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SÉQUENCE 1

SYNTHÈSE

En quête de la définition de l’homme, nous avons d’abord envisagé la dimension subjective de l’individu.
— Dans un premier temps, nous avons vu que la conscience semble bien définir l’être humain. Non
seulement l’homme a conscience du monde et de lui-même, non seulement il « a » une conscience,
mais plus encore il « est » une conscience. On peut donc dire que la conscience constitue l’essence
de l’homme. Par « essence », on entend en philosophie d’une part la définition d’une chose. L’essence
explicite ce que la chose est, indépendamment de savoir si cette chose est. L’essence se distingue de la
sorte de « l’existence », mais aussi, d’autre part, de « l’accident ». En effet, l’essence renvoie aux aspects
fondamentaux et invariables d’une chose, tandis que les accidents se réfèrent aux aspects secondaires
et changeants. Ainsi, en affirmant que l’homme est une conscience, on ramène du côté des accidents le
fait qu’il est un organisme vivant ou qu’il possède un corps.
— Pourtant, après examen, l’interrogation sur la relation entre l’homme et la conscience a été l’occasion
de contester la fausse évidence selon laquelle l’être humain serait le seul détenteur de la conscience,
psychologique autant que morale. La conscience définit aussi bien la plante et l’animal, en somme le
vivant dans son ensemble. C’est bien ce que révèle paradoxalement la langue française en sa pauvreté
lexicale : là où l’allemand par exemple possède deux verbes distincts (Leben et Erleben), le français en
compte un seul, « vivre », pour dire à la fois et indissolublement « être en vie » et « faire l’expérience de
quelque chose ». Un être vivant est non seulement un organisme, mais aussi un être conscient qui fait
l’épreuve du monde qui l’entoure.
— Enfin, la conscience entendue comme pouvoir de connaissance et de jugement est apparue comme
un aspect fondamental mais très insuffisant pour déterminer la nature de l’homme. L’impératif socra-
tique « Connais-toi toi-même » nous exhorte d’autre part à rediriger notre conscience des choses vers
elle-même pour s’examiner. Il devient alors manifeste que la conscience « définit » bien l’homme, en ce
qu’elle vient limiter la connaissance qu’il a de lui et l’enfermer dans des illusions, dans l’illusion qu’il est
libre, qu’il connaît parfaitement ses désirs, qu’il est un saint…

Puis, nous avons découvert que la conscience n’est pas le tout de l’activité psychique et qu’on ne saurait y
réduire l’homme, un homme qui possède également un inconscient psychique :
— Nous avons remis en question une intuition première, qui consisterait à croire que nous sommes les
mieux placés pour nous connaître. Il faudrait alors reconnaître que nous ne sommes pas maîtres de
nos pensées : certaines nous échappent, ou restent obscures. Peut-on, effet, être certain de connaître
l’intégralité de ses désirs, ainsi que tous les recoins de notre esprit ? La pensée ne se réduit pas à la
conscience, qui ne nous donne qu’un aperçu superficiel et limité de celle-ci. Or, dans quelle mesure
peut-on considérer que l’inconscient occupe la plus grande partie de notre vie psychologique ? Et peut-on
lui accorder le pouvoir d’agir sur nous-même, si par définition il échappe à nos observations ?
— La psychanalyse se fonde donc sur l’existence d’un inconscient, en tant que celui-ci est une structure
propre à tous les esprits (voir le détail du cours). Pour autant, l’on peut se demander si ce n’est pas trop
accorder à l’hypothèse de Freud que d’en faire un principe d’explication systématique des phénomènes
psychiques. L’inconscient, de plus, ne risque-t-il pas de ruiner toute action libre et toute volonté, s’il a
une telle influence sur nous ?
— Toutefois, l’hypothèse de l’inconscient pose plusieurs problèmes : scientifiquement, cette hypothèse est
contestable ; moralement, elle pose un grave problème de responsabilité individuelle. Toutefois, l’incons-
cient doit nécessairement être admis pour que l’on comprenne la dynamique du psychisme humain. Il ne
nous dépossède pas radicalement de notre liberté ou de notre volonté, mais il étend l’horizon de notre
pensée en montrant que la conscience seule ne suffit pas à comprendre la pensée. La compréhension

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de l’inconscient permet en conséquence d’approfondir la connaissance que nous avons de nous-mêmes,
en nous montrant que la partie « immergée » de notre vie psychologique a une influence importante sur
la personne que nous sommes.

Enfin, nous avons travaillé la question du rapport de l’homme avec le temps, dans lequel il existe et à
travers lequel il se représente le sens de son existence :
— L’homme n’est-il pas essentiellement et intimement constitué par le temps ? Auquel cas, est-il
raisonnable de se désoler de vivre dans le temps si c’est là l’essence profonde de l’homme, et peut-être
la condition de toutes les autres caractéristiques de ce qui fait le propre de l’homme : la liberté, l’histoire,
la culture ? Le temps nous apparaît d’abord comme une force qui nous est extérieure et à laquelle nous
sommes soumis. Même si cette force est intangible, elle produit ses effets sur nous et nous destine à
la mort. L’homme entretient l’espoir d’une certaine éternité, soit directement dans une existence post-
mortem, soit indirectement par le souvenir de ses actes ou par la production d’œuvres. Toutefois, ce
désir d’éternité doit être interrogé. N’est-ce pas encore une manière, pour l’homme, de reconnaître sa
soumission au temps ? La seule manière de lui échapper serait en effet de s’en extraire. Qu’est-ce que
l’éternité, en effet, sinon un perpétuel présent où rien ne passe, où il n’y a ni passé ni futur ? Sous cet
aspect, l’éternité se distingue-t-elle fondamentalement du néant ? Si même la quête d’éternité apparaît
comme une résistance illusoire face au temps, il ne fait plus de doute qu’il faut se désoler de vivre dans
le temps.
— Notre réflexion nous a conduit à reconnaître la dimension maîtrisable du temps. Certes le temps
conserve un aspect irréversible. Mais loin de devoir nous désespérer devant un temps qui nous manipu-
lerait comme de vulgaires pions, il faut reconnaître que nous sommes capables de disposer du temps
que nous avons – à condition de ne pas le laisser fuir par négligence –, de le mesurer et de le partager
entre nos diverses activités. Bien plus, nous sommes capables d’habiter le temps, de le faire nôtre. Le
passé n’est plus et l’avenir pas encore, mais cela ne signifie pas pour autant que ces deux dimensions
nous échappent. Au contraire, l’homme semble bien être le seul être qui ait accès à autre chose qu’un
présent permanent et répétitif.
— Assurément, il y aurait lieu de se désoler de vivre dans le temps si celui-ci n’était qu’une puissance
arbitraire se jouant de nous comme des pions. L’immortalité serait sans doute enviable mais il ne nous
est pas possible de nous extraire du temps, sauf peut-être en de très rares occasions, par exemple
lorsqu’un artiste sait que son chef-d’œuvre lui survivra. Telle est notre condition. Mais le temps est aussi
pour l’homme l’occasion d’affirmer sa maîtrise : la fuite du temps n’est peut-être pas tant le fait du temps
lui-même que celui de notre négligence devant sa valeur inestimable. Se désoler de notre condition
d’êtres temporels semble être une attitude dérisoire si nous pouvons affirmer, en partie du moins, notre
maîtrise du temps. Mais la question a-t-elle toujours le même sens si nous constatons que le temps
n’est pas ce dans quoi nous vivons mais ce qui nous constitue de la manière la plus intime ? Ne devons-
nous pas nous féliciter d’être les seuls êtres pour lesquels le temps n’est pas la répétition d’un même
« maintenant » (ce à quoi pourrait bien ressembler, finalement, une éternité très ennuyeuse !) mais est
l’expérience d’une véritable durée dans laquelle s’inscrivent la mémoire du passé et l’attente de l’avenir ?
N’est-ce pas ce qui nous permet de nous dire libres, aussi bien individuellement que collectivement ?

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