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Y a-t-il de justes inégalités ?

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INTÉRÊT DU SUJET • Si les discriminations raciales nous paraissent injustes, il semble en


revanche que nous acceptions plus facilement les inégalités sociales. De fait, il y a des riches et
des pauvres, des puissants et des faibles. Mais est-ce vraiment juste ?

 
LES CLÉS DU SUJET

Définir les termes du sujet

Y a-t-il

Il s'agit de s'interroger sur la possibilité même de « justes inégalités » : on se demande donc


si la justice est compatible ou non avec certaines inégalités, et si oui avec lesquelles.

Justes

■ Ce qui est juste, c'est en un premier sens ce qui est légal, puisque la justice désigne d'abord
l'institution garante de l'application des lois.

■ Ce qui est juste désigne par ailleurs ce qui est conforme à la norme morale et politique, qui
définit ce qui doit être. Cette norme peut être considérée comme une vertu propre à
l'homme ou comme ce qui est conforme à l'ordre de la nature.

Inégalités

■ L'inégalité désigne l'absence ou la rupture d'égalité. Du latin aequalis (de même niveau),
l'égalité se distingue de l'identité : deux personnes non identiques, c'est-à-dire différentes,
peuvent être reconnues de même niveau d'un certain point de vue.

■ On distingue l'égalité mathématique, dont le principe est « à chacun la même chose », de
l'égalité proportionnelle, ou équité, qui a pour principe « à chacun ce qui lui revient » selon
ses besoins, mérites, etc.
■ Le pluriel nous invite à examiner différents types d'inégalités : les inégalités naturelles (de
talent, de taille etc.) se distinguent des inégalités sociales, inégalités scolaires, inégalités de
droits, par exemple.

Dégager la problématique

Construire un plan

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne
doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] Il s'agit de savoir si la justice est compatible ou non avec certains types
d'inégalités. A priori, on pourrait penser que l'inégalité est nécessairement injuste : les
discriminations heurtent notre aspiration à la justice en ce qu'elles hiérarchisent des
différences naturelles. Pourtant, toutes les inégalités sont-elles injustes ? [Définition des
termes du sujet] La justice désigne ce qui est conforme à la loi juridique, puisque la justice est
l'institution garante de l'application des lois, mais c'est aussi une norme morale et politique. Du
latin aequalis (de même niveau), l'égalité se distingue de l'identité, puisque deux personnes
différentes peuvent être de même niveau selon un certain point de vue. Le pluriel nous invite ici
à envisager divers types d'inégalités : les inégalités naturelles (de talent, de taille etc.) se
distinguent des inégalités sociales, scolaires, ou encore de droits. [Problématique et plan] En
quoi certaines inégalités pourraient-elles être justes ? Faut-il revendiquer l'égalité comme
principe absolu de justice, ou bien déterminer les conditions auxquelles certaines inégalités
peuvent être revendiquées comme justes ?

1. Les inégalités naturelles ne sont ni justes ni injustes

A. Les inégalités naturelles n'existent pas

■ Dans un premier temps, on pourrait penser que toutes les inégalités naturelles sont injustes :
nous naissons avec certaines qualités physiques ou intellectuelles et ces inégalités naturelles
sont le fait du hasard, qui ne saurait être considéré comme un principe de justice.

■ Mais est-il vraiment injuste qu'un homme naisse plus petit qu'un autre ? Cet homme n'est pas
inégal aux autres, mais différent d'eux. De fait, selon Rousseau dans le Discours sur l'origine et
les fondements des inégalités parmi les hommes, ces différences n'empêchent pas les hommes
d'être égaux en tant qu'ils sont tous membres de l'espèce. La question de la justice ou de
l'injustice des inégalités naturelles ne se pose donc pas.

À NOTER

La distinction identité/égalité/différence est un repère du programme. Égal, du latin


aequalis, signifie « de même niveau ». Est différent ce qui se distingue d'une chose, ne lui est
pas identique (du latin idem, « le même »).

B. Toutes les inégalités ont une origine historique

■ S'il existe des inégalités, elles sont donc d'ordre politique. Les inégalités sociales ont une
origine, comme l'indique le titre du discours de Rousseau, c'est-à-dire que, loin de découler de
l'ordre naturel, elles résultent de l'histoire empirique des hommes.

■ Or, ce qui a été ne correspond pas forcément à ce qui devrait être, c'est-à-dire que les
inégalités ne sont pas forcément fondées. En distinguant l' origine et le fondement des
inégalités, Rousseau indique ainsi que ce n'est pas parce que les inégalités sociales existent
qu'elles sont justifiées et doivent persister. À l'état de nature, observe-t-il, nous étions tous
égaux, puisque tous membres de la même espèce, et en même temps différents du point de vue
de nos qualités. C'est bien la société qui crée les inégalités, en inscrivant ces différences
naturelles dans une hiérarchie. Rousseau explique comment, après l'apparition de l'idée de
propriété, les hommes basculent dans un état social où la force n'est plus seulement une qualité
naturelle mais ce qui explique la richesse, et son absence ce qui explique la pauvreté. C'est ainsi
qu'avec la société naissent les premières inégalités.

À NOTER

La distinction origine/fondement est un repère du programme. L'origine désigne le point de


départ chronologique d'une chose, le fondement désigne sa raison d'être, et ce qui la justifie.

[Transition] Dès lors, nous devenons inégaux du point de vue du droit, de la richesse ou du
prestige. Mais ces inégalités construites par les hommes, qui nous inscrivent dans des
hiérarchies obéissent-elles à un quelconque principe de justice ?

2. Les inégalités sociales sont injustes

A. Les inégalités sociales ne découlent pas de notre nature

■ Les inégalités sociales existent : elles sont légales , c'est-à-dire conformes aux lois juridiques,
mais sont-elles pour autant légitimes  ? On pourrait penser que les inégalités découlent de notre
nature qui nous pousserait à vouloir nous distinguer des autres. C'est ainsi que Mandeville, dans
La Fable des abeilles, met l'existence des inégalités sur le compte d'une tendance humaine,
l'orgueil, qui nous pousse à vouloir plus que les autres et à chercher à faire reconnaître notre
supériorité. Le déploiement aveugle de la poursuite de nos intérêts privés concourrait
cependant à la prospérité économique d'une société.

À NOTER

La distinction légal/légitime est un repère du programme. Ce qui est légal est conforme à la
loi juridique, ce qui est légitime est conforme à la morale.

■ Mais sommes-nous seulement motivés par notre intérêt égoïste, incapables, donc, de vouloir
la justice ? C'est précisément cette définition de la nature humaine que rejette Rousseau,
observant qu'à notre inclination naturelle à faire ce qui nous avantage s'oppose une tendance
tout aussi naturelle à éprouver la souffrance des plus fragiles, qu'il appelle la pitié. Si nous
sommes capables de vouloir la justice et la protection du plus faible, c'est parce que nous
sommes tous capables d'éprouver la pitié, ce sentiment naturel qui défie la logique de l'intérêt
personnel.

B. Les inégalités sociales ne sont pas équitables

■ Mais si les inégalités ne sont pas légitimées par notre nature, ne le sont-elles pas par le fait
que notre richesse ou notre prestige social sont liés à notre travail ? C'est ce qu'établit Locke
dans le Second traité du gouvernement civil : le travail « fixe ma propriété », autrement dit
légitime la propriété privée. S'il est juste que je prive les autres d'un champ, c'est que j'ai labouré
et fait fructifier ce champ, ce que tout autre que moi aurait pu faire.

■ Pourtant, ma richesse ou ma pauvreté sont-elles toujours proportionnelles à mon travail ou à


ma paresse ? Si j'hérite de ce champ, est-ce toujours en vertu de ma responsabilité individuelle ?
De fait, si la répartition des richesses ne se fait pas selon le travail personnel mais subsiste à
travers les générations, il est difficile de justifier cette répartition par le principe de
responsabilité individuelle. C'est ce que souligne Rousseau, en insistant sur l'idée selon laquelle
la répartition des richesses doit obéir à un principe de justice, et non reposer sur le hasard des
naissances.

[Transition] Mais quel pourrait être ce principe de justice ? À quelles conditions les inégalités
sociales et économiques pourraient-elles devenir justes ?

3. Les inégalités ne sont justes qu'à certaines conditions

A. Les inégalités doivent être soumises à la volonté générale

■ De fait, les inégalités de richesse existent. Mais toute inégalité n'est ni juste ni injuste en soi :
la question est de savoir selon quelles modalités ces inégalités peuvent devenir justes. Dans Du
contrat social, Rousseau démontre qu'elles peuvent devenir justes à condition de pouvoir être
régulées par la communauté des citoyens. Alors seulement nous pouvons considérer qu'elles
sont affranchies de la logique des intérêts particuliers , qu'elles obéissent à l' intérêt général et
par conséquent qu'elles sont justes.

À NOTER

Dans Du contrat social, Rousseau remarque que si notre volonté particulière « tend par sa
nature aux préférences », la volonté générale qui anime le citoyen « tend vers l'égalité ».

■ Le droit de propriété revient donc à la communauté des citoyens, qui doit pouvoir décider du
mode, de l'extension et de la forme de la propriété : « car l'État à l'égard de ses membres est
maître de tous leurs biens par le contrat social, qui, dans l'État sert de base à tous les droits. »
Dans ce cas seulement, les inégalités sociales, nées de l'idée de la propriété privée, ne sont pas
incompatibles avec la justice : le recours à la loi semble être une procédure équitable en soi
pour décider si une différence individuelle est juste ou non.

B. Les inégalités sociales doivent obéir à un principe de justice

■ Mais comment faire pour freiner notre tendance à la préférence qui creuse sans cesse les
inégalités ? Comment concilier inégalités économiques ou sociales et justice ? Dans sa Théorie
de la justice, John Rawls développe le concept du voile d'ignorance : pour imaginer la société la
plus juste possible, dit-il, chacun doit s'efforcer de penser la société en ignorant quelle position
il occupera dans celle-ci, c'est-à-dire sa classe sociale, son genre, sa couleur de peau, etc. De
cette façon, chacun de nous aura intérêt à réduire les inégalités, puisque nous pourrions
éventuellement appartenir à la classe sociale la plus basse, être handicapé, etc.

L'AUTEUR

John Rawls (1921-2002).

Rawls développe, dans le contexte des luttes pour les droits civiques aux États-Unis, une
œuvre cherchant à concilier le principe des libertés individuelles avec celui d'une solidarité
sociale.

■ Rawls définit alors deux principes de justice : premièrement, chaque personne doit avoir un
droit égal aux libertés les plus étendues compatibles avec les libertés des autres.
Deuxièmement, « les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce
que, à la fois, a) elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives (principe de
différence) et b) elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous,
conformément à la juste égalité des chances ». Autrement dit, si les inégalités de droits ne sont
jamais justes, seules peuvent l'être des inégalités sociales reposant sur une égalité des
chances, qui ne doit pas être un principe mais une réalité.

Conclusion

En définitive, si nous ne sommes pas seulement animés par notre désir d'être supérieurs aux
autres mais aussi réticents à l'égalité absolue de nos conditions, certaines inégalités pourraient
nous apparaître justes. Mais elles ne pourraient l'être qu'à condition de se conformer à l'intérêt
général et de ne pas prendre leur source dans le hasard des naissances, ce qui ne peut être
garanti que par un ensemble de dispositifs sociaux qui établiraient dans les faits une stricte
égalité des chances.

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