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LE BONHEUR

Introduction
Le bonheur paraît être une notion connue de tous:tout le monde en a déjà fait l'expérience,ou
du moins espère être heureux.Pourtant chacun met sous ce nom des réalités très différentes.Il faut
alors se demander s'il est possible de s'accorder sur sa définition et sur les moyens de l'atteindre .
Le travail sur le bonheur implique également une étude sur le désir .En effet ,la réalisation
des désirs est souvent considérée comme l'un des éléments nécessaire au bonheur.Cette idée ne va
pas sans difficultés si le désir est un mouvement qui pousse les individus vers des objets alors que le
bonheur est un état stable et durable de bien-être,désirs et bonheur ne peuvent -ils alors être
contradictoires ?

1°Le bonheur comme tentative de satisfaire tous ses désirs .


A)Le bonheur comme satisfaction des désirs .
On peut d 'abord définir le bonheur ainsi:le bonheur est communément conçu comme un état
durable de bien-être éprouvé par un individu ,souvent compris comme l'état dans lequel tous les
besoins et désirs de l'homme sont satisfaits .
La première difficulté est de savoir si on peut s'accorder sur sa définition .On pense
habituellement que ce qui fait le bonheur est une affaire privée ,subjective .Chacun pourrait ainsi
déterminer ce qu'est le bonheur selon ses préférences et ses goûts.Mais si chacun détermine le
bonheur selon ses préférences ,il devient difficile de savoir si le bonheur lui-même est vraiment
atteint .Autrement dit ,sil n'y a pas de définition du bonheur sur laquelle s'entendre ,on ne peut être
certain de l'avoir atteint ,car le vrai bonheur pourrait être un sentiment plus fort ,plus durable ou
plus intense .Kant dans la métaphysique des mœurs écrit : « le bonheur est un idéal de
l'imagination ».Ce qui veut dire qu'il est propre à chacun à cause de sa provenance empirique et
totalement subjective.L'un le trouve dans le sport ,un autre dans la lecture …

B)Le désir comme obstacle au bonheur .


a)Le caractère illimité du désir .
Le bonheur et le désir sont deux notions qui s'opposent :
-le désir est un mouvement qui porte les hommes à vouloir posséder quelque chose ,ou
atteindre un but ,qui devront leur procurer une satisfaction.C'est un état caractérisé par un sentiment
de manque et privation .
-à l'inverse , le bonheur est un état durable de plénitude ,de bien -être , de satisfaction .
On peut définir le désir comme une force psychique qui pousse l'individu vers un objet
,l'objet du désir .
On distingue par ailleurs le besoin et le désir :
-le besoin est animal (se nourrir , se reproduire ),il dépend du corps seul et trouve alors sa
satisfaction dans un acte ou un objet précis .
-le désir se déploie dans l'imagination et non dans la réalité .Contrairement au besoin
physique ,le désir dépend de notre capacité à se projeter et à se représenter consciemment un objet
désiré malgré son absence .Il est propre à l'homme qui mange par exemple par simple
gourmandise .
Ce qui pose problème dans le désir c'est qu'étant lié à l'imagination , il est illimité .Platon le
montre bien dans le Gorgias .Socrate discutant avec le jeune sophiste Calliclès qui déclare que la
meilleure vie serait de satisfaire tous ses désirs ,réplique en prenant l'image des tonneaux percés .Le
philosophe montre que cela reviendrait à vouloir remplir sans cesse un tonneau percé , car dès qu'un
désir est satisfait , un autre apparaît immédiatement .Cela jette l'homme dans une quête illimitée et
épuisante ,jamais satisfaite et qui mènerait tout droit à la souffrance du manque .Le désir renait sans
cesse après avoir procuré un plaisir éphémère , tandis que la souffrance du manque est quasiment
constante .Ce qui éloigne en réalité du bonheur .
b)Le désir menant à la souffrance
Le mécanisme du désir ne peut nous mener au bonheur:tenter d'être heureux en satisfaisant
tous ses désirs revient ainsi à passer toute sa vie à courir après le bonheur sans jamais l'atteindre .Le
désir est en réalité insatiable , il renait sans cesse .C'est aussi le propos de Schopenhauer dans le
monde comme volonté.Pour lui , le désir fait de notre exitence une souffrance perpétuelle:en effet
,quand on désire une chose qu'on a pas , on souffre de ne pas l'avoir .Mais si on finit par l'obtenir ,
la satisfaction n'est que de courte durée .très vite ,on veut satisfaire un autre désir .Le désir semble
être un mouvement sans fin ,qui conduit l'homme à la souffrance plutôt qu'au bonheur .
c)L'impossibilité d'atteindre le bonheur par la multiplicité des désirs .
Les désirs sont ainsi trop nombreux , variés et multiples pour être tous satisfaits .Il existe un
décalage trop grand entre la multiplication des désirs , notamment dans les sociétés de
consommation , et les moyens auxquels les individus ont accès pour les satisfaire .C'est ce
qu'explique Rousseau dans les discours sur les fondements et l'origine des inégalités parmi les
hommes .A l'origine , l'homme à l'état de nature n'avait que des besoins à satisfaire et il était
heureux .Par contre , la société à créé tellement de désirs ,si souvent inutiles ,qu'il est impossible de
tous les satisfaire .Le bonheur défini comme état durable ne peut donc être atteint par la satisfaction
de tous les désirs par leur caractère illimité.

2°Les sagesses antiques du bonheur


Dans l'antiquité , le bonheur constitue le souverain bien ,c'est-à-dire le but le plus élevé que
tout homme doit poursuivre .On appelle ces philosophies du bonheur des eudémonismes .
A)Le bonheur épicurien .
Pour Epicure , le Souverain Bien consiste en une absence de troubles dans le corps et
l'âme:on y retrouve également l'idée que le bonheur est un état stable .
Epicure identifie quatre grandes craintes qui empêchent les hommes d'être heureux:la crainte
des dieux , la crainte de la souffrance ,de n'être pas heureux ,et la mort .
Pour parvenir au souverain bien , il importe avant tout de faire un travail sur ses désirs , afin
de ne préoccuper que des désirs essentiels ,c'est-à-dire les désirs naturels .Ces derniers peuvent être
satisfaits car ils demandent des objets naturels qui peuvent les combler;alors que les désirs vains
sont artificiels et ne peuvent trouver une véritable satisfaction .
Dans la Lettre à Ménécée , il nous apprend à hiérarchiser les désirs :
-Il y a d'abord les désirs naturels nécessaires qui sont limités et aisés à satisfaire .Si on prend
la soif par exemple , un verre d'eau suffit à la satisfaire , et ce n'est pas en buvant un autre verre que
j''aurai plus de plaisir ,au contraire .
-il y a ensuite les désirs naturels non nécessaires qui peuvent être satisfaits ,mais qui ne
présentent pas de caractère impératif:bonne nourriture ,esthétique , sexualité...
-Enfin , il y a les désirs vains , c'est-à-dire artificiels et non nécessaires comme la richesse et
la célébrité .Ces derniers sont des inventions sociales et mènent à la souffrance et à la
dépendance .Souffrance par qu'on est jamais sûr de les atteindre ,les posséder toujours et
dépendance parce qu'ils ne correspondent pas à un véritable besoin de l'esprit et du corps .Par
exemple le vin , qui donne plus soif qu'une véritable satiété .
Pour atteindre le souverain bien , il faut se contenter des désirs qu'on peut satisfaire pour
atteindre l'ataraxie ,qui signifie l'absence de troubles .Pour Epicure , la paix de l'âme et du corps est
atteinte par la limitation des désirs , pour vivre sans souffrance .
Epicure conçoit alors le quadruple remède :
-il n'y a rien à craindre des dieux , qui vivent dans l'ataraxie , et qui ne préoccupent pas
nous,et qui peuvent nous servir de modèle dans notre quête de plénitude .
– il n' y a pas à craindre la mort car elle prive de toute sensation , elle est semblable à un
long sommeil .Il n' y a pas d'enfer , car lorsque je meure , les particules qui me
constituent se séparent et repartent dans le cycle de la nature .
– Chacun peut atteindre le bonheur à condition de n'être pas dépendant des plaisirs qui les
lui procurent.
– La douleur et la souffrance car elles sont momentanées et toujours suivies par un plaisir .
Le sage est celui qui sait hiérarchiser et limiter ses désirs pour mener une existence
simple .Epicure est un hédoniste mesuré .(l'hédonisme est une conduite qui cherche la satisfaction
des désirs ).

B)Le bonheur stoïcien


Pour les stoiciens , l'enjeu n'est pas seulement de limiter les désirs , mais de ne plus être
esclave des passions pour atteindre le souverain bien .
Selon les stoiciens , le monde est régit par une stricte nécessité:le cours des choses , ce qui
arrive est totalement hors de notre portée .Beaucoup de choses sont des choses qui ne dépendent pas
de nous (cours du monde,la mortalité etc...).Ce qui dépend de nous ,ce sont nos représentations et
nos jugements fa à ce qui arrive .Seule notre réaction face à ce qui nous arrive ,ce que nous
appelons à tort les hasards de la vie (cela dépend juste de notre point de vue )est en notre pouvoir .Il
faut donc apprendre à maitriser nos passions ,et accepter les événements sans en pâtir .
Pour être heureux , il faut que l'homme apprenne à ne désirer que ce qui dépend de lui .Le
seul pouvoir que l'homme a sur sa vie , ce sont ses jugements .Il doit fonder ses jugements sur la
raison qui est une faculté qui nous permet de voir la réalité telle qu 'elle est ,et ne pas se laisser
emporter par son imagination qui lui fait souvent se représenter des mirages et des objets
inaccessibles .On appellera souhaits les représentations vaines de l'imagination , et volonté le
jugement qui nous fait voir ce qui est en notre pouvoir .
C'est par la vertu que l'homme peut atteindre le bonheur .En ce sens ,on peut dire que le
bonheur ne réside pas dans la recherche du plaisir .La vertu permet d'atteindre un état stable
,durable ,réalise l'excellence de l'homme .Au contraire le plaisir est éphémère et n'élève pas
l'homme .
« Souviens toi donc de ceci:si tu crois soumis à ta volonté ce qui est ,par nature ,esclave d'autrui ,tu
crois que dépend de toi ce qui dépend d'un autre ,tu te sentiras entravé ,tu gémiras ,tu auras l'âme
inquiète ,tu t'en prendras aux dieux et aux hommes .Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui
dépend de toi ,aucun malheur ne pourra t'atteindre »dit Epictète dans le Manuel .L'homme libre est
celui qui maitrise ses désirs , il ne doit désirer que ce qui dépend de lui.
Le stoicisme préconise donc d'atteindre le bonheur par la tempérance plutôt que par le plaisir ,en
rendant son bonheur indépendant du monde extérieur .Il faut se construire une citadelle intérieure
comme le dit Marc-Aurèle dans ses pensées pour moi-même.
Le bonheur devient ce qui visé à travers toutes les actions d'une personne .Il n'est pas
seulement un état stable ,mais une activité .C'est en agissant conformément à la vertu que l'homme
réalise sa nature et trouve le bonheur .En outre ,vivre une vie selon l'excellence qui est propre à
l'être humain est une source de plaisir .On retrouve cette influence chez Montaigne et Descartes .

3°)Le désir comme force de l'homme et affirmation de la joie menant au bonheur .


A)Le désir comme force de l'homme .
Au lieu de considérer le désir comme un élément empêchant le bonheur ,on pourrait tenter
de le considérer comme une puissance.En effet ,le désir peut être défini comme ce qui anime
l'homme ce qui le pousse hors de lui.C'est ainsi que Spinoza dans l'éthique de penser le
désir:comme ce qui pousse l'homme à continuer d'exister. « le désir est l'essence de l'homme en tant
qu'effort pour persévérer dans son être ».Le désir est une poussée intérieure qui nous permet de
nous déployer à l'extérieur de nous-même.Vivre c'est faire effort pour développer notre être propre .
Quand nous parvenons à développer notre être ,nous ressentons de la joie ,au contraire
quand nous subissons la force d'un autre être et qu'il prend le dessus sur nous , nous ressentons de la
tristesse .Nous le développons en déployant de nouvelles capacités d'agir .Ainsi , le petit enfant fait
effort pour apprendre à marcher , ce qui lui procure de la joie ,mais aussi il va pouvoir en étant
debout faire de nouvelles activités qui vont à leur tour lui offrir de nouvelles possibilités d'agir et de
ressentir de la joie .
C'est le désir qui nous fait poursuivre les objets dont nous avons besoin pour déployer notre
être : « nous ne nous efforçons à rien ,ne voulons ,n'appétons ni ne désirons aucune chose parce que
nous la jugeons bonne;mais au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous la
désirons ».Spinoza nous fait comprendre que les objet n'ont pas de valeur en eux -même ,mais que
c'est notre désir qui fait que nous leur trouvons de la valeur .Par exemple le crapaud désire manger
la mouche selon sa nature ,il la trouve bonne parce qu'elle lui permet d'affirmer sa puissance de
vie .Par contre pour un humain ,la mouche n'a pas de valeur .Spinoza montre ici la nécessaire
subjectivité de nos désirs .
Et comme le désir passe par le corps , nous avons nécessairement des passions:les passions
joyeuses nous donnent envie de nous affirmer , de déployer notre puissance de vie , alors que les
passions tristes nous limitent et nous font nous replier sur nous-même.Ainsi , l'ivrogne qui ne fait
que boire ressent le plaisir superficiel du vin , mais il ne fait plus que cela et passe à côté de
beaucoup d'autres plaisirs .Le sage ne boude pas les plaisirs , mais poursuit les plaisirs qui lui
permettent de développer sa nature .Le sage aime ainsi les plaisirs variés qui lui permettent de
développer son corps et son esprit .

B)La joie comme affirmation du bonheur .


Si le désir est une force constitutive de l'homme ,celle-ci doit pouvoir être intégrée
pleinement à sa poursuite du bonheur .
En un sens ,c'est l'idée que développe Bergson dans l'énergie créatrice lorsqu'il parle de la
joie .Pour lui la joie n'est pas seulement synonyme de plaisir:c'est l'affirmation de la puissance
créative de la vie ,que chaque individu peut expérimenter lorsqu'il réalise quelque chose .
Pour expliquer ce qu'est la joie , il la distingue du plaisir :
-le plaisir est une satisfaction qui se rapporte à un instant déterminé:c'est un état superficiel
et léger ,qui prend rapidement fin et signifie simplement que l'individu continue de vivre .
La joie est une satisfaction qui s'inscrit dans la durée .Eprouver de la joie ,c'est un état dense
,durable ,car c'est aussi éprouver tout ce passé qui a finalement conduit le sujet à cet état . « La joie
annonce toujours que la vie a réussi qu 'elle a gagné du terrain ,qu'elle a remporté une victoire:toute
grande joie a un accent triomphal .L'énergie spirituelle.
La joie est le signe que l'individu est parvenu à se dépasser lui-même.Elle est la preuve de la
capacité de l'individu à opérer une création de soi par soi ,c'est-à-dire augmenter son être .

Conclusion .
L'affirmation de la puissance du désir ne conduit pas nécessairement à la souffrance et au
malheur .Dans la joie , le désir est créateur et sa force participe à un processus d'affirmation et de
construction de soi-même.Il permet à l'homme de se dépasser et l'aide à accéder au bonheur .

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