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Dans le Discours de la Servitude Volontaire, publié en 1574, Étienne de la Boétie dévie de la

perspective classique d’une domination basée sur des maîtres actifs manipulant leurs esclaves passifs
à travers diverses formes telles qu’une fausse idée du devoir religieux, le divertissement, et en dernier
recours, la force armée. Le maître n’a en fait aucune capacité à instaurer la domination, il n’est pas
rusé et la police est insuffisante pour asservir un peuple. La domination est instaurée par le bas, le
peuple, et non le haut. Il y a donc une contradiction fondamentale entre la nature humaine, qui est
liberté, et la condition humaine, qui est un état de servitude. Le texte est radical, dans le sens où il
prend les choses qu’il traite à leurs racines, ici l’asservissement des catégories populaires par un tyran.
Ce qui dépend de l’homme, c’est l’acceptation ou le refus d’être opprimé, cette thèse rejoint celle des
Stoïciens, quand ils font du bonheur une représentation que l’homme décide de se faire des choses
extérieures : nous pouvons adopter un autre point de vue sur les évènements, et il faut s’y exercer. La
Boétie considère comme une injustice de faire croire au peuple qu’il n’a aucune influence sur la
situation qu’il subit, cela revient à nier aux individus leur pouvoir d’auto-détermination, à les
infantiliser, le déresponsabiliser, le déshumaniser. Aussi longtemps que les individus se poseront en
victimes, ils éloigneront le moment d’affranchissement. La servitude volontaire ne renvoie pas à
l’attachement de la victime à son oppresseur, mais à l’abandon de sa liberté en échange d’un confort
psychologique et le confort intellectuel de pouvoir se positionner en victime de l’oppression. Et d’avoir
un coupable à désigner, ne plus porte le poids de la responsabilité de notre condition car être une
victime, c’est se dispenser d’avoir à mettre en œuvre des solutions pour sortir de sa condition de
victime. Des stratégies sont employées par le pouvoir, comme le divertissement, soit l’ensemble des
moyens par lesquels on procure aux individus un plaisir éphémère qui va détourner leur attention de
leur situation objective. Cela montre que le pouvoir ne s’exerce pas uniquement par la force, car dans
ce cas-là, le pouvoir devient visible et ouvre la voie à la possibilité de l’insurrection. Lorsque La Boétie
parle de « tyrannie », il entend par là une structure sociale pyramidale, formée d'oppression
généralisée des individus supérieurs sur les individus inférieurs. La société est donc entièrement
infestée de « petits tyranneaux » oppressés par leurs supérieurs et oppressant leurs inférieurs.

Les penseurs de la désobéissance civile, s'étant basés sur l'hypothèse de la servitude volontaire, vont
en tirer comme conséquence pratique la nécessité de désobéir au tyran pour précipiter sa chute.

Pour La Boétie, la liberté se confond avec le désir de liberté. Puisque le maître ne tient sa puissance
que du don que les esclaves lui font de leur liberté, puisque le maître est à sa place uniquement parce
que ses sujets l'y ont mis, il suffit à ces derniers de vouloir la liberté pour avoir la liberté. Ce constat
permet d'élaborer une nouvelle méthode de lutte contre l'oppression du tyran : il faut combattre le
mal en cessant d'apporter notre concours au malfaiteur d'une manière directe ou indirecte ». Or nous
avons expliqué plus haut que le soutien au tyran se manifeste par l'obéissance inconditionnelle aux
lois. Par conséquent, le combat contre ce mal doit commencer par le refus de l'obéissance
inconditionnelle aux lois. Désobéir, ça n’est pas agir, mais cesser d’agir. Désobéir c’est cesser d’agir
conformément à la volonté du pouvoir, sans violence, dans agressivité. Le pouvoir devient nul,
démuni, car il nécessite de notre participation active. Cette nouvelle méthode, appelons-là, comme
Thoreau, « désobéissance civile ». Cette stratégie d'action collective découle donc logiquement de
l'idée philosophique de servitude volontaire. C'est au peuple que revient la tâche de se libérer, et non
à des agents extérieurs ou à des professionnels de la révolution qui, sous prétexte de lutte contre
l'oppression, remplaceront les anciens tyrans par de nouveaux. L'histoire abonde d'exemples de
révolutions manquées parce que menées et confisquées par une classe, un parti ou un homme. La
Boétie prône la réappropriation par le peuple de la force. Pas comme violence, mais comme
résolution, comme fermeté de l’âme. La soumission n’est pas un effet malencontreux d’une dérive
autoritaire, mais son essence même.
En somme, La Boétie définit la servitude d’un peuple envers le pouvoir tyrannique comme
nécessairement volontaire, par paresse et passivité, le citoyen confère son destin au tyran et choisit
d’y être maintenu. Le refus de cette passivité, de ce don d’un pouvoir conséquent est le moyen dont
dispose chaque citoyen, puisque chacun est responsable de la même manière de cet asservissement,
pour se défaire de ces entraves qu’il resserre inconsciemment chaque jour, plus que dans la
dénonciation de “bonne conscience” des dérives autoritaires d’un gouvernement.

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