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normative critique. Si on comprend une loi ou une méthode, c’est censé nous
normer, là où le descriptif a la force d’un fait : « le petit hérisson est passé sous
la voiture », alors que « la voiture est censée accélérer devant le hérisson » est
normatif. La fonction normative critique signifie que l’intuition joue le rôle
d’une norme, parfois il y a des idées ou des théories qui ne sont pas intuitives,
et on les écartes à cause de cela : « la voiture n’est pas censée accélérer devant
le hérisson », c’est complètement con. La deuxième définition répandue dans la
philosophie, c’est celle de l’intuition comme base épistémologique de la
connaissance. Cela signifie que l’intuition est une performance cognitive voire
même une faculté de l’esprit qui nous permet d’appréhender des objets ou des
propositions de manière immédiate. Précisons la différence entre l’objet, le
« quelque chose », ce que je peux toucher, qui est matériel, et la proposition
comme contenu d’un jugement. « Je juge que le wombat pèse 25 kilos » est un
jugement, « le wombat pèse 25 kilos » est une proposition. L’intuition donne
accès à la fois à l’objet et à la proposition, et c’est important pour la théorie de
la connaissance puisque cela nous donne accès à la connaissance des objets ou
des propositions, on les connaît et on les connaît immédiatement.
Quelles sont donc les propriétés de la connaissance intuitive ? La définition est
censée ne donner que les propriétés essentielles, mais les définitions parfaites
n’existent pas dans ces domaines là… c’est pourquoi nous en compterons ici
cinq. La première propriété est celle de la primauté ou priorité du mode de
connaissance : en général, chez les philosophes, l’intuition est conçue comme
un mode de connaissance plus fondamental que les autres modes de
connaissance, c’est le mode de connaissance à la base de toute notre
connaissance. La déduction ou l’induction sont par opposition des inférences,
avec une vérité certaine ou probable. La deuxième propriété est celle de la
simplicité de l’objet de l’intuition : l’intuition comme faculté de nous mettre en
relation avec certains objets simples, primitifs. Tout dépend de ce qu’on appelle
un objet simple, du point de vue de la perception les objets qui nous entourent
sont simples, mais d’un point de vue intellectuel un ordinateur n’est pas simple
en ce qu’il est l’agrégation de pleins de concepts, là où du point de vue de la
perception il a sa couleur et sa forme. Opérons une légère distinction signée dû
grande philosophe contemporain des mathématiques Charles Parsons, celle
entre « l’intuition de » et « l’intuition que ». « L’intuition de » est celle des
objets, par exemple « j’ai l’intuition de la porte » cela veut dire que je perçois la
porte - je l’ai juste perçu un peu tard - tandis qu’elle « l’intuition que » est
sémantique, elle est propositionnelle, « j’ai l’intuition que le plus court chemin
entre deux points est la droite » ne me mets pas en contact directement avec des
objets - j’éviterais juste de me prendre la porte en pleine poire la prochaine fois.
Opérons une autre distinction, valable pour toute l’histoire de la philosophie,
celle entre les intuitions sensibles et les intuitions intellectuelles. Les intuitions
sensibles sont les actes de perception - si l’on peut les appeler des actes - qui
portent donc sur des choses singulières, c’est à dire les objets qui peuplent notre
environnement. À l’inverse l’intuition intellectuelle peut porter sur des
propositions comme sur des objets abstraits - « difficile de dire si Dieu est objet
abstrait » explique notre professeur en répondant gentiment à une question. En
ce qui concerne l’intuition intelligible, ce qui en était l’objet chez les grecs était
les axiomes de la géométrie euclidienne - « Gnagnagna moi je veux plus de la
géométrie Euclidienne » « mais ferme là arrête de nous embrouiller,
mathématiques contemporaines de merde moi je préférais Poincaré c’était si
simple ! ». L’intuition désigne une appréhension première, simple, directe,
immédiate, sans concept. La troisième propriété est celle de l’immédiateté de
l’intuition. « Le chemin le plus court entre deux points est la droite » : les
concepts de point et de droite ne donnent pas celui de chemin, c’est l’intuition
qui nous donne l’idée. L’intuition nous fait donc connaître cette vérité d’ordre…
conceptuel ! L’intuition est un mode de connaissance immédiat et cela signifie
que la connaissance intuitive n’est pas obtenue à partir d’une suite d’opérations
intermédiaires - comme des inférences ou de la formalisation. L’intuition est
directe, on ne passe pas par autre chose pour arriver à la vérité, si « un
ordinateur est un ordinateur » c’est évident et on arrivera pas à le prouver par
autre chose que l’intuition. « Je sais que j’ai une main », la connaissance est
immédiate car elle vient de mon intuition sensible. En revanche, je n’ai pas
d’intuition immédiate pour savoir que « le soleil est plus grand que la terre », je
dois passer par une médiation. L’immédiateté dont il est question ici est d’ordre
logique, il n’y a pas d’intermédiaire entre nous et les choses avec l’intuition.
D’un point de vue logique cela signifie que si on connaît intuitivement certaines
propositions ces propositions n’ont pas de prémisses. La quatrième propriété est
celle de l’informalité, et elle est relative puisque tous les philosophes ne
partagent pas l’idée que l’intuition est informelle. L’intuition est informelle au
sens où elle nous fournit des contenus mais pas forcément leur forme. « Sur la
route il y a des hérissons écrasés », si je vais maintenant sur la route je peux le
vérifier et donner le contenu, là où le concept donne la forme. « En Corrèze on
a la fibre », c’est une question de concept et de la manière dont le connaît,
puisqu’en Corrèze il y a de fortes chances qu’ils ne sachent même pas ce que
c’est que la fibre, mais en revanche le contenu perceptif restera le même. Pour
Husserl en revanche, on possède des intuitions formelles - je pose ça là. La
cinquième propriété est celle de l’évidence : l’intuition fournit un ensemble de
connaissances qui ont la propriété d’être évidentes, c’est à dire qu’elles sont
simples et immédiates, ce sont des vérités donnés simplement et
immédiatement. Évidemment cela implique normalement que les choses
compliquées ne sont pas évidents, donc plus la proposition est complexe moins
elle est évidente, c’est pourquoi Descartes va tenter de transférer l’évidence des
choses simples vers les choses compliquées avec sa méthode - en réalité la
moitié des propositions qu’il donne se sont révélées scientifiquement erronées,
sacré René. « La somme des angles d’un triangle est égale à deux angles
droits », c’est un théorème qui n’est pas évident, on ne peux pas trop le savoir
en regardant un triangle - sauf si on est ce bon vieux Blaise, un génie vraiment.
La vérité du théorème dépend d’autres propositions, alors que dire « il n’y a pas
deux côtés qui peuvent se fermer » c’est assez intuitif.
Ce sont les deux significations de l’intimions comme instrument heuristique et
comme faculté ou capacité fondationnelle - à la base de nos connaissances - qui
vont nous intéresser, parce que ce sont les deux les plus transversales dans
l’histoire de la philosophie, on les trouve dans toutes les branches de la
philosophie : si l’on fait de la morale à l’anglo-saxonne, l’intuition morale
revient tout le temps, ça taraude tous les esprits des philosophes moraux, cette
intuitions de certaines normes, même si tout le monde n’est pas d’accord pour
donner quelles sont ces intuitions de types morales - à priori il ne faut pas tuer
les gens. « On peut parler de l’inceste ? » demande une voix dans le fond. « Je
ne préfère pas répondre […] j’ai pas particulièrement envie de répondre »
répond le prof. À quels types d’objets nous donnent accès ces intuitions morales
? À des normes et à des valeurs, des normes qui sont des devoirs pour les
déontologistes, des valeurs - ce qui est bien et ce qui est pas bien, comme
l’inceste - pour les non déontologistes. Il y a aussi l’intuition esthétique, avec
comme objet le beau, mais très vite on a arrêté après Platon… à chaque fois le
problème que pose la notion de l’intuition est le même, c’est celui de l’accès.
Quel est donc ce fameux problème de l’accès ? On pourrait le résumer en une
question : quel est le rapport de connaissance que nous entretenons avec les
choses, les valeurs ou les propositions ? C’est un problème pour deux raisons, si
on accepte un mode de connaissance intuitif, c’est à dire l’intuition avec toutes
ses propriétés, on est confronté inévitablement à ces deux difficultés. La
première est que si on a un accès direct et immédiat aux choses, alors pourquoi
ne pas se contenter de cela ? Pourquoi faire appel à des modes de connaissance
qui ne sont pas immédiats ? Si on a cette super-faculté qui nous permet d’être
en rapport direct à la vérité, pourquoi passer par d’autres moyens ? Peut-être
que l’intuition est limitée, qu’elle ne nous donne pas accès à tout, ce serait ainsi
une espèce de super-faculté limitée. Mais est-ce que les choses qu’on ne connaît
pas dans l’intuition sont moins certaines ? La deuxième difficulté est la suivante
: si l’intuition est un mode de connaissance tel qu’on vient de le décrire, c’est à
dire qu’il nous donne un accès immédiat et direct à des objets et à des
propositions qui du même coup nous donne une connaissance certaine de ces
objets et de ces propositions, cela signifie que l’intuition est un critère de vérité
- ce qui est intuitif est vrai. L’intuition serait donc un critère pour la
connaissance. Or si on juge nos connaissance à leur intuition comme critère de
leur véracité, quel est le critère qui nous permet de reconnaître que nos
intuitions sont vraies ? Donc puisque l’intuition est une connaissance immédiate
de certains objets, par définition nous ne disposons pas de critères externes pour
la vérifier.
Et maintenant une petite mise en scène : ma maman habite à Rennes. Et elle me
dit qu’il fait super moche à Rennes. Alors je lui demande des preuves, parce que
je suis un philosophe merde. Et donc elle m’envoie une photo du ciel hideux de
Rennes. Et puis comme je suis taraudé, je prends le TGV de 14h et j’arrive à
16h. La connaissance médiate était celle provenant de ma maman : il y a des
intermédiaires d’un point de vue logique, il y a des raisons qui sont des
prémisses - ma maman m’a dit qu’il faisait super moche à Rennes, et j’en
déduis qu’il fait super moche à Rennes parce que je la crois, mais il y a plein
d’intermédiaires. Mais quand je suis sur place la connaissance est immédiate, si
on me demande pourquoi, je répond que le ciel est anthracite et que je vois pas
à dix mètres, mais on pourra toujours me demander pourquoi je le vois, je ne
pourrais pas justifier de mon système visuel personnel. Je ne peux pas aller plus
loin que cette perception immédiate. Le fait de voir est une justification
immédiate et suffisante dans la plupart des cas. Il y a des choses que l’intuition
sensible ne nous permet pas de vérifier, comme l’existence de particules
élémentaires dans le grand collisioneur ou de la manipulation qu’exerce une
certaine personne sur moi. La perception est une intuition sensible qui nous
donne accès à des objets sensibles, nos intuitions morales nous donnent accès à
des valeurs ou à des normales morales - des devoirs - et nos intuitions
intellectuelles nous donnent accès à des idées, à des concepts ou à des
propositions.
cause formelle et la cause finales sont ainsi souvent les mêmes, la plupart du
temps en fait. Dans un bon syllogisme il y a n’importe laquelle de ces causes là.
La science se base sur les démonstrations syllogistiques, mais ne fait pas que les
empiler les unes sur les autres, elle fait mieux que cela : c’est une grande
entreprise de ramification, la science organise les causes, les liens entre les
choses. Quelque chose de particulier ne peut prouver quelque chose de plus
général pour Aristote.
La science aristotélicienne consiste en une organisation des déductions, un beau
système de hiérarchisation des syllogismes. Alors évidemment le problème
c’est que si connaître scientifiquement quelque chose c’est connaître sa cause,
au sens de pouvoir donner un syllogisme tel que la chose qu’on connaît en soit
la conclusion, il va falloir donner un syllogisme pour chaque chose qu’on veut
connaître. Pour Aristote, un principe est une proposition vraie qui n’est pas la
conclusion vraie d’un syllogisme. Il va donc y avoir trois propositions
préliminaires qui vont nous permettre de connaître les principes : « est-ce que
les principes sont connus par démonstration ? », « est-ce que la connaissance
des principes est scientifique ? » et « est-ce que l’habitus, au sens de la
disposition que nous fait connaître les principes, est inné ou acquis ? ». Cela
nous épargne une régression à l’infini, voilà l’utilité des principes. Mais est-ce
que c’est gênant une régression à l’infini ? Ce n’est pas une contradiction, ce
qui serait embêtant, la plupart du temps on s’accommode bien d’une régression
à l’infini en réalité, ça ne gêne pas les mathématiciens par exemple. Cela signe
la différence entre une vision métaphysique de la science, où la régression à
l’infini est très insatisfaisante, et une vision positive, comme la nôtre, où c’est
nettement moins gênant. Pour Aristote il convient de s’arrêter là où nous avons
une intuition suffisante des principes. Et on pose la question parce qu’on a posé
la première, si on a défini la science comme l’organisation de produits de la
déduction, on peut se demander si l’intuition donne accès à une connaissance
scientifique ou non. Mais c’est plus parce que l’auteur est consciencieux qu’il la
pose. La véritable question est : est-ce que c’est inné ou acquis ? Pa
connaissance scientifique définie comme démonstration syllogistique est
évidemment acquise, sinon on aurait pas besoin de faire de la science. Si on
peut avoir des connaissances qui ne sont pas obtenues via une démonstration
scientifique, les apprend-on au contact de l’expérience ?
Les principes ne sont pas connus par démonstration, Aristote le dit. Ainsi, ils ne
sont pas scientifiques. D’ailleurs, c’est ainsi que les commentateurs plus
théologiques d’Aristote expliqueront sur la connaissance intuitive caractérise
aussi bien la connaissance cognitive des hommes lorsqu’ils connaissent que
celle de Dieu. Quant à savoir si la connaissance est innée ou acquise, les habitus
- dispositions, au sens où le musicien qui sait jouer d’un instrument n’en joue
pas tout le temps, mais qu’il est disposé à, qu’il peut le faire - ne sont en réalité
ni innés ni acquis. Aristote distingue l’acte et la puissance : en puissance nous
avons cette disposition mais nous ne l’actualisons que dans certains cas en
particuliers - de la même manière qu’un enfant est un tueur en série en
puissance et que le tueur en série est un tueur en série en acte. Aristote résout le
problème de savoir si une chose est la même qu’hier et sera la même demain :
en acte non, en puissance non, chaque jour on actualise notre puissance, voilà la
réponse qu’apporte l’auteur à cette importante interrogation métaphysique.
Aristote fait intervenir la notion de perception et de la connaissance qui en est
issue pour introduire le concept central : le noûs. Le noûs c'est l’esprit, c’est
l’intellect, c’est l’intuition. C’est un peu comme la perception, qui est en
puissance tout mais en acte seulement ce que l’on perçoit : en puissance nous
pouvons avoir la connaissance de tous les principes, en actes nous ne l’avons
que de certains. D’après Aristote on aurait un mode de connaissance particulier
pour les principes, ce mode de connaissance particulier serait analogue -
comparable, ce n’est pas la même chose - à la perception, on l’appelle le noûs et
c’est un mode de connaissance intuitif, parce qu’Aristote nous dit que la
connaissance des premiers principes est immédiate. Mais cela n’est pas
satisfaisant du tout : on s’est pas mal crêpé le chignon sur ça chez les
commentateurs. Cela pose deux problèmes très importants. Le premier est celui
de la traduction, Aristote introduit cette nouvelle notion qu’est le noûs, et Jules
Tricot traduit par « intuition », il y a des raisons mais on remarquera que ça peut
aussi être traduit par « intellection » ou « intelligence ». Quand on traduit noûs
chez Platon, c’est « intelligence » ou « intellection ». Il était en réalité
compliqué de traduire noûs par « intuition », alors pourquoi Jules Tricot le fait ?
Parce que toute la philosophie scolastique qui a suivie l’a transformé en
« intuition », parfois « intellection intuitive », et ce problème, évidemment, ne
se résout pas. Et le second problème, c’est donc le « pourquoi ? » qui alimente
ce problème de traduction. Aristote nous dit que la connaissance des principes
est immédiate, il commence même par là, parce que si elle était médiate cette
connaissance serait acquise, et dans ce cas là ce serait la régression à l’infini, et
puis il fait des tartines sur comment la connaissance acquise est analogue à la
perception. Et là, il pose l’induction. Comme ça, sur la table. Je plaisante, mais
ça n’a pas l’air de lui poser des problèmes de mettre ça trois lignes plus bas !
C’est l’intuition qui nous fait connaître les principes, et il n’y a que le noûs qui
est aussi puissant que la connaissance scientifique, et ça c’est trois lignes après
avoir dit que c’était l’induction qui nous faisait connaître les principes ! Mais
l’induction n’est pas du tout, mais alors pas du tout, immédiate ! Il y a plein
d’étapes de l’induction. Comment dire que c’est une connaissance intuitive
obtenue par induction ?
La théorie aristotélicienne de l’induction est assez différente de ce à quoi nous
sommes habitués. On définit souvent l’induction comme une agglomération de
cas particuliers pour en tirer une loi générale. Chez Aristote l’induction est
beaucoup plus générale. Dans le cas de la perception, il s’agirait manifestement
d’un genre de connaissance qui se retrouve dans tous les animaux car il possède
une discrimination qu’on appelle « perception sensible ». Tous les êtres, humain
et animaux, ont une puissance de différenciation, et on est d’accord que notre
perception nous permet de singulariser les choses. La perception sensible nous
met en contact de choses singulières, et uniquement de choses singulières
particulières. Le particulier, c’est un exemplaire de la notion générale, je suis un
particulier et mon général être l’être humain. Ça, c’était la première étape. La
deuxième étape, c’est de dire que chez certains animaux il se produit une
persistance de l’impression sensible : certains animaux ont de la mémoire,
d’autres n’en ont pas. La mémoire permet de comparer entre la chose qu’on voit
et la chose qu’on a vu, elle donne un espace de comparaison. La dernière étape,
c’est l’expérience : une fois qu’on a nos représentations mentales, nos
souvenirs, on va pouvoir les classer et assimiler ensemble ce qui se ressemble.
Ainsi, des expériences générales par la mémoire on a accès à l’universel, au
sens où une universel est une catégorie générale. La perception nous ouvre la
porte vers le général, vers l’universel. Quand Aristote fait cette description de
l’induction, ce qu’il dit c’est que grâce à la perception on peut avoir accès à
l’universel, ce qui va complètement contre Platon.
L’art et la science nous permettent de raisonner directement avec les notions
universelles qu’on a trouvé dans l’induction. L’art n’est absolument pas
l’activité esthétique pour Aristote, c’est bien l’aspect technique. La science nous
parle de ce qui est de tous temps et pour toujours et l’art, la raison technique
nous parle de ce qui est changeant. L’art nous donne des préceptes qui valent
dans un monde contingent mais ne sont pas des vérités absolues. Aristote
explique aussi qu’on doit pouvoir apprendre des premiers principes par
induction. Les commentateurs proposent deux options : pour l’induction qui
nous donne les principes ou bien c’est l’induction classique, au sens où on tire
une définition d’une agglomération de cas particuliers, en même temps qu’on
arrive au concept on peut en avoir une définition, ou bien, et cela paraît une
meilleure option, de la même manière qu’en voyant un triangle particulier en
réfléchissant suffisamment on pourra immédiatement en déduire certains
principes comme ses propriétés, on peut parler d’une induction d’un type
particulier qui est quasiment immédiate. Cette induction s’adapte à la
connaissance d’axiomes, géométriques ou algébriques, mais on ne fait pas face
à de tels principes en biologie. Dans le premier cas c’est la répétition d’une
corrélation qui nous donne accès à l’universel, aux principes. Dans le second
cas l’universel vient du fait qu’on est attentif au particulier, qu’il y a de
l’universel dans le particulier. Quand on fait de la théorie de l’induction cela
porte sur des choses particulières et on a des concepts, mais les principes sont
des propositions, alors la question qui se pose c’est : sur quoi est-ce qu’il faut
faire des inductions pour qu’à la fin ce qu’on produise ce soient des
propositions universelles ?
science contemporaine plus accessible, et on s’en rend bien compte lorsqu’on lit
ce qui se faisait avant et ce qui s’est fait après Descartes. La démarche vise ainsi
à rendre explicites les fondements de notre connaissance.
Certaines choses sont connaissables en-soi et d’autres sont connaissables pour
nous, et pour Descartes la bonne manière de faire par la science c’est de
commencer par les choses premières, les principes objectifs qu’on peut
connaître en-soi, et il ne s’agit pas de fonder nos connaissances sur ce qu’il y a
de plus proche. Il faut prendre en compte que ce sont les êtres humains qui font
la connaissance et pas autre chose, il faut fonder la science sur l’ordre de nos
capacités cognitives, c’est à dire que la connaissance des choses est relative à
nos manières de connaître, à nos capacités. C’est une nouveauté parce qu’avant
Dieu garantissait que nous soyons en accord entre nos pensées et les choses.
Ces 21 règles pour la direction de l’esprit servent de cadre à une théorie
méthodique de la découverte et de l’invention scientifique. Cela permet de
fonder les principes à l’œuvre dans la théorie scientifique, et la méthode sera
féconde en ce qu’elle permettra des découvertes scientifiques. La démarche à
l’œuvre dans l’ouvrage est une démarche d’exposition d’une méthode de
découverte, c’est à dire d’une heuristie, fondée sur nos capacités communes,
démarche rendue nécessaire par le caractère insatisfaisant par la production de
la connaissance mathématique - anarchique, non méthodique etc.
Quelles sont donc les raisons de l’introduction d’un nouvel usage du concept
d’intuition ? Descartes est profondément choqué par le double usage du terme
d’intuition tel qu’il apparaît dans la littérature scolastique - la philosophie
d’inspiration aristotélicienne enseignée dans les universités durant la période
médiévale - parce qu’il juge fausse l’idée que l’intuition intellectuelle ait plus à
voir avec l’intuition sensible qu’avec la pratique du raisonnement. Il juge
nécessaire une réforme d’une concept d’intuition car il possède un deuxième
usage alors en vigueur, utilisé par les gens qui font de l’optique, et c’est un
terme qui renvoie à l’attention, l’inspection progressive d’un objet visuel après
le premier coup d’œil - pour distinguer les propriétés visuelles d’un objet il faut
l’inspecter visuellement. Cet acte là suppose une coopération de l’œil et du
jugement, en deux étapes donc, et Descartes est au courant il a écrit une théorie
de l’optique, et il dit que la perception n’est pas un mode de connaissance
immédiat - l’inspection visuelle est un acte de connaissance qui est médiat, il
faut bien observer avant de faire un jugement. Ça ne peut donc pas être une
intuition. On discute encore aujourd’hui si Descartes a raison ou tort.
Pour Descartes l’analogie entre intuition sensible et intuition intellectuelle est
mauvaise, elle ne tient pas la route. La question c’est donc que si le double
usage du terme d’intuition mène à des erreurs, pourquoi garder le concept
d’intuition ? Après cela Descartes ne parle presque plus d’intuition et parle de
lumière naturelle, des lumières de la raison - mais ce n’est pas une faculté
différente. Descartes explique bien qu’il va faire du terme d’intuition un emploi
Nous sommes des êtres humains avec un esprit fini et nous avons en tète
certaines propositions mais nous devons le reste du temps faire appel à des
facultés qui sont limitées et parfois vectrices d’erreurs. La mémoire a besoin
d’objets sur lesquels se fixer, et si l’on ne peut avoir une connaissance intuitive
de la déduction nous ne pouvons pas faire attention a tout en même temps, et
nous devons donc séquencer.
Les Règles pour la direction de l’esprit ont pour but de présenter une méthode
générale pour la résolution des problèmes. Pour Descartes la recherche
scientifique se fait essentiellement en vue de la résolution de certains
problèmes, la science qui servait de matrice pour cela était les mathématiques,
dans lesquels on présentait des problèmes, une méthode générale manquant
alors pour y répondre. On avait distingué quatre usage distinct, quand l’intuition
porte sur les parties de la déduction, quand l’intuition porte sur l’identification
des genres de problèmes, quand l’intuition porte sur l’énumération, des
conditions qui doivent être satisfaites pour que le problème soit résolu, enfin
quand l’induction porte sur la déduction dans son entier. On avait surtout
analysé le premier usage, expliquant que l’intuition de Descartes n’était pas
seulement intellectuelle, des premiers principes, mais qu’elle intervenait à tous
les stades du raisonnement scientifique et de la déduction, assurant le passage
d’une déduction à une autre. L’intuition garantit ainsi la vérité du passage d’une
déduction à une autre, et tirer les conclusions de cela revient à dire que
l’intuition se présente rarement comme une capacité d’intuition d’objet, la
plupart du temps ce qui est l’objet au sens générique ce sont des relations,
rarement ce sont des objets proprement dits. Cela signifie qu’en premier lieu
l’intuition cartésienne porte sur les relations qui sont inscrites dans les objets du
discours. Il faut passer par un passage difficile, complètement obscur, c’est à
dire la sixième règle, portant sur ce que sont les natures simples - et c’est un
bourbier sans fin.
Quels sont donc ces objets de la connaissance intuitives que sont les natures
simples ? L’argumentation est complètement circulaire : les natures simples
sont ce sur quoi porte l’intuition, mais au vu de la définition donnée par
Descartes de l’intuition on a aucune idée de ce que cela veut dire ! Là où
Descartes est marrant, c’est que contrairement à Aristote qui disait que quand
on avait un certain type d’objet un certain type de facultés y correspondait,
Descartes explique qu’on ne peut pas définir le type d’objet auquel correspond
la nature simple ! Quand il y a nature simple, c’est quand il y a des objets qui
sont relativement simples. Il s’agit de faire la distinction entre des objets
absolus et d’autres relatifs : il faut repérer le point de départ, ce par quoi on
commence, selon le problème qui se pose quelque chose va paraître comme un
absolu, comme ce par quoi il faut commencer mais si on se pose un autre
problème cette même chose va paraître comme relatif, comme une conséquence
- je dis « cette chose » mais c'est aussi valable au pluriel. En vertu de quoi
quelque chose peut-il être considéré comme absolu ou relatif ? Les choses sont
plus absolues ou plus universelles en fonction de la série déductive dans
laquelle elles apparaissent, c’est à dire en fonction du problème qu’on pose.
Quand Descartes parle de problème il pense à un type de situation, une situation
où l’on connaît certaines conditions, certaines données de départ, et où on doit
trouver quelque chose à partir de ces données de départ, à partir de ces
conditions. On doit déduire du nouveau à partir de ce qui est déjà connu. Ici,
Descartes pense en particulier au système d’équation, à ses inconnus et à ses
déterminés, et cela va enclencher un processus déductif. Descartes explique
qu’à partir des données et des conditions dont on dispose déjà, l’intuition nous
donne la forme de la solution qu’on doit rechercher : par analogie - car
l’exemple qui va suivre n’est pas de Descartes - c’est comme si on se demandait
s’il existe un mammifère ovipare et palmipède si l’on sait ce que signifient ces
termes on connaît déjà le genre de solution qu’on cherche, sa forme, puisque
même si nous n’avons jamais vu d’ornithorynque on cherchera quelque chose
qui y ressemble. En mathématiques c’est encore plus clair, avec les équations
différencielles dont on peut connaître la forme de solution en connaissant la
formulation. À partir des donnés qui sont relatives à un problème, l’induction
nous fait voir le type de solution qui est recherchée.
Dans notre exemple du mammifère ovipare et palmipède, les termes absolus
sont mammifère, ovipare et palmipède, en analysant ces termes on arrivera à
des natures simples, in fine on arrivera à des termes comme morphologie,
comme reproduction par exemple. Les natures simples peuvent être
appréhendées en fonction des absolus du problème. Si on pose un autre type de
question, comme un problème de supérieur, c’est à dire plus abstraits : les
ornithorynques sont-ils des êtres matériels ? Les natures simples ne sont pas ici
reproduction ou morphologie, plutôt atomes ou éléments de bases de la matière
qui nous entourent, ce qui veut dire que ce qui peut être conçu comme une
nature absolue sous un problème peut être conçu comme une nature relative sur
un autre. Dans le second problème, reproduction et morphologie ne sont pas
premiers. On ne peut faire d’adéquation entre ce qui est de nature simple et ce
qui est absolu ou relatif, puisque cela change en fonction du problème !
Les natures simples sont des objets de connaissance, elles sont déterminées par
notre activité de connaissance, cette histoire de relatif et d’absolu signifie que
les objets nous apparaissent comme plus ou moins premiers dans nos
déductions vis à vis de nos besoins scientifiques et épistémiques, des problèmes
que nous posons. Il s’agit donc de trouver les termes les plus simples à partir
desquels un problème peut être résolu, c’est à dire de trouver quelque chose
d’inconnu à partir des relations entre des choses qui nous sont déjà connues, le
travail de l’intuition donc. Pour que l’intuition soit rationnelle, il faut qu’elle
nous serve, et pas seulement que A est égal à A. Le point de départ de chaque
résolution de problème est ainsi relatif à chaque problème en question. Cette
arrive à déduire l’existence d’objets qu’on ne voit pas, qu’on ne verra sans
doute jamais - le Boson est un bon exemple.
La théorie cartésienne présente des qualités qu’on trouve rarement, notamment
cet effort de juxtaposition de l’intuition comme instrument de la découverte et
de garantie de nos connaissances, entre ce qui nous fait connaître de nouvelle
choses et ce qui nous assure de la vérité de nos connaissances. On peut
distinguer trois défauts qui expliquent pourquoi Descartes a abandonné lui-
même cette théorie : d’abord cette méthode est trop intimement liée à la
méthode de recherches mathématiques, ce qui gâche sa portée universelle, là où
le Discours de la méthode est censé valoir pour tous les domaines, ensuite il
manque à la fois le rapport de l’intuition à la perception, il n’en parle quasiment
jamais, et le rapport de l’intuition à la connaissance empirique, enfin il y a la
question du statut des natures simples, tantôt des relations, tantôt des
propositions etc, ce n’est jamais défini. Locke y revient dans le Chapitre IV de
L’Essai sur l’entendement humain, développant sa propre théorie de la
connaissance intuitive. Il est très probable que Locke ait lu les Règles pour la
direction de l’esprit, mais Locke s’en défendra, ne le mentionnant jamais.
permet de donner une identité à quelque chose c’est de savoir qu’elle est
différente d’autre chose. Le deuxième rapport est celui de relation : on peut
comparer les différentes idées eut égard à leur quantité et à leur qualité, c’est à
dire la relation qu’entretiennent les modes et les substances, on compare par
rapport au mode, c’est ce qu’on dit en exprimant un rapport de grandeur. Le
troisième est la relation de coexistence, ou de connexité, qui désigne la relation
des idées particulières des paquets qu’on va identifier comme des substances,
ces idées sont connexes, elles forment des touts qu’on va pouvoir identifier
comme des substances, mais le fait qu’elles aillent toujours ensemble n’est pas
démontrable logiquement. Par exemple on ne peut pas imaginer de figure non
spatiale, qui n’ait pas d’étendue, mais Locke remarque qu’il n’y a pas de
nécessité logique entre ces deux idées. Ces relations là qui sont étranges, les
empiristes vont dire qu’on les juge nécessaire parce qu’on a jamais vu de
choses qui les outrepasse, on a jamais vu de figure sans étendue et on considère
donc la relation entre les deux nécessaire, mais il n’y a de nécessité logique,
juste une infinité de probabilité que le cas se reproduise éternellement. Husserl
disait quant à lui que c’était synthétique et à priori nécessaire puisqu’on ne
pouvait imaginer l’inverse. La quatrième relation est l’existence : quand on lie
une idée de substance avec la conviction que c’est une chose extérieure qui l’a
produite, pour Locke cela désigne le sentiment qu’on a alors qu’on perçoit des
choses sensibles. Ce qu’on a quand on perçoit une chose sensible, c’est la
sensation que l’idée qu’on en a provient d’une chose extérieure qui existe. Dans
les idées particulières, il y a l’idée qu’elles sont toujours indicées par l’espace et
le temps, qu’elles sont actuelles et que leur actualité, le fait qu’elles soient ici et
maintenant, atteste de leur existence. Quand on a une idée abstraite, il n’y a plus
ce ici et maintenant, et le fait qu’elle ne soit plus indicée sur le moment présent
montre qu’elle ne renvoie à rien de réel. C’est notre idée et l’idée qu’une chose
extérieure l’a produite, et cette relation n’est jamais analytique, sauf dans le cas
de nous-mêmes, où la condition de cette idée - l’idée de nous-mêmes - est notre
existence.
Quelles sont donc les caractéristiques de la connaissance intuitive chez Locke ?
Ce n’est qu’une fois qu’on a désigné ces différentes relations qu’on peut
dégager ce qu’est la connaissance intuitive. Une connaissance intuitive est pour
Locke la connaissance d’une relation entre idées dont la convenance ou la
disconvenance est obtenue immédiatement. On connaît par intuition les
relations de convenances entre idées, on ne les connaît pas toutes, mais on en
connaît un certain nombre. L’intuition fonde notre certitude et c’est un mode de
connaissance immédiat. Non seulement c’est certain et immédiat, mais c’est
fonctionnel, c’est ce qui fonde nos connaissances. À ce stade, cela peut
convenir comme description à l’intuition chez Descartes ou Aristote, mais
Locke ajoute que l’intuition ne joue pas qu’au niveau des principes mais bien
de la connaissance des idées moyennes dans les démonstrations - il penche donc
certaines -, on remarquera que c’est évident dans les exemples que donne
Locke, mais que si l’on dit « l’étoile du matin est l’étoile du soir » ou
« Napoléon est le perdant de Waterloo » qui sont des énoncés d’identité, ce
n’est pas nécessairement évident intuitivement, et là c’est problématique parce
que Locke confond l’identité entre les objets et l’identité entre les noms : je
peux très bien savoir que Victor Hugo a écrit Les Misérables et ne pas savoir
qu’il est écrit 93, et pourtant lorsque je dis que « Victor Hugo est l’auteur des
Misérables et de 93 » j’énonce une relation d’identité. Il y a un article de Frege
sur cela : en quoi est-ce que les jugements d’identité peuvent augmenter notre
connaissance, il amène une différence entre l’objet et le sens, l’article s’appelle
Sens et désignation - ou Sens et référence. Et pour Locke on sait reconnaître
intuitivement les couleurs, encore une fois cela ne va pas de soi, il va un peu
vite en besogne, et il va dire que certaines idées peuvent être distinctes jusqu’à
temps de savoir qu’elles sont les mêmes, mais là où il y a faute logique c’est
quand il dissocie les principes du tiers exclu - « soit A est vrai soit A est non-
vrai » - et de non-contradiction - « A n’est pas non-A » - du principe d’identité.
Notons, pour nuancer un propos précédent, que les idées de modes rentrent bien
dans la composition des idées plus complexes que sont les substances, mais
elles sont en réalité complexes, parce que ce sont des idées abstraites : quand on
perçois un objet, on a bien des idées particulières, mais l’idée de mode est l’idée
qu’on attribue à ce qu’on voit - non pas le bleu particulier du ciel mais bien
l’idée de bleu qu’on déduis de la nuance particulière de bleu qu’on trouve dans
le ciel.
Pour Locke, le rapport d’identité est intuitif et fonde les principes logiques que
sont les principes d’identité, de non-contradiction et du tiers exclu. Locke n’est
pas si différent de Descartes en ce qu’il dit que toutes les relations de grandeur,
de proportionnalité, les relations métriques peuvent faire l’objet d’une
connaissance intuitive. La sagacité est ainsi la capacité de trouver les moyens
termes dans une démonstration, et elle permet de rendre nos démonstrations
intuitives : ce qui est une connaissance intuitive va donc dépendre de notre
sagacité, de notre capacité à trouver les moyens termes. Locke semble croire
qu’on peut avoir des connaissances intuitives en ce qui concerne les qualités
morales. Il nous dit qu’il y a des propositions morales qu’on connaît de manière
aussi intuitive que les axiomes de la géométrie euclidienne : d’abord nul
gouvernement n’accorde de liberté absolue, ça se connaît par connaissance
intuitive selon Locke, et ce qui est connu par connaissance intuitive immédiate
est qu’il ne saurait y avoir de justice où il n’y a point de propriété - ça c’est
vraiment de la déformation professionnelle, Locke a prit le parti de fonder sa
théorie politique et morale sur l’idée que les individus possèdent certains droits
fondamentaux, et il fait reposer cela sur quelque chose d’intuitif, ce qui pourtant
ne semble pas porter ce type de valeur de vérité là. Il y a quand même à cette
époque l’idée sous-jacente qu’on va pouvoir faire des théories morales qui vont
pouvoir avoir autant d’évidence que des théories mathématiques, projet que
Descartes abandonne - il nous laisse avec sa morale par provision, il a
abandonné l’idée d’une morale métaphysique - mais que Spinoza, Leibniz,
Locke ou Hobbes appuient, l’idée qu’on va pouvoir faire une vraie science de la
morale. Il y a la mise sur le même plan chez Locke des vérités logiques et des
vérités mathématiques, l’interprétation standard est de dire que chez Locke
comme chez les empiristes qui vont le suivre - comme Hume - les vérités
mathématiques comme logiques sont des vérités analytiques, parce que c’est
exactement ce que dira Hume, mais le problème c’est que le terme n’apparaît
que très peu chez Locke. C’est quand il s’attaque aux deux derniers types de
rapports, le rapport de coexistence - original par rapport à Descartes, les
rapports des idées qui vont être souvent associées, aucun ou presque ne sont
pour Locke l’objet d’une connaissance intuitive, on ne peut avoir de certitude
que ces rapports sont nécessaires, donc nous savons la manière dont les idées
sont connectées entre elles par expérience, et si Locke explique cela c’est parce
qu’il a lu Newton qui considère que les connexions entre les idées qui
constituent le monde matériel sont des hypothèses ou des conjectures, on ne
peut pas observer, on ne peut pas faire l’expérience de la nécessité, on ne voit
pas la relation de nécessité passer, on ne fait que supposer la nécessité, nous
n’avons accès qu’au niveau superficiel des choses, qu’aux qualités secondes
nous dit Locke, mais ce dont est réellement fait le monde nous est pour toujours
fermé, et donc on ne peut pas dire que certaines connexions qu’on voit souvent
apparaître dans l’expérience sont nécessaires - et le rapport d’existence - une
seule existence m’est donnée de manière intuitive, c’est moi-même, Locke n’est
pas du tout sceptique, il dit à l’instar de Hobbes que moralement, que
pratiquement le fait qu’on soit certain que les choses autour de nous existent ne
change rien à la moralité de nos actions, nos sens nous donnent une certaine
certitude que les choses existent, mais l’essentiel n’est pas là.
Ce qu’il faut retenir avec Locke, c’est qu’il distingue grâce à la connaissance
intuitive deux grands types de relations. Premièrement les relations entre idées
qui ne concernent que les idées, c’est à dire les relations d’identités et de
relations précisément, et celles-ci relèvent de la connaissance intuitive
puisqu’elles ne concernent que les idées et ne renvoient pas à l’expérience, là
où les autres relations font références à l’expérience, à des faits. Hume sera
encore plus clair, dans sa distinction entre relations d’idées et relations de faits,
une distinction centrale dans toute l’histoire de l’épistémologie parce qu’elle
signifie que seules les relations qui concernent les idées peuvent relever d’une
connaissance intuitive et absolue, d’une connaissance que Kant qualifiera de
connaissance a priori. Tout ce qui relève des faits, du contingent, relèvera d’une
connaissance à posteriori, d’une connaissance approximative, probabiliste et
contingente. Ce qui est a priori, c’est ce qui est indépendamment de
l’expérience - le principe selon lequel « A égal A » est vrai que A existe ou que
A n’existe pas, et si 2 plus 2 est égal à 4 ce n’est pas parce qu’on l’a prouvé
grâce à l’expérience, alors que le fait que l’eau boue approximativement à cent
degrés ne peut pas être connu a priori. Les vérités à priori sont des vérités
analytiques pour Hume, les vérités a posteriori empiriques, les vérités de faits
synthétiques. Cela signifie qu’avec de belles théories comme la physique de
Newton, quand on regarde l’armature, l’arithmétique de la physique de Newton,
on a l’impression qu’on fait une déduction, qu’on déduit mathématiquement,
une connaissance qui est censée être à priori : ce que vont dire tous les
empiristes après Locke, c’est que quand on fait de la science c’est toujours
l’armature théorique ou le formalisme de nos théories, pas les choses dont on
parle. Cela signifie que lorsqu’on fait une prédication à l’aide d’un formalisme
mathématique, ce qui compte c’est la prédication, le rapport entre les
propositions qui est nécessaire, par le rapport entre les choses. Le rapport entre
nos pensées peut être nécessaire, le rapport entre les choses ne l’est jamais. La
dernière étape de l’empirisme, une des plus récentes en tous les cas, c’est
l’empirisme logique, un groupe de logiciens et de mathématiciens basées à
Vienne qui finiront par dire que nous n’avons aucune connaissance intuitive au
sens d’immédiate, certaine etc, expliquant que les relations analytiques qui sont
celles de la théorie logique et des mathématiques ne nous donnent aucune
connaissance, ce sont des tautologies, on ne s’en rend pas compte, mais tout est
réductible à quelques principes primitifs, et on a une connaissance qui est
seulement probabiliste, qui n’est pas intuitive, et on doit se passer de tout le
vocabulaire qui est celui de la connaissance intuitive. Cette théorie du
réductionnisme logiciste du début du XXe a rencontré un certain nombre
d’obstacles insurmontables, comme les théorèmes de Gödel.
On va maintenant pouvoir se demander pourquoi est-ce que les empiristes
tiennent absolument à mettre les vérités logiques et mathématiques dans le
même sac ? Comme les empiristes tiennent à mettre ensemble ces deux types de
vérités, ce qui mène au Cercle de Vienne qui considère qu’il n’y a pas de
connaissance intuitive, cela voile un aspect spécifique de notre connaissance
intuitive, un aspect spécifique qui avait pourtant été bien vu par Kant, et le
Cercle de Vienne se bat en permanence contre les idées de Kant.
plus court d’un point à un autre, on sait à priori cette vérité et on sait qu’elle est
nécessaire, mais pourquoi ? Kant va s’intéresser à deux types de propositions,
aux vérités mathématiques qui présentent par excellence ce type de vérités là et
à la physique mathématique newtonienne. Kant est suprêmement choqué par le
fait que les lois de la physique newtonienne ne puissent pas être tirés de
l’expérience. Sur le principe d’inertie qui dit que s’il y a un objet et qu’il va à
une vitesse constante, si les forces contre lui sont nulles ou s’inversent, son
mouvement est uniforme, qui est le point de départ de la physique newtonienne,
la question de Kant est : comment Newton a-t-il pu trouver cela sachant qu’on
ne peut observer un objet sans qu’aucune force ne s’exerce sur lui, un principe
qui est à la base de toute sa théorie. Si l’on se tient aux données expérimentale,
le principe d’inertie n’est jamais respectée, pas même dans l’espace, jamais
absolument : ce qui est choquant pour Kant c’est qu’on puisse trouver des lois à
partir d’expériences qui ne la vérifient jamais et que la nature se soumette à ses
lois. Notre réflexion thétique, la relation entre nos concepts, peut dépasser ce
que nous donnent nos sens, et c’est cela qui est étrange, c’est qu’on peut
anticiper conceptuellement ce que nos sens peuvent nous donner ou pas. D’où
vient cette capacité qu’ont les êtres humains à anticiper ce qui est possible ou
pas dans l’expérience ? Comment peut-on dire des choses universelles à propos
de l’expérience, et que ces choses là soient vraies ? Pour Kant il faut opérer une
révolution copernicienne en matière d’épistémologie : jusque là on pensait qu’il
y avait un monde externe et que nos capacités intellectuelles devaient s’adapter
à ce monde pour pouvoir le comprendre, mais en fait il aurait fallu faire
exactement l’inverse et comprendre que l’expérience et les choses se
soumettent aux conditions subjectives de la connaissance. Cela signifie que les
choses apparaissent d’une manière qui est déterminée par la manière dont nous
sommes constitués, et c’est évidemment le cas pour nos organes sensoriels, et
les objets nous apparaissent sous des conditions qui sont déterminés par notre
constitution. Les connaissances synthétiques à posteriori, ce qu’elles expriment
c’est précisément ces conditions subjectives qui déterminent la manière dont les
choses, dont les objets nous apparaissent. Nous sommes constitués
subjectivement tous de la manière dont le plus court chemin d’un point à un
autre soit toujours une droite. Nous avons donc accès seulement au phénomène,
c’est à dire la chose en-soi qui nous apparaît selon les conditions subjectives de
notre connaissance. Les choses passent au filtre de deux choses, les formes de
notre sensibilité et les formes de notre entendement. Kant pense que Hume s’est
trompé en cherchant la justification du principe de causalité, on a de toute façon
pas le choix de se représenter causalement la relation des choses, on est
constitués de manière à toujours considérer qu’un effet a une cause : on ne peut
pas penser un effet sans cause ou une cause sans effet. Cela signifie que la
manière dont nous apparaissent les choses en-soi, c’est à dire celle des
phénomènes, se soumet aux conditions subjectives de notre entendement. Au
lieu de nous intéresser aux objets et ensuite à notre manière de les connaître, on
s’intéresse d’abord à notre manière de connaître, ce qui veut dire que la forme
des phénomènes dépend de nous. Les objets doivent nécessairement se
soumettre aux conditions subjectives de notre connaissance, c’est ce qu’on
appelle la méthode transcendantale.
Un concept est une méta-représentation, au sens où c’est une représentation de
représentation : c’est une représentation qui englobe en une différentes
représentations sensibles. Elle représente une série de représentations. En
faisant ça cela signifie qu’elle les unifie, elle représente l’unité des différentes
représentations sensibles qu’elle englobe. Ce qui est particulièrement important
pour Kant, c’est que nous ayons conscience de cette unité des différentes
représentations en une, voilà le concept.
Il faut distinguer deux types de jugements synthétiques à priori - ces jugements
vrais universellement et objectivement mais qui ne sont pas des jugements
nécessaires, logiques ou analytiques, ils ne sont pas dérivables du principe de
non-contradiction. Les jugements synthétiques mathématiques - le plus court
chemin entre deux points est une droite - se distinguent ainsi des jugements
synthétiques dynamiques - tout effet à sa cause. Les jugements synthétiques
mathématiques font appel à un certain type d’intuition particulière, tandis que
les jugements synthétiques dynamiques, au sens où la vérité du jugement ne
réside pas seulement dans la relation entre les concepts - il serait analytique
sinon - mais dans la référence implicite à un objet d’expérience possible. D’un
certain point de vue, le jugement « tout effet à sa cause », c’est un jugement
analytique. Pourquoi ? Puisque quand on pense le concept de cause et celui
d’effet on pense immédiatement aux concepts réciproques, ce que Kant voit
bien, et ce qu’il va dire c’est qu’il y a ici une synthèse, mais qui est caché, le
but étant de débusquer la synthèse caché dans ce jugement apparement
synthétique. Le jugement est bien analytique à partir du moment où on
considère que le concept d’effet, c’est à dire de conséquence d’une cause, est
déjà constitué. Hors « effet » ne veut pas seulement dire « conséquence d’une
cause », mais bien pour Kant « événement contingent ». Hors le concept
d’événement contingent, c’est un concept que Kant qualifie de modal, ce que
Hume disait déjà - quand on part d’un événement, la catégorie sur laquelle on
tombe c’est la modalité. Mais, au juste, qu’est-ce que la modalité ? Les
concepts modaux comme contingence ou nécessité sont ceux qui renvoient
seulement à la relation de compatibilité entre propriétés : si l’on dit « un chat
vert », Kant dira que c’est un concept qui est possible, ces deux propriétés là ne
sont pas incompatibles, les concepts modaux sont ceux qui ne gèrent que les
relations intra-conceptuelles, et donc ils n’ont aucune réalité objective, on ne
peut pas dire si l’objet qui correspond au concept est réel. Si Kant dit que les
concepts modaux sont seulement logiques, ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais
n’apportons pas de suite la nuance, cela s’incarne néanmoins particulièrement
bien dans une critique célèbre : celle vis à vis de la preuve ontologique de
l’existence de Dieu chez Descartes - je peux avoir le concept d’un être
infiniment parfait et la perfection englobe l’existence et si je peux avoir cette
conscience alors cet être existe -, puisque Descartes accorde à un concept
modal, celui d’existence, une réalité objective - on peut très bien penser un
Dieu qui existe nécessairement, ça n’implique pas que Dieu existe
nécessairement, puisque les concepts modaux n’ont aucune réalité objective.
« Être n’est pas un prédicat réel » écrit ainsi Kant. Être possible ne l’est pas non
plus, être nécessaire non plus.
Une fois qu’on a dit ça, Kant va justifier le passage d’un concept modal à un
concept causal ou relationnel, ce que Hume nous interdisait - il expliquait que
du fait qu’un événement est contingent on peut l’insérer probabilistiquement
mais pas nécessairement. Kant va explique que c’est notre condition subjective
qui l’ordonne, c’est à dire qu’on ait une intuition de cet objet. Et c’est dans ce
passage que se cache la synthèse dont on parlait : pour passer de l’un à l’autre il
convient de faire appel à une donnée minimale et générique de l’expérience,
une synthèse faisant toujours appel à l’expérience ou à ses conditions. Cette
donnée c’est l’expérience du changement : en fait, on expérimente jamais
d’événement contingent comme un événement contingent, mais bien comme un
changement, c’est à dire quand une même chose entre dans des états successifs
distincts. Ce que dit Kant, c’est que la raison logique est incapable de penser
cette expérience là, puisque pourquoi est-ce qu’une chose qui a des propriétés et
un état donnés changerait : la réalité basée sur le principe d’identité ne peut le
penser, mais il y a une raison, au sens d’une cause, de penser ce changement. Je
sais que tout événement a une cause puisque tout événement contingent est
conçu dans l’expérience comme un changement - l’exemple parfait c’est ici le
mouvement -, et ensuite je suis tout changement est conçu pour avoir une cause.
En passant d’un concept modal à un concept causal, on a complètement changé
la nature du concept, le second a toute la réalité objective possible et
concevable. Ici, le concept dit quelque chose du monde qui nous entoure, ce qui
n’est pas le cas du concept modal. Ce sont par ailleurs ces synthèses à priori qui
fondent la physique de Newton, ce dernier proposant une physique qui fait
appel aux données de l’expérience générales, et non particulières, et c’est la
raison pour laquelle elle s’applique partout : et voilà pourquoi Kant explique
qu’on peut déduire pratiquement tous les principes de la physique newtonienne
sans faire appel à l’expérience. Le changement c’est quelque chose dont nous
avons l’intuition pour Kant.
La révolution copernicienne en philosophie qu’opérait par Kant était une forme
de grand renversement de perspective qui consistait à dire que les conditions de
l’objectivité de la connaissance ne doivent plus être cherchées dans les choses
que nous fournit l’expérience mais bien dans le sujet de la connaissance, c’est à
dire nous-mêmes comme conditions d’apparition des objets de l’expérience.
Cela signifie que les données sensibles se soumettent à notre manière de les
connaître. Les objets que nous présentent les intuitions sensibles ne sont connus
que tels que nous pouvons les connaître, les objets de la connaissance reflètent
la manière dont nous pouvons les connaître. La première conséquence de cette
révolution copernicienne de la philosophique est la différence entre les
phénomènes qui sont les objets tels qui nous apparaissent et les choses en soi
qui sont les objets indépendamment de la manière dont ils nous apparaissent.
Nous n’avons accès qu’aux phénomènes, pas aux choses en soi, et cette
différence est la source du criticisme de Kant. Le criticisme, c’est une méthode
qui dit qu’il faut faire un usage critique, au sens d’un usage réflexif et normatif,
de nos facultés, dans le but de nous faire connaître les limites et la légitimité de
l’usage de nos facultés. Il faut réfléchir au moyens qu’on a de penser et savoir
jusqu’où nous sommes légitimes à penser. C’est l’exercice de la raison sur elle-
même, et la Critique de la raison pure c’est l’entendement qui réfléchit sur les
facultés de la raison. Il s’agit de savoir comment faire l’usage légitime de nos
facultés, et quand on transcende cet usage on fait un usage métaphysique et
illégitime de nos facultés, ce que font les métaphysiciens quand ils prétendent
parler des choses en-soi, alors que nous ne pouvons avoir accès aux choses
telles qu’elles sont en dehors de nos facultés. La position kantienne reste ainsi
assez anti-métaphysique, et il n’y a qu’une sphère dans laquelle la
métaphysique a toute sa place, c’est la sphère de l’action pratique où tous les
objets sont bons, c’est à dire la sphère morale, et non la connaissance. La
deuxième conséquence est que puisque les conditions de possibilités de
l’objectivité de la connaissance sont à chercher en nous, alors il faut engager un
nouveau type de méthode en philosophique, ce que Kant appelle la méthode
transcendantale - un terme scolastique, et qu’on retrouvera chez Kant puis dans
la phénoménologie, et qui traite ici des conditions de possibilités de
l’expérience. La méthode transcendantale c’est celle qui consiste à revenir à
partir de ce qui nous est donné aux conditions de ce que nous est donné, à partir
de l’expérience jusqu’aux conditions de l’expérience. Revenir du conditionné
jusqu’aux conditions, c’est ce que Kant appelle une déduction transcendantale -
et il va faire des déductions transcendantales tout au long de la Critique de la
raison pire.
La position de Kant qu’il nomme lui-même idéalisme transcendantal est la
doctrine selon laquelle nous n’avons pas accès aux choses mêmes mais aux
représentations de ces choses. D’un certain point de vue, c’est effectivement un
idéalisme, parce qu’on a pas accès aux choses mêmes, mais Kant dira à
plusieurs reprises, puisqu’il a pas envie d’être associé à l’idéalisme délirant
qu’est Berkeley, et que pour s’en démarquer il va sans cesse dire de l’idéalisme
transcendantal que c’est un idéalisme empirique : nous faisons quand même
l’expérience des choses, il y a bien des choses qui nous sont données des
choses, mais il faut comprendre que les objets qui nous sont réellement donnés
dans l’expérience ne sont pas des choses en-soi.
Nous allons donc voir qu’il y a une distinction entre intuition empirique et
intuition pure. On pourra s’appuyer sur le premier paragraphe de l’« Esthétique
transcendantale » - le titre renvoie à l’analyse des conditions de possibilités de
l’affection sensible qu’exercent sur nous les objets, c’est à dire les conditions de
possibilités de notre expérience sensible. Il y a d’emblée une différence majeure
avec les théories de l’intuition qui l’ont précédées, c’est que l’intuition est chez
Kant sensible, qu’en vérité une intuition ce n’est même pas une faculté, le mot
intuition désignant la relation entre un sujet et un objet donné par nos sens.
L’intuition, c’est la manière dont nous sont donnés les objets sensibles. Toute
l’activité de la connaissance est tournée vers l’intuition, puisque la
connaissance doit être une connaissance d’objet, et il n’y a donc que l’intuition,
ce qui exhibe les objets qui correspondent à nos concepts, qui puisse nous dire
que notre concept corresponde en effet à l’objet. Pour qu’un concept puisse
avoir une réalité objective, il faut qu’on ait une intuition de l’objet. L’intuition
rend le concept réel, et elle rend le jugement vrai. Le type général d’objets que
l’intuition peut nous donner, c’est ce que Kant appelle un phénomène,
typiquement l’objet d’une intuition empirique. Kant prend bien soin de préciser
que cette intuition là s’appelle intuition empirique, cette intuition qui nous met
en contact par nos sens avec les objets. S’il lui donne un qualificatif, c’est qu’il
doit exister un autre type d’intuition, une intuition qui n’est pas empirique mais
pas non plus intellectuelle donc - il y a une division du travail épistémologique
entre la sensibilité qui nous donne les objets et l’entendement qui nous permet
de formuler des concepts et des jugements, mais en aucun cas une intuition
sensible peut devenir un concept et inversement. Kant nomme matière du
phénomène ce qui correspond à la sensation, et forme du phénomène ce à quoi
le divers de celui-ci peut être ordonné et disposé selon un certain rapport. Il
nomme pures toutes les représentations dans lesquelles ne se rencontrent rien
qui s’apparente à une sensation, la forme pure des intuitions sensibles se trouve
ainsi a priori dans l’esprit, esprit dans lequel tous le divers des phénomènes est
intuitionné selon un certain rapport. Nous tenons ainsi l’intuition pure. Dans
nos représentations sensibles, quand nous sommes affectés par des objets
sensibles, il n’y a que pas que des sensations, mais aussi la forme que peuvent
prendre ces sensations, ces dernières peuvent être organisées selon deux formes,
qui correspondent aux deux formes de la sensibilité, c’est à dire les deux
intuitions pures : l’espace et le temps. Les objets, quels qu’ils soient, sont
spatio-temporairement et ne nous apparaissent que spatio-temporairement, il est
impossible de nous représenter un objet qui n’est ni dans l’espace ni dans le
temps, nous avons ici les deux conditions de l’expérience sensorielle. S’il y a
des intuitions pures, il va bien entendu avoir des concepts purs, les conditions
de possibilité de notre connaissance, c’est à dire les catégories. Ce que dit Kant,
c’est que les objets ont des déterminations a priori, deux, l’espace et le temps.
Un objet occupera une certaine partie de l’espace et cette expérience aura lieue
a un certain instant, et cela quelle que soit notre représentation. Il est
inconcevable que l’objet ne possède aucune place, il n’existe pas, et que
l’expérience ne prenne pas place dans le temps, elle n’a pas lieue. Il y a donc
des déterminations spatio-temporelles. Kant vient nous dire que nous n’avons
accès qu’à des objets d’expérience, qu’à des objets sensibles, c’est à dire des
objets dont nous pouvons faire l’expérience, mais ici nous avons des intuitions
pures qui ne sont pas intellectuelles mais pas empiriques non plus : elles nous
confrontent à la forme des objets, c’est à dire les conditions les plus générales
auxquelles ils nous sont données, sauf que la forme des objets sensibles ce n’est
pas un objet, et il y a ici un paradoxe, puisqu’on traite l’espace et le temps
comme des concepts, alors qu’ils ne sont pas des objets. Cela provoque quelque
chose d’étrange chez Kant, qui va nous donner l’exposition métaphysique et
l’exposition transcendantale des concepts d’espace et de temps, ce qui signifie
que lui-même est conscient que ce qui nous donné dans les intuitions pures
possède quand même une nature un peu métaphysique : on est là à la limite de
nos capacités humaines. Le fait que les mathématiques peuvent parler de
l’espace et du temps en font une science quasi-métaphysique, mais Kant les
conserve parce que c’est pratique pour faire autre chose. L’auteur trace très bien
la limite entre les jugements géométriques et ceux de la géométrie physique, ou
appliquée, limite que ne traçaient ni Descartes ni Locke - pour Descartes on
étudiait aussi la matière avec la géométrie. C’est parce que les objets de ces
deux sciences, la géométrie pure et la géométrie physique, sont déterminés de
manière tout à fait distincte : les objets de la géométrie pure sont à construire,
ils sont obtenus à partir de notre intuition, le concept de triangle étant obtenu
par la construction dans notre entendement d’une figure, nous sommes dans une
certaine mesure libre, la nécessité et l’objectivité de ces concepts venant
intégralement de nous, et à l’inverse quand on fait de la géométrie du monde
réel les objets ne sont pas construits par nous mais nous sont donnés, il y a une
étape supplémentaire dans la connaissance de ces objets, puisqu’il faut
modéliser la situation, ce qui change absolument tout, alors qu’en
mathématiques la situation n’impose absolument rien. Donc quand on fait de la
géométrie, Kant sait très bien qu’on est pas en train de parler de l’espace réel.
L’intuition empirique est la source de connaissance et de vérification de nos
connaissances en collaboration avec l’entendement comme production de
concepts, mais il faut à l’esprit des formes à priori pour que l’intuition soit à
proprement parler une intuition d’objet.
Qu’est-ce que nous font donc connaître les intuitions pures ? Kant n’essaye pas
de nous expliquer comment fonctionne la géométrie, mais bien pourquoi les
jugements géométriques élémentaires sont apodictiques, c’est à dire
élémentaires, et pourquoi est-ce qu’ils sont évidents. Les jugements
géométriques sont évidents parce qu’ils dépendent d’intuitions, ils sont aussi
évidents que des intuitions sensibles. On ne peut pas douter de la validité de nos
jugements géométriques car leur correspondent des constructions dans
l’intuition pure - sachant qu’il n’y a que deux intuitions pures, l’espace et le
temps, on possède donc dans l’intuition pure des objets sans dimension et sans
masse, comme le point. Mais s’agit-il ici d’objets particuliers ou généraux ?
Quand on construit des objets géométriques dans l’intuition, on construit des
objets particuliers, mais ce qui en donne une connaissance universelle c’est que
c’est la construction elle-même qui est universelle et générale. On pourra
objecter qu’on a aujourd’hui des types de géométries qui n’ont pas le même
type d’évidence que la géométrie euclidienne, dans laquelle les figures qu’on
peut tracer ont exactement les propriétés qu’on décrit, et que toute la question
est donc de savoir si la philosophie des mathématiques de Kant peut s’appliquer
aux mathématiques contemporaines. Nous avons longuement évoqué l’espace,
mais ajoutons enfin que le temps est aussi lié aux mathématiques parce qu’il
nous donne la règle de la succession arithmétique.
Comment caractériser ces deux intuitions pures ? Si l’on doit préciser la nature
des intuitions pures, on pourrait déjà dire que l’intuition pure de l’espace est
une intuition qui est externe, et qu’à l’inverse l’intuition pure du temps est
interne. Ce que finira par dire Kant, c’est que l’intuition pure du temps a en
quelques sortes une préséance sur l’intuition pure de l’espace puisqu’elle inclue
les phénomènes internes et l’évolution des objets externes. Ça a beaucoup plu à
Martin Heidegger, qui dans Être et Temps a tenté de démontrer que la théorie
kantienne n’était pas satisfaisante, mais c’est un autre sujet. Si l’on regarde
quelles types de connaissances sont produites par l’intuition pure, Kant met un
point d’honneur à dire que la structure interne ne nous fournit pas de
connaissance des objets interne, on a pas connaissance de notre âme ou de nos
intuitions sensibles, mais elle nous donne tous les phénomènes de l’ordre de la
succesivité. Qu’est-ce qui distingue les jugements de la géométrie et de
l’arithmétique de la connaissance logique ? Les sciences mathématiques sont
intuitives au sens où elles ont rapport avec le divers de l’intuition, même si c’est
une diversité qui n’existe pas - le point -, tandis que la logique dérive tout de
l’identité, et c’est ce qui explique que les mathématiques et l’arithmétique
progressent, font des découvertes, tandis que la logique ne progresse pas,
restant stérile.
Les concepts purs, les catégories de l’entendement ne sont pas des intuitions
empiriques, ce sont la causalité, les concepts modaux de possibilité, de
nécessité, mais aussi de qualité, de quantité : Kant a réussi à tirer une liste
définitive de toutes les catégories de l’entendement. La raison est la faculté
supérieure à l’entendement, elle consiste à lier des concepts avec des règles,
avec des principes : la sensibilité c’est la faculté des intuitions, l’entendement
c’est la faculté des concepts, la raison c’est là facultés des principes.
Les intuitions pures semblent nous renvoyer aux formes de la sensibilité que
sont le temps et l’espace : les formes sont-elles ou non des objets ? L’intuition
pure du temps est celle du sens interne, c’est à dire de l’intuition que nous
avons de nous-mêmes et de notre état intérieur. Le temps n’est pas de prime
abord une propriété des objets extérieurs dont nous faisons l’expérience, ce qui
signifie également que cette forme de la sensibilité est intrinsèquement
subjectif, son ordre est celui de notre conscience. Kant nous dit que l’intuition
pure du temps a une extension supérieure à celle de l’espace, elle couvre les
phénomènes intérieurs et extérieurs, l’espace ne concerne que les phénomènes
extérieurs. Les phénomènes intérieurs, ceux de la conscience, se succèdent dans
un ordre temporel déterminé mais n’ont pas d’extension spatiale. Cela a
beaucoup plus dans Être et temps, la grande méditation du temps par rapport à
l’espace de Martin Heidegger, et cela a beaucoup plu à Bergson. C’est cette idée
que dans le flux temporel des choses nous avons un accès immédiat à certaines
choses qui a inspiré Bergson chez Kant.
Kant explique que c’est vrai que d’un point de vue psychologique le temps a
une priorité sur l’espace, qu’il y a succession d’états sans que forcément il y ait
organisation spatiale, mais ce qui est également vrai c’est que la seule manière
de se représenter le temps c’est de le faire de manière spatiale, parce que le
temps ne suggère en nous aucune figure nous tentons d’y palier par analogie :
on représente le temps par le paramétrage d’une ligne. C’est ce qui permet de
représenter l’évolution des systèmes physiques, par exemple, de rendre ainsi
objective l’évolution du temps. Il apparaît ainsi impossible qu’on arrive à une
psychologie objective et scientifique pour Kant : les phénomènes dans notre
conscience ne peuvent être spatialisés, et la condition de l’objectivité c’est la
spatialisation. Cela nous permet de faire très clairement la différence entre ce
qui peut être objectif et complètement et ce qui ne l’est pas, et de là naîtra la
critique bergsonienne : l’idée qu’on ait toujours pensé le temps sous l’angle du
mouvement, alors que ce qui est important c’est d’avoir une idée de la durée qui
est intrinsèque et qui ne dépende pas des données spatiales. Mais pour Kant cela
convient très bien, cela permet de distinguer ce qui est scientifique - il n’y a pas
de science du temps pour Kant. Évidemment, d’un autre point de vue, le temps
joue dans la connaissance des objets spatialisés, Kant le développe peu mais
cela fera les beaux jours de la phénoménologie husserlienne : quand on rentre
en contact avec un objet de l’espace, nous n’en avons qu’une vue partielle, nous
n’avons jamais de vue globale de l’objet qui nous est présenté, c’est l’idée de la
transcendance des choses dans l’espace qui sera développée par Husserl dans
Chose et espace. La seule manière d’avoir une vue globale de cet objet, c’est de
tourner autour, de le manipuler, c’est à dire qu’il y a une synthèse temporelle
des objets de l’espace. Avoir une vue complète d’un objet de l’espace, c’est
avoir fait la synthèse des différentes vues subjectives et partielles de cet objet :
ce sera la théorie des esquisses développée par Husserl.
l’expérience. Ce que nous a dit Kant c’est que la seule manière de connaître ce
que les intuitions pures nous donnent c’est de construire les concepts adéquats
que l’imagination va nous présenter. Ou bien ces objets qui sont les
correspondants de ce que l’on a construits sont des objets formels, auquel cas
on s’engage à une forme de platonisme qui reconnaît une forme de réalité aux
objets idéaux, mais à l’inverse si l’on prend le partie de penser que ces objets
sont des schèmes, alors on s’engage à une position constructiviste ou empiriste.
En épistémologie des sciences physiques ou mathématiques, le débat est encore
vif.
concepts. Kant nous disait que les concepts sans intuitions sont vides, les
intuitions sans concepts sont aveugles, il n’y a connaissance que lorsqu’il y a
correspondance, et si elle n’est pas garantie nous n’avons ni connaissance ni
expérience, et pour Bergson il y a ici quelque chose de réducteur et de faux,
nous avons des intuitions qui sont découplées de certains concepts et qui
pourtant nous donnent des connaissances d’un type qui n’est pas scientifique,
d’un type purement intuitif. Pour Bergson on a pas toujours besoin d’avoir des
concepts qui rationalisent notre expérience pour connaître, ce qui signifie que le
champ de l’expérience est beaucoup plus grand pour Bergson que pour Kant,
qui ne prend pas en compte toutes les dimensions de l’expérience. Il s’agit
d’élargir au maximum le champ de l’expérience, ce qui veut dire du même coup
que là où chez Kant la coopération de l’intuition et des concepts était un pré-
requis pour la connaissance, on va avoir chez Bergson deux sources de
connaissances : l’intelligence d’une part et l’intuition d’autre part. Le troisième
refus de Bergson consiste dans son rejet de certaines questions traditionnelles
posées par la philosophie : la grande majorité des problèmes de philosophie
traditionnelle sont des faux problèmes, parce qu’ils relèvent d’une erreur de
méthode, ce que la philosophie analytique appelle aujourd’hui des erreurs de
catégories - quand on pose des questions du type « où est le temps ? » où « de
quelle couleur est le nombre 7 ? », où on pose des questions en des termes qui
n’ont rien à voir entre eux, évidemment cela n’a aucun sens de savoir où est
localisé le temps, le temps n’étant pas une entité spatiale, ni la couleur du
nombre 7, un nombre n’étant pas une entité colorée. Avec la prolifération de la
critique linguistique, notamment post-Wittgensteinienne, il y a des erreurs de
catégories partout, mais pour Bergson il y a une qui est fondamentale à la base
de toutes les confusions : c’est celle qui consiste à confondre l’espace et la
durée. Ce que Bergson va nous dire, c’est que la quasi-intégralité de nos
représentations mentales sont des mixtes d’espace et de temps - ce que nous
disait déjà Kant -, le problème étant que nous n’avons pas bien analysé ces
représentations et nos posons donc des questions qui ne peuvent recevoir de
solutions.
L’espace est une multiplicité homogène et intensive, ce qui signifie que dans
l’espace apparaissent un certain nombre de choses, d’où l’idée de multiplicité,
et que ces choses sont comparables du point de vue dans leur grandeur, dans
l’espace les choses n’ont entre elles que des différences de degré. C’est
homogène parce que l’espace euclidien est isométrique, au sens où quand on
essaye de le représenter les points par lesquels on le représente sont identiques
les uns aux autres. Le temps est une multiplicité qui est qualitative et
hétérogène : à chaque fois qu’on avance dans le temps est réintégrée la partie du
passé qu’on vient de passer, il y a une forme d’accroissement de de
modification permanente - notre mémoire s’enrichit à chaque instant de ce
qu’on vient de vivre, il n’y a pas de fixité du temps, notre durée personnelle est
évidemment que l’être humain comme les animaux n’a pas un concept pour
chaque chose, sans quoi la vie serait invivable - les concepts servent à observer
des régularités dans le monde, pas à saisir la réalité individuelle de chaque
chose. Pour Bergson on manque indéniablement quelque chose d’essentiel
quand on réduit l’expérience à ce qu’on peut connaître par des concepts, on
manque toute la complexité qualitative de l’expérience. C’est une critique
partagée avec Nietzsche, les rapports de similitude du point de vue de la
critique de l’intelligence entre Bergson et Nietzsche sont évidents, Nietzsche
comme Bergson liant les opérations de conceptualisation avec celles de
symbolisation - qui consistent à coordonner certains signes de l’expérience avec
des symboles, la plus évidente étant le langage, qui n’est constitué à quelques
exceptions près que de termes généraux, ces exceptions étant les noms propres,
et les indexicaux ( démonstratifs, pronoms etc, qui renvoient à des lieux, à des
individus ), ce qui veut dire que lorsque nous exprimons notre pensée nous
exprimons toujours des généralités. Le problème du langage chez Bergson est
ainsi que d’une part il est trop générale pour saisir la réalité, et que d’autre part
il est trop fixe, on se refile les mêmes mots d’une génération à l’autre, on est
donc pas toujours conscients des raisons pour lesquelles une conceptualisation a
été opérée.
La précision philosophique selon Bergson ne peut être acquise qu’à une seule
condition : renoncer au langage. Il faut donc trouver un mode d’expression plus
en adéquation avec le réel : la pensée par images et par métaphorisations.
Bergson va d’ailleurs très souvent - pour ne pas dire tout le temps - avoir
recours dans ses écrits à des images et à des métaphores. Si on ne communique
pas par des mots, par quoi communique-t-on alors ? Au-dessus des mots, des
phrases, bref, du langage, il n’y a qu’un seul type de choses : le sens, qu’on
distingue de la signification, qui est du sens spatialisé dans des mots, du sens
rigidifié. On peut également arriver à certaines réussites dans le travail de
l’intelligence dans le sens, comme les mathématiques - Bergson parle de
nombres. À l’inverse, quand ce n’est pas l’intelligence qui s’en occupe, le sens
est quelque chose de vague, un mouvement à peine esquissé. Le sens c’est la
différence qualitative d’une pensée, sa singularité. Dans le champ de pensée qui
est le nôtre il y a des choses qui se signalent, sans que l’on sache précisément
pourquoi, ce sont des pensées différentes de nos autres pensées, suffisamment
différentes pour qu’elles arrivent à notre conscience, et c’est cela du sens. Le
sens est une entité qui n’est absolument pas spatiale, elle est temporelle, c’est ce
que nous avons l’habitude d’appeler des intuitions, pas tout à fait déterminées,
sans que l’on sache très bien d’où elles viennent elles orientent notre direction
de pensée. Cela signifie qu’il faut bien distinguer le sens, son mode de
production lié essentiellement à l’intuition, imagé, instinctif, imaginatif, et puis
la signification forgée dans l’usage social par la communication, par la fixation
des mots dans le sens commun par la communication - c’est donc à partir du
perceptives telle que présentée par Diderot par exemple : la perception fait
d’abord des distinctions entre trois types de mouvement. Des mouvements
qualitatifs - des changements de qualité entre les choses, des changements de
couleurs etc, qu’on appelle des changements d’état -, des mouvements extensifs
- des changements de position, quand quelque chose parcourt une distance -,
enfin des mouvements évolutifs - un mouvement de croissance d’une plante par
exemple. Bergson explique que ces trois types de mouvements sont à la base de
trois types de concepts, ceux de qualité, d’action et de substance - les
changements intrinsèques qui caractérisent l’évolution. Bergson se distingue de
Diderot en ce sens que le jugement de l’intelligence descend pour lui jusqu’à la
perception, qui est pour lui structurée comme un langage, qui possède une
structure isomorphe à la grammaire. La perception elle-même est ainsi
structurée par l’intelligence, et il convient donc de voir si certains modes
perceptifs ne peuvent pas dépasser cela. La critique que l’intelligence adresse à
l’intelligence comme faculté de rendre fixe les choses, de faire des concepts, est
assez largement répandue dans la grande majorité des philosophes mobilistes.
Mais Bergson apprécie tout de même dans la science le fait qu’on cesse de
s’intéresser à des objets pour s’intéresser à des processus.
Il y a en réalité différents moments dans la pensée bergsonienne qui marquent
son rapport avec les sciences : au départ Bergson semble assez critique des
sciences positives, il ne met jamais en cause les résultats mais avance que la
science repose sur une idée fixiste de la réalité, au moment de L’évolution
créatrice il semble dire que les sciences ont des résultats qui ont une forme de
dignité, la connaissance scientifique relative à notre mode de connaissance a
quasiment la même dignité que la connaissance intuitive et métaphysique, ces
deux modes d’accès constituent des parallèles à la réalité. À partir de là, voyons
véritablement ce qu’est la théorie bergsonienne de l’intuition !
D’abord, voyons la dualité des modes de connaissance. On avait vu le mode de
connaissance de l’intelligence, qui correspond à ce découpage du réel vers une
forme fixe qui est commode pour l’esprit humain. Dès l’Essai sur les données
immédiates de la conscience, Bergson dit qu’il est relatif et qu’il nous faut
déchirer le voile des mots et des concepts qui s’est interposé entre nous et la
réalité. Il faut essayer d’avoir un rapport à la réalité qui fair que nous arrêtions
spontanément de catégoriser le réel, et cela passe par la réintroduction d’une
forme d’introspection radicale, sachant que notre manière habituelle est faussée
d’habitudes intellectuelles - évidemment, Descartes dans les Méditations fait ce
qu’il ne faut pas faire, c’est à dire catégoriser les données qui nous sont
données. Ce que ça introduit c’est donc la dualité entre un mode de
connaissance relative, spatiale, destiné à la connaissance des objets extérieurs,
et un mode de connaissance absolu, non spatial, qui correspond à notre
conscience intérieur, à l’observation de nous-mêmes. « En enlevant le voile
interposé nous touchons un absolu », Bergson reprend ici une phrase de
Berkeley qui parle de notre prise au voile des mots. L’introspection n’a à
l’époque que deux méthodes : la méthode kantienne, que Bergson refuse, et
puis la voie empiriste, celle qui court de Locke jusqu’à Hume. Les empiristes
font une analyse associationniste : l’esprit fonctionne par associations d’idées, il
s’agit d’étudier les règles selon lesquelles nous associons nos idées. Or ce que
dit Bergson c’est que cette manière ne va pas du tout, parce que c’est partir du
principe que les idées sont les analogues des choses extérieurs, parce que le
mécanisme d’association est spatial, les empiristes pensent que les idées sont
tels des cubes qu’on agglutine pour obtenir une autre forme. On ne construit pas
des représentations comme on construit des choses, encore une manière de
l’intelligence de spatialiser, de concevoir le monde intérieur, celui de la
conscience de la même manière que le monde extérieur. L’introspection nous
montre que l’esprit ne fonctionne pas comme ça : l’expérience n’est pas
analysable au sens où elle n’est pas analysable, on ne peut pas la séparer dans sa
complexité en parties simples. On ne peut pas distinguer entre différentes
parties en notre esprit, les choses n’y sont pas juxtaposées. La théorie des partis
de l’âme, des facultés, ne marche pas, l’esprit est une pure durée : c’est une
totalité mouvante en perpétuel changement. La connaissance de cette totalité est
pour Bergson la connaissance de l’absolu, c’est à dire des choses telles qu’elles
sont en-soi. Pour qu’une telle connaissance soit possible il convient que nous
nous affranchissions des limites fixées par notre condition spécifiquement
humaine, il nous faut revenir en deçà de ce que l’intelligence nous ordonne, ce
qui signifie que la connaissance ne se réduit pas à l’activité de l’intelligence. Il
y a une activité parallèle qui produit une connaissance d’un type tout à fait
différent, et cette activité spirituelle c’est l’intuition. Cela signifie lever
l’interdît kantien d’une connaissance purement intuitive, ce qui était l’acte de
naissance de la philosophie kantienne. L’intuition intellectuelle est un rapport
direct à la durée pure, une des faces de notre expérience qui nous est donnée
dans notre conscience.
Il y a donc plusieurs domaines de la connaissance intuitive. Dans son
« Introduction à la métaphysique » Bergson explique qu’« on appelle intuition
cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à
l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent
d’inexprimable ». Cela signifie donc que l’intuition n’est pas un type de
connaissance externe et relatif mais interne et absolu, connaître quelque chose
par intuition c’est faire corps avec l’objet. Pour Bergson c’est quelque chose qui
fait l’objet d’un travail et d’un effort immense : nous n’avons pas d’intuition
directement, à part les artistes et les mystiques. Le commun des mortels doit
faire énormément d’effort pour arriver à la connaissance intuitive, et cela passe
par une méthode, la fameuse méthode de l’intuition. Cela signifie qu’avant
d’avoir une connaissance intuitive de quelque chose il est nécessaire d’avoir fait
le tour des connaissances positives de cette chose. L’intuition ne se signale en
durées c’est en quelques sortes comprendre leur évolution dans le temps, c’est
comprendre leur évolution dans le temps. La saisie du sens c’est précisément la
saisie de ces différentes évolutions. L’analogie permet ainsi par les différentes
métaphores de s’approcher du sens tout en lui gardant ce qu’il a de mouvant.
L’intuition se développe par un effort au contact, par familiarité avec les objets.
L’intuition c’est la capacité de connaître par analogie, de saisir ce qu’il y a de
commun entre ma durée et la durée des objets externes.
chat est rose avec des pois bleus, j’affirme une certaine relation entre le chat et
des pois bleus. J’affirme ainsi la relation entre un le chat et un objet matériel,
mais quel concept est l’objet matériel, entre l’individu et l’espèce à laquelle il
appartient, mais cette relation là n’est pas donnée dans l’expérience, elle n’est
pas donnée dans notre perception, nous voyons juste un chat. Pour Husserl nous
n’avons pas que des intuitions perceptives, mais aussi des intuitions
catégorielles, c’est à dire des intuitions de structures, de relations entre les
choses qui sont mentionnées dans une proposition. C’est ce qui nous permet de
pouvoir tenir des discours sur des objets non-perceptifs, par exemple sur des
concepts, et pourtant de pouvoir vérifier que ce discours soit vrai ou faux. On
est dans cette situation dans laquelle on a des intuitions perceptives, des
intuitions catégorielles, et puis Husserl va introduire un dernier types
d’intuitions : les intuitions eidétiques. Husserl dit que tout le monde le connaît :
lorsque l’on a la perception d’une chaise, on a toujours la possibilité de la faire
varier en imagination, changer ses dimensions ou sa couleur par exemple, et si
l’on fait varier en couleur cela reste une chaise, mais en dimension ce deviendra
un banc ou un tabouret. Cela signifie que quand on a la perception d’un objet on
a une sorte de perception des limites de sa variabilité, dans lesquelles il reste un
objet du même type. Cette intuition ne nous donne pas des objets particuliers
mais des types d’objets. Et ce dont on s’aperçoit c’est que selon le type d’objet
il y a des choses qu’on peut faire varier dedans et d’autres non. Cette intuition a
tellement d’importance que Husserl finira par dire qu’il y a un certain type de
relations entre les choses qu’on peut connaître simplement par intuition : on
n’apprend pas le fait que le bleu est plus proche du vert que du jaune, c’est
intuitivement donné car c’est donné dans l’intuition eidétique de la couleur, il
n’y a pas besoin de concept pour cela. « Dans un espace blanc, le plus court
chemin entre deux points est une droite », voilà une intuition donnée. Si l’on
doit rapprocher cela d’un autre philosophe, c’est bien Kant ! C’est du
synthétique à priori, ce n’est pas analytique et c’est nécessaire ! « Il n’y a pas
d’étendue sans couleur » ou « il n’y a pas de couleur sans forme », voilà des
produits des intuitions des sens, le synthétique a priori matériel qu’on peut
opposer à la connaissance formelle issue de la logique. Nous avons accès à des
connaissances synthétiques matérielles pour Husserl.
La question de savoir s’il existe ou non des connaissances synthétiques
matérielles va traîner durant des années durant les réunions du cercle de Vienne,
et les membres vont tomber d’accord pour dire que non. La relation d’exclusion
entre les couleurs, qu’une tache bleue n’est pas en même temps jaune, n’est pas
une nécessité matérielle, mais un jugement analytique. De la même manière, ils
vont critiquer l’idée de Husserl que les propositions qui expriment des relations
entre les objets est pour corrélât des objets idéaux, ce qui était en question dans
la théorie de l’intuition catégorielle. Parce qu’ils n’admettent au sein de leur
mobilier ontologique, des choses qui existent réellement, que des objets
d’expérience ou des sens, voilà la thèse des empiristes logiques du cercle.
Schlick s’en prenait à certains usages du terme d’intuition, en particulier ceux
qui renvoient l’intuition à un mode de connaissance métaphysique privilégiée et
distinct du mode de connaissance ordinaire. Il s’en prend à Bergson et le cite,
mais pas à tous les usages du terme d’intuition, en son sens heuristique l’usage
du terme peut aller, puisque cela désigne des actes mentaux dont tout le monde
fait l’expérience. Bergson se trompe parce qu’il parle de l’intuition comme si
c’était un acte par lequel on saisit du contenu. Schlick nous explique que nous
n’avons pas de connaissance de nos contenus d’expériences, nous n’avons pas
de connaissance du contenu qualitatif de notre expérience, ce qui ne veut
évidemment pas dire qu’on est pas en contact avec un tel vécu, il est au courant
que nous sommes des êtres singuliers avec un vécu singulier. Ce qu’il veut dire,
c’est que ce vécu là dans son caractère qualitatif nous n’en avons pas vraiment
de connaissance, et Schlick prend l’exemple des couleurs : quand je dis que le
mur est rouge, on peut s’accorder que c’est vrai, mais je ne communique aucun
contenu qualitatif parce que je ne peux pas décrire ce que c’est dans le contenu
qu’est le rouge, on ne peut pas expliquer les couleurs à un aveugle, et si ça se
trouves toutes nos couleurs sont subjectivement inversées, nous n’en savons
rien, nous associons une perception à ce qu’on nous a inculquée, ce contenu de
l’expérience est privé, intégralement subjectif. La seule condition pour qu’on
soit d’accord sur les couleurs c’est qu’on ait apprit la même grammaire des
couleurs, les mêmes distinctions, mais nous n’avons pas forcément les mêmes
perceptions des couleurs, et c’est parce qu’ils ne font pas les distinctions qu’on
s’aperçoit que des enfants sont daltoniens, parce qu’ils n’emploient pas les
mêmes concepts de couleurs dans les mêmes occasions que la majorité. Ce qui
fonde notre accord sur les couleurs, c’est qu’on utilise les mêmes concepts dans
les mêmes occasions. Le contact que nous avons avec notre vécu qualitatif n’est
une connaissance car cette dernière renvoie à quelque chose qui peut être
transmis et expliqué. Cela signifie que la connaissance ne porte absolument pas
sur la possession de certains contenus de consciences, de certains vécus.
D’après Schlik elle porte sur la structure que présentent ces contenus, c’est à
dire sur la relations entre ces contenus.
3) Bergson est conscient qu’à son époque il y a une forme de mutation, que
l’importance des grandeurs numériques et la notion de point matériel sont
en train de céder le pas à d’autres types de formalisation, il appr
Bergson
le livre de Camille Riquier Archéologie de Bergson
Le vocabulaire de Bergson par Frédéric Worms
Le Bergsonnisme de Deleuze
Il y a deux ou trois questions qui sont ouvertes, il n’est pas attendu de bonne
réponse, ou plutôt il n’est pas attendu une conclusion déterminée, cependant il
est important et intéressant de comprendre que ce qui est attendu c’est qu’on
soit capable de justifier pourquoi on raisonne dans un sens plutôt que dans un
autre. Il est attendu de trancher dans un sens ou dans un autre parce que si nous
avons comprit un minimum ce dont on essaye de parler nous n’avons pas
d’indifférence possible.
Blup
Parenthèse épistémologie :
Il y a une différence nette entre ce qu’on appelle la logique de la découverte et
la logique de la justification : la première est proprement épistémique, prenant
en compte nos capacités cognitives, la deuxième procède des découvertes qu’on
connaît déjà et par un nombre de procédures souvent mécanisables vérifient
qu’on s’est pas planté à posteriori.
« Blup »
Aristote
Descartes
Locke
Kant
Bergson
Husserl
Plan du cours :
Introduction
La genese du concept
Bibliographie
Aristote, Seconds analytiques traduction de Jean Tricot ( Vrin )
Descartes, Règles pour la direction de l’esprit ( Vrin )
Locke, Essai sur l’entendement humain ( Livre de Poche )
Kant, Critique de la raison pure VALIDÉ JE L’AI
Bergson, La pensée et le mouvant PUF QUADRIGE FREEEEEDERIC
WOOOORMS
Husserl, Recherches Logiques PUF ( peut-être un peu cher, acheter des
extraits ? )
À lire un jour :
Maurice Schlick, Forme et contenu
John Austeen, Le Silence des Sens
The Sounds of Silencr MMMMMRRRRSSS
RRRROOOOBBIIIIIINNNSSOOOON
Commentateurs Aristote :
Dictionnaire des termes d’Aristote de Pierre Pelgrin
Johnatan Barnes ( très clair )
Pierre Aubinque, Aristote et le problème de l’être ( mais pas prioritaire )
Prix Nobel
Réussir à prouver que la théorie formelle qui permet de prédire les phénomènes
quantiques ne peut pas être une trouer à variables cachées, une théorie posée par
Einstein au nom de l’intuitivité de certains objets des phénomènes physiques.
L’intrication quantique dit que deux particules peuvent être liées - avoir des
propriétés similaires - alors même qu’elles ne se sont jamais rencontrées, ce qui
va contre la propriété de localité.
HUSSERL
RECHERCHES LOGIQUES, TOME III