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PREMIERE PARTIE

TRIPARTITION DES PROPOSITIONS ET VERIFICATIONNISME


Dans cette première partie de notre réflexion, il sera question pour nous de répondre aux
préoccupations suivantes :

- Qu’est-ce qu’une proposition selon les auteurs tels que Frege, Russel, Stuart Mill,
Lalande, Gilbert Hottois et Wittgenstein?
- Quels sont les types de propositions ?
- Quelle est la structure d’une proposition ?

A partir de là, le but fondamental dans cette partie devient l’étude des propositions avant et avec
Wittgenstein. Pour John Stuart Mill, la proposition est « le premier objet qui se présente sur le seuil
même de la science logique ». Autrement dit, la proposition se présente comme la première instance
qui se présente dans une étude logique. Mieux encore, la logique a pour tout premier objet d’étude la
proposition.

Pour André Lalande la, proposition se conçoit comme « Un énoncé verbal susceptible d’être
dit vrai ou faux ; et par extension un énoncé algorithmique équivalent à un énoncé verbal de ce genre,
par exemple a=b ». Cette définition de la proposition selon Lalande laisse apparaître deux facettes :
l’analyse de la proposition au sens aristotélicien du terme, pouvant être vraie ou fausse, et la
conception moderne de la logique qui traite de la proposition comme une fonction de vérité analysable
par le biais des symboles mathématiques.

Gilbert Hottois quant à lui s’accorde avec la définition wittgensteinienne et russellienne de la


proposition. En effet, le logicien autrichien dans son Tractatus, nous offre quatre orientations touchant
l’essence de la proposition :

1- « Je conçois la proposition ainsi que Frege et Russel comme fonction des expressions
contenues en elle.
2- La proposition est une image de la réalité. La proposition est une transposition de la réalité
telle que nous la pensons.
3- La proposition est la description d’un état de choses.
4- La proposition est l’image logique de l’état de choses. La proposition n’exprime quelque
chose que pour autant qu’elle est une image 1».

Ces clarifications conceptuelles de la proposition montrent déjà le caractère référentiel de celle-ci. Car,
d’après Wittgenstein, la proposition doit être en rapport avec les fait. Roger Mondoué et Philippe
Nguemeta soulignent à cet effet que : « En claire, la proposition est ce grand miroir à partir duquel

1
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, suivi des Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski,
Paris, Gallimard, 1961, pp. 48-49.
nous établissons une connexion entre le mot et la chose, entre l’esprit et l’objet, entre l’état de chose et
la chose2 ». Mais alors, il convient de noter que la réel dont il est question ici ne signifie point la réalité
dans son empiricité. Car, selon Wittgenstein, la proposition n’a pas qu’une essence picturale. Pour lui,
l’essence picturale se double de l’essence linguistique.

Pour ce qui est des types de proposition, Wittgenstein en distingue trois à savoir : les
propositions douées de sens, les propositions vides de sens et les propositions dénuées de sens.

S’agissant des propositions vides de sens Roger Mondoué et Philippe Nguemeta soulignent que
dans le souci de simplifier la compréhension de la notions de propositions vides de sens ;
« Wittgenstein donne dans l’aphorisme 4.46 la définition de la tautologie et de la contradiction (vraie
ou fausse) de la proposition élémentaire3 ». Ici, les propositions vides de sens ont trait aux tautologies
et contradictoires, contrairement aux « propositions logiques qui sont des fonctions de vérités.

Quant aux propositions douées de sens, ce sont celles qui décrivent le monde. Elles se
retrouvent dans les sciences de la nature et sont considérées comme véritables propositions chez
Wittgenstein, entant qu’elles décrivent un état des choses.

Pour ce qui est des propositions dénuées de sens, ce sont des propositions métaphysiques.
Mondoué et Nguemeta notent d’ailleurs que : « Pour Wittgenstein en effet, la logique de notre langage
veut que nous nous astreignions aux propositions ayant un sens. Malheureusement, cette exigence
n’est jamais parfaitement satisfaite, puisque le langage cherche toujours à dérober le cadre du dicible,
de la pensée pour embrasser celui de l’indicible 4». La véritable proposition est celle qui décrit et
représente le monde. Le « Ce dont on ne peut parler il faut le taire » de Wittgenstein trouve donc sa
place. Il convient donc de noter au terme de ce chapitre que l’enjeu était d’élucider la théorie
tractatuséenne de la proposition. Nous avons pu démontré que Wittgenstein s’inscrit dans la logique de
Frege et de Russel sur la question des propositions.

Chapitre II : Du vérificationnisme comme méthode d’analyse

2
Mondoué Roger et Nguemeta Philippe, Vérificationnisme et Falsificationnisme. Wittgenstein
vainqueur de Popper? Paris, Harmattan, 2014, p.19.
3
Ibid. p28.
4
Ibid. ; p.32.
Le dessein épistémologique dans ce chapitre est d’exposer les premiers linéaments de la
théorie du Vérificationnisme avant Ludwig Wittgenstein. Ce qui peut donc nous amener à dire bien
avant l’auteur du Tractatus, plusieurs philosophes avaient déjà posé les jalons du vérificationnisme.
Autrement dit, la conception selon laquelle toute proposition doit désigner les fait et observables était
déjà perçu bien avant Wittgenstein. Dans cet ordre d’idées, toute investigation théologico-
métaphysique sera exclue. Cette approche est perceptible chez John Locke, David Hume, Auguste
Comte, Bertrand Russell et le Cercle de Vienne. Cela dit, commençons par John Locke.

A- Le vérificationnisme avant Wittgenstein

1-L’ideisme et la déduction empirique de Locke

John Locke (1632-1704) est un philosophe empiriste anglais. Dans ses investigations
philosophiques, il s’insurge contre toute idée de substance et de causalité. Pour lui, l’idée de
substance n’est qu’un produit dont se sert l’imagination pour rendre compte de la permanence
des idées simples dans le temps et dans l’espace. Pour l’empiriste anglais, la connaissance a
deux sources fondamentales : l’expérience extérieur, c’est-à-dire la sensation et l’expérience
intérieure c’est-à-dire la réflexion. A ce titre, dans l’optique d’expliciter d’avantage la pensée
philosophique de cet empiriste sceptique, Roger Mondoué et Philippe Nguemeta soulignent à
juste titre que :

L’idéisme lockien exclut l’expérience interne et toute volonté de fonder a priori la


connaissance. La théorie de la connaissance de Locke telle qu’elle est à l’œuvre dans l’Essai
philosophique concernant l’’entendement humain fait valoir que l’expérience est à l’origine
de la connaissance humaine5
Face à cet état des choses, l’empirisme de John Locke est radicale : l’expérience
sensible est la source ultime de la connaissance. Contrairement à Descartes qui fondait sa
philosophie sur les idées innées, Locke soutient plutôt que l’esprit est une « feuille vierge sur
laquelle rien n’est inscrit à la naissance6 ». Mieux encore, la raison est tabula rasa, c’est-à-
dire vide en elle-même. Il apparait donc, poursuivent Roger Mondoué et Philippe Nguemeta,
que rien ne préexiste dans notre esprit sans la médiation de l’expérience. Locke écrit à cet
effet :

Ne pouvant imaginer comment les idées simples peuvent subsister par eux-mêmes,
nous nous accoutumons à supposer quelque chose qui les soutiennent où elles subsistent, et
d’où elles résultent à qui pour cet effet on a donné le nom de substance7

5
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.39.
6
Idem.
7
J. Locke, Essai concernant l’entendement humain, trad.fr. Jean Pierre Jackson, Paris, Ed. Alive, 2001, p.81.
Cette affirmation qui précède réaffirme non seulement la primauté de l’expérience
sensible dans le processus de la connaissance, mais aussi, constitue une critique acerbe de
l’entreprise métaphysique. La métaphysique pour John Locke est donc un simple abus de
langage qui ne peut garantir l’accord des esprits. Cette critique acerbe du substantialisme
métaphysique va se solder par la mise sur pied de la théorie du langage copie de la réalité :
c’est le principe d’isomorphisme ou parallélisme logico-physique. Cette théorie est beaucoup
plus développée au sein de l’empirisme logique et le logicisme. Roger Mondoué et Philippe
Nguemeta soulignent à cet effet que :

Locke établi un rapport entre l’expérience et le langage. Il trouve que les idées sont
des choses, que leur connaissance ne peut se fonder que sur l’expérience, et que les
métaphysiciens ont tort de disqualifier8
Ainsi, la théorie du langage copie de la pose un postulat bien déterminé : les
« idées déterminées » doivent prévaloir sur les « idées claires et distinctes » de Descartes.
Ceci revient donc à dire que, toute proposition logique doit être en rapport avec le fait ; c’est-
à-dire ce qui existe empiriquement. En dehors de ce critère, la connaissance n’est point
possible. Par conséquent, il faut chasser la métaphysique de la cité scientifique. Roger
Mondoué et Philippe Nguemeta notent à ce propos :

L’idéisme lockien s’oppose ainsi aux abstractions métaphysiques comme la


substance spirituelle ou matérielle. Dans cette perspective, l’innéisme cartésien est tout à fait
dépourvu de sens, dans la mesure où l’esprit ne peut connaître sans la perception9
Mieux encore, cette conclusion de Locke est assez explicite :

Celui qui se sert d’un mot sans lui donner un sens clair et déterminé ne fait rien d’autre
que se tromper lui-même et induire les autres en erreur, et quiconque use des propos
délibérés doit être regardé comme un ennemi de la vérité 10
Toutes ces illustrations démontrent à suffisance que c’est pour et par le réel empirique
que le sujet parvient à la connaissance. Autrement dit la science ou la connaissance
scientifique procède du réel pour l’esprit. Ainsi apparaissent les premiers linéaments du
logicisme viennois, car ce principe sera l’un des critères fondamentaux du Positivisme du
Cercle de Vienne. Cela dit, qu’en est-il de l’empirisme humien ?

8
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.40.
9
Ibid., p.41.
10
Locke, John, Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad.fr. Jean Pierre Jackson, Ed. Alive,
2001, p.7.
2- Le critère de vérifiabilité chez David Hume

Tout comme son prédécesseur John Locke, David Hume (1711-1776), dans la
même lancée, s’opposera à l’idée de substance et de causalité. Roger Mondoué et
Philippe Nguemeta illustrent son dessein épistémologique en ces termes :

L’approche phénoménologique de la connaissance humienne, comme le précise


la préface des Œuvres philosophiques choisies de David Hume, est investie d’une
mission ou « méthodologie ». Il s’agit pour l’auteur du Traité de la nature humaine, de
retenir l’expérience comme unique socle de la démarche scientifique, de rompre
systématiquement avec toute hypothèse présomptueuse et chimérique afin d’instaurer une
véritable science de la nature humaine11.
Notons tout d’abord que le philosophe Ecossais est l’un des plus éminents
précurseurs de la théorie de l’induction. Celle-ci est une méthode philosophico-
scientifique qui consiste à partir d’une observation d’un fait particulier pour ainsi en
établir une règle générale. Elle a donc pour principale base l’observation. Popper
s’attaquera vivement contre cette vision des choses dans son premier chapitre de ses
Conjectures et réfutations (on le verra plus tard). Comme le sous-titre l’indique, David
Hume procède à une déconstruction de toute la métaphysique cartésienne (l’innéisme, la
substance, la causalité). D’ailleurs, il considère la métaphysique non comme une science,
mais comme:

Le résultat soit des efforts stériles de la vanité de l’homme, qui voudrait


s’attaquer à des sujets absolument inaccessibles à son entendement, soit d’un artifice des
superstitions populaires, qui, incapables de se défendre en terrain uni, dressent des
broussailles inextricables pour couvrir et protéger leur faiblesse. Chassés des lieux
découverts, elles s’enfuient dans la forêt, à la façon des bandits, et se tiennent là,
attendant l’occasion de s’élancer dans quelque avenue mal gardée de notre esprit, pour
l’accabler de terreurs et de préjugés religieux. Le plus vigoureux adversaire, s’il se
relâche un moment de sa vigilance, est écrasé ; et il en est beaucoup, qui, dans leur
lâcheté et leur folie, ouvrent les portes aux ennemis et les reçoivent volontairement avec
déférence et humilité, comme leurs souverains légitimes12
Ces propos de Hume mettent ainsi en exergue, un système de refondation et de
réorientation axiologique de la démarche philosophique et scientifique. La métaphysique
est une entreprise illusoire basée sur des superstitions et des rêveries inaccessibles à
l’entendement humain. Le seul moyen de délivrer d’un seul coup nos connaissances de
ces questions abstruses, est d’instituer une sérieuse enquête sur la nature de
l’entendement humain, et de montrer, par une exacte analyse de ses pouvoirs et de sa

11
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.42.
12
D. Hume, Enquête sur l’entendement humain, première section, p.31.
capacité, qu’il n’est fait en aucune manière pour traiter des sujets si éloignés de nous et si
abstrus. Pour Hume précisément, il faut

« Saper les fondements d’une philosophie abstruse, qui jusqu’ici n’a guère fait
que donner asile à la superstition et protéger l’absurdité et l’erreur 13»
Nous notons donc que pour David Hume, la métaphysique est une entreprise
dénuée de sens, un ensemble d’ineptie et un tissu d’illusions. Il ira même plus loin en
écrivant :

Quand nous parcourons nos bibliothèques, si nous sommes fidèles à nos


principes, quel massacre n’allons-nous pas faire ? Si nous prenons en main un volume
quelconque de théologie ou de métaphysique classique par exemple, nous nous
demanderons : contient-il des raisonnements abstraits touchant la quantité ou le
nombre ? Non. Contient-il des éléments expérimentaux touchant des choses, des faits et
d’existants ? Non. Jetez-le au feu car il ne peut contenir que sophisme et illusion14.
A partir de là, le dessein philosophique de l’empirisme de Hume, à en croire
Lucien AYISSI15, professeur de philosophie à l’Université de Yaoundé I, est de substituer
à la vieille métaphysique qu’il qualifie de fausse, une métaphysique authentique dont
l’objet est l’établissement de la science de la nature humaine. Pour Hume, « le seul
moyen » de ruiner complètement les vieux échafaudages de la métaphysique bâtarde et de
« délivrer d’un seul coup nos connaissances » des « questions abstruses », est non
seulement d’éviter toutes les spéculations creuses et fantastiques de l’esprit lorsqu’il
s’égare dans le « monde des fées », mais aussi et surtout « d’instituer une sérieuse
enquête sur la nature de l’entendement humain, et de montrer, par une exacte analyse ses
pouvoirs et sa capacité, qu’il n’est en fait aucune manière pour traiter des objets si
éloignés de nous et si abstrus. » Il s’agit donc surtout de la philosophie abstruse. C’est
cette dernière, fruit du jeu spontané d’une imagination difficile à contenir dans les cadres
de l’expérience, qui a jeté sur la philosophie le discrédit dont elle est l’objet, parce qu’elle
n’a « fait que donner asile à la superstition, et protéger l’absurdité et l’erreur. »

Il nous incombe donc de retenir que les empiristes logiques, positivistes, le


discours métaphysique se présente donc comme du « charabia » et s’apparente à une
activité évasive et dénuée de tout sens. En s’en tenant à cette vision des choses, les vérités
métaphysiques relèveraient de l’ordre de la contingence, car seule la science, vue sous le
13
Ibid., p. 36.
14
D. Hume, Enquête sur l’entendement humain, traduction de Didier Deleule, Paris, Fernand Nathan, 1985
15
L. AYISSI, Hume et la question du sujet de la connaissance. Analyse critique d’une égologie, Paris,
Harmattan, 2015, p. 5.
prisme expérientiel, peut nous fournir des vérités absolues. David Hume estime par là
qu’il est nécessaire que la philosophie procède par une méthode rigoureuse que celle des
sciences de la nature, si elle veut établir son autorité théorique. C’est aussi la condition
pour libérer la philosophie du déterminisme métaphysique : le dessein épistémologique
humien ici s’articule autour de la « libération » de la science et de la philosophie de
l’oppression métaphysique. Cette vision des choses qui était déjà présente dans
l’empirisme lockien, sera adoptée par Wittgenstein en passant par Russel, pour aboutir au
Cercle de Vienne. Le courant empiriste étant présenté, nous passons à présent au
Positivisme scientifique d’Auguste Compte.

3- L’apport de Comte : le principe de conformité des propositions aux faits.

Né à Montpellier en 1798 et mort en 1857, Auguste Comte est le philosophe ayant le


plus développé le courant Positiviste. Le père de la sociologie va ainsi développer une
« nouvelle méthode de philosopher 16», dans l’optique de mettre en lumière une nouvelle
démarche pour connaître. Raison pour laquelle sa première thèse majeure, comme le souligne
si bien Dominique Lecourt17, concerne la marche progressive de l’esprit humain. Ce qui
revient donc à dire que chaque branche de nos connaissances passerait successivement par
trois états théoriques différents à savoir : l’état théologique ou fictif, où les phénomènes de la
nature sont expliqués sous le prisme de l’action divine. Mieux encore, l’esprit de l’homme
cherche à imputer les phénomènes naturels qu’il observe à l’action d’agents surnaturels qu’il
imagine en plus ou moins grand nombre. Ensuite, nous avons l’état métaphysique où l’on
explique les phénomènes par des forces abstraites ou absolues (superstitions). Le sujet fait
appel à la spéculation et au rêve (la sorcellerie et même la magie). Enfin, vient l’état positif ou
scientifique, qui est l’état de la maturité. Ici, l’esprit humain réussit à expliquer les
phénomènes de l’univers par des discours rationnels, en découvrant les lois qui régissent ce
phénomène. Bref, l’esprit scientifique est le fruit d’un grand effort intellectuel, et ce n’est qu’à
l’état positif que l’esprit humain parvient à démontrer, à expliquer, à analyser les
phénomènes. Cette schématisation définit les conditions à l’intérieur desquelles la raison
humaine peut espérer produire une méthode scientifiquement soutenable et source de progrès.
Ce conditionnement du progrès scientifique, dans le Positivisme de Comte, est assorti de
principes comme celui de la subordination de l’imagination à l’observation, en vue de
démarquer le discours scientifique des spéculations théologiques et des abstractions

16
A. Comte, Cours de philosophie positive, 1ère Leçon, p.22.
17
D. Lecourt, La philosophie des sciences, Coll. Que sais-je ? Paris, PUF, Vème édition, 13ème Mille, p.21.
métaphysiques. Le XIXème siècle qui désigne pour Comte le siècle de la « nouvelle méthode
de philosopher », consacre donc une refondation axiologique de la démarche philosophico
scientifique sous le prisme de l’expérimentation. Pour constituer une connaissance
scientifique pour Comte, il faut opérer une sorte de rupture épistémologique pour parler
comme Gaston Bachelard, vis-à-vis des deux états précédents et recouvrir l’état positif. Roger
Mondoué souligne d’ailleurs ce qui suit :

« On le voit bien, l’âge positif se caractérise par une « coupure épistémologique »,


pour parler comme Bachelard, coupure qui consacre la répudiation de la scientia
scientiarum (la métaphysique) et débouche sur la catéchisme de l’empirisme18 ».
Face à cet état des choses, Roger Mondoué poursuit son analyse en soutenant l’idée
selon laquelle le positivisme comtien abouti à un éloge de l’empirisme qui sera perpétrée par
Locke et Hume. Pour lui, ce positivisme débouche naturellement sur l’exaltation de
l’empirisme, si tenons pour admissible que le fondement de la connaissance scientifique est
l’observation, laquelle permet de découvrir les lois générales. L’observation, poursuit-il,
requiert la mutation de l’esprit fictif, abstrait en esprit positif, mutation qui figure la
maturation de l’esprit humain. Le positif ici désigne le réel (le fait observable), le certain, le
précis, le constructif et le relatif, contrairement aux prétentions métaphysiques à l’absoluité.
En somme, achève-t-il ses propos, la « loi des trois états » montre que le savoir véritable n’est
pas de l’ordre de la fiction théologique, encore moins du côté des abstractions métaphysiques.
La connaissance est adhésion au réel par le truchement de l’expérience et recherche des lois
qui président aux différents rapports entre les choses19. Nous sommes donc au cœur d’une
épistémologie fondationaliste, car la connaissance scientifique ici repose sur un fondement
ultime qu’est l’expérience sensible. Le Positivisme comtien étant ainsi présenté, que dire du
courant empiriste ?

B- Le logicisme radical de Wittgenstein

Nous parlerons ici spécialement du premier Wittgenstein, c’est-à-dire, le Wittgenstein


tractatuséen, pour reprendre l’heureuse formule de Lucien Ayissi, dans la préface du
Vérificationnisme et falsificationnisme de Roger Mondoué et Philippe Nguemeta. A cet effet,
18
R. Mondoué, ‘’Les fondements de la logique symbolique dans le Tractatus Logico-philosophicus de Ludwig
Wittgenstein’’, Dissertation doctorale, sous la direction du Pr. Hubert Mono Ndjana, U’YI, 1998-1999, p.8.
19
Ibid.
considéré comme le précurseur principal du Cercle de Vienne (tout comme Locke et Hume),
Ludwig Wittgenstein naquit à Vienne en 1889 et mourut en 1951 à Cambridge. Sa pensée
philosophique est beaucoup plus explicitée dans son célèbre Logisch-philosophische
Abhandlung, connu sous le titre de Tractatus logico-philosophicus (1921). Considéré aussi
comme l’un des auteurs ayant développé les questions de logique et fortement influencé par
Locke, Hume, Russel, Wittgenstein va développer dans son Tractatus la théorie du langage.
Tout comme ses prédécesseurs suscités, Wittgenstein situe son langage dans la facticité. Pour
lui, l’activité philosophique vise à débarrasser la pensée des pièges du langage qui doit en
réalité être la représentation des faits. Autrement dit, toute proposition vraie tient sa vérité de
ce qu’elle dépeint un état de choses correspondant à la réalité 20. C’est d’ailleurs ce qui
transparait dans théorie de l’image, où il estime que « Nous nous faisons des tableaux des
faits 21». Dans cette perspective : « Les limites de mon langage signifient les limites du
monde 22». Ces affirmations démontrent déjà un détournement radical, mieux, un rejet
systématique des abstraction théologiques et métaphysiques.

En effet, dans son Tractatus, Wittgenstein soutient l’idée selon laquelle seuls les
énoncés d’observation sont pourvus de sens et constituent la science. Par conséquent, les
autres énoncés sont considérés comme pseudosciences, des pseudo-énoncés et dépourvus de
tout sens. Pour mieux cerner l’essence et le sens du logicisme wittgensteinien, examinons ces
propos de Karl Raimund Popper :

Vous n’êtes pas sans ignorer que Wittgenstein a tenté de montrer dans son Tractatus
(et…par exemple 6.53.6.54 et 45) que toutes les prétendues propositions philosophiques ou
métaphysiques sont en fait des propositions qui n’en sont pas ou de pseudo-propositions :
elles sont dépourvues de sens ou de signification. Toutes les propositions authentiques (ou
bien qui possèdent une signification) sont des fonctions de vérité de propositions élémentaires
ou atomiques décrivant des « faits atomiques » c’est-à-dire des faits qui peuvent en principe
être établis par l’observation. En d’autres termes, les propositions pourvues de signification
sont entièrement réductibles à des propositions élémentaires ou atomiques, énoncés simples,
décrivant des états de choses possibles et pouvant être établis ou démentis par l’observation23
Ces propos de Popper, en explicitant le point de vue de Wittgenstein concernant le
langage, laissent transparaitre l’idée selon laquelle toute proposition doit désigner le fait. En
dehors de ce postulat wittgensteinien, nous nous retrouvons dans la trajectoire des pseudo-
propositions, et par conséquent des pseudosciences. Car si pour notre auteur : « Wovon man

20
R. Mondoué et P. Nguemeta, Vérificationnisme et falsificationnisme, p.61.
21
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus (1921), Paris, Gallimard, 1961, p.52.
22
Ibid.
23
K. Popper, Conjectures et réfutations, Payot, Paris, tr.fr. Michelle-Irène et Marc B. de Launay, p. 69.
nicht sprechen kann, daruber muss mann schweigen 24», c’est-à-dire « Ce dont on ne peut
parler il faut le taire » alors la science n’est véritablement science que si les propositions y
afférent relèvent des faits empiriques. Popper y ajoute précisément :

Si nous parlons d’« énoncé d’observation » non seulement en référence à des


observations réelles, mais aussi par rapport à une observation possible, nous devrons
affirmer (selon les aphorismes 5 et 4.52 du Tractatus) que toute proposition authentique doit
être une fonction de vérité des énoncés d’observation et doit, en conséquence pouvoir en être
déduite. Tous les autres énoncés qui se donnent pour des propositions seront des pseudo-
propositions dénuées de signification : ils ne sont rien d’autre, en réalité, qu’un galimatias
absurde25
En fin de compte, l’assertion suivante résume à suffisance le vérificationnisme
wittgensteinien : « Ce dont on ne peut parler il faut le taire 26». Nous constatons donc, à la
suite de ce qui précède que Le logicisme de Wittgenstein tire ses sources de l’empirisme de
Locke, Hume, la pensée de Bertrand Russel. Ces auteurs ont un point en commun : soigner la
science et la philosophie malades de la métaphysique. C’est donc cette conception des choses
qu’héritera Moritz Schlick, précurseur du Wiener Kreis. Le logicisme wittgensteinien étant
élucidé, il devient plus aisé pour nous présenter la pensée philosophique du Cercle de Vienne.

3-La conception scientifique de Cercle de Vienne : la logique et l’expérience comme


critères de scientificité

En allemand Wiener Kreis, le Cercle de Vienne est une communauté qui s’est formée
de savant de divers horizons heuristiques à la fin des années 1920. Elle s’est formée dès 1922,
date qui marque l’arrivée de Moritz Schlick (1882-1936), à Vienne. En s’en tenant aux
investigations de Jean Leroux, les membres du Cercle de Vienne « se rencontrent dans un
café viennois le jeudi soir et discutent de science et de philosophie. Les questions à l’ordre du
jour : Comment éviter l’ambigüité et l’obscurité traditionnelle de la philosophie ? Comment
en arriver à un rapprochement entre la science et la philosophie ? Quelle philosophie serait
27
la plus susceptible d’aider au progrès scientifique et par là, au progrès social et culturel ?
Dans l’appendice au Manifeste du Cercle de Vienne, à en croire Jan Sebestik et Antonia
Soulez, on retrouve quatorze noms : Moritz Schlick ; Rudolph Carnap ; Otto Neurath ; Philipp
Frank ; Hans Han ; Viktor Kraft ; Gustave Bergmann ; Herbert Feigl ; Marcel Natkin ;
24
Cité par J. Sebestik et A. Soulez, Le Cercle de Vienne doctrines et controverses, Journées internationales
Créteil-Paris, 29-30 Septembre et 1er Octobre 1983, Paris, Méridiens Kleincksick, 1985, p.72.
25
J. Sebestik et A. Soulez, Le Cercle de Vienne doctrines et controverses, Journées internationales Créteil-Paris,
29-30 Septembre et 1er Octobre 1983, Paris, Méridiens Kleincksick, 1985, p.72.
26
L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus (1921), Paris, Gallimard, 1961, p.107.
27
J. Leroux, Une histoire comparée de la philosophie des sciences. Aux sources du Cercle de Vienne ; Volume I,
Paris, PUL, coll. Logique de la science, 2010, p.114.
Theodor Radakovic ; Friedrich Waismann ; Karl Menger ; Kurt Gödel ; Olga Hahn Neurath,
la sœur de Hans Hahn et deuxième femme d’Otto Neurath. Ainsi, Schlick, chef de fil du
cercle, s’était convertit à une conception de la science qui était pour l’essentiel, celle de Mach,
et il était arrivé à penser, toujours en accord avec Mach, que

les énoncés de base sont des énoncés sur les données de sens (…). Tout énoncé ou
théorie a-t-il insisté, doivent pouvoir être vérifiés, dans ce sens qu’ils doivent avoir des
conséquences susceptibles de correspondre aux faits observables28
Cette vision des choses sera l’élément fondamental des viennois. En effet, soulignent
Jan Sebestik et Antonia Soulez, ceux-ci ont insisté sur

L’exclusion de la métaphysique qui représente toute tentative d’aller au-delà de ce


que Hume, (dont l’œuvre a préfiguré la quasi-totalité du Positivisme viennois » appelait
« matters of fact », soit sur les questions de fait. Les viennois y sont parvenus en utilisant leur
fameux principe de vérifiabilité, un slogan exprimé par Schlick et par Waismann sous la
forme : « la signification d’une proposition consiste dans la méthode de vérification 29
A travers ces propos qui précèdent, nous pouvons comprendre que le dessein
épistémologique du Cercle de Vienne était de montrer que toutes les propositions de la
métaphysique ou presque, sont soit du bavardage dénué de signification, soit de véritables
absurdités. En effet, l’analyse logique des énoncés de la métaphysique, qui doit se solder par
l’élimination de cette dernière, repose exclusivement sur le critère de signification fourni par
la maxime, qui fait basculer la quasi-totalité de la métaphysique dans le domaine du non-
sens30. Cette prise de position amène les viennois à opérer une démarcation trop tranchée entre
science et non-science ou pseudo-science, sous le principe du vérificationnisme développé par
le Wittgenstein tractatuséen.

A ce titre, tous positivistes à la base, le positivisme du Cercle de Vienne a pour base


l’observationnel, pour méthode l’induction, et pour dessein épistémologique l’élimination de
la métaphysique. Leur Positivisme d’origine logico-mathématique va donc se dresser contre
toute tradition métaphysique. D’après La conception scientifique du Monde du cercle de
Vienne, à en croire Dominique Lecourt, « les énoncés de la métaphysique apparaissent au
contraire comme des pseudo-propositions portant sur des pseudo-objets et donnant lieu à de
pseudo-problèmes31 ». La conception scientifique du monde du Cercle de Vienne était
d’éradiquer la métaphysique et toutes ses composantes dont la vacuité ontologique fait

28
Ibid.p.67.
29
Ibid. p.74.
30
Ibid.p.48.
31
Dominique Lecourt, La philosophie des sciences, p.35.
obstacle à la pleine communication et progrès des savoirs. Le principe d’isomorphisme ou
parallélisme logico-physique (déjà élucidé chez Locke, Hume et Wittgenstein) aura un visé
thérapeutique : soigner la philosophie et la science malades de la métaphysique. Les
néopositivistes recourent donc à la méthode inductive (développée au préalable par Hume) et
au principe de vérification (d’avantage développé par Wittgenstein) pour protéger la
philosophie et la science des énoncés absurdes ou dépourvus de signification. Un énoncé n’a
un sens cognitif que s’il est vérifiable. Telle apparaît la pierre angulaire de la doctrine du
Cercle héritée du Wittgenstein tractatuséen. D’ailleurs, Friedrich Waismann (1896-1959),
proche collaborateur de Moritz Schlick, tire cette sentence en 1930 qui constitue en même
temps le slogan du Cercle : le sens d’une proposition, c’est sa méthode de vérification. Nous
retenons donc que pour les membres du Cercle de Vienne, ce qui n’est point observable et
vérifiable ne saurait faire l’objet d’une science.

Pour ce qui est du contexte d’émergence de Popper, celui-ci évolue dans une
atmosphère gouvernée par les épistémologies fondationaliste. L’expérience sensible est
considéré comme la source/le fondement ultime et principiel de la science. En dehors de ce
cadre, le savoir scientifique n’est point possible. Raison pour laquelle ces épistémologie
fondationaliste et autoritaristes vont évacuer du champ de la cité scientifique, toutes les
propositions, instances, données, connaissances supra-empiriques (métaphysique, magie,
sorcellerie, théologie, Dieu, substance, causalité, etc.). Face à cet état des choses, cette vision
de la science a été vivement critiquée par Karl Popper, qui, dans son ouvrage intitulé
Conjectures et réfutations va proposer une nouvelle démarche pour fonder la science : le
rationalisme critique.

DEUXIEME PARTIE

Wittgenstein au tribunal de Popper : la peine de mort

Les investigations précédentes nous permis de voir comment le vérificationnisme a


triomphé par le biais de ses protagonistes. Actuellement, il est question de montrer comment
Karl Raimund Popper a accueilli cette doctrine. D’où la mise en relief de la raison qui justifie
la controverse Popper-Wittgenstein. Ce qui nous amène donc à noter d’emblée que la pomme
de discorde entre ces deux auteurs se situe sur trois points essentiels : la tripartition des
propositions, la nature du savoir scientifique et le statut épistémologique de la vérité.

Chapitre I

L’affaire du « tisonnier » : des propositions métaphysiques existent

Dans la lignée des « reconstructions rationnelles » des conditions du progrès


scientifique, à en croire Raphael OMBOGO, professeur de philosophie dans les lycées et
collèges du Cameroun, le falsificationnisme de Karl Popper fait suite au vérificationnisme du
Cercle de Vienne et au Positivisme scientifique d’Auguste Comte, déjà étudié dans notre
première articulation. Ce qui fait la particularité de l’approche de l’ami de Rudolph Carnap,
est qu’elle s’articule autour de l’esprit critique, lequel justifie pourquoi le falsificationnisme
est synonyme de rationalisme critique. Officiellement, Popper s’est désolidarisé du projet et
des mécanismes des analystes du langage de la science. Il s’est singulièrement insurgé contre
le réductionnisme du discours scientifique au niveau des énoncés purement analytiques au
détriment des énoncés synthétiques. Nous pouvons être tentés de dire que Popper a préféré la
science à l’amitié qui naguère le liait avec les néopositivistes comme Rudolph Carnap ou le
philosophe Moritz Schlick sous l’égide de qui il rédigea sa thèse de doctorat. Il se pose donc
en s’opposant à eux, au point où il se présente officiellement comme le fossoyeur de cette
logique inductive orchestrée à Vienne (Autriche). En s’en tenant à cette vision poppérienne,
c’est « la falsifiabilité » et non « la vérifiabilité » qu’il faut tenir en compte dans la cité
scientifique. Nous retenons que pour notre auteur, la véritable connaissance émane du
falsificationnisme : réfutabilité et falsifiabilité définissent la scientificité d’une théorie. Raison
pour laquelle son épistémologie se construit et s’insurge contre le Positivisme logique dont
Rudolf Carnap en est l’instigateur, et la philosophie analytique du langage, sans oublier
l’empirisme logique du Cercle de Vienne. Il refuse leur conception empirique inductive selon
laquelle les propositions métaphysiques sont dénuées de sens tandis que le sens des
propositions scientifiques viendrait de leur vérification par l’expérience. Ce qui revient donc à
préciser que selon l’auteur de Conjectures et réfutations, il ne faut pas assigner des frontières
aux mécanismes qui nous permettent de parvenir à la connaissance (la science), et qu’il faut
dire non à l’autoritarisme épistémologique, car estime-t-il: « Nous ne connaissons pas, nous
ne pouvons que conjecturer32 ». Ainsi, nul ne détient le monopole de la connaissance. Et
comme le précise si bien Karl Popper : « Méfiez-vous des faux prophètes », et des Protagoras
32
Karl Popper, Logique de la découverte scientifique (1934), trad.fr Philippe Deveaux et Nicole Thyssen-Rytten,
Paris, 1973, Page 23
contemporains. A partir de là se dessine un refus inconditionnel de toute forme
d’autoritarisme épistémologique et le déterminisme. Seul le dialogue et l’ouverture
permettront de corriger nos erreurs. Popper prône donc pour un plaidoyer pour un réalisme
minimal, un dialogue interdisciplinaire et une tolérance épistémologique :
Il n’existe pas de source ultime de connaissance. Aucune source, aucune radication
n’est à éliminer, et toutes se prêtent à l’examen critique33.
Cette déconstruction de la théorie du vérificationnisme va s’intensifier au cours de
l’évènement baptisé par l’affaire du « tisonnier », conférence donnée par Popper sous
l’invitation du Secrétaire du Moral Sciences Club de Cambridge. Le premier enjeu de cette
conférence de Londres était de montrer que les propositions métaphysiques existent. En effet,
pour Wittgenstein, soulignent Roger Mondoué et Philippe Nguemeta « il n’existe pas
(enlever) à proprement parler pas de propositions métaphysiques, car la métaphysique traite
des réalités qui se situent en dehors du monde, le monde étant exclusivement le monde des
faits, des états de choses 34».
Sous cet aspect, Popper reçu l’invitation, pour répondre à cette problématique. Lors de
l’entretient, l’épistémologue anglais commence à réfuter la thèse Wittgensteinienne selon
laquelle il n’existe pas à proprement parlant de problèmes philosophiques, mais de simples
« puzzles » linguistiques. Popper, à en croire Mondoué et Nguemeta, poursuit son propos en
soulignant qu’il commença sa communication par une « introduction quelque peu piquante et
provocante » adressée à l’encontre de ceux qui l’avaient invité en faisant allusions aux
« puzzles ». Selon lui, ceux-ci étaient manifestement tombés dans un paradoxe, car ne parler
que des « puzzles » signifie nier l’existence des problèmes philosophiques. Or, la controverse
ainsi engagée étaient déjà elle-même un problème philosophique. Face à cet état des choses,
la réaction de Wittgenstein fut débordante et irritante. Mais par la suite, Popper poursuivit ses
critiques en démontrant l’existence des propositions métaphysiques. Ecoutons-le :
« Wittgenstein était assis près du feu et, depuis un certain temps, jouait nerveusement avec un
tisonnier dont il se servait parfois d’une baguette de chef d’orchestre pour souligner ses
affirmations : au moment où je parlais de problèmes moraux, il me mit au défi : « Donnez-
moi un exemple de règle morale! » je répliquai : « Ne pas menacer les conférenciers invités
avec des tisonniers ». Sur quoi, Wittgenstein, fou furieux, jeta le tisonnier au sol et sortit de la
pièce comme un ouragan, en claquant la porte derrière lui ». Face à cette évènement, « Popper
venait ainsi de tordre le cou à la tripartition discriminatoire des propositions établie par le père

33
Conjectures et réfutations, page 52
34
Roger Mondoué et Philippe Nguemeta, op, cit, p.70.
du Tractatus, et surtout, au rejet de la métaphysique, et partant, de la philosophie comme
théorie de la connaissance.
Ainsi, contre le vérificationnisme, Popper adopte le falsificationnisme. Il s’applique
d’ailleurs à démontrer qu’une théorie est dite scientifique lorsqu’elle est susceptible d’être falsifiée. En
effet, contrairement aux épistémologies fondationalistes classiques évoquées plus haut, Popper
soutient l’idée selon laquelle le savoir de type scientifique est essentiellement dynamique et évolutive.
C’est dire donc qu’un critère épistémologique permet de constituer la science : la méthode des « essais
et erreurs ». L’avant-propos de la seconde édition de notre ouvrage nous laisse voir la thèse de
Popper :
J’ai tenté, dans le premier avant-propos, de résumer l’idée fondamentale de ce livre en une
seule phrase : nos erreurs peuvent être instructives. Et j’aimerais formuler maintenant une ou deux
remarques complémentaires. Je soutiens notamment que l’ensemble de la connaissance ne progresse
que par la rectification des erreurs. En effet, ce qu’on appelle aujourd’hui « le feed back négatif »
n’est qu’une application de cette méthode plus générale qui consiste à tirer des enseignements de nos
erreurs : la méthode par essais et erreurs35
A la page 69 du même ouvrage, Popper souligne ce qui suit :

Le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la


réfuter ou encore de la tester« quand doit-on conférer à une théorie un statut scientifique ?36»

Ces propos de Popper démontrent à suffisances que le savoir et les théories se construisent
toujours avec une marge d’erreur. Dans cette logique, l’astrologie, le marxisme, la psychanalyse
freudienne sont des pseudosciences, car l’on ne saurait dire ou alors prédire dans quelle mesure elles
seraient fausses. De même, ni le rationalisme, ni l’empirisme ne saurait constituer la source de la
connaissance. L’erreur joue donc un rôle incontournable dans l’entreprise scientifique. Car, à en croire
Karl Popper, l’idée directrice des Conjectures et réfutations s’énonce comme suit : « nos erreurs
peuvent être instructives ».
En fin de compte, ces investigations de Popper vont l’amener à assouplir les frontières entre
les énoncés empiriques et les autres formes d’énoncés. Mondoué et Nguemeta précise d’ailleurs que
Popper assouplit la frontière entre les énoncés empiriques ou scientifiques et les autres formes
scientifiques. Pour lui, il ne saurait y avoir de barrière étroite entre ces différents énoncés. La
métaphysique et ses idées peuvent être utiles pour le progrès de la science, comme les êtres
mathématiques. Car pour Popper, « historiquement, toutes les théories scientifiques, ou
quasiment toutes, procèdent des mythes, et ceux-ci peuvent formuler d’importants

35
Ibidem, Page 12
36
Idem, Page 65
anticipations des théories scientifiques37». Et pour Paul Karl Feyerabend : « Il est donc
nécessaire de revoir notre attitude envers le mythe, la religion, la magie, la sorcellerie et
toutes ces idées que les rationalistes voudraient voir disparaître de la surface de la terre 38»
Cette perspective poppérienne est d’autant plus visible chez Jean Bertrand AMOUGOU, dans
son article intitulé « Existence et sens : plaidoyer pour une philosophie interculturelle et
intercritique » lorsqu’il affirme : « Il est important que chaque discipline renonce à ce qui se
présente en son sein comme dogme 39». C’est dans le même ordre d’idée que Georges
GURVITCH affirme que nous devons «dédogmatiser la philosophie, dédogmatiser la science
de l’histoire, dédogmatiser la rationalité et la raison pour les relier à l’autre face d’elles-
mêmes : l’irraison40 » tout simplement pour reprendre la thèse poppérienne selon laquelle il
faut lutter contre toute forme d’autoritarisme épistémologique et militer pour un réalisme
minimal. Ceci étant dit la pensée de Popper ne recèle-t-elle pas des insuffisances ?

TROISIEME PARTIE

Les enjeux d’une querelle : Wittgenstein, vainqueur de Popper ?

Il a été question jusqu’ici de faire un état des lieux à la fois du vérificationnisme tel
qu’il trouve son lieu d’expression dans la philosophie de la proposition du père du Tractatus,
du positivisme logique du Cercle de Vienne et également de justifier la critique acerbe que lui
a adressé Sir Popper en s’armant méthodologiquement du falsificationnisme qui n’est chez cet
auteur rien d’autre qu’un procédé déductif de mise à l’épreuve des théories. A l’observation,
il apparaît clairement qu’en mobilisant le critère de la falsifiabilité, Karl Popper a montré les
énormes problèmes inhérents au critère de la signification dont Wittgenstein et les
néopositivistes faisaient la promotion. A cet effet, il sera question dans cette dernière partie de
l’ouvrage de répondre aux questions ci-après : Wittgenstein a-t-il attendu l’assaut du
falsificationnisme pour revisiter conceptuellement son mode de philosopher ? Aussi, la
nouvelle philosophie qu’il entend proposer fait-il de lui le véritable fossoyeur de Karl
Popper ? Si tant est dit, peut-on totalement admettre que le post-poppérisme tel qu’il est
visible dans l’épistémologie post-critque est en réalité un néo-wittgensteinisme ?

37
Ibidem, page 67
38
Paul K. Feyerabend, Contre la méthode ; trad.fr. Baudoin Jurdant et Agnès Schlumberger, Paris Seuil, 1975
39
Jean Bertrand AMOUGOU, « Existence et sens : plaidoyer pour une philosophie interculturelle et
intercritique », in Annales de la FALSH, volume numéro 5, nouvelle série 2006, deuxième semestre
40
Georges GURVITCH, Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion, 1996, page 236
Chapitre 5

Du vérificationnisme aux jeux de langage

A. Les paradoxes du Tractatus ou Wittgenstein contre Wittgenstein

Malgré la densité analytique que revêt le Tractatus logico-philosophicus, avec la


manière dont elle aborde les problématiques classiques telles que la question de la
représentativité du langage, l’existence en philosophie des problèmes authentiques, il n’en
demeure pas moins que son approche fortement logiciste consacre un dogmatisme
inquiétant. A ce titre, Wittgenstein ayant pris conscience des erreurs de son logicisme,
s’est retranché en formulant une nouvelle pensée philosophique qui entre en net retrait
avec celle du Tractatus. Les auteurs entendent le signaler moyennant les avertissements
d’Elisabeth Rigal qui indique bien évidemment l’existence d’un deuxième et dernier
ouvrage que le logicien publia de son vivant. Il s’agit précisément de l’ouvrage intitulé
Quelques remarques sur la forme logique. Il est question pour Wittgenstein d’après
Mondoué et Nguemeta, de remettre en question « l’atomisme logique, relativement à
l’incomplétude symbolisme logique »41. En clair, dans l’articulation de sa seconde
philosophie, Wittgenstein assume l’ambition de rompre avec les « hérésies » que
professait le Tractatus et les conséquences subséquentes. Selon les auteurs, il effectue une
analyse critique des principaux points suivants : « les interprétations du Cercle de
Vienne ; le mysticisme ; les tautologies ; la démarcation sens et non-sens ; l’essence et la
tripartition des propositions »42. Après avoir recensé un certain nombre d’éléments qui
constitue l’approche restrictive Wittgensteinienne, les auteurs dans cette sous partie
examinent la mutation de la pensée wittgensteinienne quittant du vérificationnisme aux
jeux de langage.

1. Propositions atomiques et incomplétude du langage formulaire

Comme nous l’avons constaté dans les parties précédentes, Ludwig Wittgenstein dans
le Tractatus logico-philosophicus, a une conception atomiste de la proposition c’est-à-dire
que la proposition est ici considérée suivant sa simplicité structurelle et consiste dans une
interconnexion des noms ou des états de choses que constituent les faits. Cependant en rupture
avec son logicisme, cette conception atomiste de la proposition semble de l’avis de
Wittgenstein problématique. Les philosophes camerounais Mondoué et Nguemeta relèvent cet
41
R. Mondoué et P. Nguemeta, op. cit., p. 105.
42
Ibidem, p. 106.
aspect en soulevant les questions qui suivent : « Toutes les propositions atomiques ne
peuvent-elles pas admettre des constructions contradictoires ? Ou encore, les propositions
atomiques sont-elles toujours atomiques ? Ne peuvent-elles s’exclure mutuellement ? »43.

2. « Luxations neuronales » du Cercle de Vienne : l’abandon du vérificationnisme.

En désignant Wittgenstein comme la figure paradigmatique du Cercle de Vienne, les


positivistes logiques ont par ce fait même effectué un emprunt considérable des thèses qu’il
soutenait dans le Tractatus au point d’y puiser les rudiments théoriques de la philosophie
qu’ils entendaient proposer dans le cadre de leurs activités. C’est dire finalement comme le
démontrent à suffisance les auteurs, que le Tractatus devint la bible des empiristes logique.
Mais, la suite a montré qu’en réalité les membres du Cercle de Vienne se sont mépris sur la
pensée de Wittgenstein qu’ils croyaient pour autant avoir compris et maîtrisé. De l’avis des
auteurs, cette méprise peut objectivement se comprendre sur le fait que ceux-ci en adoptant
pour principe méthodologique le vérificationnisme, partaient d’une élucidation scientifique or
l’élucidation de Wittgenstein est philosophique. Bien plus, Wittgenstein s’étant rendu compte
qu’à l’opposé de ce qu’il pensait autrefois sur la nécessité d’un langage de la précision et de la
clarté qui posait comme exigence l’invention d’un nouvel idiome formel qui devait remplacer
le langage courant, que « le langage humain n’a pas besoin d’être parfaitement ordonné
(symbolisé) pour représenter les états des choses »44. Compte tenu de ce qui précède, il ne
pouvait que confondre les membres du Cercle de Vienne en leur causant de sérieuses
« luxations neuronales ». Mondoué et Nguemeta explicitent ce point de vue en ces
termes : « En redonnant ainsi une place de choix au langage ordinaire qu’il avait pourtant
rejeté sous le prétexte de son ambiguïté, de son obscurité, Wittgenstein limite une fois de plus
la logique symbolique, et surtout il arrache aux partisans du Cercle de Vienne l’arme fétiche
du vérificationnisme »45 .

3. Le mysticisme dévoilé ou comment dire ce qui ne pouvait se dire.

En s’achevant avec l’aphorisme 7 d’après lequel « Ce dont on ne peut parler, il faut


le taire »46 , le Tractatus à sa manière engageait déjà le débat sur l’impossibilité de parler ou
de dire les réalités qui échappent à une constatation empirique. En d’autres termes,
43
Ibidem, p. 107.
44
Ibidem, p.114.

45
Ibidem, pp. 114-115.
46
L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, trad. De l’allemand par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard,
1961, p. 107.
Wittgenstein au moyen de cet aphorisme et d’autres comme les aphorismes 6.421 et 6. 422, se
prononçait sur l’ineffable, l’indicible et l’inexprimable. Selon lui, les propositions de la
métaphysique, de l’éthique ou encore de l’esthétique relèvent de l’ordre de ce qu’on ne saurait
évoquer. Cependant, après avoir désavoué cette conception, Wittgenstein « a ressenti le
besoin de s’exprimer sur l’inexprimable »47. Par-là, il manifestait le désir ou alors l’intention
d’adhérer aux conceptions esthétiques et éthiques. Sous ce rapport, la philosophie
Wittgensteinienne post-tractatuséenne n’envisageait plus l’esthétique suivant son sens ou sa
signification, mais plutôt selon l’occurrence de son usage dans un lexique ou une syntaxe
grammaticale qu’offre le langage courant. Ainsi donc, avec cette nouvelle façon de voir,
l’esthétique, l’éthique ou la religion désignent désormais des jeux de langage dont
l’acquisition de la signification de leurs énoncés s’effectue non plus suivant la sentence de la
logique, mais d’après un contexte d’énonciation socioculturel. C’est d’ailleurs ce qui fait dire
aux auteurs que « C’est en termes anthropologiques et non plus logiques qu’il [Wittgenstein]
aborde maintenant l’inexprimable »48. Ceci revient à dire que les noms ou mots qu’ils
relèvent de l’ordre de l’inexprimable ou pas, ont différentes significations selon qu’on les
emplois dans tel ou tel autre contexte/situation. Sous cet aspect, l’entreprise logique qui taxait
de non-sens toutes les propositions qui ne se conformaient pas à l’exigence de la vérification
empirique dévoile son obsolescence puisqu’elle n’offre plus un meilleur gage de recevabilité.

4- Il n’existe pas de fondement des mathématiques.

Dans le Tractatus logico-philosophicus, Wittgenstein en dehors du projet global de


l’ouvrage qui est celui de reconstruire la corrélation logique entre le langage et le monde et de
repenser l’activité philosophique en la confinant à l’analyse logique du langage, se lance à la
quête fondements des mathématiques. A la suite de ses devanciers tels que Gottlob Frege et
Bertrand Russell sur cette problématique, il soutient la thèse d’après laquelle les
mathématiques auraient un fondement logique. C’est pourquoi il souligne que « Les
mathématiques sont une méthode logique. Les propositions mathématiques sont des
équations, donc des pseudo-propositions. »49. Toutefois, avec l’entrée enjeu de la grammaire
philosophique dont est assortie la seconde philosophie de Wittgenstein, les mathématiques
loin d’avoir des fondements logiques, ne repose plus que sur des règles de la grammaire. A ce
sujet, les auteurs notent : « Si une démonstration ou une règle mathématique n’est pas
arbitraire, au moins est-elle une règle que l’on suit. Et cette règle dépend de la circonstance
47
R. Mondoué et P. Nguemeta, op. Cit., p. 115.
48
Ibidem, p. 119.
49
L. Wittgenstein, op. Cit., p. 96.
dans laquelle on se trouve, par rapport au système général des règles, notamment la
grammaire »50. Il convient donc d’admettre avec sa conversion, que pour Wittgenstein l’idée
d’une quête des fondements des mathématiques est d’une moindre importance. C’est
d’ailleurs pourquoi il se refuse de construire une théorie des mathématiques.

5- La proposition : signification, sens et tripartition.

Les analyses menées dans le premier chapitre de la première partie de l’ouvrage, nous
ont permis de constater que chez Wittgenstein, le sens ou la signification d’une proposition
était fonction de sa méthode de vérification. Dit autrement, la référence d’une proposition
constituait la condition sans laquelle une proposition serait dénuée de sens. C’est donc dire
que le sens d’une proposition est extralinguistique. Cependant, dans les Investigations
philosophiques, ouvrages posthume de Wittgenstein, la signification d’un mot ou d’une
proposition n’est plus fixer d’après les règles de la logique. Il convient plutôt d’admettre que
la signification d’un mot dans la seconde philosophie de Wittgenstein, vient de son emploi
dans une langue. Une telle point de vue est soutenu par Mondoué et Nguemeta lorsqu’ils
affirme : « Dans cette nouvelle approche, la proposition acquiert une signification holistique,
systémique, d’autant qu’un jeu est constitué d’un ensemble de règles dont le suivi dépend des
circonstances ou des cultures dans lesquelles il se pratique »51.

B- Pluralité et systématicité des jeux de langage.

D’entrée de jeu, il faut indiquer que la seconde philosophie de Wittgenstein telle


qu’elle est exprimée dans les Investigations philosophiques, consiste en des jeux de langage.
Tel que l’indique les auteurs, l’orientation conceptuelle des jeux de langage qu’en donne
Wittgenstein trouve son socle génétique dans le nominalisme de Saint Augustin. Toutefois,
Wittgenstein lui attribue un sens spécifique et selon lui, « Le mot « jeux de langage » doit
faire ressortir ici que le parler du langage fait partie d’une activité ou d’une forme de vie »52.
Il s’en suit que l’acte de parler renvoie à une forme d’activité puisqu’il est un jeu de langage.
S’il faut comprendre par-là que les jeux de langage représentent chez Wittgenstein une
analytique de la quotidienneté des usages usuels et courants des mots d’une langue, qu’est-ce
qui les caractérisent ? Suivant donc les précisions des auteurs, les jeux de langage d’après le
logicien viennois doivent être considérés comme des pratiques régulées par « des règles dont

50
R. Mondoué et P. Nguemeta, op. Cit., p. 123.
51
R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., p. 126.
52
L. Wittgenstein cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., p. 131.
l’usage n’est pas arbitraire »53. En d’autres termes, ces règles étant celles d’une syntaxe
grammaticale, s’imposent aux langages, faisant ainsi parties d’une société ou d’une culture.
Les jeux de langage malgré leur pluralité et leur systématicité, sont homologues les uns des
autres Dans ce sens, ils sont « dynamiques », « flexibles » et « illimités ». En clair, Mondoué
et Nguemeta soulignent que « multiplicité, systématicité, régulation, clarté et simplicité
symbolisent les différents jeux de langage de Wittgenstein »54.

Chapitre 6

Post-poppérisme ou néo-wittgensteinisme ?

Du falsificationnisme à l’anarchie méthodologique et àl’antiformalisme

Dans ce dernier chapitre, il est question pour les auteurs d’examiner le devenir du
falsificationnisme, mieux de montrer comment le post-poppérisme fond finalement au néo-
wittgensteinisme.

A- Du falsificationnisme à l’irrationalisme

Les auteurs de cet ouvrage relèvent que Popper a vivement contesté la thèse du
déterminisme universel. L’enjeu est de savoir se demande Gilles Gaston Granger faut-il
assigner des frontières à la science ? Non dit-il car, aucune raison dérivant de la nature de la
science ne contraint à délimiter son champ d’investigation. Dans sa défense de
l’indéterminisme, Popper conçoit :« Les théories scientifiques comme autant d’invention
humaine, comme des filets créées par nous et destinées à capturer le monde »55

1- Le rationalisme critique de Popper ou l’ouverture à l’irrationalisme tenace

Karl Popper estime que les théories scientifiques qui ne sont que d’excellentes
approximations de la réalité, peuvent bénéficier « De rêves irresponsables, d’obstination et
d’erreurs ». Sous ce rapport, Mondoué et Nguéméta y voient des prolégomènes à la logique de
la découverte scientifique, lesquels contribuent « curieusement à ce que l’épistémologie fut en
crise en suscitant des réactions radicalement opposées aux siennes »56. Le rationalisme
critique de Popper a donc ouvert la voie à quelques irrationalismes tenaces puisque c’est à
partir de ses travaux que Kuhn et Feyerabend convertissent l’épistémologie en sociologisme

53
Ibid, p. 132.
54
Ibid, p. 134.
55
K. Popper cité par R. Mondoué et P. Nguéméta, Op. Cit., p. 141.
56
Ibid, p. 141.
ou historicisme pure et simple pensent-ils. Ces propos montrent à suffisance les critiques
légitimes qui lui ont été adressés par les tenants de l’épistémologie post-critique. Faut-il
rappeler au passage que les problèmes que pose le rationalisme critique portent entre autre sur
le statut de l’expérience dans la science, la complexité de la falsifiabilité la prétendue
résolution du problème de l’induction, l’idée du progrès de la science, l’ouverture sur le
relativisme, l’unité de la science et l’objectivité.

2- Le retour du refoulé : Popper adepte du vérificationnisme

En prétendant remettre en cause le vérificationnisme du positivisme logique, il a


dénoncé les paradoxes de la logique inductive, luttant par-là contre toutes les formes
d’idéalisme et de psychologisme. Mais curieusement, constatent ces philosophes
camerounais, « certaines de ses vues [celles de Popper] ne sont pas très éloignées de celles
qu’il combat »57. Dans ce même ordre d’idées, Jean François Malherbe affirme ce qui
suit : « Si de nombreuses séparent le rationalisme critique de l’empirisme logique, il nous
semble néanmoins que les philosophies de l’empirisme logique et de Popper ont beaucoup en
commun ». Dit autrement, Nos auteurs concluent que la place accordée à l’expérience
rapproche le poppérisme du vérificationnisme du Cercle de Vienne. C’est donc dire en effet
que, d’après la falsifiabilité, une théorie qui n’est réfutable par aucun évènement qui se puisse
concevable est dépourvue de caractère scientifique. A l’exemple de l’horoscope, l’astrologie,
la théorie marxiste ou encore la psychanalyse freudienne sont condamnés, par ce qu’ils se
mettent en avance à l’abri de toute réfutation. Il apparait donc que c’est la possibilité
d’invalider une théorie, de la réfuter ou encore de la tester sévèrement qui constitue le critère
de scientificité. Sous cet aspect, les universitaires camerounais estiment que Popper ne s’est
pas tellement éloigné de Rudolph Carnap qui fondait ses diverses théories de la vérification
sur la supposition que les théories scientifiques visent à la certitude. De même, la critique de
Popper adressée au vérificationnisme du Cercle de Vienne sur l’assise observationnelle,
montre que martèlent-ils, la matrice logiciste dans laquelle se développe la pensée de Popper
démontre qu’il est resté attacher au vérificationnisme. Plus fondamentalement, la conception
poppérienne qu’« Une théorie est falsifiable dans le seul cas où nous avons accepté des
énoncés qui sont en contradiction avec elle », reste, malgré tout, du carcan logiciste.
Ecoutons-le : « La où Popper s’est surtout trompé, c’est en pensant avoir échappé au
problème de l’induction de Hume ».

57
Ibid, p. 144.
Bien plus, si Popper s’oppose aux démarches unilatérales du rationalisme et de
l’empirisme, plusieurs éléments mettent en mal le rationalisme critique de cet auteur à savoir
le duel classique fait-théorie, le problème de la base empirique, de la démarcation ou de
l’induction. En remplaçant la vérification incertaine par la falsification, Popper a renforcé
l’opposition classique entre le fait et la théorie. Cependant, au même titre que les défenseurs
du logicisme viennois, il a accordé une place centrale à l’expérience. C’est cette audace
épistémologique qui motive Feyerabend dans son relativisme.

3- L’améthode : solution pro-wittgensteinienne contre le poppérisme

Comme son maître Popper, Feyerabend reste antifondationaliste. En effet,


l’irrationalisme feyerabendien dérive de l’assouplissement des frontières entre les sciences et
les pseudo-sciences, de l’audace intellectuelle motivée par le désir insatiable de savoir. C’est
donc dire que la limitation de la science au programme observationnaliste dans la conception
poppérienne a paradoxalement scellé une relation entre la science et les pseudo-énoncés de la
métaphysique. Toutefois, contre Popper qui a établi une échelle entre les théories, Feyerabend
reprenant Putnam pour qui « il n’existe pas de théorie qui soit mieux justifiée ou plus juste de
que n’importe quel autre »58. En d’autres termes, Feyerabend met ainsi en mal l’approche
poppérienne. Finalement, Popper entend proposer au même titre que les positiviste logique un
critère suffisant de la logique de la recherche scientifique. Comme les partisans du Cercle de
Vienne, il ne ce sera donc pas, précisent les auteurs, mis à l’abri du dogmatisme qu’il aura
pourtant prétendu avoir enterré, s’i l’on en croit Karl Paul Feyerabend. Ainsi, c’est pour cette
raison que Kuhn fonde sa paradigmologie sur l’idée d’une science normale, cette activité
consistant à résoudre des énigmes. C’est également une entreprise fortement cumulative qui
ne se propose « pas découvrir des nouveautés, ni en matière de théorie, ni en ce qui concerne
les faits. Et quand elle réussit dans la recherche, elle n’en découvre pas »59.

4- La paradigmologie de Kuhn, thérapie au falsifiabilisme

Pour Thomas Samuel Kuhn, l’échec de Popper a consisté à Plonger infiniment le


chercheur dans des contradictions et des incertitudes éternelles, alors que l’homme a besoin
d’une certaine assurance ou certitude pour organiser ses recherches. Le Falsificationnisme
poppérien pêche donc par son extrême simplicité. Ainsi, Kuhn rejoint son ami Feyerabend
pour qui le développement des sciences s’enrichir des considérations exogènes ou extérieures

58
K. P. Feyerabend cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., pp. 155-156.
59
T. S. Kuhn, cité par R. Mondoué et P. Nguemeta, Op. Cit., pp. 160-161.
à la pratique scientifique. Pour ces deux hommes de science, la science n’est pas une
entreprise transparente ou encore moins le produit d’observations falsifiantes, ou d’une plus
grande cohérence théorie. Dès lors « Le sentiment que la nouvelle proposition est dans la
bonne voie, et parfois ce sentiment dépend seulement des considérations esthétiques
personnelles et informulées »60 .

Au total, la paradigmologie radicalise l’audace épistémologique proposée par Popper,


le promoteur des épistémologies critiques, Popper est taxé par les épistémologues
camerounais. A la question donc de savoir qui de Wittgenstein et de Popper a eu raison de
l’autre, Mondoué et Nguemeta répondent fondamentalement que et comme on peut le
constater, ces épistémologies critiques sont in fine, plus proche du Wittgenstein de
l’après Tractatus. Sous ce rapport, et compte tenu du rapprochement des thèses de
Popper avec celles du vérificationnisme, n’est-il pas loisible de conclure que
Wittgenstein aura triomphé de fossoyeur déclaré ? (Cf. p. 167).

60
Ibid, p. 165.

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