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- Qu’est-ce qu’une proposition selon les auteurs tels que Frege, Russel, Stuart Mill,
Lalande, Gilbert Hottois et Wittgenstein?
- Quels sont les types de propositions ?
- Quelle est la structure d’une proposition ?
A partir de là, le but fondamental dans cette partie devient l’étude des propositions avant et avec
Wittgenstein. Pour John Stuart Mill, la proposition est « le premier objet qui se présente sur le seuil
même de la science logique ». Autrement dit, la proposition se présente comme la première instance
qui se présente dans une étude logique. Mieux encore, la logique a pour tout premier objet d’étude la
proposition.
Pour André Lalande la, proposition se conçoit comme « Un énoncé verbal susceptible d’être
dit vrai ou faux ; et par extension un énoncé algorithmique équivalent à un énoncé verbal de ce genre,
par exemple a=b ». Cette définition de la proposition selon Lalande laisse apparaître deux facettes :
l’analyse de la proposition au sens aristotélicien du terme, pouvant être vraie ou fausse, et la
conception moderne de la logique qui traite de la proposition comme une fonction de vérité analysable
par le biais des symboles mathématiques.
1- « Je conçois la proposition ainsi que Frege et Russel comme fonction des expressions
contenues en elle.
2- La proposition est une image de la réalité. La proposition est une transposition de la réalité
telle que nous la pensons.
3- La proposition est la description d’un état de choses.
4- La proposition est l’image logique de l’état de choses. La proposition n’exprime quelque
chose que pour autant qu’elle est une image 1».
Ces clarifications conceptuelles de la proposition montrent déjà le caractère référentiel de celle-ci. Car,
d’après Wittgenstein, la proposition doit être en rapport avec les fait. Roger Mondoué et Philippe
Nguemeta soulignent à cet effet que : « En claire, la proposition est ce grand miroir à partir duquel
1
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, suivi des Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski,
Paris, Gallimard, 1961, pp. 48-49.
nous établissons une connexion entre le mot et la chose, entre l’esprit et l’objet, entre l’état de chose et
la chose2 ». Mais alors, il convient de noter que la réel dont il est question ici ne signifie point la réalité
dans son empiricité. Car, selon Wittgenstein, la proposition n’a pas qu’une essence picturale. Pour lui,
l’essence picturale se double de l’essence linguistique.
Pour ce qui est des types de proposition, Wittgenstein en distingue trois à savoir : les
propositions douées de sens, les propositions vides de sens et les propositions dénuées de sens.
S’agissant des propositions vides de sens Roger Mondoué et Philippe Nguemeta soulignent que
dans le souci de simplifier la compréhension de la notions de propositions vides de sens ;
« Wittgenstein donne dans l’aphorisme 4.46 la définition de la tautologie et de la contradiction (vraie
ou fausse) de la proposition élémentaire3 ». Ici, les propositions vides de sens ont trait aux tautologies
et contradictoires, contrairement aux « propositions logiques qui sont des fonctions de vérités.
Quant aux propositions douées de sens, ce sont celles qui décrivent le monde. Elles se
retrouvent dans les sciences de la nature et sont considérées comme véritables propositions chez
Wittgenstein, entant qu’elles décrivent un état des choses.
Pour ce qui est des propositions dénuées de sens, ce sont des propositions métaphysiques.
Mondoué et Nguemeta notent d’ailleurs que : « Pour Wittgenstein en effet, la logique de notre langage
veut que nous nous astreignions aux propositions ayant un sens. Malheureusement, cette exigence
n’est jamais parfaitement satisfaite, puisque le langage cherche toujours à dérober le cadre du dicible,
de la pensée pour embrasser celui de l’indicible 4». La véritable proposition est celle qui décrit et
représente le monde. Le « Ce dont on ne peut parler il faut le taire » de Wittgenstein trouve donc sa
place. Il convient donc de noter au terme de ce chapitre que l’enjeu était d’élucider la théorie
tractatuséenne de la proposition. Nous avons pu démontré que Wittgenstein s’inscrit dans la logique de
Frege et de Russel sur la question des propositions.
2
Mondoué Roger et Nguemeta Philippe, Vérificationnisme et Falsificationnisme. Wittgenstein
vainqueur de Popper? Paris, Harmattan, 2014, p.19.
3
Ibid. p28.
4
Ibid. ; p.32.
Le dessein épistémologique dans ce chapitre est d’exposer les premiers linéaments de la
théorie du Vérificationnisme avant Ludwig Wittgenstein. Ce qui peut donc nous amener à dire bien
avant l’auteur du Tractatus, plusieurs philosophes avaient déjà posé les jalons du vérificationnisme.
Autrement dit, la conception selon laquelle toute proposition doit désigner les fait et observables était
déjà perçu bien avant Wittgenstein. Dans cet ordre d’idées, toute investigation théologico-
métaphysique sera exclue. Cette approche est perceptible chez John Locke, David Hume, Auguste
Comte, Bertrand Russell et le Cercle de Vienne. Cela dit, commençons par John Locke.
John Locke (1632-1704) est un philosophe empiriste anglais. Dans ses investigations
philosophiques, il s’insurge contre toute idée de substance et de causalité. Pour lui, l’idée de
substance n’est qu’un produit dont se sert l’imagination pour rendre compte de la permanence
des idées simples dans le temps et dans l’espace. Pour l’empiriste anglais, la connaissance a
deux sources fondamentales : l’expérience extérieur, c’est-à-dire la sensation et l’expérience
intérieure c’est-à-dire la réflexion. A ce titre, dans l’optique d’expliciter d’avantage la pensée
philosophique de cet empiriste sceptique, Roger Mondoué et Philippe Nguemeta soulignent à
juste titre que :
Ne pouvant imaginer comment les idées simples peuvent subsister par eux-mêmes,
nous nous accoutumons à supposer quelque chose qui les soutiennent où elles subsistent, et
d’où elles résultent à qui pour cet effet on a donné le nom de substance7
5
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.39.
6
Idem.
7
J. Locke, Essai concernant l’entendement humain, trad.fr. Jean Pierre Jackson, Paris, Ed. Alive, 2001, p.81.
Cette affirmation qui précède réaffirme non seulement la primauté de l’expérience
sensible dans le processus de la connaissance, mais aussi, constitue une critique acerbe de
l’entreprise métaphysique. La métaphysique pour John Locke est donc un simple abus de
langage qui ne peut garantir l’accord des esprits. Cette critique acerbe du substantialisme
métaphysique va se solder par la mise sur pied de la théorie du langage copie de la réalité :
c’est le principe d’isomorphisme ou parallélisme logico-physique. Cette théorie est beaucoup
plus développée au sein de l’empirisme logique et le logicisme. Roger Mondoué et Philippe
Nguemeta soulignent à cet effet que :
Locke établi un rapport entre l’expérience et le langage. Il trouve que les idées sont
des choses, que leur connaissance ne peut se fonder que sur l’expérience, et que les
métaphysiciens ont tort de disqualifier8
Ainsi, la théorie du langage copie de la pose un postulat bien déterminé : les
« idées déterminées » doivent prévaloir sur les « idées claires et distinctes » de Descartes.
Ceci revient donc à dire que, toute proposition logique doit être en rapport avec le fait ; c’est-
à-dire ce qui existe empiriquement. En dehors de ce critère, la connaissance n’est point
possible. Par conséquent, il faut chasser la métaphysique de la cité scientifique. Roger
Mondoué et Philippe Nguemeta notent à ce propos :
Celui qui se sert d’un mot sans lui donner un sens clair et déterminé ne fait rien d’autre
que se tromper lui-même et induire les autres en erreur, et quiconque use des propos
délibérés doit être regardé comme un ennemi de la vérité 10
Toutes ces illustrations démontrent à suffisance que c’est pour et par le réel empirique
que le sujet parvient à la connaissance. Autrement dit la science ou la connaissance
scientifique procède du réel pour l’esprit. Ainsi apparaissent les premiers linéaments du
logicisme viennois, car ce principe sera l’un des critères fondamentaux du Positivisme du
Cercle de Vienne. Cela dit, qu’en est-il de l’empirisme humien ?
8
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.40.
9
Ibid., p.41.
10
Locke, John, Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad.fr. Jean Pierre Jackson, Ed. Alive,
2001, p.7.
2- Le critère de vérifiabilité chez David Hume
Tout comme son prédécesseur John Locke, David Hume (1711-1776), dans la
même lancée, s’opposera à l’idée de substance et de causalité. Roger Mondoué et
Philippe Nguemeta illustrent son dessein épistémologique en ces termes :
11
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.42.
12
D. Hume, Enquête sur l’entendement humain, première section, p.31.
capacité, qu’il n’est fait en aucune manière pour traiter des sujets si éloignés de nous et si
abstrus. Pour Hume précisément, il faut
« Saper les fondements d’une philosophie abstruse, qui jusqu’ici n’a guère fait
que donner asile à la superstition et protéger l’absurdité et l’erreur 13»
Nous notons donc que pour David Hume, la métaphysique est une entreprise
dénuée de sens, un ensemble d’ineptie et un tissu d’illusions. Il ira même plus loin en
écrivant :
16
A. Comte, Cours de philosophie positive, 1ère Leçon, p.22.
17
D. Lecourt, La philosophie des sciences, Coll. Que sais-je ? Paris, PUF, Vème édition, 13ème Mille, p.21.
métaphysiques. Le XIXème siècle qui désigne pour Comte le siècle de la « nouvelle méthode
de philosopher », consacre donc une refondation axiologique de la démarche philosophico
scientifique sous le prisme de l’expérimentation. Pour constituer une connaissance
scientifique pour Comte, il faut opérer une sorte de rupture épistémologique pour parler
comme Gaston Bachelard, vis-à-vis des deux états précédents et recouvrir l’état positif. Roger
Mondoué souligne d’ailleurs ce qui suit :
En effet, dans son Tractatus, Wittgenstein soutient l’idée selon laquelle seuls les
énoncés d’observation sont pourvus de sens et constituent la science. Par conséquent, les
autres énoncés sont considérés comme pseudosciences, des pseudo-énoncés et dépourvus de
tout sens. Pour mieux cerner l’essence et le sens du logicisme wittgensteinien, examinons ces
propos de Karl Raimund Popper :
Vous n’êtes pas sans ignorer que Wittgenstein a tenté de montrer dans son Tractatus
(et…par exemple 6.53.6.54 et 45) que toutes les prétendues propositions philosophiques ou
métaphysiques sont en fait des propositions qui n’en sont pas ou de pseudo-propositions :
elles sont dépourvues de sens ou de signification. Toutes les propositions authentiques (ou
bien qui possèdent une signification) sont des fonctions de vérité de propositions élémentaires
ou atomiques décrivant des « faits atomiques » c’est-à-dire des faits qui peuvent en principe
être établis par l’observation. En d’autres termes, les propositions pourvues de signification
sont entièrement réductibles à des propositions élémentaires ou atomiques, énoncés simples,
décrivant des états de choses possibles et pouvant être établis ou démentis par l’observation23
Ces propos de Popper, en explicitant le point de vue de Wittgenstein concernant le
langage, laissent transparaitre l’idée selon laquelle toute proposition doit désigner le fait. En
dehors de ce postulat wittgensteinien, nous nous retrouvons dans la trajectoire des pseudo-
propositions, et par conséquent des pseudosciences. Car si pour notre auteur : « Wovon man
20
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.61.
21
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus (1921), Paris, Gallimard, 1961, p.52.
22
Ibid.
23
K. Popper, Conjectures et réfutations, Payot, Paris, tr.fr. Michelle-Irène et Marc B. de Launay, p. 69.
nicht sprechen kann, daruber muss mann schweigen 24», c’est-à-dire « Ce dont on ne peut
parler il faut le taire » alors la science n’est véritablement science que si les propositions y
afférent relèvent des faits empiriques. Popper y ajoute précisément :
En allemand Wiener Kreis, le Cercle de Vienne est une communauté qui s’est formée
de savant de divers horizons heuristiques à la fin des années 1920. Elle s’est formée dès 1922,
date qui marque l’arrivée de Moritz Schlick (1882-1936), à Vienne. En s’en tenant aux
investigations de Jean Leroux, les membres du Cercle de Vienne « se rencontrent dans un
café viennois le jeudi soir et discutent de science et de philosophie. Les questions à l’ordre du
jour : Comment éviter l’ambigüité et l’obscurité traditionnelle de la philosophie ? Comment
en arriver à un rapprochement entre la science et la philosophie ? Quelle philosophie serait
27
la plus susceptible d’aider au progrès scientifique et par là, au progrès social et culturel ?
Dans l’appendice au Manifeste du Cercle de Vienne, à en croire Jan Sebestik et Antonia
Soulez, on retrouve quatorze noms : Moritz Schlick ; Rudolph Carnap ; Otto Neurath ; Philipp
Frank ; Hans Han ; Viktor Kraft ; Gustave Bergmann ; Herbert Feigl ; Marcel Natkin ;
24
Cité par J. Sebestik et A. Soulez, Le Cercle de Vienne doctrines et controverses, Journées internationales
Créteil-Paris, 29-30 Septembre et 1er Octobre 1983, Paris, Méridiens Kleincksick, 1985, p.72.
25
J. Sebestik et A. Soulez, Le Cercle de Vienne doctrines et controverses, Journées internationales Créteil-Paris,
29-30 Septembre et 1er Octobre 1983, Paris, Méridiens Kleincksick, 1985, p.72.
26
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus (1921), Paris, Gallimard, 1961, p.107.
27
J. Leroux, Une histoire comparée de la philosophie des sciences. Aux sources du Cercle de Vienne ; Volume I,
Paris, PUL, coll. Logique de la science, 2010, p.114.
Theodor Radakovic ; Friedrich Waismann ; Karl Menger ; Kurt Gödel ; Olga Hahn Neurath,
la sœur de Hans Hahn et deuxième femme d’Otto Neurath. Ainsi, Schlick, chef de fil du
cercle, s’était convertit à une conception de la science qui était pour l’essentiel, celle de Mach,
et il était arrivé à penser, toujours en accord avec Mach, que
les énoncés de base sont des énoncés sur les données de sens (…). Tout énoncé ou
théorie a-t-il insisté, doivent pouvoir être vérifiés, dans ce sens qu’ils doivent avoir des
conséquences susceptibles de correspondre aux faits observables28
Cette vision des choses sera l’élément fondamental des viennois. En effet, soulignent
Jan Sebestik et Antonia Soulez, ceux-ci ont insisté sur
28
Ibid.p.67.
29
Ibid. p.74.
30
Ibid.p.48.
31
Dominique Lecourt, La philosophie des sciences, p.35.
obstacle à la pleine communication et progrès des savoirs. Le principe d’isomorphisme ou
parallélisme logico-physique (déjà élucidé chez Locke, Hume et Wittgenstein) aura un visé
thérapeutique : soigner la philosophie et la science malades de la métaphysique. Les
néopositivistes recourent donc à la méthode inductive (développée au préalable par Hume) et
au principe de vérification (d’avantage développé par Wittgenstein) pour protéger la
philosophie et la science des énoncés absurdes ou dépourvus de signification. Un énoncé n’a
un sens cognitif que s’il est vérifiable. Telle apparaît la pierre angulaire de la doctrine du
Cercle héritée du Wittgenstein tractatuséen. D’ailleurs, Friedrich Waismann (1896-1959),
proche collaborateur de Moritz Schlick, tire cette sentence en 1930 qui constitue en même
temps le slogan du Cercle : le sens d’une proposition, c’est sa méthode de vérification. Nous
retenons donc que pour les membres du Cercle de Vienne, ce qui n’est point observable et
vérifiable ne saurait faire l’objet d’une science.
Pour ce qui est du contexte d’émergence de Popper, celui-ci évolue dans une
atmosphère gouvernée par les épistémologies fondationaliste. L’expérience sensible est
considéré comme la source/le fondement ultime et principiel de la science. En dehors de ce
cadre, le savoir scientifique n’est point possible. Raison pour laquelle ces épistémologie
fondationaliste et autoritaristes vont évacuer du champ de la cité scientifique, toutes les
propositions, instances, données, connaissances supra-empiriques (métaphysique, magie,
sorcellerie, théologie, Dieu, substance, causalité, etc.). Face à cet état des choses, cette vision
de la science a été vivement critiquée par Karl Popper, qui, dans son ouvrage intitulé
Conjectures et réfutations va proposer une nouvelle démarche pour fonder la science : le
rationalisme critique.
DEUXIEME PARTIE
Chapitre I
33
Conjectures et réfutations, page 52
34
Roger Mondoué et Philippe Nguemeta, op, cit, p.70.
du Tractatus, et surtout, au rejet de la métaphysique, et partant, de la philosophie comme
théorie de la connaissance.
Ainsi, contre le vérificationnisme, Popper adopte le falsificationnisme. Il s’applique
d’ailleurs à démontrer qu’une théorie est dite scientifique lorsqu’elle est susceptible d’être falsifiée. En
effet, contrairement aux épistémologies fondationalistes classiques évoquées plus haut, Popper
soutient l’idée selon laquelle le savoir de type scientifique est essentiellement dynamique et évolutive.
C’est dire donc qu’un critère épistémologique permet de constituer la science : la méthode des « essais
et erreurs ». L’avant-propos de la seconde édition de notre ouvrage nous laisse voir la thèse de
Popper :
J’ai tenté, dans le premier avant-propos, de résumer l’idée fondamentale de ce livre en une
seule phrase : nos erreurs peuvent être instructives. Et j’aimerais formuler maintenant une ou deux
remarques complémentaires. Je soutiens notamment que l’ensemble de la connaissance ne progresse
que par la rectification des erreurs. En effet, ce qu’on appelle aujourd’hui « le feed back négatif »
n’est qu’une application de cette méthode plus générale qui consiste à tirer des enseignements de nos
erreurs : la méthode par essais et erreurs35
A la page 69 du même ouvrage, Popper souligne ce qui suit :
Ces propos de Popper démontrent à suffisances que le savoir et les théories se construisent
toujours avec une marge d’erreur. Dans cette logique, l’astrologie, le marxisme, la psychanalyse
freudienne sont des pseudosciences, car l’on ne saurait dire ou alors prédire dans quelle mesure elles
seraient fausses. De même, ni le rationalisme, ni l’empirisme ne saurait constituer la source de la
connaissance. L’erreur joue donc un rôle incontournable dans l’entreprise scientifique. Car, à en croire
Karl Popper, l’idée directrice des Conjectures et réfutations s’énonce comme suit : « nos erreurs
peuvent être instructives ».
En fin de compte, ces investigations de Popper vont l’amener à assouplir les frontières entre
les énoncés empiriques et les autres formes d’énoncés. Mondoué et Nguemeta précise d’ailleurs que
Popper assouplit la frontière entre les énoncés empiriques ou scientifiques et les autres formes
scientifiques. Pour lui, il ne saurait y avoir de barrière étroite entre ces différents énoncés. La
métaphysique et ses idées peuvent être utiles pour le progrès de la science, comme les êtres
mathématiques. Car pour Popper, « historiquement, toutes les théories scientifiques, ou
quasiment toutes, procèdent des mythes, et ceux-ci peuvent formuler d’importants
35
Ibidem, Page 12
36
Idem, Page 65
anticipations des théories scientifiques37». Et pour Paul Karl Feyerabend : « Il est donc
nécessaire de revoir notre attitude envers le mythe, la religion, la magie, la sorcellerie et
toutes ces idées que les rationalistes voudraient voir disparaître de la surface de la terre 38»
Cette perspective poppérienne est d’autant plus visible chez Jean Bertrand AMOUGOU, dans
son article intitulé « Existence et sens : plaidoyer pour une philosophie interculturelle et
intercritique » lorsqu’il affirme : « Il est important que chaque discipline renonce à ce qui se
présente en son sein comme dogme 39». C’est dans le même ordre d’idée que Georges
GURVITCH affirme que nous devons «dédogmatiser la philosophie, dédogmatiser la science
de l’histoire, dédogmatiser la rationalité et la raison pour les relier à l’autre face d’elles-
mêmes : l’irraison40 » tout simplement pour reprendre la thèse poppérienne selon laquelle il
faut lutter contre toute forme d’autoritarisme épistémologique et militer pour un réalisme
minimal. Ceci étant dit la pensée de Popper ne recèle-t-elle pas des insuffisances ?
TROISIEME PARTIE
Il a été question jusqu’ici de faire un état des lieux à la fois du vérificationnisme tel
qu’il trouve son lieu d’expression dans la philosophie de la proposition du père du Tractatus,
du positivisme logique du Cercle de Vienne et également de justifier la critique acerbe que lui
a adressé Sir Popper en s’armant méthodologiquement du falsificationnisme qui n’est chez cet
auteur rien d’autre qu’un procédé déductif de mise à l’épreuve des théories. A l’observation,
il apparaît clairement qu’en mobilisant le critère de la falsifiabilité, Karl Popper a montré les
énormes problèmes inhérents au critère de la signification dont Wittgenstein et les
néopositivistes faisaient la promotion. A cet effet, il sera question dans cette dernière partie de
l’ouvrage de répondre aux questions ci-après : Wittgenstein a-t-il attendu l’assaut du
falsificationnisme pour revisiter conceptuellement son mode de philosopher ? Aussi, la
nouvelle philosophie qu’il entend proposer fait-il de lui le véritable fossoyeur de Karl
Popper ? Si tant est dit, peut-on totalement admettre que le post-poppérisme tel qu’il est
visible dans l’épistémologie post-critque est en réalité un néo-wittgensteinisme ?
37
Ibidem, page 67
38
Paul K. Feyerabend, Contre la méthode ; trad.fr. Baudoin Jurdant et Agnès Schlumberger, Paris Seuil, 1975
39
Jean Bertrand AMOUGOU, « Existence et sens : plaidoyer pour une philosophie interculturelle et
intercritique », in Annales de la FALSH, volume numéro 5, nouvelle série 2006, deuxième semestre
40
Georges GURVITCH, Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion, 1996, page 236
Chapitre 5
Comme nous l’avons constaté dans les parties précédentes, Ludwig Wittgenstein dans
le Tractatus logico-philosophicus, a une conception atomiste de la proposition c’est-à-dire
que la proposition est ici considérée suivant sa simplicité structurelle et consiste dans une
interconnexion des noms ou des états de choses que constituent les faits. Cependant en rupture
avec son logicisme, cette conception atomiste de la proposition semble de l’avis de
Wittgenstein problématique. Les philosophes camerounais Mondoué et Nguemeta relèvent cet
41
R. Mondoué et P. Nguemeta, op. cit., p. 105.
42
Ibidem, p. 106.
aspect en soulevant les questions qui suivent : « Toutes les propositions atomiques ne
peuvent-elles pas admettre des constructions contradictoires ? Ou encore, les propositions
atomiques sont-elles toujours atomiques ? Ne peuvent-elles s’exclure mutuellement ? »43.
45
Ibidem, pp. 114-115.
46
L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, trad. De l’allemand par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard,
1961, p. 107.
Wittgenstein au moyen de cet aphorisme et d’autres comme les aphorismes 6.421 et 6. 422, se
prononçait sur l’ineffable, l’indicible et l’inexprimable. Selon lui, les propositions de la
métaphysique, de l’éthique ou encore de l’esthétique relèvent de l’ordre de ce qu’on ne saurait
évoquer. Cependant, après avoir désavoué cette conception, Wittgenstein « a ressenti le
besoin de s’exprimer sur l’inexprimable »47. Par-là, il manifestait le désir ou alors l’intention
d’adhérer aux conceptions esthétiques et éthiques. Sous ce rapport, la philosophie
Wittgensteinienne post-tractatuséenne n’envisageait plus l’esthétique suivant son sens ou sa
signification, mais plutôt selon l’occurrence de son usage dans un lexique ou une syntaxe
grammaticale qu’offre le langage courant. Ainsi donc, avec cette nouvelle façon de voir,
l’esthétique, l’éthique ou la religion désignent désormais des jeux de langage dont
l’acquisition de la signification de leurs énoncés s’effectue non plus suivant la sentence de la
logique, mais d’après un contexte d’énonciation socioculturel. C’est d’ailleurs ce qui fait dire
aux auteurs que « C’est en termes anthropologiques et non plus logiques qu’il [Wittgenstein]
aborde maintenant l’inexprimable »48. Ceci revient à dire que les noms ou mots qu’ils
relèvent de l’ordre de l’inexprimable ou pas, ont différentes significations selon qu’on les
emplois dans tel ou tel autre contexte/situation. Sous cet aspect, l’entreprise logique qui taxait
de non-sens toutes les propositions qui ne se conformaient pas à l’exigence de la vérification
empirique dévoile son obsolescence puisqu’elle n’offre plus un meilleur gage de recevabilité.
Les analyses menées dans le premier chapitre de la première partie de l’ouvrage, nous
ont permis de constater que chez Wittgenstein, le sens ou la signification d’une proposition
était fonction de sa méthode de vérification. Dit autrement, la référence d’une proposition
constituait la condition sans laquelle une proposition serait dénuée de sens. C’est donc dire
que le sens d’une proposition est extralinguistique. Cependant, dans les Investigations
philosophiques, ouvrages posthume de Wittgenstein, la signification d’un mot ou d’une
proposition n’est plus fixer d’après les règles de la logique. Il convient plutôt d’admettre que
la signification d’un mot dans la seconde philosophie de Wittgenstein, vient de son emploi
dans une langue. Une telle point de vue est soutenu par Mondoué et Nguemeta lorsqu’ils
affirme : « Dans cette nouvelle approche, la proposition acquiert une signification holistique,
systémique, d’autant qu’un jeu est constitué d’un ensemble de règles dont le suivi dépend des
circonstances ou des cultures dans lesquelles il se pratique »51.
50
R. Mondoué et P. Nguemeta, op. Cit., p. 123.
51
R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., p. 126.
52
L. Wittgenstein cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., p. 131.
l’usage n’est pas arbitraire »53. En d’autres termes, ces règles étant celles d’une syntaxe
grammaticale, s’imposent aux langages, faisant ainsi parties d’une société ou d’une culture.
Les jeux de langage malgré leur pluralité et leur systématicité, sont homologues les uns des
autres Dans ce sens, ils sont « dynamiques », « flexibles » et « illimités ». En clair, Mondoué
et Nguemeta soulignent que « multiplicité, systématicité, régulation, clarté et simplicité
symbolisent les différents jeux de langage de Wittgenstein »54.
Chapitre 6
Post-poppérisme ou néo-wittgensteinisme ?
Dans ce dernier chapitre, il est question pour les auteurs d’examiner le devenir du
falsificationnisme, mieux de montrer comment le post-poppérisme fond finalement au néo-
wittgensteinisme.
A- Du falsificationnisme à l’irrationalisme
Les auteurs de cet ouvrage relèvent que Popper a vivement contesté la thèse du
déterminisme universel. L’enjeu est de savoir se demande Gilles Gaston Granger faut-il
assigner des frontières à la science ? Non dit-il car, aucune raison dérivant de la nature de la
science ne contraint à délimiter son champ d’investigation. Dans sa défense de
l’indéterminisme, Popper conçoit :« Les théories scientifiques comme autant d’invention
humaine, comme des filets créées par nous et destinées à capturer le monde »55
Karl Popper estime que les théories scientifiques qui ne sont que d’excellentes
approximations de la réalité, peuvent bénéficier « De rêves irresponsables, d’obstination et
d’erreurs ». Sous ce rapport, Mondoué et Nguéméta y voient des prolégomènes à la logique de
la découverte scientifique, lesquels contribuent « curieusement à ce que l’épistémologie fut en
crise en suscitant des réactions radicalement opposées aux siennes »56. Le rationalisme
critique de Popper a donc ouvert la voie à quelques irrationalismes tenaces puisque c’est à
partir de ses travaux que Kuhn et Feyerabend convertissent l’épistémologie en sociologisme
53
Ibid, p. 132.
54
Ibid, p. 134.
55
K. Popper cité par R. Mondoué et P. Nguéméta, Op. Cit., p. 141.
56
Ibid, p. 141.
ou historicisme pure et simple pensent-ils. Ces propos montrent à suffisance les critiques
légitimes qui lui ont été adressés par les tenants de l’épistémologie post-critique. Faut-il
rappeler au passage que les problèmes que pose le rationalisme critique portent entre autre sur
le statut de l’expérience dans la science, la complexité de la falsifiabilité la prétendue
résolution du problème de l’induction, l’idée du progrès de la science, l’ouverture sur le
relativisme, l’unité de la science et l’objectivité.
57
Ibid, p. 144.
Bien plus, si Popper s’oppose aux démarches unilatérales du rationalisme et de
l’empirisme, plusieurs éléments mettent en mal le rationalisme critique de cet auteur à savoir
le duel classique fait-théorie, le problème de la base empirique, de la démarcation ou de
l’induction. En remplaçant la vérification incertaine par la falsification, Popper a renforcé
l’opposition classique entre le fait et la théorie. Cependant, au même titre que les défenseurs
du logicisme viennois, il a accordé une place centrale à l’expérience. C’est cette audace
épistémologique qui motive Feyerabend dans son relativisme.
58
K. P. Feyerabend cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., pp. 155-156.
59
T. S. Kuhn, cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., pp. 160-161.
à la pratique scientifique. Pour ces deux hommes de science, la science n’est pas une
entreprise transparente ou encore moins le produit d’observations falsifiantes, ou d’une plus
grande cohérence théorie. Dès lors « Le sentiment que la nouvelle proposition est dans la
bonne voie, et parfois ce sentiment dépend seulement des considérations esthétiques
personnelles et informulées »60 .
60
Ibid, p. 165.