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Leçon introductive

 
À quoi bon philosopher ?
 
I. POUR FAVORISER L'EVEIL DE LA PENSEE RATIONNELLE
 
1. La philosophie permet de quitter la pensée mythique pour affirmer la pensée logique  ;
passer radicalement du « mythos » au « logos ».
  2. S'obliger à savoir et non plus seulement croire
Les exigences du savoir : emprunter un « chemin rude et escarpé ».
 
II. PHILOSOPHER DANS LE BUT D'ACQUERIR UNE FORME DE SAGESSE
Par-delà le savoir, rechercher la sagesse ?
 
1. Se connaître soi-même
  2. Se constituer une sagesse personnelle
 
III. AFIN DE CONCRETISER UN IDEAL PRATIQUE: affirmer l’homme dans toute sa dignité
 
  1. A quoi bon philosopher ? Pour transmettre et dialoguer 
2. Devenir un citoyen majeur : apprendre à être son propre maître
 
On pose souvent les questions d’apparence simple : « qu’est-ce que la philosophie ? »,  « À quoi
sert-elle ? ». Or, comme le montre la fréquentation des grands philosophes, rien n’est plus problématique
que la réponse à de telles questions. Cela tient au fait que la définition de la philosophie est en jeu, à la
fois dans le questionnement et dans la pratique philosophiques eux-mêmes. Chaque auteur incarne une
manière de philosopher singulière, et réactualise ainsi la nature et les fins de la philosophie. L’objectif 
n’est pas ici d’embrasser la pluralité de définitions possibles, mais plutôt de chercher à saisir l’acte même
de philosopher dans ce qu’il a de plus essentiel. Le sujet qu’il nous est demandé de traiter est formulé de
la façon suivante : « À quoi bon philosopher ? ». Il nous invite à interroger, outre ce qu’est la philosophie,
si elle a un sens, si celle-ci détient aussi une fonction précise et une utilité quelconque.
Plusieurs problèmes se posent, qu’il s’agit d’affronter. D’abord, celui de la naissance même de la
philosophie : pourquoi les hommes, en effet, ont-ils éprouvé le besoin de philosopher ? L’ont-ils toujours
eu ? S’est-il imposé naturellement, spontanément ? Est-il, pour ainsi dire, une évidence ? Et qu’entend-on
exactement par « philosopher » ? L’étymologie du mot « philosophie  » nous indique qu’elle est amour
(philo) du savoir (sophia). Dans cette perspective, philosopher serait donc une quête visant à acquérir des
savoirs établis avec exigence et certitude.
Mais ces savoirs se limitent-ils à une sphère purement théorique (définition de principes, de
théories) ou interviennent-ils aussi dans le champ pratique (appliquer des principes, mettre en œuvre des
règles de vie) ? Dans quel but, suivant quelle finalité engage-t-on et poursuit-on l’acte de philosopher  ?
L’étymologie du mot nous indique aussi que la philosophie est amour de la sagesse. S’il est nécessaire de
distinguer et de ne pas confondre, acquisition de savoirs, d’une part, et accumulation de connaissances,
d’autre part, il est tout aussi important de se demander en quoi l’usage que les hommes font de la
philosophie leur est utile, sinon pour mieux comprendre le monde et l’expliquer, à vivre bienheureux ?
Par-delà la constitution d’une éthique personnelle, à mettre à l’épreuve de la vie réelle et à
confirmer au quotidien, le sens de la philosophie n’est-il pas, in fine, de faire « grandir » l’homme, lui
faire quitter «  la minorité  » pour accéder à «  la majorité  », selon les expressions kantiennes afin qu’il
parvienne à s’affirmer en tant que citoyen éclairé et critique ?
 
I. POUR FAVORISER L'EVEIL DE LA PENSEE RATIONNELLE
 
1. La philosophie permet de quitter la pensée mythique pour affirmer la pensée logique  ;
passer radicalement du « mythos » au « logos ».
 
Pour envisager de répondre à la question qui nous est posée, à savoir «  À quoi bon
philosopher ? », il parait opportun de se demander, dans un premier temps, si l’acte de philosopher est
quelque chose de propre à l’homme et qui apparait spontanément, de façon évidente. L’homme est doué
d’une conscience réfléchie, qui le distingue bien de l’animal, et qui l’érigea au statut d’  «  animal
politique », selon l’expression d’Aristote dans La Politique. Il possède le logos et il est capable de former
un discours raisonné, d’élaborer des principes et des valeurs. Mais l’homme est aussi, peut-être même
d’abord, doué d’une conscience spontanée, qui s’apparente à l’instinct, et qui régit ses actes dans
l’immédiateté. Il apparaît même que l’idée que l’homme est un homo sapiens, homme de savoir, ne
s’impose pas de soi, mais qu’elle se compose à travers les âges et le temps. D’abord homo faber, l’homme
est celui qui fabrique, qui rencontre le monde dans un rapport qui est celui de la nécessité de ses besoins
immédiats, de sa survie. Il faut d’abord à l’homme apprendre à s’adapter, à apprivoiser la nature parfois
hostile dans laquelle il évolue, satisfaire ses besoins vitaux (se nourrir, dormir, se reproduire, etc.) avant
de chercher à mesurer, comprendre et transformer le monde en toute conscience et lucidité, suivant une
volonté précise et un plan défini.
Cette démarche de compréhension du monde n’est pas première ; elle intervient lorsque l’esprit dispose
du temps et de la possibilité de saisir le monde, de dépasser la relation purement animale et corporelle qui
le lie à lui.
Aristote écrit d’ailleurs à ce propos :
 
Référence Aristote, Métaphysique, Livre A, Tome 1 (Editions Vrin, p. 9)
« Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est
qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en
réalité en fournit la preuve ; presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément
avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. »
 
Ce constat établi laisse entendre qu’il est difficilement envisageable de considérer que la
philosophie a toujours existé. D’ailleurs, sa naissance est datée. En effet, on considère qu’elle naît à Milet
en Asie Mineure, au VIème siècle avant J.-C. On parle ainsi de « l’école de Milet », qui est représentée
principalement par trois philosophes : Thalès, Anaximandre et Anaximène. Outre la géométrie et
l'astronomie, les penseurs de cette école ont apporté de nouvelles idées sur la cosmogonie (formation de
l'univers), la physique et la biologie, à tel point que ce sont les philosophes de cette école qui étaient
originellement appelés les Physiciens. La philosophie des Milésiens était principalement axée sur la
physique, et leurs études sur la nature proposent une approche méthodologique novatrice qu'on estime
être un progrès décisif dans l'histoire de la pensée occidentale. Ils utilisaient en effet, non plus simplement
des mythes (récits mettant en scène des divinités), mais aussi des concepts plus rationnels (les quatre
éléments : le sec et l'humide, le chaud et le froid) pour expliquer les phénomènes naturels. Il s'agit donc
des premières enquêtes « scientifiques », en Occident. Plus largement, on parle aussi du courant
présocratique, entre le milieu du VIIe siècle et le IVe avant notre ère (le terme fait référence à Socrate
(-470/-399 avant notre ère), considéré comme le père fondateur de la philosophie occidentale).
Originaires pour la plupart des colonies grecques de l'époque situées dans l'actuelle Turquie (Ionie) et
l'actuelle Italie (Grande-Grèce), on compte parmi les auteurs présocratiques les plus célèbres : Pythagore,
Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Zénon et Démocrite.
Leurs travaux et leurs discours tranchent radicalement avec le mode de pensée qui jusqu’alors prévaut, à
savoir la « pensée mythique » : celle-ci faisait une large place à l’imaginaire en lieu et place de la raison,
avec un recours systématique dans ses explications à des êtres surnaturels ou des dieux auxquels on
attribue des caractères humains (cf.  les attributs conférés à Zeus, Poseïdon, Apollon, etc.) et dont les
actions sont au principe des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles doivent continuer à être sous
peine de grands désordres cosmiques et sociaux. Fournissant aux sociétés le ciment idéologique
nécessaire à leur cohésion, la pensée mythique avait aussi, d’une certaine façon, pour vocation de
produire de l’intelligibilité  : les hommes ont, en effet, toujours eu besoin de rendre intelligible leur
expérience, de comprendre d’où ils viennent, où ils vont, de fonder les règles de leur existence collective ;
la fonction des récits mythiques étant d’ailleurs d’apporter une réponse à leurs questions. Néanmoins, elle
se fondait sur la croyance et non sur un souci d’explication rationnelle des phénomènes naturels.
Il s’ensuit que donc que la philosophie repose sur le logos (le discours rationnel) : elle se construit à partir
du « muthos », mais elle marque une rupture avec lui. Notons que cette conquête va de pair, sur la scène
politique et sociale, avec de profondes transformations. Aussi, il n’est pas étonnant que la société qui a
inventé la philosophie a aussi inventé la démocratie (demos : le peuple / cratie : le pouvoir).  Ce qui fait
dire à l’historien français, spécialiste de la Grèce antique, Jean-Pierre Vernant, dans son œuvre Les
origines de la pensée grecque, que « La philosophie est fille de la cité ». Avec cette invention, explique
également Marcel Gauchet, dans Le désenchantement du monde (1985), l’humanité se réapproprie le
pouvoir jusqu’alors conféré aux Dieux, à savoir le pouvoir d’instituer son monde. Les hommes
revendiquent le droit de décider des règles de leur vie collective, de discuter de la loi, d’être l’auteur de
leur histoire. 
 
 
  2. Les exigences du savoir : emprunter un « chemin rude et escarpé ».
 
N’oublions pas la question posée et revenons à sa formulation : « À quoi bon philosopher ? ».
Une première réponse déjà peut être donnée  : l’homme éprouve le besoin de philosopher pour mieux
comprendre et saisir le monde dans lequel il vit. Le but de la philosophie est donc de quitter le mythe pour
atteindre une connaissance rationnelle du monde. Selon l’étymologie, la philosophie se définit d’ailleurs
comme amour du savoir.
Cette quête du savoir qui caractérise la philosophie, Platon (-427/-347 avant notre ère) l’expose de façon
symbolique à travers l’allégorie de la caverne, qui figure au livre VII de la République. L’allégorie se
distingue radicalement du mythe : elle est une figure de style qui permet d’exprimer un concept, une idée
grâce à une métaphore. 
Dans l’allégorie de la caverne, l’homme est présenté tel un prisonnier. Il doit quitter le monde sensible,
trompeur et inexact, symbolisé par le monde souterrain de la caverne. En effet, selon Platon, par son
corps, l’homme se maintient dans l’illusion et l’opinion : il ne peut atteindre par ses sens que l’apparence
des choses. Il écrit d’ailleurs dans le Phédon que « le corps est le tombeau de l’âme ».
Or l’idée de Platon est qu’il y a autre chose au-delà de ces apparences sensibles que seule la raison peut
atteindre. Pour y accéder, l’homme doit emprunter un « chemin rude et escarpé » : celui-ci n’est autre que
la représentation du long travail et du difficile apprentissage à réaliser pour accéder à la connaissance
véritable, aux Idées ou Formes, selon Platon, c’est-à-dire à la vérité des choses. Ce cheminement, le
philosophe le nomme « dialectique  ». La dialectique correspond à un processus qui procède, étape par
étape. Pour l’expliquer, le philosophe a recours, dans le livre VI de la République, à l’image d’une ligne
segmentée. Sur celle-ci, figurent les quatre genres de connaissances, qui vont, selon lui, du domaine
sensible au domaine intelligible. Dans le domaine sensible, il y a d’abord les images des choses (données
par l’imagination), par exemple les reflets, les ombres que différentes surfaces liquides, solides, lisses et
brillantes. Puis il y a les objets eux-mêmes (donnés par la croyance) : cette catégorie comprend tout ce qui
peut être produit par la nature ou transformé par l’homme. Ainsi y figurent les choses réelles au sens
usuel, les réalités concrètes : les êtres vivants, les végétaux, les animaux et aussi les objets fabriqués tels
qu’un lit, une table, etc…
Dans le domaine intelligible, il y a d’abord les objets mathématiques (donnés par la connaissance
discursive, c’est-à-dire le raisonnement par étape) et enfin les Idées (données par l’Intelligence ou
« noésis » en grec). Au sommet de ce cheminement, on peut alors saisir l’Idée du Bien qui est l’Idée de
toutes les Idées, qui explique l’ordre des choses. Toute éducation doit donc comprendre l’arithmétique, la
géométrie, l’astronomie, la musique et le raisonnement dialectique. 
Les Idées sont d’ordre intelligible. Elles sont ce qui permet de répondre à la question « Qu’est-ce
que (le Beau, le Juste, l’Amour, etc.)  ?  ». À cette question, l’homme est en effet tenté de répondre en
donnant un exemple particulier ou en disant « Cela dépend de chacun ». Or, ces réponses ne satisfont pas
l’esprit qui cherche à comprendre comment plusieurs choses différentes peuvent être rangées sous « un »
seul et « même » principe. Ainsi, une belle jeune fille, une belle marmite ou une belle lyre sont des choses
belles « également », bien que différentes. C’est donc qu’il y a en elles toutes « une » chose qui les rend
belles et qui dépassent leur multitude. Cette chose est l’ « Idée de beauté », ce « par quoi » elles « sont »
belles. C’est par une éducation rigoureuse que l’homme peut accéder à ce savoir, à l’Idée du Bien. En
cela, le modèle platonicien s’oppose avec force à celui également en vigueur à l’époque, prôné par les
sophistes. Ces derniers étaient des professeurs d’éloquence. Platon les considérait comme des orateurs,
des rhéteurs vaniteux et des jongleurs d’idées sans principe. Il leur reprochait de ne pas chercher la vérité,
mais de faire seulement des discours, de belles formules vidées de sens.
La conception platonicienne de la philosophie permet donc, à l’issue de cette première partie de
notre réflexion, d’amener des premiers éléments de réponse, à savoir qu’il est bon de philosopher pour
quitter l’opinion trompeuse et chercher à atteindre une connaissance véritable. D’une certaine manière,
philosopher, comme le souligne Platon, dans la première partie de l’allégorie de la caverne, consiste à
retrouver la faculté de s’étonner, c’est-à-dire à se réveiller d’une sorte de sommeil dogmatique et à
devenir disponible pour une véritable recherche de la vérité. C’est à cette tâche que doit s’employer le
philosophe et lorsqu’il y parvient, il s’étonne dès lors à nouveau de sa propre inconséquence d’alors : son
rapport au vrai est radicalement transformé ; celui qu’il a vis-à-vis de lui-même peut être bouleversé.
Cette transformation, ce bouleversement sont le résultat positif d’une entreprise exigeante : celle
de mettre en doute. Aussi, à la question « À quoi bon philosopher ? », peut-on maintenant répondre par la
proposition suivante : afin de douter, c’est-à-dire de cesser de subir l’empire d’une certitude. La certitude
est une servitude intérieure : elle est ainsi car elle est l’état d’un esprit qui adhère à un contenu de pensée
qu’il croit (ou qu’il tient pour savoir) être vrai. Or, rien n’est pire que l’adhésion massive, sans réserve,
sans « pensée de derrière », selon l’expression de Pascal.
Remarquons que ce rapport aux idées est le propre du fanatisme, du sectarisme typique des engagements
idéologiques. Tout un chacun peut avoir à faire face à un tel comportement et constater dès lors combien
il est bien difficile de discuter avec les esprits certains. Soit on les conforte dans leurs convictions, soit on
les ignore, ou alors l’on se bat pour les empêcher d’imposer socialement leur point de vue. La violence
inhérente à la conviction détruit les conditions de possibilité d’un vrai dialogue entre les hommes de telle
sorte que la capacité de s’en arracher est la première victoire de l’esprit sur lui-même.  « Il n’y a que les
sots et les huîtres qui adhèrent », dit Paul Valéry pour pointer l’ampleur de l’aliénation liée à cette
manière de se rapporter aux significations et aux valeurs.
Voilà aussi pourquoi l’acte fondateur de la philosophie est, pour le philosophe classique, René Descartes,
la pratique méthodique du doute. Il écrit, en effet :
Référence René Descartes, Méditations Métaphysiques, I.
«  Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses
opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et
incertain ; de façon qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que
j’avais reçues en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et
de constant dans les sciences ».
L’acte de philosopher se présente sans cesse comme une entreprise d’affranchissement de ce qui
procède dans la pensée d’une autre autorité que celle de l’esprit. Il cherche à fonder ce qui peut être tenu
pour vrai, à quitter le règne des opinions. Celles-ci tirent souvent leur puissance de l’ « habitus », selon
l’expression du sociologue Pierre Bourdieu, mais aussi du prestige du nombre (nous sommes ainsi faits
que les opinions partagées par le plus grand nombre nous semblent vraies), celui de l’autorité (pour
l’enfant, l’élève, le membre d’une église, les idées reçues des parents, des professeurs ou des savants, du
pape, de l’imam ou du rabbin ont une valeur de vérité). Or ce n’est pas parce qu’on a toujours pensé cela
que c’est vrai, ce n’est pas parce qu’une erreur est partagée par le plus grand nombre qu’elle devient une
vérité.
Le doute n’est pas pour autant destructeur par principe. Le doute, en effet, ne préjuge pas de la
vérité ou de l’erreur de ce qui est mis en doute. Il se peut qu’au terme de l’examen, l’énoncé mis en doute
résiste. Aussi, s’il se situe au fondement de l’acte même de philosopher, il n’est pas une fin en soi : il doit
s’entendre comme une disposition intellectuelle nécessaire pour s’engager sur le chemin de la
connaissance, c’est-à-dire pour conduire un véritable examen, se transformer. 
 
Atelier de la pensée n° 1 : L’Allégorie de la Caverne, extrait du livre VII de la République.
 
Transition
En un premier sens, le terme de philosophie renvoie donc au savoir et à l’idée d’une quête d’un
idéal théorique. Établir un savoir assuré, certain ; une vérité. Mais parce qu’elle est aussi « sophia » dans
le sens de « sagesse », il semble réducteur de considérer son utilité comme étant seulement orientée vers
un but théorique (l’acquisition, voire l’accumulation de savoirs, de connaissances). N’a-t-elle pas, en
effet, une vocation pratique essentielle qu’il nous faut désormais interroger et définir ?
 
 
II. Philosopher : par-delà le savoir, rechercher la sagesse ?
 
1. Se connaître soi-même
 
L’acte de philosopher ne peut se résumer à cette seule aspiration à l’établissement de
connaissances des plus solides possibles. Elle appelle aussi à une forme d’intériorité : si philosopher, c’est
chercher à savoir, à comprendre le monde, c’est aussi vouloir se rencontrer soi-même. L’étonnement et le
doute participent d’ailleurs de ce travail que le philosophe opère aussi à l’égard de lui-même, mais aussi
en tant qu’il est homme. En reprenant à son compte la formule inscrite sur le temple de Delphes,
« Connais-toi toi-même », attribuée originairement au dieu du chant, de la danse et de la poésie, Apollon,
Socrate en réinterprète le sens : il n’est plus tant question pour l’homme de se reconnaître mortel et non
éternel comme les Dieux, ni de rester soumis à la suprématie de Zeus, mais bien plutôt d’inviter l’homme
à prendre soin de son âme. Dans un de ses dialogues, Alcibiade, Platon adopte l’idée selon laquelle
l’homme doit prendre soin de son âme, qu’il doit se connaître d’abord soi-même avant de chercher à
connaître quelque chose de ce qui lui est extérieur. Ainsi, il fait tenir à Socrate face à Alcibiade les propos
suivants : « (…) ta personne, c’est ton âme. (…) C’est donc notre âme que nous invite à connaître celui
qui prescrit de se connaître soi-même ».
L’interprétation de l’oracle de Delphes faite par Socrate est philosophique : elle consiste à montrer que la
sagesse consiste à distinguer ce que l’on sait de ce que l’on ne sait pas, aussi bien en soi-même que chez
les autres. Aussi, l’homme doit contempler son âme s’il veut se connaître, tel un œil ne pouvant se voir
qu’en se contemplant dans un autre œil, comme dans un miroir. En regardant cette partie essentielle de
son être, l’homme  accède à la partie supérieure de son âme: celle-ci est la raison. Sa tâche est de la
cultiver.
Il faut savoir que Platon considère que l’âme est composée de trois parties. Il expose sa théorie dans un
dialogue intitulé Phèdre. Le philosophe interroge la nature de l’âme et il explique sa composition à partir
de l’image d’un attelage tiré par deux chevaux et conduit par un cocher. Il s’agit également pour Platon
d’interroger la capacité de l’homme à résister à la force du désir charnel pour le transformer en un désir
amoureux maîtrisé par la raison. Le cocher représente ainsi la partie rationnelle de l’âme humaine,
chargée de conduire l’homme selon les valeurs de la raison (modération, vertu, connaissance). Un des
chevaux est blanc et discipliné : il représente la partie irascible de l’âme (la colère et le courage), capable
de se mettre au service de la raison pour lutter avec force contre les désirs. Le second cheval est noir et
indiscipliné : il représente la partie désirante de l’âme humaine. C’est lui qui entraîne parfois le cocher et
l’autre cheval sur des voies dangereuses. Le bonheur et la liberté consistent à connaître et à harmoniser
ces trois parties de l’âme en les mettant au service de la raison et non du désir.
Cette tâche, à savoir « se connaître soi-même » est possible à l’homme, non aux choses ni aux animaux,
car il est doué de conscience  ; étymologiquement, la conscience est «  cum-scientia  » en latin, ce qui
signifie « avec le savoir », « accompagné de savoir ». Ainsi, la conscience permet donc une connaissance
qui se rapporte à soi-même : savoir qui l’on est, ce que l’on pense, ce que l'on fait.
Philosopher consiste donc à apprendre à se connaître, c’est-à-dire à apprendre à vivre. Or vivre, ce n’est
pas seulement penser, connaître, juger ; c’est aussi agir, se projeter d’une certaine manière dans le monde,
tendre vers des fins dont nous espérons le bonheur. Il s’ensuit que, comme la sagesse théorique
(l’acquisition de savoirs) est la vertu de l’esprit dans ses opérations intellectuelles et ses prétentions à la
connaissance, et que la sagesse pratique est celle de l’homme dans la conduite de sa vie. Ainsi, il serait
vain de croire que l’on puisse être sage sans être éclairé ou que l’on puisse exercer sa pensée avec
rectitude dans la violence des passions ou le dérèglement de la conduite.
 
  2. Se constituer une sagesse personnelle
 
En cela, la proposition stoïcienne est intéressante car elle fait de la philosophie un art de vivre. Le
stoïcisme est un courant philosophique occidental, qui est issu de l'école du Portique (du grec ancien
στοά, « stoa ») fondée en -301 à Athènes, par Zénon de Cition. Le stoïcisme a par la suite traversé les
siècles et subi des transformations, notamment avec Chrysippe de Soles en Grèce et à Rome avec
Cicéron, Sénèque, Épictète, Marc Aurèle. Il a exercé diverses influences, allant de la période classique en
Europe, en particulier au XVIIe siècle, chez René Descartes, jusqu’à nos jours. Considérée comme un
eudémonisme, le stoïcisme fait du bonheur la fin naturelle de l’existence humaine. La philosophie est
alors la méthode pour accéder au bonheur.
Cette vocation pratique de la philosophie, Epictète la souligne dans son œuvre Manuel. Il insiste sur le fait
que la philosophie ne vise pas seulement à permettre à l’homme d’acquérir un savoir théorique, mais que
sa fonction est avant tout (et même en priorité) de l’aider à se constituer une sagesse, c’est-à-dire à une
certaine manière de se conduire.
Dans le paragraphe intitulé « Les trois parties de la philosophie », extrait du Manuel, il écrit :
« La première partie de la philosophie, la plus nécessaire, consiste à mettre en pratique les préceptes, par exemple, à ne pas
mentir. La seconde consiste à les démontrer, à expliquer par exemple pourquoi il ne faut pas mentir. La troisième consiste à
affermir ces démonstrations, à faire les distinctions nécessaires  : pourquoi est-ce une démonstration  ? Qu’est-ce qu’une
démonstration ?  qu’est-ce qu’une conséquence, une contradiction ? qu’est-ce que le vrai ? qu’est-ce que le faux ? ». 
Et il précise comme pour souligner l’importance qu’il accorde à ce qu’il appelle « la première partie » de
la philosophie, à savoir sa mission concrète et pratique :
« Ainsi la troisième partie est nécessitée par la seconde, et la seconde par la première ; mais la plus nécessaire, celle où il faut
s’arrêter longtemps, c’est la première. »
Or, il constate et regrette :
« Et nous, nous faisons le contraire : nous nous attardons sur la troisième partie, nous y mettons toute notre ardeur ; quant à la
première, nous la négligeons complètement. C’est pourquoi nous mentons, tout en sachant très bien démontrer qu’il ne faut pas
mentir ».
Le véritable philosophe ne se reconnaît donc pas tant à son érudition qu’à sa posture existentielle marquée
par le sens de la mesure, la sérénité, le contentement, l’accord avec soi-même et avec le monde : la
philosophie est une recherche de la sagesse, qui se définit comme un idéal pratique vers lequel il s’agit de
tendre. 
À la question « À quoi bon philosopher ? », il est alors possible de répondre que la philosophie
vise à aider l’homme à mener une vie vertueuse  ; ce qui est l’équivalent de mener une vie libre et
heureuse.
« Qu’est-ce que cherche un homme ? A vivre calme et heureux, à faire tout ce qu’il veut sans en être empêché et sans y être
contraint », note Epictète, dans les Entretiens (IV. I, 46).
L’erreur serait cependant de croire qu’il s’agit de faire tout ce que l’on veut. La liberté ne doit pas se
confondre avec la licence (du latin « licet », il est permis de), à savoir l’autorisation de faire tout ce que
l’on veut sans se soucier des autres. « Etre empêché », selon Epictète, c’est être confronté à un obstacle ;
« être contraint » signifie faire l’expérience de la servitude.
Philosopher est alors l’acte qui libère l’homme, qui lui permet, par des exercices pratiques de préparation
aux difficultés et par la méditation, de comprendre qu’il n’y a pas d’obstacle en soi, que le coefficient
d’adversité des choses dépend de son désir ou de sa volonté, car c’est eux qui nous mettent aux prises
avec elles. « Rien d’extérieur à la volonté ne peut l’entraver ou la léser, si elle ne se fait pas obstacle à elle-même», insiste
Epictète, dans les Entretiens (III. XIV,2).
Aussi, la fonction première de la philosophie consiste à apprendre à distinguer « ce qui dépend de nous »
et «  ce qui n’en dépend pas  ». Elle est utile à tout être qui veut mener une vie heureuse et vertueuse.
L’objectif pour le stoïcien est précisément de parvenir à l'ataraxie (« absence de troubles de l’esprit») et
l’aponie (absence de troubles du corps), grâce à l'apatheia (« absence de passions »). Epictète résume cette
conduite stoïcienne à travers la maxime « Sustine et abstine » qui signifie « Supporte et abstiens-toi ». En
s'appuyant sur la raison, le philosophe stoïcien adopte une conception déterministe de l’univers (cosmos),
conditionné par la succession des causes et de leurs conséquences. L'individu, pour vivre heureux, n'a
d'autre choix qu'accepter ce déterminisme (c’est-à-dire d’accepter ce qui arrive tel que cela arrive). Cette
attitude est appelée « l’amor fati » (amour du destin) par Marc Aurèle dans ses Pensées pour moi-même.
Par extension, dans le langage courant, l'adjectif « stoïque » est utilisé pour désigner une personne
inébranlable, qui ne s'effondre pas devant le malheur, la peur, la douleur, etc.
Philosopher est donc, dans cette perspective, ce qui permet à l’homme de conduire sa vie en
accord avec la nature grâce à la raison. Pour vivre heureux et libre, l’homme ne doit pas  lutter en vain
contre ce qui ne dépend pas de lui, mais au contraire l'accepter et nous abstenir des vices et passions qui
nous y exposent. Philosopher oblige donc à la tempérance et au détachement, partant du postulat que « ce
qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses mais les opinions qu'ils en ont » et qu’il convient donc
d'agir sur ces dernières. 
 
Atelier de la pensée n°2, Epictète, extrait du Manuel
 
Transition
Mais il nous faut encore chercher plus loin. Si la philosophie ne peut limiter ses fonctions à l’acquisition
de savoirs théoriques, elle ne peut pas non plus se réduire à la seule constitution d’une sagesse
personnelle. Ne nous invite-t-elle pas, outre à la construction d’une paix intérieure, à la volonté de la
réaliser plus exactement collectivement ? Cela dans le but d’affirmer toute l’humanité en l’homme et le
reconnaître dans toute sa dignité ?
 
 
III. Concrétiser l’idéal pratique, affirmer l’homme dans toute sa dignité
 
1. A quoi bon philosopher ? Transmission et dialogue 
 
C’est à un double effort que nous invite l’acte de philosopher : celui d’accorder le plan de
l’intériorité et celui de l’extériorité, mais aussi celui d’harmoniser le désir et le réel. « Vivre en accord
avec la nature » tel est le grand précepte stoïcien. Il est possible d’affirmer que la philosophie ne se résout
pas à n’être que théorique ; elle doit se vivre, rencontrer le réel car il s’agit bien de prendre le risque et
d’oser rencontrer l’autre. La quête d’une vie bienheureuse menée par chaque individu relève d’un effort
personnel, mais elle ne se veut pas pour autant solitaire. Même dans la perspective stoïcienne, l’homme
fait partie d’un Tout. Aussi la mise en place de cette harmonie intime fait écho à l’équilibre de l’univers
tout entier ; elle y participe. Parce qu’il écrit un « manuel », il semble donc que l’on puisse discerner chez
Epictète un souci d’établir une méthode, composée de principes et de règles qui nous concerne à la fois
chacun, personnellement, et tous, collectivement.
Aussi, il apparait clairement que l’acte de philosopher trouve aussi son intérêt dans l’acte de transmission.
Cette idée est clairement défendue par Platon. Le philosophe insiste bien, au livre VII de la République :
l’accès à la connaissance ne suffit pas en soi ; l’ancien prisonnier, devenu philosophe à l’issue du
cheminement dialectique engagé, doit retourner dans la caverne, y affronter la méfiance et la suspicion
des autres à son égard, afin de transmettre son savoir. Formé et éduqué, il ne voit plus le monde de la
même façon ; il ne le saisit plus avec les mêmes yeux. En effet, une conversion de l’œil s’est opérée :
ébloui par le soleil, symbole de la connaissance vraie, il a d’abord été aveuglé, confus, troublé, avant
d’accepter d’engager un travail critique de ses opinions et préjugés pour s’obliger à la précision et à la
rigueur de la connaissance dialectique. Il est aussi celui qui sait que cette libération des fausses opinions
ne s’opère pas spontanément, qu’elle exige la présence d’un maître, dans le sens de guide et d’éducateur,
pour enclencher cette entreprise d’abord très inconfortable car elle plonge l’homme dans l’incertitude et le
doute, le déstabilise dans ses certitudes. Le philosophe formé ne doit pas se reposer dans la solitude,
s’enfermer seul dans son savoir, mais le partager, le transmettre. Telle est sa mission, quitte à en mourir.
La philosophie, et c’est notamment le cas de la mission socratique, se révèle ainsi la volonté de
réconcilier les hommes avec l’effort et la sagesse. Métaphoriquement, il s’agit bien de voir les prisonniers
qu’ils sont  « quitter la caverne », pour fonder, en réalité, une cité raisonnable et équitable. C’est d’ailleurs
tout l’enjeu de l’œuvre la République de Platon, dans laquelle le philosophe expose ses propositions pour
construire une cité juste. Cette cité reste certes « idéale » ; elle est un projet. Mais sans ce projet, c’est-à-
dire sans la volonté d’instruire les peuples et des gouvernements sages et bienveillants, n’est-ce pas l’idée
même de l’humanité qui est mise à mal ? Les pessimistes affirment que cette mission est utopique. Elle
est difficile, répond le philosophe, mais non impossible. Elle repose sur deux conditions : une formation
intellectuelle rigoureuse donnée à chacun et la conviction que l’on ne peut pas avoir raison tout seul, que
ce qui est fondé en raison, doit être, en droit, reconnaissable par n’importe quel autre être de raison.
Cette découverte du « nous », cette rencontre avec l’autre (Autrui) conduit le philosophe à penser
l’obligation de l’universalité des principes et des règles de vie. À la question «  À quoi bon
philosopher ? », peut-on désormais répondre que l’acte de philosopher oblige à dialoguer, c’est-à-dire à
reconnaître autrui, en tant que personne, c’est-à-dire en tant que sujet qui peut disposer des choses, mais
dont on ne peut disposer. Autrui est, en effet, hors commerce  : cela signifie que la personne est
irréductible à une marchandise. Alors que la chose a un prix, la personne est définie comme ayant une
valeur. Elle ne peut donc pas être traitée comme un simple moyen, elle doit être traitée comme une fin en
soi. C’est dire que la personne, à la différence de la simple chose engage une relation d’ordre moral. Dans
les Fondements de la métaphysique des mœurs, Emmanuel Kant souligne combien la philosophie appelle
l’homme à bien se conduire, en respectant ce qu’il appelle « l’impératif catégorique », dont l’un des
principes peut se résumer ainsi : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne
que dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un
moyen ». À quoi bon philosopher sinon pour reconnaître cette exigence ? Le philosophe est donc
l’homme qui se sent tenu d’honorer la dignité humaine à la hauteur de laquelle il doit se porter.
 
2. Devenir un citoyen majeur : apprendre à être son propre maître
 
  Philosopher, c’est penser au sens de se donner les moyens d’agir, de poser des actes qui nous
engagent et nous mettent face à nos responsabilités. Dans la Critique de la faculté de juger, Kant rappelle
d’ailleurs que l’éthique de la pensée implique trois maximes directrices : d’abord « Penser par soi-même »
(ou maxime de la pensée sans préjugés) ; ensuite « Penser en se mettant à la place de tout autre » (ou
maxime de la pensée élargie) ; enfin « Penser en étant toujours en accord avec soi-même » (ou maxime de
la pensée conséquente). Penser peut être ici compris au sens d’ «  agir  »  : agir par soi-même  ; agir en
considérant l’autre ; agir en étant constant dans ses idées.
L’une des fonctions de la philosophie consiste précisément à apprendre à « grandir », à devenir
pleinement « majeur », selon l’expression kantienne, c’est-à-dire à agir en citoyen du monde éclairé
(instruit, reconnaissant les principes qui fondent l’humanité) et critique (capable de défendre la dignité
humaine, partout là où elle est menacée, en refusant de se soumettre à la tyrannie des opinions). Mais
pour se faire, il doit cesser de se laisser aller à la paresse et à la lâcheté. Or, comme l’analyse Kant, dans
 Qu’est-ce que Les Lumières ?, la plupart des hommes n’assument pas cette responsabilité de l’esprit : ils
renoncent à se servir de leur entendement et semblent se complaire dans leur minorité intellectuelle.
A quoi bon philosopher  ? sinon pour affirmer que l’homme n’est pas né pour se complaire dans
l’ignorance et la « minorité » intellectuelle ; de même qu’il n’est fait pour subir une autre loi que celle
qu’il peut se donner par sa raison. Dans cette perspective, le philosophe est celui qui  s’affranchit de la
servitude, des aveuglements passionnels, de la violence et de l’indignité. Il lui faut aussi s’affranchir de
ses maîtres, pour devenir son propre maître. Il s’agit bien, et le projet kantien porte cette idée avec force,
outre d’apprendre à penser par soi-même («  sapere aude  »), pour pouvoir agir par soi-même dans le
monde, en toute conscience. D’apparence évident, l’acte de philosopher, saisi et révélé ainsi dans toutes
ces exigences, apparaît comme un long apprentissage qui nous engage dans nos vies, au quotidien.  
 
Atelier de la pensée n°3 : Kant, extrait de Qu’est-ce que Les Lumières ?
 
 
 
Conclusion
 
Il nous était demandé de répondre à la question «  À quoi bon philosopher  ?  ». Partant de
l’étymologie du mot « philosophie » qui est amour du savoir et de la sagesse, notre réflexion a cherché à
affirmer combien il serait vain de réduire l’utilité de cette discipline à la seule acquisition de savoirs
théoriques. Sa dimension et sa vocation pratiques sont tout aussi essentielles et constitutives de ce qu’elle
est et de ce qu’elle vise. Il nous est apparu important également de préciser que si philosopher consiste à
vouloir vivre en bonne compagnie avec soi-même, à composer pour soi des règles de vie et de conduite,
ceux-ci n’ont de sens que s’ils nous aident à mieux rencontrer Autrui et si nous pouvons les universaliser,
c’est-à-dire vouloir que tous les hommes agissent comme nous le faisons, selon la maxime kantienne. 
  Mais il faut le reconnaître : les échecs philosophiques sont nombreux et l’expérience nous invite à
une prétention retenue. L’histoire qui se joue sur la scène du monde contemporain ne cesse de nous
rappeler que la réflexion ne permet pas toujours de de rompre avec le dogmatisme de l’opinion. En
témoigne l’impuissance du philosophe rationaliste à convaincre celui qui disqualifie la raison dans cette
prétention et qui entend faire de la soumission un mode d’existence pour tous. Les problèmes sont
complexes ; l’utilité de la philosophie consiste, peut-être aujourd’hui, à affirmer avec force son refus de
voir les hommes s’enfermer dans une position unilatérale, fanatique. Si sagesse philosophique il y a, ne
consiste-t-elle pas à refuser toute forme d’intégrisme pour affirmer le sens de la mesure ?
 

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