'infini, et sont fixées comme
qu'éclaire, s'il en est besoin, une remarque faite
à propos de l'idée d'un entendement intuitif : cet
rien d'autre que l'idée même de l'imagination tra
temps son unité intérieure n'est pas autre chose
ment lui-même, la catégorie immergée dans l'ex
entendement et catégorie que dans la mesure où
sion ; l'imagination transcendantale est donc elle-
tionnant » (F&S, p. 121). Et encore (ibid.) : lorsqu
intuitive, « son unité intérieure n'est nullemen
l'entendement lui-même, la catégorie plongée dan
entendement et catégorie que dans la mesure où les
tant que formes déterminées de l'imagination [.
concept » 16. En d'autres termes : les catégories
règles qui leur correspondent, sont bien ce qui co
à-dire ce qui donne unité à l'expérience. Mais av
déterminée que leur donne l'entendement, elles
aveugle, dans l'appréhension intuitive et représen
dire qu'elles organisent depuis toujours jusqu'aux
taires de l'expérience. Ce que Kant, d'ailleurs, rec
en général est, comme nous le verrons plus tard,
nation, c'est-à-dire une fonction de l'âme, aveugle
laquelle nous ne pourrions jamais et nulle part av
mais dont n'avons que très rarement conscience.
synthèse à des concepts est une fonction qui appa

15. F&S , p. 108. Traduction modifiée.


16. Traduction modifiée.

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LOGIQUE ET LANGAGE 31

par laquelle il nous procure tout d'abord la conn


du mot. » 17

L'ubiquité du logique

Cette présence implicite des catégories dans t


rience, théoriques aussi bien que pratiques, ou enc
au sensible , est la thèse centrale de l'idéalis
formulée de manière particulièrement claire da
1831, le dernier texte rédigé par Hegel avant
nommer le « sens », Hegel le désigne sous l'
l'élément logique ou le logique, comme l'on vo
depuis toujours les modalités apparemment les p
réfléchies du rapport de l'homme au monde : l
représentation, etc. Les catégories que pose la L
les structures d'une intelligibilité qui transit to
monde de l'homme. Je me permets de citer assez l
la traduction française est difficile d'accès 18. On
dévolu ici à la langue :

Les formes de la pensée sont d'abord exhibées et


l'homme. On ne peut de nos jours rappeler suffi
l'homme se distingue de l'animal est le penser [da
devient [pour l'homme] un intérieur, une représent
qu'il fait sien, la langue a pénétré, et ce qu'il élève à
contient, enveloppée, mélangée ou élaborée, une caté
naturel, ou plutôt il est sa nature propre elle-même
L'activité du penser qui traverse pour nous toutes
buts, tous les intérêts et toutes les actions s'exer
inconsciente (la logique naturelle). [...] Porter à la
logique qui anime l'esprit, qui travaille et agit en l
instinctif se distingue du faire intelligent et libre e
se produit avec conscience. Quand le contenu de cela
immédiate avec le sujet et porté à l'objectivité dev
liberté de l'esprit, esprit qui, dans l'action instin
manière instinctive d'agir de la pensée : in dem
Denkens ], embarrassé dans les liens de ses catég

17. Critique de la Raison Pure , Analytique transcendan


Akademische Textausgabe , p. 91. Une correction manuscr
l'entendement » à « le simple effet de l'imagination », ce qui
de Kant en ce qui concerne les relations entre entendement
18. Ce texte publié en général avec le premier volume (
dans sa version corrigée de 1831 ne figure pas dans la tra
Gwendoline Jarczyk (cf. supra, note 1). Je donne ici ma pro

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32 C. COLLIOT' THÈLÈNE

matière infiniment multiple. Dans ce réseau se créen


solides qui sont les points de départ et d'orientation de
Ils doivent leur solidité et leur force précisément au f
étant en et pour soi de son essentialité. Le point le plu
de l'esprit est le rapport non seulement de ce qu'il
effectivement , mais de ce que en tant que quoi il se sa
lement conscience, ce savoir de soi est une détermin
effectivité. Ces catégories n'agissent que de manièr
pulsions [Triebe], et elles ne sont tout d'abord portée
qu'isolément, et par là de façon instable et confuse, et
effectivité isolée et incertaine. Les purifier et élever
liberté et à la vérité, voilà donc la tâche logique supéri

Ce que dit ce texte est l'ubiquité du logique dan


du rapport de l'homme au monde, en sorte qu'il
question, à strictement parler, d'un tel « rapport »,
vénient de prêter au monde un être indépendant. La
comme logique spéculative, est d'expliciter cette n
est la présentation du système des catégories sous
dire dans l'élément de la pensée pure, qui n'est cer
ces catégories ont effectivité, mais celui où elles s
déterminations de la pensée. La liberté de l'esprit ne
la reconnaissance de cette nature logique de l'homme
de l'animal parce qu'il est un être qui pense, et il est
qu'il est un être qui parle. La langue est ce qui tra
drängt ) toute expérience humaine, même celles q
énoncé langagier, qui ne sont pourtant expérien
qu'elles sont virtuellement susceptibles d'un tel
langagière est un acte par lequel l'homme ne repr
allons voir combien la théorie « linguistique » qui
lative est loin de la thèse du reflet), mais se l'approp
une expression que l'on retrouve fréquemment s
quand il traite de la connaissance. Que la pensée so
du donné, par lequel celui-ci est posé dans la s
laquelle la question de la vérité puisse être soulev
lu dans la thèse kantienne de l'unité synthétique
tion 19. La compréhension des choses et du monde
dans un rapport entre notre pensée et l'immédiateté
être question de compréhension (plus ou moins él
partir du moment où l'immédiateté naturelle a été t
la langue, dans cet élément non naturel que Hegel

19. Cf. les commentaires de Hegel à ce propos dans le texte


Concept.

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LOGIQUE ET LANGAGE 33

logique constitue le principe dynamique. L'erreu


à l'empirisme (qui justifie de les réunir dans u
pensée par rapport à l'objectivité », comme le fait
Y Encyclopédie) réside dans une incompréhensi
est exact que la pensée, en tant qu'elle est con
l'intuition ou de la perception empirique (croir
revient à l'accuser de démence), mais - c'est le p
que ce contenu reçu de l'intuition ou de la perc
autre que ce qu'il est dans l'intuition ou la perc
de son immédiateté première le contenu qu'elle tr
en tant que ce contenu est pensé qu'il peut être
der qu'un contenu sensible vienne s'ajouter au
réalité, c'est oublier que pour la pensée concept
quelque chose qu'elle a derrière elle, et assum
connaître, la comparaison avec l'intuition est d
l'acte de la pensée, le concevoir, ôte au conten
intuitif (la richesse prétendue, et pourtant indicib
la Phénoménologie , la conscience sensible), et
récusation de la thèse selon laquelle le sensible
l'acception ordinaire du terme. Et c'est pourqu
remarque sur l'idéalisme, déjà mentionnée, qu
véritable idéaliste, car « en lui, dans la mesure où
plus encore, où il pense et conçoit, le contenu ne
ce que l'on appelle l'être-là réel » ( WL /, p. 146
C'est précisément parce que le logique imprèg
instinctive, c'est-à-dire inconsciente et aveugle, to
toutes les activités humaines, qu'il est superfl
complexe pour appliquer les catégories à l'intuit
besoin d'être appliquées puisqu'elles organisent
formes pré-réflexives de l'expérience. Où l'on
Hegel peut à la fois célébrer l'unité originairemen
tion comme l'élément proprement spéculatif
laisser complètement de côté la problématique
originairement synthétique de l'aperception est
de l'objectivité et de la subjectivité. Mais l'expressi
que j'ai appelé l'ubiquité du logique en laissant
l'intuition pourrait être considéré indépendamm
les catégories.

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34 C. COLLIOT-THÉLÈNE

LA THÉORIE « LINGUISTIQUE » HÉGÉLIENN

Il nous faut bien en arriver enfin à cette Psyc


déjà dit par anticipation qu'elle était le seul texte d
où Hegel traitait de la synthèse pour elle-mêm
l'usage du terme, comme il le fait ailleurs). Ce te
la Philosophie de V esprit subjectifs I, Esprit su
L'esprit théorique. On trouve une présentation
cette section dans la remarque du paragraphe 20
doctrine de 1'« esprit théorique » expose le proc
modalité la plus immédiate, l'intuition, jusqu
l'esprit (l'intelligence) se déploie dans son élém
encore : le procès par lequel l'esprit passe d'u
apparaît encore totalement immergé dans les co
sible (l'intuition) jusqu'à la libre détermination
procès est décrit comme une libération de l'espr
une connaissance de soi. Au terme de ce procès,
pensé est ; et que ce qui est n'est que dans la mesur
465, Enc. III , p. 265), formule dans laquelle l'on
concept de la raison.
Rappelons pour la commodité le plan de cette s

Division de la psychologie :

a) l'esprit théorique - § 445


aa) l'intuition -§ 446
bb) la représentation - § 451
- le rappel à soi par intériorisation {Erinneru
- l'imagination {Einbildungskraft) - § 455
- la mémoire {Gedächtnis) - § 461
cc) la pensée {das Denken) - §465

Et encore, divisions à l'intérieur de l'imaginat

aa) l'imagination reproductrice (§ 455) ;


bb) l'activité de l'imaginaire {Phantasie), imagin
gorisante ou créant des fictions (§ 456) ;
cc) l'activité de l'imaginaire créant des signes {Z
sie) (§457).

20. Enc. /, p. 285-288.

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LOGIQUE ET LANGAGE 35

Le mouvement de l'esprit théorique se déploie d


qui sont : 1) l'intuition, c'est-à-dire un mod
entièrement déterminé par l'extériorité sensible,
hégélienne dans Foi et Savoir , « perdu dans la
c'est-à-dire la libre détermination de soi par soi
La représentation est le terme médian entre
immédiat de l'intelligence » (l'intuition) et l'in
entre un mode de l'esprit où il apparaît affecté pa
tion de son identité avec l'être (§ 451, Enc. III ,
médian que s'effectue la réduction de la forme
souligne les différentes étapes.

- La représentation est l'étape qui vient imm


tion, dont elle hérite une matière, qu'elle tro
forme. En sorte que l'activité de l'intelligence
encore affectée de cette différence [entre subje
productions sont en elles encore des synthèses
la pensée l'immanence concrète du concept » (§
- La représentation commence à se détacher
devient souvenir, intériorisation, appropriatio
images qui ne sont plus tributaires, pour leur actu
l'intuitionné.

- Lorsque cette capacité d'actualisation de l'image devient indépen-


dante des coordonnées spatio-temporelles dans lesquelles l'objet représenté
nous fut tout d'abord donné, le souvenir devient imagination reproduc-
trice.

- L'étape suivante est celle de 1'« activité de l'imaginaire », en allemand


Phantasie , imagination symbolisante, allégorique ou créant des fictions.
L'imagination joue librement avec ce contenu originairement issu de l'intui-
tion, mais qu'elle possède désormais sous une forme affranchie des condi-
tions concrètes dans lesquelles il nous fut tout d'abord donné. Les produits
de l'imagination symbolisante « sont encore des synthèses », souligne Hegel,
car « le matériau dans lequel la teneur subjective donne un être-là à la
représentation, provient du donné de l'intuition » (§ 456).
- Ce caractère synthétique de l'activité de l'imagination disparaît avec
sa troisième forme, l'imagination productrice de signes (Zeichen machende
Phantasie). En produisant des signes (et le signe par excellence chez Hegel
est le signe linguistique, le mot), l'imagination se libère de l'image, c'est-à-
dire de ce par quoi elle restait encore tributaire de l'immédiateté sensible.
C'est parce que le son est un être-là que l'esprit peut façonner à sa guise, en
toute liberté à l'égard de l'intuition première, qu'il est l'être-là qui convient
à l'expression libre de l'intelligence. Le mot affranchit la pensée de l'image,

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36 C. COLLIOT-THÉLÈNE

et c'est là ce qui fait sa grandeur : « En tant que la r


libérée du contenu de l'image a fait d'elle-même, dan
arbitrairement choisi par elle, quelque chose d'in
ce que l'on a - en le distinguant de façon déterminée
un signe. Il faut considérer le signe comme quelq
l'intelligence a signifié [ bezeichnet ] quelque chos
contenu de l'intuition et a donné pour âme au matér
lui est étrangère » (§ 457, add., Ene . /77, p. 559).

Il faut souligner le rapport curieux que l'intelli


sensible. Le signe (dont le prototype est pour Hegel
donné intuitif. Mais le son est une intuition réduite
être-là sensible qui n'a rien de spatial, mais est ex
son est le seul type de sensible qui se prête aux ex
la pensée libre. Ce qui signifie que l'affirmation
passe pas par le refus de l'expression (dans l'add
Hegel réitère sa condamnation de l'ineffable, et
propos de Mesmer, ceux qui prétendent penser sa
priation et la domination du sensible qui médiatis
ce qui permet la présence du sens ou de l'esprit :
elle-même. Et c'est 1'« arbitraire du signe », c'est
néité entre signifiant et signifié, qui permet cette
L'usage de la langue est parfait (au regard des exi
signifiant ne retient plus l'attention, quand il se fai
tion du sens. Il faut lire dans cette perspective l
accomplit la prouesse qui consiste à déduire la dét
que du signe (le fait que le signe par excellence
parole) de sa détermination spéculative : « L'intu
immédiatement tout d'abord quelque chose de do
dans la mesure où elle est employée comme un
essentielle d'être seulement comme intuition sup
cette négativité qui est la sienne ; ainsi la figure plu
est un signe, est un être-là dans le temps - le fait, po
en étant [ein Verschwinden des Daseins , indem es i
minité extérieure ultérieure, psychique, de cet
l'intelligence issu de sa naturalité propre (anthro
riorisation accomplie de l'intériorité qui se fait c
au passage le lien étroit que Hegel établit entre la dé
et la détermination du temps. Le mot est certe
réduit à la dimension du temps : non pas d'un tem
temps du monde dans lequel « tomberait » l'esp
lecture heideggérienne, mais dans un temps qui est

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LOGIQUE ET LANGAGE 37

cet étant qui disparaît en étant. Au paragraphe 25


de la Philosophie de la Nature ), Hegel disait du
non-sensible, le devenir intuitionné (non pas ce da
mais leur passage même), « l'être qui, dans la m
dans la mesure où il n'est pas, est », formule quas
utilise au paragraphe 459 pour caractériser le sign
de disparaître en étant » 21 .
L'expression linguistique transpose tous le
humaine sur le plan de l'être-là spirituel, et c'e
que l'homme s'avère ce qu'il est, un être qui pen
du sensible. La langue est le moment cardinal d
qui est l'œuvre de l'esprit. Mais il faut insister : l
sans s'en détourner. Dans cette théorie hégélienne
double dimension de l'élévation du sensible au s
moi dans un être-là sensible qui lui est propre. Il
encore du sensible : la pensée, le Moi, serait un
refusait l'expression, c'est-à-dire l'extériorisation
par Hegel du fantasme d'une pensée muette, et
en vertu de ce mutisme. La pensée doit mont
extériorisation, mais cette extériorisation est trav
travail sur le sensible, et assujettissement du sens
modelé par l'esprit est précisément le signe, le
rien de spatial, une extériorité qui porte « l'empre
rité » (§ 462, add., Ene. III , p. 560). Tenir ens
intériorisation du sensible et extériorisation de
tous ces développements sur le signe, et l'on m
l'on ne retient que l'un des ces aspects au détrim
exigence commande notamment le privilège du

21. L'interprétation heideggérienne du concept hégélien d


veut y voir l'élaboration conceptuelle la plus radicale de la
caractérisée par l'intratemporalité (le fait que temps serait u
et passerait) et par le privilège du maintenant, du présent. Sur
(pour une critique détaillée de l'interprétation par Heideg
temps, cf. Denise Souche-Dagues, « Une exégèse heideggér
le paragraphe 82 de 4 Sein und, Zeiť », Revue de Métaphysiq
in Recherches hégéliennes , Vrin, 1994). Sur le premier, l
inacceptable. Dans les paragraphes de la Philosophie de
quelques passages, Hegel dit explicitement, contre la formul
passe « dans le temps », que « ce n'est pas dans le temps qu
lui-même est ce devenir, ce naître et ce passer [...] » (§ 258).
mais le signe linguistique est le prototype d'une médiation s
ligible (intériorité) qui s'abolit d'elle-même, et permet la p
par cette abolition de soi qui n'est pas un retrait. Une tell
temporelle.

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38 C. COLLIOT-THÉLÈNE

Mais il faut ajouter qu'avec la détermination spécu


matérielles nécessaires de l'expression de la pensé
terme de la théorie de l'esprit théorique : les cara
spécifiques du signe oral ne sont pas suffisants p
d'une aliénation de la pensée dans cette extériorit
extériorisation comporte un risque d'aliénation, c
la pensée peut se pétrifier dans 1'« espace de la
l'exemple de la mémoire mécanique.
Avant d'aborder cette dernière étape, la plus di
l'ensemble de 1'« esprit théorique », il faut s'attar
théorie hégélienne du signe par rapport au problème
logie. L'interprétation spéculative du signe perme
toute théorie du signe-reflet, mais aussi toute qu
entre signifiant linguistique et signifié, a fortiori e
rent. Réduite à la dimension temporelle, l'intuit
la consistance propre du référent disparaît dans
signification. Le mot ne vient pas dupliquer le conte
être-là supérieur à l'être-là immédiat vient s'y su
n'est pas une image affaiblie, il est ce qui perme
d'image 22. Cette dévalorisation de l'image est un
pensée spéculative : elle intervient au principe du
sur la valeur comparée des types d'écriture (hiér
que), elle commande la hiérarchie des arts dans le
elle détermine enfin sa position à l'égard des pen

Conceptions relatives à l'écriture (§ 4

L'interprétation hégélienne de la nature du si


d'avec le symbole, fonde le jugement qu'il porte s
que ou idéographique, considérée comme inférieu
que, et indice selon lui d'un retard culturel des
(ainsi la Chine). Et c'est avec le même argument
leibnizien d'une caractéristique universelle, insp
hiéroglyphique. Dans le cas d'une écriture hiérogl
de la caractéristique universelle, on demande en
reproduire un complexe de représentations part
représentation globale que le signe doit désigner :
ner comme une définition empirique. Or, rétorque H
véritable, le mot, est d'exprimer l'unité d'une repré

22. Cf. sur ce point les remarquables analyses de Gérard


concept , Gallimard, 1972, notamment le chap. V : « Les ruses

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LOGIQUE ET LANGAGE 39

à la composition de plusieurs. L'unité du sens


l'image parce qu'elle n'est pas une composition :
pour la représentation proprement dite, c'est-à
ses déterminations et non composée à partir de
p. 258). C'est précisément parce que le nom n'es
en une pluralité qu'il satisfait aux besoins de la
le contenu d'une représentation, elle « est pour l'e
Avec le nom, je tiens la chose, immédiatement
telle qu'elle est présente et a validité dans le roy
(§ 462, Enc . 777, p. 260). Le défaut de l'écriture
projet leibnizien, consiste à rendre ou à vouloir
qu'est l'écriture la capacité d'évoquer l'image, al
est au contraire de rendre cette évocation supe
" lion ", nous n'avons besoin ni de l'intuition d
son image, mais le nom, en tant que nous le com
tion simple, sans image. C'est dans le nom que
p. 262).

Son esthétique

Hegel détermine le signe par opposition au symbole, en insistant sur ce


que Saussure appellera 1'« arbitraire du signe », c'est-à-dire l'absence de lien
entre la matérialité du signe et le contenu qu'il représente (le signifiant et le
signifié). Dans le cas du signe exemplaire qu'est le signe linguistique,
l'hétérogénéité du signifiant et du signifié est totale, et c'est en cela qu'il se
distingue du symbole : celui-ci en effet garde toujours quelque lien analogi-
que avec le signifié. Signe et symbole sont bien sûr l'un et l'autre des modes
d'expression, et tous les modes d'expression ont en commun de renvoyer à
un contenu différent de l'expression elle-même dans sa matérialité intuitive.
Dans le cas du symbole pourtant, le lien entre signifiant et signifié n'est pas
arbitraire : la matière du symbole inclut parmi ses déterminations celle qui
est son contenu quand elle fonctionne comme symbole. Le lion est symbole
de magnanimité, le renard de la ruse, le cercle de l'éternité, etc. Hegel
souligne que, malgré le lien entre signifiant et signifié (forme et contenu),
l'écart entre l'un et l'autre doit demeurer, faute de quoi on serait en présence
de la chose même : l'existant sensible intuitionné doit avoir d'autres déter-
minations que celle par laquelle il fonctionne comme symbole, et pour cette
raison, il est nécessairement équivoque. Le symbole appelle une interpréta-
tion, et en cela réside son insuffisance par rapport au signe proprement dit.
Dans le cas de ce dernier, la scission est totale entre signifiant et signifié, ils
n'ont rien de commun, forme et contenu sont parfaitement étrangers l'un à

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40 C. COLLIOT- THÈLÈNE

l'autre. C'est précisément cette absence totale de


entre signifiant et signifié qui fait du signe linguisti
de toute forme d'expression : l'esprit affirme sa pl
tion sensible, c'est-à-dire sa liberté à l'égard de cell
Ce rapport entre symbole et signe, et plus profo
l'émancipation par rapport au sensible qui s'accom
visuel à l'audible, est au principe de la hiérarchie de
dans l'Introduction aux Leçons sur V esthétique : un
dans la musique et la poésie. Les arts dont la matiè
sur les arts impliquant la vue : la musique est supérieu
peinture. Les arguments qui étayent cette hiérarch
empruntés à la théorie du signe telle qu'exposée dan
est un sensible épuré de la spatialité, une matière
abstraite devient l'audibilité abstraite ; la dialectiq
développe pour aboutir au temps, à ce sensible égal
sans y être, et, dans son non-être, engendre déjà son ê
ainsi et s'engendrant sans cesse » 23. Et encore : «
sente l'idéalité du matériel ; en tant que frémisse
matériel, il est un élément idéal, bien fait pour la m
(ibid., p. 128) Mais le son musical n'est pas le son a
est déjà effectuée la spiritualisation de la matière,
sensible, mais le son n'exprime encore que le sent
retient encore l'attention, il ne s'efface pas devant la
se dit pas. Le son ne peut exprimer l'intelligence d
qu'en devenant le son articulé du langage naturel : un
l'attention par sa détermination immédiate. D'où l
sur la musique : « La poésie est l'art le plus généra
celui qui a réussi à l'élever à la plus haute spirituali
est libre en soi, il s'est séparé des matériaux sens
signes destinés à l'exprimer » ( ibid ., p. 128).

Sa position à l'égard des penseurs mystiq

Il ne s'agit ici que de quelques indications, qu'il


tenant compte des différences que Hegel établit
concernés. Ce qui nous intéresse ici est exclusivement
dont Hegel conçoit le rapport entre pensée spécula
côté, son concept du signe et de la langue de l'autre. H
écrits de certains auteurs mystiques (Jacob Böhme
anticipation du spéculatif. Le reproche fondam

23. Esthétique , trad. S. Jankélévitch, vol. I, Flammarion, 1979

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LOGIQUE ET LANGAGE 41

concerne leur manière de l'exprimer, c'est-à-dire l


spéculative du signe, on l'a vu, est la négativit
exténué, débarrassé de la spatialité, et par cons
les penseurs mystiques s'efforcent au contraire
langage imagé.
Le texte le plus clair relatif au rapport entre
est probablement l'addition au paragraphe 82 de
phe 82 lui-même est le dernier des trois paragraph
Concept préliminaire , Hegel distingue les trois
à-dire ces trois moments qui sont présents, ma
dans tout concept). Soit : a) le côté abstrait , relev
moment dialectique du dépassement de ces dét
passage dans leur opposé ; c) le moment propr
encore Hegel, positif-rationnel , dans lequel se
c'est-à-dire le résultat positif de la négation di
resse ici est le fait que, dans l'addition au parag
mystique, justement compris, au spéculatif : «
tion du spéculatif, [...] on peut entendre par là la
avait coutume, surtout en rapport avec la co
contenu, de désigner comme mystique ». Et
rationnel [...] peut être désigné comme mystiq
Assimilation étonnante. Car Hegel refuse de célébr
de son caractère mystérieux, et des profondeur
évoquerait. Il est en effet hostile à toute positi
religieuse, qui fait du Vrai quelque chose d'inacc
née. C'est cet idéal d'intelligibilité qui lui fait r
cours prophétique », dans les formules célèbres
nologie (qui visent probablement Schleiermach
même qu'il existe une largeur vide, il y a aussi
force de l'esprit n'est pas plus grande que sa m
profondeur ne va pas au-delà du point où il acce
et de se perdre dans son déploiement » (. Phéno .,
prétendue profondeur des pensées qui se comp
obscurité se retrouve dans le jugement qu'il p
Philosophie sur la postérité de Pythagore : « P
troubles, plus elles paraissent profondes [tiefsi
l'on fait l'économie du plus essentiel, mais du p
des concepts déterminés. » Néanmoins, Hegel n
tique à cette pseudo-profondeur du discours pro
à courte vue que peut en faire, à l'occasion,
Lumières, Hegel valorise les intuitions de la p
s'exprime un concept de la raison supérieur à la

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42 C. COLLIOT-THÈLÈNE

et c'est pourquoi l'entendement ne peut les co


nomme mystique ce qu'il ne peut concevoir, m
inconcevable. Ce sont ses propres limites que l
mystère, alors que la pensée mystique, lorsqu'el
en vérité pensée concrète, c'est-à-dire qu'elle vis
que l'entendement s'obstine à séparer et oppose
On peut lire dans cette remarque une auto-cr
années 1798-1800 (publiés par H. Nohl en 1907 s
giques de jeunesse) , Hegel opposait à la langue
« réaliste » et déclarée constitutivement incap
d'une autre langue en laquelle pourrait s'exprimer
monde. Cette relation, écrivait-il, ne doit être
relation vivante, et dont les rapports entre les ter
que de manière mystique » 24 . Cette quête d'une a
la langue conceptuelle, allait de pair avec une su
phie à la religion : dans le Systemfragment de
l'absolu ne peut être saisi par la philosophie, p
(conceptuelle), et que de ce fait la philosophie
place à la religion. A suivre ces indications, la tâch
se limiter à reconnaître sa propre finitude, reco
le véritable infini que la philosophie pose elle-m
champ de compétence. On devine, après tout c
pensée de Hegel dans les textes de maturité est
qu'il semble avoir d'ailleurs très vite abandonn
dence, identifiait la pensée conceptuelle en gén
dement, c'est-à-dire les modes discursifs propre
c'est pourquoi il concluait à l'incapacité de la pe
sophie) à saisir l'absolu. Le spéculatif du parag
est bien cet absolu que le jeune Hegel croyait n
« langage mystique », mais cet absolu s'énonce
conceptuelle, une fois réveillée en celle-ci la né
cette négativité, c'est-à-dire la puissance spécula
conceptuel lui-même, est mise en évidence et co
langue figurative des penseurs mystiques appa
barbare de s'exprimer. On peut voir dans le fr
aphorismes de léna 25 une prise de conscience d
autre langue. Hegel y singe la manière de s'exp
émules, et conclut brutalement cette parodi
mythes, de telles intuitions, sont les intuitions

24. L'esprit du christianisme et son destin , trad, de Fr


Paris, 1992, p. 119.
25. Notes et fragments , léna 1803-1806 , Aubier, 1991, p.

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LOGIQUE ET LANGAGE 43

qu'il utilisera encore dans les leçons sur V Hist


qualifier la manière de s'exprimer de Böhme :
qu'il intuitionne tous les concepts dans une réa
deuxième édition de Y Encyclopédie (1827) enco
cognitionis de Franz von Baader, Hegel note q
n'est pas le privilège des modernes, que « ce qu
profond et de plus intime » a déjà été exprim
millénaires passés, dans les religions, dans l
œuvres d'art, mais que cette expression se prés
figure plus pure ou plus impure, plus claire ou
rebutante ». Jacob Böhme, singulièrement, a «
de la religion pour lui-même jusqu'à l'Idée univ
de vive force les formes de choses naturelles
l'âpre, l'amer, etc.) à des formes spirituelles e
(Enc. /, p. 135-136).

Avec le mot, nous ne sommes pourtant pas enco


lequel le mouvement de l'esprit théorique élim
Nous en avons fini certes avec la synthèse de
c'est-à-dire imagées. Mais le nom reste un contenu
une signification : le mot paraît avoir une sign
ce troisième moment de la représentation, par leq
ultime à la pensée : la mémoire. La mémoire (
souvenir {Erinnerung) en ce que celui-ci était ré
celle-là est conservation de mots. La fonction de c
libération de la pensée est sans doute le plus diffi
attache cependant une importance très grande : il
un point auquel on a jusqu'à présent accordé pe
les plus durs dans la théorie de l'esprit, que de
tion de la mémoire dans la systématique de
relation organique avec la pensée (§ 464, Enc . Z
particulièrement déconcertant dans ces paragra
(§§ 461 à 464) est qu'ils incluent une forme d'alién
la mémoire mécanique, c'est-à-dire le « par cœur »
extérieur à lui-même dans l'élément sensible q
mot. Et c'est cette aliénation de la pensée en elle-m
« se fait, comme mémoire, dans lui-même quelque
sorte que ce qui est sien apparaît comme quelqu
Enc. III , p. 263) qui introduit à la pensée.
Ne craignons pas de formuler notre perplexit
étape de la représentation ? Pourquoi Hegel ép
ressusciter l'altérité que l'on croyait éteinte avec l

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44 C. COLLIOT- THÉLÈNE

s'en explique au tout début du § 461 : « L'intellige


mémoire, face à l'intuition du mot, les mêmes activi
qu'elle le fait, en tant que représentation en gén
intuition immédiate » (Enc. III , p. 260). En d'autre
verbal, reste néanmoins un contenu intuitif, et pour
la conscience comme distinct de la signification.
gence répète sur lui le procès d'appropriation qu'elle
tout contenu intuitif. Et c'est dans cette approp
extériorité, celle du nom et de la chose, du signifian
réduite, et réduite par là même le dernier semb
encore : la dénomination, née sur fond de représe
tout d'abord comme distincte de la signification.
choses : la signification d'un côté, le nom de l'autre,
Le rapport entre ce que Hegel nomme « l'être-en-tan
fication apparaît encore comme une synthèse, et
opérerait cette synthèse de l'extérieur hante enco
cation :

Pour autant la connexion des noms réside dans la signification, la liaison de


celle-ci avec l'être en tant que nom est encore une synthèse , et l'intelligence, dans
cette extériorité qui est sienne, n'est pas encore retournée en elle-même en sa
simplicité. Mais l'intelligence est l'universel, la vérité simple de ses aliénations
particulières, et son appropriation menée à bonne fin est la suppression de cette
différence, qui vient d'être évoquée, de la signification et du nom (§ 463, Enc. III ,
p. 262).

L'objectif du développement consacré à la mémoire est donc de suppri-


mer cette différence résiduelle, entre signification et nom : de récuser l'idée
courante selon laquelle la fonction du nom serait de présenter autre chose
que lui, la chose, non pas nécessairement un donné de l'intuition sensible,
mais au moins un contenu tout constitué hors langage. A quoi Hegel réplique :
« Le nom est ainsi la chose, telle qu'elle est présente et a validité dans le
royaume de la représentation » (§ 462, Enc . Z/7, p. 260). La mémoire méca-
nique, extrême aliénation de l'intelligence dans une matière intuitive qu'elle
a elle-même façonnée, est ce qui permet d'avoir raison de cet ultime résidu
du dualisme, l'écart entre le nom et la signification. Elle est « le passage dans
l'activité de la pensée, laquelle n'a plus de signification , c'est-à-dire est telle
que, de son objectivité, ne diffère plus ce qu'elle a de subjectif, de même que
cette intériorité est, en elle-même, quelque chose d'étant » (§ 464, Enc . III ,
p. 263). Dans le « par cœur » s'abolit en effet la différence entre nom et
signification : le sens est là totalement objectivé dans le texte que je récite
sans en penser le sens. L'immanence de la pensée à cet étant qu'est la langue
sort de cette expérience, expérience d'une aliénation de l'esprit, mais alié-

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LOGIQUE ET LANGAGE 45

nation en lui-même, dans « l'espace universel


p. 262), en même temps qu'il est reconnu que
nécessaire à l'être vrai de cette objectivité part
des noms », c'est l'objectivité que la pensée s'app
découvrant son identité avec elle ; la parole animé
signification », en ce sens qu'elle ne possède p
quelque chose d'extérieur. Le sens n'est pas
quoique les mots ne fassent sens que par le souf

En quoi, dira-t-on, les thèmes et les argume


dans cette psychologie éclairent-ils sa lecture
sont évidents, singulièrement entre l'exposé d
déduction transcendantale et l'exposé hégélien :
théorique », intuition/ représentation/ concept
de la première édition de la Critique de la
l'appréhension dans l'intuition, synthèse de la r
tion, synthèse de la recognition dans le conce
Kant distinguait trois types de synthèses, Hegel d
de l'élimination de la forme de la synthèse. E
permet d'avoir raison du subjectivisme à l'inté
même. Aussi est-il cohérent que ce procès abo
résume l'onto-logique hégélienne : l'identité de
le paragraphe 465, l'intelligence, en tant que p
connaissance ; en elle-même, elle est l'universel
la Chose ; identité simple du subjectif et de l'ob
sait que ce qui est pensé est, et que ce qui est n
une pensée ». Qu'est devenue la problématique
c'est-à-dire de la médiation entre concept et do
vons bien, dans la Psychologie de Y Encylopédi
kantienne : l'intuition et la pensée. Mais dans le
tation, qui englobe comme son moment centra
l'imagination), le contenu intuitif pré-conc
concept, mais éliminé par le surgissement d'une m
ment originale, à laquelle appartient la propriété d
sion linguistique. En délocalisant la question
donné sensible de la Logique à la Psychologie ,
conceptuelle, loin d'exiger un moyen terme po
construit par ses propres forces une objectivité
intuitive. C'est au niveau de cette objectivité ex
à ce niveau seulement, que les questions de
pertinence : c'est-à-dire ces questions dont il c
logique pure.

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