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Mithil Krishnan – Explication de Texte d’Emmanuel Kant 

: Critique de la Raison Pratique,


1788
« Nul peut être dit heureux avant que l’on ait vu la fin de sa vie » dit Solon à Crésus, après que
ce dernier lui avait demandé quel était l’être le plus heureux. La réponse du philosophe grec d’antan
laisse supposer qu’il est impossible de prouver le bonheur des hommes durant leur vie, ce qui pourrait
impliquer que les êtres vivants ne sauraient être heureux. C’est pour cela qu’au XVIIIe siècle, période
des Lumières, que certains philosophes, tels qu’Emmanuel Kant, cherchent à apporter leur propre
vision sur l’existence ou nom du bonheur chez les hommes. En 1788, Kant publie la Critique de la
Raison Pratique, ouvrage dans lequel il exprimera l’incapacité humaine à atteindre le bonheur. Dans le
texte que nous allons tenter d’expliquer, Kant soulève le problème qu’il est impossible à un être aussi
simple que l’homme d’atteindre un concept assez complexe qu’est le bonheur. Nous étudierons ce
texte en nous demandant pourquoi, selon Kant, le bonheur est inatteignable. Kant affirme que
l’homme ne saurait atteindre le bonheur car il n’a pas conscience de ce qu’il désire réellement. Dans
ce texte, l’auteur commence par expliquer ce que semble être le bonheur (lignes 1 à 6), puis il expose
l’insatiabilité des désirs humains (lignes 7 à 15) , et il arrive à la conclusion que l’être humain ne peut
atteindre le bonheur (lignes 16 à 22).

Tout d’abord, le philosophe prussien essaie de donner une première impression sur ce que
semble être le bonheur. D’emblée, le bonheur est décrit comme « concept » (l1), ce qui l’introduit
comme un élément dont l’existence n’est pas prouvée et est controversée. Cela est d’autant plus
renforcé par l’anaphore du terme « concept » ainsi que par l’utilisation de l’adverbe d’intensité « si »
(l1) qui précède « indéterminé ». Ainsi, cela permet à Kant de montrer au lecteur que ce texte va
reposer sur la nature conceptuelle du bonheur pour que l’auteur puisse démontrer sa thèse. Ensuite,
« arriver à être heureux » (l1-2) suggère que les désirs humains ne poussent non pas l’homme au
bonheur, mais le poussent à essayer de l’atteindre. Ici, le lecteur comprend que, selon Kant, si
l’homme pouvait atteindre le bonheur, il ne saurait en profiter car sa véritable motivation n’est pas
d’être heureux, mais d’arriver à être heureux. Ainsi, comme Kant relie cela au «  désir » (l1), cela
implique que tout homme ne peut se servir de son désir pour atteindre le bonheur, d’où l’incapacité
des désirs à nous rendre heureux. Le lecteur comprend donc dès les premières lignes du texte que,
selon Kant, le bonheur est un concept, donc imaginaire, dont l’homme, par sa nature, ne saurait en
profiter par une accumulation de désirs. Les hommes sont ensuite critiqués par le philosophe, qui
caractérise tous les êtres humains en opposition à la précision et à la cohérence. Cela est d’autant plus
amplifié par l’antithèse « tout homme […] personne » (l1-2). Cette idée d’imprécision quant aux désirs
humains implique donc que l’homme est incapable de déterminer ce qui pourrait le satisfaire, et ainsi,
l’homme ne saurait expliquer ce qui cause le bonheur, et ne saurait donc pas l’atteindre. De plus, Kant
pourrait utiliser l’incohérence de l’homme quant à la description des désirs pour éventuellement
montrer qu’un homme ne saurait comprendre le désir d’un autre. Ainsi, si chacun avait ses propres
désirs uniques à lui-même que nul autre ne saurait comprendre, cela voudrait dire que chacun devrait
atteindre le bonheur d’une manière différente. Cela entraîne donc une impossibilité de définir ce qu’est
le bonheur ainsi qu’une impossibilité à atteindre le bonheur de manière collective. Cela peut en effet
se rapporter à une fameuse phrase de Kant : « Agis comme si la maxime de ton action devait être
érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ». Cette phrase semble expliquer que si un homme
agit d’une certaine manière pour satisfaire un de ses désirs, chaque homme devrait se comporter de la
même manière. On atteindrait donc une impasse, car il ne serait pas possible pour tous les hommes de
satisfaire leurs désirs sans porter préjudice à d’autres, et donc cela prouve l’impossibilité du bonheur
collectif. Kant introduit la « raison » (l3), ce qui permet au lecteur d’établir un lien avec le titre de son
œuvre, qui associe la raison avec une utilité. Ainsi, cela voudrait-il dire que Kant voit la raison comme
outil dont on devrait se servir pour atteindre le bonheur ? On en déduit que ce qui va suivre va
démontrer que la raison est utilisée pour prouver que le bonheur est constitué uniquement
d’évènements « empiriques » (l4). Cela prouve donc que le bonheur est relatif à l’expérience, et donc,
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1788
que le bonheur est relatif à chacun, car, tout comme en sciences physiques, les résultats d’une
expérience dépendent principalement de l’expérimentateur. Kant termine la première partie de son
texte en liant le bonheur à quelque chose d’absolu, ce qui implique que le bonheur n’a besoin de rien
pour se maintenir. Cependant, le philosophe vient de prouver que le bonheur est relatif à chacun, donc
le bonheur ne peut être absolu, ce qui entraîne une première contradiction quant à l’existence du
bonheur. De plus, si l’on applique le théorème d’incomplétude de Gödel, on prouve que le bonheur, en
tant qu’ensemble de règles, ne peut être absolu, d’où les questions que se pose Kant sur le sujet de son
existence. Le philosophe utilise ensuite la première personne pour amplifier l’idée que le bonheur est
relatif à chacun : « mon », « ma » (l5-6). De plus, il termine le premier mouvement de ce texte en
mettant en avant la dimension temporelle du bonheur, qui repose sur l’instant présent et le futur. Cela
revient sur la citation de Solon, car Kant suppose que, l’état de bonheur actuel implique l’état de
bonheur éternel, d’où le fait qu’il faille attendre la fin d’une vie pour savoir si un homme est heureux.
En somme, Kant met en avant le bonheur comme un concept, qui repose sur sa nature incertaine, afin
d’expliquer ce qu’implique l’existence du bonheur, pour ensuite commencer à prouver qu’il ne peut
pas exister.

Ensuite, Kant met en avant le fait que les désirs humains sont insatiables pour prouver qu’il est
impossible d’atteindre le bonheur. « fini », « si puissant », « si perspicace » (l7) sont accompagnés par
« impossible », ce qui indique que Kant va utiliser l’homme le plus riche intellectuellement et
physiquement pour prouver qu’il est impossible de satisfaire les désirs humains. En effet, la
perspicacité et la puissance sont deux liables avec les attraits « précis et cohérents » dont Kant parlait
dans les premières lignes de son texte. Il utilise un oxymore à la ligne 8 : « concept déterminé », ce qui
lui permet de prouver son point, car un concept repose sur son caractère imaginaire donc indéterminé.
De plus, il utilise ici cette formulation pour qualifier la volonté de l’homme, ce qui s’oppose à la
formulation qu’il avait utilisé pour définir le bonheur : « concept indéterminé ». Ainsi, Kant semble
opposer la volonté d’un homme et ses désirs au bonheur, comme quoi il est impossible de satisfaire ses
désirs dans l’optique d’atteindre le bonheur. Kant pose ensuite de nombreuses questions que pourrait
se poser le lecteur après avoir lu le début de ce texte. Il y répond ensuite et prouve que chaque désir
accompagne des malheurs bien plus grave encore. La « richesse » attire les « pièges », ce qui montre
que l’argent ne fait pas le bonheur, car il faut être capable de se défendre des pièges une fois riche, et
donc que le bonheur s’atteint de manière plus authentique qu’à travers la quête d’argent. Kant utilise
également un argument qui est essentiel à la période temporelle à laquelle il vit : le savoir :
« connaissance et lumières » (l9-10). Ainsi, il se plonge dans le domaine de la littérature d’idées et
montre au peuple qui a soif de savoir que trop de connaissances ne sauraient être bénéfiques et ne
pourraient que porter préjudice à quiconque qui les obtient. De plus, les connaissances pourraient être
reliées à l’Allégorie de la Caverne de Platon, car ces connaissances permettent à l’un de mieux voir le
monde. Platon défend que la philosophie permet à l’homme de comprend de manière plus pointue le
fonctionnement du monde. Ainsi, le philosophe concerne ses condisciples philosophes que même eux
ne peuvent pas atteindre le bonheur car leur quête de savoir, ce pas en dehors de la caverne, leur
apporte la connaissance de tous les maux du monde et les empêche d’être véritablement heureux. La
vie et la santé, éléments indispensables au bien-être de chacun, sont eux aussi critiqués par le
philosophe, qui pense que tous deux ne sauraient qu’accompagner des tourments et des souffrances, ce
qui s’oppose à la définition du bonheur qu’il avait exprimée comme un « maximum de bien-être ».
Ainsi, cette contradiction implique donc qu’il est impossible de profiter d’un bien-être complet et
d’être heureux en même temps, ce qui complique fortement l’acquisition du sentiment heureux. En
somme, Kant a exploré une majorité des désirs communs aux hommes, peu importe du milieu duquel
ils viennent, afin de prouver que les désirs humains sont insatiables, et donc qu’il est impossible pour
eux d’atteindre un état de bonheur.
Mithil Krishnan – Explication de Texte d’Emmanuel Kant : Critique de la Raison Pratique,
1788

Enfin, Kant prouve qu’il est impossible d’atteindre le bonheur car l’être humain ne possède
pas les facultés pour l’atteindre. Le connecteur logique « bref » (l16) suggère que Kant va porter un
jugement final sur le sujet, afin de synthétiser et de donner une conclusion sur la chose. «  Entière
certitude » (l16) revient sur la définition de l’homme en tant qu’être imprécis et incohérent érigée au
début de ce texte, ce qui permet à Kant de prouver une des premières failles quant à l’atteignabilité du
bonheur. Kant utilise ensuite des conditionnels : « faudrait » et « rendrait » (l17), ce qui montre que
cet état de bonheur n’est pas atteignable à l’homme, mais pourrait l’être s’il possédait certaines
caractéristiques qu’il ne peut pas posséder. L’homme ne sait ce qu’il veut pour être heureux, pour cela
il lui faudrait être omniscient, selon Kant. Si l’homme était omniscient, et qu’il savait tout, il saurait ce
qu’il désire réellement, mais ce n’est pas pour cela qu’il serait heureux. Kant sépare donc le bonheur
en deux étapes, la première étant le fait de savoir ce que l’on désire, ce qui est déjà inatteignable à
l’homme. Il en conclut, sans pertes de généralité, avec l’homme « raisonnable » (l18), qui ne peut être
heureux, car il ne sait pas tout, et donc pose un problème quant à l’existence du bonheur chez
l’homme. Le fait qu’il n’existe pas « d’impératif qui puisse commander » (l18-19) montre, à travers
l’antithèse, l’absence de bonheur. En effet, si l’on est dans un état où même l’impératif ne peut
commander, cet état est inexistant, car sans ordres, un homme ne saurait exister, d’où l’impossibilité
de l’existence du bonheur chez les hommes. Kant oppose donc raison et imagination, ce qui permet de
revenir sur l’idée conceptuelle du bonheur, afin de prouver son inexistence. En effet, « le bonheur est
un idéal non de la raison, mais de l’imagination » (l19-20) suggère qu’il n’existe pas, car si on
considère le titre de l’ouvrage : Critique de La Raison Pratique, seul ce qui est raisonnable saurait
exister. Ceci est d’autant plus vrai que Kant a pris en compte l’homme raisonnable au travers de cette
démonstration. En répétant que le bonheur est basé sur l’expérience, Kant indique de nouveau que le
bonheur est différent pour chacun, ce qui lui permet de conclure : « totalité de série de conséquences
en réalité infinie ». Cela s’oppose donc à l’être fini que Kant avait considéré plus tôt, apportant donc
une nouvelle contradiction quant à l’existence du bonheur chez les hommes, être finis. Une autre
contradiction repose sur la « totalité de […] infinie ». Ici, pour que le bonheur existe, il faut savoir
regrouper l’infini en un certain ensemble de tel sorte à ce que cet ensemble regroupe toutes les
conséquences issues des désirs des uns et des autres. Cependant, ces conséquences étant infinies, on ne
peut les regrouper et donc le bonheur ne peut pas être atteint par l’homme en tant qu’être fini. En
somme, Kant prouve que le bonheur ne peut être atteint par l’homme à cause de son caractère fini.

Pour conclure, nous avons vu en quoi Kant pense que le bonheur est inatteignable pour
l’homme car c’est un être fini incapable d’expliciter ses désirs. Cela lui permet donc de répondre au
problème de l’existence ou non du bonheur grâce à une démonstration en trois parties, qui lui permet
de se rapprocher au plus possible du lecteur afin de délivrer son message de manière poignante et
universelle.

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