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En philosophie, le terme « empirisme » désigne un courant de pensée très ancien, mais dont
on considère qu’il a connu son plein épanouissement aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la
plume de philosophes britanniques tels que Thomas Hobbes, John Locke, George Berkeley ou
encore David Hume. Tel qu’on le présente d’ordinaire, cet « empirisme britannique » se serait
constitué en réaction au « rationalisme continental », mouvement sous la bannière duquel on
enrôle habituellement des auteurs tels que Platon, René Descartes, Nicolas Malebranche ou
encore Gottfried Leibniz. L’opposition entre empirisme et rationalisme reposerait alors sur un
désaccord concernant la source de la connaissance : tandis que pour l’empirisme, celle-ci
dérive essentiellement de l’expérience sensible et est en ce sens a posteriori, pour le
rationalisme elle n’est au contraire rendue possible et garantie que par la raison, et a donc un
fondement a priori (indépendante de l’expérience).
Dans le travail qui va suivre, nous allons d’abord voir comment cette doctrine a évolué de
l’antiquité jusqu’à l’époque moderne, quels sont ses précurseurs avant d’en arriver à ses
limites.
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I - HISTOIRE
A - ANTIQUITE
1- Médecine et scepticisme
Le « passage au même ».
Il ne semble néanmoins pas que cette forme d'empirisme ait joué un rôle dans l'élaboration du
mouvement né en Angleterre, si ce n’est peut-être chez Hume, par l'intermédiaire de
l'influence du scepticisme. Plus d’informations peuvent être trouvées dans l'œuvre de Victor
Brochard, La Méthode expérimentale chez les Anciens.
La théorie des prénotions d'Épicure est proche de l'empirisme, et a été rangée sous cette
étiquette par Kant. Dans l'épistémologie épicurienne, toute connaissance provient de la
sensation causée par les simulacres qui sont produits par les corps extérieurs.
C'est d'Aristote que John Locke reprend la conception de l'esprit comme tabula rasa, la table
rase qui reçoit les impressions comme de la cire. En effet, Aristote concevait la connaissance
comme l'abstraction de formes intelligibles à partir des objets sensibles, l'abstraction
consistant en l'effacement des particularités pour obtenir une définition universelle. L'âme
reçoit donc les formes intelligibles passivement (bien qu'elle les contienne toutes en
puissance, à l'état de possibles) : c'est l'objet naturel qui est cause directe de la connaissance ;
la sensation actualise dans l'âme (l'intellect) la forme intelligible (quiddité) qui signifie dans
l'objet naturel sa structure rationnelle ou substance. Jean Philopon rappelle ceci à propos de
l'âme selon Aristote : « Aristote la représente par une tablette non écrite et la nomme au sens
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propre faculté d'apprendre. Platon, cependant, la représente par une tablette écrite et la nomme
faculté de s'instruire par remémoration ».
B - MOYEN ÂGE
Francis Bacon (1561-1626) est le père de l'empirisme sous sa forme moderne. Il pose le
premier les fondements de la science moderne et de ses méthodes. Dans son étude des faux
raisonnements, sa meilleure contribution a été dans la doctrine des idoles. D'ailleurs, il écrit
dans le Novum Organum (ou « nouvelle logique » par opposition à celle d’Aristote) que la
connaissance nous vient sous forme d'objets de la nature, mais que l'on impose nos propres
interprétations sur ces objets.
D'après Bacon, nos théories scientifiques sont construites en fonction de la façon dont nous
voyons les objets ; l'être humain est donc biaisé dans sa déclaration d'hypothèses. Pour Bacon,
« la science véritable est la science des causes ». S’opposant à la logique aristotélicienne qui
établit un lien entre les principes généraux et les faits particuliers, il abandonne la pensée
déductive, qui procède à partir des principes admis par l’autorité des Anciens, au profit de l’«
interprétation de la nature », où l’expérience enrichit réellement le savoir. En somme, Bacon
préconise un raisonnement et une méthode fondés sur le raisonnement expérimental :
« L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses
provisions. Le dogmatique, telle l'araignée ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa
propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des
champs, puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. (…) Notre plus grande
ressource, celle dont nous devons tout espérer, c'est l'étroite alliance de ces deux facultés :
l'expérimentale et la rationnelle, union qui n'a point encore été formée. »
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C - L'EMPIRISME MODERNE
1- Développements
L'empirisme moderne est un mouvement philosophique qui naît en Angleterre. Il prend racine
au XVIe siècle et s'épanouit principalement aux XVIIe et XVIIIe siècles. Selon le sociologue
des sciences Robert King Merton (dans Éléments de théorie et de méthode sociologique,
1965), l'empirisme aurait percé dans le champ scientifique grâce à ses liens étroits avec
l'éthique protestante et puritaine. Le développement de la Royal Society de Londres, fondée
en 1660 par des protestants, en est ainsi l'expression aboutie : « la combinaison de la
rationalité et de l'empirisme, si évidente dans l'éthique puritaine, forme l'essence de la science
moderne », explique Merton.
À l'origine, l'empirisme pouvait se concevoir comme un matérialisme (pour Francis Bacon et
Thomas Hobbes), dans la mesure où il fut l'une des formes d'opposition à la scolastique, lors
de la naissance de la science moderne (avec Galilée). Bien qu'empirisme et matérialisme
aillent souvent de pair, il n'y a pas de lien nécessaire entre les deux (comme le montrent
l'immatérialisme de Berkeley et le spiritualisme de James).
L'empirisme définissait des modes de connaissance dérivés de l'expérience et de la logique
qui s'affranchissaient de la Révélation. L'empirisme accompagna ainsi la naissance de la
science moderne, caractérisée par sa mathématisation et son utilisation massive de la méthode
expérimentale. L'apport de Newton à la science s'inscrit dans ce contexte intellectuel
empiriste.
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Denis Diderot (1713-1784), écrivain et encyclopédiste qui soutint un « matérialisme
enchanté »;
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III - POSTERITE CONTEMPORAINE DE L'EMPIRISME
L'empirisme eut une importante postérité dans la philosophie analytique : l'empirisme logique
(Cercle de Vienne), le réfutationnisme de Popper, l'épistémologie évolutionniste, le
pragmatisme de Quine et l'esthétique analytique en découlent notamment.
L'empirisme n'a pas été sans postérité dans la philosophie continentale. Son influence se fait
sentir dans la philosophie de Bergson, via sa lecture de James et des sensualistes, et dans la
philosophie de Deleuze, qui a consacré un livre à Hume, créant ainsi la notion d'« empirisme
transcendantal ». Pour la phénoménologie, Husserl s'inspire de Mill lors de sa période
psychologiste (dans la Philosophie de l'arithmétique, 1891), et il rend hommage à Hume dans
les Ideen I (1913), tout en cherchant à le réfuter (période phénoménologique).
D'un point de vue religieux, l'empirisme et l'agnosticisme qui peut en découler ont été
condamnés par Pie X dans son encyclique Pascendi.
L’agnosticisme est une conception selon laquelle l'esprit humain ne peut accéder à l'absolu.
Selon les agnostiques, il est impossible de trancher le débat sur l'existence d'un dieu ou d'une
divinité, il n'y a aucune preuve définitive sur le sujet et il n'est pas possible de se prononcer.
Les agnostiques tendent à n'accorder aucune transcendance ni aucune valeur sacrée aux
religions (prophète, messie, textes sacrés…) et à leurs institutions (clergé, rituels,
prescriptions diverses…). Aux yeux d'un agnostique, les religions sont bien trop « humaines »
du fait de leurs modes de fonctionnement et des dynamiques anthropologiques sur lesquelles
elles reposent (soutien psychologique face à la mort, analogie anthropocentrique d'un dieu
bâtisseur de l'Univers…) pour qu'elles puissent avoir un quelconque lien direct avec une
éventuelle et hypothétique forme d'intelligence surnaturelle. )
IV - DOCTRINE
1- Épistémologie
V - THESES ET PROBLEMES
2) qu'est-ce qui valide une théorie ? (dont traitera la partie « Méthode et logique »).
Hume répond à ces deux problèmes dans l'Enquête sur l'entendement humain (1748),
synthétisant ainsi la position empiriste héritée de Locke et annonçant celle de Carnap.
À la question de l'origine de la connaissance, Hume répond que toutes les idées que contient
l'esprit humain sont des copies de sensations originelles. L'impression immédiate est première
dans le processus de connaissance, puis viennent l'imagination et le souvenir. L'imagination
consiste en l'anticipation d'une perception. Néanmoins, l'esprit humain ne peut anticiper que
des perceptions qu'il connaît déjà. Hume récuse l'idée d'un imaginaire radical qui précéderait
la sensation, contrairement à la thèse que développera plus tard Castoriadis. Quant au
souvenir, il consiste en la remémoration d'une perception passée, déjà vécue. Là encore, la
sensation est première.
Hume expose deux arguments pour justifier cette conception :
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Il n'existe pas d'idée dans l'esprit humain qu'on ne puisse ramener à une sensation qui
en est à l'origine ;
Un aveugle ne peut pas concevoir les couleurs (problème de Molyneux).
À propos des idées générales, la position empiriste rejoint souvent celle du nominalisme.
L'empirisme, y compris celui de Hume, considère que toute idée simple se rapporte à une
sensation particulière, et que toute idée complexe peut être décomposée en idées simples se
rapportant elles-mêmes à une sensation particulière. Cela signifie qu'il n'existe pas d'idée «
pure », indépendante de l'expérience. Même les concepts les plus généraux et les plus abstraits
sont des représentations tirées de l'expérience, ou alors ce ne sont que des fictions vides qui
sont dépourvues de sens. C'est ainsi que l'on a pu désigner la philosophie empiriste comme un
« psychologisme » : la thèse fondamentale du psychologisme est que toute pensée n'est qu'une
représentation subjective. Il n'y aurait donc pas d'idées générales ou pures ou objectives ou
indépendantes du sujet qui les pense.
2- Psychologie et histoire
La philosophie empiriste met ainsi l'accent sur la façon dont le sujet connaissant perçoit le
monde et ressent les émotions, au détriment d'une spéculation sur l'essence du monde ou sur
les idées innées, qui n'est pour Hume qu'un vide théorique et un jargon trompeur. La
psychologie empiriste développera notamment l'associationnisme ou théorie de l'association
des idées. Hume définit le pouvoir et la liberté de l'esprit comme la faculté de composer des
idées complexes avec des idées simples, s'inspirant de la théorie de Locke, l'un des premiers à
développer l'associationnisme. L'esprit ne peut pas créer ou inventer des idées ex nihilo, mais
il peut mélanger à sa guise celles qu'il a obtenues par l'expérience pour en former de
nouvelles.
De même, l'empirisme manifeste un grand intérêt pour l'histoire, en tant que science de
l'expérience proprement humaine. Hume fera lui-même œuvre d'historien : il livrera à la
postérité une Histoire de l'Angleterre (The History of England, 1754-1762).
3- Méthode et logique
Sur le plan de la méthode, les empiristes développèrent un moyen original de résolution des
problèmes.
Hume propose ainsi une méthode simple qui, selon lui, permettra à l'avenir de résoudre
l'ensemble des épineux problèmes philosophiques. Elle consiste à « rechercher de quelle
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impression dérive cette idée supposée [l'idée qui pose problème] ». Cette méthode est un
principe d'économie, car elle est simple et permet pourtant, d'après les empiristes, de résoudre
la plupart des problèmes. Tout discours, qu'il soit scientifique ou philosophique, et quel que
soit son degré de complexité, doit toujours pouvoir être ramené à un fait brut, une expérience
pure, un objet singulier et immédiat de la sensation. Si ce n'est pas le cas, alors ce discours est
tout simplement vide, c'est une fiction dépourvue de sens. On trouvait déjà cette idée chez
Guillaume d'Ockham (dans la Somme de logique), pour qui un signe n'avait de valeur que s'il
pouvait supposer pour un objet singulier dans une proposition.
Cette méthode présuppose néanmoins une distinction entre les faits et les pensées. Elle
postule qu'il existe des faits purs d'un côté, et de l'autre des signes généraux utilisés par
l'entendement humain pour se représenter le monde. Il existe donc deux moyens d'analyser la
validité d'une pensée : premièrement, en interroger la cohérence logique (c'est l'ordre des
vérités « de relation » ou analytiques), deuxièmement, en interroger le rapport à un fait brut
(c'est l'ordre des vérités « de fait » ou synthétiques). Toute la question sera alors de déterminer
le statut de ces vérités analytiques qui ne dépendent pas de l'expérience. Pour les empiristes
les plus radicaux (ou nominalistes), les vérités analytiques sont vraies mais sont également
vides, elles ne nous apprennent rien. Il n'y a que les vérités synthétiques qui nous apprennent
quelque chose sur le monde.
Cette distinction entre les faits et les pensées explique en partie le développement que
connaîtra l'empirisme sous sa forme logique, chez Carnap par exemple. L'empirisme logique
développe la double exigence de vérifier le langage utilisé par l'analyse logique (c’est à dire
détecter les contradictions et les tautologies) et par le renvoi éventuel à un objet singulier et
immédiat de l'expérience. Cela explique en outre le primat de la philosophie du langage, y
compris chez le premier Wittgenstein (dans le Tractatus logico-philosophicus), ainsi que dans
les conceptions épistémologiques partagée par le positivisme logique du Cercle de Vienne. La
plupart des difficultés en philosophie auraient pour origine une confusion quant aux termes
employés, qu'il faut clarifier à l'aide des outils logiques et expérimentaux.
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CONCLUSION
En conclusion nous pouvons dire que l'empirisme désigne un ensemble de théories
philosophiques qui font de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance ou croyance et
de tout plaisir esthétique. Il s'oppose en particulier à l'innéisme et plus généralement au
rationalisme « nativiste » pour lesquels nous disposerions de connaissances, idées ou
principes avant toute expérience. L'empirisme est à l'origine de la théorie associationniste de
l'esprit en psychologie, qui explique la formation des représentations mentales par la
conjonction d'idées simples.
Défendu principalement par les philosophes Francis Bacon, John Locke, Condillac, George
Berkeley, David Hume et des scientifiques comme Ibn Al Haytham, l'empirisme considère
que la connaissance se fonde sur l'accumulation d'observations et de faits mesurables, dont on
peut extraire des lois générales par un raisonnement inductif, allant par conséquent du concret
à l'abstrait.
L'empirisme a des implications non seulement en philosophie et épistémologie, mais aussi
dans divers domaines d'étude : logique, psychologie, sciences cognitives, esthétique et
linguistique en particulier.
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