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Paris 1

Philosophie Générale Complémentaire

On est content de revenir en cours, ici ce sera sur « l’intuition ». L’évaluation


consistera en quatre questions de cours notées sur cinq points chacune. Ce cours
sera consacré à l’intuition. Comme une notion n’est pas suffisante pour être un
thème en soi-même, le but sera d’énoncer différents problèmes liés à la notion
d’intuition. C’est un concept central en philosophie, surtout en épistémologie,
c’est à dire la théorie de la connaissance, s’interrogeant sur les questions du
type la nature ou les modes de la connaissance. Par ailleurs, la question de
l’intuition possède une grande importance au cours de l’histoire de la
philosophie, le concept est utilisé pratiquement par tous les auteurs de la
philosophie. D’un point de vue méthodologique, en général il y a deux manières
de s’attaquer à la nature d’un problème en philosophie. La première consiste à
étudier un concept dans le contextes des doctrines des philosophie, le problème
et la manière avec laquelle les philosophes l’ont traité, c’est de l’histoire de la
philosophie. La deuxième est de faire comme si ce n’était pas si important, de
poser le problème comme la première fois, et de le traiter d’une manière
original avec les données des sciences contemporaines, c’est la manière de
philosopher des philosophes contemporains qui ne font pas d’histoire de la
philosophie.
L’histoire de la philosophie apparaît cependant comme essentielle, c’est
pourquoi on va faire en réalité un petit peu de ces deux manières de procéder.

Introduction sur la notion d’intuition


Qu’est-ce que les philosophes appellent intuition ? Une bonne définition, en
principe, c’est d’après ce qu’en dit Platon dans ses dialogues ce qui donne les
crinières afin d’identifier une chose et d’identifier seulement cette chose là. La
philosophie est cet art de donner des définitions suffisantes et nécessaires des
choses. Ainsi, définir homme par « animal bipède » ne marche pas, ma maman
est un bipède à l’instar du kangourou. Dans le sens commun l’intuition c’est ce
qui est conçu comme un outil pour saisir les domaines qui sont rationnellement
ou scientifiquement inaccessible, comme l’instinct c’est une faculté
irrationnelle. C’est quand Ameline parle de son intuition - spoiler alerte, elle se
trompe quelques fois. Quand Bergson fait une théorie de l’intuition, il fait une
théorie de l’intuition non rationnelle - il aurait tellement aimé rencontrer
Ameline.
On a deux définitions spécifiquement philosophiques. D’abord l’intuition
comme instrument de l’invention scientifique, c’est ainsi qu’on parle des
physiciens, des mathématiciens ou des biologistes qui ont découvert des choses
importantes, ils ont eut des intuitions et ce pour des raisons. C’est une fonction
heuristique dans le sens où elle est bénéfique à la recherche, elle est donc

normative critique. Si on comprend une loi ou une méthode, c’est censé nous
normer, là où le descriptif a la force d’un fait : « le petit hérisson est passé sous
la voiture », alors que « la voiture est censée accélérer devant le hérisson » est
normatif. La fonction normative critique signifie que l’intuition joue le rôle
d’une norme, parfois il y a des idées ou des théories qui ne sont pas intuitives,
et on les écartes à cause de cela : « la voiture n’est pas censée accélérer devant
le hérisson », c’est complètement con. La deuxième définition répandue dans la
philosophie, c’est celle de l’intuition comme base épistémologique de la
connaissance. Cela signifie que l’intuition est une performance cognitive voire
même une faculté de l’esprit qui nous permet d’appréhender des objets ou des
propositions de manière immédiate. Précisons la différence entre l’objet, le
« quelque chose », ce que je peux toucher, qui est matériel, et la proposition
comme contenu d’un jugement. « Je juge que le wombat pèse 25 kilos » est un
jugement, « le wombat pèse 25 kilos » est une proposition. L’intuition donne
accès à la fois à l’objet et à la proposition, et c’est important pour la théorie de
la connaissance puisque cela nous donne accès à la connaissance des objets ou
des propositions, on les connaît et on les connaît immédiatement.
Quelles sont donc les propriétés de la connaissance intuitive ? La définition est
censée ne donner que les propriétés essentielles, mais les définitions parfaites
n’existent pas dans ces domaines là… c’est pourquoi nous en compterons ici
cinq. La première propriété est celle de la primauté ou priorité du mode de
connaissance : en général, chez les philosophes, l’intuition est conçue comme
un mode de connaissance plus fondamental que les autres modes de
connaissance, c’est le mode de connaissance à la base de toute notre
connaissance. La déduction ou l’induction sont par opposition des inférences,
avec une vérité certaine ou probable. La deuxième propriété est celle de la
simplicité de l’objet de l’intuition : l’intuition comme faculté de nous mettre en
relation avec certains objets simples, primitifs. Tout dépend de ce qu’on appelle
un objet simple, du point de vue de la perception les objets qui nous entourent
sont simples, mais d’un point de vue intellectuel un ordinateur n’est pas simple
en ce qu’il est l’agrégation de pleins de concepts, là où du point de vue de la
perception il a sa couleur et sa forme. Opérons une légère distinction signée dû
grande philosophe contemporain des mathématiques Charles Parsons, celle
entre « l’intuition de » et « l’intuition que ». « L’intuition de » est celle des
objets, par exemple « j’ai l’intuition de la porte » cela veut dire que je perçois la
porte - je l’ai juste perçu un peu tard - tandis qu’elle « l’intuition que » est
sémantique, elle est propositionnelle, « j’ai l’intuition que le plus court chemin
entre deux points est la droite » ne me mets pas en contact directement avec des
objets - j’éviterais juste de me prendre la porte en pleine poire la prochaine fois.
Opérons une autre distinction, valable pour toute l’histoire de la philosophie,
celle entre les intuitions sensibles et les intuitions intellectuelles. Les intuitions
sensibles sont les actes de perception - si l’on peut les appeler des actes - qui

portent donc sur des choses singulières, c’est à dire les objets qui peuplent notre
environnement. À l’inverse l’intuition intellectuelle peut porter sur des
propositions comme sur des objets abstraits - « difficile de dire si Dieu est objet
abstrait » explique notre professeur en répondant gentiment à une question. En
ce qui concerne l’intuition intelligible, ce qui en était l’objet chez les grecs était
les axiomes de la géométrie euclidienne - « Gnagnagna moi je veux plus de la
géométrie Euclidienne » « mais ferme là arrête de nous embrouiller,
mathématiques contemporaines de merde moi je préférais Poincaré c’était si
simple ! ». L’intuition désigne une appréhension première, simple, directe,
immédiate, sans concept. La troisième propriété est celle de l’immédiateté de
l’intuition. « Le chemin le plus court entre deux points est la droite » : les
concepts de point et de droite ne donnent pas celui de chemin, c’est l’intuition
qui nous donne l’idée. L’intuition nous fait donc connaître cette vérité d’ordre…
conceptuel ! L’intuition est un mode de connaissance immédiat et cela signifie
que la connaissance intuitive n’est pas obtenue à partir d’une suite d’opérations
intermédiaires - comme des inférences ou de la formalisation. L’intuition est
directe, on ne passe pas par autre chose pour arriver à la vérité, si « un
ordinateur est un ordinateur » c’est évident et on arrivera pas à le prouver par
autre chose que l’intuition. « Je sais que j’ai une main », la connaissance est
immédiate car elle vient de mon intuition sensible. En revanche, je n’ai pas
d’intuition immédiate pour savoir que « le soleil est plus grand que la terre », je
dois passer par une médiation. L’immédiateté dont il est question ici est d’ordre
logique, il n’y a pas d’intermédiaire entre nous et les choses avec l’intuition.
D’un point de vue logique cela signifie que si on connaît intuitivement certaines
propositions ces propositions n’ont pas de prémisses. La quatrième propriété est
celle de l’informalité, et elle est relative puisque tous les philosophes ne
partagent pas l’idée que l’intuition est informelle. L’intuition est informelle au
sens où elle nous fournit des contenus mais pas forcément leur forme. « Sur la
route il y a des hérissons écrasés », si je vais maintenant sur la route je peux le
vérifier et donner le contenu, là où le concept donne la forme. « En Corrèze on
a la fibre », c’est une question de concept et de la manière dont le connaît,
puisqu’en Corrèze il y a de fortes chances qu’ils ne sachent même pas ce que
c’est que la fibre, mais en revanche le contenu perceptif restera le même. Pour
Husserl en revanche, on possède des intuitions formelles - je pose ça là. La
cinquième propriété est celle de l’évidence : l’intuition fournit un ensemble de
connaissances qui ont la propriété d’être évidentes, c’est à dire qu’elles sont
simples et immédiates, ce sont des vérités donnés simplement et
immédiatement. Évidemment cela implique normalement que les choses
compliquées ne sont pas évidents, donc plus la proposition est complexe moins
elle est évidente, c’est pourquoi Descartes va tenter de transférer l’évidence des
choses simples vers les choses compliquées avec sa méthode - en réalité la
moitié des propositions qu’il donne se sont révélées scientifiquement erronées,
sacré René. « La somme des angles d’un triangle est égale à deux angles
droits », c’est un théorème qui n’est pas évident, on ne peux pas trop le savoir
en regardant un triangle - sauf si on est ce bon vieux Blaise, un génie vraiment.
La vérité du théorème dépend d’autres propositions, alors que dire « il n’y a pas
deux côtés qui peuvent se fermer » c’est assez intuitif.
Ce sont les deux significations de l’intimions comme instrument heuristique et
comme faculté ou capacité fondationnelle - à la base de nos connaissances - qui
vont nous intéresser, parce que ce sont les deux les plus transversales dans
l’histoire de la philosophie, on les trouve dans toutes les branches de la
philosophie : si l’on fait de la morale à l’anglo-saxonne, l’intuition morale
revient tout le temps, ça taraude tous les esprits des philosophes moraux, cette
intuitions de certaines normes, même si tout le monde n’est pas d’accord pour
donner quelles sont ces intuitions de types morales - à priori il ne faut pas tuer
les gens. « On peut parler de l’inceste ? » demande une voix dans le fond. « Je
ne préfère pas répondre […] j’ai pas particulièrement envie de répondre »
répond le prof. À quels types d’objets nous donnent accès ces intuitions morales
? À des normes et à des valeurs, des normes qui sont des devoirs pour les
déontologistes, des valeurs - ce qui est bien et ce qui est pas bien, comme
l’inceste - pour les non déontologistes. Il y a aussi l’intuition esthétique, avec
comme objet le beau, mais très vite on a arrêté après Platon… à chaque fois le
problème que pose la notion de l’intuition est le même, c’est celui de l’accès.
Quel est donc ce fameux problème de l’accès ? On pourrait le résumer en une
question : quel est le rapport de connaissance que nous entretenons avec les
choses, les valeurs ou les propositions ? C’est un problème pour deux raisons, si
on accepte un mode de connaissance intuitif, c’est à dire l’intuition avec toutes
ses propriétés, on est confronté inévitablement à ces deux difficultés. La
première est que si on a un accès direct et immédiat aux choses, alors pourquoi
ne pas se contenter de cela ? Pourquoi faire appel à des modes de connaissance
qui ne sont pas immédiats ? Si on a cette super-faculté qui nous permet d’être
en rapport direct à la vérité, pourquoi passer par d’autres moyens ? Peut-être
que l’intuition est limitée, qu’elle ne nous donne pas accès à tout, ce serait ainsi
une espèce de super-faculté limitée. Mais est-ce que les choses qu’on ne connaît
pas dans l’intuition sont moins certaines ? La deuxième difficulté est la suivante
: si l’intuition est un mode de connaissance tel qu’on vient de le décrire, c’est à
dire qu’il nous donne un accès immédiat et direct à des objets et à des
propositions qui du même coup nous donne une connaissance certaine de ces
objets et de ces propositions, cela signifie que l’intuition est un critère de vérité
- ce qui est intuitif est vrai. L’intuition serait donc un critère pour la
connaissance. Or si on juge nos connaissance à leur intuition comme critère de
leur véracité, quel est le critère qui nous permet de reconnaître que nos
intuitions sont vraies ? Donc puisque l’intuition est une connaissance immédiate

de certains objets, par définition nous ne disposons pas de critères externes pour
la vérifier.
Et maintenant une petite mise en scène : ma maman habite à Rennes. Et elle me
dit qu’il fait super moche à Rennes. Alors je lui demande des preuves, parce que
je suis un philosophe merde. Et donc elle m’envoie une photo du ciel hideux de
Rennes. Et puis comme je suis taraudé, je prends le TGV de 14h et j’arrive à
16h. La connaissance médiate était celle provenant de ma maman : il y a des
intermédiaires d’un point de vue logique, il y a des raisons qui sont des
prémisses - ma maman m’a dit qu’il faisait super moche à Rennes, et j’en
déduis qu’il fait super moche à Rennes parce que je la crois, mais il y a plein
d’intermédiaires. Mais quand je suis sur place la connaissance est immédiate, si
on me demande pourquoi, je répond que le ciel est anthracite et que je vois pas
à dix mètres, mais on pourra toujours me demander pourquoi je le vois, je ne
pourrais pas justifier de mon système visuel personnel. Je ne peux pas aller plus
loin que cette perception immédiate. Le fait de voir est une justification
immédiate et suffisante dans la plupart des cas. Il y a des choses que l’intuition
sensible ne nous permet pas de vérifier, comme l’existence de particules
élémentaires dans le grand collisioneur ou de la manipulation qu’exerce une
certaine personne sur moi. La perception est une intuition sensible qui nous
donne accès à des objets sensibles, nos intuitions morales nous donnent accès à
des valeurs ou à des normales morales - des devoirs - et nos intuitions
intellectuelles nous donnent accès à des idées, à des concepts ou à des
propositions.

La théorie de l’intuition chez Aristote


Les Seconds Analytiques, font partie de l’Organon, au sens de « l’instrument »,
la série de traités que donne Aristote, posant le cadre de sa théorie scientifique,
qui sera la manière de faire de la science durant mille ans - c'est quand même
pas tout à fait nul non plus.
Les Premiers Analytiques expliquent la théorie du syllogisme, cette série d’au
moins trois propositions avec des prémisses et une conclusion, que propose
Aristote. Il s’agit du premier manuel qui considère la logique comme une
science rigoureuse et surtout formelle. La première théorie des déductions
formellement valides est ainsi énoncé par Aristote. Il donne une théorie
générale de ce que sont les arguments valides, par route une série de formes, et
va préciser cette théorie en précisant les syllogismes scientifiquement valides
dans les Seconds Analytiques : pour qu’un syllogisme soit scientifique il y a
besoin de trois conditions. La première est qu’il faut que le syllogisme exhibe la
cause de la chose qu’on essaye de connaître, au sens où une explication
scientifique doit être causale - ce que Platon avait déjà mis en évidence. La
deuxième est qu’il faut exhiber la particularité du lien causal, c’est à dire qu’il
faut s’assurer que la cause qu’on a découverte est bien la cause de la chose

qu’on essaye de découvrir, et seulement celle là et non la cause d’autre chose,


sinon cela cause est trop générale. La troisième est que le lien qui unit la chose
à sa cause est un lien nécessaire, d’après Aristote la connaissance scientifique
porte uniquement sur ce qui est nécessaire, la science ne nous donne pas de
vérités contingentes, que des vérités nécessaire, sur ce qui ne pourrait pas être
autrement.
La science porte ainsi selon Aristote sur l’essence des choses, sur leur forme -
au sens de leur raison d’être -, elle ne s’occupe pas des accidents de la matière.
L’accident, c’est ce qui est contingent, ce qui ne définit pas la chose comme
étant moins qu’elle-même : les accidents sont des choses qui ne changent pas la
nature de la chose. Les particularités physiques d’un être humain ne sont pas ce
qui va rentrer en premier lieu en compte dans la détermination de son essence
pour Aristote. L’essence d’une chose est sa propriété essentielle, c’est la
réponse qu’on donne à la question « qu’est-ce ? ».
Chez Aristote il y a des choses qui sont essentielles et d’autres qui sont
accidentelles. La substance est ainsi définit par le philosophe comme un
composé de matière et de forme. Matière, accident, contingence vont ensemble,
la matière dont on est fait est source de hasard, d’accident et de contingences. Il
faut donc s’intéresser à ce qui est nécessaire au sens de ce qui est essentiel et
formel, et donc il n’y a pas de sciences qui s’intéressent à ce qui est contingent.
Aristote explique qu’on vit dans le monde sub-lunaire, contingent, mais la
science doit porter sur ce qui est l’objet nécessaire, étudiant de fait les liaisons
nécessaires entre les choses. On trouve ainsi des connaissances accidentelles,
comme celle d’un fait : on peut très bien savoir qu’en 1789 a eut lieue la
révolution française, mais on peut très bien le savoir sans en connaître la cause,
on a ici une connaissance qui serait d’après les critères d’Aristote accidentelle,
et non scientifique. D’après Aristote il vaut donc mieux connaître les causes
qu’un fait accidentel. « Tous les carnivores ont des incisives, tous les chiens
sont des carnivores, donc tous les chiens ont des incisives », voilà une
syllogisme qui est scientifique parce que d’après Aristote c’est le fait d’être
carnivore qui est la cause que les chiens ont des incisives, ce n’est pas
forcément vrai selon Darwin mais on voit bien ici la cause. Il est ici question
d’une cause finale, c’est à dire que c’est parce que l’espèce des canidés aurait
pour fin d’être carnivore qu’elle s’est pourvue d’incisives, mais, évidemment,
cela ne marche que si l’on admet l’existence de causes finales.
Aristote distingue ainsi quatre types de causes. D’abord la cause matérielle, au
sens où la matière est cause de la chose - le bois est cause de la chaise en bois -,
ensuite la cause formelle au sens de la forme - quatre pieds, un socle et un
dossier sont la forme de la chaise en bois -, puis la cause finale qui est la fin, au
sens de l’objectif, de ce en vue de quoi on a agit par exemple, c’est une cause
téléologique - s’assoir est la cause finale de la chaise en bois - et enfin la cause
efficiente, la cause mécanique - la gravité qui maintient la chaise en place. La

cause formelle et la cause finales sont ainsi souvent les mêmes, la plupart du
temps en fait. Dans un bon syllogisme il y a n’importe laquelle de ces causes là.
La science se base sur les démonstrations syllogistiques, mais ne fait pas que les
empiler les unes sur les autres, elle fait mieux que cela : c’est une grande
entreprise de ramification, la science organise les causes, les liens entre les
choses. Quelque chose de particulier ne peut prouver quelque chose de plus
général pour Aristote.
La science aristotélicienne consiste en une organisation des déductions, un beau
système de hiérarchisation des syllogismes. Alors évidemment le problème
c’est que si connaître scientifiquement quelque chose c’est connaître sa cause,
au sens de pouvoir donner un syllogisme tel que la chose qu’on connaît en soit
la conclusion, il va falloir donner un syllogisme pour chaque chose qu’on veut
connaître. Pour Aristote, un principe est une proposition vraie qui n’est pas la
conclusion vraie d’un syllogisme. Il va donc y avoir trois propositions
préliminaires qui vont nous permettre de connaître les principes : « est-ce que
les principes sont connus par démonstration ? », « est-ce que la connaissance
des principes est scientifique ? » et « est-ce que l’habitus, au sens de la
disposition que nous fait connaître les principes, est inné ou acquis ? ». Cela
nous épargne une régression à l’infini, voilà l’utilité des principes. Mais est-ce
que c’est gênant une régression à l’infini ? Ce n’est pas une contradiction, ce
qui serait embêtant, la plupart du temps on s’accommode bien d’une régression
à l’infini en réalité, ça ne gêne pas les mathématiciens par exemple. Cela signe
la différence entre une vision métaphysique de la science, où la régression à
l’infini est très insatisfaisante, et une vision positive, comme la nôtre, où c’est
nettement moins gênant. Pour Aristote il convient de s’arrêter là où nous avons
une intuition suffisante des principes. Et on pose la question parce qu’on a posé
la première, si on a défini la science comme l’organisation de produits de la
déduction, on peut se demander si l’intuition donne accès à une connaissance
scientifique ou non. Mais c’est plus parce que l’auteur est consciencieux qu’il la
pose. La véritable question est : est-ce que c’est inné ou acquis ? Pa
connaissance scientifique définie comme démonstration syllogistique est
évidemment acquise, sinon on aurait pas besoin de faire de la science. Si on
peut avoir des connaissances qui ne sont pas obtenues via une démonstration
scientifique, les apprend-on au contact de l’expérience ?
Les principes ne sont pas connus par démonstration, Aristote le dit. Ainsi, ils ne
sont pas scientifiques. D’ailleurs, c’est ainsi que les commentateurs plus
théologiques d’Aristote expliqueront sur la connaissance intuitive caractérise
aussi bien la connaissance cognitive des hommes lorsqu’ils connaissent que
celle de Dieu. Quant à savoir si la connaissance est innée ou acquise, les habitus
- dispositions, au sens où le musicien qui sait jouer d’un instrument n’en joue
pas tout le temps, mais qu’il est disposé à, qu’il peut le faire - ne sont en réalité
ni innés ni acquis. Aristote distingue l’acte et la puissance : en puissance nous

avons cette disposition mais nous ne l’actualisons que dans certains cas en
particuliers - de la même manière qu’un enfant est un tueur en série en
puissance et que le tueur en série est un tueur en série en acte. Aristote résout le
problème de savoir si une chose est la même qu’hier et sera la même demain :
en acte non, en puissance non, chaque jour on actualise notre puissance, voilà la
réponse qu’apporte l’auteur à cette importante interrogation métaphysique.
Aristote fait intervenir la notion de perception et de la connaissance qui en est
issue pour introduire le concept central : le noûs. Le noûs c'est l’esprit, c’est
l’intellect, c’est l’intuition. C’est un peu comme la perception, qui est en
puissance tout mais en acte seulement ce que l’on perçoit : en puissance nous
pouvons avoir la connaissance de tous les principes, en actes nous ne l’avons
que de certains. D’après Aristote on aurait un mode de connaissance particulier
pour les principes, ce mode de connaissance particulier serait analogue -
comparable, ce n’est pas la même chose - à la perception, on l’appelle le noûs et
c’est un mode de connaissance intuitif, parce qu’Aristote nous dit que la
connaissance des premiers principes est immédiate. Mais cela n’est pas
satisfaisant du tout : on s’est pas mal crêpé le chignon sur ça chez les
commentateurs. Cela pose deux problèmes très importants. Le premier est celui
de la traduction, Aristote introduit cette nouvelle notion qu’est le noûs, et Jules
Tricot traduit par « intuition », il y a des raisons mais on remarquera que ça peut
aussi être traduit par « intellection » ou « intelligence ». Quand on traduit noûs
chez Platon, c’est « intelligence » ou « intellection ». Il était en réalité
compliqué de traduire noûs par « intuition », alors pourquoi Jules Tricot le fait ?
Parce que toute la philosophie scolastique qui a suivie l’a transformé en
« intuition », parfois « intellection intuitive », et ce problème, évidemment, ne
se résout pas. Et le second problème, c’est donc le « pourquoi ? » qui alimente
ce problème de traduction. Aristote nous dit que la connaissance des principes
est immédiate, il commence même par là, parce que si elle était médiate cette
connaissance serait acquise, et dans ce cas là ce serait la régression à l’infini, et
puis il fait des tartines sur comment la connaissance acquise est analogue à la
perception. Et là, il pose l’induction. Comme ça, sur la table. Je plaisante, mais
ça n’a pas l’air de lui poser des problèmes de mettre ça trois lignes plus bas !
C’est l’intuition qui nous fait connaître les principes, et il n’y a que le noûs qui
est aussi puissant que la connaissance scientifique, et ça c’est trois lignes après
avoir dit que c’était l’induction qui nous faisait connaître les principes ! Mais
l’induction n’est pas du tout, mais alors pas du tout, immédiate ! Il y a plein
d’étapes de l’induction. Comment dire que c’est une connaissance intuitive
obtenue par induction ?
La théorie aristotélicienne de l’induction est assez différente de ce à quoi nous
sommes habitués. On définit souvent l’induction comme une agglomération de
cas particuliers pour en tirer une loi générale. Chez Aristote l’induction est
beaucoup plus générale. Dans le cas de la perception, il s’agirait manifestement

d’un genre de connaissance qui se retrouve dans tous les animaux car il possède
une discrimination qu’on appelle « perception sensible ». Tous les êtres, humain
et animaux, ont une puissance de différenciation, et on est d’accord que notre
perception nous permet de singulariser les choses. La perception sensible nous
met en contact de choses singulières, et uniquement de choses singulières
particulières. Le particulier, c’est un exemplaire de la notion générale, je suis un
particulier et mon général être l’être humain. Ça, c’était la première étape. La
deuxième étape, c’est de dire que chez certains animaux il se produit une
persistance de l’impression sensible : certains animaux ont de la mémoire,
d’autres n’en ont pas. La mémoire permet de comparer entre la chose qu’on voit
et la chose qu’on a vu, elle donne un espace de comparaison. La dernière étape,
c’est l’expérience : une fois qu’on a nos représentations mentales, nos
souvenirs, on va pouvoir les classer et assimiler ensemble ce qui se ressemble.
Ainsi, des expériences générales par la mémoire on a accès à l’universel, au
sens où une universel est une catégorie générale. La perception nous ouvre la
porte vers le général, vers l’universel. Quand Aristote fait cette description de
l’induction, ce qu’il dit c’est que grâce à la perception on peut avoir accès à
l’universel, ce qui va complètement contre Platon.
L’art et la science nous permettent de raisonner directement avec les notions
universelles qu’on a trouvé dans l’induction. L’art n’est absolument pas
l’activité esthétique pour Aristote, c’est bien l’aspect technique. La science nous
parle de ce qui est de tous temps et pour toujours et l’art, la raison technique
nous parle de ce qui est changeant. L’art nous donne des préceptes qui valent
dans un monde contingent mais ne sont pas des vérités absolues. Aristote
explique aussi qu’on doit pouvoir apprendre des premiers principes par
induction. Les commentateurs proposent deux options : pour l’induction qui
nous donne les principes ou bien c’est l’induction classique, au sens où on tire
une définition d’une agglomération de cas particuliers, en même temps qu’on
arrive au concept on peut en avoir une définition, ou bien, et cela paraît une
meilleure option, de la même manière qu’en voyant un triangle particulier en
réfléchissant suffisamment on pourra immédiatement en déduire certains
principes comme ses propriétés, on peut parler d’une induction d’un type
particulier qui est quasiment immédiate. Cette induction s’adapte à la
connaissance d’axiomes, géométriques ou algébriques, mais on ne fait pas face
à de tels principes en biologie. Dans le premier cas c’est la répétition d’une
corrélation qui nous donne accès à l’universel, aux principes. Dans le second
cas l’universel vient du fait qu’on est attentif au particulier, qu’il y a de
l’universel dans le particulier. Quand on fait de la théorie de l’induction cela
porte sur des choses particulières et on a des concepts, mais les principes sont
des propositions, alors la question qui se pose c’est : sur quoi est-ce qu’il faut
faire des inductions pour qu’à la fin ce qu’on produise ce soient des
propositions universelles ?

Le noûs, qu’on traduit de différentes manières, comme on l’a vu précédemment,


nécessite pour qu’on le comprenne qu’on regarde du côté du Traité de l’âme, au
Chapitre III. Aristote expose ici sa théorie des parties de l’âme, sa manière de
parler des facultés de l’âme. Ce qui est intéressant, c’est qu’il parle du noûs
comme un analogue de la perception sensible, toujours. C’est comme la
perception, mais sur le plan intelligible, cela nous donne accès à des choses
intelligibles, comme des concepts, des notions, des propositions. C’est la vision
de l’esprit, l’œil de l’esprit. La théologie va s’emparer de cela pour expliquer
qu’il y a des êtres qui ont cette perception au plus haut degré, les anges, des
êtres entre Dieu et les êtres humains qui sont de purs esprits, ils n’ont pas de
perception mais voient tout à travers.
Pour Aristote nous avons des organes corporels qui nous permettent de
percevoir les choses qui s’impriment en nous selon différentes versions
sensorielles, la perception sensible est ainsi conditionné par l’équipement
organique, sans lui pas de perception. Cette perception là nous fait voir les
sensibles particuliers, comme les couleurs pour la vue, les sons pour l’ouïe etc,
mais à un second niveau nous percevons des choses qui ne dépendent plus d’un
sens en particulier, c’est ce qu’on appelle les sensibles communs, mais cela
reste de la perception sensible - la figure d’une chose, sa forme, est commune à
la fois à la vision et au toucher, et pour ce qui est de la grandeur d’une chose
c’est pareil, ce sont des notions inter-modales. Le troisième niveau c’est le
noûs, l’intuition intellectuelle. Ce sont toutes les notions qui ne dépendent pas
du visible, du contingent : ce sont des essences, des idées entièrement
abstraites. C’est ainsi ce qui nous met en contact avec les réalités intelligibles.
L’induction nous fournit les notions universelles, elle nous donne celles avec
lesquelles on va raisonner, par exemple celles de triangle, d’angle obtus etc, et
après vient l’intuition, permettant de saisir la relation entre la perception et des
notions universelles. L’intuition se surajoute à l’induction et permet de faire des
liens, par exemple entre « oiseau » et « pouvoir voler ».
La tradition qui suit Aristote et en fait un usage extensif, c’est à dire la tradition
scolastique médiévale, tranche en faveur que le noûs soit une intuition
intellectuelle séparable des autres facultés humaines dont nous disposons. Leur
lecture d’Aristote est tinté du néo-platonisme, cette école qui a choisit Platon
comme représentant et qui compte Plotin ou Proclus. L’idée d’une intuition
intellectuelle séparée est tout à fait comptable avec la théologie chrétienne, et il
y a toujours un moment où le noûs nous dépasse dans la mesure où il est
transcendant, partagé par tous, et qu’il nous met en relation avec le monde.
Quand on fait de la théologie, on peut comparer la croyance en Dieu avec une
intuition intellectuelle : certains individus ont une connexion particulière avec
Dieu, ce sont les bienheureux, ces élus de Dieu. Les anges qui n’ont pas de
corps en purs esprits partagent aussi la vision de Dieu, en tant qu’êtres
intermédiaires. Cette intuition est reprise par les modernes, et en particulier

Leibniz et Spinoza - et Malebranche aussi. Cela a l’avantage de ne pas prêter à


Dieu des caractères trop anthropomorphiques. Parfois, la meilleure définition
d’une chose c’est d’être en contact avec, et l’intuition sensible reste une forme
de connaissance puisque le meilleur moyen de connaître un verre d’eau c’est de
le voir et de le boire.

La théorie cartésienne de l’intuition


Dans ses Règles pour la direction de l’esprit, un ouvrage de jeunesse jamais
paru du vivant de l’auteur, Descartes livre sa théorie de l’intuition - c'est un
ouvrage assez intemporel. Philosophe, mathématicien, physicien, biologiste,
Descartes, dont on ne sait les circonstances de sa mort - en Suède, certainement
de froid, la princesse le faisait venir très tôt le matin et il a fini par en mourir -,
a publié des trucs pas mal : les Méditations Métaphysiques et le Discours de la
méthode, des œuvres de génie mais pas pour les mêmes raisons, entre autres.
Pourquoi est-ce que Descartes a écrit les Règles pour la direction de l’esprit, un
de ses premiers ouvrages de philosophie, avant de ne pas le finir et d’écrire à la
place le Discours de la méthode ? En réalité l’un n’est pas la réécriture de
l’autre, mais il y a doublon dans la mesure où cela traite de la méthode. Le
Discours est écrit dans la langue vulgaire qu’est le français, c’est un ouvrage
plus vulgarisateur, lorsque les Règles pour la direction de l’esprit sont plus
techniques. Mais pour ce qui est de ce dernier l’intuition est le concept central.
Quel est donc le projet de l’ouvrage ? Et quelles sont les raisons pour lesquelles
Descartes introduit le concept d’intuition ?
Commençons avec le projet. Il s’agit de fonder les sciences en particulier les
sciences les plus certaines et les plus générales - les mathématiques, la physique
mathématique… - sur les facultés, les capacités épistémiques les plus
communément partagées. Cela signifie que Descartes est tout sauf un
épistocrate - quelqu’un qui pense que pour faire des découvertes scientifiques il
faut posséder des qualités extraordinaires dans son esprit. Ce n’est pas la
capacité qui nous manque, c’est son bon usage, c’est à dire une méthode. Même
si nous ne sommes pas tous égaux en terme de mémoire ou d’imagination, ce
n’est pas vrai pour la raison. Au moment où Descartes commence à écrire il y a
des bouleversements scientifiques partout, il écrit juste après Copernic et
Kepler. Mais ce sont dans les mathématiques, domaine où Descartes domine
grave le game, qui intéressent l’auteur, qui décrit les controverses de son
époque. À l’époque, des mathématiciens résolvent des problèmes puis
deviennent des héros et proposent d’autres problèmes : Descartes se plaint
qu’on expose dans les manuels des choses qui relèvent de l’abscons. Les
réponses et les problèmes sont assez obscurs, le mathématicien est tout seul à
connaître les deux et ça énerve Descartes, qui va proposer ainsi une
méthodologie qui puisse s’appliquer aussi bien aux problèmes mathématiques
qu’au reste des sciences, parvenant aux solutions recherchées. Cela va rendre la

science contemporaine plus accessible, et on s’en rend bien compte lorsqu’on lit
ce qui se faisait avant et ce qui s’est fait après Descartes. La démarche vise ainsi
à rendre explicites les fondements de notre connaissance.
Certaines choses sont connaissables en-soi et d’autres sont connaissables pour
nous, et pour Descartes la bonne manière de faire par la science c’est de
commencer par les choses premières, les principes objectifs qu’on peut
connaître en-soi, et il ne s’agit pas de fonder nos connaissances sur ce qu’il y a
de plus proche. Il faut prendre en compte que ce sont les êtres humains qui font
la connaissance et pas autre chose, il faut fonder la science sur l’ordre de nos
capacités cognitives, c’est à dire que la connaissance des choses est relative à
nos manières de connaître, à nos capacités. C’est une nouveauté parce qu’avant
Dieu garantissait que nous soyons en accord entre nos pensées et les choses.
Ces 21 règles pour la direction de l’esprit servent de cadre à une théorie
méthodique de la découverte et de l’invention scientifique. Cela permet de
fonder les principes à l’œuvre dans la théorie scientifique, et la méthode sera
féconde en ce qu’elle permettra des découvertes scientifiques. La démarche à
l’œuvre dans l’ouvrage est une démarche d’exposition d’une méthode de
découverte, c’est à dire d’une heuristie, fondée sur nos capacités communes,
démarche rendue nécessaire par le caractère insatisfaisant par la production de
la connaissance mathématique - anarchique, non méthodique etc.
Quelles sont donc les raisons de l’introduction d’un nouvel usage du concept
d’intuition ? Descartes est profondément choqué par le double usage du terme
d’intuition tel qu’il apparaît dans la littérature scolastique - la philosophie
d’inspiration aristotélicienne enseignée dans les universités durant la période
médiévale - parce qu’il juge fausse l’idée que l’intuition intellectuelle ait plus à
voir avec l’intuition sensible qu’avec la pratique du raisonnement. Il juge
nécessaire une réforme d’une concept d’intuition car il possède un deuxième
usage alors en vigueur, utilisé par les gens qui font de l’optique, et c’est un
terme qui renvoie à l’attention, l’inspection progressive d’un objet visuel après
le premier coup d’œil - pour distinguer les propriétés visuelles d’un objet il faut
l’inspecter visuellement. Cet acte là suppose une coopération de l’œil et du
jugement, en deux étapes donc, et Descartes est au courant il a écrit une théorie
de l’optique, et il dit que la perception n’est pas un mode de connaissance
immédiat - l’inspection visuelle est un acte de connaissance qui est médiat, il
faut bien observer avant de faire un jugement. Ça ne peut donc pas être une
intuition. On discute encore aujourd’hui si Descartes a raison ou tort.
Pour Descartes l’analogie entre intuition sensible et intuition intellectuelle est
mauvaise, elle ne tient pas la route. La question c’est donc que si le double
usage du terme d’intuition mène à des erreurs, pourquoi garder le concept
d’intuition ? Après cela Descartes ne parle presque plus d’intuition et parle de
lumière naturelle, des lumières de la raison - mais ce n’est pas une faculté
différente. Descartes explique bien qu’il va faire du terme d’intuition un emploi

nouveau. Descartes veut le maintien des propriétés que sont l’immédiateté et la


simplicité, il est essentiel que nous disposions d’un mode de connaissance
immédiat et simple, c’est pourquoi pour fonder la connaissance scientifique de
la découverte il nous faut en premier lieu distinguer différents modes de
connaissance, dont un premier immédiat et simple qui nous permette de fonder
les principes de la connaissance. David Simonetta énumère quatre différentes
applications du concept d’intuition dans les Règles pour la direction de l’esprit :
la première fait porter l’intuition sur les parties de la déduction, la deuxième
concerne la compréhension de ce que Descartes appelle des genres de
difficultés - l’intuition est la capacité de saisir lorsqu’on rencontre une difficulté
le type de difficile auquel on a affaire -, la troisième porte sur le rôle de
l'intuition dans la certitude que donner une réponse au problème soit complète -
les conditions qui doivent être remplies pour que la résolution d’un problème
soit complète - enfin la quatrième, moins fréquente et moins intéressante,
concerne certains cas où l’intuition porte cette fois sur des déductions ou des
énumérations dans leur entièreté.
Comment définir le rapport de la connaissance intuitive aux autres modes de
connaissance ? Descartes distingue intuition et déduction, l’induction était plus
simple et plus certaine que la déduction, rappelant qu’il les a même opposé en
premier lieu parce qu’une proposition connue par déduction est connue
successivement, avec des étapes. Dans la description que donne Descartes une
déduction c’est une chaîne d’intuitions - donc à la fin de la déduction le résultat
est certain. L’intuition n’apparaît pas que pour des principes, il donne d’autres
exemples, comme le fait de voir que j’existe, que je pense. Il y a des objets
intermédiaires qui peuvent aussi bien être connus par intuition que par
déduction. Descartes fait donc appel à l’intuition quasiment tout le temps : les
modes de connaissances ne se contredisent pas, au contraire ils interagissent.
Simonetta donne un exemple intéressant qu’il est peut-être compliqué
d’expliquer dans le détail, un peu fastidieux aussi, mais intéressant : Descartes a
réussi à faire des compas qui permettent de produire des triangles
proportionnels par homotéties, gardant les mêmes rapports par leurs côtes en
étant de différentes dimensions. À quoi ça sert ? Ça permet de résoudre des
problèmes géométriques mais ce qui est important c’est que Descartes dit que si
on a une connaissance intuitive de ce qu’est le premier triangle, à partir de deux
opérations élémentaires intuitives on obtient un autre triangle, et ainsi de suite à
l’infini, et on distingue ainsi la déduction de l’intuition puisque la première
garantie qu’à chaque étape on est dans le vrai mais que si on avait jisye la figure
avec le premier et le dernier construit, on aurait pas été capable de dire qu’ils
sont proportionnels, c'est l’intuitivité de chaque étape qui permet de s’assurer de
la véracité de la déduction. La déduction a vraiment lieue mais elle est garantie
par l’intuition que si l’on veut on peut le faire, toutes les vérités étant présente
en actes dans l’intuition, certaines vérités étant implicites dans la déduction.

Nous sommes des êtres humains avec un esprit fini et nous avons en tète
certaines propositions mais nous devons le reste du temps faire appel à des
facultés qui sont limitées et parfois vectrices d’erreurs. La mémoire a besoin
d’objets sur lesquels se fixer, et si l’on ne peut avoir une connaissance intuitive
de la déduction nous ne pouvons pas faire attention a tout en même temps, et
nous devons donc séquencer.
Les Règles pour la direction de l’esprit ont pour but de présenter une méthode
générale pour la résolution des problèmes. Pour Descartes la recherche
scientifique se fait essentiellement en vue de la résolution de certains
problèmes, la science qui servait de matrice pour cela était les mathématiques,
dans lesquels on présentait des problèmes, une méthode générale manquant
alors pour y répondre. On avait distingué quatre usage distinct, quand l’intuition
porte sur les parties de la déduction, quand l’intuition porte sur l’identification
des genres de problèmes, quand l’intuition porte sur l’énumération, des
conditions qui doivent être satisfaites pour que le problème soit résolu, enfin
quand l’induction porte sur la déduction dans son entier. On avait surtout
analysé le premier usage, expliquant que l’intuition de Descartes n’était pas
seulement intellectuelle, des premiers principes, mais qu’elle intervenait à tous
les stades du raisonnement scientifique et de la déduction, assurant le passage
d’une déduction à une autre. L’intuition garantit ainsi la vérité du passage d’une
déduction à une autre, et tirer les conclusions de cela revient à dire que
l’intuition se présente rarement comme une capacité d’intuition d’objet, la
plupart du temps ce qui est l’objet au sens générique ce sont des relations,
rarement ce sont des objets proprement dits. Cela signifie qu’en premier lieu
l’intuition cartésienne porte sur les relations qui sont inscrites dans les objets du
discours. Il faut passer par un passage difficile, complètement obscur, c’est à
dire la sixième règle, portant sur ce que sont les natures simples - et c’est un
bourbier sans fin.
Quels sont donc ces objets de la connaissance intuitives que sont les natures
simples ? L’argumentation est complètement circulaire : les natures simples
sont ce sur quoi porte l’intuition, mais au vu de la définition donnée par
Descartes de l’intuition on a aucune idée de ce que cela veut dire ! Là où
Descartes est marrant, c’est que contrairement à Aristote qui disait que quand
on avait un certain type d’objet un certain type de facultés y correspondait,
Descartes explique qu’on ne peut pas définir le type d’objet auquel correspond
la nature simple ! Quand il y a nature simple, c’est quand il y a des objets qui
sont relativement simples. Il s’agit de faire la distinction entre des objets
absolus et d’autres relatifs : il faut repérer le point de départ, ce par quoi on
commence, selon le problème qui se pose quelque chose va paraître comme un
absolu, comme ce par quoi il faut commencer mais si on se pose un autre
problème cette même chose va paraître comme relatif, comme une conséquence
- je dis « cette chose » mais c'est aussi valable au pluriel. En vertu de quoi

quelque chose peut-il être considéré comme absolu ou relatif ? Les choses sont
plus absolues ou plus universelles en fonction de la série déductive dans
laquelle elles apparaissent, c’est à dire en fonction du problème qu’on pose.
Quand Descartes parle de problème il pense à un type de situation, une situation
où l’on connaît certaines conditions, certaines données de départ, et où on doit
trouver quelque chose à partir de ces données de départ, à partir de ces
conditions. On doit déduire du nouveau à partir de ce qui est déjà connu. Ici,
Descartes pense en particulier au système d’équation, à ses inconnus et à ses
déterminés, et cela va enclencher un processus déductif. Descartes explique
qu’à partir des données et des conditions dont on dispose déjà, l’intuition nous
donne la forme de la solution qu’on doit rechercher : par analogie - car
l’exemple qui va suivre n’est pas de Descartes - c’est comme si on se demandait
s’il existe un mammifère ovipare et palmipède si l’on sait ce que signifient ces
termes on connaît déjà le genre de solution qu’on cherche, sa forme, puisque
même si nous n’avons jamais vu d’ornithorynque on cherchera quelque chose
qui y ressemble. En mathématiques c’est encore plus clair, avec les équations
différencielles dont on peut connaître la forme de solution en connaissant la
formulation. À partir des donnés qui sont relatives à un problème, l’induction
nous fait voir le type de solution qui est recherchée.
Dans notre exemple du mammifère ovipare et palmipède, les termes absolus
sont mammifère, ovipare et palmipède, en analysant ces termes on arrivera à
des natures simples, in fine on arrivera à des termes comme morphologie,
comme reproduction par exemple. Les natures simples peuvent être
appréhendées en fonction des absolus du problème. Si on pose un autre type de
question, comme un problème de supérieur, c’est à dire plus abstraits : les
ornithorynques sont-ils des êtres matériels ? Les natures simples ne sont pas ici
reproduction ou morphologie, plutôt atomes ou éléments de bases de la matière
qui nous entourent, ce qui veut dire que ce qui peut être conçu comme une
nature absolue sous un problème peut être conçu comme une nature relative sur
un autre. Dans le second problème, reproduction et morphologie ne sont pas
premiers. On ne peut faire d’adéquation entre ce qui est de nature simple et ce
qui est absolu ou relatif, puisque cela change en fonction du problème !
Les natures simples sont des objets de connaissance, elles sont déterminées par
notre activité de connaissance, cette histoire de relatif et d’absolu signifie que
les objets nous apparaissent comme plus ou moins premiers dans nos
déductions vis à vis de nos besoins scientifiques et épistémiques, des problèmes
que nous posons. Il s’agit donc de trouver les termes les plus simples à partir
desquels un problème peut être résolu, c’est à dire de trouver quelque chose
d’inconnu à partir des relations entre des choses qui nous sont déjà connues, le
travail de l’intuition donc. Pour que l’intuition soit rationnelle, il faut qu’elle
nous serve, et pas seulement que A est égal à A. Le point de départ de chaque
résolution de problème est ainsi relatif à chaque problème en question. Cette

idée de Descartes que l’ordre et la cohérence de nos idées dépend des


problèmes que l’on pose possède beaucoup de résonance dans la philosophie
contemporaine. Une fausse résonance serait ce qu’on pourrait trouver dans une
certaine partie de la philosophie structuraliste, en vérité qu’un mot, un concept
ou une croyance n’ont résonance que dans la structure dans laquelle ils sont
compris, des structures linguistiques, conceptuelles ou sociologiques par
exemple. Cela est assez éloigné de la pensée de Descartes, en revanche l’idée
que l’organisation est la structure de nos théories scientifiques selon les
problèmes qu’on pose est cartésienne. Cela fait penser à l’école pragmatiste,
une école de pensée américaine avec notamment William James aux États-Unis,
et Poincaré en France, eux étant très clair sur l’idée que la structure de nos
théories scientifiques ne dépend pas absolument de la structure des choses mais
qu’elle dépend en grande partie de nos fins et de nos buts, ce qui signifie qu’il
vaut mieux une théorie qui soit commode qu’une théorie qui soit impossible à
manier. La manière dont nos théories sont structurées dépend avant tout de la
manière avec laquelle nous pouvons connaître.
Ce qui est d’autant plus frappant si l’on revient à Descartes, c’est qu’il nous dit
que la théorie scientifique dépend des problèmes qu’on pose mais que cela
semble entrer en contradiction totale avec ce qu’on a l’habitude de connaître de
la philosophie cartésienne, celle d’une connaissance absolument universelle,
une méthode dont les points de départ ne sont pas du tout relatifs, dans le
Discours et dans les Méditations, avec un point de départ absolument absolu.
Cette dualité reparaît dans les Méditations avec l’ordre épistémologique de la
déduction, qui démarre de l’ego cogito pour aller jusqu’à la preuve ontologique
de l’existence de Dieu, l’ordre ontologique étant d’ailleurs Dieu d’abord et nous
ensuite. Descartes concilie ainsi l’ordre des points de départ, dira-t-on. Deux
séries déductives sont ici superposées. Cela signifie qu’il y a un point de départ
absolu épistémologique, l’ego cogito, et un point de départ ontologique, Dieu.
Spinoza part lui du principe que Dieu existe, Descartes ayant comprit que le
point de départ plus humain est plus digeste - L’Éthique il faut être accroché,
Spinoza est moins compréhensible. On s’aperçoit avec Descartes de quelque
chose de complètement absolu de la théorie aristotélicienne, avec l’idée qu’il
n’y a pas de déduction sans intuition, mais également qu’il n’y a pas d’intuition
sans déduction : si les natures simples dépendent de la série déductive dans
laquelle on les insère, et si l’intuition porte sur les nature simples, alors
l’intuition dépend de la déduction.
Si on résume, l’intuition ne joue pas seulement le rôle de garantie de la validité
de nos déductions, elle sert également à identifier les genres de difficultés, c’est
à dire les conditions générales de résolution d’un problème. Dans ce cadre,
l’intuition porte sur des natures simples, c’est à dire des idées relationnelles
définies comme les idées les plus simples présentes dans la définition des
conditions de résolution d’un problème. Ceci nous mène donc à réévaluer le

rapport de l’intuition à la déduction, en faisant valoir donc que l’intuition


comme mode de connaissance n’avait de sens qu’inséré dans des déductions.
Comment pourrait-on qualifier la rénovation du concept de déduction ? En
vérité il ne s’agit pas que de savoir ce que Descartes pense, mais aussi la raison
qui le pousse à cela : une insatisfaction de la théorie syllogistique. Si l’intuition
joue un rôle fondamental dans la déduction, vu qu’elle n’en jouait aucun avant,
ça veut dire que la déduction a changé de sens. C’est un point sur lequel
Descartes insiste sans arrêt, que sa méthode déductive à lui elle est féconde,
qu’elle nous fait vraiment connaître des trucs, alors que la méthode
aristotélicienne des scolastiques c’est pour les enfants. Cela nous permet de
comprendre pourquoi l’intuition a un rôle heuristique, et en quoi elle fonde la
fécondité de la méthode cartésienne. Cela ne signifie pas que la manière
d’Aristote n’est pas intuitive, mais elle l’est d’une manière limitante : un
syllogisme est l’enchaînement d’au moins trois propositions, avec des
prémisses et une conclusion, une proposition étant un ensemble de termes avec
comme structure un sujet et un prédicat. Il n’y a ici qu’une seule place, c’est
une méthode monadique. Les propositions de la syllogistique n’ont toujours que
cette forme là de sujet et prédicat. Dans la logique aristotélicienne on ne trouve
que quatre type de propositions : particulières ou universelles, négatives ou
affirmatives. « Tous les carnivores ont des incisives, tous les chiens sont des
carnivores, donc tous les chiens ont des incisives », voilà un joli syllogisme.
C’est la forme du « Tous les A sont B, C est un A, donc C est un B » : une
condition simple garantie de la validité de la forme, la condition d’analyticité
qui implique que le moyen terme, ici A, inclu C. Cela revient à dire que le
domaine des A est inclu dans le domaine des B, et si C est un A alors il est
comprit dans B. Le concept mobilisé dans la seconde prémisse doit donc être
inclu dans le moyen terme, voilà la condition d’analyticité. On a trois concepts,
A, B et C, et ces concepts ont chacun une extension, c’est à dire un domaine
d’objets, les objets auxquels ils renvoient : le concept de chien renvoie à tous
les chiens sur Terre, voilà l’extension de chien. Ce que dit Descartes, c’est que
ça c’est bien mais que ça repose sur une intuition, et quelle intuition ? Celle de
la relation d’inclusion. Plus encore, on doit faire appel à la relation d’inclusion
en faisant appel à une de ses propriétés, la transitivité - pour donner un
exemple, « être plus grand » que est transitive, tout comme l’égalité d’ailleurs,
alors que « être différent de » n’est pas transitif, rien ne garanti que si A est
différent de B, A sera différent de C. Pour Descartes, c’est nul, parce que la
condition d’analyticité ne nous permet de rien connaître de nouveau ! La plus
grande extension dans le syllogisme c’est le prédicat de la première prémisse,
qui explicite des choses qu’on sait déjà mais ne nous fournit aucune nouvelle
connaissance. Donc Descartes est cohérent, et propose de faire des déductions
qui font appel à plein d’autres types de relations, notamment toutes les relations
qui sont liées à la quantité, les relations numériques, de proportionnalité, les

relations spatiales, et les mathématiciens ne font que d’ajouter des relations, on


ne peut faire des mathématiques en ne faisant que des syllogismes, qui ne
peuvent même pas exprimer des relations numériques de grandeurs - on ne peut
arriver à partir d’axiomes de bases dans la logique aristotélicienne à prouver
que 2 est plus grand que 1. Autant dire que la logique aristotélicienne face à la
logique de Frege, c’est un arc contre une AK-47. Bref, on a dit que la
syllogistique aristotélicienne se base sur une relation, l’inclusion avec sa
propriété de transitivité : Descartes dit que cette relation, comme certaines
relations elliptives elles sont des natures simples, et pour les exprimer on ne
peut faire seulement appel à la théorie du syllogisme aristotélicien. Dans un
syllogisme analytique, le concept du sujet est inclu dans le concept du prédicat,
dans un syllogisme synthétique, le concept du sujet n’est pas inclu dans le
concept du prédicat mais on le dit quand même : dans sa méthode déductive,
Descartes place des actes de synthèse. Nous avons deux segments, nous nous
sommes arrangés pour que l’un soit deux fois plus long que l’autre, mais là
nous ne en sommes pas rendus compte mais nous avons accompli un acte de
synthèse : on a attribué à un des segments le fait d’être une unité de mesure
pour l’autre, et cela ne peut pas être analytique comme relation, rien dans le
concept de ce segment n’indique qu’il est une unité de mesure, nous en avons
fait une unité de mesure, et nous exprimons une vérité nécessaire - et non
analytique - qui vient de nous en exprimant qu’un segment est deux fois plus
long que l’autre. La déduction la plus fameuse de Descartes, c’est à dire « je
pense donc je suis », issue du Discours de la méthode, ce n’est pas une
déduction analytique précisément parce que quand on analyse le concept de
pensée on ne tombe pas sur le concept d’existence. Pourquoi est-ce qu’une
vérité nécessaire peut ne pas être analytique ? C’est l’acte lié à la proposition
qui implique la vérité, ce n’est pas le contenu.
Dans la déduction cartésienne, il ne s’agit donc pas d’analyser des concepts et
de déduire explicitement de ces concepts ce qui était déjà implicitement
contenu, ça c’est le syllogisme aristotélicien - et d’ailleurs pour Kant
philosopher c’est analyser nos concepts, les concepts purs, par n’importe
lesquels, mais la philosophie reste un exercice d’analyse conceptuelle pour lui.
La démarche cartésienne consiste à analyser ce qui est inconnu à partir de ce
qui est connu, c’est à dire les relations qui lient ce qui est connu avec ce qui est
inconnu. Ces relations sont l’objet de l’intuition et elles sont irréductibles à
l’analyse logique - au sens aristotélicien du terme. Et quand on y pense c’est
normal, la science chez Aristote consiste à mettre en perspective des notions
universelles liées entre elles de manière nécessaire, et ainsi évidemment que
tout ce qui a trait au monde empirique n’est pas nécessaire, donc il est
nécessaire que les relations numérique ou spatiales ne puissent pas être conçues
par Descartes dans un ordre aristotélicien. Effectivement, si on regarde ce qui se
passe dans la science contemporaine, à partir de relations qu’on sait déjà on

arrive à déduire l’existence d’objets qu’on ne voit pas, qu’on ne verra sans
doute jamais - le Boson est un bon exemple.
La théorie cartésienne présente des qualités qu’on trouve rarement, notamment
cet effort de juxtaposition de l’intuition comme instrument de la découverte et
de garantie de nos connaissances, entre ce qui nous fait connaître de nouvelle
choses et ce qui nous assure de la vérité de nos connaissances. On peut
distinguer trois défauts qui expliquent pourquoi Descartes a abandonné lui-
même cette théorie : d’abord cette méthode est trop intimement liée à la
méthode de recherches mathématiques, ce qui gâche sa portée universelle, là où
le Discours de la méthode est censé valoir pour tous les domaines, ensuite il
manque à la fois le rapport de l’intuition à la perception, il n’en parle quasiment
jamais, et le rapport de l’intuition à la connaissance empirique, enfin il y a la
question du statut des natures simples, tantôt des relations, tantôt des
propositions etc, ce n’est jamais défini. Locke y revient dans le Chapitre IV de
L’Essai sur l’entendement humain, développant sa propre théorie de la
connaissance intuitive. Il est très probable que Locke ait lu les Règles pour la
direction de l’esprit, mais Locke s’en défendra, ne le mentionnant jamais.

La connaissance intuitive chez Locke


La théorie empiriste - au sens où toute notre connaissance dérive ici de notre
expérience - de la connaissance qu’on trouve chez Locke - il est le premier
empiriste, fixant les règles qu’il convient de connaître pour savoir si on est
empiriste - distingue deux sources de la connaissance. La source primaire est la
sensibilité, c’est à dire les impressions sensibles dont on est bombardé, et la
source secondaire est la réflexion, c’est à dire l’acte de l’esprit qui nous permet
de réfléchir sur nos sensations. Les impressions sensibles, ce qu’elles
provoquent dans l’esprit s’appellent des idées, et la réflexion a pour objet ces
idées. C’est une théorie causale de la représentation, les idées étant des
représentations des choses qui sont imprimées dans notre esprit, ces idées étant
produites dans notre esprit par des impressions sensibles.
La question qui se pose, c’est que Locke nous dit qu’il est possible de se faire
une idée de tous les rapports possibles que peuvent entretenir nos idées, c’est
une méta-idée, et donc comment pouvons-nous parvenir à la connaissance de
ces rapports ? Pour répondre à cette question, il convient d’exposer un lieu
commun de la philosophie empiriste : le but est de montrer qu’il est possible de
faire la genèse, le parcours de production de nos idées depuis leur origine,
double, puisqu’il y a la sensation et la réflexion. L’impression sensible produit
des idées, et ces idées produites en nous par ces objets sont des idées
particulières : une idée particulière, c’est que lorsqu’on est affecté du dehors par
des objets sensibles, ce qu’il y a de prime abord dans notre esprit ce n’est pas
un objet, mais un paquet d’idées particulières. L’association des idées ne vient
que de l’extérieur, seulement avec l’expérience on arrive à une deuxième étape

puisqu’en faisant plusieurs fois l’expérience de paquets d’expériences


semblables, l’esprit, par un acte de réflexion, opère la synthèse de ces paquets
d’idées particulière, la synthèse au sens de tenir ensemble, de poser ensemble -
à l’inverse de l’analyse qui décompose le paquet d’idées particulières. Quand
on fait l’expérience de paquets d’idées particulières sensibles semblables,
l’esprit en opéra la synthèse par un acte de réflexion et il fait ici la première
distinction entre les idées, différenciant des idées de substance et des idées de
mode. L’idée d’une substance, c’est à dire l’idée d’un objet, est un produit de
l’esprit, par la réflexion c’est le pôle objectif qui nous permet de synthétiser
tous les petits paquets d’idées particulières. Les idées de modes sont toutes les
qualités, toutes les idées particulières, l’idée de substance est l’idée complexe
qui synthèse toutes ces petites idées particulières. On introduit cette distinction
parce que Locke remarque que les petits parquets d’idées particulières produits
par notre esprit sont semblables, mais pas identiques, la substance est ce qui
reste invariant dans ces paquets produits par notre esprit. C’est quand on relie
les qualités, les idées de modes, qu’on obtient ce qu’on appelle une substance.
Les idées de modes sont les qualités sensibles dont on est bombardé, le
substance c’est l’ensemble, une idée complexe de ce qui peut réunir certaines
idées de modes qui vont toujours ensemble.
Ensuite, ce que dit Locke c’est qu’en réfléchissant sur les idées de substance on
va arriver à des idées abstraites, et la question est de savoir comment. Les
empiristes ne peuvent pas accepter l’idée que nous ayons un accès direct aux
formes des choses, donc ce qu’ils vont dire c’est que nous constituons des idées
abstraites à partir de la ressemblances des choses particulières, ignorant les
propriétés qui leur sont particulières et ne gardant que celles qui leur sont
communes. Ce processus s’appelle l’abstraction, abstraire certaines propriétés
pour n’en garder que d’autres. On regroupe les ensembles avec des idées
abstraites, des noms pour des classes ou des espèces d’objets. Les idées
abstraites, c’est tout ce qu’on désigne par des noms communs, et on ne peut
avoir de telles idées qu’en oubliant ce que ces noms communs désignent.
Quand j’ai l’idée abstraite de la chaise, je ne peux pas prendre en compte les
différences entre toutes les chaises, je ne peux garder que les caractéristiques
qui sont communes à toutes les différences chaises. Quand on dit d’une chose
qu’elle appartient à telle classe de choses, on affirme qu’elle possède toutes les
propriétés de la classe abstraite qui la constitue. Comme tous les empiristes,
Locke ne croit pas en l’existence des essences, les distinctions et les
abstractions qu’on fait entre les différentes choses sont conventionnelles et
arbitraires, on appelle cela du nominalisme, du nom qu’on donne entre les
choses, au sens où les différences entre les choses ne résident par dans leur
nature même mais dans le nom qu’on leur donne. Pour un nominaliste, la
différence entre un humain ou une poule est parce que cela nous arrange pour
classer, il y a autant de différences entre un humain et une poule qu’entre deux

humains différents. C’est un débat qui va passionner la philosophie durant


quatre siècles, c’est la querelle des universaux. La synthèse a deux sources, les
agrégats d’expériences sensibles et la réflexion.
Dans notre tête, nous produisons des idées abstraites qui sont comme le modèle
des choses sensibles particulières. Elles leur ressemble dans une certaine
mesure, mais elles sont plus générales. On obtient par réflexion des idées qui
sont plus ou moins abstraites, selon le degré d’abstraction qui se situe dans le
nombre de particularités qu’on enlève. C’est important pour Locke puisque ce
qu’on va dégager à partir des idées abstraites c’est un degré d’universalité
minimum qui va nous permettre de faire des théories scientifiques. Faire une
théorie scientifique qui n’est pas générale ne sert à rien, une bonne théorie ne
concerne pas qu’un seul cas particulier qui peut la vérifier, elle est prédictive, à
l’époque le paradigme d’une bonne théorie c’est Newton : traiter avec une
même théorie de la chute des objets et du mouvement des planètes autour de
nous. Une théorie scientifique qui traite de cas particulier et qui ne peut être
utilisée qu’une seule fois, ce n’est pas une théorie scientifique, c’est une
observation. Par ailleurs, ce qui nous est fournit grâce à la théorie des idées
abstraites ce sont les éléments qui rentrent dans nos jugements, pour Locke un
jugement ce sont des idées qui sont liées entre elles, dont on affirme la liaison.
Quand je dis que « ce chat est roux », j’ai lié la substance qui est « ce chat »
avec un de ses modes, c’est à dire avec une des qualités particulières qui le
composent. Ce qui rend le jugement que je viens de prononcer vrai, c’est la
convenance ou la disconvenance entre les idées qui sont prises dans le
jugement. La vérité du jugement réside dans cette convenance. Il y a deux
manières de vérifier cette vérité, l’expérience, c’est à dire la méthode
expérimentale, mais c’est parce qu’il y a bien des jugements et des réflexions
dans lesquels il n’y a pas de vérification expérimentale et qui sont vrai qu’il y a
une autre manière de procéder, et cela s’applique aux jugements analytiques,
qui sont logiquement vrais.
Des idées comme celles de classe et d’espèce ne sont pas les seules manières
d’obtenir des idées abstraites : il y a des idées abstraites qui ne sont pas des
idées de classe et d’espèce, mais sont des idées qu’on obtient par comparaison
et réflexion sur le mode d’abstraction. On peut avoir des idées abstraites en
réfléchissant à la base sur laquelle on produit ces idées abstraites. La
comparaison, c’est le jugement que les choses sont semblables ou non, et en
réfléchissant sur quelles bases les choses sont comparables Locke va distinguer
quatre types de rapports possibles. Le premier est l’identité : lorsque l’on a une
idée on sait par réflexion qu’elle est identique à elle-même, on comprend une
relation que les idées entretiennent avec elles-mêmes. Du même coup, ce qui va
nécessairement avec l’idée l’identité est la différence : logiquement c’est la
même idée que l’identité, si j’ai une idée de ce qui est pointu j’ai l’idée de ce
qui n’est pas pointu sinon je ne pourrais pas identifier ce qui est pointu. Ce qui

permet de donner une identité à quelque chose c’est de savoir qu’elle est
différente d’autre chose. Le deuxième rapport est celui de relation : on peut
comparer les différentes idées eut égard à leur quantité et à leur qualité, c’est à
dire la relation qu’entretiennent les modes et les substances, on compare par
rapport au mode, c’est ce qu’on dit en exprimant un rapport de grandeur. Le
troisième est la relation de coexistence, ou de connexité, qui désigne la relation
des idées particulières des paquets qu’on va identifier comme des substances,
ces idées sont connexes, elles forment des touts qu’on va pouvoir identifier
comme des substances, mais le fait qu’elles aillent toujours ensemble n’est pas
démontrable logiquement. Par exemple on ne peut pas imaginer de figure non
spatiale, qui n’ait pas d’étendue, mais Locke remarque qu’il n’y a pas de
nécessité logique entre ces deux idées. Ces relations là qui sont étranges, les
empiristes vont dire qu’on les juge nécessaire parce qu’on a jamais vu de
choses qui les outrepasse, on a jamais vu de figure sans étendue et on considère
donc la relation entre les deux nécessaire, mais il n’y a de nécessité logique,
juste une infinité de probabilité que le cas se reproduise éternellement. Husserl
disait quant à lui que c’était synthétique et à priori nécessaire puisqu’on ne
pouvait imaginer l’inverse. La quatrième relation est l’existence : quand on lie
une idée de substance avec la conviction que c’est une chose extérieure qui l’a
produite, pour Locke cela désigne le sentiment qu’on a alors qu’on perçoit des
choses sensibles. Ce qu’on a quand on perçoit une chose sensible, c’est la
sensation que l’idée qu’on en a provient d’une chose extérieure qui existe. Dans
les idées particulières, il y a l’idée qu’elles sont toujours indicées par l’espace et
le temps, qu’elles sont actuelles et que leur actualité, le fait qu’elles soient ici et
maintenant, atteste de leur existence. Quand on a une idée abstraite, il n’y a plus
ce ici et maintenant, et le fait qu’elle ne soit plus indicée sur le moment présent
montre qu’elle ne renvoie à rien de réel. C’est notre idée et l’idée qu’une chose
extérieure l’a produite, et cette relation n’est jamais analytique, sauf dans le cas
de nous-mêmes, où la condition de cette idée - l’idée de nous-mêmes - est notre
existence.
Quelles sont donc les caractéristiques de la connaissance intuitive chez Locke ?
Ce n’est qu’une fois qu’on a désigné ces différentes relations qu’on peut
dégager ce qu’est la connaissance intuitive. Une connaissance intuitive est pour
Locke la connaissance d’une relation entre idées dont la convenance ou la
disconvenance est obtenue immédiatement. On connaît par intuition les
relations de convenances entre idées, on ne les connaît pas toutes, mais on en
connaît un certain nombre. L’intuition fonde notre certitude et c’est un mode de
connaissance immédiat. Non seulement c’est certain et immédiat, mais c’est
fonctionnel, c’est ce qui fonde nos connaissances. À ce stade, cela peut
convenir comme description à l’intuition chez Descartes ou Aristote, mais
Locke ajoute que l’intuition ne joue pas qu’au niveau des principes mais bien
de la connaissance des idées moyennes dans les démonstrations - il penche donc

plus du côté de Descartes. Le rôle de l’intuition dans le raisonnement c’est de


nous fournir des preuves, de nous apporter dans la démonstration ce qui a
valeur de preuve. Une preuve, ce sont ces idées qu’on fait intervenir pour faire
montrer la convenance de deux autres, ce sont des idées intermédiaires, ce que
Locke dit c’est que les idées peuvent être très éloignées ou complexes, et que
parfois l’intuition ne suffit pas à directement faire le lien entre les deux idées,
son rôle est alors de rendre le lien clair. La capacité de trouver rapidement les
idées intermédiaires qui rendent la démonstration claire, Locke appelle cela la
sagacité. Hors il se trouve qu’à la Règle VIII des Règles pour la direction de
l’esprit, Descartes explique que la capacité de rendre la démonstration claire, ça
s’appelle… la sagacité. Après tout, Locke n’a jamais lu les Règles pour la
direction de l’esprit, bien évidemment.
On pourrait en quelques sortes critiquer ces théories de l'intuition, chez
Descartes comme chez Locke, en ce qu’elles sont subjectivistes : en
épistémologie le subjectivisme c’est l’idée selon laquelle in fine l’idée comme
correspondance objective entre nos pensées et la réalité dépend de la certitude
comme sentiment subjectif. Ce qui guette là, et ce qui embête les philosophes,
c’est qu’on a l’impression que c’est une réduction de l’objectivité à la
subjectivité, et c’est embêtant parce que c’est une contradiction, sinon un
danger : le relativisme, l’idée que le sujet est la mesure de la vérité, qu’il est
dépositaire de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Alors évidemment on peut
s’interroger sur le danger réel que représente le relativisme épistémologique,
sur le fait que les conditions que les choses soient vraies dépendent des
individus ou des sociétés, c’est un sujet dont on parle beaucoup en sociologie
des sciences. En tous cas, même dans ce cas là on peut quand même défendre le
subjectivisme épistémologique, qu’on accuse souvent en faisant des confusions
- et ce n’est pas comme si l’épistémologie anglo-saxonne n’avait pas passé son
XXe siècle à détruire littéralement toute subjectivité. Une première confusion
est l’identification entre subjectivisme et relativisme, une identification qui ne
va pas de soi, qui est même étrange en réalité. Elle repose sur une double idée
au sens de suppositions qu’il est difficile de tenir réellement. La première est
que d’une part la subjectivité est réductible à la série des états mentaux d’un
sujet, et que ces états mentaux y sont essentiellement variables et relatifs, et
d’autre part qu’au fond, le sujet est d’abord un sujet de volonté, et que dans une
certaine mesure il a une maîtrise sur ses contenus de pensées, en gros un sujet
peut dire que s’il le veut c’est vrai et qu’il peut s’en persuader. Ces deux
hypothèses apparaissent comme assez extravagants, la subjectivité dont on
dispose est évidemment variable selon les individus mais on peut l’objectiver,
identifiant certaines structures invariables selon les individus, il faut bien qu’on
partage un minium commun sans quoi on ne ferait rien en commun,
l’intersubjectivité rendant les choses objectives. Si l’on regarde bien les
épistémologie subjectivistes comme celles de Descartes ou de Locke, elles

tentent de fonder la science sur ce qu’il y a de plus commun en l’homme, la


subjectivité n’étant pas un obstacle mais une condition de la connaissance. La
connaissance objective a des conditions subjectives de possibilités qu’on peut
objectiver. Quand on met la subjectivité sous le tapis, on fait une deuxième
confusion qui est de confondre théorie de la connaissance et théorie de la vérité,
ce n’est pas tenable de remplacer l’épistémologie par le formalisme logique.
Carnap dans La construction logique du monde tente de se donner une syntaxe
logique pour reconstruire tout, et il va lui-même constater que c’est un échec, et
d’autres ont essayé après lui et échouent, tentant de montrer qu’une théorie
logique suffit. Mais il y a des grosses failles dans l’épistémologie subjectiviste,
comme le fait de tout ramener à un sujet origine absolu de tout, il est certain
qu’on peut faire la genèse du sujet, comprendre sa constitution et son histoire, à
quelle société il appartient, il n’est pas l’origine absolu mais on peut le
comprendre.
La théorie de Locke fonde la connaissance scientifique sur un acte qui
s’apparente à une vision et qu’on a appelé l’intuition : on perçoit certains
rapports entre idées quand ces idées ne sont pas trop éloignées, sans quoi on
doit introduire des idées intermédiaires. Si l’on perçoit ces rapports, cette
perception est véritative, on ne perçoit pas seulement ces rapports mais aussi
leur vérité. Locke se distingue de Descartes car tout l’enjeu de sa théorie de
l’intuition est de montrer les limites de cette faculté de connaissance, en donner
des limites déterminées, des limites stables entre ce qui relève de l’intuition et
ce qui n’en relève pas. Il s’agit de distinguer deux types de jugements, ceux qui
tombent immédiatement sous le regard de l’esprit - ceux qui sont connus
directement par l’intuition - et ceux qui pour être connus dans leur vérité
dépendent ou d’une démonstration ou de conjectures, c’est à dire d’hypothèses.
La connaissance intuitive ne recouvre pas tout le champ de la connaissance, elle
ne prétend pas à recouvrir tout le champ de la connaissance comme c’est le cas
chez Descartes, et en fait le concept de connaissance intuitive a un double rôle
qu’on pourrait qualifier de fondationnel - fonder nos premières certitudes - et de
normatif - indiquer les limites et les degrés de certitude associés à nos différents
modes de connaissances.
On peut désormais s’intéresser à l’intuition comme critère normatif. La
question est alors de savoir sur quels types de rapports, parmi les différents
rapports de convenance et de disconvenance, on va pouvoir avoir une
connaissance intuitive. D’après Locke, on est certains pour l’identité, puisque
c’est un principe logique, c’est une vérité qui est purement formelle - « A égal
A ». Mais est-ce que c’est la seule relation ? Non, et Locke va essayer de
trouver dans chaque relation quels cas vont pouvoir être rapporté à la
connaissance intuitive. Cela permet d’avoir une typologie exhaustif, voilà la
différence avec Descartes. Avec l’identité, où tout rapport est perçu
intuitivement - on peut produire comme on veux des relations d’identités

certaines -, on remarquera que c’est évident dans les exemples que donne
Locke, mais que si l’on dit « l’étoile du matin est l’étoile du soir » ou
« Napoléon est le perdant de Waterloo » qui sont des énoncés d’identité, ce
n’est pas nécessairement évident intuitivement, et là c’est problématique parce
que Locke confond l’identité entre les objets et l’identité entre les noms : je
peux très bien savoir que Victor Hugo a écrit Les Misérables et ne pas savoir
qu’il est écrit 93, et pourtant lorsque je dis que « Victor Hugo est l’auteur des
Misérables et de 93 » j’énonce une relation d’identité. Il y a un article de Frege
sur cela : en quoi est-ce que les jugements d’identité peuvent augmenter notre
connaissance, il amène une différence entre l’objet et le sens, l’article s’appelle
Sens et désignation - ou Sens et référence. Et pour Locke on sait reconnaître
intuitivement les couleurs, encore une fois cela ne va pas de soi, il va un peu
vite en besogne, et il va dire que certaines idées peuvent être distinctes jusqu’à
temps de savoir qu’elles sont les mêmes, mais là où il y a faute logique c’est
quand il dissocie les principes du tiers exclu - « soit A est vrai soit A est non-
vrai » - et de non-contradiction - « A n’est pas non-A » - du principe d’identité.
Notons, pour nuancer un propos précédent, que les idées de modes rentrent bien
dans la composition des idées plus complexes que sont les substances, mais
elles sont en réalité complexes, parce que ce sont des idées abstraites : quand on
perçois un objet, on a bien des idées particulières, mais l’idée de mode est l’idée
qu’on attribue à ce qu’on voit - non pas le bleu particulier du ciel mais bien
l’idée de bleu qu’on déduis de la nuance particulière de bleu qu’on trouve dans
le ciel.
Pour Locke, le rapport d’identité est intuitif et fonde les principes logiques que
sont les principes d’identité, de non-contradiction et du tiers exclu. Locke n’est
pas si différent de Descartes en ce qu’il dit que toutes les relations de grandeur,
de proportionnalité, les relations métriques peuvent faire l’objet d’une
connaissance intuitive. La sagacité est ainsi la capacité de trouver les moyens
termes dans une démonstration, et elle permet de rendre nos démonstrations
intuitives : ce qui est une connaissance intuitive va donc dépendre de notre
sagacité, de notre capacité à trouver les moyens termes. Locke semble croire
qu’on peut avoir des connaissances intuitives en ce qui concerne les qualités
morales. Il nous dit qu’il y a des propositions morales qu’on connaît de manière
aussi intuitive que les axiomes de la géométrie euclidienne : d’abord nul
gouvernement n’accorde de liberté absolue, ça se connaît par connaissance
intuitive selon Locke, et ce qui est connu par connaissance intuitive immédiate
est qu’il ne saurait y avoir de justice où il n’y a point de propriété - ça c’est
vraiment de la déformation professionnelle, Locke a prit le parti de fonder sa
théorie politique et morale sur l’idée que les individus possèdent certains droits
fondamentaux, et il fait reposer cela sur quelque chose d’intuitif, ce qui pourtant
ne semble pas porter ce type de valeur de vérité là. Il y a quand même à cette
époque l’idée sous-jacente qu’on va pouvoir faire des théories morales qui vont

pouvoir avoir autant d’évidence que des théories mathématiques, projet que
Descartes abandonne - il nous laisse avec sa morale par provision, il a
abandonné l’idée d’une morale métaphysique - mais que Spinoza, Leibniz,
Locke ou Hobbes appuient, l’idée qu’on va pouvoir faire une vraie science de la
morale. Il y a la mise sur le même plan chez Locke des vérités logiques et des
vérités mathématiques, l’interprétation standard est de dire que chez Locke
comme chez les empiristes qui vont le suivre - comme Hume - les vérités
mathématiques comme logiques sont des vérités analytiques, parce que c’est
exactement ce que dira Hume, mais le problème c’est que le terme n’apparaît
que très peu chez Locke. C’est quand il s’attaque aux deux derniers types de
rapports, le rapport de coexistence - original par rapport à Descartes, les
rapports des idées qui vont être souvent associées, aucun ou presque ne sont
pour Locke l’objet d’une connaissance intuitive, on ne peut avoir de certitude
que ces rapports sont nécessaires, donc nous savons la manière dont les idées
sont connectées entre elles par expérience, et si Locke explique cela c’est parce
qu’il a lu Newton qui considère que les connexions entre les idées qui
constituent le monde matériel sont des hypothèses ou des conjectures, on ne
peut pas observer, on ne peut pas faire l’expérience de la nécessité, on ne voit
pas la relation de nécessité passer, on ne fait que supposer la nécessité, nous
n’avons accès qu’au niveau superficiel des choses, qu’aux qualités secondes
nous dit Locke, mais ce dont est réellement fait le monde nous est pour toujours
fermé, et donc on ne peut pas dire que certaines connexions qu’on voit souvent
apparaître dans l’expérience sont nécessaires - et le rapport d’existence - une
seule existence m’est donnée de manière intuitive, c’est moi-même, Locke n’est
pas du tout sceptique, il dit à l’instar de Hobbes que moralement, que
pratiquement le fait qu’on soit certain que les choses autour de nous existent ne
change rien à la moralité de nos actions, nos sens nous donnent une certaine
certitude que les choses existent, mais l’essentiel n’est pas là.
Ce qu’il faut retenir avec Locke, c’est qu’il distingue grâce à la connaissance
intuitive deux grands types de relations. Premièrement les relations entre idées
qui ne concernent que les idées, c’est à dire les relations d’identités et de
relations précisément, et celles-ci relèvent de la connaissance intuitive
puisqu’elles ne concernent que les idées et ne renvoient pas à l’expérience, là
où les autres relations font références à l’expérience, à des faits. Hume sera
encore plus clair, dans sa distinction entre relations d’idées et relations de faits,
une distinction centrale dans toute l’histoire de l’épistémologie parce qu’elle
signifie que seules les relations qui concernent les idées peuvent relever d’une
connaissance intuitive et absolue, d’une connaissance que Kant qualifiera de
connaissance a priori. Tout ce qui relève des faits, du contingent, relèvera d’une
connaissance à posteriori, d’une connaissance approximative, probabiliste et
contingente. Ce qui est a priori, c’est ce qui est indépendamment de
l’expérience - le principe selon lequel « A égal A » est vrai que A existe ou que

A n’existe pas, et si 2 plus 2 est égal à 4 ce n’est pas parce qu’on l’a prouvé
grâce à l’expérience, alors que le fait que l’eau boue approximativement à cent
degrés ne peut pas être connu a priori. Les vérités à priori sont des vérités
analytiques pour Hume, les vérités a posteriori empiriques, les vérités de faits
synthétiques. Cela signifie qu’avec de belles théories comme la physique de
Newton, quand on regarde l’armature, l’arithmétique de la physique de Newton,
on a l’impression qu’on fait une déduction, qu’on déduit mathématiquement,
une connaissance qui est censée être à priori : ce que vont dire tous les
empiristes après Locke, c’est que quand on fait de la science c’est toujours
l’armature théorique ou le formalisme de nos théories, pas les choses dont on
parle. Cela signifie que lorsqu’on fait une prédication à l’aide d’un formalisme
mathématique, ce qui compte c’est la prédication, le rapport entre les
propositions qui est nécessaire, par le rapport entre les choses. Le rapport entre
nos pensées peut être nécessaire, le rapport entre les choses ne l’est jamais. La
dernière étape de l’empirisme, une des plus récentes en tous les cas, c’est
l’empirisme logique, un groupe de logiciens et de mathématiciens basées à
Vienne qui finiront par dire que nous n’avons aucune connaissance intuitive au
sens d’immédiate, certaine etc, expliquant que les relations analytiques qui sont
celles de la théorie logique et des mathématiques ne nous donnent aucune
connaissance, ce sont des tautologies, on ne s’en rend pas compte, mais tout est
réductible à quelques principes primitifs, et on a une connaissance qui est
seulement probabiliste, qui n’est pas intuitive, et on doit se passer de tout le
vocabulaire qui est celui de la connaissance intuitive. Cette théorie du
réductionnisme logiciste du début du XXe a rencontré un certain nombre
d’obstacles insurmontables, comme les théorèmes de Gödel.
On va maintenant pouvoir se demander pourquoi est-ce que les empiristes
tiennent absolument à mettre les vérités logiques et mathématiques dans le
même sac ? Comme les empiristes tiennent à mettre ensemble ces deux types de
vérités, ce qui mène au Cercle de Vienne qui considère qu’il n’y a pas de
connaissance intuitive, cela voile un aspect spécifique de notre connaissance
intuitive, un aspect spécifique qui avait pourtant été bien vu par Kant, et le
Cercle de Vienne se bat en permanence contre les idées de Kant.

La théorie kantienne de l’intuition


Emmanuel Kant ( 1724 - 1804 ) est un auteur des Lumières allemandes. Il est
aussi physicien à ses heures perdues, il a écrit un traité du feu, il était professeur
de géographie et il habitait la ville de Konigsberg. Il est connu pour avoir été
réglé comme une horloge, il sortait deux fois par jour pour ses promenades, et
n’est pas sorti que le jour de la Révolution française et celui de la parution de
L’Émile de Rousseau. Il était assez bon vivant, et il disait qu’en dessous de sept
C’est chiant et qu’au dessus de treize c’est trop. Il avait l’air amusant, ce qui
n’est pas forcément évident quand on le lit. Dans la Critique de la raison pure,

il répond à la question de la connaissance, puis dans la Critique de la raison


pratique à celles d’espérer et de faire, et dans la Critique de la faculté de juger
qui parle dès jugement téléologiques, scientifiques et esthétiques. Ses autres
œuvres sont l’Idée d’une histoire universelle, les Fondements de la
métaphysique des mœurs, L’anthropologie d’un point de vue pragmatique. Il est
sans doute l’auteur le plus commenté des trois derniers siècles, et ses influences
majeurs sont Lebniz, les néo-leibnizien allemands comme Wolf, les empiristes
anglais comme Locke et Hume et évidement les Lumières francophones,
comme Diderot, D’Alembert, Rousseau, Helvétius ou le Baron d’Holbach.
La Critique de la raison pure est une tentative pour reprendre la théorie de la
connaissance sur des nouvelles bases, parce que Hume l’a laissée dans un état
lamentable. Kant adore Hume, il dit qu’il est celui qui l’a réveillé de son
sommeil dogmatique, mais Hume, avec toute son honnêteté intellectuelle, a
ouvert la voie au scepticisme dans la théorie de la connaissance, il nous a fait
douter de la validité de choses qui nous paraissaient certaines, et en particulier
des sciences empiriques. Il faut déjà se demander comment Kant définit notre
rapport au monde : la matière première de notre vie mentale ce sont des
représentations, nous sommes confrontés à un flux de représentations, ce sont
des atomes de notre vie mentale, et ces représentations sont provoquées en nous
par des choses externes ou bien c’est nous qui les produisons spontanément.
Dans le cas de la théorie kantienne de la connaissance, on distingue deux grands
types de représentations : celles qui naissent des corps extérieurs qui nous
affectent, ce sont les intuitions, et celles que nous produisons spontanément
lorsque nous synthétisons les représentations intuitives, et ces représentations là
sont des concepts. L’acte qui consiste à relier, à unifier le divers sensible qui
nous est présenté dans nos intuitions, c’est un acte de synthèse qui ne peut
s’opérer à l’aveuglette, il opère selon des règles, ce qu’on appelle des concepts -
à la fois une représentation générale et une règle qui sert à synthétiser nos
représentations intuitives. On est bombardé d’intuitions sensibles, et il faut donc
qu’on arrive à les organiser, en paquets un peu comme chez Locke, c’est à dire
opérer l’unification en synthétisant par des règles qu’on appelle des concepts.
Les concepts, ce sont essentiellement ce qui nous aide à identifier les objets qui
nous sont présentés dans la multiplicité de nos représentations.
On est confronté à un flux anarchique d’informations, notre entendement, c’est
à dire nos capacités cognitives et intellectuelles, nous aide à les synthétiser pour
qu’on puisse identifier des objets. Kant va expliquer à différentes reprises qu’on
va pouvoir appliquer les concepts aux représentations sensibles qui nous
arrivent, et il va aussi nous parler de l’autre phase qui est qu’à partir des
représentations sensibles on va pouvoir produire des concepts : on va produire
des concepts par réflexion à partir des intuitions sensibles, et ce sont les choses
en-soi qui sont à l’origine des représentations. Il faut donc bien distinguer les
objets qui nous sont présentés dans nos représentations et les concepts qui sont

employés pour reconnaître et identifier ces objets, les deux ne se confondent


jamais. Kant note bien dans l’introduction de la Critique de la raison pure la
complémentarité entre l’intuition et les concepts : « aucune de ces deux
propriétés n’est à privilégier par rapport à l’autre, sans la sensibilité nul objet ne
nous serait donné et sans l’entendement aucun ne serait pensé : des pensées
sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles », voilà
l’une citation la plus fondamentales de l’histoire de la philosophie. Kant nous
dit ici que les représentations sensibles et les concepts sont absolument
hétérogènes.
On a des intuitions qui nous fournissent les objets - qu’on reconnaît - sur
lesquels vont porter les concept, on a des concepts qui nous permettent de
rendre intelligibles les intuitions. Si nous avons un concept, pour qu’il soit
viable il faut qu’il puisse exhiber un objet qui lui corresponde, donc avoir une
intuition correspondante. La seule manière de rendre intelligible une intuition,
c’est de la rapporter à des concepts qu’on connaît déjà. Les concepts qui sont
produits par l’entendement peuvent être liés les uns avec les autres, et cette
liaison des concepts entre eux est un jugement : la théorie kantienne de la
connaissance se base sur une connaissance des formes de jugements. Par
ailleurs, la connaissance ne commence chez Kant à proprement parler qu’avec
le jugement, puisque c’est le jugement qui exprime nos connaissances - en
dessous du jugement, ce ne sont pas vraiment des connaissances. On distingue
différents types de jugements : les jugements analytiques - quand le concept du
prédicat est inclu dans le concept du sujet, un exemple en serait « l’espace est
étendu », puisque si l’on analyse le concept d’espace on va trouver le concept
d’entendu, qui entre dans la définition de l’espace - et les jugements
synthétiques - quand le concept du prédicat n’est pas inclu dans le concept du
sujet, un exemple en serait « ce chat est gris », puisque tous les chats ne sont
pas forcément gris, le gris n’entre pas dans la définition du concept de chat - et
là où les jugements analytiques sont à priori, c’est à dire nécessaires et
universels, les jugements synthétiques peuvent être où à posteriori, ce sont les
connaissances empiriques - « ce chat est gris » - ou a priori - « le plus court
chemin entre deux points est une droite », puisque dans le concept de plus court
chemin il n’y a pas celui de droite, et pourtant cette proposition est nécessaire et
est même contraire au jugement analytique qui ne dit rien de l’expérience.
Donc, « tous les effets ont une cause » est une proposition synthétique a priori,
et si le concept d’effet était contenu dans celui de cause les sciences seraient
infiniment plus simples que ce qu’elles sont, mais n’a jamais fait l’expérience
de la relation de causalité.
Cela signifie que parmi nos propositions il y a des jugements qui disent quelque
chose du monde dont on fait l’expérience et qui sont absolument certains et
nécessaires. Évidemment que cela semble étrange, on a pas fait l’expérience de
toutes les lignes droites mais on peut savoir que ce sera forcément le chemin le

plus court d’un point à un autre, on sait à priori cette vérité et on sait qu’elle est
nécessaire, mais pourquoi ? Kant va s’intéresser à deux types de propositions,
aux vérités mathématiques qui présentent par excellence ce type de vérités là et
à la physique mathématique newtonienne. Kant est suprêmement choqué par le
fait que les lois de la physique newtonienne ne puissent pas être tirés de
l’expérience. Sur le principe d’inertie qui dit que s’il y a un objet et qu’il va à
une vitesse constante, si les forces contre lui sont nulles ou s’inversent, son
mouvement est uniforme, qui est le point de départ de la physique newtonienne,
la question de Kant est : comment Newton a-t-il pu trouver cela sachant qu’on
ne peut observer un objet sans qu’aucune force ne s’exerce sur lui, un principe
qui est à la base de toute sa théorie. Si l’on se tient aux données expérimentale,
le principe d’inertie n’est jamais respectée, pas même dans l’espace, jamais
absolument : ce qui est choquant pour Kant c’est qu’on puisse trouver des lois à
partir d’expériences qui ne la vérifient jamais et que la nature se soumette à ses
lois. Notre réflexion thétique, la relation entre nos concepts, peut dépasser ce
que nous donnent nos sens, et c’est cela qui est étrange, c’est qu’on peut
anticiper conceptuellement ce que nos sens peuvent nous donner ou pas. D’où
vient cette capacité qu’ont les êtres humains à anticiper ce qui est possible ou
pas dans l’expérience ? Comment peut-on dire des choses universelles à propos
de l’expérience, et que ces choses là soient vraies ? Pour Kant il faut opérer une
révolution copernicienne en matière d’épistémologie : jusque là on pensait qu’il
y avait un monde externe et que nos capacités intellectuelles devaient s’adapter
à ce monde pour pouvoir le comprendre, mais en fait il aurait fallu faire
exactement l’inverse et comprendre que l’expérience et les choses se
soumettent aux conditions subjectives de la connaissance. Cela signifie que les
choses apparaissent d’une manière qui est déterminée par la manière dont nous
sommes constitués, et c’est évidemment le cas pour nos organes sensoriels, et
les objets nous apparaissent sous des conditions qui sont déterminés par notre
constitution. Les connaissances synthétiques à posteriori, ce qu’elles expriment
c’est précisément ces conditions subjectives qui déterminent la manière dont les
choses, dont les objets nous apparaissent. Nous sommes constitués
subjectivement tous de la manière dont le plus court chemin d’un point à un
autre soit toujours une droite. Nous avons donc accès seulement au phénomène,
c’est à dire la chose en-soi qui nous apparaît selon les conditions subjectives de
notre connaissance. Les choses passent au filtre de deux choses, les formes de
notre sensibilité et les formes de notre entendement. Kant pense que Hume s’est
trompé en cherchant la justification du principe de causalité, on a de toute façon
pas le choix de se représenter causalement la relation des choses, on est
constitués de manière à toujours considérer qu’un effet a une cause : on ne peut
pas penser un effet sans cause ou une cause sans effet. Cela signifie que la
manière dont nous apparaissent les choses en-soi, c’est à dire celle des
phénomènes, se soumet aux conditions subjectives de notre entendement. Au
lieu de nous intéresser aux objets et ensuite à notre manière de les connaître, on
s’intéresse d’abord à notre manière de connaître, ce qui veut dire que la forme
des phénomènes dépend de nous. Les objets doivent nécessairement se
soumettre aux conditions subjectives de notre connaissance, c’est ce qu’on
appelle la méthode transcendantale.
Un concept est une méta-représentation, au sens où c’est une représentation de
représentation : c’est une représentation qui englobe en une différentes
représentations sensibles. Elle représente une série de représentations. En
faisant ça cela signifie qu’elle les unifie, elle représente l’unité des différentes
représentations sensibles qu’elle englobe. Ce qui est particulièrement important
pour Kant, c’est que nous ayons conscience de cette unité des différentes
représentations en une, voilà le concept.
Il faut distinguer deux types de jugements synthétiques à priori - ces jugements
vrais universellement et objectivement mais qui ne sont pas des jugements
nécessaires, logiques ou analytiques, ils ne sont pas dérivables du principe de
non-contradiction. Les jugements synthétiques mathématiques - le plus court
chemin entre deux points est une droite - se distinguent ainsi des jugements
synthétiques dynamiques - tout effet à sa cause. Les jugements synthétiques
mathématiques font appel à un certain type d’intuition particulière, tandis que
les jugements synthétiques dynamiques, au sens où la vérité du jugement ne
réside pas seulement dans la relation entre les concepts - il serait analytique
sinon - mais dans la référence implicite à un objet d’expérience possible. D’un
certain point de vue, le jugement « tout effet à sa cause », c’est un jugement
analytique. Pourquoi ? Puisque quand on pense le concept de cause et celui
d’effet on pense immédiatement aux concepts réciproques, ce que Kant voit
bien, et ce qu’il va dire c’est qu’il y a ici une synthèse, mais qui est caché, le
but étant de débusquer la synthèse caché dans ce jugement apparement
synthétique. Le jugement est bien analytique à partir du moment où on
considère que le concept d’effet, c’est à dire de conséquence d’une cause, est
déjà constitué. Hors « effet » ne veut pas seulement dire « conséquence d’une
cause », mais bien pour Kant « événement contingent ». Hors le concept
d’événement contingent, c’est un concept que Kant qualifie de modal, ce que
Hume disait déjà - quand on part d’un événement, la catégorie sur laquelle on
tombe c’est la modalité. Mais, au juste, qu’est-ce que la modalité ? Les
concepts modaux comme contingence ou nécessité sont ceux qui renvoient
seulement à la relation de compatibilité entre propriétés : si l’on dit « un chat
vert », Kant dira que c’est un concept qui est possible, ces deux propriétés là ne
sont pas incompatibles, les concepts modaux sont ceux qui ne gèrent que les
relations intra-conceptuelles, et donc ils n’ont aucune réalité objective, on ne
peut pas dire si l’objet qui correspond au concept est réel. Si Kant dit que les
concepts modaux sont seulement logiques, ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais
n’apportons pas de suite la nuance, cela s’incarne néanmoins particulièrement

bien dans une critique célèbre : celle vis à vis de la preuve ontologique de
l’existence de Dieu chez Descartes - je peux avoir le concept d’un être
infiniment parfait et la perfection englobe l’existence et si je peux avoir cette
conscience alors cet être existe -, puisque Descartes accorde à un concept
modal, celui d’existence, une réalité objective - on peut très bien penser un
Dieu qui existe nécessairement, ça n’implique pas que Dieu existe
nécessairement, puisque les concepts modaux n’ont aucune réalité objective.
« Être n’est pas un prédicat réel » écrit ainsi Kant. Être possible ne l’est pas non
plus, être nécessaire non plus.
Une fois qu’on a dit ça, Kant va justifier le passage d’un concept modal à un
concept causal ou relationnel, ce que Hume nous interdisait - il expliquait que
du fait qu’un événement est contingent on peut l’insérer probabilistiquement
mais pas nécessairement. Kant va explique que c’est notre condition subjective
qui l’ordonne, c’est à dire qu’on ait une intuition de cet objet. Et c’est dans ce
passage que se cache la synthèse dont on parlait : pour passer de l’un à l’autre il
convient de faire appel à une donnée minimale et générique de l’expérience,
une synthèse faisant toujours appel à l’expérience ou à ses conditions. Cette
donnée c’est l’expérience du changement : en fait, on expérimente jamais
d’événement contingent comme un événement contingent, mais bien comme un
changement, c’est à dire quand une même chose entre dans des états successifs
distincts. Ce que dit Kant, c’est que la raison logique est incapable de penser
cette expérience là, puisque pourquoi est-ce qu’une chose qui a des propriétés et
un état donnés changerait : la réalité basée sur le principe d’identité ne peut le
penser, mais il y a une raison, au sens d’une cause, de penser ce changement. Je
sais que tout événement a une cause puisque tout événement contingent est
conçu dans l’expérience comme un changement - l’exemple parfait c’est ici le
mouvement -, et ensuite je suis tout changement est conçu pour avoir une cause.
En passant d’un concept modal à un concept causal, on a complètement changé
la nature du concept, le second a toute la réalité objective possible et
concevable. Ici, le concept dit quelque chose du monde qui nous entoure, ce qui
n’est pas le cas du concept modal. Ce sont par ailleurs ces synthèses à priori qui
fondent la physique de Newton, ce dernier proposant une physique qui fait
appel aux données de l’expérience générales, et non particulières, et c’est la
raison pour laquelle elle s’applique partout : et voilà pourquoi Kant explique
qu’on peut déduire pratiquement tous les principes de la physique newtonienne
sans faire appel à l’expérience. Le changement c’est quelque chose dont nous
avons l’intuition pour Kant.
La révolution copernicienne en philosophie qu’opérait par Kant était une forme
de grand renversement de perspective qui consistait à dire que les conditions de
l’objectivité de la connaissance ne doivent plus être cherchées dans les choses
que nous fournit l’expérience mais bien dans le sujet de la connaissance, c’est à
dire nous-mêmes comme conditions d’apparition des objets de l’expérience.

Cela signifie que les données sensibles se soumettent à notre manière de les
connaître. Les objets que nous présentent les intuitions sensibles ne sont connus
que tels que nous pouvons les connaître, les objets de la connaissance reflètent
la manière dont nous pouvons les connaître. La première conséquence de cette
révolution copernicienne de la philosophique est la différence entre les
phénomènes qui sont les objets tels qui nous apparaissent et les choses en soi
qui sont les objets indépendamment de la manière dont ils nous apparaissent.
Nous n’avons accès qu’aux phénomènes, pas aux choses en soi, et cette
différence est la source du criticisme de Kant. Le criticisme, c’est une méthode
qui dit qu’il faut faire un usage critique, au sens d’un usage réflexif et normatif,
de nos facultés, dans le but de nous faire connaître les limites et la légitimité de
l’usage de nos facultés. Il faut réfléchir au moyens qu’on a de penser et savoir
jusqu’où nous sommes légitimes à penser. C’est l’exercice de la raison sur elle-
même, et la Critique de la raison pure c’est l’entendement qui réfléchit sur les
facultés de la raison. Il s’agit de savoir comment faire l’usage légitime de nos
facultés, et quand on transcende cet usage on fait un usage métaphysique et
illégitime de nos facultés, ce que font les métaphysiciens quand ils prétendent
parler des choses en-soi, alors que nous ne pouvons avoir accès aux choses
telles qu’elles sont en dehors de nos facultés. La position kantienne reste ainsi
assez anti-métaphysique, et il n’y a qu’une sphère dans laquelle la
métaphysique a toute sa place, c’est la sphère de l’action pratique où tous les
objets sont bons, c’est à dire la sphère morale, et non la connaissance. La
deuxième conséquence est que puisque les conditions de possibilités de
l’objectivité de la connaissance sont à chercher en nous, alors il faut engager un
nouveau type de méthode en philosophique, ce que Kant appelle la méthode
transcendantale - un terme scolastique, et qu’on retrouvera chez Kant puis dans
la phénoménologie, et qui traite ici des conditions de possibilités de
l’expérience. La méthode transcendantale c’est celle qui consiste à revenir à
partir de ce qui nous est donné aux conditions de ce que nous est donné, à partir
de l’expérience jusqu’aux conditions de l’expérience. Revenir du conditionné
jusqu’aux conditions, c’est ce que Kant appelle une déduction transcendantale -
et il va faire des déductions transcendantales tout au long de la Critique de la
raison pire.
La position de Kant qu’il nomme lui-même idéalisme transcendantal est la
doctrine selon laquelle nous n’avons pas accès aux choses mêmes mais aux
représentations de ces choses. D’un certain point de vue, c’est effectivement un
idéalisme, parce qu’on a pas accès aux choses mêmes, mais Kant dira à
plusieurs reprises, puisqu’il a pas envie d’être associé à l’idéalisme délirant
qu’est Berkeley, et que pour s’en démarquer il va sans cesse dire de l’idéalisme
transcendantal que c’est un idéalisme empirique : nous faisons quand même
l’expérience des choses, il y a bien des choses qui nous sont données des

choses, mais il faut comprendre que les objets qui nous sont réellement donnés
dans l’expérience ne sont pas des choses en-soi.
Nous allons donc voir qu’il y a une distinction entre intuition empirique et
intuition pure. On pourra s’appuyer sur le premier paragraphe de l’« Esthétique
transcendantale » - le titre renvoie à l’analyse des conditions de possibilités de
l’affection sensible qu’exercent sur nous les objets, c’est à dire les conditions de
possibilités de notre expérience sensible. Il y a d’emblée une différence majeure
avec les théories de l’intuition qui l’ont précédées, c’est que l’intuition est chez
Kant sensible, qu’en vérité une intuition ce n’est même pas une faculté, le mot
intuition désignant la relation entre un sujet et un objet donné par nos sens.
L’intuition, c’est la manière dont nous sont donnés les objets sensibles. Toute
l’activité de la connaissance est tournée vers l’intuition, puisque la
connaissance doit être une connaissance d’objet, et il n’y a donc que l’intuition,
ce qui exhibe les objets qui correspondent à nos concepts, qui puisse nous dire
que notre concept corresponde en effet à l’objet. Pour qu’un concept puisse
avoir une réalité objective, il faut qu’on ait une intuition de l’objet. L’intuition
rend le concept réel, et elle rend le jugement vrai. Le type général d’objets que
l’intuition peut nous donner, c’est ce que Kant appelle un phénomène,
typiquement l’objet d’une intuition empirique. Kant prend bien soin de préciser
que cette intuition là s’appelle intuition empirique, cette intuition qui nous met
en contact par nos sens avec les objets. S’il lui donne un qualificatif, c’est qu’il
doit exister un autre type d’intuition, une intuition qui n’est pas empirique mais
pas non plus intellectuelle donc - il y a une division du travail épistémologique
entre la sensibilité qui nous donne les objets et l’entendement qui nous permet
de formuler des concepts et des jugements, mais en aucun cas une intuition
sensible peut devenir un concept et inversement. Kant nomme matière du
phénomène ce qui correspond à la sensation, et forme du phénomène ce à quoi
le divers de celui-ci peut être ordonné et disposé selon un certain rapport. Il
nomme pures toutes les représentations dans lesquelles ne se rencontrent rien
qui s’apparente à une sensation, la forme pure des intuitions sensibles se trouve
ainsi a priori dans l’esprit, esprit dans lequel tous le divers des phénomènes est
intuitionné selon un certain rapport. Nous tenons ainsi l’intuition pure. Dans
nos représentations sensibles, quand nous sommes affectés par des objets
sensibles, il n’y a que pas que des sensations, mais aussi la forme que peuvent
prendre ces sensations, ces dernières peuvent être organisées selon deux formes,
qui correspondent aux deux formes de la sensibilité, c’est à dire les deux
intuitions pures : l’espace et le temps. Les objets, quels qu’ils soient, sont
spatio-temporairement et ne nous apparaissent que spatio-temporairement, il est
impossible de nous représenter un objet qui n’est ni dans l’espace ni dans le
temps, nous avons ici les deux conditions de l’expérience sensorielle. S’il y a
des intuitions pures, il va bien entendu avoir des concepts purs, les conditions
de possibilité de notre connaissance, c’est à dire les catégories. Ce que dit Kant,

c’est que les objets ont des déterminations a priori, deux, l’espace et le temps.
Un objet occupera une certaine partie de l’espace et cette expérience aura lieue
a un certain instant, et cela quelle que soit notre représentation. Il est
inconcevable que l’objet ne possède aucune place, il n’existe pas, et que
l’expérience ne prenne pas place dans le temps, elle n’a pas lieue. Il y a donc
des déterminations spatio-temporelles. Kant vient nous dire que nous n’avons
accès qu’à des objets d’expérience, qu’à des objets sensibles, c’est à dire des
objets dont nous pouvons faire l’expérience, mais ici nous avons des intuitions
pures qui ne sont pas intellectuelles mais pas empiriques non plus : elles nous
confrontent à la forme des objets, c’est à dire les conditions les plus générales
auxquelles ils nous sont données, sauf que la forme des objets sensibles ce n’est
pas un objet, et il y a ici un paradoxe, puisqu’on traite l’espace et le temps
comme des concepts, alors qu’ils ne sont pas des objets. Cela provoque quelque
chose d’étrange chez Kant, qui va nous donner l’exposition métaphysique et
l’exposition transcendantale des concepts d’espace et de temps, ce qui signifie
que lui-même est conscient que ce qui nous donné dans les intuitions pures
possède quand même une nature un peu métaphysique : on est là à la limite de
nos capacités humaines. Le fait que les mathématiques peuvent parler de
l’espace et du temps en font une science quasi-métaphysique, mais Kant les
conserve parce que c’est pratique pour faire autre chose. L’auteur trace très bien
la limite entre les jugements géométriques et ceux de la géométrie physique, ou
appliquée, limite que ne traçaient ni Descartes ni Locke - pour Descartes on
étudiait aussi la matière avec la géométrie. C’est parce que les objets de ces
deux sciences, la géométrie pure et la géométrie physique, sont déterminés de
manière tout à fait distincte : les objets de la géométrie pure sont à construire,
ils sont obtenus à partir de notre intuition, le concept de triangle étant obtenu
par la construction dans notre entendement d’une figure, nous sommes dans une
certaine mesure libre, la nécessité et l’objectivité de ces concepts venant
intégralement de nous, et à l’inverse quand on fait de la géométrie du monde
réel les objets ne sont pas construits par nous mais nous sont donnés, il y a une
étape supplémentaire dans la connaissance de ces objets, puisqu’il faut
modéliser la situation, ce qui change absolument tout, alors qu’en
mathématiques la situation n’impose absolument rien. Donc quand on fait de la
géométrie, Kant sait très bien qu’on est pas en train de parler de l’espace réel.
L’intuition empirique est la source de connaissance et de vérification de nos
connaissances en collaboration avec l’entendement comme production de
concepts, mais il faut à l’esprit des formes à priori pour que l’intuition soit à
proprement parler une intuition d’objet.
Qu’est-ce que nous font donc connaître les intuitions pures ? Kant n’essaye pas
de nous expliquer comment fonctionne la géométrie, mais bien pourquoi les
jugements géométriques élémentaires sont apodictiques, c’est à dire
élémentaires, et pourquoi est-ce qu’ils sont évidents. Les jugements

géométriques sont évidents parce qu’ils dépendent d’intuitions, ils sont aussi
évidents que des intuitions sensibles. On ne peut pas douter de la validité de nos
jugements géométriques car leur correspondent des constructions dans
l’intuition pure - sachant qu’il n’y a que deux intuitions pures, l’espace et le
temps, on possède donc dans l’intuition pure des objets sans dimension et sans
masse, comme le point. Mais s’agit-il ici d’objets particuliers ou généraux ?
Quand on construit des objets géométriques dans l’intuition, on construit des
objets particuliers, mais ce qui en donne une connaissance universelle c’est que
c’est la construction elle-même qui est universelle et générale. On pourra
objecter qu’on a aujourd’hui des types de géométries qui n’ont pas le même
type d’évidence que la géométrie euclidienne, dans laquelle les figures qu’on
peut tracer ont exactement les propriétés qu’on décrit, et que toute la question
est donc de savoir si la philosophie des mathématiques de Kant peut s’appliquer
aux mathématiques contemporaines. Nous avons longuement évoqué l’espace,
mais ajoutons enfin que le temps est aussi lié aux mathématiques parce qu’il
nous donne la règle de la succession arithmétique.
Comment caractériser ces deux intuitions pures ? Si l’on doit préciser la nature
des intuitions pures, on pourrait déjà dire que l’intuition pure de l’espace est
une intuition qui est externe, et qu’à l’inverse l’intuition pure du temps est
interne. Ce que finira par dire Kant, c’est que l’intuition pure du temps a en
quelques sortes une préséance sur l’intuition pure de l’espace puisqu’elle inclue
les phénomènes internes et l’évolution des objets externes. Ça a beaucoup plu à
Martin Heidegger, qui dans Être et Temps a tenté de démontrer que la théorie
kantienne n’était pas satisfaisante, mais c’est un autre sujet. Si l’on regarde
quelles types de connaissances sont produites par l’intuition pure, Kant met un
point d’honneur à dire que la structure interne ne nous fournit pas de
connaissance des objets interne, on a pas connaissance de notre âme ou de nos
intuitions sensibles, mais elle nous donne tous les phénomènes de l’ordre de la
succesivité. Qu’est-ce qui distingue les jugements de la géométrie et de
l’arithmétique de la connaissance logique ? Les sciences mathématiques sont
intuitives au sens où elles ont rapport avec le divers de l’intuition, même si c’est
une diversité qui n’existe pas - le point -, tandis que la logique dérive tout de
l’identité, et c’est ce qui explique que les mathématiques et l’arithmétique
progressent, font des découvertes, tandis que la logique ne progresse pas,
restant stérile.
Les concepts purs, les catégories de l’entendement ne sont pas des intuitions
empiriques, ce sont la causalité, les concepts modaux de possibilité, de
nécessité, mais aussi de qualité, de quantité : Kant a réussi à tirer une liste
définitive de toutes les catégories de l’entendement. La raison est la faculté
supérieure à l’entendement, elle consiste à lier des concepts avec des règles,
avec des principes : la sensibilité c’est la faculté des intuitions, l’entendement
c’est la faculté des concepts, la raison c’est là facultés des principes.

Les intuitions pures semblent nous renvoyer aux formes de la sensibilité que
sont le temps et l’espace : les formes sont-elles ou non des objets ? L’intuition
pure du temps est celle du sens interne, c’est à dire de l’intuition que nous
avons de nous-mêmes et de notre état intérieur. Le temps n’est pas de prime
abord une propriété des objets extérieurs dont nous faisons l’expérience, ce qui
signifie également que cette forme de la sensibilité est intrinsèquement
subjectif, son ordre est celui de notre conscience. Kant nous dit que l’intuition
pure du temps a une extension supérieure à celle de l’espace, elle couvre les
phénomènes intérieurs et extérieurs, l’espace ne concerne que les phénomènes
extérieurs. Les phénomènes intérieurs, ceux de la conscience, se succèdent dans
un ordre temporel déterminé mais n’ont pas d’extension spatiale. Cela a
beaucoup plus dans Être et temps, la grande méditation du temps par rapport à
l’espace de Martin Heidegger, et cela a beaucoup plu à Bergson. C’est cette idée
que dans le flux temporel des choses nous avons un accès immédiat à certaines
choses qui a inspiré Bergson chez Kant.
Kant explique que c’est vrai que d’un point de vue psychologique le temps a
une priorité sur l’espace, qu’il y a succession d’états sans que forcément il y ait
organisation spatiale, mais ce qui est également vrai c’est que la seule manière
de se représenter le temps c’est de le faire de manière spatiale, parce que le
temps ne suggère en nous aucune figure nous tentons d’y palier par analogie :
on représente le temps par le paramétrage d’une ligne. C’est ce qui permet de
représenter l’évolution des systèmes physiques, par exemple, de rendre ainsi
objective l’évolution du temps. Il apparaît ainsi impossible qu’on arrive à une
psychologie objective et scientifique pour Kant : les phénomènes dans notre
conscience ne peuvent être spatialisés, et la condition de l’objectivité c’est la
spatialisation. Cela nous permet de faire très clairement la différence entre ce
qui peut être objectif et complètement et ce qui ne l’est pas, et de là naîtra la
critique bergsonienne : l’idée qu’on ait toujours pensé le temps sous l’angle du
mouvement, alors que ce qui est important c’est d’avoir une idée de la durée qui
est intrinsèque et qui ne dépende pas des données spatiales. Mais pour Kant cela
convient très bien, cela permet de distinguer ce qui est scientifique - il n’y a pas
de science du temps pour Kant. Évidemment, d’un autre point de vue, le temps
joue dans la connaissance des objets spatialisés, Kant le développe peu mais
cela fera les beaux jours de la phénoménologie husserlienne : quand on rentre
en contact avec un objet de l’espace, nous n’en avons qu’une vue partielle, nous
n’avons jamais de vue globale de l’objet qui nous est présenté, c’est l’idée de la
transcendance des choses dans l’espace qui sera développée par Husserl dans
Chose et espace. La seule manière d’avoir une vue globale de cet objet, c’est de
tourner autour, de le manipuler, c’est à dire qu’il y a une synthèse temporelle
des objets de l’espace. Avoir une vue complète d’un objet de l’espace, c’est
avoir fait la synthèse des différentes vues subjectives et partielles de cet objet :
ce sera la théorie des esquisses développée par Husserl.

Pour désigner cet interaction, Kant parlera de la synthèse de l’espace et du


temps, par laquelle nous apparaissent les phénomènes. Cela peut donner lieu à
plusieurs types d’interprétation. L’interprétation standard nous explique que
Kant reprend certaines idées newtoniennes comme l’indépendance et l’absoluité
de l’espace et du temps et les fondant dans notre subjectivité, mais à l’inverse
on pourrait aussi dire qu’en rendant subjectifs l’espace et le temps il les
relativise à un point de vue subjectif. Si on dit que l’espace et le temps sont en
interaction et sont relatifs du point de vue du sujet connaissant cela fait écho
non à la théorie de Newton mais à celle d’Einstein, qui finira par dire que
certaines intuitions de la théorie de la relativité générale sont issues de Kant.
Cependant, le fait que nous ayons ces deux types d’intuitions ne signifie pas
que nous ayons une connaissance immédiate et absolue de tout ce avec quoi nos
intuitions pures nous mettent en rapport. En effet, si nous avions cela nous
serions dès le moment où nous pourrions nous exprimer des géomètres de
premier ordre, or ce n’est absolument pas le cas. Pour Kant, nous avons bien
des connaissances à priori mais synthétiques, pas tout à fait innées mais qui
pourtant ne dépendent pas de l’expérience - en mathématiques et dans les
sciences physiques nous faisons donc des progrès alors que nous ne referons
que très rarement à l’expérience, mais bien en raisonnant a priori. Nous avons
une connaissance de la forme des objets qui nous est pourvue par des intuitions
pures : si les mathématiques sont la sciences qui nous permettent de connaître
ce que contiennent nos intuitions pures, alors elles ne sont ni plus ni moins que
la science de la forme des objets sensibles. Cela ne veut pas dire que c’est une
science empirique, mais elle nous donne la forme possible de tous les
phénomènes, la connaissance de toutes les relations de co-existence possibles.
C’est ainsi que pour Kant il n’y a dans une certaine science de scientificité
qu’en fonction de son degré de mathématisation, de ce qu’elle propose de
formalisation. Les mathématiques nous permettent ainsi d’anticiper sur ce qui
est possible que l’expérience nous présente ou ne nous présente pas. Mais il va
nous embrouiller complètement pas la suite, en commençant par laisser planer
le doute sur la nature des objets qui nous sont présentés dans l’intuition pure :
ce sont des formes, mais peuvent-elles prises ou non comme des objets,
l’espace et le temps peuvent-ils être des objets formels ? Toute la métaphysique
analytique tourne autour de ces questions là, soit dit en passant - ce sont des
questions encore vivantes aujourd’hui. Kant semble nous dire deux choses bien
distinctes. Il introduit une distinction entre les formes de l’intuition et les
intuitions formelles, nous n’avons pas accès qu’à la forme générale de la
spatialité, en plus de cela nous pouvons relier les différentes localisations, mais
il faut pour cela une représentation unifiée de ce qu’est l’espace alors que les
intuitions pures ne nous la donnent pas, il nous faut donc quelque chose en plus.
Il faut donc qu’on puisse relier tous les objets qui nous apparaissent dans un
ordre spatial et temporel, et là il faut donc ce que Kant appelle une intuition
formelle. Il est vrai que les concepts d’espace et de temps ont des propriétés,
qui doivent donc renvoyer à des objets, et c’est sans doute la raison pour
laquelle il introduit cette notion. Mais c’est quand même bizarre puisque si nous
n’avons accès qu’à des objets empiriques, il n’est pas très clair de savoir quel
est l’objet espace. Kant fait un peu de métaphysique, il fait appel à des objets
formels - l’objet formel par excellence, ce sont les Idées, et même les concepts
d’ailleurs, mais Kant passe son temps a dire que les idées et les concepts n’ont
pas de réalité, que la réalité c’est ce à quoi ils renvoient. Mais en n’est pas clair,
d’autant plus qu’il ajoute que ce qui est à l’origine de ces objets formels c’est
l’imagination, qui opère une synthèse de l’espace et du temps et qu’à l’issu de
cette synthèse nous avons des intuitions de l’espace et du temps. Cette synthèse
est appelée la synthèse de l’appréhension, elle est le fait de pouvoir unifier le
divers, une multiplicité de sensations ou d’objets donnés. Il fait là intervenir en
plus l’imagination, et aussi lorsqu’il s’agit de montrer ce qui est l’objet des
mathématiques.
Kant donne comme exemple l’espace. On a bien un concept d’espace, oui, mais
on pourrait objecter qu’on pourrait dans ce cas avoir un concept de toutes les
figures formelles géométriques ! Ce sont des intuitions idéales, après tout. Nous
pourrions donc avoir une intuition formelle de ces objets, mais ça c’est la voie
que va suivre Husserl dans les Recherches logiques. Plus loin, Kant nous donne
pourtant un tout autre aperçu et une toute autre définition de la nature de ces
entités formelles, qui ne sont pas objets. Au Livre I de « L’analytique des
principes », dans la Critique de la raison pure, Kant parle ainsi des schèmes.
L’imagination permet de produire des schèmes, des synthèses d’appréhension
ou de formuler des jugements réfléchissant. Quand on subsumme un concept
sur un autre, c’est ou bien la raison ou bien - le plus souvent - l’imagination qui
s’en charge. Kant nous dit que les correspondants sensibles de nos concepts
mathématiques ne sont pas des objets. Le concept mathématique de triangle ne
renvoie pas à un objet sensible pour les raisons qu’on a vu précédemment. À la
limite, un objet sensible peut exemplifier la possibilité d’un concept
mathématique. La question est donc, à quoi est-ce que ça renvoie ? Cela renvoie
à des schèmes. On y arrive : qu’est-ce qu’un schème et en quoi ça se distingue
d’un objet sensible ? Un schème n’est pas une image, mais bien une méthode de
production d’une image. Lorsque j’ai le concept de 100 ou de 1000, lorsque j’y
pense, je n’ai pas besoin d’une image qui le reflète, le schème est bien la
représentation d’une méthode générale des l’imagination pour produire au
concept une image qui lui correspond. En fait, nos concepts sensibles purs, c’est
à dire les concepts mathématiques, ne reposent pas sur des images des objets,
mais sur des schèmes : pour le concept d’un triangle en général, nulle image ne
peut lui correspondre complètement, elle sera toujours limite à une partie de la
sphère, ne pouvant être tout à la fois rectangle, équilatérale etc. Quand on trace
un triangle, on peut essayer autant de fois qu’on le veut, il y aura toujours des

propriétés qui l’empêcheront d’être absolument général, il va toujours avoir des


particularités que ne présente pas le concept de triangle. En raisonnant sur une
image singulière on ne peut donc arriver à des démonstrations universelles. La
seule manière d’y parvenir, c’est de raisonner d’une manière universelle : c’est
le schème comme méthode de production pour le concept qui garantit qu’on
puisse les construire, c’est à dire en produire une image. Si le schème est une
méthode de production pour nous donner des images de certains concepts, ce
n’est pas uniquement lié aux concepts mathématiques, c’est également valable
pour des concepts empiriques : le schématisme, c’est simplement ce petit acte
spontané de l’imagination qui fait que lorsqu’un concept nous est donné nous
pouvons en produire une image - si l’on me donne les caractéristiques d’un
éléphant, on va pouvoir produire une image d’un éléphant sans même en avoir
jamais vu. C’est également intéressant d’un point de vue esthétique, puisque
l’imagination nous libère ainsi de notre expérience vécue, c’est ce qui fait qu’on
peut produire des images d’objets que l’on a pas vu, c’est à la fois producteur et
libérateur. Et ensuite, Kant nous dit, phrase très célèbre, que « ce schématisme
de notre entendement relativement aux phénomènes et à leur simple forme est
un art caché dans les profondeurs de l’âme humaine ». Les tentatives actuelles
pour identifier ce à quoi ce schématismes kantien a vocation, c’est bien la
psychologie, la neurologie et la neurophysiologie qui s’en chargent, alors que
Kant estimait que toute psychologie scientifique était impossible !
Là où c’est beaucoup moins clair, c’est quand Kant nous parle d’un
schématisme pur, le schématisme transcendantal. Les catégories de
l’entendement sont des concepts purs aux sens ou ils sont complètement
hétérogènes à la sensibilité, la question est donc celle de comment peut-on faire
pour avoir une image intuitive d’une cause, d’une qualité, de la possibilité etc ?
Kant donne des justifications un peu vaseuses, expliquant que parce que c’est
pur c’est un peu homogène, puisque effectivement on ne peut pas donner une
intuition empirique de la causalité, de la qualité ou de la possibilité, ce ne sont
pas des objets qu’on peut rencontrer, cependant cela concerne un peu
l’expérience puisqu’on peut les schématiser dans l’intuition pur, puisque les
intuitions pures comme les concepts purs sont… tous les deux purs ! Kant
suppose que ça marche comme cela, mais en réalité il ne le sait pas. Mais on ne
voit pas ce qui dans l’expérience ressemble à une cause, et la manière qu’à Kant
de s’en sortir c’est de botter en touche : on peut schématiser des concepts purs
avec nos intuitions pures puisqu’ils sont tous les deux purs. Bref, le
schématisme transcendantal reste quelque chose d’assez obscur.
Les concepts que l’on construit dans les intuitions purs ne nous mettent pas en
rapport avec des objets formels mais bien avec des schèmes, c’est à dire avec
des méthodes de constructions. Kant insiste sur la différence entre la
connaissance par construction de concepts, essentiellement la connaissance
mathématisante, et puis la connaissance par concepts, la connaissance

philosophique discursive. En gros, les philosophes pensent avec des concepts


mais ils ne créent pas de concepts, ce sont les scientifiques qui créent des
concepts. Ce que cela signifie, c’est que d’après Kant les concepts c’est que les
intuitions pures de l’espace et du temps doivent être construits sous le contrôle
de ces intuitions. Cela veut dire que lorsque je construits un concept, je dois être
capable de lui associer purement à priori une intuition pure. Ça veut dire que ce
qui garantit la viabilité de mes concepts scientifiques c’est la capacité que j’ai
de les représenter dans l’espace-temps. Cela signifie que les concepts
mathématiques ont une réalité objective qui diffère de celle des intuitions
empiriques. Kant nous dit que les mathématiques, l’intuition pure n’ont pas
rapport avec ce qui est logiquement possible, avec ce qui existe réellement,
elles ont rapport avec ce qui est réellement possible. Et il faut là introduire une
distinction extrêmement importante, entre la possibilité logique et la possibilité
réelle, importante parce qu’elle va être le beur de toute la dialectique hégélienne
et de toutes les philosophies virtualistes, comme Deleuze ou Bergson. Kant
nous explique que la possibilité logique concerne les rapports de contradiction
entre des propriétés, intra-conceptuelles ou inter-conceptuelles. Quand on dit
« un chat rose et non-rose » c’est contradictoire intra-conceptuellement, ou « ce
chat rose n’a pas de couleur » c’est contradictoire inter-conceptuellement, mais
ça reste logiquement contradictoire. Mais « une figure fermée à deux angles »,
on ne pourra pas en déduire une contradiction, c’est impossible, pourtant c’est
un concept qui est réellement impossible, l’impossibilité ne réside pas dans la
logique mais bien dans l’expérience. Le réel implique des contraintes
supplémentaires, l’expérience réelle possède des conditions qui ne sont pas les
mêmes que les conditions logiques, et c’est précisément en raison de cela qu’on
peut faire de la métaphysique. Ne s’en tenir qu’aux concepts logiques et jouer
avec, se contentant du fait qu’ils ne soient pas contradictoire, c’est de la
mauvaise métaphysique pour Kant. Kant introduit finalement la distinction qui
est devenue fameuse entre la logique formelle et la logique transcendantale,
cette dernière s’occupant de la possibilité d’appliquer nos concepts à
l’expérience. C’est précisément ce que Kant développe dans la déduction
transcendantale des catégories, cherchant l’application de nos concepts purs à
l’expérience.
Mais quel rôle joue l’intuition dans ce cadre là ? Pas celui d’une intuition
formelle ou intellectuelle, l’intuition pure est bien la garante de la possibilité
réelle de nos concepts. Dans son usage pure, l’intuition agit comme un sélecteur
de concepts réellement possibles. Elle permet de sélectionner les concepts qui
peuvent avoir une réalité objective et ceux qui ne le peuvent pas.
On a donc deux intuitions pures, du temps et de l’espace, c’est par elle que nous
pouvons connaître quelque chose à priori de la forme des objets sensibles, au
sens où on peut construire des concepts qui nous permettent de construire la
forme possible de tous ces objets là, indépendamment du fait d’en avoir fait

l’expérience. Ce que nous a dit Kant c’est que la seule manière de connaître ce
que les intuitions pures nous donnent c’est de construire les concepts adéquats
que l’imagination va nous présenter. Ou bien ces objets qui sont les
correspondants de ce que l’on a construits sont des objets formels, auquel cas
on s’engage à une forme de platonisme qui reconnaît une forme de réalité aux
objets idéaux, mais à l’inverse si l’on prend le partie de penser que ces objets
sont des schèmes, alors on s’engage à une position constructiviste ou empiriste.
En épistémologie des sciences physiques ou mathématiques, le débat est encore
vif.

La théorie de l’intuition chez Henri Bergson


Henri Bergson est un philosophe français de la fin du XIXe et du début du XXe,
spiritualiste car il accorde une prépondérance à la notion d’esprit. Avant d’être
philosophe il s’engageait plutôt vers une carrière de scientifique dure, avant
finalement de changer de voie. Ses textes les plus célèbres sont L’évolution
créatrice, Les deux sources de la morale et de la religion, et puis La pensée et
le mouvant, un recueil d’articles sur une trentaine d’années. En générale, on
peut dire de la pensée de Bergson qu’au moment où l’auteur écrit, c’est la
réintroduction en philosophie d’un certain style de pensée qu’on avait pas vu
depuis longtemps, les concepts de devenir, de durée, de mouvement etc. Un des
grands buts de Bergson, c’est de redonner à ces concepts là l’importance et la
place qu’ils devraient avoir dans tout le système philosophique. Il sera suivi par
tout le courant vitaliste de la philosophie. Bergson a aussi reçu le prix Nobel de
littérature, quand même. Nous allons d’abord étudier la théorie de Bergson du
point de vue de la critique qu’il fait de la notion d’intelligence, avant dans un
second temps de voir plus positivement et dans le détail ce que Bergson entend
dans le concept d’intuition. Voyons donc d’abord Bergson critique de la
connaissance intellectuelle.
Le rapport de Bergson à Kant est tout à fait intéressant car Bergson est assez
étranger à la pensée kantienne, faisant souvent état du fait qu’au fond on aurait
pu se passer de l’intermède de presque deux siècle que fut la théorie kantienne,
cependant il y fait une référence permanente, souvent pour identifier des écarts
vis à vis d’elle, puisque le langage kantien après Kant est tel que le langage
cartésien le fut après Descartes : tout le monde parle le Kant même pour dire
s’il n’est pas d’accord, Bergson le fait pour se faire comprendre. Donc il se sert
des idiomes kantiens pour toucher le plus grand monde et dire qu’au fond il
n’ignore pas les défis posés à sa philosophie la pensée kantienne, des défis qui
sont d’ailleurs redoutables. Il y a d’abord une distinction entre la méthode de
Kant et celle de Bergson. On va insister sur la méthode parce que la deuxième
partie de la Critique de la raison pure s’intitule « Méthodologie
transcendantale », dans laquelle Kant essaye de préciser ce qu’il entend par la
connaissance par concepts, par analyse conceptuelle propre à l’activité

philosophique. Kant développe ici l’investigation sur l’application de cette


dernière d’un point de vue philosophique, cependant comme toujours avec Kant
on parle d’abord des sciences pures, ce qui signifie que la méthodologie
transcendantale est fondée sur la manière dont les sciences pures ou empiriques
procèdent, ce qui veut simplement dire que la manière dont on doit procéder en
philosophie - dont la connaissance philosophique doit être produite - est basée
sur la manière dont les sciences produisent de la connaissance. Au fond,
s’intéresser à la manière dont on produit les connaissances c’est s’intéresser à la
manière dont le sciences produisent des connaissances pour Kant, or c’est
exactement ce que Bergson refuse, puisque la manière dont les sciences
produisent des connaissances et une manière et la manière dont la philosophie
produit des connaissances est une autre manière : il y a chez Kant une forme de
confusion et le fait de ne pas avoir vu que la philosophie dispose de moyens qui
lui sont propres et d’une méthode de connaissance qui est originale. Au fond,
Bergson reproche à Kant d’avoir réduit de manière indue le champ d’exercice
de la philosophie à l’analyse des conditions d’exercice de la connaissance
scientifique. Bergson défendra toujours que nous avons en tant que philosophes
une voie d’accès privilégiée à un certain type de connaissances que la science
peut nous donner.
Bergson évoque cette méthode en l’appelant une méthode de l’intuition. Cette
méthode est celle qu’il applique depuis le début, depuis Matière et mémoire.
Deleuze propose une espèce de reconstruction de la méthode Bergsonnienne de
l’intuition : il y a des règles qu’on pourrait extraire des textes Bergsoniens pour
Deleuze - ce dernier cherchant aussi à rendre à Bergson une forme rigoureuse.
On peut dire en gros de cette méthode qu’elle se base sur plusieurs refus. Le
premier est celui d’identifier le mode de connaissance philosophique à l’analyse
conceptuelle : faire de la philosophie ce n’est pas analyser des concepts, il faut
se défaire de l’analyse conceptuelle philosophique d’une part et de la méthode
scientifique d’autre part, les concepts scientifiques taillant trop large par rapport
à la réalité qu’ils cherchent à saisir. Ce qu’il reproche essentiellement à la
philosophie traditionnelle et à la science, c’est d’offrir une image tronquée de la
réalité, qu’on saisit toujours des choses trop générales, trop larges, imprécises.
Bergson reconnaît d’ailleurs à Kant le mérite d’avoir dit que les concepts
traditionnels de la métaphysiques sont vides, faite d’une intuition qui garantisse
leur intuitivité. La métaphysique, la plupart du temps, nous parle de choses qui
sont trop générales pour avoir véritablement du sens, et en ce sens là Bergson et
Kant sont d’accord. Bergson reproche à Kant que par une soumission aveugle à
la connaissance scientifique il a enlevé de l’expérience tout ce qui n’est pas
susceptible à une intellection au sens scientifique du terme, tout ce qui a trait au
subjectif, au qualitatif dans l’expérience, tout ce que les sciences ne peuvent
prédire. Cela donne lieu à un deuxième refus, celui de réduire l’expérience à la
connaissance intellectuelle de l’expérience, c’est à dire la connaissance par

concepts. Kant nous disait que les concepts sans intuitions sont vides, les
intuitions sans concepts sont aveugles, il n’y a connaissance que lorsqu’il y a
correspondance, et si elle n’est pas garantie nous n’avons ni connaissance ni
expérience, et pour Bergson il y a ici quelque chose de réducteur et de faux,
nous avons des intuitions qui sont découplées de certains concepts et qui
pourtant nous donnent des connaissances d’un type qui n’est pas scientifique,
d’un type purement intuitif. Pour Bergson on a pas toujours besoin d’avoir des
concepts qui rationalisent notre expérience pour connaître, ce qui signifie que le
champ de l’expérience est beaucoup plus grand pour Bergson que pour Kant,
qui ne prend pas en compte toutes les dimensions de l’expérience. Il s’agit
d’élargir au maximum le champ de l’expérience, ce qui veut dire du même coup
que là où chez Kant la coopération de l’intuition et des concepts était un pré-
requis pour la connaissance, on va avoir chez Bergson deux sources de
connaissances : l’intelligence d’une part et l’intuition d’autre part. Le troisième
refus de Bergson consiste dans son rejet de certaines questions traditionnelles
posées par la philosophie : la grande majorité des problèmes de philosophie
traditionnelle sont des faux problèmes, parce qu’ils relèvent d’une erreur de
méthode, ce que la philosophie analytique appelle aujourd’hui des erreurs de
catégories - quand on pose des questions du type « où est le temps ? » où « de
quelle couleur est le nombre 7 ? », où on pose des questions en des termes qui
n’ont rien à voir entre eux, évidemment cela n’a aucun sens de savoir où est
localisé le temps, le temps n’étant pas une entité spatiale, ni la couleur du
nombre 7, un nombre n’étant pas une entité colorée. Avec la prolifération de la
critique linguistique, notamment post-Wittgensteinienne, il y a des erreurs de
catégories partout, mais pour Bergson il y a une qui est fondamentale à la base
de toutes les confusions : c’est celle qui consiste à confondre l’espace et la
durée. Ce que Bergson va nous dire, c’est que la quasi-intégralité de nos
représentations mentales sont des mixtes d’espace et de temps - ce que nous
disait déjà Kant -, le problème étant que nous n’avons pas bien analysé ces
représentations et nos posons donc des questions qui ne peuvent recevoir de
solutions.
L’espace est une multiplicité homogène et intensive, ce qui signifie que dans
l’espace apparaissent un certain nombre de choses, d’où l’idée de multiplicité,
et que ces choses sont comparables du point de vue dans leur grandeur, dans
l’espace les choses n’ont entre elles que des différences de degré. C’est
homogène parce que l’espace euclidien est isométrique, au sens où quand on
essaye de le représenter les points par lesquels on le représente sont identiques
les uns aux autres. Le temps est une multiplicité qui est qualitative et
hétérogène : à chaque fois qu’on avance dans le temps est réintégrée la partie du
passé qu’on vient de passer, il y a une forme d’accroissement de de
modification permanente - notre mémoire s’enrichit à chaque instant de ce
qu’on vient de vivre, il n’y a pas de fixité du temps, notre durée personnelle est

constamment en mouvement. Kant a décalqué le temps sur l’espace pour


Bergson, faisant du temps un milieu homogène, spatialisant le temps. Ce qu’il
faudrait prendre en compte pour se défaire de la plupart des problèmes, c’est la
différence de nature entre la multiplicité homogène et intensive qu’est l’espace
et la multiplicité qualitative - il n’y a pas de quantitativité du temps, avec la
montre on mesure du temps avec de l’espace, or il n’y a pas de mesure interne
du temps, qui ne se mesure pas lui-même - et hétérogène du temps. Pour donner
un exemple, Bergson reprend la question que Hume se posait dans le Traité de
la nature humaine : qu’est-ce qui distingue une perception d’un souvenir ? Au
fond pour Hume ce sont deux idées, deux représentations qui ne se distinguent
que par leur vivacité, il n’y aurait une différence que de degré entre les deux. Ce
que Bergson va dire c’est ce que Hume a mal analysé ces deux représentations,
la perception en tant qu’elle nous donne accès à des objets physiques externes
et matériels doit être du même type que les objets auxquels elle nous donne
accès, ce qui revient à dire que la perception est un processus matériel au même
titre que le traitement des données lumineuses pour le cerveau par exemple. En
revanche le souvenir ne porte pas sur les objets matériels, mais sur notre durée
interne, c’est à dire sur des éléments de notre personnalité passée, du même
coup les souvenirs ne sont pas du tout de la matière, mais de l’esprit, du
spirituel, de la mémoire. On a ici affaire à la distinction entre matière et
mémoire - le titre du premier ouvrage de l’auteur -, un des enjeux que Bergson
a eut toute sa vie fut la distinction entre ce qui appartient à la matière et ce qui
appartient à notre esprit. Tous les phénomènes ont une double face, c’est à dire
que tous les phénomènes peuvent être observés du point de vue matériel mais
ils peuvent également l’être du point de vue spirituel, en tant qu’ils participent
de notre durée - la réalité a une double face, externe, spatiale, mais aussi
interne, temporelle, donc mémoriel, spirituelle. Cette exigence de prendre en
compte d’une part l’expérience dans son intégralité et d’autre part la distinction
de nature entre l’espace et la durée va donner lieu à deux points de divergence
fondamentaux entre Bergson et Kant, d’une part quant à la place donnée à la
faculté d’intelligence, d’autre part quant au statut métaphysique de l’intuition.
L’intelligence chez Bergson, c’est l’entendement pour Kant : notre faculté de
connaître les objets par des concepts et des raisonnements, c’est à dire par une
connaissance médiate. L’intelligence nous donne une connaissance indirecte,
médiate, relative. Il se trouve que la condition sensible de l’objectivité de la
connaissance chez Kant était que les objets nous parviennent par l’espace,
l’intuition pure de l’espace donc. Bergson va dire exactement la même chose :
la condition pour que l’intelligence connaisse les objets est qu’elle les
spatialise, cependant si l’on dit que l’espace est une multiplicité homogène et
intensive, cela renvoie à la réduction de la différence entre les choses à la
différence de degré, au format selon lequel on peut manipuler les choses. Si
l’intelligence est ce qui s’occupe de l’espace, on comprend que l’intuition

consistera dans la connaissance de la durée. Contrairement à Kant, Bergson ne


croit pas que l’intelligence nous donne une connaissance un tant soit peu fidèle
de la réalité : les concepts produits par l’intelligence ne sont pas fidèles au réel.
L’intelligence est une annexe spirituelle de notre besoin d’agir. Elle a pour but
de nous présenter les choses de la manière qui soit la plus commode pour nous,
et ce qui détermine cette commodité pourrait se résumer en ce qu’elle garantit
notre survit, notre commodité sociale etc. Bergson fonde la manière dont
fonctionne l’intelligence sur notre constitution physiologique et sociale.
L’intelligence possède ainsi trois caractéristiques : premièrement son
pragmatisme au sens commun du terme, produire des concepts qui permettent
d’agir de manière efficace, des concepts qui seront utiles pour la vie,
l’intelligence rendant notre existence manipulable et prévisible, deuxièmement
la causalité mécanique, dans son existence d’ordonnancement de l’expérience
l’intelligence demande la partition entre les causes et les effets, pour la survie et
par habitude nous produisons des connexions qu’on appelle causales parce
qu’elles nous aident à rendre l’expérience prévisible et régulière - ce qui
signifie que pour Bergson l’intelligence est prévisible et mécaniste, c’est une
machine à chercher des causes -, enfin troisièmement son géométrisme, sa
tendance à spatialiser, à donner une représentation des choses qui n’est pas
continue mais qui est discrète, quand on fait l’expérience d’un processus on va
le décomposer entre des petites parties et on va étudier la relations
qu’entretiennent ces parties.
On peur désormais dresser la liste des conséquences de cette caractérisation de
l’intelligence. Premièrement, cette manière de connaître les choses est relative,
dépendant de notre connaissance, de notre condition, de notre expérience qui
évolue. C’est ce qui va permettre une critique des raisons pour lesquels Kant
pense que seule une connaissance relative est possible, parce qu’il n’a saisit
dans le processus de connaissance que ce qu’il y avait de proprement humain
chez l’homme, il n’a basé sa philosophie de la connaissance que sur des
tendances qui sont proprement humaines. Il y a des choses qui sont
spécifiquement humaines, et d’autres qui ne le sont pas, que nous partageons
avec tout un tas d’autres choses, dont notre nature organiciste d’être vivants,
notre nature d’êtres temporels qui durent aussi. Kant n’a basé sa philosophie de
la connaissance que sur notre capacité à rationaliser, à représenter la réalité, à ce
qui permet de prévoir, mais il a oublié tout le reste ! Ces tendances à
conceptualiser sont bien naturelles, mais elles coexistent avec d’autres
tendances, et si l’on fait une introspection ce qu’on aperçoit c’est notre esprit
cherchant en permanence à faire preuve d’intelligence, c’est à dire à fausser la
réalité pour qu’elle soit conforme à nos fins, pour qu’elle s’adapte à ce qui est
utile pour nous. La deuxième conséquence est que de ce fait même
l’intelligence nous condamne à l’imprécision, autrement dit elle nous condamne
à la généralité. Les concepts produits par l’intelligence sont généraux,

évidemment que l’être humain comme les animaux n’a pas un concept pour
chaque chose, sans quoi la vie serait invivable - les concepts servent à observer
des régularités dans le monde, pas à saisir la réalité individuelle de chaque
chose. Pour Bergson on manque indéniablement quelque chose d’essentiel
quand on réduit l’expérience à ce qu’on peut connaître par des concepts, on
manque toute la complexité qualitative de l’expérience. C’est une critique
partagée avec Nietzsche, les rapports de similitude du point de vue de la
critique de l’intelligence entre Bergson et Nietzsche sont évidents, Nietzsche
comme Bergson liant les opérations de conceptualisation avec celles de
symbolisation - qui consistent à coordonner certains signes de l’expérience avec
des symboles, la plus évidente étant le langage, qui n’est constitué à quelques
exceptions près que de termes généraux, ces exceptions étant les noms propres,
et les indexicaux ( démonstratifs, pronoms etc, qui renvoient à des lieux, à des
individus ), ce qui veut dire que lorsque nous exprimons notre pensée nous
exprimons toujours des généralités. Le problème du langage chez Bergson est
ainsi que d’une part il est trop générale pour saisir la réalité, et que d’autre part
il est trop fixe, on se refile les mêmes mots d’une génération à l’autre, on est
donc pas toujours conscients des raisons pour lesquelles une conceptualisation a
été opérée.
La précision philosophique selon Bergson ne peut être acquise qu’à une seule
condition : renoncer au langage. Il faut donc trouver un mode d’expression plus
en adéquation avec le réel : la pensée par images et par métaphorisations.
Bergson va d’ailleurs très souvent - pour ne pas dire tout le temps - avoir
recours dans ses écrits à des images et à des métaphores. Si on ne communique
pas par des mots, par quoi communique-t-on alors ? Au-dessus des mots, des
phrases, bref, du langage, il n’y a qu’un seul type de choses : le sens, qu’on
distingue de la signification, qui est du sens spatialisé dans des mots, du sens
rigidifié. On peut également arriver à certaines réussites dans le travail de
l’intelligence dans le sens, comme les mathématiques - Bergson parle de
nombres. À l’inverse, quand ce n’est pas l’intelligence qui s’en occupe, le sens
est quelque chose de vague, un mouvement à peine esquissé. Le sens c’est la
différence qualitative d’une pensée, sa singularité. Dans le champ de pensée qui
est le nôtre il y a des choses qui se signalent, sans que l’on sache précisément
pourquoi, ce sont des pensées différentes de nos autres pensées, suffisamment
différentes pour qu’elles arrivent à notre conscience, et c’est cela du sens. Le
sens est une entité qui n’est absolument pas spatiale, elle est temporelle, c’est ce
que nous avons l’habitude d’appeler des intuitions, pas tout à fait déterminées,
sans que l’on sache très bien d’où elles viennent elles orientent notre direction
de pensée. Cela signifie qu’il faut bien distinguer le sens, son mode de
production lié essentiellement à l’intuition, imagé, instinctif, imaginatif, et puis
la signification forgée dans l’usage social par la communication, par la fixation
des mots dans le sens commun par la communication - c’est donc à partir du

moment où l’intelligence se saisit de l’intuition, dans cette interaction


permanente qui est la leur, que le sens devient signification. Le grand problème
de la métaphysique est qu’elle s’est condamnée à produire des concepts vides
de sens car elle en est restée au niveau du langage. Le surplus de généralité d’un
concept perd tout son sens une fois qu’il se heurte à la réalité. Le sens est plus
proche de la réalité que ne l’est la signification : il y a le sens des choses et la
signification des mots. Pour Bergson il a deux types de contraintes qui nous
obligent à produire des concepts, des contraintes de type biologique et d’autres
de type social. Ces contraintes rendent nécessaire la production de concepts par
notre intelligence. Nos concepts ont une source et une fonction vitale, ce qu’on
partage avec la majorité des animaux qui de près ou de loin généralisent en tant
qu’ils savent choisir dans l’environnement les éléments qui lui permettent de
garantir leur survie - même s’il s’agit là davantage de quelque chose de vécu
que de quelque chose de conceptualisé -, et ce que fait Bergson c’est naturaliser,
c’est à dire ramener à un processus naturel, certains concepts - la plupart des
concepts que partagent tous les êtres humains relevant de notre activité motrice,
comme marcher ou courir. D’un certain point de vue la généralisation a pour
condition une habitude biologique. La deuxième détermination est donc sociale,
c’est à dire que nos concepts ont aussi une origine et une fonction sociale : on
apprend à parler, on n’apprend pas tout seul la langue et puis on apprend à
parler une langue particulière qui est celle d’une communauté mais aussi d’une
époque, et puis la fonction est de communiquer rapidement pour notre survie au
départ, et puis pour tout un tas d’autres raisons pour la suite. Bergson comme
Nietzsche s’accordent à dire que le langage n’est pas innocent, qu’il charrie
avec lui toute une métaphysique, qu’il fixe, qu’il rend immobile les objets de la
réalité. La troisième conséquence est que l’intelligence fixe, rend immobile les
choses, qu’elle stabilise notre rapport aux choses. Elle traite les phénomènes
comme des objets stables. Ceci signifie ni plus ni moins que l’intelligence est à
l’origine de nos connaissances scientifiques, puisqu’il n’est pas connaissance
scientifique qui n’ait pas d’objet stable sur lequel s’appuyer. Mais en plus de
rendre les choses fixes, elle les rend commensurables, ouvrant la voie à une
mathématisation des phénomènes. Or, ce que Bergson montre avec un exemple
fameux, c’est que la réduction de l’expérience, et notamment du mouvement
que l’on expérimente dans l’expérience, a des formes stables, commensurables,
produit des paradoxes. Ce fameux exemple, c’est le paradoxe de Zénon - un
parménidien qui croit en l’immobilité du monde - d’Achille et de la tortue,
commenté par Bergson. D’abord voici le paradoxe : si Achille va deux fois plus
vite que la tortue mais que la tortue part deux mètres avant Achille, jamais
Achille ne rattrapera la tortue, puisque le temps que Achille arrive là où était la
tortue, cette dernière aura fait un petit bout de chemin, et ainsi de suite,
indéfiniment, puisque la distance entre Achille et la tortue va se réduire à
l’infini mais que jamais Achille ne dépassera la tortue. D’une part Zénon
confond la divisibilité de l’espace avec la divisibilité du temps - Achille devrait
faire une infinité d’étapes pour arriver à la tortue, alors qu’il n’y a pas une
infinité de temps, mais les deux ne se confondent pas, Aristote l’identifiait déjà
d’ailleurs. Il donne une modélisation de la situation qui est arithmétiquement
très simple : qu’entre Achille et la tortue on peut identifier une série qui
converge à l’infini, mais est-ce la bonne modélisation de la situation ?
Évidemment que non ! Ce que Bergson tire de cela, c’est qu’au lieu de dire que
la situation est mal modélisée, identifie l’intelligence qui spatialise le
mouvement alors qu’il suffit d’avoir l’intuition directe du mouvement d’Achille
pour savoir qu’il va dépasser la tortue. L’intelligence n’a pas le droit de
découper le mouvement d’Achille comme bon lui semble, mais elle le fait et
aboutit à des contradictions - en tous les cas chez Zénon.
Ce que décrivent les paradoxes de Zénon c’est la relation entre les chemins
parcourus par Achille et par la tortue. Pour Bergson ce que cela signifie c’est
que Zénon découpe le mouvement d’Achille d’une manière qui n’en respecte
pas le rythme, d’une manière arbitraire. Or cela nie la nature même du
mouvement, considérant uniquement la distance parcourue, qu’on peut
évidemment diviser, sauf qu’il y a une différence entre une découpe sur une
ligne et une découpe sur un mouvement. Bergson s’en prend ainsi au paradoxe
de la flèche, un argument donné par Zénon dans lequel tout instant du temps
correspond à une position de la flèche, puisque sur un instant donné elle ne peut
pas être à deux endroits à la fois, ce qui implique donc une contradiction : pour
Zénon, puisqu’on peut diviser le temps une infinité d’instants on s’aperçoit que
la flèche est à chaque instant immobile. Pour Zénon le mouvement est une
illusion tandis que la réalité est immobile, mais la faute de Zénon n’est pas
d’ordre logique, c’est simplement que Zénon a cru que le temps était divisible
de la même manière qu’était divisible l’espace. Or la durée est continue !
Bergson critique donc cette reconstruction du mouvement par l’intelligence qui
consiste à chaque fois à reconstruire le mouvement comme une série d’instants
juxtaposés les uns aux autres : d’un point de vue général Bergson s’en prend à
la tendance qu’à l’intelligence à vouloir diviser quelque chose de continu, cette
tendance à l’œuvre au même moment dans les sciences mathématiques,
reconstruisant par exemple la ligne continue à partir de points - ce qu’on peut
faire en mathématiques, la question est de savoir dans quel ordre est-ce
légitime. Notons que Poincaré, peut-être le plus grand mathématicien français
de l’époque, qui a lui-même développé une théorie de la connaissance intuitive
est proche de Bergson. Ce dernier ne fait pas de différence entre la modélisation
de l’espace et la représentation perceptive de l’espace, ce qui signifie que
Bergson nous dit l’intelligence descend jusqu’à la perception, qu’elle est
soumise à la contrainte de spatialiser.
Bergson essaye de voir quelles sont les distinctions sont produites par la
perception entre les différentes choses, c’est la genèse des distinctions

perceptives telle que présentée par Diderot par exemple : la perception fait
d’abord des distinctions entre trois types de mouvement. Des mouvements
qualitatifs - des changements de qualité entre les choses, des changements de
couleurs etc, qu’on appelle des changements d’état -, des mouvements extensifs
- des changements de position, quand quelque chose parcourt une distance -,
enfin des mouvements évolutifs - un mouvement de croissance d’une plante par
exemple. Bergson explique que ces trois types de mouvements sont à la base de
trois types de concepts, ceux de qualité, d’action et de substance - les
changements intrinsèques qui caractérisent l’évolution. Bergson se distingue de
Diderot en ce sens que le jugement de l’intelligence descend pour lui jusqu’à la
perception, qui est pour lui structurée comme un langage, qui possède une
structure isomorphe à la grammaire. La perception elle-même est ainsi
structurée par l’intelligence, et il convient donc de voir si certains modes
perceptifs ne peuvent pas dépasser cela. La critique que l’intelligence adresse à
l’intelligence comme faculté de rendre fixe les choses, de faire des concepts, est
assez largement répandue dans la grande majorité des philosophes mobilistes.
Mais Bergson apprécie tout de même dans la science le fait qu’on cesse de
s’intéresser à des objets pour s’intéresser à des processus.
Il y a en réalité différents moments dans la pensée bergsonienne qui marquent
son rapport avec les sciences : au départ Bergson semble assez critique des
sciences positives, il ne met jamais en cause les résultats mais avance que la
science repose sur une idée fixiste de la réalité, au moment de L’évolution
créatrice il semble dire que les sciences ont des résultats qui ont une forme de
dignité, la connaissance scientifique relative à notre mode de connaissance a
quasiment la même dignité que la connaissance intuitive et métaphysique, ces
deux modes d’accès constituent des parallèles à la réalité. À partir de là, voyons
véritablement ce qu’est la théorie bergsonienne de l’intuition !
D’abord, voyons la dualité des modes de connaissance. On avait vu le mode de
connaissance de l’intelligence, qui correspond à ce découpage du réel vers une
forme fixe qui est commode pour l’esprit humain. Dès l’Essai sur les données
immédiates de la conscience, Bergson dit qu’il est relatif et qu’il nous faut
déchirer le voile des mots et des concepts qui s’est interposé entre nous et la
réalité. Il faut essayer d’avoir un rapport à la réalité qui fair que nous arrêtions
spontanément de catégoriser le réel, et cela passe par la réintroduction d’une
forme d’introspection radicale, sachant que notre manière habituelle est faussée
d’habitudes intellectuelles - évidemment, Descartes dans les Méditations fait ce
qu’il ne faut pas faire, c’est à dire catégoriser les données qui nous sont
données. Ce que ça introduit c’est donc la dualité entre un mode de
connaissance relative, spatiale, destiné à la connaissance des objets extérieurs,
et un mode de connaissance absolu, non spatial, qui correspond à notre
conscience intérieur, à l’observation de nous-mêmes. « En enlevant le voile
interposé nous touchons un absolu », Bergson reprend ici une phrase de

Berkeley qui parle de notre prise au voile des mots. L’introspection n’a à
l’époque que deux méthodes : la méthode kantienne, que Bergson refuse, et
puis la voie empiriste, celle qui court de Locke jusqu’à Hume. Les empiristes
font une analyse associationniste : l’esprit fonctionne par associations d’idées, il
s’agit d’étudier les règles selon lesquelles nous associons nos idées. Or ce que
dit Bergson c’est que cette manière ne va pas du tout, parce que c’est partir du
principe que les idées sont les analogues des choses extérieurs, parce que le
mécanisme d’association est spatial, les empiristes pensent que les idées sont
tels des cubes qu’on agglutine pour obtenir une autre forme. On ne construit pas
des représentations comme on construit des choses, encore une manière de
l’intelligence de spatialiser, de concevoir le monde intérieur, celui de la
conscience de la même manière que le monde extérieur. L’introspection nous
montre que l’esprit ne fonctionne pas comme ça : l’expérience n’est pas
analysable au sens où elle n’est pas analysable, on ne peut pas la séparer dans sa
complexité en parties simples. On ne peut pas distinguer entre différentes
parties en notre esprit, les choses n’y sont pas juxtaposées. La théorie des partis
de l’âme, des facultés, ne marche pas, l’esprit est une pure durée : c’est une
totalité mouvante en perpétuel changement. La connaissance de cette totalité est
pour Bergson la connaissance de l’absolu, c’est à dire des choses telles qu’elles
sont en-soi. Pour qu’une telle connaissance soit possible il convient que nous
nous affranchissions des limites fixées par notre condition spécifiquement
humaine, il nous faut revenir en deçà de ce que l’intelligence nous ordonne, ce
qui signifie que la connaissance ne se réduit pas à l’activité de l’intelligence. Il
y a une activité parallèle qui produit une connaissance d’un type tout à fait
différent, et cette activité spirituelle c’est l’intuition. Cela signifie lever
l’interdît kantien d’une connaissance purement intuitive, ce qui était l’acte de
naissance de la philosophie kantienne. L’intuition intellectuelle est un rapport
direct à la durée pure, une des faces de notre expérience qui nous est donnée
dans notre conscience.
Il y a donc plusieurs domaines de la connaissance intuitive. Dans son
« Introduction à la métaphysique » Bergson explique qu’« on appelle intuition
cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à
l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent
d’inexprimable ». Cela signifie donc que l’intuition n’est pas un type de
connaissance externe et relatif mais interne et absolu, connaître quelque chose
par intuition c’est faire corps avec l’objet. Pour Bergson c’est quelque chose qui
fait l’objet d’un travail et d’un effort immense : nous n’avons pas d’intuition
directement, à part les artistes et les mystiques. Le commun des mortels doit
faire énormément d’effort pour arriver à la connaissance intuitive, et cela passe
par une méthode, la fameuse méthode de l’intuition. Cela signifie qu’avant
d’avoir une connaissance intuitive de quelque chose il est nécessaire d’avoir fait
le tour des connaissances positives de cette chose. L’intuition ne se signale en

philosophie que négativement : les premières intuitions qu’on a sont celles de


ce qui n’est pas possible ou de ce qui n’est pas contradictoire, mais sans raison.
Le travail philosophique consistera après à montrer pourquoi l’intuition a
raison, au cas où elle a raison, puisqu’on peut prendre des choses pour des
intuitions et en réalité elles n’en sont pas. Bergson insiste sur le fait que c’est un
processus pénible et difficile. Mais pourquoi les concepts de Bergson, comme la
durée, ne tombent pas sous la critique de Bergson lui-même ? Ces concepts se
différencient parce qu’au lieu d’en donner des définitions abstraites il les
définies par métaphores et intuitions successives. Un concept comme ceux de
durée ou d’intuition peut être qualifié de dynamique : ils sont redéfinis à chaque
fois que Bergson les emploie, et Bergson nous dit d’ailleurs que le paradigme
d’un concept métaphysique efficace, véritable, est un concept qui épouse les
ondulations du réel, qui se précise en même temps que l’expérience nous donne
de nouveaux faits. La métaphysique est donc essentiellement quelque chose de
temporel, la connaissance métaphysique ne nous donne pas de connaissances
qui sont éternelles, le métaphysicien doit rester au contact de l’expérience car la
méthode lui permet de redéfinir les concepts de ce qu’il emploie, c’est ainsi un
empirisme radical, métaphysique car il va au-delà de ce que nous disent les
sciences physiques. On peut dire que Bergson voit l’intuition partout à l’œuvre,
dans les sciences, avec l’exemple du calcul différentiel, la science à son
meilleur se basant sur des intuitions qui ne sont pas fournies par l’intelligence,
l’intuition d’un mouvement irréductible à des points par exemple, et dans l’art,
les peintures de Turner, avec l’idée que les artistes ont une faculté particulière
qui est de nous faire voir ce que nous ne voyons pas spontanément, un des sens
dont nous disposons est ainsi libéré du servage de l’intelligence. Le rapport de
l’intelligence de l’art est la théorie du beau, l’esthétique, là où Bergson fait une
théorie de la création artistique. En philosophie, Bergson nous dit qu’au fond
les systèmes philosophiques dépendent dans leur réalisation de certaines
intuitions propres et originales des philosophes qui les produisent. Il y a deux
manières d’étudier une philosophie, la première est d’étudier les sources de
cette philosophie et de la considérer comme le produit de ces différentes
sources, on se rend compte ainsi que jamais rien n’est nouveau, c’est ainsi que
fonctionnent les historiens et les historiennes de la philosophie, mais il y a une
seconde manière qui est celle qui consiste à retrouver et à identifier l’intuition
qui lui est propre, c’est à dire où est-ce que le système philosophique rentre en
contact avec la réalité, quel est le problème fondamental qu’elle cherche à
résoudre et d’où découle toute la philosophie en question. Ce qui est intéressant,
c’est que par exemple que la philosophie Descartes aurait à notre époque gardé
les mêmes choses fondamentales. Changez un individu d’époque et sa
personnalité reste la même ! La philosophie d’un auteur est en partie au moins
une intuition originale, et comprendre une philosophie c’est comprendre
l’originalité de ce dont il est question.

Quel est donc l’objet de l’intuition ? On a un peu cerné le domaine d’action e


l’intuition, maintenant il s’agit d’identifier son mode opératoire : nous n’avons
d’intuitions que de l’esprit, l’objet de notre intuition c’est l’esprit, c’est notre
réalité intérieure mais pas de n’importe quelle manière, c’est notre réalité
intérieure en tant qu’elle dure, en tant que réalité en perpétuel mouvant. Notre
esprit amasse des souvenirs, c’est quelque chose qui se modifie, s’accroît en
permanence. Cette durée interne est multiple, au sens où elle est composée
d’une multiplicité de couches de durées. Il y a évidemment le présent, en
perpétuelle évolution, aussi au sens où il modifie le passé, et ensuite les
différents souvenirs, au sens où il y a autant de couches de durée que de
souvenirs, les différentes degrés de durée qui se superposent dans notre esprit
sont en perpétuelle interaction les uns avec les autres. L’intuition a pour objet
l’esprit dans la mesure où elle n’a pas pour objet notre esprit, mais bien le
spirituel, ce qui explique qu’au moment où il va donner des exemples
d’intuitions Bergson va donner ceux d’une mélodie, d’un morceau de sucre
qu’on observe fondre, et pas seulement des exemples tournés vers notre esprit.
Notre réalité interne peut s’extérioriser par sympathie avec ce qui entoure, ce
qui signifie qu’on considère les objets autour de nous dans la durée, considérant
le rythme propre des différents objets. Évidemment nous ne connaissons pas la
durée interne des objets de la même manière que nous connaissons la nôtre,
mais cette sympathie est tout de même un type de connaissance, en l’occurrence
par analogie - l’identité entre certains rapports. Cela vaut aussi pour la matière,
ce qui revient également à la question du sens dont on parlait précédemment.
Comment est-ce que nous entrons en sympathie avec des objets extérieurs ?
Parce que dans leurs mouvements ces objets présentent des différences
qualitatives, qu’ils se modifient, et que l’existence de cette modification
qualitative est le signe qu’ils sont au même titre que nous des réalités qui
durent. Au fond, dans la réalité, les choses ont une réalité matérielle, mais aussi
une réalité temporelle et spirituelle : la modification dans le temps des choses
est la trace de la spiritualité de la matière. Pourquoi ? Parce que cette
modification qualitative des choses - le fait qu’elles se détériorent avec le temps
par exemple - dans le temps c’est précisément la condition d’apparition du sens,
qui est pour Bergson provoqué par ces différences qualitatives. Si on essaye de
tracer le parallèle, ce qu’on peut dire c’est que le milieu dans lequel opère
l’intuition c’est le sens, c’est une activité spirituelle qui nous met au prise avec
le sens. Il n’y a qu’une différence de degré entre la matière et le spirituel : la
matière dure lentement tandis que nous subissons parce que nous avons une
intériorité des modifications beaucoup plus rapides, l’espace c’est du temps
étendu si l’on veut parler de la matière, l’étendue c’est de la matière contractée.
Cela signifie que si l’on essaye de préciser l’expression selon laquelle la
matière a une tendance spirituelle, on peut dire que chaque chose matérielle a
pour Bergson une qualité, une durée propre. Rentrer en sympathie avec ces

durées c’est en quelques sortes comprendre leur évolution dans le temps, c’est
comprendre leur évolution dans le temps. La saisie du sens c’est précisément la
saisie de ces différentes évolutions. L’analogie permet ainsi par les différentes
métaphores de s’approcher du sens tout en lui gardant ce qu’il a de mouvant.
L’intuition se développe par un effort au contact, par familiarité avec les objets.
L’intuition c’est la capacité de connaître par analogie, de saisir ce qu’il y a de
commun entre ma durée et la durée des objets externes.

Les critiques de la connaissance intuitive au XXe siècle


Comprenons dans un premier temps le contexte et les raisons d’un refus. Bon,
d’abord le contexte, ensuite les raisons. Au début du XXe siècle commencent à
s’élever un certain nombre de voix critiques de l’idée pourtant à la base de
l’épistémologie antique et moderne que notre connaissance en général puisse
reposer sur un type de connaissance intuitive. Ces voix sont essentiellement
issues de la philosophique de tradition sémantique, qui s’est développée en
Autriche au début du XXe siècle avec différentes sources, comme Kant, ou
Bernard Bolzano. Ce sont évidemment les philosophes du Cercle de Vienne
dont on parle. Le Cercle de Vienne c’est un cercle de philosophes et pas
seulement, de mathématiciens, de physiciens ou d’économistes à l’université de
Vienne qui se réunissent une fois dans la semaine pour parler de science et de
philosopher de 1923 à 1936, durant treize ans car le fondateur, Moritz Schlick
est assassiné par un de ses élèves sur les marches de l’université de Vienne,
suite à quoi la plupart des journaux proto-nazis s’en félicitent énormément. À
part Schlick, comptons Rudolf Carnap, Otto Neurath, Friedrich Waissman - un
pote de Wittgenstein -, et puis évidement Kurt Gödel. Gravitent autour Karl
Popper, Ludwig Wittgenstein, Alfred Tarski, Hans Reichenbach ou évidement
Willard Van Orman Quine. Le cercle est en grande majorité socio-démocrate, de
manière générale il y a ici une vision émancipatrice. Dans le manifeste du
cercle de Vienne il y a l’idée que la philosophie doit prendre en charge la
réflexion sur les nouveaux développements de la science, avec comme facteurs
Einstein, Poincaré et un certain nombres de gens : le but est de réfléchir aux
conséquences philosophiques de ces théories. Si l’on regarde leur postérité,
disons deux choses. Évidemment la grande majorité ont émigré durant la
guerre, une partie aux États-Unis donnant ainsi le départ de la philosophie
analytique américaine et une autre en Angleterre participant au développement
de la tradition analytique anglaise où il y avait déjà un certain Bertrand Russel.
Philosophies analytiques anglaises, américains et celle du cercle de Vienne se
distinguent, ce sont ceux qui ont inscrit l’idée que la philosophie doit reposer
sur l’analyse logique du langage, c’est à dire sur l’application au langage des
instruments de la logique formelle au départ créés pour s’appliquer aux
mathématiques. La plupart des membres du cercle de Vienne ne font pas un
usage immodéré de la logique formelle dans leurs écrits, à part Carnap

évidemment, c’est avec la philosophie analytique notamment américaine que là


norme s’est créée. La nouveauté principale est donc qu’en appliquant les outils
de la logique formelle au langage on arrive à dissoudre certains problèmes
philosophiques. La philosophie analytique américaine fait un emploi beaucoup
plus intensif de ces outils là et enrôle le formalisme logique pour traiter tous les
champs de la philosophie ou presque, alors que chez les anglais cela s’est
longtemps cantonné à la philosophie du langage ordinaire. Les méthodes ne
sont pas si éloignées, mais les objets si.
La question qui reste c’est donc pourquoi un tel refus de la connaissance
intuitive par le cercle de Vienne ? La première raison est d’ordre conceptuelle.
À la fin du XIXe et au début du XXe il y a la crise des sciences, qui concerne
l’intégralité de l’édifice des sciences - Husserl écrit d’ailleurs la Krisis. La crise
des fondements des mathématiques réside essentiellement dans le fair que se
sont introduits subrepticement dans les mathématiques au cours des siècles un
certain nombre de passagers clandestins, c’est à dire des entités dont on arrive
pas à donner des explications intuitives. Il y a évidement les exemples de la
géométrie non-euclidienne, ou les fonctions continues mais non dérivables, des
choses qui heurtent la sensibilité des mathématiciens, puisqu’on ne peut pas
illustrer ou représenter ces entités. Les intuitions à la base des mathématiques
sont donc non seulement limitées mais aussi trompeuses, elles vont contre ce
qu’il est possible : « comment l’intuition peut-elle nous tromper à ce point » se
demande Poincaré. Cela donne lieu à tout un programme de recherches
fondationnelles, le programme logiciste, avec notamment Frege et Russel qui
pensent qu’il faut reconstruire les mathématiques sur des propositions logiques
pour leur donner des fondements fermes, alors que David Hilbert cherche à
axiomatiser les mathématiques pour leur donner un fondement sûr, montrant
que tout peut être déduit à partir de ces axiomes. Le XXe siècle est aussi le
siècle de la théorie de la relativité et la mécanique quantique, chacune de ces
théories ayant des conséquences contre-intuitives, d’une part une forme de co-
dépendance entre l’espace et le temps avec l’idée que si on cherche à décrire
l’univers de manière globale nous avons besoin d’une géométrie non-
euclidienne et d’autre part que cela remet en cause nos intuitions fondamentales
sur le déterminisme et la causalité mais aussi sur la localisation des particules. Il
y a donc un doute qui émerge sur ces prétendues intuitions fondamentales sur
lesquelles reposent la science. L’intuition ne peut plus avoir cette certitude
qu’elle avait encore récemment.
L’intuition est considérée par le cercle de Vienne et ses représentants comme
trop subjective et trop métaphysique. Trop subjective car l’intuition opère une
forme de mélange des genres : les auteurs qui font usage de l’intuition comme
gage de vérité et de certitude font preuve de psychologisme, c’est à dire comme
un des grands maux de la philosophie puisque c’est l’idée que certaines
représentations subjectives, certains épisodes mentaux, psychiques puissent être

à la base de connaissances objectives. En fait les représentants du cercle de


Vienne sont extrêmement choqués par le fait que certains auteurs peuvent
dériver de nos représentations mentales l’objectivité des lois logico-
mathématiques, deux choses d’un ordre fondamentalement différents, puisque
l’un est contingent tandis que l’autre ne peut pas être contingent, en raison de
son caractère normatif et nécessaire. Les philosophes qui emploient la notion
d’intuition créent une confusion entre une faculté psychologique de ressentir
une certaine évidence vis à vis de certains contenus de l’expérience et la validité
des énoncés qui provient des lois logiques. On ne peut pas garantir une
connaissance objective à partir d’une expérience subjective. Le second mal que
présentent les théories de l’intuition est leur caractère métaphysique, avec la
tentation métaphysique de vouloir fonder définitivement la connaissance. Les
auteurs du cercle la voient à l’œuvre dans l’intuitionnisme de Brauer qui
considère les objets mathématiques comme des représentations de l’esprit et
celui de Bergson. La connaissance intuitive semble fonctionner quand on ne sait
plus comment justifier quelque chose, comme une sorte de justification
mystique. On ne peut pas justifier un type de connaissance sur lequel on a
aucune procédure de contrôle extérieur. L’intuition ne peut jouer le rôle de
justification, et donc il faut la rejeter intégralement en tant que mode de
connaissance : une connaissance qui ne fournit aucune justification n’est pas
une connaissance !
Mais quels adversaires pour quelles critiques ? Au moment où écrivent les
empiristes logiques du cercle de Vienne ils écrivent contre quatre doctrines
philosophiques. La première est Kant, c’est la doctrine kantienne, mais pas dans
sa totalité en réalité. Ce qu’ils n’aiment pas chez Kant ce sont les formes à
priori de l’intuition, les intuitions pures, ils refusent les jugements synthétiques
à priori. En effet, dans la description que Kant en faisait, la forme à priori de
l’intuition qu’est l’espace était nécessairement euclidienne, alors que tout ce
que nous montre la physique contemporaine, notamment celle d’Einstein, c’est
que les géométries non-euclidiennes sont essentielles pour décrire le monde. Il
se trouve que la théorie d’Einstein a une confirmation expérimentale triomphale
à ce sujet. Ils sont tous embêtés car ils sont tous au départ d’obédience
kantienne, et le renversement de Kant va se faire progressivement : dans sa
thèse de doctorat, Carnap était résolument kantien. Le deuxième adversaire
c’est l’intuitionnisme mathématique de Brauer et Poincaré. Ce qu’on peut dire
c’est qu’au départ les empiristes logiques sont attirés par le logicisme de Frege
et Russel. Par ailleurs notons que Gödel est l’élève de Hilbert, le fondateur du
formalisme mathématique, ce qui ne l’empêchera pas de proposer une forme
d’intuitionnisme platonicien et de prouver que ce que Hilbert dit est
contradictoire. Le troisième adversaire est Bergson. Les auteurs qu’on peint
sous les hospices du scientisme du début du XXe siècle que sont les membres
du cercle sont en réalité de fins connaisseurs de la métaphysique, du

romantisme et de Nietzsche. Cela se voit en particulier dans Volonté et motif de


Friedrich Waismann - un texte d’éthique. C’est parce que ces auteurs lisent
Bergson et qu’ils l’ont très bien comprit qu’ils le critiquent. La critique repose
sur le fait qu’ils sont déçu de Bergson parce qu’ils aiment beaucoup son
nominalisme, que Bergson ait comprit qu’il n’y ait pas d’idées transcendantes
qui nous fassent faire nos distinctions, ou que le langage ne fait pas la structure
de nos pensées, mais eux vont en tirer l’exacte inverse : il faut qu’on étudie ce
qui est présentée dans le langage avec d’autres outils, plutôt que de la
connaissance intuitive nous avons besoin du formalisme logique. Mais ils ne s’y
retrouve pas quand Bergson dit que certaines choses échappent au langage, en
réalité on parle juste de choses inintelligibles. Au-delà de cette critique de
Bergson c’est une critique de la métaphysique en général que fait le cercle,
Bergson étant le représentant de la métaphysique en leur temps. On le voit dans
un texte de Carnap, Le dépassement de la métaphysique par l’analyse du
langage, où il décide de faire une analyse de certaines propositions de
Heidegger dans L’introduction à la métaphysique et essaye de montrer que nous
sommes incapables de leur donner aucun contenu. Pour Bergson le problème
est parallèle ou similaire : ils reprochent à Bergson purement et simplement de
produire des non-sens lorsqu’il parle d’intuition, selon certaines règles
standards de la logique ce n’est qu’une illusion de sens qui nous a été mise
devant le yeux. Le cercle de Vienne avance que ce n’est pas que la
métaphysique dit des choses fausses, mais que ses énoncés n’ont pas
véritablement de sens. Enfin le dernier adversaire c’est Husserl, et la
phénoménologie husserlienne. Voici la confrontation de loin de la plus
intéressante. Les auteurs du cercle de Vienne connaissent bien Husserl, ils
discutent très souvent ses thèses dans leurs réunions. En vérité la
phénoménologie et l’empirisme logique naissants ont bu le même lait, ce sont
des philosophies jumelles, leur références sont les mêmes : outre Kant,
Bolzano, tout un pan de la philosophie qu’est celui de Brentano ou Twardowski.
L’empirisme logique du cercle de Vienne et la phénoménologie de Husserl ont
les mêmes champs d’études, la seconde est au départ une analyse des
fondements de la connaissance logico-mathématique, dans les Recherches
logiques Husserl parlait du statut des idéalité logico-mathématiques. Husserl est
l’interlocuteur de toutes les sommités de l’époque, Frege, Hilbert et tous les
gens qui à l’époque comptent dans la science germanophone. Il expose
notamment dans le premier tome des Recherches logiques ce qui reste la
meilleure critique du psychologisme dans la théorie de la connaissance. Leurs
thèmes sont à peu près les mêmes, le statut de la logique, la signification, le
langage, Husserl montrant qu’il est tout à fait sensible aux mathématiques de
son temps, mais contrairement aux philosophes du cercle de Vienne il accorde
une importance immense à certaines notions, notamment celles de vécu et de
conscience. C’est à dire que là où les philosophes du cercle de Vienne
s’intéressent essentiellement aux théories de la connaissances sous l’angle de la
validité et du résultat, Husserl traite de la constitution du sens des théories
scientifiques au sein de nos vécus de conscience, se demandant comment est-ce
que l’on peut faire des théories valides.
Le principe de la phénoménologie husserlienne c’est que toute conscience est
conscience de quelque chose, c’est à dire que toute conscience est la visée d’un
objet, ce principe c’est l’intentionnalité, propriété essentielle de la conscience -
qui est toujours dirigée vers quelque chose, vers des objets. La conscience se
rapporte aux objets selon deux modalités distinctes, d’une part la modalité
intuitive, avec comme paradigme la perception, via la modalité intuitive de
l’intentionnalité les objets nous sont donnés en chaire et en os, ce dont il est
question c’est la perception qui nous donne ces objets, la perception étant
toujours perception d’objet, et d’autre part la modalité signitive, lorsqu’on se
rapporte aux objets par le biais de certaines significations, le pouvoir qu’a notre
conscience de donner du sens à des signes, à des mots ou à des symboles, c’est
ce que Husserl appelle des intentions de signification. On donne à notre
intention sens, il y a une donation de sens. Husserl dit qu’il y a deux types de
donations de sens possibles : d’abord des intentions de significations qui ne sont
pas remplies et d’autres qui le sont. On peut donner du sens aux mots, c’est
toujours une possibilité, car quand je parle ou quand je fais des phrases je donne
du sens aux mots, mais pour que cette signification acquiert une vérité ou une
fausseté il faut qu’elle soit remplie, il faut donc une intention intuitive. La
perception vérifie ce dont on parle avec des mots. « Ceci est un chat » :
évidement je n’ai pas besoin d’être à côté du chat pour le dire pour que cela ait
du sens, mais quand je le dis les intentions de significations qui donnent du sens
à cette phrase sont vides au sens où elles ne sont pas vérifiées, il n’y a rien qui
les exemplifie, pour qu’elles soient remplies et que ma phrase soit vérifiée il
faut avoir une donation intuitive des objets qui vont remplir mes intentions de
vérifications. Au fond, la signification des phrases qu’on emploie dépend de la
possibilité de vérification. « La lune est en fromage », cela a du sens parce
qu’on peut très bien vérifier si c’est le cas, mais dans le cas de « l’âme est
immortelle », on semble bien comprendre la phrase mais nous n’avons aucun
moyen de savoir si l’énoncé est vrai ou faux, l’énoncé est infalsifiable. Il n’y a
pas de sens s’il n’y a pas intention de signification, et dans le cadre de l’âme
immortelle on peut se demander si cette intention est présente. Pour le cercle de
Vienne il est clair que c’est un pseudo-énoncé qui n’a pas de sens, à ce titre ils
sont plus catégoriques sur les énoncés métaphysiques. Chez Husserl il y a l’idée
qu’une intention de signification n’a de sens que si elle peut être remplie, que si
on peut confirmer que les intentions qu’elle manifeste renvoient bien à quelque
chose. Jusque là on est pas très loin de ce que raconte le cercle de Vienne, mais
Husserl se demande comment fait-on non pas pour remplir la signification du
mot mais bien pour remplir la signification d’une phrase : lorsque ke dis que le

chat est rose avec des pois bleus, j’affirme une certaine relation entre le chat et
des pois bleus. J’affirme ainsi la relation entre un le chat et un objet matériel,
mais quel concept est l’objet matériel, entre l’individu et l’espèce à laquelle il
appartient, mais cette relation là n’est pas donnée dans l’expérience, elle n’est
pas donnée dans notre perception, nous voyons juste un chat. Pour Husserl nous
n’avons pas que des intuitions perceptives, mais aussi des intuitions
catégorielles, c’est à dire des intuitions de structures, de relations entre les
choses qui sont mentionnées dans une proposition. C’est ce qui nous permet de
pouvoir tenir des discours sur des objets non-perceptifs, par exemple sur des
concepts, et pourtant de pouvoir vérifier que ce discours soit vrai ou faux. On
est dans cette situation dans laquelle on a des intuitions perceptives, des
intuitions catégorielles, et puis Husserl va introduire un dernier types
d’intuitions : les intuitions eidétiques. Husserl dit que tout le monde le connaît :
lorsque l’on a la perception d’une chaise, on a toujours la possibilité de la faire
varier en imagination, changer ses dimensions ou sa couleur par exemple, et si
l’on fait varier en couleur cela reste une chaise, mais en dimension ce deviendra
un banc ou un tabouret. Cela signifie que quand on a la perception d’un objet on
a une sorte de perception des limites de sa variabilité, dans lesquelles il reste un
objet du même type. Cette intuition ne nous donne pas des objets particuliers
mais des types d’objets. Et ce dont on s’aperçoit c’est que selon le type d’objet
il y a des choses qu’on peut faire varier dedans et d’autres non. Cette intuition a
tellement d’importance que Husserl finira par dire qu’il y a un certain type de
relations entre les choses qu’on peut connaître simplement par intuition : on
n’apprend pas le fait que le bleu est plus proche du vert que du jaune, c’est
intuitivement donné car c’est donné dans l’intuition eidétique de la couleur, il
n’y a pas besoin de concept pour cela. « Dans un espace blanc, le plus court
chemin entre deux points est une droite », voilà une intuition donnée. Si l’on
doit rapprocher cela d’un autre philosophe, c’est bien Kant ! C’est du
synthétique à priori, ce n’est pas analytique et c’est nécessaire ! « Il n’y a pas
d’étendue sans couleur » ou « il n’y a pas de couleur sans forme », voilà des
produits des intuitions des sens, le synthétique a priori matériel qu’on peut
opposer à la connaissance formelle issue de la logique. Nous avons accès à des
connaissances synthétiques matérielles pour Husserl.
La question de savoir s’il existe ou non des connaissances synthétiques
matérielles va traîner durant des années durant les réunions du cercle de Vienne,
et les membres vont tomber d’accord pour dire que non. La relation d’exclusion
entre les couleurs, qu’une tache bleue n’est pas en même temps jaune, n’est pas
une nécessité matérielle, mais un jugement analytique. De la même manière, ils
vont critiquer l’idée de Husserl que les propositions qui expriment des relations
entre les objets est pour corrélât des objets idéaux, ce qui était en question dans
la théorie de l’intuition catégorielle. Parce qu’ils n’admettent au sein de leur

mobilier ontologique, des choses qui existent réellement, que des objets
d’expérience ou des sens, voilà la thèse des empiristes logiques du cercle.
Schlick s’en prenait à certains usages du terme d’intuition, en particulier ceux
qui renvoient l’intuition à un mode de connaissance métaphysique privilégiée et
distinct du mode de connaissance ordinaire. Il s’en prend à Bergson et le cite,
mais pas à tous les usages du terme d’intuition, en son sens heuristique l’usage
du terme peut aller, puisque cela désigne des actes mentaux dont tout le monde
fait l’expérience. Bergson se trompe parce qu’il parle de l’intuition comme si
c’était un acte par lequel on saisit du contenu. Schlick nous explique que nous
n’avons pas de connaissance de nos contenus d’expériences, nous n’avons pas
de connaissance du contenu qualitatif de notre expérience, ce qui ne veut
évidemment pas dire qu’on est pas en contact avec un tel vécu, il est au courant
que nous sommes des êtres singuliers avec un vécu singulier. Ce qu’il veut dire,
c’est que ce vécu là dans son caractère qualitatif nous n’en avons pas vraiment
de connaissance, et Schlick prend l’exemple des couleurs : quand je dis que le
mur est rouge, on peut s’accorder que c’est vrai, mais je ne communique aucun
contenu qualitatif parce que je ne peux pas décrire ce que c’est dans le contenu
qu’est le rouge, on ne peut pas expliquer les couleurs à un aveugle, et si ça se
trouves toutes nos couleurs sont subjectivement inversées, nous n’en savons
rien, nous associons une perception à ce qu’on nous a inculquée, ce contenu de
l’expérience est privé, intégralement subjectif. La seule condition pour qu’on
soit d’accord sur les couleurs c’est qu’on ait apprit la même grammaire des
couleurs, les mêmes distinctions, mais nous n’avons pas forcément les mêmes
perceptions des couleurs, et c’est parce qu’ils ne font pas les distinctions qu’on
s’aperçoit que des enfants sont daltoniens, parce qu’ils n’emploient pas les
mêmes concepts de couleurs dans les mêmes occasions que la majorité. Ce qui
fonde notre accord sur les couleurs, c’est qu’on utilise les mêmes concepts dans
les mêmes occasions. Le contact que nous avons avec notre vécu qualitatif n’est
une connaissance car cette dernière renvoie à quelque chose qui peut être
transmis et expliqué. Cela signifie que la connaissance ne porte absolument pas
sur la possession de certains contenus de consciences, de certains vécus.
D’après Schlik elle porte sur la structure que présentent ces contenus, c’est à
dire sur la relations entre ces contenus.

Critiques de Monsieur Millot à mon chouchou Henri :


1) Bergson fait comme si les représentations produites par les sciences étaient
spontanées.
2) Bergson identifie en permanence mathématisation et discrétisation,
définissant les mathématiques comme la science des grandeurs

3) Bergson est conscient qu’à son époque il y a une forme de mutation, que
l’importance des grandeurs numériques et la notion de point matériel sont
en train de céder le pas à d’autres types de formalisation, il appr

Bergson
le livre de Camille Riquier Archéologie de Bergson
Le vocabulaire de Bergson par Frédéric Worms
Le Bergsonnisme de Deleuze

Pour le devoir de fin de semestre :


Les sujets sont un ensemble de questions de cours, il va y avoir une série de
questions, avec une question bonus et ensuite il faudra choisir entre certaines
des questions.
Méthodologie : la question de cours
Ça n’est pas une récitation du cours par cœur, les questions font appel à notre
réflexion et à notre jugement. Il est attendu d’avoir réfléchi à ce dont on a parlé
depuis le début du cours. Il n’y a pas de questions où l’on n’est pas censé savoir
répondre, mais nous devons apporter quelque chose de plus grâce à notre
merveilleuse réflexion. La plupart des questions demandent de faire des liens
entre plusieurs parties du cours, parfois implicites, il faudra par exemple savoir
comparer différentes théories.
3 règles :
1 La définition : définir les concepts qui sont dans la question, les problèmes et
les enjeux, ce qui est présent dans la question doit être analysé car cela ne va
pas de soi. Cela signifie aussi qu’il y a une différence lorsqu’on pose la question
sur une signification d’un concept en général - l’intégralité du cours comme
référence - ou bien chez tel auteur - fonction, rôle et emploi du concept chez
l’auteur.
2 La contextualité : on essaye de restituer à un problème ou à un concept son
contextes. 2 types de contextes : théoriques - l’enjeu théorique général, l’enjeu
intellectuel - et historiques - parfois ça peut être utile de savoir à quelle époque
ont écrit les auteurs, quel est l’ordre chronologique, à quelles types de
connaissances positives ils font références.
3 La problématisation : en général un concept est introduit par un auteur pour
répondre à un problème, donc il faut savoir à quel problème le concept répond.
Il y a les problèmes spécifiques à l’auteur et ceux plus transversaux. Ajoutons
que parfois l’introduction d’un concept pose des problèmes, il faut savoir quels
problèmes posent l’emploi d’un concept chez un auteur.

On a aussi le droit d’utiliser des références non traitées en cours, à condition


qu’on puisse montrer par ailleurs qu’on maîtrise ce dont on a parlé en cours.

Il y a deux ou trois questions qui sont ouvertes, il n’est pas attendu de bonne
réponse, ou plutôt il n’est pas attendu une conclusion déterminée, cependant il
est important et intéressant de comprendre que ce qui est attendu c’est qu’on
soit capable de justifier pourquoi on raisonne dans un sens plutôt que dans un
autre. Il est attendu de trancher dans un sens ou dans un autre parce que si nous
avons comprit un minimum ce dont on essaye de parler nous n’avons pas
d’indifférence possible.

Transcendantal chez Kant : ce qui a rapport aux conditions de possibilité

LIRE INTRODUCTION CRP

Blup

David Simonetta ; bon historien de la philo

Parenthèse épistémologie :
Il y a une différence nette entre ce qu’on appelle la logique de la découverte et
la logique de la justification : la première est proprement épistémique, prenant
en compte nos capacités cognitives, la deuxième procède des découvertes qu’on
connaît déjà et par un nombre de procédures souvent mécanisables vérifient
qu’on s’est pas planté à posteriori.

Faut que je dise quoi ?

« Blup »

Dans cet extrait des Novum blopum, le philosophe romain Cicestrond-


cestpascarré se propose de critiquer l’argument issu de la sophistique, selon
lequel il suffirait, pour bloquer toute assertion, de dire « blup ». Pour l’auteur,
« Blup » ne peut avoir d’autre prétention que celle de détendre avec intérêt un
lecteur potentiel, et c’est cela l’essence et la fin, la cause finale, dirons-nous, de
l’espèce humaine.

La genèse du concept d’intuition

Aristote
Descartes
Locke
Kant
Bergson
Husserl

Bilan critique de cette histoire de l’intuition


Théorie de la connaissance
Démarche scientifique

Plan du cours :
Introduction
La genese du concept
Bibliographie
Aristote, Seconds analytiques traduction de Jean Tricot ( Vrin )
Descartes, Règles pour la direction de l’esprit ( Vrin )
Locke, Essai sur l’entendement humain ( Livre de Poche )
Kant, Critique de la raison pure VALIDÉ JE L’AI
Bergson, La pensée et le mouvant PUF QUADRIGE FREEEEEDERIC
WOOOORMS
Husserl, Recherches Logiques PUF ( peut-être un peu cher, acheter des
extraits ? )

À lire un jour :
Maurice Schlick, Forme et contenu
John Austeen, Le Silence des Sens
The Sounds of Silencr MMMMMRRRRSSS
RRRROOOOBBIIIIIINNNSSOOOON

Commentateurs Aristote :
Dictionnaire des termes d’Aristote de Pierre Pelgrin
Johnatan Barnes ( très clair )
Pierre Aubinque, Aristote et le problème de l’être ( mais pas prioritaire )

Prix Nobel
Réussir à prouver que la théorie formelle qui permet de prédire les phénomènes
quantiques ne peut pas être une trouer à variables cachées, une théorie posée par
Einstein au nom de l’intuitivité de certains objets des phénomènes physiques.
L’intrication quantique dit que deux particules peuvent être liées - avoir des
propriétés similaires - alors même qu’elles ne se sont jamais rencontrées, ce qui
va contre la propriété de localité.

La propriété qu’on a vis à vis de la mesure est celle de l’intégralité du système.


Cette propriété de mécanique quantique n’implique pas de relations cachées des
particules atomiques.

Principia mathematica, Russel


Les fondements de l’arithmétique, Frege

HUSSERL
RECHERCHES LOGIQUES, TOME III

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