La philosophie moderne commence indiscutablement avec Descartes qui
en est le père fondateur ; et ce qui la caractérise par rapport à la philosophie antérieure, par exemple la philosophie scolastique, c'est ce que l'on pourrait appeler le choix d'une voie qui est celle des idées. Dès son premier travail, Les Règles pour la direction de l'esprit – dont le titre est significatif – (1628), Descartes assigne à la philosophie une tâche dont on peut dire qu'elle est nouvelle : la connaissance de l'esprit humain, de son étendue et de ses limites, c'est-à-dire de son pouvoir de connaissance. On peut avancer sans risque que ce programme cartésien sera celui de toute la philosophie moderne au moins jusqu'à Kant, qui lui donnera une forme différente et sans doute définitive : car Kant récapitule cette philosophie nouvelle. Ce que l'on appelle la « révolution copernicienne » a consisté à montrer que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil et non l'inverse. En matière de connaissance, Kant a rendu cette expression célèbre puisque, selon lui, l'objet de la philosophie était également de faire tourner l'objet de la connaissance autour du sujet, et pas l'inverse. Cela revenait à considérer que l'objet est presque une fonction du sujet, et que le sujet n'est donc pas un objet comme un autre. Cette révolution copernicienne de la connaissance, Descartes l'entame avec ses Règles pour la direction de l'esprit, où l'esprit est un ingenium (quelque chose d'ingénieux, d'inventif) : c'est l'esprit qui recherche, qui invente, qui utilise une méthode grâce à laquelle il va connaître, selon un ordre relativement facile à suivre, le plus de choses possibles… CONCLUSION En affichant le caractère personnel de cette histoire de la philosophie moderne, nous nous sommes donné la liberté de choisir, dans l'œuvre de chacun des philosophes étudiés, ce qui nous a semblé le plus caractéristique de cette époque si fertile en génies philosophiques. En effet, à quelle autre époque peut-on comparer celle présentée dans ce livre ? Selon nous, seulement à celle de la philosophie grecque des quatre derniers siècles avant J.-C., période qui a vu en peu de temps se former des systèmes de pensée sur lesquels s'appuiera toute la pensée ultérieure, période également d'essor sans précédent des sciences (mathématiques, astronomie et médecine, particulièrement) et de l'émergence de la raison. Non pas qu'avant Socrate et Platon, la raison n'existait pas, bien entendu : les hommes, si primitifs soient-ils, se sont toujours servi de leur raison pour vivre et travailler. Mais il y a loin entre savoir se servir d'un instrument et en faire la théorie. La philosophie grecque n'a pas « inventé » la raison, mais elle en a produit l'idée et en a dégagé la valeur. L'opposition des philosophes les uns aux autres, objection si souvent faite non sans l'arrière-pensée de discréditer la philosophie du fait même de cette multiplicité de systèmes qui prétendent contradictoirement être les seuls à dire la vérité, n'empêche pas, lorsqu'on n'a pas d'arrière-pensée polémique, de trouver une logique dans leur succession et même un accord sur le fond, qui est la défense de la raison. Chaque fois qu'une science nouvelle apparaît, ou, mieux encore, qu'un nouveau paradigme scientifique s'impose, la philosophie perçoit une injonction à reprendre à nouveaux frais sa réflexion sur la raison…