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INTRODUCTION
Le désir de liberté chez l'homme ne fait pas de doute. C’est ce désir d’être libre qui se profile
derrière toutes nos conduites et actions. Mais, ce dont on ne peut non plus douter, c'est le fait que des
déterminismes existent qui entravent la liberté humaine. Il s'agit de facteurs à la fois extérieurs et internes à
l'homme, qui marquent des limites à nos actions et les conditionnent et cela, indépendamment de notre
volonté. Ce qui nous amène à nous interroger : la liberté humaine n’est-elle pas une illusion ? En d’autres
termes, l’homme peut-il être libre ? En vue de résoudre ce problème, nous montrerons dans un premier
temps que les hommes sont soumis à de nombreux déterminismes. Ensuite, nous montrerons que malgré
ces déterminismes, l’homme est d’essence libre. Enfin, nous montrerons comment malgré la présence de
ces déterminismes, l'homme est dit libre.
a. Le déterminisme historique
L'homme est un être déterminé historiquement. Cela signifie que son existence et le déroulement de
son existence ne dépendent pas de lui. Si l'homme est conscient de son existence, il ignore cependant l'origine,
la cause et la finalité de cette existence. Il est soumis au devenir historique. Il subit les événements, les
changements, le temps comme les choses de la nature dont il veut se distinguer. Les événements se déroulent,
les changements interviennent et se succèdent sans qu'il puisse les contrôler en réalité et les choses se déroulent
malgré lui. HEGEL (1770-1831), un des penseurs qui soutiennent ce déterminisme historique écrit à ce sujet
dans La Raison dans l'histoire: «la Raison est présente dans l'histoire universelle. Non point la
raison subjective, particulière, mais la Raison divine, absolue. L’histoire universelle n'est que la
manifestation de cette Raison unique. » Pour HEGEL, le devenir des hommes, des sociétés, bref
l'histoire de l'humanité est décidée et déterminée par la Raison. La Raison ici n'est pas la faculté humaine,
mais un principe divin immanent aux choses. C'est cette puissance spirituelle infinie qui donne forme au
réel, s’incarne dans les différentes réalités du monde et qui commande toute existence y compris celle de
l’homme.
b. Le déterminisme naturel
L'homme est naturellement déterminé. En effet dans la nature, il existe un ordre, un ensemble de lois
comme la pesanteur, les lois du mouvement, les lois de la reproduction. Ce sont ces lois qui régissent tous les
êtres. Comme les pierres, les plantes et les bêtes, l'homme est soumis à ces lois. Il ne peut échapper à
l'attraction terrestre, il ne peut enfreindre les lois biologiques sans s'exposer à des dangers. Claude BERNARD
(1813-1878), l'un des tenants de cette conception écrit en ce sens dans Introduction à l'étude de la médecine
expérimentale : « Il y a un déterminisme absolu dans les conditions d'existence des phénomènes, aussi
bien dans les corps vivants que dans les corps bruts. »Par-là, Claude BERNARD veut dire que les êtres
n'existent pas par hasard et ne sont pas constitués par hasard. Ils sont organisés selon des lois, des relations
invariables. L'homme étant avant toute considération philosophique, un être naturel, il est aussi soumis à ces
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lois.
c. Le déterminisme social
L'homme est socialement déterminé. Cela revient à dire que son être, son existence, ses conduites ne sont pas
décidées par lui-même, mais décidées et orientées par la société, c'est-à-dire la vie de groupe. Il naît forcément
au sein d'une société, il ne peut que naître dans ce milieu. Ce sont les lois sociales qui décident de son identité et
lui indiquent ce qu'il a à faire. Il naît d'une famille pauvre ou riche. En dehors de ces deux classes, il n'y a pas
d'autres choix possibles pour lui. Aucune conduite personnelle n'est vraiment personnelle et authentique. Il
parle en utilisant les mots de la langue et selon les règles de la langue qui est un fait social. Lorsqu'ARISTOTE
(384-322) écrit dans la Politique que« l'homme est par nature un animal politique», il veut certes dire que
l'homme n'est pas un être isolé et solitaire et que ce sont les relations sociales qui le définissent. Mais on peut
comprendre aussi par-là que l'homme est socialement déterminé. C'est un être conditionné et donc soumis aux
relations sociales, aux règles sociales.
d. Le déterminisme psychologique
On peut aussi noter que l'homme est soumis à un déterminisme psychologique. Cela signifie que le
comportement de l'homme n'est pas le résultat de sa volonté libre et rationnelle. La conduite humaine dépend en effet
d'un ensemble de lois mentales, psychiques qui échappent à notre conscience, à notre volonté et contrôlent celle-ci.
Ces lois sont essentiellement inconscientes, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à la zone obscure de l'âme humaine qui
se trouve au-delà de la conscience. Gustave LE BON (1841-1931) pour exprimer ce déterminisme écrit ceci dans
Psychologie des foules:« Nos actes conscients dérivent d'un substratum inconscient formé surtout
d'influences héréditaires. »Il faut entendre par là qu'il n'y a ni hasard ni liberté dans l'action humaine Nos conduites
se produisent selon des lois psychiques inconscientes et héritées de nos ancêtres.
Au regard de tout ce qui précède, l'homme apparaît comme un être déterminé. Mais que vaut cette
conception de l'existence humaine? La possibilité de choisir, les conquêtes de l'homme, les inventions de l'homme, la
culture, bref l'action de l'homme en général, ne montrent-elles pas que l'homme n'a pas une existence passive? Que
son existence n'est pas une existence subie? Et que l'homme est libre ?
Malgré ces déterminismes, l'homme est un être libre. Cette nature libre de l'homme s'entend de deux manières.
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d'être appelé homme, il n'appartient pas à l'humanité.
Mais quand bien même, un être humain s'aliènerait, cette aliénation pourrait impliquer et cacher une volonté
de liberté. Alors, le sujet par une ruse se soumet pour triompher plus tard de son maître. Ainsi quelle que soit
l'attitude, la situation de l'homme, la liberté demeure le motif fondateur de la conduite. Ce souci permanent de liberté
est ce que J.-P. SARTRE (1905-1980) exprime en ces termes dans L’Être et le néant:« L'homme ne saurait
être tantôt libre tantôt esclave: il est tout entier libre ou il n'est pas. »Il faut entendre par là que l'homme et
la liberté ne font qu'un. La liberté, pouvoir que détient la conscience de se soustraire à la chaîne des causes et
d'échapper aux déterminations se confond avec l'être de l'homme. Dès lors, l'homme ne cesse d'être libre que
quand il meurt.
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peine de la perdre. La liberté est en nous comme une étincelle. Si elle n'est pas activée, soufflée, elle s'éteint. Le
devoir de chaque homme est de l'activer pour qu'elle devienne une flamme. C'est ce qu'ALAIN (1868-1951)
exprime en ces termes dans Éléments de philosophie: « Ne comptons pas le libre arbitre au nombre des
choses qui existent. Il est trop clair qu'on peut le perdre, il suffit qu'on y consente. Et nul ne peut le
délivrer que lui- même. Il faut se faire libre. » La liberté en tant que pouvoir de choisir est à construire par
nos propres actes, par les actes du sujet désirant la liberté. Cela sous-entend que les uns peuvent être plus libres
que les autres, donc tous ne sont pas libres également. Il y a différents degrés de liberté: on trouve des degrés
moindres et des hauts degrés. Si certains hommes ou certains peuples sont plus libres que d'autres, c'est compte tenu
de leur conscience élevée de cette liberté. Ils savent qu'ils ne doivent jamais la perdre. Et que pour ce faire, ils doivent
sans cesse l'accroître, l'étendre. Ainsi cette différence de liberté vient de ce que les uns comprennent que la liberté est une
conquête permanente et perpétuelle. C'est ce que MALEBRANCHE (1638-1715) veut nous faire comprendre
dans le Traité de la nature et de la grâce:« On s'imagine ordinairement que la liberté est égale dans tous les
hommes et que c'est une faculté essentielle aux esprits. Mais on se trompe. Il n'y a pas deux personnes
également libres à l'égard des mêmes objets. Il faut prendre garde que le principal devoir des esprits, c'est de
conserver et d'augmenter leurs libertés.» Par ce propos ce philosophe veut dire que la liberté se conquiert. Mais
comment cette conquête s'effectue par rapport aux déterminismes et autres nécessités?
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l'homme parvient à connaître les choses et à comprendre leur mode de fonctionnement par lui-même.
Maîtrisant donc les lois de la nature, l'homme les met à profit pour agir. D'une part cette action humaine
consiste en fait à modifier et transformer la nature en se soumettant aux lois mêmes de la nature. C'est ainsi que
connaissant les saisons, le cycle végétal et les lois pédologiques, il parvient à faire de l'agriculture; connaissant la
biologie des animaux, l'homme parvient à faire de l'élevage. Sans une connaissance des lois naturelles, l'homme serait
incapable de mener des actions efficaces et de s’affranchir des contraintes naturelles. C'est l'idée soutenue par
ENGELS (1820-1895) dans Anti-Dühring : «La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l'égard des
lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre
en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées.» Par ce propos ENGELS veut dire que la liberté
humaine se manifeste par la connaissance des lois de la nature et par l'exploitation de ces lois sur plan pratique.
D'autre part, la connaissance des lois naturelles permet à l'homme de se délivrer de la dépendance naturelle car
l'homme n'attend plus la nature pour satisfaire ses besoins. En plus et surtout, l'homme, le plus faible des animaux,
acquiert des forces pour résister aux agressions de la nature et triompher de la nature, parce que par la maîtrise
théorique des phénomènes, il conçoit des substances et instruments. Ces techniques lui permettent ainsi de passer de
la condition naturelle d'être inférieur et faible à celle d'un être supérieur et puissant. C'est ce qu'exprime René
DESCARTES (1596-1650) dans le Discours de la méthode:« Il est possible de parvenir à des connaissances
qui sont fort utiles à la vie. Connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux
et de tous les autres corps qui nous environnent, nous les pourrions employer et ainsi nous rendre comme
maître et possesseur de la nature. » L'invention des machines et des divers procédés sont des manifestations de la
liberté humaine. Si les objets techniques nous permettent de satisfaire nos besoins vitaux et désirs, ils augmentent nos
forces et nous libèrent des ordres, agressions et contraintes naturels.
L'homme montre sa liberté aussi par l'interrogation sur soi. Il découvre alors qu'il n'est pas qu'un être conscient, mais
qu'il est aussi inconscient. Davantage il découvre que pour être pleinement conscient, il doit prendre en compte sa
dimension inconsciente. C'est la seule condition pour lui de vaincre la maladie mentale qui réduit le champ de la
conscience et remet en cause sa liberté. En effet la théorie psychanalytique, en découvrant l'origine inconsciente
des troubles psychiques, contribue à la connaissance de l'homme et à la guérison de l'homme. Cette connaissance et
cette guérison sont en elles-mêmes des processus de libération car elles étendent le champ de la conscience. En clair,
la conscience se constitue et se reconstitue lorsque le sujet, sous la conduite du psychanalyste renonce à ses pulsions
agressives et se libère de ses pulsions. Dans Introduction à la psychanalyse, FREUD traduit cette fonction
libératrice de la psychanalyse en ces termes:« Notre thérapeutique agit en transformant l'inconscient en
conscient, et elle n'agit que dans la mesure où elle est à même d'opérer cette transformation. » Entendons par
là que pour Freud, la psychanalyse guérit ses patients par la prise de conscience. Par ce fait elle les rend libres.
Paul RICOEUR à la suite de FREUD écrit qu'il ne s'agit pas d'une simple prise de conscience. Il s'agit
davantage de libération, de liberté car le sujet rompt avec l’état morbide qui l’aliénait. Dans Philosophie de la
volonté il écrit : « L'analyste est l'accoucheur de la liberté, en aidant le malade à former la pensée qui
convient à son mal ; il dénoue sa conscience et lui rend sa fluidité, la psychanalyse est une guérison par
l'esprit. » On peut comprendre par-là que l'invention de la cure psychanalyse contribue à accroître la liberté de l'homme.
L'homme, être de liberté ne peut supporter l'aliénation mentale. C'est pourquoi il invente la psychanalyse pour se
délivrer des troubles psychiques.
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nature il élabore des règles pour régir les relations. Si ces règles libèrent c'est dans la mesure où les hommes s'y
soumettent volontairement. ROUSSEAU (1712-1778) défenseur de ce point de vue écrit dans Lettres écrites de la
montagne : « Il n'y a point de liberté sans loi, ni là où quelqu'un est au-dessus des lois. » Dans une société,
dans un État si des lois existent et que des individus ne les respectent pas, alors nul ne sera libre : ni les contrevenants
ni les bons citoyens. Les bons citoyens menacés par les mauvais tenteront eux aussi de se faire justice et cela
engendrera le désordre, l'anarchie. Ou alors c'est la force publique de l'État qui se chargera de traquer ces fauteurs de
troubles. Ainsi, dans la vie sociale, les hommes ne sont libres que dans la mesure où ils respectent les lois établies.
Mais ils doivent comprendre que ces lois établies ne pourront davantage les rendre libres que s'ils participent
effectivement à leur élaboration. Si les citoyens ne prennent pas part à la conception et mise en place des lois, celles-ci
leur restent étrangères et donc leur paraissent contraignantes. C'est ce que J-J. ROUSSEAU (1712-1778) exprime en
ces termes dans Du Contrat social: « L’obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté.» Par ce propos, J-J.
ROUSSEAU veut certes dire que la loi sociale qui libère est celle qui émane de la volonté du peuple auquel elle
s'applique. Mais il faut comprendre aussi par-là, que chaque citoyen est invité à prendre part effectivement et
activement à la vie publique. Cela par ses réflexions et contributions aux débats publics sur la vie du pays, de la nation
et par l'accomplissement de ses devoirs civiques (votes). Par ses actions, il s’intègre dans la société et devient citoyen.
Ainsi, il est reconnu comme membre de l'État et non comme ennemie. Tout autre conduite contraire au projet social
nous met en marge de la société et de ce fait nous prive de liberté. L'homme ne surmonte les contraintes sociales que
s'il les comprend, les fait siennes et les transforme en obligation et en nécessité. Cela veut dire qu'il les regarde comme
ce sans quoi son projet même de liberté reste vain.
CONCLUSION
Nous pouvons retenir que la liberté n’est pas une illusion. Sans doute, il existe de nombreux facteurs
qui entravent notre quête de liberté. Mais, la prise de conscience de ces éléments apparemment
hostiles, permet à l’homme d’être davantage libre.