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EpiMETHEE
Essais Philosophiques

EDMUND HUSSERL

LOGIQUE FORMELLE ET

LOGIQUE TRANSCENDANTALE
Traduction de Suzanne BACHELARD

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


NUNC COGNOSCO EX PARTE

TRENT UNIVERSITY
LIBRARY
LOGIQUE FORMELLE
ET LOGIQUE TRANSCENDANTALE
DU MÊME AUTEUR

La logique de Husserl. Étude sur Logique formelle et logique transcendantale.


Presses Universitaires de France, 1957.
Épi (VI ÉTh ÉE
Essais philosophiques
Collection dirigée par Jean Hyppolite

EDMUND HUSSERL

LOGIQUE FORMELLE
ET LOGIQUE TRANSCENDANTALE
Essai d'une critique de la raison logique

Traduit de l’allemand par


Suzanne BACHELARD
Professeur à la Sorbonne

DEUXIÈME ÉDITION

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, Boulevard Saint-Germain, PARIS vie

1965
DÉPÔT LÉGAL
lre édition.2e trimestre 1957
2e — . 1er — 1965
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays

© 1957, Presses Universitaires de France

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nés-
AVERTISSEMENT

Le texte allemand original : Formale und Transzendentale Logik.


Versuch einer Kritik der logischen Vernunft, a été publié en 1929
dans le Jahrbuch für Philosophie und phixnomenologische Forschung édité
par E. Husserl, t. X, pp. 1-298 et a donné lieu à un tirage à part
(Max Niemeyer, Halle, 1929).
Les notes (a), (b), ... au bas des pages sont de Husserl ; les
notes (1), (2)... sont du traducteur. La pagination allemande a été
marquée dans les marges. Le traducteur a consacré une étude à
Logique formelle et logique transcendantale dans un ouvrage publié aux
Presses Universitaires de France dans la collection « Ëpiméthée »
sous le titre : La logique de Husserl.

(j '■ A Os
Digitized by the Internet Archive
in 2019 with funding from
Kahle/Austin Foundation

https://archive.org/details/logiqueformelleeOOOOhuss
INTRODUCTION

Ce que nous appelons aujourd’hui science, au sens fort que nous


donnons à ce mot, n’est pas la science dans son plus ancien sens
d’effectuation naïve et « immédiate » de la raison théorique. Ce n’est
plus qu’en un sens lâche que nous nommons sciences les philoso¬
phies de l’époque préplatonicienne, de même les formations cultu¬
relles analogues d’autres peuples et d’autres temps. C’est seulement
comme premières formes et premiers degrés de la science que nous
les déclarons valables. La science, prise en un sens nouveau, naît de la
fondation platonicienne de la logique, de la logique conçue comme lieu
de la recherche des exigences essentielles du « vrai » savoir et de la
« vraie » science et donc comme lieu de la mise en évidence de normes
conformément auxquelles peut être édifiée une science ayant pour but
conscient une légitimité normative universelle, une science justifiant
consciemment sa méthode et sa théorie. Quant à l’intention, cette
justification est entièrement une justification s’appuyant sur des
principes purs. La science au sens platonicien ne veut donc plus
être simplement une manifestation naïve issue d’un intérêt théorique
pur. Elle revendique aussi d’une manière principielle la justification,
dans son authenticité, dans sa validité nécessaire, de toute démarche
qu’elle effectue. Le sens originel de la science consiste donc alors en
ce que l’évidence (i) principielle logique, puisée à l’idée pure de la
connaissance possible en général, a 1 idee pure de la méthode possible

(i) Einsicht.
4 LOGIQUE FORMELLE

en général, précède la méthode qui est effectivement pratiquée,


précède la science qui a effectivement telle configuration et les guide
du point de vue pratique ; le sens originel de la science ne consiste
pas en ce que le fait de l’existence d’une méthode et d’une science
qui se sont développées dans la naïveté d’une manière quelconque
puisse s’ériger en norme pour donner une forme légitime à l’action
scientifique.
La logique de Platon naquit de la réaction contre la contestation
universelle de la science venant du doute sceptique des sophistes.
[2] Le doute sceptique contestait-il la possibilité de principe de la
philosophie, de la science en général, alors Platon devait précisément
examiner leur possibilité de principe et les fonder dans une perspective
critique. La science en général était-elle mise en question, alors
naturellement le fait de l’existence de quelque science que ce soit ne
pouvait être pris comme présupposé. C’est ainsi que Platon fut
conduit sur le chemin de l’idée pure. Sa dialectique qui n’était pas
puisée dans les sciences existant en fait mais qui était une dialectique
purement idéale, formant des normes pures, disons dans notre lan¬
gage, sa logique ou doctrine de la science, avait la mission de rendre
possible dès lors la science existante et de la guider du point de vue
pratique. Et c’est précisément dans l’accomplissement de cette
mission que la dialectique platonicienne servit vraiment à créer des
sciences par excellence qui étaient consciemment soutenues par
1 idée de science logique et qui cherchaient à réaliser cette idée autant
qu il est possible : telles étaient les mathématiques rigoureuses et la
science rigoureuse de la nature qui continuèrent à se développer en
des niveaux supérieurs pour former nos sciences des temps modernes.
Cependant le rapport originel entre logique et science s’est
inversé d une manière remarquable dans les temps modernes. Les
sciences prirent leur indépendance, elles élaborèrent, sans pouvoir
satisfaire pleinement à l’esprit de l’autojustification critique, des
méthodes hautement différenciées dont la fécondité était certes sûre
INTRODUCTION 5

du point de vue pratique mais dont l’action (i) n’était pas finalement
comprise avec évidence. Elles élaborèrent ces méthodes, non pas
certes dans la naïveté de l’homme au niveau de la vie quotidienne,
mais cependant dans une naïveté de niveau supérieur, naïveté qui renon¬
çait à justifier la méthode par des principes purs, en recourant à
l’idée pure et en se réglant sur les possibilités et nécessités aprioriques
dernières. En d’autres termes, la logique qui était originellement le
porte-flambeau de la méthode et qui élevait la prétention d’être la
doctrine pure des principes de la connaissance et de la science pos¬
sibles, perdit de vue cette mission historique et resta bien loin en
arrière dans son évolution. La réorganisation grandiose des sciences
de la nature au xvne siècle était encore déterminée par des réflexions
logiques sur l’essence et sur les exigences de la connaissance authen¬
tique de la nature, sur ses buts et sur ses méthodes principiels. Ces
réflexions se plaçaient elles-mêmes dans la suite des efforts, si carac¬
téristiques de cette époque, tendant à fonder une nouvelle logique,
la vraie logique. Ici a sa place non seulement Galilée, mais également,
comme il faut le souligner, Descartes. Déjà significatif est le titre
Discours sur la méthode (2) ; et la « philosophie première » de ses Médi¬
tations n’est elle-même qu’une expression pour désigner une théorie
de la science tout à fait radicale et de plus universelle. Si donc la
logique précède encore les sciences dans ces débuts des temps
[3] modernes, ce rapport essentiel change à l’époque suivante, préci¬
sément à l’époque où les sciences en se rendant indépendantes
deviennent des sciences spécialisées qui ne se soucient plus d’une
logique et même qui la mettent de côté presque avec mépris. Mais la
logique elle-même, dans ces tout derniers temps, dévie absolument
de son sens propre et de sa tâche inaliénable. Au lieu de suivre les
normes pures essentielles de la science selon toutes leurs organi-

(1) Leistung.
(2) En français dans le texte allemand.
6 LOGIQUE FORMELLE

sations essentielles, pour pouvoir ainsi diriger d’une manière princi-


pielle les sciences et pour pouvoir leur rendre possible dans toutes
leurs démarches l’authenticité de l’organisation des méthodes et
l’authenticité des tâches de justification, la logique se complaît au
contraire à se laisser diriger dans son idéal scientifique et dans la
position de ses problèmes par les sciences existantes, en particulier
par les sciences de la nature qu’on admire tant.
Peut-être s’annonce-t-il là un caractère tragique de la culture
scientifique moderne plus profond et plus lourd de conséquences que
celui qu’on a l’habitude ordinairement de déplorer dans les cercles
scientifiques : si grande, dit-on, est devenue la suite des sciences
spécialisées que personne ne peut plus être en état de profiter pleine¬
ment de tout ce royaume, de jouir, en les dominant du regard, de
tous ces trésors de connaissances. Le défaut de notre situation scien¬
tifique paraît être un défaut bien plus essentiel, plus radical au sens
littéral du mot. Ce défaut touche non pas l’unification et l’ajus¬
tage des sciences dans leur ensemble, mais le principe de P enraci¬
nement des sciences et l’unification de ces sciences à partir de ces
racines. C’est un défaut qui subsisterait même si une mnémotech¬
nique inouïe et une pédagogie dirigée par cette mnémotechnique
nous rendaient possible un savoir encyclopédique de tout ce qui a
été établi avec une objectivité théorique dans l’ensemble des sciences.
La science, dans sa forme de science spécialisée, est devenue une sorte
de technique théorique qui, comme la technique au sens habituel
du terme, repose beaucoup plus sur une « expérience pratique » se
développant dans l’exercice pratique lui-même d’une activité répétée
et variée (ce qu’on appelle aussi dans la praxis : « intuition », tact
pratique, coup d’œil) que sur 1’ « intelligence » de la ratio de l’effec-
tuation accomplie.
Par là, la science moderne a abandonne l’idéal de science authen¬
tique qui agissait d’une manière vivante dans les sciences depuis
Platon et, dans la perspective pratique, elle a abandonné le radi-
INTRODUCTION

calisme de la responsabilité de soi scientifique. La force d’impulsion


interne n’est donc plus constituée par ce radicalisme qui, en soi,
pose constamment l’exigence de n’admettre aucun savoir pour lequel
il n’est pas possible de rendre des comptes en vertu de principes
originellement premiers et de plus parfaitement évidents, principes
tels que rechercher quoi que ce soit derrière eux n’ait plus de sens.
La science qui se réalisait d’une manière actuelle pouvait être à cet
égard très imparfaite. Mais l’essentiel était que cette exigence radicale
dirigeât un effort pratique de perfection correspondant et que par
conséquent la logique restât chargée de l’importante fonction de
rechercher, dans une généralité essentielle, les chemins possibles qui
conduisent aux principes derniers et ainsi, par le déploiement de
l’essence de la science authentique en général (donc de sa possibilité
pure), de donner à la science réelle normes et directives. Rien n’était
donc plus éloigné de cette exigence que d’avoir en vue une sorte
d’effectuation purement technique dont la naïveté est en plein
contraste avec l’effectuation d’une autoimposition radicale de normes
issue de principes.
Mais ce caractère principiel qu’ont reconnu à partir de Platon
tous les grands penseurs du passé doit toute sa force, sa plénitude
d’évidence omnilatérale à l’universalité qui lie indissolublement
toutes les sciences en tant que rameaux d’une sapientia universalis
(Descartes). Les sciences spéciales devenues indépendantes ont le
défaut de ne pas comprendre le caractère unilatéral principiel de
leurs effectuations ; elles ne comprennent pas qu’elles saisissent théo¬
riquement le plein sens d’être de leur domaine respectif unique¬
ment quand elles déposent les œillères de la méthode qui étaient
inévitables du fait de l’orientation exclusive vers leur domaine
particulier ; en d’autres termes uniquement quand elles tournent
leurs recherches vers l’universalité et l’unité principielle de l’être.
La logique elle-même, comme nous l’avons dit, est complice de cette
situation, attendu que, comme nous pouvons aussi l’indiquer en
8 LOGIQUE FORMELLE

complément, elle est devenue elle-même bien plutôt une science


spéciale au lieu de garder fermement en vue sa mission historique
et de s’établir comme doctrine pure et universelle de la science. Son
sens téléologique propre exigeait que, d’une manière réflexive, elle
fît aussi de ce sens téléologique le thème d’examens radicaux et
qu’elle se rendît maîtresse des couches fondamentalement distinctes
de la problématique épistémologique, couches au moyen desquelles
s’ébauchait la hiérarchie des disciplines logiques dans laquelle seule
l’idée d’une doctrine de la science et de la science elle-même pouvait
se réaliser. Mais la logique n’a pas satisfait à ce sens qui lui est
essentiellement propre.
La situation présente des sciences européennes engage à des
prises de conscience radicales. Les sciences, au fond, ont perdu la
grande foi en elles-mêmes, en leur signification absolue. L’homme
moderne d aujourd hui ne voit pas, comme l’homme « moderne »
de l’époque des lumières, dans la science et dans la culture nouvelle
façonnée par la science, l’auto-objectivation de la raison humaine ou
la fonction universelle que l’humanité s’est créée pour se rendre
[5] possible une vie où elle trouve une véritable satisfaction, une vie
aussi bien individuelle que sociale qui prend sa source dans la raison
pratique. Cette grande croyance, qui fut un substitut des croyances
religieuses, la croyance que la science mène à la sagesse — à une
connaissance de soi, à une connaissance du monde et à une connais¬
sance de Dieu vraiment rationnelles et, par là, à une vie dans le
« bonheur », le contentement et le bien-être, etc., vie qui, bien qu’elle
soit toujours à façonner d’une manière plus parfaite, est vraiment
digne d etre vécue — a perdu sa force, en tout cas dans de larges
cercles. On vit ainsi dans un monde devenu incompréhensible, un
monde dans lequel on se pose en vain la question « à quoi bon », un
monde dont on recherche en vain le sens qui était autrefois si indu¬
bitable car il était reconnu par l’entendement comme par la volonté.
Nous avons beau adopter maintenant une attitude critique et
INTRODUCTION 9

sceptique à l’égard de la culture scientifique telle qu’elle a évolué


historiquement, nous ne pouvons abandonner cette culture purement
et simplement pour la seule raison que nous ne pouvons pas en avoir
une compréhension dernière et que nous ne pouvons la diriger par
une telle compréhension; en d’autres termes nous ne pouvons l’aban¬
donner pour la raison que nous sommes incapables d’expliciter (i)
rationnellement son sens, de déterminer la vraie portée de ce sens,
portée à l’intérieur de laquelle nous pouvons, en toute responsabilité,
justifier le sens lui-même et le réaliser dans un travail progressif.
Si nous ne sommes pas satisfaits par la joie de créer une technique
théorique, de trouver des théories avec lesquelles on peut faire tant
de choses utiles et avec lesquelles on peut gagner l’admiration du
monde — si nous ne pouvons séparer le règne authentique de l’hu¬
main et la vie vécue dans la responsabilité de soi radicale, et par
conséquent aussi si nous ne pouvons séparer la responsabilité de soi
scientifique de la totalité des responsabilités de la vie humaine en
général — alors nous devons dominer cette vie totale et cet ensemble
de traditions culturelles et par des prises de conscience radicales
rechercher pour nous, en tant qu’êtres isolés et en tant qu’êtres
faisant partie d’une communauté, les possibilités et nécessités der¬
nières à partir desquelles nous pouvons prendre position à l’égard
des réalités en jugeant, en évaluant, en agissant. Assurément nous
atteignons ainsi, comme éléments ultimes dont nous avons à répondre,
uniquement des généralités, des « principes » au lieu que la vie consiste
dans les décisions de 1’ « instant » qui n’a jamais le temps pour des
activités de fondation s’effectuant dans la rationalité scientifique.
Mais quand la science a pris des décisions issues d’une responsabilité
principielle, ces décisions peuvent bien alors graver dans la vie des
habitudes normatives qui dirigent le vouloir en tant qu’elles dessinent
des formes à l’intérieur desquelles les décisions individuelles doivent

(i) Auslegen.
LOGIQUE FORMELLE

dans tous les cas se maintenir et peuvent se maintenir, pour autant


qu’elles sont réellement assumées. Pour une praxis rationnelle la
théorie a priori ne peut être qu’une forme délimitante, elle ne peut
que poser des barrières dont le franchissement signifie le contre-sens
ou la confusion. Quels sont les problèmes qui s’offrent alors par la
suite pour l’éducation de soi-même et pour l’éducation de l’huma¬
nité, c’est une autre affaire et c’est au reste, considérée dans sa géné¬
ralité même, l’affaire d’une science universelle prenant en considé¬
ration toutes les possibilités et toutes les vérités. Mais nous n’avons
pas ici à continuer à disserter sur ce point, nous devons seulement, à
partir de notre situation scientifique et culturelle présente, nous
rendre claire la nécessité d’une prise de conscience radicale et uni¬
verselle. Ces prises de conscience concernant le sens possible et la
méthode possible de la science authentique en général sont bien
entendu dirigées en premier lieu sur ce qui est par essence commun à
toutes les sciences possibles. En second lieu, il y aurait à poursuivre
des prises de conscience correspondantes pour les groupes parti¬
culiers de sciences et pour les sciences prises une à une.
Les problèmes épistémologiques constituent un thème principal
de la philosophie de notre époque et ainsi il vient aussitôt à la pensée
de conduire les prises de conscience sous la forme d’une critique des
tentatives philosophiques contemporaines. Mais ce serait là, dans la
situation confuse de notre philosophie, une entreprise complètement
désespérée : la littérature philosophique s’est, en effet, accrue d’une
maniéré demesuree tout en manquant d’une unité de méthode au
point qu’il y a presque autant de philosophies que de philosophes.
Une prise de conscience universelle, une fois que la situation scienti¬
fique est devenue en fait analogue à celle que Descartes trouva dans
sa jeunesse, peut tenter de suivre le chemin audacieux des Méditations
métaphysiques. Dans un radicalisme qu’on ne peut plus surpasser et
qui est, précisément pour cette raison, typique de la philosophie,
1 idée de science authentique issue d’une activité fondatrice absolue
INTRODUCTION 11

— l’ancienne idée platonicienne — se trouve sérieusement renou¬


velée et doit faire face aux questions concernant la base première
en soi que présuppose déjà toute connaissance et donc aussi la
connaissance des sciences positives. La première tentative d’une telle
fondation de la science, la plus radicale qui soit — c’est-à-dire la
tentative de Descartes lui-même — échoua. La volonté arrêtée de
n’accorder validité à aucune science si ce n’est par une justification
absolue ne suffit pas encore à la réalisation de ce programme ; une
conscience absolument parfaite et donc en particulier une conscience
intellectuelle absolument parfaite est une idée infinie. Mais même
une conscience qui serait la meilleure possible et une méthode
rationnelle d’approximation pratique de cette idée est un thème de
méditations plus importantes et plus épineuses que Descartes ne
l’avait pensé. Des préjugés inaperçus dirigent ses Méditations de
sorte que celles-ci, considérées dans leur tout, manquaient de force
de conviction déjà pour les contemporains. Quel que fût 1 effet
puissant qu’exerça sur toute la philosophie des temps modernes son
retour à Y ego cogito, le style de ces Méditations qui consistait à entre-
[7] prendre à partir d’une subjectivité connaissante absolue une fondation
absolue des sciences dans leur totalité une, ou, ce qui est pour lui
la même chose, une fondation absolue de la philosophie, ce style
n’a _ jusqu’à l’apparition de la phénoménologie transcendan¬
tale (a) — jamais été assumé à nouveau.
Il y a encore <T autres chemins possibles pour des prises de conscience
dirigées vers le radicalisme et le présent ouvrage, au moins dans ses
passages principaux, tente de frayer un de ces chemins qui est suggéré
précisément par le fait que, dans le passé, on a référé l’idée de science
authentique à la logique conçue comme sa norme.
La logique qui prend son origine dans la lutte menée par la dia-

(a) Cf mes Idem..., ainsi que mon nouvel ouvrage (paraissant cet automne) :
Cartesianische Meditationen, eine EinUÜung in die transzendeniale Phànomenohgte
(Halle a. S., M. Niemeyer).
12 LOGIQUE FORMELLE

lectique platonicienne cristallise en elle, déjà avec l’analytique aristo¬


télicienne, une théorie systématique solidement constituée qui défie
les siècles presque comme la géométrie d’Euclide. Il n’est pas besoin
ici de rappeler le jugement bien connu de Kant qui va trop loin dans
1 estimation du caractère achevé de cette logique, mais tout regard
sur 1 ensemble de la littérature philosophique et même sur la confusion
des tentatives logiques modernes montre que la « logique formelle »
a une force invincible. Même à travers des exposés qui s’écartent
tant les uns des autres, voire à travers des caricatures déformantes,
la logique formelle fait son chemin en gardant un noyau dont
la teneur reste essentiellement identique comme un fonds stable
qui ne peut se perdre. Si peu mis en relief que fût le sens spéci¬
fique de son caractère formel, cette logique formelle était quant à
son sens la première tentative, rencontrée dans l’histoire, d’une
doctrine générale de la science, d’une théorie rapportée aux condi¬
tions d’essence de la science possible en général. Assurément elle se
maintient dans une orientation unilatérale qui est naturelle et même
qui prend racine dans des principes essentiels tandis qu’un a priori
epistemologique relevant d’une autre orientation était bien toujours
mentionne, mais, dans ses profondeurs cachées à la pensée naturelle
restait pendant des siècles inaccessible à un travail systématique et
théorique et ne se présente pas même à l’horizon.
Mais tenons-nous en à ce qui se présente dans notre expérience
comme une forme spirituelle établie, précisément grâce à ce caractère
unilatéral qui a une motivation naturelle; tenons-nous en donc au
^ des théories qui dans les différentes formes d’appropriation et
es d.foents modes d’interprétation qui peuvent se présenter res e
cependant toujours visible et stable : alors nous pouvons tenter
d expliciter graduellement le sens épistémologique de ce noyau en
[8]
d ngeant constamment notre regard vers les ébauches des sciences
positives anciennes et nouvelles, auxquelles ce sens était rapporté
les temps anciens et est encore rapporté dans les temps modernes
INTRODUCTION 13

Nous présupposons donc les sciences, de même que la logique elle-


même, en nous appuyant sur 1’ « expérience » qui livre ces sciences.
Dans cette mesure notre façon de procéder ne paraît être nullement
radicale; en effet, ce qui est précisément en question c’est le sens
authentique des sciences en général, ou, ce qui revient au même, la
possibilité d’essence de leur être en tant qu’elles sont des sciences
authentiques et non pas seulement des sciences présumées. Et il en
est de même pour la logique elle-même qui doit être la science de la
science en général et qui dans ses théories doit mettre en évidence
précisément cette possibilité d’essence ou qui doit être censée
l’avoir mise en évidence dans les cas où elle s’est déjà réalisée.
Cependant, authentiquement ou non, nous avons l’expérience des
sciences et de la logique en tant que formes culturelles qui nous sont
déjà données, qui portent en elles leur intention, leur « sens », car
elles sont en effet les formations pratiques des hommes de science
et des générations d’hommes de science qui les édifient. En tant
que telles les sciences ont un sens téléologique vers lequel elles
tendent dans tous leurs efforts. Se trouvant ou entrant en communion
par intropathie avec les hommes de science nous pouvons com¬
prendre à leur suite et nous pouvons nous-mêmes « prendre cons¬
cience » (1).
Prendre conscience ne signifie pas autre chose que tenter d’éta¬
blir réellement le sens « lui-même » qui dans la simple opinion
n’est qu’envisagé, présupposé ; on peut dire encore que prendre
conscience ne signifie pas autre chose que tenter d’amener le « sens
appelant le remplissement » (2) (comme on l’appelait dans les Logische
Untersuchmgen (a)), le sens « vaguement présent à l’esprit » dans la
visée (3) qui manque de clarté à l’état de sens rempli, de sens clair,

(1) Besinnen.
(2) Intendierenden Sinn.
(3) A bzielen.
(a) Log. Unters., 2e éd., t. II, ire partie, p. 50 sq.
14 LOGIQUE FORMELLE

donc de lui procurer l’évidence de la claire possibilité. C’est précisé¬


ment cette possibilité qui est authenticité du sens, donc but de la
recherche et de la découverte opérées par la prise de conscience. La
prise de conscience est, pouvons-nous dire également, explicitation
originelle du sens comprise radicalement, explicitation qui amène et
d’abord tend à amener le sens qui se trouve sous le mode de
l’opinion qui manque de clarté à l’état de sens qui se trouve sous
le mode de la plénitude de clarté ou de la possibilité d’essence.
En conséquence nous pouvons nous laisser conduire au moyen
de 1 intropathie par l’expérience des sciences aux fins d’une prise de
conscience radicale en prenant ces sciences comme formations for¬
mées par une effectuation de conscience et traversées par la visée
unitaire d une « opinion ». De même nous pouvons nous laisser
conduire par l’expérience tout à fait semblable de la logique tradi¬
tionnelle dans sa relation avec les sciences livrées par l’expérience.
Notre dessein à ce propos concerne en premier lieu le sens authentique
d’une logique comprise comme théorie de la science, dont la tâche même
[9] devrait être de clarifier le sens authentique de la science en général
et de 1 expliciter théoriquement en toute clarté. Ce que nous trouvons
de prime abord sous notre regard dans l’expérience, c’est ce « noyau »
de la logique formelle, et si nous tournons notre regard corrélative¬
ment vers les sciences qui nous sont déjà données, ce que nous
trouvons de prime abord, c’est ce que la logique - d’une manière
presumee saisit en elles comme possibilité d’essence et comme
norme. A partir de là, la prise de conscience va de l’avant en se
confiant tout d’abord à un point de vue unilatéral (conditionné par
cette reference aux sciences et par cette direction du regard) qui
détermine le sens spécifique de la logique traditionnelle comme
essentiellement « objective ».

oui seAÏ t c°nscien“ radicale “* ® en tnéme temps critique


qui sert a la clarification originelle. Cette clarification a ici le caractère
d une nouvelle configuration donnée au sens et non pas celui d
. un
INTRODUCTION U

simple remplissage (i) d’une préfiguration déjà déterminée et orga¬


nisée à l’avance. Une telle préfiguration du sens complètement déter¬
minée n’est en effet possible, partout et conformément à l’essence,
que comme conséquence secondaire d’une clarté déjà acquise. L’évi¬
dence vivante d’une telle clarté s’est-elle dissipée, alors son action
persiste sous forme d’habitude, avec la possibilité d’une restitution
qui est tout d’abord vide et qui ensuite enferme dans la forme vide
la préfiguration déterminée du sens. Cette préfiguration déterminée
entraîne alors avec elle la certitude d’une restitution claire possible
comme répétition de l’évidence. Si ce cas n’est pas en question — et
il ne l’est pas pour nous ici — alors prendre originellement cons¬
cience signifie tout à la fois déterminer plus précisément la préfigu¬
ration simplement vague et indéterminée, détacher les préjugés pro¬
venant de superpositions par glissements associatifs (2), biffer les
préjugés qui sont en opposition avec le remplissement (3) effectué
par la prise de conscience ; la prise de conscience originelle signifie
donc en un mot : critique de l’authenticité et de l’inauthenticité.
Ceci permet de dégager les caractéristiques les plus générales
de l’établissement des buts que nous avons tenté dans cet ouvrage
ainsi que de la méthode que nous avons suivie. Il s’agit d’une expli¬
citation intentionnelle du sens spécifique de la logique formelle. Elle part des
formations (4) théoriques que l’on rencontre quand on prend une vue
d’ensemble de l’histoire, elle part donc de ce qui constitue la teneur
objective traditionnelle de ces formations et les replace à nouveau
dans Y intention vivante des logiciens de laquelle elles sont nées en tant
qu’elles sont des sens. Et, ce qui est inséparable de cette démarche,
cette explicitation revient à l’intentionnalité des hommes de science
auxquels est dû le fonds d’éléments constitutifs objectifs de la théorie

(1) Ausfüllung.
(2) Assoziativen Ueberschiebungen.
(3) Erfüllung.
(4) Gebilde.
16 LOGIQUE FORMELLE

scientifique concrète — car le logicien s’oriente en effet d’après les


sciences existantes. On questionne alors cette intentionnalité rede¬
venant vivante dans toute re-compréhension effective pour savoir
où elle veut en venir véritablement. En tant que clarification cri¬
tique l’explicitation effectuée par la prise de conscience doit donner
la réponse.
Dans le développement systématique de notre livre nous débu¬
terons d’une manière tout à fait primitive et non pas en prenant ini-
[io] tialement en considération la logique existante ; nous rattacherons
bien plutôt les premières distinctions générales aux significations du
mot Logos et à la question suivante : jusqu’à quel point des thèmes
théoriques peuvent-ils ainsi être désignés ? Par de telles « considéra¬
tions préliminaires » nous obtenons une pré-compréhension de ce
vers quoi la logique traditionnelle dirige son intérêt thématique;
nous obtenons ainsi une direction d’examen pour nos analyses ulté¬
rieures du sens.
Ces analyses conduisent d’abord dans la première section à une
stratification ternaire de F appareil conceptuel fondamental de la logique
formelle et en même temps à la stratification des disciplines logiques;
cette stratification, qui n’avait pas encore été complètement discernée
dans mes Logische Untersuchungen, est de la plus grande importance
pour la compréhension réelle du sens authentique de la logique en
tant que science particulière mais aussi pour toute la philosophie.
Les recherches de fondement en tant que revenant nécessairement
à l’intentionnalité noétique — car les formations logiques prennent
en effet leur source dans 1 activité catégoriale — sont dirigées vers la
subjectivité. Ces recherches doivent-elles être appelées psycholo¬
giques, de quelle façon doivent-elles être caractérisées, cela est ici
hors de question du fait qu’elles ont tout d’abord une signification
de simple utilité.
Mais en liaison avec la stratification ternaire que nous venons
d indiquer se présentent d autres grands problèmes. Ils concernent
INTRODUCTION N

une clarification radicale du rapport entre la logique formelle et la mathé¬


matique formelle ainsi qu’une justification plus profonde (déjà effec¬
tuée à un premier niveau dans mes Togische Untersuchungen) de l’unité
indivisible de ces deux disciplines dans l’idée d’une mathesis universalis
formelle. Mais en même temps on arrive alors — ce qui est un progrès
essentiel — à la clarification achevée et, je l’espère, définitive, du sens
de la mathématique formelle pure (y compris la syllogistique formelle
purifiée d’une manière analogue), du sens qu’a la mathématique dans
l’intention dominante des mathématiciens et qui est celui d’une
analytique pure de la non-contradiction dans laquelle le concept de vérité
n’entre pas comme thème.
En liaison à son tour avec cette clarification apparaît le sens
authentique d’une ontologie formelle dont le concept avait été introduit
dans les Togische Unter suchungen à l’intérieur de la distinction essen¬
tiellement fondamentale entre ontologie formelle et ontologie maté¬
rielle (i) (ontologie se référant aux choses (2)) ou encore entre le
règne d’un a priori « analytique » et celui d’un a priori « synthétique »
(matériel).
Il me semble bien que ces clarifications du sens poursuivies dans
la première section devraient être d’un profit durable pour les philo¬
sophes ; en tout cas les problèmes qui viennent d’être mentionnés
m’ont troublé et m’ont beaucoup occupé pendant des dizaines
d’années.
Pour ceux qui prennent intérêt à mon exposé qui apporte plus de
précisions sur ces questions, je pourrais encore faire la remarque que
mon problème directeur originel pour la détermination du sens et
pour la considération à part d’une logique pure de la « non-contra¬
diction » fut un problème d’évidence, à savoir le problème de Vévi¬
dence des sciences mathématiques formelles. Il me vint à l’idée que l’évi-

(1) Materialer.
(2) SachhaUiger.

E. HUSSERL
2
LOGIQUE FORMELLE

dence des vérités de la mathématique formelle (également celle des


vérités syllogistiques) était tout autre que celle des autres vérités
aprioriques : en effet pour ces vérités de la mathématique formelle
on n’a aucunement besoin de prendre comme exemple une
intuition (x) concrète d’objets quelconques et d’états-des-choses (2)
quelconques, auxquels ces vérités se rapportent pourtant, quoique
dans une généralité formelle vide. S’il paraissait aller de soi qu’une
science qui se rapporte, avec cette généralité, à toute chose sans
exception, à toute chose possible, imaginable, méritait le nom à’onto¬
logie formelle, il fallait alors, si cette science devait être effectivement
telle, que la possibilité d’objectités (3) de son domaine fût fondée grâce
à l’intuition. Il est maintenant facile, après avoir mis à part — ce qui
est fondé dans la première section — une « logique pure de la consé¬
quence » ou de la « non-contradiction », de répondre d’une manière
décisive à cette question, quoique les recherches elles-mêmes pour¬
suivies dans le texte ne se rattachent pas à la question ainsi posée.
Dans la deuxième section de cet ouvrage, le côté subjectif du logique
devient le thème principal, et cela toujours en liaison avec des prises
de conscience continuelles sur une logique formelle conçue comme
doctrine de la science. Le chemin naturel qui va de la logique formelle
à la logique transcendantale est ainsi tracé. Le spectre du psycholo-

(1) Anschauung.
(2) Sachverhalte.
(3) Nous traduisons Gegenstandlichkeit par objectité d’une part pour prévenir
toute confusion entre la notion de Gegenstandlichkeit et celle d’Objektivitat (d’objec¬
tivité au sens le plus courant) et d’autre part pour respecter une nuance que Husserl
a voulu introduire entre Gegenstandlichkeit et Gegenstand (objet). Cf. Log. Unt.,
2e éd. ; II, 1, p. 38, n. 1 : « J’opte maintes fois pour l’expression plus indéterminée
d’objectité ( Gegenstandlichkeit) parce que dans tous les cas ici il s’agit non pas
seulement d’objets (Gegenstande) au sens étroit, mais aussi d’états des choses, de
caractères, de formes indépendantes réelles ou catégoriales. » Dans Logique formelle
et logique transcendantale on est en présence de la même situation : une « objectité »
peut être aussi bien une forme catégoriale qu’un objet du monde extérieur. I/em-
ploi de cette notion écarte toute possibilité d’interprétation de la pensée de Husserl
comme un réalisme naïf.
INTRODUCTION

gisme fait son apparition dès le début et le sens particulier du combat


contre le psychologisme dont nous avons souvent discuté dans le
tome I des Logische Untersuchungen est tout d’abord clarifié à nouveau
de façon plus incisive; par là en même temps on prépare essentielle¬
ment la clarification — qui est fournie seulement beaucoup plus
tard — du « psychologisme transcendantal ». Une suite de présuppo¬
sitions de la connaissance logique auxquelles renvoie la thématique
logique est alors mise à nu et par là s’éveille peu à peu l’évidence (i)
que tous les problèmes du sens dirigés du côté de la subjectivité qui sont et
doivent être en question pour la science et la logique ne sont pas des
problèmes de la subjectivité humaine naturelle, donc des problèmes psycho¬
logiques, mais sont des problèmes de la subjectivité transcendantale, et
cela au sens (introduit par moi) de la phénoménologie transcendantale.
Dans un approfondissement continu se fait jour l’évidence qu’une
logique réellement philosophique, qu’une doctrine de la science qui
explicite de toute part la possibilité essentielle de la science authen¬
tique en général et qui ainsi peut diriger le développement de la
science authentique, ne peut se former qu'exclusivement dans le cadre d'une
phénoménologie transcendantale. La logique traditionnelle dans sa posi¬
tivité naïve, avec sa manière de concevoir des vérités évidentes dans
une immédiateté naïve, se manifeste comme une sorte d’enfantillage
philosophique. Une logique des formations idéales de la signification,
qui s'est développée d'une manière autonome, est tout aussi non-philosophique
que les sciences positives en général, elle manque elle-même de cette
authenticité originelle par laquelle elle pourrait effectuer une ultime
compréhension et une ultime justification d’elle-même ; elle n’a donc
aussi aucune norme pour aider les sciences positives à s’élever au-
dessus de leur positivité. Le caractère non-philosophique de cette positivité
ne consiste en rien d’autre qu’en ceci : les sciences, par non-
compréhension de leurs propres effectuations en tant qu’effectua-

(i) Einsickt.
20 LOGIQUE FORMELLE

dons d’une intentionnalité effectuante qui reste pour elles non-théma¬


tique, sont incapables de clarifier le sens-d’être (i) authentique de
leur domaine et des concepts qui les expriment — elles sont donc
incapables de dire, au sens propre et dernier, quel sens a l’existant dont
elles parlent, quels horizons du sens cet existant présuppose, horizons
dont elles ne parlent pas et qui pourtant contribuent à déterminer
ce sens.
A la naïveté dogmatique d’une logique formelle soi-disant
autonome, reposant sur une évidence suffisante, est liée la naïveté d’une
théorie de la connaissance, juxtaposée à la logique d’une manière extérieure,
venant après elle, posant des questions d’origine et de validité, qui sont
pour elle universelles, et s’imaginant y répondre, et cela d’une manière
qui ne puisse plus rien changer au caractère absolu de la validité de
la logique objective. La vraie théorie de la connaissance est en effet l’élu¬
cidation du sens « authentique » des concepts logiques et de la
logique elle-même — non pas d’un sens qui précède la théorie de la
connaissance et qui est déjà là, mais d’un sens qui ne doit être créé
que par la théorie de la connaissance et qui ne doit être exploré que
dans les horizons de sa propre portée ; mais cette élucidation doit
être effectuée sous la direction du sens qui n’était auparavant que
présumé. La situation est la même que pour les autres sciences
positives; existent-elles déjà historiquement parlant, elles sont des
ébauches de sciences, des prétentions à la science, et à ce titre elles
sont des fils conducteurs pour les recherches transcendantales dont
le but est de les créer elles, les sciences, cette fois en tant que sciences
authentiques en général.
Nos recherches font ressortir, en des degrés toujours nouveaux,
le défaut radical de la logique traditionnelle et en particulier de la logique
moderne, défaut qui consiste en ce que la logique ne pouvait en
aucune manière satisfaire aux grandes tâches qui sont posées par

(i) Seinssinn.
INTRODUCTION 21

l’idée de la science dans la perspective subjective, c’est-à-dire quand on


considère la pensée qui juge, qui connaît, qui cherche. La psycho¬
logie de la connaissance depuis Locke a complètement échoué du
fait de son sensualisme absurde — déjà en tant que recherche propre¬
ment psychologique. Mais, ce qui est d’une particulière importance
pour une doctrine philosophique de la science (c’est-à-dire pour une
doctrine de la science qui garde le sens historiquement originel — et
le seul authentique — d’une doctrine de la science), la psychologie
de la connaissance a échoué aussi fondamentalement du fait que
Locke et les logiciens et théoriciens de la connaissance ultérieurs qui
avaient une tendance psychologisante ne furent pas capables de
distinguer recherche psychologique et recherche transcendantale de la
connaissance. Les problèmes principiels qui se présentaient dans une
intention manifeste dirigée vers une théorie radicale de la science,
donc à titre de problèmes spécifiquement philosophiques, étaient
rabaissés au niveau d’une psychologie anthropologique et, qui plus
est, empirique. Si nous prenons aussi en considération le fait que la
recherche transcendantale kantienne de la connaissance eut une action
ultérieure qui restait étrangère à toute analyse de la connaissance
procédant à une élucidation réelle et concrète, alors apparaît le défaut
considérable de la doctrine moderne de la science — doctrine objec-
tjye — à savoir que cette doctrine de la science ne pouvait rendre
compréhensible, pas même en tant que tâche, l’élucidation et la fon¬
dation les plus profondes qui soient de la possibilité des sciences
authentiques (et en même temps d’une objectivité elle-même, vraie
en soi), cette élucidation et cette fondation étant issues de l’univer¬
salité de la conscience constituant en soi-même le sens objectif;
a fortiori cette doctrine de la science ne pouvait former la méthode
de résolution de cette tâche et mettre en mouvement cette méthode
elle-même.
Ce que la science a devant soi comme domaine, donné préalable¬
ment au travail théorique, est, quant à son sens et à son être, un
22 LOGIQUE FORMELLE

domaine pour les chercheurs (considérés individuellement et en


communauté) qui l’ont puisé aux sources de leur propre effectuation
de conscience (ici encore en tant qu’effectuation individuelle et en
tant qu’effectuation de la communauté) ; ce qui, ensuite, en tant que
théorie de ce domaine est devenu un résultat achevé, est le résultat
de l’effectuation d’un acte établissant le sens total de la théorie et
aussi son sens de vérité. Une théorie peut dans une immédiateté naïve
« être » pour nous, procédant de l’évidence, de la vérification critique
répétée (une théorie « réelle » s’entend), tout aussi bien qu’une chose
est, comme il va de soi dans la naïveté, réalité existante pour nous,
procédant de l’expérience et de la vérification de l’expérience. Mais
1’ « être-pour-nous » de la théorie n’est pas pour autant transcen-
dantalement compréhensible; il est aussi peu transcendantalement
compréhensible que l’est 1’ « être-pour-nous » de la chose... transcen¬
dantalement compréhensible, à savoir en tant qu’être constitué aux
sources de la subjectivité individuelle et de l’intersubjectivité, en tant
que c’est ce qui est pour nous, pour « tout être » (i), rien n’ayant de
sens pour nous qu’à cette condition. Le sens de toute question par
laquelle nous nous demandons, nous philosophes, si le monde (le
monde réel ou quelque monde idéal que ce soit) a un sens présuppose
[14] l’élucidation de l’origine transcendantale et se meut lui-même sur
le terrain de la science transcendantale.
Si Lotze en une expression célèbre désigna comme la plus haute
tache de la connaissance non seulement de calculer la marche du
monde mais encore de la comprendre, nous devons approprier cette
expression mutatis mutandis également à la logique, au domaine des
formations logiques, ce qui veut dire qu’on ne peut pas s’en tenir
à ce que la logique, à la manière des sciences positives, donne une
forme méthodique aux théories objectives et ramène les formes de
théorie authentique possible à leurs principes et à leurs normes.

(1) Für jedermann.


INTRODUCTION 23

Nous devons nous élever au-dessus de cet oubli de soi-même propre


au théoricien qui dans l’acte d’effectuation théorique s abandonne
aux choses, aux théories et aux méthodes et ne sait rien de 1 inté¬
riorité de son acte d’effectuation, qui vit dans ce qu il effectue mais
ne place pas sous son regard thématique cette vie effectuante elle-
même. C’est seulement par une clarification principielle qui descend
dans les profondeurs de l’intériorité effectuant la connaissance et
la théorie, de l’intériorité transcendantale, que sera compréhensible
ce qui est effectué en tant que théorie authentique et science authen¬
tique. Mais c’est seulement par cette clarification que sera compréhen¬
sible également le sens véritable de cet etre que la science voulait
dégager dans ses théories en tant qu’être véritable, en tant que nature
véritable, en tant que monde véritable de l’esprit. Ce ri est donc qu une
science élucidée et justifiée de façon transcendantale, au sens phénoméno¬
logique du terme, qui peut être science dernière ; ce ri est qu’un monde élucidé
par la phénoménologie transcendantale qui peut être monde dont on a une
compréhension dernière ; ce ri est qu’une logique transcendantale qui peut
être une doctrine dernière de la science, une doctrine des principes et des
normes de toutes les sciences, doctrine dernière, la plus profonde et la plus
universelle.
Si donc nous donnons à nouveau à la conception de la logique
l’importance et l’ampleur avec laquelle elle veut être conçue selon
son intention originelle et si nous l’animons avec 1 esprit transcen¬
dantal, alors nous devrons dire : ce qui fait défaut aux sciences
modernes, c’est la vraie logique qui comprend tous les problèmes et
toutes les disciplines épistémologiques, en prenant ce terme d épis¬
témologique au sens le plus large mais qui garde pourtant une unité
principielle ; ce qui fait défaut aux sciences modernes, c’est une
logique qui en tant que transcendantale éclaire les sciences en les
précédant de telle sorte que la connaissance ait une connaissance de
soi la plus profonde qui soit et de telle sorte que ces sciences soient
rendues compréhensibles dans tout ce qu’elles font. Cette logique
24 LOGIQUE FORMELLE

ne veut donc pas être une simple logique pure et formelle et, prise
dans la conception la plus large, une mathesis universalis au sens
leibnizien, une science idéale logique qui ne serait pourtant qu’une
science « positive ». D’autre part, elle ne veut pas être a fortiori une
technologie simplement empirique pour une sorte d’effectuations
[15] spirituelles (extrêmement utiles du point de vue pratique) que l’on
nomme science, elle ne veut pas être une technologie que l’on oriente
empiriquement vers des résultats pratiques. Mais en tant que fonction
suprême de l’intérêt purement théorique dans sa manifestation totale,
cette logique veut mettre en évidence le système des principes trans¬
cendantaux, système qui confère aux sciences leur sens possible
en tant que sciences authentiques.
Combien une telle logique fait besoin aux sciences ou encore
combien les sciences sont incapables d’apparaître avec leur positivité
naïve comme se suffisant à elles-mêmes et sont incapables de persister
dans une telle prétention de se suffire à elles-mêmes, c’est ce que
montre l’absence, dans toute science si exacte soit-elle, d’un débat
sur le vrai sens de ses concepts fondamentaux. Cette absence est un
symptôme de ce que les sciences en vérité sont dans un manque total
de clarté à l’égard de leur propre sens. Mais assurément seule la
logique transcendantale peut faire comprendre complètement que
les sciences positives ne peuvent réaliser qu’une] rationalité relative,
unilatérale, qui laisse subsister une complète irrationalité comme son
envers nécessaire; et seule la logique transcendantale peut faire
comprendre complètement que par une simple union systématique
de toutes les sciences particulières ne peut jamais se développer une
connaissance universelle de l’être, au plus haut sens du terme, comme
essayait de 1 atteindre originellement la philosophie ancienne.
Je m en tiendrai a ces remarques sur le sens des recherches qui
seront exposées par la suite. Il est dans la nature des choses que les
recherches de la première section aient une certaine complétude et
une certaine unité qui devaient manquer à la deuxième section.
INTRODUCTION N

qui stimule plutôt la pensée qu’elle ne fournit de développements


entrant dans les derniers détails. Car, dans cette deuxième section,
nous sommes attirés dans les domaines prodigieux de la phénomé¬
nologie intentionnelle qui, même après ce qu’elle a déjà apporté,
n’est en aucune façon un bien commun. D’ailleurs je prépare un
exposé d’une série de recherches très étendues, remontant à de
nombreuses années, qui sont destinées à compléter les recherches sur
la doctrine formelle de la science grâce aux recherches — d’une
tout autre espèce — sur une doctrine matérielle de la science et à les
compléter aussi d’un autre côté par des recherches qui, en fournissant
des indications et des bases concrètes, tentent de préparer systémati¬
quement et de suivre jusqu’au bout les autres voies possibles à côté
de la première voie que nous avons décrite ci-dessus et que l’on peut
appeler la voie cartésienne.
Pour terminer remercions ici chaleureusement le Dr Ludwig
Landgrebe de son concours efficace (pour lequel la Société allemande
de Secours lui a généreusement accordé une bourse). Infatigable il
m’assista pour la mise au point de cet ouvrage du point de vue
littéraire.
[>«] CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

§ i. Point de départ : les significations du mot Logos :


PARLER, PENSER, CHOSE PENSÉE

Le mot Logos dont est dérivé le nom de « logique » a une grande


multiplicité de significations qui par des transposions très
compréhensibles sont nées des significations plus originelles de
Xéyctv, donc des significations : « poser ensemble », « exposer »,
ensuite exposer au moyen du mot, du discours.
1. Dans le langage évolué Àoyoç désigne tantôt le mot et le
discours eux-mêmes, tantôt ce dont il est question dans le discours,
l’êtat-de s-chose s dont il s’agit, mais ensuite aussi la pensée qui s’exprime
par la phrase (i) et qui est produite par celui qui parle en vue de la
communication ou aussi pour soi-même, donc pour ainsi dire le
sens spirituel de l’assertion verbale, ce que celui qui parle veut dire
en s’exprimant. Ensuite Logos renvoie dans maintes tournures à
Y acte spirituel lui-même, à l’acte d’énonciation, à l’acte d assertion
ou à tout autre mode de penser dans lequel est produite une telle
teneur de sens par rapport aux objets et états-des-choses qui sont en
question.
2. Mais toutes ces significations du mot Logos, en particulier la
où l’intérêt scientifique est en jeu, reçoivent un sens fort par le fait
qu’en elles entre l’idée d’une norme de la raison. Logos signifie alors
tantôt la raison elle-même en tant que faculté, mais aussi la pensée

(i) Saizgedanke.
28 LOGIQUE FORMELLE

rationnelle, c’est-à-dire apodictiquement évidente (i) ou dirigée vers


la vérité apodictiquement évidente. Logos signifie aussi plus spécia¬
lement la faculté de former des concepts légitimes et signifie aussi
cette formation rationnelle du concept ainsi que ce concept juste
lui-même.
Si nous prenons maintenant cette multiplicité de significations
du mot Logos — qui ont une parenté manifeste — comme éléments
directeurs pour la formation de la première présentation d’une science
du Logos, alors en même temps se présentent des thèmes abondants
et connexes pour une recherche théorique et une application norma¬
tive. Il est alors facile de trouver une démarche naturelle de recherche.
Partons du deuxième groupe de significations ; alors le thème de
la raison prise en tant que faculté de pensée juste ou devant être
justifiée par l’évidence apodictique et spécialement en tant que
faculté de pensée scientifique nous conduit aussitôt (par-delà la ques¬
tion générale qui consiste à se demander comment les actes passagers
d’un moi peuvent fonder les facultés habituelles correspondantes)
à la question suivante : à quelle sorte d’actes appartiennent les actes
« rationnels » de pensée qui sont ici en question ? Mais, avant que
puisse être examiné le caractère spécifique de cette rationalité, le carac¬
tère spécifique de la pensée elle-même doit naturellement être pris
comme thème, avant toute distinction entre rationnel et non-rationnel.
Nous sommes conduits de façon prédominante, par l’intermédiaire
du sens de l’expression de Logos, à la pensée dans son activité d’asser¬
tion, de jugement au sens courant du terme, et corrélativement aux
jugements en tant que pensées effectuées. Mais cela n’embrasse pas
toute la « pensée » en général, au moins au sens le plus large de ce
mot que l’on puisse concevoir. Revenons donc à la pensée au sens le
plus général comme à ce qu’il faut examiner en premier lieu. Mais
attendu que la pensée humaine s’accomplit normalement dans le

(i) Einsichtiges.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 29

langage et que toutes les manifestations de la raison sont liées abso¬


lument au discours, attendu que toute critique d’où doit résulter le
vrai dans la sphère rationnelle se sert du langage en tant que critique
inter subjective et conduit toujours dans son résultat à des énoncés,
alors ce ne sont pas les simples actes de pensée et les simples pensées
qui viennent tout d’abord en question, mais ce sont avant tout les
actes d’énonciation et les pensées en tant que pensées énoncées. Nous
sommes par ce moyen ramenés au premier groupe de significations
du mot Logos. En conséquence, les recherches à effectuer se rap¬
portent à trois rubriques : parler, penser, chose pensée. Naturellement
les facultés qui correspondent à ces trois rubriques doivent alors
aussi être prises comme thèmes : la faculté de parler, la faculté de
penser en même temps qu’on parle et la faculté de se référer, en même
temps qu’on pense, à une chose pensée.

§ 2. Idéalité du langage

Mise hors circuit des problèmes afférents

Mais les trois rubriques que nous avons établies ont besoin de
subir une distinction plus poussée et elles ont besoin d’être clarifiées
du fait du manque de clarté et de fixité des mots employés. Premiè¬
rement en ce qui concerne la rubrique : discours (1) remarquons que
nous ne devons pas négliger ici une certaine distinction. Le mot
prononcé, le discours énoncé d’une manière actuelle, pris en tant que
phénomène sensible et spécialement en tant que phénomène acous¬
tique, nous les distinguons en effet du mot lui-même et de la phrase
elle-même ou encore du discours plus ample qui est constitué par
une suite de phrases. Ce n’est pas pour rien que nous parlons — dans
le cas où nous n’avons pas été compris et que nous répétons — préci¬
sément d’une répétition des mêmes mots et des mêmes phrases. Dans

(i) Rede.
LOGIQUE FORMELLE

un traité, dans un roman, chaque mot, chaque phrase est unique et


ne se multiplie pas par une lecture répétée, qu’elle soit lecture com¬
mentée ou lecture mentale. Cela ne dépend pas non plus de celui
qui fait la lecture, chacun ayant sa voix et son timbre, etc. Le traité
lui-même (pris à présent seulement au point de vue grammatical, en
tant qu’il consiste en mots, en tant qu’il est langage), nous le distin¬
guons non seulement des multiplicités de la reproduction que nous
effectuons quand nous commentons le texte, mais aussi de même
des multiplicités des documents conservés par le papier et l’impres¬
sion ou par le parchemin et l’écriture manuscrite, etc. C’est le seul et
même ensemble de mots qui est reproduit mille fois, par exemple
sous forme de livre; nous parlons tout bonnement du même livre,
nous avons affaire au même roman, au même traité; et en vérité cette
identité (i) est valable déjà au pur point de vue du langage, tandis qu’en
une autre manière elle est valable à nouveau si nous considérons
purement et exclusivement le contenu au point de vue de la signi¬
fication, contenu que nous ferons entrer aussitôt en ligne de compte.
Le langage en tant que système de signes habituels naissant et se
transformant dans la communauté d’un peuple, persistant à la manière
de la tradition, en tant que système de signes au moyen desquels
s’effectue l’expression des pensées en opposition avec d’autres sortes
de signes, le langage ainsi conçu livre de toute façon ses propres
problèmes. Un de ces problèmes c’est Vidéalité du langage qui vient
justement de se présenter devant nous et qu’on a l’habitude de com¬
plètement négliger. Nous pouvons caractériser cette idéalité encore
ainsi : le langage a P objectivité des objectités du monde qu’on appelle spiri¬
tuel ou monde de la culture et non pas P objectivité de la simple nature physique.
En tant que formation spirituelle objective, le langage a les mêmes
propriétés que les autres formations spirituelles : ainsi nous distin¬
guons également la gravure elle-même des milliers de reproductions

(i) Selbigkeit.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

de cette gravure; et cette gravure, l’image gravée elle-même, on la


regarde à partir de chaque reproduction et cette gravure est donnée
dans chaque reproduction de la même manière comme un être idéal
identique. D’autre part, c’est seulement sous la forme de la repro¬
duction que la gravure a son existence dans le monde réel. Il en est
de même quand nous parlons de la Sonate à Kreutzer par opposition
à ses reproductions quelconques. Elle a beau elle-même être composée
de sons, elle est tout de même une unité idéale et ses sons ne sont pas
moins des unités idéales. Ses sons ne sont pas du tout les sons qu’étudie
la physique ou même les sons de la perception sensible auditive, les
sons en tant que choses sensibles qui précisément n’existent réelle¬
ment que dans une reproduction effective et dans sa perception.
De même que c’est la seule et même sonate qui se reproduit de façon
multiple dans des reproductions réelles, de même chaque son parti¬
culier se reproduit de façon multiple dans les sons correspondants
de la reproduction. Comme le tout, la partie aussi est un être idéal
qui devient réel hic et nunc uniquement sous le mode de l’individuation
réelle. Il en va de même maintenant pour toutes les formations de
langage et cette idéalité n’est pas seulement une idéalité de ce qui
est exprimé en ces formations — quelque grand rôle que ce qui est
exprimé puisse jouer aussi. Car ce que nous venons d’établir concerne
certes les formations de langage également en tant qu’expressions
remplies par un sens, en tant qu’unités concrètes ayant à la fois
un corps constitué par le langage et un sens exprimé mais cela
concerne aussi ces formations de langage déjà au point de vue de
la corporéité elle-même du langage qui est pour ainsi dire une
corporêitê spirituelle (i). Le mot lui-même, la proposition gramma¬
ticale elle-même, est une unité idéale qui ne se multiplie pas dans
ses milliers de reproductions.
La discussion principielle des grands problèmes qui concernent

(i) Geistige Leiblichkeit.


32 LOGIQUE FORMELLE

la clarification du sens et de la constitution des objectivités du monde


de l’esprit selon toutes les formes fondamentales de ces objectivités
et qui concernent entre autres le langage, cette discussion forme un
domaine à part. Ici il faut seulement remarquer que le langage vient
en question pour le logicien en première ligne simplement dans son
idéalité, simplement en tant que mot grammatical identique, en tant
que proposition (et enchaînement de propositions) grammaticale
identique par opposition aux réalisations réelles ou possibles ; c’est
une situation tout à fait analogue à celle de l’esthétique : le thème
de l’esthéticien c’est l’œuvre d’art, la sonate, la gravure, etc., non pas
en tant que complexe physique de sons (complexe éphémère), en
tant que gravure-chose physique, mais précisément en tant qu’il
s’agit de la gravure elle-même, de la sonate elle-même... de l’objet
à proprement parler esthétique, comme dans le cas parallèle il
s’agissait de l’objet à proprement parler grammatical.
Dans les recherches qui suivent, nous laisserons de côté tout ce
groupe de problèmes, ce qui sera suffisamment justifié pour le contenu
propre et l’enchaînement de ces recherches.

§ 3. Le langage en tant qu’expression de la « pensée »


La pensée au sens large en tant que vécu constituant le sens

Considérons maintenant la deuxième des rubriques mentionnées :


la pensée, mot dont le sens doit être emprunté à la liaison si souvent
citée : « Le langage et la pensée. » Alors le mot a un sens prodigieuse¬
ment large qui, comme il pourrait presque le sembler, embrasse la
vie entière de l’âme humaine : car en effet on a l’habitude de dire
aussi : « Dans le langage, l’homme exprime la vie de son âme. » Cepen¬
dant nous devons ici être circonspect. Ce n’est pas toute la vie de
1 âme que l’homme « exprime » effectivement dans le langage et qu’il
peut exprimer par lui. Si la formule commune dit autrement, cela
provient de la multivocité du terme « exprimer » et du manque de
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
33

[20] clarté de la situation qui est ici en jeu. De prime abord nous pouvons
délimiter ainsi ce terme « exprimer » : nous considérons qu’avec
chaque mot et avec chaque union de mots combinés pour former
1 unité d un discours, quelque chose est pensé. Plus précisément :
là où le discours se déroule dans sa fonction naturelle, vraiment en
tant que discours dans lequel « telle et telle chose est énoncée », là
1 intention pratique de celui qui parle n’est manifestement pas dirigée
finalement vers les simples mots mais « à travers » les mots est dirigée
vers leur signification; les mots portent des intentions signifiantes;
ils servent comme des ponts pour conduire aux significations, à ce qui
est pensé « par leur moyen ». Cela vaut chaque fois que le discours
est un discours qui remplit sa fonction normale et d’une façon
générale chaque fois que c’est un véritable discours. En vérité un
perroquet ne parle naturellement pas. Nous excluons présentement
aussi le discours mensonger qui vise autre chose que ce qu’il dit.
A Yunité du discours correspond une unité de l'opinion et aux structures
et aux formes du discours en tant que pur langage correspondent
des structures et des impositions de formes de l’opinion. Mais cette
opinion n’est pas extérieure aux mots, en marge des mots ; au
contraire, en parlant, nous effectuons d’une manière continue une
activité d’opinion, activité interne, se fusionnant avec les mots, leur
donnant pour ainsi dire une âme. Ayant reçu ainsi une âme, les mots
et les discours entiers rendent alors pour ainsi dire corporelle en eux une
opinion et la portent en eux corporifiée à titre de sens (a).
Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin et nous pouvons déli¬
miter comme concept provisoire de la pensée, le premier et le plus
large qui soit, le concept qui doit embrasser tous les vécus psychiques
dans lesquels consiste cet opiner; cet opiner dans lequel, pour le
sujet parlant (et parallèlement pour le sujet qui comprend en

(a) Cf. sur ce point et sur ce qui suit Logische Untersuchungen, t. II, ire partie,
ire section, Expression et signification.

E. HUSSERL 3
LOGIQUE FORMELLE
34

écoutant) est constituée précisément l’opinion, donc la signification,


le sens qui s’exprime dans le discours. Si nous énonçons un juge¬
ment par exemple, alors nous avons accompli, avec les mots
énoncés dans l’assertion, précisément l’unité de l’activité de juge¬
ment, de l’activité d’assertion qui est une activité interne de
« pensée ». Quelles que soient les effectuations psychiques qui doivent
être accomplies pour que les mots eux-mêmes se réalisent et quelque
rôle qu’elles puissent jouer pour la fusion qui engendre 1’ « expres¬
sion », nous portons notre attention uniquement sur ce qui est soudé
par cette fusion, sur les actes du juger qui fonctionnent comme dona¬
teurs de sens, donc qui portent en eux le jugement-opinion qui trouve
son expression dans la proposition que forme l’assertion. Restent hors
de considération les tendances indicatives appartenant aux mots comme
à tous les signes, le phénomène par lequel le mot en éloignant l’atten¬
tion de lui-même renvoie à la signification. Restent également hors
de considération d’autres vécus qui viennent s’entremêler avec ses
tendances indicatives, comme par exemple les vécus dans lesquels
nous nous tournons vers notre interlocuteur et voulons lui faire part
de notre jugement, etc. Mais naturellement nous laissons hors de
considération ces vécus uniquement dans la mesure où dans le dis¬
cours n’est pas exprimé le caractère lui-même de discours adressé à
quelqu’un, par exemple sous la forme : « Je te dis... »
Ce que nous avons appris sur l’exemple de l’assertion vaut d’une
manière générale. Exprimons-nous un souhait comme : « Que Dieu
m’assiste ! » alors avec la production organisée des mots nous avons
un certain acte de souhait s’exprimant précisément dans l’organisa¬
tion des mots et qui de son côté a un contenu organisé parallèlement.
Il en est de même lorsque nous exprimons un ordre, une ques¬
tion, etc. Dans une conception aussi large, penser désigne tout vécu
éprouvé pendant qu’on parle et appartenant de la façon qui a été
décrite à la fonction principale de l’expression (précisément à la
fonction d’exprimer quelque chose); penser désigne donc tout vécu
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 35

dans lequel se constitue sous forme consciente le sens qui doit


devenir exprimé ; et quand le sens est exprimé, penser désigne la
signification de l’expression, spécialement du discours en jeu. Cela
s’appelle penser, que ce soit juger ou bien souhaiter, vouloir, ques¬
tionner, conjecturer.
Mais il ne s’agit pas ici de négliger le changement d’attitude par
lequel il est toujours possible d’amener à l’expression, non pas immé¬
diatement mais médiatement par l’intermédiaire du jugement, l’acte
de souhaiter et le souhait, l’acte de questionner et la question, etc.
Cela est rendu possible par le fait que ce changement d’attitude permet
une position de jugement grâce à laquelle par exemple le souhait
direct se change en l’énoncé d’un jugement qui porte sur ce souhait.
Ce souhait, dans l’expression modifiée qui indique la médiation du
jugement, est alors un moment dans un jugement exprimé comme
lorsqu’au lieu de dire : que S soit p, nous disons : je souhaite que S
puisse être p. Importante est cette modification qui rend souvent
ambigus les termes : « Expression du souhait », par le fait que le
domaine des significations du jugement s’approprie dans cette média¬
tion toutes les autres sortes de signification et que, par voie de consé¬
quence, la logique du jugement peut inclure en elle-même d’une
certaine manière toutes les autres significations. Mais ici il ne s’agit
pas pour nous de méconnaître que ces changements d’attitude engen¬
drent des énoncés qui amènent à l’expression non plus des souhaits,
des questions, des conjectures, etc., pris au sens premier, au sens
propre, mais toujours uniquement des jugements. Des énoncés de
souhaits, de questions pris purement et simplement, au sens propre,
sont devenus des énoncés de jugements de sens particulier. En consi¬
dération de ces faits on s’en tiendra donc à la multiplicité des actes qui
au sens propre sont capables de fonction expressive et on s’en tiendra
au concept de « pensée » qui est orienté vers la généralité de cette
fonction.
Maintenons aussi en même temps l’universalité du recouvre-
36
LOGIQUE FORMELLE

ment (i) du langage et de la pensée. Sont alors caractérisés pour nous


deux domaines parallèles se correspondant l’un l’autre, l’un étant le
domaine d’expressions possibles du langage (domaine du discours),
l’autre étant le domaine de sens possibles, d’opinions exprimables
dans la mesure du possible. Ces deux domaines, en s’entremêlant
d’une manière intentionnelle et en formant ainsi unité, donnent le
domaine, à double face, du discours actuel et concret, du discours
rempli par le sens. Ainsi toute assertion est bien à la fois discours
et opinion actuelle, plus précisément opinion qui se spécifie en juge¬
ment; tout souhait énoncé est à la fois paroles de souhait et souhait
actuel lui-même, opinion actuelle qui se spécifie en souhait, etc. Mais
il est visible, à y regarder de plus près, qu’il s’agit là de quelque chose
de plus que d’une dualité. On doit distinguer nettement entre opiner
et opinion, entre juger et jugement, entre souhaiter et souhait, etc.,
de sorte qu’il en résulte à proprement parler une triplicité vers
laquelle nous orientait déjà la distinction de penser et chose pensée
(pensée produite).

§ 4. Le problème de la délimitation essentielle de la « pensée »


APTE A LA FONCTION DE SIGNIFICATION

Le concept le plus large de pensée n’est pas délimité d’une manière


contingente comme ayant pour extension empirique les vécus de
conscience qui peuvent intervenir dans les langues avec une fonction
de signification. Il n’a pas davantage la délimitation déjà essentielle,
mais encore beaucoup trop large, qui réside en ce que, comme il va
de soi, seul le psychique, seuls les vécus de conscience peuvent être
donateurs de sens. Car ce ne sont pas tous les vécus qui ont cette
capacité. Les vécus de la passivité originelle, les associations à l’œuvre,
les vécus de conscience dans lesquels se déroulent la conscience ori-

(1) Deckung.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 37

ginelle du temps, la constitution de la temporalité immanente, etc.,


sont incapables d’être donateurs de sens. On voit donc se présenter
ici le problème significatif et difficile d'une délimitation essentielle de ce
« penser » le plus général, délimitation qui, étant obtenue par générali¬
sation essentielle à partir d’intuitions prises à titre d’exemples, doit
fournir un genre essentiel, et ce, avec l’idée évidente que d’une
manière générale, pour toutes les particularisations de ce « penser »,
des expressions doivent être formées pour lesquelles ces parti¬
cularisations seraient donatrices de signification.
Quel type général essentiel doit avoir un vécu de conscience
pour pouvoir accéder à la fonction de signification ? telle est la
question. Ne doit-il pas avoir le type : acte-du-moi pris au sens spé¬
cifique (acte prenant position) ou un mode dérivé appartenant à de
tels actes (passivité secondaire, par exemple le jugement qui surgit
d’une manière passive en tant qu’ « idée qui vient à l’esprit » (i)) ?
[23] Et ensuite, comment se différencie en ses espèces, d’une manière
essentielle, le concept essentiel de « pensée » qui doit être conjointe¬
ment mis en évidence ? Nous ne pouvons nous prêter ici aux recher¬
ches qu’engage une réponse à ces questions. Nous nous contentons
d’indiquer l’unité que l’on remarque quand on passe en revue des
exemples et nous prenons le concept le plus large de pensée comme
le cadre dans lequel doit se circonscrire ce qui est spécifiquement
logique.

§ 5. Délimitation provisoire de la. logique

COMME DOCTRINE APRIORIQUE DE LA SCIENCE

Nous cherchons à tracer une première délimitation du domaine


qui doit échoir à la logique en nous en tenant au caractère le plus
général de son sens historiquement originel qui, au total, fut le sens
directeur jusque dans notre époque. Il faut manifestement distinguer

(1) Einfall.

LOGIQUE FORMELLE

différentes classes de significations et d’actes donateurs de signifi¬


cation, classes selon lesquelles se groupent les expressions concrètes
« pleines de sens » : énoncés (au sens spécial d’assertions) en tant
qu’expressions de jugements et de leurs modalités; expressions
d’actes de l’affectivité comme le sont les souhaits, expressions d’actes
du vouloir, comme le sont les ordres. Manifestement avec ces diffé¬
rentes espèces d’actes se trouve en liaison la distinction des espèces
suivantes de raison : la raison dans l’ordre du jugement (entre autre
la raison spécifiquement théorique), la raison dans l’ordre de la
valeur et la raison dans l’ordre pratique.
Quand nous suivons la signification du mot Logos qui est la
plus substantielle et qui est pour ainsi dire élevée au carré, signifi¬
cation qui est celle de raison (et en privilégiant d’ailleurs la raison
scientifique), alors en même temps nous délimitons par là même une
sphère insigne d’actes et de significations en tant que sphère à laquelle
est rapportée en particulier justement la science à titre de manifes¬
tation de la raison. La pensée scientifique, l’activité que manifeste
constamment le savant, est pensée qui juge-, non pas la pensée qui juge
prise en général, mais une pensée façonnée, ordonnée, coordonnée
suivant certains modes et conformément aux idées téléologiques de la
raison. Les formations qui sont alors engendrées, les formations qui,
dans la science, s’expriment par le langage et sont consignées de façon
durable dans des « documents », ont, au sens rationnel spécifiquement
théorique, une connexion « logique », c’est-à-dire la connexion de la
théorie et, à un degré plus élevé, du « système ». Ces formations
s édifient sous des formes déterminées et sont constituées par les
principes, les théorèmes, les déductions, les démonstrations, etc.;
et, considérées sous le point de vue du langage, elles s’édifient dans
des expressions composées qui, dans une même science, concourent
toutes à une expression formant unité et ayant une liaison interne du
fait du sens rationnel de toutes les significations. Du fait que cette
unité de signification est consignée dans des « documents » objectifs
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 59

[24] et du fait que cette unité peut être recréée par tout le monde, ces
formations deviennent un bien commun de l’humanité. Chaque
science dans son travail théorique a en vue exclusivement des for¬
mations « logiques », des formations du logos théorique. En ce sens
elle est elle-même une « logique ». Mais la logique au sens usuel est
la science du logique en général, c’est-à-dire tout d abord au sens
de science des formations logiques de la raison jugeante prise en
général — mais d’autre part, c’est aussi la science de cette raison elle-
même, donc de la subjectivité jugeante prise en général, en tant que
subjectivité engendrant de telles formations.
Le langage vient ici en considération d’une manière secondaire
en tant qu’aux buts primaires de la raison théorique (qui consistent
à atteindre des vérités et qui sont du côté de la signification), s allie
dans la science un but attaché à la technique de la connaissance, à
savoir le but de faire avancer le travail dans la sphère du jugement
au moyen d’un langage scientifique approprié. Ce qui implique aussi
que les résultats scientifiques soient consignés dans des « documents »
les plus durables possibles dans le monde objectif de la culture.
Dans nos considérations ultérieures en vue de la clarification systé¬
matique de l’idée de logique nous nous tournerons exclusivement
vers le côté de la signification des expressions scientifiques, donc
purement vers la raison jugeante elle-même et vers ses formations.
Que le but primaire et propre visé par l’être connaissant réside dans
cette raison jugeante, la situation suivante en témoigne . ce qui
apparaît certes en premier lieu dans le champ de la conscience (dans
ce qu’on appelle le champ du regard de l’attention) et dans ce qui se
détache de ce champ, ce sont les formations en tant qu’énoncés, mais
le regard thématique est toujours dirigé non pas vers les expressions
en tant que phénomènes sensibles, mais « à travers elles » vers ce des
est pensé. Les expressions ne sont pas des fins thématiques, mais qui
index thématiques, renvoyant par-delà elles-mêmes aux thèmes logi¬
ques proprement dits.
40 LOGIQUE FORMELLE

Nous avons conçu le concept de logique, en suivant la tradition


historique de celle-ci, comme science du logos au sens fort, comme
science du logos ayant la forme de la science ou comme science des
éléments essentiels qui constituent la science authentique en tant que
telle. Mais nous aurions pu de prime abord laisser le concept d’une
science du logos dans une généralité plus grande : nous aurions pu
concevoir la science du logos comme science qui dans une généralité
principielle explore la pensée jugeante prise en général ainsi que
ses formations, y inclus donc la pensée jugeante dans l’ordre rationnel
et ses formations rationnelles (entre autres aussi les formations ration¬
nelles du niveau inférieur au niveau scientifique). Cependant, vu que
la raison au niveau du jugement scientifique présuppose, à la manière
d’un niveau suprême, tous les niveaux inférieurs d’effectuations de
la pensée et les enferme en elle dans une thématique concrète, alors en
nous référant a la science, donc en concevant la logique comme doctrine
de la science, nous n apportons aucune limitation, nous ne faisons que
privilégier le regard qui se dirige vers l’idée téléologique la plus
haute de la raison jugeante.
En tant que doctrine principielle de la science, la logique veut
mettre en évidence le général « pur », apriorique. Comme nous l’avons
déjà dit dans notre introduction, elle ne veut pas venir, empirique¬
ment, après les soi-disant sciences qui existent déjà, après les formes
culturelles du même nom telles qu’elles se sont développées de fait;
elle ne veut pas abstraire de ces sciences des types empiriques, mais,
libre de toute attache avec la « facticité » qui pour elle fournit seule¬
ment les points de départ d’une critique qui s’appuie sur des exemples,
elle veut amener à une clarté parfaite les idées téléologiques qui sont
présentes à l’esprit confusément dans toute manifestation d’un
intérêt théorique pur. En suivant continuellement les possibilités
pures d une vie connaissante en général et des formations en général
atteintes dans cette vie connaissante, la logique veut mettre au jour
les formes essentielles de la connaissance et de la science authen-
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 4i

tiques dans leurs configurations fondamentales ainsi que les présup¬


positions essentielles auxquelles ces formes sont liées ; elle veut
mettre au jour les formes essentielles des justes méthodes qui condui¬
sent à la connaissance et à la science authentiques.
Nous avons parlé de connaissance authentique, de science authen¬
tique, de méthode authentique. Les idées logiques sont foncièrement
des idées de 1’ « authenticité ». L’authentique est ce à quoi tend fina¬
lement la raison, même dans son mode de décadence qu’est la déraison.
L’authentique, c’est ce qui est « manqué » dans l’absence de clarté
et dans la confusion, tandis que c’est ce qui est atteint dans la clarté
du but et des moyens ainsi que dans les formes essentielles qui
appartiennent à cette clarté.

§ 6. Le caractère formel de la logique.

« A PRIORI » FORMEL ET « A PRIORI » CONTINGENT

La généralité principielle de la logique est non pas seulement


généralité apriorique ou généralité essentielle, mais encore généralité
formelle. Ce n’est pas seulement la discipline étroite et mal cernée
qu’on appelle ordinairement logique formelle et qui est liée à un
concept particulier du formel — dont nous devrons beaucoup
nous occuper — ce n’est pas seulement cette discipline qui est
« formelle » mais la logique en général considérée dans toutes ses
disciplines, cette logique en général étant prise dans son sens uni¬
versel et qui mérite seulement alors d’être appelé philosophique.
Nous pourrions dire tout aussi bien : le concept de raison elle-même
et en particulier aussi de raison théorique est un concept formel.
Pour caractériser ce concept le plus général de forme qui est
extrêmement important, faisons les remarques suivantes : en un
certain sens toute connaissance essentielle est une formation de la
raison « pure » — c’est-à-dire pure de tout procès empirique (ce qu’indique
42 LOGIQUE FORMELLE

d’autre part aussi le mot a priori) ; mais en un deuxieme sens, celui de


forme principielle, toute connaissance essentielle n’est pas pure. Une
proposition apriorique sur les sons en général, donc pensée en
« pure » généralité, est pure seulement au premier sens, elle est,
comme nous pouvons l’appeler avec de bonnes raisons, un a priori
contingent. Cette proposition a dans l’eidos « son » un noyau concret (i)
qui dépasse le règne des généralités « principielles » au sens le plus
radical et qui lie la proposition au domaine « contingent » des sons
idéalement possibles. La raison « pure » s'élève non seulement au-dessus
de tout ce qui est fait empirique, mais aussi au-dessus de toutes les sphères
essentielles se rapportant à l’hjlê, au concret. La raison pure désigne le
système fermé sur soi des principes purs qui précèdent tout a priori
se rapportant à l’hylé (et toutes les sciences s’occupant de cet a priori)
et qui dominent pourtant d’autre part — c’est-à-dire quant à la
forme —- ces sciences elles-mêmes en tant que formations de la
raison.
Pour nous rendre plus proche ce concept d’a priori contingent,
il nous suffira, dans le cadre de nos considérations présentes qui sont
simplement des indications préliminaires, de faire les remarques
suivantes : une subjectivité en général (prise isolément ou dans sa
possibilité de communication) n’est pensable que dans une forme
essentielle que nous obtenons dans ses états constitutifs (2) très
divers par évidence progressive en dévoilant intuitivement notre
propre subjectivité concrète et, grâce à la libre variation qui trans¬
forme sa réalité en les possibilités d’une subjectivité concrète en
général, en dirigeant notre regard sur ce que nous pouvons aper¬
cevoir comme invariable dans cette variation, donc en dirigeant
notre regard sur ce qui est nécessaire par essence. Si, dans cette
libre variation, nous maintenons de prime abord que la subjecti-

(1) Sachhaltiger.
(2) Gehalte.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 43

vité doit être et doit pouvoir rester toujours subjectivité « rationnelle »


en particulier subjectivité jugeante et connaissante, alors nous ren¬
controns des structures essentielles astreignantes qui se tiennent
sous la rubrique : raison pure et en particulier raison pure jugeante.
Cette raison pure implique à titre de présupposé la référence, cons¬
tante et nécessaire par essence, à des états hylétiques quelconques,
à savoir en tant que fondements aperceptifs des expériences possibles
qu’il faut nécessairement présupposer pour l’activité de jugement (a).
Si nous déterminons donc le concept de forme principielle par les états,
nécessaires par essence, d’une subjectivité rationnelle en général,
alors le concept de hylé (dont on a un exemple avec tout « datum de
sensation ») est un concept formel et non pas, ce qui doit être son
contraste, un concept contingent. D’autre part, il n’y a pour une
subjectivité jugeante et connaissante (et pareillement pour une sub-
[27] jectivité rationnelle en général) aucune exigence essentielle à ce que
ce soit justement par des couleurs ou par des sons, par des impressions
sensibles présentant justement telle ou telle différence, etc., qu’elle
doive pouvoir être affectée — quoique de tels concepts aussi aient
à être formés en tant que concepts aprioriques (libérés de tout
caractère de « facticité » empirique). Ces derniers, eux aussi, ont leur
a priori, mais c’est un a priori contingent et qui n’est pas un a priori
de la raison pure, ou comme nous pouvons dire en allant chercher
un vieux mot qui confusément va dans cette direction, ce n est pas
un a priori « natif » (1).
Limitons-nous à la raison jugeante : alors en tant que raison pure,
en tant que système complet de cet a prioriformel au sens le plus prtncipiel,
elle désigne en même temps le thème le plus élevé et le plus étendu
qui soit concevable de la logique, de la « doctrine de la science ». La

(1) « Eingeborenes » Apriori.


(a) Sur la référence de tout juger à l’expérience, cf. ci-dessous IIe section,
chap. IV, §§ 83-87. Sur le concept de hylé, cf. également mes Ideeti..., p. 171 sq<3-
LOGIQUE FORMELLE

logique, pouvons-nous dire alors, est Vauto-explicitation de la raison


pure elle-même, ou pour parler idéalement, la science dans laquelle
la raison pure théorique accomplit une prise de conscience de soi
parfaite et s’objective parfaitement dans un système de principes.
Dans cette prise de conscience, la raison pure, et donc la logique,
est renvoyée à elle-même; l’auto-explicitation de la raison pure est
elle-même manifestation rationnelle pure et est justement sous la
dépendance des principes qui trouvent là leur explicitation.

§ 7. La fonction normative
ET LA FONCTION PRATIQUE DE LA LOGIQUE

La fonction normative insigne de la logique va de soi. Toute


science apriorique est appelée à des fonctions normatives, à savoir
à l’égard des sciences de faits qui sont sous sa dépendance. Mais
la norme universelle — au sens le plus élevé du terme et avec l’uni¬
versalité la plus grande qui soit concevable — c’est le fait de la
seule logique. La logique exerce sa fonction de norme en vertu des
principes de la raison pure elle-même et elle exerce cette fonction
sur la rationalité en tant que telle. C’est avec les connaissances for¬
melles de la logique qu’on peut mesurer jusqu’à quel point la science
prétendue est conforme a l’idée de la science authentique, jusqu’à
quel point ses connaissances particulières sont des connaissances
authentiques, jusqu à quel point les méthodes sont des méthodes
authentiques, donc des méthodes qui, quant à leur forme princi-
pielle, satisfont aux normes de la raison pure qui ont une généralité
formelle.
En même temps que la logique assume des fonctions normatives,
elle accède aussi aux fonctions qui imposent dans la pratique une
forme à la science et peut alors être incluse dans une technologie
logico-pratique, s entremêlant éventuellement avec ce qui relève de
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

l’anthropologie empirique. Dans cette fonction elle est ramenée à


elle-même aussi bien du fait qu’elle est science que du fait qu’elle est
normative. Premièrement, en effet, parce que, comme nous l’avons
déjà dit, elle est science apriorique de la science en général et qu’en
même temps elle est elle-même science; d’autre part, parce que dans
le progrès de son travail pratique elle doit utiliser comme normes les
résultats déjà acquis, éventuellement en revenant normativement à
ce qui a déjà reçu une forme dans une évidence naïve.
La logique devient normative, devient pratique; elle peut, par une
modification correspondante d’attitude, être changée en une disci¬
pline relevant de la technologie normative. Mais elle-même elle est
en soi non pas discipline normative mais précisément science au sens
fort, au sens de manifestation de la raison purement théorique
— comme toutes les autres sciences. Les sciences aprioriques, disions-
nous, fonctionnent constamment eo ipso à la manière d’une technologie
normative mais elles sont en cela des sciences et non des techno¬
logies. L’attitude du technologue (non du technicien mais de celui
qui ébauche une technologie) est essentiellement autre que celle du
savant. Même si le technologue rencontre des problèmes scientifiques
et les résout dans la perspective de l’intérêt technologique, son atti¬
tude est une attitude pratique et non pas théorique. Son activité de
théorétisation est ici un moyen pour une praxis (extra-théorique).
Il n’est pas essentiellement différent qu’ici soit en question non une
praxis particulière individuelle, mais un type général de praxis que
la raison pratique doit, d’une manière générale, examiner, régler,
faire progresser. Il en va de même si nous considérons à part la simple
imposition de normes, avant que soient posées les questions
d’une réorganisation correspondante de la praxis. Le but est
d’être utile en une certaine manière, à soi ou à autrui, d’un point
de vue « pratique » et non pas de satisfaire des intérêts pure¬
ment théoriques.
Assurément la distinction entre science théorique et praxis est
46 LOGIQUE FORMELLE

pourtant à son tour une différence relative dans la mesure où l’acti¬


vité (i) purement théorique, elle aussi, est justement activité, est
donc, si l’on se confie à l’étendue naturelle du concept, une praxis;
dans la mesure aussi où en tant que telle, dans l’ensemble universel
des activités pratiques en général, elle tombe sous les règles formelles
de la raison pratique universelle (sous les principes éthiques), règles
avec lesquelles sera à peine compatible une science pour science (2).
Mais il subsiste alors la différence essentielle que toutes les sciences
sont sous la dépendance de Vidée d’un intérêt de la raison théorique
se manifestant à l’infini. Cette idée est pensée là comme rapportée à
l’idée d’une communauté de chercheurs poursuivant son travail à
l’infini : elle devient idée de la communauté eu égard aux activités et
aux habitus de la raison théorique. Rappelons seulement ici le travail
qui est effectué par les chercheurs les uns pour les autres, les uns
avec les autres et qui est soumis à la critique réciproque des résultats :
les résultats des uns pris en charge par les autres sont des bases de
travail pour ceux-ci, etc. Mais en conformité avec cette idée une vie
des individus isolés ou associés est compatible par exemple avec la
conviction que tous les résultats théoriques acquis ainsi en commun
et la science infinie elle-même ont une fonction humaine qui va au delà
du théorique ; il en est dans ce cas aussi comme pour l’individu
dont la vocation scientifique permanente est compatible, dans son
exercice toujours uniquement temporaire, avec les autres buts extra¬
théoriques de 1 individu en tant qu’il est père de famille, citoyen, etc.,
et doit prendre place dans l’idee pratique suprême d’une vie éthique
universelle, de la vie propre de l’individu et de celle de la commu¬
nauté humaine ouverte.

(1) Betàtigung.
(2) Sic (en français dans le texte).
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

§ 8. La double face de la logique ;

LA DIRECTION SUBJECTIVE
ET LA DIRECTION OBJECTIVE DE SA THÉMATIQUE

La logique en tant que science du logique en général et, dans son


aspect le plus élevé qui embrasse toutes les autres formes du logique,
en tant que science de la science en général, a une double direction.
Il s’agit partout d’effectuations de la raison et cela dans le double
sens d’une part des activités et des habitus dans leur action d’effectuation,
d’autre part des résultats de cette effectuation, résultats qui ont désor¬
mais une persistance.
Sous ce dernier rapport le thème de la logique est donc constitué
par les formes multiples des formations de la sphère du jugement et
de la connaissance, formes qui naissent, chez ceux qui tendent vers
la connaissance, pendant l’exécution de leurs activités de pensée,
et cela selon le mode particulier du « thème ». Les formations en jeu
sont précisément ce vers quoi tend celui qui pense, il tend vers elles
en les considérant comme devant former un acquis durable et elles
sont ce qui en même temps doit lui servir de moyens pour obtenir
de nouvelles acquisitions semblables. Cet acquis n’est pas seulement
devenu quelque chose, mais il est devenu quelque chose visé par
l’action de pensée; c’est d’une manière particulière que celui qui
pense est « dirigé » vers cet acquis, il l’a « objectivement » devant lui.
Dans leurs formes qui ont un niveau d’édification supérieur, ces
formations sans doute dépassent chaque sphère particulière de pré¬
sence à la conscience. Mais elles restent pourtant dans ce cas les
éléments constitutifs d’un « champ » s’étendant au loin et qui reste
délimité quant au thème, d’un domaine propre de productions de la
pratique auxquelles on peut toujours « revenir » à nouveau, au moyen
desquels on peut toujours produire de nouvelles formations : concepts,
jugements, déductions, démonstrations, théories. C’est dans Y unité
d'une science que toutes les formations de cette sorte et le champ
48 LOGIQUE FORMELLE

entier des productions qui sont nées dans l’unité d’un intérêt théo¬
rique sont lies a la maniéré d’une totalité une pour former une théorie uni¬
verselle. Le façonnement de cette théorie, façonnement se pour¬
suivant d une manière systématique a l’infini, est le but commun des
savants travaillant dans une communauté ouverte les uns avec les
[30] autres et les uns pour les autres. Par ce façonnement le « domaine »
scientifique en jeu doit devenir l’objet d’une connaissance systé¬
matique et former une totalité une de formations de connaissance,
appelées vérités théoriques, qui s’édifient les unes sur les autres pour
constituer la forme unitaire d’un système de la vérité.
Toute formation objective de cette sorte n’a pas seulement
1 existence fugitive de ce qui, formé d’une manière actuelle, apparaît
et disparaît dans le champ thématique. Elle a aussi le sens-d’-être
d’une valeur qui persiste d’une manière durable; elle a même une
validité objective, au sens particulier de ce mot, validité s’étendant
au delà de la subjectivité qui connaît d’une manière actuelle et au delà
de ses actes. Une telle formation objective reste identique dans la
répétition, elle est toujours à nouveau reconnue à la manière d’un
existant permanent, elle doit sa présence objective à sa forme
documentaire exactement comme les autres objectités du monde
de la culture ; chacun peut ainsi la trouver dans une durée objective,
la recomprendre avec le même sens; elle est susceptible d’identifi¬
cation inter-subjective, elle est présente même quand personne ne
la pense.
La direction opposée de la thématique logique est la direction
subjective. Elle va vers les formes subjectives profondément cachées
dans lesquelles la « raison » théorique réalise ses effectuations. Ce qui
vient tout d’abord ici en question, c’est la raison dans Vactualité, à
savoir 1 intentionnalité qui s’écoule dans un accomplissement vivant
et dans laquelle ces formations objectives ont leur « origine ». En
d autres termes, Peffectuation de cette intentionnalité consiste en ce
que dans le champ thématique du sujet les formations, les objectités
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

dans l’ordre du jugement et de la connaissance interviennent « objec¬


tivement », avec le caractère de productions. Pendant que l’inten¬
tionnalité correspondante est en voie d’accomplissement, pendant
qu’elle s’écoule comme vie effectuante qui objective de cette manière,
elle est « inconsciente », c’est-à-dire elle rend thématique mais précisé¬
ment pour cette raison et par essence elle n’est pas elle-même théma¬
tique. Elle reste cachée aussi longtemps qu’elle n’est pas dévoilée
par une réflexion et qu’elle n’est pas devenue elle-même thème, thème
théorique dans la recherche logique dirigée vers la subjectivité.
Celui qui juge « immédiatement » et qui pense de quelque manière
que ce soit (par exemple celui qui produit des formes conceptuelles
de complexité arbitraire) a devant lui « de façon consciente », théma¬
tiquement, exclusivement les formations en jeu. Tout ce qui a une
objectivité logique prise en ce sens a, si on le considère à part, son
corrélât « subjectif » dans ses intentionnalités constituantes, et à toute
forme des formations correspond par essence un système d’inten¬
tionnalité effectuante, système qu’il faut appeler une forme subjective.
Alors vient aussi en question Yeffectuation subjective plus large grâce
à laquelle ce qui est constitué d’une maniéré actuelle pour les sujets
connaissants et est puisé aux sources de leurs habitus est plus que ce
thématique momentané du présent actuel. Cette effectuation fait que
ce qui est constitué peut être présent à la conscience effectivement
comme élément objectif, comme élément valable d’une manière durable
pour la subjectivité et que, dans la communauté de la connaissance
et pour cette communauté, ce qui est constitué prend le sens d’une
objectivité idéale existant en soi.
Le fait que tout ce qui relève de la logique ait une double face
offre des difficultés tout à fait extraordinaires pour l’explicitation du
juste sens et de la juste configuration des groupes de problèmes qui
de ce fait divergent entre eux et s’entremêlent à nouveau. L’on peut
dire que c’est à ces difficultés que tient le fait que la logique, après des
siècles, n’est pas encore arrivée sur la voie sûre d’un développement

E. HUSSERL
4
5° LOGIQUE FORMELLE

rationnel et qu’elle n’est pas devenue une science qui aurait pénétré
jusqu’à la claire conscience de ses buts et qui les aurait réalisés de
degré en degré en un progrès sûr (ce que pourtant exigeait d’une
manière inconditionnée sa mission propre). A peu près tout ce qui
concerne le sens fondamental de la logique, de sa problématique, de
sa méthode, est chargé d’incompréhensions du fait de cette source
trouble, du fait que l’objectivité provient de l’effectuation subjective,
cette objectivité étant restée incompréhensible et n’ayant jamais été
mise en question de juste façon. Tout est donc débattu et cependant
rien n’est jamais clarifié dans le débat. Même l’objectivité idéale des
formations logiques et le caractère apriorique des doctrines logiques
spécialement relatives à cette objectivité et alors aussi le sens de cet
a priori sont touchés précisément par ce manque de clarté, attendu en
effet que ce qui est idéal apparaît inséré dans la sphère subjective et en
tant que formation jaillit d’elle.
Ce que nous avons dit jusqu’ici sur la logique a donc été exprimé
dans un aperçu provisoire et dans une vue qui ne peut se confirmer
que par des explicitations plus concrètes et, dans la mesure où cela
nous paraît utile, par un éclaircissement au moyen des motivations
historiques et des interprétations de la logique qui proviennent de
ces motivations.

§ 9. La thématique immédiate

DES SCIENCES (( OBJECTIVES » OU « POSITIVES »

L’idée de sciences a double face

Dire que tout ce qui relève de la logique a une double face ne


signifie pas, comme il ressort de nos premiers éclaircissements, que
soit mises sur le même rang les deux faces, la face objective et la face
subjective. En se laissant guider par les choses, on voit que penser
signifie créer un champ thématique qui a une cohésion et dans lequel
se trouvent exclusivement les formations de pensée qui sont en jeu.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

C’est sur ces formations qu’est dirigée la visée (i) de celui qui pense ;
ces formations sont des résultats de pensée et en même temps des
soubassements pour de nouveaux actes de pensée. La pensée elle-
même, comprise concrètement comme intentionnalité (dont on laisse
ignorée la qualité) dans la « synthèse » de laquelle les formations de
pensée se constituent comme unités de sens, a besoin seulement
d’être dévoilée, ce qui aurait lieu dans une nouvelle activité de
pensée.
La pensée des savants —• actuelle aussi bien qu’habituelle, indi¬
viduelle aussi bien qu’intersubjective — est pensée cohérente.
Elle reçoit la cohérence de l’unité d’un intérêt théorique ou corréla¬
tivement de l’unité du domaine scientifique qui doit être exploré et
connu d’une manière conséquente. En ce qui concerne ce domaine,
ce qui se développe dans la pensée scientifique en fait de résultats
de la sphère du jugement et de la connaissance forme un champ
thématique indépendant (ouvert à l’infini), forme l’unité (qui continue
à se construire) de la science en tant que théorie, en tant que multiplicité
de thèmes connexes qui s’entremêlent les uns avec les autres
thématiquement.
Des réflexions dirigées du côté subjectif vont au delà de ce champ
thématique. En général, le savant n’inclura donc dans sa recherche,
du fait de l’exclusivité de son intérêt théorique pour son domaine
particulier, aucune thématique subjective. Le géomètre par exemple
ne pensera pas à explorer, outre les formes géométriques, également
la pensée géométrique. Il peut se faire que des passages à l’attitude
subjective soient occasionnellement utiles, même nécessaires, pour
l’intérêt propre qui vise la théorie du domaine. Comme dans d’autres
activités aux perspectives lointaines, dans les activités théoriques
également peut apparaître le besoin de demander dans une prise de
conscience réflexive : « Quelle méthode suis-je en train de suivre.

(i) Absehen.
52 LOGIQUE FORMELLE

quelles prémisses peuvent me servir ? » Mais le subjectif qui apparaît


dans ce cas n’appartient pas lui-même à ce vers quoi tend la science,
n’appartient pas à son thème proprement dit qui, en tant que théorie
universelle, renferme en soi tous les thèmes particuliers. Il en est
de même dans tout autre cas où la science fait intervenir dans ses
expressions les sujets et leurs actes; le caractère subjectif de la pensée
et des sujets pensants eux-mêmes n’est pas de ce fait inclus lui-même
dans le thème c’est-à-dire dans le domaine scientifique en jeu et dans
sa théorie. Il en est ainsi dans toutes les sciences « objectives » ou « posi¬
tives » auxquelles uniquement on pense, en règle générale, quand on
parle de science tout court. Cela tient à ce que l’idée de sciences ayant
une thématique à double orientation conséquente, une thématique liant
d’une manière conséquente la théorie du domaine scientifique avec
une théorie de la connaissance de cette théorie, se fait jour pour la
première fois dans les temps modernes et d’ailleurs d’une manière si
peu claire qu’elle a d’abord à combattre pour son sens spécifique
et pour son droit.
Les sciences positives se développent exclusivement dans le
plan de la théorie, théorie qui doit être façonnée de façon directe dans
une orientation thématique vers le domaine de connaissance ; on
doit donc façonner la théorie par une élaboration catégoriale continue
des objectités du domaine (qui sont livrées par une expérience et
qui sont reçues dans la pensée déterminante) et par la réunion systé¬
matique des formes ainsi obtenues pour arriver à des formations de
connaissance de niveaux toujours plus élevés, pour arriver à la
construction de la théorie scientifique du domaine qui n’est jamais
achevée mais qui a pourtant une unité systématique.
Ce plan théorique délimite la thématique scientifique, et au point
que les sciences positives s’efforcent consciemment de concevoir
encore plus strictement le concept d’objectivité théorique, à savoir
de telle sorte qu’elles excluent encore comme purement subjectif
une grande partie de ce que celui qui expérimente et pense préscien-
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 53

tifiquement trouve devant lui comme thème objectif. Il en est ainsi


dans les sciences de la nature pour le savant à l’égard des « qualités
sensibles ». Le sujet particulier qui expérimente trouve devant lui
les objets de la nature comme quelque chose ayant une quali¬
fication sensible, mais aussi comme objet, comme objet existant
en soi, qu’on n’atteint pas dans cet être par des actes de l’expérience
et de la pensée devant être saisis dans la réflexion, objet qui n’est pas
et qui ne doit pas être déterminé par la teneur de ces actes. Toutefois,
dans la mise en commun in ter subjective des activités d’expérience
et de pensée, il apparaît que les éléments constitutifs de l’objectivité
saisie dans l’expérience sensible et que les concepts descriptifs qui
leur sont appropriés ont des liens de dépendance avec les sujets
dans leur activité d’expérience tandis que pourtant l’identité des
objets en jeu reste intersubjectivement connaissable et déterminable.
Une science purement objective veut connaître théoriquement les
objets dans des déterminations strictement et purement objectives
au lieu de le faire dans des déterminations relatives et subjectives
telles que celles que l’on peut tirer de l’expérience sensible directe.
Ces déterminations strictement et purement objectives valent pour
tout être et en tout temps et c’est dans ces déterminations que se
développent, conformément à une méthode qui doit être exercée
par tout être, les vérités théoriques qui ont le caractère de « vérités
en soi » — par contraste avec les vérités qui ont une simple relativité
subjective.

§ io. La psychologie traditionnelle

ET LA THÉMATIQUE DES SCIENCES DIRIGÉE VERS LA SUBJECTIVITÉ

Si les sciences positives se délimitent donc par opposition à tout


ce qui appartient au caractère purement subjectif de l’expérience
et de la pensée des choses pour satisfaire à l’idée de l’objet pur pris
comme thème exclusif, il intervient cependant dans leur sphère une
54 LOGIQUE FORMELLE

science positive propre des sujets, la science des hommes et des


[34] animaux, c’est-à-dire la psychologie qui dans ces êtres prend pour
thème principal ce qui est psychique, ce qui est spécifiquement sub¬
jectif. Si cette psychologie était en fait la science de tout ce qui est
subjectif, elle serait dans un rapport remarquable de corrélation
avec toutes les sciences. Toutes sont des formations subjectives;
toutes elles ont une thématique objective qui provient d’eftectuations
cachées. Déjà leur domaine d’objets existe pour les chercheurs avant
toute théorie, ces domaines d’objets provenant de sources subjectives,
des sources de l’expérience concordante qui les donne au préalable.
En tant que domaines saisis et susceptibles d’être saisis par l’expé¬
rience, ces domaines d’objets mettent en mouvement l’intérêt théo¬
rique et reçoivent des formes catégoriales, entre autres celles de la
vérité scientifique dans l’évidence scientifique. La science universelle
du subjectif comprendrait en conséquence tout existant concevable
précisément en tant que saisissable par l’expérience et en tant que
vrai dans la perspective théorique. Elle serait science de la subjec¬
tivité universelle dans laquelle tout ce qui est vérité, provenant d’une
vie réelle et d’une vie possible, avec les possibilités de l’expérience
et de la théorie qui se dessinent dans cette vie elle-même, recevrait
le sens de l’être vrai. Pour chaque science en tant qu’effectuation qui
a été et qui continue à être, la science universelle du subjectif serait
la science corrélative précisément de cette effectuation. Puisque cette
psychologie serait elle-même science, elle serait rapportée à elle -même
de manière réflexive; en tant que science de tout ce qui est subjectif,
elle serait aussi science de ce subjectif aux sources duquel elle puise
les effectuations qu’elle accomplit. Cela se répéterait en elle en une
infinité de degrés.
11 est manifeste qu’aucune des psychologies qui se sont dévelop¬
pées au cours de l’histoire, dans l’antiquité et dans les temps modernes,
n a jamais satisfait à cette universalité; bien plus, aucune n’a examiné
à fond et sérieusement cette universalité, ne serait-ce que comme
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 55

problème. Nous ne contestons pas qu’une anthropologie et une zoo¬


logie, y compris une psychologie et une psychophysique des hommes
et des animaux, aient un sens légitime. Mais dans quelle mesure sont-
elles aptes à ces tâches universelles de corrélation à l’égard de toutes
les sciences et de tout être existant pour nous, cela peut être désigné
comme la grande énigme des temps modernes, avec les philosophies
transcendantales, les critiques de la connaissance, les théories de la
connaissance, les doctrines de l’entendement et de la raison, toutes
doctrines qui, quelle que soit la dénomination choisie, sont caracté¬
ristiques des temps modernes et sont l’objet de tentatives toujours
nouvelles d’amorçage. Nous devrons nous-même entreprendre un
examen plus précis sur ce point à partir de nos recherches de struc¬
tures portant sur l’idée de logique (a). Ici, à cet endroit, il importe
seulement d’éclairer nettement le contraste entre la thématique
« immédiate » des sciences positives (thématique qui est déterminée
[35] dans chaque cas par un domaine d’objets donné préalablement par
le moyen de l’expérience — inter subjective — et auquel elle se
consacre avec un intérêt exclusif) et entre d’autre part la thématique
réflexive (qui précisément par là même était exclue mais qui s’offre
maintenant dans des possibilités toujours ouvertes), c’est-à-dire la
thématique orientée vers la subjectivité effectuante dans son activité
d’expérience et de connaissance.

§ 11. Les tendances thématiques de la logique traditionnelle

a) La logique est dirigée originellement


vers les formations de pensée théoriques objectives

De la considération des sciences passons maintenant à la logique


qui en tant que doctrine de la science s’orienta en effet vers les sciences
pour y prendre ses exemples et demandons-nous comment les rap-

(a) Cf. IIe section, § 79.


56 LOGIQUE FORMELLE

ports essentiels que nous avons décrits entre l’objectif et le subjectif


s’établissent dans le développement historique de la logique.
Évidemment, dès le commencement et à proprement parler
même jusqu’en un temps proche de nous, la logique n’eut devant
les yeux, à titre de principe directeur, aucune autre science que les
sciences objectives, « positives », ces sciences se présentant à vrai dire
avec des degrés très différents de développement. En conséquence
comme premier thème universel elle ne pouvait trouver rien d’autre que
le règne des formations thématiques de la pensée scientifique se rapportant
à des domaines objectifs quelconques, de quelque manière qu’ils
soient donnés préalablement; elle ne pouvait donc trouver rien d’autre
que des jugements avec les « concepts » qui interviennent en eux, des
déductions, des démonstrations, des théories fermées, avec les moda¬
lités qui leur appartiennent et avec les différences normatives de la
vérité et de la fausseté. Examiner toutes ces formations réelles et
prétendues du savoir selon leur typique formelle et selon les condi¬
tions de vérité possible qui interfèrent avec cette typique, telle était
la tâche qui s’offrait tout d’abord.
Sans doute, le fait que l’intérêt des logiciens est naturellement
tourné d une maniéré prépondérante vers la sphère pratique de la
connaissance, le fait que les logiciens ont en vue une effectuation
rationnelle des efforts de connaissance et des actes de connaissance,
voilà qui dirige leur regard précisément vers ces efforts et ces actes.
Alais il ne s agit pas là d un dévoilement, d’une exploration en pro¬
fondeur dans l’intentionnalité constitutive qui joue d’une manière
cachée en ceux qui font effort et agissent dans le domaine de la connais¬
sance ; il s agit seulement de ce qui, ici comme en toute visée de la
volonté et en toute action, existe conjointement avec la position
du but et avec la réalisation progressive des résultats dans le champ
de la conscience lui-même et pour ainsi dire ressort d’une manière
manifeste en se détachant dans des formulations comme celles-ci :
« J arrive à tel et tel résultat, je donne naissance à cela, cela est formé
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 57

par moi, à dessein. » Les formations avec leur teneur et leur organi-
[36] sation aux formes multiples ainsi que les différents niveaux de for¬
mations intermédiaires, voilà ce que, ici comme partout, il faut
expressément décrire, en opposition à la formule uniforme et toujours
la même : « Je tends vers ceci et le réalise élément par élément. »
Nous discuterons encore de plus près ce point important. Indi¬
quons avant tout ici la distinction essentielle suivante. Les formations
théoriques ne se présentent pas comme le font les actes du moi qui
sont des actes passagers et pouvant seulement être répétés, mais elles
se présentent comme des objets c’est-à-dire en tant qu’objectités
pour ainsi dire saisissables, prêtes à être examinées, toujours à nou¬
veau identifiables et accessibles à l’examen, à l’analyse, à la description
répétés à peu près comme celles de l’expérience externe. Avec la
réserve que ces formations ne sont pas données comme ces pré¬
données passives de l’expérience externe, mais qu’elles sont données,
en tant que catégoriales, uniquement par l’action théorique (a).
Mais alors ces formations ont précisément, elles aussi, une présence,
tout d’abord en se construisant à la manière d’événements et ensuite
comme étant précisément identifiables dans la répétition de l’activité.
Ainsi elles doivent à titre de résultats être tirées de tout juger qui est
nôtre, à tous les degrés de complexité, et aussi de tout jugement
d’autrui réeffectué par nous, et cela en fait ou en pensée; alors ces
formations sont, selon l’une ou l’autre de ces éventualités, des juge¬
ments que nous « portons » effectivement ou des jugements possibles.
Comme le sont dans tout autre type d’expérience les objets d’expé¬
rience, de même donc ici dans 1’ « expérience catégoriale » les forma¬
tions catégoriales (l’expression étant prise dans un sens fort large)
sont données originellement d’une manière intuitive et évidente.
Assurément nous aurons encore à faire attention à ce qu’ici, suivant
les différentes directions d’examen, des objectités différentes pour-

(a) Cf. IIe section, § 46.


58 LOGIQUE FORMELLE

ront — et, pour le logicien, devront — être identifiables, saisissables


par l’expérience dans des évidences correspondantes.
Ainsi le logicien avait donc des objets lui faisant face qui, à titre
d’exemples, lui servaient de substrats pour des « idéalisations ». Il en
résultait la possibilité de ces « formalisations pures » au moyen des¬
quelles se développent les concepts de « formes » analytico-logiques.
Ces formes de leur côté étaient alors a fortiori quelque chose qui a
une consistance et une stabilité de même sorte que celles de ces objets,
quelque chose qui pouvait être décrit selon ses éléments formels
élémentaires, mais qui pouvait être considéré aussi sous des points
de vue opératoires. Des modes de variation constructive de formes,
des modes de liaison constructive de formes, avec une possibilité
itérative de répétitions, étaient donnés comme possibilités ouvertes
et c’est au moyen de ces modes qu’on pouvait engendrer des formes
toujours nouvelles à partir de formes déjà données : comme dans la
formation combinatoire de formes complexes de jugements à partir
de formes plus simples ou comme dans la libre formation de formes
de déductions à partir de formes de jugements. C’est dans une géné¬
ralité formelle qu’étaient ainsi ébauchées à l’avance les possibilités
13 7] concevables pour les formes de jugements et de connaissances qui
doivent être effectuées concrètement dans tous les domaines conce¬
vables de la connaissance.
On comprend alors que la logique à ses débuts était donc déjà
entravée de façon prédominante, dans ses prises de conscience sur
le savoir et sur la science, par les aspects théoriques objectifs; cepen¬
dant l’on ne songeait pas primitivement — et il n’y a pas encore bien
longtemps — à restreindre, en pleine conscience et expressément, le
thème de la logique aux formations pures du jugement et de la connais¬
sance qui pourtant formaient le champ proprement dit du travail
logique. La logique ayant ainsi débuté, de lui-même le cours interne
des choses l’entraînait plus loin. Ici, il n’en est pas autrement, pour
1 essentiel, qu’il en est dans les domaines de recherche relevant de
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 59

n’importe quel type d’expérience. L’intérêt théorique, une fois fixé


sur les données dans une sphère quelconque, poursuit son cours
avec esprit de suite. Soulignons à nouveau que les données logiques
étaient précisément, elles aussi, à leur manière, des données de l’expé¬
rience, des objets identifiables et se prêtant à l’examen et qu’il est
sans importance qu’il soit courant ou non ici de parler d’expérience
et même qu’on ne puisse jamais se rendre compte de l’analogie
d’essence de leurs modes originels de donnée avec ceux de l’expérience
commune. Et cette « expérience » (avec ses variantes, c’est-à-dire en
tant que souvenir, en tant qu’expérience « possible », etc.) comme
toute autre expérience fait fonction de fondement pour la formation
de concepts descriptifs et pour l’accomplissement de connaissances
descriptives, entre autres, de connaissances essentielles.

b) Direction de la logique vers la vérité et réflexion subjective


sur l'évidence rationnelle (i),
réflexion conditionnée par cette direction de la logique

L’orientation de la logique n’était pas alors orientation vers les


jugements en général, vers le savoir présumé, mais elle était finale¬
ment orientation vers le savoir authentique et ses formes typiques.
Cela produisit tout d’abord inévitablement une espèce de conversion
subjective. On se disait en somme : le savoir authentique, la vérité,
sont saisis dans les actes de la raison, dans l’évidence rationnelle qui,
une fois exercée, peut être répétée et peut être répétée aussi par tout
autre être rationnel et ainsi persiste à titre de possession spirituelle.
Des propositions qui sont évidentes immédiatement conduisent par
des déductions élémentaires évidentes à des propositions qui alors
deviennent évidentes en tant que vérités conséquentes. Une théorie
déductive — une théorie déductive authentique — est un enchaîne¬
ment de démarches élémentaires qui est édifié à l’aide de pures

(i) Einsicht.
6o LOGIQUE FORMELLE

démarches de Yévidence et qui instaure ainsi une unité de la vérité.


Il en est de même pour les déductions « concrètes » partant de pré¬
misses non évidentes, avec leur valeur hypothétique de connaissance.
Le « être-impliqué-à-titre-de-conséquence » des jugements déductifs
dans les prémisses est alors en effet évident et il est évident en même
temps que les conséquences devraient devenir des vérités si les pré¬
misses se révélaient dans l’évidence comme des vérités. Ainsi donc,
dans la science authentique, du côté objectif il n’apparaît rien en fait
de propositions et d’enchaînements de propositions qui n’ait acquis,
grâce à des évidences rationnelles, sa « valeur de connaissance », son
caractère de validité de la vérité, de la conséquence hypothétique, etc.
Dans de telles réflexions qui manifestement déterminent originel¬
lement la logique en son début, il est donc inévitablement question
constamment de ce qui est subjectif, avant tout de raison et d’évidence
rationnelle : par ce mot (comme en témoigne l’usage qu’on en fait) est
signifiée du reste en même temps la possibilité permanente d’évidence,
bien qu’originellement cette possibilité soit acquise grâce à l’activité
actuelle d’évidence. Mais cette expression subjective a beau pré¬
supposer que le regard se tourne vers le psychique, cependant tout
ce qui dans la science vient à être établi en tant que résultat est situé
purement du côté objectif, et également tout ce que le logicien dans
ces réflexions veut mettre en évidence thématiquement et traiter
comme théorie de la théorie est uniquement du logique objectif.
Il faut ici remarquer en particulier que le « vrai », le « déduit », le
« non-contradictoire » qui sont obtenus dans F évidence apparaissent en tant
que caractères et prédicats attachés aux formations de jugement elles-
memes, donc apparaissent du côté objectif et par conséquent consti¬
tuent le thème des théories formelles qui doivent être traitées par
une logique pure des significations. Tout ce qui est « logique » au sens
fort, le « rationnel », possède ces caractères en tant que caractères
objectifs en soi, et la logique doit désigner ces caractères expressé¬
ment et examiner les conditions de leur appartenance légitime.
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 61

« Vérité » est l’expression objective, « évidence rationnelle », « raison »


l’expression subjective et corrélative. Il en est ainsi pour tout mode
particulier de prédicats de validité. Tout énoncé scientifique délimité
d’une manière unitaire et purement et simplement posé a ou prétend
avoir ce prédicat de la vérité puisé aux sources de l’évidence ration¬
nelle. Dans les sciences, cette idée n’est pas formulée car elle est
considérée comme allant de soi et inutile ; répétée, elle serait fasti¬
dieuse (excepté peut-être en ce qui concerne le doute et la controverse
préalables). Mais, dans la logique, cette idée, dans sa relation aux
simples formes du jugement, constitue précisément la chose prin¬
cipale du point de vue thématique.
Au demeurant, la réflexion fréquente sur l’action subjective est
commune aux sciences et aux autres domaines où l’on procède
selon les règles d’un art. Dans le sens des formations de pensée elles-
mêmes, en tant qu’elles proviennent d’activités de pensée, est impli¬
quée la référence aux actes correspondants, à leur ordre et à leur
liaison. Aussi peut-on décrire les formations également à partir de
celui qui agit et à partir de son action. Au lieu de dire par exemple :
a —b b = a, on peut dire aussi que l’on soustrait b de a et que l’on
ajoute à nouveau b, etc., ou au lieu de dire : des prémisses M et N
il s’ensuit Q, on dit : des jugements M et N on doit conclure Q. Mais
ainsi l’on n’a acquis rien d’essentiel; on est certes renvoyé au rythme
plus ou moins complexe des actes du moi (des démarches de Y ego
cogito) mais pour ces actes eux-mêmes il n’est fourni à proprement
parler aucune description. Compter, c’est donner naissance à des
nombres, soustraire c’est donner naissance à des différences, multi¬
plier c’est donner naissance à des produits, etc., de même déduire
c’est donner naissance à des jugements conséquents à partir de
jugements. On a en vue les éléments auxquels on donne naissance,
ce vers quoi l’on tend et qu’on engendre et c’est là que réside ce qui
est substantiel et saisissable tandis que le je-compte, le je-déduis qui
sont vides ne veulent rien dire de plus que : laisser se développer la
62 LOGIQUE FORMELLE

visée qui tend vers les résultats et laisser se développer dans leur réali¬
sation les résultats engendrés. Cela ne doit naturellement pas signifier
qu’il n’y a pas d’analyses et de descriptions subjectives, mais cela
signifie seulement qu’au delà des résultats engendrés et au delà du
développement subjectif dans lequel ils se réalisent progressivement
une subjectivité intentionnelle doit être explorée dans laquelle se
constituent comme unités synthétiques les éléments qu’elle est en
train d’engendrer et qu’elle a engendrés — subjectivité à laquelle on
n’a encore nullement accès lorsqu’on se tourne ainsi simplement
vers le « je pense ».

c) Conséquence : Caractère hybride de la logique traditionnelle


en tant qu'elle est à la fois discipline théorique
et discipline normative et pratique
En conséquence de tout cela, nous comprenons pourquoi la
logique dans tout le cours de son développement jusque dans l’époque
la plus récente (aussi longtemps que la philosophie transcendantale
n’avait pas sur elle une action radicale de motivation) devait avoir
sa sphère thématique essentielle dans le champ de la théorie, dans
celui des multiples formations de jugement et de connaissance et
nous comprenons pourquoi la thématique des activités subjectives
de pensée, tout en se trouvant en apparence mise fortement en relief,
n’avait cependant qu’un rôle complètement secondaire.
Cependant nous ne devons pas non plus négliger ce qui suit.
Tandis que nous décrivions les tendances thématiques de la logique
traditionnelle, telles qu’elles furent motivées par le fait qu’elles
étaient dirigées par les sciences positives, nous devions, dans nos
propres réflexions, décomposer les enchaînements intentionnels
avec une pleine conscience et une pénétration qui étaient encore
étrangères à la logique elle-même et donc aux logiciens qui la
maniaient. Ce sur quoi de préférence nous avions dirigé notre regard :
l’objectivité des formations théoriques en tant que données d’une
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 63

[4o] « expérience » propre (de l’expérience « catégoriale » comme nous


l’appelions), n’est absolument pas, dans la tradition, parvenue à la
validité et doit même aujourd’hui encore lutter pour son droit.
On ne pourra pas se soustraire à l’élargissement indispensable du
concept d’objet d’après lequel non seulement des objets réels, mais
aussi des objets irréels (« idéaux ») sont compris sous ce concept;
à cet élargissement correspond l’élargissement du concept d’expé¬
rience, concept qui dans cet élargissement garde précisément l’essen¬
tiel de la saisie de la chose elle-même (de la possession de la chose
elle-même, de la donation de la chose elle-même) (a).
L’orientation des logiciens qui est privilégiée d’une manière
naturelle — c’est-à-dire l’orientation normative et qui relève de la
technique de la connaissance — était telle que, pour eux, comme nous
le disions plus haut, était placé au premier plan le penser en tant
qu’action de l’esprit, ainsi que le psychique réel dans lequel se pré¬
sente l’irréel, la formation idéale de pensée qui est en jeu. Cette
action et aussi le sujet psychique en tant que sujet ayant une activité
de pensée devaient être réglés. L’intérêt normatif qui gagnait du
terrain tendait, comme on le conçoit facilement, à masquer l'objectivité
idéale des formations elles-mêmes\ il tendait pareillement à ne pas laisser
s’établir une thématique théorique rapportée consciemment et
purement à cette objectivité idéale. Mais, du fait de cette attitude, le
logicien (bien qu’il ait dans son travail pourtant constamment affaire,
comme nous le disions ci-dessus, à ces formations idéales) soumettait
les formations aux synthèses d’identification, les réduisait à des
concepts formels, etc. Les formations restaient donc de ce fait non
détachées thématiquement du subjectif. Ici résident — nous aurons
encore à en parler — de réelles difficultés, car avec les formations
engendrées il ne s’agit pas de quelque chose d’externe, mais de

(a) Cf. ci-dessous, IIe section, chap. Premier, §§ 57-59 ; cf. également l’introduc¬
tion du concept d’intuition catégoriale, Logische Untersuchungen, t. II, 2e partie,
pp. 142 sqq.
64 LOGIQUE FORMELLE

ce qui est engendré à l’intérieur de la sphère psychique elle-même.


Mais présentement il importe pour nous seulement de com¬
prendre, en déployant l’intentionnalité la plus originelle qui détermine
le sens de la logique, le caractère essentiel de la logique traditionnelle.
En résumé, il s’agissait donc tout d’abord de comprendre la logique
dans son caractère hybride en tant qu’elle est à la fois discipline théo¬
rique et discipline normative et pratique; le caractère hybride de la
logique impliquant le caractère hybride de sa thématique, il s’agissait
de comprendre cette thématique, d’une part, en tant que thématique
des significations idéales (des formations catégoriales) et, d’autre
part, en tant que thématique des activités de pensée et de leur régu¬
lation normative. Mais ensuite il s’agissait de comprendre que ce qui
était saisissable du point de vue théorique, que ce qui était subs¬
tantiel dans ce caractère hybride de la logique, que ce qui était présenté
dans les théories syllogistiques traditionnelles, n’était en essence
rien d’autre, quoique non saisi avec pureté, que la théorie de la théorie,
donc n’était rien d’autre que la théorie des formations du champ
idéal objectif (formations de la sphère du jugement et de la connais¬
sance'). Ce qui dépassait ce champ idéal objectif dans les expressions
[41] et les pensées dirigées vers le subjectif n’apportait, comme nous le
montrions, aucun élément essentiellement nouveau, mais seulement
des tournures subjectives qui vont de soi. C’est seulement très tard
— avec l’établissement de la philosophie transcendantale, psycho¬
logiste ou antipsychologiste — que se rattachèrent à cela des recher¬
ches subjectives effectivement nouvelles et substantielles que ne
gouvernait assurément pas une bonne étoile et qui en tout cas ont
encore à lutter pour leur juste sens. Nous les avons laissées et nous
les laissons encore provisoirement hors d’examen pour explorer les
structures essentielles d'une logique objective, apophantique, d’une logique
« analytique », « formelle » et pour traiter ensuite les problèmes de sa
délimitation essentielle; pour ce faire, nous serons guidés par notre
évidence — évidence qui s’acquiert d’elle-même — concernant la
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 65

thématique purement objective de la logique. Pour le premier point


nous partirons de l’apophantique logique originelle. Et pour le
second nous partirons des disciplines mathématiques modernes qu’il
faut qualifier pareillement d’ « analytiques », de « formelles » et nous
tournerons notre attention vers les questions obscures du rapport
de cette mathématique « analytique » avec la logique formelle tradi¬
tionnelle et, par voie de conséquence, vers les questions du rapport
des idées d’ontologie formelle et d’apophantique formelle.

E. HUSSERL 5
PREMIÈRE SECTION

LES STRUCTURES ET LE CHAMP


DE LA LOGIQUE FORMELLE
OBJECT1VE
[42] (A) LE CHEMIN QUI VA DE LA CONCEPTION
TRADITIONNELLE A L’IDÉE PLEINE DE
LOGIQUE FORMELLE.

Chapitre Premier

LA LOGIQUE FORMELLE
CONÇUE
COMME ANALYTIQUE APOPHANTIQUE

§ 12. La DÉCOUVERTE DE L’IDÉE DE FORME PURE DU JUGEMENT

D’après nos développements généraux on comprend de prime


abord que c’est en tant que fragment historiquement premier d’une
logique développée systématiquement qu’a pris naissance l’analytique
aristotélicienne, première amorce d’une logique des formations
théoriques. C’était, à l’intérieur de cette orientation thématique, une
logique « formelle » en un sens particulier bien que, en tant que telle, elle
n’atteignît pas à l’extension et à la pureté complète conformes à son
essence. En embrassant d’un coup d’œil les jugements qui se pré-
7° STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

sentent, avec une détermination concrète, dans la vie et dans la


science, on voit se dessiner aussitôt la typique du jugement la plus
générale, les similitudes formelles de jugements appartenant même à
des domaines hétérogènes. Aristote fut le premier à mettre en évi¬
dence cette idée de forme qui était appelée à déterminer le sens fonda¬
mental d’une « logique formelle » telle que nous la comprenons actuel¬
lement et telle que déjà l’avait comprise Leibniz dans sa synthèse de
la logique formelle (en tant que logique apophantique) et de l’analyse
formelle en vue de l’unité d’une mathesis universalis. C’est Aristote
le premier, pouvons-nous dire, qui effectua dans la sphère apophan¬
tique — celle des assertions (des « jugements » au sens logique tradi¬
tionnel) — cette « formalisation » ou « algébrisation » qui apparaît
dans l’algèbre des temps modernes avec Viète et qui distingue ce qui
est dès lors 1’ « analyse » formelle de toutes les disciplines mathé¬
matiques matérielles (géométrie, mécanique, etc.). Dans les énoncés
qui servent d’exemples et qui sont déterminés concrètement Aristote
remplaça par des lettres algébriques les mots (termes) dans lesquels
se revèle le concret (i); il remplaça donc par des lettres ce dont il
est question dans les énoncés, ce qui détermine les jugements en tant
[43] °lue jugements se rapportant à tel ou tel domaine concret ou à telle
ou telle chose particulière. Pour le sens, cela signifiait qu’Aristote
remplaçait dans les jugements tout « noyau » concret par le facteur :
« Un quelque chose arbitraire »; dans ce remplacement, les facteurs
du jugement qui subsistaient restaient maintenus comme facteurs
de la forme, comme facteurs qui persistent en restant les mêmes dans
la succession arbitraire de jugements de sphères concrètes différentes.
De pair avec cette conception qui change les noyaux concrets en
éléments arbitraires indéterminés ou, au niveau du langage, en termes
indéterminés : S, p, etc., le jugement déterminé en tant qu’exemple
se change en l’idée générale et pure de forme, en le concept pur d’un

(1) Dos Sachliche.


LA LOGIQUE FORMELLE 7i

jugement en général, et cela selon la forme déterminée du jugement


« S est p » ou selon la forme « quand S est p, alors Q est r », etc. (a).
Sans doute chez Aristote la variabilité des termes —- et donc aussi
la pureté de la forme — n’est pas complètement libre, dans la mesure
où il rapporte dès le commencement son analytique au monde réel
et par conséquent n’exclut pas encore de son analytique les catégories
de la réalité. Seule l’apparition de l’algèbre a permis aux modernes
le progrès vers une logique purement formelle; cependant déjà
le moyen âge dans l’écrit De modis signijicandi attribué à Duns Scot
paraît être parvenu à la conception du purement formel (b), sans
faire prévaloir il est vrai cette vue.

§ 13. La morphologie pure des jugements


EN TANT QUE PREMIERE DISCIPLINE LOGICO-FORMELLE

a) L’idée de morphologie
La possibilité de soumettre tous les jugements aux concepts purs
de la configuration ou de la forme entraîna immédiatement l’idée d’une
classification descriptive des jugements exclusivement sous ce point
de vue de la forme, donc abstraction faite de toutes les autres dis¬
tinctions et positions de question, comme celles touchant la vérité
ou la non-contradiction. On distingua ainsi, quant à la forme, des
[44] jugements simples et des jugements composés, parmi les jugements
simples les formes du jugement singulier, du jugement particulier,

(a) Cf. Appendice I. _ r ,


(b) Cf. H. Heidegger, Die Kategorien- und Bedeutungslehre des Duns scotus,
en particulier,'p. 34. Cf. en outre : M. Grabmann, Die Entwicklung dermittelalter-
lichen Sprachlogik (Tractatus de modis significandi) in Philosophisches Jahrbuch
der Gôrresgesellschaft, 1922, p. 121 sqq., p. 199 sqq. ; le même écrit augmenté et
remanié in : Mittelalterliches Geistesleben. A bhandlung zur Geschtchte der Scholasnk
und Mystik, Munich, 1926, pp. 104-146 ; sur la Grammatica Speculahva estimée
comme étant une œuvre de Thomas von Erfurt et qui avait été jusque-là attribuée
à Duns Scot, cf. en particulier, pp. 118-125.
72 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

du jugement universel; on passa aux configurations complexes du


jugement conjonctif, du jugement disjonctif, du jugement hypo¬
thétique et du jugement causal auxquelles appartenaient aussi les
complexes de jugements qui sont appelés déductions. On prit ensuite
aussi en considération les modalisations des jugements conçus comme
certitudes et les formes qui en proviennent.
Si une telle description avait été poursuivie systématiquement
d’une manière conséquente et pure, il se serait dégagé nettement une
discipline propre qui a été définie pour la première fois dans les
Logische Untersuchungen et qui a été caractérisée comme morphologie
pure des significations (ou grammaire pure logique). Cette morphologie
pure des jugements est la discipline logico-formelle première en soi
qui était en germe dans l’ancienne logique mais qui n’était pas encore
arrivée a se manifester pleinement. D’après nos développements
elle concerne la simple possibilité de jugements en tant que jugements
sans poser la question s’ils sont vrais ou faux, si même seulement
ils sont, simplement en tant que jugements, compatibles ou contra¬
dictoires (a).

b) La généralité de la forme du jugement ;


les formes fondamentales et leurs variantes

Pour saisir l’idée de cette morphologie pure, on aurait dû se


rendre clair qu en vue d’une classification des jugements possibles
en général eu égard à leur « forme » apparaissent des « formes fonda¬
mentales », ou, le cas échéant, un système fermé de formes fondamen¬
tales à partir desquelles, grâce à une légalité essentielle propre, des
formes toujours nouvelles, toujours plus richement différenciées
et finalement le système de toutes les formes concevables de juge¬
ment, prises en général — peuvent être engendrées par construction

(a) Pour le fondement précis de l’idée de cette a grammaire pure logique,


voir dans les Logische Untersuchungen, t. II, i™ partie, section IV.
LA LOGIQUE FORMELLE 73

dans l’infinité de leurs configurations qui sont différenciées et qui


se différencient toujours à nouveau. Il est remarquable que l’on
n’ait jamais vu cela et que l’on n’ait pas vu non plus la tâche logique
fondamentale qu’implique cette situation.
Pour parler plus précisément, on aurait dû tout d’abord se
rendre clair que toute forme de jugement, de quelque façon qu’elle
soit obtenue, a la généralité d’un genre, non seulement à l’égard de
jugements déterminés possibles, mais aussi à l’égard des formes pures
qui lui sont subordonnées. Ainsi par exemple à la forme S est p
est subordonnée la forme Sp est q et à cette forme est subordonnée
à nouveau la forme (Sp) q est r. Mais toute forme de jugement porte
aussi en soi une généralité d’un tout autre sens, à savoir en tant
qu’elle renferme en elle une multiplicité de formes possibles à titre
de « modifications » de cette forme; par exemple la forme S est p
renferme en elle les modifications : « Si S est p », « donc S est p » qui
peuvent alors intervenir comme éléments constitutifs de formes de
jugement qui forment un tout. Il en va de même pour n’importe
quelle forme. On aurait dû expressément prêter attention à ce que
ces formes qui se présentent de cette manière comme différences
dépendant d’une forme générale doivent être dérivées de cette
forme par construction. Ensuite que ce n’est pas n’importe quelle
forme qu’il faut considérer pour une telle différenciation constructive
d’autres formes mais que partout nous revenons à des formes primi¬
tives. Ainsi la forme du jugement déterminant S est p (où p désigne
une qualité et S son substrat) est une forme primitive à partir de
laquelle on peut dériver des particularisations et des modifications.
Elle est forme primitive; en considérant les choses de plus près nous
dirons qu’elle est forme primitive à l’intérieur du genre suprême :
« apophansis » de la logique apophantique, si ce genre est rapporté
exclusivement aux certitudes prédicatives tandis que les modalités
du jugement qui en soi ne tombent pas sous ce genre sont impliquées
dans ce genre lorsqu’elles subissent une transformation et deviennent
74 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

alors des certitudes qui ont un contenu modifié : des certitudes sur
des possibilités, des probabilités, etc.
On peut naturellement caractériser de même comme forme le
genre apophansis, dans sa généralité laissée indifférenciée par rapport
aux formes particulières et on peut l’impliquer avec cette généralité
dans des constructions de forme. Ainsi nous pouvons, si les signes
littéraux désignent des énoncés qui sont des assertions ayant une
autonomie, former par exemple A et A’ (en tant que formation d’un
jugement conjonctif, donc in forma en tant que type de production
correspondante de formes); de même nous pouvons former : si A,
alors A’, etc. Les formes indéterminées A et A’, nous pouvons par
exemple tout d’abord les déterminer plus précisément au moyen de
formes primitives de particularisations et à partir de ces formes,
selon des principes quelconques de construction de formes, nous
pouvons progresser jusqu’à des formes toujours nouvelles. Des
formes générales de construction de cette espèce comme les formes
conjonctive et hypothétique sont alors également des formes fonda-
mendales, en tant qu’elles désignent des espèces fondamentales d'« opé¬
rations » que nous pouvons entreprendre avec deux jugements arbi¬
traires ou plutôt avec deux formes arbitraires de jugements.

c) Le concept d'opération
en tant que concept conducteur de la recherche des formes

Si nous sommes devenus attentifs au point de vue de l'opération


(avec les lois de l'opération dans lesquelles mathématiquement parlant
se trouvent des « propositions existentielles »), alors d’une manière
[46] naturelle nous choisirons ce concept d’opération comme concept
conducteur de la recherche des formes; nous devrons accomplir
cette recherche à la manière d’une exposition des opérations fondamentales
et de leurs lois, ainsi que de la construction idêelle de l'infinité des formes,
et cela, conformément à ces opérations. Les formes fondamentales ne
LA LOGIQUE FORMELLE

se tiendront pas alors les unes à côté des autres, mais elles devront
aussi être fondées les unes sur les autres. Ainsi, par exemple, la forme
S est p est plus originelle que la forme Sp est q qui est déjà une trans¬
formation opératoire de la première, c’est-à-dire une transformation
effectuée au moyen de l’opération du changement du prédicat en un
attribut. Mais cette forme Sp est q intervient dans la définition de
cette opération, portant en soi aussitôt un nouveau principe pour
des constructions de formes.
Finalement on pourra arriver à concevoir le point de vue opéra¬
toire d’une manière si large que, sous ce point de vue, on considérera
déjà la forme fondamentale S est p comme une opération, l’opération
de la détermination d’un substrat de détermination S ; on pourra de
même considérer toute modalisation comme une opération qui
construit des formes et certes, dans une certaine manière, transforme
le sens, de sorte qu’à l’égard de la série des modalités c’est pour des
raisons essentielles que la forme de l’apophansis (au sens originel,
l’assertion qui a le caractère de certitude) est caractérisée comme forme
primitive et les autres formes comme ses variantes. Là, on voit assu¬
rément sur le champ que la notion d’opération, au sens de change¬
ment qui doit être engendré dans une libre activité et qui permet de
passer de tout jugement à un autre jugement, fournit un concept
étroit, en tant que la modalisation en effet n’est pas l’affaire d’une
transformation arbitraire.
Il faut encore maintenant faire ressortir le fait suivant : toute
organisation opératoire d'une forme à partir de formes a sa loi et cette loi,
en ce qui concerne les opérations proprement dites, est d’une telle
espèce que ce qui est engendré peut être soumis à nouveau aux mêmes
opérations. Toute loi opératoire porte donc en soi une loi d'itération. Cette
légalité T opération itérable traverse tout le domaine du jugement et
rend possible la construction par itération de l’infinité des formes
possibles en général et cela au moyen de formes fondamentales et
d’opérations fondamentales qu’il faut établir.
76 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

§ 14. La logique de la conséquence (i)


(logique de la non-contradiction)
EN TANT QUE SECOND NIVEAU DE LA LOGIQUE FORMELLE

De la morphologie pure des jugements se distingue, comme un


plus haut niveau de la logique formelle du jugement, la science des
formes possibles des jugements vrais. Elle a été développée dans le passé
au moins comme un fragment de la logique bien que ce ne fût pas
dans un tel enchaînement systématique et bien que ce ne fût pas avec
[47] pureté. En fait, il était tout naturel de considérer les simples formes
de jugements du point de vue suivant : dans quelle mesure, isolées
ou organisées en formes complexes, ces simples formes du jugement
renferment-elles en elles, avec une généralité essentielle, les condi¬
tions de la vérité et de la fausseté possibles pour tous les jugements
concevables de forme correspondante. En particulier en ce qui
concerne les formes de déduction (formes complexes de propositions
dans lesquelles se trouvent des déductions justes et des déductions
fausses) il était évident que ce ne sont pas des formes arbitraires de
propositions qui sont associables pour constituer des formes de
déductions authentiques, de déductions effectivement « conséquentes ».
On voit avec évidence que certaines formes de déduction ont en
même temps la valeur de lois essentielles formelles, à savoir en tant
que vérités générales se rapportant à la conséquence des jugements :
se rapportant à Vêtre-impliqué (« analytique ») des jugements de telle
et telle forme dans les jugements-prémisses de forme corres¬
pondante. De même on voit avec évidence que d’autres formes de
déductions ont la valeur de lois essentielles de contre-conséquences
analytiques, de « contradictions » analytiques, qu’elles ne sont pas à
proprement parler des formes de « déductions concluantes » (2) mais
pour ainsi dire d’ « exclusions » (3).

(1) Konsequenzlogik.
(2) Schlüssen.
(3) Ausschlüssen.
LA LOGIQUE FORMELLE 77

En examinant plus profondément le sens de cet être-impliqué


et de cet être-exclu analytiques, la recherche logique aurait pu en
arriver à la connaissance que la logique formelle traditionnelle n'est pas
une « logique pure de la non-contradiction » et qu’avec la mise en évidence
de cette pureté devrait s’opérer une séparation interne, extrêmement
significative, dans la problématique et dans la théorie de la logique.
C’est un problème propre de rechercher systématiquement les lois
essentielles qui gouvernent purement l’être-impliqué et l’être-exclu,
qui gouvernent purement la non-contradiction analytique interne et la
non-contradiction analytique externe des jugements, des jugements
isolés ou entrant en composition. Alors il n'est pas encore question
de la vérité des jugements, mais il est seulement question de savoir si les
membres de jugement entrant dans l’unité d’un jugement formant
un tout, simple ou si complexe soit-il, sont « compatibles » entre eux
ou s'ils se contredisent l'un l'autre et si par là ils font du jugement lui-
même considéré un jugement contradictoire, un jugement qui « à
proprement parler » n’est pas effectuable. C’est conformément a
cela qu’il faut comprendre que l’on parle de lois logiques qui règlent,
en s’appuyant sur la forme, la simple non-contradiction des jugements.
C’est une vue importante que les questions de la conséquence et
de la non-conséquence des jugements se laissent poser in forma, sans
que soit posée par là le moins du monde la question de la vérité et de
la fausseté, donc sans que soient introduits dans le thème ces concepts
et leurs dérivés. En conséquence, nous nommons également ce
niveau de la logique formelle logique de la conséquence ou logique de
la non-contradiction.
Le problème de la non-contradiction comprend aussi naturel¬
lement la compossibilité de collections de jugements posées d’une
manière tout à fait arbitraire, en tant qu’alors est considérée en même
temps l’unification des jugements en un seul jugement collectif
_ jugement qui est donc pensé par un sujet jugeant dans me seule
intention de jugement. Le problème de la non-contradiction concerne
7» STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

de même la compatibilité non-contradictoire des jugements dans


d’autres types d’assemblages de jugements, comme par exemple
dans le cas des jugements qui en tant que jugements-membres
forment unité dans une théorie quelconque prétendue et en tant que
cette unité est unité d’un jugement d’ordre plus élevé — ce jugement
ayant bien le caractère d’unicité mais étant fondé d’une manière fort
complexe. La même chose est valable si nous descendons des juge¬
ments complexes aux jugements simples au sens habituel. Est valable
alors en tant que jugement simple toute apophansis ayant une auto¬
nomie, qui ne se démembre plus en jugements qui eux-mêmes aient
une telle autonomie apophantique. Mais une apophansis simple a
aussi en ce sens des membres qu’on doit considérer comme des
unités de la nature du jugement quoique non indépendantes et ainsi
la distinction de la compatibilité non-contradictoire et de la contra¬
diction, de même la légalité analytique formelle, s’étendent aussi à
cette apophansis.
Ainsi se constitue donc un concept d’une analytique apophantique
pure, qui est pris au sens fort et qui a son autonomie; dans cette ana¬
lytique pure s’incorpore, quant à sa teneur essentielle, toute la syllo¬
gistique mais aussi, comme nous le montrerons, beaucoup d’autres
disciplines, celles de 1’ « analysis » de la mathématique formelle.
Cependant, comme on peut le souligner aussitôt, on ne se passera
pas pour autant du concept originel d’analytique conçue comme
analytique au sens large et dans le progrès de notre recherche ce concept
pris dans son sens spécifique pourra, précisément en se fondant sur le
concept étroit, être amené à une détermination rigoureuse.
Les concepts fondamentaux de l’analytique pure prise au sens
fort sont constitués exclusivement, à titre de concepts fondamentaux
de la validité (a titre de concepts-normes), par la conséquence et la contra¬
diction analytiques; en revanche, comme nous l’avons déjà dit, «’inter¬
viennent pas la vérité et la fausseté ainsi que leurs modalités. Cela, il
Faut le comprendre dans son juste sens : ce n’est pas à titre de concepts
LA LOGIQUE FORMELLE 79

fondamentaux appartenant à la sphère thématique que ces concepts


interviennent. Ils jouent donc dans cette analytique pure uniquement
le rôle qu’ils jouent dans toutes les sciences, en tant que toutes les
sciences tendent vers des vérités, donc parlent aussi de vérité et de
fausseté; mais cela ne signifie pas que la vérité et la fausseté appar-
[49] tiennent à leurs « concepts fondamentaux », c’est-à-dire aux concepts
qui sont essentiellement propres aux domaines scientifiques considérés.

§ 15. Logique de la vérité et logique de la conséquence

Après la mise à part de l’analytique pure, une question logique


relevant d’un niveau plus élevé serait donc la question concernant les
lois formelles de la vérité possible et de ses modalités. Quels moyens
une logique s’attachant aux simples formes de la signification des
énoncés, donc aux formes du jugement, possède-t-elle pour devenir
à proprement parler une logique de la vérité ? Il est tout de suite
visible que la non-contradiction est une condition essentielle de vérité
possible mais que c’est seulement par une certaine connexion (connexion
qui relève d’une légalité essentielle et qui doit être formulée spécialement
dans une logique) de ces concepts qui en soi sont à distinguer que la
simple analytique se change en une logique formelle de la vérité. Nous
nous étendrons sur ce point plus tard. Tout d’abord arrêtons-nous
encore au domaine de l’analytique apophantique pure.

§ 16. Différences d’évidences fondant la décomposition


EN NIVEAUX DE l’aPOPHANTIQUE

Évidence de la clarté et évidence de la distinction

a) Les modes d’’accomplissement du jugement


Distinction et confusion
On ne peut s’en tenir à la simple indication des séparations qu’il
faut nécessairement entreprendre dans une logique formelle, sépa¬
rations dont s’occupaient les derniers paragraphes. Il est besoin
8o STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

d’actes de fondation qui vont à un niveau plus profond et qui expli¬


citent les différentes évidences correspondantes; et également c’est
seulement avec ces actes de fondation qu’une véritable intelligence
de la nécessité et de la portée de ces distinctions peut se faire jour.
Un jugement en tant qu’il est le même jugement peut être donné
d’une manière évidente dans des modes subjectifs de donnée très
différents. Il peut se présenter comme une idée complètement vague,
ou aussi comme signification complètement vague d’un énoncé, lu,
compris et assumé par la croyance. Dans ce cas il n’y a pas besoin
qu’ait lieu le moindre commencement & accomplissement explicite de
la spontanéité jugeante ; il n’est pas besoin que l’on pose explici¬
tement un sujet et qu’en posant ensuite un prédicat on passe d’une
manière référentielle à un autre objet, posé pour soi, etc. Si, à Y activité
d'opinion qui juge d'une manière « vague », « confuse » dans le cas d’une
idée qui survient à l’esprit, se joint un tel procès J" juger explicite,
alors nous disons, en nous fondant sur la synthèse de l’identification
remplissante qui alors entre en jeu, que l’opinion confuse devient
distincte, que maintenant seulement nous jugeons à proprement parler
et que le jugement est donné à proprement parler et donné « lui-même »
alors que jusque-là il n’était que préfiguré par l’opinion.
Il en est de même quand on lit ou quand on écoute. Certes dans
ce cas on a affaire à une unité sensible et à une commune appartenance
des signes des mots, vus ou entendus, à leur configuration sensible', mais
habituellement dans la lecture en aucune façon n'est produite en même
temps par le moi dans une activité synthétique, membre par membre, une
articulation de la pensée effective qui accompagnerait la lecture. Au contraire,
cette démarche de la pensée proprement dite est seulement indiquée
comme devant être effectuée, et ceci grâce à la synthèse passive des
sons de la langue.
Considérons ici la situation d’un peu plus près.
Les sons de la langue ont leurs indications en soi non-indé¬
pendantes qui renvoient les unes aux autres et sont construites les
LA LOGIQUE FORMELLE

unes sur les autres. Ils s’enchaînent ensemble pour former l’unité
d une formation de mots qui à son tour consiste en formations qui
ont une autonomie relative; chaque formation est porteuse d’une
unité d’indication et le tout est une unité autonome qui du point
de vue noétique a le caractère phénoménologique d’une autonomie
formée par association et qui, parallèlement (du point de vue noéma-
tique), a le caractère phénoménologique de l’autonomie d’une unité
de « signification », cette unité étant « indiquée » et étant construite
de façon convenable à partir de formations « indiquées ».
Maintenant, du côté de la signification, les formations « indi¬
quées », les jugements eux-mêmes, peuvent apparaître dans 1’ « évi¬
dence » du remplissement continu des intentions indicatrices, donc sous le
mode de jugements proprement dits, engendrés en même temps dans
P activité originelle ; ou bien, ils peuvent être indiqués, comme dans la
lecture passive, sous le mode vide.
Il s’agit ici d’un cas particulier d’une légalité tout à fait générale.
Dans toute espèce de conscience vide peut intervenir cette distinction
qui vient différencier 1’ « être présent à l’esprit d’une manière vide »;
d’une part la conscience vide peut s’écouler de la manière suivante :
elle n’a pas de séparations internes et elle «’est pas une organisation
de pensées vides particulières; au contraire elle peut s’écouler sous
le mode d’une conscience vide organisée, qui se manifeste comme
organisée. C’est comme lorsqu’il m’arrive de me représenter la rue
devant ma maison d’une manière non-intuitive, « confusément, d’un
bloc » et cela, même si je me dirige vers elle; mais il peut m’arriver
aussi — et cela venant éventuellement après ma représentation
confuse — en la parcourant d’une manière explicite et articulée, de
me représenter les tournants de la rue, les arbres plantés, les maisons
qui lui appartiennent — mais toujours d’une manière non-intuitive,
éventuellement avec quelques points intuitifs qui transpercent par
moments. Ainsi une conscience vide non-organisée peut être trans¬
formée en une conscience vide organisée « correspondante » et dans
E. HUSSERL 6
82 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

cette transformation le sens contenu dans l’opinion confuse (étant


soumis à l’identification qui amène à la coïncidence avec le contenu
organisé et qui est du type de 1’ « explicitation ») se « déploie » en
tant que résultat de T explicitation, en tant qu’opinion proprement
dite avec pour contenu le contenu qui auparavant était confus de
manière globale.
Il en est de même dans le cas particulier des significations « indi¬
quées », que ce soit des significations de jugements effectivement
donnés (jugements nôtres ou jugements d’autrui) ou que ce soit des
jugements représentés comme possibles dans l’imagination. Il faut
remarquer de plus que je comprends les jugements d’autrui « après » et
que ce mode de comprendre-après (et éventuellement de juger avec) est
soigneusement à distinguer du juger originellement nôtre et de ses dif¬
férents modes — du juger qui se manifeste maintenant, d’une manière
actuelle et aussi du juger nôtre qui est passé mais qui est « ressuscité »
d’une manière confuse et qui est seulement « encore valable », etc.
Ensuite nous avons à distinguer, en quelque sorte à travers ces
distinctions, un jugement non-explicite, indiqué par une proposition
se présentant explicitement au niveau du langage et un jugement
explicite correspondant, corrélativement un déploiement effectué
après coup par identification de ce qui était pensé.
Mais dans le procès qui rend distinct nous avons deux cas à
distinguer : à côté du cas (que jusqu’ici nous avons seul considéré)
du procès qui rend distinct par identification pure et simple, du
procès qui rend distinct en faisant apparaître la non-contradiction, nous
avons à distinguer aussi le procès qui rend distinct en faisant appa¬
raître la contradiction. En éprouvant la coïncidence non-contradictoire
je vois que ce qui est explicité est la même chose que ce qui est non-
explicité, je vois qu’est simplement devenu distinct ce qui était pensé
dans cette opinion confuse par celui qui juge. Dans le cas contraire
de la contradiction, l’unité de la pensée confuse prise dans son
ensemble est présupposée comme croyance unitaire. Dans le progrès
LA LOGIQUE FORMELLE

de l’explicitation, telle ou telle croyance partielle venant à apparaître


peut subir un biffage, une suppression du fait d’une croyance qui s’est
manifestée auparavant d’une manière explicite et qui persiste avec une
validité stable. Ainsi en même temps la croyance totale qui en est le
fondement, la croyance qui est en cours d’explicitation, prend aussitôt
et nécessairement le caractère de nullité. Qu’en est-il maintenant de
la coïncidence par identification de ce qui est à expliciter et de ce qui
est explicité, pris dans leur totalité ? Nous devons le dire ouverte¬
ment : dans le biffage, la croyance qui subit cette modification du
biffage existe encore en une certaine manière en tant que croyance
ayant ce sens : sans doute elle n’est plus manifestée par le moi
d’une manière actuelle ou enracinée en lui comme étant sa conviction
qui continue à valoir, mais elle est encore présente à la conscience
comme étant la croyance antérieure du moi avec le sens total pris dans
ses structures et ses thèses de croyance correspondantes.
S’agit-il du jugement d’un autre, alors, si je ne partage pas sa
croyance, j’ai la « simple représentation » de la croyance de l’autre,
de la croyance ayant tel et tel contenu, j’ai une présentification ana¬
logue à un souvenir d’une mienne croyance passée, à laquelle à
présent « je ne participe plus » mais que pourtant à présent je possède
comme étant ma croyance qui s’est manifestée antérieurement et qui
a la valeur du souvenir. Mon jugement — que je venais de porter,
mais que dans l’explicitation je dois rejeter, jugement donc qui à
partir de ce moment n’est plus mon jugement présent mais mon
jugement qui vient d’être — a maintenant conformément à l’expli¬
citation tel sens explicite; il en est de même pour mon jugement
complètement passé, effectué dans un temps antérieur, et d’une
manière analogue pour le jugement d’autrui qui est rendu présent
à ma conscience. Il faut remarquer qu’à travers le changement du
biffage transparaît une coïncidence d’identité qui concerne la simple
« matière » du jugement. Le biffage ne change rien au jugement
présentifié d’une manière rétentionnelle ou présentifié en tant que
84 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

souvenir ou sous le mode de l’intropathie ; et si j’explicite ce en quoi


il consiste, alors coïncide ce qui est ainsi présentifié avec ce qui est
explicité, même si, en explicitant, j’effectue mon biffage. Naturelle¬
ment cela ne veut pas dire qu’autrui sait à l’avance ou que je savais
antérieurement ce que l’explicitation produirait comme proposition
distincte, autrement en effet personne ne pourrait laisser échapper
des contradictions, immédiates ou médiates.
Après ces clarifications nous comprenons la différence essentielle
des modes vagues ou « confus » du jugement par opposition aux modes
distincts; dans cette différence il est visible dès le début qu’ici ne
vient pas en question le fait de savoir si les jugements ont ou non
une évidence (un caractère intuitif) à T égard de leurs états des choses.
D’une part, à T intérieur du mode vague lui-même, nous est apparue la
différence suivante, si importante par rapport à la pensée qui s’exprime
dans le langage : en effet ce peut être déjà le caractère sensible des
sons de la langue avec leurs organisations qui soit vague ; mais même
sur ce plan du langage il peut y avoir une articulation nette avec tout
à la fois une articulation des indications. Mais il manque alors pourtant
le caractère distinct — si important — des jugements eux-mêmes en tant
qu’opinions; avec ces opinions certes une croyance s’effectue et dans
cette mesure un jugement est porté mais cependant pas un jugement
« à proprement parler ».
Dans le juger qui s’exprime dans le langage, l’effectuation expli¬
cite du juger, effectuation qui accompagne les indications, s’appelle
à bon droit : « juger effectivement et à proprement parler » ; car cette
effectuation seule a le caractère essentiel de l’originel dans lequel le
jugement est donné originaliter en tant que jugement lui-même, alors
que, ce qui est ici la même chose, il est construit « syntaxiquement »
dans l’action effective et proprement dite de celui qui juge. C’est
[53] uniquement une autre manière de s’exprimer quand on dit que le
juger explicite, le juger « distinct » est l’évidence pour le « jugement dis¬
tinct » conçu comme ohjectité idéale qui se constitue précisément
LA LOGIQUE FORMELLE 85

d’une manière originelle dans de telles actions synthétiques et qui


s’identifie dans la répétition de ces actions.
Cette évidence est un apparaître originel en tant qu’apparaître
lui-même, mais ce n’est pas encore saisir par une expérience évidente
et considérer thématiquement le jugement : ce qui s’est constitué dans
l’évidence en tant qu’elle est une action polythétique est saisissable
d’une manière « monothétique » après coup dans un seul rayon de
saisie; la formation polythétique devient un objet (a).
Naturellement la confusion et la distinction du jugement peuvent
se mêler l’une à l’autre, comme lorsqu’en lisant nous effectuons
par endroits réellement et à proprement parler des jugements ou
fragments de jugement et qu’ensuite nous nous laissons porter, par ci
par là, par les simples indications des formations du langage qui,
comme nous l’avons dit, peuvent avoir elles aussi à leur tour leur
distinction — d’une tout autre espèce — ou manquer de cette
distinction (b).

b) Distinction et clarté

Mais entre aussi en considération encore une autre sorte de


mélange et par conséquent, dans la purification correspondante,
un autre contraste important : à savoir le mélange (et respectivement
la différence saisie en toute pureté) entre distinction et clarté.
Ici se séparent deux évidences, celle dans laquelle le jugement lui-
même, en tant que jugement, vient à être donné en personne : le jugement
s’appelle alors aussi jugement distinct, provenant de l’effectuation
de jugement réelle et proprement dite. Deuxièmement, nous avons
affaire aussi à cette évidence dans laquelle vient à être donné en personne
ce à quoi veut arriver « à travers » son jugement celui qui juge, c’est-à-dire
celui qui veut connaître — comme se le représente toujours la logique.

(a) Cf. Ideen, p. 247 sq.


(b) Pour tous ces développements cf. aussi Appendice II.
86 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

Juger explicitement n’est pas encore juger avec clarté, en tant


que juger avec clarté c’est posséder aussi dans l’effectuation des
démarches du jugement la clarté des choses et dans le jugement
pris en sa totalité la clarté de T état des choses. Le juger sans clarté et
le juger avec clarté peuvent produire un seul et même jugement;
l’évidence de l’identité du jugement peut ainsi transpercer à travers
des modes de donnée essentiellement différents; mais c’est seulement
un juger dans la plénitude de la clarté qui peut être connaissance actuelle
[54] et il existe alors Yévidence nouvelle que sont données « elles-mêmes »
les choses elles-mêmes, qu’est donné « lui-même » l’état des choses
lui-même, choses et état des choses qui sont visés dans le juger
tendant vers la connaissance, même là où le juger manquait encore
complètement de clarté et n’était pas rempli par l’intuition.

c) Clarté de la possession des choses « elles-mêmes »


et clarté de T anticipation

Cependant ici les distinctions se ramifient encore dans la mesure


où la « clarté » peut caractériser le juger sous le mode du juger
donnant son état présumé des choses « lui-même » (donc peut carac¬
tériser ce qu’on a en vue habituellement sous la dénomination de
juger évident) et dans la mesure où la clarté peut caractériser aussi le
juger sous le mode d’un juger se pré-figurant l’état présumé des choses
et le rendant intuitif. Dans le dernier cas, ce n’est pas l’état des choses
lui-même qui est donné mais une pré-figuration, une anticipation
intuitive qui n’a plus qu’à se confirmer dans la possession de l’état des
choses « lui-même ». Clarté parfaite signifie la première fois clarté du
« voir », du « saisir » au sens véritable et propre dans lequel l’état des
choses et les choses qui entrent dans cet état des choses sont saisis,
eux-mêmes; la seconde fois, clarté parfaite signifie clarté préfigurant
parfaitement le but auquel on tend en jugeant et qu’il reste seulement à
réaliser. L’effort de connaissance va ici de la « confusion » à la distinction
LA LOGIQUE FORMELLE 87

et si cette dernière donne un jugement encore incomplètement intuitif


ou complètement privé d’intuition, quoique constitué explicitement,
elle va, à travers ce jugement, éventuellement tout d’abord uniquement
vers une préfiguration du but de la connaissance. Le phénomène de
passage que constitue la coïncidence par synthèse s’appelle alors au
sens habituel du mot clarification du jugement en tant qu’opinion
(se rendre claire son opinion). Mais l’effort de connaissance n’est
pas par là arrivé au but, il va plus loin jusqu’à cette autre clarté,
jusqu’à l’évidence où l’on possède « lui-même » ce qui est présumé — ce qui
est alors le but final.
Ces deux modes de clarté ont leurs degrés de perfection avec les
idées conjointes de manque complet de clarté et de clarté com-
[55] plète (a). En outre dans le passage à la clarté, donc dans les « clari¬
fications », sont à part les cas où ce sont uniquement des fragments
isolés de ce qui est parvenu à être posé qui acquièrent ou peuvent
acquérir la clarté, dans la mesure certes où ces fragments se rattachent
ensemble pour former une image claire ou un état des choses donné
d’une manière évidente, « lui-même », mais de sorte que ce qui est
devenu intuitif ne remplit pas l’intention jugeante mais la sup¬
prime — à la manière de l’impossibilité devenant évidente et dans
l’autre cas de la « non-vérité » devenant évidente.

(a) 1/expression d’un point limite au lieu de celle d’une idée de la clarté, expres¬
sion qui s’offre ici tout d’abord, ne serait pas toujours convenable. Il ne faut pas
toujours penser à quelque chose comme une limite. Ainsi l’évidence parfaite de
l’expérience externe est une idée régulative au sens kantien. L’expérience externe
n’est jamais a priori expérience qui donne la chose « elle-même » d’une manière
parfaite, mais, aussi longtemps qu’elle s’écoule dans une concordance conséquente,
elle porte en elle, à titre d’implication intentionnelle, l’idée d’un système infini,
fermé sur soi, d’expériences possibles : à partir de l’expérience de fait nous aurions
pu parcourir ces expériences possibles ou nous pourrions les parcourir maintenant
ou dans l’avenir, de sorte que, en tant que continuations concordantes de l’expé¬
rience de fait, elles auraient montré ou montreraient comment la chose est, « prise
en soi-même », au delà de ce qui se montre d’elle. En tant que corrélât de cette anti¬
cipation infinie qu’il faut élucider phénoménologiquement (anticipation qui en
88 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

§ 17. Le genre essentiel : « Jugement distinct »


EN TANT QUE THEME DE l’ « ANALYTIQUE PURE »

L’analytique pure prise dans notre sens fort a comme concept


suprême déterminant son domaine le concept de jugement : de juge¬
ment proprement dit qui puise originellement son sens d’être aux
sources du caractère propre explicite de l’effectuation du jugement et
uniquement à ses sources. L’effort de connaissance qui chemine
fréquemment à travers un tel juger et que le logicien a en vue de
préférence dans l’intérêt qu’il a pour le juger scientifique (corréla¬
tivement pour les jugements scientifiques), en tant qu’il est dirigé
vers la vérité comme connaissance, cet effort de connaissance reste
tout a fait hors de question dans la sphère de l’analytique pure; dans
l’analytique pure il en est fait abstraction. Le même jugement — qu’il
soit clarifie ou à clarifier, qu’il soit à transformer en connaissance ou
non, pourvu qu’il soit réellement puisé ou à puiser à /’évidence de la
distinction — voilà le thème.
De même que la logique en général en tant que science apriori-
que, de même 1 analytique pure n’a pas affaire à des jugements réels,
donc a des jugements réellement portés à un moment quelconque et en
un endroit quelconque, mais elle a affaire à des possibilités aprio-
riques auxquelles se subordonnent en un sens facile à comprendre
toutes les réalités correspondantes. Quand le logicien de l’analytique
pure, pour acquérir la généralité essentielle, doit partir d’exemples,
pour exercer sur eux la vision des essences, alors il peut prendre des
jugements réels siens, il peut prendre aussi des jugements d’autrui
qu’il récuse peut-être totalement mais qu’il saisit pourtant d’une

tant que telle a une évidence propre), la chose existant en soi est de son côté une
idée qui guide légitimement la pensée dans les sciences de la nature et lui rend pos¬
sible de progresser dans des degrés d’approximation avec les évidences relatives
correspondantes. Pour notre but nous pouvons nous contenter d’une première
caractérisation grossière de la « clarté a (pour le concept de la chose comme idée
au sens kantien, cf. Ideen, p. 309 sqq.).
LA LOGIQUE FORMELLE 89

manière évidente comme jugements possibles, en les re-comprenant


et à la manière d’une quasi-effectuation propre; il peut aussi se fami¬
liariser avec un monde de l’imagination et avec un juger appartenant
à ce monde (juger sien ou juger d’autrui) — avec cette seule diffé¬
rence qu’il introduit la variante de l’évidence de distinction qu’a la
signification de l’évidence des jugements possibles en tant que tels.
Ainsi le logicien qui considère purement l’analytique a pour domaine
le genre essentiel : jugement distinct, les jugements possibles étant de
son ressort.

§ 18. La question fondamentale de l’analytique pure

Voici maintenant quelle est la question : qu’est-ce qu’on peut


énoncer in forma sur les jugements (au sens où nous les prenons)
en restant purement à l'intérieur de ce domaine, une fois que la dis¬
cipline logique précédente, c’est-à-dire la morphologie pure —
qui contient en tout cas aussi les formes de jugements distincts — a
construit la multiplicité des formes possibles et les a rendues dispo¬
nibles pour nous ?
Attachés au caractère essentiellement propre des jugements, c’est-
à-dire aux propriétés constitutives qu’ils ont en tant que jugements,
nous pouvons, au delà du caractère essentiellement propre que la
morphologie déploie, nous attendre uniquement aux relations qui
sont fondées a priori grâce au caractère essentiellement propre des
jugements. En fait nous rencontrons ici des relations connues,
appartenant a priori aux jugements distincts en tant que tels : la
conséquence (l’être-impüqué), la non-conséquence (la contradiction ana¬
lytique, l’être-exclu), et la tierce possibilité : la compatibilité de juge¬
ments qui n’est ni conséquence ni non-conséquence et qui est la
non-contradiction vide en tant qu’association de jugements qui « n’ont
rien à faire l’un avec l’autre ».
En y regardant de plus près, on voit que ce qui vient d’être dit
9° STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

concerne déjà les membres des totalités apophantiques — à savoir


en tant que membres posés ou à poser avec distinction. Ils sont
également, comme nous l’avons déjà indiqué par avance (a), au
sens large des « jugements », mais seulement non-indépendants en tant
que dans l’attitude de connaissance ils sont destinés à devenir des
membres de totalités apophantiques (de jugements au sens fort)
et à acquérir uniquement de cette façon la signification de connais¬
sance. Eux aussi, ces jugements au sens élargi par rapport au sens habi¬
tuel — concept de jugement que nous maintiendrons désormais —
sont soumis aux rapports fondamentaux analytiques qui viennent
d’être désignés ci-dessus : ils peuvent s’appeler dans la conséquence
ou s’exclure ou dans le dernier cas être incompatibles dans l’unité
d’un jugement qui fait une totalité.
Puisque tous les rapports analytiques purs, examinés de plus
près, sont des rapports dans lesquels différents jugements, exclusi-
[57] vement rapportés au concept de jugement distinct ou jugement
proprement dit, concourent pour former l’unité d’un jugement ou
sont impossibles dans l’unité d’un jugement, alors on peut concevoir
la question fondamentale de T analytique pure également de la manière
suivante :
Quand des jugements quelconques, en tant que tels et d'après la simple
forme, sont-ils possibles dans T unité d'un jugement et suivant quelles relations ?
Ils le sont naturellement uniquement dans la conséquence ou
dans le manque de relation à l’égard d’une conséquence possible.
La non-contradiction signifie donc du côté de celui qui juge la
possibilité de pouvoir émettre des jugements distincts dans l'unité
d’un jugement qui doit être effectué avec distinction. Il faut bien
remarquer là que le simple fait d’émettre des jugements ensemble
signifie déjà une unité de jugement, unité du « valoir-ensemble ».
Dans l’analytique formelle et pure cette question concerne les

fa) Cf. ci-dessus § 14..


LA LOGIQUE FORMELLE

formes de jugement : quelles formes doivent être reconnues en général


comme formes d’effectuation du juger distinct et lesquelles ne doi¬
vent pas l’être, et cela a priori-, dans cette question est incluse la
question suivante : quelles formes de complexes de jugements,
complexes de degré quelconque, sont des formes a priori de juge¬
ments unitaires qui, en tant qu’effectuables à proprement parler, ont
l’évidence de la distinction ?

§ 19. L’analytique pure


COMME FONDEMENT DE LA LOGIQUE FORMELLE DE LA VÉRITÉ

La non-contradiction comme condition de vérité possible

Dans ces recherches on n’a donc jamais eu à aller au delà de


l’essence propre des jugements ou plutôt des formes de jugements,
on n’a jamais eu à dépasser l’évidence de la distinction. Mais nous
dépassons aussitôt cette sphère apriorique quand nous posons les
questions de la vérité (c’est-à-dire, pour les objets conçus tout d’abord
seulement comme jugements distincts, quand nous posons les ques¬
tions de leur adéquation aux choses mêmes), donc dès que nous faisons
entrer aussi dans le thème le concept de vérité. Le prédicat vérité est
certes rapporté aux jugements et seulement aux jugements, que nous
prenions pour base le concept étroit de jugement caractérisé ci-dessus
(apophansis) ou le concept large. Mais tant que nous nous attachons
à la simple évidence de la distinction et à ce qui est identifiable en
elle sous la dénomination jugement, reste exclue certes toute contra¬
diction (tout contre-sens analytique) mais en revanche reste possible
tout contre-sens par rapport aux choses et toute autre non-vérité. En
effet dans l’analytique pure il est fait abstraction de toute effectuation
de la clarification, de toute effectuation du retour à la possibilité se
référant aux choses et à la vérité, ou en d’autres termes il est fait
abstraction de toutes les questions de la vérification.
[5 8] En quoi consiste maintenant la recherche, conduite avec une
STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

généralité formelle, de l’évidence essentielle concernant la vérité


possible du jugement ? C’est manifestement se représenter des juge¬
ments possibles dans une vérification possible, dans une adéquation
possible aux jugements correspondants qui donnent « elles-mêmes »les
choses présumées. A présent les jugements ne sont plus pensés de
prime abord comme simples jugements, mais ils sont pensés comme
jugements traversés et dominés par un effort de connaissance, comme
opinions qui doivent se remplir, qui ne sont pas des objets considérés
pour soi, au sens des données provenant de la simple distinction, mais
qui sont un passage qui mène aux « vérités » elles-mêmes qu’il faut
atteindre.
Si l’on substitue de cette manière à l’orientation théorique vers
les simples jugements Y orientation de la connaissance, l’orientation vers
les états des choses que nous devons connaître en jugeant, donc aussi
l’orientation vers l’adéquation vérifiante, alors on saisit immédia¬
tement comme évidence essentielle que ce qui est incompatible dans
l’unité d’un jugement distinct est incompatible également dans la
vérité ou qu’une contradiction dans les simples jugements exclut
comme il va de soi la possibilité de l’adéquation. Vérité et fausseté
sont des prédicats qui peuvent convenir seulement à un jugement distinct
ou à rendre distinct, à un jugement effectuable réellement et à proprement
parler. La logique ne s’est jamais rendu clair que c’est ce concept de
jugement qui est à la base de l’ancienne proposition que la vérité
et la fausseté sont des prédicats de jugements. Dans une telle perspective
de médiation, une analytique pure est donc en même temps, par essence, une
pièce fondamentale d’une logique formelle de la vérité. La séparation (rap¬
portée à l’univers des formes de jugement) en formes qui sont des
formes légales de la conséquence, en formes qui sont des formes
légales de la non-conséquence et en formes qui restant extérieures
l’une à l’autre sont non-contradictoires au sens « trivial » (comme le
dirait le mathématicien), cette séparation acquiert une signification
immédiate pour la possibilité de l’adéquation ou de la vérité. Toute
LA LOGIQUE FORMELLE 93

suite conséquente de jugements, quand elle peut être effectuée avec intui-
tivité, devient une suite conséquente des vérités ou des possibilités qui
se réfèrent aux choses. Mais toute contradiction exclut de prime abord
les questions de l’adéquation, elle est a limine une fausseté.

§ 20. Les principes logiques et leurs analogues


DANS l’analytique PURE

La séparation d’une logique pure de la conséquence d’avec la


logique de la vérité conditionne aussi une double orientation à
l’égard de ce qu’on appelle les principes de la logique traditionnelle,
c’est-à-dire les principes explicitant les concepts de vérité et de
fausseté.
Le double principe de contradiction et du tiers-exclu, en tant que
principe de la logique de la vérité, s’énonce ainsi :
« Si un jugement est vrai, son opposé « contradictoire est faux » et
« de deux jugements contradictoires il y en a nécessairement un de
vrai »; les deux principes condensés en un s’énoncent : «Tout jugement
est ou bien vrai, ou bien faux, l’un des deux. »
L’analogue de ces propositions dans la logique de la conséquence
est un principe qui convient à l’essence des jugements proprement
dits (donnés « eux-mêmes » dans l’évidence de la distinction). Il
s’exprime ainsi :
Étant donnés deux jugements contradictoires, ils ne sont pas
possibles tous les deux en tant que jugements proprement dits,
ils ne peuvent être amenés tous les deux à l’évidence de la distinction,
ils n’ont pas tous les deux 1’ « existence mathématique » idéale.
Cependant l’un des deux a cette existence et peut être amené à l’évi¬
dence de la distinction.
Au nombre des principes suprêmes de la logique apophantique
qui concernent la vérité doivent aussi ensuite être comptés les
principes qui lient originellement vérité et conséquence. La logique tradi-
94 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

tionnelle met ces principes sous la forme, qui manque de pureté,


du modus ponens et du modus tollens. Ici aussi nous avons les mêmes
analogies. Il y a déjà dans la sphère de la simple conséquence analy¬
tique un modus ponens et un modus tollens. Ce principe du modus ponens
et du modus tollens bien entendu ne parle aucunement dans son thème
de vérité et de fausseté, mais en tant que loi particulière de la consé¬
quence convient simplement à l’essence des jugements proprement
dits et à leurs rapports spécifiques de conséquence analytique. C’est
seulement sous cette forme que c’est un principe logique authentique
qui s’exprime ainsi :
De deux jugements de la forme : « Si M, alors N » et « M » découle
analytiquement « N ». De même, de deux jugements de la forme :
« Si M, alors N » et « non-N » découle « non-M ».
Le principe de vérité correspondant s’exprime alors ainsi :
Si entre deux jugements quelconques M et N existe un rapport
immédiat de principe analytique total à conséquence analytique totale,
alors la vérité du principe entraîne la vérité de la conséquence et la
fausseté de la conséquence entraîne la fausseté du principe.
Nous avons introduit les mots : principe total et conséquence
totale pour indiquer Timmèdiateté du rapport. Par ces termes nous
n’entendons rien d’autre que les membres véritables, quelque décom-
[60] posables qu’ils soient par la suite, d’un rapport de conséquence
immédiate. Les prémisses partielles et les conséquences partielles
conditionnent alors, seulement à titre de parties des prémisses totales
et des conséquences totales, les rapports de conséquence qui sont
donc déjà des rapport médiats. Si dans l’un des complexes de consé¬
quences (qui seulement en tant que complexe complet est consé¬
quence totale) une conséquence particulière est fausse, elle condi¬
tionne immédiatement la fausseté de la conséquence totale et ainsi
la fausseté de la prémisse totale.
Le principe que nous avons posé donne immédiatement en
s’appliquant au principe du modus ponens et du modus tollens — qui est
LA LOGIQUE FORMELLE 95

compris comme principe de la sphère de la conséquence pure immé¬


diate — les modes valables suivants de la logique de la vérité :
Si la proposition antécédente d’un jugement hypothétique est
vraie, alors la proposition conséquente est vraie; si la proposition
conséquente est fausse, il en est de même pour la proposition anté¬
cédente. Ou, énoncé d’une manière formelle :
Si sont vraies en même temps : « Si M, alors N » et « M » (si elles
sont « valables » en même temps), alors « N » est vraie. Si sont vraies
en même temps : « Si M, alors N » et « non-N », alors est vraie
« non-M » (ou, ce qui est équivalent, « M » est fausse).
En ce qui concerne les médiatetés de la conséquence analytique,
c’est tout d’abord une loi pure de la logique de la conséquence analy¬
tique (donc qui convient aux simples jugements — mais qui sont
des jugements distincts — et avant toute question concernant leur
vérité possible) oys’une conséquence analytique immédiate d’une conséquence
analytique immédiate est à son tour une conséquence analytique de la propo¬
sition-principe qui est en jeu, d’où il découle de soi qu’une conséquence
qui a une médiateté quelconque est elle-même aussi conséquence
de cette proposition-principe. Si nous combinons cette loi à notre
principe de vérité s’appliquant à la conséquence analytique immé¬
diate, alors il en résulte — et cela en conformité avec la seule consé¬
quence analytique — que ce principe, une fois ainsi étendu, conserve
aussi une validité pour des conséquences analytiques de médiateté
quelconque.

§ 21. L’évidence dans la coïncidence du « même » jugement


QUAND IL EST CONFUS ET QUAND IL EST DISTINCT
Le concept le plus large de jugement

Si maintenant nous jetons encore un regard en arrière sur les


jugements « confus » que nous avons opposés aux jugements par excel¬
lence de l’analytique en tant que jugements distincts, alors manifes-
96 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

tement, dans l’identification de ces jugements confus avec les juge¬


ments distincts qui leur correspondent respectivement se tient cachée
une troisième évidence grâce à laquelle un troisième concept de jugement
reçoit son sens d’être. Dans le passage du jugement confus au juge¬
ment distinct, quand se fait distinct ce qu’on pensait exactement
[61] dans l’opinion vague, ce qu’on disait exactement — soi ou autrui —
ce qui était pensé exactement quand une idée vague venait à l’esprit...
dans ce passage le jugement distinct se donne comme simple expli¬
citation évidente de P opinion vraie. Il s’effectue une coïncidence d’identité
qui a une forme originellement propre et qui caractérise une. forme
fondamentale de P évidence-, comme toute évidence (toute « expérience »
à prendre au sens le plus large), elle a ses degrés de perfection et
son « idée », et même ici on peut dire qu’elle a une limite idéale de
perfection, limite dans laquelle la coïncidence par synthèse serait
en fait une coïncidence tout simplement parfaite.
Ces deux modes de jugement et leurs corrélats : le jugement confus
et le jugement distinct eux-mêmes ont manifestement un rapport analogue
à celui qu'ont le jugement distinct mais vide (ou imparfaitement intuitif)
et le jugement distinct mais évident c’est-à-dire qui donne l’être pos¬
sible ou vrai des choses visées dans le juger tendant à la connais¬
sance de façon que cet être soit donné « lui-même » avec évidence.
Le juger confus porte en lui, non pas toujours, mais, comme nous
l’avons déjà dit ci-dessus, quand il se lie à un intérêt théorique, une
visée (i) qui est dirigée vers le jugement distinct et qui, dans le cas
de réussite, se remplit et aboutit à ce jugement distinct. De même
qu’alors dans la synthèse de remplissement précédente une orien¬
tation d’examen et une identification sont possibles grâce auxquelles
le jugement vide et le jugement plein arrivent à l’identité uniquement en
tant que jugements et acquièrent une objectivité propre du fait qu’ils
sont le même jugement, il en est de même aussi dans la synthèse paral-

(i) Abzielung.
LA LOGIQUE FORMELLE
97

lèle de remplissement qui amène à la coïncidence le jugement confus


et le jugement distinct. Ou encore, de même que la connaissance, que
la possession de 1 état des choses « lui-même », est en soi aussi jugement
distinct, tout comme l’est le jugement vide correspondant, de même
le jugement pensé vaguement et le jugement pensé distinctement
sont « le même jugement ». Par là il n’est pas dit que tout jugement
confus se laisse amener à être « le même » jugement mais distinct,
pas davantage que tout jugement distinct se laisse amener à être
une évidence se rapportant aux choses, que ce soit en tant que possi¬
bilité ou en tant que vérité.
Le concept le plus large de jugement est donc celui qui n’est pas sen¬
sible aux différences de la confusion, de la distinction et de la
clarté, il resuite de 1 abstraction consciente de ces différences. Prenons
ce concept pour base. Vu la possibilité essentielle — voire, dans la
genèse, la nécessité toujours présente — que le jugement devienne
confus, à tout jugement qui apporte une connaissance évidente et
à tout jugement distinct correspond un jugement semblable sous le
mode de la confusion — ou plutôt le même jugement. De ce fait,
le concept de jugement confus comprend en une certaine manière tous
les jugements au sens le plus large, également les jugements qui
peuvent être amenés à la distinction et à la clarté.

§ 22. Le concept propre

AU DOMAINE DE LA MORPHOLOGIE APOPHANTIQUE

CONÇUE COMME GRAMMAIRE PURE LOGIQUE

EST LE JUGEMENT AU SENS LE PLUS LARGE

Le fait d’avoir dégagé ainsi la troisième évidence et son corrélât :


le concept nouveau et le plus large de jugement, a son importance :
en effet nous avons maintenant acquis aussi la base qui nous permet
de comprendre le domaine de la morphologie pure des jugements.
Manifestement, le concept propre à ce domaine est le jugement au

E. HUSSERL
7
98 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

sens le plus large, et la légalité constitutive entière concernant la


forme est une légalité qui est liée à l’essence propre de ces jugements.
Dans la confusion tout jugement est possible qui est impossible dans
la distinction, et à son tour dans la distinction tout jugement est
possible qui est impossible en tant que connaissance évidente. La
libre construction des formes de la morphologie ne connaît pas encore
de contradictions qui l’entravent. La construction des formes prend
son appui entièrement dans le discours avec ses indications et ses
renvois aux sens, indications et renvois très différenciés et qui s’atta¬
chent aux signes mis en relief d’une manière sensible et à leurs confi¬
gurations sensibles. Et ce n’est donc pas sans raison que la morpho¬
logie des significations a été qualifiée dans mes Logische Untersuchungen
de « grammaire pure logique ». Et en une certaine façon ce n’est pas
non plus sans raison qu’il a été dit souvent que la logique formelle
s’est laissée diriger par la grammaire. Mais pour la morphologie ce
n’est pas un reproche, c’est au contraire une nécessité, pourvu qu’au
fait d’être dirigé par la grammaire (ce qui doit faire songer aux lan¬
gages qui ont existé de fait et à leur description grammaticale) soit
substitué le fait d’être dirigé par le grammatical lui-même. Comprendre
distinctement un énoncé et l’effectuer en tant que jugement possible,
cela peut signifier et signifie souvent une saisie distincte du déroule¬
ment des mots (par quasi-répétition interne explicite) et une saisie
distincte de Y articulation qui leur appartient — articulation qui renvoie
au sens et avec laquelle se produit l’unité d’un jugement confus et
cependant organisé en une forme déterminée. Ainsi nous pouvons
comprendre d’une manière totalement déterminée et articulée :
« Aucun carré n’a quatre angles », ou « tous les A sont B parmi lesquels
quelques-uns qui ne sont pas B », etc. De tels exemples sont valables,
aussi bien les uns que les autres, dans la « grammaire pure logique »
et ainsi font partie du système des formes toutes les formes de juge¬
ments contradictoires. Sans l’articulation déterminée des jugements
vagues au moyen de l’articulation sensible des signes des mots une
LA LOGIQUE FORMELLE
99

morphologie et une logique en général ne serait pas possible ni de


même, comme il va de soi, aucune science.
Grâce à ses analyses le sens de la triple stratification de la logique
formelle (mentionnée et caractérisée brièvement dans les §§ 13 à 15)
a été clarifié à partir des sources les plus originelles et la nécessité
essentielle de cette stratification a été fondée. Cette stratification est
restée étrangère à la logique qui a eu cours jusqu’ici; seule la mise
en évidence, comme doctrine séparée, d’une morphologie pure a
déjà été effectuée dans les Logische Untersuchungen, mais elle a subi
dans le contexte présent une fondation incomparablement plus
profonde. Il va sans dire que notre séparation entre logique formelle
de la non-contradiction et logique formelle de la vérité est quelque
chose d’essentiellement et de fondamentalement nouveau, quelque
notoire que soit cette séparation si l’on se fie aux mots. Car ces mêmes
expressions visaient quelque chose de totalement autre, à savoir la
distinction entre la problématique de la logique formelle, prise en
général et qui en tant que telle laisse hors de jeu tous les « contenus
matériels de la connaissance » et entre les problèmes qui doivent être
posés en un sens plus large quelconque (sens certes qui précisément
n’était pas saisi clairement) de la part d’une logique qui précisément
fait entrer en ligne de compte ce contenu matériel, ainsi que les
questions concernant la possibilité d’une connaissance de la réalité
naturelle et concernant la configuration des vérités touchant le
monde réel.
Chapitre II

APOPHANTIQUE FORMELLE
ET MATHÉMATIQUE FORMELLE

§ 23. L’unité interne de la logique traditionnelle

ET LE PROBLÈME DE SA SITUATION
PAR RAPPORT A LA MATHÉMATIQUE FORMELLE

a) U autonomie conceptuelle de la logique traditionnelle


en tant qu" analytique apophantique

La logique formelle qui est restée délimitée jusqu’à présent


comme analytique apophantique au sens large doit son unité aprio-
rique à son concept (concept aristotélicien) de forme de jugement.
On peut aussi définir ce concept comme détermination des jugements
en général exclusivement par leurs formes syntaxiques, formes qu’ils
doivent avoir a priori en tant qu’ils sont des formations à’opérations
syntaxiques. La forme syntaxique se laisse saisir purement en tout
jugement dans des concepts essentiels. La pureté de cette saisie signifie
que les matériaux syntaxiques (1) entrant dans les syntaxes sont pensés
comme matériaux indéterminés quelconques. Ainsi en résulte le
concept formel pur d’un jugement en général en tant que concept
exclusivement déterminé par des formes syntaxiques qu’on peut à

(1) Syntaktische Stoffe.


APOPHANTIQUE FORMELLE IOI

chaque fois caractériser et déterminer conceptuellement (a). En


tant que contribuant à la détermination et relevant par conséquent du
concept formel de l’analytique logique, les variations modales que
n’importe quel jugement peut subir n’ont plus qu’a être mises en
[64] ligne de compte, sans égard pour toutes les opérations syntaxiques
édifiant le jugement et devant être effectuées sur ce jugement. Ce
concept de variation modale ne s’épuise en aucune façon unique¬
ment dans ce qu’on appelle les modalités du jugement. Est du ressort
de ce concept par exemple également la variation presque jamais
comprise que les sujets de propositions existentielles et les proposi¬
tions prises comme sujets de prédications de vérité présentent par
rapport aux sujets non-modalisés et aux propositions apophantiques
correspondantes. Toutes ces modalités doivent, dans une logique
systématique, être spécialement définies comme concepts formels
primitifs.
Aussi longtemps que la logique reste liée à ce concept du formel,
aussi longtemps donc que, dans les formes apophantiques fonda¬
mentales et dans les formes qui doivent être construites à partir de
celles-ci, la logique laisse comme variables indéterminées tous les
« termes », elle ne peut pas obtenir d’autres connaissances sur la
vérité possible que celles qui sont reliées immédiatement à l’analy¬
tique pure de la non-contradiction; ces connaissances donc, à un
petit nombre de propositions près, sont pour ainsi dire uniquement
des transpositions triviales des théories formelles de cette analytique
pure, théories enrichissant sérieusement la connaissance. Car quand
la logique formelle est poursuivie réellement avec cette pureté radi¬
cale qui seule la rend utilisable (et même extrêmement importante)
du point de vue philosophique, il lui manque tout ce qui permet de
distinguer les vérités, corrélativement les évidences. Son concept
d’objet est le plus général (celui d’un substrat en général dans les

(a) Cf. Appendice I.


102 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

prédications déterminatives possibles), il en est de même pour son


concept d’état des choses et pour son concept d’évidence. En consé¬
quence, la logique formelle ne peut d’elle-même faire des distinctions
aussi générales que celles entre les objets individuels et les objets
catégoriaux, elle ne peut faire la distinction des « simples choses »,
des valeurs, des biens, etc. ; elle ne peut faire aucune distinction entre
le général qui, tiré des objets individuels, s’appelle au sens habituel
genre ou espèce par opposition à d’autres types de général. Il est
par là déjà sensible que cette logique formelle ne peut être la
logique en général, la doctrine de la science qui soit complète et,
dans un sens nouveau plus riche, formelle.

b) Apparition de P idée d'une analytique élargie


(la mathesis universalis de LeibniQ)
et unification au moyen d'une technique méthodique
de la syllogistique traditionnelle et de la tnathématique formelle

Mais nous ne pouvons pas nous mettre ici à déployer intentionnel¬


lement l’idée de logique dans cette direction. Car si sûrs que nous
soyons que soit close la logique formelle analytique, elle nous offre
elle-même encore de grands problèmes. Les séparations structurelles
que nous avons accomplies en elle ne prennent nullement en consi-
[65] dération les grandes extensions qui, depuis Leibniz, sont exigées
pour la logique traditionnelle avec la conviction que la logique pou¬
vait seulement par là satisfaire complètement à l’idée d’une analytique
formelle avec le sens de formel qui lui est propre. Il est temps main¬
tenant d’examiner cette extension, à savoir la synthèse déjà mentionnée
de la syllogistique traditionnelle et de l’analyse formelle dans l’idée
leibnizienne d’une mathesis universalis.
Sans continuité avec Leibniz dont l’intuition géniale n’eut
pas d’influence historique, a lieu une incorporation de la syllo¬
gistique dans la mathématique de pair avec l’élaboration d’une
AP0PHANTIJ2 UE FORMELLE

algèbre syllogistique. Cette incorporation n’est pas née de réflexions


philosophiques sur le sens principiel et sur la nécessité d’une
mathesis universalis, mais elle est née des besoins de la technique
déductive de la science mathématique, en premier lieu dans la mathé¬
matique anglaise depuis le début du xixe siècle (de Morgan, Boole).
Conjointement, la syllogistique devait de prime abord se prêter à
une sérieuse transformation et être interprétée alors comme une
« logique de l’extension », transformation qui dans son manque de
clarté principiel a amené avec elle maints contre-sens et toutes sortes
d’artifices pour rendre cette logique non-nuisible pour la praxis de la
théorétisation mathématique. Mais d’autre part, la syllogistique
contient un noyau de pensée qui a son droit originel et qui seul a
rendu possible aussi que la continuité de pensée avec l’analytique
traditionnelle ne fût pas perdue. Les mathématiciens, peu gênés par
de tels manques de clarté dans leur travail d’élaboration des théories
déductives, se sont en général familiarisés entre temps avec l’unité
de la « logique » et de la « mathématique » (plus précisément de
l’analyse formelle (a)).
Si nous nous engageons davantage dans le problème de cette
unité, cela ne veut pas dire naturellement qu’il s’agisse alors pour
nous d’intérêts touchant les sciences particulières : il ne s’agit ni des
intérêts de la mathématique formelle ni de ceux de la syllogistique
formelle ni de ceux de la science positive qui amène mathématique
et syllogistique formelles à l’unité — science positive qu il faut éven¬
tuellement admettre. Il ne s’agit donc pas simplement de lier théorique¬
ment de façon convenable, dans la construction systématique d une
science déductive dans laquelle elles doivent être en connexion, les
théories qui se sont développées dans le passe chacune de leur côte.

(a) Des disciplines comme la géométrie pure, la mécanique pure, égalemen


la géométrie « analytique » et la mécanique « analytique » sont donc exclues de cette
analyse formelle aussi longtemps qu’elles se rapportent effectivement à l’espace et
aux forces.
104 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

il ne s’agit pas simplement de satisfaire aux rapports déductifs qui


existent entre ces deux théories ni, par une telle intelligence de leurs
fonctions dans l’ensemble théorique, de procurer seulement ainsi à
ces théories elles-mêmes la forme théorique convenable. Si grand que
puisse être un tel intérêt, il reste bien loin derrière l’intérêt philo¬
sophique : mettre à nu l’idée téléologique d’une doctrine de la science
d’après les structures téléologiques qui lui sont immanentes, déve¬
lopper dans une évidence originelle les idées — idées de disciplines
logiques partielles — enfermées dans son sens intentionnel, avec la
problématique propre de chacune, problématique en soi unique par
essence. Comment sont mis ici en mouvement des intérêts philoso¬
phiques vraiment suprêmes, sans doute c’est seulement plus tard que
cela peut être rendu évident. Mais de toute manière on concédera
déjà à l’avance que c’est de la philosophie que relève la science des
principes et que c’est d’elle aussi que relève le caractère principiel
de la science en général, donc les questions logiques des principes.
Cela peut ici suffire.
Jusqu ici nous avons suivi la méthode d’explicitation systéma¬
tique de la structure téléologique de l’idée de logique et grâce à
elle nous avons développé et amené à quelque pureté au moins une
telle structure, à savoir l’idée de l’analytique formelle rapportée
exclusivement aux jugements (pris comme pures significations).
D une certaine manière cette idée existait déjà depuis longtemps,
déjà depuis des siècles, et non pas comme simple idée mais comme
théorie élaborée. Mais, comme elle se montra dès le commencement
dans un état embryonnaire non-développé, quant à son sens propre,
quant à sa délimitation et à sa stratification nécessaires par essence,
et comme dans toutes ses réorganisations elle resta dans ce manque
de clarté, cette idée ne peut suffire. Nous avons maintenant sans
contredit fait un bon pas en avant à cet égard avec notre déploiement
intentionnel. En suivant la structure des significations idéales, nous
pûmes diviser en trois couches le sens, qui était pour ainsi dire le
APOPHANTIQUE FORMELLE 105

sens « natif » de la logique traditionnelle, et expliciter en conséquence


les trois disciplines fondées l’une sur l’autre dans l’analytique pure
des jugements. Mais combien est important ce qui manque encore à
une évidence principielle, combien plus profondément nous devons
encore pousser la clarification intentionnelle, cela nous sera révélé
par la mise en œuvre de la tâche qui nous est posée par Leibniz et
par la nouvelle mathématique.

§ 24. Le nouveau problème d’une ontologie formelle

Caractérisation de la mathématique formelle traditionnelle


COMME ONTOLOGIE FORMELLE

Le problème essentiellement nouveau auquel jusqu’ici nous ne pou¬


vions prêter attention, du fait que nous étions dirigés tout d’abord
par la logique syllogistique de la tradition, vient en effet à la surface
dès que nous nous laissons diriger non plus par le manque de clarté
de la logique traditionnelle mais au contraire par celui de la nouvelle
mathématique — mathématique liant l’algèbre syllogistique avec
1’ « analyse » habituelle. En effet cette mathématique formelle élargie,
nous la trouvons, elle aussi, déjà là devant nous et cependant, en un
certain sens, elle n’existe pas encore. Elle n’existe pas encore, en tant
qu’il lui manque le sens d’unité mis en relief dans une clarification
principielle, en tant qu’il lui manque Vidée téléologique d’une science
unitaire, idée déployée dans l'évidence et à partir de laquelle on pourrait
comprendre que tout ce qui est unifié par cette science dans une
technique théorique a nécessairement une parenté, cette parenté
étant une parenté de sens qui est fondée dans cette idée clarifiée.
Dès que nous cherchons à atteindre cette idée (que ce soit en partant
de l’idée — déjà devenue claire pour nous — d’une logique formelle
et en tendant vers les anciennes disciplines mathématiques formelles
qu’il reste alors avant tout à clarifier, ou que ce soit l’inverse), nous
io6 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

trouvons sur notre chemin le problème nouveau, celui d’une ontologie


formelle.
Pour développer par avance ce problème, partons tout d’abord
du fait que l’analytique aristotélicienne était fondée en tant qu’ana¬
lytique apophantique, donc avait comme concept thématique fonda¬
mental délimitant son domaine le concept d’apophansis : le concept
d’énoncé qui affirme sous le mode de la certitude, c’est-à-dire le
jugement prédicatif. L’élaboration méthodique parfaite de cette
analytique (aussitôt qu’elle est rapportée purement aux jugements
en tant que significations) conduit nécessairement à une « mathéma¬
tique » apophantique formelle. Car tout homme qui a appris une fois
à connaître auprès des mathématiques modernes et de l’analyse
mathématique en général la technique déductive doit voir d’emblée
(comme l’a vu le premier Leibniz) que les formes des propositions
se laissent manier de la même façon et que l’on peut « compter »
avec elles de la même façon qu’avec les nombres, les grandeurs, etc. ;
et même, bien plus, que c’est l’unique manière selon laquelle doit être
édifiée une théorie universelle des propositions en tant que théorie
déductive en son essence. Cela vaut déjà, comme on l’a prouvé plus
haut, pour une simple morphologie des propositions.
Face à l’apophantique, dans ce style méthodique d’une mathéma¬
tique apophantique, nous avons maintenant la mathématique non-apo-
phantique, 1’ « analyse » formelle traditionnelle des mathématiciens, la
mathématique des ensembles, des combinaisons et des permutations,
des nombres cardinaux (des modes du combien), des nombres ordi¬
naux de différents degrés, des multiplicités — avec les formes bien
connues appartenant à ces dernières, formes qui s’appellent de même
nombres mais qui ne doivent en aucune manière être confondues
avec les nombres susdits car elles dérivent leur sens des définitions des
multiplicités considérées. Dans ce domaine, les propositions prédicatives,
les « jugements » au sens de la logique traditionnelle, ri interviennent
manifestement pas du tout en tant que concepts thématiques fondamentaux.
APOPHANTIQUE FORMELLE i°7

Si l’on se demande quel est le concept universel qui doit délimiter


le domaine unitaire de ces disciplines qui ont une parenté manifeste,
on est tout d’abord dans l’embarras. Mais quand on examine (a)
la généralité des concepts ensemble et nombre qui s’offre naturelle¬
ment comme la plus large qui soit et quand on examine les concepts
déterminant le sens de ces concepts : c’est-à-dire respectivement le
concept « élément » et le concept « unité », alors on reconnaît que la
théorie des ensembles et la théorie des nombres cardinaux est rap¬
portée à l’univers du vide : objet en général ou quelque chose en général,
avec une généralité formelle qui laisse hors de considération, d’une
manière principielle, toute détermination concrète d’objets; on
reconnaît ensuite que ces disciplines s’intéressent d’une manière
spéciale à certaines formes dérivées du quelque chose en général,
l’une, à savoir la théorie des ensembles, s’intéresse aux ensembles
comme totalités composées d’objets quelconques et, d’une manière
analogue, l’autre, à savoir la théorie des nombres cardinaux, s’inté¬
resse aux nombres cardinaux conçus comme certaines différencia¬
tions — qu’il faut engendrer systématiquement — de formes
d’ensembles. Progressant à partir de là on reconnaît que, comme la
théorie des ensembles et comme la théorie des nombres cardinaux,
de même le reste des disciplines mathématiques formelles sont formelles
en ce sens qu’elles ont comme concepts fondamentaux certaines
formes dérivées du quelque chose en général. De la naît une idee universelle
de science, celle d’une mathématique formelle prise dans toute son ampleur,
dont le domaine universel se délimite nettement comme l’extension
du concept formel suprême : objet en général ou comme l’extension du
quelque chose en général pensé dans la généralité la plus vide qui soit,
avec toutes les formes dérivées engendrables a priori (et donc conce¬
vables) dans ce champ, formes qui dans une construction itérative
toujours nouvelle produisent des formes toujours nouvelles. Au

(a) Comme je l’ai fait déjà dans ma Philosophie der Arithmetik.


io8 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

nombre de ces dérivations, à côté des formes : ensemble et nombre


(finis et infinis) on trouve les formes : combinaison, relation, suite,
liaison, tout et partie, etc. Alors on est tout près de considérer toute
cette mathématique comme une ontologie (doctrine apriorique de
l’objet), mais comme une ontologie formelle, rapportée aux modes
purs du quelque chose en général. On aurait donc ainsi acquis l’idée
directrice pour déterminer dans des examens structurels aprioriques
les domaines particuliers de cette ontologie, de cette mathématique
des objectités en général.

§ 25. Séparation thématique


ET POURTANT SOLIDARITÉ « IN RE ))

DE L’A PO PH ANTIQUE FORMELLE ET DE L’ONTOLOGIE FORMELLE

Après ces réflexions, le domaine de cette ontologie formelle,


conçue comme la mathématique formelle étendue jusqu’à une univer¬
salité conforme à l’essence, paraît être séparé nettement du domaine
de l’analytique des jugements — cette dernière étant conçue pure de
toute thématique dirigée vers la subjectivité, thématique qui certes
aussi reste étrangère, de prime abord, à la théorie des ensembles, à
l’arithmétique, etc. Nous ne pouvons pas, semble-t-il, nous laisser
abuser par le fait que la syllogistique se laisse traiter algébriquement
et qu’elle a alors un aspect théorique semblable à celui d’une algèbre
des grandeurs et des nombres, et nous ne pouvons nous laisser
abuser même par le fait que, d’après une remarque géniale de G. Boole,
le calcul de l’arithmétique (considéré formellement) se réduit au
« calcul logique » si on s’imagine la suite des nombres limitée à o
et à 1. L’analytique apophantique et l’analytique de l’ontologie
formelle seraient donc deux sciences différentes, séparées par leur
domaine.
Cependant on n’a qu’à se rappeler que la pleine signification de
APOP H ANTIQUE FORMELLE 109

juger c’est porter des jugements sur des objets, énoncer des propriétés
ou des déterminations relatives de ces objets ; alors on doit remarquer
que l’ontologie formelle et l’apophantique formelle, malgré la diffé¬
rence expresse de leur thématique, doivent être cependant très étroi¬
tement solidaires et sont peut-être inséparables. Finalement, toutes
les formes d'objets, toutes les variantes du quelque chose en général
interviennent dans P apophantique formelle elle-même ; c’est ainsi que,
par essence, les qualités (propriétés et déterminations relatives), de
même les états des choses, les liaisons, les relations, les touts et les
parties, les ensembles, les nombres et tout autre mode d’objectité,
explicité in concreto et originellement, existant pour nous d’une
manière véritable ou possible, n’existent qu’en tant qu’ils inter¬
viennent dans des jugements. En conséquence, dans toutes les
distinctions formelles de jugements sont impliquées aussi des dis¬
tinctions de formes d’objets (quelque clarification précise que
cet « être-impliqué » et cet « intervenir » puissent recevoir) (a).
Dans le jugement plural intervient le pluriel, dans le jugement uni¬
versel l’universel. Certes le pluriel dans le jugement plural n’est pas
l’objet dans toute la force du terme, au sens de ce « sur quoi » l’on
porte un jugement, donc au sens de substrat de déterminations; il en
est de même de l’universel dans l’autre exemple. Mais dans la doctrine
formelle du jugement (et cela en tant que morphologie pure) inter¬
viennent aussi ces « opérations » grâce auxquelles la forme plurale
du jugement peut être changée en la forme de la prédication singu¬
lière sur la collection et la forme du jugement qui contient « en géné¬
ral » en la forme d’un jugement sur l’universel pris comme genre.
État des choses et qualité sont des catégories objectives, mais tout
jugement, par exemple « S est p », qui juge sur S et énonce de lui la
qualité p, peut par « nominalisation » être changé en un jugement sur
l’état des choses S est p ou en un jugement sur la qualité p, sous la

(a) he chapitre IV donnera des éclaircissements sur ce point.


11o STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

forme : p convient à S (a). Eu égard à cela on ne peut donc aucune¬


ment tenir déjà pour résolu le problème de l’unité ou de la diversité
de l’analytique formelle logique et de la mathématique formelle, et
dès lors l’idée de leur unité commence même déjà à avoir quelque
force. Mais il est besoin de réflexions très approfondies pour obtenir
une intelligence véritable de ce problème.

§ 26. Raisons historiques


AYANT CONTRIBUÉ A MASQUER LE PROBLEME DE l’uNITÉ
DE l’APOPHANTIQUE FORMELLE ET DE LA MATHÉMATIQUE FORMELLE

a) Imperfection du concept de forme-vide pure

Le problème présent, les anciens ne pouvaient pas encore le ren¬


contrer; la logique commençante et la mathématique devaient leur
apparaître comme des sciences indubitablement séparées, attendu que
les anciens n’étaient pas encore arrivés assez loin pour faire accéder à la
forme pure quelque discipline mathématique que ce soit. L’arithmé-
tique, chez eux, n’est pas encore distinguée, de façon principielle, de
la géométrie et de la mécanique (comme elle l’est pour nous, confor¬
mément à notre contraste principiel entre la mathématique formelle
et la mathématique concrète). Car pas même le concept de nombre
n’a été chez les anciens vidé de tout contenu matériel, il n’a pas été
non plus rapporté, dans les unités pensées comme comptées, au
domaine du quelque chose en général. De plus, même aussi de
l’autre côté, l’apophantique des anciens (comme nous l’avions déjà
remarqué antérieurement) (b), du fait qu’elle référait ses objets à la
réalité, n’était pas encore finalement formalisée. Par conséquent
Aristote eut uniquement une ontologie générale « réelle » et c’est

(a) Cf. sur ce point, Ideen, p. 248 sq. et Logische Untersuchungen, t. II,
ire partie, 5e recherche, §§ 34-36, et t. II, 2e partie, 6e recherche, § 49.
(b) Cf. ci-dessus § 12, alinéa de conclusion, p. 71.
APOPHANTIgUE FORMELLE ni

cette ontologie réelle qui valut pour lui comme « philosophie pre¬
mière ». Il lui manqua l’ontologie formelle et donc aussi la connais¬
sance que l’ontologie formelle, en soi, précède l’ontologie réelle.
La découverte proprement dite du formel s’effectue pour la pre¬
mière fois au commencement des temps modernes dans la réalisation
de la fondation de l’algèbre par Viète, donc de la technicisation déduc¬
tive de la théorie des nombres et de la théorie des grandeurs; et cette
découverte atteint ensuite son sens pur grâce à Leibniz dont la
mathesis universalis a manifestement complètement repoussé toute
attache à une généralité quelconque liée au concret, fût-ce la plus
haute généralité.
Les tenants de la logique philosophique des temps modernes
— je ne vise donc pas les logiciens rivalisant avec les mathématiciens
[71] dans le développement technique de l’algèbre logique et restant
comme eux dans la naïveté philosophique -—■ ne triomphaient pas,
dans ce qui est ici en question, de l’emprise de la tradition aristo-
télico-scolastique. Ils ne comprenaient pas le sens de la mathesis
universalis — sens sans doute difficile à saisir à partir des brèves indi¬
cations de Leibniz. Ils ne voyaient pas le problème posé par la
mathématique nouvelle et cela pour d’autres raisons profondes.

b) Imperfection de la connaissance
de /’idéalité des formations apophantiques

La fondation aristotélicienne de l’analytique en tant qu’apophan-


tique, en tant que logique de l’enoncé prédicatif, ou encore comme
logique du jugement prédicatif, se révéla tout d’abord comme une
entrave. Quelque nécessaires que fussent ces débuts de la logique,
il y avait cependant en eux une difficulté profondément enracinée a
abstraire thématiquement de l’activité jugeante la sphère du jugement
et, restant en cela conséquent, a considérer du point de vue théorique
cette sphère du jugement comme un champ objectif propre de
l’idéalité apriorique, de la même façon que le font les géomètres à
I 12 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

l’égard des formes géométriques pures et les arithméticiens à l’égard


des nombres.
Il est fondé dans la nature propre des choses elles-mêmes que
1 objectivité idéale des formations de jugement ne pouvait arriver à
se faire reconnaître et que cette objectivité, même après avoir été
systématiquement mise en évidence très récemment et après que la
« critique » l’eût fait prévaloir contre le psychologisme empiriste,
n’est pas encore arrivée à une autorité universelle. Les jugements
sont originellement présents pour nous dans les activités jugeantes.
Tout travail de connaissance est une activité psychique multiple
mais unitaire dans laquelle jaillissent les formations de connaissance.
Certes les objets extérieurs, eux aussi, sont originellement présents
pour nous uniquement dans l’activité subjective d’expérience. Mais
ils se présentent dans cette activité d’expérience comme existant
déjà à l’avance (comme « présents devant nous ») et uniquement
comme s introduisant dans l’activité d’expérience. Ils n’existent pas
pour nous de la même façon que les formations de pensée (les
jugements, les démonstrations, etc.) qui proviennent de notre acti¬
vité propre de pensée et purement d’elle (qui ne proviennent pas
du tout d’une matière déjà présente, extérieure à cette activité).
En d autres termes, les choses sont données à la vie active comme
originellement étrangères au moi, elles sont données de l’exté¬
rieur. Les formations logiques en revanche sont données exclu¬
sivement de l'intérieur, exclusivement grâce aux activités spontanées
et en elles. D’autre part, après qu’on les a engendrées de fait, on les
prend assurément encore comme existantes, on « revient à elles »,
on les répète à volonté, et alors on revient à elles comme restant les
mêmes, on les applique dans une sorte de praxis, on les associe (par
exemple comme on associe les prémisses), on engendre du nouveau
[72] (des déductions, des démonstrations, etc.). Donc on les manie comme
des choses réelles, quoique ici pourtant on ne puisse parler de réalités.
Ainsi les formations logiques, de façon confuse, sont en suspens entre
APO PH ANTIQUE FORMELLE
111
subjectivité et objectivité. De les admettre vraiment comme objets
irréels, de satisfaire aux évidences qui s’offrent des deux côtés et qui
peut-être sont mises en jeu illégitimement l’une contre l’autre, de
considérer vraiment ce qui est ici vraiment problématique comme
tel— on ne risque pas de le faire : en effet, aveuglé par le vieil héritage
de peur devant le platonisme, on ne reconnaît pas le sens de ce
platonisme qui doit être saisi dans sa pureté et on ne reconnaît pas
son véritable problème.
La situation est certes principiellement la même également pour
les autres sciences aprioriques que la tradition transmet sous la
dénomination de mathématique; elle est donc principiellement la
même pour la géométrie, l’arithmétique, etc., sciences qui cependant
paraissent rapportées, sans que cela fasse seulement question, aux
sphères d’objets de leur ressort, aux formes géométriques, aux
nombres cardinaux ou ordinaux, etc., bien que ces objectités, elles
aussi, fassent leur apparition dans les actions subjectives des cher¬
cheurs, grâce au tracé des lignes, à la production géométrique des
surfaces, etc., et respectivement grâce aux actes de colligation, de
numération, d’ordination, de combinaison. Et cependant ici on pen¬
sait à peine à subjectiviser les formations elles-mêmes. Car ici on
prenait appui constamment, par des exemples, sur les formes spatiales
et temporelles sensibles qui dirigeaient le regard de prime abord du
côté objectif mais masquaient assurément en même temps l’irréalité
des formes mathématiques. Les constructions, ensembles, assemblages
de nombres, etc., effectués à l’aide des objets réels pris à titre
d’exemples ayant une fonction de représentation donnaient des for¬
mations qui devaient être considérées comme réelles (figures réelles,
corps réels, ensembles réels, nombres réels); mais tel n’est pas le
cas en ce qui concerne les formations qui résultent de l’activité de
jugement.
D’où il s’entend que dans l’antiquité l’idée du XexTov de la doc¬
trine stoïcienne — idée qui avait déjà fait du chemin — n’avait cepen-

E. HUSSERL S
114 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

dant pas prévalu et que dans les temps modernes la plupart des logi¬
ciens, même après le développement d’une mathématique formelle
et de son extension réalisée par le calcul logique, n’étaient pas en
état de voir une connexion interne entre la thématique mathématique
et la thématique logique. Une telle connexion ne put être mise en
relief que lorsque les formations de la logique formelle devinrent
thématiques en tant que formations parallèles à celles de la mathé¬
matique formelle et dans la même attitude tournée vers l’objectivité
idéale. Dans la mathématique, cette attitude abstractive était une
tradition solide, elle déterminait de tout temps et exclusivement la
visée théorique de la théorétisation mathématique. Dans la logique
on devait d’abord lutter pour parvenir à cette attitude.

c) Autres raisons qui masquèrent le problème de l’unité


de Tapophantique formelle et de la mathématique formelle,
en particulier absence de recherches authentiques sur l’originel

En outre, une autre influence s’exerçait, celle des interpréta¬


tions hardies que l’on faisait des jugements dans la perspective de la
« logique de l’extension », interprétations qui se donnaient comme
nécessaires pour une inclusion de la sphère apophantique dans la mathé¬
matique et qui n’étaient aucunement attirantes pour les logiciens à
orientation philosophique. Ce sont uniquement des logiciens tout à fait
isolés qui se tenaient du côté des thèses des mathématiciens, mais au
fond ces logiciens obéissaient plutôt ainsi à une sensibilité pour ce qui
est exact (comme Lotze (a)) ou au préjugé de la supériorité du pouvoir
de pénétration des mathématiciens (comme le fait manifestement
A. Riehl (b)) plutôt que d’établir leur prise de position sur une véri-

(a) Cf. dans la Logik de Lotze, chapitre premier, § 18 ; chap. III, § m, les
assertions qui peuvent d’autant moins être considérées comme approfondies que
Lotze ne parle là que de mathématiques en général et qu’il n’exclut pas, comme
il ressort du contexte, la mathématique matérielle.
(b) Cf. Der philosophische Kritizismus, II, 1, p. 228.
APOPHANTIQUE FORMELLE 115

table recherche. A l’égard des mathématiques, les logiciens ne se


rendaient pas compte que se trouvaient là présentes des difficultés
en fait complètement parallèles à celles de la logique : difficultés
dues au fait que l’objectivité idéale des formations et l’activité qui
les constitue subjectivement (activité du compter, du combiner, etc.)
s imbriquent l’une dans l’autre ou s’accompagnent l’une l’autre;
cette méconnaissance des difficultés provenait de ce qu’on n’était à
proprement parler jamais arrivé à une exploration philosophique
sérieuse de l’origine des concepts fondamentaux de la mathématique
formelle considérés précisément en tant que concepts de formations
constituées subjectivement. Il aurait dû alors être manifeste que le
juger et le compter sont des spontanéités actives étroitement appa¬
rentées qui constituent d’une manière analogue leurs corrélats idéaux :
le jugement et le nombre (a) ; ensuite, par voie de conséquence, il
aurait dû être manifeste qu’une attitude unilatérale conséquente
rend possible et exige dans l’un et l’autre cas avec un sens identique
une théorie objective — une théorie mathématique (b).
Il est en somme facile à comprendre qu’une prise de conscience
radicale et principielle sur le sens pour ainsi dire « natif » de l’une et
l’autre discipline était et est toujours pareillement nécessaire pour
briser l’emprise de la tradition et pour pénétrer jusqu’à la compréhen¬
sion interne de l’unité de leur thématique — au lieu de se satisfaire
comme le font les mathématiciens avec une unité qui a sa source
dans une technique théorique ou comme le font la plupart des philo¬
sophes avec une soi-disant séparation qui ne peut être rendue
compréhensible par aucune évidence principielle.

(a) Cf. ma Philosophie der Arithmetik, 1891, par exemple p. 91 (objets catégo¬
riaux en tant que formations).
(b) I+a mise en évidence de cette exigence constituait le thème principal du
premier tome de mes Logische Untersuchungen.
116 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

d) Remarque sur la position de Bolzano


à T égard de Vidée d'ontologie formelle

Combien il est difficile d’aller jusqu’au bout de sa pensée et de


pénétrer ainsi, en partant de l’analytique logique, jusque dans la
mathématique formelle ou tout aussi bien, inversement, en partant
de celle-ci pour arriver à celle-là et combien dès lors il faut estimer
hautement ce qu’a accompli Leibniz à cet égard, on le voit avec
Bolzano. Dans sa Wissenschaftslehre de 1837, qui est digne d’admi¬
ration, il était déjà assez avancé pour esquisser systématiquement
une doctrine des propositions et des vérités en soi conçue comme
une analytique apophantique ayant son autonomie. D’autre part,
même déjà en 1810, dans ses Beitràge %u einer begründeteren Darstellung
der Mathematik il fait l’essai d’une définition principielle des mathé¬
matiques qui tend déjà vers l’idée d’une doctrine formelle apriorique
de l’objet, il est vrai sans pénétrer jusqu’à son vrai sens (comme je
vais le montrer tout de suite dans la conclusion de ce paragraphe).
Et cependant Bolzano ne parvient pas assez loin pour penser jusqu’au
bout les deux idées, celle d’une analytique des propositions et celle
d’une analytique formelle mathématique et pour découvrir leur
équivalence interne; il n’est même pas non plus arrivé assez loin pour
prendre en considération la possibilité d’une théorétisation algébrique
des formations logiques parallèlement à celle des formations de la
mathématique formelle prise au sens habituel. Bref, il a beau avoir
tant appris de Leibniz, il reste loin en arrière des intuitions de celui-ci.
On lit tout d’abord avec surprise dans la nouvelle édition, pleine
de mérite, de l’écrit de jeunesse de Bolzano (auparavant autant dire
inaccessible) que nous devons à H. Fels (9e petit volume de la
Sammlungphilosophischer Lesestoffe de F. Schôning, Paderborn, 1926)
les phrases introduisant le § 8 (loc. cit., p. 17) qui, bien que dans le
détail elles appellent une critique, paraissaient promettre une défi¬
nition de l’ontologie formelle : « Je pense que l’on pourrait définir
APOPHANTJOUE FORMELLE lI7

les mathématiques comme une science qui traite des lois générales
(des formes) auxquelles doivent se conformer les choses dans leur
existence. Par le mot chose je n’entends pas seulement ici celles qui
possèdent une existence objective, indépendante de notre conscience,
mais aussi celles qui existent simplement dans notre représentation
et cela de nouveau à titre d’individus (c’est-à-dire d’intuitions) ou
à titre de simples concepts universels, en un mot donc, j’entends
par « chose » tout ce qui en général peut être un objet de notre
faculté de représentation. » A y regarder de plus près, on voit que
Bolzano donne ici une définition (qui a sans doute besoin d’être
améliorée) d’une ontologie apriorique universelle qui renferme en
soi, non séparées, une ontologie matérielle et une ontologie se rap¬
portant au formel vide. Il tente alors de dégager une « mathématique
universelle » au compte de laquelle doivent être mises, en tant
que disciplines, la « théorie des nombres », la « théorie combi¬
natoire », etc.; il souligne que vis-à-vis de ces disciplines des disci¬
plines comme la géométrie, la chronométrie, etc., doivent valoir non
pas comme disciplines coordonnées mais comme disciplines subor¬
données et il trouve que les premières se distinguent par le fait que
leurs lois « sont applicables à toutes choses sans exception » tandis
que les lois des autres ne le sont pas. Mais quand il pense : « Chose
en général » comme genre suprême sous lequel se tiennent, en tant
que genres particuliers se livrant par division, les concepts suprêmes
de la géométrie et des disciplines qui lui sont coordonnées, il devient
visible qu’il n’a pas vu la distinction entre la forme vide du quelque
chose en général prise comme genre suprême qui se différencie en tant
que forme formelle vide et entre la région universelle de l’existant possible
(du réel au sens le plus large), région qui se différencie en régions parti¬
culières. Il n’a donc pas vu non plus la distinction entre les subsomp-
tions des particularisations formelles sous le général formel et entre
les subsomptions des particularisations régionales (constituées par
les mathématiques matérielles) également sous le général formel. Les
n8 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

dernières particularisations ne se tiennent aucunement à l’intérieur


de la mathématique formelle, les autres résultent de la formalisation
de la mathématique matérielle. En un mot, Bolzano n’est pas parvenu
au concept de formel qui détermine l’ontologie formelle bien qu’il
l’ait en une certaine manière effleuré.

§ 27. Introduction de l’idée d’ontologie formelle

dans les Logische Untersuchungen

L’idée d’une ontologie formelle se présente pour la première


fois, à ma connaissance, dans la littérature philosophique, dans le
tome I de mes Logische Untersuchungen (a) et cela dans l’essai de
déploiement systématique de l’idée d’une logique pure, cependant
pas encore sous le nom d’ontologie formelle que j’ai introduit seule¬
ment plus tard. D’ailleurs les Logische Untersuchungen et avant tout
les Recherches du tome II ont osé à nouveau reprendre sous une
forme neuve la vieille idée — tellement proscrite du fait du kantisme
et de l’empirisme — d’une ontologie apriorique et elles ont tenté
de la fonder en tant que nécessaire pour la philosophie dans des
fragments d’études développés concrètement.
L'a priori relevant de T ontologie formelle se donne (loc. cit. chapitre
de conclusion du tome I) comme un a priori lié d’une manière insé¬
parable à Va priori apophantique (celui des significations des énoncés)
et c’est précisément avec cette situation que devait se faire sentir le
problème suivant : comment doit être comprise cette impossibilité
de séparation ? Ce problème du rapport de l’ontologie formelle et
de l’apophantique formelle qui a déterminé le cours de notre pré¬
sente recherche n’était pas encore soulevé dans les Logische Unter¬
suchungen. Il pourrait être utile de suivre la motivation qui a conduit à
constituer ce chapitre de conclusion des Prolegomena et alors aussi

(a) Logische Unterschungen, 1.1 : Prolegomena zur reinen Logik, ire éd., 1900.
APOPHANTIQUE FORMELLE ïm

de lui laisser dire son mot. En même temps que la clarification renou¬
velée de ce qui dans, ce chapitre, avait été exposé par trop sommai¬
rement s’offriront à nous des délimitations critiques et des perfec¬
tionnements essentiels qui nous rapprocheront essentiellement du
but de notre présente recherche.

a) Les premières recherches constitutives des ohjectités catégoriales


dans la Philosophie der Arithmetik
La fixation de l’attention sur le formel et une première compréhen¬
sion du sens du formel, je l’ai acquise déjà grâce à ma Philosophie de
P arithmétique (1891) (a) qui, quelque défaut de maturité qu’elle
comportât en tant que premier écrit, représentait pourtant un premier
essai pour obtenir la clarté sur le sens véritable, sur le sens authen¬
tique et originel des concepts de la théorie des ensembles et de la
théorie des nombres, et cela en revenant aux activités spontanées de
colligation et de numération dans lesquelles les collections (« tota¬
lités », « ensembles ») et les nombres sont donnés d’une manière
originellement productrice. C’était donc, pour me servir de ma
manière ultérieure de m’exprimer, une recherche relevant de la
phénoménologie constitutive et c’était en même temps la première
recherche qui tentait de rendre compréhensible les « objectités
catégoriales » de premier niveau et de niveau supérieur (ensembles
et nombres d’ordre supérieur (b)) provenant de l’activité intention¬
nelle « constituante » en tant qu’elles font leur apparition originaliter,
donc avec la pleine originalité de leur sens, comme effectuations de
cette activité constituante. Il doit être évident a priori que, aussi

(a) C’est une simple mise au point littéraire de mon mémoire d’habilitation
de 1887 dont un fragment Ueber den Begnff der Zahl est paru pour des fins acadé¬
miques (non dans le commerce).
(h) En relation expresse avec cela et en faisant intervenir comme autre exemple
la personne juridique, B. Krdmann a dans sa Logik (1892, I, p. 101) intro¬
duit le terme « objets d’ordre supérieur ».
120 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

souvent que la forme de ces actions spontanées reste la même, corré¬


lativement leurs formations aussi doivent avoir une même forme.
Donc si les constructions conceptuelles : ensemble et nombre sont
effectuées dans une généralité pure et la plus large qui soit, alors rien
non plus de la teneur concrète (du contenu qualitatif) des éléments
rassemblés et des unités comptées n’intervient dans cette généralité;
la teneur concrète doit rester variable d’une manière absolument libre,
ce qui manifestement correspond entièrement à l’intention de la
théorie des ensembles et de la théorie des nombres. Le formel que
l’on rencontre dans ces disciplines réside donc dans ce rapport à
1’ « objectité en général », au quelque chose en général, avec une généralité la
plus vide qui soit et qui laisse arbitraire d’une manière indéterminée
toute détermination concrète. Mais leurs concepts fondamentaux
sont (pour me servir de ma manière ultérieure de m’exprimer) des
formations syntaxiques in forma, des formes syntaxiques dérivées
du quelque chose vide.
Il allait de soi que, en poursuivant mes recherches qui englobaient
la mathématique formelle entière (a) et qui finalement avaient en
vue une « théorie des systèmes déductifs » et les formes des sciences
[77] déductives en tant que telles, j’arrivai aussitôt à considérer la mathé¬
matique formelle en général sous le point de vue unitaire d’une
science qui a affaire d’une manière principielle aux formes dérivées
du quelque chose en général et qui donc, dans toutes ses disciplines
ayant de ce fait une connexion essentielle, a une base commune
dans la région du vide, dans la région du quelque chose en général.

b) Chemin suivi par les Prolégomènes


de P' apophantique formelle à T ontologie formelle

Nous considérons maintenant le chemin qui dans le chapitre


signalé des Prolegomena %ur reinen Logik nous a conduit du déploie¬

rai Cf. Avant-propos de la Philosophie der Arithmetik.


APOPHANTIQUE FORMELLE

ment conséquent du sens d’une logique apophantique formelle à


l’ontologie formelle. Ce qui servait d’idée directrice pour la logique
apophantique c’était l’idée de la doctrine apriorique de la science;
cette idée avait une direction de recherche exclusivement orientée
vers le contenu objectif idéal des sciences qui, de quelque façon
qu’il provienne d’effectuations subjectives, se trouve devant nous
comme un système de propositions vraies, se trouve devant nous
comme unité de la théorie. Plus précisément, le regard est dirigé,
de prime abord, par préférence, vers les sciences explicatives théoriques
(sciences nomologiques, déductives) et vers l’unité de la théorie achevée
sous forme de système (a) — de la « théorie au sens strict ». Il s’agit donc
de Y a priori de la théorie (de la théorie ainsi comprise) en tant que telle,
de la théorie conçue dans une généralité formelle qui laisse indéter¬
minée toute particularisation concrète des objets ou des domaines
d’objets auxquels se rapporte une théorie. Ce qui se présentait comme
tâche d’une telle logique formelle c’était alors, avant tout, la mise en
évidence des concepts constitutifs qui appartiennent à l’essence d’une
théorie en tant que telle. Ce qui conduit (b) aux concepts : proposition
(jugement), concept et en général à tous les concepts qui concernent
l’organisation des jugements, simples et complexes; et naturellement
aussi au concept de vérité. Ce groupe de concepts est appelé groupe
des catégories de signification. A ces concepts sont opposés comme
concepts corrélatifs de la science logique les concepts des catégories
formelles d'objets, c’est-à-dire les concepts : objet, état des choses,
unité, pluralité, nombre, relation, liaison, etc. — tous ces
[78] concepts restant exempts de toute particularisation de la matière de
la connaissance (c). C’est en liaison avec cette opposition qu’on

fa) Proiegomena, § 64, p. 232.


(b) § 67, p. 243 sq. (ire éd.) ; p. 242 sq. dans la 2e éd. ne se distinguant de la
première que par quelques tournures différentes.
(c) Au concept de catégorie et aux concepts connexes de lois « analytiques »
ou formelles par opposition aux lois synthétiques ou matérielles, à la distinction
122 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

parle (a) de la tâche de détermination des lois correspondantes et


qu’on distingue les lois précisément selon ces deux groupes 'de catégories,
les catégories de signification et les catégories d’objet. C'est pré¬
cisément par là que la logique formelle est caractérisée en toute netteté
à la fois comme une apopbantique et comme une doctrine formelle
apriorique de l'objet. A la logique formelle appartiennent, comme il
ressort des développements ultérieurs, non seulement la syllogis¬
tique réduite au champ des significations idéales mais aussi la doc¬
trine des nombres cardinaux, la doctrine des nombres ordinaux et
la doctrine des nombres qui sont pris dans leur fonction d’application
aux grandeurs (b) et de même naturellement la doctrine formelle
des grandeurs, prise en général, la doctrine des combinaisons et
des permutations, etc.

entre intuition sensible et intuition catégoriale, etc., sont consacrées les amples
recherches du t. II des Logische Untersuchungen, en particulier t. II, ire partie,
section 3, § n et toute la deuxième section sur « Sensibilité et entendement » dans
le t. II, 2e partie.
(a) Prologomena, § 68.
(b) Loc. cit., p. 248 (2e éd., p. 251).
Chapitre III

THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS


ET DOCTRINE DE LA MULTIPLICITÉ

§ 28. Le niveau le plus élevé de la logique formelle


LA THÉORIE DES SYSTEMES DÉDUCTIFS ET, CORRÉLATIVEMENT,
LA DOCTRINE DE LA MULTIPLICITÉ

Prenant en considération le type complètement nouveau d’'analyse


mathématique qui s’était manifesté au xixe siècle dans un dévelop¬
pement théorique technique puissant et éprouvant le besoin d’amener
à la clarté le sens logique de cette analyse qui était resté dans une
confusion complète, je vins à former l’idée d’une troisième et suprême
tâche d’une logique formelle ou doctrine formelle de la science.
Elle s’annonce dans le titre du § 69 des Prolégomènes (a) comme
théorie des formes possibles de théorie ou (corrélativement) comme
doctrine de la multiplicité.
Attendu que le concept de théorie (d’après ce qui a été dit dans
le paragraphe précédent) devait être compris au sens fort — en
conformité avec les sciences nomologiques ou déductives — c’est-à-
dire comme une liaison systématique de propositions sous la forme
d’une déduction ayant l’unité d’un système, on avait alors acquis
dans ces conditions un point de départ pour une théorie des systèmes
déductifs ou, ce qui revient au même, pour une théorie d’une disci-

(a) Proie gomena, p. 247.


124 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

pline logique des sciences déductives en tant que telles et considérées


comme totalités théoriques. Au niveau précédent de la logique ce qui
était devenu thématique quant à la forme pure c’était toutes les
formations de signification qui peuvent intervenir à T intérieur d’une
science a priori, c’était donc les formes de jugement (et les formes de
leurs éléments), les formes de déduction, les formes de démons¬
tration; corrélativement, du côté objectif, c’était les objets en général,
les ensembles et les relations entre ensembles, les combinaisons, les
ordres, les grandeurs, etc., tout cela pris en général, avec les relations
formelles essentielles et les liaisons formelles correspondantes;
maintenant ce qui devient thème ce sont les systèmes de jugements
dans leur totalité, qui constituent l’unité d’une théorie déductive
possible, l’unité d’une « théorie au sens strict » (a). Intervient ici,
en tant que concept total d’objet (et compris toujours dans une
généralité formelle), ce que la mathématique, sans détermination et
déploiement du sens, a en vue sous la dénomination : multiplicité.
C’est le concept formel de domaine d’une science déductive, celle-ci
étant pensée comme unité systématique ou totale de la théorie :
je répète ici la caractérisation exacte de l’idée d’une théorie formelle
des théories (corrélativement de l’idée d’une doctrine de la multi¬
plicité), caractérisation à laquelle je ne voudrais rien changer mais
dont nous devons ici avoir le contenu sous les yeux :
« Le corrélât objectif du concept de théorie possible, déterminée
uniquement quant à sa forme, est le concept d’un domaine possible
de connaissance, pris en général, qui doit être dominé grâce à une théorie
ayant me telle forme. Or, un tel domaine, le mathématicien l’appelle
(dans sa sphère) une ?nultiplicité. C’est donc un domaine qui est
déterminé purement et simplement par le fait qu’il est soumis à une
théorie ayant une telle forme, c’est-à-dire par le fait que pour ses
objets sont possibles certaines liaisons qui sont soumises à certaines

(a) Notion qui à partir de son introduction (loc. cit., § 64) continue à être dési¬
gnée par le mot « théorie ».
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS

lois fondamentales ayant telle et telle forme déterminée (ce qui est ici le
seul facteur déterminant). Quant à leur matière, les objets restent
complètement indéterminés — objets que le mathématicien, pour
indiquer cette indétermination, désigne de préférence par le terme
T objets de pensée. Précisément ils ne sont déterminés ni directement en
tant qu’éléments particuliers (individuels ou spécifiques) ni indirecte¬
ment par leurs espèces et genres internes, mais ils sont déterminés
[80] exclusivement par la forme des liaisons qui leur sont attribuées. Ces
liaisons elles-mêmes sont donc aussi peu déterminées, quant à leur
contenu, que le sont leurs objets. Ce qui est déterminé c’est seulement
leur forme et cela grâce à la forme des lois élémentaires admises comme
valables pour ces liaisons. Ces lois élémentaires déterminent alors,
de même que le domaine, également la théorie à construire, ou pour
parler plus justement, la forme des théories. Dans la théorie de la multi¬
plicité le signe « + » par exemple n’est pas le signe de l’addition
numérique mais le signe d’une liaison en général pour laquelle sont
valables des lois de la forme a b = b + a, etc. La multiplicité est
déterminée par le fait que ses objets de pensée rendent possibles ces
« opérations » (et d’autres opérations dont il faut prouver la compa¬
tibilité a priori avec celles-ci).
U idée la plus générale d'une doctrine de la multiplicité est d’être une
science qui donne une forme déterminée aux types essentiels de
théories possibles et étudie leur relations les unes par rapport aux
autres, relations qui se conforment à des lois. Toutes les théories
effectives sont alors des spécialisations ou encore des singularisations
des formes de théorie leur correspondant, de même que tous les
domaines de connaissance soumis à une élaboration théorique sont
des multiplicités particulières. Si, dans la doctrine de la multiplicité,
la théorie formelle considérée effectivement est menée à bien, alors
par là même tout le travail théorique déductif est termine pour la
construction de toutes les théories effectives ayant la même forme
(Prolégomènes, p. 249 sq.).
iz6 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

Le nouveau concept suprême de la discipline ainsi en question


serait donc : forme Tune théorie déductive ou d’un « système déductif »;
il est naturellement fondé dans les concepts catégoriaux du niveau
inférieur. A côté de la tâche de définition formelle de ce concept il
existe maintenant celle qui s’étend à l’infini et qui consiste à diffé¬
rencier ce concept, à esquisser dans une organisation explicite et
systématique les formes possibles de telles théories; mais cette tâche
consiste aussi à reconnaître, du point de vue théorique, les formes
multiples de théories de cette espèce comme des individualisations
de formes générales de niveau plus élevé et, dans une théorie systé¬
matique, de différencier en leurs formes particulières et déterminées
ces formes générales elles-mêmes — et au-dessus de tout l’idée, la
plus haute qui soit, d’une forme des théories prise en général, l’idée
d’un système déductif en général.

§ 29. La réduction formalisatrice des sciences nomologiques


ET LA DOCTRINE DE LA MULTIPLICITÉ

Nous avions précisé et clarifié (a) le sens de cette position des


tâches en montrant que la doctrine de la multiplicité des mathéma-
[81] tiques modernes (et finalement toute l’analyse formelle moderne)
est déjà une réalisation de cette idée d’une science des systèmes
déductifs possibles, réalisation qui assurément n’est que partielle
mais qui est saisie dans un développement progressif vivant. C’est
précisément par cette voie qu’on parvenait pour la première fois à
une explicitation compréhensible et principiellement évidente du
sens de cette analyse qui — prise dans sa pleine extension — réalise
1 idée leibnizienne d’une mathesis universalis, de même que le déploie¬
ment du sens de la logique universelle des systèmes déductifs (logique
de niveau suprême) est en même temps un déploiement nécessaire
du sens dont Leibniz avait l’idée.

(a) Loc. cit. § 70.


THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 127

En reprenant librement les « éclaircissements » de ce § 70, indi¬


quons ici déjà que toute science théorique explicative nomologique,
par exemple la géométrie euclidienne — comme Euclide lui-même l’a
comprise en tant que théorie de l’espace universel intuitif du monde —
se laisse ramener à une forme de théorie. Cela se produit naturel¬
lement grâce à cette généralisation de la « formalisation » qui est
propre à la logique et dans laquelle toute la teneur concrète des
concepts, donc ici tout ce qui est spécifiquement spatial, est changée
en indéterminés, en mode du « quelque-chose-en-général » vide.
Alors le système concret de la géométrie se change en une forme de
système exemplifiée; à toute vérité géométrique correspond une
forme de vérité; à toute déduction ou démonstration géométrique
correspond une forme de déduction, une forme de démonstration.
A partir du domaine objectif déterminé des données spatiales, on
obtient la forme d'un domaine, ou, comme le dit le mathématicien, une
multiplicité. Ce n’est pas tout simplement une multiplicité en général
(ce qui serait équivalent à un ensemble en général), ce n’est pas non
plus la forme : « Ensemble infini en général », mais c’est un ensemble
dont la particularité consiste seulement en ce que cet ensemble est
pensé dans une généralité formelle vide comme « un » domaine qui
doit être déterminé par la totalité complète des formes de postulats
euclidiennes, donc dans une discipline déductive ayant une forme
déduite de la géométrie euclidienne de l’espace par le moyen de
cette formalisation.

§ 30. La doctrine de la multiplicité depuis Riemann

Le grand pas qu’a accompli la mathématique des temps modernes,


en particulier depuis Riemann, consiste en ce que non seulement elle
s’est rendu claire cette possibilité d’un retour à la forme d’un système
déductif (donc à la forme de toute science déductive) à partir de la
géométrie et aussi de toutes les autres sciences existantes, mais encore
128 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

en ce qu’elle est arrivée aussi à regarder de telles formes de systèmes


elles-mêmes comme des objets mathématiques, à les transformer librement,
à les généraliser mathématiquement et à particulariser le général
ainsi obtenu; mais cela s’effectue non pas en liaison avec les diffé¬
renciations selon le genre et l’espèce au sens de la tradition aristoté¬
licienne, différenciations qui seraient ici sans signification, mais au
sens des subordinations et des sous-ordinations de la mathématique
formelle qui s’offrent dans le domaine du formel. Les expressions
courantes manquaient et manquent assurément de clarté; on ne parle
pas de la forme catégoriale : espace mais de 1’ « espace euclidien » (a).
Dans la généralisation, on parle d’espace à n dimensions, d’espaces
riemanniens, d’espaces lobatchevskiens au lieu de généralisations
de cette forme catégoriale : « Multiplicité euclidienne à trois dimen¬
sions » en formes de « multiplicités » à « dimensions de certains types
qui sont définis, quant à la forme, encore plus précisément de telle
et telle manière. De même c’est sans clarté que les mathématiciens
parlent d’axiomes au lieu de formes d’axiomes et qu’ils parlent alors
ensuite de théorèmes, de démonstrations, etc., là où il s’agit d’une
déduction qui a une généralité formelle et dans laquelle les formes
de théorèmes qu’elle comprend sont dérivées des formes de prin¬
cipes présupposées, cette dérivation ayant lieu dans des formes de
déduction et de démonstration. Ce manque de distinction qui a été
écarté pour la première fois par les preuves évidentes (mais auxquelles
on n’a pas fait toujours attention) des paragraphes cités des Prolé¬
gomènes a créé une grande confusion chez les mathématiciens et même

(a) On ne se laissera pas déconcerter ici par le concept kantien de forme de


l’espace, concept qui concerne la forme régionale de la nature réelle et de toute
nature possible, alors que nous avons affaire ici à des formes purement analytiques,
à des formes « catégoriales », dont le rapport aux objets et aux jugements est marqué
par une expulsion complète de tout contenu concret. I*a forme espace au sens kan¬
tien est l’espace de la géométrie d’Euclide, la géométrie spatiale tout simplement.
Cette « forme spatiale » est elle-même un cas particulier de la forme analytique :
« multiplicité euclidienne ».
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 129

chez les logiciens que les mathématiciens avaient fourvoyés; elle a


provoqué aussi de fausses réactions du côté philosophique car dans
le fond le , génie mathématique avait, comme toujours, raison,
même s il n’était pas capable de se soumettre lui-même à une éluci¬
dation logique.

§ 31. Le concept par excellence de multiplicité,


CORRÉLATIVEMENT DE « SYSTÈME DÉDUCTIF »,
« NOMOLOGIQUE »,
EST CLARIFIÉ PAR LE CONCEPT DE « DÉFINITUDE » (i)

c Les mathématiciens progressèrent dans la direction indiquée de


iaçon illimitée. Sans se soucier des sciences théoriques déjà existantes,
[83] ils effectuèrent de libres constructions de « multiplicités » (de formes
de multiplicités) ou corrélativement de formes de sciences déductives.
Assurément, comme pour tout le développement des mathématiques
depuis 1 antiquité, on était finalement dirigé par la géométrie et par
1 idéal euclidien qui se manifestait en elle. Le rôle insigne du concept
mathématique de multiplicité (et donc la position d’un but particulier
de la doctrine de la multiplicité) révèle une tendance qui procède
de cet idéal. Je tentai de la saisir concrètement dans le concept de
multiplicité « définie ».
L’origine cachée de ce concept qui dirige constamment, à ce qu’il
me semble, de façon interne, la mathématique, est la suivante :
si nous concevons Y idéal euclidien comme réalisé fa), alors il faudrait
dériver, à partir d’un système fini, irréductible, d’axiomes, dans une
déduction purement syllogistique (donc selon les principes du niveau
logique inférieur à celui où nous nous trouvons) le système infini

(1) Definitheit.

ta) A savoir l’idéal qui est suggéré aux mathématiciens par la forme systéma¬
tique des Éléments, bien que cet idéal n’ait pas été formulé par Euclide lui-même.
E. HUSSERL
9
130 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

total de la géométrie spatiale, il faudrait donc mettre à nu complè¬


tement,, dans me perspective théorique, V essence apriorique de P espace. Dans
le passage à la forme, se présente donc l’idée formelle de multiplicité
en général qui, pensée comme soumise à un système d’axiomes ayant
une forme dérivée, par formalisation, du système euclidien, serait
définissable d’une maniéré complètement nomologique et cela dans une
théorie déductive « équiforme » (comme j’avais l’habitude de dire
dans mes leçons de Gottingue) par rapport à la géométrie. Si nous
concevons de prime abord comme définie par un tel système de
formes axiomatiques une multiplicité pensée dans une généralité
indéterminée — donc si nous la concevons comme déterminée
exclusivement par un tel système axiomatique — alors le système
des formes (système entièrement déterminé) des théorèmes, des
théories partielles et finalement la forme totale de la science, qui a une
validité nécessaire pour une telle multiplicité, doivent être déduits
dans une déduction pure. Naturellement toutes les multiplicités que
l’on a à poser concrètement, en tenant compte des contenus et dont
les systèmes axiomatiques se révèlent équiformes à la faveur de la
formalisation, ont en commun cette même forme déductive de science,
elles sont « équiformes » par rapport à cette forme elle-même.
Dans ce groupe de questions nous rencontrons le problème sui¬
vant : qu’est-ce qui, d’une manière à proprement parler purement
formelle, caractérise comme « défini » (x) un système d’axiomes fermé sur
soi par lequel réellement une « multiplicité » par excellence serait
[84] définie (2)? Car, comme je le reconnaissais, dans l’intention de ce
concept, se tenait un sens intentionnel caché. Multiplicité signifiait
à proprement parler Vidée formelle d’un domaine d’objets infini pour
lequel il existe une unité d’explication théorique, ou ce qui est la même
chose, une unité de science nomologique. L’idée formelle : « Domaine

(1) Définit.
(2) Defmiert.
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 131

explicable d’une manière théorique » (domaine d’une science déduc¬


tive) et « système « défini » d’axiomes » sont équivalents.
Il faut remarquer à ce propos que tout système quelconque
d’axiomes défini formellement a sans doute son infinité de consé¬
quences déductives. Mais l’idée d’une science nomologique ou, pour
parler corrélativement, d’un domaine infini (en s’exprimant d’une
manière mathématico-logique, d’une multiplicité) qui doit être dominé
par une nomologie explicative entraîne qu’il n’y a pour ce domaine
aucune vérité valable qui ne soit impliquée déductivement dans les
« lois fondamentales » de la science nomologique — comme il en
est dans YEuclide idéal pour l’espace dans le système « saturé » (i)
des axiomes de l’espace. Tandis que je passais de ce type de consi¬
dérations sur les caractères distinctifs d’un domaine nomologique à
la formalisation, m’apparut le caractère insigne d’une forme par
excellence de multiplicité, précisément au sens d’une forme de multi¬
plicité nomologiquement explicative. Elle n’est pas seulement définie
par un système formel d’axiomes, mais par un système saturé. Ce qui
consiste à dire, en réduisant la notion de multiplicité à la forme précise
de concept de multiplicité « définie » :
Le système d’axiomes définissant formellement une telle multi¬
plicité se distingue par le fait que toute proposition (toute forme de
proposition) devant être construite conformément à la grammaire
pure logique à l’aide des concepts (des formes des concepts naturel¬
lement) qui interviennent dans ce système axiomatique, est ou « vraie »
(c’est-à-dire est une conséquence analytique — purement déductive
des axiomes) ou « fausse » (c’est-à-dire est une contradiction analy¬
tique) : tertium non datur.
Naturellement à cela se rattachent des problèmes extrêmement
significatifs. Comment peut-on savoir a priori qu’un domaine est un
domaine nomologique et que, si l’on prend comme exemple d’un tel

(i) Voltstàndigen.
132 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

domaine l’espace dans ses formes spatiales, la suite des axiomes


immédiatement évidents que l’on a posés saisit complètement
l’essence de l’espace, donc suffit pour déterminer une nomologie ?
Et ensuite a fortiori dans la formalisation pure ou dans la construction
libre de formes de multiplicité : comment peut-on savoir, comment
peut-on prouver qu’un système d’axiomes est un système « défini »,
un système « saturé » ?
J’ai partout ici employé l’expression qui m’est originellement
étrangère de « système saturé d’axiomes » qui provient de Hilbert.
[85] Sans être dirigé par les considérations philosophico-logiques qui
déterminèrent mes études, Hilbert est parvenu, lui aussi, à son
concept de saturation (naturellement tout à fait indépendamment de
mes recherches qui sont restées non publiées); c’est-à-dire qu’il a
cherché à compléter un système d’axiomes par un « axiome de satu¬
ration » qui lui est propre. Les analyses données ci-dessus pourraient
rendre évident que les motifs les plus profonds qui dirigeaient
Hilbert du point de vue mathématique allaient, bien que d’une
manière non-explicite, cependant pour l’essentiel, dans la même
direction que les motifs qui déterminaient le concept de multiplicité
« définie ». En tout cas, il n’est pas sans importance, à ce qu’il me
semble, même actuellement et surtout pour le logicien philosophe,
de se rendre clair, en suivant les démarches de pensée que nous avons
tentées ci-dessus, le sens profond d’une nomologie et d’une multiplicité
« définie » (nomologique).
Le concept de multiplicité « définie » me servit originellement à
une autre fin, à savoir à la clarification du sens logique du passage
par F « imaginaire » dans le calcul et, en liaison avec cette clarification,
à la mise en évidence de l’élément sain du « principe de la permanence
des lois formelles » de Hankel, principe très célèbre mais qui n’a pas
reçu de fondement et de clarification logiques. Mes questions étaient
les suivantes : de quelles conditions dépend, dans un système déductif
défini formellement (dans une « multiplicité » définie formellement) 'a
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 133

possibilité d’opérer librement avec des concepts qui, conformément


à sa définition, sont imaginaires ? Quand peut-on être sûr que des
déductions qui, en opérant avec ces imaginaires, fournissent pourtant
des propositions où n’interviennent pas l’imaginaire sont en fait
des déductions « justes », c’est-à-dire des conséquences correctes des
formes d’axiomes les définissant? Jusqu’où s’étend la possibilité
d’ « élargir » une « multiplicité », un système déductif bien défini
en un système nouveau qui contient comme « partie » l’ancien ?
Voici la réponse : quand les systèmes sont « définis », alors le calcul
avec des concepts imaginaires ne peut jamais conduire à des contra¬
dictions. J’ai caractérisé en détail (sans relation avec ces problèmes)
le concept de « défini » dans mes Ideen..., p. 135 (d’après un double
rapport fait à la société mathématique de Gôttingue pendant le
semestre d’hiver de 1901-1902). Dans le tome I des Eogische Unter-
suchungen qu’à proprement parler j’avais conçu uniquement comme
une introduction aux recherches phénoménologiques du tome II,
j’ai négligé de poursuivre plus loin les questions concernant la
doctrine de la multiplicité et ainsi faisaient défaut les rapports de
cette doctrine avec le concept de « défini » et avec l’imaginaire, thème
de conclusion de mes anciennes études philosophico-mathématiques.

§ 32. L’idée suprême d’une doctrine de la multiplicité


EN TANT QUE SCIENCE NOMOLOGIQUE UNIVERSELLE
DES FORMES DE MULTIPLICITÉ

En en venant à définir, dans une entière liberté mathématique,


des formes de multiplicités, et cela exclusivement grâce aux formes
de propositions pensées comme valables pour ces multiplicités, les
mathématiciens rencontrèrent une infinité de telles formes. Pour
toute multiplicité définie par un système de formes axiomatiques la
tâche se présentait de construire explicitement la forme de la science
déductive elle-même qui lui correspond; et dans l’exécution de cette
134 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

tâche on avait affaire exactement au même travail de déductions cons¬


tructives qu’à celui qui est accompli dans une science déductive
concrète avec des concepts ayant un contenu matériel. Il était impos¬
sible et gratuit de construire au hasard différentes formes de cette
sorte car on pouvait voir aussitôt sur les formes construites à partir
des sciences qui existent en fait que les formes de systèmes déductifs
se rattachent elles-mêmes à des systèmes déductifs. Ici donc se fait
jour Vidée d’une tâche universelle : tendre vers une théorie suprême
qui comprendrait en elle, à titre de particularisations mathématiques,
donc par dérivation, toutes les formes possibles de théories, corréla¬
tivement toutes les formes possibles de multiplicités.

§ 33. Mathématique formelle réelle


ET MATHÉMATIQUE DES REGLES DU JEU

Le danger de se perdre dans une surenchère de symbolismes qui


a beaucoup entravé la mise en évidence du sens proprement logique
de la nouvelle mathématique formelle et qui n’a pas permis d’arriver,
sous la forme d’une tâche assumée, à un développement de l’intention
totale qui fait avancer en secret cette mathématique formelle, ce
danger peut être évité uniquement si l’idée de cette mathématique est
construite en pleine liaison avec l’idée d’une logique à la manière
des exposés des Logische Untersuchungen. Cette mathématique est alors
reconnue comme une théorie universelle des formes de théories
(chacune étant close en qualité de système), corrélativement comme
une théorie universelle des formes possibles de multiplicités. Ainsi
elle apparaît comme niveau suprême de T analytique logique, fondé dans le
niveau inférieur qui le précède par essence et qui se partage (en tenant
compte des résultats de la quatrième recherche logique) en morpho¬
logie pure et en doctrine de la validité (logique de la conséquence).
Les mathématiciens, gênés par leurs intérêts et leurs soucis divers
de technique théorique, furent tout d’abord peu sensibles aux ana-
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 135

lyses logiques principielles telles qu’elles sont établies dans les


Eogische Untersuchungen et ce n’est que depuis peu qu’ils commencent
à entrevoir, à leur manière, cette distinction de niveaux; ils voient
peu à peu que, par le moyen d’une mathématique formelle de la
multiplicité qui se situe à un niveau supérieur, on ne peut jamais faire
l’économie des catégories spécifiquement logiques (catégories de
signification et catégories d’objet) et des axiomes effectifs qui s’y
rapportent. Assurément la plupart d’entre eux ne voient même pas
encore maintenant que, considérée du point de vue logique, l’arith¬
métique des nombres cardinaux a son existence propre et de même
l’arithmétique des nombres ordinaux, l’arithmétique des nombres
qui sont pris dans leur fonction d’application aux grandeurs, etc. (a).
Et d’autre part, ils ne voient pas qu’une théorie des nombres réels
(qui appartient à la mathématique formelle du niveau supérieur) ne
peut tirer d’elle-même aucune de ces disciplines qui doivent être
édifiées d’une manière autonome. Naturellement ce qui induit ici
en erreur c’est qu’il s’agit de disciplines déductives équiformes, c’est
qu’il serait donc du point de vue technique, gratuit de construire
explicitement chacune de ces disciplines pour elle-même au lieu de
déduire systématiquement, une fois pour toutes, à un niveau supé¬
rieur de la formalisation, à partir des formes communes des axiomes
la forme correspondante des théories. Avec cette réserve que pour¬
tant, comme nous l’avons dit, jamais on ne peut faire l’économie de
la mise en évidence propre des principes fondamentaux considérés et
cela en connexion avec les catégories logiques et les axiomes effectifs
qui s’y rapportent.
Cela est valable, même si, au lieu d’une analyse mathématique
elle-même, corrélativement d’une vraie doctrine de la multiplicité
considérée en elle-même, on construit au contraire une simple disci¬
pline de jeux déductifs avec des symboles, discipline qui devient une doc-

(a) Cf. Avant-propos de ma Philosophie der Arithmetik.


136 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

trine réelle de la multiplicité seulement quand on considère les


symboles de ces jeux comme des signes représentant des objets réels
de pensée, représentant des unités réelles, des ensembles réels, des
multiplicités réelles et quand on donne aux règles du jeu la signifi¬
cation de formes de lois pour ces multiplicités. Même dans le jeu,
on juge, on collige et on compte réellement, on tire des conclusions
réelles, etc.

§ 34. Identité de la mathématique formelle complète


AVEC l’analytique LOGIQUE COMPLETE

L’ordre systématique dans l’édification d’une mathesis universalis


totale et complète — donc d’une mathématique formelle qui n’est
pas en l’air mais qui repose sur ses fondements et qui ne fait qu’un,
d’une manière indissociable, avec ces fondements — est naturelle¬
ment un grand problème. Mais d’après nos indications, ce problème
n’est pas autre chose que le problème d’une analytique logique totale et
complète comme cela est impliqué déjà dans le sens des exposés des
Logische Untersuchungen. Mais alors il est clair qu’une doctrine uni¬
verselle de la multiplicité doit définir en procédant en toute liberté
— au moyen de formes axiomatiques, de façon générale au moyen
de formes de propositions supposées valables — toute multiplicité
qui s’offre à elle mais qu’elle doit disposer des formes fondamentales
de proposition (et des catégories logiques impliquées en elles) qui
interviennent systématiquement dans la morphologie des jugements
et qu’elle doit disposer Telles toutes, en devenant finalement cons¬
ciente aussi de ce que cela signifie. En d’autres termes, elle doit
s "édifier consciemment sur une discipline préalable : la morphologie des juge¬
ments (des significations catégoriales). Ici précisément on est égaré
par la tendance — provenant des prétendus besoins d’une plus grande
exactitude — à substituer à la doctrine réelle de la multiplicité son
analogue symbolique, donc à faire face aux définitions de multiplicités
avec de simples règles de jeu.
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS T37

Dans la définition d’une multiplicité nous n’avons pas seulement


à définir au moyen de signes et de calculs comme par exemple en
disant : « Il sera permis de manier les signes auxquels on a affaire de
telle sorte que toujours pour le signe a + b puisse être posé b + a »;
mais au contraire on doit dire : il existera pour les objets de la multi¬
plicité (pensés tout d’abord uniquement comme un quelque chose
vide, comme des « objets de pensée ») une certaine forme de liaison
qui obéit à la loi ayant pour forme : a -f b — b -f- a, égalité ayant ici
justement le même sens que l’égalité telle qu’on la rencontre parmi
les formes logiques catégoriales. Quelles sont les catégories logiques
qui doivent être introduites par le moyen de la définition, c’est affaire
de définition arbitraire bien qu’en liaison avec l’exigence de non-
contradiction; mais ces catégories logiques doivent en tout cas être
pensées et désignées comme catégories totalement déterminées.

§ 35. Exposé des raisons pour lesquelles


dans le domaine de la mathesis universalis
CONÇUE COMME ANALYTIQUE UNIVERSELLE
SEULES DES FORMES DÉDUCTIVES DE THÉORIES
PEUVENT DEVENIR THÉMATIQUES

a) Seule une théorie déductive a une forme systématique


purement analytique
Maintenant il est encore besoin d’un complément important qui
doit être développé en liaison critique avec l’exposé des Prolégomènes :
En s’élevant à la doctrine systématique des théories ou à la doc¬
trine systématique de la multiplicité, on a inséré les problèmes de
totalité dans la logique (a) pour autant qu’ils doivent être posés

(a) C’est une défectuosité de l’exposé des Logische Untersuchungen que de n’avoir
pas mis cette pensée au centre du développement, en insistant d’une manière répétée,
bien que cette pensée détermine constamment le sens de tout le développement.
Un défaut plus sérieux des Prolégomènes — remarquons-le incidemment — vient
de ce qu’en même temps que le concept de vérité ne sont pas évoquées les modalités
i38 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

comme problèmes formels. Dans ces Prolégomènes on aurait dû certes


commencer par examiner (et cela en apportant des justifications) si
la logique formelle (l’analytique au sens le plus large), prise dans son
orientation exclusive vers le champ universel des formes de signifi¬
cation et des formes d’objet, a alors un caractère achevé. Du fait que
la position de la question concernant le sens d’une logique « pure »
(en tant qu’analytique) était totalement dirigée par l’idéal de la
science spécifiquement théorique, à savoir de la science nomologique
(comme la géométrie ou la physique théorique), cela conditionnait
dans les Prolégomènes, dès l’abord, une limitation qui n’avait pas été
justifiée, précisément la limitation du concept général de science
(de science prise comme théorie au sens le plus large — prise comme
système de propositions, fermé sur soi, d’une science en général) —
au concept particulier de théorie déductive (de science « explicative »
nomologique). Cependant si l’on examine le problème ici en jeu et
qu’il faut formuler maintenant expressément — à savoir qu’est-ce
qui peut caractériser la forme d’un domaine et corrélativement la
forme d’une théorie au sens le plus large — alors la limitation pour¬
rait en une certaine manière se laisser justifier après coup.
Tout d’abord il est bien évident que, en ce qui concerne les

de la vérité et que n’est pas citée la probabilité comme une de ces modalités. En
conséquence, l'élargissement nécessaire d’une logique formelle est donc déterminé
de telle façon que les variantes modales du juger et des jugements entrent dans la
logique de la certitude ou de la vérité en tant que possibilités formelles générales,
et cela du fait que toute variante de cette sorte peut apparaître dans les éléments
constitutifs prédicatifs du jugement et ne peut pas alors être considéré comme
extra-formel. En d’autres termes, la « matière » des jugements au sens de la logique
formelle est seulement l’élément constitutif qui dépasse le quelque chose en général ;
au quelque-chose-en-général appartiennent précisément toutes les formes dans
lesquelles on juge non seulement quant à la certitude, mais aussi quant à la possi.
bilité, etc. Un élargissement apparenté, quant à son sens, à celui que nous venons
de mentionner, se produit en outre quand on prend en considération le fait que
l’affectivité apporte des modalités du quelque-chose-en-général qui sont insérées
de même dans la sphère doxique (cf. sur ce point Ideen, p. 243 sq. et plus loin
ci-dessous, § 50, p. 184).
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 139

sciences du type de la psychologie ou de la phénoménologie ou de


l’histoire, quand nous pratiquons sur elles la formalisation et quand
nous nous demandons alors ce qui lie les formes propositionnelles
(que la formalisation vient de faire apparaître) pour constituer l’unité
d’une forme de système ou quand nous nous demandons comment
ces formes prises en tant que telles, en tant que formes en général, ont
l’unité de forme propre au système... nous n’arrivons à rien d’autre
qu’à la généralité vide qu’il y a une infinité ouverte de propositions
qui sont en connexion objective et qui, dans tous les cas, sont compa¬
tibles l’une avec l’autre selon le mode de la non-contradiction ana¬
lytique. Ces sciences se séparent d'une maniéré principielle, dans leur
type théorique, des sciences nomologiques au sens du concept défini
exactement par nous (a). Cela veut donc dire : leur forme systéma-
[90] tique n’est pas celle d’une théorie déductive « définie » ou corréla¬
tivement : leur domaine n’est pas une multiplicité « définie ». Ce qui
dans de telles sciences est principe d’unité ne peut arriver à être connu
que par le dépassement de la forme analytico-logique. Au contraire la forme
systématique des théories déductives est elle-même une formation de la sphere
analytico-logique. Par conséquent les sciences déductives ou nomologiques
sont caractérisées par le fait que leur principe systématique est un principe
purement analytique. La théorie déductive a une forme unitaire systé¬
matique qui appartient à la logique formelle elle-même et qui doit être
construite a priori dans la logique formelle elle-même et cela dans sa
discipline suprême : la doctrine de la multiplicité, dans le système
total des formes possibles a priori des systèmes déductifs.

b) Quand un système de propositions a-t-il une forme systématique


devant être caractérisée analytiquement ?
Nous avons acquis ainsi une connaissance très significative pour
la compréhension de la logique. Cette connaissance fait encore défaut

(a) Cf. § 3x.


140 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

dans les Logische Untersuchungen. Là, pour procéder d’une manière


correcte, il n’aurait pas fallu s’attacher au départ à l’idéal de la science
« théorique », de la science « explicative nomologique » qui en aucune
manière ne peut valoir comme idéal pour toutes les sciences. Au lieu
de procéder comme nous l’avons fait, nous aurions dû, au cours du
déploiement du sens d’une logique conçue comme doctrine de la
science (et cela, en considérant exclusivement le caractère formel des
résultats auxquels on aboutissait et en prenant absolument n’importe
quelle science en général), mettre en évidence le problème corres¬
pondant.
Ce problème peut être brièvement esquissé de la manière suivante :
une science en général est une multiplicité de vérités qui ne se ren¬
contrent pas par hasard; loin de là, ces vérités sont liées et, dans tous
les cas, rapportées à un domaine unitaire. Quand la totalité des propo¬
sitions d’une science qui s’étendent à l’infini a-t-elle une forme unitaire
systématique qui est constructible a priori au moyen des concepts logiques
catégoriaux à partir d’un nombre fini de formes pures d’axiomes ?
Quand le groupe des formes d’axiomes définissant une forme de
théorie est-il défini et corrélativement quand la forme du domaine est-elle
une multiplicité mathématique, une multiplicité définie ? Lorsque cette
condition est remplie, on a affaire à la forme systématique d’une
science « déductive », d’une science « explicative théorique ».
La mathesis universalis (ce qui est maintenant toujours équivalent
à l’analytique logique) est, pour des raisons aprioriques, un régné de
[91] construction universelle; abstraction faite des éléments opératoires, elle
est entièrement un règne de transformations opératoires et cepen¬
dant dominables a priori dans leur infinité. Dans cette mathesis
universalis interviennent en tant que niveau suprême les formes
systématiques déductives et aucune autre. C’est précisément par là
que la question suivante reçoit une réponse : quand une science
ou un groupe clos de propositions (clos scientifiquement parlant)
a-t-il, en se conformant à des principes purement analytiques (mathé-
THÉORIE DES SYSTÈMES DÉDUCTIFS 141

matiques), une configuration systématique unitaire, une configu¬


ration systématique constructible mathématiquement ?
Il faut remarquer que cette question appartient à l’analytique
formelle seulement en un certain sens. De la dénomination science
l’analytique formelle ne sait rien de plus et nous ne savons rien
de plus, au point où nous en sommes arrivés jusqu’ici, que
ceci : science signifie un certain univers de propositions, provenant
de quelque travail théorique que ce soit, travail dans l’ordre systé¬
matique duquel un certain univers d’objets vient à être déterminé.
La logique, en tant qu’analytique, n’a donc mis devant nous aucune dis¬
tinction de sciences comme les distinctions courantes entre sciences
concrètes (descriptives) et sciences abstraites (« explicatives ») ou
quelque autre distinction que l’on puisse proposer. De soi-même la
logique peut seulement arriver à la connaissance qu’une pluralité
ouverte ou « multiplicité » d’objets, pensée avec une généralité for¬
melle, est concevable d’une manière formelle avec la seule détermi¬
nation particulière que cette multiplicité est une multiplicité mathé¬
matique « définie », corrélativement que les propositions qui sont
pensées avec une généralité formelle comme valables pour elle et
compatibles entre elles ont une forme systématique constructive
(déductive).
En suivant notre voie actuelle et donc en nous efforçant d aller
bien au delà de ce qu’avaient en vue les Logische Untersucbungen
c’est-à-dire en tendant vers le déploiement intentionnel de l’idée
d’une doctrine de la science, nous trouvons encore un problème qui
reste ouvert : au delà d’une analytique qui se présente comme le pre¬
mier niveau de ce déploiement, quel a priori pouvons-nous encore
atteindre qui soit du ressort de ce qu’on appelle science... en procédant
avec une généralité « formelle » qui maintenant n a plus le sens d une
généralité formelle analytique ?
142 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

§ 36. Coup d’œil rétrospectif


ET INDICATION PRÉPARATOIRE DES TACHES ULTÉRIEURES

Après cet éclaircissement du contenu de la conclusion des Pro¬


légomènes (éclaircissement qui certes dans ce dernier chapitre était
également un complément et une limitation critique) je crois encore
maintenant, après presque trente ans, pouvoir soutenir ce qui est
l’essentiel de ces Prolégomènes et qui n’a pas encore trouvé son plein
effet. Mais en même temps il est aussi devenu évident que d’un certain
point de vue dans notre recherche actuelle nous sommes arrivés
nettement plus loin, à savoir en tant que nous avons pu fonder dans
le chapitre premier la triple stratification fondamentale de la logique
ou, peut-on dire encore, la séparation nouvelle entre « logique for¬
melle de la non-contradiction » et « logique formelle de la vérité ».
Mais, d’autre part, dans le chapitre cité nous sommes restés en arrière
par rapport aux Logische Untersuchmgen, en tant que nous sommes
maintenant obligé, en prenant en considération les résultats des
Logische Untersuchmgen, de reconnaître un niveau plus élevé de pro¬
blèmes, c’est-à-dire ces problèmes de totalité ou de « multiplicité »
étudiés dans les Logische Untersuchmgen — et cela comme thème
d’une discipline qui est de niveau plus élevé tout en relevant encore
de la logique formelle (de 1’ « analytique »). Nous devons déjà nous
attendre à ce qu’également à ce niveau suprême la stratification entre non-
contradiction et vérité puisse être effectuée exactement dans le sens
qu’antérieurement nous avons fondé de façon très développée.
Cependant, pour cela, nous devons commencer par nous assurer les
préliminaires nécessaires et ce, en traitant d’une manière détaillée le
problème qui a formé notre point de départ et qui concerne le rapport
de P ontologie et de la logique de la signification.
[93] (B) ÉLUCIDATION PHÉNOMÉNOLOGIQUE DU
CARACTÈRE DOUBLE DE LA LOGIQUE FOR¬

MELLE EN TANT OU’APOPHANTIOUE


' e»sw
FOR-
MELLE ET ONTOLOGIE FORMELLE

Chapitre IV

ORIENTATION VERS LES OBJETS


ET ORIENTATION VERS LES JUGEMENTS

§ 37. Question concernant le rapport

DE L’APOPHANTIQUE FORMELLE ET DE L’ONTOLOGIE FORMELLE


CARACTÈRE INSUFFISANT

DES CLARIFICATIONS EFFECTUÉES JUSQU’A PRÉSENT

Revenons à la preuve, que nous avons donnée pour le niveau


inférieur, que les lois essentielles qui se rapportent à ce niveau et
éventuellement les disciplines mises en œuvre sont à la fois et d’une
manière inséparable ontologico-formelles et apophantiques; ces
lois et ces disciplines avaient été en effet expressément rapportées
aux deux sortes de catégories : catégories formelles de significations
et catégories formelles d’objets (a). Bien entendu, la même remarque
exactement s’applique maintenant à l’analytique complètement déve-

(a) Cf. ci-dessus, §§ 25 et 27.


144 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

loppée, en tant que les formes des théories ont, selon leur sens propre,
leur corrélât dans les multiplicités objectives. Le chemin parcouru
d’une manière conséquente à partir de la science en tant qu’organi-
sation de propositions, donc du côté de la signification, pour chercher
les conditions formelles de la vérité possible et finalement de la science
vraie, conduisait (précisément grâce au rapport que le sens a avec les
objets et qui réside dans les propositions elles-mêmes) à une ontologie for¬
melle universelle qui au niveau suprême détermine le nom : doctrine
de la multiplicité.
Il faut maintenant poser la question suivante : cette dualité de
sens, conforme à l’essence, de l’analytique formelle, peut-elle déjà
être amenée à une intelligibilité suffisante ? Est-ce déjà clair ce que
signifie vraiment : être tantôt orienté vers les jugements en général et
être tantôt orienté vers l’objectité en général, et cela avec une généralité
[94] formelle ? Le sens d’une ontologie formelle face à une ontologie
matérielle (nous ne disons pas réelle car nous ne savons pas encore
ce qu’il peut y avoir sous la deuxième dénomination) est-il déjà
suffisamment transparent ? Peut-on sans aucune hésitation parler
vraiment d’ontologie formelle ? En fait déjà à l’époque des Logische
Untersuchungen et encore longtemps après j’éprouvai à cet égard
des difficultés. Notre prochaine tâche doit être maintenant une
tâche de clarification qui est tout à fait nécessaire; en cette occasion
les vues qui précédemment nous ont rendu possible la division en
trois de l’analytique nous seront utiles en partie.

§ 38. Les objets du jugement en tant que tels


ET LES FORMATIONS SYNTAXIQUES

Posons la question suivante en nous souvenant en même temps


de nos exposés antérieurs (a) : une ontologie formelle peut-elle être
d’une façon générale distinguable d’une logique apophantique, ne

(1) Cf. ci-dessus, § 25.


ORIENTATION VERS LES OBJETS 145

serait-ce que comme corrélât de celle-ci, cette ontologie formelle


apparaissant par le seul changement d’orientation qui fait passer des
propositions aux objets ?
Le domaine de l’ontologie formelle doit être la « région formelle »
de l’objet en général; elle doit donc déterminer les objets dans des
vérités apodictiques, précisément avec cette généralité formelle. Si
nous pénétrons dans son champ et si nous considérons, à titre
d’exemples, des cas particuliers quelconques d’objets à déterminer,
par exemple cette table qui est ici, alors la détermination s’effectue
tout d’abord sous la forme de Y explicitation des propriétés parti¬
culières déterminées et ensuite, à un niveau plus élevé, dans des actes
de jugement toujours nouveaux, actes dans lesquels de nouveaux
objets sont introduits, des déterminations relatives sont obtenues, ou
quand il s’agit de jugements pluraux, des pluralités sont rapportées
au même prédicat; dans ces actes il se peut encore que l’on juge
d’une manière universelle et qu’ainsi l’universel devienne thème à
un niveau plus élevé, etc. Alors, au cours de la détermination opérée
par le jugement, nous sommes en fait dirigés vers ce qui est objet,
vers la table dont le sens objectif, déterminé quant au contenu,
conduit à divers niveaux de concepts concrets. Mais comment
ferions-nous si nous voulions maintenant déterminer ce sens purement
au moyen de concepts « ontologico-formels » comme objet, pro¬
priété, relation, pluralité et autres concepts semblables, donc au
moyen de concepts qui sont des variantes du quelque-chose-en-
général ? Ces concepts sont-ils autre chose que des concepts « caté¬
goriaux », c’est-à-dire des concepts qui proviennent de la simple consi¬
dération abstractive des formes syntaxiques dans lesquelles l’objet
est saisi à des niveaux variables d’actions syntaxiques — c est-à-dire
des actions de jugement?
Dans P analytique formelle l'objet est donc conçu purement comme
objet de jugements possibles, comme objet des formes de jugements qui lui
sont attribuées par l’analytique; et si cela a des conséquences impor-

E. HUSSERL
10
146 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

tantes précisément pour une pensée qui procède avec une généralité
apriorique (alors que cela conduirait in concreto a des jugements ridi¬
culement vides), cela tient a l’evidence que le libre-choix des confi¬
gurations syntaxiques est limité si les objets doivent pouvoir exister
vraiment, corrélativement si les jugements prédicatifs doivent pouvoir
être des vérités. Les syntaxes de jugement en tant que syntaxes qui
imposent des formes sont soumises a priori à des lois qui exposent
les conditions de vérité possible. L’imposition de forme qui s effectue
dans le jugement et d’où proviennent également tous les concepts
mathématiques en un sens plus strict — au sens le plus strict
comme ensemble, nombre, suite, grandeur, multiplicité (encore que
ces concepts proviennent de formations de jugement de niveau extrê¬
mement élevé), cette imposition de forme s effectue naturellement
non pas sur des objets « transcendants », mais sur des objets repré¬
sentés dans le jugement lui-même. Ainsi, dans les jugements formels aprio-
riques de la logique également, le « noyau vide » : quelque-chose,
c’est-à-dire le sens formel des lettres S, p, etc,, est 1 element constitutif
des jugements eux-mêmes. Comment aurions-nous donc dépassé
une doctrine formelle du jugement ? Avec toutes les distinctions
formelles des objectités du jugement ne restons-nous pas à 1 inté¬
rieur de cette doctrine ?

§ 39. Extension du concept de jugement

A TOUTES LES FORMATIONS DES ACTIONS SYNTAXIQUES

Sans doute, dans cet examen, des activités comme celles de


colliger, de compter, T ordonner, de combiner, etc., ont été mises au rang
des activités de jugement et leurs correlats au rang des formations de
jugement. Mais ces activités ne sont-elles pas réellement, à des niveaux
divers, des activités édificatrices de formes et ne sont-elles pas repré¬
sentées dans ce qu’on a l’habitude d’appeler jugements mêmes — juge¬
ments prédicatifs — par des^formes que ne peut négliger aucune
ORIENTATION VERS LES OBJETS i47

morphologie des jugements. Nous avons déjà évoqué une fois cette
question (a) : de même que propriété désigne une forme qui intervient
tout d’abord d’une manière non-indépendante dans le jugement et
qui « nominalisée » donne la forme-substrat : propriété, de même dans
le jugement plural intervient le pluriel qui « nominalisé », transformé
en objet au sens d’objet par excellence — au sens de substrat, d’« objet
sur-lequel » on porte un jugement — donne Yensemble. Il est ici
indifférent que l’on puisse colliger et compter, sans inclure aussitôt
les formations correspondantes dans des prédications effectives.
Ce sont des activités « objectivantes » (doxiques) comme les activités
prédicatives; elles ont comme celles-ci des modalités de la croyance
(et ce sont les mêmes), elles doivent être effectuées à propos de tous
les substrats concevables (à propos du quelque-chose-en-général) ;
leurs formations sont en conséquence de même façon des catégories
formelles (b). En outre toutes ces activités sont toutes à inclure,
conformément à l’essence, dans des jugements prédicatifs et dans
ces jugements elles sont susceptibles de nouvelles mises en forme.
Dans une apophantique vraiment accomplie, dans l’apophantique
conçue comme doctrine des jugements prédicatifs, on doit trouver
aussi, lorsqu’on considère le maniement universel de toutes les
formes apophantiques tel qu’il est requis pour une logique formelle,
toutes les formes de « positions » doxiques et de propositions doxiques
— toutes celles que d’une manière quelconque nous considérons
comme ontologico-formelles. Mais l’on doit aussi prêter attention au fait
que ces activités doxiques et les activités prédicatives vont de pair
et que d’autre part il existe un lien entre elles; l’on ne doit donc pas
délimiter la logique d’une manière trop restreinte comme si elle ne
concernait pas par exemple les ensembles et la théorie des ensembles,
les nombres et la théorie des nombres.

(a) § 25.
(b) Comme on le voit déjà, pour l’essentiel, dans ma Philosophie der Arith-
metik ,p. 91.
148 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

§ 40. Analytique formelle en tant que jeu de pensée


ET ANALYTIQUE LOGIQUE

La référence a une application possible

EST IMPLIQUÉE PAR LE SENS LOGIQUE DE LA MATHESIS FORMELLE

Mais ce qui vient d’être développé prend encore un autre aspect


très important si nous faisons entrer en ligne de compte Yintérêt de
connaissance qui, conçu comme un intérêt dominant et rapporté d’une
manière conséquente à un domaine de connaissance, incorpore à
toutes les activités doxiques l’intention dirigée vers la connaissance,
bien entendu vers la connaissance du domaine considéré. Nous nous
tenons alors dans l’horizon d’une science, et, dans le cas où nous
nous plaçons au point de vue de la généralité formelle, nous nous
tenons dans l’horizon de la logique dont le thème à double face est
constitué par les sciences possibles en général : c’est-à-dire, dans la
perspective subjective, par les formes possibles des actions engendrant,
avec une intention de connaissance, les formations de la connaissance
scientifique, et, dans la perspective objective, par ces formations
elles-mêmes. L’analytique logique telle que nous l’avions conçue
jusqu’ici, c’est-à-dire d’une manière purement objective, concerne
bien entendu exclusivement les formations en se confiant d’une
manière abstractive à un point de vue unilatéral. Mais dès que nous
sommes dans le cadre que désignent les mots : connaître et domaine
de connaissance dans l’ordre scientifique, toute espèce d’activité doxique
est pensée comme incluse nécessairement dans les activités qui sont
liées ensemble prêdicativement. Par exemple on collige et on compte
alors non pas par jeu ou parce qu’on y est poussé par quelque autre
[97] motif, mais parce qu’on y est poussé par l’intérêt de la connaissance
du domaine (par exemple de la nature) ; on collige et on compte donc
finalement pour connaître et déterminer prêdicativement (d’une manière
apophantique) les éléments et les unités en question, et cela en tant
qu’ils appartiennent au domaine considéré. C’est pourquoi dans la
ORIENTATION VERS LES OBJETS 149

logique qui certes a en vue exclusivement des intérêts de connaissance,


les intérêts de connaissance de la science, il n'est jamais question que
de jugements prédicatifs — mais dans lesquels les pluralités, les nom¬
bres, etc., entrent comme formations partielles ou sont pensés comme
entrant dans des enchaînements possibles de connaissances qui
soient plus larges.
Une mathématique s’élaborant à la manière d’une science spéciale
comme une fin autonome peut ne pas se soucier d’un tel intérêt, elle
peut donc ne pas se soucier de ce qu’elle est logique et méthode
logique, de ce qu’elle a à exercer une fonction de connaissance, de ce
que ses formations en tant que lois formelles d’enchaînements de
connaissance restant indéterminés sont appelées à fonctionner pour
des domaines de connaissance restant de même indéterminés. Elle
n’a donc pas besoin de se soucier de ce que la référence à me application
complètement indéterminée, idéalement possible, est impliquée par son propre
sens logico-formel, et cela de telle sorte que le domaine de cette appli¬
cation ne soit limité par aucune « matière de la connaissance », donc
qu’il soit un domaine formel. En conséquence la mathématique
peut rester indifférente à l’égard du fait que toutes ses formations
ont le sens de formations qui sont appelées à intervenir à l’intérieur
de jugements quelconques visant à la connaissance (restant indéterminés
dans leur matière) — comme cela a lieu dans la « mathématique
appliquée » à chaque cas d’application réelle, dans la physique théo¬
rique par exemple, les formations jouant le rôle d’éléments consti¬
tutifs de détermination physicaliste. Mais celui qui s’occupe de logique
philosophique doit se soucier de tout cela. Il ne peut pas admettre
une mathématique conçue xa^à jr/jSsjEav aupjcXoxYjv, une mathéma¬
tique qui se détache de l’idée d’application possible et devient un jeu
de pensée ingénieux, sinon même, comme dans la mathématique
purement calculatrice, un jeu de symboles qui reçoivent leur sens de
simples conventions de calcul. En tant que logicien il doit voir que
la mathématique formelle est originellement analytique logique et qu’alors
15° STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

de son sens logique propre relève un domaine où s’exerce la fonction


de connaissance et qui est fondé par l’intention de connaissance,
c’est-à-dire un domaine des applications possibles qui relèvent en
même temps cependant, du fait de leur pleine indétermination,
du sens mathématique de cette mathématique formelle. Et c’est préci¬
sément par là que nous restons, comme nous l’avons dit, dans la
sphère apophantique du jugement, mais dans laquelle viennent se
ranger, comme partie intégrante, toutes les formations mathématiques.

§ 41. La distinction entre attitude apophantique


ET ATTITUDE ONTOLOGIQUE ET LA TACHE DE SA CLARIFICATION

Si nous retournons maintenant à notre difficulté, nous voyons


qu’elle n’est manifestement pas supprimée par les vues impor¬
tantes que nous ont apportées nos derniers développements. L’idée
de logique formelle, corrélativement de « formel », est nettement
délimitée par les syntaxes doxiques qui toutes peuvent — et, du point
de vue logique, doivent — intervenir dans l’unité syntaxique d’une
apophansis, d’un jugement au sens habituel de la logique. A tout ce
qui est objet de connaissance en tant qu’objet intervenant dans le
jugement est appropriée une forme « catégoriale », provenant du
xocTTjYopetv (ou plutôt de ses actions syntaxiques), une forme syn¬
taxique. La logique formelle détermine des objets avec une généralité
pure grâce à cette forme. Il est vrai également que nulle part ailleurs
que dans le jugement n’apparaît le concept vide « quelque chose »
dans lequel des objets en général sont pensés dans la perspective
logique. Mais veut-on dire par là qu’entre logique apophantique et
ontologie formelle il n’y ait absolument pas de distinction et que,
attendu que nous ne dépassons jamais la sphère du jugement dans les
déterminations ontologico-formelles, ce ne sont donc pas des objets
mais bien des jugements qui sont le thème de la doctrine formelle
de l’objet ? N’est-ce pas essentiellement différent d’une part d'être
ORIENTATION VERS LES OBJETS

orienté thématiquement vers les jugements (ce qui implique aussi : être
orienté vers les configurations syntaxiques qui apparaissent, avec le
sens d’éléments constitutifs, dans le jugement devenu thème) et
d’autre part d’être orienté vers les objets et leurs formes syntaxiques
— qui sont pris comme thèmes il est vrai dans l’activité de jugement
mais de telle sorte que les jugements et leurs éléments ne le soient pas ?

§ 42. Solution de cette tache

a) Le juger n’est pas dirigé vers le jugement mais vers Tobjectité thématique

Nous allons maintenant tenter de clarifier cette double orientation


et de la justifier conformément à la séparation originelle entre logique
apophantique (au sens le plus large) et ontologie formelle, séparation
qui en même temps cependant est équivalence, en supposant qu’on
s’en tienne au fait que ces deux disciplines sont en corrélation uni¬
verselle et jusque dans le détail, et que pour cette raison elles doivent
valoir comme une seule et même science.
Partons du fait que les objets sont pour nous et sont ce qu’ils
sont exclusivement en tant qu’ils sont les objets présents à notre
conscience, les objets dont nous faisons l’expérience, c’est-à-dire les
objets que nous percevons et dont nous nous ressouvenons ou en
tant qu’ils sont représentés d’une manière vide et sont cependant
intentionnés (1) tandis qu’on croit en leur être sous le mode de la
certitude, sous le mode de la conjecture, etc., et de même généralement
dans n’importe quel mode de conscience, même dans les modes
de conscience de l’affectivité et du vouloir; du reste, la façon dont
ces objets sont arrivés, à partir de la vie antérieure de notre cons¬
cience, au sens avec lequel ils valent actuellement pour nous est
sans importance. A ces modes appartiennent aussi les modes de
conscience du penser spécifique : du penser qui conçoit dans le

(r) Vermeinte.
STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

jugement et naturellement aussi du penser prédicatif dirigé vers la


« connaissance ». Si cela signifie donc que c’est des objets dont nous
nous occupons et qu’en particulier nous jugeons sur eux, alors nous
restons à l’intérieur de notre propre conscience, ce qui ne veut pas
dire naturellement que c’est de notre conscience dont nous nous
occupons ou même que ces objets ne sont rien d’autre que des vécus
de conscience.
Nous n’avons pas ici à fournir une philosophie transcendantale,
mais seulement à expliciter correctement ce qui nous importe c’est-à-
dire pour le moment le fait suivant : lorsque nous jugeons, dans cet
acte même de jugement s’établit la référence à l’objet. A ce propos il
faut remarquer que cet objet peut certes être donné au préalable par
l’expérience avant le jugement prédicatif mais que le jugement
d’expérience ou le jugement qui ultérieurement ne saisit plus par
l’expérience mais « repose sur l’expérience » comporte en soi-même
(dans le premier cas) l’expérience ou (dans l’autre cas) un mode de
conscience qui est dérivé de quelque manière que ce soit de l’expé¬
rience antérieure et lui fait subir des variations — grâce à quoi juste¬
ment seul le juger pris dans sa totalité concrète est un juger sur telle
et telle chose. Dans tout juger, à peine venons-nous de porter un
jugement, que nous savons déjà que le jugement porté (ou s’édifiant
dans l’activité de jugement, par étapes successives, membre par
membre) ne doit pas être confondu avec cette activité, avec le juger.
Remarquons que lorsque l’on dit que dans T activité de jugement
on « a » le jugement qui vient d'être porté, cela ne signifie nullement que
l’on a ce jugement à la maniéré d'un objet, comme thème, en particulier
comme substrat de jugement. En jugeant nous sommes dirigés non pas
vers le jugement, mais vers les objets sur lesquels nous portons un
jugement (objets-substrats), vers les prédicats c’est-à-dire vers les
moments de détermination objective, vers les relations et, dans le cas
des jugements causais, vers les « états-de s-chose s «-prémisses et vers les
« états-des-choses «-conséquences qui leur font pendant, etc. Mais
ORIENTATION VERS LES OBJETS i53

comme il va de soi une modification de l’orientation est toujours


possible, modification dans laquelle nous prenons pour thème nos juge¬
ments, leurs éléments constituants, leurs liaisons et leurs rapports;
cela se produit dans un nouveau « juger » de second degré, dans un juger
[100] sur les jugements, dans lequel les jugements deviennent les objets
de la détermination. Sans cette modification d’orientation nous ne
pourrions avoir aucun concept du jugement ni de ses syntaxes.

b) Identité de P objet thématique dans la variation des opérations syntaxiques


Dans l’orientation vers des objets quelconques nous effectuons
en jugeant des opérations dont la forme varie selon les cas. Par
exemple, quand nous avons porté le jugement « S estp », nous pouvons,
en « nominalisant » et en donnant de ce fait une nouvelle forme au
jugement, dire : le fait que S est p est regrettable, a ses raisons, etc.
Si originellement S était l’objet-substrat et était détermine par la
propriété p, maintenant c’est « ce fait que S est p » qui est objet-
substrat : c’est l’état des choses qui certes auparavant était constitué
mais qui n’était pas « objet-sur-lequel » on portait le jugement. La
même opération excercée sur p change de la même façon p en P
qui est nominalisée, qui est devenue substrat du jugement (le rouge,
la rapidité, etc.). Ces changements de formes (changements
syntaxiques) qui s’effectuent dans le juger ne modifient donc rien
au fait que nous sommes dirigés vers Y objet. Les formes syntaxiques
correspondantes elles-mêmes interviennent dans le jugement annexées
à ce qui est objet du jugement, bien que, dirigés vers cet objet lui-même,
nous ne mettions pas ces formes à son compte. Par exemple nous
disons que c’est le même état des choses — mais seulement sous une
forme différente — qui est visé dans le jugement avec » S est p »
et avec « le fait que S est p est... », nous disons que c est la même
propriété qui est visée, tantôt comme prédicat « rouge » et tantôt
comme sujet « ce rouge ».
Ces actes d’identification sont des synthèses liant des jugements
154 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

avec des jugements pour former des jugements de degré supérieur,


synthèses avec lesquelles — bien qu’on le taise souvent — la forme
« le même » entre dans le contenu signifiant et de façon diverse.
Et il en est de même dans tous les autres cas, par exemple quand « la
même » pluralité sur laquelle on jugeait dans le jugement plural
intervient ensuite comme l’objet « totalité », comme « cette
pluralité », etc. Yd essence de T orientation vers T objet — orientation qui
constitue toujours le juger lui-même — implique l’effectuation des
identifications considérées, ces identifications ayant lieu dans la succession
des divers modes du jugement dans lesquels « le même » se présente comme
affecté de formes différentes. C’est précisément par ces identifications
que durant toute la chaîne des jugements s’effectue un acte de détermi¬
nation unitaire (ce qui est constamment, au sens le plus large, le juger).
Quoi qu’il puisse en être de la détermination des substrats nominalisés
dans les étapes intermédiaires et à des niveaux divers, finalement ce
[i°ij qui importe ce sont les substrats qui sont de niveau le plus bas et qui
sont les thèmes primaires, ce sont, dans les sciences, les objets du
domaine; et c’est la détermination de ces objets qu’on a en vue à
travers tous les niveaux intermédiaires.

c) La typique des formes syntaxiques de G objet


en tant que typique des modes du quelque-chose

Ce qui est objet et ce qui est toujours à nouveau identifié dans de


telles suites de jugements qui, rapportées à l’unité d’un domaine
thématique quelconque, produisent l’unité de la détermination, a,
à l’égard de ses formes catégoriales possibles (des formes qui appar¬
tiennent à Y objet !), une typique tout à fait déterminée. C’est la typique
des modes du quelque-chose-en-gênêral : « propriété », relation, état des
choses, pluralité, individualité, suite, ordre, etc. Nous les nom¬
mons (a) formes dérivées du quelque-chose, de la catégorie formelle

(a) Cf. Ideen, p. 24.


ORIENTATION VERS LES OBJETS 155

fondamentale « objet »; et en fait ces modes sont dérivés de cette


catégorie fondamentale... par le moyen du juger lui-même, et aussi par
toutes les activités doxiques qui constituent le sens plus large de
jugement. La propriété en tant que forme prend naissance origi¬
nellement dans le simple jugement catégorique de même que la
collection prend naissance originellement dans l’activité de colli¬
gation, naturellement pas comme datum psychique réel mais comme
corrélât intentionnel de la position. Chacun de ces modes peut prendre
ensuite, dans le cours de la détermination opérée par le jugement,
différentes formes de syntaxes de jugement et, dans la succession de
ces différentes syntaxes, être identifié comme étant la même propriété,
le même état des choses, la même collection, la même universalité, etc.

d) La double fonction des opérations syntaxiques


Assurément il est ici tout d’abord déroutant que les opérations
syntaxiques aient une double fonction : d’un coté comme créatrices de
formes par le fait qu’elles créent les objectités des différentes formes
syntaxiques, des formes dérivées du quelque-chose-en-général qu en
tant que telles peut prendre tout objet concevable devenu substrat
(soit isolément soit lié à d’autres objets), dans et avec l’action doxique.
D’un autre côté elles ont pour fonction d’être les différentes syntaxes
que peut prendre une telle objectité catégoriale (substrat, propriété,
relation, genre, etc.) dans la succession desquelles cette objectité
reste pourtant identique, alors qu’elle fonctionne tantôt comme sujet
et tantôt comme objet, ou encore comme prédicat originel et ensuite
à nouveau comme prédicat nominalisé, ou encore comme état des
choses pur et simple et ensuite comme état des choses dans la fonction
[102] de prémisse, etc. Il est facile de voir que tous les modes syntaxiques fonc¬
tionnent des deux manières et que spécialement (ce qui pour nous d’un
autre côté était déjà devenu important) dans la forme « état des
choses » toutes les formes syntaxiques peuvent entrer en tant qu’é-
léments constituants appartenant à cet état même. D’autre part.
156 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

l’état des choses peut à son tour, de l’extérieur, recevoir une forme
fonctionnelle changeante dans des activités syntaxiques quelconques
qui pour ainsi dire gagnent du terrain et l’entourent, cette forme
n’étant pas mise au compte de l’état des choses lui-même. Elle appar¬
tient alors justement à l’état des choses qui est de niveau plus élevé
et qui se constitue avec les nouveaux jugements.
Cette situation embrouillée mais que l’on peut pénétrer parfai¬
tement dans sa nécessité d’essence ne change cependant rien à ce qui
est pour nous ici le point capital : celui qui juge est dirigé vers Vobjet
et étant ainsi dirigé il n'a affaire à l'objet jamais autrement que dans des
formes catégoriales quelconques (ou comme nous disons aussi syntaxiques)
qui sont donc des formes ontologiques. Tout nouveau jugement dans la
suite des jugements, toute liaison de jugements et finalement toute
la suite des jugements prise comme un seul jugement — étant entendu
que ce jugement est de très haut degré — constitue une nouvelle
objectité catégoriale.

e) La cohérence du juger grâce à l'unité de T objectité-substrat


en cours de détermination
Constitution du « concept » déterminant cette objectité-substrat

Le juger dans son progrès a une cohérence grâce à l'unité d'un


« thème » qui est présent pendant tout le cours du même juger (le
mot thème étant pris au sens premier, au sens le plus significatif
d'objectité-substrat dont on a constamment et finalement en vue la
détermination). En jugeant et re-jugeant, celui qui juge acquiert pour
cette objectité les multiples qualités qui la constituent, d’une
manière individuelle ou en général; il acquiert pour elle des états des
choses dans lesquels cette objectité se comporte de telle et telle
façon, etc.; il acquiert des objectités catégoriales toujours nouvelles
(dans lesquelles entre, conformément à la structure du jugement,
l’objectité-substrat) sous la forme de nouvelles objectités qui devien-
ORIENTATION VERS LES OBJETS i57

nent elles-mêmes thèmes relatifs, donc qui subissent elles-mêmes à


leur tour une détermination; mais en même temps tout au long de
cette détermination la première objectité-substrat se détermine en
tant qu’objecti té-substrat qui est le thème dernier.
Le processus du jugement peut en tant que processus unitaire
progresser à l’infini, l’objectité-substrat elle-même peut comporter en
elle des infinités d’éléments individuels; les sciences sont une illus¬
tration de cette situation. Par exemple c’est l’infinité encore indéter-
[103] minée de la nature — et qu’il a pour fonction de déterminer — qu’a
devant lui comme substrat celui qui est en train de juger lorsqu’il
passe de la simple expérience à sa tâche de jugement. Et alors il
constitue les formations de la détermination, les nouvelles confi¬
gurations catégoriales du substrat. Toutes les formations parti¬
culières multiples que celui qui juge acquiert dans cette activité
ont elles-mêmes une connexion catégoriale puisée dans l’identité
de l’objectité-substrat (constituée elle-même dans l’identification
qu’opère le juger) et constituent progressivement pour cette objec-
tité le concept déterminant qui lui échoit et qui provient précisément
de ces effectuations de jugement dans leur totalité; ces formations
particulières constituent à chaque étape le « ce qu’est cette objectité-
substrat tout bien considéré », concept qui continue toujours à
progresser, à se façonner mais aussi à se transformer. Car il faut
considérer que dans le cours des actions de jugement non seulement
les convictions doivent s’étendre mais qu egalement elles peuvent
subir dans le détail un biffage en tant qu’elles sont des convictions
« fausses » à la place desquelles d’autres interviennent qui sont des
convictions « exactes » et qui déterminent ainsi les substrats d une
nouvelle manière. Il est ici pour nous hors de question de nous
demander maintenant si tout cela se passe avec évidence ou non.
Il nous suffit qu’ait lieu un processus de mise en forme des substrats
que celui qui juge « a en tête ».
Il faut en outre mettre en relief que même les idées et les dis-
i58 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

tinctions d’idées relèvent aussi de l’unité de l’effectuation qui se


constitue dans le juger. Je cite ici par exemple les distinctions d’idées
comme celle entre d’une part « la nature telle qu'elle est tout simplement »
en tant qu'idée de son être vrai (ou, ce qui revient au même, en tant
qu’idée du concept la déterminant complètement tel qu’il se mani¬
festerait dans un jugement d’ensemble (x) sur la nature qui serait
complet, ce qui certes est impossible, et qui accéderait à une unité
harmonique) et entre d’autre part la nature telle qu'elle est conformément
à l'ejfectuation de jugement, ejfectuation qui à chaque étape s'est développée
jusqu'à tel point et pas plus avant mais qu'il faut toujours poursuivre à
nouveau (cette idée de nature se présentant comme unité des convic¬
tions acquises jusque-là). Dans la propre teneur de sens du juger
dirigé vers l’unité du domaine encore indéterminé et qu’il faut
déterminer, se transformant et s’étant transformée en le sens même
du juger, est renfermée l'idée de la poursuite possible des constructions
catégoriales déterminantes (il en est de même pour l’idée de la poursuite
à l’infini, avec une conséquence possible, de la visée déterminante).
Cette idée est renfermée implicitement dans le sens du juger, tout
d’abord en tant qu’horizon se préfigurant dans le développement actuel
dans lequel est entraîné le progrès du jugement, mais elle y est ensuite
éventuellement renfermée avec une conf iguration propre (sur le plan du
iugement) de l'idée prise comme me objectité catégoriale d'une dignité et d'un
niveau particuliers. Et c’est de la même façon qu’est renfermée dans
le sens du juger la première idée de la nature « telle qu’elle est elle-
[104] même » tout simplement, idée qui alors se résorbe dans l’idée de
la nature dont on a, à telle et telle étape, tel et tel degré de connais¬
sance, d’une façon toute relative et à la manière d’un acompte, mais
dont éventuellement on doit aussi acquitter complètement le solde.
La nature elle-même prend alors manifestement la valeur d’un concept
qui se constitue synthétiquement à travers ces acomptes (avec les

(1) Beurteilung.
ORIENTATION VERS LES OBJETS

concepts relatifs de la nature), par exclusion des déterminations


abandonnées et inclusions des déterminations qui apportent une
validation, ce concept de nature étant pris comme corrélât catégorial
de l’idée d’un processus de jugement qu’il faut maintenir d’une
manière concordante dans l’infinité des déterminations.
Ce que nous venons de développer vaut pour toutes sortes de
substrats qui relèvent de domaines scientifiques (quelles que soient
au demeurant les particularités qui puissent s’offrir) quand les pro¬
cessus de jugement portent en eux une intention dirigée vers une
détermination absolument évidente et quand l’idée d’une science
authentique est prise en considération.

f) Les formations catégoriales prenant naissance


dans Tactivité de détermination
sont me possession habituelle et inter subjective
Comme il va de soi, on ne doit pas négliger le fait que les forma¬
tions catégoriales ne sont pas pour celui qui juge des objectités uni¬
quement dans et pendant P action de jugement et qu’alors la transcendance
est impliquée dans leur propre sens-d'-être. Ce que celui qui juge a formé
dans sa pensée actuelle, il le possède désormais comme un acquis
spirituel permanent : la validité actuelle se change pour lui en une
validité habituelle. Ce qui a été posé jadis comme valable dans
l’activité effectivement constituante peut resurgir dans le souvenir
et ne surgit pas seulement comme ayant-été-valable, mais comme
valant encore. Ce surgissement ne veut pas dire ressouvenir explicite
répétant le processus antérieur de constitution étape par étape, mais
un « revenir-à-nouveau » vague, d’un bloc, à l’existant constitué dans
une action antérieure. Mais cela implique la certitude de pouvoir
réactiver le processus constitutif, de pouvoir le rétablir dans sa
validité qui est validité persistant encore, corrélativement de pouvoir
établir la même objectité catégoriale en tant qu’elle est la même.
Pourvu que puissent être vraiment possibles des processus de
i6o STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

jugement qui à la fois progressent et sont susceptibles, après des


interruptions, de se relier aux processus antérieurs et de les pro¬
longer. Ces processus reposent sur la validité habituelle et qu’il faut
ressusciter en tant que validité qui se prolonge à travers toutes les
résurrections que l’on effectue à volonté. L’existant est l’existant qui
est « désormais » pour celui qui juge... aussi longtemps que celui-ci
n’abandonne pas sa « conviction » et qu’il ne biffe pas la validité qui
est en même temps validité-qui-se-prolonge.
[105] Il n’y a aucune modification essentielle à faire à notre exposé
si maintenant nous prenons également en considération la commu¬
nauté, sur le plan de la pensée, de ceux qui jugent, donc si nous regar¬
dons les objectités catégoriales comme constituées dans la commu¬
nauté qui se forme sur le plan du jugement. Dans l’exemple de la
nature il s’agissait donc non pas de la nature « pour moi », mais de la
nature « pour nous », par exemple de la nature « pour nous qui nous
occupons de la science de la nature », « pour la science de la nature de
notre temps » et autres expressions semblables.

g) Comparaison entre l’objectité déjà donnée préalablement à la pensée


et l’objectité catégoriale de pensée
Elucidation de cette distinction sur l’exemple de la nature

On ne peut pas naturellement revenir à la nature donnée préala¬


blement, grâce à la simple expérience, avant tout acte de pensée. La
nature en tant que forme de jugement, en particulier en tant que forme
de connaissance scientifique, aura naturellement sous soi la nature
en tant que forme d’expérience, en tant qu’unité d’expérience réelle
et possible, d’expérience individuelle et d’expérience mise en com¬
mun avec celle des autres; mais le « sous-soi » est en même temps un
« au-dedans de soi ». Seule l’expérience de la nature qui est enfermée dans
le juger lui-même est celle qui détermine le sens du jugement et, pour
celui qui juge en tant que tel, seule a de la valeur la nature qui reçoit
ORIENTATION VERS LES OBJETS 161

une forme catégoriale dans le juger. A l’égard de la nature dont on a


déjà fait l’expérience ou dont on a à faire l’expérience, cela signifie
un horizon ouvert, encore irréalisé, de jugements que l’on doit créer
à partir de l’expérience. Certes nous appelons nature l’unité de
l’expérience universelle et nous disons qu’elle est et qu'en soi elle a
telle et telle particularité et qu’elle est ce qu’elle est ou qu’elle est
comme elle est avant notre acte de jugement. Mais c’est seulement
par notre acte de jugement, et pour des êtres jugeants possibles,
qu’elle a a priori le qualificatif d’ « existante » et le « elle est comme
elle est », les « propriétés », les « états des choses », etc. C’est seulement
quand, en partant de l’action de juger pure et simple qui s’appuie
sur l’expérience (et dans laquelle nous obtenons les formations caté¬
goriales), nous en arrivons d’une manière synthétique à prendre pour
thème du jugement l’acte même d’expérience ainsi que ses effec-
tuations, que nous pouvons originellement savoir que cet acte d’expé¬
rience (qui se développe d’une manière harmonique) porte en soi
« implicitement », déjà « avant » l’acte de pensée et ses formations
catégoriales, le sens d’être de la nature en tant que sens que l’acte
de pensée explicite.
Tout cela encore une fois n’est rien moins qu’un échantillon
d’idéalisme argumentant et n’est pas tiré d’une quelconque « théorie
spéculative de la connaissance », d’une philosophie qui s’inféode à
un point de vue, mais c’est pure et simple prise de conscience et pure
et simple explicitation.

§ 43. L’analytique en tant que doctrine formelle de la science


EST ONTOLOGIE FORMELLE

ET EN TANT QUE TELLE EST DIRIGÉE VERS L’OBJET

Ce qui vaut pour la nature en tant qu’existante et pour la science


de la nature qui la détermine vaut, disions-nous, pour tous les domaines
et pour les sciences qui s’en occupent. Cela concerne donc également

E. HUSSERL
11
i6z STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

la logique analytique en tant que doctrine formelle de la science. Son


thème est constitué par les objectités catégoriales en général quant
à leur forme pure, c’est-à-dire comprises sous les concepts formels
de telles objectités (concepts que fait apparaître la formalisation).
Dans cette formalisation, les « noyaux » matériels qui, à l’échelon le
plus bas, proviennent des intuitions d’expérience et qui constituent
dans les jugements le caractère concret, essentiellement propre, des
objets et des domaines, restent dans une généralité indéterminée,
ces noyaux étant alors pensés comme quelque chose, comme un
quelque chose quelconque se maintenant d’une manière identique
dans les identifications. Cette « abstraction » de la teneur concrète
dans la variabilité de ce qui est identifiable à volonté signifie corré¬
lativement que la formation des concepts de la logique suit exclusivement
les syntaxes catégoriales. Représentons-nous, comme nous sommes
amenés à le faire dans ces pages, le logicien avec l’attitude qu’entraîne
son orientation vers celui qui juge dans la sphère scientifique, vers le
savant qui, dans une activité continue de détermination, porte son
attention sur le domaine auquel il a affaire et qui finalement en arrive
à des niveaux de théories toujours nouveaux. Alors le logicien a
également dans l’extension de son thème des objectités-substrats
quelconques qu’il conçoit comme devant être déterminées et des objec¬
tités catégoriales quelconques qui sont les substrats dans la déter¬
mination. 11 n’a pas besoin en cette occasion de penser explicitement
de prime abord aux domaines scientifiques universels et de parler
d’eux. Mais cependant, en progressant dans l’examen des possibilités
formelles, il doit rencontrer le fait que non seulement des jugements
isolés peuvent entrer en liaison par leurs substrats, mais que de cette
manière également sont possibles des systèmes infinis de jugements
à la faveur de quoi en effet, comme nous l’avons vu plus haut, à
l’intérieur du cercle d’idées de la logique elle-même (en tant que
logique formelle analytique) est mis en évidence le privilège des
systèmes déductifs.
ORIENTATION VERS LES OBJETS 163

Le résultat de notre examen s’énonce donc ainsi : /’analytique en


tant que doctrine formelle de la science a, comme les sciences elles-mêmes,
une direction ontique, et à vrai dire, grâce à sa généralité apriorique,
une direction ontologique. Elle est ontologie formelle. Ses vérités aprio-
riques énoncent ce qui vaut avec une généralité formelle pour les
objets en général, pour les domaines d’objets en général, elles énoncent
[107] sous quelles formes ils existent en général, ou seulement peuvent exister...
naturellement dans des jugements, car les objets en général « existent »
uniquement dans des jugements et ils existent sous des formes caté¬
goriales, encore une fois pour la même raison.

§ 44. Passage de l’analytique en tant qu’ontologie formelle


a l’analytique en tant qu’apophantique formelle

a) Déplacement thématique qui fait passer des domaines d’objets


aux jugements au sens de la logique

Au point où nous en sommes arrivés, se pose alors la question de


savoir si n’a pas été rendu évident juste le contraire de ce que nous
voulions montrer; nous voulions montrer en effet le caractère double
de l’idée de logique en tant qu’elle est ontologie formelle et apophan-
tique formelle. Mais nous n’avons toujours, pourrait-on dire, qu une
seule et même chose. Toutes les objectités dont nous nous occupons
constamment et dont nous sommes occupes constamment avec toutes
leurs formes ontologico-formelles, toutes les objectités dont nous
disons toujours et dont nous pourrions dire qu elles sont, et si nous
sommes orientés vers l’activité de connaissance et de vérification,
qu’elles sont en vérité telles ou telles, ces objectités ne sont abso¬
lument rien d’autre, semble-t-il, que des jugements jugements au sens
élargi que nous leur avons donné; elles ne sont rien d’autre que des
« propositions » nées dans les activités de jugement, dans les positions
doxiques elles-mêmes, elles ne sont rien d autre que des formations
(corrélats actuels et ensuite habituels de ces activités) qui elles-mêmes
164 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

à leur tour peuvent être saisies par des jugements toujours nouveaux
et interviennent alors dans ces jugements à titre de parties. Le juge¬
ment n’est-il pas ex definitione ce qui se forme et est formé en tant
que jugé dans l’effectuation de jugement, ce qui alors est identifiable
toujours à nouveau en tant qu’objectité idéale ? Cela est-il autre chose
que l’objectité catégoriale ?
Pour justifier maintenant (malgré l’évidence de l’exposé que nous
avons fait jusqu’ici, évidence qui prise en un certain sens est inatta¬
quable) notre prise de position que nous n’avions fait qu’annoncer
par avance, nous avons à montrer que, par opposition à P orientation
thématique dans laquelle nous nous étions placés jusqu’ici, un revirement
thématique est toujours possible conformément auquel ce n’est pas le
domaine d’objets considéré et les objectités catégoriales de niveau plus
élevé construites à partir de lui qui sont dans le champ thématique
mais — ce qui est tout autre et bien distinct — ce que nous nommons
lesjugements ainsi que leurs éléments constitutifs, leurs liaisons et autres
transformations qui aboutissent à des jugements de degrés toujours
nouveaux.

[108] b) Élucidation phénoménologique de ce déplacement thématique

a) Orientation de celui qui juge d’une maniéré naïvement immédiate. —


Tout d’abord, il faut indiquer que dans l’exposé qui précède nous nous
étions transportés par la pensée dans ceux qui jugent et que nous avions
posé des questions exclusivement en ce qui concerne ce qui était là
pour ceux qui jugent en tant que tels, c’est-à-dire, tel et tel objet-substrat
ou tel et tel domaine, telles et telles objectités catégoriales qui survien¬
nent dans leur activité de détermination et qui sont de formes tou¬
jours nouvelles, de degrés toujours nouveaux et nous avions consi¬
déré tous ces objets substrats et toutes ces objectités catégoriales en
tant qu’ils valent pour ceux qui jugent. Car juger c’est toujours
croire quelque chose, « avoir devant soi » quelque chose en tant
ORIENTATION VERS LES OBJETS 165

qu’étant, que ce soit d’une manière intuitive ou non. Il ne s’agit que


d’une autre façon de s’exprimer quand on dit : accorder à quelque
chose valeur d’existence. Cela n’exclut pas, comme nous venons de
le dire à l’instant, que, par la suite, dans le cours du jugement,
cette valeur d’existence ne soit pas maintenue en celui qui juge.
Alors l’étant se « modalise » et devient le douteux, le probléma¬
tique, le possible, le conjecturé ou même le nul. La suite des juge¬
ments s’appelle une suite concordante aussi longtemps qu’une telle
modalisation ne se produit pas et aussi longtemps que les objec-
tités qui sont valables persistent dans leur pure et simple valeur
d’existence, sont purement et simplement pour celui qui juge. Pour
le style des activités ultérieures de jugement cela signifie que cha¬
cune de ces objectités à travers tous ses changements syntaxiques
ultérieurs est posée toujours à nouveau grâce à des liaisons identifi-
catrices comme « une seule et même » objectité; cela signifie que sur
le plan du jugement elle est valable et qu’elle continue à être valable
en tant qu’elle reste la même.
P) Dans l’orientation critique de l’être qui veut connaître se distinguent
l’objectité intentionnée en tant qu’intentionnée et l objectite reelle. Mais
l’être qui juge ne pose pas seulement les choses en leur accordant
valeur d’existence, il biffe çà et là; à la place de ce qui avait avant
valeur d’existence il pose autre chose et aboutit ainsi, en passant par
des modalisations, à une concordance dégagée de perturbations non
satisfaisantes. Déjà dans le juger quotidien prennent naissance occa¬
sionnellement des intérêts de connaissance au sens insigne du terme .
l’intérêt de la « vérification » qui donne une garantie, le besoin de
s’assurer sur les choses elles-mêmes de la manière dont elles sont réelle¬
ment. Les formations catégoriales qui pour l’être qui juge étaient
auparavant des objectités existant purement et simplement et qui au
cours de l’identification restaient les mêmes purement et simplement,
doivent maintenant être vérifiées dans le passage à l’evidence, a
p « intuition catégoriale », intuition dans laquelle elles seraient don-
166 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

nées originaliter en tant qu’elles sont « en personne »; elles doivent


être maintenant reconnues comme étant vraiment et réellement. En
[109] même temps, pour celui qui juge, les objectités intentionnées en
tant qu’intentionnée s, purement en tant qu’ayant été posées dans ses
actions de jugement sous telle et telle forme catégoriale, purement
comme ce qui est posé en tant que tel dans le développement syntaxique
de l’acte de position, ces objectités intentionnées se distinguent aussi
occasionnellement des objectités correspondantes qui sont vraies
ou réelles, c’est-à-dire des formations catégoriales qui, sous la forme
phénoménologique insigne d’évidences absolues, prennent naissance
dans des jugements « donnant les choses elles-mêmes » étape par étape,
formation par formation.
En général, dans la succession naturelle des jugements, le juge¬
ment s’écoulera de telle sorte que l’être qui juge continue d’admettre
comme valable l’objectité qui vaut pour lui, même pendant qu’il
obéit au besoin de vérification et de telle sorte donc que, trouvant
le terme de sa démarche dans l’objet « lui-même », vu avec évidence,
il dise : l’objet est réel, il est réellement ainsi constitué, il soutient
réellement des relations, etc. Dans le passage à la vérification a lieu
une coïncidence identificatrice entre l’objet (et finalement l’état du juge¬
ment dans sa totalité, l’état des choses) auquel on croyait déjà aupa¬
ravant et entre ce qui est donné maintenant dans la croyance évidente,
remplissant l’intention de connaissance; et ce qui est donné mainte¬
nant l’est en tant que donné « lui-même », en tant que réalité remplis¬
sante. Il en est ainsi dans le cas de la vérification sanctionnée par la
réussite.
Mais l’intention dirigée vers la vérification, donc, pour celui qui
juge, l’effort pour parvenir à l’objet lui même et pour être près de
lui-même, pour apercevoir sur lui-même « ce dont il s’agit », cette
intention peut aussi, au lieu d’être remplie, être désillusionnée. Certes
elle est remplie alors dans des positions partielles, mais celles-ci se
complètent au contact des choses elles-mêmes pour former la position
ORIENTATION VERS LES OBJETS 167

totale d’une objectité catégoriale avec laquelle « entre en lutte »


l’objectité à laquelle on croyait auparavant... lutte qui rend originelle¬
ment nécessaire le biffage de cette objectité. Cela s exprime par
exemple sous la forme : « L’état des choses ne se présente pas comme
ie le pensais. L’adjonction « comme je le pensais » exprime alors une
modification de sens. Car « l’état des choses » n est pas et ne pourrait
rester dans ce contexte l’ancien état des choses auquel on continue
à croire, il est (grâce au biffage qui possède maintenant le caractère
de validité) l’état des choses qui était « auparavant simplement
intentionné. »
Remarque. — Il faut voir avec evidence que notre référence
à la « vérification » proprement dite qui conduit à la vérité par 1 évi¬
dence qui donne les choses mêmes était, comme chaque fois où 1 on
privilégie un cas idéal, une simplification qui, si l’on considère les
exposés ultérieurs, a certes une prérogative mais n’est pas nécessaire
d’une manière inconditionnée pour motiver la distinction que fait
celui qui juge entre l’intentionné en tant que tel et le réel. Ici donc
viennent en considération les imperfections de 1 évidence; en consé-
[110] quence le concept de vérification proprement dite pourrait être
orienté vers le cas idéal de la perfection, cas dans lequel ce qui s offre,
pour celui qui juge, comme existant — ou comme vrai — donné
« lui-même » n’est chargé d’aucune restriction, d’aucune présomption
anticipatrice du remplissement de laquelle (dans des évidences ulté¬
rieures qu’il faut lier synthétiquement) dépendrait le fait que le vrai
présumé soit le vrai définitif. Mais nous pouvons orienter également
d’une autre façon le concept de vérification proprement dite, nous
pouvons en effet qualifier la vérification de vérification proprement
dite aussi longtemps qu’est effectuée réellement une adaequatio,
même si c’est une adaequatio imparfaite, à une intuition qui donne les
choses mêmes. En ce sens il y a aussi vérification non proprement
dite et réfutation correspondante (ce à quoi ne tend pas, le plus sou¬
vent, le débat et la critique dans les discussions de la vie courante) : la
168 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

vérification ou la réfutation de quelque chose de valable par com¬


paraison avec quelque chose d’établi comme sûr, comme inatta¬
quable — ce qui ne veut pas dire, il s’en faut encore de beaucoup,
que cette dernière chose soit fondée avec une évidence absolue.
Dans une telle réfutation ce qui précédemment était un existant pur
et simple se change en la simple opinion correspondante. D’autre
part la confirmation de ce qui était devenu peut-être douteux, le
retour à la certitude confirmée en connexion avec « ce qui est établi »,
en tant que confirmation dès lors exigée, donnent naissance au
prédicat, au sens impropre, de l’étant-vrai et de l’étant-réel.
y) L'attitude du savant ; T intentionné en tant qu' intentionné est objet de sa
critique de la connaissance. —Nous n’avons pas besoin ici d’entrer dans
des recherches plus vastes ; ce qui a été dit suffit pour voir qu’ici la
distinction de ce qui est intentionné et de ce qui est réel prélude à la distinction
de la sphère des simples jugements (au sens élargi) et de la sphère des
objets. Pour pénétrer plus avant dans cette distinction, tournons notre
attention vers les sciences. Au lieu de l’homme qui juge dans la vie
quotidienne avec son attitude de connaissance qui est uniquement
occasionnelle, prenons maintenant celui qui juge dans la perspective
scientifique. En tant que tel, il vit, du fait d'une vocation poursuivie
avec esprit de suite, dans T « intérêt théorique » (a). C’est-à-dire que son
activité de jugement soutenue par la vocation est toujours et partout
traversée et dominée par des intentions de connaissance et ces intentions
elles-mêmes ont leur unité synthétique qui se fonde sur l’unité de

(a) Une « vocation poursuivie avec esprit de suite » se rapporte au caractère


périodique d’une vie prise dans sa totalité et dont les moments (heures de vocation,
jours de vocation, etc.), séparés d’une manière périodique mais rattachés d’une
manière interne par une synthèse intentionnelle, relèvent d’un « intérêt de voca¬
tion » (devenu habitude). Cet intérêt se manifeste d’une manière conséquente dans
une espèce d'activités de vocation qui créent toujours de nouveaux gains de la
raison et qui conservent comme valables les anciens gains, éventuellement (et cela
se passe ainsi dans la science) comme parties intégrantes ou comme soubassements
pour de nouveaux gains.
ORIENTATION VERS LES OBJETS 169

l’intérêt de connaissance dirigée vers le domaine scientifique consi¬


déré. Connaître son domaine — connaître au sens strict, qui assuré¬
ment est un sens idéal — cela ne signifie pas autre chose pour le
savant que ceci : n’admettre en tant que résultats scientifiques pas
[m] d’autres jugements que ceux qui, par adéquation aux choses mêmes,
ont prouvé leur « justesse », leur « vérité » et qui peuvent être rétablis
à nouveau à tout moment d’une manière originelle dans cette justesse
par une nouvelle réalisation de l’adéquation. Cela ne veut pas dire
que le savant ne juge pas du tout avant une telle possession des
« choses » elles-mêmes — des objectités « elles-mêmes » de tel et tel
degré catégorial. Mais tous ces jugements, il les prend comme unique¬
ment provisoires; les objectités catégoriales qui sont valables dans ces
jugements, il les prend comme valables d’une manière uniquement
provisoire, comme objectités simplement intentionnées. A travers
elles en tant qu’intentionnées chemine l’intention de connaissance,
précisément jusqu’aux choses mêmes, jusqu’au terme où elles sont
données elles-mêmes ou avec évidence.
Mais il y a encore une différence qui distingue l’aspiration à la
connaissance qu’a le savant de l’aspiration naïve de celui qui pense
en dehors de préoccupations scientifiques. Ce dernier « cherche sim¬
plement à voir » si les choses sont effectivement ainsi, et s’il y arrive,
il est satisfait. Mais le savant sait déjà depuis longtemps que l’évidence
a non seulement ses degrés de clarté, mais qu’elle peut être aussi une
évidence trompeuse. Ainsi se séparent pour lui à leur tour évidence
présumée et évidence authentique. Ses jugements doivent être vérifiés
par une évidence authentique, par une évidence la plus parfaite qui
soit et c’est uniquement en tant qu’ainsi vérifiés qu’ils trouvent
accueil parmi les résultats constitutifs de la science en tant que théorie.
Cela provoque un co-mportement particulier du savant, cela provoque
une activité de jugement pour ainsi dire en îjgyag, se dirigeant tout
d’abord directement vers la donation des choses elles-mêmes mais
ensuite revenant, de façon critique, aux résultats provisoires déjà
170 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

acquis; mais dans cette démarche, la critique elle-même doit être


à son tour objet de critique, et pour des motifs semblables... Le
savant est donc conduit par Vidée d’une évidence parfaite ou que l’on
doit rendre parfaite graduellement et systématiquement, cette évi¬
dence étant atteinte par la voie de la critique et ayant pour corrélât
l’être véritable qui peut être atteint ou qui est susceptible d’approches
(rechercher le sens et les limites de cette idée n’est pas du reste l’affaire
de la science positive elle-même).
Ajoutons encore que l’attitude critique concerne toutes les acti¬
vités de jugement, même eu égard aux modalisations intervenant dans
ces activités ; elle concerne aussi les distinctions de l’évidence et delà
non-évidence qui sont propres à ces modalisations elles-mêmes;
avec cette réserve qu’à travers ces modalisations, qu’à travers ce qui
est considéré comme douteux, possible, probable, nié, l’intention de
connaissance tend vers des certitudes absolument évidentes. Elles
sont réalisées, les vérités pures et simples qui sont données « elles-
mêmes », gains de la connaissance désormais durables, qui peuvent
être rendus évidents à nouveau à tout moment mais qui de cette
façon sont accessibles vraiment pour tout être, pour tout être qui
[112] pense rationnellement et ont été accessibles déjà avant la « décou¬
verte ». Tout « énoncé scientifique » a d’avance ce sens. Il s’adresse
à ce « tout être » et énonce ce que les objectités-substrats en question
sont en vérité... c’est-à-dire capables d’être rendues évidentes pour
tout être.

§ 45. Le jugement au sens de la logique apophantique

Le passage par P attitude critique — passage nécessaire pour toute


connaissance scientifique et que donc tout jugement scientifique doit
subir ■— fait que le savant oppose alternativement d’une part Yobjec-
tité pure et simple — en tant que réalité existant pour lui immédiate¬
ment dans l’activité de jugement ou comme réalité visée par lui en
ORIENTATION VERS LES OBJETS 171

tant qu’être connaissant — et d’autre part Yobjectitê intentionnée en


tant que telle : conséquence intentionnée, détermination intentionnée,
pluralité, nombre intentionnés en tant que tels, etc. Avec cet inten¬
tionné en tant que tel, simple corrélât de 1’ « opiner » (1) (corrélât souvent
aussi exprimé par le terme opinion (2) So^a) nous avons alors repris
en main ce qui dans la logique traditionnelle s’appelle jugement ( apophansis)
et est le thème de la logique apophantique (a). Pourtant la logique
traditionnelle, comme nous le savons déjà, privilégie dans cette
formation conceptuelle — étant à son tour dirigée par l’action scien¬
tifique — un concept plus étroit qui malgré tout comprend en lui
complètement le concept le plus large d’une « objectité catégoriale
intentionnée en tant que telle » mais naturellement pas comme
particularisation du type de l’espèce. Le juger scientifique est
dirigé (b) vers la détermination et la connaissance du domaine scien¬
tifique auquel on a affaire. En conséquence le jugement prédicatif
(l’apophansis en tant qu’unité vraiment autonome de détermination) est
constamment privilégié. Toutes les entités catégoriales qui doivent
être formées ont, comme nous l’avons déjà développé, à fonctionner
dans les jugements prédicatifs et interviennent dans les sciences (nous
faisons abstraction de la logique elle-même) à l’intérieur de ces juge¬
ments à titre d’éléments constitutifs. En d’autres termes, les jugements
au sens de la logique apophantique sont des états-des-choses inten¬
tionnés en tant que tels qui sont des unités autonomes ; toutes
les autres entités catégoriales intentionnées fonctionnent dans de tels
« jugements » à titre de parties.

(1) « Meinen ».
(2) Meinung.

(a) C’est le noème du juger. Pour le concept de noème, cf. Ideen, pp. 181 sqq.
et spécialement pour le jugement, pp. 194 sqq.
(b) Cf. § 40.
STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

[ 113] § 46. VÉRITÉ ET FAUSSETÉ COMME RÉSULTATS DE LA CRITIQUE

Double sens des notions de vérité et d’évidence

Le résultat final de la critique est — pour parler idéalement — la


« vérité » ou la « fausseté ». Cette vérité veut dire jugement juste, vérifié
par la critique, vérifié par le moyen de l’adéquation aux objectités
catégoriales correspondantes « elles-mêmes », telles qu’elles sont
données originellement lorsqu’on les possède « elles-mêmes » avec
évidence, c’est-à-dire dans l’activité productrice exercée sur les subs¬
trats eux-mêmes saisis par l’expérience. De cette adéquation, donc
de ce remplissement grâce auquel on passe à la possession des choses
elles-mêmes, donc de la réflexion sur la simple opinion et sur sa coïnci¬
dence avec l’opinion remplie, de tout cela résulte le concept de cette justesse
qui constitue T un des concepts de vérité, le concept critique de vérité, celui
d’après lequel le jugement est vrai... ou faux (ou aussi, pour satisfaire
maintenant aux autres modalisations, douteux, présumable, etc.).
Tandis que la fausseté repose sur la donnée d’un état-des-choses
« lui-même » contre lequel l’état-des-choses intentionné en tant
qu’intentionné, donc le jugement, entre en lutte et subit par là sa
suppression originelle (ce qui dans le changement d’attitude corres¬
pondant produit la saisie de la nullité elle-même, en tant que nullité
existante), il en va autrement dans le cas des autres modalités. Ce
n’est pas l’état-des-choses ou cet état-des-choses nié qui est originel¬
lement donné, mais, en mettant les choses au mieux, ce qui est ori¬
ginellement donné, c’est une contre-possibilité motivée « qui parle
contre le « être ainsi » »; on peut avoir affaire aussi à une pluralité de
telles possibilités, etc.
A partir de là se comprend la place spéciale de la négation parmi les
autres modalités et le fait que le logicien qui a une attitude critique
la place ordinairement à côté de la « position » et sur le même plan.
Cependant ici nous n’entrerons pas davantage dans ces questions.
A côté du concept critique de vérité (le concept de justesse du
ORIENTATION VERS LES OBJETS 173

jugement), si l’on se dirige originellement (ou si l’on s’est dirigé)


vers la réalité (1) donnée elle-même, nous avons alors comme second
concept de vérité ce concept de réalité. Le vrai est maintenant l’étant
réellement ou l’étant vraiment en tant que corrélât de l’évidence qui
donne les choses elles-mêmes. Naturellement le réel, au sens de réel
naturel (2), est un simple cas particulier de ce concept le plus large
de réalité qui est un concept analytico-formel.
Le mot évidence, lui aussi, prend, en connexion avec ces deux
concepts de vérité, un double sens : à côté du sens de possession ori¬
ginelle de l’être vrai ou réel lui-même, le mot évidence prend aussi le
sens de propriété qu’a le jugement en tant qu’objectité catégoriale
[114] intentionnée (« opinion ») d’être approprié, dans une actualité
originelle, à une réalité qui lui correspond. Évidence signifie donc
dans le dernier cas la conscience originelle de justesse, prenant naissance
dans l’adéquation actuelle. Cette conscience est de son côté, à l’égard
de la justesse, évidence au sens premier, c’est un cas particulier de ce
concept plus large d’évidence qu’est la possession des choses mêmes.
C’est en un sens naturellement élargi qu’on qualifie aussi un jugement
d’évident, eu égard à la potentialité de pouvoir amener ce jugement à
l’adéquation.
En ce qui concerne le second concept de vérité (mais qui au
fond est premier en soi), c’est-à-dire le concept de réalité en tant que
vérité de l’être, il faut encore prêter attention à la portée qui lui est
propre. Le savant parle d’être réel ou vrai non seulement en ce qui
concerne les état s-de s-chose s, donc en ce qui concerne ces « vérités »
auxquelles se conforme la vérité (en tant que justesse) des jugements
prédicatifs, mais encore en ce qui concerne toutes les objectités caté¬
goriales en général. La dénomination réalité convient aux propriétés
réelles, aux relations réelles, aux touts et aux parties réels, aux

(1) WirkHchkeü.
(2) Realen.
174 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

ensembles réels et aux complexes liés réels (par exemple comme ceux
des systèmes planétaires), etc. Dans les jugements prédicatifs leur
correspondent les objectités catégoriales intentionnées qui inter¬
viennent comme éléments constituants du jugement. En même temps
que se manifeste la justesse des jugements pris dans leur totalité ou
la justesse de leur « rectification », se manifeste également la justesse
et la non-justesse correspondantes de ces objectités catégoriales
elles-mêmes.
Le type formel caractéristique de l’intentionnalité qui pénètre et
domine l’unité de la vie scientifique et de ses formations détermine le
type particulier de la raison scientifique en tant que raison réalisant
la connaissance authentique au moyen Tune critique de la connaissance
qui T accompagne constamment. En conséquence, l’effectuation systé¬
matique de la raison scientifique — c’est-à-dire la science conçue
comme une théorie dont on doit poursuivre le façonnement à
l’infini — a le sens particulier d’être un système de jugements qui,
soumis à une critique continuelle, sont amenés consciemment à
l’adéquation à la donation évidente des choses mêmes et sont, en ce
sens, des vérités, des jugements originellement justes, dirigés vers
l’être vrai et réel, ces jugements embrassant d’une manière idéelle
l’être vrai total du domaine et l’épuisant en un système « complet ».
Il faut remarquer à ce propos que l’activité scientifique de
jugement abandonne la direction naïvement immédiate de la connais¬
sance vers les réalités objectives (direction qui s’offre lorsque l’on a
d’une manière naïve les choses mêmes dans l’évidence immédiate)
[n5] et qu’elle rend thématiques les jugements, les objectités intentionnées
en tant qu’intentionnées; en conséquence, le juger s’achève toujours
en propositions pour lesquelles le « juste » ou le « vrai » ont été obte¬
nus originellement (et ont été confirmés) comme prédicats, même si
l’on passe le plus souvent sous silence ce processus du fait qu’il
traverse tous les résultats théoriques. Mais d’autre part, il va de soi
que ce processus, conforme au but de la science, se tient au service
ORIENTATION VERS LES OBJETS 175

de la détermination du domaine lui-même, donc que la thématique


des jugements-propositions n'est qu'une thématique de médiation. Le but,
c’est la connaissance des objectités-substrats comprises dans le concept
du domaine. La connaissance au sens idéal est la dénomination qui
convient à l’être véritable des objectités elles-mêmes considérées,
être que l’on a pu atteindre d’une manière actuelle, suivant toutes les
formes catégoriales dans lesquelles précisément il montre son être
véritable, dans lesquelles il se constitue originellement en tant que
véritable et dans lesquelles, dans la mesure où il s’est déjà constitué
ainsi, il est « dans cette même mesure » un existant véritable du point
de vue de la connaissance. A la connaissance de l’être vrai en tant que
connaissance prise dans son progrès actuel succède la connaissance
au sens de la possession habituelle provenant d’une acquisition
originelle avec la potentialité correspondante d’actualisation. Rien
n’est changé à cela par la méthode de la critique qui en réalité veut
assurer l’atteinte de l’être vrai ou tout au moins amoindrir le désac¬
cord entre connaissance imparfaite et connaissance parfaite.
Chapitre V

APOPHANTIQUE
EN TANT QUE DOCTRINE DU SENS
ET EN TANT QUE LOGIQUE
DE LA VÉRITÉ

§ 47. De l’orientation de la logique traditionnelle


VERS l’attitude CRITIQUE DE LA SCIENCE
RÉSULTE SA POSITION APOPHANTIQUE

Le résultat de ces considérations sur les modes de jugements des


sciences et sur l’intentionnalité qui règne en eux nous servira à alleu
plus avant dans la compréhension structurelle de l’idée de logique. Nous
nous souvenons que la logique, de par son origine, voulait être doc¬
trine de la science. Elle regardait donc toujours, en les considérant
comme un champ d’exemples, vers les sciences qui avaient déjà
commencé à se constituer ou vers les sciences à l’état d’ébauches
déjà largement développées; et elle comprenait la raison et l’effec-
tuation de la raison d’après ce qui, dans ces ébauches, certes ne se
présentait pas comme réalisé de façon idéale, mais annonçait pourtant
en soi le sens téléologique idéal de l’intentionnalité scientifique. En
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE

conséquence il est concevable que pour la logique la sphère du jugement


prise purement comme telle devait se détacher et devait avant tout
[ii6] devenir un champ thématique propre. La logique comme doctrine de la
science se constitua donc de prime abord comme une science qui
voulait servir à cette critique qui crée la science authentique. Les
connaissances, les sciences vers lesquelles elle regardait comme vers
des exemples, elle les prenait comme de simples prétentions, donc
comme de simples « jugements » (entités intentionnées (i)) et systèmes
de jugements qui devaient être soumis à la critique et qui, déterminés
en même temps par cette critique, devaient recevoir une forme telle
qu’ils puissent à bon droit maintenir le prédicat de la vérité comme
leur convenant. Ainsi la logique se conformait à l'attitude de celui qui
exerce la critique, qui juge non pas immédiatement mais qui porte des
jugements sur des jugements. Ce n'était donc que médiate ment, tant qu’elle
restait logique du jugement, qu’elle était dirigée vers l'existant lui-
même en tant qu’existant pouvant se présenter dans les activités qui
imposent une forme et donnent les choses elles-mêmes; mais c’était
immédiatement qu’elle était dirigée vers les jugements en tant que pré¬
somptions de l’existant. En tant que « logique formelle » qui tradi¬
tionnellement était en effet entièrement pensée et développée comme
logique du jugement, elle avait comme thème ces formes de jugement
qui sont des conditions (relevant de lois essentielles) de l’adéquation
possible à l’existant lui-même.
Il est facile de concevoir, après les considérations que nous avons
exposées préliminairement sur le privilège du jugement prédicatif
dans les sciences, que la logique formelle était constituée en tant que
logique apophantique, donc que le jugement prédicatif était son concept
thématique principal. Mais, comme il ressort de nos vues à la faveur
d’une étude détaillée et systématiquement complète, cela n’aurait pas
dû signifier une limitation pour la logique — comme cela a été en fait

(i) Vermeintheiten.

E. HUSSERL 12
178 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

le cas pour le plus grand dommage de la logique — car, comme nous


le savons, l’apophansis renferme en elle toutes les entités catégoriales
intentionnées. Avec les jugements au sens étroit, les jugements au
sens le plus large que nous leur avons donné constituent donc aussi
le thème de la logique formelle — de l’apophantique bien comprise —
et cela dans ses disciplines de tous les niveaux.

§ 48. Les jugements comme simples « entités intentionnées »


APPARTIENNENT A LA RÉGION DU SENS

Caractéristique phénoménologique
DE l’attitude ORIENTÉE VERS LE SENS

« Les jugements sont des thèmes » ... cela revient au même de


dire que les entités intentionnées en tant que telles sont les objets d'une
région propre, forment un champ autonome d’objets. Il est ici besoin
d’une clarification phénoménologique plus approfondie, clarifi¬
cation que nous avons déjà obtenue en partie dans les analyses du
chapitre IV, mais que nous voulons ici approfondir encore en nous
confiant à un point de vue plus général.
Pour récapituler, attachons-nous à ce que nous avons déjà
développé. Tout juger est dirigé vers l’objet. Non seulement celui
[1x7] qui juge a, à chaque fois, ses objets-sur-lesquels il porte des juge¬
ments, vers lesquels il est dirigé par excellence tandis qu’il les
détermine; mais également, en un second sens, il est dirigé vers la
détermination-, ensuite en un sens impropre, il est dirigé vers Y état-des¬
choses ... en un sens impropre parce que celui qui juge a constitué
déjà, en effet, l’état-des-choses avec ces objets-substrats et leurs déter¬
minations mais a besoin seulement d’un déplacement du regard
thématique pour être dirigé vers lui, cette fois au sens strict. C’est
de cette manière que sont « présentes » pour celui qui juge en tant
que tel toutes sortes d’entités catégoriales et c’est dans l’unité d’un
APOPHANTIQUE EN TANT OUE DOCTRINE N9

processus cohérent de jugement qu’elles sont identifiées, comme


nous l’avons déjà dit, et qu’elles ont en même temps unç. fonction de
détermination pour les substrats derniers qui doivent alors être
déterminés. Il en est ainsi également dans le juger au service de la
connaissance avec cette réserve que les entités catégoriales sont
traversées par l’intention qui se dirige vers la possession de ces
entités catégoriales « elles-mêmes » sous la forme de ce qu’on appelle
le juger évident dans lequel a lieu l’identification remplissante, quand
les entités catégoriales sont atteintes sous le mode du « elles-mêmes en
personne ».
Cela, c’est juger purement et simplement — expression tout à fait
relative comme on va le voir immédiatement. En effet tout juger
peut par essence être changé en un juger au second degré dans lequel ce
qui est posé ce n’est plus ce qui était jugé immédiatement, donc ce qui
était objectité existant pour celui qui juge, mais c’est, dans une
réflexion, le jugé en tant que jugé. C’est donc certes la réflexion qui
apporte du nouveau mais il ne s’agit pas d’une réflexion qui rend
thématique l’action de jugement et la prend ainsi pour objet d’un
nouveau juger (pour objet d’une nouvelle position qui doit ensuite
se convertir en position qui a une fonction de détermination prédi¬
cative (a)). Non seulement un objet-substrat, une qualité, un état des
choses, etc., peuvent être objets mais aussi un substrat intentionné en
tant qu’intentionné, une qualité intentionnée en tant qu’intentionnée, etc.,
et ce sont, disions-nous, ci-dessus, des objectités qui, comme nous
allons le justifier tout de suite, désignent en fait, malgré ce caractère
référentiel, une région propre. Considérons tout d’abord ce qui suit :
Naturellement le passage possible du jugement (objectité inten¬
tionnée pure et simple) au jugement-opinion (objectité intentionnée
en tant qu’intentionnée) peut être renouvelé dans une succession

(a) Ceci serait la réflexion noétique sur les multiplicités noétiques constituant
l’imité noématique. Cf. sur ce point, Ideen, pp. 201-207.
i8o STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

arbitraire de niveaux. C’est un processus itératif de réflexion possible


et de constante modification d’attitude. Mais il est évident que nous
revenons ici à une distinction dernière, à la distinction entre les objectités
[i 18] qui sont des entités intentionnées et celles qui ne le sont pas. C’est précisément
pour cette raison que nous parlons de régions distinctes à l’intérieur
de la région formelle universelle : « Objectité en général. » Toutes
les entités intentionnées de degré élevé appartiennent elles-mêmes
à la région des entités intentionnées ou opinions. Au lieu d’opinion
nous pouvons dire également sens et si nous considérons les énoncés
nous pouvons parier de leur signification. Se poser la question de la
signification ou du sens d’un énoncé et se rendre clair le sens de cet
énoncé, ce n’est manifestement pas autre chose que de passer de
l’attitude immédiate de l’être qui juge et énonce, attitude dans
laquelle nous « avons » seulement les objets considérés, à l’attitude
réfléchie, à l’attitude dans laquelle viennent à être saisies ou posées les
opinions correspondantes relatives aux objets, aux états des choses.
Ainsi, pouvons-nous qualifier cette région également de région
du sens (a). Il y a pour les jugements prédicatifs autonomes des
sens d’états-des-choses (états-des-choses intentionnés en tant que
tels), il y a pour les objets-substrats précisément des sens objectifs
au sens strict, pour les relations des sens de relations, etc.
Nous ne nous sommes pas prononcés alors sur le point suivant :
les jugements immédiats (non-réfléchis) et les jugements réflexifs en
tant que sens sont-ils évidents ou non, portent-ils en eux des inten¬
tions de connaissance, éventuellement interviennent-ils comme rem-
plissements de ces intentions ou non ? De semblables modes de
variation peuvent avoir lieu, comme il va de soi, dans les deux sortes
d’orientation du jugement — l’orientation « immédiate » et celle de la
réflexion; ils appartiennent à tous les jugements en tant que tels, ils

(a) Cf. Ideen, p. 265. En outre, sur le rapport du sens et du noème, cf. pp. 185,
267-273.
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 181

appartiennent donc aussi aux jugements en tant que sens. Par consé¬
quent il y a aussi pour ces jugements en tant que sens la distinction de
la possession évidente des choses « elles-mêmes » et de la simple
croyance; il y a modalisation, en particulier éventuellement biffage,
vérification, réfutation évidente (en tant que vérification négative),
mais ensuite il y a critique en revenant au sens de niveau plus élevé.
L’explicitation du sens peut être évidente, mais elle n’a pas besoin
de l’être et elle peut aussi induire en erreur. Que les objets qui
s’appellent alors sens soient effectivement autres que les objets purs
et simples, on en a un témoignage dans le fait qu’un juger cohérent
et qui, en tant que tel, revient, dans le processus d’identification, aux
objets déjà posés (il en est ainsi également en particulier pour un
juger au service de la connaissance) emprunte des chemins différents pour
l'une et l'autre région formelle et effectue des identifications différentes
(ou des distinctions différentes et des éliminations différentes au
[119] moyen du biffage). Le sens qui s’enonce : « Le jugement S est p »
ne peut jamais être identifié avec ce qui est jugé purement et sim¬
plement ; S est p et avec l’état-des-choses que l’on doit tirer de là
par nominalisation. En outre dans le passage à 1 évidence d existence
il est clair que l’être réel du jugement en tant que sens n’est pas atteint
quand S n’existe pas ou quand S n’est pas p, en un mot quand 1 etat-
des-choses, l’état-des-choses qui est pour celui qui juge, n’existe
pas. Le jugement est alors inexact, mais en tant que jugement il est
un être de la région du sens. Au reste toutes les formes d’identifications
dans les enchaînements possibles de jugement (dont les identifications
menant à l’évidence sont un secteur particulier) entrent avec des
modifications dans la sphère du sens.
Le fait que les « sens » en tant qu’objets, à 1 opposé des actes qui
s’y rapportent et des sujets, sont « transcendants », sont des pôles
idéaux d’unité, tout comme les objets qui ne sont pas des « sens »,
cela a besoin seulement d’être mentionné. On se trouve, en effet,
devant la même situation pour tous les objets en général.
182 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

§ 49. Le double sens de « jugement » (proposition)

Si nous jetons encore un regard en arrière sur la corrélation du


juger et du jugement, alors nous devons encore mettre en relief expres¬
sément le double sens qui a joué dans toutes ces clarifications le rôle
décisif : juger au sens le plus large, c’est « poser » d’une manière
doxique et ce qui est posé dans le juger, c’est la « proposition ».
Plus spécialement, le jugement prédicatif pose la proposition prédicative.
Cette proposition, c’est ce qui est jugé. Mais alors, la proposition
ou le jugement, est-ce ce que la logique apophantique — la logique
exerçant sa critique sur la justesse et la fausseté — comprend sous
cette dénomination ?
Ce qui est jugé dans un juger est Yobjectité catégoriale intentionnée
dans ce juger. C’est seulement, comme nous l’avons établi, dans un
juger au second degré que devient objet la proposition au sens de la
logique —— la proposition en tant que sens, l’objectité catégoriale
intentionnée en tant qu}intentionnée — et c’est elle qui dans ce nouveau
juger est l’objectité intentionnée, pure et simple. Certes dans tout
juger « se trouve impliqué » son sens et nous disons aussi avec évi¬
dence que l’objectité intentionnée immédiatement en lui n’a pas
besoin d’exister toujours ... mais nous ne pouvons justement énoncer
un tel jugement avec évidence que grâce aux jugements et aux
évidences au second degré dans lesquels nous tirons des jugements
purs et simples les jugements intentionnés correspondants, prenant
alors ceux-ci pour objet. C’est justement par ce moyen que les entités
intentionnées elles-mêmes sont devenues des buts propres de la
connaissance et, dans le cas de l’évidence, des buts qui sont même
[120] atteints, tandis que dans le juger immédiat l’entité intentionnée dont
il s’agit, tout en étant présente à la conscience implicitement, n’est
du moins qu’un simple passage de la visée de connaissance, qui de son
côté, a son terme dans l’objectité catégoriale correspondante elle-
même et non pas dans le simple jugement.
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 183

§ 50. Extension du concept de sens

A LA TOTALITÉ DE LA SPHÈRE POSITIONNELLE


ET EXTENSION DE LA LOGIQUE FORMELLE

POUR CONSTITUER UNE AXIOLOGIE ET UNE « PRATIQUE » FORMELLES

Il est maintenant encore instructif de remarquer que ce que nous


avons dit pour le juger et pour le jugement en tant que sens vaut pour
toute la sphère positionnelle de la conscience. Tout cogito — c’est pour la
phénoménologie de l’intentionnalité une situation essentielle fonda¬
mentale — a son cogitatum. Le cogito peut signifier : « Je perçois »,
également « je me souviens », « j’attends » (ce qui certes appartient
bien à la sphère doxique mais non pas à la sphère du penser qui déter¬
mine prédicativement), mais cela peut aussi vouloir dire : j exerce
dans la sphère affective des activités d’ « évaluation » dans le cas du
plaisir ou du déplaisir, de l’espoir ou de la crainte, ou encore dans le
cas du vouloir, etc. C’est immédiatement que chaque cogito de cette
sorte a pris sa direction vers les objets de l’expérience, vers les valeurs
et les non-valeurs, vers les buts et les moyens, etc. Mais tout cogito
comporte une réflexion, compte tenu d un changement d attitude,
sur son cogitatum qua cogitatum, sur son objectite intentionnelle en tant que
telle. Par ce terme de réflexion on peut entendre une réflexion doxique,
mais éventuellement aussi une reflexion correspondante de 1 affecti¬
vité et de l’effort tendant vers un but.
Si nous nous arrêtons à la réflexion doxique qui peut accompagner
la réflexion dans chaque cas, alors nous voyons qu’en elle vient à
être posé quelque chose de nouveau, le sens correspondant à chaque
cas (au cas de la perception (a), au cas de la sphère des valeurs, au
cas de la sphère pratique, etc.) c’est-à-dire Yintentionné en tant que tel.

(a) Déjà dans les Logische Untersuchungen ce concept général rapporté à


toutes les sphères intentionnelles fait son apparition. La « Denkpsychologie » de
notre époque a pris possession de ce concept, malheureusement sans prendre en
considération les analyses intentionnelles plus profondes, en particulier aussi les
analyses de mes Ideen (ci. pp. 256 sq.) qui vont beaucoup plus loin.
184 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

Dans tous les cas est valable aussi le fait que le sens considéré doit devenir
thématique pour que la « critique » puisse s'installer. Tous les « actes » par
excellence, à savoir tous les vécus intentionnels qui effectuent des « posi¬
tions » (positions au sens strict, thèses, prises de position), sont soumis
à une critique de la « raison » et à chaque genre de telles positions appar¬
ié21] tient une évidence propre (a) qui peut être transformée, selon une loi
d’essence, en une évidence doxique. En conséquence la synthèse iden-
tificatrice de la sphère du jugement a, elle aussi, ses analogues dans
les synthèses identificatrices des autres sphères positionnelles. Par¬
tout les thèmes immédiats (le mot étant donc maintenant pris dans un
sens très large rapporté à tous les genres de positionnalité) subissent,
avec cette réflexion, une modification.
Nous parlions de la conversion possible de toute évidence en une
evidence doxique. D’une manière plus générale il faudrait dire ici :
tous les sens extra-doxiques, dans une thématisation doxique à tout
moment possible, peuvent entrer dans la sphère doxique et en parti¬
culier dans la sphère apophantique. C’est une situation semblable à
celle-ci : tout jugement modalisé peut prendre la forme d’un juge¬
ment-certitude, d’un jugement au sens normal du terme. Dans l’état-
des-choses du jugement interviennent alors le possible, le pro¬
bable, etc.; il en va de même pour le beau et le bien. Ainsi la logique
formelle de la certitude peut-elle s’enrichir des diverses formes de
modalités, mais elle peut aussi en une certaine manière accueillir les
modalités de l’affectivité.
Ces considérations laissent prévoir que même les sphères d’actes
extra-doxiques admettent une considération formelle. Cela a une
signification importante puisque s’ouvre la possibilité d’élargir l’idée
de logique formelle pour constituer une axiologie et une «pratique »formelles.

(a) 1/évidence affective a été pour la première fois mise en relief par F. Bren-
tano ; cf. dans son exposé : Von Ursprung sittlicher Erkenntnis (réédité par O. Kraus,
Feipzig, 1921) les développements sur 1’ « amour juste et caractérisé comme juste »
(p. 17).
APOPHANTIOUE EN TANT QUE DOCTRINE 185

Il se développe alors, pour ainsi dire, une logique formelle des valeurs,
des biens. Toute sphère positionnelle a ses catégories « syntaxiques »,
a ses modalités fondamentales propres du « quelque chose » et les
formes dérivées de celles-ci et en conséquence toute sphère posi¬
tionnelle a sa « logique formelle », son « analytique » (a).

§ 51. La pure logique de la conséquence

EN TANT QUE DOCTRINE PURE DU SENS (i)

La décomposition en logique de la conséquence


ET EN LOGIQUE DE LA VÉRITÉ

VAUT AUSSI POUR LA DOCTRINE DE LA MULTIPLICITÉ


EN TANT QUE NIVEAU LE PLUS ÉLEVÉ DE LA LOGIQUE

Si nous nous limitons maintenant à nouveau à la sphère du juge¬


ment en tant que domaine des sens apophantiques — y inclus tous
les sens catégoriaux — alors la pure analytique formelle doit être consi-
[122] dérée comme une théorie systématique autonome dont la sphere thématique
est constituée exclusivement précisément par ces sens. Cela se produit quand
nous lions la clarification — acquise dans ces recherches — du
concept de jugement pris comme sens objectif prédicatif avec ce qu’on
a établi dans le chapitre premier à propos du sens et à propos de la
structure de la logique analytique; dans ce chapitre, il est vrai, le
niveau le plus élevé de l’analytique logique, c’est-à-dire la doctrine
des formes des théories déductives, n était pas encore entre dans

(1) Die pure Konsequenzlogik als reine Sinneslehre.


(a) Depuis le semestre d’été de 1902, dans des leçons et exercices de séminaires
spéciaux, mais aussi dans le cadre de leçons de logique et d éthique, j ai essayé d éla¬
borer systématiquement l’idée d’une axiologie et d’une « pratique » formelles. Il
faut bien dire que tous les développements ayant un sens analogue qui sont inter¬
venus depuis dans la littérature philosophique, avant tout très directement l’axio-
matique des valeurs de Th. Qessing, se reportent à ces leçons et à ces exercices de
séminaire, quelque importantes qu’aient été les modifications qu’ont subies les
pensées communiquées.
186 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

notre horizon. Une théorie systématique pure de la région du sens


— dans son acception stricte, dans son acception propre — est
constituée par l’analytique uniquement si l’on considère les deux
premières couches : la morphologie pure des sens (ou significations)
et Y analytique pure de la non-contradiction. Du fait que cette dernière
est fondée dans la morphologie, elle forme une discipline logique qui
a une autonomie uniquement si elle est unie à celle-ci; et comprise
ainsi elle est la science universelle et pure des sens apophantiques qui
ne contient rien qui dépasse l’essence propre de ces sens. Sont exclues
de son thème toutes les questions relatives à la vérité car justement
celles-ci, avec le prédicat « vrai » (et avec toutes ses variantes), dépasse
Va priori de la sphère du sens, comme le montre la signification de ce
prédicat qui repose sur l’adéquation.
Au moyen des expositions plus étendues que nous avons effec¬
tuées ci-dessus pour clarifier ces problèmes, il est compréhensible
que dans l’achèvement de l’analytique en doctrine des formes systé¬
matiques des théories (corrélativement des multiplicités mathéma¬
tiques) et donc dans l’achèvement de l’analytique en une mathesis
universalis complète, devra rester valable tout ce que nous avons
prouvé pour les niveaux inférieurs : tout d’abord donc la stratifica¬
tion de la mathesis qui se décompose en une mathesis pure de la non-
contradiction et une mathesis de la vérité possible et ensuite l’interpréta¬
tion de la première comme mathesis des sens purs. Car si nous saisissons
n’importe quelle forme de théories, systématique, déterminée — ou,
pour parler corrélativement, n’importe quelle multiplicité mathéma¬
tique déterminée — telle qu’elle a été construite a priori (par exemple
la forme : géométrie euclidienne ou corrélativement multiplicité eucli¬
dienne), alors, dans le domaine où s’applique cette forme prise comme
concept général, sont pensées comme individualités singulières,
quoique avec une indétermination complète, des multiplicités singu-
[123] hères (si nous reprenons notre exemple : de simples multiplicités de
forme euclidienne). Et elles sont pensées comme construites entière-
APOPHANTIOUE EN TANT OUE DOCTRINE 187

ment à T aide de formations catégoriales qui toutes donc, si l’on consi¬


dère leur forme syntaxique, sont incluses dans la sphère de la logique
apophantique — y compris la multiplicité totale elle-même dont il
est question. La matbesis universalis entière est donc analytique des
entités catégoriales possibles, elle est donc théorie de leurs formes
essentielles et de leurs lois essentielles.
Portons maintenant notre attention sur le fait que la doctrine de
la multiplicité n’a absolument pas de motifs impérieux pour inclure dans
son thème les questions de vérité possible pour ses formes de théories ni
corrélativement les questions de réalité possible (d’être vrai possible)
de multiplicités singulières quelconques qui sont sous la dépendance de
ses idées formelles de multiplicité. De façon équivalente, on peut
dire que le mathématicien en tant que tel n’a absolument pas besoin de
se soucier du fait qu’il y a réellement des multiplicités ayant une
« réalité » concrète (il n’a pas besoin par exemple d’envisager comme
multiplicité euclidienne quelque chose comme une nature connais¬
sable mathématiquement ou un domaine comme celui des configu¬
rations spatiales), il n’a même pas à se soucier qu’il puisse y avoir
de telles multiplicités concrètes, qu’elles soient concevables avec une
teneur concrète quelconque. Le mathématicien n'a donc pas besoin de la
pré supposition de multiplicités possibles au sens de multiplicités pou¬
vant exister concrètement et il peut — en tant que mathématicien
« pur » — concevoir ses concepts de telle sorte que de telles possibi¬
lités ne soient absolument pas pensées comme étant de leur ressort.

§ 52. Mathesis pur a proprement logique


et mathesis pura extra-logique

La « MATHÉMATIQUE DES MATHÉMATICIENS »

Il faut reconnaître que, comme pour le niveau inférieur de l’ana¬


lytique logique, de même pour ce niveau supérieur et finalement
pour l’analytique dans son extension complète — la mathesis uni-
188 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

ver salis — on perd l’essentiel de son sens proprement logique, de son


sens épistémologique, quand on adopte cette conception du mathé¬
maticien en tant que tel. Car la logique en effet (et même là où elle
veut être simple logique formelle) veut être rapportée à des domaines
possibles et à leur connaissance possible, à des théories systématiques
possibles; elle veut établir à l’avance pour ces domaines et ces théories
des lois essentielles de possibilité et cela à titre de normes. Quand dans
cet effort elle tombe sur le fait que déjà dans la forme des « jugements »
elle-même peuvent être mises en évidence des conditions de vérité
possible, des conditions pour que des théories existent vraiment et
que des domaines de connaissance soient susceptibles de théoréti-
sation, alors bien entendu elle n’abandonne pas son sens spécifique¬
ment logique. Mais elle fait peut-être un pas vers cet abandon quand
[124] elle s’aperçoit de sa stratification essentielle en analytique de la non-
contradiction et en analytique de la vérité possible et donc quand :
i° Elle reconnaît que les jugements pris purement comme sens (et y
compris toutes les objectités prises purement comme sens objectifs)
ont une légalité formelle autonome et, au niveau de la « distinction »,
une légalité de la conséquence, de la non-conséquence, de la non-
contradiction, légalité qui en soi ne dit encore rien d’un être possible des
objectités correspondant aux jugements et ne dit rien non plus de
la vérité possible de ces jugements eux-mêmes.
20 Quand en liaison avec ce qui précède elle reconnaît que d’une
manière évidente les lois de la non-contradiction prennent indirectement
la valeur de lois logiques, des lois de la vérité possible qui sont les pre¬
mières de toutes et les plus générales — et cela dès que l’on s’enquiert
des lois essentielles de la possibilité de l’être vrai et de la vérité pos¬
sible et qu’alors les sens (les jugements purs) sont pensés comme
rapportés à de telles possibilités, ces dernières donc étant ainsi éga¬
lement présupposées.
Si l’on a posé cela clairement, alors on peut établir une science
entière qui, dégagée de tout dessein spécifiquement logique, ne
ATOTHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 189

recherche et ne veut rechercher rien de plus que le domaine universel


des sens apophantiques purs. Dans une telle exclusion conséquente
des questions touchant la vérité possible et des concepts de la vérité
eux-mêmes, il ressort que l’on n’a alors, à proprement parler, rien
perdu de toute cette mathesis logique mais qu’on la possède encore
absolument comme mathématique « purement » formelle. Cette pureté
dans la limitation thématique aux sens objectifs pris dans leur carac¬
tère essentiel propre — aux « jugements » au sens élargi — peut
aussi en quelque sorte se manifester inconsciemment, à savoir par le
fait que le mathématicien, comme cela s’est produit de tout temps
dans l’analyse mathématique, s’abstient de poser des questions
touchant la réalité possible de multiplicités, s’abstient de s’enquérir
des conditions de la réalité possible de ces multiplicités en se basant
sur la simple forme des sens, comme le fait au contraire tradition¬
nellement la logique apophantique. Un reste de non-pureté peut bien
persister dans la mesure où les formes de multiplicités construites
mathématiquement sont pensées en même temps en règle générale
comme des réalités possibles de cette sorte : pourvu que cette pensée,
comme il en a toujours été de fait, n’exerce jamais un rôle quelconque
dans la mathématique même. Ainsi il va de soi que pour une mathéma¬
tique formelle «pure » (consciemment ou non) il ne peut y avoir d autre
[125] souci de connaissance que celui de la « non-contradiction », que celui de
la conséquence (et de la non-conséquence) analytique, immédiate ou médiate,
souci de connaissance auquel se rattachent manifestement toutes les
questions de 1’ « existence » mathématique.
Il en est certes autrement pour le logicien qui, dans une orientation
épistémologique, même s’il pénètre jusqu’à la mathesis universalis
en élargissant d’une manière conséquente les perspectives étroites
traditionnelles (comme je l’ai fait moi-même dans les Eogische Unter-
suchungen), n’en viendra pas facilement à 1 idée d effectuer cette réduc¬
tion à une analytique des sens purs; et par conséquent le logicien
n’atteindra à la mathématique que comme à une logique élargie, qui
190 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

est donc rapportée essentiellement aux domaines d’objets et aux


théories possibles. Philosophiquement il est ici besoin de la plus
complète conscience et de la connaissance radicale des démarcations
à effectuer. Il ne suffit pas du tout d’interpréter ni de se demander ce
que le mathématicien de métier peut penser et présumer. On doit
voir qu’une mathématique formelle, au sens de cette pureté obtenue par
réduction, a son droit propre et que pour la mathématique il n’existe
en tout cas aucune nécessité à sortir de cette pureté. Mais en même
temps c’est un grand progrès d’intelligence philosophique que de
comprendre que la mathesis logique (la logique formelle amenée à
une complétude conforme à son essence) réduite et limitée à une
pure analytique de la non-contradiction a pour sens essentiel d’être
une science qui, en vertu de son a priori essentiellement propre, n’a
affaire à rien d’autre qu’aux sens apophantiques, c’est un grand pro¬
grès que de comprendre que finalement est de ce fait clarifié d’une
manière principielle le sens spécifique de la « mathématique formelle »,
de la mathématique à qui reste étrangère toute intention proprement
logique, c’est-à-dire épistémologique — de la mathématique des
mathématiciens. Voilà la seule distinction légitime entre logique formelle
et simple mathématique formelle.

§ 53. Éclaircissements effectués sur l’exemple


DE LA MULTIPLICITÉ EUCLIDIENNE

Il pourrait être utile, étant donnée l’importance de la chose,


d’ajouter encore quelques éclaircissements touchant la manière dont
la doctrine de la multiplicité est réduite à une doctrine pure du sens.
La doctrine de la multiplicité s’offre au logicien, disions-nous,
tout d’abord comme une science des types formels — qui doivent
être construits a priori —• de multiplicités possibles (ou corrélati-
[126] vement des types formels de sciences déductives possibles, de théories
systématiques possibles) qui sont susceptibles de vérité. Voici alors,
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 191

exposé sur un cas particulier, ce que produit la réduction à la pureté :


« Multiplicité euclidienne » (attachons-nous à cet exemple facile à
concevoir) signifiait tout d’abord une forme pour des sciences
déductives possibles conçues comme systèmes possibles de propo¬
sitions vraies dont on a un exemple avec la géométrie euclidienne
de l’espace qui est prise alors comme une possibilité à côté d’une
infinité ouverte d’autres sciences déductives possibles qui ont cette
même forme catégoriale. La réduction qui enlève toute référence à la
présupposition de vérités possibles nous livre une forme (prenons
toujours la forme de la « multiplicité euclidienne ») qui est conçue
comme celle d’un système de propositions (jugements) possibles prises
purement en tant que sens ; et il s’agit de propositions qui doivent être
effectuées dans l’évidence de la distinction — purement en tant que
jugements — non seulement séparément mais en tant que formant un
tout systématique, il s’agit de propositions qui en un mot forment un
système autonome de la conséquence pure (de la « non-contradic¬
tion ») : la forme euclidienne a donc, comme étant de son ressort, non
plus des sciences déductives rapportées à des domaines pouvant exister,
mais des systèmes non-contradictoires de jugements. Et cette forme carac¬
térise une loi formelle : tout groupe de jugements qui doit être
subsumé sous le groupe des formes des axiomes euclidiens est
formé de jugements compatibles a priori d’une manière non-contra¬
dictoire; et a priori toutes les conséquences dérivables de ces formes
d’axiomes en vertu des principes (des axiomes authentiques) de
l’analytique (de niveau inférieur) de la non-contradiction sont compa¬
tibles et solidaires avec les propositions de départ; elles forment un
système non-contradictoire et elles forment un système « défini »
si nous pouvons prouver que le système euclidien des axiomes est
un système « défini » (a).

(a) Manifestement derrière tout cela se tient la loi fondamentale primitive de


l’analytique de la conséquence pure : deux jugements (au sens le plus large) qui
résultent, en tant que conséquences, d’un jugement ayant une muté harmonique,
192 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

Comme corrélât d’une théorie systématique possible nous avons


une multiplicité possible, un domaine possible d’objets qui a subi la
théorétisation systématique de cette théorie. Au lieu de cela, après
que cette possibilité a été mise hors de jeu, il se présente alors une
[127] multiplicité non pas d’objets purs et simples, mais d’objets présumés
en tant que présumés, donc de sens objectifs qui sont des sens-substrat s
propres à fonctionner dans un système de jugements d’une manière concordante
en tant que substrats des prédications. Mais les sens-substrats ne
sont que des sens objectifs fondamentaux de la théorie qui elle-
même est réduite à la pure théorie-en-tant-que-sens. Elle-même, dans
tous ses jugements simples ou complexes et dans toutes les impo¬
sitions catégoriales de formes qui y interviennent, elle est, après la
réduction présente, « objectité intentionnée en tant qu’intentionnée »,
elle est sens objectif ou jugement au sens élargi; il s’agit seulement
alors de formes catégoriales de niveau plus élevé que celui qui convient
aux sens-substrats.
Il n’est certes pas besoin de répéter expressément pour l’analy¬
tique élargie en mathesis pure ce qui a été dit déjà pour l’analytique
du niveau inférieur. La mathesis pure en tant que science a en vue
naturellement des vérités concernant son domaine, donc des vérités
sur les sens et le rapport de ceux-ci à la conséquence. Mais si l’on
s’en tient à cette pureté de la mathesis, on voit que les lois de la
vérité (de la justesse, de l’être vrai possible en tant que tel, etc.)
appartiennent tout aussi peu au domaine de la mathesis pure qu’aux

sont compatibles dans l’unité d’un seul jugement, ils peuvent être « multipliés ».
I*a « multiplication » dans le « calcul logique » ne signifie rien d’autre que cette opé¬
ration de la liaison conjonctive de jugements pensés en soi comme non-contradic¬
toires pour aboutir à un jugement unique. I,a loi opératoire correspondante (de sens
itérable) est une loi fondamentale qui énonce qu’a priori tout jugement (le jugement
distinct, le jugement en soi non-contradictoire) est compatible avec tout autre juge¬
ment et forme avec ce dernier un jugement également distinct. « Validité des juge¬
ments » veut dire dans la sphère de la conséquence leur unité harmonique en soi,
la possibilité qu’on a de les effectuer d’une manière distincte, à savoir la possibilité
qu’on a de se transporter par la pensée dans une telle efïectuation.
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE

domaines des autres sciences, la logique proprement dite exceptée.


La vérité appartient aux prédicats « purement » mathématiques tout
aussi peu qu’aux prédicats de la nature dont la recherche constitue
le thème des sciences de la nature.

§ 54. Conclusion : établissement du rapport


ENTRE LOGIQUE FORMELLE ET ONTOLOGIE FORMELLE

a) Position de la question
L’idée de mathesis universalis en tant que science des sens apophan-
tiques de tous les niveaux catégoriaux, nous l’avions séparée, dans
nos dernières réflexions, de tous les intérêts logiques, pour la saisir
tout à fait purement dans son caractère propre. Maintenant, mettons
en jeu à nouveau ces intérêts logiques.
La mathématique se trouve donc située à nouveau à l’intérieur
de la doctrine de la science, elle exerce dans cette doctrine les fonc¬
tions de la critique et ses doctrines prennent donc elles-mêmes ce
sens fonctionnel. Les lois de la relation entre non-contradiction et
vérité sont énoncées de prime abord et ensuite on introduit, comme
il est licite de le faire conformément à ces lois, les concepts du
domaine de la vérité (jugement prédicatif vrai, objet-substrat existant
vraiment, prédicat vrai, multiplicité vraie, etc.). Les lois de la consé¬
quence et de la non-contradiction deviennent des lois de la vérité
[128] matérielle possible. Bien que dans ces lois les contenus matériels
(les noyaux) restent des indéterminés, ils sont maintenant pensés
dans cette généralité comme rapportés pourtant à une objectité
possible. La vérité possible en tant que justesse veut dire en effet
possibilité de l’adéquation aux choses possibles elles-mêmes. Ainsi
par exemple dans les lois formelles de la justesse possible des juge¬
ments prédicatifs sont incluses eo ipso les lois de la possibilité des
états des choses. Ainsi donc le système mathématique de la logique
en entier acquiert une relation à l’objectité possible en général.

E. HUSSERL 13
194 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

Nous posons maintenant la question : d'après cela la logique for¬


melle doit-elle être considérée comme ontologie formelle et pourquoi cela ne
vaut-il pas en tout cas pour l’analytique de la simple non-contra¬
diction, bien qu’elle aussi cependant soit rapportée à des jugements
en général et par ce moyen au quelque-chose-en-général ?

b) Le double sens corrélatif de la logique formelle


Parler tout bonnement de quelque chose, d’un objet quelconque
ou d’objets en général, cela signifie normalement parler de ces objets
en tant que réalités ou possibilités et, dans le cas du « en général »
apriorique, cela signifie parler de possibilités éidétiques en tant que
possibilités imaginables dans une liberté complète de l’imagination.
Si nous nommons ontologie formelle une science apriorique d’objets
en général, cela veut dire sans plus une science apriorique T objets
possibles pris purement en tant que tels. Naturellement font partie du
domaine thématique de cette science apriorique toutes les variantes
catégoriales de « objet en général » qu’il est possible de concevoir.
On aurait affaire à une ontologie non formelle avec n’importe quelle
autre science apriorique, elle serait une ontologie à l’égard de son
domaine objectif en tant que domaine particulier d’objectités pos¬
sibles.
En conséquence nous devons dire : la mathématique pure de la
non-contradiction dont nous avons parlé, du fait de sa séparation d’avec
la logique épistémologique, ne mérite pas le nom d'ontologie formelle.
Elle est une ontologie des jugements purs en tant que sens, bien entendu
une ontologie des formes des sens non-contradictoires et, ainsi
compris, possibles : possibles dans l’évidence de la distinction. A
tout objet possible correspond son sens objectif. Toute forme du
sens d’objets possibles s’offre naturellement sous les formes possibles
du sens tel qu’on le rencontre dans la mathématique « extra-logique ».
Mais cette possibilité d’une forme du sens ne contient rien, prise
en soi, de la possibilité d’objets ayant un sens correspondant à cette
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 195

forme du sens; d’ailleurs cette correspondance elle-même conduit


au delà de la pure sphère du sens.
[129] Dès que nous faisons entrer en ligne de compte cette correspon¬
dance et que nous mettons en relation les deux possibilités : les sens
objectifs non-contradictoires et les objets possibles eux-mêmes,
donc dès que nous soulevons les questions de la justesse possible,
nous nous tenons à l’intérieur de la logique proprement dite et aus¬
sitôt en elle la mathématique des jugements conçus comme sens
prend dans sa totalité une signification ontologico-formelle... et
pourtant nous ne pouvons pas encore sans plus prétendre qu’elle est ontologie
formelle.
Réfléchissons. L’analytique formelle en tant que logique formelle
de la vérité possible a, comme nous l’avons développé, une orien¬
tation critique. C’est précisément pour cette raison que son thème est
constitué par le domaine total des jugements (toujours y compris la
totalité des sens catégoriaux) sous le point de vue de l’adéquation
possible. Mais aussi longtemps que les jugements sont considérés
comme les thèmes exclusifs, même si c’est en y faisant entrer les objectités
possibles correspondantes en conformité avec lesquelles ces juge¬
ments pourraient recevoir les prédicats de la « justesse » de la vérité,
nous ne sommes pas encore à proprement parler dans l’orientation onto¬
logico-formelle. Cependant, de même que dans les sciences, l’orientation
critique constamment renouvelée et donc l’orientation vers les
jugements est seulement un moyen pour servir l’intérêt primaire
attaché aux choses mêmes, telles qu’elles sont en vérité, il en est de
même pour la logique qui ne perd pas de vue sa vocation épistémo¬
logique. Selon son sens final elle est alors non pas logique apophantique
formelle pure mais logique ontologico-formelle. Une apophantique peut
certes, purement en tant que telle, être poursuivie dans une attitude
stable, exclusivement thématique, orientée vers les jugements en
tant que sens et vers les possibilités de leur adéquation et on peut
dire que cette tendance s’est exercée dans le développement histo-
196 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

rique de la logique. Mais le sens profond — et adapté à la tâche d'une


doctrine de la science — de l’analytique formelle c’est d’être science des
formes catégoriales possibles dans lesquelles les objédité s-substrat s doivent
pouvoir exister avec vérité.
L’obj édité formée catégorialement, c’est un concept qui est non pas
apophantique mais ontologique. Assurément c’est l’essence d’une telle
objectité de n’être rien d’autre qu’un jugement rempli ayant la forme
du sens qui lui correspond. Si celui qui juge passe, dans son orien¬
tation objective, à la possession évidente des choses elles-mêmes,
alors l’essence de cette synthèse de remplissement implique qu’elle
est synthèse de coïncidence. Nous disons, en effet, et avec évidence
(tandis qu’en faisant retour sur cette synthèse nous nous exprimons
[130] sur elle) que justement cela même que je venais de penser et que je
pense encore est donné « lui-même ». Prenons le cas idéal. Quand
les remplissements ont une perfection idéale, les objectités-substrats
avec toutes leurs mises en formes catégoriales sont données « elles-
mêmes » au sens le plus strict, l’évidence les réalise et les saisit elles-
mêmes telles qu’elles sont en vérité (a). Grâce à la coïncidence
évidente avec les simples jugements-opinions, donc avec les substrats
intentionnés dans les formes catégoriales intentionnées, il est évi¬
dent que c’est bien dans T objectité existant avec vérité que réside le
jugement-opinion, avec cette réserve qu’ici le jugement-opinion est
saturé de plénitude de connaissance.
C’est précisément pour cette raison que nous avons le double
sens d’« évidence » — que nous avons déjà mis en relief auparavant —
parallèlement au double sens de « jugement ». Dans l’un des deux sens,

(a) I/évidence réalise les objectités-substrats naturellement de façon progressive


selon la hiérarchie qui convient à leur sens, donc dans une suite hiérarchisée d’évi¬
dences fondées les unes sur les autres qui dans leur unité synthétique constituent
précisément l’évidence une d’une objectité catégoriale une, construite de telle et
telle façon ; on possède ainsi d'une manière unitaire les objectités-substrats « elles-
mêmes » qui viennent à la réalisation.
APOPHANTIQUE EN TANT OUE DOCTRINE *97

évidence a l’exacte signification de : état des choses existant vraiment


sous le mode du donné lui-même (objectité-substrat existant vrai¬
ment dans les propriétés existant vraiment, dans les relations existant
vraiment, etc.). Dans le second sens corrélatif, « évidence » signifie
la donnée de la justesse elle-même du jugement-opinion en vertu
de la conformité de ce jugement-opinion à l’évidence au premier
sens, donc à l’objectité catégoriale donnée « elle-même ». En tant
qu’êtres jugeant avec un intérêt de connaissance, nous n’avons pas,
comme nous l’avons déjà développé, d’autres objectités que les
objectités formées catégorialement et cela n’a aucun sens de vouloir
ici quelque chose d’autre. La nature existant vraiment, la socialité
ou la culture existant vraiment, etc., cela n’a absolument pas d’autre
sens que celui d’une certaine objectité catégoriale et c’est le dessein
intégral de la science que de pénétrer, avec une méthode scientifique,
jusqu’à cette objectité, en l’engendrant en suivant cette méthode.
On ne peut pas nous opposer ici la métaphysique. Si la méta¬
physique est un mot qui désigne une science et non pas des pensees
et des expressions confuses, alors il n’y a pas de problèmes rationnels.
Tune signification formelle et Tune signification réelle du logique (a). Si
par exemple la science de la nature ne nous satisfait pas, cela peut
signifier seulement (si le droit de ses évidences, donc la perfection
avec laquelle elle a les choses elles-mêmes, restent incontestés, donc
si cette science elle-même reste incontestée) que la science ainsi carac-
[131] térisée est d’une manière quelconque unilatérale et que, en ce qui
concerne son domaine, sont nécessaires encore d’autres connais¬
sances... sont nécessaires de nouvelles formations catégoriales en
relation avec la même sphère de substrats, formations qui doivent
être posées comme buts de la mise en relief méthodique des évidences
correspondantes. Au lieu de sciences ayant une telle détermination

(a) Cf. la critique de la fausse problématique de I*otze dans la VIe Recherche


ogique, 3® éd., pp. 199 sq.
198 STRUCTURES DE LA LOGIQUE FORMELLE

concrète, prenons la logique formelle : elle est logique ontologico-


formelle si elle prend consciemment pour thème final les formes
possibles des objectités catégoriales (et non pas les sens objectifs
correspondants). On a de cela un cas particulier quand la logique
étudie ces entités catégoriales qui constituent la forme d’une théorie
déductive : alors la théorie est comprise non pas comme un système
de jugements mais comme un système d’états des choses possibles
et elle est comprise en son tout comme une unité, ayant reçu une
forme insigne, d’une objectité catégoriale.
Le double sens corrélatif d’« évidence » et de « vérité » que nous
avons mis en lumière implique aussi manifestement un double sens
corrélatif de « logique formelle » : en partant de Y orientation traditionnelle
vers les jugements en tant qu’opinions apophantiques, donc en privi¬
légiant l’orientation de la critique, nous obtenons une logique apophan-
tique qui, pleinement élargie du côté des formes catégoriales des
sens apophantiques de façon à comprendre même les formes apophan¬
tiques des théories en tant que sens, atteint la mathesis universalis. Si
nous privilégions Y orientation vers les objectités catégoriales possibles elles-
mêmes ou plutôt vers leurs formes, alors de prime abord et d’une
manière conséquente nous mettons en mouvement une logique onto-
logico-formelle mais qui, comme il va de soi, sera cependant astreinte,
pour des raisons de méthode, à prendre pour objets les jugements en
tant que sens, quoique seulement comme moyens, tandis que le
dessein final concerne les objets.

c) L’idée d'ontologie formelle peut être séparée de l'idée de doctrine de la science

Après cette étude nous pouvons tenir pour parfaitement clarifié


le double sens de la logique et celui des deux orientations corres¬
pondant aux deux faces de la logique. Naturellement de telles clari¬
fications sont pour le mathématicien assez indifférentes. Dans sa
positivité, vivant entièrement dans le but de découvrir des résultats
théoriques nouveaux, il n’a pas le moindre intérêt pour des modifi-
APOPHANTIQUE EN TANT QUE DOCTRINE 199

cations d’orientation qui changent l’équivalent en équivalent. Si 1 on


passe d’une chose à une autre par une corrélation évidente, on
obtient, à son sens, « la même chose ». Mais le logicien qui ne regrette
pas l’absence de telles clarifications ou qui les déclare indifférentes
n’est pas en tout cas un philosophe, car il s’agit ici d'évidences structu¬
relles principielles dans une logique formelle. Manifestement, si 1 on
n’a pas atteint la clarté sur le sens principiel de la logique formelle,
on ne peut pas non plus toucher aux grandes questions qui doivent
être posées, à l’intérieur de l’idée d’une philosophie universelle, en
ce qui concerne la logique et sa fonction philosophique.
En conclusion remarquons encore que l’ontologie formelle peut
être posée comme tâche, également de prime abord, directement, sans qu’on
parte de l’idée d’une doctrine de la science. Sa question est alors : que peut-on
énoncer à l’intérieur de la région du vide : objet-en-général ? C est
purement a priori que, dans cette généralité formelle, on a a sa dispo¬
sition les mises en forme syntaxiques par lesquelles des entites
catégoriales toujours nouvelles peuvent être pensées comme engen¬
drées à partir d’objets quelconques (à partir du quelque-chose-en-
général) pensés comme pouvant être donnés préalablement. On en
viendra alors à distinguer des productions possibles qui fournissent
des opinions simplement distinctes mais qui en tant que contra¬
dictoires ne peuvent conduire à des objets possibles eux-mêmes etc.
Manifestement alors se développe la mathesis formelle entière. Mais
après coup nous pouvons nous rendre claire à tout moment la signi¬
fication épistémologique de cette ontologie, car, en effet, chaque
science, pour son domaine, vise à 1’ « être vrai », donc aux entites
catégoriales dont les formes, si cette science est science authentique,
doivent relever des formes possibles de l’ontologie formelle.
DEUXIÈME SECTION

DE LA LOGIQUE FORMELLE
A LA LOGIQUE
TRANSCENDANTALE
[13 3 J Chapitre Premier

PSYCHOLOGISME
ET FONDATION TRANSCENDANTALE
DE LA LOGIQUE

§ 55. Avec l’établissement de la logique


EN TANT QUE LOGIQUE FORMELLE ET OBJECTIVE
A-T-ON SATISFAIT DEJA A L’IDÉE D’UNE DOCTRINE DE LA SCIENCE
MÊME UNIQUEMENT FORMELLE ?

Dans la première section de notre étude nous avons déployé le


sens qui avait été tracé à la logique formelle traditionnelle par 1 ana¬
lytique aristotélicienne. La logique formelle s est presentee à nous
comme une science complètement autonome. Nous avons éclairci
la nette délimitation essentielle de son domaine ainsi que la strati¬
fication des disciplines qui sont liées a priori en elle du fait qu’elles
sont fondées les unes sur les autres. Nous avons appris à comprendre
également ses thématiques corrélatives — et par là équivalentes —-
en tant qu’elle est apophantique formelle et ontologie formelle, ce qui
nous autorise à parler d’une seule logique, à la réserve près que cette
logique unique doit être maniée selon deux orientations.
Il pourrait sembler maintenant que nous en ayons fini avec cette
logique en tant que philosophes et que nous puissions abandonner
son organisation théorique aux mathématiciens qui 1 ont d ailleurs
déjà mise en œuvre, sans se soucier des exigences philosophiques de
204 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

la connaissance. Par suite, il pourrait donc sembler que si, toujours


en tant que logiciens, nous avions à nous poser des tâches, il pourrait
s’agir simplement d’une extension de l’idée de logique. L’idée qui
nous dirigeait au début était celle d’une doctrine apriorique univer¬
selle de la science. Elle devait traiter du caractère apriorique formel
— au sens le plus large — de toutes les sciences en tant que telles,
c’est-à-dire qu’elle devait traiter de ce qui les embrasse dans une géné¬
ralité apriorique, de ce à quoi elles restent nécessairement liées dans
la mesure toutefois où elles sont véritablement des sciences. En tout
cas la forme au sens de la logique analytique ou « formelle » est de ce
[134] type; toute science engendre des formations catégoriales et est sou¬
mise aux lois d’essence de leur forme.
On pourrait alors se demander si cette doctrine analytico-for-
melle de la science satisfait à l’idée d’une doctrine de la science, prise
en général ou si la doctrine analytico-formelle de la science ne doit
pas être complétée par une doctrine matérielle de la science. Le carac¬
tère propre de l’analytique déterminant son concept formel est certes
le suivant : l’analytique transforme les « noyaux » (les « matières de la
connaissance »), qui, dans les jugements et les connaissances possibles,
offrent une liaison avec une sphère déterminée d’objets, en noyaux
arbitraires, pensés seulement comme devant être maintenus dans
leur identité; elle transforme les noyaux en modes du quelque-chose-
en-général. Si dans ces noyaux maintenus dans une généralité vide
on laisse à nouveau affluer ce qui les remplit — non pas peut-être
pour obtenir un a priori matériel — cela peut-il avoir une signification
épistémologique universelle ?
Si nous déterminons le concept d'a priori analytique au moyen de
l’analytique formelle pure et conçue dans toute son extension (a),
alors vient en question un nouvel a priori, un a priori « synthétique »
ou, en s’exprimant d’une manière plus caractéristique, un a priori

(a) Ce qui, en tout cas, constitue im concept fondamental de l’analytique, ce


même concept qu’a délimité la 3e Recherche (Log. Uni., t. II, ire partie).
PSYCHOLOGISME 205

qui a trait aux « noyaux », un a priori matériel et plus précisément un


a priori matériel universel qui lie et réunit en une totalité tous les domaines
particuliers aprioriques et matériels. En d’autres termes, nous posons
la question suivante : tout existant pensé comme déterminé et déter¬
minable matériellement, de façon concrète, n’est-il pas par essence
un existant dans un univers d’’existence, dans un monde ? Comme
l’indique ce « par essence », tout existant possible n’appartient-il pas
à son univers possible d’existence; d’après cela tout a priori matériel
ne fait-il pas partie d’un a priori universel, précisément celui qui pres¬
crit à la matière la forme apriorique pour un univers possible de
l’existant ? Il semble donc que nous devrions maintenant nous
diriger vers une ontologie matérielle, vers une ontologie proprement
dite, par laquelle devrait être complétée l’ontologie uniquement
analytico-formelle.
Cependant, quelque tentés que nous soyons de suivre cette
démarche de pensée, nous ne devons pas suivre cette idée directrice
qui s’impose à nous nouvellement. Car la situation n’est pas telle que
nous en avons en fait déjà fini avec l'analytique formelle — nous, en tant
que logiciens philosophes et non pas en tant que techniciens mathé¬
maticiens — et que nous soyons donc sérieusement prêts à satisfaire
à l’idée téléologique d’une doctrine analytico-formelle de la science.
Cela, l’avons-nous parfaitement accompli avec les recherches que
nous avons poursuivies jusqu’ici ?

§ 56. Le reproche de psychologisme

s’adresse a toute considération des formations logiques


DIRIGÉE VERS LA SUBJECTIVITÉ

Partons de l’exigence de double orientation des recherches logi¬


ques, exigence que nous avions proposée dans nos Considérations
préliminaires (a) mais sans avoir alors clarifie suffisamment le sens de

(a) Cf. d-dessus, § 8.


206 logiques formelle et transcendantale

la thématique dirigée vers la subjectivité. Cette exigence avait été


exprimée comme une exigence tout à fait générale, donc également
comme une exigence valable pour la logique première en soi, la
logique analytique. Sont maintenant en question le sens et le droit de
cette thématique logique dirigée vers la subjectivité — ce qui revient à dire
que cette thématique ne prétendra pas avoir la signification d’une
discipline logique propre, d’une discipline qu’il faudrait séparer de
l’analytique dirigée vers l’objectivité idéale.
Mais ici on trouve dès le début l’épouvantail du psychologisme.
Contre l’exigence de recherches logiques dirigées vers la subjectivité,
en se réclamant du premier tome de mes Logische Untersuchungen
(ayant le titre caractéristique de Prolegomena •qur reinen Logik), on
élève l’objection que pourtant ce devrait être le résultat de ce premier
tome de bannir radicalement tout psychologisme du thème de la
logique, tout d’abord de la logique traditionnelle et ensuite de la
logique élargie jusqu’à la pleine mathesis universalis. L’empirisme
devenu prédominant (disons, d’après son origine historique, l’anti-
platonisme) était aveugle pour l’objectivité spécifique de toutes les
formations idéales; partout l’empirisme déforme la valeur de l’objec¬
tivité de ces formations par interprétation psychologiste et il les
transforme en actualités et en habitus psychiques. Il en est de même
pour ces objectités qui sont irréelles selon leur sens propre et qui,
en tant que propositions énonciatives, en tant que jugements, en tant
que vérités, en tant que conclusions, démonstrations, théories et en
tant qu’objectités catégoriales entrant, déjà formées, dans ces juge¬
ments, vérités, conclusions, etc., constituent le domaine thématique
de la logique. Les jugements dont parle la logique dans ses lois ne
sont pas des vécus du jugement (le juger), les vérités ne sont pas des
vécus de l’évidence, les démonstrations ne sont pas le démontrer du
psychisme subjectif, etc.
De même que la théorie des nombres cardinaux (elle-même incluse
dans la logique, comme nous le savons) a affaire comme relevant de
PSYCHOLOGISME 207

son domaine non pas aux vécus du colliger et du compter mais bien
aux nombres et de même que la théorie de l’ordre et des nombres
ordinaux a affaire non pas aux vécus de l’ordination mais bien aux
ordres eux-mêmes et à leurs formes, de même la syllogistique a tout
aussi peu affaire aux vécus psychiques du juger, du déduire, etc.
[136] La même chose vaut pour les autres sciences objectives. Personne ne
désignera comme domaine de la science de la nature, au lieu de la
nature elle-même, les vécus psychiques de l’expérience naturelle et
de la pensée concernant la nature. Là, ne s’affirmaient pas les tentatives
psychologistes auxquelles succomba presque généralement la logique
moderne. En conséquence, pour la logique aussi bien que pour
toute autre science objective (la psychologie humaine et la psycho¬
logie animale exceptées), toute thématique dirigée vers la subjectivité
semble donc exclue (thématique que le plus souvent on qualifiera
d’emblée de psychologique). Une telle thématique appartient préci¬
sément non pas au domaine de la logique mais à celui de la
psychologie.
Mais qu’en est-il alors de notre exigence d’inclusion dans la logique
des recherches tournées corrélativement vers la subjectivité ? N est-
elle pas sur le même plan que l’exigence correspondante pour toutes
les sciences ?
Déjà aussitôt après la parution des Logische Untersuchungen, on a
élevé le reproche que les études phénoménologiques qui s imposaient
là sous le titre de « clarification » des concepts fondamentaux pure¬
ment logiques et que le second tome tentait de mettre en relief en
les développant plus largement signifiaient une rechute dans le
psychologisme.
D’une manière étonnante on a considéré les Prolégomènes à me
logique pure comme surmontant absolument le psychologisme sans
faire attention qu’il n’y était nulle part question du psychologisme
tout court (en tant qu’erreur universelle de la théorie de la connais¬
sance) mais qu’il était question d’un psychologisme dans un sens tout a fait
208 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

particulier, précisément de la psychologisation des formations irréelles


de la signification qui constituent le thème de la logique. Le manque
de clarté — qui règne généralement encore aujourd’hui — sur ce
problème du psychologisme dans la philosophie de la connaissance
concernant le sens principiel de toute la philosophie transcendantale
(y compris la soi-disant théorie de la connaissance), je ne l’avais pas
moi-même encore complètement surmonté à cette époque, bien que,
justement, les études « phénoménologiques » du second tome, dans
la mesure où elles frayaient le chemin à une phénoménologie trans¬
cendantale, ouvraient les voies d’accès à la position et à la solution
radicale du problème du psychologisme transcendantal. Nous tente¬
rons plus loin ci-dessous d’effectuer les clarifications se rapportant
à ces problèmes (a).
Il est donc ici encore une fois tout à fait nécessaire de s’engager
davantage dans le problème particulier du psychologisme qu’avaient traité
ces Prolégomènes. Mais nous ne voulons pas nous inféoder aux exposés
d’alors qui ont besoin d’être améliorés sur des points particuliers;
nous voulons donner au problème une forme plus pure, le replacer
aussi dans des contextes plus généraux qui nous amènent à l’éclair¬
cissement du sens nécessaire d’une logique à « double » investigation,
une logique philosophique au sens authentique. Car notre dessein
[137] principal tend a montrer qu’une logique dirigée immédiatement vers
sa sphère thématique propre et dont l’activité est tournée exclusive¬
ment vers la connaissance de cette sphère reste enfoncée dans une
naïveté qui lui interdit le privilège philosophique de l’autocom-
préhension et de l’autolégitimation principielle ou, ce qui est la
même chose, le privilège de la scientificité la plus parfaite, privilège
pour la réalisation duquel la philosophie existe, et avant tout la
philosophie en tant que doctrine de la science.

(a) Cf. plus loin ci-dessous, chap. VI, en particulier § 99. Renvoyons aussi à
l’avance à des développements plus précis dans des publications qui suivront
bientôt.
PSYCHOLOGISME 209

§ 57. Psychologisme logique et idéalisme logique

a) Motifs qui déterminent ce psychologisme


Nous avons déjà parlé antérieurement (a) de la difficulté de séparer
de la subjectivité psychologique les formations psychiques qui
constituent le domaine thématique de la logique, de la difficulté donc
à considérer les jugements — mais alors aussi les ensembles et les
nombres, etc. — comme quelque chose d’autre que des événements
psychiques survenant dans l’être qui juge. Ce qui dans l’action de
jugement se développe en sujets et en prédicats, en propositions-
prémisses et en propositions-conclusions, etc., se présente donc
membre par membre dans le champ de conscience de celui qui juge.
Ce n’est pas quelque chose d’étranger au psychisme, ce n’est pas
comme un événement physique, comme une formation physique
résultant d’une action physique. C’est au contraire dans l’activité
psychique elle-même s’écoulant en tant que vécu de conscience,
non séparé de cette activité et non pas extérieurement mais intérieu¬
rement, que se présentent les membres de jugements et les jugements
pris en entier. Ceux qui sont fourvoyés par l’empirisme anglais
n’arrivent pas même à effectuer ici vraiment une séparation entre le
vécu du jugement et la formation elle-même se formant membre
par membre « dans » ce vécu. Ce qui vaut pour les actions de pensée
originellement productrices, cela vaut aussi pour les modes secon¬
daires du penser, ainsi pour les idées qui viennent à l’esprit confusé¬
ment et pour les autres types d’opinions « indistinctes »; il en est ainsi
également pour les modes de 1’ « affectivité » (modes parallèles à ceux
de la conscience rationnelle), et également pour leurs modes
secondaires correspondants. C’est dans la conscience confuse elle-
même et non pas à titre d’éléments extérieurs qu’apparaissent ces
pensées confuses. Comment donc, dans la logique, aurions-nous

(a) Cf. ci-dessus, § 10.

E. HUSSERL 14
210 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

dépassé le champ des « phénomènes psychiques », des « phénomènes


de l’expérience interne » ? En conséquence tous les data logiques
seraient des événements réels (i) de la sphère psychologique, qui,
selon la manière habituelle de voir, seraient déterminés univoquement
[138] en tant que tels dans l’enchaînement causal général du monde réel et
devraient être expliqués selon des lois causales.
Cependant, nous pouvons laisser hors de considération ce dernier
point. La chose principale est ici /’assimilation des formations de juge¬
ment (et ensuite naturellement de toutes les formations analogues
des actes de la raison pris en général) aux phénomènes de /’expérience
interne. Cette assimilation est fondée par le fait que les formations de
jugement font leur apparition d’une manière « interne » dans la
conscience même de l’acte. Ainsi donc les concepts, les jugements,
les déductions, les démonstrations, les théories seraient des événe¬
ments psychiques et la logique, comme l’avait dit J. St. Mill, serait
une « partie ou une branche de la psychologie ». C’est précisément
dans cette conception en apparence si évidente que réside le psycho¬
logisme logique.

b) Idéalité des formations logiques :


elles apparaissent dans la sphère psychique logique d'une manière irréelle

En opposition à cette thèse nous disons : c’est une évidence ori¬


ginelle que des jugements, des déductions, etc., formés dans des
actes répétés, semblables ou analogues, sont des jugements, des
conclusions, etc., qui ne sont pas simplement semblables ou ana¬
logues, mais qui sont identiques, ce sont numériquement les mêmes
jugements, conclusions, etc. Ils « font leur apparition » de façon
réitérée dans la sphère de la conscience. Les processus de pensée
formateurs sont temporellement — c’est-à-dire dans la temporalité
objective, si on les considère comme processus psychiques réels

(1) Reale.
PSYCHOLOGISME 21 I

d’hommes réels — différents et séparés, en tant que processus indi¬


viduels, extérieurs les uns aux autres. Mais il n’en est pas de même
pour les pensées pensées dans le penser. Assurément ce n’est pas
comme quelque chose d’ « extérieur » qu’elles font leur apparition
dans la conscience. Ce ne sont pas justement des objets réels,
des objets spatiaux, ce sont des formations psychiques irréelles
dont l’essence caractéristique exclut l’extension spatiale, la propriété
originelle d’être dans un lieu et de se mouvoir. Mais comme d’autres
formations psychiques elles admettent une incarnation physique,
ici l’incarnation au moyen des signes sensibles des mots et elles
acquièrent ainsi une existence spatiale secondaire (l’existence de la
proposition parlée ou écrite). Toute espèce d’irréalité dont l’idéalité
des significations et l’idéalité de l’essence générale ou de la species (a)
— idéalité qu’il faut disjoindre de la précédente — sont des cas
particuliers, a des modes de participation possible à la réalité. Mais
cela ne change rien à la séparation principielle entre réel et irréel.
Mais ici sont indispensables des clarifications plus profondes.
C’est par l’étude et la mise en parallèle des évidences du réel et de
l’irréel que la similarité générale des objectités — en tant qu’objec-
tités — deviendra compréhensible.

§ 58. Analogie de l’évidence des objets idéaux


tI39l
AVEC CELLE DES OBJETS INDIVIDUELS

L’évidence des objets irréels, idéaux au sens le plus large, est,


dans son effectuation, complètement analogue à celle de l’expérience
habituelle (à ce qu’on appelle l’expérience externe et l’expérience
interne) laquelle seule on juge capable — sans autre fondement que
celui d’un préjugé — de l’effectuation d’une objectivation originelle.
L’identité de quelque chose d’idéal (et donc son caractère d’objet)

(a) Mes Logische Studien qui vont paraître bientôt développent et fondent cette
distinction qui n’était pas encore faite dans les Prolégomènes.
212 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

doit être « vue » directement (et si l’on voulait prendre l’expression


dans son sens élargi de façon correspondante : doit être saisie direc¬
tement par l’expérience) d’une manière aussi originelle que lorsqu’on
a affaire à l’identité d’un objet habituel de l’expérience, par exemple
d’un objet de l’expérience naturelle ou d’un objet de l’expérience
immanente de data psychiques quelconques. Dans des expériences
répétées, d’abord déjà dans la modification continuelle de la per¬
ception instantanée en rétention et en protention, ensuite dans des
ressouvenirs possibles qui peuvent être répétés à volonté, dans la
synthèse de ces expériences se réalise la conscience du même et
cela en tant qu’ « expérience » de cette identité. Cette capacité ori¬
ginelle d’identification est impliquée comme corrélât essentiel par
le sens de tout objet de Y expérience par excellence, donc au sens habi¬
tuel qui se détermine par le fait même que l’on saisit et que l’on a
avec évidence un datum individuel « lui-même » (datum immanent ou réel).
De même nous disons que le sens d’un objet irréel implique la
capacité, qui lui est attachée, d’être identifié sur la base des modes
propres dans lesquels on saisit et on a cet objet « lui-même ». Quant
à l’effectuation, cette capacité d’identification est donc réellement
quelque chose de semblable à une « expérience », avec cette réserve
qu’un objet de cette sorte n est justement pas individualisé par une
temporalité qui lui appartient originellement (a).
La possibilité d’illusion appartient aussi à l’évidence de l’expérience
et ne supprime pas son caractère fondamental et son action, quoique
le fait de s’apercevoir d’une manière évidente de l’illusion « sup¬
prime » l’expérience ou l’évidence elles-mêmes qui sont en question.
C’est du fait de l’évidence d’une nouvelle expérience que l’expé¬
rience auparavant incontestée subit la modification de croyance que
constituent la supression, le biffage et c’est seulement ainsi que

(a) Des objectités irréelles peuvent très bien admettre une référence au temps
extérieure à l’essence aussi bien qu’une référence à l’espace et qu’une réalisation
non moins extérieures à l’essence.
PSYCHOLOGISME

l’expérience peut subir cette modification de croyance. L’évidence


de l’expérience est donc là toujours déjà présupposée. La « destruc¬
tion » (i) consciente d’une illusion, dans le caractère originel du
[140] « maintenant je vois que c’est une illusion », est elle-même un type
d’évidence, à savoir celui de la nullité de quelque chose saisi par
l’expérience ou corrélativement de la « suppression » de l’évidence
de l’expérience (évidence auparavant non modifiée). Cela vaut éga¬
lement pour toute espece d’évidence ou pour toute « expérience » au
sens élargi. Même une évidence se donnant comme apodictique
peut se révéler être une illusion et présuppose donc pour cela une
évidence analogue à laquelle elle se « brise ».

§ 59. Caractérisation générale de l’évidence


EN TANT QUE DONATION DES CHOSES ELLES-MÊMES

L’obstacle constant qui pourrait être ressenti au cours de cet


exposé tient uniquement à l’interprétation courante de l’évidence,
interprétation qui est un contre-sens fondamental et qui est occa¬
sionnée par le manque complet d’une analyse phénoménologique
sérieuse de l’action qui s’effectue d’une manière commune à travers
toutes les formes de l’évidence. Alors il arrive qu’on comprenne le
concept à! évidence au sens d'une apodicticite absolue, d’une garantie
absolue contre les illusions — d’une apodicticité qui d’une manière
tout à fait inconcevable est attribuée à un vécu particulier prélevé sur
l’ensemble concret, ayant une unité essentielle, du vécu subjectif.
On voit en cette évidence un critérium absolu de la vérité avec lequel
non seulement toute évidence externe, mais a proprement parler
aussi l’évidence interne devraient être supprimées. Mais maintenant
si, en une sorte de substitution sensualiste, 1 on a recours aux soi-
disant sentiments d’évidence — étant incapable d interpréter 1 évi¬
dence comme une intentionnalité qui fonctionne alors le fait que

(1) AuflÔsung.
214 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

la vérité reste pourtant toujours assignée comme but à l’évidence


devient lui-même un miracle, bien plus, cela devient, au fond, un
contre-sens.
On ne peut pas nous opposer par exemple l’évidence célèbre de
la « perception interne » comme instance contre nos développements.
Car — nous aurons encore à en parler (a) — la donation du « perçu
immanent » lui-même par cette perception interne n’est, considérée
en elle seule, que la donation d’un objet pris en son premier degré
et non celle d’un objet au sens propre. La perception, à elle seule,
n’est absolument pas une pleine action objectivante, si précisément
par là on doit entendre la saisie d’un objet lui-même. La perception
interne en tant que saisie d’un objet lui-même ne vaut pour nous que
par le fait que le ressouvenir possible et que l’on peut répéter à
volonté est tacitement mis en ligne de compte. Une fois ce souvenir
actualisé, elle donne alors la certitude originelle (dans le plein sens
[141] du terme) de l’être d’un objet subjectif, appelé datum psychique,
objet que l’on peut identifier quand on veut à l’acquis originel,
objet auquel on peut revenir « toujours à nouveau » et qu’on peut
reconnaître dans la réactivation comme étant le même. Naturelle¬
ment la référence intentionnelle (qui se trouve là impliquée) à cette
« synthèse de la récognition » joue un rôle analogue également pour
toute objectité externe, mais alors on ne doit aucunement dire
qu’une telle synthèse constitue déjà la pleine effectuation de l’expé¬
rience externe.
Évidence signifie, comme les développements ci-dessus l’ont déjà
montré clairement, l’effectuation intentionnelle de la donation des choses
elles-mêmes. Pour parler plus précisément, l’évidence c’est la forme
générale par excellence de 1’ « intentionnalité », de la « conscience de
quelque chose », forme dans laquelle l’objet dont on a conscience
est présent à la conscience sous le mode du saisi « lui-même », du

(a) Cf. ci-dessous, § 107.


PSYCHOLOGISME 215

vu « lui-même », de l’être-près-de-cet-objet-lui-même d’une manière


consciente. Nous pouvons dire aussi que c’est la conscience origi¬
nale (1) : c’est « telle chose elle-même » que je saisis, originaliter, en
contraste par exemple avec la saisie par image ou avec toute autre
pré-opinion, intuitive ou vide.
Cependant on doit ici indiquer aussitôt que l’évidence a divers
modes d’originalité. Le mode primitif de la donation des choses elles-mêmes
est la perception. Le « être-en-présence-de » est, sous forme consciente,
pour moi en tant qu’être percevant, mon « être-en-présence-de-actuel-
lement » : moi-même en présence du perçu lui-même. On a affaire
à un mode de la donation des choses elles-mêmes qui a subi une varia¬
tion intentionnelle et qui a une organisation complexe avec le souve¬
nir, non pas celui qui réapparaît d’une manière vide, mais celui qui
réalise à nouveau le « telle chose elle-même » : c’est-à-dire le ressou¬
venir clair. Son état phénoménologique implique qu’il est en soi
conscience « reproductrice », conscience de 1 objet lui-meme en tant
qu’elle est ma conscience passée et pour parler corrélativement en
tant qu’elle est conscience de l’objet qui a été perçu par moi (moi qui
reste le même mais sous le mode : moi « passe » reproduit) ; et moi
(il s’agit du moi actuel, considéré en soi-même en tant que présent)
je suis « à nouveau » en présence de cet objet... en présence de cet
objet « lui-même ».
Attendu que l’on pourrait sur ce point être perplexe (a), remar¬
quons ici que la variation de la donation des choses elles-mêmes
comme perception et comme ressouvenir joue un rôle très dilférent
selon qu’il s’agit d’objectités réelles ou d’objectités idéales. Cette
différence est en liaison avec le fait que les dernieres n’ont pas de situation
temporelle qui les astreigne à /’individuation. Tout ressouvenir clair,
explicite concernant une species idéale se transforme, par une simple

(1) Urtümliche.
(a) Comme je l’ai été moi-même à l’époque des Logische Untersuchungen.
2i6 logiques formelle et transcendantale

£i42] modification d’attitude, possible par essence, en une perception, ce


qui naturellement est exclu en ce qui concerne les objets individualisés
temporellement.
Notre caractérisation générale de l’évidence, nous l’opposons à
la caractérisation habituelle non pas du tout comme si c’était une
nouvelle « théorie », une interprétation séduisante et qui, avant tout
et dieu sait comment, serait à éprouver... en fin de compte par des
expériences de pensée. Mais nous l’opposons au contraire comme
une évidence de degré supérieur, évidence que l’on doit obtenir
grâce au déploiement phénoménologique de chaque expérience et
de chaque évidence rationnelle effective (que, sans raison, l’on
distingue d’une manière tout à fait principielle de ce qu’on a
l’habitude d’appeler expériences). Cette évidence de degré supérieur,
de son côté, doit être elle-même à son tour explicitée et comprise
dans son action et cela uniquement par une évidence au troisième
degré, et ainsi in infinitum. C’est seulement en voyant que je peux mettre
en évidence ce dont il s’agit véritablement dans un voir ; l’explicitation de
l’essence propre d’un tel voir, je dois l’effectuer en voyant.
Toute conscience donnant son objet lui-même, précisément par
le fait qu’elle donne son objet en tant qu’objet lui-même, peut fonder
le droit, la justesse d’une autre conscience, d’une opinion qui manque
simplement de clarté ou qui est même entièrement confuse, ou d’une
opinion qui est certes intuitive mais qui préfigure son objet dans une
image ou de toute autre opinion qui ne donne pas son objet lui-même;
et cela, comme nous avions eu déjà précédemment à le décrire (a),
sous la forme de l’adéquation synthétique aux « choses elles-mêmes »
(et, dans le cas de la non-justesse, sous la forme de l’inadéquation
en tant qu’évidence de la nullité). Dans cette mesure les donations
des choses elles-mêmes, les actes qui donnent naissance au droit
évident, sont des fondations primitives et créatrices du droit, de la

(a) Cf. § 44, p.


PSYCHOLOGISME

vérité en tant que justesse (a)... précisément parce que, pour les
objectités elles-mêmes en tant qu’existantes pour nous, ces donations
sont constituantes d’une manière originelle et qu’elles fondent origi¬
nellement leur sens et leur être. De même les inadéquations origi¬
nelles, en tant que donations de la nullité elle-même, sont fondations
primitives de la fausseté, du non-droit en tant que non-justesse (en
intervertissant : de la vérité de la nullité, de la vérité de la non-
justesse). Par ces inadéquations originelles se constitue non pas
l’objectité pure et simple, c’est-à-dire l’objectité existante, mais,
sur la base de l’objectité intentionnée, le biffage d’une telle « opinion »,
donc son non-être.

§ 60. Légalité fondamentale de l’intentionnalité


ET FONCTION UNIVERSELLE DE l’ÉVIDENCE

Nous avons il y a un instant déjà mentionné le fait que la donation


des choses elles-mêmes, comme tout vécu intentionnel particulier,
[143] est unefonction dans l’ensemble universel de la conscience. Son action
n’est donc pas indépendante comme une action isolée; elle ne l’est
pas non plus si on la considère en tant que donation des choses elles-
mêmes, en tant qu’évidence, pour autant que dans son intentionnalité
propre elle peut « exiger » d’autres donations des choses elles-memes
et qu’elle peut « renvoyer » à ces donations pour rendre complète son
action objectivante. Tournons donc notre regard vers le caractère
universel de la vie de la conscience pour nous approprier une connais¬
sance significative, concernant d’une manière générale 1 évidence :
Lintentionnalité en général — vécu d’un avoir conscience d une
chose quelconque — et P évidence, P intentionnalité de la donation des choses
elles-mêmes sont des concepts qui, par essence, sont apparentes. Limitons-
nous à la conscience qui « pose », a la conscience positionnelle. Pour
la conscience « neutre » tout ce que nous développerons maintenant

(a) Cf. § 46.


218 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

se modifie d’une manière facile à concevoir; en ce qui concerne


l’évidence intervient alors une modification-du-comme-si, de même
pour l’adéquation, etc. Voici alors ce qui vaut comme légalité fonda¬
mentale de V intentionnalité :
Toute conscience de quelque chose fait partie a priori d’une multi¬
plicité illimitée de modes possibles de conscience qui dans la forme
unitaire de la co-validité (con-positio) peuvent toujours être reliés en
une conscience unique en tant que conscience de la « même chose ».
A cette multiplicité appartiennent également par essence les modes
d’une conscience multiple d’évidence qui s’insèrent dans cette multiplicité
selon la manière qui convient à chaque cas; et cette conscience d’évi¬
dence est, d’une manière disjonctive, ou bien la possession évidente
de la même chose elle-même ou bien celle d’une autre chose qui
supprime la première de manière évidente.
Ainsi l’évidence est un mode de l’intentionnalité universel, rapporté à
la vie entière de la conscience ; grâce à elle la vie de la conscience a une
structure téléologique universelle, elle a une disposition à la « raison » et
même une tendance constante vers elle, elle a donc une disposition
à fournir les preuves justicatives de l’exactitude (et alors ensuite
à acquérir celle-ci comme une habitude) et à biffer les inexactitudes
(biffage par lequel elles cessent de valoir comme bien acquis).
Ce n’est pas seulement eu égard à cette fonction téléologique
universelle que l’évidence constitue un thème pour des recherches
étendues et difficiles. Ces recherches concernent déjà le caractère
général de l’évidence en tant que vécu particulier auquel appartient
la singularité mentionnée plus haut que dans toute conscience évi¬
dente d’objet est inclus en même temps un renvoi intentionnel à une
synthèse de la récognition. Ensuite elles concernent les modes d’ori¬
ginalité de l’évidence et leurs fonctions et, ultérieurement encore,
[144] les diverses régions et catégories des objectités elles-mêmes. Car
si avec la caractérisation de l’évidence comme donation d’un objet
lui-même (ou pour parler du côté du sujet : comme la possession d’un
PSYCHOLOGISME 219

objet lui-même) nous avons désigné une généralité qui est rapportée
d’égale façon à toutes les objectités, nous n’entendons pas par là
que la structure de l’évidence est semblable dans tous les cas.
La catégorie de P objédité et la catégorie de P évidence sont des corrélats.
A toute espece fondamentale d’objectités — en tant qu’unités inten¬
tionnelles qui doivent être maintenues dans une synthèse inten¬
tionnelle, finalement à toute espèce fondamentale d’unités d « expé¬
rience » possible — convient une espèce fondamentale de P « expérience », de
P évidence et pareillement une espèce fondamentale du style d’évidence
indiqué d’une manière intentionnelle dans l’augmentation éventuelle
de la perfection de la possession des choses elles-mêmes.
Ainsi prend naissance la tâche importante qui consiste à examiner
à fond tous ces modes de l’évidence, a rendre compréhensibles les
effectuations extrêmement complexes qui concourent pour former
une unité synthétique et qui renvoient à des effectuations toujours
nouvelles, effectuations dans lesquelles l’objectité en question se
montre elle-même et plus ou moins parfaitement. Traiter de haut 1 évi¬
dence et la « confiance en soi de la raison » ne donne rien ici. Et
rester attaché à la tradition qui, pour des motifs depuis longtemps
oubliés, en tout cas jamais clarifiés, réduit l’évidence à 1 évidence
rationnelle apodictique, absolument indubitable, et pour ainsi dire en
soi absolument achevée, c’est se fermer la compréhension de toute
effectuation scientifique. La science de la nature par exemple doit
faire fond sur Y expérience externe uniquement parce que cette expé¬
rience est précisément le mode où Pon a les objets de la nature « eux-
mêmes », et sans cette expérience externe on n’arriverait absolument
plus à penser sur quoi l’opinion naturelle (c’est-à-dire se rapportant
aux choses spatiales) pourrait se régler. Et c’est à nouveau unique¬
ment parce que l’expérience imparfaite est pourtant expérience, est
pourtant conscience d’avoir les choses « elles-mêmes » que 1 expé¬
rience peut se régler sur l’expérience et se rectifier grâce à l’expé¬
rience. C’est pour cette raison précisément qu’il est même absurde,
220 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

si l’on considère une critique de l’expérience sensible qui met en


évidence naturellement l’imperfection principielle de cette expérience
sensible (c’est-à-dire le fait qu’elle est renvoyée à d’autres expé¬
riences), de clore cette critique en rejetant l’expérience sensible et
en ayant recours ensuite par nécessité à des hypothèses et des conclu¬
sions indirectes par lesquelles le fantôme d’un « en-soi » transcendant
(dont la transcendance est un contre-sens) doit être attrapé au pas¬
sage. Toutes les théories du réalisme transcendantal qui concluent à
partir de la sphère « immanente » de l’expérience purement « interne »
à une transcendance extra-psychique reposent sur la cécité au carac¬
tère propre de l’expérience « externe » en tant qu’effectuation qui
donne les choses « elles-mêmes », qui ne peut exister qu’en tant
que fondement de ce genre pour les théories de la science de la
nature.
Je ne trouve pas que l’on ait accordé une attention suffisante à
la clarification de l’évidence et de l’ensemble des rapports corres¬
pondants entre la simple intention et le rempli s sement, clarification qui
avait été effectuée pour la première fois dans les Logische Untersu-
chungen (2e partie) et approfondie dans mes Ideen... Cette clarification
a certes besoin d’être perfectionnée mais je crois cependant pouvoir
voir dans cette première clarification un progrès décisif de la phéno¬
ménologie vis-à-vis du passé philosophique. Je suis profondément
convaincu que c’est seulement par l’intelligence (résultant de cette
clarification) de l’essence et de la problématique propre de l’évi¬
dence qu’une philosophie transcendantale vraiment scientifique
(qu’une « critique de la raison ») a été possible, comme a été rendue
possible au fond une psychologie vraiment scientifique, cette dernière
étant conçue d’une manière tout à fait centrale comme science de
l’essence propre du psychisme qui consiste dans l’intentionnalité
(comme Brentano l’a découvert). La nouvelle doctrine est assurément
incommode en ce sens que le recours à l’évidence cesse d’être pour
ainsi dire un truc de l’argumentation de la théorie de la connaissance et
PSYCHOLOGISME 221

qu’en revanche elle pose un lot considérable de tâches qui doivent


être saisies et résolues d’une manière évidente, qu’en fin de compte
elle pose les tâches de la constitution phénoménologique sur laquelle
les chapitres 6 et 7 apporteront des précisions.

§ 61. Rapports fonctionnels de l’évidence


AVEC TOUS LES OBJETS RÉELS OU IRRÉELS
EN TANT QU’UNI TÉS SYNTHÉTIQUES

Revenons maintenant à nouveau aux objectités irréelles et en


particulier à celles de la sphère de la logique analytique; dans la
première section nous avons appris à connaître les évidences qui
fondent le droit de ces objectités ou qui les donnent « elles-mêmes »
dans les différentes couches de cette sphère. Pour les objectités irréelles
de chaque couche les « expériences » correspondantes sont donc ces
évidences, et elles ont la propriété essentielle de toutes les expériences
ou évidences en général : à savoir que, dans la répétition des vécus
subjectifs, dans la succession et la synthèse de différentes expériences
de la même chose, c’est précisément quelque chose qui est numéri¬
quement identique et non pas simplement semblable que ces expériences
rendent manifeste avec évidence; ce qu’on a là, c’est /’objet qui est
saisi maintes fois par l’expérience ou, comme nous pouvons dire
aussi, c’est son « apparition » réitérée maintes fois (une infinité de
fois, si l’on considère la possibilité idéale) dans le domaine de la
conscience. Si l’on substitue aux objectités idéales les événements
temporels de la vie de la conscience dans lesquels ces objectités
« font leur apparition », alors on devrait d’une manière conséquente
faire aussi une telle substitution en ce qui concerne les data de l’expé¬
rience. Ainsi les data psychiques, ceux de l’expérience « interne »,
sont saisis par cette expérience comme des data qui ont une temporalité
immanente, donc comme des data intentionnellement identiques
dans le flux des modes temporels subjectifs. Nous devrions donc
222 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

[146] leur attribuer les enchaînements constitutifs immanents de la « cons¬


cience originelle du temps » (a).
Ce qui constitue l’identité des objets de l’expérience externe est
cependant plus facilement accessible. Les objets physiques, eux aussi,
font leur apparition « dans le champ de la conscience », et en s’en
tenant à l’extrême généralité, ils ne le font pas autrement que les
objets idéaux; c’est-à-dire qu’ils font leur apparition dans le flux
des modes d’apparaître, multiples, construits les uns sur les autres,
en tant qu’unités intentionnelles quoique sous le mode du « donné
lui-même ». Ces objets physiques, en faisant leur apparition à l’inté¬
rieur des vécus de l’expérience, sont immanents à ces vécus (imma¬
nents en un sens recevable, encore que ce ne soit pas au sens habituel...
de l’immanence réelle (1).
Si l’on veut comprendre l’action d’effectuation de la conscience
et en particulier celle de l’évidence, il ne suffit pas, ici comme ailleurs,
de parler de la « direction » de la conscience (notamment de la cons¬
cience qui saisit par l’expérience) vers les objets et il ne suffit pas de
distinguer, tout au plus superficiellement, expérience externe, expé¬
rience interne, idéation, etc. On doit envisager, par une réflexion
phénoménologique, les multiplicités de conscience qui tombent sous
ces dénominations, et les décomposer structurellement. On doit
ensuite les suivre dans les processus qui font passer aux synthèses, on
doit s’enquérir, jusque dans les structures les plus élémentaires, du
rôle ou de la fonction intentionnels. On doit rendre compréhensible
comment, dans l’immanence des multiplicités du vécu et dans les
modes d’apparaître qui se présentent d’une manière variée dans ces
multiplicités, se constituent leur se-diriger-vers et ce vers quoi ces
multiplicités de conscience se dirigent; on doit rendre compréhen-

(1) Reellen.
(a) Pour l’analyse de la constitution des data temporels, cf. mes leçons sur la
phénoménologie de la conscience interne du temps, publiées par M. Heidegger
dans ce même Jahrbuch, t. IX.
PSYCHOLOGISME 223

sible en quoi alors consiste, dans la sphère intuitive de P expérience synthé¬


tique elle-même, l’objet transcendant — l’objet étant le pôle d'identité
immanent aux vécus particuliers et pourtant transcendant dans /’identité qui
surpasse ces vécus particuliers. Il y a donation de la chose « elle-même »
et donc donation de quelque chose de « transcendant », d’un pôle
d’identité donné « lui-même » tout d’abord d’une manière indéterminée ;
dans la donation que procure la forme synthétique de 1’ « explicita¬
tion » poursuivie d’une manière continue ce pôle d’identité s’expose
en ses « déterminations » qui à leur tour ont une identité idéale.
Mais cette transcendance est impliquée, à la manière d’une fondation
originelle, dans l'essence propre de l'expérience elle-même. Ce qu’elle
signifie, il n’y a qu’à elle qu’on puisse le demander, exactement
comme on ne peut découvrir ce que signifie et ce que prouve un
droit de possession (dans le domaine juridique) que par un retour
[147] à la fondation primitive de ce droit (question qui d’ailleurs est elle-
même de notre ressort).
On doit donc placer au centre de toutes les prises de conscience
principielles cette évidence importante mais tellement mésestimée
que quelque chose comme un objet (par exemple même un objet
physique) ne tire originellement le sens ontique qui lui est propre (par
lequel alors dans tous les modes possibles de conscience il signifie
ce qu’il signifie) que des processus vécus de l expérience, précisément en
tant que processus qui sont caractérisés en soi comme un avoir-
présent-à-la-conscience sous le mode du « cela-même », comme
apparition phénoménale d’un quelque-chose « lui-même », comme
un (( se-trouver-en-face-de-nous » avec une existence certaine (si 1 on
reprend l’exemple des objets physiques). La forme primitive est alors
le se-montrer-présent-soi-meme dans le cas de la perception ou le se-mon¬
trer-à-nouveau dans le cas du ressouvenir, sous le mode de ce qui est
passé.
L'expérience est la fondation primitive de /’ « être-pour-nous » des objets
ayant le même sens objectif qu'elle. Il en est manifestement tout à fait
224 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

de même pour les objets irréels, qu’ils aient le caractère d’idéalité de


la species, ou celui d’un jugement ou celui d’une symphonie, etc.
Partout, donc aussi pour l’expérience externe, est valable le fait que
la donation évidente de la chose elle-même doit être caractérisée
comme un processus de la constitution, comme un processus dans
lequel se construit l’objet de l’expérience; certes il s’agit d’une cons¬
titution qui reste tout d’abord limitée, car en effet l’objet prétend à
une existence également par-delà les multiplicités de l’expérience
actuelle, et ce moment de son sens d’être, lui aussi, exige son éluci¬
dation constitutive et la rend possible grâce à l’intentionnalité impli¬
quée dans l’expérience elle-même et qu’il faut à chaque fois découvrir.
Dans les synthèses continues et dans les synthèses discrètes d’expé¬
riences multiples se construit conformément à l’essence, d’une
manière « manifeste », l’objet de l’expérience en tant que tel; il se
construit en se montrant de façon changeante, en offrant des côtés
toujours nouveaux, des moments toujours nouveaux qui lui sont
proprement essentiels; et c’est de cette vie constructive (qui trace
le cours possible de ses expériences concordantes) que ces moments
tirent leur sens et que l’objet lui-même (en tant seulement qu’il se
montre ainsi de façon changeante) tire son sens en tant qu’il est dans
ces variations l’élément identique d’autoformations possibles et qui
doivent être répétées après leur réalisation. Ici aussi cette identité
est évidente, ou encore, il est évident que l’objet n’est pas lui-même le
processus d’expérience réel et toujours possible qui constitue l’objet,
bien loin d’être la possibilité évidente (liée au processus d’expérience)
des répétitions et de la synthèse des expériences (en tant que possi¬
bilité du « je peux »).
PSYCHOLOGISME 225

[ï48] § 62. Idéalité de toutes les espèces d’objectités


FACE A LA CONSCIENCE CONSTITUANTE

La FAUSSE INTERPRÉTATION POSITIVISTE DE LA NATURE


EST UN TYPE DE PSYCHOLOGISME

D’après cela dans le sens de tout objet saisissable par l’expérience,


même d’un objet physique, est donc impliquée une certaine idéalité...
à l’opposé des processus « psychiques » multiples, séparés par une
individuation dont la temporalité est immanente, processus vécus
dans lesquels l’on saisit par l’expérience et dans lesquels ensuite aussi
l’on peut saisir par l’expérience, finalement processus dans lesquels
on est ou on peut être conscient de quelque manière que ce
soit, même si ce n’est pas par l’expérience. C’est l'idéalité générale
de toutes les unités intentionnelles à l’opposé des multiplicités qui les
constituent.
C’est en cela que consiste la « transcendance » de toutes les espèces
d'objectités qui s'oppose à la conscience de ces objectités (et disons, après
dues modifications, à la conscience-Je, comprise comme pôle-sujet
de la conscience).
Si pourtant nous séparons les objets immanents des objets transcendants,
cela ne peut donc signifier qu’une séparation à l'intérieur de ce concept
le plus large de transcendance. Mais cela ne change rien au fait que
même la transcendance du réel et, au niveau suprême, du réel inter¬
subjectif (de ce qui est objectif par excellence) se constitue, quant à
son être et quant à son sens, exclusivement dans la sphère imma¬
nente, sphère des multiplicités de conscience; cela ne change rien
non plus au fait que sa transcendance en tant que faisant partie du réel
est une forme particulière d' « idéalité » ou mieux Y irréalité psychique,
une forme particulière d’un quelque chose apparaissant lui-même dans
la sphère purement phénoménologique de la conscience ou pouvant
apparaître avec tout ce qui lui appartient en propre, essentiellement,
et pourtant de telle sorte que ce quelque chose ne soit pas de toute évi-
E. HUSSERT 15
226 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

dence un fragment réel (i) ou un moment réel de la conscience, ne soit pas


un datum psychique réel.
En conséquence, nous trouvons un analogue exact de Vinterprétation
psychologiste des irréalités logiques et de toute autre irréalité (nous
pourrions dire de la région élargie des idées platoniciennes) dans ce
type notoire de positivisme que nous pourrions aussi qualifier d huma¬
nisme. Il est représenté par exemple par la philosophie de Mach et la
« philosophie du comme si » — quoique d’une manière qui, en ce
qui concerne le caractère originel et profond de la problématique,
reste bien loin en arrière de la philosophie de Hume. Pour ce positi¬
visme les choses se réduisent à des complexes, réglés empiriquement,
de data psychiques (des « sensations »); leur identité et par là tout leur
[149] sens-d’être devient une simple fiction. Ce n’est pas une doctrine qui
est simplement fausse et totalement aveugle à l’égard de l’ensemble
des essences phénoménologiques mais elle est aussi absurde par le
fait qu’elle ne voit pas comment même les fictions ont leur type
d’être, ont leur manière d’être évidentes, leur manière d’être des
unités de multiplicités et comment elles entraînent avec elles par
conséquent le même problème qui devait être écarté par les théories
de cette doctrine.

§ 63. Activité originellement productrice (2)

EN TANT QUE DONATION DES FORMATIONS LOGIQUES « ELLES-MÊMES B

ET SENS DE L’EXPRESSION î LEUR PRODUCTION

Nous avons souvent parlé d’une production des formations logiques


dans la conscience. En ce qui concerne cette expression, il faut pré¬
venir un malentendu qui, mutatis mutandis, concerne toute expression
de constitution d’objectités dans la conscience. Là où nous parlons
d’ordinaire de production, nous nous référons à une sphère réelle.

(r) Reelles.
(2) Erzeugende.
PSYCHOLOGISME 227

Nous entendons par là une production, par un certain procédé, de


choses ou d événements réels : le réel qui dans notre environnement
est déjà là est manié, disposé autrement ou transformé en vue d’un
but. Mais dans notre cas nous avons devant nous des objets irréels,
donnés dans des événements psychiques réels; ce sont des objets
irréels sur lesquels nous opérons et que par cette action nous façon¬
nons de telle et telle manière dans une thématique dirigée vers ces
objets et aucunement vers les réalités psychiques. Cela ne veut pas dire
que nous puissions atténuer le fait qu’ici et tout à fait pour de bon nous
agissons, que nous donnons une forme, que nous opérons, que nous
sommes dirigés d’un point de vue pratique vers des buts ou des fins,
comme si effectivement à partir de quelque chose de déjà donné
préalablement quelque chose de nouveau n’était pas produit dans une
activité téléologique. En fait le juger (et dans son caractère originel,
d’une manière particulière, naturellement le juger visant la connais¬
sance) est aussi un agir, mais ce n’est justement pas d’une manière
principielle une action sur le réel, encore que, comme il va de soi,
n’importe quelle action soit du réel psychique (un réel objectif où
nous prenons le juger dans l’orientation psychologique en tant
qu’activité humaine). Mais cette action, dès le début et dans les formes
qu’elle prend à tous les niveaux, a dans sa sphère thématique exclu¬
sivement de l’irréel; dans l’activité de jugement un irréel est inten¬
tionnellement constitué. Dans la formation active de nouveaux juge¬
ments à partir de jugements déjà donnés préalablement nous sommes
vraiment actifs d’une manière productrice. Comme dans toute action,
les buts de l’action, c’est-à-dire ici les nouveaux jugements qu’il faut
produire, sont présents à notre conscience à l’avance sous les modes
d’une anticipation vide, encore indéterminée quant au contenu et
en tout cas non encore remplie; ils sont présents à notre conscience
comme ce vers quoi nous tendons et comme ce qui doit être amené à
[150] la réalisation en étant donné lui-même, comme précisément ce qui
est le terme de l’action qui s’accomplit progressivement.
228 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

Ce qui est ici « manié », ce ne sont donc pas des réalités ; il n’y a
pas à revenir sur le sens propre aux objectités idéales : comme nous
l’avons déjà dit, nous sommes sûrs de ces objectités, dans une évi¬
dence qui leur est propre, de façon absolument aussi originelle que
celle avec laquelle nous sommes sûrs des objectités saisies par l’expé¬
rience. Mais d’autre part il n’y a pas davantage à revenir sur le fait
qu’elles aussi sont des buts que l’on peut produire, des fins et des
moyens et qu’elles sont ce qu’elles sont uniquement en vertu d’une
production originelle. Mais cela ne veut aucunement dire qu’elles
sont ce qu’elles sont uniquement dans et pendant la production ori¬
ginelle. Elles sont « dans » la production originelle : cela veut dire :
elles sont connues en elle comme dans une certaine intentionnalité
de la forme : activité spontanée, et cela sous le mode du soi-même original.
Cette maniéré d’être donné par me telle activité originelle n’est rien d’autre
que la manière qui est spécifique de la « perception ». Ou, ce qui revient
au même, cette activité originelle qui procure un acquis, voilà ce qui
est 1’ « évidence » pour ces idéalités. L’évidence, prise d’une manière tout
à fait générale, n’est précisément pas autre chose que le mode de
conscience qui, se construisant éventuellement d’une manière extra¬
ordinairement complexe et hiérarchique, offre son objectité inten¬
tionnelle sous le mode du « cela lui-même » original. Cette activité de
conscience qui rend évident •—- ici une activité spontanée difficile
à explorer — est la « constitution originelle », pour parler d’une
manière plus significative, la constitution fondant primitivement les
objectités idéales de l’espèce logique.

§ 64. Les objets réels ont un privilège d’existence

SUR LES OBJETS IRRÉELS

En conclusion de cette étude, ajoutons encore que mainte oppo¬


sition violente, fermant les yeux il est vrai sur ce que repré¬
sente notre phénoménologie, provient d’une méprise sur le sens
PSYCHOLOGISME 229

de notre rapprochement des objectités idéales et aussi des variantes


catégoriales des réalités (des états des choses par exemple) avec ces
réalités elles-mêmes. Pour nous il s’agissait simplement de la légiti¬
mité du sens le plus large d’« objet-en-général » ou de quelque-chose-en-
général et corrélativement du sens le plus général d’évidence en tant que
donation de la chose « elle-même ». Dans une autre perspective que
celle de la subsomption légitime des idées sous le concept d’objet et
aussi sous le concept de substrat de prédications possibles, les objec¬
tités réelles et les objectités idéales ne sont en aucune façon de même
ordre, comme notre étude précisément permet de le comprendre.
[151] La réalité a un privilège d’existence sur toute irréalité, en tant que toutes
les irréalités sont rapportées par essence à la réalité, réelle ou possible.
Dominer de toutes parts ces rapports et amener à la connaissance
systématique l’ensemble total de tous les existants réels et possibles,
des réalités et des irréalités, cela conduit aux problèmes philosophiques
suprêmes, aux problèmes d’une ontologie universelle.

§ 65. Concept plus général de psychologisme

L’extraordinaire extension et en même temps la radicalisation de


la réfutation du psychologisme logique que nous avons effectuée
dans l’étude précédente nous a apporté aussi un & généralisation extrême
de l’idée de psychologisme, à vrai dire d’un psychologisme qu’il faut
entendre dans un sens tout à fait déterminé et qui n’est pas le seul sens
possible. Ce psychologisme doit être caractérisé par le fait que
n’importe quelle espèce d’objectités à rendre évidentes — ou même
toutes les espèces d’objectités, comme c’est le cas dans la philosophie
de Hume — sont psychologisées attendu qu’elles se constituent, comme
il va de soi, dans la conscience et que donc grâce à l’expérience ou
grâce à d’autres modes de la conscience s’entremêlant avec l’expé¬
rience elles édifient, dans la subjectivité et pour elle, leur sens d’être.
Elles sont « psychologisées », cela veut dire : leur sens objectif, leur
z3o LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

sens pris comme me espèce d’objets ayant une essence propre est nié au
profit des vécus subjectifs, des data dans la temporalité immanente ou
psychologique.
Il importe peu ici pourtant que l’on considère ces data comme
des data irréels au sens de la psychologie (science des hommes et des
animaux en tant que réalités objectives) ou comme data d’une subjec¬
tivité transcendantale (de quelque façon qu’on la distingue de la subjec¬
tivité psychologique), subjectivité qui précède toutes les réalités
objectives, même les sujets humains; et dans ce dernier cas, il importe
peu que l’on considère ces data comme un amas de sensations posées
d’une manière absolue ou comme des vécus intentionnels dans
l’unité téléologique d’un moi concret et d’une communauté de
« moi ». Assurément l’expression psychologisme convient mieux à
toute interprétation qui transforme toute idéalité en élément psycho¬
logique proprement dit, ce qui devrait déterminer aussi le sens par
excellence de psychologisme.

§ 66. Idéalisme psychologiste et idéalisme phénoménologique

Critique analytique
ET CRITIQUE TRANSCENDANTALE DE LA CONNAISSANCE

Ce psychologisme conçu d’une manière aussi générale et même


volontairement hybride est le caractère fondamental de tout mauvais
« idéalisme » ( heu s a non lucendo !) comme celui de Berkeley ou de
Hume. Ce psychologisme va bien au delà pourtant du concept ordi¬
naire que l’on a l’habitude d’attacher au mot d’idéalisme, car ce
concept, d’ordinaire, ne tient pas compte précisément des idéalités
authentiques de la sphère platonicienne élargie (en quoi sans contredit
il faut excepter l’idéalisme de Hume). Mais on ne peut pas certes
(comme cela arrive toujours à nouveau de la part de lecteurs super¬
ficiels de mes écrits — même de la part de lecteurs phénoménologues)
confondre cet idéalisme avec Yidéalisme phénoménologique que j’ai
PSYCHOLOGISME 231

élaboré, idéalisme qui reçoit son sens (sens nouveau fondamentalement


différent du sens habituel) du fait de la critique de ce psychologisme,
critique qui s’appuie sur une élucidation phénoménologique de
l’évidence.
Ce qui suit peut aussi servir de caractérisation pour l’idéalisme
phénoménologique :
Tout « voir », corrélativement tout ce dont on a reconnu l’identité
avec « évidence », a son droit propre, de même que tout domaine
fermé d’« expérience » possible en tant que domaine d’une science, en
tant que thème de cette science, au sens premier et le plus véritable.
En outre toute sphère thématique implique une sphère thématique
secondaire, la sphère de sa critique. Cette critique est une critique de la
connaissance en un sens premier, c’est-à-dire une critique rapportée
aux résultats idéaux de la connaissance — a ceux de la « théorie »
et rapportée, dans la direction subjective, à ce qui est idéal au sens
corrélatif, c’est-à-dire à l’activité qui manie ces idéalités (déduire,
prouver). Grâce à cette critique, que nous pouvons qualifier de
critique analytique de la connaissance, toute science a un rapport avec
l’analytique prise comme science universelle de la théorie conçue dans
une généralité formelle et corrélativement un rapport avec la techno¬
logie analytique délimitée d’une manière correspondante.
Mais finalement toute science a une troisième sphère thématique
qui est également une sphère de la critique mais Yune critique orientée
tout autrement. Cette sphère concerne la subjectivité constituante relative
à tout domaine et à toute effectuation scientifique qui s’occupe de
ce domaine. A côté de la critique des données préalables, des pro¬
cessus et des résultats qui apparaissent de façon manifeste dans le
champ de la conscience, nous avons affaire ici à une tout autre sorte
de critique de la connaissance, à celle des sources originelles consti¬
tutives du sens positionnel et du droit de ces données, processus et
résultats, donc à la critique des effectuations cachées dans l’activité de
recherche et de théorétisation qui est tournée immédiatement vers le
232 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

domaine. C’est la critique de la raison (qu’on la conçoive d’un point


de vue psychologique ou d’un point de vue transcendantal), ou,
comme nous pouvons le dire par opposition à la critique analytique
[153] de la connaissance, c’est la critique transcendantale de la connaissance.
Cela vaut pour la logique comme pour toute science, et nous l’avions
déjà affirmé dans les considérations générales préliminaires sous le
titre : Double face de la thématique logique, mais sans pouvoir le
préciser aussi nettement qu’ici.

§ 67. Le reproche de psychologisme


EST UNE INCOMPRÉHENSION DE LA FONCTION LOGIQUE NÉCESSAIRE

DE LA CRITIQUE TRANSCENDANTALE DE LA CONNAISSANCE

Le reproche de psychologisme adressé aux Logische Untersuchungen


s’était dirigé précisément contre le fait que dans les Prolégomènes elles
combattaient le psychologisme et que cependant dans la deuxième
partie elles se convertissaient en études de la subjectivité phéno¬
ménologique, en études sur les structures intentionnelles de l’énoncer
et du signifier, de la représentation et du contenu de la représentation
(du sens), de la perception et du sens de la perception, du juger et
de l’état des choses intentionné, sur les structures intentionnelles
des actes catégoriaux et de la constitution des objectités catégoriales
par opposition aux objectités sensibles, sur les structures intention¬
nelles de la conscience symbolique vide par opposition à la conscience
intuitive, sur les structures intentionnelles des rapports intention¬
nels de la simple intention et de son remplissement, sur les structures
intentionnelles de la conscience d’évidence, de l’adéquation, de la
constitution de l’être vrai et de la vérité prédicative, etc. De telles
investigations de la psychologie de la connaissance, relevant de la
« psychologie descriptive », seraient, pensait-on, des transgressions
psychologistes d’une logique pure. Telles étaient les objections
soulevées. Cependant les recherches relevant de la critique de la
connaissance et concernant toutes les sciences (et concernant certes
PSYCHOLOGISME 233

aussi la logique) ne devaient pas être récusées pour autant. De tous


côtés ces recherches jouissent, en effet, d’une haute considération.
Mais elles appartiennent, pensait-on, à une tout autre ligne, elles ne
peuvent pas se donner pour tâche la vie de la connaissance (réelle et
concrète ou possible) ainsi que son analyse intentionnelle. Cela,
pense-t-on, c’est de la psychologie et c’est la marque d’un psycho¬
logisme lié à la théorie de la connaissance.
Le sens d’une telle critique et de la conception qui la domine
implique vraiment que l’on sépare science et critique de la raison, que
l’on accorde à la science une existence propre avec une légitimité
propre et que l’on prenne la critique de la raison comme une science
d’une nouvelle espèce qui se rapporte à toute science et qui a une
plus haute dignité et qui cependant ne trouble pas l’existence propre
légitime des sciences. Il en est ainsi a fortiori pour la logique analy¬
tique; elle vaut de prime abord comme norme absolue qui présuppose
toute connaissance rationnelle. La valeur de ma critique du psycho¬
logisme logique (et de toutes les critiques semblables qui l’ont pré-
[154] cédée et suivie), on la voit précisément dans la mise en évidence
d’une logique pure (d’une logique analytique) qu’il faut séparer
de toute psychologie et que l’on conçoit comme une science
autonome, pareille en cela à la géométrie ou à la science de la nature.
Il peut bien y avoir des questions de la critique de la raison qui se
rapportent à cette logique, mais elles ne doivent pas troubler son
cours propre et elles ne peuvent pas du tout non plus pénétrer dans le
concret de la vie logique de la conscience, car ce serait de la psycho¬
logie.
A l’opposé, ne perdons pas de vue tout d’abord que la lutte contre
le psychologisme logique ne devrait en fait n’avoir aucun autre but
que celui — extrêmement important — de rendre manifeste le
domaine spécifique de l’analytique logique dans sa purete et dans son
originalité idéale, de le libérer des confusions et des fausses inter¬
prétations psychologisantes dans lesquelles depuis le début il était
234 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

et restait empêtré. Son domaine ... cela veut dire son champ théma¬
tique, dans le sens premier, dans le sens principal du terme, champ
thématique comme en a toute science. Cela n’exclut pourtant pas
que secondairement — au service de la connaissance du domaine —
devient thématique ce qui n’appartient pas au domaine, mais est
avec lui en connexion essentielle. Cela vaut, en effet, déjà, comme
nous l’avons mentionné antérieurement, pour le premier champ
de la critique « analytique » indispensable pour toute science, c’est-à-
dire pour le champ de sa théorie et de ses jugements en général se
rapportant au domaine ainsi que pour le champ des processus idéaux
correspondants.
Et alors une situation analogue ne devrait-elle pas pouvoir valoir
— et être forcément valable — pour le champ total des actes inten¬
tionnels, des modes d’apparaître, des divers modes de conscience
dans lesquels le domaine scientifique, ses objets et ses relations entre
objets sont donnés au préalable pour celui qui juge, et de même des
modes de conscience dans lesquels se déroulent intentionnellement
la vie et l’aspiration théoriques entières qui se rapportent au domaine,
dans lesquels se constituent intentionnellement la théorie et l’être
scientifiquement vrai du domaine ? Ne devrait-on pas en fait avoir
affaire, ici aussi, au champ d’une critique nécessaire pour toutes les
sciences, d’une critique transcendantale ? ... nécessaire, si toutefois
les sciences doivent pouvoir être des sciences authentiques. Si cela
pouvait être rendu évident et si l’on arrivait à déployer le champ
immense des tâches de cette critique dernière qui est la plus profonde
qui soit, alors naturellement on aurait ainsi servi la logique; car en
tant que doctrine universelle de la science et non pas simplement en
tant que doctrine analytique (en tant que simple mathesis universalis)
la logique se rapporterait aux sciences authentiques en général,
quant à leurs possibilités essentielles générales et elle se rapporterait
aussi bien à toute critique concernant ces sciences et leur authenticité,
à nouveau quant aux possibilités essentielles générales de cette cri-
PSYCHOLOGISME 23 5

tique. La théorie générale de la science est eo ipso théorie générale de la


science authentique prise comme une telle critique essentielle et propre, que ce
soit la critique des jugements en tant que formations, en tant qu’élé-
ments constituants idéaux de la théorie idéale considérée ou que ce
soit la critique de la vie intentionnelle constituant le domaine et la
théorie.
Nous n’avons pas ici à poser des questions concernant des cri¬
tiques de la raison, quelles qu’elles soient, transmises par la tradition
ou ayant cours actuellement, ni à poser des questions concernant la
peur qui paralyse ces critiques, peur de l’examen concret (que l’on
proscrit sous le titre : psychologisme) de la subjectivité de la connais¬
sance, peur de toute inclusion de la psychologie dans les considérations
épistémologiques. Nous posons des questions seulement en ce qui
concerne ce qu’implique la possibilité d essence de la science authen¬
tique. Si l’exploration constitutive de la conscience, exploration
dirigée vers la téléologie totale des intentionnalites appartenant a la
vie de la connaissance, devait se révéler nécessaire par essence pour
rendre possible l’authenticite des sciences, alors elle serait valable
pour nous. Et si à cet égard l’on devait pourtant encore avoir à
s’opposer à un « psychologisme » (un psychologisme ayant un autre
sens que celui auquel nous avons eu affaire jusqu ici, ces deux sens
s’entremêlent pourtant l’un avec l’autre), nous devrions y être conduit
par l’examen des exigences logiques elles-mêmes. Sans aucun enga¬
gement nous allons par la suite qualifier de phénoménologique la théma¬
tique subjective qu’il reste à clarifier quant à sa fonction essentielle,
pour s’exprimer plus nettement, la thématique intentionnelle et
constitutive.

§ 68. Aperçu sur les taches ultérieures

La situation que nous avons à clarifier est embrouillée pour


nous, attendu que la logique elle-même est une science et en tant
que telle devrait également avoir besoin d’une telle critique et attendu
236 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

que d’autre part, dans sa relation à toutes les sciences possibles, elle
doit être cette science qui a à traiter, comme thème, de ces recherches
critiques nécessaires pour toutes les sciences, et cela pourtant dans
une généralité qui concerne indistinctement toutes les sciences. Ces
deux exigences ne coïncident pas d’emblée. Car si la logique, c’est-à-
dire l’analytique formelle qui est pour nous la seule actuellement à
être délimitée d’une manière sûre, a comme première sphère théma¬
tique les formes des formations catégoriales de jugement et d’objet et,
sous le seul point de vue de l’extension, est rapportée aux formations
qui dans toutes les sciences sont soumises à ces formes, alors se
posent pour la logique précisément les problèmes constitutifs qui lui
sont particuliers; ces problèmes concernent l’édification subjective
des formes catégoriales générales et ils concernent en premier lieu
les concepts régionaux suprêmes comme jugement-en-général,
objectité-en-général. Pour les sciences particulières ces problèmes
[156] entrent aussi sans doute en ligne de compte mais seulement en passant
par la logique prise comme méthode de ces sciences. Pourvu que l’on
puisse justement montrer que l’authenticité de la science ne peut
être authenticité que si l’on se fonde sur le rôle conscient de norme
qui revient aux principes logiques, donc pourvu que l’on puisse
montrer que la logique n’est pas seulement une science propre à côté
des autres sciences mais qu’elle est en même temps la pièce fonda¬
mentale de la méthode pour toute science en général qui doit être
rendue possible. Cela nous l’avions affirmé par anticipation dans
notre introduction mais seule la suite de notre livre permettra de le
fonder réellement.
En tout cas, après toutes les recherches poursuivies jusqu’ici en
vue de la clarification radicale et de la garantie critique du domaine
spécifique de l’analytique et des domaines que l’on peut distinguer en
elle, notre tâche la plus urgente est de diriger nos recherches ulté¬
rieures avant tout vers la clarification des recherches subjectives exigées
pour cette analytique ainsi que vers la clarification de leur nécessité.
PSYCHOLOGISME

Les recherches requises ensuite, par voie de conséquence, pour


l’élaboration de l’idée d’une ontologie formelle, pour l’idée d’une
ontologie réelle et finalement d’une ontologie absolue nous condui¬
ront d’elles-mêmes à la clarification effective, qui se fait encore
attendre, du sens authentique d’un psychologisme transcendantal
dont on n’est en aucune façon déjà tributaire quand on a fondé la
logique formelle sur des recherches intentionnelles et quand on a
fondé de même les sciences positives sur une théorie de la connais¬
sance qui se déploie dans de telles recherches.
Chapitre II

QUESTIONS INITIALES
DE LA PROBLÉMATIQUE
DE LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE :
PROBLÈMES RELATIFS
AUX CONCEPTS FONDAMENTAUX

§ 69. Les formations logiques


SONT DONNÉES DANS L’ÉVIDENCE IMMÉDIATE
Tache de la thématisation réflexive de cette évidence

Bien que la sphère analytique soit soumise à de fausses interpré¬


tations ou qu’elle soit masquée, la logique analytique existe pourtant
depuis longtemps, sous une forme qui est même hautement déve¬
loppée en ce qui concerne les disciplines mathématico-formelles
au sens strict. Dans la formation des catégories logiques et des
formes différenciées l’évidence ne peut donc pas avoir fait défaut et
sa valeur a joui de tout temps d’une considération particulière. En
dépit de cette situation cette évidence n’est rien moins qu’un modèle.
En employant cette expression nous voulons dire déjà en même temps
que cette évidence — que l’évidence en général — est à considérer
réflexivement, est à analyser, à transformer, à purifier et à améliorer
et qu’alors ensuite éventuellement elle peut et doit être prise comme
modèle, comme norme.
LA PROBLÉMATIQUE DE LA LOGIQUE

C’est dans une évidence immédiate que sont données tout d’abord
les formations logiques et leurs formes générales et c’est nécessai¬
rement la première étape. Mais maintenant est exigée une réflexion
thématique sur cette évidence, c’est-à-dire sur l’activité constructrice de
formes qui auparavant s’effectuait immédiatement dans une naïveté
non-thématique. Il s’agit alors de « clarifier » les formations et les
formes générales (formations de degré supérieur) qui sont tout
d’abord seulement « données » dans cette évidence, pour pouvoir,
par l’élucidation de l’intentionnalité qui vise originellement leur sens
objectif et le réalise, saisir avec exactitude et délimiter ce sens lui-
même et pour pouvoir garantir son identité contre tout ce qui peut
déplacer et masquer ce sens dans la naïveté. En d’autres termes,
dans toute activité d’effectuation se trouvent une intention et une
réalisation; on peut considérer cette activité et ce qui s’y trouve
impliqué, on peut s’assurer de l’identité de son dessein et de la
réalisation de ce dessein. Dans le dessein et l’activité naïfs, la visée
peut se déplacer, et de même dans la répétition naïve de l’effectuation
et dans tout autre retour à ce que précédemment nous avons cherché
à atteindre et avons réussi à atteindre. Il en est de même dans la
thématisation qui s’effectue dans la suite des actions naïves du logi¬
cien. C’est dans la réflexion qui part des thèmes immédiats qui ne
sont que donnés (des thèmes subissant éventuellement des dépla¬
cements très essentiels) pour se diriger vers l’activité qui constitue
ces thèmes dans la visée et le remplissement de cette visée — activité
qui reste cachée dans l’action naïve ou, comme nous pouvons le
dire également, qui reste « anonyme » et qui devient seulement à
présent thème propre — c’est dans cette réflexion que nous ques¬
tionnons après coup l’activité considérée. C est-à-dire, nous question¬
nons l’évidence — qui précisément s’eveille en même temps pour
savoir ce vers quoi elle tend et ce qu elle a acquis et dans 1 évidence de degré
supérieur nous nous livrons aux activités d identification et de
fixation, nous suivons les variations possibles des fluctuations théma-
24o LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

tiques qui auparavant n’étaient pas remarquées et nous distinguons


les visées correspondantes et leurs réalisations, en d’autres termes,
nous distinguons les divers déplacements de la formation des
concepts logiques.

§ 70. Sens des clarifications que l’on vient d’exiger,

CES CLARIFICATIONS ÉTANT PRISES


COMME RECHERCHE CONSTITUTIVE DE L’ORIGINEL

a) Déplacement des visées intentionnelles et équivoque

On dit souvent à ce propos (et moi aussi je me suis exprimé ainsi


antérieurement (a)) qu’il s’agit de parer au danger d'équivoques. Mais il
[15 8] faut observer qu’il ne s’agit pas ici d’équivoques qui seraient impri¬
mées dans le langage de telle sorte que l’on devrait et pourrait s’oc¬
cuper uniquement des mots et des significations des mots. Il s’agit
bien plutôt de déplacements de T intentionnalité et de son action, dépla¬
cements internes et qui au surplus s’imposent et sont liés par des
connexions essentielles. Alors c’est en tant que conséquence de ces
déplacements que se produit l’équivoque dans le langage, et cela,
de telle façon qu’on ne puisse résoudre cette équivoque en la consi¬
dérant comme adhérant au langage même, en l’interrogeant pour
savoir vers quoi tendent ses associations de significations, mais de
telle façon qu’on puisse la résoudre (et même la formuler en tant
qu’équivoque) uniquement grâce à cette interrogation réflexive
sur les visées intentionnelles et sur la constitution originelle des
formations qui s’accomplit dans l’effectuation de ces visées.
Une illustration de ce qui vient d’être exposé, et qui d’ailleurs
apporte en même temps des vues complémentaires, est offerte par
l’ensemble des recherches que nous avons poursuivies dans le bu t

(a) Cf. l’introduction à la II0 partie des Logische Untersuchungen (dans la


2® éd. et les éditions ultérieures), p. 7.
LA PROBLÉMATIQUE DE LA LOGIQUE

de clarifier le domaine logique. Il n’est pas douteux que ces recherches


sont indispensables pour l’établissement d’une logique vraiment
scientifique. Car comment une telle logique devrait-elle être possible
si la thématique qui lui appartient originellement restait confuse ?
Non seulement pour mettre fin à la fausse interprétation psycholo¬
giste de la sphère logique, mais également pour la sphère logique
quand elle est déjà saisie dans sa pureté, il était nécessaire d’effectuer
ces recherches difficiles qui seules pouvaient rendre évidente la triple
stratification de la logique. Ces recherches étaient dirigées entièrement
vers la subjectivité dans la perspective phénoménologique ; elles concernaient
la mise en contraste de trois sortes d’attitudes dans le juger dans la
succession desquelles se modifiait la direction de l’identification
réelle et possible — la direction objective; grâce à ces recherches on
prouvait l’existence de trois sortes d’évidences, de trois modes cor¬
respondants de l’intention préalable vide et du remplissement de
cette intention, donc de trois sortes de concepts de jugement qui se
distinguent originellement les uns des autres. Il s’agit ici d’un dépla¬
cement de concept, il s’agit d’une équivoque qui s’effectuait dans la
pensée des logiciens, non pas pour des raisons contingentes mais
pour des raisons essentielles, et qui devait rester cachée attendu
qu’elle appartenait elle-même aussi à l’unité thématique de la pensée
« immédiate » des logiciens dirigés vers la critique des jugements
selon la norme de la vérité; pour parler plus précisément, cette
équivoque devait rester cachée attendu que la question concernant
les conditions formelles qui rendent possibles les jugements vrais
devait nécessairement se perdre dans les niveaux systématiques que
nous distinguons sous les dénominations de morphologie, de
doctrine de la conséquence et de doctrine de la vérité.
Ici, nous le voyons, il ne s’agit pas simplement en somme d’un
changement de sens qui s’effectue sans qu’on le remarque, mais il
s’agit d’un changement d’un type tout à fait insigne et particuliè¬
rement important : le changement de sens est en même temps glissement de
E. HUSSERL 16
242 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

sens et coïncidence de sens ; coïncidence de sens en tant que l’unité du


jugement au niveau le plus bas se prête à l’identification avec celle
du niveau supérieur et dans cette identification ce qu’apporte de
nouveau le niveau supérieur (c’est-à-dire la « distinction », ce qui
fait que le jugement est jugement à proprement parler, mais aussi
encore la plénitude d’évidence) doit être à chaque fois saisi comme
prédicat propre. Dans l’unité de la pensée logique toutes les unités
à chaque niveau ont leurs fonctions de pensée et de connaissance,
l’attitude peut par conséquent varier ainsi donc que le sens de l’unité
que l’on retrouve dans tout ce processus de coïncidence et qui se
transforme cependant à chaque niveau (a).

b) La clarification
des différents concepts fondamentaux des disciplines logiques
est une mise à nu de la méthode subjective cachée
qui forme ces concepts et une critique de cette méthode

Ainsi l’équivoque dans le langage est d’une certaine manière une


équivoque nécessaire par essence, mais d’un autre côté la résoudre et
la dominer, distinguer de façon principielle les trois unités du jugement
et les concepts fondamentaux qui s’y rapportent, voilà une nécessité
absolue pour une logique qui veut avoir constamment en vue
.— comme elle doit le faire en tant que science authentique — ses
sphères thématiques en tant que distinctes d’une manière princi¬
pielle. Il doit être clair pour le logicien que les jugements au sens de
la morphologie, pour laquelle est suffisante une simple « distinction »
de la rythmique de l’indication fournie par le langage afin que ces
jugements soient donnés « eux-mêmes » d’une manière évidente,
sont incapables de fonder les relations de conséquence. Le logicien
doit avoir vu clairement que la phrase bien comprise uniquement au

(a) Cf. sur ce point ci-dessous les clarifications plus profondes du chap. IV,
surtout §§ 89 et 90.
LA PROBLÉMATIQUE DE LA LOGIQUE 243

niveau du langage, explicitement comprise dans la saisie de la


rythmique déterminée de l’indication symbolique, est saisie comme
une unité de la « signification » qui est précisément unité d’une simple
indication rythmique; il doit avoir vu clairement que ce qui est
« indiqué » là, c’est le jugement au second sens, c’est la nouvelle
rythmique du jugement-opinion (c’est-à-dire de l’état des choses en
tant qu’opinion) qui se constitue dans le juger proprement dit, dans
le juger de l’action catégoriale accomplie effectivement; et c’est ce
jugement-opinion qui, effectué après coup, remplissait la rythmique
symbolique. Et à nouveau le logicien doit avoir vu clairement
que, là où le jugement est traversé par la visée de la connaissance,
le jugement explicite, le jugement lui-même qui est maintenant
jugement à proprement parler ou « jugement distinct », en tant
qu’opinion vise à un cela « lui-même » qui le remplirait : il vise à
l’état-des-choses « lui-même », à son sujet « lui-même » et à son pré¬
dicat « lui-même », etc.
Mais si le logicien doit savoir tout cela, c’est parce que cela est
pour iui méthode et parce qu’il ne peut pas y avoir pour lui d’action
naïve, instinctive, cachée, mais qu’au contraire pour toute action
et son accomplissement il doit pouvoir rendre des comptes, que donc,
en tant que logicien, il doit avoir réfléchi, dans une généralité princi-
pielle, à la méthode naïve cachée et qu’il doit l’avoir explicitée théma¬
tiquement pour mener à bien en conséquence la méthode logique
authentique. Cette méthode authentique, la plus originelle qui soit, crée
en tant que jugements logiques et formes logiques les jugements
et les formes de jugements; cette méthode est dans la morphologie
essentiellement autre qu’elle n’est dans la doctrine de la conséquence
et encore autre qu’elle n’est dans la doctrine de la vérité.
De la même manière sont indispensables pour le logicien toutes
les autres méthodes des recherches que nous avons menées ci-dessus
et qui étaient dirigées vers la subjectivité, recherches dans lesquelles
a été clarifié le sens corrélatif d’une apophantique et d’une ontologie
244 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

formelle, ainsi que le caractère propre d’une mathématique pure et


d’une mathématique logique.
Toutes ces recherches ont le caractère de recherches fondamen¬
tales de la mise à nu et de la critique de la méthode logique originelle et
certes nous pouvons aussi les qualifier d’'examen de la méthode grâce
à laquelle les « concepts » fondamentaux de T analytique sont engendrés origi¬
nellement avec cette évidence qui nous garantit que leur essence
reste identique et est à l’abri de tout déplacement de sens.
Les concepts fondamentaux sont depuis toujours familiers et
à notre libre disposition; et c’est en tant que véritables produits qu’ils
ont été produits et qu’à chaque fois où s’éveille le besoin d’évidence
ils sont produits à nouveau dans une évidence renouvelée. Mais
cette « méthode » qui s’exerce naïvement n’est pas encore une méthode
authentique. Ce n'est donc pas comme s’il s'agissait d'une simple « analyse
psychologique », d’un examen psychologique réflexif pour savoir com¬
ment nous avons formé et nous formons à chaque fois tel concept
fondamental. C’est seulement en son point de départ que la recherche
constitutive est une réflexion de ce genre et une mise à nu de la
méthode qui s’exerce en fait et « sans qu’on en ait conscience ». Dans
la suite la recherche constitutive devient critique, c’est-à-dire remplis-
sement actif dans les diverses lignes de remplissement en se fondant
sur la séparation systématique des directions intentionnelles entre¬
mêlées dans l’unité de la synthèse. Mais cela signifie ici qu’une telle
critique est constitution créatrice des objectités en question qui sont
données alors « elles-mêmes » dans une unité harmonique, cela
signifie qu’elle est création des essences de ces objectités et des
concepts qui leur sont attachés par essence. Du fait que cette consti¬
tution implique une action de fixation terminologique ces concepts
doivent persister comme des acquisitions devenues habituelles.
Toute analyse constitutive est à cet égard créatrice; les unités
constitutives acquises dans cette création sont des normes et l'activité créatrice
[161] qui conduit à leur acquisition est elle-même une méthode devenue thématique
LA PROBLÉMATIQUE DE LA LOGIQUE 245

et en tant que telle elle est une norme pour la praxis méthodique à
venir constituée en habitude. La méthode logique authentique est
possible uniquement du fait de l’exploration thématique et du
façonnement téléologique de la méthode naïve elle-même.

§ 71. Problèmes des fondements des sciences


ET RECHERCHE CONSTITUTIVE DE L’ORIGINEL

La logique est appelée


A PRENDRE LA DIRECTION DES AUTRES SCIENCES

Cela jette déjà par avance une lumière sur les problèmes très débat¬
tus des fondements non seulement des mathématiques mais aussi de
toutes les sciences objectives. Pour la mathématique formelle en
tant qu’elle est l’analytique même, nous sommes déjà fixés sur le
sens de ces problèmes grâce aux réflexions que nous avons faites
jusqu’à présent et la confusion habituelle qui a lieu dans la position
de ces problèmes est supprimée. Partout dans le problème des fonde¬
ments, comme dans toute problématique épistémologique, remar¬
quons l’absurdité que nous avons déjà mentionnée à plusieurs
reprises qui consiste à prendre les sciences comme quelque chose
qui existe déjà; comme si la recherche des fondements devait signifier
simplement une clarification venant après coup ou à la rigueur une
amélioration qui ne modifie pas essentiellement ces sciences mêmes.
En vérité les sciences qui ont des paradoxes, qui opèrent avec des
concepts fondamentaux qui ne sont pas créés par le travail de la
clarification de l’origine et par celui de la critique ne sont absolument
pas des sciences mais, en dépit de toute leur ingéniosité, ne sont que
des techniques théoriques.
La création des concepts fondamentaux est donc en fait, pour
toutes les sciences, une action de fondation (dans le sens le plus littéral
du mot), comme nous l’avons déjà dit par anticipation. Pour toutes
les sciences... mais en première ligne pour la logique qui est appelée
246 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

à être la méthode principielle pour elles toutes et à embrasser toutes


leurs méthodes spéciales dans Va priori de la méthode en général et
à régler consciemment par des principes leur configuration. C’est
seulement dans une vie scientifique qui se plie au radicalisme de cette
recherche qu’est possible la science authentique. Comment peut-on
satisfaire à ce radicalisme et, si on ne peut pas le faire absolument,
dans quelle succession d’approximations méthodiques peut-on y
satisfaire, cela doit être, nous le voyons d’avance, un élément prin¬
cipal de l’organisation créatrice des méthodes, un élément principal
d’un travail logique dirigé vers la subjectivité. Cependant nous n’en
sommes ici qu’aux commencements et le commencement de ces
commencements c’est le travail qui concerne les concepts fondamentaux
au sens le plus strict qui doivent être amenés de la confusion et de la
possibilité de subir des déplacements (que l’on rencontre dans la forme
naïve de ces concepts) au caractère stable et déterminé des concepts
fondamentaux scientifiques et cela, selon une méthode en soi déter¬
minée et qu’il faut à tout instant réactiver et par conséquent éprouver.

[162] § 72. Structures subjectives


en tant qu’a priori corrélatif de La priori objectif

Passage a un nouveau degré de la critique

Les structures subjectives qui sont en question dans les recherches,


décrites jusqu’à présent, d’une logique dirigée vers la subjectivité
sont en connexion avec les concepts correspondants de la théorie
logique à orientation objective; et cette connexion, manifestement,
n’a pas lieu dans une « facticité » psychologique contigente. Ces
structures subjectives caractérisent un a priori corrélatif de /’a priori
objectif. Il est inconcevable par exemple qu’un processus de l’évi¬
dence dans lequel un jugement vient à être donné « lui-même » d’une
manière explicite ait une autre structure essentielle que celle que
montre une analyse réflexive. La généralisation formalisante qui
LA PROBLÉMATIQUE DE LA LOGIQUE 247

change un jugement concret en une forme de jugement prise en


général est nécessairement, dans la perspective subjective, une géné¬
ralisation essentielle, exactement une généralisation, formelle au sens
corrélatif, de l’évidence du jugement concret. Cette corrélation est
valable alors d’une manière analogue, non seulement pour tout autre
concept fondamental de la logique analytique pure, mais aussi pour
les lois fondamentales correspondantes et les lois dérivées de la théorie
logique. A toute loi opératoire de la morphologie correspond a priori une
légalité subjective concernant la subjectivité constituante, une légalité for¬
melle qui se rapporte à tout être concevable dans son activité de
jugement et à ses possibilités subjectives de former de nouveaux
jugements à partir d’anciens.
Les concepts fondamentaux, les concepts logiques primitifs sont les
concepts suprêmes du domaine logique lui-même et de sa stratification
en domaines partiels fonctionnant d’un». manière synthétique. Avec
leur organisation s’effectue une première critique de la logique-immé-
diate (1) qui est nécessairement première ainsi qu’une critique de
son mode de connaissance, de son type de méthode. Mais cette pre¬
mière critique et la première organisation des concepts du domaine
dont on lui est redevable est-elle déjà une critique totale et com¬
plète — abstraction faite des recherches critiques nouvelles qu’on
peut prévoir et qui seront nécessaires pour les concepts à venir ?

(1) Logik-geradehin.
Chapitre III

LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES


DE LA LOGIQUE
ET LEUR CRITIQUE CONSTITUTIVE

Nous sommes bien obligé de nous rendre compte maintenant


aussi de l’insuffisance de notre première série de recherches critiques.
Il s’agit à présent de faire une critique de l’analytique logique qui
doit nous rendre conscients d’une série de pré supposition s idéalisantes
[163] avec lesquelles cette première série de recherches critiques opère,
comme si elles allaient de soi, en ne suivant nullement une méthode
devenue thématique mais en suivant à son tour une méthode qui
s’exerce naïvement — présuppositions que nous avions donc
assumées aussi sans les avoir vues. Cette nouvelle critique est la
continuation de la critique que nous avons exercée au premier
niveau pour élucider la triple stratification de la logique; elle pré¬
suppose donc les recherches de cette première critique.

§ 73. PrÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES


DE L’ANALYTIQUE MATHÉMATIQUE

EN TANT QUE THEMES DE LA CRITIQUE CONSTITUTIVE

Identité idéale des formations de jugement


EN TANT QUE PROBLEME CONSTITUTIF

Considérons tout d’abord Vanalytique mathématique pure, au plein


sens du terme, c’est-à-dire la simple logique de la conséquence ana¬
lytique des jugements; elle se rapporte avec ses formes générales à
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 249

l’étendue illimitée des jugements possibles dont elle présuppose P iden¬


tité idéale.
Examinons jusqu’à quel point on peut parler ici de présupposition
et examinons ce qui est impliqué dans une telle présupposition. Les
formes ont le caractère d’essences générales (ce sont des « concepts »)
que l’on acquiert dans une évidence propre en s’appuyant sur des
jugements pris à titre d’exemples, ces jugements eux-mêmes étant
puisés dans les modes de l’évidence que nous avons décrits. Le juger
a, comme tout vécu, une intentionnalité qui offre des variantes, mais il
subsiste, quand nous parlons du même jugement, une unité inten¬
tionnelle, la direction vers ce seul et même jugement qui vient à
être donné « lui-même » dans l’évidence en tant qu’étant le même ... le
même, qui était tout d’abord opinion confuse et qui ensuite devient
distinct. Tout élément que ce processus de distinction met en évi¬
dence dans son activité productrice propre était déjà auparavant
« impliqué », en tant qu’opinion, dans l’état confus, et de même
finalement pour le jugement tout entier, quand le processus de dis¬
tinction réussit parfaitement.
Or, déjà le juger « confus », le juger « vague » n’est pas un juger
inerte et rigide, c’est un juger susceptible de transformations, et
quand en lui le même jugement — le même jugement au sens de la
morphologie qui n’a besoin d’aucune activité de production propre¬
ment dite — doit se constituer en tant qu’objectité identique, alors il
s’agit de savoir ce qui nous garantit cette identité. Et par voie de consé¬
quence cette même question doit être posée pour le jugement propre¬
ment dit, c’est-à-dire pour le jugement distinct. Certes pendant que
l’évidence reste vivante nous avons le jugement lui-même en tant
qu’il est un jugement s’offrant dans les transformations du vécu
comme ce jugement lui-même. Mais quand le processus de pensée
progresse et qu’au moyen d’une liaison synthétique nous revenons à ce
qui était donné auparavant comme un, cette objectité une elle-même
n’est certes plus évidente originellement, on en a conscience à nouveau
25o LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

par l’intermédiaire d’un ressouvenir et d’un ressouvenir qui n’est


nullement intuitif. Le ressouvenir parvenant à être intuition réelle
et véritable signifierait en effet la restitution de tous les moments
particuliers ou étapes particulières du processus originel, et même
quand cela aurait lieu, donc même si une nouvelle évidence était
instaurée, est-il sûr que ce serait la restitution de l’évidence anté¬
rieure ? Et maintenant songeons au fait que les jugements qui, dans
l’évidence vivante étaient constitués originellement comme unités
intentionnelles et de façon qu’on les ait « eux-mêmes », doivent avoir
une valeur persistante en tant qu’objets à notre disposition à tout
moment, en tant que convictions subsistant désormais pour nous
après la première constitution.
La logique ne se rapporte pas aux données dans l’évidence sim¬
plement actuelle mais elle se rapporte aux formations durables, par¬
venues à être fondées en elle de façon primitive, aux formations qu’on
peut toujours à nouveau réactiver et identifier; la logique se rapporte aux
données comme à des objectités qui désormais ont une existence,
avec lesquelles on peut opérer, en les appréhendant à nouveau, en
les pensant à nouveau; ces objectités qui restent les mêmes, on peut
continuer à les former catégorialement pour obtenir des formations
nouvelles et toujours nouvelles. A chaque niveau, ces formations ont
leurs modes de possibilité d’identification évidente, à chaque niveau
elles peuvent être rendues distinctes, elles peuvent être amenées
dans des enchaînements évidents de la conséquence et de la non-
conséquence; à partir de là, par retranchement des non-conséquences
ou encore par une transformation convenable, des enchaînements
purs de la conséquence peuvent être engendrés. Manifestement la
logique présuppose, avec ses généralités formelles et son ensemble de
lois, des jugements, des entités catégoriales de toute espèce et de
tout niveau dont l’être-en-soi subsiste identiquement. Elle présuppose ce
qui va de soi pour l’activité de pensée de tout être et de toute com¬
munauté : ce que j’ai dit, je l’ai dit; de l'identité de mes opinions que je
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 251

formule en jugements et auxquelles je crois avec conviction, je peux être


sûr a tout moment, par-delà les pauses de mon actualité de pensée et je peux
être sûr avec évidence de ces opinions comme d’une possession
durable et qui est à ma disposition à tout moment.
Or, chacun connaît, il est vrai, le fait d’illusions occasionnelles à
cet égard, le fait de déplacements, de confusions dans ses pensées
mais chacun connaît aussi la possibilité de stabiliser le sens confus et
fluctuant et la possibilité de réduire des jugements vagues à des
jugements distincts et que l’on peut identifier d’une manière déter¬
minée. Le vague a beau avoir, lui aussi, des possibilités multiples
de détermination, celui qui pense va au delà du vague pour atteindre
une détermination qu’il peut identifier d’une manière répétée et
[165] évidente; ainsi il peut se faire que la fixation qu’il accomplit (par
exemple la fixation de : c’est cela que je veux dire) indique au fond
une décision de la volonté (dans notre exemple : ceci qui est déterminé,
je veux le reconnaître constamment désormais comme mon opinion).
Mais une volonté arbitraire simplement momentanée et en consé¬
quence changeante ne peut ici prendre place. Quand celui qui fait
une démonstration recourt dans l’enchaînement de la démonstration
à un jugement antérieur, ce doit être en effet alors effectivement le
même jugement qu’auparavant.
La logique traditionnelle et la mathématique qui théorétise dans
une perspective naïvement immédiate ne se font pas grand souci
sur ce point. Elles présupposent qu’au cours de l’activité de pensée, de
façon convenable, subsiste l’identité : l’identité des objets dans l’at¬
titude ontique, l’identité des sens objectifs et des jugements dans
l’attitude apophantique. Elles présupposent donc au fond que
dans le cas concret, que dans l'activité de pensée de tel homme de
science une action s'est, de façon convenable, déjà accomplie à cet effet
avec succès, que pour faire face au caractère mouvant des pensées
confuses et sans clarté, pour faire face aux déplacements de sens
qui sont possibles en cette occurence, elles se sont déjà souciées
252 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

d’une fixation des objets et des sens rigoureusement identifiables.


Il est facile, dans une attitude naïvement immédiate, de mettre
en évidence l’être idéal des jugements en tant que sens identifiables
à tout moment et il est facile au logicien de le revendiquer constam¬
ment. Mais comment une telle mise en évidence et une telle détermi¬
nation sont-elles possibles attendu que cet être idéal ne peut avoir
pour nous qu’une validité qu’il faut revendiquer si l’on doit rendre
réellement évidente l’effectuation d’une telle détermination ? Cet être
idéal a la signification d’une transcendance spécifique : il transcende
l’évidence vivante dans laquelle le jugement en tant que ce juge¬
ment-ci vient à être donné « lui-même » de façon actuelle. Cette évi¬
dence ne peut donc pas encore se porter garante de la nouvelle effectua-
tion requise dans laquelle ce qui est donné « lui-même » doit acquérir
le sens et le droit de la transcendance idéale. Et pourtant nous venons de
dire que tout être dans son activité de pensée est sûr d’emblée de
pouvoir instituer les jugements comme jugements fermement iden¬
tifiables sur l’être desquels il peut compter ainsi que sur le fait qu’ils
lui sont accessibles même quand il n’y songe pas. Or, si une évidence
propre est exigée à cet égard pour compléter la première qui amène
l’objectité idéale à être donnée « elle-même », n’y a-t-il pas alors danger
que le problème se répète, et ainsi in infinitum ?
Pour obtenir ces identités idéales (que la logique aussi présuppose
réellement comme devant être obtenues à tout moment), la méthode
exercée avec naïveté a beau accomplir ce qui est exigé d’elle et par
conséquent la présupposition de la logique a beau avoir un droit
[166] originel... aussi longtemps que la méthode en tant que méthode exercée
naïvement reste anonyme et que son action intentionnelle n’est pas posée
clairement comme thème, nous n’avons donc aucun droit à admettre
ce prétendu droit. Ou bien veut-on par hasard se contenter de
renvoyer aux démarches empiriques privilégiées des sciences cou¬
ronnées de succès c’est-à-dire à la praxis des savants qui sont parvenus
en effet dans leurs théories à des jugements stables ? Cependant
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 253

ici rappelons-nous la multivocité des concepts fondamentaux des


sciences et de ce fait de toutes leurs théories, alors nous devrons
concéder qu’on ne peut pas dire qu’on soit effectivement parvenu
à des jugements stables, nous devrons dire qu’il s’agit d’un idéal
qui dans la pratique n’a jamais été satisfait et même qui ne peut
jamais être satisfait. Mais s'il s'agit d'un idéal que présuppose la
logique qui avant tout fournit des normes pour la possibilité de la
science authentique en général, nous sommes alors devant le dilemme
suivant :
Ou bien la logique opère avec une fiction universelle et alors elle
n’est elle-même rien moins que donatrice de normes; ou bien elle
est science qui fournit des normes, alors cet idéal est précisément
une norme fondamentale effective, liée inséparablement à la possibilité
de la science authentique.
Si nous devons, au moins tout d’abord, privilégier cette dernière
hypothèse et tenter de la légitimer, alors le problème de la méthode de
la logique — ce problème étant dirigé dans la perspective subjective — s'enri¬
chit pour nous d'un élément essentiellement nouveau, et bien entendu il en
est ainsi en même temps du problème de la méthode créatrice pro¬
curant les concepts logiques fondamentaux. En fait, cet idéal de l’iden¬
tité des significations des énoncés (en prenant le mot signification
dans ses sens multiples) est enfermé dans le sens de tous les concepts
logiques fondamentaux. Par conséquent la méthode de réalisation
de l’identité des significations, méthode qui avec une généralité
formelle convient à toute pensée logique concrète, c’est-à-dire à la
pensée scientifique, et qui est une méthode qu’il faut concevoir dans
la perspective de la généralité, cette méthode est un élément constitutif
de la méthode formant les concepts fondamentaux de la logique ; conçu d’une
manière plus spéciale c’est le problème de la constitution de l'identité
objective idéale normative avec, comme il était à prévoir, les degrés
d’approximation qui doivent lui être attachés par essence.
Le problème constitutif s’élargit de nouveau si nous songeons
254 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

au fait que l’expression verbale — que nous avons exclue de nos consi¬
dérations logiques — est une présupposition essentielle pour une
activité intersubjective de pensée et pour une inter subjectivité de la
théorie dont l’existence est valable idealiter et si nous songeons que
par conséquent aussi une possibilité idéale d’identification de l’expres¬
sion en tant qu’expression doit entraîner avec elle un problème
constitutif.

§ 74. Les idéalités du « et ainsi de suite »,


[167]
DE l’infini OBTENU PAR CONSTRUCTION
ET LEUR CORRÉLÂT SUBJECTIF

La thématique intentionnelle subjective d’une analytique qui,


en dépit de sa limitation à ce qui est uniquement analytique et formel,
veut être vraiment théorie de la science, veut fonder vraiment la
possibilité d’une science authentique et mettre vraiment à la dispo¬
sition du savant les principes de la justification de l’authenticité,
cette thématique conduit, comme nous le voyons, à des études
phénoménologiques dont on ne soupçonnait pas l’étendue et la
profondeur. Au surplus nous n’avons pas meme pris en considération
toutes les idéalisations qui jouent un rôle universel pour une analytique
pure. Qu’il me suffise de rappeler la forme fondamentale — qui n’a
jamais été mise en relief par les logiciens — du et ainsi de suite, de
P « infinité » obtenue par itération qui a son corrélât subjectif
dans le on peut toujours à nouveau. C’est une idéalisation manifeste, car
de facto personne ne peut toujours à nouveau. Mais pourtant cette
forme fondamentale joue partout dans la logique son rôle de déter¬
mination du sens. On peut toujours à nouveau revenir à une unité idéale
de signification et ainsi à une unité idéale en général... dans cette
mesure le « et ainsi de suite » appartient, lui aussi, comme élément
fondamental au problème du paragraphe précédent. On peut, par
exemple, étant donné un ensemble, avoir toujours à nouveau un
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 255

ensemble qui lui soit disjoint et, par addition, adjoindre ce nouvel
ensemble au premier; on peut avec tout nombre a former toujours
à nouveau un nombre a -f- 1, et ainsi à partir de 1 former la suite
« infinie » des nombres. Dans la morphologie des sens analytiques
nous avons des lois purement itérables ; en elles se trouve enfermée
l’infinité, se trouvent enfermés le « toujours à nouveau », le « et ainsi
de suite ». La mathématique est le domaine des constructions infinies,
domaine d’existences idéales, non seulement de sens « finis », mais
aussi d’infinités obtenues par construction. Manifestement se pose
ici à nouveau le problème des origines constitutives subjectives qui
prend la forme suivante : c’est alors le problème de la méthode des
constructions, méthode cachée qu’il faut mettre à nu et à laquelle
il faut donner une forme nouvelle de norme, méthode dans laquelle
deviennent évidents le « et ainsi de suite » de sens divers et les infinités
en tant que formations catégoriales de nouvelle espèce (mais qui
jouent un grand rôle également déjà dans les sphères préconceptuelles
de la représentation). Mais c’est précisément cette évidence dans tous
ses aspects particuliers qui doit être maintenant prise pour thème.

§ 75. La loi analytique de contradiction


ET SA CONVERSION SUBJECTIVE

Dégageons maintenant encore davantage la problématique subjec¬


tive. Dans la logique pure de la conséquence nous avons affaire aux lois
de la conséquence et de la contradiction et à la rigueur aussi de la non-
contradiction externe (ne reposant pas sur la conséquence) (a). Dans
la perspective objective, un jugement s’appelle contradiction d’un autre
jugement, s’il est soit une contradiction immédiate de cet autre juge¬
ment soit médiatement une contradiction à l’égard de la conséquence
de cet autre jugement.

(a) Cf. sur ce point également au début de ce livre les § § 1 q ao.


256 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

La loi fondamentale, dans cette perspective de l’idéalité objective,


s’énonce alors : tout jugement qui contredit un autre jugement est « exclu »
par ce jugement qu'il contredit. Tout jugement qui est une conséquence
analytique d’un autre jugement est « impliqué » dans ce jugement.
Le dernier énoncé a alors dans la perspective subjective la signi¬
fication suivante : celui qui a une opinion qu’il formule en jugement
et qui, s’explicitant cette opinion, voit une conséquence analytique
quelconque, énonce la conséquence non seulement en fait, mais
il ne peut pas faire autrement que de juger ainsi; en faisant attention
uniquement à la forme syntaxique et en ayant conscience du caractère
arbitraire des noyaux qui se présentent immédiatement, il a cons¬
cience en même temps de la nécessité, du « ne-pas-pouvoir-faire-
autrement » et, dans le cas le plus parfait, en passant effectivement
à la généralité formelle. L’évidence générale de la conséquence
analytique à laquelle on adjoindrait la négation de cette conséquence
montre, dans la perspective objective, l’impossibilité générale de
cette unité et, dans la perspective subjective, l’impossibilité de
l’adhésion à cette réunion de jugements non seulement pour tel
être qui juge mais pour un être en général (jugeant bien entendu dans
l’évidence de la « distinction »). Personne en général ne peut faire
autrement que nier en ayant affaire à un tel enchaînement de juge¬
ments. De même, celui qui se représente deux jugements comme
des jugements portés par une personne quelconque et qui reconnaît,
en passant au processus de « distinction », que l’un des jugements
contredit l’autre ne peut pas faire autrement que de nier le jugement
conjonctif formé à l’aide de ces deux jugements. C’est donc d’une
manière générale qu’est valable la loi formelle fondamentale de l'ana¬
lytique pure, dans son orientation subjective :
De deux jugements se contredisant l’un l’autre (immédiatement
ou médiatement) un seul uniquement, dans l’effectuation véritable
ou distincte de l’unité de ces deux jugements, peut être valable pour
un être qui juge pris en général.
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES

Validité veut dire ici naturellement non pas : vérité mais juste¬
ment : simple juger sous le mode de la « distinction ». La loi analytique
de contradiction ne doit donc absolument pas être confondue avec
la loi de la logique de la vérité qu’on appelle traditionnellement
loi de contradiction.
Quelque justes que soient ces tournures subjectives, elles indiquent
simplement le caractère de loi effective qui se tient derrière elles et
qui vient au jour dans la mise à nu effective des structures subjectives
169] corrélatives. Dans la perspective purement objective l’énoncé de la
contradiction appartenant à l’analytique pure est un énoncé sur
1’ « existence » — et la coexistence — mathématique idéale, donc sur
la compossibilité de jugements au stade de la distinction. Mais c’est
du côté subjectif que se trouve la structure apriorique de l’évidence
et des effectuations qui relèvent d’ordinaire de cette structure, struc¬
ture dont la mise à nu met réellement en relief les situations subjec¬
tives essentielles qui correspondent à son sens objectif.
Au caractère subjectif de l’évidence qui appartient seulement à
la sphère idéale de la conséquence et de la non-conséquence s’entre¬
mêlent avec une nécessité d’essence les évidences de la morphologie
qui sont relatives aux modes de la confusion et aux connexions
de l’intention et du remplissement que nous avons montrées
précédemment.
Toutes ces évidences avec les structures essentielles qui leur
appartiennent doivent être déployées de telle sorte qu’on voie
qu’elles fonctionnent ensemble dans la « méthodique » subjective
et cachée de la constitution intentionnelle des diverses unités idéales
et des diverses connexions idéales qui lient la morphologie à la
doctrine de la conséquence pour former l’unité de l’analytique mathé¬
matique. Toutes les structures subjectives ont précisément un
a priori de la fonction, elles doivent toutes être mises en relief et cet
a priori doit être formé consciemment du fait d’une claire auto¬
compréhension : il est une méthode, à la clarté originelle, pour une

E. HUSSERL
17
258 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

morphologie ayant une légitimité radicale et pour une analytique


complète se fondant valablement dans cette morphologie analy¬
tique pour laquelle il ne peut y avoir de paradoxe et dont le sens
légitime d’application doit être complètement hors de question.

§ 76. Passage a la problématique subjective

DE LA LOGIQUE DE LA VÉRITÉ

Nous avons parlé jusqu’ici de l’analytique au sens restreint de la


mathesis universalis « pure », science d’une fécondité infinie, qui,
comme nous le savons déjà, ne s’augmente pas de nouvelles disci¬
plines mais acquiert seulement la fonction spécifiquement logique
quand par la suite elle inclut dans son thème les concepts de vérité
et quand elle s’enrichit de quelques propositions relatives à ces
concepts. Ces propositions établissent que les lois formelles de la
simple non-contradiction deviennent des conditions de la possibilité
de la vérité et peuvent être énoncées en tant que telles. L’analytique
se convertit alors, disions-nous, en une doctrine analytique de la
science, en une doctrine véritable de la science, ou, ce qui est équi¬
valent, en une « ontologie formelle ».
Examinons de plus près une telle doctrine de la science (une telle
ontologie) ; si, après avoir dégagé son domaine, on la pense en train
de s’accomplir d’une manière immédiate, on s’aperçoit qu’elle est
très peu appropriée à effectuer ce à quoi elle est pourtant destinée,
[170] à savoir à fournir des normes, même si ce sont des normes purement
formelles, de la possibilité essentielle des sciences authentiques.
Cela concerne à présent spécialement les nouveaux concepts fonda¬
mentaux et les nouvelles lois, avec la nouvelle détermination du sens
qui grâce à ces concepts et à ces lois est introduite dans l’ana¬
lytique mathématique pure. Quand, ainsi enrichie, la doctrine de
la science reste fidèle en tant que « logique formelle » à son principe
de laisser les matériaux syntaxiques dans une généralité indéterminée
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 259

et d’être la simple syntactique de l’être vrai possible et de la vérité


prédicative possible, alors il s’agit de savoir comment elle introduit ce
concept de « vrai » dans le général en tant que tel dont elle s’’occupe d'un point
de vue formel. Il semble tout d’abord qu’ici pour la création des nouveaux
concepts fondamentaux il n’y ait rien d’autre à effectuer que pour les
concepts fondamentaux des disciplines logiques qui précèdent une
telle doctrine de la science : de même que ces disciplines logiques
tirent d’exemples, par une généralisation essentielle, leurs concepts
essentiels de la forme, de même la doctrine formelle de la vérité
tire les siens d’exemples de l'être vrai et de la vérité prédicative. Là, la
connaissance de certaines présuppositions idéalisantes contraignait
à des recherches dirigées vers la subjectivité. Il faut s’attendre ici
aussi à quelque chose d’analogue et ainsi il semble que soit indiqué
le même chemin et que nous nous trouvions devant la même sorte
de difficultés à résoudre.
Mais une investigation plus profonde montre qu’ici nous tom¬
bons non seulement sur des présuppositions et sur des difficultés
de même sorte que celles que nous avons eues jusqu’ici l’occasion
d’apprendre à connaître, mais encore sur des présuppositions et des
difficultés nouvelles et qui s'étendent beaucoup plus loin. Dès qu’elles
deviennent apparentes, elles embrassent en effet aussitôt également
toute l’analytique limitée au mathématique pur. Attendu que la
logique, dans toutes ses formes traditionnelles, a été essentiellement
déterminée par le sens fondamental propre à une logique analytique,
sens qui est son sens « natif » et auquel se conforme la recherche
conduite dans une positivité naïve, alors nous la trouvons également
dans toutes ces formes sujette à ces difficultés qui à elle-même restent
cachées précisément du fait de cette naïveté et que nous avons ici à
discuter en mettant en évidence dans sa pureté l’idée d’analytique.
Notre recherche trouve un point de départ dans le concept de
vérité et dans les principes logiques qui explicitement axiomatiquement
ce concept. Nous nous souvenons des analyses concernant l’origine
z6o LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

des concepts d’être vrai et de vérité prise comme justesse du jugement


par référence à la donation de la chose elle-même (expérience au
sens étroit et au sens large) et par référence à l’adéquation (a). Ces
analyses étaient suffisantes pour notre but d’alors qui était de dis¬
tinguer une analytique mathématique pure (de la simple non-contra-
[171] diction) face à une logique formelle de la vérité ; mais c’est uniquement
dans des indications rapides, par exemple dans des indications sur les
différences de perfection de l’évidence (au double sens de ce mot),
que ces analyses mentionnaient quelques-unes des régions obscures
d’où émanent, dès qu’on pénètre en elles, de très difficiles questions.

§ 77. Présuppositions idéalisantes


CONTENUES DANS LES ÉNONCÉS DE CONTRADICTION
ET DU TIERS-EXCLU

Commençons par les problèmes de l’évidence des « principes


logiques ». Leur évidence doit donc être fondée dans la création
évidente des concepts de vérité et de fausseté. L’’énoncé de contradiction
exprime l’impossibilité générale que des jugements contradictoires
soient vrais (ou faux) ensemble. Si nous nous enquérons de l’évi¬
dence dans laquelle se fonde cette impossibilité, nous voyons alors
ce qu’elle implique : quand un jugement, au sens de l’évidence se
référant aux choses d’une manière positive, peut être amené à l’adé¬
quation, son opposé contradictoire est non seulement exclu a priori
en tant que jugement, mais ne peut être amené, lui aussi, a priori
à une telle adéquation. Et de même, vice versa.
Cela ne signifie pas encore qu’en général tout jugement puisse
être amené à l’adéquation. Cette possibilité d’adéquation, c’est
précisément ce qui est impliqué dans Y énoncé du tiers-exclu, ou dans
l’évidence qui est son corrélât subjectif. Tout jugement doit être amené

(a.) Cf. Section I, § 16, p. 79 et pour les « principes logiques », § 20, p. 93.
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES zGi

en contact avec « les choses elles-mêmes » auxquelles il se rapporte et il doit


se conformer à elles, que ce soit dans une adéquation positive ou
dans une adéquation négative. Dans l’un des cas le jugement est
vrai d’une manière évidente, dans la vérification et le remplissement
qu’entraîne la coïncidence de l’objectité catégoriale visée dans le
jugement considéré avec cette même objectité qui maintenant s’offre
comme donnée « elle-même »; dans l’autre cas, le jugement est
faux d’une manière évidente, c’est-à-dire dans la mesure où, de pair
avec le remplissement partiel du jugement-opinion (de l’objectité
catégoriale intentionnée en tant que telle), se manifeste comme
donnée « elle-même » une objectité catégoriale qui s’oppose à l’opinion
totale et la « supprime » nécessairement. Il est alors possible par
essence (comme nous le savons déjà) qu’ait lieu une modification
de l’organisation du jugement : au lieu de la négation qui supprime
le jugement (c’est-à-dire au lieu de son biffage), on a affaire alors a
un jugement positif dont le sens prédicatif est modifie, il a comme
forme prédicative ce qui est nié et il énonce alors la vérité de 1 opposé
contradictoire du jugement primitif.
Le principe du tiers-exclu, dans la perspective subjective, se
décompose donc en deux. Il décrète non seulement que, quand un
jugement doit être amené à l’adéquation, à la synthèse avec les choses
données elles-mêmes qui lui correspondent cette correspondance
étant prise en un sens élargi — il doit être amené soit à 1 adéquation
positive soit à l’adéquation négative; mais le principe du tiers-exclu
décrète aussi — si on ne détache pas cela de prime abord à titre de
principe propre d’évidence — que, comme il a été dit, tout juge¬
ment peut être amené principiellement à P adéquation. « Principalement »
étant conçu dans une idéalité pour laquelle on ne s est certes jamais
posé la question d’une évidence qui en rendrait compte. Nous savons
tous très bien combien peu de jugements peuvent être fournis par
quelqu’un de facto avec la clarté de l’intuition et au prix de quels
efforts, et cependant on doit comprendre a priori absolument qu’il
262 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

ne peut y avoir de jugements non-évidents qui ne puissent « en soi »


être rendus évidents et ce, dans le sens de l’évidence positive ou
dans le sens de l’évidence négative.
Nous n’en avons pas encore terminé. Le double principe de contra¬
diction et du tiers-exclu dit purement et simplement : tout jugement
est ou vrai ou faux, l’un des deux. Il ne contient pas de mot subjectif
tel que le mot évidence quoique la vérité et la fausseté tirent de l’évi¬
dence leur sens originel et leur droit. Un jugement n’est pas tantôt
vrai et tantôt faux, mais il est vrai ou faux une fois pour toutes ; c’est-à-
dire s’il est évident une fois, s’il se manifeste une fois dans l’évidence
de l’adéquation remplissante, alors il ne peut pas une autre fois se
révéler faux avec l’évidence de 1’ « adéquation qui détrompe ».
On peut aussi donner précisément ce sens au principe d'identité
A est A, auquel on fait souvent allusion : quand A est vrai (A pou¬
vant être compris comme un jugement au sens le plus large que nous
avons adopté), alors il est vrai une fois pour toutes. La vérité est une
qualité qui appartient d’une manière permanente au jugement idéa¬
lement identique. On pourrait alors adjoindre à cet énoncé les deux
autres principes : dans le cas où A est vrai, son opposé contradictoire
est faux et tout jugement est ou vrai ou faux, l’un des deux. Mais il
s’agit de savoir si cette coordination des trois principes est homogène,
car le « une fois pour toutes » est une tournure subjective qui n’a pas
sa place dans les principes purement objectifs.
Mais le sens des principes logiques ne trouve pas encore son
compte à ces développements : déjà dans l’analytique mathématique
pure nous aurions pu référer l’identité des sens des jugements à
« tout être » : le même jugement, en tant qu’il est mon opinion durable
n’est pas seulement une unité idéale de mes vécus subjectifs mul¬
tiples mais tout être peut avoir cette même opinion ... en vertu de
quoi nous aurions dû soulever déjà antérieurement le problème de
l’évidence intersubjective universelle de cette identité. Puisque nous
avons préféré introduire ici seulement le « tout être », alors vient
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 263

en question à présent comme conséquence l’opinion qu’a la logique


s'x 73] qu’une adéquation effectuée par quelqu’un ne produit pas seulement
pour lui une fois pour toutes la vérité en tant qu’unité idéale mais
que cette idéalité s’étend à tout être. Tout être peut porter tout juge¬
ment et pour tout être est valable la possibilité d’amener ce jugement
à l’adéquation ainsi que les lois logiques correspondantes. En cela
tous sont avec tous dans une harmonie parfaite.
Les remarquables déterminations de sens du concept de vérité
rencontré dans la logique — du concept d’une vérité objective,
c’est-à-dire qui reste identique pour l’intersubjectivité, concept que la
logique prend pour base — s’étendent à toutes les propositions que
la théorie logique établit : à ses axiomes comme à ses théorèmes. Ces
propositions élèvent donc toutes la prétention de valoir une fois
pour toutes et pour tout être.

§ 78. Conversion des lois

DU « MODUS PONENS » ET DU « MODUS TOLLENS »


EN LOIS SUBJECTIVES DE L’ÉVIDENCE

Également pour les lois fondamentales qu’il faut distinguer sous


les dénominations de modus ponens et modus tollens parmi lesquelles
seul le principe de la déduction analytique appartenant à la logique
pure de la conséquence s’est révélé un principe authentique (a)
nous pouvons, tout comme pour le double principe de contradiction,
effectuer la conversion en lois subjectives de l’évidence. Pour le
principe pur de la conséquence nous obtenons alors comme loi :
la possibilité de P évidence de la « distinction » du jugement analytique qui est
prémisse entraîne nécessairement la possibilité de la même évidence du juge¬
ment-conséquence.
L’élément nouveau quand on convertit de même en loi subjective

(a) Cf. Section I, § 20.


264 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

la loi correspondante de la logique de la vérité, c’est que, si l’on amène


les actions syntaxiques (catégoriales) convenant au jugement-pré¬
misse au contact du caractère originel des « choses elles-mêmes »
(en s’appuyant sur 1’ « expérience »), la même possibilité d’évidence
(de l’évidence se rapportant aux choses) doit subsister aussi pour les
actions convenant au jugement-conséquence. Naturellement, ces
propositions relatives à l’évidence, elles aussi, n’offrent pas un auto-
éclaircissement de leurs problèmes et d’ailleurs toutes les difficultés
de la compréhension des lois aprioriques de l’évidence qui peuvent
se manifester sont attachées aussi au principe actuellement en question
Toutes ces propositions exigent une étude réflexive de ces évidences,
de leur origine, de leur structure et de leur action propre.

74] § 79. Les présuppositions de la vérité en soi


ET DE LA FAUSSETÉ EN SOI
ET DE LA (( DÉCIDABILITÉ » DE TOUS LES JUGEMENTS

Revenons maintenant aux premiers principes définissant, si l’on


peut dire, la vérité et la fausseté, principes qui précisément pour cette
raison ont une place initiale. Vérité et fausseté signifient pour ces
principes : prédicats de jugements, mais non caractères propres et essen¬
tiels, dans le langage traditionnel, caractères constituants de ces juge¬
ments. On ne peut pas les « voir » d’emblée sur ces jugements. Avoir
des jugements comme donnés « eux-mêmes », ce n’est pas avoir l’un
ou 1 autre de ces prédicats comme donnés « eux-mêmes ».
^ Il ne peut pas même être dit qu’au sens propre du terme une
prétention à la vérité soit essentiellement propre aux jugements et il
n est donc pas juste de compter de prime abord ce concept de pré¬
tention à la vérité comme un concept convenant au jugement. Pour
parler dans la perspective subjective, il n’est pas nécessaire pour celui
qui juge de mettre en avant la vérité, que ce soit d’une manière intui¬
tive ou vide. On doit prendre garde ici au double sens de l’expression
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 265

T assertion par laquelle on aime définir les jugements. Le sens le plus


fréquent — et sur lequel pour ainsi dire on appuie — d’« assertion »
veut dire : je réponds de cela, c’est vrai, on peut le justifier à tout
instant par adéquation. Mais le jugement qui pourrait intervenir
à tout moment dans l’adéquation précède déjà la possibilité de cette
adéquation. Le jugement est croyance catégoriale (prédicative, pour
parler sur le plan grammatical) — au sens étroit habituel il est
certitude catégoriale non-modalisée — il n’est donc pas déjà un
« s’être-convaincu » grâce à des témoins et à des témoignages quel¬
conques ni non plus grâce aux témoignages décisifs suprêmes : les
« choses elles-mêmes ». Donc dans leur essence propre les jugements
n’ont rien d’une prétention à la vérité et à la fausseté, mais tout
jugement peut s’approprier l’intention pratique dirigée vers la
vérification, vers le « c’est bien cela » ou vers la décision : « Est-ce
bien cela, oui ou non ? » Dans la perspective subjective, le jugement
en tant que se situant dans le juger, dans l’activité d’opinion, peut
entrer dans les connexions intentionnelles (qu’il reste à distinguer
plus précisément) de la confirmation et de la vérification évidente
dont la clarification est à son tour une tâche importante du travail
logique dans son orientation subjective.
Conformément au sens originel de la logique apophantique et de
sa relation essentielle à la critique du jugement, tout jugement, comme
nous avons déjà eu à le montrer dans nos développements antérieurs,
est pensé de prime abord par le logicien comme assertion à vérifier, donc
avec une intention de connaissance ; tout jugement est pense comme
devant être mis en question et en conséquence toute vérité est pensee
comme décision acquise, que ce soit au moyen d une evidence justi¬
ficatrice directe ou au moyen de l’evidence d une méthode médiate.
175] S’agit-il, pour le savant vivant dans la volonté de connaître, d arriver
à décider de l’exactitude d’un jugement qui est encore loin d être
« décidé » et, pour faire face aux questions qui mettent en doute ce
jugement ainsi qu’aux objections critiques questions et objections
z66 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

que le savant se doit de renouveler — de traiter ainsi à leur tour,


éventuellement en les prouvant à nouveau, les jugements déjà
« décidés » ? alors, dans cette occurence, pour le logicien et pour la
logique au stade de la positivité, il existe depuis toujours à Vavance
une conviction fondamentale, précisément celle-là même qui, sans être
formulée, dirige le savant dans son domaine : la présupposition de
la vérité en soi et de h. fausseté en soi. Pour nous de nombreux jugements
restent sans décision quant à leur légitimité et pour nous la plupart
des jugements qui sont possibles en général ne sont pas ainsi « déci¬
dâmes » de facto mais ils le sont en soi. Tout jugement est « décidé » en soi.
Son prédicat : vérité (ou fausseté) appartient à son essence — bien
que, comme nous l’avons montré ci-dessus, ce prédicat ne soit pas
un caractère constituant du jugement en tant que jugement. Cela est
très remarquable.
Naturellement il est question depuis toujours de jugements suscep¬
tibles d’une identification stable, de jugements que nous pouvons
—- nous et même tout le monde — établir à nouveau (si nous nous
plaçons toujours dans la même idéalisation) et qui à ce titre sont
depuis toujours à notre disposition. Donc de toutes ces présuppo¬
sitions fondamentales et des difficiles questions et recherches qui s’y
rapportent (que ces recherches soient effectuées ou laissées de côté),
nous ne voulons pas parler présentement quoique nous devions les
avoir constamment en vue en tant qu’elles rentrent ici dans toutes
nos préoccupations. En tout cas, en tant que logiciens, nous nous
reposons sur la certitude qu’il y a à notre disposition des jugements
qui ont une identité assurée. Mais alors ils doivent être « décidés
en soi ». C’est-à-dire donc grâce à une « méthode », grâce à une
voie qu’emprunte la pensée dans sa fonction de connaissance, voie qui
existe en soi et qui est praticable, qui directement ou indirectement
conduit à une adéquation, qui conduit à ce que la vérité ou la fausseté
de tout jugement soit rendue évidente. Avec cela un étonnant a priori
est imposé à tout sujet du juger possible, donc à tout homme et à
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 267

tout être concevable; étonnant, car comment devons-nous savoir


a priori qu’ « il y a en soi » des chemins de pensée, avec, au bout, des
résultats certains, chemins qui sont à parcourir mais qui ne sont
jamais parcourus ? Comment devons-nous savoir a priori qu’il y a
des actions de pensée de forme subjective inconnue, actions de pensée
qui sont exécutables mais jamais exécutées ?

§ 80. L’évidence de la présupposition de la vérité ;


SA CRITIQUE DOIT ÊTRE PRISE POUR TACHE

Pourtant nous possédons la connaissance de facto, nous possédons


l’évidence ainsi que la vérité qui est visée en elle ou la fausseté qui est
repoussée en elle. Nous avons eu des jugements qui, en fait, sont
encore non décidés en ce qui concerne leur vérité ou leur fausseté;
nous les avons en fait mis en question et en toute confiance nous
avons présupposé qu’ils devaient être décidés positivement ou
[17^] négativement et souvent nous sommes parvenus à la décision qui
du même coup satisfaisait cette présupposition qui n’avait jamais été
formulée. Quand alors, en tant que logiciens, nous établissions le
principe de contradiction et celui du tiers-exclu, ne le faisions-nous
pas en vertu d’une généralisation essentielle en partant de tels cas
particuliers pris comme exemples (et éventuellement en essayant
effectivement de penser autrement à ce propos), ne le faisions-nous
pas en vertu d’une généralisation apodictiquement évidente, de telle
sorte que nous saisissions la vérité de ces principes, cette vérité ayant
une généralité inconditionnée (et quand nous essayons de contester
ces principes, de telle sorte que nous saisissions 1 impossibilité qu il
en soit autrement, cette impossibilité ayant une généralité incondi¬
tionnée) ? Nous aurions naturellement pu choisir, outre des vérités
et des faussetés réelles, des vérités et des faussetés possibles avec
leurs justifications, c’est-à-dire nous transporter par la pensée, par
la pure imagination, dans une activité quelconque de jugement et
268 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

nous représenter par l’imagination d’une manière intuitive et expli¬


cite les chemins qui mènent à l’adéquation (positive ou négative)
aux choses possibles correspondantes. En effet, la généralisation
essentielle n’est pas attachée au fait; puisque d’ailleurs, même si
elle part d’un fait réel, il doit y avoir une libre variation de ce fait
(donc passage à des faits idéalement possibles), la généralisation
peut donc tout aussi bien partir de prime abord de libres possibilités.
Là contre il n’y a tout d’abord rien à objecter. Avant tout, qu’il
existe en fait des vérités en soi que l’on peut chercher et que l’on
peut aussi trouver sur des voies d’accès, en soi déjà toutes tracées,
c’est donc une des choses de la vie qui vont de soi, qui ne font pas
question. On ne demande jamais s’il y a une vérité mais on demande à
chaque fois uniquement comment elle peut être atteinte; à la rigueur,
on demande si elle n’est pas en général inatteignable pour notre
faculté de connaissance qui est limitée en fait ou si elle est inattei¬
gnable seulement du fait de nos connaissances encore rudimentaires
et des ressources de la méthode qui sont les unes et les autres insuf¬
fisantes pour le moment. De cette manière, quoique toujours dans
certaines limites, à côté des domaines de vérités connaissables qui
rendent possible une vie pratique, nous avons également les champs
infinis de connaissances que présentent les sciences. La possibilité
des sciences repose entièrement sur cette certitude que leur domaine
existe en vérité et que pour elles il existe des vérités théoriques en soi
qui doivent être réalisées par des moyens de connaissance qu’il faut
explorer et qu’il faut réaliser progressivement.
De ces choses qui vont de soi nous ne voulons rien abandonner,
elles ont sûrement le rang d’évidences. Mais cela ne peut pas nous
empêcher de les soumettre à une critique, de les questionner sur leur
sens spécifique et sur leur « portée ». Des évidences de jugements peu¬
vent avoir des pré suppositions, non pas exactement des hypothèses,
mais des présuppositions qui sont enfermées dans le domaine de
[177] l’évidence des soubassements concrets, donc des présuppositions qui
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 269

contribuent à fonder les vérités et les faussetés ... et qui ne peuvent


pas arriver à être fixées avec évidence précisément parce que l’intérêt
de connaissance ne va pas dans cette direction et qu’il s’agit peut-être
d’un type de présuppositions allant de soi qui, dans le domaine de
connaissance considéré, jouent d’une manière toujours semblable
un rôle qui précisément de ce fait est inintéressant.
Qu’on remarque par exemple l’énorme domaine des jugements
occasionnels qui ont pourtant aussi leur vérité et leur fausseté inter¬
subjectives. Cette vérité (ou cette fausseté) repose manifestement sur
le fait que toute la vie quotidienne de l’individu et de la commu¬
nauté se rapporte à des types de situations similaires, de sorte que tout
homme qui entre dans telle situation a eo ipso, en tant qu’homme
normal, les horizons de situation qui appartiennent à cette situation
et qui sont communs aux situations du même type. On peut expli¬
citer ces horizons après coup mais Y intentionnalité d'horizon, inten¬
tionnalité constituante, par le moyen de laquelle le monde environnant
de la vie quotidienne est vraiment monde de l'expérience, existe toujours
antérieurement à l’explicitation de celui qui réfléchit; et elle est ce qui
détermine essentiellement le sens des jugements occasionnels, toujours et
bien au delà de tout ce qui à chaque fois est dit et peut être dit expres¬
sément et de façon déterminée dans les mots mêmes (a). Ce sont donc
des « présuppositions » qui en tant qu’éléments intentionnels impli¬
qués dans l’intentionnalité constituante déterminent constamment déjà
le sens objectif de l’environnement de l’expérience le plus proche et
qui, pour cette raison, ont un tout autre caractère que les présup¬
positions du type des prémisses et en général que les présuppositions
idéalisantes du jugement prédicatif que nous avons discutées jus¬
qu’ici. Dans l’abstraction formelle — et naïve — de la pensée logique,

(a) Dans les Logische Untersuchungen il me manquait encore la doctrine de


l’intentionnalité d’horizon dont les Ideen... ont pour la première fois mis en évidence
le rôle déterminant. De ce fait je ne pouvais dans ces Logische Untersuchungen venir
à bout des jugements occasionnels et de leur signification.
ZJO LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

de telles présuppositions jamais formulées peuvent facilement ne pas


être remarquées et par là une fausse portée peut être attribuée même
aux concepts fondamentaux et aux principes logiques.
Et surtout les éléments d’une critique de l’évidence que nous
avons présentés jusqu’ici ont déjà rendu visible que l’évidence est
tout d’abord une « méthode » qui se manifeste naïvement et qui est
« cachée »; on doit alors interroger son action d’effectuation et par
là on sait quelles choses « elles-mêmes » on a (et avec quels horizons)
dans l’évidence (en tant qu’elle est une conscience qui a les choses
[178] « elles-mêmes »). La nécessité et la signification de cette critique
extrêmement profonde de l’effectuation de l’évidence deviendra
par la suite visible et compréhensible dans une bien plus large mesure.
Et il deviendra aussi compréhensible pourquoi la question : qu’est-ce
que la vérité ? est non pas une simple question formulée par jeu par
une dialectique dont la discussion oscille entre le négativisme scep¬
tique (ou encore le relativisme) et l’absolutisme logique mais un
problème qui appelle un travail considérable, qui repose sur un
terrain propre du concret et qui renvoie à des recherches extrêmement
étendues. De côtés divers et toujours nouveaux il se manifestera
que la logique est incapable de satisfaire à l’idée d’une doctrine authen¬
tique de la science, donc de servir effectivement de norme pour toutes
les sciences, avant tout pour cette raison qu’à la généralité formelle
dont elle s’occupe il manque la critique intentionnelle qui prescrit
à une application féconde son sens et ses limites.

§ 81. Formulation d’autres problèmes

Notre thème actuel, c’est-à-dire le sens de la « vérité en soi »


logique ou aussi de la « vérité objective » et également la critique des
principes relatifs à cette vérité en soi, présente en soi différents
aspects dans ses problèmes mais qui sont si intimement mêlés que
s’offrent des difficultés quand on veut les exposer.
LES PRÉSUPPOSITIONS IDÉALISANTES 2-71

Le sens problématique du « vrai pour tout être » lié au « vrai une


fois pour toutes », nous l’avons déjà mentionné mais en aucune
façon nous ne l’avons déjà complètement mis à nu et clarifié.
Nous avons affaire à une problématique plus large avec la pro¬
blématique qui s’offre lorsque nous référons la vérité prédicative aux
« objets-sur-le s quels » nous portons un jugement et finalement aux
« substrats ultimes », aux objets de 1’ « expérience » possible. Ces
objets, ce qui est « concret » au sens dernier, sont, au sens de la
logique traditionnelle, ce qui est objectif ; l’expérience est eo ipso expé¬
rience objective, la vérité est eo ipso vérité objective. Elle est vérité en soi
pour les « objets » (1) ... d’un monde objectif. En tant qu’ « objets »
d’un tel monde objectif, ils sont, de leur côté, « en soi » et l’on peut
porter des jugements sur eux non seulement d’une manière générale
quelconque mais encore, comme nous l’avons déjà dit, de telle sorte
que tout jugement soit « décidable » et se résolve en vérités (ou en
faussetés) en soi.
A cela se rattache étroitement le fait que cet être des objets
est pensé en règle générale dans la logique traditionnelle au sens
d’un être absolu à l’essence duquel est extérieure la référence à la
subjectivité connaissante et à ses « phénomènes » subjectifs réels ou
possibles. L’être absolu de tous les objets a son corrélât dans une
vérité absolue qui déploie prédicativement cet être en l’épuisant
complètement.
A tous ces problèmes il faut ajouter les problèmes correspondants
de l’évidence qui doivent être soulevés sur chaque point, attendu que
quoi que ce soit que nous voulions énoncer selon la raison doit être
tiré de l’évidence. Mais c’est d’une manière générale que le concept
d'évidence de la logique traditionnelle vient ici en question, concept qui,
en tant que corrélât de la vérité absolue et des objets existant abso¬
lument, doit, quant à son effectuation, avoir le sens de l'évidence

(1) Objekte.
2-JZ LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

absolue. En liaison avec cette mise en question, on a affaire à la clari¬


fication des distinctions bien connues entre évidence imparfaite et
évidence parfaite, éventuellement entre évidence inauthentique et évidence
authentique. D’autres points importants qui ne se laissent pas carac¬
tériser à l’avance devront trouver encore dans le cours de l’exposé
leur motivation et leur description.
Chapitre IV

RETOUR DE LA CRITIQUE
DE L’ÉVIDENCE
DES PRINCIPES LOGIQUES
A LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE
DE L’EXPÉRIENCE

§ 82. La réduction des jugements aux derniers jugements

Les variantes catégoriales primitives du quelque-chose


ET LE SUBSTRAT PRIMITIF « INDIVIDU »

Notre première tâche doit être de revenir du jugement aux substrats


du jugement, des vérités aux objets-sur-lesquel s elles portent.
Ici, il faut tout d’abord apporter un complément important à la
logique pure de la non-contradiction qui, certes, dépassé la mathé¬
matique formelle proprement dite mais qui ne fait cependant pas
encore partie de la logique de la vérité. Il s’agit pour ainsi dire d’un
élément de transition entre les deux.
La formalisation qu’accomplit l’analytique et qui détermine son
caractère spécifique consistait, comme nous nous en souvenons, en ce
que les matériaux syntaxiques ou « noyaux » des jugements étaient
pensés comme simple quelque-chose en général, de telle sorte que
seule la forme syntaxique, seul ce qui relève spécifiquement du
18
E. HUSSERL
274 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

jugement (y compris les formes-noyaux, comme la forme de la subs¬


tantivité, de l’adjectivité, etc.) était déterminant pour les essences
conceptuelles qui en tant que « formes de jugements » entraient dans
les lois logiques de l’analytique. Ici il faut remarquer maintenant la
relativité avec laquelle ces lois laissent les noyaux qui ont une généralité
indéterminée. Par exemple, la forme du jugement catégorique et plus
précisément du jugement qui détermine au moyen de l’adjectif ne
nous dit en rien si le sujet du jugement et le prédicat du jugement ne
[180] contiennent pas déjà, dans leur noyau lui-même, des formes syn¬
taxiques; le sujet S, compris comme forme, se particularise aussi bien,
quant à la forme, en S qui est a, en S qui est a est b, ou en S qui est
en relation avec Q, etc. Là, la possibilité reste ouverte que dans cha¬
cune de ces formes le S lui-même ait déjà en soi de telles configu¬
rations syntaxiques. De même, du côté du prédicat, le p peut déjà
porter en lui une détermination catégoriale (par exemple, p étant q,
comme si l’on disait : rouge sang) et cela, dans un emboîtement
arbitrairement complexe. Mais on doit voir a priori avec évidence
que tout jugement possible aussi bien que réel nous ramène, si nous nous
occupons de ses syntaxes, aux noyaux derniers, on doit donc voir
que le jugement est une construction syntaxique, même si éven¬
tuellement elle a une médiateté de haut degré, faite de noyaux élé¬
mentaires qui ne contiennent plus de syntaxes. Nous sommes également
ramenés par Yadjectif substantivé, si nous nous occupons de son sens,
à Y adjectif originel, donc au jugement plus originel auquel il appartient
et dans lequel il intervient comme forme primitive irréductible. Pareil¬
lement, une forme générale de degré supérieur (comme par exemple
celle du genre logique : forme du jugement) nous ramène à des
formes générales de degré inférieur (dans l’exemple choisi : aux formes
particulières des jugements). Et continuellement il est clair que nous
venons, toujours par réduction, à ce qui est dernier dans chaque cas
considère, donc aux substrats-derniers, dans la perspective de la logique
formelle, aux sujets absolus (non plus aux prédicats nominalisés ou
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE
275

aux relations nominalisées, etc.), aux prédicats derniers (non plus aux
prédicats de prédicats, etc.), aux formes générales dernières, aux relations
dernières (a).

Mais cela doit être compris comme il le faut. Dans la logique du


jugement, les jugements, comme nous l’avons développé, sont des
« sens », des jugements-opinions pris comme objets. Par conséquent,
la réduction veut dire que, en considérant purement les « opinions », nous
venons à des opinions dernières (qui portent sur un quelque chose dernier)
donc que nous venons tout d’abord, en ce qui concerne les objets
intentionnés dans l’opinion, aux « objets-Æ/?W«.f-sur-lesquels » nous
portons une opinion. Et ensuite, dans les derniers jugements sur
lesquels s’édifient les jugements de différents niveaux, nous revenons
aux variantes catégoriales primitives du sens qu’est le quelque-chose absolu,
nous revenons aux propriétés, relations, etc., absolues prises en tant
que sens.
Pour la mathesis universalis en tant que mathématique formelle ces
éléments derniers n’ont pas d’intérêt particulier. Il en est tout autre¬
ment pour la logique de la vérité; car les objets-substrats derniers sont
des individus sur lesquels, du point de vue de la vérité formelle, il y a
beaucoup à dire et auxquels finalement toute vérité se réfère. Si l’on s’en
tient au formel de l’analytique pure, si donc l’évidence qui est à
son service se réfère seulement aux jugements en tant que sens
purs au niveau de la distinction, alors on ne peut fonder la propo¬
sition que l’on vient d’énoncer en dernier lieu, cette proposition n’est
en aucune façon une proposition « analytique ». Pour la comprendre
avec évidence, on doit se rendre intuitifs les noyaux derniers-, au lieu de
tirer la plénitude de l’adéquation de l’évidence des sens apophanti-
ques, on doit la tirer de l’évidence des « choses » correspondant à ces
« sens ». Du point de vue de la logique analytique au contraire, voici
tout ce que l’on peut dire, ni plus ni moins : il doit y avoir dans le

(a) Cf. ci-dessous Appendice I.


276 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

sens certains éléments qui sont les matériaux-noyaux derniers de


toutes les formes syntaxiques et on est ramené à des ensembles de
jugements qui sont les derniers jugements avec des substrats « indi¬
viduels ». Sur le plan de P analytique on ne peut rien énoncer sur la possibilité
et la structure essentielle d’individus, même le fait que leur soit nécessai¬
rement appropriée une forme temporelle, que leur soient appropriées
une durée et une plénitude qualitative de durée, etc., tout cela on
ne peut le savoir que par une évidence qui a rapport aux choses et
cela ne peut pénétrer dans le sens que par effectuation syntaxique
préalable.

§ 83. Réduction parallèle des vérités

Référence de toutes les vérités

A UN MONDE D’iNDIVIDUS

A la réduction des jugements aux derniers jugements avec un


sens dernier correspond une réduction des vérités qui va des vérités de
mveau supérieur à celle du niveau le plus bas, c’est-à-dire aux vérités
qui se rapportent directement à leurs choses et à leurs sphères de choses ou,
quand les substrats jouent le rôle directeur, aux vérités qui se rap¬
portent à des objets individuels dans leurs sphères d’objets ... objets
individuels qui donc ne contiennent en eux-mêmes rien des syntaxes
du jugement et qui ont une existence saisissable par l’expérience
avant toute activité de jugement. Le fait que les jugements (non pas les
jugements en tant que sens) se rapportent à des objets signifie que
dans le jugement lui-même ces objets sont pensés en tant que substrats,
en tant qu’objets sur lesquels on énonce un jugement, et l’examen
réducteur enseigne, comme un a priori, que tout jugement concevable
a finalement une relation à l’objet (relation réelle en un sens très large)
qui est une relation à un individu (cet individu étant, selon les cas,
déterminé ou non); l’examen réducteur nous apprend aussi (ce qui
nous entraîne déjà plus loin et ce qu’il faut fonder) que tout jugement
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE NI

concevable a par conséquent une relation à un univers réel, à un monde


ou à une région du monde « pour laquelle il vaut ».
Pour arriver à une justification plus précise il faut montrer que
des jugements généraux ne disent rien, dans leur détermination,
[182] d’individus, mais que dans le champ de leur extension ils sont, de
par leur sens, rapportés et renvoyés finalement, immédiatement ou
médiatement, à du particulier individuel. Cela est clair tout d’abord
pour le général se rapportant au concret. Lorsque le général a la
forme du général de niveau très élevé, il a beau, dans son extension,
être rapporté lui-même à nouveau à du général, il doit être ramené
évidemment en un nombre fini d’étapes à des choses particulières
qui ne sont plus elles-mêmes à leur tour du général mais qui sont des
individus. Mais s’agit-il du général analytico-formel, s’agit-il par
exemple de nombres ou de multiplicités ? alors sont comprises dans
leur extension (ou dans l’extension de leurs unités) « toutes choses
sans exception ». C’est en cela que réside la possibilité de détermi¬
nation au moyen d’objets en général choisis arbitrairement qui
alors, certes, pourraient être eux-mêmes à leur tour des formations
analytico-formelles pour les unités desquelles la même chose vaut et
ainsi in infinitum. Mais le sens de cette possibilité de détermination
implique aussi la possibilité d’application à des éléments concrets
choisis arbitrairement, en quoi nous serions ramenés au cas précédent.
Par conséquent, n’importe quelle formation générale a en fait fina¬
lement dans son extension, par ses possibilités d’application, une
référence à des individus, qu’ils soient délimités par le général se
rapportant aux choses ou qu’ils soient même totalement arbitraires.
Or il est conforme au sens de la logique formelle — et donc de toute
construction où intervient le général analytico-formel et qui a une
fonction épistémologique — de vouloir servir a des fins scientifiques
qui concernent les choses. Bien qu’elle ait toute liberté dans ses
constructions itératives de formes et bien qu’elle se réfère pleinement
à sa propre scientificité, la logique formelle ne veut pas cependant.
278 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

même dans ces itérations et dans cette référence à sa scientificité,


rester un jeu de pensées vides, mais elle veut servir à la connaissance
des choses. Donc la possibilité d’être appliquée finalement à des
individus implique en même temps pour l’analytique formelle qu’elle
soit rapportée têléologiquement à toutes les sphères individuelles possibles
— qui donc logiquement sont ce qu’il y a de premier en soi.

§ 84. La hiérarchie des évidences


l’évidence première en soi est celle de l’expérience

Le concept par excellence d’expérience

Or, si la vérité est en question ainsi que l’évidence corrélative


par laquelle elle devient notre propriété originelle, précisément ce
qui vient d’être développé est d’une signification manifeste. A la
hiérarchie des jugements et de leurs sens correspond la hiérarchie des
évidences; et les ventes et les évidences premières en soi doivent être les
vérités et les évidences individuelles. Les jugements dans la forme
subjective d’efFectuation de l’évidence (étant entendu qu’il s’agit
de l’évidence effectivement la plus originelle qui saisit originellement et
tout à fait directement leurs substrats et leurs états-des-choses) doivent
être a priori les jugements portant sur les individus.
[183] Les individus sont donnés par l’expérience, par Yexpérience au
sens premier, au sens le plus fort qui se définit précisément comme
référence directe a Y individuel. Là, quand nous prenons comme
jugements d’expérience les groupes de jugements dont l’évidence est
la plus originelle, l’expérience en une certaine mesure doit pourtant
etre prise en un sens! arge, elle doit être prise non seulement comme
donation de 1 existence individuelle pure et simple « elle-même »,
donc comme certitude d’existence, mais elle s’étend aussi aux moda-
lisations de cette certitude qui peut, en effet, se changer en pré¬
somption, en probabilité, etc. Mais face à toutes ces formes d’expé¬
rience « réelle », c’est-à-dire positionnelle, vient aussi en considération
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE

l’expérience « neutralisée », l’expérience comme si, nous pouvons dire


aussi : l’expérience dans l’imagination qui, par une modification conve¬
nable d’attitude qui est toujours possible, se transforme en expérience
positionnelle d’un élément individuel possible. Naturellement appar¬
tiennent à l’expérience-comme-si les modalités parallèles à celles de
l’expérience positionnelle : ce sont les modalités-comme-si du mode
primitif de la certitude d’existence-comme-si.

§ 85. Les taches authentiques


DE CE qu’on APPELLE LA THÉORIE DU JUGEMENT

La genèse du sens des jugements


PRISE COMME FIL CONDUCTEUR POUR LA RECHERCHE
DE LA MISE EN ORDRE HIÉRARCHIQUE DES ÉVIDENCES

Les considérations que nous venons de poursuivre nous per¬


mettent de comprendre la tâche spécifique de la théorie du jugement
dont on a beaucoup parlé mais qui est restée assez infructueuse ...
infructueuse, attendu que faisait défaut toute compréhension pour
le type des recherches dirigées vers la subjectivité, recherches qui
étaient nécessaires pour les jugements au sens de la logique et pour
les concepts fondamentaux relatifs à ces jugements.
1. La confusion générale ne pouvait s’éclaircir que dans la mesure
où (en triomphant du psychologisme qui mêle les genres) 1 on dis¬
tinguait le. juger et le jugement lui-même (la formation idéale, la propo¬
sition énoncée) ; a fortiori, un problème dirigé dans la perspective
subjective et ayant son plein sens ne pouvait être posé tant que n était
pas comprise l’essence spécifique de l’intentionnalité en général comme
action constituante, donc tant que n’était pas comprise également
l’intentionnalité de jugement comme action constituante pour les
formations de jugement idéales — et en particulier 1 intentionnalité
du juger évident comme action constituante pour les formations
idéales ayant le caractère de vérité. Ainsi, après cette séparation
28o logiques formelle et transcendantale

entre juger et jugement, le premier problème (relatif au jugement)


à poser à partir de là dans la logique est de chercher à mener
à bien les clarifications phénoménologiques que l’on rencontre dans
le retour à l’intentionnalité dont l’action est diverse; dans ces
[184] clarifications les divers concepts de jugements de la logique se séparent d’une
manière originelle en tant que concepts fondamentaux pour ses diverses
disciplines et sont compréhensibles en même temps dans leurs
relations les uns avec les autres.
2. Si cette première série de recherches est menée à bien — préci¬
sément celles que nous avons tentées dans la partie précédente de cet
ouvrage — alors deviennent nécessaires les examens réducteurs du
type de ceux qui nous ont occupés il y a un instant (a). Ces examens
dévoilent les implications intentionnelles cachées qui sont impliquées dans
le juger (et dans le jugement lui-même en tant que formation du
juger). Les jugements en tant que sens ont en conséquence une genèse du sens.
Ce que cela signifie, les renvois phénoménologiques le font com¬
prendre, renvois que par exemple un prédicat nominalisé (le rouge)
porte en soi : ce prédicat nominalisé renvoie noétiquement à une
activité de nominalisation, noématiquement au prédicat originel
(rouge). C’est précisément de tels renvois phénoménologiques que
montre toute autre forme de sens nominalisée (comme « la ressem¬
blance », « ce fait que S est p ») : elle renvoie à la forme plus originelle
correspondante et aux activités de nominalisation corrélatives; de
même toute détermination attributive dans le sujet renvoie à la
détermination originelle qu’est la détermination par le prédicat, etc.
Il en résulte, déjà pour la morphologie et ensuite quand on accède
à une analytique de la conséquence, un principe de l’ordre génétique,
ordre qui est en même temps déterminant pour le dessein spécifi¬
quement logique de 1 analytique qui se réalise pleinement avec les
concepts et les propositions relatifs à la vérité. Dans la perspective

(&) Cf. §§ 82 et 83.


RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 281

subjective, cela signifie que l’ordre ainsi tracé des formes du jugement
recèle en soi en même temps un ordre, lui aussi tracé, des processus qui
rendent évident au contact des choses, ordre qui étage les choses vraies elles-
mêmes.
Pour préciser, disons que parler du dévoilement de la genèse du
sens des jugements c’est exactement la même chose que parler du
déroulement des moments du sens qui sont impliqués dans le sens
manifeste et qui lui appartiennent par essence. Les jugements en
tant que produits achevés d’une « constitution » ou d’une « genèse »
peuvent et doivent être questionnés relativement à cette constitution,
à cette genèse. C’est précisément le caractère propre de l’essence de
tels produits qu’ils sont des sens qui, en tant que produits d’impli¬
cation de leur genèse, portent en eux une sorte d’historicité; qu’en
eux, d’une manière graduelle, le sens renvoie au sens originel et à
l’intentionnalité noématique correspondante; que l’on peut donc
questionner toute formation de sens relativement à son histoire du
sens, histoire conforme à l’essence du sens.
Cette propriété merveilleuse appartient à l’universalité de la
conscience en général en tant qu’elle est intentionnalité effectuante.
Toutes les unités intentionnelles proviennent d’une genèse inten¬
tionnelle, elles sont des unités « constituées » et partout on peut
questionner les unités « achevées » relativement a leur constitution,
à leur genèse totale et ce, relativement a leur forme essentielle qui
doit être saisie éidétiquement. Ce fait fondamental, embrassant dans
son universalité la vie intentionnelle entière, c’est lui qui détermine
le sens spécifique de l’analyse intentionnelle comme dévoilement des impli¬
cations intentionnelles avec lesquelles sont mis en relief, face au sens
achevé patent des unités, leurs moments de sens cachés et leur
relations de sens « causales ». En tout cas cela nous est facile à com¬
prendre dans le jugement et en particulier il devient aussi com¬
préhensible que non seulement le sens patent ou achevé, mais
encore le sens impliqué a constamment a intervenir, et qu en particulier il
282 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

joue aussi un rôle essentiel dans le processus qui rend évident (ici,
dans notre sphère logique, dans le processus qui rend évident les
principes logiques). Mais cela concerne, comme on va le voir dans
un instant, non seulement les implications syntaxiques mais aussi la
genèse, aux assises plus profondes, qui appartient déjà aux « noyaux »
derniers et qui renvoie aux origines provenant d’expériences. Faute
de voir clair sur tout cela, nous ne pouvons pas même disposer des
principes logiques, nous ne savons pas ce qui en eux peut dépendre de
présuppositions cachées.

§ 86. L’évidence de l’expérience antéprédicative

COMME THÈME, PREMIER EN SOI,

DE LA THÉORIE TRANSCENDANTALE DU JUGEMENT

Le jugement d’expérience comme jugement originel

Le niveau le plus bas auquel nous arrivons lorsqu’en suivant le fil


conducteur de la genèse du sens nous revenons en arrière, nous
conduit, comme nous le savons déjà, aux jugements portant sur des
individus et donc, pour les jugements évidents au sens de la vision
des états des choses eux-mêmes, à des évidences individuelles de
forme la plus simple : ce sont les jugements d’expérience purs et simples,
jugements sur les données de la perception et du souvenir possibles,
fournissant des normes pour l’exactitude des jugements-opinions
catégoriques du niveau le plus bas relatif à l’individu.
Utilisons une proposition tirée de la doctrine générale de la
conscience et plus précisément de la phénoménologie de la genèse
universelle de la conscience. Elle dit que la conscience du mode de la
donation des objédités elles-mêmes, pour toute espèce d’objectités, pré¬
cédé tous les autres modes de conscience qui se rapportent à ces
[186] objectités, en tant que ces modes sont génétiquement secondaires.
La conscience qui donne les choses elles-mêmes se transforme tou¬
jours, en effet, par la voie de la rétention et de la protention en cons-
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 283

cience qui ne donne pas les choses elles-mêmes, en conscience vide.


Même le ressouvenir, bien qu’il puisse être intuitif, est l’évocation
d’une conscience vide et renvoie à une conscience originale antérieure.
En conséquence, du point de vue de cette genèse, la théorie du juge¬
ment première en soi est la théorie des jugements évidents et ce qui est premier
en soi dans une théorie des jugements évidents (et donc dans une théorie
du jugement en général) c’est le renvoi génétique des évidences prédica¬
tives à l’évidence non-prédicative qui s’apelle alors expérience. Cette évi¬
dence entre aussi, avec des configurations intentionnelles conve¬
nables, dans le juger qui est au niveau le plus bas du point de vue
génétique et, si l’on considère l’effectuation de cette évidence, dans le
jugement lui-même en tant que formation.
Ici, on est en fait devant le commencement premier en soi d’une théorie
systématique du jugement en tant que théorie qui justement s occupe
de la genèse systématique (conforme à l’essence) du jugement qui
se manifeste originellement au contact des choses elles-mêmes, du
jugement « évident » et qui suit ensuite les chemins tout tracés
qui dans cette genèse nous élèvent au-dessus de ce qui est premier
en soi.
C’est aussi en se plaçant systématiquement dans ce commencement
que l’on peut découvrir en partant du jugement que la certitude et les
modalités de la certitude, l’intention présumante et le remplissement,
l’existant identique et le sens identique, la possession évidente des
choses « elles-mêmes », la vérité en tant que vérité d existence (être
« vraiment »), la vérité en tant que justesse du sens ... que tout cela
n’appartient pas exclusivement en propre à la sphère prédicative, mais
appartient déjà à P intentionnalité de l’expérience. A partir de là on doit
suivre tout cela dans les donations des choses elles-mêmes (ou évi
dences) de niveau supérieur, par exemple dans les donations des
variantes les plus proches de l’individuel (propriété, relation, etc.) et en
particulier dans l’évidence du général (qu’il faut tirer de l’expérience
de l’individuel) qui comprend dans son extension des individus.
284 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

Ainsi l’on en vient du jugement d’expérience (et plus précisément


du jugement le plus immédiat de forme catégorique) à T expérience
et à rélargissement motivé du concept de jugement qui est caractérisé par
le concept huméen de belief. Certes, ce concept très large reste, en son
acception historique, dans une conception fruste et même absurde.
Son insuffisance se manifeste déjà en ce que l’identification de
jugement et de belief nécessite aussitôt un appel à une « représen¬
tation » prétendant fonder cette « croyance ». Ce n’est pas ici le lieu
d’exercer une critique détaillée à ce sujet. Le sensualisme de Locke
[187] que l’on retrouve sous sa forme achevée chez Hume et chez J. St. Mil!
et qui devient à peu près prédominant dans la philosophie moderne
trouve dans ce belief un simple datum de la « sensibilité interne » qui ne
diffère pas beaucoup d’un datum de la « sensibilité externe », comme
par exemple d un son ou d’une odeur. Engagé que l’on était dans la
mise en parallèle de F expérience « interne » et de F expérience « externe »,
ou dans la mise en parallèle de la sphère de l’être psychique individuel
(qui est saisie avec son être réel dans l’expérience immanente ... comme
on le croyait) et de la sphère de l’être physique, il paraissait aller de
soi qu’au fond les problèmes du jugement, les problèmes psychiques en
général, devaient avoir essentiellement le même sens et devaient être
traités selon les mêmes méthodes que les problèmes de la nature physique.
Et cela, en tant que les problèmes psychiques sont des problèmes
de la réalité, des problèmes d’une psychologie conçue comme science
des « phénomènes psychiques », des data de 1* « expérience interne »,
parmi lesquels figurent précisément le belief Dans cette cécité pour
1 intentionnalité en général (et, même après que Brentano eût fait
valoir cette intentionnalité, dans la cécité pour sa fonction objecti¬
vante) on ^perdit sans contredit tous les vrais problèmes du jugement.
Dès que l’on met en évidence leur sens authentique, alors l’inten¬
tionnalité des jugements prédicatifs ramène en fin de compte à l’inten¬
tionnalité de l’expérience.
La théorie de l’évidence du jugement d’expérience qui est un
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L'ÉVIDENCE 285

jugement catégorique pur et simple doit être appelée, d’après ce qui


a été indiqué ci-dessus, théorie du jugement « première en soi » dans
la mesure où dans la genèse intentionnelle le jugement non-évident,
et même le jugement absurde, renvoient à une origine formée de
jugements d’expérience. Il faut souligner que ce renvoi, tout à fait
comme le renvoi de la genèse prédicative du sens dont on vient de
parler il y a un instant, n’est pas dérivé d’un processus empirique
inductif opéré par le psychologue dans sa tâche d’observation ou
même par l’expérimentateur de la « Denkpsychologie ». Mais c’est,
comme on doit le montrer dans la phénoménologie, un caractère
fondamental essentiel de l'intentionnalité qu’il faut mettre à nu, à partir
de la teneur intentionnelle propre de l’intentionnalité, dans les actions
de remplissement correspondantes. Donc, il en va de telle sorte
qu’en vérité pour nous, en tant que nous nous livrons à des prises de
conscience philosophiques et logiques, le jugement non évident et le
jugement évident s'offrent sur le même plan et que par conséquent le
chemin de la logique naïvement positive est le chemin naturel, alors que
pourtant, considéré en soi, le jugement évident (et plus profondément
le jugement d'expérience) est le jugement originel. A partir des syntaxes de
ce jugement originel, des syntaxes premières en soi, s’élève la genèse
syntaxique supérieure dont l’analytique formelle s occupe exclusi-
88] vement dans ses théories et cela, en prenant en considération les
conditions d’évidence possible relative au jugement, conditions qui
résident dans les formes aprioriques d’effectuation de la « distinction »
et de ses corrélats intentionnels.
Or, si l’analytique formelle, quant à son domaine et à sa théorie,
a affaire seulement aux formes de jugements possibles et de vérités
possibles et si rien de l’évidence et de 1 expérience n intervient dans
ces formes, alors dans ses recherches subjectives de « critique de la
connaissance », dirigées vers la méthode radicale des effectuations
intentionnelles, elle doit pourtant s’occuper des médiatetés catégo¬
riales de l’évidence et de la vérification et en conséquence élucider l'effec-
286 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

trntion des jugements originels. Par ces recherches de l’analytique for¬


melle toute vérité et toute évidence du j ugement sont ramenées, comme
nous le voyons, à la base primitive de l’expérience et puisque cette
expérience elle-même joue un rôle dans les jugements originels et
non pas en marge d’eux, la logique a besoin d’une théorie de P expérience
— si elle doit pouvoir donner un éclaircissement scientifique pour
les fondements et les limites de la légitimité de son a priori et par
conséquent pour son sens légitime. Si l’expérience est déjà mise au
compte du jugement au sens le plus large, alors déjà cette théorie
de l’expérience doit être qualifiée de théorie première du jugement,
de théorie de niveau le plus bas. Naturellement cette explicitation
de l’expérience comme fonction précédant les fonctions spécifi¬
quement catégoriales et s’organisant avec elles, doit être maintenue,
conformément au but de la logique formelle, dans une généralité
formelle ... formelle au sens qui dans la perspective subjective est le
corrélât du formel de l’analytique. Déployer comme il convient de le
faire ici — ce qui n’est nullement facile — l’action polymorphe de
l’expérience qui s’effectue dans le jugement d’expérience et déployer
ce jugement originel lui-même, une telle tâche sera poursuivie dans
un autre ouvrage (a). En particulier bornons-nous maintenant à
mettre en relief le fait que déjà cette expérience fondatrice a ses types
d effectuations syntaxiques mais qui sont encore exemptes des mises
en forme conceptuelles et grammaticales qui caractérisent le catégo¬
rial au sens du jugement prédicatif et de l’énoncé (b).

(a) Dans les Studien zur Logik que j’ai annoncées ci-âessus déjà à plusieurs
reprises.
(b) C est dans mes Logische Untersuchungen, II (2e partie.), 6e Recherche, que le
concept de catégorial a été introduit pour la première fois, exclusivement en ce qui
concerne le syntaxique dans le jugement. Ra séparation n’était pas encore faite
entre ,1e syntaxique en général qui apparaît déjà dans la sphère antéprédicative (et
qui d ailleurs a aussi ses analogues dans l'affectivité) et le syntaxique de la sphère
spécifique du jugement.
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 287

§ 87. Passage aux évidences de plus haut niveau

Question concernant la dépendance des noyaux


a l’égard de l’évidence du général se rapportant au concret
ET A L’ÉGARD DE l’ÉVIDENCE DU GÉNÉRAL FORMEL

En s’élevant à partir de l’expérience donnant les objets indi¬


viduels, on a à passer, dans une théorie systématique du jugement,
aux généralisations possibles se construisant sur cette expérience et
on a à se demander quel est le rôle que joue pour l’évidence de ces
généralisations l’expérience qui est à la base. Il se manifeste alors
une distinction fondamentale dans les diverses sortes de généralisations
essentielles, selon que, d’une part, elles sont effectuées au sens de l’a
priori matériel ou qu’elles le sont, d’autre part, au sens de l’a priori
formel. Là, dans le premier cas, nous tirons de l’individuel qui est
pris à titre d’exemple la teneur qui lui est essentiellement propre et nous
obtenons les genres, les espèces et les lois essentiels se rapportant au
concret; mais dans la généralisation formalisante tout ce qui est individu
doit être vidé de toute teneur concrète pour arriver au quelque chose en
général. En conséquence, toute organisation syntaxique d objets
formée d’individus et de même à son tour toute formation catégoriale
formée d’objectités catégoriales existant déjà auparavant d une
manière quelconque doivent entrer en considération d égale façon
en tant que modes du simple quelque chose en général. A la place
de l’individuel intervient partout la position : « Un certain substrat
en général sur lequel on peut porter un jugement » et lorsqu on
forme le général on vise exclusivement les formes (et les genres de
formes) de formations catégoriales en tant que telles. Ici toutes les
lois restent dans une relativité qui laisse indéterminé le fait de savoir
si et comment les substrats indéterminés des formes catégoriales
ramènent à l’individuel.
Cette distinction essentielle entre généralisation concrète et géné¬
ralisation formalisante donne lieu (dans le passage des jugements
288 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

en tant qu’opinions aux vérités) à des problèmes de T évidence et de la


vérité très différents dans l’un et l’autre cas, donc aussi à des problèmes
de la critique de la connaissance apriorique également très différents dans
l’un et l’autre cas. Tout a priori concret (entrant dans le cadre d’une
discipline « ontologique » au sens normal et finalement dans une onto¬
logie universelle) exige pour l’instauration critique de l’évidence
authentique le retour à Y intuition de l’individuel prise comme exemple,
donc le retour à Vexpérience « possible ». On a besoin de la critique de
l’expérience et, basée sur cette critique, de la critique de l’effectuation
spécifique du jugement, on a donc besoin de l’établissement réel
des formations syntaxiques ou catégoriales qu’il faut effectuer sur
les données de l’expérience possible elle-même. L'évidence des lois
[190] analytiquement aprioriques n’a pas besoin de telles intuitions indi¬
viduelles déterminées, mais elle a besoin uniquement d'exemples
quelconques d'entités catégoriales, avec éventuellement déjà des noyaux
ayant une généralité indéterminée (comme lorsque des propositions
sur les nombres servent d’exemples), noyaux qui certes peuvent
renvoyer intentionnellement à l’individuel mais qui ne doivent pas, à
cet égard, être davantage questionnés et explicités. On n’a pas à s’engager
dans les profondeurs d’un sens concret placé sous nos yeux comme
on le fait dans le cas de l'a priori matériel où l’évidence repose entiè¬
rement sur l’approfondissement de ce qui appartient essentiellement
à des choses quelconques et sur son explicitation.
Cependant, résultant de la genèse du sens, la référence à l’indi¬
viduel (donc, du point de vue noétique, la référence aux évidences
individuelles, aux expériences) que comporte le sens de toutes les opinions
catégoriales — donc aussi de tous les exemples pouvant être utiles à
l’analytique formelle — cette référence à l’individuel ne peut cepen¬
dant pas être sans importance pour le sens et pour l'évidence possible des
lois analytiques et, au-dessus-de-tout, pour l’évidence possible des
principes logiques. Comment autrement ces lois pourraient-elles
revendiquer une validité relevant de Y ontologie formelle : en même
• RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE

temps que la validité pour toute vérité prédicative possible, comment


pourrait-elle revendiquer la validité pour tout existant concevable ?
Cette concevabilité veut dire en effet : possibilité de l’évidence qui
4 précisément, en fin de compte, quoique dans une généralité formelle,
ramène à l’individuel possible en général, corrélativement à l’expé¬
rience possible. Le logicien, dans la création originelle évidente de
ses principes logiques, a devant les yeux comme exemples des
jugements quelconques (entités catégoriales). Il les varie avec la
conscience d’une liberté arbitraire, il forme la conscience de « juge¬
ments quelconques » en général; et c’est dans la généralité pure que
doivent être conçues les vues évidentes sur la vérité et la fausseté, dont
le style essentiel typique est maintenu dans la variation. Les exemples
sont là devant lui comme produits achevés d’une genèse qui, pour
parler en général, n’est pas du tout assumée par lui. Dans le procès
qui rend évident les principes d’une manière naïve, il n’est pas ques¬
tion d’une mise à nu de cette genèse et de sa forme essentielle, loin
qu’éidétiquement la teneur essentielle du sens : jugement en général
(qui est constitué dans une genèse de cette espèce), soit mise en
connexion essentielle avec ce que les principes présupposent comme
vérité ou fausseté et avec ce qu’ils déterminent a cet égard. Peut-on
s’en tenir à cette naïveté; les principes logiques, bien qu ils se pré¬
sentent comme allant de soi, n’ont-ils pas besoin cependant d une
critique de leur sens authentique remontant aux origines de la
formation de leur sens et n’ont-ils pas besoin aussi par conséquent
de la mise à nu de la genèse du jugement ?
En fait, la critique des principes logiques en tant que mise à nu
des présuppositions cachées impliquées en eux montrera que même
91] dans l’évidence de la généralisation formelle les noyaux ne sont pas
tout à fait sans importance.

19
E. HUSSERL
29° LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

§88. La présupposition implicite


DE LA LOI ANALYTIQUE DE CONTRADICTION :

TOUT JUGEMENT PEUT ÊTRE AMENÉ A L’ÉVIDENCE DE LA (( DISTINCTION ))

Examinons les principes logiques sous le point de vue de la


genèse du sens, alors nous tombons sur une pré supposition fondamentale
qui est impliquée en eux et qui en tout cas est attachée de façon
inséparable à l’énoncé du tiers-exclu. En y regardant de plus près
on voit qu’elle provient d’une présupposition qui d’une manière
analogue n’est pas remarquée et qui appartient à la couche inférieure
de la logique formelle, couche existant avant l’introduction du concept
de vérité et qui s’est détachée dans nos analyses antérieures. Alors
que nous étions dans ces analyses elles-mêmes encore inféodés à la
naïveté et que nous ne poursuivions qu'une seule direction d’intérêt,
cette présupposition nous est restée cachée dans le contexte antérieur.
Nous pouvons rendre visible cette présupposition de la couche infé¬
rieure en tentant de formuler comme proposition qui va de soi la propo¬
sition suivante : tout jugement possible pris au sens le plus large — dont
la possibilité est donc rendue évidente déjà par une simple indi¬
cation, (saisie explicitement) des significations des mots d’un
énoncé peut, si les lois de la conséquence analytique continuent
à être observées, être transformé en un jugement possible « distinct » ou
« jugement proprement dit ». La possibilité de ce jugement « distinct »
devient évidente seulement dans la réalisation des « indications » et,
du fait de 1 etablissement des jugements eux-mêmes indiqués par
les indications, dans l’effectuation proprement dite des actes syntaxiques
correspondants. En d autres termes la « non-contradiction » au sens le
plus large qui soit (qui comprend toute conséquence analytique)
est une condition nécessaire et suffisante pour cette possibilité d'effectuation
proprement dite d’un jugement possible.
Or, cela n est pas du tout aussi généralement exact qu’on veut bien
se le persuader. Et cependant l’installation de la logique de la consé-
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 291

quence présuppose que tout jugement, compris le plus largement


possible, que ce soit dans le sens positif ou dans le sens négatif,
peut être amené à l’évidence de la distinction et qu’à cet effet est
valable l’analogue de la loi de contradiction. Il doit donc y avoir
une pré supposition non-clarifiée quelconque qui opère une restriction
dans le concept de jugement que l’on rencontre dans la logique de la
conséquence de telle sorte que c’est uniquement avec cette restriction
présupposée tacitement que le jugement est soumis aux conditions
légales de la possibilité d’effectuation proprement dite du jugement.

§ 89. La possibilité de l’évidence de la « distinction »

a) Le sens en tant que jugement et en tant que « contenu du jugement »


L’existence idéale du jugement
présuppose l’existence idéale du contenu du jugement
Partons d’exemples. Si nous nous mettons à la place d’une per¬
sonne qui lit ou qui écoute « machinalement », alors nous pouvons
concevoir comme une possibilité que cette personne, en suivant préci¬
sément uniquement les indications symboliques des mots, par exemple
en s’en laissant imposer par l’autorité, juge passivement ce qu’elle
entend, même si c’est par exemple : cette couleur + 1 donne 3.
Malgré cela, nous disons que la phrase n’a pas de sens à proprement
parler ; c’est impossible, si l’on y pense réellement (c’est-à-dire dans
une effectuation réelle des membres prédicatifs isolés et de leur
organisation hiérarchique syntaxique) d’arriver au jugement en
tant que jugement possible, nullement parce qu il contient une
contradiction analytique ou extra-analytique mais parce qu il est,
dans sa manière d’être dépourvu de sens, pour ainsi dire au-dessus
de la concordance (1) et de la contradiction. Les éléments isolés de la
proposition ne sont pas dépourvus de sens, ce sont d’honnêtes sens.

(1) Einstimmigkeit.
292 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

mais le tout n’offre pas un sens ayant une unité harmonique; ce n’est
pas un tout qui soit lui-même sens.
Nous avons donc concordance et discordance (conflit) dans le
« sens » et cela de telle sorte qu’il ne s’agisse pas, avec ce qu’ici veulent
dire sens et totalité du sens, de jugements effectués réellement et à
proprement parler, de jugements au sens de la conséquence ... quoique
pourtant il s’agisse de jugements et de logique de la vérité. Des
jugements contradictoires sont présentement, en effet, concordants dans
T unité d’un sens ; mais contradiction et concordance selon les concepts
de la logique de la conséquence sont des concepts opposés qui
s’excluent et il est manifeste qu’ils présupposent déjà l’unité de ce « sens ».
Si nous nous demandons maintenant ce qui détermine ici le
concept de sens, alors nous nous rendrons compte d’une de ces
équivoques conformes à l’essence dont nous avons parlé antérieu¬
rement. Nous devrons revenir pour sa clarification à la distinction
qui a été traitée dans les Logische Untersuchungen et qui était la distinc¬
tion entre « qualité » et « matière » (a).
1. C est en tant que sens d’un énoncé que le jugement considéré peut
être compris. Mais si celui qui énonce passe de la certitude pure et
simple : « S est p » au cas où il présume, où il tient-pour-probable,
où il doute, s il passe à 1 affirmation ou au rejet négateur, ou aussi à la
supposition de ce même « S est p », alors :
2. Se détache comme sens du jugement le contenu du jugement en
tant qu il est un élément commun qui dans les vicissitudes du mode d’être
(certitude, possibilité, probabilité, caractère problématique, « réalité
effective », nullité) se maintient identique dans la direction subjective
du mode doxique de position. Ce contenu du jugement qui reste
identique dans la succession des modifications du mode primitif de la
certitude de croyance, ce contenu qui est ce qui, selon les cas, « est »

^ ^.I Partic), pp. 411 sqq. 1/Appendice I apporte une radicalisation


essentielle de l’idée de « matière du jugement » et en même temps de l’ensemble des
exposés de ce paragraphe.
■ RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 293

là, ou est possible, ou est probable, douteux, etc., les Logische Unter-
suchungen le prenaient comme un moment non indépendant dans les
modalités du jugement.
Le concept de sens a donc pour la sphère du jugement un double
sens essentiel... double sens qui d’ailleurs d’une manière analogue
s’introduit dans toutes les sphères positionnelles et avant tout bien
entendu aussi dans la sphère doxique du niveau le plus bas, celle de la
« représentation », c’est-à-dire celle de l’expérience de tous ses modes
de variation, y compris du mode vide. L’unité possible d’un tel contenu
du jugement, en tant que pensée comme unité qui peut être posée dans une
modalité quelconque, est liée à des conditions. La simple compréhen¬
sibilité grammaticale unitaire, la capacité de sens purement grammaticale
(avec le concept de sens grammatical qui à son tour est tout à fait
autre) n’est pas encore la capacité de sens que présuppose T analytique
logique.
Nous le voyons, le concept de jugement « distinct », du jugement
que l’on peut, du point de vue de la syntaxe, vraiment effectuer et qui
est présupposé dans la logique de la conséquence et par suite dans les
principes formels de vérité, a besoin d’une détermination essentielle
supplémentaire et d’une élucidation plus profonde correspondante.
La possibilité d’effectuation unitaire du contenu du jugement précède la possi¬
bilité d’effectuation du jugement lui-même et est sa condition. Ou encore,
1’ « existence » idéale du contenu du jugement est la presupposition de
/’ « existence » idéale du jugement (au sens le plus large d une objectité
catégoriale intentionnée en tant que telle) et se résorbe dans cette
déinière elle-même.

b) L’existence idéale du contenu du jugement


est liée aux conditions de l’unité de l’expérience possible
Si nous nous interrogeons maintenant sur 1’ « origine » de la
première évidence (avec son oppose qui trouve son expression
uniquement dans le mot aux significations multiples : non-sens),
294 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

[194] alors nous sommes renvoyés aux noyaux syntaxiques qui appa¬
remment n’ont aucune fonction dans les considérations formelles.
Ce qui donc voudrait dire que la possibilité de la véritable effec-
tuation de la possibilité d’un jugement (en tant qu’opinion) prend
racine non seulement dans les formes syntaxiques mais aussi dans les
matériaux syntaxiques. Ce dernier fait, le logicien engagé dans la
logique formelle le négligera facilement, du fait que son intérêt est
dirigé d’une manière unilatérale vers le syntaxique — dont la multi¬
plicité des formes appartient exclusivement à la théorie logique — et
du fait qu’il algébrise les noyaux, le noyau ne relevant pas de la théorie
et étant alors considéré comme un quelque-chose vide qui doit
simplement être maintenu identique.
Mais comment la fonction des matériaux syntaxiques ou noyaux
se comprend-elle quand il s’agit de rendre possible l’existence du
jugement, donc la capacité d’être vraiment effectué qu’a le jugement
pris au sens du jugement-indication ? Ici Y élucidation réside dans la
genèse intentionnelle. Tout jugement en tant que tel a sa genèse inten¬
tionnelle, nous pouvons dire aussi ses fondements essentiels de moti¬
vation sans lesquels le jugement ne pourrait exister tout d’abord sous
le mode primitif de la certitude et sans lesquels il ne pourrait être
ensuite modalisé. Cela implique que les matériaux syntaxiques se
présentant dans l’unité d’un jugement doivent avoir affaire les uns avec les
autres. Mais cela provient de ce que le mode de jugement généti¬
quement le plus originel — il est question d’une genèse intentionnelle
et, de ce fait, conforme à l’essence et non pas d’une genèse psycho¬
physique et inductive qui du reste ne peut être conçue clairement
qu’à partir de cette genèse intentionnelle — est le jugement évident
et, au niveau de base, le jugement qui se fonde sur l’expérience. Avant
tout juger existe une base universelle de l’expérience; elle est cons¬
tamment présupposée comme unité concordante d’expérience possible.
Dans cette concordance, tout « a affaire » avec tout matériellement.
Mais l’unité de l’expérience peut être aussi discordante et cependant
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 295

conforme à l’essence de telle sorte que ce qui apporte une contradiction a


une communauté d’essence avec ce qu’il contredit, de telle sorte que dans
l’unité de l’expérience qui a une cohésion et qui a encore une cohésion
même quand il s’agit de contradictions, tout se tient avec tout dans
une communauté d’essence. Ainsi dans son contenu tout juger originel
et, de même, tout juger qui se poursuit avec cohésion a de la cohésion
grâce à la cohésion des choses dans l’unité synthétique de l’expérience sur la
base de laquelle il repose. Par là il ne sera pas dit de prime abord
qu’il ne peut y avoir ayx un univers d’expérience possible comme base
du jugement, que donc tout jugement intuitif repose sur la même
base et que tous les jugements appartiennent à un seul ensemble
cohérent de choses. Arriver à décider d’une telle question serait
certes le thème d’une recherche propre.
Ce qui a été dit des jugements originels se transfère maintenant,
avec une nécessité d’essence, à tout juger possible en général, à tous
les jugements en général pouvant se présenter tout d’abord pour
le même être qui juge dans son flux conscientiel ; ce qui a ete dit des
jugements originels se transfère donc comme quelque chose de
nouveau à tous les jugements non intuitifs alors possibles pour lui.
Rendre ce transfert évident en vertu de lois d’essence, cela fait partie
de l’ensemble général des théories constitutives par lesquelles on
élucide la manière dont l’intentionnalité originelle en tant qu’mten-
tionnalité ayant une action de « fondation primitive >, entraîne la
constitution de formations intentionnelles secondaires et les doue
d’une intentionnalité qui, en tant que secondaire, renvoie a l mten-
tîonnalité fondatrice et qui en même temps doit etre réalisée dune
manière analogue à l’intentionnalité fondatrice. De cet ensemble de
théories fait partie aussi toute la doctrine essentielle de la formation

Us matériaux syntaxiques i, s jugements non tntutlfs, du fait de ce


oui fonde, comme nous l’avons ind.qué, leur genese d etre et leur
genèse de sens, * peuvent pas Or, variables d’une mantere complètement
ic>6 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

libres, comme si on pouvait assembler d’une manière tout à fait


arbitraire de tels matériaux et avec eux former des jugements pos¬
sibles. C’est a priori que les matériaux syntaxiques d’un jugement
possible (et de tout complexe de jugements qui peuvent être liés
sous la forme d’un jugement) ont une référence intentionnelle à
l’unité d’une expérience possible et à l’unité d’un ensemble de choses
saisissable par une expérience unitaire. Là, on ne néglige pas la possi¬
bilité (qui a déjà été mise en relief ci-dessus) de discordances, d’appa¬
rences, de biffages nécessaires. Car cette possibilité ne supprime pas
l’unité d’un ensemble ayant de la cohésion, précisément l’unité qui
constitue la base la plus profonde de la convenance matérielle des
matériaux des jugements possibles, donc aussi d’ensembles possibles
de jugements, aussi vastes qu’ils soient. Les considérations et la théorie
de la logique formelle n’ont, dans leur orientation objective, rien à
dire sur ce point mais chacune de leurs formes logiques avec ses S
et ses p, avec tous les symboles littéraux qui interviennent dans
1 unité d’une connexion formelle, présuppose Tune manière cachée que
dans cette connexion les S, p, etc., ont matériellement « affaire les uns
avec les autres ».

§ 90. Application aux principes de la logique de la vérité ;


ILS VALENT SEULEMENT POUR DES JUGEMENTS

AYANT UN SENS DU POINT DE VUE DU CONTENU

L important complément qu’a reçu notre analyse antérieure d-


jugement a maintenant une signification décisive pour la critique des
[196] principes logiques que nous avions en vue de prime abord. Il est facile
maintenant de mettre un terme à cette critique. La logique, de toute
evidence, n a pas en vue des jugements de l’espèce de ceux que nous
avons décrits comme dépourvus de sens quant au contenu, donc par
exemple : la somme des angles d’un triangle est égale à la couleur
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE 297

rouge. Naturellement cela ne vient à l’idée de quiconque qui


s’engage dans la doctrine de la science de penser à un tel jugement.
Et pourtant toute proposition énonciative qui remplit seulement les
conditions du sens unitaire purement grammatical (l’unité d’une phrase
somme toute compréhensible) est pensable aussi en tant que jugement...
en tant que jugement au sens le plus large. Si les principes logiques
devaient se rapporter aux jugements en général, ils ne seraient pas soutenables,
en tout cas sûrement pas le principe du tiers-exclu. Car tous les jugements
« dépourvus de sens » quant au contenu rompent sa validité.
C’est d’une manière inconditionnée que sont valables — rendons
évident ce point tout d’abord — les principes pour tous les jugements
dont les noyaux ont entre eux une convenance quant au sens, donc pour tous
les jugements qui remplissent les conditions pour former un sens
unitaire. Car pour ces jugements, grâce à leur genèse, le fait qu’ils se
rapportent à une base unitaire d’expérience est donné a priori. C’est
précisément par là qu’est valable, pour tout jugement de cette sorte
et avec un tel rapport à l’expérience, le fait qu’il est susceptible d’être
amené à l’adéquation, le fait que, dans le développement de cette adé¬
quation, ou bien il explicite et il saisit catégorialement ce qui est
donné dans l’expérience concordante ou bien il conduit à la négation
de l’adéquation, il affirme un prédicat qui appartient certes, de par
son sens, à cette sphère de l’expérience mais est en lutte avec un
autre élément saisi par l’expérience. Mais dans l’interprétation
subjective des principes nous avons montre que le sens de ces prin¬
cipes implique en même temps que tout jugement peut être amené a
l’adéquation positive ou à l’adéquation négative. Mais, pour le domaine
plus large des jugements auquel appartiennent aussi les jugements
dépourvus de sens quant au contenu, cette disjonction ne vaut plus. Le
« tiers » n’est plus ici exclu et il consiste en ce que les jugements avec
des prédicats qui n’ont aucun rapport de sens avec les sujets sont,
du fait qu’ils sont dépourvus de sens, pour ainsi dire au-dessus de la vérité
et de la fausseté.
29B logiques formelle et transcendantale

§ 91. Passage a de nouvelles questions

On voit donc combien nécessaire est une théorie intentionnelle


du jugement et sur des bases combien profondes elle doit être édifiée,
rien que pour comprendre originellement ce qu’est le sens véritable et pur
des principes logiques.
[197] Mais si nous réfléchissons sur ce que nous avons acquis dans notre
recherche pour cette théorie et par conséquent pour la clarification de
l’idée de vérité, alors nous ne trouvons rien de plus que la présen¬
tation de la nécessité d’un travail préparatoire relevant de la « théorie de la
connaissance », qui satisfait à la propriété essentielle qu’ont toutes les
évidences de jugement d’être rapportées aux sphères d’expérience.
L ’ évidence de jugement « donne » la vérité au sens de la justesse de juge¬
ment, corrélativement au sens des états des choses existants « eux-
mêmes » et, d’une façon générale, au sens des entités catégoriales
« elles-mêmes ». \P expérience que nous considérons comme une évi¬
dence antéprédicative donne des réalités, en prenant là ce mot sans
restriction, le plus largement possible, donc en comprenant sous ce
mot tout ce qui est « individuel ». Les objets du monde spatio-
temporel font naturellement partie de ces réalités; mais peut-être
que toute expérience (qui est donation des choses « elles-mêmes »)
n’est pas donation de ce qui est « mondain » et peut-être que la cri¬
tique des présuppositions de la logique et de son concept de vérité
aboutit à ce que nous apprenions à saisir ce concept encore autrement
et d’une manière plus large sans qu’en souffre la réduction à l’expé¬
rience et aux objets de l’expérience — aux « réalités »; et peut-être
que cette critique mène à ce que cette conception élargie repose
précisément sur le fait que nous devons prendre en considération
un concept d’expérience qui va plus loin, bien que restant toujours,
comme c’est le cas ici, à l’intérieur du concept par excellence de
donation d’« individus » « eux-mêmes ».
Supposons que soit réellement prouvé ce que nous avons cerné
RETOUR DE LA CRITIQUE DE L’ÉVIDENCE

dans ses traits fondamentaux mais que nous n’avons pas fondé dans
le détail, à savoir que, grâce à une genèse intentionnelle des jugements
(genèse qu’il faut mettre à nu), tout jugement (au sens non seulement
d’une indication de sens purement grammatical, mais aussi au sens
d’une homogénéité matérielle des noyaux, quant à leur sens) a néces¬
sairement une relation à une sphère unitaire d’expérience (à un domaine
unitaire de choses), relation telle que le jugement doive être amené
à l’adéquation soit positive soit négative; alors, dans ces conditions,
la conversion subjective des principes logiques en principes de l’évi¬
dence que nous avons présentée est fondée sans contredit. Mais
quels sont alors les rapports de P évidence à la vérité ? Il en va pourtant
moins simplement que ne laisse paraître ce changement d’orientation.
Chapitre V

LA FONDATION SUBJECTIVE
DE LA LOGIQUE COMME PROBLÈME
DE PHILOSOPHIE TRANSCENDANTALE

§ 92. Élucidation du sens de la positivité


DE LA LOGIQUE OBJECTIVE

a) Référence de la logique traditionnelle à un monde réel

En tant que logiciens nous rencontrons, puisque tous les juge¬


ments renvoient à l’expérience, les problèmes de Yeffectuation de
[198] l'évidence par rapport à l’expérience elle-même et par rapport aux
entités catégoriales qui en proviennent. Ce rapport à l’expérience et
ce rapport aux entités catégoriales s’entremêlent dans l’élucidation
du niveau de base du jugement, disons plutôt du niveau de base des
entites catégoriales qui portent encore en elles immédiatement la
source de l’expérience. En nous acheminant vers ces problèmes nous
sommes conduits tout d’abord (nous qui nous laissons diriger par
une critique de la logique naïve et de sa positivité vers une logique
transcendantale) a une critique des concepts naïfs d'évidence et de vérité,
ainsi que du concept d’être vrai, concepts qui dominent toute la
tradition logique.
Rappelons-nous à nouveau que c’est uniquement en ses tout
premiers débuts, avec la dialectique platonicienne — débuts inou-
FONDATION SUBJECTIVE DE LA LOGIQUE 301

bliables — que la logique en tant que doctrine de la science a comme


thème principiel la possibilité d’une science en général et de l’existant
en général. Pour elle, il n’y avait pas encore de science effective et de
monde effectif qui aient déjà une validité préalable. La situation
s’est modifiée aux époques ultérieures et c’est le contraire qui se
produisit. La logique prit la forme d’une critique apophantique
formelle de la science déjà existante, de la vérité et de la théorie déjà
existantes; elle prit d’autre part la forme d’une ontologie formelle
pour laquelle les objets existants, le monde existant, pris dans la
perspective la plus générale, avaient déjà une existence établie.
Non pas comme si les contenus déterminés du monde et les sciences
déterminées qui se développaient d’une manière correspondante
étaient présupposés dans la logique, contenus et sciences à l’égard
desquels la critique, bien au contraire, devait être rendue possible
par la mise en évidence de normes logiques aprioriques. Mais l’être
vrai en général, la vérité prédicative, la théorie en général et la pos¬
sibilité de pénétrer par l’expérience et par la connaissance théorique
jusqu’à cet être vrai qui, d’avance, d’une manière générale, est pré¬
supposé comme existant, tout cela dans la logique formelle tradi¬
tionnelle allait de soi et n’était jamais examiné. On peut dire (et il
apparaîtra encore par la suite qu’il y a là quelque chose de particulier)
que la logique traditionnelle est logique — apophantique formelle et
ontologie formelle — pour un monde réel pensé comme déjà donné au
préalable. De toute évidence ce monde est ce qu’il est, pris en soi,
d’autre part pourtant il est accessible dans la conscience connaissante
pour nous et pour tout être et cela tout d’abord au moyen de 1 expé¬
rience. Assurément d’une manière très incomplète et surtout impar¬
faite, mais c’est sur la base de l’expérience que se construit l’effectua-
tion de la connaissance d’un niveau plus élevé, 1 effectuation véritable
de la connaissance, qui nous conduit à la vérité objective.
C’est à ce monde existant que se rapportent tous les jugements,
toutes les vérités, toutes les sciences dont parle la logique. Les vérités
302 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

et les sciences qui portent sur les faits concernent ce qui existe en
fait dans le monde ou concernent l’existence de fait du monde lui-
même; les vérités et les sciences aprioriques concernent de même
[199] l’être mondain possible. Pour parler plus précisément, ces dernières
concernent ce qui reste nécessairement valable quand l’imagination
varie librement le monde qui existe en fait, elles concernent ce qui
vaut nécessairement comme forme essentielle d’un monde en général,
donc aussi de ce monde donné. Ainsi la doctrine apriorique de l’es¬
pace et celle du temps (géométrie, chronologie) sont rapportées à
l’espace et au temps comme formes essentielles de ce monde en tant
qu’il est un monde en général. Même les sciences aprioriques que la
logique a en vue sont donc mondaines. Tout comme l’est l’être-en-soi
du monde réel, de même est présupposé l’être-en-soi possible de ses
variantes possibles; est aussi présupposé le fait que, grâce à l’expé¬
rience et à la théorie, réelles et possibles, la science du monde réel et
la science d’un monde en général, possible a priori, sont « en soi »
possibles, ou ont en soi une existence et de ce fait, comme il va de soi,
peuvent être le but d’un travail de réalisation logique.
Or, assurément, la logique restait dans une apriorité qui ne pouvait
dans ses théories prétendre s’occuper d’aucune espèce de faits ni
non plus d’aucun monde existant en fait. Mais d’un côté on doit
songer que la logique, dans la perspective de l’ontologie formelle,
présupposait au moins l’être mondain possible qu’elle devait avoir
atteint à titre donc de variante possible du monde bien évidemment
réel. D’autre part, partout où elle éprouvait le besoin de clarifier ses
concepts fondamentaux et où elle s’engageait dans des recherches
dirigées vers la subjectivité, la logique prenait ces recherches comme des
recherches psychologiques au sens habituel, comme des recherches sur
la vie de la représentation et de la pensée, sur la vie de l’évidence,
vécues par les hommes dans le monde, restant indifférente au fait de
savoir si on avait là recours à la psychophysique et à l’expérimen¬
tation « objective » ou à la simple « expérience interne ». Et ainsi
FONDATION SUBJECTIVE DE LA LOGIQUE 303

même nos recherches antérieures concernant les concepts fonda¬


mentaux, attendu que nous ne nous sommes pas expliqué à cet égard,
auront d’emblée été prises pour des recherches psychologiques au
sens habituel. En tout cas, à l’arrière-plan, se tient toujours le monde
réel donné au préalable — quoiqu’au demeurant il suffisait pour
nous que la relation de la logique à un monde a priori possible, de
quelque façon qu’elle fût introduite dans la logique, ait le sens d’une
présupposition et d’une présupposition de non moindre importance
critique que la présupposition du monde existant en fait.

b) Ta pré supposition naïve d'un monde range la logique


parmi les sciences positives
Nous disions ci-dessus que la logique dans sa relation à un monde
réel présupposait non seulement l’être-en-soi de ce monde, mais aussi
la possibilité existant « en soi » de parvenir à la connaissance du
monde en tant que savoir authentique, en tant que science authen¬
tique, que ce soit d’une manière empirique ou d’une manière aprio-
rique. Voici ce que cette présupposition implique : de même que les
réalités du monde sont ce qu’elles sont, prises en soi, de même ce
sont des substrats pour des vérités valables en soi, pour des « ventes
en soi » comme nous dirions avec Bolzano. De plus, dans les sujets
connaissants, aux vérités en soi correspondent des possibilités de
connaissance, des possibilités de saisir ces vérités elles-mêmes dans
des vécus subjectifs de l’évidence, dans des évidences absolues en
tant que saisies des vérités absolues « elles-mêmes », de ces vérités
qui justement valent en soi. Tout cela sera revendiqué comme un
a priori. Les vérités qui existent en soi pour 1 existant absolu et non
pas pour l’existant qui existe dans une relativité subjective (pour ce
qui se donne à nous comme existant, pour ce qui, dans l’expérience,
apparaît comme étant tel et tel) sont des vérités absolues. C’est dans les
sciences qu’elles sont « découvertes », c’est par des méthodes scienti¬
fiques qu’elles sont mises en évidence dans une activité de fondation.
3o4 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

Peut-être cela ne réusslt-il pour toujours qu’imparfaitement; mais


d’une manière indubitable et avec une autorité implicite le but lui-
même subsiste en tant qu’idée universelle et corrélativement subsiste
l’idée de possibilité d’atteindre ce but, donc l’idée d’une évidence
absolue. Si la logique elle-même ne faisait pas de ces présuppositions
son thème, la théorie de la connaissance, la psychologie et la méta¬
physique le faisaient d’autant plus ... mais cependant à la manière
de sciences qui viennent en second lieu et qui ne voulaient pas
porter atteinte à l’autonomie absolue de la logique.
Mais le fait que ces disciplines se succèdent dans un tel ordre est
possible — une justification plus explicite suivra bientôt — uni¬
quement à la faveur d’un manque total de clarté sur leurs problèmes
et conduit, à l’égard des disciplines philosophiques citées qui viennent
en complément, à une naiveté qui est d’un tout autre ordre que celle
de la positivité pure et simple. Car celle-ci, en tant qu’adhésion
naïve au monde existant déjà en fait de la part de la vie pratique
comme de la part de la vie au service de la connaissance, a un droit
en soi, il est vrai non clarifié et donc encore non délimité mais qui
reste cependant un droit. Mais une critique naïve de l’expérience et,
dérivant de celle-ci, de la connaissance d’un monde existant en soi,
critique qui opère avec les modes de déduction d’une logique habi¬
tuelle, d’une logique qui n’avait pas même étudié ces modes pour
savoir si, selon leur sens, ils ne présupposaient pas déjà l’être d’un
monde, qui, bien plus, ne pensait pas même à étudier l’effectuation
propre de l’expérience et des autres éléments constitutifs de la subjec¬
tivité qui a un rapport avec son sens d’être, cette critique est d’une
naïveté qui exclut dès le commencement de toute prise en consi¬
dération les théories en apparence scientifiques de la subjectivité.
Naturellement l’existence certaine a priori qu’ont pour le logicien
les évidences absolues possibles est pensée comme une existence
subsistant également pour tout être capable de s’adonner à la connais¬
sance. Là, chacun est avec chacun sur un pied d’égalité. L’existant
FONDATION SUBJECTIVE DE LA LOGIQUE

[201] absolu dans sa vérité absolue est ou bien réellement vu et compris


avec évidence tel qu’il est, ou bien non. Donc le fait que la vérité
vaut pour tout être et une fois pour toutes n’offre pas alors de pro¬
blème particulier. Ce « tout être » désigne tout homme ou quelque autre
être de type humain qui doit être présupposé dans le monde réel (ou,
dans un monde possible, pour les vérités absolues qui relèvent d’un
tel monde), être qui pris en général est accessible à l’évidence en
tant que connaissance de la vérité. Quelles constellations psycholo¬
giques en nous autres hommes (nous ne savons rien d’êtres intelli¬
gents d’autres mondes) faut-il pour que ces évidences, dans la cau¬
salité qui domine, en même temps que tout autre réel, également tout
ce qui est psychique, deviennent en nous réellement effectives, cette
question concerne non pas la logique mais la psychologie.
Le problème de la vérité en soi que nous avions introduit au
début a donc acquis, dans cette mise au jour des présuppositions de la
logique traditionnelle, un sens mieux déterminé qui se réfère au
monde réel et au monde possible. La logique en tant que logique
objective en ce sens nouveau, en tant que logique formelle T un monde
possible, s’inscrit par là dans la multiplicité des sciences « positives »;
car pour elles toutes — pour les sciences au sens de 1 acception
courante qui n’en connaît vraiment pas d’autres le monde est un
fait qui d’avance ne fait pas question, dont 1 existence légitimé (ou
même celle des mondes possibles) ne peut être mise en question
avant tout que contrairement au style de la science positive.

§ 93. Caractère insuffisant des essais de critique

DE l’expérience DEPUIS DESCARTES

a) La pré supposition naïve de la validité de la logique objective


La réforme de toutes les sciences tentée par Descartes dans le
cadre de la théorie de la connaissance et leur transformation qui
donnait naissance à une sapientia universalis les unifiant dans une
activité de fondation radicale implique sans contredit que ces sciences,
20
E. HUSSERL
3o6 logiques formelle et transcendantale

pour être fondées, doivent être précédées par une critique de P expérience
qui impose aux sciences l’existence du monde. Cette critique, comme
on le sait, conduit chez Descartes à ce résultat qu’à l’expérience fait
défaut l’évidence absolue (celle qui fonde apodictiquement l’être
du monde) et que donc la présupposition naïve du monde doit être
supprimée et que toute connaissance objective doit être fondée sur
l’unique donnée apodictique d’un existant, à savoir de Y ego cogito.
Nous le savons, ce fut le commencement de toute la philosophie transcen¬
dantale des temps modernes qui se fait jour tout en ayant à lutter
[202] contre des obscurités et des aberrations toujours nouvelles. Les
débuts de cette philosophie avec la grande découverte cartésienne
— mais qui ne transparaît qu’à moitié — de la subjectivité transcen¬
dantale sont troublés aussitôt par Y aberration la plus néfaste qui
jusqu’à aujourd’hui est restée indéracinable et qui nous a gratifié
de ce réalisme dont les idéalismes d’un Berkeley et d’un Hume se
présentent comme les opposés non moins absurdes. Déjà chez
Descartes l’ego est établi par une évidence absolue comme une
parcelle du monde, première, existant indubitablement (mens sive
animus, substantia cogitans) et toute la question est alors d’y ajuster,
par un procédé de déduction logiquement concluant, le reste du monde
(chez Descartes la substance absolue et les substances finies du monde
hors de ma propre substance pensante).
Déjà Descartes opère là avec l’héritage d’un a priori naïf, avec
Ya priori de la causalité, avec la présupposition naïve des évidences
ontologiques et logiques pour le maniement de la thématique
transcendantale. Descartes manque donc le sens proprement transcen¬
dantal de P ego qu’il avait découvert, de cet ego qui précède, du point de
vue de la connaissance, l’être du monde. Il ne manque pas moins
le sens proprement transcendantal des questions qui doivent être
posées en ce qui concerne l’expérience et la pensée scientifique et
aussi, si l’on se place dans une généralité principielle, en ce qui
concerne une logique elle-même.
FONDATION SUBJECTIVE DE LA LOGIQUE 307

Ce manque de clarté se transmet d’une manière cachée dans les


fausses clartés qui sont propres à toutes les rechutes de la théorie de
la connaissance dans les naïvetés naturelles, et de même dans la
fausse clarté de la scientificité du réalisme contemporain. Ce réalisme
est une théorie de la connaissance qui en liaison avec une logique
isolée avec naïveté sert à prouver au savant et par conséquent à le
rendre complètement sûr avant tout que les convictions fondamen¬
tales des sciences positives sur le monde réel et sur les méthodes qui
les régissent logiquement sont absolument justes et que par consé¬
quent il peut véritablement se passer de la théorie de la connaissance
comme d’ailleurs il s’en est certes bien tiré depuis des siècles en se
passant d’elle.

b) Descartes a manqué le sens transcendantal de la réduction à l’Ego


Mais peut-on s’en tenir à un tel rapport de la science positive,
de la logique et de la théorie de la connaissance ? Déjà, après tout
ce que nous avons exposé à plusieurs reprises dans des dévelop¬
pements antérieurs, si incomplètement que cela dût être et souvent à
titre de simple indication préliminaire, il est déjà sûr qu’il faut
répondre non à cette question. Un réalisme qui comme che2 Descartes
pense avoir saisi déjà l’âme réelle de l’homme dans 1 ego auquel en
premier lieu nous ramène la prise de conscience transcendantale et
qui, à partir de ce réel premier, esquisse des hypothèses et des déduc¬
tions de probabilité dans un régné de realites transcendantes et
qui utilise là (que ce soit expressément ou implicitement) les prin¬
cipes de la mathématique des probabilités appartenant à la logique
elle-même et qui utilise aussi éventuellement l’ancienne logique
formelle — un tel réalisme manque, en faisant un contre-sens, le vrai
problème, car il présuppose partout comme possibilité ce qui en tant
que possibilité est partout en question.
L’élucidation de la validité des principes logiques — y compris
tous les concepts fondamentaux et toutes les propositions fonda-
308 logiques formelle et transcendantale

mentales — mène à des recherches dirigées vers la subjectivité sans les¬


quelles ces principes manquent d’assise scientifique. Cela est hors
de doute après les éléments de recherche que nous avons déjà effec¬
tués et qui mènent toujours plus loin. Mais si l’on revient à Y ego
cogito en tant qu’il est cette subjectivité par la conscience pure de
laquelle et en particulier par les évidences de laquelle tout ce qui
est pour cet ego (pour moi qui philosophe radicalement) est existant,
mais aussi possible, concevable, présumable, faux, absurde, etc.,
peut-on alors présupposer la logique ? Qu’en est-il de ces recherches
subjectives qui ont avant tout et au sens le plus strict une fonction
de fondation pour toute logique ? Peut-on affronter ces recherches
avec une logique qui ne doit être clarifiée que par elles et qui, peut-être,
dans son caractère mondain, même si ce caractère mondain reste à
justifier, introduit des bases de sens et des validités de propositions
qui dépassent d’une manière inadmissible le terrain de ces recherches
subjectives ?
Ensuite, ces recherches subjectives peuvent-elles être affrontées
avec la psychologie qui repose entièrement sur cette logique objective
et en tout cas sur la présupposition constante du monde objectif
auquel appartiennent, par leurs sens, tous les vécus psychiques en
tant que moments réels des êtres psychophysiques réels ? Le monde
réel tout entier n’est-il pas mis en question quand on envisage la fondation
radicale de la logique, non pas pour prouver sa réalité effective, mais
pour mettre en évidence son sens possible et authentique et la portée
avec laquelle ce sens peut entrer dans les concepts logiques fonda¬
mentaux ? Si le quelque-chose-en-général de la logique formelle
(quand elle est conçue comme logique objective) cache en soi fina¬
lement aussi le sens de l’être mondain, alors ce sens appartient préci¬
sément aussi aux concepts fondamentaux de la logique, aux concepts qui
déterminent le sens total de la logique.
FONDATION SUBJECTIVE DE LA LOGIQUE 3°9

c) La fondation de la logique conduit au problème universel


de la phénoménologie transcendantale

Qu’en est-il ensuite des hypothèses qui s’offrent si facilement aux


réalistes, hypothèses par lesquelles un monde extérieur réel doit
être acquis en prenant pour base l’être de l’ego qui est le seul à avoir
été laissé indubitablement évident par la réduction cartésienne et qui
est le premier en soi pour toute connaissance ? Est-ce que cet exté¬
rieur, est-ce que le sens possible d’une realite transcendante et d un
a priori qui lui convient avec les formes : espace, temps et causalité
permettant les déductions, est-ce que ce n’est pas cela qui constitue
le problème... à savoir comment cet extérieur peut, dans l’imma¬
nence de l’ego, prendre et confirmer ce sens de la transcendance que
nous avons et employons de façon naïvement immédiate ? Et ne
doit-on pas se demander quelles présomptions cachées provenant

de la subjectivité constituant le sens limitent la portée de ce sens ?


N’est-ce pas là le problème qui devrait être résolu en premier au
moyen de quoi on pourrait statuer sur la possibilité principielle,

sur le sens ou le contre-sens de telles hypothèses dans la sphère trans¬


cendantale de l’ego? Quand on a saisi les vrais problèmes qui
prennent naissance avec le retour à cet ego, tout ce schéma d une
« explication » des données purement immanentes au moyen d une réalité
objective qu’il faut admettre hypothétiquement et qui a une liaison

causale avec ces données, tout ce schéma n’est-il pas en fin de compte

un contre-sens achevé ? _
En fait il en est ainsi; et le contre-sens provient de ce que, avec

la réduction cartésienne à mon ego en tant que sujet de ma conscience


pure une possibilité de connaissance et me possibilité d etre d un jp
louL devenaient le problème ... à savoir le problème de la posst-
bilité transcendantale d’un existant en soi, en tant qu existant pour

moi avec ce sens, possibilité issue exclusivement des Poss‘“‘tts ^


ma conscience pure; le contre-sens provient aussi de ce que
3io LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

possibilité problématique est confondue avec une tout autre possi¬


bilité : la possibilité de conclure d’un réel que l’on possède déjà de par
la connaissance à un autre réel que l’on ne possède pas.
Le moment où s’effectue cette confusion qui, certes, n’est possible que
lorsqu’on n’a pas du tout vu clairement le sens de la première possi¬
bilité se produit quand on confond l’ego avec la réalité du moi en tant
qu’âme humaine. On ne voit pas que déjà l’âme humaine prise comme
réalité ( mens) est, en son sens, un moment de T extériorité (du monde
spatial) et que toute extériorité, même celle qu’avant tout l’on voulait
s’approprier par des hypothèses, a de prime abord sa place dans la
[205] pure intériorité de Y ego, en tant que pôle intentionnel de l’expérience qui
elle-même, avec tout le flux de l’expérience « mondaine » et avec
l’existant qui d’une manière concordante se manifeste en elle, appar¬
tient à l’intériorité, de même que tout ce que l’expérience possible et
la théorie peuvent prétendre de lui. Toute problématique possible
qui doit être posée à partir de cet ego, ne se trouve-t-elle donc pas
entièrement dans cet ego lui-même, dans ses réalités et ses possibilités
de conscience, dans ses effectuations et dans les structures essentielles
qui leur appartiennent ?
Ainsi, conduits du savoir et de la science à la logique en tant que
théorie de la science et ensuite de la fondation effective de la logique
à une théorie de la raison logique ou scientifique, nous nous trou¬
vons devant le problème universel de la philosophie transcendantale, cette
dernière étant prise sous sa seule forme pure et radicale : sous la
forme d’une phénoménologie transcendantale.
Chapitre VI

PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE
ET PSYCHOLOGIE INTENTIONNELLE
LE PROBLÈME
DU PSYCHOLOGISME TRANSCENDANTAL

§ 94. Tout existant est constitué


DANS LA SUBJECTIVITÉ DE LA CONSCIENCE

Rendons-nous clair le sens de la problématique transcendantale.


Toute science a son domaine et a en vue la théorie de ce domaine.
C’est dans la théorie qu’elle a son résultat. Mais c’est la raison scien¬
tifique qui crée ces résultats et c’est la raison saisissant par 1 expérience
qui crée le domaine. Cela vaut aussi pour la logique formelle dans sa
relation (relation d’un niveau plus élevé) à l’existant et éventuelle¬
ment à un monde possible en général, cela vaut pour sa théorie qui
a une généralité de niveau plus élevé et qui se rapporte en meme
temps à toutes les théories particulières. Existant, théorie, raison
convergent les uns vers les autres d’une manière non contingente,
il n’est pas possible que l’on présuppose leur rencontre comme une
rencontre qui soit contingente bien que se produisant « avec une
généralité et une nécessité inconditionnées ». C’est précisément cette
nécessité et cette généralité qui doivent être questionnées en tant
que nécessité et généralité du sujet qui pense dans la perspective
312 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

logique... en tant que nécessité et généralité m’appartenant, à moi


qui peut me soumettre uniquement à une logique que moi-même
j’examine et ai examinée à fond en la comprenant avec évidence...
à moi, car là il n’est question tout d’abord d’aucune autre raison que
de la mienne et d’aucune autre expérience que de la mienne, d’aucune
autre théorie que de la mienne et d’aucun autre existant que de celui
que mon expérience révèle et qui doit être dans mon champ de
conscience en tant que quelque chose visé par ma pensée, s’il me faut
alors engendrer la théorie dans mon exercice théorique et dans mon
évidence.
[206] Comme dans la vie quotidienne, de même dans la science (si elle
ne se méprend pas, embarrassée par une théorie « réalistique » de la
connaissance, sur son action propre) l’expérience est la conscience
d’être près des choses mêmes et la conscience de les saisir et de les
avoir tout à fait directement. Mais l’expérience n’est pas une brèche
dans un espace de la conscience dans laquelle apparaîtrait un monde
existant avant toute expérience ; elle n’est pas non plus une simple
intrusion dans la conscience d’un élément étranger à la conscience.
Car, comment devrais-je, sans faire tort à la raison, pouvoir énoncer
cet élément étranger à la conscience sans le voir lui-même et sans
voir alors, de la même façon que la conscience, ce qui est étranger
à la conscience... donc sans en faire T expérience ? Et comment devrais-je
pouvoir au moins me le représenter comme quelque chose de conce¬
vable ? Ne serait-ce pas se transporter par la pensée de façon intuitive
dans ce contre-sens qui consiste à saisir par l’expérience ce qui est
étranger à l’expérience ? L’expérience, c’est l’effectuation dans laquelle,
pour moi qui saisit par 1 expérience, « est là » l’être saisi par l’expé¬
rience et c est en tant que quid qu’il est là, avec toute sa teneur et
avec le mode d’être que lui attribue précisément l’expérience elle-
même par 1 action qui s’effectue dans son intentionnalité. Si ce qui
est saisi par 1 expérience a le sens d’un être transcendant, alors c’est
le « saisir par l’expérience » — qu’il soit considéré à part ou dans
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 313

l’ensemble total de la motivation dont il dépend et qui forme en


même temps son intentionnalité — qui constitue ce sens. Si une expé¬
rience qui fait apparaître l’objet existant en soi uniquement sous un
seul point de vue, uniquement au loin en perspective, etc. est impar¬
faite, alors c’est l’expérience elle-même en tant qu’elle est ce mode
de conscience qui répond à mes questions, qui me dit donc : ici il
y a quelque chose qui est présent à la conscience, tel qu’il est lui-
même, mais il est plus que ce qui est saisi effectivement, il y a encore
quelque chose d’autre de lui-même à saisir par l’expérience; il est
transcendant dans cette mesure et aussi en ce que, comme me
l’apprend à nouveau l’expérience, il pourrait être aussi une apparence,
bien qu’il se donnait comme saisi effectivement et saisi « lui-même ».
De plus, c’est encore l’expérience qui dit : cette chose, ce monde me
sont absolument transcendants, à moi, à mon être propre. Ce monde
est « monde objectif » en tant qu’il est le même monde que d’autres
également peuvent saisir et saisissent par l’expérience. La réalité
comme l’apparence fonde son droit et se rectifie dans le concours
avec les autres... qui, à leur tour, sont pour moi des données de
l’expérience réelle et de l’expérience possible. C est grâce à elle que
je me dis : j’ai l’expérience de moi-même dans une originalité pri¬
maire; des autres, de leur vie psychique dans une originalité simple¬
ment secondaire, en tant que ce qui est étranger ne m est pas accessible
de façon principielle dans la perception directe. Ce qui dans chaque
cas est saisi par l’expérience : les choses, moi-même, les autres, etc.
— le plus qu’il resterait à saisir par l’expérience, l’identité avec
laquelle ce qui est saisi par l’expérience traverse des expériences
multiples, la manifestation de toute espèce d’expériences de divers
degrés d’originalité renvoyant à de nouvelles expériences possibles
de la même chose (tout d’abord expériences propres et ensuite
expériences d’autrui fondées sur ces dernières) renvoyant au style
de l’expérience en progrès et tout ce qui se mettrait en evidence dans
cette expérience en tant qu’existant et existant de telle manière —
3i4 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

tout cela sans exception se trouve impliqué intentionnellement dans


la conscience elle-même conçue comme cette intentionnalité actuelle
et cette intentionnalité potentielle dont je peux à tout moment inter¬
roger la structure.
Et je dois l’interroger, si je veux justement comprendre ce dont
il s’agit effectivement ici : que pour moi il n’est rien qui ne provienne
de ma propre effectuation de conscience, actuelle ou potentielle. Là, la
conscience potentielle c’est la certitude qui, dans la sphère elle-même
de ma conscience, se dessine à partir de l’intentionnalité actuelle, certi¬
tude du « je peux » ou de « je pourrais »... à savoir du je pourrais
mettre en jeu des suites de consciences liées synthétiquement et c’est
en tant qu’effectuation unitaire de ces suites de consciences que le
même objet me serait continûment présent à la conscience. En parti¬
culier relève a priori de cette effectuation potentielle la potentialité
d’intuitions — expériences, évidences — qui sont à réaliser par moi,
dans lesquelles ce même objet se montrerait et se déterminerait lui-
même dans une concordance continue, poursuivant précisément par
là la confirmation de son être réel. Que cet objet vaille pour moi
non seulement comme existant, mais qu’existant réellement pour
moi il le soit « pour de bonnes raisons », « pour des raisons indubi¬
tables », de même, tout ce qu’il est déjà pour moi alors et tout ce
qu’il laisse encore ouvert pour moi en fait de possibilités... tout cela
caractérise certaines effectuations qui sont liées synthétiquement
entre elles de telle et telle manière, qui se dessinent sous forme cons¬
ciente, qui doivent être explicitées par moi, qui doivent aussi être
mises en mouvement par moi librement. En d’autres termes, il n’y
a pas d’être et d’être-ainsi pour moi (que ce soit en tant que réalité
ou en tant que possibilité) si ce n’est qu’en tant que valant pour moi.
Ce « valoir pour moi » est précisément une expression qui convient
à une multiplicité de mes effectuations possibles et réelles, multiplicité
qui n’est pas une multiplicité simplement postulée de haut encore
qu’elle soit tout d’abord cachée, et qu’il faille alors aussi la dévoiler;
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 3i5

avec cette multiplicité vont de pair les idées de concordance à l’infini


et d’être définitif, idées qui se dessinent conformément à l’essence.
N’importe quoi qui s’oppose à moi en tant qu’objet existant a reçu
pour moi — mais, je dois aussi le reconnaître, en explicitant de façon
conséquente ma propre vie de conscience comme vie-ayant-une-
valeur — tout son sens d’être de mon intentionnalité effectuante et il
n’y a pas le moindre aspect de ce sens qui reste soustrait à mon
intentionnalité. C’est précisément elle que je dois interroger, que je
dois expliciter systématiquement si je veux comprendre ce sens, donc
si je veux comprendre aussi ce que je peux ou non affirmer de l’objet,
qu’il soit pris avec une généralité formelle ou en tant qu’objet repré¬
sentant de sa catégorie d’être... tout cela conformément justement à
l’intentionnalité constituante dont provient, comme nous l’avons dit,
tout son sens. Expliciter cette intentionnalité elle-même, c’est rendre
compréhensible le sens lui-même à partir du caractère originel de
l’effectuation constituant le sens.
Il en est ainsi si je philosophe. Car si je ne le fais pas, si je reste
dans la naïveté de la vie, alors il n’y a aucun danger. L’intentionnalité
vivante me porte, elle prescrit, elle me détermine du point de vue
pratique dans toute ma conduite, également dans ma conduite qui
relève de la pensée naturelle, qu’elle révèle l’être ou l’apparence,
quelque thématique, non-dévoilée et par conséquent quelque sous¬
traite à mon savoir qu’elle puisse être, en tant qu’elle est intentionna¬
lité ayant son rôle dans la vie.
Je viens de dire apparence à côté T être. Car naturellement c est le
propre de l’effectuation de conscience de l’expérience elle-meme que
c’est seulement en tant qu’expérience concordante qu’elle a un style
d’effectuation qui se dessine d’une manière normale; mais c est ega¬
lement le propre de cette effectuation de conscience que cette concor¬
dance puisse aussi être rompue, que l’activité d’expérience puisse
se disloquer et devenir un conflit, que la certitude d’expérience qui
était tout d’abord certitude pure et simple puisse conduire au doute,
3i6 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

à la supposition, à la conjecture, à la négation (qualification de


nullité)... tout cela avec des conditions de structure appropriées
bien définies et dont on doit précisément faire l’examen. On doit
ensuite examiner aussi pourquoi la possibilité ouverte de l’illusion,
donc du non-être de ce qui est saisi par l’expérience, ne supprime
pourtant pas la présomption universelle de la concordance normale
et pourquoi un univers de l’être reste pour moi en tout temps au-dessus
de tout doute, en tant qu’il est donc un univers que je peux manquer
et que je manque occasionnellement et uniquement dans des éléments
isolés.
Il va sans dire qu’une situation analogue est valable pour n’importe
quelle conscience, pour toute manière avec laquelle l’existant (possible,
pourvu de sens ou absurde) est pour nous ce qu’il est pour nous et
il va sans dire qu’à toute question de droit qui est alors posée et qui
doit être posée l’intentionnalité même qui est en jeu prescrit son sens
et les moyens de légitimation. L’identité du présumé et finalement de
l’existant qui est légitimé — du même existant qui est toujours le
pôle intentionnel de l’identité — se retrouve dans tous les ensembles
de consciences légitimantes, en aboutissant dans le cas favorable à
une évidence; il n’y a pas d’endroit concevable où la vie de la conscience
serait brisée ou devrait être brisée et où nous parviendrions à une trans¬
cendance qui pourrait avoir un autre sens que celui d’une unité inten¬
tionnelle apparaissant dans la subjectivité même de la conscience.

§ 95. Nécessité de partir de la subjectivité propre a chacun

Mais d’une manière correcte et expresse je dois dire tout d’abord :


je suis moi-même cette subjectivité, moi qui réfléchit sur ce qui est et
[209] vaut pour moi et, présentement, moi qui réfléchit à titre de logicien
à propos du monde existant présupposé et à propos des principes
logiques qui se rapportent à ce monde. Tout d’abord donc toujours
moi et encore moi, pris purement comme Moi de cette vie de la
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 3*7

conscience par laquelle tout pour moi reçoit son sens d’être.
Mais le monde est pourtant (nous ne pouvons pas passer si vite
sur ce point comme dans le paragraphe précédent) le monde de nous
tous-, il a dans son sens propre, en tant que monde objectif, la forme
catégoriale de 1’ étant véritablement une fois pour toutes non seulement
pour moi, mais pour tout être. Car ce que nous avons fait valoir
ci-dessus (a) comme caractère logique de la vérité prédicative vaut
manifestement aussi déjà pour le monde de l’expérience antérieure¬
ment à la vérité et à la science qui explicitent ce monde d’une manière
prédicative. L expérience du monde en tant qu’expérience constituante
ne veut pas dire simplement mon expérience tout à fait privée, mais
Y expérience de la communauté', de par son sens, le monde lui-même est
un seul et même monde auquel nous avons, nous tous, accès d une
manière principielle grâce à l’expérience, sur lequel nous tous nous
pouvons tomber d’accord par 1’ « échangé » de nos expériences, donc
par leur mise en commun, de même que la légitimation « objective »
repose sur l’assentiment mutuel et sur sa critique.
Cependant quelque énormes que soient les difficultés que puissent
entraîner le dévoilement véritable de l’intentionnalité effectuante et
tout particulièrement la distinction entre intentionnalité qui nous est
originellement propre et intentionnalité d’autrui ou encore 1 élu¬
cidation de cette intersubjectivité qui a la fonction d’intersubjectivité
constitutive du sens pour le monde objectif — ce qui a été dit subsiste
avant tout avec une nécessité insurmontable. En premier lieu et
avant toute chose concevable je suis. Ct je suis est, pour moi qui e
dit et le dit en le comprenant comme il faut, le fondement primitif
intentionnel pour mon monde-, là, il ne peut m échapper que même e
monde « objectif », le « monde pour nous tous », en tant que monde
valant pour moi avec ce sens, est « mon » monde. Mais le fondement
primitif intentionnel est le « Je suis » non seulement pour « le » monde

(a) Cf. § 77, P- 260.


318 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

que je considère comme le monde réel mais aussi pour n’importe quel
« monde idéal » qui vaut pour moi et de même en général pour
tout ce que sans exception, en un sens quelconque qui soit com¬
préhensible ou valable pour moi, j’ai présent à la conscience comme
existant et cela tantôt légitimement, tantôt illégitimement — y
compris moi-même, ma vie, mon activité de pensée, tout cet avoir-
conscience. Que cela convienne ou pas, que cela puisse me paraître
monstrueux (de par quelques préjugés que ce soit) ou non, c’est le
[210] fait primitif auquel je dois faire face, dont en tant que philosophe je ne
peux pas détourner les regards un seul instant. Pour les enfants phi¬
losophes, cela peut bien être le coin sombre où reviennent les fan¬
tômes du solipsisme, ou aussi du psychologisme, du relativisme. Le
véritable philosophe préférera, au lieu de s’enfuir devant ces fantômes,
éclairer le coin sombre.

§ 96. La problématique transcendantale de l’intersubjectivité


ET DU MONDE INTERSUBJECTIF

a) Inter subjectivité et monde de T expérience pure

Donc également le monde-pour-tout-être est en tant que tel


présent à ma conscience, valant pour moi, se révélant dans mon
intentionnalité, recevant en elle teneur et sens d’être. L’intentionnalité
présuppose naturellement que c’est dans mon ego — dans Y ego qui
dit, dans 1 universalité mise ici en question, ego cogito et qui comprend
dans les cogitata (les cogitata réels et possibles) précisément tout ce
qui est réel et possible pour l’ego — que, dis-je, c’est dans cet ego
que tout alter ego en tant que tel reçoit son sens et sa valeur. L’ « autre »,
les autres... cela a une relation originelle avec moi qui l’éprouve ou
1 ai présent à la conscience de toute autre manière. Avec naturellement
tout ce qui appartient à son sens — à son sens pour moi — comme
par exemple le tait que l’autre est là « me faisant vis-à-vis », corporel¬
lement et avec sa propre vie et le fait qu’alors il m’a pareillement
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE

pour vis-à-vis, comme aussi le fait que pour lui je suis — avec
la totalité de ma vie, avec tous mes modes de conscience et tous
les objets valant pour moi — un alter ego comme il l’est pour
moi; et pareillement tout autre l’est pour tout autre de telle sorte
que le « tout être » prend un sens et pareillement le nous et le je
(je, c’est-à-dire « un parmi les autres ») en tant qu’ils sont impliqués
dans le « tout être ».
Essayons maintenant de déployer la problématique transcen¬
dantale très embrouillée de l’inter subjectivité et aussi de la consti¬
tution de la forme catégoriale de P « objectivité » pour le monde
qui est bien le nôtre et essayons, par ce moyen, au moins d’obtenir
une représentation du type des clarifications qui doivent être effec¬
tuées ici et cela purement par le dévoilement conséquent de ma vie
intentionnelle propre et de ce qui est constitué en elle.
Si dans l’universalité de mon ego cogito je me trouve en tant qu être
psychophysique, en tant qu’unite constituée dans cette universalité,
et que je trouve sous la forme « autre », rapportes à mon être psycho¬
physique, des êtres psychophysiques qui me font vis-à-vis, non
moins constitués en tant que tels dans les multiplicités de ma vie
intentionnelle, alors à ce moment seront sensibles tout d’abord de
[211] grandes difficultés déjà dans la relation avec moi-même. Moi, P « ego
transcendantal », je suis « ce qui précède » tout ce qui fait partie du
monde, moi qui suis le moi dans la vie de la conscience duquel le
monde avant tout se constitue comme unité intentionnelle. Donc moi,
le moi constituant, je ne suis pas identique avec le moi qui fait déjà
partie du monde, avec moi en tant que réel psychophysique; et la
vie psychique de ma conscience, sa vie psychophysique qui ait
partie du monde, n’est pas identique avec mon e& transcendantal,
dans lequel le monde se constitue pour moi avec tous ses éléments
ppiysiques et psychiques.
Mais est-ce que je ne dis pas deux fois moi quand, dans la vie
naturelle, je m’éprouve moi en tant qu’homme, faisant partie du
320 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

monde, et quand, dans l’attitude philosophique, partant du monde


et de moi en tant qu’homme je reviens à des questions concernant les
multiplicités des « modes d’apparaître », des opinions, des modes de
conscience constituants, etc., et cela de telle façon que, en prenant
tout ce qui est objectif purement comme « phénomène », comme
unité intentionnellement constituée, je me trouve alors comme ego
transcendantal ? Et est-ce que je ne trouve pas alors ma vie trans¬
cendantale et ma vie psychique, ma vie faisant partie du monde, comme
ayant après tout le même contenu ? Comment faut-il comprendre
que Yego doive avoir constitué en soi tout ce qui lui est essentiellement
propre, c’est-à-dire « son âme », âme qui en même temps est objec¬
tivée psychophysiquement par sa liaison avec « sa » corporéité
matérielle (i) et qui est ainsi comme insérée dans la nature spatiale
constituée dans Y ego en tant cpjYego ?
De plus, si « autrui », comme il est manifeste, est constitué avec
un sens qui renvoie à moi-même et cela en tant que je suis un moi-
humain — en particulier son corps renvoyant à mon propre corps
en tant qu’il est corps « étranger » au mien, sa vie psychique renvoyant
à ma propre vie psychique en tant qu’elle est vie « étrangère » à la
mienne — comment faut-il comprendre cette constitution du
nouveau sens d’être, de ce sens : autrui ? Si déjà l’auto-constitution
de Y ego en tant qu’être spatialisé, en tant qu’être psychophysique est
une affaire très obscure, alors c’est une affaire encore bien plus obscure
et une question-énigme franchement douloureuse que de savoir
comment dans Yego doit se constituer un moi psychophysique autre
avec un psychisme autre puisque le sens de ce psychisme en tant qu’autre
implique l’impossibilité principielle que les éléments psychiques
constitutifs essentiellement propres à ce psychisme autre, je les
éprouve dans une originalité véritable de façon semblable à celle
où j’éprouve ceux qui me sont propres. D’une manière principielle

(i) Kôrperliche Leiblichkeit.


PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 321

la constitution des autres doit donc être différente de celle de mon


propre moi psychophysique.
Par suite, il faut rendre compréhensible que j’attribue néces¬
sairement à autrui dans ses vécus autres, dans ses expériences
autres, etc., vécus et expériences placés par moi en lui, non seulement
un monde de l’expérience qui est analogue au mien, mais le même
2] que celui que j’éprouve moi-même; de même il faut rendre com¬
préhensible qu’autrui m’éprouve dans ce monde de l’expérience et,
de son côté, en me rapportant à ce même monde de l’expérience,
tout comme je le rapporte au sien, etc.
S’il est certain pour moi et s’il est compréhensible déjà grâce à
la clarification transcendantale que mon psychisme est une auto¬
objectivation de mon ego transcendantal, dans ces conditions le
psychisme d’autrui, lui aussi, renvoie à un ego transcendantal et alors
à un ego transcendantal étranger au mien, en tant qu’il est Y ego qu’autrui
devrait saisir, dans sa « réduction phénoménologique », en posant à
partir de soi-même des questions qui ramènent du monde qui lui est
donné préalablement dans son expérience à l’ultime vie constituante.
En conséquence, le problème des « autres » prend aussi cette forme :
Il s’agit de comprendre comment mon ego transcendantal, fon¬
dement primitif de tout ce qui est valable pour moi du point de vue
de l’être, peut constituer en soi un autre ego transcendantal et donc
aussi une pluralité illimitée de tels ego ... ego « etrangers » à moi,
absolument inacessibles à mon ego dans leur être original et cependant
reconnaissables, pour moi, comme existant et existant de telle façon.
Cependant avec ces problèmes nous ne sommes pas arrivés encore
au bout de notre tâche : ils sont entourés d énigmes qui elles-mêmes
doivent être saisies dans des problèmes déterminés, jusqu à ce que
finalement soient rendus évidents dans leur ferme nécessité les degrés
successifs de toute la problématique excessivement embrouillée,
degrés successifs qui tracent à la solution de cette problématique son
cours nécessaire de travail.
21
E. HUSSERL
322 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

Partons du fait que pour nous, pour parler plus nettement, pour
moi en tant qu’ego, le monde est constitué en tant que monde « objec¬
tif », en ce sens de monde existant pour tout être, se révélant dans la
communauté intersubjective de connaissance tel qu’il est. Donc
doit déjà être constitué un sens de « tout être » pour qu’en relation
avec ce sens il puisse y avoir un monde objectif. Cela implique qu’il
doive y avoir à la base un premier sens de « tout être », donc aussi un
premier sens àdautrui, qui n’est pas encore le sens habituel, de
niveau plus élevé, à savoir le sens : « Tout homme » (i), sens qui
vise un réel dans le monde objectif, donc qui présuppose déjà la
constitution du monde.
L’ « autre » du degré constitutif inférieur renvoie alors, confor¬
mément à son sens, à moi-même; mais, comme nous l’avons déjà
remarqué il y a un instant, à moi non pas en tant qu'ego transcen¬
dantal, mais en tant que moi psychophysique mien. Même celui-ci ne
peut donc pas encore être moi, homme dans le monde objectif, dans le
monde dont l’objectivité ne doit être possible par lui que d’une
manière constitutive.
Cela renvoie à son tour au fait que ma corporéité matérielle qui
est, d’après son sens, spatiale et qui est un membre d’un environ¬
nement comprenant des corps étendus dans l’espace, qui est membre
d’une nature — à l’intérieur de laquelle s’oppose à moi le corps
[213] d’autrui — on est renvoyé, dis-je, au fait que tout cela ne peut pas
encore avoir la signification de ce qui appartient au monde objectif.
Mon moi psychophysique premier en soi (de genèse temporelle
il n’est point ici question, mais de couches constitutives), en relation
avec lequel autrui, premier en soi, doit être constitué, est, on le voit,
membre d’une nature première en soi qui n’est pas encore nature objec¬
tive, dont la spatio-temporalité n’est pas encore spatio-temporalité
objective, en d’autres termes, qui n’a pas encore les traits consti-

(1) Jeder Mensch.


PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE

tutifs provenant d’autrui déjà constitué. En liaison avec cette première


nature apparaît mon moi psychique en tant que gouvernant dans cet
élément matériel qui appartient à cette nature et qui s’appelle mon
corps matériel, en tant qu’exerçant dans ce corps d’une manière
unique des fonctions psychophysiques, en tant qu’ « animant »,
conformément à l’expérience originelle, ce corps qui est corps unique.
On comprend alors que cette première nature ( ou monde), cette
première objectivité qui n’est pas encore intersubjective, est cons¬
tituée dans mon ego comme quelque chose ni’appartenant en propre,
au sens fort, dans la mesure où elle ne recèle pas encore en elle
quelque chose d’étranger au moi, c’est-à-dire dans la mesure où
elle ne recèle rien qui dépasse, par l’inclusion constitutive de moi
étrangers, la sphère de l’expérience vraiment directe, de Vexpérience
vraiment originale (ou de ce qui provient d’elle). D’autre part il est
clair que c’est dans cette sphère de ce qui appartient en propre, de façon
primordiale, à mon ego transcendantal que doit résider le fondement
de la motivation pour la constitution de ces transcendances authentiques
qui dépassent ce qui appartient ainsi en propre à l’ego, qui surgissent
en tant qu’ « autres » (en tant qu’êtres psychophysiques autres et
ego transcendantaux autres) et, moyennant cela, rendent possible la
constitution d’un monde objectif au sens courant : un monde du « non-
moi », de ce qui est étranger au moi. Toute objectivité prise en ce
sens est ramenée d’une manière constitutive au premier élément
étranger au moi, sous la forme d’ « autrui », c est-a-dire du non-Moi
sous la forme « moi d’autrui ».

b) L’apparence du solipsisme transcendantal

Il est à peine besoin de dire que toute cette problématique, à


niveaux multiples, de la constitution du monde objectif est en même
temps la problématique que l’on rencontre quand on veut réduire
ce qu’on peut appeler l’apparence transcendantale qui dès l’abord
embarrasse et le plus souvent paralyse toute tentative pour entre-
324 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

prendre une philosophie transcendantale conséquente; il est à peine


besoin de dire aussi que cette problématique devait conduire néces¬
sairement à un solipsisme transcendantal. Si tout ce qui peut avoir pour
moi valeur d’être est constitué dans mon ego, alors, en fait, tout
existant paraît certes être un simple moment de mon propre être
transcendantal.
[114] Mais la solution de cette énigme se trouve dans le développement
systématique de la problématique constitutive qui réside dans le fait
de conscience du monde qui est là pour moi en tout temps, qui en
tout temps a un sens et le confirme par mon expérience; cette solution
se trouve ensuite dans les explicitations progressives qui suivent la
hiérarchie systématique des différents niveaux de cette problématique.
Ces explicitations n’ont en vue et ne peuvent avoir en vue rien d’autre
que les actualités et les potentialités (ou encore les habitus) de la
vie — impliquées dans ce fait de conscience lui-même — actualités
et potentialités dans lesquelles le sens : monde s’est construit d’une
manière immanente et continue toujours de se construire pour se
dévoiler réellement. Le monde est là constamment pour nous, mais
pourtant il est là tout d’abord pour moi. C’est pour moi en outre
aussi qu’existe le fait — et c’est seulement par là qu’il a pour moi un
sens — que le monde est là pour nous et qu’il est là en tant qu’il
est un seul et même monde ayant un sens qui ne doit pas être postulé
de telle et telle façon — ou même qui ne doit pas être « interprété »
(interprété de façon pertinente) de façon à réconcilier les intérêts de
l’entendement et de l’affectivité — mais ayant un sens qui tout d’abord
et avec un caractère originel premier doit être pris dans l’expérience
elle-même. La première tâche est donc de questionner le monde de
l’expérience pris purement comme tel. En me familiarisant tota¬
lement avec le cours de l’expérience du monde et avec toutes les
possibilités ouvertes de son remplissement conséquent, je dirige
alors le regard vers ce qui est saisi par l’expérience et vers ses struc¬
tures de sens, structures générales qu’il faut saisir éidétiquement.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 325

Dirigé par cette attitude il faut alors ensuite revenir aux questions
concernant les formes et les contenus des actualités et des poten¬
tialités constitutives du sens pour ce sens d’être et ses degrés, démarche
dans laquelle à nouveau il n’y a rien à postuler et à « interpréter »
(à interpréter d’une manière « pertinente ») mais à expliciter. C’est
seulement ainsi qu’il faut créer cette ultime compréhension du
monde derrière laquelle, du fait qu’elle est compréhension ultime,
il n’y a plus rien à rechercher et à comprendre qui ait un sens. L’ap¬
parence transcendantale du solipsisme peut-elle tenir bon, alors que
prend le pas cette simple explicitation concrète ? N’est-ce pas une appa¬
rence qui peut intervenir seulement avant l’explicitation puisque,
comme nous l’avons dit, il se présente comme un fait que c’est en
moi-même et par moi-même que les autres ont un sens et que le
monde a un sens pour les autres et puisqu il ne peut donc s agir
ici de rien d’autre que de clarifier ce fait, c’est-à-dire ce qui est en
moi-même ?

c) Problèmes du monde objectif qui sont de niveau plus élevé

Naturellement tout n’est pas épuisé avec les lignes de travail


indiquées ci-dessus. La recherche doit continuer. En premier heu,
ce à quoi se rapportaient exclusivement ces lignes de travail indiquées,
le monde de l’expérience, naïf et saisi purement, doit être élucide
d’une manière constitutive, pour que puissent être posées les questions
de niveau plus élevé - qu’il faut bien distinguer de ce qui vient de
nous occuper - telles que les questions de la constrtution d un
monde pour ainsi dire théorique, du monde qui a une existence
•D]
vraie au sens théorique, ou corrélativement les questions d une
connaissance théorique valant par exemple d une maniéré ob|ective
et inconditionnée. L’élucidation des idlahsations qui sont le propre
du sens intentionnel des sciences représentent la un problème par -
culièrement important e, difficile. Dans une généralité formelle
les idéalisations se manifestent en tant qu’ « être en so, . et en tan
326 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

que « vérité en soi » dans le sens précisément idéalisé de la logique


formelle et de ses « principes ». Mais dans les particularisations
régionales, relatives au monde, ces idéalisations deviennent a fortiori
de grands problèmes, comme par exemple lorsqu’il s’agit de l’idée
de la nature exacte (conformément à la science « exacte » de la nature)
à laquelle appartient l’espace « idéal » de la géométrie avec ses droites
idéales, ses cercles idéaux, et ainsi de suite, de même pour le temps
qui a une idéalité analogue, etc.

d) Considérations finales
Il doit nous suffire ici d’avoir rendu compréhensible — au moins
en gros — la problématique de l’intersubjectivité et de l’objectivité
du monde, problématique qui offre des enchevêtrements dérou¬
tants (a). Il est maintenant clair que c’est seulement par cette mise
à nu de l’effectuation constituant le sens d’être du monde donné
que nous pouvons nous préserver de toute absolutisation (ce qui
serait un contre-sens) de l’être de ce monde et que nous pouvons
savoir vraiment et à tous égards ce qu’il nous est permis — à nous
philosophes — d’affirmer de l’être de ce monde, ce qu’il nous est
permis d’affirmer de la nature, de l’espace, de l’espace-temps, de la
causalité; c’est seulement ainsi que nous pouvons savoir en quel
sens nous avons à comprendre comme il le faut les déterminations
exactes de la géométrie, de la physique mathématique, etc., en quel
sens nous avons à passer sous silence les problèmes correspondants
des sciences de l’esprit mais qui sont d’une autre sorte.
Combien tout cela dépasse la sphère de la logique formelle, nous

(a) J’ai développé déjà dans mes leçons de GOttingue (semestre d’hiver, 1910-
1911) les points principaux qui permettent de résoudre le problème de l’intersubjec¬
tivité et de surmonter le solipsisme transcendantal. Mais mener à bien véritable¬
ment cette tâche exigeait encore des recherches spéciales difficiles qui arrivèrent à
une conclusion seulement beaucoup plus tard. Mes « Méditations cartésiennes »
vont apporter sous peu un court exposé de la théorie elle-même, h’année prochaine
j’espère aussi publier les recherches explicites relatives à ce sujet.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 327

devons toujours l’avoir en vue, et cela de prime abord, afin que nous
puissions éviter d’attribuer à tort à la logique formelle des valeurs
qu’elle n’a pas. Nous devons saisir toute l’extension et l’importance
des problèmes de la « portée » de la connaissance; c est, en effet
seulement à présent que nous comprenons véritablement ce a quoi
voulait en venir — ou au moins devait en venir — cette vieille expres¬
sion de « portée » que l’on trouve dans la théorie de la connaissance.

[216] § 97. La méthode de mise a nu de la constitution

OPÉRÉE PAR LA CONSCIENCE

DANS SA SIGNIFICATION PHILOSOPHIQUE UNIVERSELLE

A aucun philosophe ne peut être épargné le chemin que nous


avons tenté de dégager et qui nous conduit à des recherches épi¬
neuses. La référence universelle de tout ce qui est concevable pour un
moi à la vie de sa conscience est sans doute bien connue déjà depuis
Descartes comme un fait philosophique fondamental et en particulier
on en parle beaucoup à l’époque moderne. Mais il ne sert a rien de
philosopher de haut sur ce sujet et de cacher cette réference a la
conscience par des trames de pensée — si subtilement imaginées
qu’elles soient - au lieu de pénétrer ses ensembles concrets prodi¬
gieux et de les rendre féconds d’une manière réellement philoso¬
phique. Celui qui philosophe doit, dès le début, amener a la clarté
ce qu’avec de bonnes raisons nous avons souligne si fortement e
souvent : que tout ce qui pour le philosophe doit être et doit erre
ceci ou cela, donc tout ce qui doit pouvoir avoir pour lu. sens e
validité est forcé d’être présent à sa conscience sous la forme d u
effectuadon intentionnelle propre, corresponde a la s.agular,,, de ce
existant et cela de par une donation de s,as propre (comme |e le disais
“ns mes JL). On ne peut pas en d=™urer a la genemh«
vide de l’expression : conscience ou aux mots vides . expérience,
jugement, et autres de ce genre, et à la rigueur abandonner le reste,
328 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

comme si cela ne relevait pas de la philosophie, à la psychologie — à


cette psychologie qui a en partage la cécité pour l’intentionnalité en
tant que caractère essentiellement propre de la vie de la conscience
ou en tout cas pour l’intentionnalité en tant que fonction téléologique,
c’est-à-dire effectuation constitutive. La conscience se laisse dévoiler
méthodiquement, de sorte que l’on peut « voir » directement dans son
activité donatrice de sens et créant le sens avec des modalités d’être.
On peut suivre les transformations suivantes : comment le sens
objectif (le cogitatum des cogitationes qu’on considère) prend-il
la forme d’un nouveau sens quand ces cogitationes apportent des
modifications à l’ensemble des cogitationes qui jouent un rôle de
motivation à leur égard ? Comment ce qui est déjà présent s’est-il
formé auparavant à partir d’un sens de base qui provient d’une effec¬
tuation antérieure ? Si, sur des exemples pris au hasard, on a développé
des fragments de telles explicitations intentionnelles, on reconnaît
aussitôt qu’on ne peut jamais faire le tour de l’immense tâche qui
consiste à mettre à nu dans son universalité cette vie effectuante
et par là de rendre compréhensibles, dans l’unité ontique universelle
de la vie culturelle (et ce, finalement, à partir de ses origines consti¬
tutives), toutes les formations de sens de la vie culturelle naturelle,
de la vie culturelle scientifique, de la vie culturelle supérieure tout
entière (toutes ces formations intervenant dans cette vie culturelle
en tant qu’ « existant »).
[217] Assurément pour une telle tâche on devrait d’abord instituer la
méthode, attendu que d’une manière curieuse la découverte de l’inten¬
tionnalité par Brentano n’a jamais conduit à ce qu’on voie en elle
un ensemble d’effectuations qui dans l’unité intentionnelle constituée
que 1 on considère et dans ses modes de donnée sont impliquées
comme une histoire sédimentée, histoire qu’on peut, dans chaque cas,
mettre à nu avec une méthode rigoureuse. Grâce à cette connais¬
sance fondamentale, toute espèce d’unité intentionnelle devient le
fil conducteur transcendantal des « analyses » constitutives et ces analyses
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE

elles-mêmes acquièrent, du fait de cette connaissance fondamentale,


un caractère absolument spécifique ; ce ne sont pas des analyses au sens
habituel (des analyses réelles) mais des mises à nu d’implications inten¬
tionnelles (en progressant par exemple d’une expérience jusqu’au
système des expériences indiquées comme possibles).

§ 98. Les recherches constitutives


EN TANT QUE RECHERCHES APRIORIQUES

Mais cette évidence fondamentale serait pourtant restée sans


véritable profit si l’on n’avait pas possédé la connaissance (que nous
avons déjà mentionnée occasionnellement) que dans ces recherches la
démarche empirique inductive n’est pas une démarche première, mais qu’une
telle démarche en général n’est possible que grâce à une recherche
essentielle qui l’a précédée. Voici ici la connaissance vraiment fonda¬
mentale et qui, comme l’est la philosophie transcendantale, est
étrangère à toute psychologie antérieure : toute objectité constituée
immédiatement, par exemple un objet de la nature, d une maniéré
correspondante à son type d’essence (chose physique en général) renvoie
à une forme qui lui est corrélative et qui est la forme essentielle de \’inten¬
tionnalité multiple, réelle ou possible (dans l’exemple donné : de l’inten¬
tionnalité infinie) et qui est constitutive pour cette objectité. La multipli¬
cité des perceptions possibles, des souvenirs possibles, disons de
tous les autres vécus intentionnels en général qui se rapportent ou
peuvent se rapporter d’une manière « concordante » à une seule et
même chose, a, malgré la complication énorme qui peut se présenter,
un style essentiel tout à fait déterminé, identique pour toute chose
en général et se particularisant seulement en passant d’une chose
individuelle à une autre. De même les modes de conscience qui
peuvent rendre présente à la conscience une objectité idéale quelconque
et qui doivent pouvoir être amenés à former l’unité d’une conscience
synthétique de cette même objectité, ces modes de conscience sont
330 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

d’un style déterminé, en conformité avec l’essence de ce type d’objec-


tités. Puisque toute la vie de ma conscience, en sa totalité même, sans
[218] préjudice pour toutes les multiples objectités particulières se cons¬
tituant en elle, est une unité universelle de vie effectuante, avec une
unité de l’effectuation, alors toute la vie de la conscience est dominée
par un a priori constitutif universel, embrassant toutes les intentionnalité s,
a priori qui, du fait de la propriété de l’inter subjectivité se constituant
dans F ego, s’élargit en un a priori de V intentionnalité inter subjective et de
l’intentionnalité de l’effectuation inter subjective des unités et «mondes »
intersubjectifs. L’examen de l’ensemble de cet a priori est la tâche de
la phénoménologie transcendantale, tâche extrêmement grande mais à
laquelle on peut s’attaquer absolument et qu’on doit résoudre
graduellement.
Là, il ne faut pas perdre de vue que la subjectivité effectuante n’est
pas par principe épuisée par la vie intentionnelle actuelle, dans ses vécus
intentionnels qui se coordonnent de fait, mais qu’elle se trouve aussi,
et constamment, dans ses capacités. Ces capacités ne sont pas du tout
des hypothèses formées pour les besoins de l’explication, mais elles
peuvent se manifester dans les pulsations individuelles du « Je
peux » et du « Je fais » comme des facteurs de constante effectuation
et à partir de là peuvent également se manifester toutes les capacités
universelles, tant intersubjectives qu’individuelles. C’est à ces capa¬
cités également que se rapporte, soulignons-le expressément, l’a
priori phénoménologique en tant qu’a priori puisé aux sources des
intuitions correspondantes essentielles, comme l’implique vraiment
le sens de la phénoménologie.
Pour arriver à une meilleure compréhension de la méthode de la
recherche des essences, indiquons encore, brièvement, les remarques
suivantes :
Tout ce que nous avons développé dans nos considérations sur la
constitution, on doit le rendre absolument évident tout d’abord sur
des exemples quelconques de types quelconques d’objets donnés au
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 331

préalable, donc dans l’explicitation réflexive de l’intentionnalité dans


laquelle nous « avons » d’une manière purement et simplement immé¬
diate une objectité réelle ou une objectité idéale. C’est un pas signi¬
ficatif de reconnaître ensuite que ce qui vaut manifestement pour
des individualités de fait (réelles ou possibles) reste aussi nécessaire¬
ment valable quand nous varions d’une manière tout à fait arbitraire
nos exemples et quand nous nous interrogeons alors sur les « repré¬
sentations » qui varient en même temps d’une manière corrélative,
c’est-à-dire quand nous nous interrogeons sur les vécus constituants,
sur les modes « subjectifs » de donnée qui se transforment tantôt d une
manière continue, tantôt d’une manière discrète. Avant tout, il faut
poser là des questions concernant les modes d’« apparaître » qui sont
constituants par excellence, les modes où l’on saisit par l expérience
les objets pris à titre d’exemples et leurs variantes, les modes selon
119] lesquels les objets se forment comme unités synthétiques données
« elles-mêmes ». Mais cela n’est rien d’autre que poser des questions
concernant l’univers systématique des expériences possibles, des
évidences possibles, ou concernant Vidée d’une synthèse complété
d’expériences concordantes possibles; et c’est en tant que formation
synthétique de ces expériences que l’objet considéré pris « sous tous
les points de vue », avec la totalité des déterminations qui lui appar¬
tiennent, serait présent à la conscience en tant qu’objet donne « lui-
même » et confirmé « lui-même » d’une manière absolue : la variation
de l’exemple (nécessaire comme point de départ) qui doit etre
effectuée ici est ce dans quoi Y « eidos » doit se révéler et ce au moyen
de quoi doit se révéler aussi l’évidence de la corrélation eidetique
qui ne peut être rompue entre la constitution et le constitue. Si c est
cela que la variation doit effectuer, alors elle ne peut pas être comprise
comme une variation empirique mais comme une variation qui
exécutée dans la liberté de l’imagination pure et dans la conscle^
pure de l’arbitraire - du « en général » pur ; c est en quoi a yanat o
s’étend en même temps dans un horizon de l.bres poss.bllltes (d une
332 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

diversité arbitrairement illimitée) pour des variantes toujours nou¬


velles. Dans une telle variation complètement libre, dégagée de toute
liaison avec des faits ayant une validité préalable, toutes les variantes de
cette multiplicité arbitrairement illimitée — variantes dans lesquelles
est inclus aussi l’exemple lui-même, libéré de toute « facticité », en
tant qu’exemple « arbitraire » — se trouvent alors dans un rapport
de référence synthétique les unes avec les autres et dans un rapport
de liaison totalitaire, plus précisément elles forment une synthèse
de « divergences qui se prêtent à la coïncidence », cette synthèse se
faisant jour de façon continue. Mais c’est justement dans cette coïn¬
cidence que ressort ce qui persiste nécessairement dans cette variation
libre et qui se réorganise d’une manière toujours nouvelle, c’est-à-dire
l'invariant, ce qui reste le même d’une manière infrangible dans ce
qui est autrement et toujours autrement, c’est-à-dire Y essence géné¬
rale — à laquelle restent liées toutes les variantes « concevables »
de l’exemple et toutes les variantes de chacune de ces variantes
elles-mêmes. Cet invariant est la forme ontique essentielle (forme
apriorique), Yeidos qui correspond à l’exemple à la place duquel
toute variante de ce même exemple aurait pu tout aussi bien
servir (a).
Mais, la forme ontique essentielle (au sommet, la « catégorie »),
si l’attention se dirige réflexivement vers les expériences possibles
constitutives, vers les types possibles de phénomènes, conduit au
[220] fait que ces expériences et types de phénomènes se mettent à varier
en même temps nécessairement et cela de telle façon qu’alors se
montre comme invariante une forme essentielle qui a deux aspects

(a) n faut ici remarquer que « objet « est toujours compris par nous dang ie
sens le plus large qui comprend aussi toutes les objectités syntaxiques. Cela donne
donc également au concept d’eidos un sens très large. Ce concept d’eidos définit
en même temps le seul des concepts de l’expression à signification multiple : a priori
à être reconnu par nous comme philosophique. C’est lui exclusivement qui est donc
visé, chaque fois où dans mes écrits il est question d’u priori.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 333

corrélatifs. Ainsi il devient évident qu’un a priori ontique n’est


possible, et cela dans une possibilité complète concrète, qu’en tant
que corrélât d’un a priori constitutif qui ne fait qu’un avec lui d’une
manière concrète et qui concrètement en est inséparable. Cela ne
vaut pas simplement des systèmes de l’expérience possible des
objets (des systèmes constitutifs par excellence) mais cela vaut aussi
pour les systèmes constitutifs au sens large, comprenant tous les
modes de conscience, même les modes de conscience non intuitifs
qui sont possibles pour des objets quelconques.
Finalement on voit, en s’élevant à la généralité la plus large, à la
généralité analytico-formelle, que tout objet, pensé d’une manière
si indéterminée soit-elle et même pensé d’une manière vide quant au
contenu, pensé comme un quelque chose en général « tout à fait
arbitraire », est pensable uniquement comme corrélât d’une consti¬
tution intentionnelle inséparable de cet objet, constitution qui est
indéterminée et vide mais qui n’est pourtant pas totalement arbitraire,
cette constitution en effet doit se particulariser en corrélation avec
chaque particularisation du « quelque chose » et avec chaque catégorie
ontique qui est substituée à ce quelque chose (avec 1 eidos qui doit
être mis en évidence par variation ontique d un exemple qui lui
correspond). En conséquence toute analyse intentionnelle et consti¬
tutive qu’il faut effectuer sur des données de fait doit être considérée
de prime abord, même si on ne le comprend pas bien, comme une
analyse prise à titre d’exemple. Tous les résultats d’une telle analyse,
libérés de la « facticité » et transportés ainsi dans le royaume de la
libre variation de l’imagination se transforment en résultats relatifs
aux essences, en résultats qui dominent avec une évidence apodic-
tique un univers du concevable (une totalité « pure ») de sorte que
toute négation a exactement la même signification que l’impossibilité
intuitive éidétique, que l’inconcevabilité. Cela concerne donc aussi
tout l’examen que nous venons d’accomplir. C’est lui-meme un
examen accompli éidétiquement. Exposer la méthode eidetique, cela
334 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

ne veut pas dire décrire un fait empirique que l’on peut répéter d’une
manière empiriquement arbitraire. Sa validité universelle est une
validité qui est nécessaire de façon inconditionnée, c’est une validité
qui peut être soutenue à partir de tout objet concevable pris à titre
d’exemple et c’est ainsi qu’elle a été envisagée par nous. C’est seule¬
ment par une intuition éidétique que l’essence de l’intuition éidétique
peut être clarifiée.
Il est tout à fait nécessaire de se saisir de ce sens authentique et
de cette universalité de Y a priori; il faut se saisir en particulier de la
relation que nous avons décrite : tout a priori conçu « immédiatement »
se réfère et renvoie à Y a priori de sa constitution; il faut donc aussi se
rendre maître de la possibilité de saisir d’une manière apriorique la
corrélation de l’objet et de la conscience constituante. Ce sont des
connaissances de signification philosophique sans pareille. Elles
créent un style de la philosophie qui est essentiellement nouveau et
[221] rigoureusement scientifique, et cela même en opposition avec la
philosophie kantienne, bien que celle-ci renferme par ailleurs tant
d’intuitions importantes.
Si, grâce aux problèmes constitutifs qui appartiennent à toutes
les régions de l’objectité, s’ouvrent ici d’immenses champs de
recherche a la fois apriorique et subjective, alors il faut déjà prévoir
que ces champs de recherche doivent s’étendre encore plus loin que
ce qui constitue le champ d’investigation de l’analyse méthodique.
C est-a-dire que si tout fait subjectif a sa genèse, dont la temporalité
est immanente, il faut s’attendre à ce que cette genèse, elle aussi, ait
son a priori. Alors correspond à la constitution statique des objets rap¬
portée a une subjectivité déjà « développée » la constitution apriorique
génétique, fondée sur cette constitution statique qui la précède néces¬
sairement. C’est seulement par cet a priori, et en un sens plus profond,
que se prouve, comme nous l’avions déjà dit par anticipation (a).

(a) Cf. § 97.


PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 335

le fait que dans ce que l’analyse dévoile comme étant impliqué


intentionnellement dans la constitution de sens vivante se trouve une
histoire « sédimentée ».

§ 99. Subjectivité psychologique


ET SUBJECTIVITÉ TRANSCENDANTALE

Le problème du psychologisme transcendantal

Un monde, l’existant en général de toute espèce concevable, ne


pénètre pas « 0ûpa9cv » dans mon ego, dans la vie de ma conscience.
Tout ce qui est extérieur est ce qu’il est dans cette vie interne et reçoit
son être vrai des donations qui le donnent « lui-même » et des confir¬
mations, tout cela à l’intérieur de cette vie interne... son être vrai
qui de ce fait précisément appartient lui-même à la vie interne en
tant que pôle T unité dans mes multiplicités réelles et possibles (et
ensuite, intersubjectivement, dans nos multiplicités réelles et pos¬
sibles), y compris les possibilités en tant que capacités, en tant que
« je peux m’en aller », « je pourrais effectuer des opérations syn¬
taxiques », etc. Quelles que soient les modalisations de l’être qui
puissent jouer ici, elles font partie, elles aussi, de cette intériorité
dans laquelle tout ce qui y est constitué est non seulement une fin
mais un commencement, en quelque sorte une fin thématique et qui
joue le rôle de point de départ pour une nouvelle thématique. Et il
en est ainsi avant tout avec les idées constituées dans Y ego comme
l’idée d’objet de la nature existant absolument, de « vérités en soi »
absolues représentant cet objet de la nature, etc. Les idees ont une
« signification régulatrice » dans l’ensemble des relativités constituées,
des unités constituées de degré inférieur. _
La relation de la conscience à un monde, ce n’est pas un tait qui
m’est imposé par un Dieu déterminant cette relation, d’une manière
contingente, de l’extérieur, ce n’est pas non plus un fait impose par
un monde existant d’une manière contingente au préalable et par
une légalité causale lui appartenant. L’a priori subjectif, c est ce qui
336 LOGIQUES FORMELLE EL TRANSCENDANTALE

précède l’être de Dieu et du monde et tout ce qui, sans exception,


existe pour moi, être qui pense. Dieu, lui aussi, est pour moi ce qu’il
est, de par ma propre effectuation de conscience; de cela, je ne peux
pas détourner les yeux dans la crainte angoissée de ce qu’on peut
penser être un blasphème, mais au contraire je dois voir le problème.
Ici aussi, comme à l’égard de 1 ’alter ego, « effectuation de conscience »
ne veut pas dire que j’invente et que je fais cette transcendance suprême.
Il en va de même du monde et de toute causalité du monde.
Assurément je suis avec le monde extérieur dans une liaison causale
psychophysique... c’est-à-dire moi, cet homme-ci, homme parmi les
hommes et les animaux, parmi les autres réalités qui toutes à la fois
forment le monde. Mais le monde avec toutes ses réalités, entre autres
aussi avec mon être réel humain, est un univers de transcendances
constituées, constituées dans les vécus et les capacités de mon ego
(et, uniquement par leur intermédiaire, dans les vécus et les capacités
de l’intersubjectivité existant pour moi), de mon ego qui donc en tant
que subjectivité ayant un rôle de constitution ultime précède ce
monde constitué. La transcendance du monde est transcendance en
relation avec ce moi et, par l’intermédiaire de la transcendance de ce
moi, est en relation avec la communauté ouverte de moi en tant que
communauté de ce moi. Il se manifeste alors la distinction suivante
qui déjà, en dépit d’un manque total de clarté, avait pourtant été
pressentie par Descartes : cet ego, moi, en ce sens de subjectivité ayant
un rôle de constitution ultime, sans faire tort à mes horizons infinis
d’éléments non dévoilés et non connus, je suis pour moi avec une néces¬
sité apodictique, tandis que le monde constitué en moi, quoique exis¬
tant déjà continuellement pour moi — et existant sans aucun doute —
dans le flux de mon expérience concordante (je ne pourrais jamais réus¬
sir à m’installer dans un doute, là où toute expérience nouvelle apporte
une confirmation) a seulement et conserve par une nécessité d’essence
le sens d’une existence présomptive. Le monde réel existe seulement
avec la présomption qui se dessine constamment que l’expérience
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 337

continuera constamment à s’écouler dans le même style constitutif.


Il se peut qu’ici soient nécessaires de profondes et difficiles
recherches pour arriver à une clarification parfaite : mais on n’en a
pas besoin pour se convaincre que se manifeste la distinction suivante
que nous avons antérieurement mise à profit d’une manière légitime
et qui est des plus fondamentales pour la théorie de la connaissance,
à savoir la distinction entre :
1. La subjectivitéphénoménologicc-transcendantale (et, vue à travers ma
subjectivité transcendantale, l’intersubjectivité transcendantale) avec
la vie constitutive de sa conscience et ses facultés transcendantales.
2. Et entre la subjectivité psychologique ou psychophysique, le psychisme
humain, la personne humaine (et la communauté de personnes), avec
ses vécus psychiques au sens psychologique, parties intégrantes du
monde objectif, en liaison psychophysique inductive avec les corpo-
réités physiques appartenant au monde.
En conséquence on peut comprendre pourquoi dans toutes les
tentatives pour fonder l’existence d’un monde objectif par les déduc¬
tions causales d’un ego donné tout d’abord purement pour soi (tout
d’abord comme solus ipsé), nous qualifions de contre-sens le fait de
confondre la causalité psychologique qui se déroulé dans le monde
avec la relation de corrélation qui se déroulé dans la subjectivité
transcendantale, corrélation entre la conscience constituante et le
monde qui y est constitué. Il est d’une signification décisive pour le
sens véritable et authentique de la philosophie transcendantale de
s’assurer de ce que l’homme, et non pas seulement le corps humain,
mais aussi Y âme humaine, si purement qu’elle puisse être saisie par
l’expérience interne, sont des concepts « mondains » (i) et en tant que
tels sont des objectités d’une aperception transcendantale, donc font
partie également, en tant que problèmes constitutifs, du problème
universel transcendantal, du problème de la constitution transcen-

(i) Weltbegriffe.
22
E. HUSSERL
338 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

dantale de toutes les transcendances, disons de toutes les objectités


en général.
La séparation radicale entre la subjectivité psychologique et la
subjectivité transcendantale (dans laquelle la subjectivité psycho¬
logique se constitue avec une teneur de sens qui est « mondaine »
donc transcendante) a la signification d’une séparation radicale entre
psychologie et philosophie transcendantale, et plus spécialement entre
psychologie et théorie transcendantale de la connaissance transcen¬
dante. Il n’est pas permis de se laisser entraîner à un déplacement du
concept de psychologie, en dépit des tentatives qui, peut-on dire,
sont fondées en essence puisqu’elles s’appuient sur le fait qu’une
analyse de la conscience menée tout d’abord psychologiquement,
mais qui reste pure, se laisse transformer en analyse transcendantale
sans altérer sa teneur essentiellement propre.
Il ne faut jamais perdre de vue que la psychologie n’a (et n’a tou¬
jours eu) un sens qu 'en tant que branche de P anthropologie, qu’en tant que
science positive « mondaine » et qu’en elle les « phénomènes psychi¬
ques », plus clairement les data psychologiques, les vécus et les dis¬
positions (capacités) sont des data à l’intérieur du monde déjà donné,
que 1’ « expérience interne » est une sorte d’expérience « mondaine »,
objective tout comme une expérience quelconque faite sur autrui
[224] ou tout comme une expérience physique; et il ne faut jamais perdre
de vue qu’on a affaire à un déplacement qui fausse tout quand on met
pêle-mêle cette expérience interne psychologique avec celle que,
dans la perspective transcendantale, Y ego cogito revendique comme une
expérience évidente. C’est une falsification qui certes ne pouvait
être perceptible avant la phénoménologie transcendantale.
On ne doit aucunement contester que tout mode de l’intention¬
nalité et entre autres tout mode de l’évidence, de même que tout mode
du remplissement des opinions par l’évidence, peuvent être rencontrés
grâce à l’expérience également dans P orientation psychologique et peuvent
être traités psychologiquement. On ne doit pas contester que toutes
PHÉNOMÉNOLO GIE TR A NS CEN DA NT ALE 339

les analyses intentionnelles que nous avons développées ou que nous n’avons
fait qu’indiquer ont aussi une validité dans Taperception psychologique,
avec cette réserve que c’est précisément une aperception « mondaine »
particulière qui, seulement après la mise entre parenthèses, fournit
des ensembles concrets subjectifs qui sont transcendantaux et paral¬
lèles aux ensembles concrets psychologiques. La théorie psycho¬
logique de la connaissance a un sens de bon aloi — à savoir quand elle
est comprise purement et simplement comme une dénomination
pour l’élaboration des problèmes multiples que pose le connaître
en tant que fonction à l’intérieur de la vie psychique humaine, à
l’intérieur de la psychologie conçue comme science de cette vie
psychique. Cette théorie de la connaissance se transforme en contre¬
sens seulement si l’on exige d’elle des tâches transcendantales, donc
si l’on fait passer la vie intentionnelle telle qu’elle se manifeste dans
Taperception psychologique pour la vie transcendantale et si l’on
tente d’effectuer par le moyen de la psychologie l’élucidation trans¬
cendantale de tout ce qui est « mondain »... avec le cercle que, avec
la psychologie, avec sa « vie psychique », avec son « expérience
interne » on a déjà présupposé naïvement le monde.
Toutefois on peut dire : si cette psychologie de la connaissance
était arrivée à un travail conscient du but et alors aussi couronné de
succès, cela aussitôt aurait été du travail tout fait également pour la
théorie de la connaissance. Toutes les vues structurelles acquises
pour la psychologie de la connaissance auraient profité également à
la philosophie transcendantale. Même si cette dernière était restée
enfoncée dans le mélange des résultats de l’attitude psychologique
et de l’attitude transcendantale (mélange presque inévitable au début),
cette imperfection se serait laissée améliorer par la suite au moyen
d’un renversement des valeurs sans altérer quant a leur noyau essen¬
tiel les vues acquises. Précisément cet emboîtement qui est ici déter¬
minant et qui est tout d’abord nécessairement caché constitue la grande
difficulté et détermine le problème transcendantal du psychologisme.
340 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

[ z 2 5] Là, il faut remarquer la chose suivante comme un point embarras¬


sant qui est en liaison avec les traits caractéristiques de la psychologie
qu’on appelle « descriptive »... de la psychologie du psychisme,
considéré de façon abstractive, purement en soi, cette psychologie
se fondant sur l’expérience psychique saisie avec une pureté corres¬
pondante. La psychologie pure en effet (comme cela a déjà été rendu
évident par les Logische Untersuchungerî) peut tout aussi bien que la
phénoménologie transcendantale être pratiquée comme discipline
apriorique. La limitation du juger psychologique aux vécus inten¬
tionnels (aux vécus dans l’expérience « interne » pure) et aux formes
essentielles de ceux-ci (formes qui sont données « elles-mêmes »
dans la généralisation essentielle interne), de même la limitation du
juger psychologique aux capacités purement psychiques produit
alors un juger psychologico-phénoménologique. Comme on peut le dire
franchement, il s’ensuit une phénoménologie psychologique qui se suffit
à elle-même, et cela avec la même méthode d’« analyse » intentionnelle
que celle qui est pratiquée dans la phénoménologie transcendantale.
Mais dans ce juger psychologico-phénoménologique c’est précisé¬
ment une aperception psychologique qui est effectuée, avec cette
réserve que ce qui est posé en même temps intentionnellement par
cette aperception : la référence à la corporéité, donc à quelque chose qui
appartient au monde, n'entre pas expressément dans le contenu conceptuel du
juger. Mais l’aperception psychologique concourt pourtant à la déter¬
mination du sens et doit seulement être consciemment « mise entre paren¬
thèses » afin que ce contenu, qui lui-même n’est pas modifié par cette
mise entre parenthèses, acquière une signification transcendantale. Péné¬
trer ce parallèle entre la psychologie purement immanente et apriorique
(phénoménologie psychologique) et la phénoménologie transcendan¬
tale et fournir la preuve qu’il existe une nécessité d’essence, voilà
en quoi consiste la clarification ultime — ultime d’une manière prin-
cipielle — du problème du psychologisme transcendantal et voilà
en quoi consiste en même temps la résolution de ce problème.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 34i

§ 100. Remarques historico-critiques


SUR le développement de la philosophie transcendantale
et en particulier sur la problématique transcendantale
DE LA LOGIQUE FORMELLE

Le chemin qui mène à l’ensemble de la problématique originelle


qu’il faut saisir, de façon parallèle, psychologiquement et transcen-
dantalement, et qui dans sa généralité essentielle renferme en soi
tous les mondes possibles, avec leurs régions essentielles d objectites
et de couches de monde, réelles et idéales (donc qui renferme aussi
en soi le monde des sens idéaux, des vérités, des théories, des sciences,
226] les idéalités de toute culture, de tout monde ayant un statut social et
une histoire), ce chemin est resté non frayé pendant des siècles.
C’était une conséquence tout à fait concevable de l’aberration natu-
ralistique et sensualiste de toute la psychologie moderne dont est
cause l’expérience interne. Cette aberration a non seulement poussé
la philosophie transcendantale de l’empirisme anglais à cette évolution
bien connue qui le fit aboutir à une fictionnalisme absurde, elle a
aussi enrayé dans son plein achèvement la philosophie transcendantale
de la révolution copernicienne de Kant, de sorte qu’elle ne pouvait
arriver jusqu’aux buts et aux méthodes qui étaient en fin de compte
nécessaires. Si l’ego pur dans lequel se constituent subjectivement
toutes les objectités et tous les mondes qui valent pour lui n’est rien
d’autre qu’un amas, dépourvu de sens, de data qui viennent et dis¬
paraissent, assemblés au hasard tantôt de telle façon, tantôt de telle
autre suivant des lois qui présentent une contingence de sens et qui
sont analogues aux lois mécaniques (comme la loi de association
qui à cette époque était interprétée mécaniquement), dans ces condi¬
tions on ne peut expliquer que par surprise comment pourrait se
former ne serait-ce que quelque chose comme Upparence d un
monde réel. Mais Hume prétend rendre cmfrttmtMe le fait que,
selon une légalité-, matter-of-fact » purement psychique qui est
342 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

aveugle, se forment pour nous des types particuliers de fictions sous


les dénominations de corps, de personnes, etc., qui ont une persis¬
tance. Les apparences, les fictions sont des formations de sens,
leur constitution s’effectue en tant qu’intentionnalité, ce sont des
cogitata de cogitationes, et c’est seulement de l’intentionnalité que
peut provenir une nouvelle intentionnalité. Les fictions ont leur type
propre d’existence qui renvoie aux réalités, à l’existant au sens normal.
L’intentionnalité effectuante une fois découverte, alors tout devient
compréhensible, l’être comme l’apparence, dans sa possibilité objec¬
tive imposée par l’essence; sa subjectivité est pour nous alors son
« être-constitué ». Et ce n’est pas la mauvaise subjectivisation qui
comme chez Hume pervertit l’être aussi bien que l’apparence en une
apparence solipsiste, mais c’est une subjectivisation transcendantale
qui n’est pas seulement compatible avec l’objectivité authentique
mais qui est bien plutôt son « revers » apriorique.
La grandeur de Hume (grandeur qui n’est pas encore reconnue
sous ce point de vue qui est très important) réside en ce que malgré
tout il fut le premier à saisir le problème concret universel de la philo¬
sophie transcendantale; en partant de l’intériorité purement égolo-
gique concrète dans laquelle, comme il le vit, tout ce qui est objectif
devient, grâce à une genèse subjective, présent à la conscience et,
en mettant les choses au mieux, saisi par l’expérience, il a vu le pre¬
mier la nécessité d’étudier précisément ces formations objectives
comme formations de leur genèse pour rendre compréhensible par
[227] ces origines dernières l’exact sens-d’être de tout ce qui existe pour
nous. Pour parler plus précisément : le monde réel et ses formes fon¬
damentales qui ont une réalité catégoriale deviennent pour Hume
un problème et cela d’une manière neuve. Il fut le premier à prendre
au sérieux T attitude de Descartes tournée vers /’ intériorité pure, en débar¬
rassant radicalement l’âme dès l’abord de tout ce qui lui donne une
signification réelle « mondaine » et en la présupposant purement
comme champ de « perceptions », d’« impressions » et d’ a idées »,
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 343

en tant qu’elle est la donnée d’une expérience interne saisie avec


une purete correspondante. C’est sur cette base « phénoménologique »
que le premier il conçut ce que nous nommons les problèmes « cons¬
titutifs », en reconnaissant la nécessité de faire comprendre comment,
purement dans cette subjectivité réduite phénoménologiquement
et dans sa genèse immanente, il se fait que l’âme puisse trouver en
une « expérience » présumée des objectivités transcendantes et certes
des réalités ayant des formes ontologiques qui d’avance vont de soi
pour nous (espace, temps, continu, chose, personnalité).
Alors nous pouvons à coup sûr décrire à partir de la phénomé¬
nologie d’aujourd’hui l’intention générale de Hume. Avec cette
réserve que nous devons ajouter qu’en aucune façon il n’a exercé
consciemment ni examiné à fond d’une manière entièrement princi-
pielle la méthode de déduction phénoménologique qui prépare le
terrain phénoménologique, avec cette autre réserve également que
lui qui fut le premier à découvrir la problématique constitutive, il ne
voit absolument pas la propriété, fondamentalement essentielle, de la vie
psychique en tant que vie de la conscience, à laquelle se rapporte la
problématique constitutive; et de ce fait il ne voit pas la méthode
qui est appropriée à cette problématique en tant que problématique
intentionnelle et qui en se développant vérifie aussitôt sa force de
réelle élucidation. Par son sensualisme naturalistique qui voit uni¬
quement, suspendu dans le vide sans essence, un amas de données
et qui est aveugle pour les fonctions objectivantes de la synthèse
intentionnelle, il tombe dans le contre-sens d’une « philosophie du

comme si ». , . , ,
En ce qui concerne d’autre part Kant, du fait de son attitude a
l’égard de Hume dont il restait dépendant tout en reagissant contre
lui il a pris en charge le problème constitutif mais non plus dans le
plein sens d’un problème faisant partie d’une problématique consti¬
tutive universelle qui était préfigurée dans la transformation humenne
de la conception cartésienne de Y ego cogito en etre « psyc îque »
344 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

concret. Kant n’oppose pas à la « psychologie » sensualiste (qui,


comme nous l’avons dit, est en vérité chez Hume une phénoméno¬
logie transcendantale mais qui se réduit à un contre-sens du fait du
sensualisme) une psychologie intentionnelle authentique, bien loin
qu’il lui oppose une doctrine essentielle apriorique prise dans notre
sens. A l’égard de la psychologie de Locke et de son école, Kant n’a
[228] jamais exercé une critique radicale, concernant le sens fondamental
de son sensualisme. Lui-même reste encore trop dépendant de cette
psychologie et, ce qui est aussi en liaison avec cette dépendance, il
n’a jamais fait ressortir le sens profond de la séparation entre la
psychologie pure (qui se fonde simplement sur 1’ « expérience interne »)
et entre la phénoménologie transcendantale — qui se fonde sur l’expé¬
rience transcendantale qui surgit grâce à la réduction phénoméno-
logico-transcendantale — et ainsi il n’a jamais fait ressortir le sens
le plus profond du problème transcendantal du psychologisme. Et
pourtant l’on doit dire que sa doctrine de la synthèse et des facultés
transcendantales, que ses théories entières qui se réfèrent au problème
de Hume sont des théories qui sont implicitement constitutives du point
de vue intentionnel, mais qui précisément ne reposent pas sur la base
dernière et qui ne sont pas développées à partir de là avec une
méthode radicale.
Cependant pour nous qui tendons à une logique radicale, l’atti¬
tude de la philosophie transcendantale kantienne à l’égard de la
logique formelle est d’un intérêt tout particulier. Et en outre, comme
on le verra, cette attitude a un intérêt pour les motifs qui, à l’époque
moderne, ont barré l’accès à la philosophie transcendantale phéno¬
ménologique.
Kant a beau dominer puissamment son époque et sa philosophie
a beau rester pour nous une source d’impulsions profondes, le coup
porté en avant par son introduction d’une philosophie transcendan¬
tale systématique n’est qu’une demi-réussite : sans doute, il ne consi¬
dère pas, comme le fait l’empirisme anglais dont nous avons parlé.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 345

la logique formelle (la syllogistique, sa logique « pure et générale »)


comme un reste sans valeur de la scolastique et il ne dépouille pas
non plus la logique formelle de son sens authentique comme le fait
l’empirisme anglais (si l’on considère ce que ce dernier garde d’elle
comme valable) par une déviation psychologiste de son idéalité;
mais Kant ne se pose pas à l’égard de la logique de questions transcen¬
dantales et il lui attribue un a priori extraordinaire qui la place au-dessus
de telles questions. Naturellement on ne peut pas invoquer là son
idée de logique transcendantale qui est en effet quelque chose de
totalement autre que la problématique que nous avons en vue,
problématique qui est orientée vers la subjectivité et qui est vraiment
une problématique phénoménologico-transcendantale.
La logique pure a pour sphère thématique des formations idéales.
Mais en tant qu’objectités idéales, elles devraient d’abord être vues
clairement et être saisies d’une manière déterminée pour que des
questions puissent être posées à leur sujet et au sujet de la logique
pure. Le xvme siècle et l’époque qui l a suivi étaient tellement déter¬
minés par l’empirisme ou mieux par l’antiplatonisme que rien ne
restait plus éloigné que la reconnaissance des formations idéales
comme objectités... suivant la méthode et dans le sens le vrai sens
qu’il ne faut jamais abandonner — que nous avons fondé abondam¬
ment. C’est un point de la plus grande importance pour l’histoire
récente de la philosophie transcendantale et pour le présent qui est
encore tellement embarrasse dans les vieux préjugés. Rien n a tan
enrayé la claire intelligence du sens, de la véritable problématique
et de la méthode de la philosophie transcendantale authentique que
cet antiplatonisme qui fut si influent qu’il détermina toutes les parties,
même Kant qui se détachait de l’empirisme en le combattant. Laissons
ici hors de considération Leibniz qui à cet égard a une position excep¬
tionnelle mais qui certes, lui aussi, n’a pas atteint une problématique
transcendantale. Il n’a pas pu à son époque faire œuvre décisive sous
ce rapport comme sous bien d’autres essentiels.
346 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

Nous faisons ressortir ici quelques moments principaux qui éclai¬


rent l’évolution historique. Revenons alors à Hume qui réclame
notre attention déjà pour la signification propre que nous lui attri¬
buons pour les raisons développées ci-dessus, abstraction faite de
son action sur Kant, mais qui la réclame aussi précisément en raison
de cette action sur Kant.
Hume, à côté du problème transcendantal de la constitution du
monde n’a pas posé celui de la constitution des objectités idéales; il n’a
donc pas posé non plus celui des idéalités logiques, des formations
catégoriales, des jugements qui forment le thème de la logique. Ce pro¬
blème aurait du être posé à propos des relations entre idées qui comme
sphère de la « raison » au sens fort jouent chez Hume un si grand rôle.
Les relations entre idées remplacent les rapports idéaux essentiels et
les lois idéales essentielles. Mais ces « relations entre idées » elles-
mêmes, les objectités idéales en général, n’étaient pas même intro¬
duites comme les données de fait d’une « expérience » présumée ou d’un
mode de conscience analogue donnant la chose « elle-même » d’une
maniéré présumée; elles n’étaient donc pas introduites comme les
données de la nature « objective » dans l’expérience naturelle. En
conséquence, le problème correspondant de Hume et sa théorie cor¬
respondante ne réussissent pas à « expliquer » comme une effectuation
interne de la simple fiction ni la destination ni non plus 1’ « expérience »
des objets présumés qui sont de ce type.
Comme succédané, en quelque sorte, du problème transcendantal
des objectités idéales, nous avons chez Hume le chapitre célèbre sur
Y abstraction. Il ne s’agit pas ici, comme nous l’avons dit, de transformer
en fiction les idées abstraites en tant que données d’une expérience
par le fait qu’il a été prouvé que les vécus que nous considérons en
tout temps comme une telle expérience ont certes une existence mais,
comme l’enseigne l’analyse psychologique, ont seulement la valeur
l23°] d’expériences-apparences, comme Hume tentait de le montrer à
l’égard de l’expérience externe et de ses données ; au contraire, le but
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 347

du chapitre cité est de prouver que nous n’avons vraiment pas de


« représentations » abstraites, que les idées abstraites ne se présentent
pas du tout comme données d’une « expérience » quelconque mais
seulement comme des idées particulières et des habits adéquats, par
quoi la pensée générale doit être expliquée comme une simple pensée
qui se résout en idées particulières.
Alors, la position de Kant à T égard de la logique devient, elle aussi,
compréhensible. Si Ton se fie aux mots, dès sa définition et jusque dans
le détail de son développement, la logique de Kant se donne comme
une science dirigée vers la subjectivité... science de la pensee qui
pourtant en tant qu’apriorique est séparée de la psychologie empi¬
rique de la pensée. Mais en réalité sa logique purement formelle,
quant à son sens, s’occupe des formations idéales de la pensée. Les
questions à proprement parler transcendantales touchant la possi¬
bilité de la connaissance, il s’abstient de les poser à propos de ces
formations. Comment se fait-il qu’il considère une logique formelle
dans son apriorité comme suffisamment fondée par elle-même?
Comment peut-on comprendre qu’il ne lui est pas venu a la pensee
de poser des questions transcendantales pour la sphère de la logique
formelle, prise en soi ?
C’est l’attitude de Kant à l’égard de Hume que nous avons men¬
tionnée et qui est une attitude à la fois de réaction et de_ dépendance_ qui
peut le faire comprendre. De même que Hume dirige sa critique
uniquement sur l’expérience et le monde de l’expérience et accepte
le caractère intangible des relations entre idées (que Kant prend comme
a priori analytique), Kant fait de même dans son contre-probleme,
il ne transforme pas en problème cet * priori analytique ui-meme.
Mais pour les tentatives philosophiques ultérieures, cela signifie
qu'on ne parvient absolument pas à proprement parler à ces recherches de
psychologie de la connaissance ou plutôt J* phlmnsnologse transcwlantah
qui constituent le besoin propre d’une logique conspUle, donc d une loÿq,
à double orientation. On n’y parvient pas parce qu on ne s y jam
348 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

mis ou qu’on n’a jamais eu le courage de saisir Yidéalité des formations


logiques sous le mode d’un « monde » propre dyobjets idéaux qui est
fermé sur soi et parce qu’on n’a jamais eu le courage, conjointement,
de regarder en face cette question douloureuse : comment la subjec¬
tivité peut-elle créer en elle-même, en les tirant purement des sources
de sa spontanéité, des formations qui peuvent valoir comme objets
idéaux d’un « monde » idéal. Et alors se présente ensuite comme une
question d’un degré nouveau la question suivante : comment ces
idéalités dans le monde culturel qu’il faut pourtant considérer comme
féel — en tant qu’il est renfermé dans l’univers spatio-temporel —
peuvent-elles admettre une existence liée par des conditions spatio-
[231] temporelles, existence sous la forme de la temporalité historique,
comme c’est le cas précisément pour les théories et pour les sciences ?
Naturellement la question se généralise et s’étend à chaque espèce
d’idéalités.
Kant lui-même, si clairement qu’il ait reconnu, en considérant
les éléments constitutifs centraux de la tradition aristotélicienne, le
caractère apriorique de la logique, la propriété qu’elle a d’être pure
de tout élément psychologique empirique et corrélativement le
contre-sens de son inclusion dans une doctrine de l’expérience, n’a
pourtant pas saisi le caractère spécifique de son idéalité. Sans quoi, à
partir de là auraient pu se former des motifs pour poser des questions
transcendantales.
L’inattention à l’objectité de tout élément idéal se manifeste dans
la doctrine de la connaissance depuis Locke — doctrine qui originel¬
lement devait être un succédané de la logique traditionnelle qui était
mésestimée — et, pour parler plus précisément, cette inattention se
manifeste a partir de Hume dans le célébré problème du jugement et
dans les théories du jugement qui s’y rapportent et qui au fond n’ont pas
modifié leur style à travers le temps. Nous avons tenté ci-dessus
d exposer en détail (a) ce qu’aurait à effectuer une théorie authen-
(a) Cf. §§ 85 sqq.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 349

tique du jugement, voyant clairement ses buts. Ici dans notre examen
historico-critique c’est seulement le contraste entre les théories
effectives et la théorie authentique du jugement qui s’offre à nous.
Le naturalisme psychologiste qui régnait universellement et qui
était à la recherche, depuis Locke, des « data » psychiques descriptifs
dans lesquels devait résider l’origine de tous les concepts, vit 1 essence
descriptive du jugement dans le belief — datum psychique qui n était
pas différent de n’importe quel datum de sensation, datum de rouge ou
datum de son. Mais n’est-il pas singulier que déjà Hume et plus tard
également à son tour Mill, après cette présentation du belief, parlent
en termes touchants des énigmes du belief. Qu’est-ce qu’un datum
peut bien avoir comme énigme ? Pourquoi alors le rouge et autres
data de sensation n’ont-ils pas d’énigme ?
Naturellement on éprouve l’intentionnalité et l’on a devant soi e
résultat de son action, mais dans l’attitude naturalistique on ne peut
pas arriver à saisir ce dont il s’agit. Rien T essentiel n'a été change a
cette situation même par la découverte de T intentionnalité faite par Brentano.
Il manquait l’examen corrélatif conséquent de la noèse et du noeme
du cogita et du cogitatum qua cogitatum. Il manquait le deroulemenMe
intentionnalités impliquées, le dévoilement des « mu tip ici es »
lesquelles se constitue 1’ « unité , Si cette umte netatt pus l 61
conducteur transcendantal, si donc dans la theor.e du |ugem<mt on
232] ne se proposai, pas dès l’abord comme but de questionner le jugeme
(au sens logique, en tant que jugement ayant une )
quant aux multiplicités noéttco-noémattques qui tendent
stble le fait qu'il se-produit-pour-nous originellement avec cet e
Méalité sT cela donc n’était pas réalisé, il manquait alors a toute
idéalité, si spécifique. Un tel but aurait présupposé
theone du ugement un but specmn ,, évidence
justement l’idéalité comme telle, comme donnée dune éntotce
saisissable. Au lieu de cela on restait attache aux «d a » ^
Même les théories logiques, plus spéciales nsychologies
jugement se perdaient dans les confusions troubles des psycholog
350 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

de la tradition lockienne qui continue toujours à avoir une influence;


comme nous l’avons déjà développé, ces psychologies, en dépit
de la très active « expérience interne », échouaient attendu que
justement tous les problèmes de la psychologie pure et donc aussi
ceux du jugement, lorsqu’ils sont saisis avec authenticité, ont le même
style, le style des problèmes constitutifs pris dans notre sens phéno¬
ménologique. En tant que tels les problèmes du jugement ne pou¬
vaient pas du tout être isolés et on ne pouvait pas les traiter en se liant
au concept étroit dujugement de la logique traditionnelle. L’intentionnalité
n’est pas quelque chose d’isolé, elle ne peut être considérée que dans
l’unité synthétique qui relie télêologiquement toutes les pulsations parti¬
culières de la vie psychique qui se réfèrent de façon unitaire à des
objectités, ou plutôt dans la double polarisation du pôle constitué par
le moi et du pôle constitué par l’objet. L’effectuation « objectivante »,
à laquelle coopèrent tous les venus intentionnels particuliers, à des
niveaux divers et en référence à des objets multiples mais qui se
rattachent par leur sens les uns aux autres pour former des « mondes »,
fait qu’on doit avoir en vue finalement toute l’universalité de la vie
psychique en corrélation avec l’universalité ontique (l’universalité
de l’ensemble des objets, cet ensemble ayant en soi une unité). Cette
structure téléologique de la vie intentionnelle, en tant que structure
objectivante universelle, a son index dans la concordance de l’objet et
du jugement pris au sens le plus large et dans l’universalité avec
laquelle n’importe quel objet déjà donné au préalable peut être soumis
librement à des actions catégoriales. C’est précisément par là (et en
tant qu’index de cette même téléologie) que le jugement prédicatif,
lui aussi, acquière une signification universelle pour la vie psychique.
Pourtant cette problématique authentique du jugement devait
rester inaccessible aussi longtemps d’une part que n’était pas encore
découverte l’objectité de n’importe quelle sorte d’élément idéal et
que d’autre part n’étaient pas découverts le sens et la méthode de la
recherche intentionnelle et que n’était pas surmonté le contre-sens
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE 35i

de la psychologie naturalistique (entre autres aussi le contre-sens du


traitement naturalistique de l’intentionnalité prise avec la valeur nou¬
velle à laquelle elle est parvenue). Aussi longtemps que faisaient défaut
ces découvertes, ni la psychologie ni les disciplines philosophiques
33] idéales (« normatives ») qui avaient besoin d’une élucidation « psycho¬
logique » : la logique, l’éthique, l’esthétique, ne pouvaient arriver à
un développement sûr de son but ni à une vraie méthode.
Pour la logique (et il n’en est pas autrement pour ses disciplines
philosophiques parallèles), cela indique donc la direction de la
réforme qui lui est, par essence, nécessaire. Elle doit surmonter la
naïveté phénoménologique, elle doit, même après être parvenue à la
reconnaissance de ce qui est idéal, être plus qu une science simple¬
ment positive des idéalités logico-mathématiques. Au contraire,
c’est dans une recherche qui a constamment une double orientation
(recherche qui se détermine tour a tour dans 1 une ou 1 autre orien¬
tation) que la logique doit systématiquement revenir des formations
idéales à la conscience qui les constitue phénoménologiquement,
qu’elle doit rendre intelligibles, quant à leur sens et à leurs limites,
ces formations en tant qu’effectuations essentielles des structures
corrélatives de la vie effectuante de la connaissance et aussi les ranger,
comme toute autre objectivité en général, dans l’ensemble plus large,
dans l’ensemble concret de la subjectivité transcendantale. Rien n est
changé par là à l’objectivité des formations logiques comme rien
n’est changé au monde réel.
Nous disions déjà ci-dessus que le but fixé ne pouvait etre le
au besoin obscur de recherches logiques dirigées vers la sub,ectmte
que vraiment après que l'objectivité idéale des formations logiques
eût été mise en relief nettement et reconnue résolument. On se
trouvait donc alors devant l'impossibilité de comprendre «smmnt
des objectais ,Males qui prennent naissance purement dans nos act -
virés subjectives de jugement et de connaissance -nt P- en“
originalités dans notre champ de conscience en tant que format
352 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

de notre spontanéité, comment elles acquièrent le sens-d’être d’« objets »,


d’objets qui existent en soi en face de la contingence des actes et des
sujets. Comment ce sens se « fait »-il, comment ce sens prend-il
naissance en nous-mêmes et d’où devons-nous le tenir si ce n’est
de notre propre effectuation constitutive du sens ? Ce qui a pour
nous un sens peut-il finalement le tenir d’ailleurs que de nous-
mêmes ? Cette question, une fois qu’elle a été comprise pour une
sorte d’objets, se généralise aussitôt : n’importe quelle objectivité,
avec le sens complet avec lequel elle peut valoir pour nous, n’est-elle
pas une objectivité qui parvient ou qui est parvenue à la validité en
nous-mêmes et cela avec le sens que nous nous sommes procurés
nous-mêmes ?
En conséquence, le problème transcendantal que la logique objective,
qu’elle soit conçue d’une manière étroite ou large, a à poser relati¬
vement à son champ d’objectités idéales entre en parallèle avec les
problèmes transcendantaux des sciences de la réalité, à savoir avec les pro-
[234] blêmes qui doivent être posés relativement aux régions de réalités
de ces sciences, donc en particulier avec les problèmes transcen¬
dantaux de la nature traités par Hume et par Kant. Il semble donc que
comme conséquence immédiate de la mise en évidence du monde
des idées et en particulier de celui des idées purement logiques (en se
fondant sur le développement des impulsions données par Leibniz,
par Bolzano et par Lotze) aurait dû s’installer un transfert immédiat
des problèmes transcendantaux à cette sphère.
Mais le développement historique ne pouvait pas prendre une
forme aussi simple. La problématique et la théorie kantiennes se
développaient comme un tout et elles étaient si solidement enfermées
dans la carapace de leur mise en forme systématique que les possi¬
bilités de transfert à la sphère logique des idées ne vinrent pas le
moins du monde en question. Donc s’il en a été ainsi, ce n’est pas
du tout simplement parce qu’à Kant lui-même, pour les raisons que
nous avons traitées ci-dessus, est restée étrangère une telle pensée.
PHÉNOMÉNOLOGIE TRANSCENDANTALE

Ses problèmes transcendantaux, dans leur forme conditionnée histo¬


riquement, ne reposent pas, comme l’exige ici l’ultime clarté du
problème, sur la base primitive de toute recherche transcendantale,
sur la base de la subjectivité phénoménologique. En fait, aussitôt que
l’on est parvenu à cette base, par là même la totalité des problèmes
transcendantaux (ainsi que leur sens, identique pour tous ces pro¬
blèmes) est vraiment déjà donnée. Les problèmes de Kant étaient
posés dès l’abord dans une forme de niveau trop élevé pour qu’ils
aient pu être utiles aux logiciens ayant des intérêts pour la théorie
de la connaissance. On peut peut-être dire que les plus grandes
entraves, obscurités, difficultés avec lesquelles Kant eut à combattre
dans sa sphère de problèmes et qui rendent si difficile de trouver
dans ses théories la satisfaction de la pleine clarté, sont précisément
en liaison avec le fait qu'il «’a pas reconnu le problème transcendantal
de la logique comme un problème précédant cette sphère de problèmes. Car si
la possibilité transcendantale de la nature au sens de la science de la
nature (et par conséquent aussi cette science elle-même) est son
problème, alors le problème logico-formel de la science en tant que
théorie (et à vrai dire en tant que problème transcendantal) entre déjà
à titre de présupposition essentielle dans le problème de la nature.
Mais pour Kant il est suffisant d’avoir recours a la logique formelle
dans sa positivité apriorique, ou, comme nous dirions, dans sa
naïveté transcendantale. Elle est pour lui un absolu, une base ultime
sur laquelle la philosophie, d’emblée, aurait a construire. En un pas
en avant radical il aurait donc dû tout d abord décomposer la pro¬
blématique en problématique pour la nature préscientifique et en
problématique pour la nature scientifique. Il aurait pu alors (comme
l’a fait Hume) poser au préalable des questions transcendantales
concernant uniquement la nature pré scientifique telle qu elle parvient à être
donnée « elle-même » exclusivement dans l’intuition qui saisit par
l’expérience (non pas donc dans 1’ « expérience » au sens kantien) et,
seulement après une logique formelle transcendantale, poser des
23
E. HUSSERL
354 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

questions transcendantales concernant la science de la nature et


la nature dont elle s’'occupe. Il est clair en même temps que c’est seule¬
ment si la philosophie transcendantale de la nature avait été présentée
explicitement tout d’abord dans une limitation principielle à la nature
intuitive qu’elle aurait été propre, après la découverte des idéalités,
à motiver le développement d’une logique transcendantale.
En tout cas, il paraît sûr que les formes qu’a prises la philosophie
transcendantale de Kant et de ses successeurs néo-kantiens, bien
qu’elles représentent de significatifs éléments de départ d’une philo¬
sophie transcendantale authentique, n’étaient pas propres à faire
pressentir le passage à une considération transcendantale des mondes
idéaux et en particulier des mondes logiques. Certes la nature du
développement historique (tel qu’il était conditionné par la mise en
évidence de la sphère logique conçue comme un règne des objectités
idéales) impliquait qu’il était et qu’il est encore maintenant plus facile
de pénétrer jusqu'au sens pur des questions transcendantales en général à
partir de ces objectités — constituées par des actions spontanées —
qu’au moyen d’une transformation critique des questions posées par
Kant, déterminées par leur sphère thématique particulière. Il était
ainsi entièrement non-fortuit que la phénoménologie elle-même
à sa naissance prit le chemin qui va de la mise en évidence de l’idéalité
des formations logiques à l’exploration de leur constitution subjective
et qui à partir de là seulement conduit à la saisie de la problématique
constitutive conçue comme une problématique universelle et non
pas uniquement rapportée aux formations logiques.
Revenons, après cette digression historico-critique, à notre
thème principal.
Chapitre VII

LOGIQUE OBJECTIVE
ET PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON

§ toi. La phénoménologie transcendantale de la raison


EST CE QUI FONDE SUBJECTIVEMENT LA LOGIQUE

Les problèmes de l’évidence qui se rattachaient aux concepts


logiques fondamentaux et aux propositions logiques fondamentales
étaient ce qui nous a conduits à la problématique constitutive la plus
générale et à ce qu’il y avait de radical dans sa méthode — et cela,
du fait que l’évidence est ce qui est constitutif pour la vérité et pour
l’existant vrai, vérité et existant ayant tout sens valable pour nous.
Si la logique, en tant qu’elle provient d’une evidence naïve, ne doit
pas planer dans les nues au-dessus de toute application possible, alors
il faut nécessairement que ces problèmes soient poses et résolus
dans leur ordre hiérarchique. Car c’est seulement le sens clarifie qui
prescrit le domaine d’application légitime. La doctrine formelle de la
science doit exprimer un a priori pour la science possible en général,
le grand problème : comment la science est-elle possible n est pas tranche,
pour parler d’une manière analogique, par le solvitur ambulando.
Cette possibilité ne peut être prouvée par le fait de l’existence des
sciences car c’est seulement la subsomption sous cette possibilité
en tant qu’idée qui prouve le fait. Ainsi nous sommes ramenés à la
logique, à ses principes aprioriques et à ses théories aprionques.
Mais elle est elle-même mise en question, en ce qui concerne sa
3 56 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

possibilité et elle est mise en question constamment et très sérieu¬


sement dans nos critiques qui suivent une démarche progressive.
Ces critiques nous ramènent de la logique en tant que théorie à la raison
logique et à son nouveau champ théorique. Au début de cet ouvrage,
parmi les significations du mot logos intervenait aussi celle de raison ; la
logique préoccupée, avec les recherches subjectives, de fondation
radicale est alors aussi en ce sens science du logos.
Ne tombons-nous pas dans un jeu de questions qui se succèdent ?
N’y a-t-il pas aussitôt une question nouvelle dont la réponse ne peut
être prouvée : comment une théorie de la raison logique est-elle possible ?
A cette question, notre dernière étude (a) donne la réponse : elle est
possible radicalement en tant qu'elle est phénoménologie de cette raison
dans le cadre de la phénoménologie transcendantale entière. Si alors cette
phénoménologie transcendantale, comme il est à prévoir, est la
science dernière, elle doit se manifester comme telle dans le fait que
la question concernant sa possibilité doit trouver sa réponse en elle-même,
dans le fait qu’il existe donc quelque chose comme des références
à soi-même, références itératives, essentielles, dans lesquelles est impliqué
d’une manière évidente le sens essentiel d’une justification dernière
par soi-même et dans le fait que c’est précisément cela qui constitue
le caractère fondamental d’une science dernière principielle.

§ 102. Référence de la logique traditionnelle au monde

ET QUESTION CONCERNANT
LE CARACTÈRE DE LA LOGIQUE « DERNIÈRE ))

QUI EST LA PROPRE NORME DE SON ÉLUCIDATION TRANSCENDANTALE

Laissons de côté ces problèmes qui sont trop loin de nos préoc¬
cupations actuelles et tenons-nous en au niveau de questions auquel
nous ont placés les recherches effectuées jusqu’ici.

(a) Cf. Chap. V et VI.


PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 357

En premier lieu nous avons à nous occuper de la référence naïve


de la logique au monde et des problèmes de l’évidence qui sont en
liaison avec cette référence au monde. Ici, en tirant profit de nos
considérations sur la phénoménologie, nous devrons dire à nouveau
que cette attache au monde et sa manière d’aller de soi — cette réfé¬
rence de la logique au monde ne donnait pas du tout à penser que la
logique ainsi conçue n’avait qu’un sens particulier et qui n’était pas
le seul sens possible — étaient une nécessité aussi longtemps qu’un
horizon transcendantal ne s’était pas encore ouvert à l’humanité
scientifique. Seule la découverte de la problématique transcendantale
rend possible la distinction (seule distinction avec laquelle une philo¬
sophie radicale en général peut commencer) entre le monde (le
monde réel et un monde possible en général) et la subjectivité trans¬
cendantale qui précède l’être du monde en tant qu elle constitue en
elle le sens-d’-être du monde et qui par conséquent porte en elle
absolument la réalité naturelle du monde à titre d’idée constituée en
elle d’une manière actuelle ou potentielle. Sans aucun doute seule
l’apparition de la réduction phénoménologico-transcendantale avec
son èiïoyfl universelle à l’égard de toutes les prédonnées du monde,
à l’égard de toutes les transcendances intervenant avec la revendica¬
tion de F « en soi », a dégagé la sphère d’être transcendantale concrète
et aussi le chemin qui mène vers les problèmes constitutifs, en parti¬
culier (a) vers ceux pour lesquels les transcendances « mises entre
parenthèses » ont à fonctionner comme « fils conducteurs transcendan¬
taux ». La clarification de la constitution des « autres » (clarification
qui se développe à l’intérieur de Y ego qui a subi la réduction transcen¬
dantale) conduisait ensuite à l’extension de la réduction phénomé¬
nologique et de la sphère transcendantale à l’inter subjectivité trans¬
cendantale (la totalité transcendantale des moi).

(a) La sphère « immanente » a, elle aussi, ses problèmes constitutifs Cf. par
ïxeiple dans ce Jahrbuch f. Philos, t. IX, le mémoire que nous avons déjà .
3^8 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

La problématique de T évidence ou, comme nous pouvons dire en


allant plus loin, la problématique constitutive de la logique relèvent très
essentiellement de cette perspective transcendantale. Car, comme on
l’a montré, l’ensemble des études de la raison logique dirigées vers
la subjectivité, quand elles sont pensées et conduites dans le sens qui
leur est prescrit sont, bien évidemment, en tant qu’études du sens
originel des fondements logiques, des études phénoménologico-
transcendantales et non pas psychologiques.
Mais si les études sur l’origine de la logique sont transcendantales
et si elles sont elles-mêmes des études scientifiques, alors nous
tombons sur un fait surprenant concernant à la fois, d’une manière
essentiellement fondamentale, le sens de la logique et celui de la
[238] science. Toutes les sciences positives sont « mondaines », la science
transcendantale ne l’est pas. La logique naïvement naturelle, la
logique qui pourrait être rapportée uniquement aux sciences posi¬
tives, est < mondaine » ... Qu’en est-il de cette logique aux normes de
laquelle sont soumises les études transcendantales, les études qui élucident
la logique positive ? On conçoit des concepts, on forme des jugements,
en les puisant aux sources de l’expérience transcendantale (celle des
données de l’ego cogito), on a des jugements vides et des jugements
remplis, on tend vers des vérités et on les atteint par adéquation,
on déduit aussi, on pourra bien aussi induire... qu’en est-il alors de la
vérité et des principes logiques, alors que l’être vrai est un être « simple¬
ment subjectif » ? La vérité, au moins dans le domaine de la phéno¬
ménologie la plus fondamentale (la phénoménologie « purement
égologique »), telle qu’elle vient, presque exclusivement, à l’expres¬
sion dans la première partie de mes Ideen... seule à être parue) n’est
plus en un sens normal vérité en soi, même pas en un sens qui a rapport
à un « tout être » transcendantal. Pour la compréhension de cette
extériorité, je rappelle que d’autres sujets en tant que sujets transcen¬
dantaux ne sont pas donnés dans le cadre de mon ego comme ce dernier
l’est pour moi-même dans une expérience réellement immédiate et
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 359

que la construction systématique d’une phénoménologie transcen¬


dantale au niveau premier et fondamental ne peut considérer les
autres que comme « phénomènes » mis entre parenthèses et pas
encore comme réalités transcendantales. Alors, en cette qualité
de niveau fondamental prend naissance une remarquable discipline trans¬
cendantale qui est une discipline première en soi, effectivement transcen¬
dantale et solipsiste, avec des vérités essentielles, avec des théories qui
valent exclusivement pour moi, pour moi S ego, donc qui peuvent
prétendre valoir certes « une fois pour toutes » mais sans référence
à d’autres sujets, réels ou possibles. Par conséquent surgit aussi la
question concernant une logique subjective dont 1 a priori peut valoir
uniquement d’une manière solipsiste.
Naturellement, ici aussi, dans les points particuliers comme dans
la généralité logique idéale, l’évidence naïve et la revendication naïve
de généralités essentielles précèdent l’élucidation phénoménologique
du sens provenant de la donation de sens, élucidation qui pénètre
à un degré de profondeur de plus. Doit-on, peut-on passer par-dessus
ces problèmes si l’on veut comprendre la logique, si l’on veut
dominer les possibilités et les limites de son application, si l’on veut
dominer le sens de chaque niveau de l’existant — si l’on veut etre
philosophe ... même métaphysicien, dans le bon sens du terme
donc si l’on veut non pas « faire des spéculations » sur 1 existant et
sur la théorie qui s’y rapporte mais si l’on veut se laisser conduire
soi-même par les niveaux et les profondeurs du sens ? Qui dit ici A
doit aussi dire B. En réalité l’on voudrait simplement une « log que
formelle » on voudrait simplement aller un peu au delà de 1 analytique
mathématique pure. Mais alors les questions d’évidence mènent a
une subjectivitéPphénoménologique et les exemples d idéation logique
mènent aux ensembles concrets du monde existant et a partir de
là jusqu’à la subjectivité transcendantale existante. Ce qui paraissa
si simple dans son évidence naturelle devient maintenant excessi¬
vement compliqué. Les recherches gardent une relativité pénible
360 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

et pourtant inévitable, gardent un caractère provisoire au lieu d’avoir


atteint le stade du définitif, attendu que toute recherche surmonte
quelque naïveté au niveau qui est le sien mais qu’elle-même elle entraîne
encore avec elle la naïveté propre à son niveau, naïveté qui alors de
son côté doit être surmontée par des recherches d’origine qui pénè¬
trent plus loin. Les présuppositions d’existence qui se dévoilent à
chaque niveau deviennent des indices pour les problèmes d’évidence
qui nous introduisent dans l’important système de la subjectivité
constitutive. La logique objective, la logique dans la positivité naturelle,
est la logique première pour nous mais non pas la logique dernière. Et ce
n’est pas seulement parce que la logique dernière ramène l’ensemble
des principes de la logique objective en tant que théorie à leur sens
originel, à leur sens phénoménologico-transcendantal légitime et
qu’elle leur procure une scientificité authentique. Déjà pendant qu’elle
le fait ou dès qu’elle se met à essayer d’atteindre ce but par paliers,
elle s’élargit nécessairement. Une ontologie formelle d'un monde possible
en tant qu’il est un monde constitué par la subjectivité transcen¬
dantale est un moment non-autonome d'une autre « ontologie formelle »
qui se rapporte à tout ce qui existe, quel qu'en soit le sens, qui se rapporte
à l’existant qu’est la subjectivité transcendantale et à tout ce qui se
constitue en elle. Mais comment faut-il mener à bien cette ontologie,
comment peut-on satisfaire, sur la base absolue de la phénoméno¬
logie, à l’idée la plus générale d’une logique formelle conçue comme
ontologie formelle et comme apophantique formelle, comment cette
idée se constitue-t-elle dans le cadre de la science universelle absolue
et dernière, la phénoménologie transcendantale, comme une couche
qui lui appartient nécessairement; à partir de là, quel sens d’être
et quel rang la logique qui s’est développée naturellement a-t-elle
à revendiquer en tant qu’ontologie formelle et à quelles présuppo¬
sitions méthodiques son application légitime est-elle liée ... toutes ces
questions sont des questions philosophiques très profondes. Elles
s enchevêtrent immédiatement avec de nouvelles questions.
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 361

§ 103. Fonder absolument la connaissance


n’est possible que dans la science universelle
DE LA SUBJECTIVITÉ TRANSCENDANTALE
EN TANT QUE SEUL ÊTRE EXISTANT D’UNE MANIERE ABSOLUE

L’'ontologie formelle conçue comme analytique se rapporte avec une


généralité vide à un monde possible en général, mais, à la différence
de Y ontologie au sens réel, elle ne déploie pas cette idée selon les formes
structurelles nécessaires par essence à un monde, formes prises en
un sens nouveau et même qu’il faut comprendre d’une manière très
différente, comme la forme : totalité des réalités et les formes de totalité :
espace et temps, comme l’organisation formelle en régions de réa¬
lités, etc. Qu’en est-il alors du rapport exact de ces deux sciences aprio-
riques de P existant « mondain » en general, chacune étant « formelle » en
un autre sens que P autre, qu’en est-il donc de leur rapport si toutes
deux sont fondées à partir des sources originelles de la subjectivité
transcendantale ? Car c’est toujours là l’exigence perpétuelle; cette
exigence constitue partout ce qui est spécifiquement philosophique
dans un dessein scientifique, elle distingue partout la science, dans la
positivité naïve (qui ne peut valoir que comme premier degre prépa¬
ratoire de la science authentique et non comme cette science authen¬
tique elle-même) et la science authentique qui n’est rien d’autre que la
philosophie. .
Grâce à la réduction à cette subjectivité on doit parcourir une
voie systématique qui mène aux actions fondatrices dernières, aux
clarifications dernieres du sens possible et légitime. On doit donner
un libre développement à ces moyens de « remplissement » qui, grâce
à la mise à nu de l’intentionnalité cachée, se révèlent les moyens de
remplissement véritables, quoique toujours seulement relatifs. En
outre on doit donner une libre configuration aux formes essentielles
des idées-fins et aux remplissements relatifs conduisant par
à ces idées, dans des degrés d’approximation adéquats. La fondation
362 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

originelle de toutes les sciences et de l’ontologie formelle des deux espèces


exerçant à l’égard de ces sciences une fonction épistémologique,
c’est-à-dire normative leur confère T unité, à elles toutes, en tant qu’elles
sont alors des rameaux de Teffectuation constitutive provenant d’une seule
et même subjectivité transcendantale.
En d’autres termes, il n’y a qu'une philosophie unique, qu’une
science véritable et authentique unique et en elle les sciences particulières
authentiques sont justement des membres non-autonomes.
La science universelle de la subjectivité transcendantale (dans
laquelle toutes les sciences concevables conformes au réel et au
[24t] possible sont des formes transcendantales qui se dessinent confor¬
mément à l’essence et qui se dessinent comme devant être réalisées
dans une libre activité) confère aussi à Y idéal de fondation de la connais¬
sance, dans me démarche absolument dépourvue de présuppositions et de
préjugés, un sens légitime et qui est le seul sens concevable. Tout
existant (qui pour nous a eu et peut avoir un sens) se trouve, en tant
qu’étant constitué intentionnellement, dans une hiérarchie de fonc¬
tions intentionnelles et même d’existants qui sont déjà constitués
intentionnellement et qui de leur côté sont enchevêtrés dans des
fonctions intentionnelles pour une nouvelle constitution d’existants.
Tout existant (à l’opposé du faux idéal d’un être existant absolument
et ayant une vérité absolue) est finalement relatif et, avec tout ce qui
est relatif en un sens courant quelconque, est relatif à la subjectivité
transcendantale. Mais seule la subjectivité transcendantale est en soi
et pour soi et cela même, dans un ordre hiérarchique correspondant à
la constitution qui conduit aux différents niveaux de l’intersub-
jectivité transcendantale. Donc tout d’abord c’est en tant qu’^0
que je suis existant absolu « en moi et pour moi ». Je suis pour un
autre existant seulement dans la mesure où lui, l’autre, Yalter ego,
est lui-même subjectivité transcendantale qui pourtant vient à être
posée nécessairement en moi en tant que je suis Y ego existant pour soi
déjà au préalable. D’une manière analogue, également l’intersubjec-
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 363

tivité transcendantale (la subjectivité transcendantale au sens élargi)


qui en moi, donc relativement à moi, est constituée en tant que
pluralité d'ego — chacun de ceux-ci existant avec une validité reconnue
en tant qu’il est rapporté intentionnellement, de même que moi,
à la même inter subjectivité — est, quant à son sens (en tenant compte
de la modification qu’implique l’inter subjectivité par rapport à la
subjectivité) « en soi et pour soi », avec le mode d’être de 1’ « absolu ».
L'existant absolu existe sous la forme d’une vie intentionnelle qui,
quoi que ce soit qu’il puisse avoir de présent à la conscience, est en
même temps conscience de soi-même. C’est précisément pour cela
(comme on peut le voir avec évidence en y réfléchissant plus profon¬
dément) que l’existant absolu peut, par essence, en tout temps, se
réfléchir sur lui-même selon toutes ses formes qui se sont détachées
de lui-même, qu’il peut se prendre pour thème, qu’il peut produire
des jugements et des évidences qui sont rapportées à lui-même. Son
essence implique la possibilité de la « prise de conscience de soi-même »,
d’une prise de conscience de soi-même qui va, par dévoilement,
d’opinions vagues au soi-même original.

§ 104. La phénoménologie transcendantale


EN TANT QU’AUTO-EXPLICITATION

DE LA SUBJECTIVITÉ TRANSCENDANTALE

La phénoménologie entière n’est rien de plus que la prise de conscience


par soi-même de la subjectivité transcendantale, prise de conscience scienti¬
fique qui opère tout d’abord d’une manière immédiate, donc meme
avec une certaine naïveté mais qui considère ensuite d’une maniéré
critique son propre logos; cette prise de conscience va du fait aux
nécessités d’essence, au logos primitif d’où procède tout ce qui a le
statut du « logique ». Tous les préjugés tombent ici necessairemen
attendu qu’ils sont eux-mêmes des formes intentionnelles qui sont
mises à nu dans le cours de la prise de conscience qui progresse
364 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

d’une manière conséquente. Toute critique de la connaissance logique,


de la connaissance créant la logique, mais déjà préparée par elle, la
critique de la connaissance dans toutes les sortes de sciences est, en
tant qu’effectuation phénoménologique, auto-explicitation de la subjec¬
tivité prenant conscience de ses fonctions transcendantales. Tout être objectif,
toute vérité a son fondement d’être et son fondement de connais¬
sance dans la subjectivité transcendantale et s’il s’agit de vérité qui
concerne la subjectivité transcendantale elle-même, elle a alors son
fondement justement dans cette subjectivité elle-même. Pour déve¬
lopper avec plus de précision disons : si cette subjectivité effectue
la prise de conscience de soi d’une manière systématique et univer¬
selle — donc en tant que phénoménologie transcendantale — alors,
comme il ressort clairement de nos exposés antérieurs, elle trouve
comme constitués en elle-même tout être « objectif » et toute vérité
« objective », toute vérité qui se révèle comme « mondaine ». L’objectif
n’est rien d’autre que l’unité synthétique de l’intentionnalité actuelle
et de 1 intentionnalité potentielle, appartenant d’une manière essen¬
tiellement propre à la subjectivité transcendantale. Grâce à la façon (a)
dont est constituée dans mon ego existant apodictiquement la multi¬
plicité ouverte d’autres ego, cette unité synthétique est rapportée à
la communauté totale des ego transcendantaux qui communiquent
avec moi et les uns avec les autres, des ego existant « les uns pour les
autres »; elle est donc unité synthétique des intentionnalités appar¬
tenant d’une manière essentiellement propre à cette communauté.
D’autre part toute vérité dirigée thématiquement vers l’intersub¬
jectivité transcendantale est a fortiori relative à cette intersubjectivité,
conformément à sa manière d’être un « être-pour-soi-même », un
être « absolu ».
Ainsi la fondation dernière de toute vérité est un rameau de la
prise de conscience de soi universelle qui, menée radicalement, est

(a) Cf. ci-dessus, § 96, pp. 318 sqq.


PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 365

absolue. En d’autres termes, c’est une prise de conscience de soi


que je commence avec la réduction transcendantale et qui me conduit
à la saisie absolue de moi-même, à celle qui porte sur mon ego trans¬
cendantal. Me considérant désormais, en tant que je suis cet ego
absolu, comme champ fondamental thématique exclusif, j’effectue
toutes les autres prises de conscience, les prises de conscience spéci¬
fiquement philosophiques, c’est-à-dire purement phénoménologiques.
Je prends conscience purement de ce que je peux trouver « en »
moi-même; je sépare, comme il a été indiqué antérieurement, ce
qui m’est propre en premier (ce qui est constitué d’une manière
inséparable de moi-même) et ce qui sur cette base de motivation
est constitué en moi comme « élément étranger » de niveau divers
— ce qui est constitué en moi comme élément réel mais aussi comme
élément idéal, ce qui est constitue en moi comme nature, comme
animalité, comme communauté humaine, comme peuple et comme
état, comme culture objectivée, comme science ... aussi ce qui est
constitué comme phénoménologie et tout d’abord par un travail
de pensée qui m’est propre. Tout cela devient le thème de prises de
conscience phénoménologiques, à double orientation, et qui mettent
à nu la constitution « subjective » des formations qui sont chaque fois
déjà données « immédiatement ». M’engageant et me fixant dans
cette prise de conscience, je découvre que c’est de moi-même, des
sources de ma propre passivité (association) et de ma propre activité,
tout d’abord dans une sorte de naïveté, que proviennent les forma¬
tions théoriques de la phénoménologie transcendantale et cette
phénoménologie elle-même, en tant qu unité ouverte et 1, imitée
de la science. Si ensuite au niveau supérieur on prend la phénomé¬
nologie comme thème constitutif et critique pour lui attribuer la
plus haute dignité de l’authenticité, la plus haute dignité de la capa¬
cité de responsabilité s’étendant jusqu’au radical, alors naturellement
il est bien entendu que je me meus sur le terrain de ma subjectivité
absolue ou sur celui de l’intersubjectivité absolue qui se fait jour a
3 66 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

partir de moi-même; il est bien entendu que donc en tant que philo¬
sophe je ne veux et ne peux vouloir rien d’autre que des prises de
conscience radicales de moi-même qui du fond d’elles-mêmes se
transforment en prises de consciences de soi de l’intersubjectivité
existant pour moi. Le monde transcendant, les hommes, le fait qu’ils
ont des relations les uns avec les autres et avec moi en tant qu’homme,
le fait que les uns avec les autres ils saisissent par l’expérience, ils
pensent, ils ont une action, ils créent, tout cela n’est pas supprimé,
déprécié, modifié par ma prise de conscience phénoménologique
mais est simplement compris et de la sorte est également comprise
la science positive obtenue par le travail de la communauté, finalement
aussi la phénoménologie obtenue par le travail de la communauté,
phénoménologie qui se comprend là elle-même comme fonction de
prise de conscience de soi dans l’intersubjectivité transcendantale.
C’est en tant qu’homme (dans l’attitude naturelle) que je suis
« dans » le monde, que me je trouve déterminé comme tel, que je me
trouve donc déterminé d’une manière multiple, de l’extérieur (il
s’agit d’une extériorité spatio-temporelle). C’est aussi en tant qu’ego
transcendantal (dans l’attitude absolue) que je me trouve déterminé
de l’extérieur — mais à présent donc non pas en tant que réel spatio-
temporel déterminé par un réel extérieur. Que signifie à présent le
« exterieur-a-moi » et le « être-déterminé-de-l’extérieur » ? Au sens
transcendantal je ne peux manifestement être conditionné par
quelque chose d’ « extérieur », par quelque chose qui dépasse ce qui
m appartient en propre de façon bien délimitée que dans la mesure
ou « extérieur » a le sens d « autrui » qui d’une manière absolument
intelligible acquiert et manifeste en moi la valeur d’être de Y ego
transcendantalement autre. A partir de là deviennent clairs la possi-
[244] bilité et le sens non seulement d’une pluralité de sujets absolus
coexistant (« monades ») mais aussi de sujets agissant transcendan¬
talement les ms sur les autres et, dans une activité commune, consti¬
tuant comme des œuvres les formations qui sont le bien de la com-
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 367

munauté. Mais tout cela n’est pas une hypothèse; c’est le résultat de
la prise de conscience systématique sur le monde qui se trouve en
moi-même en tant que « phénomène », qui a en moi-même et qui
tient de moi-même son sens d’être, tout cela est retour systématique
aux questions concernant le sens authentique, pur et sans mélange,
de ma propre donation de sens, aux questions concernant toutes les
présuppositions qui appartiennent inséparablement à cette donation
de sens et qui se trouvent en moi-même, à commencer par la position
préalable (1) absolue qui donne un sens à toutes les présuppositions,
c’est-à-dire celle de mon ego transcendantal.
Il ne s’agit donc effectivement que de prise de conscience de soi,
non d’une prise de conscience de soi qui s’interrompait précipi¬
tamment et qui tournerait à une positivité naïve mais d’une prise
de conscience de soi qui dans une attitude absolument conséquente
reste précisément ce par quoi elle commença : prise de conscience
de soi. Avec cette réserve que, sans changer essentiellement son style,
elle prend en progressant la forme de la prise de conscience de soi
de l’inter subjectivité transcendantale.
Le radicalisme de cette prise de conscience de soi philosophique qui dans
tout ce qui est déjà donné comme existant voit un index intentionnel
pour un système d’effectuations constitutives a mettre a nu est donc
en fait le radicalisme extrême dans 1 effort pour atteindre l absence de
préjugés. Tout existant déjà donné avec son évidence immédiate vaut
pour lui comme « préjugé ». Un monde déjà donne, un domaine
idéal d’êtres qui est déjà donné, comme le domaine des nombres,
ce sont des « préjugés » tirant leur origine de 1 évidence naturelle,
bien que ce ne soit pas des préjugés au sens péjoratif. Ces préjugés
ont besoin d’une critique et d’une fondation transcendantales, si
l’on veut satisfaire à l’idée d’une connaissance fondée absolument
qui puisse procurer savoir et science au sens strict... Pour s exprimer

(x) Voraus-Setzung.
36B logiques formelle et transcendantale

autrement ils en ont besoin, si l’on veut satisfaire à l’idée d’une


philosophie dans laquelle ils doivent trouver place.
Cela vaut également dans la généralité formelle avec laquelle ces
préjugés entrent dans une logique naturelle. Mais la logique, et en
particulier la logique moderne depuis YEssay de Locke qui en puisant
aux sources de 1’ « expérience interne » a en vue une clarification de
l'origine, est constamment entravée par des préjugés au mauvais
sens du terme (au sens courant) et les pires de tous les préjugés sont
ici ceux qui concernent l’évidence. Ils sont en liaison avec le préjugé
que nous avons exposé antérieurement : celui du monde absolu,
existant en soi, en tant que substrat des vérités en soi qui lui appar¬
tiennent de toute évidence. A cet égard notre critique transcendantale
de la logique a besoin encore d’un complément pour arriver à sa
conclusion.

[mj] § 105. Considérations préliminaires


POUR LA CONCLUSION DE LA CRITIQUE TRANSCENDANTALE
DE LA LOGIQUE

Les théories courantes de l’évidence


SE FOURVOIENT DU FAIT DE LA PRÉSUPPOSITION

DE LA VÉRITÉ ABSOLUE

Restant éloignée de toute pénétration phénoménologique dans


l’intentionnalité d’un juger évident, l’interprétation qui construit
F évidence en partant de la présupposition naïve de la vérité-en-soi est,
comme on le sait, extraordinairement répandue. En conséquence
cela « doit » donner (comme on le trouve souvent expressément dans
1 argumentation naïve) une évidence qui est une saisie absolue de la
vérité car autrement nous ne pourrions pas du tout posséder ou
conquérir la vérité et la science. Cette évidence absolue est alors
prise comme un caractère psychique (en fait très surprenant) de
maints jugements vécus qui garantit absolument que la croyance
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 369

avec laquelle on adhère au jugement n’est pas une simple croyance


mais est une croyance telle qu’elle amène la vérité même à l’état de
dotmée réelle. Mais comment cela est-il possible si la vérité est une
idée située à l’infini ? S’il se laissait montrer avec évidence que cet
état de choses, si l’on se réfère à l’objectivité entière du monde,
n’est pas un fait contingent qui repose sur le pouvoir humain de
connaissance hélas limité, mais une loi d’essence ? Comment cela est-il
possible si toute vérité réelle, sans exception (qu’elle soit vérité quoti¬
dienne de la vie pratique ou qu’elle soit vérité de sciences, si haute¬
ment développées soient-elles) reste par essence dans des relativités
pouvant être rapportées normativement à des idées régulatrices ?
Comment cela est-il possible si, même en descendant jusqu’aux fonde¬
ments primitifs phénoménologiques, on a trouvé que subsistaient
des problèmes de vérité relative et de vérité absolue et comme pro¬
blèmes de suprême dignité les problèmes des idées et ceux de l’évidence^
de ces idées ? Comment cela est-il possible si la relativité de la vente
et de son évidence ainsi que la vérité infinie, idéale, absolue, placée
au-dessus de cette relativité, avaient chacune leur droit et si l’une
appelait l’autre ? Le commerçant au marché a sa vérité-du-marche;
n’est-elle pas dans sa sphère une bonne vérité et la meilleure qui
puisse être utile au commerçant? Est-elle apparence de vente par
ce fait que le savant dans une autre relativité, en jugeant avec autres
buts et d’autres idées, cherche d’autres vérités avec lesquelles on
peut faire beaucoup plus, mais précisément justement pas ce qu on a
besoin au marché ? On doit finalement cesser de se laisser aveug er
par les idées idéales et régulatrices et par les méthodes des sciences
« exactes », et en particulier dans la philosophie et dans la logique
comme si l’en-soi de celles-ci était réellement une norme abso ue
aussi bien en ce qui concerne l’être de 1 ob)et qu en ce qui concerne
la vérité. C’es, là ce qui s'appelle réellement devant les tubresne
pas voir la forêt. C’est ce qui s’appelle ne pas remarquer (pourje
bien d’une effectuation grandiose de la connaissance m q g

E. HUSSERL
370 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

un sens téléologique très limité) les aspects infinis de la vie et de sa


connaissance, les aspects infinis de l’être relatif et, pris uniquement
dans cette relativité, de l’être rationnel, c’est ne pas remarquer les
vérités relatives de cet être rationnel. Mais philosopher sur ce sujet
par avance et de haut c’est une absurdité fondamentale, cela crée le
relativisme sceptique absurde et le non moins absurde absolutisme
logique, chacun des deux étant pour l’autre un épouvantail, se terras¬
sant à tour de rôle et renaissant à nouveau, comme les figures au
théâtre de marionettes.
Juger dans une évidence naïve cela signifie juger sur la base
d’une donation de la chose « elle-même » et en se soumettant à la
question constante : qu’est-ce qu’il faut « voir » là effectivement et
qu’on doit arriver à exprimer fidèlement... donc c’est juger avec la
même méthode que suit dans la vie pratique l’homme avisé et pré¬
voyant là où il lui importe sérieusement de « parvenir à découvrir
comment les choses sont effectivement ». Cela est le commencement
de toute sagesse bien que ce n’en soit pas la fin, et c’est une sagesse
dont on ne peut jamais se passer, si profondément que l’on s’engage
dans la théorétisation... sagesse que l’on doit donc finalement mani¬
fester également dans la sphère phénoménologique absolue. Car,
comme on l’a déjà mentionné à plusieurs reprises, l’activité naïve
d’expérience et l’activité naïve de jugement sont des activités initiales
par nécessité d’essence. Mais dans le sérieux de la prise de conscience
il ne s’agit pas d’une naïveté insouciante mais de la naïveté de l’intui¬
tion originelle avec la volonté de s’en tenir purement à ce qu’elle
donne réellement. En résulte-t-il alors une extension toujours plus
grande des questions posées dans la prise de conscience, en arrive-t-on
finalement aux questions concernant les structures et les lois essen¬
tielles transcendantales dernières, concernant les liaisons essentielles
universelles, alors également, dans ces conditions, cette intuition
pure (et ce qui reste fidèle à son contenu pur) est en jeu toujours à
nouveau, de façon méthodique, et cela constitue un caractère fonda-
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON

mental constant dans la méthode. Avec cette réserve qu’au bout du


compte elle doit trouver sa fin dans une connaissance elle-même
intuitive des résultats et des méthodes qui se répètent d’une manière
itérative et qui sont identiques dans leur style essentiel. En procédant
ainsi on a toujours de nouveau une vérité vivante puisée à la source
vivante de la vie absolue et de la prise de conscience de soi tournée vers
cette vie absolue dans le sentiment constant de la responsabilité de soi.
On a alors absolutisé la vérité, mais non pas faussement, on 1 a abso¬
lutisé bien plutôt dans ses horizons — qu’on n’a pas négligés, qui ne
sont pas restés cachés, mais ont été explicités systématiquement.
En d’autres termes, on possédé la vérité dans une intentionnalité
vivante (qui s’appelle alors son evidence), dont la teneur propre
permet de distinguer entre « donné effectivement lui-même » et
« anticipé » ou « qu’on a encore en main » d une manière rétention-
nelle ou « apprésenté en tant qu’étranger au moi », etc. ; et on est
aussi conduit, dans la mise à nu des implications intentionnelles, à
toutes les relativités dans lesquelles sont entremêlés l’être et la valeur.

§ 106. Contribution plus poussée


A LA CRITIQUE DE LA PRÉSUPPOSITION DE LA VÉRITÉ ABSOLUE
ET DES THÉORIES DOGMATIQUES DE l’ÉVIDENCE

peut-il garantir une validité obji


pour nous aucune vérité ? L «
372 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

tranquillise, peut-être un peu rapidement, à l’égard de l’évidence de


l'ego cogito. Mais déjà ce qui s’étend au delà du présent de perception
qui a une vie momentanée (pour passer sous silence Y ego dans son
aspect concret complet) incite à réfléchir. Éventuellement on est
amené à la supposition d’évidences de moindre valeur et pourtant
utilisables, éventuellement on recourt déjà ici à la logique des proba¬
bilités. Pour le « monde extérieur » on refuse certes le chemin carté¬
sien original qui passe par la preuve de Dieu pour rendre concevable
la transcendance de l’expérience et sa croyance à l’être ; mais persiste
cette façon absurde de rendre compréhensible par des déductions
à l’égard de laquelle nous avons déjà exercé notre critique. Il en
est de même en général pour les pensées fondamentales dans la
conception de l’évidence. L’évidence « doit » dans tous les cas être
une saisie absolue de l’être et de la vérité. Il « doit » y avoir tout
d’abord une expérience absolue et c’est l’expérience interne, et il « doit »
y avoir des évidences universelles absolument valables et ce sontles évidences
des principes apodictiques, au sommet les évidences logico-formelles
qui règlent aussi les raisonnements déductifs et qui donc rendent
évidentes les vérités qui apodictiquement ne font pas de doute.
Ensuite nous vient alors en aide l’induction avec ses raisonnements
de probabilités qui eux-mêmes sont soumis aux principes apodictiques
des probabilités, par exemple les célèbres principes de Laplace. Ainsi
on a pourvu admirablement à une connaissance objectivement valable.
Mais malheureusement tout cela n’est que théorie effectuée de haut.
Car voici ce que là on a oublié de se dire : attendu que la réalité et
de même la possibilité — la concevabilité — de l’existant de toute
sorte ne tiennent le caractère originel de leur sens que de 1’ « expé-
[248] rience » réelle ou de 1’ « expérience » possible, on doit donc ques¬
tionner l’expérience elle-même, ou l’acte par lequel on se transporte
par la pensée dans un acte d’expérience, pour savoir ce qu’on a comme
chose saisie par cette expérience, réelle ou possible. Expérience veut
dire ici (conformément à nos exposés antérieurs), sur le plan de la
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 373

généralisation nécessaire : donation de la chose elle-même, évidence


en général, pour laquelle l’expérience au sens habituel, également
indispensable, est un cas particulier insigne et qui, lorsqu’on l’a
remarqué une fois, devient un cas particulier très instructif pour la
théorie de l’évidence. Questionnons donc cette évidence commune
de l’expérience quant à ce qu’elle-même peut nous enseigner. Il va
absolument de soi pour quiconque, à moins qu’il ne soit perdu dans
la philosophie, que la chose perçue dans la perception est la chose
elle-même, dans son être-présent qui lui est propre et que lorsque les
perceptions sont trompeuses, cela signifie qu’elles sont en conflit
avec de nouvelles perceptions qui montrent avec certitude ce qui est
effectivement à la place de ce qui n’était qu illusion. Quelles sont les
autres questions qui doivent être posées ici ? En tout cas on doit les
poser en ce qui concerne les expériences considérées; et c’est par
l’analyse intentionnelle de ces expériences et dans une généralité
essentielle que l’on peut faire comprendre comment une expérience
en elle-même peut donner en tant que chose saisie par elle un existant
lui-même et comment pourtant cet existant peut être biffé; comment,
par essence, une telle expérience indique, dans son horizon, d’autres
expériences possibles qui la confirment, mais comment aussi, par
essence, elle laisse ouverte la possibilité que se manifestent des expé¬

riences qui sont en conflit avec elle et qui mènent à deS corrections
sous la forme de modification de détermination ou de biffage complet
(dans le cas de l’apparence). Mais manifestement on se trouve devant
une situation analogue pour tout type d’évidence, avec les particula¬
risations qui doivent être tirées de ce type lui-même.
La phénoménologie a, la première, entrepris de telles recherches
intentionnelles. U expérience (P évidence) donne F existant et le donne lui-
même, imparfaitement si elle est expérience imparfaite, plus par¬
faitement si, conformément à son type essentiel, elle se perfectionne,
c’est-à-dire si elle s’élargit dans la synthèse des expériences concor¬
dantes. Qu’en est-il des possibilités de ce perfectionnement, mais
374 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

aussi des possibilités d’anéantissement et de correction; y a-t-il des


optima relatifs ou même des optima absolus, des perfections idéales
doivent-elles être présupposées et doit-on s’efforcer de les atteindre ?
Cela peut être établi non pas à partir de préjugés, même pas à partir
d’idéalisations naïvement évidentes mais, avec un droit authentique,
originel, en questionnant selon l’essence les expériences elles-mêmes et
les possibilités systématiques d’expériences qui sont renfermées a priori
dans tous les types essentiels considérés d’expériences et d’objets d’ex¬
périence et qui doivent être rendues évidentes par une explicitation
[*49] intentionnelle. Mais cela naturellement sur la base transcendantale
dernière que nous procure la réduction phénoménologique.
Déjà dans les premières méditations de Descartes (qui ont déter¬
miné essentiellement le développement de la phénoménologie trans¬
cendantale) on est frappé, dès la critique de l’expérience externe, par
ce défaut fondamental : il met en relief les possibilités d’illusion atta¬
chées constamment à cette expérience et il se cache alors par là d’une
manière absurde le sens fondamental de Y expérience en tant qu'elle est
une donation originale des choses elles-mêmes. Mais cela uniquement pour
cette raison qu’il ne lui vient pas du tout à la pensée de poser des
questions concernant ce qui constitue à proprement parler le caractère
qu’a l’existant « mondain » d’être concevable, caractère par lequel
prend un sens légitime le fait que Descartes a par avance cet existant
plutôt qu’un être absolu flottant au-dessus des nuages de la connais¬
sance. Ou comme nous pourrions dire également : il ne vient pas à
l’esprit de Descartes de tenter une explicitation intentionnelle du
flux de l’expérience sensible dans l’ensemble intentionnel total de
Y ego, dans lequel se constitue le style d’un monde de l’expérience et,
d’une manière très compréhensible, sous la forme d’un monde dont
l’être, en dépit de la confirmation, peut « recevoir son congé » et est
sujet à la correction qui est toujours possible et qui intervient sou¬
vent; et ce monde lui-même en tant que totalité de l’être, en tant que
monde pour Y ego n’existe que par une présomption tirant son droit du
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 375

caractère vivant de l’expérience, droit qui n’est pourtant que relatif.


Ainsi Descartes ne voit-il pas que le style essentiel de l’expérience
imprime au sens-d’être du monde et de toutes les réalités une relati¬
vité conforme à l’essence ; vouloir améliorer cette relativité par un
appel à la véracité divine est un contre-sens.
On doit alors ensuite montrer in concreto comment, en s’élevant
orogressivement à partir de l’expérience sensible, on peut rendre
compréhensible Y évidence en tant qü’ejfectuation et ce que signifie la
vérité existant en soi en tant qu’effectuation de 1 evidence.

§ 107. Esquisse d’une théorie transcendantale de l’évidence


EN TANT QU’EFFECTUATION INTENTIONNELLE

a) L’évidence de P expérience externe (sensible)


Le dévoilement phénoménologique de l’expérience sensible, plus
exactement de l’expérience purement naturelle, dans laquelle la
nature physique pure vient à nous être donnée (par abstraction de
toutes les couches ayant une signification sociale ou individuelle)
est comme cela apparaît à la faveur d’une véritable exposition detaillee,
une grande tâche qui exige des recherches qui s’étendent extraordi¬
nairement loin (a). Ici il n’est pas suffisant de considérer de façon
essentielle des objets particuliers de la nature et leur expérience ou
même simplement leur perception. Il fan, examiner —°“dud
ment toute l’expérience du monde traversant la vie de ly mtoM
et de la communauté transcendantale, expenence unifiée synthetl-

« J’espère pouvoir
concrètes qui se sont poursuivies litmes. Une première élaboration déjà
souvent exposé dans des leçons es g chg du t n des j^een rédigée en 1912

concrets à rendre s'est Ml counne «cote

plus difficile et encore plus étendu.


j76 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

quement; il faut examiner intentionnellement le style universel appar¬


tenant à cette expérience du monde et ensuite, avec ce style, examiner
la genèse constitutive de cette expérience. Dans de telles études
concrètes, on apprend à comprendre dans me certaine sphère P essence
de Pévidence, de P évidence en tant qu’ effectuation ; de telles évidences,
comme les évidences intentionnelles en général, se présentent entre¬
mêlées dans des effectuations (ou dans des capacités d’effectuation)
construites en systèmes. Et on apprend naturellement à comprendre
ainsi au mieux également le manque total de signification des éclair¬
cissements habituels touchant l’évidence et des modes habituels de
recherches sur celle-ci.
Naturellement si l’on est conduit par l’illusion d’un sentiment
d’évidence qui offre une garantie absolue pour quelque chose qui
initialement dans un jugement vide est présupposé comme existant
absolument, alors (et c’est ainsi en effet que l’on juge en général)
l’expérience externe n’est pas une évidence. Mais le monde, pense-t-on,
est pourtant tout naturellement ce qu’il est et il est à ce titre accessible
à une évidence. Peu nombreux sont ceux qui hésiteraient à attribuer
à l’intellect infini, et même s’il était introduit uniquement comme idée
limite de la théorie de la connaissance, cette évidence absolue, ce
qui ne serait pas mieux le moins du monde, comme si l’on voulait
voir la toute-puissance divine (pour ce qui est de la sphère mathé¬
matique) dans la capacité de construire des décaèdres réguliers et
de même tout contre-sens théorique. Le sens-d’être de la nature a
la forme essentielle qui lui est prescrite absolument par le style
essentiel de l’expérience naturelle et ainsi même un Dieu absolu ne
peut pas créer un « sentiment d’évidence » qui garantirait absolument
l’être naturel ou, dans une conception et dans une manière de
s’exprimer déjà meilleures, il ne peut pas créer une expérience vécue
qui se suffirait à elle-même et qui, quelque distincte qu’elle fusse de
« notre » expérience sensible, donnerait son objet « lui-même » d’une
manière apodictique et adéquate.
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 377

b) L'évidence de l'expérience « interne »

Ce qui a beaucoup contribué à induire en erreur dans la théorie


de l’évidence c’est Y expérience interne. Beaucoup plus simple que
l’expérience naturelle, du moment qu’elle entre dans chaque phase
de cette dernière, du moment qu’elle entre même dans toutes les
évidences sans exception, elle n’en exige pas moins un dévoilement
intentionnel et conduit à des implications surprenantes. Nous n’avons
pas besoin de nouveau de faire remarquer que ce qui a pesé lourde¬
ment c’est le manque d’attention qui a occasionné généralement a
confusion entre la perception interne telle qu’elle est conçue par a
psychologie et entre la perception interne telle qu’elle est, conçue
par la théorie de la connaissance, c’est-à-dire par la phénoménologie
transcendantale, en tant que perception par Y ego de son cogita. L expé¬
rience psychologique, entre autres aussi l’expérience interne, est une
expérience « mondaine » qui forme avec l’expenence naturelle de
complexes intentionnels et qui se transforme en expérience phéno¬
ménologique pure seulement quand on « met entre parenthèses »
l’aperception qui transcende. Mais même dans cette expenence p
noménologique pure, l’existant, ici l’existant immanent au sens pheno-
1 certes donné « lui-même » (dans
tant que présent « lui-même », dans le souvenir en tant que^passe),
pourtant, ici également, déjà dans ce mo e e p us sim
Lion constitutive, le donné , lui-même », ce qui « objet dune
manière immanente, se constitue d une manie . d
dans le flux des présentations, des rétentions, ^
une synthèse intentionnelle complexe qmcs.cz^ d>évi_

interne du temps. Jfmoment de la réelle possession


dence, ici au moins fut mis en n’importe quelle autre
des choses elles-mms sans que cela fut e même ici où
expérience et a n importe que décrire et à délimiter
dans une certaine manière mais qu il reste a decri
378 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

avec plus de précision il doit être question de ce que le datum imma¬


nent intervient d’une manière réelle (i) dans le vécu constituant, il
faut être mis en garde contre Y erreur qui consiste à croire que le datum
en tant qu’objet est constitué pleinement déjà en faisant son apparition ainsi
réellement dans le vécu. Nous disions ci-dessus que les évidences sont
des fonctions qui fonctionnent dans leurs contextes intentionnels ; s’il
n’y avait pas de faculté du ressouvenir, s’il n’y avait pas de conscience
telle que : je peux toujours à nouveau revenir à ce que je saisis là
où il n’y a pourtant plus rien de perçu ou encore là où le souvenir
dans lequel je possédais précisément ce qui avait été perçu est lui-
même à son tour complètement disparu, alors il serait dépourvu de
sens de parler du même objet, de l’objet. L’ « évidence » première,
l’apparition originale du datum et le fait que par exemple un datum
de sensation saisi d’une manière immanente persiste dans son identité
pendant toute la durée dans laquelle il est saisi originalement, ne
peuvent pas — il s’agit d’une impossibilité en quelque sorte apo-
[252] dictique — être biffés... pendant toute cette durée. Mais l’unité origi¬
nale qui se fait dans l’identification continue de cette persistance
n’est pas encore un « objet », elle l’est seulement en tant qu’existant
dans la temporalité (ici immanente), c’est-à-dire en tant qu’existant
avec l’évidence d’être à nouveau reconnaissable comme étant la
même, en dépit de la succession des divers modes subjectifs de
ce qui est passé. La forme de cette identité qu’a l’objet est la place
temporelle dans le temps. Ainsi la seule perception, avec sa rétention
et son ressouvenir, n’est pourtant jamais pour P existant une évidence
se suffisant à elle-même, mais il faut encore revenir à la question :
qu est-ce qui constitue l’existant, en tant qu’il existe identiquement
(en « subsistant » à sa manière) à l’intérieur de 1 ’ego identique.
Or il en est manifestement de même dans le cas beaucoup plus
complexe de la perception externe et finalement en d’autres modes

(1) Reell.
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 379

dans le cas de toute évidence et nous-mêmes certes nous avons déjà à


plusieurs reprises été ramenés au « toujours à nouveau » et à la
question de l’élucidation de son évidence.

c) Data hylétiques et fonctions intentionnelles


L'évidence des data temporels immanents
Le sensualisme qui s’attache aux data et qui prédomine dans la
psychologie comme dans la théorie de la connaissance, dans lequel
aussi le plus souvent celles-ci sont empêtrées quand, en paroles,
elles polémiquent contre lui ou plutôt contre ce qu elles s imaginent
sous ce mot de sensualisme, consiste en ce qu’il construit la vie de la
conscience au moyen de data comme si c’était des objets pour ainsi
dire achevés. Il est là vraiment tout à fait indifférent que l’on pense
ces data comme des « atomes psychiques » séparés et amoncelés selon
des lois empiriques incompréhensibles à la manière d amas méca¬
niques dont il faut maintenir plus ou moins la cohésion, ou que 1 on
parle de totalités et de qualités de forme, que l’on considère les
totalités comme précédant les éléments que l’on peut distinguer en
elles et qu’à l’intérieur de cette sphère d’objets existant déjà aupa¬
ravant on distingue entre les data sensibles et les vécus intentionnels
considérés comme data d’une autre espèce.
Non pas qu’il faille rejeter complètement la dernière distinction.
On peut en tant qu ego s’orienter vers les objets immanents en tant
qu’objets du temps immanent et c’est évidemment la première tache
que rencontre le phénoménologue en ses débuts. En ce sens, J al
consciemment et expressément, mis hors circuit dans mes an e
problèmes de la conscience immanente du temps, ou « qu. revient
au même, ceux de la constitution de ces objets de la «emporf te
égologique (a) et j’ai tenté d’esquisser et en partie aussi de mener a
bien, de façon suivie, une importante problématique pour des des

Cf. sur ce, problèmes, eux-mêmes dan, le K, >« ^


cité à plusieurs reprises (loc. cit., p. 163).
380 logiques formelle et transcendantale

criptions possibles dans cette sphère. Dans cette sphère intervient


alors nécessairement une distinction radicale, celle entre data hjlétiques
et fonctions intentionnelles. Mais dans 1’ « intériorité » immanente de
P ego il n’y a pas non plus à P avance d'objets, il n’y a pas d’évidences qui
ne font que saisir ce qui existe déjà à l’avance. Les évidences en tant
que fonctions constituant l’existant (fonctions s’unissant à l’ensemble
des fonctions et des facultés qui jouent là un rôle qu’il faut dévoiler)
accomplissent i’effectuation dont le résultat s’appelle alors objet
existant. Il en est ainsi déjà ici et il en est ainsi dans tous les autres
cas.
A ce sujet il faut prêter attention encore à quelque chose de diffé¬
rent, et qui a déjà été mentionné en partie. Si nous prenons les évi¬
dences au sens très large de donation ou de possession des choses
elles-mêmes, alors chaque évidence n’a pas besoin d’avoir la forme
de Y acte spécifique du moi, acte qui consiste en ce que le moi, qui ici
désigne le pôle-moi, est dirigé vers le donné « lui-même », dans
l’attitude d’ « attention », de saisie, également d’évaluation et de
vouloir. La constitution des data temporels immanents qui progresse
avec une légalité inflexible est une évidence continue en un sens très
large, mais qui n’est rien moins qu’un actif « être-dirigé-vers » de
la part du moi.
Ensuite, l'évidence en tant que donation des choses elles-mêmes a ses
variantes, ses degrés dans la perfection de la donation des choses elles-mêmes,
elle offre des distinctions diverses qui ont leur typique essentielle et
qui doivent être étudiées. Les variantes de l’originalité ne suppriment
pas la donation des choses elles-mêmes bien qu’elles la modifient.
L’évidence du présent original absolu du son qui retentit en tel point
présent du temps (il n’est naturellement pas question de point mathé¬
matique) fonctionne en liaison essentielle avec une évidence du qui
vient de retentir et du qui va originellement retentir. Tout ressouvenir
clair, lui aussi, est évidence, donation des choses elles-mêmes, c’est-à-
dire donation du passé ressouvenu, en tant que tel, non pas donation
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 381

de l’original passé qui en tant qu’original était présent, mais donation


du passé en tant que passé.
Cette évidence fournit également des exemples pour les degrés
de clarté et pour Vidée (une idée !) — qu’il faut tirer de là de la
clarté parfaite dont je « peux » m’approcher, ce « je-peux » ayant son
54]
évidence propre. De même que nous l’avons déjà dit pour l’expérience
externe, de même ici, dans le cas primitif du ressouvenir immanent,
l’illusion n’est pas exclue. Mais pourtant aussi la forme essentielle
de son dévoilement est évidente qui à nouveau présuppose l’evidence
du ressouvenir sous la forme de l’évidence d’autres ressouvenus.
En outre, de même que déjà dans le cas le plus simple d une expé¬
rience interne vivante, la forme essentielle du flux constituant de
cette expérience implique que fonctionnent ensemble des évidences qui
d’une manière continue se rattachent les unes aux autres et sont des
variantes les unes à l’égard des autres, il en va de même en general
dans la vaste sphère de toute la vie intérieure transcendantale (comme
aussi de la vie intérieure psychologique). Les multiples categories
d’objets qui s, constituent sont, comme nous l’avons de,a inique
entremêlées far essence les mes avec les autre, et en cons'quenœ »
seulement chaque objet a son évidence propre, mais cette ev dence exerce
aussi des fonctions qui empiètent sur les autres (et en elle 1 objet tade

dans une évidence naturelle et mêlée intimement avec elle.

On peut prendre “ssi ^Sions d’essence avec


se trouvent, en tant que con ’qmUl éjuM
des ob ets immanents, de sor q , , fonction pour
doit recéler en soi des vécus immanents
382 LOGIQUES FORMELLE ET TRANSCENDANTALE

avec lequel sont en liaison des distinctions extrêmement importantes


dans la manière dont peuvent fonctionner comme des affects des
objets constitués, en tant qu’ « excitations » pour des orientations
actives possibles du moi. Si une chose est constituée, même si c’est
dans un « arrière-plan » auquel on ne prête pas attention, alors sont
constituées en outre diverses objectités impliquées, par exemple
les perspectives ou finalement les data de sensations qui sont
en jeu et qui sont « interprétés » comme couleurs objectives ou
comme sons objectifs. Mais tous ces objets existants « de façon consciente »
pour Y ego transcendantal ne sont pas du tout sur un pied d'égalité à l'égard
de l'affection possible. La chose est ce qui est premier à nous affecter
et c’est seulement en se détournant d’elle d’une manière réflexive
que nous sommes affectés secondairement par la perspective ou,
dans un retour ultérieur à la chose, par les couleurs en tant que sen¬
sations, qui sont donc déterminées par l’acte de fondation des
fonctions de l’évidence.
[255] Cela suffit pourtant d’arriver à se représenter l’importance des
études à poursuivre sous la dénomination : évidence, à l’opposé des
discours vides de la tradition sur ce sujet, et cela, si toutefois le sens
d'une critique des évidences et son exécution possible doivent devenir clairs.
C est très tard que j ai reconnu que toute critique des évidences et en
particulier des évidences de jugement (plus précisément de celles
de 1 activité catégoriale) doit non seulement être effectuée, comme il
va de soi pour l’exposé présent, dans le cadre de la phénoménologie,
mais que toute cette critique ramène à une critique dernière sous la forme
dune critique de ces évidences qu effectue de façon immédiate la phénomé¬
nologie à son premier niveau, lui-même encore naïf. Mais cela signifie que :
La critique, première en soi, de la connaissance, dans laquelle toute
autre critique prend racine, est l’autocritique de la connaissance phéno¬
ménologique elle-même (a).

(a) J’ai tenté d’accomplir vraiment cette dernière critique dan* quatre heures
de leçons pendant l’hiver 1922-23 et par leur rédaction j’ai pu en faire profiter par la
suite mes amis.
PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA RAISON 383

d) L’évidence en tant que forme structurelle apriorique de la conscience

Il reste encore un point d’importance. La théorie traditionnelle


de la connaissance et la psychologie traditionnelle considèrent
Yévidence comme un datum spécial tout à fait singulier qui entre dans la
contexture d’une intériorité psychique selon une légalité empirique
quelconque, inductive ou causale. Il va de soi qu’en règle générale
l’on dénie que les choses se passent ainsi en ce qui concerne les
animaux.
Là contre, il est déjà évident d’après ce que nous avons dit jus¬
qu’ici qu’une vie de la conscience, déjà grâce à la sphère temporelle
immanente, ne peut exister sans évidence et de nouveau que cette vie
de la conscience, dès que nous la pensons comme conscience rapportée
à l’objectivité, ne peut exister sans un flux d’expérience externe. Mais
il faut aussi indiquer que l’évidence dans toutes ses formes et à tous
les niveaux non seulement s’entrelace avec d’autres évidences pour
former des effectuations supérieures d’évidence mais que les effec-
tuations d’évidence en général sont de façon plus large en liaison
avec des non-évidences et que par essence se forment constamment
des variantes de l’évidence : la sédimentation des retentions sous la
forme : conscience « endormie », la formation d’intentions associa-
tivcs vides, d’opinions, d’efforts vides qui tendent vers la plénitude, etc.
Donation des choses elles-mêmes (en tant que remphssement),
confirmation, vérification, biffage, fausseté erreur pratique e c
toutes ces formes sont des formes structureiles appartenant a pr;or
à l’unité d'une vie e. la recherche de cette unité qu, les ptenden
considération e. qui les éclaire est le thème immense de la pheno

ménologie.
CONCLUSION

Nous avons tenté dans cet ouvrage de tracer le chemin qui va de


la logique traditionnelle à la logique transcendantale... à la logique
transcendantale qui n’est pas une seconde logique mais qui est seule¬
ment la logique elle-même, radicale et concrète, qui doit son déve¬
loppement à la méthode phénoménologique. En vérité, pour s’ex¬
primer plus précisément, nous n’avons justement eu en vue, comme
logique transcendantale, que la logique telle qu’elle est délimitée
traditionnellement, la logique analytique qui sans contredit grâce à
sa généralité vide et formelle embrasse toutes les sphères d’êtres et
d’objets, corrélativement toutes les sphères de connaissances.
Toutefois, étant astreints à reconsidérer la caractérisation du sens et
de l’ampleur de la recherche transcendantale, nous avons par avance
acquis aussi du même coup le moyen de comprendre les « logiques »
(qu’il reste à fonder) ayant un autre sens, conçues comme doctrines
de la science mais comme doctrines matérielles; doctrines de la
science parmi lesquelles la plus élevée et la plus étendue serait la
logique de la science absolue, la logique de la philosophie phénoméno-
logico-transcendantale elle-même.
Naturellement, dans le bon sens du terme de logique, tombent
sous cette dénomination de logique, équivalente à ontologie, éga¬
lement toutes les disciplines aprioriques matérielles qu’il reste à
fonder ... disciplines d’une ontologie mondaine (i) qu’il faut fonder
tout d’abord de façon immédiate, dans une positivité transcendan-

(i) Mundanen.

E. HUSSERL
386 LOGIQUE FORMELLE

talement « naïve ». Nos développements ont déjà rendu évident que


cette ontologie déploie l’a priori universel d’un monde en général,
possible au sens pur, qui par la méthode de variation éidétique doit
en tant qu’eidos surgir concrètement du monde qui nous est donné
en fait et qui est pris comme « exemple » directeur. De cette idée
procèdent alors les différents niveaux de l’importante problématique
d’une logique-du-monde (i) qui doit être fondée radicalement, d’une
ontologie mondaine authentique, dont quelques traits ont déjà été
indiqués.
Eesthétique transcendantale prise en un sens nouveau (ainsi appelée
du fait de son rapport, facile à saisir, avec l’esthétique transcendantale
kantienne, qui, elle, a des limites étroites) fonctionne comme niveau
fondamental. Elle traite le problème éidétique d’un monde possible
en général en tant que monde d’ « expérience pure », en tant qu’elle
précède toute science au sens « supérieur »; elle traite donc de la
[2 5 7] description éidétique de l’a priori universel sans lequel dans la simple
expérience et avant les actions catégoriales (qui, prises en notre sens
ne peuvent être confondues avec le catégorial au sens kantien) ne
pourraient apparaître des objets, pris dans leur unité, et sans lequel
de même en général ne pourrait se constituer comme unité synthé¬
tique passive l’unité d’une nature, d’un monde. Une couche de cet
a priori est formée par l’a priori esthétique de la spatio-temporalité.
Ce logos du monde esthétique, tout comme le logos analytique, a
besoin naturellement, pour pouvoir être science authentique, de la
recherche constitutive transcendantale ... recherche de laquelle déjà
naît une science extrêmement riche et difficile.
Au-dessus de ce logos on trouve, à un niveau supérieur, le logos
de l’être objectif « mondain » et de la science au sens « supérieur », de la
science dont les recherches sont soumises aux idées de l’être rigoureux
et de la vérité rigoureuse et qui développent d’une manière corres-

(1) Welt-Logik.
CONCLUSION 387

pondante des théories exactes (a). En fait, en premier lieu, sous la


forme de la géométrie exacte, ensuite sous la forme de la science
exacte de la nature (physique galiléenne) prend naissance une science
d’un style sciemment nouveau, science qui n’est pas « descriptive » (la
science descriptive classant en types et saisissant dans des concepts
les formations « esthétiques », les données de l’intuition pure) mais
qui est science idéalisante et logicisante. Comme on le sait, la pre¬
mière forme de cette science (qui fut par la suite une forme directrice)
qui est apparue dans l’histoire a été la géométrie platonisante; elle
ne parle pas de droites, de cercles, etc., au sens « esthétique » ni de
leur a priori, de Va priori du phénomène qui apparaît dans un mode
d’apparition réel ou possible, mais elle parle de Vidée (idée régulatrice)
d’un tel espace phénoménal, elle parle de 1’ « espace idéal » avec des
droites idéales, etc. La physique « exacte » entière opère avec de telles
« idéalités »; elle place donc sous la nature qu’on a réellement saisi
par l’expérience, sous la nature de la vie actuelle, une nature en tant
qu’idée, en tant que norme idéale régulatrice, en tant que logos (en
un sens supérieur) de cette nature saisie par l’expérience. Ce que cela
signifie, ce qu’il faut accomplir en suivant cette norme dans la
connaissance et dans la domination de la nature, cela, tout etudiant
le « comprend » dans la positivité naïve. Mais pour un auto-eclair-
cissement radical et pour une critique transcendantale de la science
« exacte » de la nature, il y a la des problèmes considérables... qui
sont de toute évidence les problèmes d’une recherche phénoméno-
logique qui progresse en suivant le fil conducteur de 1 explicitation
noématique du sens, recherche qui noétiquement doit dévoüer la
constitution « subjective » et qui à partir de là doit effectuer les
questions dernières touchant le sens, les déterminations critiques de
la « portée » de ce sens.
A quel point des intentions semblables, bien qu elles ne soient

(a) Cf. § 96 c), pp. 318 sq.


388 LOGIQUE FORMELLE

aucunement les mêmes, peuvent-elles entrer dans le sens des sciences


de l’esprit, quelles sont les idées régulatrices qui sont nécessaires
pour ces sciences et qui doivent diriger consciemment leurs méthodes
[258] pour leur imprimer non pas du tout une exactitude du type de celle
des sciences de la nature mais cependant des concepts-normes qui
leur donne une logicité « supérieure » (ces idées régulatrices sortant
de ces concepts eux-mêmes), tout cela encore une fois représente
de nouvelles questions désignant de nouveaux domaines de recherche
pour une « logique ».
Et ainsi nous n’avons fait que circonscrire l’essence d’une doc¬
trine formelle de la science et nous n’avons fait que conduire cette
doctrine jusqu’à sa forme transcendantale, tandis que l’idée pleine
d’une doctrine de la science, d’une logique, d’une ontologie a acquis
seulement son cadre et renvoie à des exposés futurs qui nous appren¬
dront combien nous pourrions avancer dans cette perspective.
59] APPENDICE I

FORMES SYNTAXIQUES
ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES
FORMES-NOYAUX
ET MATÉRIAUX-NOYAUX

Pour avoir une intelligence plus profonde de l’essence de la forme du jugement,


précisons et éclaircissons dans les remarques suivantes la distinction dont
on s’est beaucoup servi dans le texte — entre formes syntaxiques et matériaux
syntaxiques et complétons-là par d’autres distinctions qui sont en liaison essentielle
avec ces formes et ces matériaux syntaxiques. Ces distinctions appartiennent
toutes à la morphologie pure logique (« grammaire logique pure ») et en conséquence
partout où nous nous servons d’expressions grammaticales telles que : prédication,
proposition et autres expressions semblables, on vise exclusivement les formations
qui leur correspondent sur le plan de la signification. Sous la dénomination
syntaxe et sous les dénominations qui s’y rattachent, il s agit du fait de la limi¬
tation du thème, d’une exposition descriptive des structures essentielles restées inexp ci¬
rées, de la sphère du jugement, ces structures étant, d’autre part, bien évidemment

du ressort du grammairien (a).

§ i. Organisation des jugements prédicatifs


Prénom tout d'abord les prédication, de la forme «•égoriqee l. plu. .tapie

A b. Chacune de ce. prédirions r“^T»


(elle a pour ainsi dire une cesure : A — est b) . le memu

(a) Pour l’essentiel le du semestre

d’Mve^gio1!^—^dnns^lœquelles je tentai
tique et de façon purement descriptive^ es ^^nt pour une analytique pro¬
pure des significations prédicatives, comm
prement dite.
39°
LOGIQUE FORMELLE

porte l’énonciation et ce qui est énoncé de lui; dans ce démembrement chaque


membre est pris avec le rôle dans lequel il apparaît purement descriptivement
dans l’unité de la signification : A est b. Démembrement ne signifie pas alors :
décomposition en éléments car l’expression d’éléments nous renvoie à des parties
qui peuvent aussi être détachées et prises à part. Mais manifestement au moins
le membre prédicat ne peut pas être détaché d’une manière indépendante. Il appa¬
raîtra bientôt qu’il en est de même pour le membre-sujet.
[260] Considérons un cas d’organisation plus compliquée, par exemple le jugement
hypothétique : Si A est b, C est d. Il se décompose nettement en deux parties, il
a, lui aussi, une « césure » : Si A est b — alors C est d. Chacun de ces membres
se décompose à nouveau. L’antécédent hypothétique et pareillement le conséquent
se donnent, chacun avec sa propre teneur de sens, comme une « modification »
d’une proposition catégorique simple, modification qui, précisément en tant
que différente dans les deux cas, vient à l’expression la première fois sous la forme
si A est b et la seconde fois sous la forme alors C est d. Toute modification de
cette sorte porte en elle, en conformité avec le jugement catégorique non modifié
auquel elle « renvoie », la césure entre le membre-sujet modifié et son membre-
prédicat modifié. Le A peut, à son tour, dans la forme catégorique originelle
comme dans ses modifications, comporter lui-même une organisation complexe,
par exemple sous la forme d’annexe attributive. Nous avons alors dans A lui-
même à nouveau une césure, un membre principal et un membre adjoint attri¬
butif (éventuellement aussi sous la forme d’une proposition reladve).
Ainsi une proposition formant unité peut subir des démembrements plus
ou moins nombreux et nous voyons que tous les membres ne doivent pas être de
même degré. La proposition hypothétique par exemple est immédiatement démem¬
brée en antécédent et en conséquent. Les membres apparaissant immédiatement
et qui sont les membres au premier degré ont eux-mêmes, à leur tour, des membres
apparaissant immédiatement qui, par rapport au tout, sont des membres au second
degré. Et ainsi on peut progresser jusqu’aux organisations dernières et jusqu’aux
membres derniers, dansl’exemple que nous avons choisi, indiqués symboliquement
par A, b, etc.
Tous les membres en ce sens sont en tous les cas non-indépendants-, ils sont ce
qu’ils sont dans le tout et des touts différents peuvent avoir des membres semblables
mais non pas le même membre. Si nous disons A est b et si nous poursuivons
en disant A est c, nous n’avons pas affaire à un membre identique dans les deux
propositions. C’est le même objet A qui est intentionné mais d’une
manière différente et cette manière différente appartient elle-même à l’opinion
(non pas à l’opiner), à l’intentionné en tant que tel que nous nommons propo¬
sition. Dans les deux propositions, à des places correspondantes, nous
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 391

avons un membre différent qui a même contenu A et ce même contenu a


reçu une forme différente. Il intervient, non expressément, dans la seconde propo¬
sition la forme « le même », forme qui, lorsque nous considérons le sens exac¬
tement, instaure entre les deux propositions une liaison et à vrai dire une liaison
introduisant une forme différente. Pour s’exprimer autrement, disons que nous
avons affaire à l’unité d’une proposition totale, même si elle n’est pas explicitée :
A e't b et ce même A est c. Ce qui est intentionné quand nous disons A deux fois a
dans les deux cas une forme « relative » : le deuxième A est en relation d’identité
avec le premier ; mais dès lors le premier également a acquis de ce fait une relation
corrélative d’identité à l’égard du second et c’est ce qu’il faut arriver à saisir en
questionnant le sens du premier A lui-même, tel qu’il intervient dans la propo¬
sition totale. On peut poursuivre de telles réflexions partout où intervient « le
même » membre (le même « sujet », le même prédicat, le meme objet, la meme
proposition antécédente, etc.).

§ 2. La référence aux choses dans les jugements

Pour les membres à l’intérieur de l’unité concrète prédicative de ^cation


mais aussi pour le jugement ou proposition dans sa totalité il feu• d^ingu r
deux espèces de moments. Toute proposition indépendante se rapporte a d
choses quelconques et à ce qui d’une manière quelconque
la proposition par laquelle on juge est « envisage » un état des chose». Il s averer

f«gf4
obiK^Æ^“.q(r^—
» * -
comment la proposition en tant que proposition totale rca ^ ^ pafües
aux objets) que nous devons toujours trouver^ mmbres de la
qui, elles-mêmes, ont une relation aux objets. Celavautd leurs
proposition et pour autant qu’ils sont pourvusmembres, cela v^
membres, jusqu’aux membres derniers c est a démem-
nous les «ypes de signifie,on. £>£ types * signi-
brement possible, se réfèrent aux choses d ^ rapportent à des objets-
fications se partagent en significations- uj q ; tions partielles qui
substrats (en tant que sujets se déterminant et en sigmfaca

(i) Sachbezüglichkeit.
392 LOGIQUE FORMELLE

se rapportent à des propriétés et aussi à des relations. D’autre part déjà dans le
langage normal on remarque facilement que se détachent des parties (nous
employons le mot partie dans un sens très large qui comporte donc aussi des
éléments qui ne sont pas des membres de propositions) qui, comme le est, le ou,
le parce que, etc., représentent des moments de la signification qui sont par essence
indispensables aux propositions et qui ne recèlent plus rien en eux de la référence
aux choses. Cela n’exclut naturellement pas que, grâce à leur fonction dans la
proposition qui en tant que proposition totale a une référence aux choses (ou
grâce à leur fonction dans tel membre qui est pris comme un tout...), ces parties
participent à cette référence. Mais en elles, prises purement en soi, il n’y a rien
de tel. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que tout membre de proposition
et même tout membre primitif contient de tels moments, même s’ils ne trouvent
pas expression en propres termes dans la proposition grammaticale complète
(comme on l’a montré dans l’exemple ci-dessus).

§ 3. Formes pures et matériaux purs

De là résulte une remarquable « division » de toute signification prédicative,


de toute proposition « concrète » et de tout membre de proposition « concret »,
cette division étant d’une tout autre sorte que la décomposition en membres.
D'un côté nous pouvons progressivement prélever dans ces unités concrètes les
moments manifestement complètement non-indépendants, complètement abstraits
auxquels manque, de par soi-même, la référence aux choses : ce sont les moments
de la forme pure. Alors il nous reste dans chacun des membres et finalement dans
chacun des membres derniers un contenu qui en est le noyau; ce contenu est à son
tour quelque chose de complètement abstrait mais est précisément ce qui fournit
au membre sa référence aux choses. Dans cette perspective nous parlons de moments
matériels. Un exemple rendra clair tout cela immédiatement : prenons par exemple
des sujets de proposition comme le papier, le centaure, etc., et pensons d’autres
propositions où se trouvent « les mêmes » expressions mais qui se présentent
avec une flexion (ces expressions se déclinant grammaticalement) — ces expres¬
sions, au lieu de désigner les sujets se déterminant, désignant alors des compléments
relatifs. Alors, en fait, si nous prêtons attention à la signification, nous voyons
se détacher un élément identique. Cet élément identique est ce qu’il y a d’identique
dans la référence aux choses et qui, dans une telle modification de la forme,
conserve la référence à la même chose, à papier, à centaure. Nous arrivons donc
à deux concepts-limites : formes pures et matériaux purs. Les deux appartiennent
nécessairement à l’assemblage concret de la proposition et cela de telle sorte
que nous dirons : les matériaux purs [rendent possibles finalement la réfé-
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 393

rence aux choses par l’intermédiaire de leur mise en forme qui s’opère de
degré en degré de sorte que les formations de tout degré présentent, à leur
tour, dans les membres de la préposition, des matériaux et des formes relatifs.
Cette relativité nous occupera à nouveau plus loin.
La mise en forme n’est pas, comme il va de soi, une activité qui serait effectuée
et devrait être effectuée dans des matériaux déjà donnés — ce qui certes présup¬
poserait le contre-sens qu’à l’avance on pourrait avoir à part des matériaux, tout
comme si, au lieu de moments abstraits de significations, c’était des objets concrets.
Toutefois, en avançant dans les différentes directions de l’abstraction et en variant
alors les formations propositionnelles (dans la liberté du penser et du re-penser,
jugeant et quasi-jugeant) on peut suivre en quelque sorte la fonction des formes
et leur modification pour la formation du sens de la référence à l’objet, en d’autres
termes, on peut arriver à comprendre avec évidence la manière dont se réalise,
grâce aux structures essentielles des propositions et de leurs membres, la réfé¬
rence à l’objet que comportent ces propositions et leurs membres et la manière
dont se réabse leur typique analytico-formelle.

§ 4. Formes de degré inférieur et formes de degré supérieur


Leur relation de sens les unes par rapport aux autres

Les formes se distinguent en formes inférieures et en formes de degré plus éleve,


en formes qui appartiennent aux membres de la proposition qui sont de degre
le plus bas et en formes qui embrassent des membres qui ont déjà une forme et
qui en font des assemblages concrets de degré plus éleve, en les transformant
soit en membres plus complexes soit en unités pleinement concrètes, c est-a-d.te
en propositions indépendantes. Quant à leur sens les formes de degre super eur
(en quoi U n’est pas exclu qu’en se conformant à une teneur
lies soient éventuellement de même type que les formes de degré inferieur)
renvoient aux formes de degré inférieur et jouent la un rôle. pour la ré érence
aux choses. La proposition en tant que proposition totale a des fomies de tôt
et au moyen de ces formes elle a une relation unitaire a

intentionné, de ce qui a telle ^[JZZnTréféZce fondée, car elle présuppose

“£ÏÏ^b^ qu’ont les membres de «7S

elle présuppose la fonction des particulières et par là je veux


aux choses qu’ont ces membres. J d P membre, lui aussi,
indiquer que, grâce à la mise sous a la forme d’un élément
a reçu une forme à 1 intérieur du tout. totale
constitutif de la référence objectif dé la propos,don totale.
394 LOGIQUE FORMELLE

Mais les relations de signification qu’ont les formes les unes par rapport
aux autres se montrent aussi d’une autre manière; il en est de même pour les
distinctions qui sont en liaison avec ces relations de signification et qui sont des
distinctions entre références immédiates et références médiates aux choses. Grâce
à la forme, un membre qui en soi se réfère aux choses reçoit parfois encore une
référence aux choses qui s’étend au delà de lui-même, c’est-à-dire qu’il a une
relation avec une référence aux choses qui existe dans un autre membre. Par
exemple si l’on dit : ce papier est blanc, alors, comme dans toute proposition à déter¬
mination catégorique, le prédicat acquiert, par-delà sa propre teneur matérielle,
une relation avec le sujet papier, empiétant, dans le plan de la signification, sur
la référence aux choses que comporte celui-ci. Mais si, au lieu de blanc, l’on dit :
blanc tirant sur le bleu, alors le prédicat blanc qui auparavant était simple a main¬
tenant en lui-même une détermination secondaire qui concerne donc encore plus
indirectement le sujet primaire.

§ 5. L’unité fonctionnelle autonome


DE L’APOPHANSIS INDÉPENDANTE
Séparation des formes de liaison
CONDUISANT A DES TOTALITÉS
EN LIAISON COPULATIVE ET LIAISON CONJONCTIVE

Les formes, comme cela s’est déjà imposé dans les premières analyses, sont
de différentes sortes, déterminant de manière très différente le sens total de la
proposition. Dans la totalité de la signification de la proposition, ces formes
[264] font partie de l’unité autonome d’une fonction une; la proposition elle-même
(non pas la proposition en tant que membre d’une autre proposidon, mais la
proposition en tant que proposition « indépendante », autonome) exprime aussi,
avec une généralité formelle, cette unité fonctionnelle. Dans cette unité, les
membres sont donc des membres ayant une fonction et ils ont par conséquent leurs
formes fonctionnelles que l’on peut apercevoir sur ces membres eux-mêmes.
Là donc en même temps (et la plupart du temps également dans l’expression
elle-même) se détache ce qui dans la forme lie les membres en une totalité. Mais
de grandes différences apparaissent dans les modes de cette forme de liaison.
D'un côté, nous avons les formes de liaison comme celles du et et du ou,
pour s’exprimer brièvement, les formes conjonctives (au sens élargi). Elles lient,
elles créent l’unité catégoriale mais leur sens propre n’implique aucune¬
ment la relation qui est tellement privilégiée partout (et en particulier pour le
savant et pour le logicien) et qui est la relation au jugement par excellence (à
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 395

la « proposition » par excellence) c’est-à-dire au jugement prédicatif, au iugement


« apophantique ». Elles ne fondent pas elles-mêmes une unité catégoriale de cette
sorte et elles ne renvoient pas non plus à une telle unité par une « modification »
quelconque ou tout autrement — comme si ce qu’elles lient et la liaison elle-
même devaient intervenir nécessairement à l’intérieur d’une prédication (apo-

phansis).
D'un autre côté nous avons le mode de « liaison » qui précisément constitue
la forme spécifique d’unité d’une proposition prédicative, dans le langage tradi¬
tionnel : la forme de la copule. Nous aurions donc pour ainsi dire la forme copu-
lative d'unité-, elle est ce qui amène à l’unité les membres de la prédication, tout
d’abord d’une prédication simple. C’est la forme : est intervenant dans differents
types de jugements, dans celui du jugement catégorique en tant que jugement
déterminant, mais aussi dans d’autres types puisqu’en effet, manifestement, elle
est attachée au type d’unité du jugement hypothétique et du jugement causa ,
de même qu’à toute liaison d’identification également. Elle est la forme fonc-
tionnelle qui érige les membres en membres de la totalité propositionneUeen
leur imposant à eux-mêmes la forme de membres, de sorte que la forme de totalité
doit être détachée abstractivement comme étant leur forme de liaison.

§ 6. Passage a la sphère catégoriale la plus large

a) Universalité des différentes formes de liaison


En disant que le sens propre des premières formes de llalson n “^pliqu
aucunement la liaison copulative, on n’excluait
raisons, extérieures à ce sens, la liaison copu ative aterceptive et associative
de ces liaisons conjonctives, que ce sort d’une matière aperce
- dans la mesure où nous sommes aussi «£***»^ s“nt pas des
les prédications des formations categoria es jugements eux-
prédications - ou bien que ce soit ce
mêmes d’une manière conjonctive (ou dlS’0n<T Yjaison en tant que fonction d’unité
que nous pouvons faire à tout moment. L , __ influence nécessaire,
qui unit catégorisent les prédications a une^influenœ^ « ^ ^ ^ ^

qui contribue à déterminer le sens elles-mêmes et, inversement,


touts copulatifs et sur leurs liaisons copu nQuS avons considéré a reçu de
dans une telle fonction le et par exemp \ isons copulatives que précisément
son côté dans son sens quelque chose due complète des formations
il lie. Il est clair que si nous considérons 1 étendue comp
396 LOGIQUE FORMELLE

catégoriales (qu’avec de bonnes raisons nous qualifions aussi, par une nouvelle
expression, de syntaxiques), nous devons constater que les différents modes de
liaison, les copulatifs et les non-copulatifs, ont la même universalité, en tant
que modes d information qui lient les objectités catégoriales pour en former
de nouvelles.

b) Extension a l ensemble de la sphère catégoriale des distinctions


qui sont en connexion avec Vorganisation de la proposition

_ ^ est cbir également que ce que nous avons dit sur l’organisation de la propo¬
sition en membres, alors que nous considérions toujours uniquement les for¬
mations de jugement apophantiques, convient, sous réserve d’une légère modi¬
fication, à toutes les formations syntaxiques, comme par exemple les nombres,
les combinaisons, etc. Nous avons donc là aussi à l’égard des formations ou
plutôt de leur forme une réduction aux démembrements derniers et une cons¬
truction de touts catégoriaux à l’aide de membres derniers qui a lieu en partie
au même niveau, en partie à des niveaux différents de nombre quelconque.
C est précisément l’universalité des formes fonctionnant aussi entremêlées les
unes avec les autres (pour parler d’une manière subjective et corrélative, c’est
l’univers alité des formes des actions effectuantes, réelles et concevables, des
actions de conjonction, de disjonction, de liaison copulative identificatrice, etc.),
qui a pour conséquence la construction idéellement itérative de formes dans une
infinité toujours ouverte.

c) Comparaison du concept catégorial de proposition pris dans un sens élargi


et de celui de l’ancienne analytique apophantique

Toutes ces constructions, toutes ces formations, se tiennent sous le concept


très large de proposition conçue comme formation analytique qui veut dire
« proposition » non pas en tant que corrélât de liaisons copulatives mais en tant
que corrélât de positions et à vrai dire de positions dont la teneur (en fait de
sens) a reçu une forme catégoriale. « Position » est comprise là comme doxa,
comme croyance à l’être mais précisément comme position d’être c’est-à-dire
en même temps comme position dans une « extériorité » accessible en tout temps
et pour tout le monde, position d’être qui peut compter sur le fait que tous
Z J réunis adhèrent de même à la croyance. L’être « posé » a donc là un autre sens
que le est copulatif qui précisément appartient uniquement aux propositions
copulatives. Dans celles-ci, au moyen du mode de croyance qui est inséparable
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 397

de la fonction copulative, se combine avec cette fonction copulative la nouvelle


édification de sens (édification propre à la position d’être) de ce qui existe... en tout
temps et pour tout le monde (a). La logique apophantique traditionnelle, dirigée
par le concept aristotélicien d’apophansis (concept qui se désigne en fait comme
un concept fondamental radical) et pour des motifs que nous apprenons à
connaître dans le cours du texte (§ 47, pp. 176 sqq), considère dans sa doctrine
du jugement sous la dénomination : jugement en premier lieu exclusivement des
propositions catégoriques (y compris les propositions existentielles) avec toutes
les modalités doxiques (qu’il faut inclure dans le sens que peut avoir la propo¬
sition catégorique); en second lieu elle adjoint à ce groupe de propositions toutes
les formations conjonctives et autres provenant de propositions catégoriques,
toutes les formations appelées à instaurer l’unité de la théorie prédicative.
Si dans la suite de notre étude nous nous en tenons exclusivement à ce domaine
(comme nous l'avions fait en ne considérant en fait originellement que ce domaine),
soulignons du moins tout de suite que cette étude peut admettre une généralité
plus grande, qui peut être rapportée à l’ensemble de la sphère catégoriale (sphère
du jugement au sens le plus large) mais qui peut ensuite aussi être rapportée
aux formations syntaxiques parallèles de la sphère axiologique et pratique, et
c’est avec cette généralité que sont caractérisées des tâches descriptives impor¬
tantes dans l’ensemble du domaine des formations idéales noématiques consi¬
dérées. Mais nous ne manquerons jamais de regarder du côté de cette plus grande

généralité.

^ y_ Formes syntaxiques, matériaux syntaxiques, syntaxes

Relativement à ce qui a été exposé ci-dessus sur la forme unitaire d’une pro¬
position ou « jugement » (de la logique apophantique) et sur la forme que doivent
recevoir corrélativement ses membres, se manifestent des distinctions signifi¬
catives (et tout d’abord pour la morphologie des significations doxiques, pour
la grammaire « pure logique »). Ces distinctions doivent être montrées sur les
propositions en laissant de côté toute question concernant les enchaînements
constitutifs et les relations de sens qui deviennent par là connaissables.
Étant donné tout jugement, nous pouvons nous représenter d’autres jugemen
qui sont liés avec lui d’une manière copulative, par exemple comme sont lié .

fa) Te ne neux donc suivre la doctrine du jugement de Brentano de même que


je considère les propositions existentielles comme propositions catégoriques
une signification du sujet modifiée d'une manière anomale.
39» LOGIQUE FORMELLE

[267] papier est blanc et ce mur est plus blanc que ce (même) papier. Avec la formalisation
aristotélicienne : Cet S est p et ce W est dans la relation p avec ce (même) S. En consi¬
dérant de plus près une telle possibilité de lier toute forme de jugement relevant
de la grammaire pure logique à de nouvelles formes de jugement ayant des
membres qui sont les « mêmes » que certains des membres de cette forme de
jugement, nous voyons se détacher, avec une généralité essentielle, dans les
jugements de toute forme ou, selon les cas, dans tous leurs membres, non seu¬
lement des distinctions descriptives de formes, mais aussi des stratifications de
formes. Nous allons maintenant nous occuper de ces stratifications.
Tout d’abord nous pourrons saisir avec les concepts de forme et de matériau
dont nous nous sommes servis jusqu’ici ce qui se détache descriptivement et
immédiatement. Nous distinguerons aussitôt en effet forme-sujet et forme du prédicat
en tant que prédicat déterminant le sujet et dans ce dernier cas nous distinguerons
prédicat-attribut et prédicat de relation. En outre (comme déjà au § 3), dans la
confrontation de nos exemples ou de nos formes d’exemples et dans la remarque
que ce papier, ou la forme de cet S, intervient une fois comme forme-sujet, comme
forme du substrat se déterminant, et la seconde fois comme forme-complément
à l’intérieur du prédicat de relation, une distinction se manifeste entre, d’une
part, le même contenu matériel qui la première fois intervient dans la forme-sujet
et la seconde fois dans le prédicat avec la forme-complément, et d’autre part,
ces deux formes elles-mêmes. Ce sont manifestement des formes pures et elles
appartiennent de façon immédiate à la forme fonctionnelle qui donne une unité
à la prédication. Mais nous voyons aussi que dans cette séparation de la forme
et du matériau nous devrions prendre le concept de matériau tout d’abord d’une
manière uniquement relative, c’est-à-dire non pas comme matériau pur, car du
même contenu entrant dans des formes fonctionnelles différentes, même dans
le cas d’exemples aussi simples, une forme peut encore être détachée (ici le ce
en tant que forme pure).
En tout cas, nous pouvons dire, en considérant la forme pure totale de l’unité
apophantique qui comprend les formes pures particulières qui toutes lui appartiennent
également, qu’elle est l’unité des syntaxes par lesquelles les matériaux identiques
(ce papier, blanc, etc.), qui persistent après qu’on a fait abstraction de ces formes
particulières, reçoivent une forme syntaxique. Donc la forme-sujet, la forme-
complément, etc., sont des formes syntaxiques. Là, il faut remarquer que ces
matériaux — nous disons matériaux syntaxiques — sont des moments du jugement
qui par abstraction se détachent de ces formes fonctionnelles, des formes syntaxiques,
comme le fait par exemple le substantif qui reste identique dans les variations
de ces formes ou encore l’adjectif qui reste identique, qu’il soit dans telle ou
telle syntaxe.
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 399

§ 8. Syntagme et membre

Les jugements indépendants sont des syntagmes

ET IL EN EST DE MÊME POUR LES JUGEMENTS AU SENS ÉLARGI

Si nous prenons à nouveau les matériaux syntaxiques dans leurs formes,


donc dans leur unité concrète, alors nous appelons cette unité le syntagme. Le
syntagme n’est rien d’autre que l’unité du membre dans la proposition, membre
qui est un matériau informé et qui obéit à la loi essentielle que des membres différents
peuvent avoir la même forme mais des matériaux différents et en retour qu ils peuvent
avoir des formes différentes et le même matériau.
Cette loi vaut pour les membres d’une prédication, quelque complexe que
soit sa construction et quelle que soit la manière dont peuvent intervenir a leur
tour dans cette prédication elle-même des propositions, sous la forme modifiée
syntaxiquement de membres de proposition.
Mais cette loi vaut aussi pour des propositions indépendantes, quelque diverse
et quelque complexe que soit leur construction, et elle est valable, étant donnée la
loi essentielle que toute proposition peut, avec une généralité formelle et selon des
types déterminés, subir des modifications qui changent cette proposition en un
membre syntaxique de prédications de degré plus élevé. Toute proposition entière
est donc elle-même en quelque sorte un « membre » de proposition en tant qu’elle
a précisément les structures essentielles et qu’elle admet les modifications syn¬
taxiques qui appartiennent à un membre en tant que tel. En un mot, la propo¬
sition, elle aussi, en tant que prédication entière et indépendante, est un syntagme,
elle est l’unité d’un matériau syntaxique pris avec sa forme syntaxique.
Songeons alors qu’il est légitime d’appeler ainsi les objectités catégoriales
intentionnées, prises en général, vu que, ou bien elles sont elles-mêmes des prédi¬
cations, ou bien elles peuvent se trouver incluses dans des prédications et, sur
le plan’de la forme, songeons que leurs formes analytiques et les formes analy¬
tiques des prédications possibles se trouvent dans un rapport correspondant.
Donc l’univers de ces dernières doit comporter en lui les formes analytiques de
toutes les entités catégoriales en général. Eu égard à cela, il est clair que les
Jugements au sens élargi, que toutes les entités catégoriales intentionnées, en général,
sont des syntagmes et sont soumises aux lois de la structure que ce mot indique.
4oo LOGIQUE FORMELLE

§ 9. « Contenu du jugement »

EN TANT QUE MATÉRIAU SYNTAXIQUE DU JUGEMENT


PRIS COMME SYNTAGME

Pour éclaircir tout cela, en particulier aussi pour éclaircir la conception que
l’on peut se faire des propositions prédicatives totales comme syntagmes, prenons
des exemples.
Chaque fois où nous avons une proposition complexe que l’on peut morceler,
par exemple le jugement : du fait que survint un temps nuageux, les opérations de la
[269] guerre subirent une entrave, chaque morceau de la proposition est donné dans le
tout comme un morceau ayant une forme syntaxique, comme un membre. Quand
le morceau de proposition, par exemple le premier, devient indépendant, alors
ce n’est pas le membre tel quel qui devient indépendant mais ce qui apparaît
c est une proposition indépendante ayant même contenu de jugement, la proposition :
il survint un temps nuageux. A l’inverse, le changement syntaxique aurait pu com¬
mencer en partant de cette proposition (ce qui est possible pour toute propo¬
sition indépendante), à savoir en transformant cette proposition en un membre
d’une autre proposition. La proposition devenue désormais non-indépendante
a alors le meme « contenu »; nous disons tout simplement : la même proposition,
considérée tantôt comme proposition prise séparément, tantôt comme antécédent,
comme conséquent, etc. Le être-indépendant-pris-séparément doit lui-même
être considéré comme forme syntaxique. Dans la transformation des fonctions
dans lesquelles « la même » proposition prend les formes différentes de propo¬
sition antécédente, de membre d’une disjonction, etc., ressort comme élément
identique la même « matière propositionnelle » ou « matière du jugement »
dans le sens du même matériau syntaxique prédicatif qui prend les différentes
formes syntaxiques : proposition prise séparément, antécédent, conséquent, etc.
Ce que nous avons dit est valable dans une généralité formelle, cela est
donc valable pour les formes propositionnelles correspondantes en tant que
formes de syntagmes. Nous pouvons donc sur chaque forme, et d’une
manière itérative, effectuer une libre variation dans laquelle, en maintenant
son matériau prédicatif total pensé in forma (c’est-à-dire dans ce sens important
où l’on peut dire que nous respectons la forme de sa « matière »), nous
varions les formes syntaxiques et de même les formes des membres de la
proposition; nous pouvons effectuer cette variation précisément sur toutes les
formes, qu’elles soient des syntagmes indépendants ou non-indépendants (a).

(a) Si nous revenons au § 89 a (p. 291 du texte de ce livre) concernant la possibi¬


lité de l’évidence de « distinction », alors nous reconnaissons maintenant combien
certes tout ce qui avait été développé là reste juste mais combien cela reçoit un
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES

§ io. Niveaux d’information syntaxique

Il est clair qu’à l’opposé de l’infinité des matériaux syntaxiques identiques,


le nombre des formes syntaxiques (sujet, prédicat, complément, attribut, formes
prédicatives totales — celles que nous avons citées et d’autres) est limité. Si à
ce sujet l’on dit que tout matériau syntaxique peut prendre des formes multiples,
naturellement on ne veut pas dire par là que tout matériau syntaxique peut prendre
n’importe quelle forme à volonté, comme on peut le voir d’emblée sur les membres
d’une prédication catégorique simple.
Grâce à un approfondissement plus pousse, on voit ici que les formes syn¬
taxiques se répartissent en niveaux differents, que certaines formes, par exemple
celles du sujet ou du prédicat, apparaissent à tous les niveaux de la composition
de la proposition — une proposition totale peut fonctionner comme sujet aussi
bien qu’un « substantif » simple — mais on voit que d’autre s forme s, comme celles
de l’antécédent hypothétique et du conséquent, exigent des matériaux qui ont
déjà une organisation syntaxique.
Ainsi il est clair également qu’à l’intérieur d’un membre complexe peuvent
intervenir des formes qui se distinguent des formes syntaxiques des membres
qui lui sont subordonnés. Éclaircissons ce point encore sur un autre exemple :
la liaison conjonctive le philosophe Socrate et le philosophe Platon (de meme la liaison
disjonctive le philosophe Socrate ou le philosophe Platon) peut intervenir dans une
proposition à titre de membre un et dans ces conditions elle peut intervenir par

exemple d’une manière mTtSe inSviennent

rio™dCeTmembVres : A philosophe Socrate, le philosophe Platon, et chacun de


ces membres a à son tour sa forme syntaxique, mais qui est autre que le tout.

t a-comprit essentiel grâce à l’introduction du concept plus radical de matière


approfondissement essmtlel aeer maintenant. Il est clair en effet que si une
du jugement que nous venons d 8*8 ^ M donnions dans le § 89 (qui
matière de jugement, prise a q tie pp 426 sqq.) — matière
est celui des Log^UnU rsuckungen, hH, t^ar^ PP ^
qui a son unité d identité _ neut acquérir l’évidence de la distinction,
des modalisations de la certitud . P aussi) par essence, acquérir
chacune de ses variantes syn ^ ^ parml ces variantes préjuge, du fait
cette évidence. Une varia q £ possibilité pour toutes les autres
qu’elle peut être rendue dis > gi ifie que, en un sens plus profond, la possi-
variantes. Mais manifestent attachée au sens plus radical de « matière du
bilité de l’évidence de la distinction total , du jugement considéré ou de
jugement », aux sens de « mat™ ^aturcement ce concept de matière de juge-
sa variante syntaxique considérée. Nature
ment se transfère aux jugements au sens élargi.

E. HUSSERL
402 LOGIQUE FORMELLE

§ ii. Formes et matériaux non-syntaxiques


QUI SE PRÉSENTENT
A l’intérieur des matériaux syntaxiques purs

Les concepts de forme et de matériau que nous avons maniés jusqu’ici se


rapportaient aux syntagmes. Les formes syntaxiques étaient des formes de membres
de propositions et de propositions elles-mêmes en tant que celles-ci pouvaient
par changement fonctionnel se transformer en membres d’autres propositions
possibles. Une proposition prise séparément est, disions-nous, l’unité d’une
fonction autonome et toutes les formes des membres caractérisent les formes
partielles (formes essentielles) de la fonction totale. Les matériaux qui entrent
en elles, qu’elles présupposent, ont de même, comme nous avons à le montrer
maintenant, une certaine mise en forme, mais qui est finalement d’une tout autre
[27i] sorte. En d’autres termes, les formes qui syntaxiquement appartiennent de façon
immédiate à l’unité de la prédication en tant qu’unité réalisée par le est, en tant
qu’unité copulative, présupposent dans les matériaux derniers des formes d’un
style tout nouveau. Ces formes n’appartiennent pas à la syntaxe de la proposition
elle-même.
Pour rendre plus clair ce point, suivons tout d’abord aussi précisément que
possible l’organisation des propositions dans la suite naturelle de ses niveaux,
donc passons des membres de la proposition qui s’offrent immédiatement aux
membres de ces membres et ainsi de suite de la même manière jusqu’à ce que
nous arrivions aux membres derniers que l’on ne peut plus démembrer. Les
matériaux syntaxiques de ces membres derniers se distinguent par le fait qu’ils
sont matériaux purs, c’est-à-dire exempts de formes syntaxiques : par exemple des
substantifs comme papier, homme, abstraction faite de la forme-sujet, de la forme-
complément, de la forme démonstrative, etc., par exemple aussi des adjectifs
comme blanc, rond, etc. Si nous comparons maintenant divers matériaux purs de
cette sorte ou matériaux syntaxiques derniers tels qu’ils entrent dans diverses propo¬
sitions avec quelque forme syntaxique que ce soit, alors nous remarquons
qu'en dépit de leur diversité ils peuvent encore avoir en commun quelque chose
d’identique que l’on peut détacher. En effet si nous comparons le matériau
pur papier et le matériau pur homme, alors nous voyons saillir quelque chose
de général qui appartient par essence à la forme — pour s’exprimer avec
la généralité de la formalisation, nous voyons saillir un quelque chose de
forme « substantive ». De même nous voyons se détacher la forme « adjective»,
de même la forme du terme de relation que l’on peut saisir sur des adjectifs
de relation comme égal, semblable, plus grand, etc. Dans une seule et même
forme des contenus infiniment nombreux peuvent être saisis : les divers noms
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 403

par exemple sont différents quant au contenu mais sont de même forme. Nous
aboutissons ainsi à un groupe limité de formes d’une espèce complètement
nouvelle mais qui ne sont plus des formes syntaxiques; tous les matériaux syn¬
taxiques derniers se groupent (chacun se présentant comme l’unité d’une forme
et d’un contenu) selon des catégories grammaticales pures d'une espèce nouvelle, caté¬
gorie de la substantivité et catégorie de l’adjectivité (prise dans sa fonction d’attribut
et dans sa fonction de relation).

§ 12. La formation-noyau
AVEC SON MATÉRIAU-NOYAU ET SA FORME-NOYAU (i)

A la place du syntagme apparaît maintenant une unité du matériau et de la


forme qui est d’une autre espèce : le substantif lui-même (de même le prédicat
lui-même, le terme de relation lui-même) en tant qu’unité impliquée dans le
matériau syntaxique ; et tout matériau syntaxique doit, par une nécessité d’essence,
enfermer en soi une telle unité, de telle sorte que nous avons atteint une structure
plus profonde de la prédication en général, structure qui se trouve dans toutes ses
syntaxes, et plus précisément dans les matériaux syntaxiques. Nous nommons
cette unité la formation-noyau.
Jusqu’ici nous n’avions donc pas encore pénétré jusqu’aux structures formelles
dernières. Pour les rendre évidentes, il est besoin d’un nouveau pas en avant de
l’analyse descriptive.
Si nous comparons les formations-noyaux : ressemblance et ressemblant, rougeur
et rouge, nous voyons que dans chaque couple de cette sorte sont en présence
l’une de l’autre des formations-noyaux de catégorie différente qui ont en commun 1 une
avec l’autre et cela du côté matériel de ce couple, un moment essentiel. Rougeur
et rouge ont une communauté de « contenu » et une diversité de forme (les formes
de telles formations-noyaux déterminant les catégories de la substantivité, etc.).
C’est à l’élément idéalement identique qui s’appelle ici formation-noyau qu est
attachée la catégorie considérée ; c’est bien en effet le matériau syntaxique demeu¬
rant dans la variation de la fonction syntaxique qui est soumis à des categories
fixes et qui lorsqu’on maintient identique la catégorie elle-meme, laisse ouverte
k^iblüi contenu changeant. Le substantif, r*c* = ««*£££
complètement déterminés sont des matériaux syntaxiques et sont caractérisés
Z des catégories qui leur appartiennent par essence. Par contre on voit
maintenant que de tels matériaux syntaxiques (pris comme formations-noyaux

(1) Das Kerngebilde mit Kernstoff und Kernjorm.


404 LOGIQUE FORMELLE

de catégories diverses) peuvent avoir encore en commun quelque chose d’identique


qui est donc enfermé dans ces matériaux encore plus profondément. Nous le
nommons le matériau-noyau de la formation-noyau considérée, ou comme nous
pouvons dire également, du matériau syntaxique. Le corrélât de ce matériau-
noyau (disons pour abréger, du noyau) est la forme-noyau\ elle est ce qui forme le
noyau en noyau de telle catégorie déterminée, donc ce qui instaure la formation-
noyau unitaire, disons encore le matériau syntaxique. Ce qu’ont en commun de
façon essentielle par exemple ressemblance et ressemblant, cela prend une forme la
première fois dans la catégorie de la substantivité, la seconde fois dans celle de
la relationalité adjective et cela devient ainsi le matériau syntaxique déterminé.

§ 13. Privilège accordé a la catégorie substantive


La substantivation

Nous avons maintenant encore à adjoindre la loi essentielle dans laquelle


s’exprime un remarquable privilège attribué à la catégorie substantive. En effet, tout
adjectif et tout terme de relation ont à côté d’eux un substantif qui leur correspond,
c’est-à-dire l’adjectif et le terme de relation « substantivés ». Mais il n’y a pas
d’adjectivation (pour parler au sens propre) de substantifs quelconques. Des
substantifs comme ressemblance et rougeur se donnent, sur le plan du sens,
comme des « modifications », ils ont un sens secondaire qui renvoie au sens
originel qui n’est pas un sens de substantif; en connexion avec la possibilité de
ces modifications il existe une possibilité essentielle de la transformation syntaxique
des propositions où interviennent les formations-noyaux en question, comme
par exemple de la transformation de la proposition : ce toit est rouge en la propo¬
sition : la rougeur est une propriété de ce toit ou aussi la rougeur de ce toit... Mais d’autre
part, ce n’est pas une simple transformation syntaxique, mais c’est en même
temps une transformation des formations-noyaux qui se situe dans une autre
couche.

§ 14. Passage aux constructions complexes

Nous avons ainsi dans la sphère des significations prédicatives une réduction
aux éléments derniers, à savoir aux matériaux (pris au sens vraiment dernier du terme)
qui n’ont plus aucune espèce de formes de signification et qui sont à la base de
toutes les mises en forme de types et de niveaux divers. Sur ces éléments derniers
apparaissent les formes dernières, les formes-noyaux.
Nous avons arrêté tout cet examen à l’instant au niveau de ce qui est élément
dernier, mais l’examen des constructions de niveau plus élevé fournit pourtant
FORMES ET MATÉRIAUX SYNTAXIQUES 405

encore des remarques importantes. En effet la distinction structurelle que nous


avons rendue manifeste dans les matériaux syntaxiques derniers est valable
pour tous les matériaux syntaxiques en général; et sur ceux-ci également on
peut rendre manifeste cette distinction et cela, d’une manière complètement
analogue, en assortissant des exemples et en mettant en relief les contenus essentiels
idéalement identiques. Toute formation catégoriale qui n’a pas déjà la forme
« nominale » « substantive » se laisse nominaliser pour reprendre 1 expression des
Logiscbe Untersucbungen. Et, plus précisément, dans ce cas aussi, ce n est
pas non plus la formation concrète mais son matériau syntaxique total qui reçoit
une forme « substantive » (prise alors au sens élargi). Ici nous devrons dire que
la matière d’une proposition (au sens de la « proposition » prise en tant que
matériau syntaxique) a pour catégories-noyaux successives celle de la proposition
indépendante et celle de la substantivité. Avec cette catégorie de la proposition
indépendante sont caractérisées, d’une part, une forme syntaxique et, d’autre part,
l’essence commune qu’a cette forme avec la mise en forme de la « substantivité ».
Comme dans toute substantivation une modification syntaxique va de pair avec

cette mise en forme. , . ,


Cependant, pour préciser ces questions et pour les traiter avec plus de p
fondeur, remettons-nous en à des recherches ultérieures.

§ 15. Le concept de « terme »


DE LA LOGIQUE FORMELLE TRADITIONNELLE

La logique traditionnelle n’a pour autant dire rien dégagé de ces distinctions
bien qu’occasionneüement elles se fassent jour aussi en elle. Il est en effet cia
Semblée queTe concept de matériau-noyau que nous avons fixé coïncide pou
Jr^lLec ce qA logique «dj—, te —

vague, sans tente, «ne étnsltement. L'es^


ntifisé d’ailleurs uniquement dans une iT^{süque traditionnelle. On exprime
sion de « terme » est en effet adaptée a la syllogistique “i ^ F du
U r Îpc formes du jugement universel, du jugement pan
symboliquement les formes g quelques A sont b, etc. De même,
jugement singulier... par tous /« A , pynr;mée Dar Si M est, alors N est.
la forme de la proposition hypot tique es lettres il semble tout d’abord
Si l’on se demande ce qui est indique ^ attention au fait
qu’il s’agisse de matériaux syntjxiq^la déduction : ft«x
que, du point de vue de: la^ syjog; ^ etc<> mrtds et les mortels
les hommes sont mortels, tou si ' ^ symboliquement par les memes
valent comme memeterme et -nt ^ des différences des formes-noyaux
lettres, alors on voit qu il n es p m
406 LOGIQUE FORMELLE

et donc qu’il faut comprendre sous l’expression terme non pas le matériau syn¬
taxique mais le matériau-noyau qui demeure identique dans la variation de la forme-
noyau.
Très fréquemment au lieu de terme on dit aussi concept. Cependant le mot
concept est entaché de maintes ambiguïtés de sorte que nous ne pouvons l’em¬
ployer sans précaution dans cette acception. Mais en tout cas avec le concept de
matériau-noyau est établie scientifiquement l’une des significations du mot
concept.
Il faut remarquer pour ce concept de concept ou de terme que, conformément
au sens entier de l'analytique, il ne se limite pas aux matériaux-noyaux derniers.
Pour ce concept il faut essentiellement considérer l’élargissement des concepts
« substantif » et « adjectif » (voir le paragraphe précédent) et en même temps
l’élargissement du concept de matériau-noyau; cet élargissement les élève au-
dessus des concepts primitifs qui sont les premiers à s’imposer par référence
aux formes grammaticales des mots. Par exemple la forme : que S soit p est la
condition pour que Q soit r fournit en effet dans l’imposition de la forme : « propo¬
sition antécédente » (ou dans celle de la forme : « proposition conséquente »)
un substantif qui est précisément la proposition « substantivée ». L’analytique
dont l’intention thématique tend vers le système de lois de la « conséquence »
formelle ne se soucie pas des noyaux derniers; elle laisse pendante, dans ses
formes propositionnelles, la question de savoir si les termes sont des formations
catégoriales substantivées ou non (cf. sur ce point l’appendice III).
751 APPENDICE II

REMARQUE]SUR LA CONSTITUTION
PHÉNOMÉNOLOGIQUE DU JUGEMENT
LE JUGER DANS L’ACTIVITÉ ORIGINELLE
ET SES MODIFICATIONS SECONDAIRES

§ i. Le juger actif
EN TANT QU’ENGENDRANT LES JUGEMENTS « EUX-MEMES »
PAR OPPOSITION A SES MODIFICATIONS SECONDAIRES

Juger d’une manière active, c’est engendrer des << objets de pensee », des
formations catégoriales. Son essence implique la possibdité (qui ici a la sigm -
cation subjective de faculté, qui a la signification du « Je peux ») e pouvo r
progresser dans une succession de niveaux, pour parler idéalement, elle implique
la possibilité d’une itération ininfinitum. Un juger quelconque, par exemple un
juger déterminatif pur et simple (un juger « catégorique »), engendre un état-
des-choses intentionné S „tp dans lequel le substrat dela tfcterminatior, SI sei de -
mine comme étant p. Par là es. en même temps engendre le résulta,
c'est-à-dire le f est apparu comme un « précipité » dan. km du à qu. est deso.ma
ainsi déterminé. A un second niveau, le ,,„ppeu. maintenant *"«*£*£
semen. d'un nouveau jugement, il peut, en prenant de «ouveUe, tomes c.m
goriales, devenir membre de jugements, de |»gemen.s œnjonmfs, hypotbtaques
et autres Ou il peut d'une autre maniéré continuer à donner lieu a d autres
jugements, par eaemple de telle sorte que le Sp devienne su » ',
du nouvel» jugement ip ... etc. Tou. jugement £*££££
ainsi devenir in infinie le soubassement d. nouveaux |»geme^^Lam«ne^
vaut manifestement si nous prenons pour base le concept élargi lugem
40 8 LOGIQUE FORMELLE

qui est privilégié dans les dernières parties du présent ouvrage et qui coïncide
avec celui d’objectité catégoriale (doxique) en général et en tant que telle.
Le juger actif n’est pas la seule forme du juger mais c’en est la forme originale.
C’est la seule forme dans laquelle l’objectité catégoriale intentionnée en tant
qu’intentionnée parvient à être engendrée réellement et véritablement, en d’autres
termes c’est la forme dans laquelle le « jugement » parvient à être donné « lui-
même » de façon originale. Tous les autres modes dans lesquels est donné le
même jugement sont caractérisés en eux-mêmes comme modifications intentionnelles
du mode qui engendre le jugement de façon active et originale. C’est un cas
particulier du privilège de l’originalité, privilège qui relève d’une loi d’essence
et qui a validité pour toute constitution d’objet, qu’elle soit passive ou active.
[z76] A partir d’ici faisons tout d’abord une incursion dans la théorie générale de
l’intentionnalité dont les connaissances nous rendront possibles ensuite des vues
plus profondes pour notre thème présent.

§ 2. Enseignement
QUE NOUS DONNE LA THÉORIE GÉNÉRALE DE L’INTENTIONNALITÉ

a) Conscience originelle et modification intentionnelle


Explicitation intentionnelle statique
Explicitation de /’ « opinion » et de ce qui est visé
(il s’agit du visé « lui-même ») dans cette opinion
La multiplicité des modes possibles de conscience du même objet
Un seul et même objet peut a priori être présent à la conscience dans des modes
de conscience très différents (ayant certains types essentiels : perception, ressou¬
venir, conscience-vide, etc.). Parmi eux le mode de conscience qui saisit par
1’ « expérience », le mode de conscience original, a un privilège; à ce mode sont
rapportés tous les autres modes en tant que modifications intentionnelles.
Mais la modification intentionnelle a d’une manière tout à fait générale la carac¬
téristique de renvoyer en elle-même au non-modifié. Le mode de donnée modifié,
en quelque sorte questionné, nous dit lui-même qu’il est modification de ce mode
originel. Pour le sujet qui a un tel mode de conscience (et donc pour tout être
qui se met dans la même attitude de compréhension et qui recomprend à son
tour un tel mode de conscience), cela implique qu’il peut à partir de tel mode
non-original de donnée tendre vers le mode original et éventuellement se présen-
tifier explicitement le mode original et se rendre clair le sens de l’objet. La clarifi¬
cation remplissante s’effectue dans un passage synthétique dans lequel ce qui est
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 409

présent à la conscience dans un mode non-original se donne comme étant la


même chose que ce qui est conscient dans le mode de 1’ « expérience » (dans le
mode du « cela lui-même ») ou encore comme étant la même chose « clarifiée »,
à savoir telle qu’elle « aurait » été donnée « elle-même » dans 1’ « expérience pos¬
sible ». A la faveur d’une clarification pour ainsi dire négative se dégage synthé¬
tiquement le contre-sens clair.
Tout mode intentionnel de donnée en tant que « conscience-de » se laisse
expliciter « statiquement » de cette manière; il se laisse non pas décomposer en parties,
mais expliciter intentionnellement et il se laisse questionner sur ce qu est son sens
clair et ce sens se laisse établir dans des passages synthétiques qui conduisent
à ce que les choses soient données « elles-mêmes » ou à ce qu elles soient supprimées
avec clarté.
S’il s’agit de modes de conscience dont la forme originale est une forme produc¬
trice dans une activité synthétique, alors il se manifeste, comme le montrent les
développements de notre livre spécialement pour l’activité judicatoire, qu ici
une double intentionnalité (ainsi qu’une double donation des choses elles-mêmes)
vient en question et que ces deux intentionnalités s’entremêlent par essence :
l’activité du juger en tant que produisant originalement le jugement lui-même
(et simplement en tant que jugement) et l’activité qui donne originalement une
forme à l’objectité catégoriale elle-même, l’état-des-choses lui-meme dont 1
s’agit, l’état-des-choses sous le mode de l’expérience (on pourrait dire encore
l’activité qui rend évidente l’objectité catégoriale elle-même, etc.). Cela vaut pour
chaque espèce d’activité dans la mesure où entrent en contraste, d une manière
tout à fait générale, l’activité de la constitution productrice de 1 opinion simplement
en tant qu’opinion et l’activité de la constitution du « cela lui-meme » c°r^sP° ’
dant. Mais finalement la même chose vaut, avec la généralité h pois g q
soit et par essence, pour toute intentionnalité - eu egard a la donation de p
opinion (ou sens) et à la donation de l’objet « lui-meme ».
La propriété essentielle qu’a toute conscience non-or g ’ » en
« modification » d’une conscience originaie correspondante de « renvoyé*
soi à des « expériences » possibles, à des modes originaux de ”
objet - et si ces modes en tant qu’ « imparfaits » sont
et de non-originalité, de renvoyer a des chaînes synt e iqu , ■ consiste
en progrès - cette propriété essentielle IntÏne avec lui ses possi-
en ce qu’inversement tout mode ongm rPçr>ondants » qu’il faut réunir
bilités de passage à des modes non-originaux <<00^ ^ ^ ^pique déterminée,
avec lui synthétiquement et qui appartiennen renvoi au sens propre
S»s doute ou ne peu, patrie, iôLdonudle",
comme celui qui est en question dans le cas d
4io LOGIQUE FORMELLE

Mais en tout cas toute conscience se tient par essence dans une multiplicité de conscience
particulière qui appartient à cette conscience, dans une infinité ouverte synthétique
de modes possibles de conscience du même objet, mais multiplicité qui a pour
ainsi dire son centre et son but dans 1’ « expérience » possible. Cela désigne tout
d’abord un horizon d’évidence remplissante avec le « cela lui-même » pensé d’une
manière anticipée comme « devant être réalisé ». Mais là, par essence, reste ouverte
la contre-possibilité d’être détrompé : on aboutit alors à la suppression de l’anticipé
et au « au-lieu-de-cela-autre-chose », ce que montre une contre-figuration de la
multiplicité centrée. Voilà qui prescrit à toute « analyse intentionnelle » les traits
les plus généraux de sa méthode.

b) Explicitation intentionnelle de la genèse


Caractère originel, génétique aussi bien que statique,
du mode de donnée qui relève de V expérience
« Fondation primitive » de /’ « aperception » pour toute catégorie d'objets
Tandis que l’analyse « statique » est conduite par l’unité de l’objet intentionné et
tandis qu’ainsi, en partant du mode de donnée non-clair et en suivant son renvoi
en tant que cette donnée est modification intentionnelle, elle tend du côté de la
[278] clarté, l’analyse intentionnelle génétique est dirigée vers l’ensemble concret tout
entier dans lequel se situent toute conscience et son objet intentionnel en tant
que tel. Viennent alors aussitôt en question les autres renvois intentionnels qui
appartiennent à la situation dans laquelle par exemple se trouve celui qui exerce
l’activité de jugement; vient donc en question en même temps Y unité immanente
de la temporalité de la vie qui a dans cette temporalité son histoire de sorte que dans
cette unité temporelle tout vécu de conscience particulier a, en tant qu’il intervient
temporellement, sa propre « histoire », c’est-à-dire sa genèse temporelle.
Il appert alors — toujours en tant que propriété universelle essentielle de la
vie intentionnelle — que la forme originale de la conscience, celle de 1’ « expérience »
au sens le plus large (qui a été examiné en détail dans cet ouvrage) est privilégiée
non seulement du point de vue statique, mais aussi du point de vue génétique, par
rapport à ses variantes intentionnelles. Egalement du point de vue génétique le mode
original de donnée est — en une certaine manière — le mode originel. Il l’est en effet
pour toute espèce fondamentale d’objectités et ce, en ce sens qu’aucun mode
non-original de la conscience d’objets relevant d’une espèce fondamentale 11’est
possible par essence si auparavant dans l’unité synthétique de la temporalité
immanente n’est apparu le mode original de conscience correspondant des
mêmes objets en tant que « mode fondamental primitif » du point de vue gêné-
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 411

tique, mode auquel renvoie, maintenant également du point de vue génétique,


tout mode non-original.
Il n’est pas dit par là que nous ne puissions avoir aucune objectité présente
à la conscience d’une manière non-originale que nous n’ayons éprouvé déjà
auparavant (nous en tant que restant les mêmes) d’une manière originale. Nous
pouvons par exemple dans une anticipation complètement vide avoir une indi¬
cation de ce que nous n’avions jamais vu. Mais que nous nous représentions des
choses et même que nous voyons des choses d’un seul coup d’œil — là il faut
remarquer que dans toute perception de choses sont déjà impliquées des antici¬
pations vides d’éléments qui ne sont même pas vus •— cela nous renvoie dans
l’analyse génétique intentionnelle au fait que s’est réalisé, dans une genèse antérieure
(qui a une action de fondation primitive), le type : expérience de la chose et qu’ainsi
la catégorie chose est déjà fondée pour nous avec le sens qu’elle a eu la première
fois. Mais cela vaut par essence, comme il appert, pour n’importe quelle catégorie
d’objets, entendue au sens le plus large, pour celle du datum « immanent » de
sensation, mais aussi pour toute objectité du niveau des objectités de pensée,
des formations de jugement, et de plus pour toute objectité du niveau des théories
existant vraiment, également pour toute objectité du niveau des formations
axiologiques et pratiques, des projets pratiques, etc.
Cela est en connexion avec le fait que tout mode original de donnée a un
effet génétique ultérieur double. Premièrement sous la forme de reproductions possibles
qui procurent le ressouvenir en passant par des rétentions qui s’enchaînent d une
manière génétiquement originelle et tout à fait immédiate; et secondement on a
affaire à l’effet « aperceptif » conformément auquel, dans une situation nouvelle
analogue, ce qui existe déjà, de quelque façon qu’il ait été constitué, devient, d’une
manière analogue, objet de l’aperception. ^
En conséquence devient possible une conscience d’objets qui n avaient
eux-mêmes jamais encore été présents à la conscience ou elle devient possi e
avec des déterminations avec lesquelles ces objets n’avaient pas été présents à la
conscience, mais cette possibilité se fondant précisément sur la donnée d objets
analogues et de déterminations analogues dans des situations analogues. Ce sont
des faits intentionnels (imposés par P essence) du processus empirique et de 1^ « asso¬
ciation » qui les constitue mais ce ne sont pas des faits empiriques._ De meme que
l’analyse statique recherche et explicite le sens objectif et, à partir des modes de
données de ce sens, recherche le sens objectif « propre et effectif», en questionnant
ces modes de donnée en tant que renvois intentionnels au « cela lul"e
possible, de même l’intentionnalité de l’ensemble concret, de l ensemble temporel
dans lequel s’entremêlent tous les éléments statiques doit etre questionne, ses
renvois génétiques doivent être explicités intentionnellement.
412 LOGIQUE FORMELLE

c) La forme temporelle de la genèse intentionnelle et sa constitution


Variation rétentionnelle
Sédimentation dans le tréfonds où se trouve ce qui n’est pas détaché
(ce qui est inconscient)
La forme essentielle universelle de la genèse intentionnelle à laquelle toute
autre forme essentielle est rapportée est celle de la constitution de la temporalité
immanente qui domine avec une légalité rigide toute vie concrète de la conscience
et qui donne un être temporel durable à tous les vécus de conscience. Pour parler
plus précisément, toute vie de la conscience n’est pensable que comme vie qui
est donnée originellement, dans une forme (nécessaire par essence) de la « facdcité »,
dans la forme de la temporalité universelle dans laquelle tout vécu de conscience,
dans le flux changeant des modes de données qui ont des variantes typiques à
l’intérieur d’un présent vivant, reçoit sa place temporelle identique et ensuite
la garde d’une manière durable en puisant aux sources essentielles des habitus.
De cela, faisons ressortir uniquement un point principal : à tout vécu se pré¬
sentant sous le mode primitif de ce qui est présent d’une manière immanente
(vécu dont on a même aussi conscience comme se présentant ainsi) s’attache, avec
une nécessité immuable, une conscience « rétentionnelle » en tant que modifi¬
cation originelle par laquelle le mode primitif : « Donné présentement» se change,

[280] dans une synthèse continue, en la forme modifiée du même donné « qui vient »
d’être. Cette conscience modifiée en tant que présente actuellement joue le rôle,
selon la même légalité, de mode primitif relatif pour une nouvelle modification
(modification de la modification) et ainsi de suite d’une manière continue.
Manifestement c’est en soi que toute modification de cette sorte renvoie,
immédiatement ou médiatement, à son mode primitif absolu — conscience qui
certes se modifie aussitôt mais qui n’est plus une modification. Cette variation
rétentionnelle continue est l’étape initiale, essentielle, de la constitution d’un
objet identique, qui persiste au sens le plus large, constitution que nous étudierons
de plus près dans le prochain paragraphe sur le cas particulier des formations
catégoriales persistantes plutôt que de continuer à la suivre ici dans sa généralité.
La variation continue de la rétention se poursuit jusqu’à une limite conforme
à l’essence. Ce qui signifie qu’avec cette variation intentionnelle va de pair éga¬
lement la propriété suivante : ce qui se détache se détache suivant des degrés et cette
graduation trouve sa limite quand ce qui était précédemment détaché se perd
dans le tréfonds universel... dans ce qu’on appelle Y inconscient qui n’est rien moins
qu’un néant phénoménologique mais qui est lui-même un mode limite de la
conscience. C’est à cet arrière-fond des éléments qui étaient auparavant détachés
et qui se sont sédimentés que se rapporte la genèse intentionnelle totale, cet
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 4M

arrière-fond étant l’horizon qui accompagne tout présent vivant et qui manifeste
son sens (aux variations continues) dans 1’ « évocation » (1).
Après cette incursion dans la phénoménologie de 1 intentionnalité et dans les
horizons méthodiques qui appartiennent aussi à notre problème particulier,
celui du jugement, revenons à nouveau à ce problème et utilisons pour traiter
ce problème les vues évidentes que nous avons acquises dans le cas le plus général.

§ 3. Modes de donnée du jugement


QUI SONT DES MODES NON-ORIGINAUX

a) La forme rétentionnelle
est la forme première en soi de la « sensibilité secondaire »
Transformation vivante de la constitution d un jugement
composé de nombreux membres

Dans le cas du jugement face au

7e"“—« p—, le r*Si


« coi: pz
conscience, constitutive t.mpotellemen,^,ue non ^^£1— se,
jugement qui s’écoule d une modification en ta», que
modifications retentionnelles. p|u g ’ . jeg activités de 1’ « âme »
modification d’une production active { ont on p . être caractérisée
avec leurs constinttions de valeurs, de but J «myen^ ^ ^ ^
ainsi : partout où une constitution ongina provenant d’un ensemble
effectuée par une activité (éventue ement par actions partielles incluses et
synthétique ayant pour mem res e ayec constance rétenüonnelle
subordonnées), là Y action. ongina e s donc en une forme passive qui est
en une forme secondaire qui n est p us ’ nQUS je disons aussi. Grâce à la
la forme d’une « sensibilité secondaire » ive ^ conscience de cela

« ^glfcSSon active comme jugement se produtsan.

(1) Weckung.
414 LOGIQUE FORMELLE

en elle d’une manière vivante mais il devient le même jugement persistant de


façon continue, comme un acquis qui se maintient et qui précisément aussi pour
les formations actives... comme partout ailleurs (c’est-à-dire dans n’importe quelle
constitution d’unités qui persistent en maintenant leur identité) repose sur des
fonctions de la passivité. Au point où nous en sommes nous pouvons dire que
l’acquis en tant qu’acquis durable est tout d’abord seulement constitué pendant
le cours vivant de la variation rétentionnelle jusqu’à la limite où il n’est plus
détaché.
Cette sorte de maintien dans l’identification continue passive rend possibles
seulement des processus progressifs du jugement en tant que façonnement
progressif vivant et réunion d’entités catégoriales en vue de l’unité de jugements
toujours nouveaux et de degrés toujours plus élevés. Les formations partielles
qui tombent dans la rétention font encore partie, dans cette modification, du champ
thématique unitaire de l’attention. Ces formations, dont le sens reste identique,
peuvent être à nouveau ressaisies; elles peuvent aussi, grâce à de nouvelles
étapes de jugement, éprouver de nouveaux enrichissements de sens dans de
nouvelles mises en formes. C’est seulement ainsi que le processus de construction
synthétique du jugement peut, en tant que processus conscient, aboutir à l’unité
d’une formation devenue complexe et comportant de nombreux membres, for¬
mation qui, quand elle en est venue à son achèvement, ne comprend plus rien
dans son originalité des produits originaux appartenant aux différents niveaux
et aux différents membres. Seules les modifications qui ont subi du point de vue
génétique une très grande variation subsistent ; mais dans les changements qui
s’écoulent passivement l’unité intentionnelle des formations partielles se main¬
tient grâce à 1 identification constante. Dans cette constitution vivante, les
formations partielles relèvent de cette activité originelle qui amène la formation
de niveau le plus élevé à être une donnée originalement productrice après l’avoir
[282] achevée au point final. Cet « achevé » lui-même sert de base à son tour à la
variation rétentionnelle. Le jugement qui vient après peut à son tour partir de
là et continuer à se façonner.

b) Le ressouvenir passif et son action


pour la constitution du jugement en tant qu’mité persistante

Cependant quand nous parlons du fait que toute activité catégoriale, par la
manière dont se transforme la genèse active selon des légalités qui introduisent
des modifications passives, conduit à un acqtiis persistant, cela peut pourtant
signifier encore autre chose et d’une manière normale cela signifie constamment
autre chose. En effet tout juger conduit à un jugement-résultat qui, pour celui
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 4i5

qui juge, désormais et non pas seulement pendant la rétention vivante, est un
résultat durable, un acquis spirituel dont il peut librement disposer, à volonté,
n’importe quand. Nous sommes donc ici amenés au delà de cette première acqui¬
sition vivante acquise grâce à la production originale et aux rétentions qui s’y
rattachent. Là viennent en question les légalités essentielles générales de la genèse
passive et de pair avec elles celles de la constitution de l’objet — en tant que cons¬
titution d’« objets » qui « existent », en maintenant leur identité, pour moi, pour
nous, qui sont accessibles en tout temps en tant qu’ils restent les mêmes •— ainsi
que les lois essentielles de Yassociation et de la constitution associative. A celles-ci
appartiennent aussi les lois de la formation des aperceptions. Les légalités de la
genèse passive embrassent la sphère entière de la conscience en tant que sphère de
la temporalité immanente; sphère dans laquelle toute activité active de la conscience
rayonnant du pôle-Je (ainsi que sa formation syntaxique originale) a, elle aussi,
sa place et sa forme temporelles; cette activité intervient ensuite aussitôt dans
des évocations par association et, d’autre part, s’enfonçant dans le tréfonds par
l’intermédiaire de la rétention, elle a par la suite une action aperceptive et peut
alors participer de différentes manières à de nouvelles constitutions d’objets, à
des constitutions passives mais tout aussi bien à des constitutions productrices
et actives.
Cela vaut donc également des actes catégoriaux, corrélativement des forma¬
tions catégoriales. Une proposition, une démonstration — une formation de
nombres, etc., peuvent, du fait de l’association, longtemps après la disparition
de la production originale, revenir à l’esprit et bien que ce soit sous le mode de
donnée propre au souvenir qui revient à l’esprit, peuvent participer à de nouve les
actions originales de jugement. On adopte à nouveau le résultat de 1 originalité
antérieure et par là est créé un nouveau résultat sans que cette reprise implique

une répétition de l'activité.

c) L’apparition d’une idée en tant que surgissement apereeptif


est analogue au surgissement du ressouvenir passif
Mais peuvent venin à notre esprit égalent», des formations qui certest son.
analogues aux surgissements du souvenir mais qui elles-memes neso* P «^
surgissements du souvenir; ce sont des formations que nous "^ pourtant
produites d’une manière originellement active Mais nous en
produit d’analogues et c’est précisément grâce à cette ana g q
faire leur apparition à la façon des modifications que SOnt
à l’esprit, qu’elles peuvent faire leur
ressouvenirs passifs et c est en tant que e q
416 LOGIQUE FORMELLE

genèse à partir de jugements antérieurs formés d’une manière semblable. Tout


cela, l’intentionnalité de l’association et des lois essentielles qui la gouvernent
permet de le rendre compréhensible. Si nous pouvons déjà ici dans le cas de
ces surgissements parler d’une apparition aperceptive, alors on peut le faire a fortiori
et dans un sens plus normal partout où s’éveillent dans notre esprit, par le moyen
de data sensibles perceptifs ou de leurs reproductions, les formations catégoriales
correspondantes qui font leur apparition maintenant tout à fait comme les idées qui
viennent à l’esprit... bien que nous n’ayons pas coutume de nous exprimer ainsi.
Mais le fait que nous n’ayons pas coutume de nous exprimer ainsi s’explique
par des raisons compréhensibles. Car aussitôt, comme par exemple dans le cas
des signes et des expressions, l’élément perceptif qui éveille en nous des associations
et ce qui fait son apparition de façon aperceptive, grâce au processus d’évocation
ou grâce à un processus analogue, ne font qu’un du point de vue thématique et par
suite il se réalise une constitution objective qui est unitaire mais à double face,
constitution dans le sens fort de constitution thématique... alors désormais ce
qui est évoqué grâce à l’élément perçu n’affecte plus en tant qu’élément pris en
soi et il ne devient pas un objet thématique à lui tout seul. Bien plutôt, ce qui
est évoqué a maintenant le caractère d’une simple composante bien que ce soit
une composante « dont il s’agit », qui est indiquée, désignée. C’est « au moyen »
du signe donné d’une manière sensible que le regard thématiquement privilégiant
se dirige vers ce qui est désigné. Mais en même temps le signe lui-même est thème
de transition, il forme avec le but thématique une objectité fermée, qui se détache
en unité, objectité qui est déjà donnée unitairement avant que l’on se tourne
vers ce qui est désigné et qui est ainsi prête également à devenir thématique du
côté du signe contrairement à la fonction normale.

§ 4. Possibilités essentielles
DE RENDRE ACTIFS
LES MODES PASSIFS DE DONNÉE

Dans tous les modes secondaires de données que nous avons rencontrés dans
nos dernières réflexions — les modes rétentionnels, les ressouvenirs proprement
dits (qui du reste aussi, en liaison directe avec les rétentions, peuvent se développer
d’une manière involontaire ou volontaire, mais en étant en tout cas conditionnés
[284] par l’association) et enfin les surgissements aperceptifs, ceux qui sont apparemment
libres et ceux qui sont entremêlés avec des « perceptions » qui se détachent — dans
tous ces modes de données secondaires nous avons affaire à des « modifications »
qui renvoient donc phénoménologiquement à l’activité originelle.
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 4i7

Il faut en outre remarquer qu’ici comme dans tout renvoi de cette sorte est
impliquée aussi en même temps la conscience d’une liberté, d’une possibilité
pratique de rétablir le mode de donnée de l’activité originelle, le mode qui donne
les formations « elles-mêmes » et véritablement. Si l’on réussit à rétablir ce mode
originel de donnée, alors intervient nécessairement la synthèse de la coïncidence
identificatrice et remplissante, la conscience de revenir de ce qui est intentionné
dans la passivité à ce qui est pensé « lui-même ». Si, en ressuscitant le mode originel
de donnée, sous la forme du ressouvenir passif, sous la forme d’une idée qui
resurgit passivement, je reviens à mon ancienne conviction dans laquelle j’avais
jugé ^ estp et dans laquelle j’avais acquis alors le résultat Sp, le Sp se trouve alors
ressuscité pour moi précisément tout simplement d’une manière analogue à celle
avec laquelle il était « encore présent à la conscience » et « encore en main » dans
la rétention passive qui alors le reliait au présent; avec cette réserve que le avoir-
en-main ou plutôt le reprendre-en-main de nouveau a maintenant le mode phéno¬
ménologique du « à nouveau », du saisir à nouveau et cela en tant que conviction
qui vaut encore pour moi, qui est demeurée pour moi, qui est encore mienne.
Mais au lieu de m’en tenir à cette réapparition passive de mon jugement ou
à l’attention que je porte à nouveau à ce jugement, je peux aussi réactiver vérita¬
blement mon jugement, le reproduire pour de bon, je peux le produire, lui, le
même jugement, dans une activité renouvelée et véritable, je peux changer à
nouveau en .T est p le Sp qui réapparaît dans mon esprit et alors constituer le Sp
dans une activité renouvelée, donc d’une manière originelle. De même toute autre
modification du type du surgissement d’une idée implique la possibilité pour la
conscience d’une réactivation proprement dite (donc la possibilité d’acceder
par le remplissement au « cela lui-même »)... elle implique la conscience de
pouvoir se tourner vers une activité effective qui naturellement comme toute
intention pratique de la conscience a ses modes de réussite ou d échec.

§ 5. Formes fondamentales
QUE PRENNENT LE JUGER ORIGINELLEMENT PRODUCTEUR
ET LE JUGER EN GÉNÉRAL

Appliquons ces considérations tout d’abord à la distinction importante que


peut subir le concept de production d’entités catégoriales intentionnées dans
juger actif (le juge! actif au sens large) mais aussi d'entités catégoriales du

^ (« explicite ») en tan. que processus pris en


son débu? et d»s son développement (ce processus, en tan. qu'on a .«aire à un
27
E. HTJSSEHL
418 LOGIQUE FORMELLE

juger de niveau toujours plus élevé, s’accomplissant sous la forme de l’unité


synthétique) peut :
i° « De part en part » être activité originelle. Toute objectité catégoriale
partielle intervenant dans l’unité de l’objectité catégoriale formée et qui continue
à se former, jouant le rôle dans cette unité de soubassement pour les formations
supérieures, a été produite originellement dans la vie active du processus du
jugement et ainsi alors le tout lui-même qu’on obtient au niveau le plus élevé a
de part en part le caractère originel que l’on rencontre dans la donation des choses
elles-mêmes... étant entendu qu’il s’agit ici de la donation de 1’ « objectité caté¬
goriale intentionnée » elle-même, du jugement lui-même au sens élargi que nous
lui avons donné.
z° Voici l’autre cas qui est un cas courant : l’activité de jugement part d’anciens
jugements déjà acquis, elle part d’objectités catégoriales passives et apparaissant
à nouveau sous des modes de données modifiés ; des propositions « bien connues »
sont à nouveau utilisées; ou encore, deviennent thèmes de détermination des
objets-substrats qui portent déjà dans leur sens, comme un précipité, leur pleine
valeur de détermination provenant de jugements déterminants antérieurs et qui
sont ainsi repris passivement, etc. Il s’effectue donc dans ce cas un juger explicite
dans la mesure où sont effectuées de nouvelles configurations avec un certain
caractère originel relatif, mais sur la base d’« anciennes » configurations. Nous
devons de plus songer en même temps aux « surgissements aperceptifs » : très
communément, nous jugeons aussi en nous fondant sur des jugements aperceptifs,
sur des pensées catégoriales qui nous viennent à l’esprit, qui surgissent dans
notre esprit d’une manière passive mais en se fondant indirectement sur des
formations analogues que nous avons eues antérieurement, pensées qui surgissent
dans notre esprit en tant que jugements qui « entrent » d’emblée dans notre situation
de motivation. De même que les surgissements du souvenir, nous saisissons,
pour notre action prédicative de jugement, les surgissements aperceptifs tout
d’abord dans des mots qui s’offrent associativement, sans pour autant rétablir
l’action explicite de jugement à laquelle nous sommes renvoyés alors implicite¬
ment. Ou bien il s’agit de prime abord de signes, d’expressions et à vrai dire de
signes et d’expressions dans leur fonction normale, au cas où nous nous tournons
thématiquement vers les formations sur le plan de la signification. Ces dernières
interviennent — en tant que significations, abstraction faite de leur forme fonction¬
nelle — tout à fait comme des idées qui viennent à l’esprit, à savoir comme
présentifications purement passives, comme analogues de ressouvenirs passifs et
d’ordinaire on en reste là : elles ne sont pas réactivées le moins du monde. C’est
ainsi qu’elles servent pour une nouvelle activité de jugement. Si nous nous basons
sur la possession passive de la signification, sur ce qui, du côté de la signification.
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT 4x9

a pour nous valeur d’être (dans le cas normal, sur ce qui vaut avec certitude),
alors dans une action librement productrice prennent naissance de nouvelles
formations catégoriales de notre opinion, ne faisant qu’un avec les signes corres¬
pondants, avec les mots correspondants. Nous renonçons à entrer dans les
86] complications intentionnelles (qui ne manquent pas d’intérêt) qui proviennent du
fait que les expressions elles-mêmes (prises à la fois du côté du signe et du côté de
la signification) peuvent déjà se présenter en tant que venant à l’esprit et, en tant que
telles, « impliquent » dans leur sens, d’une manière secondaire, tout ce qui est déjà
secondaire dans les expressions originales, de telle sorte que nous avons enveloppé
du secondaire « dans » le secondaire. Ce sont vraiment des implications intention¬
nelles (qui ne sont pas des éléments réels enfermés dans un tout à la manière des
parties) auxquelles nous avons affaire ici aussi bien dans l’apparition à 1 esprit
des expressions que dans leurs modes de réalisation... de la réalisation des signes
qui viennent à l’esprit avec leurs renvois et de la réalisation de leur significations
elles-mêmes auxquelles il est alors renvoyé.
D’après ces développements, nous avons, tout bien considéré, d une part, des
jugements qui sont tout à fait « confus », complètement inexplicites; dans le cas
le plus favorable nous avons des jugements dont on saisit les mots, qui sont
articulés verbalement et cependant dans ce cas on ne juge aucunement dans
une acdvité originelle. En contraste extrême avec ce cas, nous avons les jugements
parfaitement distincts, complètement explicites, les jugements produits originel¬
lement selon des états catégoriaux de toute sorte; ce sont assurément des cas
d’exception mais qui sont particulièrement importants. Entre les deux se trouvent
tous les jugements qui sont aussi effectués explicitement mais qui mettent en
œuvre un héritage ancien d’états catégoriaux; ce sont les cas de distinction incomplète.

§ 6. Le juger indistinct

CONSIDÉRÉ SUR LE PLAN DU LANGAGE, ET SA FONCTION

Dans les deux groupes de la distinction imparfaite (comme nous l’avons déjà
exposé brièvement dans le cours de notre ouvrage (a)) le langage joue un grand
rôle avec ce qui se détache en lui, c’est-à-dire avec ses articulations et ses indi¬
cations de signification. Tout signe simple indique une signification (précisons .
indique une position ayant pour contenu un sens quelconque) et cette indication
est une indication associative. Les signes s’unissent pour former 1 unité d un
"en particulier les mots isolés pour former l’unité d’une expression, par

(a) Cf. § 16, pp. 79 sq<ï-


420 LOGIQUE FORMELLE

le fait que ce sont les indications qui s’unissent pour former l’unité d’une indi¬
cation et non pas seulement les signes sensibles pour former l’unité d’une confi¬
guration sensible — ce que font déjà des amas de mots « incohérents » (quant au
sens). La combinaison des mots qui aboutit à une unité de l’expression, donc la
liaison des indications leur appartenant qui aboutit à une unité de l’indication,
est unité d’une aperception qui est née par association : elle est née de modes
analogues d’une constitution passée qui a une action de fondation première et
qui est une constitution de formations catégoriales de même type ou qui est une
constitution de formations de jugement, en tant qu’expressions prises déjà du
côté du signe et du côté de la signification.
[287] Également dans la formation arbitraire de propositions grammaticales et
d’expressions qui ont une unité, nous pouvons, et nous le faisons très commu¬
nément, suivre précisément le style habituel de la formation du sens ; nous pouvons
laisser se former de nouvelles formations provenant d’éléments et de formations
ayant des formes familières typiques sans exercer le moins du monde de véritables
actions catégoriales et sans obtenir les formations catégoriales dans leur caractère
originel. Ainsi peuvent se réaliser sans qu’on le remarque le contre-sens par rapport
aux choses, le fait qu’il est dépourvu de sens de réunir pour en faire une unité
des éléments « totalement sans relation » (qui n’ont rien à faire l’un avec l’autre »),
mais également le contre-sens analytique qui est le thème principal dans le cours
de notre ouvrage. L’unité du « jugement » se réalise en tant qu’unité de la position
du jugement mais on juge d’une manière « confuse », inexplicite, « impropre ».
C’est une passivité associative, provenant de motivations associatives mais portant
en soi, à la manière de l’implication intentionnelle, une activité spontanée trans¬
formée et convertie en sensibilité passive et renvoyant à celle-ci en tant qu’elle
peut être rendue active.
C’est précisément par là que la passivité associative a aussi des fonctions
importantes dans le cadre de la raison, raison qui fournit, uniquement dans la
production active, l’évidence catégoriale de toute sorte, l’évidence comme donation
des entités catégoriales intentionnées « elles-mêmes ». Ces dernières, quand elles
ne sont qu’indiquées par la simple association, n’ont déjà en aucune façon cette
« existence » (de la « distinction ») qui de son côté est la présupposition pour
l’adéquation des entités catégoriales intentionnées, des jugements eux-mêmes aux
objectités catégoriales elles-mêmes, aux vérités catégoriales. C’est précisément parce
que l’association (au sens habituel du mot) dans tous les cas ne fait qu’indiquer
indirectement et anticiper mais ne donne pas les choses elles-mêmes (à moins
qu’elle ne s’unisse en même temps avec la donation de la chose associée « elle-
même »), c’est précisément pour cette raison que le juger « aveugle », né purement
par association, se situe avant les questions de 1’ « existence » ou de la « non-exis-
LA CONSTITUTION DU JUGEMENT

tcnce » — c’est-à-dire de l’existence ou de la non-existence du jugement indiqué


lui-même et ensuite de l’existence ou de la non-existence des objectités catégoriales
elles-mêmes, ces objectités « elles-mêmes » étant présentes à la conscience « à
l’avance » par indication de l’adéquation. Quand le mathématicien, en s’appuyant
sur l’organisation et la succession des formules qu’il trouve dans sa situation
de pensée, anticipe alors une nouvelle proposition et la nouvelle démonstration
qu’il faut conduire dans un style adéquat pour établir cette proposition — étant
guidé manifestement par l’association qui a éveillé confusément les situations
de pensée analogues antérieures, les formules (et les assemblages de formules)
analogues antérieures — alors, comme il le sait très bien, il n a pas encore trouvé
une véritable connaissance, il n’a pas encore trouvé de véritables propositions et
de véritables démonstrations; et cela signifie pour lui, analyticien, qu’il n’a pas
établi d’une manière active les véritables jugements et les véritables assemblages
de jugements dans l’activité véritable desquels tout résultat sortirait des rapports
analytiques dont il relève originalement. C’est précisément pour cette raison que
188] le mathématicien tâche alors d’atteindre l’action explicite qui est sa véritable
activité rationnelle, quelque nécessaire que reste l’activité d’association dans son
rôle d’indication pour prescrire au mathématicien le but et les moyens pour sa
praxis rationnelle.
C’est donc la nature du juger associatif et, en en considérant une forme plus
compliquée mais, comme on le conçoit facilement, plus fructueuse c’est la nature
du juger associatif pris à la fois du côté du signe et du côté de la signification
(c’est-à-dire quand on fait intervenir également le rôle des signes du langage ou
de quelques autres signes que ce soit) qu’il soit anticipation associative de jugements
d’objectités catégoriales, d’entités intentionnées et d’adéquations qui, grâce à
cette indication indirecte de l’association, permettent a la praxis d aboutir aux
jugements véritables, d’établir dans leur réalité les i^nts eux-m^es e
éventuellement les connaissances eües-mêmes - mais aussi dans d autres cas

de montrer leur non-réalité.

Supériorité de la confusion attachée a la rétention


7-
et de celle attachée au ressouvenir
SUR LA CONFUSION ATTACHÉE A l’APERCEPTION :
IL EXISTE, EN EFFET, DANS LA RÉTENTION
ET DANS LE RESSOUVENIR UNE ÉVIDENCE SECONDAIRE

Ici assurément apparaît une différence significative qui distingue les modes
422 LOGIQUE FORMELLE

sont susceptibles de justification (et en ont besoin) grâce au processus qui rend
les jugements véritables. Car si peu que rétentions et ressouvenirs soient des
évidences qui donnent les choses « elles-mêmes » d’une manière originale, donc
des évidences proprement dites, ils ont pourtant la signification de dérivations
secondaires de l’évidence dans lesquelles, comme le montre une critique de la connais¬
sance, il reste toujours, quoique indirectement, quelque chose de l’évidence. Sans ces
rétentions et ces ressouvenirs il n’y aurait pas de science. Si la rétention vivante
était sans valeur, on n’arriverait vraiment à aucun résultat de pensée. Dès qu’on
aborde la légitimation des jugements, alors de nouveau la rétention entre en effet
en jeu et sa valeur d’autorité est présupposée. La situation est analogue en ce qui
concerne les souvenirs reproductifs. C’est non seulement en tant que ressouvenirs
clairs qu’ils ont une évidence, l’évidence de l’expérience de ce qui est passé — évi¬
dence certes imparfaite mais qui pourtant par essence peut être perfectionnée à
la manière de l’approximation tendant vers une limite idéale — mais ils ont aussi
une évidence secondaire en tant que souvenirs qui manquent encore de clarté. Sans ces sou¬
venirs reproductifs ferait défaut toute justification possible de la confiance qu’a
la science qu’elle est un fonds d’acquis durables de la connaissance, en tant qu’évi-
dences que l’on peut réactiver à tout moment.
APPENDICE III

REMARQUE SUR L’IDÉE


D’UNE « LOGIQUE
DE LA SIMPLE NON-CONTRADICTION »
OU « LOGIQUE
DE LA SIMPLE CONSÉQUENCE »

§ i. Le but de la non-contradiction formelle

et de la conséquence formelle

Conception large et conception étroite de ces concepts

mettre en évidence pour cette logique un ^en^ expreSsions et spécialement les


dont j’employais à maintes reprises ,, conséquence — dans une
mots : non-contradiction (également cornpa 1 ) déterminer — peut,
généralité que ces expressions tradmonne es con^^ ^ ^ Uvre le Pr O. Becker,
comme me l’a fait remarquer pe^anU mePsuis_je iaissé entraîner un peu trop loin
donner lieu à des malentendus. satisfaction de remettre en honneur,
— dans la façon de m exprimer P blèmes les dénominations tradition-
grâce à une inteUigenœ nouve e quelques’éclaircissements à la fois pour
neUes. Il pourrait etre utile d ajouter ici q 4
légitimer et pour pousser plus loin notre pense .
424 LOGIQUE FORMELLE

L’ancienne logique s’appelait logique de la non-contradiction (formelle)


bien qu’elle ne s’en soit pas tenu aux simples questions de la compossibilité
formelle des jugements, à leur ne-pas-se-contredire. Les questions concernant
la nécessité analytique de la proposition conséquente, concernant la conséquence
syllogistique, formaient son thème principal. Toutefois l’ancienne dénomination
avait un sens de bon aloi. Dans l’orientation normative de cette logique déjà
l’expression de principe de non-contradiction était pensé normativement, comme
norme permettant d’éviter la contradiction. On peut donc en général caractériser
son intention par la question suivante : comment dans nos jugements pouvons-
nous, avant d’entrer dans les thèmes matériels de ceux-ci, éviter de prime abord
[290] de tomber dans des « contradictions », dans des incompatibilités qui sont condi¬
tionnées par la simple forme ? Et comment trouver les lois formelles norma¬
tives correspondantes ? Or toute négation d’une conséquence formelle nécessaire
est une contradiction : ainsi toute la logique formelle de la conséquence, la logique
des nécessités analytiques, tombe sous le point de vue de la non-contradiction.
Certes le dessein d’atteindre un système de « vérité formelle » peut être dissocié
du dessein d’éviter les contradictions et peut être pourvu exclusivement d’un
sens positif. Par exemple ainsi : si nous avons déjà des jugements non-contra¬
dictoires et qui s’enchaînent l’un avec l’autre de façon non-contradictoire, quels
autres jugements (en se fondant purement sur leur forme) sont-ils préjugés par
ces premiers jugements, en tant qu’ils sont impliqués en ceux-ci à titre de consé¬
quences en découlant par une nécessité analytique ? Mais en tout cas, la question
concernant les formes essentielles et les normes d’un univers de la non-contra-
diction, posée dans sa généralité, conduit en particulier en même temps et néces¬
sairement à la question concernant les formes essentielles des nécessités analytiques
selon lesquelles dans des jugements donnés à l’avance sont impliqués d’autres
jugements. La légalité formelle universelle de la non-contradiction comprend
donc celle de la conséquence déductive, la logique formelle de la non-contra¬
diction est aussi logique formelle de la conséquence; de même naturellement le
concept de conséquence est subordonné a priori au concept très général de non-
contradiction.
Mais inversement on est tenté aussi de rapporter la logique entière à la consé¬
quence et alors de prendre ce concept d’une manière extrêmement large. Pour aban¬
donner un jugement, pour le « biffer » en le niant ou plus généralement pour le
modaliser de quelque autre façon que ce soit — ce qui certes n’est pas l’affaire
de ma fantaisie — je dois avoir des motifs particuliers. Quels sont les motifs
qui se trouvent à l’intérieur de la sphère du jugement elle-même et plus précisément
dans la simple forme du jugement ? En tant qu’être jugeant fidèle à moi-même,
je reste « conséquent » à l’égard de moi-même aussi longtemps que je me tiens
« LOGIQUE DE LA SIMPLE CONSÉQUENCE » 425

justement à mes jugements; dans le cas contraire, je suis inconséquent. Mais je


suis aussi inconséquent sans le savoir et en particulier je le suis sur le plan formel
quand, en examinant de plus près les formes dans lesquelles je juge (en les rendant
« distinctes »), je reconnais après coup que mon jugement postérieur contredit
mon jugement antérieur.
Les jugements en général forment donc un système de la « conséquence »
— prise en ce sens large — quand, pour celui qui juge et les « examine de plus près »,
ils s’accordent pour former un jugement qui a une unité synthétique, unité à
l’intérieur de laquelle aucun jugement ne contredit l’autre.
On voit maintenant que l’analytique conçue comme sphère universelle des
lois essentielles de la non-contradiction formelle possible est aussi analytique
conçue comme sphère des lois essentielles de la « conséquence » formelle possible.
Le concept de « conséquence » est dans ce cas à son tour un concept tout à fait
91]
général qui comprend en lui la conséquence « logique » au sens caractéristique
de succession de jugements qui découlent l’un de l’autre par nécessité analytique,
mais il comprend aussi la conséquence au sens d’unite dans la succession pour
ainsi dire contingente, temporelle, c’est-à-dire dans la succession de jugements
pensés l’un après l’autre mais pourtant d’un bloc, et à vrai dire de jugements qui,
quand on examine de plus près leur forme, se révèlent compatibles, sans s influencer
en se modalisant les uns les autres.
Tout cela subsiste mais s’approfondit si nous faisons entrer en ligne de compte
les vues qui se sont offertes à nous dans le cours du texte sous le titre . « vidence
de la distinction ou effectuation véritable et proprement dite du jugement. » C’est
à partir de là seulement qu’on obtient l’exacte signification du concept de consé¬
quence. Notre « analytique pure » est, dans sa pureté, en fait tout aussi bien ana¬
lytique de la non-contradiction qu’analytique de la conséquence et c’est ainsi
qu’elle a été désignée dans le cours du texte, eu égard aux significations larges des
mots en question, significations qui s’offrent tout naturellement. La« conséquence»
en ce sens large se divise alors eo ipso en conséquence, au sens logique habitue ,
de nécessité analytique de la succession des jugements et en « non-contradiction
triviale » ou compatibilité de jugements « qui n ont en rien a aire un
l’autre ». Le dernier cas se détermine, grâce aux recherches de appendice (
le concept nouvellement mis en évidence de matière du ,ugement en tant que
« matériau syntaxique ») par l’expression scientifique : « jugements qui n ont
en commun aucun élément constitutif de leurs matériaux syntaxiques >
Ce qui constitue à mon avis l’élément fondamental essentie ^to¬
que nous avons exposée dans le cours du texte réside dans ce que ^“mpatibil é
la contradiction, la conséquence, dans tous es sens mis
qu’elles fonctionnent dans l’analytique formelle tout entière, p .u
426 LOGIQUE FORMELLE

doivent être précisées en un sens pur qui ne garde en soi absolument rien d’une
référence à la vérité et à la fausseté des jugements, c’est-à-dire des jugements pensés
comme thèmes sous le point de vue de leurs rapports analytiques. En d’autres
termes, l’analytique pure s’occupe des jugements purement en tant que jugements
et elle s’occupe purement des rapports de jugements qui concernent la possibilité
proprement dite d’effectuation et de non-effectuation — mais il ne s’agit pas pour
elle de savoir si une telle possibilité a quelque chose à voir avec la vérité possible
des jugements. A l’opposé de la logique traditionnelle, compatibilité et contra¬
diction «’ont donc pas dans l’analytique pure le sens de compatibilité ou d’incompa¬
tibilité dans la vérité possible, de même la conséquence n’a pas le sens de vérité
de la conséquence (même si cette vérité n’est que présumée), etc. Il y a une compos-
sibilité de jugements purement en tant que tels... compossibilité dans l’unité
[292] d’une effectuation de jugement qui est effectuation explicite et proprement dite;
et seule cette compossibilité est un concept thématique de l’analytique pure. Si
l’on considère l’orientation subjective, on voit qu’il ne s’agit dans l’analytique
pure de rien d’autre que de la légalité formelle essentielle pour un pouvoir-porter-
des-jugements explicitement et à proprement parler (et encore pour un pouvoir-
porter-des-jugements-ensemble). Il n’est pas besoin d’ajouter : également pour
un ^««w'r-porter-des-jugements-ensemble... précisément parce que la légalité
essentielle de la « compossibilité » formelle renferme déjà en soi celle de la « co¬
nécessité » formelle.
La manière dont nous nous sommes exprimé dans le cours du texte suscite
à maintes reprises une apparence d’incorrection par le fait qu’à différents endroits
cette « co-nécessité » n’est pas évoquée expressément, en outre par le fait que
l’analytique pure est nommée tantôt tout simplement logique de la conséquence>
tantôt à nouveau logique de la non-contradiction et que dans cette dernière
perspective la non-contradiction est désignée expressément comme étant son
thème unique, universel. Mais c’est tout à fait correct du point de vue de la pensée,
comme il ressort des éclaircissements exposés ci-dessus, en particulier de ceux
sur les connexions essentielles de la thématique universelle et de la légalité de la
non-contradiction formelle avec la thématique universelle de la conséquence
formelle (au sens large comme au sens fort).
Indiquons encore expressément qu’on peut comprendre aussi par là la carac¬
térisation — donnée p. 191 — de la multiplicité euclidienne comme système
de la « non-contradiction » (au lieu de quoi d’ailleurs on dit aussi un peu aupa¬
ravant : « conséquence »). Il faut aussi remarquer qu’il est question là d’une
« multiplicité » et que déjà au chapitre III (pp. 129 sqq.) le concept exact de multi¬
plicité, en tant que système procédant purement de la nécessité analytique, avait
été clarifié en détail.
LOGIQUE DE LA SIMPLE CONSÉQUENCE » 427

§ 2. La construction systématique et radicale


d’une analytique pure renvoie a la doctrine des syntaxes

En relation avec les recherches sur les syntaxes que nous avons communiquées
dans l’appendice I, ajoutons encore l’application suivante à l’analytique pure.
Prenons la tâche universelle de cette analytique sous la forme simple suivante :
rechercher les lois essentielles de la forme du jugement qui sont les conditions de la
possibilité pour qu’un jugement quelconque ayantuneformeque l’on peut fixer
arbitrairement puisse être un jugement « existant à proprement parler » — un juge¬
ment effectuable explicitement — à savoir au sens de l’évidence de la distinction.
Prenons le jugement dans la plus large généralité analytique qui soit, la géné¬
ralité d’une entité catégoriale intentionnée en général, qui a été déterminante
dans les derniers chapitres de ce livre.
La question posée concerne aussi les formes de jugements elles-memes en
tant que formes de jugements prises comme du général purement conceptuel
et elle s’énonce alors : quand les formes de jugements peuvent-elles etre saisies
dans une évidence originelle en tant que formes générales essentielles de jugements
effectuables véritablement et à proprement parler, quand ont-elles en tant que
telles une « existence » idéale ? ,
Étant donnée l’étendue du concept de jugement, toute conjonction quelconque
de jugements et toute totalité catégoriale quelconque, qui peut etre construite,

qui alors naturellement fonctionnent toujours comme jugements-parties,

si ** - p“sé’,d“! k ptx
mêmes, c’est-a-dire les termes, seulement des lois des syntaxes
« >».“■ fo™‘lleS XsftXo» des formes-noyaux,
et, à un niveau plus profond, des io
donc de la substantivation (de la << nom11^ J^atique dans les questions posées,
Si nous nous engageons de façon y ^ substructure. Nous
nous devons donc rechercher les j>abord l’organisation syntaxique
devons prendre comme point de P . . des fofmes syntaxiques et
avec les distinctions qui s'y à ndre comme point de départ les
des jugements. Nous aurions ensuite a revenir
428 LOGIQUE FORMELLE

à la question concernant les formes premières ou « primitives » et leur organisation


première, ensuite à la question concernant les modes syntaxiques de liaison qui
sont également primitifs; nous aurions à nous demander comment, grâce à ces
liaisons, des « éléments » primitifs s’unissent de façon primitive pour former des
jugements et comment est possible, aux divers niveaux de complexité, l’unité
du jugement, que ce soit grâce aux mêmes modes de liaison en tant que modes
possibles pour des niveaux arbitraires de complexité (à l’instar de la liaison conjonc¬
tive) ou que ce soit grâce à des modes de liaison dont la spécificité est d’être de
niveau plus élevé. Au compte du primitif (dans la formation syntaxique des formes,
au compte de l’originel) nous aurons le droit de mettre uniquement le jugement
indépendant — étant entendu que le jugement indépendant subira un changement
de forme par incorporation dans une organisation, incorporation qui a déjà
une action de mise en forme — de même nous aurons le droit de mettre uniquement
la certitude d’existence — étant entendu qu’elle se modalisera diversement et
cela, sous des modes qui ont une généralité formelle.
De cette légalité relèvent les lois de l’existence analytique — tout d’abord la
loi de la primitivité analytique : les formes primitives sont a priori « existantes »,
c est-à-dire qu’on peut les effectuer à proprement parler. Toute modalisation
garde considérée en soi — cette existence, mais elle ne Ta plus d’emblée dans
les ensembles dont elle fait partie, dans la mesure où ce qui, pris en soi, a une
« existence » possible, peut être dépendant d’autre chose qui, en soi également,
est possible et cette dépendance s’opérant (ce qui seul ici vient en question) selon
les lois formelles de la coexistence possible, ou ce qui revient au même, selon les
lois formelles de l’unité totale syntaxique possible. En outre : la simple conjonction,
r*94] sans aucune liaison copulative, produit de nouvelles formes d’existence possible.
Il faut remarquer à ce sujet que toute liaison de formes qui s’effectue grâce à un
terme commun a la signification d’une liaison copulative appartenant à ce terme;
il appartient à ce terme un « c’est le même ». En général, des jugements possibles
en soi qu on adapte les uns aux autres d’une manière syntaxique quelconque,
donc qui deviennent des membres de jugement, ne produisent pas encore, quant
à la syntaxe totale, un tout possible. Dans tous les cas, cela dépend de l’entrela¬
cement des jugements dû aux liaisons copulatives (qui unifient en identifiant en
un sens très large) et donc du mode de formation des totalités copulatives que
puisse être mise en question la possibilité de la coexistence (la compossibilité sur
la base de la forme pure). En conséquence on peut dire que l’imité par liaison
copulative définit un concept de jugement tout à fait insigne et qui est justement celui
qu’a exclusivement en vue la logique traditionnelle alors qu’elle ne prend pas
en considération les conjonctions de jugements « incohérentes » (a). En consi-

(a) Cf. Appendice I, § 6, p. 397.


« LOGIQUE DE LA SIMPLE CONSÉQUENCE 429

dérant les assemblages syntaxiques complexes de cette sphère copulative on tombe


naturellement, de la manière la plus générale qui soit, sur toutes les nécessités
analytiques, ou sur les contradictions qui en sont le revers.
Cela n’est qu’une indication pour montrer qu’il est bien et qu’il est nécessaire
de mettre à la base, de prime abord, une morphologie qui a une assise profonde
en tant qu’elle est une doctrine systématique des structures syntaxiques, pour pou¬
voir construire sur elle une analytique qui a une systématisation rationnellement
évidente et qui a une authenticité originelle. On peut, par opposition à la morpho¬
logie « grammaticale pure » des jugements qui en effet ne soulève pas les questions
de l’effectuabilité des jugements proprement dits, qualifier cette analytique pure
de morphologie supérieure, morphologie des jugements possibles effectuâmes expli¬
citement (avec comme corrélât, naturellement, la morphologie des jugements
effectuables négativement, des jugements contradictoires). Les formes en tant
due généralités essentielles sont des lois essentielles. L analytique pure, nous
pouvons le dire après tout ce que nous venons de montrer, est une science qui
recherche systématiquement les formes primitives des jugements devant etre
effectués dans une activité véritable et complète, c’est une science qui recherche
les « opérations primitives » de leurs variations syntaxiques possibles, leurs modes
originels de liaison ayant une fonction de réunion (liaison copulative, liaison
conjonctive). En partant de là et, en conformité avec la grammaire pure, en se
guidant sur les itérations de l’édification des formes, l’analytique pure a à suivre
Tes possibilités de l’édification des formes des jugements << proprement dits >>
(possibilités qui s’offrent selon les niveaux de cette édification) et ainsi e e a a
dominer par des lois le système total de la possibilité des jugements de la sphère
de la dicrinction — pour parler idédement, grâce à la construetton W
des formes existantes.

K 3. Caractérisation des jugements analytiques

COMME JUGEMENTS SIMPLEMENT « EXPLICATIFS »

ET COMME « TAUTOLOGIES »

Considérons encore le caractère propre ,„•»


rôle que les « termes » jouent en elle. D» P»“' ' ™ désIgnent' ks eonélats
et les « substantivations » qui s entrem rvthme par lequel celles-
noématiques des activités spécifiques e lu8“nen copulatifs auto-
ci s’achèvent toujours à nouveau sous k * “^3* J* Action de
nomes. En ce qui concerne préakbles. Ces données préalables
jugement présuppose toujours déjà d P
43° LOGIQUE FORMELLE

peuvent être des formations provenant de jugements antérieurs mais finalement,


en nous rapportant aux matériaux derniers et à leurs formes de la substantivité
et de l’adjectivité, nous arrivons à l’expérience passive qui donne au préalable
l’individuel, expérience qui devient ensuite active; nous arrivons aux préformations
qui consistent alors à prendre connaissance grâce à la simple expérience expli¬
citante. Une telle expérience de l’individuel désigne une thématique à part.
L’analytique laisse cette thématique hors de question, même quand elle se reporte
à ce qui est corrélatif de cette thématique dans la subjectivité effectuante. Du fait
de la libre indétermination de ses termes, l’analytique laisse hors de question le
fait de savoir si les termes intervenant dans ses formes générales sont des substan¬
tivités et des adjectivités dernières livrées par l’expérience ou si elles sont des
formations provenant d’actions qui sont déjà syntaxiques. Son évidence formelle
de distinction concerne donc uniquement le caractère propre de l’édification
syntaxique tandis que la question de l’origine des termes, donc de leur possibilité,
reste pour ainsi dire volontairement en suspens. A cela correspond le fait que
l’intérêt thématique (même quand on se réfère aux choses à titre d’exemples ou
quand on applique l’analytique et même déjà quand on cherche à voir si une
déduction est évidente analytiquement sans recourir aux lois concernant la forme)
ne pénètre pas dans les termes concrets mais, maintenant simplement l’identité
de ces termes, s’occupe purement des syntaxes.
De plus, le « juger analytique » et, en se plaçant dans la généralité formelle,
le juger de l’analytique elle-même, doit naturellement aussi être qualifié d’ana¬
lytique au sens que Kant cherchait à saisir avec les mots de simple explication de
la connaissance par opposition à une extension de la connaissance. Car cela peut
en effet uniquement signifier que l’intérêt analytique est purement dirigé vers la
possibilité de l’évidence de la distinction qui réside en l’effectuabilité proprement
dite des actes de jugement de tous niveaux syntaxiques et cela peut uniquement
signifier que l’évidence des données préalables ne ressortit pas à cette effectuabilité.
Cette direction de l’intérêt est utile à la logique : la légalité autonome de la « non-
[296] contradiction » fonde celle de la vérité possible. La connaissance n’est pas « enri¬
chie » ; dans toute action syntaxique on s’en tient à ce qu’on « avait » déjà en fait de
jugement ou en fait de connaissance; tout ce qui apparaît de manière analytique y
est « impliqué ». Avec cette réserve qu’on doit si souvent appeler à l’aide le génie
du mathématicien pour venir à bout de ce simple processus de distinction ou
de cette simple « explication ». Si l’on pense idéellement le dessein de l’analytique
comme dessein se référant entièrement à une sphère arbitraire et illimitée de
données préalables, alors à tous les niveaux de l’effectuation analytique, on a
« toujours la même chose », on a toujours les mêmes choses, toujours le même
fonds d’états des choses. Ce qu’on découvre est déjà là, concrètement, dans une
« LOGIQUE DE LA SIMPLE CONSÉQUENCE »

identité totale ou partielle avec les présuppositions. C’est justement cela qui
détermine manifestement la formation du concept de tautologie et sa doctrine
que l’on voit se dessiner dans la logistique moderne, concept sous lequel tombe
toute suite analytique close de propositions.
Il pourrait être intéressant de connaître les remarques touchant la tautologie
que le Pr O. Becker a très amicalement mises à notre disposition, remarques qui
incorporent en même temps cette notion dans l’analytique « pure ».

§ 4. Remarques sur la tautologie

AU SENS DE LA LOGISTIQUE PAR O. BECKER

(SE RAPPORTANT AUX §§ 14-18 DU TEXTE)

Selon le point de vue de la logistique, une tautologie peut être conçue comme
la négation d’une contradiction et réciproquement toute négation d une contra¬
diction est une tautologie. De cette « définition » résulte le caractère purement
analytique des tautologies ainsi caractérisées. Elles sont en quelque sorte des
systèmes de la conséquence qui se suffisent à eux-mêmes, qui n’ont besoin d aucune
prémisse en dehors de leurs prémisses posées. Le caractère propre de la tautologie
apparaît dans une stricte analogie avec celui de la contradiction si on abandonne
tout d’abord le domaine de l’analytique pure et si l’on prend en considération
la vérité et la fausseté possibles des jugements (cf. § 19) : _
« Toute contradiction exclut de prime abord les questions de adéquation,
elle est * limine une fausseté » (p. 93)- D’une manière strictement correspondante
est valable l’assertion suivante : toute tautologie exclut de prime abord les
questions de l’adéquation, elle est a limine vérité.
Au moyen d’opérations logiques formons avec les jugements A,
,» forme complexe P ^
représente elle-même un jugement, alors ; p faux') indé-
une contradiction) si et seulement si P est vrai (respectivement« P**&»$**
pendamment du fait que les jugements p p* .... ^ , deg états_

des^-cho^^qudco^qu^^ntol^iœ-fô-rnKils outnême matériels^ ne relève aucune-

ment de la problématique actuelle définitions d’une manière homologue


Mais on peut aussi maintenant etabl r ^ ^ s£ servif d>un concept
dans la sphère purement analytique, do
de vérité ou de fausseté.

tus logico-philosophicus, Iyonaon, 1922 , &


und Kulturphilosophie, t. I4> I921)-
43 2 LOGIQUE FORMELLE

« P est une tautologie (respectivement une contradiction) » veut dire :


« P (Pi>p2> est compatible (respectivement incompatible) avecpx comme avec
non"A> avec Pi comme avec non-p,, avec pn comme avec non-p„ ». (C’est-à-
dire que P, selon qu’il est une tautologie ou une contradiction, est respectivement
compatible ou incompatible avec tout produit logique qu’on obtient à partir
de pv p2.pn en remplaçant des pi quelconques par leur négation.)
Ce procédé qui transforme une formulation qui relève de la « logique de la
vérité » en une formulation qui relève de la « logique de la conséquence » se laisse
manifestement appliquer aussi dans le cas plus général où il faut dire que P (p1;
p2> •••> Pn) est vrai (ou faux) si certains pi sont vrais et si les pj restant sont faux.
La conception purement analytique s’énonce alors : la négation de P (respecti¬
vement : P lui-même) est incompatible avec un produit logique d’énoncés déter¬
miné que l’on obtient à partir de pv p2.pn en remplaçant ce qu’on a appelé
ci-dessus les pj (et uniquement eux) par leur négation. (A prendre les choses stric¬
tement, on doit encore présupposer la proposition du tiers-exclu pour ces jugements
dont on forme les négations. Sinon on devrait remplacer à chaque fois l’incompa¬
tibilité de la négation de q avec r par une implication positive de q dans r.) Par
ce moyen, on pourrait montrer pour l’essentiel la possibilité d’éviter le concept
de vérité dans la logistique entière.
De même que la vérité est un prédicat qui peut convenir uniquement à un
jugement distinct (qui ne renferme pas de contradiction) (p. 92), de même la
fausseté est un prédicat qui peut convenir uniquement à un jugement non-tauto-
logique, c est-à-dire à un jugement qui ne va pas déjà de soi dans la simple sphère
de la distinction.
De même que la discordance des « sens partiels » (« propositions-parties »)
compris dans un jugement complexe exclut la vérité, de même « l’autoconcor¬
dance » (structure tautologique) des sens partiels exclut la fausseté, et cela, dans
les deux cas, a limme. Seuls les jugements qui sont certes concordants mais qui
ne sont pas « auto-concordants », les jugements qui sont certes distincts mais
qui ne sont pas « auto-distincts » sont ouverts aux deux possibilités, à la
vérité possible comme à la fausseté.
| 298] 11 ^ déjà été dit au commencement que les négations des tautologies sont des
contradictions et vice versa. Est en connexion avec cela le fait que dans toute la
sphère tautologico-contradictoire du jugement est valable la proposition du tiers-
exclu, ce qui, comme on le sait, dans la sphère purement analytique, n’est pas
en général le cas (cf. § 90 et § 77). Cela repose manifestement sur le fait que
aussitôt qu on adjoint l’idée de la vérité (et de la fausseté) possible — la question
de la décidabilité de la vérité et de la fausseté d’un jugement de la sphère tautologico-
contradictoire est résolue a limine en un sens positif (cf. § 79).
LEXIQUE
DES PRINCIPAUX TERMES HUSSERLIENS

Aufklarung. Élucidation.
Auslegung. Explicitation.
Begründung . Fondation.
Besinnung . Prise de conscience.
Deckung . Coïncidence, recouvrement.
définit. « Défini ».
Definitheit. Définitude.
Deutlichkeit . Distinction.
Einsicht. Évidence rationnelle, évidence apo-
dictique.
Entscheidbarkeit. Décidabilité.
erfüllen. Remplir, satisfaire.
Erfüllung. Remplissement.
Erklàrung . Explication.
Erlebnis. Vécu.
Erzeugnis . Production.
Explikation . Explicitation.
Formbegriff. Concept formel.
Gebilde . Formation.
Gegenstândlichkeit . Objectité.
Gehalt . Teneur, contenu.
crrrarle . Immédiat, direct.
federmann': :::::::. Tout être.
Kern. N°yau-
Kernform . Forme-noyau.
Kerngebilde . Formation-noyau.
Kemstoff. Matériau-noyau.
Klârung. Clarification. . .
konkret . Concret (par opposition à abstrait;.
Konkretion !!!!!!! !. Ensemble concret, unité concrète.
28
E. HUSSERL
434
LOGIQUE FORMELLE

Leistung . Effectuation.
Mannigfaltigkeit. Multiplicité.
meinen. Opiner, viser.
Meinung . Opinion.
Moment. Facteur, moment.
Sachgehalt. Teneur concrète.
sachhaltig. Matériel, concret [par opposition à
formel].
Sachverhalt. État-des-choses.
Seinssinn. Sens d’être.
« selbst ».. . En personne, (la chose) « elle-même »
Selbsterfassung. Saisie de la chose « elle-même ».
Sclbstgebung . Donation de la chose « elle-même ».
Selbsthabe. Possession de la chose « elle-même ».
Stoff. Matériau.
Unsinn.. Non-sens.
Urform . Forme primitive.
vermeint . Intentionné.
Vermeintheit. Entité intentionnée.
Vollstandigkeit. Saturation.
Wesensform. Forme essentielle.
Widersinn. Contre-sens.
wissenschaftstheoretisch Épistémologique.
TABLE DES MATIÈRES

Pages

Introduction. j

Considérations préliminaires . 27

§ 1. Point de départ : les significations du mot Logos — parler,


penser, chose pensée. 27
§ 2. Idéalité du langage. Mise hors circuit des problèmes afférents.. 29
§ 3. Le langage en tant qu’expression de la « pensée ». La pensée au
sens large en tant que vécu constituant le sens. 32
§ 4. Le problème de la délimitation essentielle de la « pensée » apte
à la fonction de signification. 36
§ j. Délimitation provisoire de la logique comme doctrine aprio-
rique de la science. 37
§ 6. Le caractère formel de la logique. A priori formel et a priori
contingent . 41
§ 7. La fonction normative et la fonction pratique de la logique.... 44
§ 8. La double face de la logique ; la direction subjective et la direction
objective de sa thématique. 47
§ 9. La thématique immédiate des sciences « objectives » ou « posi¬
tives ». L’idée de sciences à double face . 50
§ 10. La psychologie traditionnelle et la thématique des sciences
dirigée vers la subjectivité. 53
§ 11. Les tendances thématiques de la logique traditionnelle. 55
a) La logique est dirigée originellement vers les formations
de pensée théoriques objectives . 55
b) Direction de la logique vers la vérité et réflexion subjective
sur l’évidence rationnelle, réflexion conditionnée
par cette direction de la logique . 59
c) Conséquence : caractère hybride de la logique tradition¬
nelle en tant qu’elle est à la fois discipline théorique
et discipline normative et pratique. 63
LOGIQUE FORMELLE
456

PREMIÈRE SECTION

LES STRUCTURES

ET LE CHAMP DE LA LOGIQUE FORMELLE OBJECTIVE

A) Le chemin qui va de la conception traditionnelle


a l’idée pleine DE LOGIQUE FORMELLE pAQBa

Chapitre Premier. — La logique formelle conçue comme analytique apo-


pb an tique. ^9
§ 12. La découverte de l’idée de forme pure du jugement. 69

§ 13. La morphologie pure des jugements en tant que première dis¬


cipline logico-formelle. 71
a) L’idée de morphologie. 71
La généralité de la forme du jugement; les formes fonda¬
mentales et leurs variantes. 72
c) Le concept d’opération en tant que concept conducteur
de la recherche des formes . 74

§ 14. La logique de la conséquence (logique de la non-contradiction)


en tant que second niveau de la logique formelle. 76

§ 15. Logique de la vérité et logique de la conséquence. 79

§ 16. Différences d’évidence fondant la décomposition en niveaux de


l’apophantique. Evidence de la clarté et évidence de la dis¬
tinction. 79
a) Les modes d’accomplissement du jugement. Distinction
et confusion. 79
b) Distinction et clarté. 85
c) Clarté de la possession des choses « elles-mêmes » et
clarté de l’anticipation. 86

§ 17. Le genre essentiel : « jugement distinct » en tant que thème de


1’ « analytique pure » . 88

§ 18. La question fondamentale de l’analytique pure . 89

§ 19. L’analytique pure comme fondement de la logique formelle de


la vérité. La non-contradiction comme condition de la
vérité possible. 91

§ 20. Les principes logiques et leurs analogues dans l’analytique pure 95


TABLE DES MATIÈRES 437

Pages

§ 21. L évidence dans la coïncidence du « même» jugement, quand il est


confus et quand il est distinct. Le concept le plus large de
jugement. 9J

§ 22. Le concept propre au domaine de la morphologie apophantique


conçue comme grammaire pure logique est le jugement au
sens le plus large . 97

Chapitre H. — Apophantique formelle et mathématique formelle. ioo


§ 23. L’unité interne de la logique traditionnelle et le problème de sa
situation par rapport à la mathématique formelle. 100
a) L’autonomie conceptuelle de la logique traditionnelle
en tant qu’analytique apophantique. 100
h) Apparition de l’idée d’une analytique élargie (de la
mathesis universalis de Leibniz) et unification, au moyen
d’une technique méthodique, de la syllogistique
traditionnelle et de la mathématique formelle. 102

§ 24. Le nouveau problème d’une ontologie formelle. Caractérisation


de la mathématique formelle traditionnelle comme ontologie
formelle. 105
§ 25. Séparation thématique et pourtant solidarité in re de l’apophan-
tique formelle et de l’ontologie formelle . 108
§ 26. Raisons historiques ayant contribué à masquer le problème de
l’unité de l’apophantique formelle et de la mathématique
formelle. 110
a) Imperfection du concept de forme-vide pure. 110
b) Imperfection de la connaissance de l’idéalité des forma¬
tions apophantiques. ni
c) Autres raisons qui masquèrent le problème de l’unité de
l’apophantique formelle et de la mathématique
formelle, en particulier absence de recherches authen¬
tiques sur l’originel. 114
d) Remarque sur la position de Bolzano à l’égard de l’idée
d’ontologie formelle. 116
§ 27. Introduction de l’idée d’ontologie formelle dans les Logische
JJntersuchungen. 118
a) Les premières recherches constitutives des objectités
catégoriales dans la Philosophie der Arithmetik. 119
b) Chemin suivi par les Prolégomènes : de l’apophantique
formelle à l’ontologie formelle.. 120
438
LOGIQUE FORMELLE

Pages

Chapitre III. — Théorie des systèmes déductifs et doctrine de la multiplicité.. 123

§ 28. Le niveau le plus élevé de la logique formelle : la théorie des


systèmes déductifs et, corrélativement, la doctrine de la
multiplicité. I23

§ 29. La réduction formalisatrice des sciences nomologiques et la


doctrine de la multiplicité . I2^

§ 30. La doctrine de la multiplicité depuis Riemann. 127

§ 31. Le concept par excellence de multiplicité, corrélativement de


« système déductif », « nomologique », est clarifié par le
concept de « définitude ». I29

§ 32. L’idée suprême d’une doctrine de la multiplicité en tant que


science nomologique universelle des formes de multiplicité 133

§ 33. Mathématique formelle réelle et mathématique des règles du jeu 134

§ 34. Identité de la mathématique formelle complète avec l’analytique


logique complète . 13 6

§ 35. Exposé des raisons pour lesquelles, dans le domaine de la mathesis


universalis conçue comme analytique universelle, seules des
formes déductives de théories peuvent devenir thématiques 137
a) Seule une théorie déductive a une forme systématique
purement analytique. 137
b) Quand un système de propositions a-t-il une forme systé¬
matique devant être caractérisée analytiquement?.. 139

§ 36. Coup d’œil rétrospectif et indication préparatoire des tâches


ultérieures. I42

B) Élucidation phénoménologique
DU CARACTÈRE DOUBLE DE LA LOGIQUE FORMELLE
EN TANT QU’APOPHANTIQUE FORMELLE ET ONTOLOGIE FORMELLE

Chapitre IV. — Orientation vers les objets et orientation vers les jugements.. 143

§ 37. Question concernant le rapport de l’apophantique formelle et


de l’ontologie formelle ; caractère insuffisant des clarifications
effectuées jusqu’à présent . 143

§ 38. Les objets du jugement en tant que tels et les formations syn¬
taxiques . 144
TABLE DES MATIÈRES 439

Pages

§ 39. Extension du concept de jugement à toutes les formations des


actions syntaxiques. I46

§ 40. Analytique formelle en tant que jeu de pensée et analytique


logique. La référence à une application possible est impliquée
par le sens logique de la mathesis formelle. 148

§ 41. La distinction entre attitude apophantique et attitude ontolo¬


gique et la tâche de sa clarification. 150

§ 42. Solution de cette tâche . I3I


a) Le juger n’est pas dirigé vers le jugement mais vers
l’objectité thématique. 151

b) Identité de l’objet thématique dans la variation des opé¬


rations syntaxiques. 153

c) La typique des formes syntaxiques de l’objet en tant que


typique des modes du quelque-chose . 154
d) La double fonction des opérations syntaxiques. 155
e) La cohérence du juger repose sur l’unité de l’objectité-
substrat qui se détermine. Constitution du « concept »
déterminant cette objectité-substrat . 136
f) Les formations catégoriales prenant naissance dans l’acti¬
vité de détermination sont une possession habituelle
et intersubjective . 159
g) Comparaison entre l’objectité déjà donnée préala¬
blement à la pensée et l’objectité catégoriale de
pensée. Elucidation de cette distinction sur l’exemple
de la nature. 160

§ 43. L’analytique en tant que doctrine formelle de la science est


ontologie formelle et en tant que telle est dirigée vers
l’objet . 161

§ 44. Passage de l’analytique en tant qu’ontologie formelle à l’ana¬


lytique en tant qu’apophantique formelle. 163
a) Déplacement thématique qui fait passer des domaines
d’objets aux jugements au sens de la logique. 163
b) Elucidation phénoménologique de ce déplacement théma¬
tique . I(H
a) Orientation de celui qui juge de manière naïve¬
ment immédiate . 164
440 LOGIQUE FORMELLE

Pages

[3) Dans l’orientation critique de l’être qui veut


connaître se distinguent l’objectité inten¬
tionnée en tant qu’intentionnée et l’objectité
réelle . i6j
y) L’attitude du savant : l’intentionné en tant qu’in¬
tentionné est objet de sa critique de la connais¬
sance . 168

§ 4j. Le jugement au sens de la logique apophantique . 170

§ 46. Vérité et fausseté comme résultats de la cridque. Double sens


des notions de vérité et d’évidence. 172

Chapitre V. — Apophantique en tant que doctrine du sens et en tant que


logique de la vérité . 176

§ 47. De l’orientation de la logique traditionnelle vers l’attitude


critique de la science résulte sa position apophantique. ... 176

§ 48. Les jugements comme simples objectités intentionnées appar¬


tiennent à la région du sens. Caractéristique phénoméno¬
logique de l’attitude orientée vers le sens . 178

§ 49. Le double sens de « jugement » (proposition) . 182

§ 50. Extension du concept de sens à la totalité de la sphère inten¬


tionnelle et extension de la logique formelle pour constituer
une axiologie et une pratique formelles . 183

§ 51. La pure logique de la conséquence en tant que doctrine pure


du sens. La décomposition en logique de la conséquence
et en logique de la vérité vaut aussi pour la doctrine de la
multiplicité en tant que niveau le plus élevé de la logique.. 185

§ 52. Mathesis pura proprement logique et mathesis pura extra-logique.


La « mathématique des mathématiciens ». 188

§ 53. Eclaircissements effectués sur l’exemple de la multiplicité eucli¬


dienne. 190

§ 54. Conclusion : établissement du rapport entre logique formelle


et ontologie formelle. 193
a) Position de la question. 193
b) Le double sens corrélatif de la logique formelle . 194
c) L’idée d’ontologie formelle peut être séparée de l’idée
de doctrine de la science. 198
TABLE DES MATIÈRES 441

DEUXIÈME SECTION

DE LA LOGIQUE FORMELLE
A LA LOGIQUE TRANSCENDANTALE Pages

Chapitre Premier. — Psychologisme et fondation transcendantale de la


logique . 203

§ 55. Avec l’établissement de la logique en tant que logique formelle


objective a-t-on satisfait déjà à l’idée d’une doctrine formelle
de la science, même uniquement formelle ?. 2°3
§ 56. Le reproche de psychologisme s’adresse à toute considération
des formations logiques dirigée vers la subjectivité. 205

§ 57. Psychologisme logique et idéalisme logique. 209


a) Motifs qui déterminent ce psychologisme . 209
b) Idéalité des formations logiques : elles apparaissent dans
la sphère psychique logique d’une manière irréelle.. 210

§ 58. Analogie de l’évidence des objets idéaux avec celle des objets
individuels . 211

Caractérisation générale de l’évidence en tant que donation des


§ 59-
choses « elles-mêmes » . 213

§ 60. Légalité fondamentale de l’intentionnalité et fonction universelle


de l’évidence . 217

Rapports fonctionnels de l’évidence en général avec tous les


§ 61.
objets, réels ou irréels, en tant qu’unités synthétiques ... 221

Idéalité de toutes les espèces d’objectités face à la conscience


§ 62.
constituante. La fausse interprétation positiviste de la nature
225
est un type de psychologisme.
Activité originellement productrice en tant que donation des
§ 63.
formations logiques « elles-mêmes » et sens de 1 expression .
226
leur production.
Les objets réels ont un privilège d’existence sur les objets irréels 228
§ 64.
229
Concept plus général de psychologisme ..A'-'
§ 65.
Idéalisme psychologiste et idéalisme phénoménologique. Cri¬
§ 66.
tique analytique et critique transcendantale de la connais-
230
sance .
Le reproche de psychologisme est une incompréhension de la
§ 67- fonction logique nécessaire de la critique transcendantale de
232
la connaissance .
235
68, Aperçu sur les tâches ultérieures .
442 LOGIQUE FORMELLE

Fages

Chapitre II. — Questions initiales de la problématique de la logique trans¬


cendantale : problèmes relatifs aux concepts fondamentaux. 238

§ 69. Les formations logiques sont données dans l’évidence immé¬


diate. Tâche de la thématisation réflexive de cette évidence 238

§ 70. Sens des clarifications que l’on vient d’exiger, ces clarifications
étant prises comme recherche constitutive de l’originel... 240
a) Déplacement des visées intentionnelles et équivoque.. 240
b) La clarification des différents concepts fondamentaux
des disciplines logiques est une mise à nu de la
méthode subjective cachée qui forme ces concepts
et une critique de cette méthode. 242
§ 71. Problèmes des fondements des sciences et recherche constitutive
de l’originel. La logique est appelée à prendre la direction
des autres sciences. 243

§ 72. Structures subjectives en tant qu’a priori corrélatif de l’a priori


objectif. Passage à un nouveau degré de la critique. 246

Chapitre III. —Les présuppositions idéalisantes de la logique et leur critique


constitutive. 248

§ 73- Présuppositions idéalisantes de l’analytique mathématique en


tant que thèmes de la critique constitutive. Identité idéale
des formations de jugement en tant que problème constitutif 248
§ 74. Les idéalités du « et ainsi de suite », de l’infini obtenu par
construction et leur corrélât subjectif . 234

§ 75- La loi analytique de contradiction et sa conversion subjective 233


§ 76. Passage à la problématique subjective de la logique de la vérité 258

§ 77- Présuppositions idéalisantes contenues dans les énoncés de


contradiction et du tiers-exclu. 260

§ 78. Conversion des lois du modus ponens et du modus tollens en lois


subjectives de l’évidence. 263

§ 79. Les présuppositions de la vérité en soi et de la fausseté en soi


et de la « décidabilité » de tous les jugements. 264

§ 80. L’évidence de b présupposition de la vérité; sa critique doit


être prise pour tâche. 267

§ 81. Formulation d’autres problèmes . 270

Chapitre IV. Retour de la critique de l’évidence des principes logiques à la


critique de l’évidence de l’expérience. 27-
TABLE DES MATIÈRES 443

Pages

§ 82. La réduction des jugements aux derniers jugements. Les variantes


catégoriales primitives du quelque-chose et le substrat
primitif « individu » . 273

§ 83. Réduction parallèle des vérités. Référence de toutes les vérités


à un monde d’individus. 276

§ 84. La hiérarchie des évidences; l’évidence première en soi est celle


de l’expérience. Le concept par excellence d’expérience... 278

§ 85. Les tâches authentiques de ce qu’on appelle la théorie du juge¬


ment. La genèse du sens des jugements prise comme fil
conducteur pour la recherche de la mise en ordre hiérar¬
chique des évidences. 279

§ 86. L’évidence de l’expérience antéprédicative comme thème,


premier en soi, de la théorie transcendantale du jugement.
Le jugement d’expérience comme jugement originel. 282

§ 87. Passage aux évidences de plus haut niveau. Question concernant


la dépendance des noyaux à l’égard de l’évidence du général
se rapportant au concret et à l’égard de l’évidence du général
formel. z87
§ 88. La présupposition implicite de la loi analytique de contradiction :
tout jugement peut être amené à l’évidence de la « distinction » 290

§ 89. La possibilité de l’évidence de la « distinction ». 291


a) Le sens en tant que jugement et en tant que « contenu du
jugement ». L’existence idéale du jugement présuppose
l’existence idéale du contenu du jugement. 291
b) L’existence idéale du contenu du jugement est liée aux
conditions de l’unité de l’expérience possible . 293

§ 90. Application aux principes de la logique de la vérité : ils valent


seulement pour des jugements ayant un sens du point de vue
du contenu.

§ 91. Passage à de nouvelles questions . 29^

Chapitre V. — La fondation subjective de la logique comme problème de philo¬


sophie transcendantale.
§ 92. Elucidation du sens de la positivité de la logique objective.... 3°°
a) Référence de la logique traditionnelle à un monde réel.. 3°°
b) La présupposition naïve d’un monde range la logique
parmi les sciences positives. 5°3
444 LOGIQUE FORMELLE

Pages

§ 93. Caractère insuffisant des essais de critique de l’expérience depuis


Descartes . 305
a) La présupposition naïve de la validité de la logique
objective. 305
b) Descartes a manqué le sens transcendantal de la réduction
à l’Ego . 307
c) La fondation de la logique conduit au problème uni¬
versel de la phénoménologie transcendantale. 309
Chapitre VI. — Phénoménologie transcendantale et psychologie intentionnelle.
Ee problème du psychologisme transcendantal. 311
§ 94. Tout existant est constitué dans la subjectivité de la conscience 311
§ 95. Nécessité de partir de la subjectivité propre à chacun. 316
§ 96. La problématique transcendantale de l’intersubjectivité et du
monde intersubjectif. 3x3
a) Intersubjectivité et monde de l’expérience pure . 318
b) L’apparence du solipsisme transcendantal. 323
c) Problèmes du monde objectif qui sont de niveau plus
élevé . 323
d) Considérations finales. 326
§ 97. La méthode de mise à nu de la constitution opérée par la cons¬
cience prise dans sa signification philosophique universelle 327
§ 98. Les recherches constitutives en tant que recherches aprioriques 329
§ 99. Subjectivité psychologique et subjectivité transcendantale.
Le problème du psychologisme transcendantal . 335
§ 100. Remarques historico-critiques sur le développement de la
philosophie transcendantale et en particulier sur la problé¬
matique transcendantale de la logique formelle. 341
Chapitre VII. — Logique objective et phénoménologie de la raison. 355
§ 101. La phénoménologie transcendantale de la raison est ce qui
fonde subjectivement la logique. 333
§ 102. Référence de la logique traditionnelle au monde et question
concernant le caractère de la logique « dernière » qui est la
propre norme de son élucidation transcendantale. 356
§ 103. Fonder absolument la connaissance n’est possible que dans
la science universelle de la subjectivité transcendantale en
tant que seul être existant d’une manière absolue. 361
TABLE DES MATIÈRES 445

Pages

§ 104. La phénoménologie transcendantale en tant qu’auto-explici-


tation de la subjectivité transcendantale . 363

§ 105. Considérations préliminaires pour la conclusion de la critique


transcendantale de la logique. Les théories courantes de
l’évidence se fourvoient du fait de la présupposition de la
vérité absolue . 368

§ 106. Contribution plus poussée à la critique de la présupposition de


la vérité absolue et des théories dogmatiques de l’évidence 371
§ 107. Esquisse d’une théorie transcendantale de l’évidence en tant
qu’effectuation intentionnelle . 375
a J L’évidence de l’expérience externe (sensible). 375
b) L’évidence de l’expérience « interne ». 377
c) Data hylétiques et fonctions intentionnelles. L’évidence
des data temporels immanents . 379
d) L’évidence en tant que forme structurelle apriorique
de la conscience. 383

Conclusion.
385

Appendice I. — Formes syntaxiques et matériaux syntaxiques. Formes-


noyaux et matériaux-noyaux . 389

§ 1. Organisation des jugements prédicatifs . 389


391
§ 2. La référence aux choses dans les jugements .
392
§ 3. Formes pures et matériaux purs .
« 4 Formes de degré inférieur et formes de degré supérieur. Leur
relation de sens les unes par rapport aux autres . 393
S <. L’unité fonctionnelle autonome de l’apophansis indépendante.
Séparation des formes de liaison conduisant a des totalités
en liaison copulative et liaison conjonctive . 394

§ 6. Passage à la sphère catégoriale la plus large . . .. 395


a) Universalité des différentes formes de liaison .. 395
b) Extension à l’ensemble de la sphère catégoriale des
distinctions qui sont en connexion avec 1 organisation
396
de la proposition .y.;
,1 Comparaison du concept catégorial de proposition pris
dans un sens élargi et de celui de 1 ancienne ana¬
396
lytique apophantique.
§ 7. Formes syntaxiques, matériaux syntaxiques, syntaxes. 397
446 LOGIQUE FORMELLE

Fages

§ 8. Syntagme et membre. Les jugements indépendants sont des


syntagmes et il en est de même pour les jugements au sens
élargi . ?99

§ 9. « Contenu du jugement » en tant que matériau syntaxique du


jugement pris comme syntagme . 400

§ 10. Niveaux d’information syntaxique. 401

§ il. Formes et matériaux non-syntaxiques — qui se présentent à


l’intérieur des matériaux syntaxiques purs . 402

§ 12. La formation-noyau avec son matériau-noyau et sa forme-noyau 403

§ 13. Privilège accordé à la catégorie substantive. La substantivation 404

§ 14. Passage aux constructions complexes. 404

§ 13. Le concept de « terme » de la logique formelle traditionnelle... 403

Appendice IL — Remarque sur la constitution phénoménologique du jugement.


Le juger dans l’activité originelle et ses modifications secondaires. 407

§ 1. Le juger actif en tant qu’engendrant les jugements « eux-mêmes »


par opposition à ses modifications secondaires. 407

§ 2. Enseignement que nous donne la théorie générale de l’inten¬


tionnalité .
a) Conscience originelle et modification intentionnelle.
Explicitation intentionnelle statique. Explicitation
de 1’ « opinion » et de ce qui est visé (il s’agit du visé
« lui-même ») dans cette opinion. La multiplicité des
modes possibles de conscience du même objet. 408
b) Explicitation intentionnelle de la genèse. Caractère originel,
génétique aussi bien que statique, du mode de donnée
qui relève de l’expérience. « Fondation primitive »
de P « aperception » pour toute catégorie d’objets . 410
c) La forme temporelle de la genèse intentionnelle et sa
constitution. Variation retentionnelle. Sédimentation
dans le tréfonds où se trouve ce qui n’est pas détaché
(ce qui est inconscient). ^I2

§ 3. Modes de donnée du jugement qui sont des modes non-originaux 413


a) La forme rétentionnelle est la forme première en soi de la
« sensibilité secondaire ». Transformation vivante de
la constitution d’un jugement composé de nombreux
membres. ..,
. 413
TABLE DES MATIÈRES 447

Pages

b) Le ressouvenir passif et son action pour la constitution


du jugement en tant qu’unité persistante. 414

c) L’apparition d’une idée en tant que surgissement aper-


ceptif est analogue au surgissement du ressouvenir
passif. 415
§ 4. Possibilités essentielles de rendre actifs les modes passifs de donnée 416

§ 5. Formes fondamentales que prennent le juger originellement


producteur et le juger en général . 417

§ 6. Le juger indistinct, considéré sur le plan du langage, et sa fonction. 419

§ y. Supériorité de la confusion attachée a la rétention et de celle


attachée au ressouvenir sur la confusion attachée à 1 aper-
ception : il existe en effet dans la rétention et dans le ressou¬
venir une évidence secondaire. 421

Appendice ni. — Remarque sur l’idée d’une « logique de la simple non-


contradiction » ou « logique de la simple conséquence ». 423

§ 1 Le but de la non-contradiction formelle et de la conséquence


formelle. Conception large et conception étroite de ces
concepts . 423

§ 2. La construction systématique et radicale d’une analytique pure


renvoie à la doctrine des syntaxes ... 427

K 2. Caractérisation des jugements analytiques comme jugements sim¬


plement « explicatifs » et comme « tautologies » . 429
§ 4. Remarques sur la tautologie au sens de la logistique par O. Becker
(se rapportant aux §§ 14-18 du texte). 431

Lexique des principaux termes husserliens. 433


1965. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. Vendôme (France)
ÉDIT. N° 28 214 imprimé EN FRANCE IMP. N° 18 643
trent U

64 03030

E3279 .H93F7 1965

Husserl, Edmund

Logique formelle et logique


transcendantale.

1SSUED TO

>19
É p i M ET h É E
Collection dirigée par Jean HYPPOLITE

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et introduction par Jacques Derrida. F. 10 »
Edmund HUSSERL. — LEÇONS POUR UNE PHÉNOMÉNOLOGIE
DE LA CONSCIENCE INTIME DU TEMPS. Traduction par Henri
Dussort. F. 12 »
Edmund HUSSERL. — RECHERCHES LOGIQUES :
T. I : Prolégomènes à la logique pure. Traduction par H. Ëlie F. 14 »
T. II Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la
connaissance. Traduction par Hubert Ëlie, L. Kelkel et R. Schérer,
2 vol., ensemble. F. 34 »
T. III Eléments d’une élucidation phénoménologique de la
connaissance. Traduction par Hubert Ëlie, L. Kelkel et R. Schérer
(Recherche VI). F. 16 »
Edmund HUSSERL. — LOGIQUE FORMELLE ET LOGIQUE TRANS¬
CENDANTALE. Traduction par Suzanne Bachelard. F. 18 »
Martin HEIDEGGER. — QU’APPELLE-T-ON PENSER? Traduction
par Aloys Becker et Gérard Granel. F. 12 »
Jean Hyppolite. — LOGIQUE ET EXISTENCE. Essai sur la Logique
de Hegel (2e éd.). F. 10 »
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ESTHETIQUE, 2 vol., ensemble. F. 24 »
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Nature humaine selon Hume. F. 7 »
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Ludwig FEUERBACH. — MANIFESTES PHILOSOPHIQUES. Tra¬
duction de Louis Althusser. F. 12 »
Jeanne Delhomme. — LA PENSEE INTERROGATIVE. - 9 »
Quentin Laver. — PHENOMENOLOGIE DE HUSSERL_ - 15 »
André Neher. — L’ESSENCE DU PROPHETISME. - 11 »
Jean Nabert. — ESSAI SUR LE MAL. - 7 »
Jean Beaufret. — LE POEME DE PARMENIDE. - 5 »
Maurice Dupuy. — LA PHILOSOPHIE DE MAX SCHELER, 2 vol.,
ensemble. F. 30 »
— LA PHILOSOPHIE DE LA RELIGION CHEZ MAX SCHELER
F. 12 »
Beda Allemann. — HOLDERLIN ET HEIDEGGER. Traduction par
François Fédier. F. 14 »
Jules Vuillemin. — MATHEMATIQUES ET METAPHYSIQUE
CHEZ DESCARTES. F. 16 »
— LA PHILOSOPHIE DE L’ALGEBRE. T. I . - 36 »
Michel Alexandre. — LECTURE DE KANT. Textes rassemblés et annotés
par Gérard Granel. F. 12 »
Michel Henry. — L’ESSENCE DE LA MANIFESTATION, 2 vol.
ensemble. F. 40 »
Roger Martin. — LOGIQUE CONTEMPORAINE ET FORMALI¬
SATION . F. 12 »
Gilbert Simondon. ■— L’INDIVIDU ET SA GENÈSE PHYSICO-BIOLO¬
GIQUE. F. 15 »

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

1965-1 — lmp. des Presses Universitaires de France, Vendôme (France)

28 214. C imprimé en France •


F. 18 » +T.R.

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