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(ABIDJAN)
DE NIAMKEY KOFFI
Mémoire de master
SUPERVISEUR :
M. BOA THIÉMÉLÉ
RAMSÈS
PRÉSENTÉ PAR : Professeur titulaire
Directeur :
M. GOGBÉ Goli Jean Christ M. KOUADIO KOFFI
DÉCAIRD
Jonathan Maitre-Assistant
Licencié en philosophie
Parcours D : PHILOSOPHIE DES CULTURES ET CIVILISATIONS
AFRICAINES
DE NIAMKEY KOFFI
Mémoire de master
2
3
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………...…………………………………………… 5
CONCLUSION……………………………………………………………… 89
6
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE……………………………………………97
TABLE DES MATIÈRES………………………………………………….102
INTRODUCTION
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1
Cet acronyme est le diminutif de versus, et qui veut dire opposer à, en conflit avec…
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ou la sémiotique. Par son usage, il s’agira pour nous de nous engager dans une
tentative de définition de la philosophie chez Niamkey Koffi. Et, pour rendre
effectif notre projet, nous voudrions passer par la médiation de la controverse
sur la problématique de l’existence de la philosophie africaine, dont il fut l’un
des débatteurs ; débat lui-même articulé autour de La philosophie bantoue de
Tempels, avec pour problématique centrale la question : qu’est-ce que la
philosophie ? Celle-ci, reposerait-il sur le socle de l’ontologie comme le prétend
l’ethno-philosophie (Tempels) ? Ou, faudrait-il la fonder, selon l’indication de
l’euro-philosophie (Marcien Towa et Paulin Jean Hountondji), sur la science,
l’écriture, l’histoire, etc. ?
1) Le thème
2) Le cadre théorique
3) La problématique
4) Objectifs
Objectif principal
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5) La méthodologie
La méthode à laquelle nous faisons signe dans cette étude est la méthode
analytique. Cette méthode consiste à analyser, c’est-à-dire à décomposer, sonder
les profondeurs d’un concept ou d’une notion afin d’en saisir sa ou ses
significations véritables.
6) L’annonce du plan
Pour mener à bien notre étude, nous l’avons organisée en trois parties. La
première s’intitule ‘Afrique contemporaine et philosophie : problème de
définition et débat autour d’un concept’, et est ramifiée en deux chapitres.
Cette partie s’assigne pour projet, en premier moment d’indiquer le lieu
d’émergence du débat et d’analyser les concepts de ‘’philosophie bantoue’’,
d’ethnophilosophie ainsi que des contenus du mot philosophie tel que défini par
Marcien
Towa et Paulin Hountondji. Le second chapitre, vise à une
déconstruction/reconstruction à la fois de Tempels, Towa et Hountondji par
Niamkey Koffi à travers l’analyse de ce qu’Hountondji considère comme « extra
philosophique », c’est-à-dire mythes et oralité dans leur rapport à la fois à la
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La troisième et dernière partie de notre étude a pour titre ‘Des enjeux des
discours philosophiques controversés pour l’Afrique ou la philosophie et la
problématique des défis de développement africain’ et, à l’instar des autres
parties, obéit à une structure dyptique. Il s’agira ici, de problématiser la
problématique du débat sur la philosophie africaine, c’est-à-dire de ou des
enjeux sur la controverse autour d’une notion entre auteurs africains à un
moment historique donné.
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PREMIÈRE PARTIE :
D’UN CONCEPT
philosophie chez Marcien Towa et Paulin Jidenu Hountondji ainsi que leur
définition de la philosophie africaine.
avec les Noirs ». D’autres par contre, dont la prudence frise l’invulnérabilité
comme A. Karamoko (2017, p. 113 », pense que ce livre « obéit au projet
colonialiste de l’Eglise catholique, inséparable du projet global de domination
occidentale en Afrique
Noire. ». Notre projet, n’étant nullement de nous appesantir sur l’intention ou
l’ambition du livre, nous voudrions résolument porter notre attention sur la
signification du vocable ‘’philosophie’’ dans ‘’philosophie bantoue’’. Dès lors,
quelle signification le vocable ‘’philosophie’’ reçoit-il dans le syntagme
‘’philosophie bantoue’’ ?
Selon K. Niamkey (2018, p. 13), la théorie des forces est une idéologie
du pouvoir qui relève « du théologisme, car elle peuple l’univers de causes
animées, de génies, de divinités ». En tant que telle, la théorie des forces est du
ressort de ceux que Niamkey Koffi appelle les ‘’nyctosophes’’2 qui, dit-il,
l’exploite « pour asseoir leur autorité politique et faire respecter l’ordre social et
moral. », K. Niamkey (2018, p. 36). C’est pourquoi, contrairement à Tempels,
qui a vu dans la théorie des forces l’ontologie fondamentale ou positive de
l’africain, l’auteur de ’Essai sur l’articulation logique de la pensée akan-n’zima’
nous invite à la (= théorie des forces) considéré comme « une pratique (…)
d’intention politique de manipulation sociale. Cette manipulation passe elle-
même par une pseudo-pratique qui est réification d’un discours manipulé (…) et
réifié (= rite) », K. Niamkey (2018, p. 23). Ce qui implique une conversion des
regards dans l’approche gnoséologique et scientifique des sociétés dites
‘’primitives’’ séculairement estampillées du sceau de la transparence et de
l’authenticité des rapports sociaux et de l’unanimisme. Car, contrairement aux
idée reçues, souligne K. Niamkey (2018, p. 80), la théorie des forces «
appartient moins à l’ontologie qu’au système idéologique élaboré pour renforcer
l’ordre social et le maintenir en le fondant idéologiquement sur l’ontologie (…)
Dès lors, c’est dans le cadre de (…) la manipulation politique et (…) la
mystification idéologique (qu’il faut la comprendre). », car au final, la théorie
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Ce mot doit sa paternité à l’africaniste Dominique Zahan. Il fut obtenu à la convergence de deux mots grecs :
nyx (= nuit, obscurité) et sophia (= sagesse, connaissance). De ce fait, nyctosophe désigne celui ou celle qui
possède la connaissance, la sagesse ou les secrets de la nuit. Selon Niamkey Koffi, dans la société akan-n’zima,
ceux-ci font figures d’intellectuels, de philosophes ou idéologues, voire de représentants concrets des divinités
célestes et assurent le maintien de l’ordre politico-social et moral.
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total de contenus (…) », qui sont entre autres, pour Towa et Hountondji, la
science, la technique, l’écriture, histoire etc. tous des produits de la raison, et
que nous voulons éprouver sous la bannière de Niamkey Koffi.
désigner ainsi ces productions intellectuelles, ont fait usage d’une notion occulte et
occultante qui dissimule la diversité et l’hétérogénéité des manifestations culturelles et
des pratiques intellectuelles contradictoires de nos sociétés, en leur conférant une
homogénéité et une unité immédiate. La notion de tradition (…) permet de regrouper
ces phénomènes et ces évènements discursifs dispersés en une succession uniformément
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Cela dit, nous voudrions à présent porter notre attention sur le mythe et
l’oralité qui, aux yeux de Paulin Hountondji, sont des éléments ‘’extra
philosophiques’’, c’est-à-dire impropre à la pratique philosophique. Nous
voulons interroger Niamkey Koffi sur le rapport qu’entretiennent ces éléments à
la fois avec la philosophie en générale, et spécifiquement sur leur statut dans le
processus d’élaboration et de transmission du savoir en Afrique d’avant la
colonisation. Commençons avec le mythe. Dès lors, mythologie et philosophie :
coupure radicale ou apparente ?
De manière générale, les historiens de la philosophie nous apprennent
que celle-ci fut le résultat d’une histoire, c’est-à-dire le passage, voire la rupture
d’un mode de pensée à un autre, celui de la mythologie à la philosophie. Dans
cette perspective, J. Gaarder (1995, p. 37) souligne que « la philosophie
inaugure une manière de penser radicalement nouvelle. ». Car, avec son
avènement, « nous sommes passés d’un mode de pensée mythique à un mode de
pensée fondé sur l’expérience et la raison (…) », J. Gaarder (1995, p. 44). C’est
dans cette optique que Marcien Towa, de connivence avec Georges Gursdof, que
nous lisons sous la plume de celui-là, écrit que « la philosophie n’apparait qu’au
sommet d’un processus évolutif marqué de rupture qualitative, et au bas de ce
sommet, se trouve le mythe (…) En fait, le mythe ne fait que reproduire
l’instinct et la nature. », M. Towa (1961, p. 10). Comme on peut le voir, pour ces
auteurs, le mythe (= instinct, nature, irrationnel) a mauvaise presse et du coup,
exclu du champ de la philosophie, siège par excellence de la raison. Cette vision
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des choses reçoit-elle un écho similaire chez Niamkey Koffi ? Dès lors, que
signifie le mot mythe pour cet auteur ?
pour comprendre le mythe et sa rationalité, il faut saisir la ruse qu’il porte en sa trame
comme un défi rationalisé pour contourner les préceptes des puissances qui soumettent
l’humanité à leur loi : celle du plus fort. La logique qui caractérise le mythe, c’est le
décalage interne entre sa rationalité et son irrationalité et qui rend possible la ruse, K.
Niamkey (2014, p. 144). Comment comprendre ceci ?
La compréhension d’une telle approche du mythe nécessite au
préalable que l’on situe le lieu où les termes d’approche de la question. Et, le
lieu niamkeyen de l’approche du mythe, c’est ce qu’il appelle « la théorie de
l’émancipation ». Qu’est-ce à dire ? C’est dire que selon Niamkey Koffi,
l’humain, du microcosme qu’il est, fut de tout temps envahi et dominé par les
puissances à l’œuvre dans le macrocosme qu’est l’univers. Celui-ci lui impose
sa loi et, ce faisant, empêche l’homme de s’épanouir et d’exprimer la trajectoire
de sa logique destinale, c’està-dire sa liberté. Dans ces conditions, se pose dès
lors la question suivante : que
faire ou comment faire pour que l’homme recouvre et exprime cette
caractéristique fondamentale ? Pour ce faire, l’homme, à travers la ruse (= acte
sacrificiel, rituel), en tant qu’obéissance aux puissances de la nature, permet à
l’homme de détrôner les puissances par le système même qui permet de les
honorer. En clair, le mythe, contrairement aux idées reçues, n’est pas
irrationnelle mais plutôt constitue et dénonce à la fois une irrationalité, celle de
la domination millénaire de l’homme par la nature. En tant que telle le mythe,
fondamentalement, à l’instar des Lumières, est également une théorie critique et
rationnelle de la domination, de la peur et des angoisses qu’exercent sur les
hommes les puissances cosmiques. Le mythe est la théâtralisation et
l’explication de cette irrationalité : la domination. Dès lors, confondre le mythe à
cette irrationalité, serait lui enlever sa nature négative, c’est-à-dire sa fonction
critique.
De la sorte, il apparait clairement
que la critique de la domination, (étant) aussi vieille que la Raison (…) c’est par
mystification qu’on fait de la Raison l’apanage de la modernité représentée
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ces ‘’objets’’ (talisman ou fétiches), sont comparables, voire assimilables à une table
sur laquelle on lirait cette inscription : ‘’DEFENSE DE… SOUS PEINE DE…, c’est-à-
dire (…) l’expression d’une loi civile (…) De même que la loi apparait comme le garant
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d’un certain ordre, de même ces ‘’objets’’ permettent de préserver certains lieux,
certaines propriétés (…) . K. Niamkey (2018, p. 111).
l’oralité n’est pas l’unique dimension de la civilisation nègre. Elle est aussi une
civilisation de l’écriture ; et, cette écriture, c’est non seulement notre art
traditionnel, c’est aussi nos rites, nos danses, nos ‘’fétiches’’ qui véhiculent un
discours, un savoir, un message que seul peut appréhender un initié, K.
Niamkey (2018, p. 257).
DEUXIÈME PARTIE :
COMPRÉHENSION NIAMKEYENNE DE LA
PHILOSOPHIE ET DE LA ‘’PHILOSOPHIE
AFRICAINE’’
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l’idéologie, en son acception originaire, en tant que science des idées, s’inscrit
dans une perspective radicalement contraire aux intelligibles platoniciennes. En
effet, contrairement à Platon, l’inventeur du mot ‘’idéologie’’ se propose de
ramener les idées dans la réalité matérielle afin de les inscrire dans le vécu ou le
train-train quotidien. Aussi, faut-il préciser que, l’inventeur du mot, Antoine
Desttut de Tracy, se réclamait d’un système de pensée issu de l’Encyclopédie,
notamment celle du XVIIIe siècle, siècle des Lumières. Ces idées promues par
les encyclopédistes de cette période, entre autres, sont celles de liberté, d’égalité
et de refus d’exploitation de l’homme par l’homme. Après ce survol sur le
contexte historique de la profération du mot idéologie, et de l’objectif qu’il
visait, portons à présent notre attention sa signification et sa fonction dans la
pensée philosophique de Niamkey Koffi. Dès lors, qu’est-ce que le vocable
idéologie veut dire ?
Une lecture de Niamkey Koffi laisse comprendre que dans ces sociétés
dites primitives, notamment celle Akan-N’zima qu’il a particulièrement étudié,
la nature de la domination est d’ordre gnoséologique et exercée par ceux qui,
dans cette société ont figures d’idéologues, d’intellectuels, voire de philosophes,
à savoir les nyctosophes. Ceux-ci, à travers l’exploitation de la ‘’théorie des
forces’’ qui, nous le soulignions, est une idéologie du pouvoir. Dès lors, en quoi
consiste cette théorie des forces ou idéologie du pouvoir ?
laisse entendre que dans l’entendement du commun des mortels n’zima, l’Ayêne
est « le prédicat qui fonde la (…) condition de la possibilité et de l’efficacité de
la pratique (du nyctosophe) … Il est introduit dans la définition du nyctosophe
pour tenir lieu de la condition de possibilité de sa pratique. ». De ce fait, il
apparait clairement que le nyctosophe jouit d’un statut un peu spécial, un statut
de représentant terrestre des divinités célestes, c’est-à-dire l’être médiane,
médiateur et intermédiaire entre les hommes et les dieux et vice versa. Une telle
position confère au nyctosophe crédibilité qui, en réalité ne se déploie que sur la
crédulité de la masse n’ayant pas encore saisi et sondé l’opacité ou les
profondeurs du savoir. Dans cette optique, et faisant son nid sur la crédulité et
l’ignorance de la masse, la théorie des forces ou l’idéologie du pouvoir, souligne
K. Niamkey (2018, 36), est exploitée par les nyctosophes « pour asseoir leur
autorité politique et faire respecter l’ordre moral. ». La théorie des forces ou
l’idéologie du pouvoir, fonctionne comme « pratique (…) d’intention politique
de manipulation sociale. Cette manipulation passe elle-même par une pseudo-
pratique qui est réification d’un discours manipulé (…) et réifié (= le rite). ». Et,
c’est ce qui rend possible et plausible l’idée de ce qu’Hountondji a si
dédaigneusement appelé ‘’la philosophie collective ou populaire’’. En effet,
Niamkey Koffi, d’avis avec Paulin Hountondji, pense que la philosophie
collective est un mythe. Car, jamais dans aucune société, tout le monde n’a été
d’accord avec tout le monde. Mais, si ce mythe (la philosophie collective), se
meut en réalité, ce n’est ni par absence d’esprit critique mais comme effet d’une
coercition cognitive que la classe des nyctosophes exerce sur la conscience des
autres. Ainsi, K. Niamkey (2014, p. 131), souligne que « si nos sociétés
précoloniales sont des sociétés harmonieuses, cette harmonie ne s’obtient que
comme effet d’une certaine répression, et non pas nécessairement comme
l’expression d’un consensus unanimiste. ». Car au fond, insiste l’auteur, dans
les sociétés précoloniales (…), l’unanimité est une apparence qu’enregistre
acritiquement l’ethno-philosophie qui ne voit pas que l’harmonie et l’unanimité sont les
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effets d’une contrainte ou d’une répression exercée (…) sur les sujets qui, au demeurant
ont un rapport différentiel à l’idéologie dominante que l’unanimisme manifeste, K.
Niamkey (2018, p. 138).
Ceci dit, c’est dans le cadre de l’idéologie, en tant que forme réalisée de la
philosophie fonctionnant comme instrument de domination qu’il faut ranger la
thèse de philosophie collective ou populaire. K. Niamkey (2018, p. 106)
souligne à ce sujet que « ce qu’on appelle la philosophie collective n’a jamais
existé comme telle (…) En vérité, la question de la philosophie dite collective ou
populaire (…), c’est la question du consensus autour d’une philosophie qui la
transforme en idéologie. ».
par effet de maturité, Niamkey Koffi est parvenu à une séparation de l’acception
négative de l’idéologie dominante ou de classe comme constitutif du champ
philosophique. Nous pouvons même affirmer que cette conception
philosophique de l’idéologie de
Niamkey Koffi fut, sans nul doute, une incidence du marxisme à laquelle n’ont
pas échappé tous les intellectuels noirs et révolutionnaires de son époque. Or, au
fur et à mesure de son évolution dans sa pensée, et s’étant rendu compte de
l’échec du marxisme à rendre effectif l’expression et l’épanouissement de
l’homme, l’auteur s’est, avec un réflexe critique, démarqué du marxisme. A
propos, il convient de rappeler le propos critique adressé au marxisme et partant
à Marx par Niamkey Koffi. Il souligne en effet que
Le recours à Marx (…) doit être à la fois une reformulation et un retournement radical,
à partir (…) de la visée de la réflexion critique pour la réinvestir dans la réalité présente
(…) La nécessité révolutionnaire ne doit pas devenir, du fait de son impatience à
transformer le monde, un obstacle ou un blocage de la dialectique de l’émancipation
(…) Notre assimilation à Marx ne saurait se métamorphoser en une assimilation de
nousmêmes en Marx et en marxisme mécaniste s’opposant (…) à la critique, K.
Niamkey (2018, p. 140-141).
C’est pourquoi, contre l’application mécanique du marxisme, considérée comme
philosophie du salut des opprimés en générale et de l’Afrique en particulier, et
que prône certains théoriciens, K. Niamkey (2018, p. 140), après son auto
critique et la critique du marxisme, pense « que la tradition philosophique
nouvelle qu’il nous faudra promouvoir en Afrique, c’est d’instaurer, (…) une
tradition de théorie critique fondée sur l’idée essentielle que l’échec de toutes les
révolutions sociales signifie la transhistoricité de la domination du fait de
l’insuffisance des critiques de domination (…) ».
de la bataille, c’est-à-dire de prouver que l’on a raison, que l’on est un virtuose
de la démonstration, c’est-à-dire dans le maniement des lois propres au langage.
De la sorte, nous sommes amenés à dire avec K. Niamkey (2014, p. 49), que :
la philosophie comme système est fille d’un projet essentiel : l’exigence de légitimité,
exigence d’un discours premier et essentiel (…) exigence d’un discours intégral et
intégralement légitimé (…) C’est donc dans un monde déchiré par les oppositions entre
les idées (…) que la philosophie entre en scène et que l’exigence de systématicité (…)
se fait pressante
ce qui a séduit les philosophes dans les mathématiques, c’est la possibilité qu’elles ont
d’avancer par leur propre moyen conceptuel grâce à la déduction. Ainsi, toute
philosophie qui se veut systématique prend-elle une allure démonstrative dans la mesure
où elle est une preuve administrée à un adversaire sceptique
parties dans le tout. Ce qui dès lors définit la nature paradoxale du système
comme espace de la coexistence possible sur fond d’impossible co-maintenance.
Il nous semble que pour Niamkey Koffi, le système soit l’autre nom de
la configuration sociale qui, elle-même, à une structure dichotomique, à savoir
les dominants ou les puissants (= totalité) et les dominés ou faibles ou pauvre (=
parties, composants) et ou le règne des premiers se conjuguent ou déploient sur
la l’oppression ou la perte de liberté des seconds. En une telle conjoncture, pour
saisir la réticence niamkyéenne à l’endroit du système et de la critique qu’il lui
administre, un mouvement de recul doit être au préalable observer, qui consiste
à situer et clarifier les termes d’approche de cette critique. Dès lors, ou Niamkey
Koffi place-t-il le curseur de la critique du système ?
la notion du système est au cœur du problème de la liberté que l’on ne saurait brader
pour des raisons d’efficacité. A négliger la notion du système (…), on s’enlève la
possibilité de comprendre pourquoi les révolutions que la philosophie appelle de tous
ses vœux ne peuvent s’actualiser qu’en pervertissant la promesse de leurs fleurs
théoriques K. Niamkey (2014, p. 7).
C’est pourquoi, dans la mesure où elle ne se reconnait que dans la figure du
système, « la philosophie comme promesse et puissance de liberté reste une
promesse bloquée (…) », K. Niamkey (2014, p. 7). Dans ces conditions, le
projet ou l’intention initiale et ultime de la philosophie, qui est la réalisation de
la liberté et la justice se fourvoie et se pervertit. Comme on peut le voir, le
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La philosophie n’est pas système. Car une telle thèse ignore ou occulte
les conditions d’émergence du discours en système en rupture avec le discours
dialogique qui est inachèvement radicale, irréductible au concept métonymique
du tout dont il serait l’anamnèse. On oublie que le régime fragmentaire est celui
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de l’oralité pure et que l’oralité institue une temporalité dans l’œuvre et dans le
comprendre dont la première conséquence est le refus sinon l’absence de
méthode institutionnalisée. En somme, de la signification du philosopher
nyamkeyen, nous retenons qu’il est un choix et mode de vie, empreint
d’humanisme, c’est-à-dire qui considère l’homme comme la mesure-étalon, le
mettant ainsi au centre de la réflexion et de l’action.
Marcien Towa et Paulin Hountondji et qui justifia son incursion dans le débat à
titre correctionniste et critique. Nous avons vu avec lui que les éléments qui, au
nom d’une certaine caractérisation, ont été érigés comme exclusive au champ
philosophique pour frapper d’ostracisme les modes de pensées dits
‘’traditionnels’’, ne sont pas, en toute rigueur, à exclure du champ
philosophique. Car la philosophie est le nom singulier d’une chose plurielle.
Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce qui fait à la fois la singularité et la pluralité de la
philosophie ? Autrement dit, qu’est-ce qui demeure singulier dans la pluralité de
la pratique philosophique ?
La différence entre les produits de la raison tient à la liberté qu’a la raison de choisir le
point de départ qu’elle veut, ou qu’elle estime valable. Mais cette liberté se limite à ce
choix des données de bases. Dès cette première détermination, il n’y a plus liberté mais
nécessité, enchainement rigoureux, voire mécanique (…) La raison est un démiurge.
Elle est créatrice non pas de réalités nouvelles mais de catégories conceptuelles
nouvelles. Elle est facteur d’une formalisation spécifique ou prend corps un système
idéologique ou une pratique qui s’en informe (…).
À cette question, qui lui a été posée par M. Guy Kouakou à l’occasion
d’une interview, le point de vue de Niamkey Koffi ne transpire aucune
ambiguité. Selon l’auteur, aujourd’hui, par-delà la controverse, la question de la
philosophie africaine doit être abordée
essentiellement en termes de recherches (…) Il nous faut (…) convertir le regard sur nos
réalités pour dégager tout ce qu’on peut découvrir comme idées, comme pensées (…) Ce n’est
donc pas en terme de questionnement théorique, mais en termes de recherches pratiques que
nous avons à apporter des solutions à la question de la pensée africaine. (Car) sur ce chapitre,
le questionnement qui se tient entre quatre murs me semble dépassé, K. Niamkey (2018,
p. 199).
C’est pourquoi, il ne
ne partage pas le défaitisme de ceux qui pensent que ça vaut pas la peine d’aller
fouiller. Si l’archéologie est une tâche continue pour l’histoire, elle doit valoir
également pour la philosophie. Il faut, au niveau de la philosophie, faire des recherches
archéologiques sur nos pensées anciennes (…) Apporter des réponses non pas à travers
des discussions théoriques mais des travaux de recherches en profondeurs sur notre
culture, K. Niamkey (2018, p. 198).
TROISIÈME PARTIE :
Nous ne saurions clore cette étude sans revenir une fois de plus sur la
problématique du débat sur la philosophie africaine. Car, si nous avions laissé
entendre que la problématique au cœur de ce débat fit celle de la signification ou
définition de la philosophie, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger ou d’interroger la
problématique de cette problématique ?
POUR L’AFRIQUE
revenions dans l’Afrique elle-même (…) Car ce qui fait notre sous-développement, c’est
fondamentalement la désertion mentale de notre propre continent par nous-même (…),
nous vivons ailleurs et ignorons pratiquement tout de l’Afrique, uniquement attaché que
nous sommes à copier autrui, B. K. Comoé (1992, p. 83-84).
C’est dans cette mouvance, mais avec la récession et le réflexe critique qui le
caractérise, que se situe le philosophe Niamkey Koffi qui s’est évertué à une
construction endogène de la philosophie africaine. Si cette tendance à
l’endogénéité pourrait laisser poindre l’idée de celui-ci serait l’unique voie et
moyen en matière de développement pour l’Afrique, l’endogénéité, ici,
contrairement à Barthélémy Krou-Comoé, doit être entendu comme recours et
retour critique. C’est pourquoi pour lui, en matière de développement de
l’Afrique, qui a subi la colonisation et qui se pose en terme de modèle,
il y a lieu de renverser le platonisme dominant des modèles de notre développement.
Renverser le platonisme, c’est renversé la philosophie actuelle du développement, c’est-
à-dire affirmer le droit des simulacres entre les modèles icônes et copies (…) Dans
l’Afrique d’aujourd’hui qui connait un développement destruction-déstructuration de sa
société détournée de son développement endogène par l’impérialisme, il nous perdre le
regard passéiste, en gardant un regard historien, K. Niamkey (2018, p. 194-195).
Ce qui veut dire que selon l’auteur, que l’Afrique ait été vaincu dans sa
‘’rencontre’’ avec l’Occident, n’implique nullement ou nécessairement que nous
conjuguions notre développement selon le modèle occidental réduit au
scientisme et au technicisme. Contrairement à Marcien Towa, Niamkey Koffi
nous demande de « renverser le platonisme dominant (…) d’affirmer le droit des
simulacres », c’est-à-dire de donner force et consistance à nos valeurs et cultures
endogènes pour y trouver des voies et moyens de notre développement. Mais, ce
faisant, contrairement au discours narcissique et apologétique de l’ethno-
philosophie, il faut, comme il le dit, « perdre le regard passéiste, en gardant un
regard historien », c’est-à-dire critique. Toutefois, cette idée d’endogénéité
niamkeyéenne du développement ne doit nullement induire chez lui l’idée d’un
refus de l’extérieur. Puisque selon l’auteur, quoiqu’on dise, l’Afrique, « ouverte
sur le monde depuis des siècles (…) a connu comme tous les autres continents
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la référence au Modèle qui fait que notre africanité se présente comme un obstacle (…)
dans notre projet de développement technique et technologique, culturel et économique.
L’Afrique doit, (pour son) développement, assurer son historicité (…) par la
transformation de l’acquis scientifique disponible dans (son) horizon actuel. Il lui faut,
pour se prendre en charge soi-même, rompre avec les shèmes, les modèles, les copies
qui sont des idoles crépusculaires A. Karamoko (1983, p. 148-148).
CONCLUSION
93
dire que pour Niamkey Koffi, Towa et Hountondji, en tant que produits de la
pédagogie occidentale, réduisent le lieu de cette activité dans la seule et
exclusive sphère dans laquelle ils l’ont reçu et refusent de concevoir que, hors
du cercle universitaire, puisse émerger une activité que l’on pourrait qualifier de
philosophique. Après ces différents moments qui ont rythmé notre partie
inaugurale, nous avions, dans l’objectif de saisir la signification profonde de la
pratique philosophique chez Niamkey Koffi ainsi que concept de ‘’philosophie
africaine’’, opérer une plongée dans son univers conceptuel pour rendre
effective notre ambition. Ce qui a fait l’objet de notre deuxième partie qui eut
pour titre ‘Des caractéristiques et éléments de compréhension niamkeyéenne
de la philosophie et de la ‘’philosophie africaine’.
Cette étape a été le lieu où nous avions tenté, dans un premier moment
à travers l’analyse de quelques éléments terminologiques issus du champ
conceptuel de notre auteur, de saisir et comprendre ce que philosophie et/ou
philosopher peut vouloir signifier chez Niamkey Koffi. A cet effet, nous
analysions les concepts d’idéologie, de système et de régime fragmentaire.
Comme on a pu le montrer, l’idéologie, pour Niamkey Koffi s’inscrit au rendez-
vous de la dialectique de la philosophie entre théorie et pratique et qui fut, un
concept opératoire dans la tentative de monter le lieu où l’on peut assigner son
existence à la philosophie africaine dans les anciennes sociétés africaines. Mais
au fond, nous avons vu qu’en tant que manifestation pratique de la théorie
philosophique, fonctionnant foncièrement comme instrument de domination de
la pensée dominante, l’idéologie est aux antipodes de ce dont la philosophie est
la marque : la liberté. C’est pourquoi, certainement, sous l’effet de la maturité,
Niamkey Koffi a dû faire son autocritique sur la question de l’idéologie comme
forme pratique de la philosophie. Pour l’auteur, s’il est indéniable que la
philosophie est à la fois théorie et pratique, il ne faut nullement privilégier la
96
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
CEDA.
l’Harmattan.
-KOUASSI Yao Edmond, 2014, « Penser avec Niamkey Koffi contre Niamkey
Koffi », in le Kôrè, n°45-2014.
SOMMAIRE………………………………………………………………… 4
INTRODUCTION……………...…………………………………………… 5
CONCLUSION…………….…………………………………………………89
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE…………………………………………... 97