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UNIVERSITÉ FELIX HOUPHOUET-BOIGNY

(ABIDJAN)

UFR SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ


DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

Parcours D : PHILOSOPHIE DES CULTURES ET CIVILISATIONS


AFRICAINES

Année académique : 2017-2018

PHILOSOPHIE ET SIGNIFICATION À PARTIR DE

CONTROVERSES SUR LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

DE NIAMKEY KOFFI

Mémoire de master

SUPERVISEUR :
M. BOA THIÉMÉLÉ
RAMSÈS
PRÉSENTÉ PAR : Professeur titulaire
Directeur :
M. GOGBÉ Goli Jean Christ M. KOUADIO KOFFI
DÉCAIRD
Jonathan Maitre-Assistant
Licencié en philosophie
Parcours D : PHILOSOPHIE DES CULTURES ET CIVILISATIONS
AFRICAINES

Année académique : 2017-2018

PHILOSOPHIE ET SIGNIFICATION À PARTIR DE

CONTROVERSES SUR LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

DE NIAMKEY KOFFI

Mémoire de master
2
3
5

SOMMAIRE

INTRODUCTION……………...…………………………………………… 5

PREMIÈRE PARTIE : AFRIQUE CONTEMPORAINE ET


PHILOSOPHIE : PROBLÈME DE DÉFINTION ET DÉBAT AUTOUR
D’UN CONCEPT……………………………………………………………. 17
Chapitre I : De Placide Tempels à Paulin Hountondji : de La philosophie
bantoue comme ethno-philosophie ou signification vulgaire du mot
‘’philosophie’’………………………………………………………………….19
Chapitre II : Niamkey Koffi : critique de l’ethno et l’euro-philosophie : pour une
intégration philosophique des éléments ‘’extra philosophiques’’ (mythes et
oralité) …………………………………………………………… ……………29

DEUXIÈME PARTIE : DES CARACTÉRISTIQUES OU ÉLÉMENTS DE


COMPRÉHENSION NYAMKEYENNE DE LA PHILOSOPHIE ET DE
LA ‘’PHILOSOPHIE
AFRICAINE’’……………………………………………47
Chapitre I : Philosophie entre idéologie, système et régime fragmentaire
d’orientation micrologique……………………………………………………..
49
Chapitre II : De la ‘’philosophie
africaine’’…………………………………….71

TROISIÈME PARTIE : DES ENJEUX DES DISCOURS


PHILOSOPHIQUES CONTROVERSÉS POUR L’AFRIQUE OU LA
PHILOSOPHIE FACE À LA PROBLÉMATIQUE DES DÉFIS DU
DÉVELOPPEMENT AFRICAIN………………………………………… 76
Chapitre I : Des enjeux des discours philosophiques pour l’Afrique…………77
Chapitre II : La problématique des défis du développement………………….81

CONCLUSION……………………………………………………………… 89
6

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE……………………………………………97
TABLE DES MATIÈRES………………………………………………….102

INTRODUCTION
7

Le vocable ‘’philosophie’’, nous apprend J. Maritain (2013, p. 2), doit


sa paternité énonciative ou sa profération « au grec Pythagore, qui remarquant
que la sagesse revient en propre à Dieu seul, et voulant pour cela être nommé
non pas sage mais seulement ami (…) de la sagesse, proposa le premier le mot
de philosophie (…) amour de la sagesse ». Cette pensée, d’une transparence
cristalline, nous éclaire au moins sur trois faits. D’abord, elle nous renseigne sur
l’auteur à qui nous devons la paternité du mot philosophie. Ensuite, elle nous
indique la et/ou les raisons ayant présidé à sa profération (=l’humilité). Enfin,
Jacques Maritain, à travers cette pensée, nous fait voir et savoir la définition
étymologique de la philosophie (=amour de la sagesse).

Aussi, s’inscrivant dans cette perspective, P. Hadot (1995, p. 16) nous


fait savoir que : « Si nous parlons maintenant de philosophie, c’est parce que les
grecs ont inventé le mot philosophia, qui veut dire ‘’amour de la sagesse’’, et
c’est parce que la tradition de la philosophia, s’est transmise au Moyen Âge puis
aux Temps Modernes. » Ce que nous remarquons des pensées de ces deux
auteurs, c’est leur convergence de point de vue relativement à l’origine grecque
du mot philosophie, mais aussi et surtout, sur l’itinéraire spatial, historique et
temporel suivi par la tradition philosophique que la pensée de Pierre Hadot à
l’avantage de mettre en exergue. Comme on peut le voir, la philosophia,
s’originant dans la Grèce antique, a été reçue en héritage par le Moyen Âge et la
modernité européenne. À cela, il importe d’ajouter que cet ‘’amour de la
sagesse’’ que traduit le mot grec philosophia, au regard de la longue tradition
philosophique de l’antiquité grecque à la modernité européenne, fut le théâtre
d’une profusion de significations, tributaires des singularités conjoncturelles,
politiques et idéologiques propre à chaque époque et ses exigences, ayant pour
visée téléologique la réalisation de la liberté, du bonheur, voire du salut de
l’homme.
8

Ainsi, la philosophie, activité intellectuelle et rationnelle, a connu une


prodigieuse croissance dans l’antiquité grecque avec Parménide et Héraclite,
Platon et Aristote, les Épicuriens et les Stoïciens entre autres. Son passage dans
l’Occident chrétien au Moyen Âge se fit par le truchement de Saint Augustin et
Saint Thomas d’Aquin. Une nouvelle vigueur lui sera apporté par la modernité
européenne, c’est-à-dire au XVIIe siècle à travers quelques figures de proues en
les personnes de Descartes, Spinoza, Malebranche. Elle (=la philosophie) a
connu son moment critique au XVIIe siècle avec l’Aüfklarung, c’est-à-dire la
philosophie des Lumières avec Kant, Hume etc.

De ces généralités jusqu’ici proférées à propos de la philosophie,


relativement à son origine et du mouvement historique, spatial et temporel
qu’elle a suivie, une remarque s’impose : celle de l’occidentalité exclusive de la
philosophie, qui donne à penser que les autres aires humaines et culturelles du
globe terrestre, relativement à la philosophie, mènent une vie marginale et
parenthétique. Ce qui dès lors nous conduit à poser la question ci-après : est-ce
unilatéralement dans la sphère gréco-européenne que l’activité ou la tradition
philosophique a-t-elle eu cours à l’exclusion des autres aires géographique, en
l’occurrence l’Afrique ? À cette interrogation, et précisément en ce qui concerne
l’Afrique, J. G. Bidima (1995, p. 3) répond que bien qu’étant d’origine grecque,
« la philosophie, réalité étrangère gonflée de ses titres de noblesse et de séjour, a
fait son escale en Afrique en attendant (…) de continuer son Odyssée ». Dès
lors, il ne serait pas superflu de se poser la question ci-après : dans quelle
condition cette escale de la philosophie en Afrique a-t-elle été rendue possible ?

En Afrique noire contemporaine, écrit K. Niamkey (2018, p. 122), «


c’est (…) dans un climat de domination coloniale que fit son apparition, pour la
première fois, après bien des dénégations, dans l’univers du livre, l’idée que le
Nègre avait une philosophie. ». En effet, c’est en 1945 que le missionnaire
Placide Tempels, publia un ouvrage intitulé en sa version originaire Bantu-
9

filosofie, et réédité en langue française par Présence Africaine en 1949 sous le


titre La philosophie bantoue. Avec la publication de ce livre, Tempels, envers et
contre tous, ainsi que le fait remarquer S. B. Diagne (2013, p. 62), « pour la
première fois, associait à une culture africaine ce qui était tenu pour la
quintessence et l’esprit même de la civilisation européenne, ce qui la mettait à
part du reste de l’humanité : la philosophie. ». Cet ouvrage, produit dans un
contexte colonial, reçut dans les années 1970, c’est-à-dire au lendemain des
indépendances des pays africains, diverses fortunes du point de vue de sa
réception en général et philosophique en particulier, portant notamment sur la
signification du vocable ‘’philosophie’’ en exergue dans l’intitulé dudit livre par
les philosophes africains fraichement émoulus des universités occidentales. Dans
ces conditions, la signification du vocable ‘’philosophie’’, comme l’indique K.
Niamkey (1996, p. 9), s’est trouvée « prise dans un vertige de manège qui la
pousse dans plusieurs directions. (Car), les définitions ont tant multiplié leur
divergence qu’il est quasiment devenu impossible de la ramener à un même
principe. ». Autrement dit, la conjoncture coloniale, qui a présidée à la
profération du vocable ‘’philosophie’’ en Afrique, a engendrée une rupture de
sens relativement à sa définition entre les auteurs africains, eux-mêmes
progénitures de la pédagogie philosophique occidentale « reproduisant les
catégories philosophiques et scientifiques de l’univers cultuel occidental (…) »,
K. Niamkey (2018, p. 81). De ces divergences sémantiques, naquirent des
controverses qui divisèrent et opposèrent les philosophes africains en deux
camps : le camp des ethno-philosophes vs1 le camp des euro-philosophes. Dès
lors, quelles sont les idées essentielles des uns et (ou contre) les autres ?

Les partisans de l’ethno-philosophie, avec pour chefs de fil Placide


Tempels et Alexis Kagamé, dans l’économie de leur thèse, affirment non
seulement l’existence d’une philosophie africaine, mais aussi et surtout,

1
Cet acronyme est le diminutif de versus, et qui veut dire opposer à, en conflit avec…
10

postulent, voire radicalisent la thèse de la spécificité de cette philosophie par


rapport à celle de l’Occident : c’est le spécifisme. Dans cette approche spécifiste
et différentialiste de la philosophie, celle-ci a une connotation culturaliste, voire
vitaliste. En somme, dans cette optique, la philosophie se pense comme étant
consubstantielle à la culture, à la vision du monde et du mode de vie. Aux
antipodes d’une telle conception de la chose philosophique, les tenants du
courant critique, d’obédience euro-philosophique, dont les figures de proues
furent, entre autres Marcien Towa et Paulin Jidenu Hountondji, défendent la
thèse d’une approche universelle de la philosophie faisant systématicité avec
l’occidentalité. Ici, la philosophie, par-delà ces diverses applications
géographiques, est frappée d’univocité sémantique dont les traits caractéristiques
sont la science, la technique, l’histoire, la théorie, etc. Par ailleurs, il convient de
noter que ces caractérisations de part et d’autres de la philosophie, seront jugées
insatisfaisantes et non rigoureuses par une autre horde de philosophes africains,
à savoir le courant critique critique, parmi lesquels figurent Niamkey Koffi. Ce
courant, substantiellement pourrait-on dire, reproche à la fois aux deux courants
précédents leur manque de vigilance dans leur appréhension de la philosophie.

Ces controverses ont mobilisé l’épanouissement d’une abondante


littérature de laquelle l’on ne pourrait ni ne saurait se passer pour la bonne
conduite de notre travail. Toutefois, nous voulons, dans le cadre de notre étude,
opérer un double réductionnisme. Le premier, c’est que, eu égard la
volumineuse bibliographie, à caractère linguistique francophone et anglophone,
relative à ces controverses sur la philosophie africaine, nous avons mis l’accent
unilatéralement sur les auteurs francophones. Le second réductionnisme, quant à
lui, à consister à circonscrire nos auteurs francophones à trois, en l’occurrence
Marcien Towa, Paulin Hountondji et Niamkey Koffi, sans oublier le Révérend-
Père Placide Tempels, auteur du livre à l’origine des controverses.
11

C’est à l’issue de nos lectures de ces auteurs controversistes,


s’affrontant et se confrontant sur la signification du vocable philosophie, que
nous avons été amené à nous interroger sur la signification du vocable
philosophie, notamment chez le philosophe Niamkey Koffi, à partir d’un
ancrage dans son ouvrage Controverses sur la philosophie africaine. C’est en
cela que prend sens la formulation de notre sujet comme suit énoncer : «
Philosophie et signification à partir de Controverses sur la philosophie
africaine de Niamkey Koffi. ». Que signifie un tel sujet ? Comment entendons-
nous l’aborder ? Mais avant, nous voudrions, brièvement, dire quelque chose à
propos de notre auteur.

Sans vouloir faire œuvre de biographe, nous voulons souligner que


Niamkey Koffi est un philosophe ivoirien. Il fut le premier africain et ivoirien à
avoir été recruté au département de philosophie de l’université nationale de Côte
d’Ivoire (aujourd’hui université Félix Houphouët Boigny) en tant qu’enseignant
depuis les années 1974. Comme on peut le voir, notre auteur a contribué à la
formation de plusieurs générations de philosophes africains et ivoiriens, devenus
eux-mêmes de maîtres incontestables. Dans cette perspective, et au regard de
cette longue carrière professorale de l’auteur, que H. Bah (2014, p. 12) reconnait
« l’immensité du travail abattu par (…) Niamkey en matière de formation ».
Aujourd’hui, sans totalement s’être retiré de l’espace universitaire, Niamkey
Koffi se produit sur le terrain de la politique, dans l’optique de mettre au service
de l’Afrique en générale, et de la Côte-d’Ivoire en particulier, son capital de
connaissance, en vue du développement de l’Afrique et, précisément de son
pays. Cela dit, revenons à présent sur la question relative à la signification et
l’orientation de notre sujet.
Notre projet fondamental, à travers ce sujet, est de signifier la
philosophie chez Niamkey Koffi. Le mot ‘’signification’’, en exergue dans notre
sujet, est à purger de son acception linguistique, renvoyant ainsi à la sémantique
12

ou la sémiotique. Par son usage, il s’agira pour nous de nous engager dans une
tentative de définition de la philosophie chez Niamkey Koffi. Et, pour rendre
effectif notre projet, nous voudrions passer par la médiation de la controverse
sur la problématique de l’existence de la philosophie africaine, dont il fut l’un
des débatteurs ; débat lui-même articulé autour de La philosophie bantoue de
Tempels, avec pour problématique centrale la question : qu’est-ce que la
philosophie ? Celle-ci, reposerait-il sur le socle de l’ontologie comme le prétend
l’ethno-philosophie (Tempels) ? Ou, faudrait-il la fonder, selon l’indication de
l’euro-philosophie (Marcien Towa et Paulin Jean Hountondji), sur la science,
l’écriture, l’histoire, etc. ?

1) Le thème

Les éléments terminologiques essentiels de notre sujet sont ceux de


‘’philosophie’’, ‘’signification’’, ‘’philosophie africaine’’. De quoi s’agira-t-il ?
Il va s’agir de dire ce que le vocable veut dire chez Niamkey Koffi par un détour
sur la controverse relative à la philosophie africaine. Mais avant, tentons ici de
saisir ou d’étendre des brochettes de définitions des concepts de ‘’philosophie’’
et de ‘’philosophie africaine’’, dans une cursive perspective historiqu e qui n’a
nullement prétention à l’exhaustivité. D’abord, le vocable ‘’philosophie’’.

Etymologiquement, le mot philosophie vient du vocable grec


philosophia, qui veut dire ‘’amour de la sagesse’’. La philosophia grecque, dans
l’antiquité, comme le souligne P. Hadot (1995, p. 18), se définissait comme « un
certain choix de vie (…) une certaine option existentielle, qui exige de l’individu
un changement total de vie, une conversion de tout l’être (…) ». Pour faire bref,
la philosophie antique, fondamentalement, fut un exercice qui consistait « à se
tourner vers la vie intellectuelle et spirituelle, réaliser une conversion qui met en
jeu toute l’âme » en vue du bonheur et du salut de l’homme, P. Hadot (1995, p.
106). Au moyen-âge, considéré comme âge de l’obscurantisme en raison de la
13

domination du Christianisme et de la foi, la philosophie grecque, comme art de


vivre en vue du bonheur et du salut par la raison, perdra de son tranchant et
conduira, voire condamnera la philosophie à n’être qu’une simple activité
théorique. Dans cette perspective, L. Ferry (2010, p. 90) fait remarquer qu’«
avec la victoire du christianisme sur les grecs, la philosophie va cesser d’être un
art de vivre, une doctrine du salut par la raison pour devenir un commentaire
critique des notions. ». C’est ici que la philosophie comme scolastique, c’est-à-
dire comme activité scolaire et universitaire prend son acte de naissance. La
modernité philosophique occidentale, en la personne d’un de ses éminents
représentants, en l’occurrence René Descartes, s’insurgera contre cette
représentation exclusivement théorique ou scolastique de la philosophie. Dans
cette perspective, il exprima son désarroi en ces termes : « Au lieu de cette
philosophie spéculative que l’on enseigne dans les écoles, on peut trouver une
pratique (…) et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »,
(R. Descartes 1951, p. 90-91). Notons que cette volonté de maîtrise et
possession de la nature par l’homme, fut la résultante de la révolution
copernicienne et la conception scientifico-mathématique de la nature inaugurée
par Galilée. Avec cette raison scientifico-mathématique de la nature, nous
assisterons à sa démystification, c’est-à-dire,
à un remplacement définitif (…) de la conception de la nature comme présence
ontologique et puissance, par une conception mathématico-technique qui ramène la
nature à une étendu géométrique inerte par suite soumise à la connaissance scientifique
et à la volonté technicienne de l’homme, F. Misrachi (1951, p. 16).

En somme, à l’époque moderne, la philosophie s’est définie comme une volonté


d’assurer le bonheur, la liberté et le salut de l’homme sous la bannière de la
science et la technique. Toutefois, rappelons qu’il y eu toute une philosophie
critique de cette vision scientiste et techniciste de la modernité philosophique
par des auteurs de l’École de Franckfort, en l’occurrence Jugen Harbermas.
14

Après ce bref survol historico-définitionnel du vocable philosophie,


portons à présent notre attention sur le concept de ‘’philosophie africaine’’.

Selon K. Niamkey (2018, p. 17), « le concept de ‘’philosophie


africaine’’ est un mot qui désigne les diverses philosophies africaines dans leur
masse. ». Autrement dit, l’expression ‘’philosophie africaine’’, est le singulier
d’une chose plurielle qui, par-delà leur appartenance à un même espace
géographique, ne recouvre nullement une homogénéité de sens. C’est sans nul
doute dans cette optique que Hubert Mono Ndjana, dans son article ‘’La
philosophie africaine d’hier à aujourd’hui’’, a essayé de saisir ce concept dans
une visée historique que nous voulons reprendre à notre compte. Ainsi, H. M.
Ndjana (2013, p. 33), nous invite à « distinguer dans un regard panoramique :
l’autrefois, qui correspond à l’Antiquité, l’avant-hier, qui peut se situer (…)
quelque peu (…) au Moyen Âge, le hier qu’on peut mettre au niveau de la
philosophie moderne, puis finalement l’aujourd’hui, qui débouchera sur la
philosophie africaine contemporaine. », et de laquelle il sera question dans cette
étude. A propos de cette dernière, G. Biyogo (2006, p. 15), fait remarquer
qu’elle s’enracine dans « le tempelsianisme, qui entendait fonder une pensée
bantu (…) essentiellement ontologique ». Face à ce courant ethnophilosophique,
d’obédience ontologique, réagira un autre courant, « une philosophie africaine
critique et autocritique (Marcien Towa et Paulin Hountondji) (…)
l’ethnophilosophie va susciter des débats et donner droit à un (autre) courant : la
critique de la critique de l’ethnophilosophie (Niamkey Koffi) ». G. Biyogo
(2006, p. 16-17).

2) Le cadre théorique

Notre travail d’étude et de recherche s’inscrit dans le parcours D : «


Philosophie des cultures et civilisations africaines ». Le cadre théorique dans
15

lequel nous l’inscrivons est celui de la philosophie de la culture. Notre champ


conceptuel est circonscrit et s’articule autour des concepts d’’’ethno-
philosophie’’, ‘’philosophie’’, ‘’philosophie africaine’’, ‘’idéologie’’,
‘’système’’, ‘’régime fragmentaire’’ et ‘’développement’’.

3) La problématique

Notre problématique, structurée sous forme de questions, part d’un


problème ; celui de la divergence des points de vues sur la définition de la
philosophie entre auteurs africains. Pendant que certains, en raisons de tels ou
tels critères et caractéristiques lui confère telle ou telle définition, d’autres,
prenant le contre-pieds, proposent des visées définitionnelles différentielles. Ces
points de vues contradictoires concernant la signification de la philosophie nous
a conduit à poser la question, au demeurant centrale et structurante de notre
étude, à savoir : que signifie la philosophie ? Et, puisque notre approche
s’effectue sous la bannière de Niamkey Koffi, l’impératif s’est fait jour de la
circonscrire à notre auteur en lui posant, relativement à la perspective de la
définition, les questions relatives aux caractéristiques, fondement, finalité et
enjeu de la philosophie. Dès lors, quelles sont, selon Niamkey Koffi, les
caractéristiques, fondement, finalité ou enjeu de la philosophie ? Aussi, étant
donné notre point départ, à savoir celui de la controverse sur la philosophie
africaine, nous voulons nous interroger deux aspects du débat, en l’occurrence
ceux relatifs aux lieu de la question et des enjeux. Ce qui nous conduit à
formuler les interrogations suivantes : quelle est l’aire de relevance de la
controverse sur l’existence de la philosophie africaine ? Quel en étaient les
enjeux pour l’Afrique ? Telles sont les questions constitutives de notre
problématique que nous voilons analyser en nous appuyant sur Niamkey Koffi.

4) Objectifs

Objectif principal
16

-Définir le concept de philosophie chez Niamkey Koffi.


Objectifs secondaires

-Montrer que la philosophie, en elle –même, est un art de vivre, un style de


vie.
-Montrer que la philosophie est une activité critique, une quête de la liberté
et de développement de soi.

-Montrer que la ‘’philosophie africaine’’ est mot singulier d’une chose


plurielle

5) La méthodologie

La méthode à laquelle nous faisons signe dans cette étude est la méthode
analytique. Cette méthode consiste à analyser, c’est-à-dire à décomposer, sonder
les profondeurs d’un concept ou d’une notion afin d’en saisir sa ou ses
significations véritables.

6) L’annonce du plan

Pour mener à bien notre étude, nous l’avons organisée en trois parties. La
première s’intitule ‘Afrique contemporaine et philosophie : problème de
définition et débat autour d’un concept’, et est ramifiée en deux chapitres.
Cette partie s’assigne pour projet, en premier moment d’indiquer le lieu
d’émergence du débat et d’analyser les concepts de ‘’philosophie bantoue’’,
d’ethnophilosophie ainsi que des contenus du mot philosophie tel que défini par
Marcien
Towa et Paulin Hountondji. Le second chapitre, vise à une
déconstruction/reconstruction à la fois de Tempels, Towa et Hountondji par
Niamkey Koffi à travers l’analyse de ce qu’Hountondji considère comme « extra
philosophique », c’est-à-dire mythes et oralité dans leur rapport à la fois à la
17

philosophie en général et, particuluèrement, en tant que modalités de conception


et transmission du savoir en Afrique précoloniale.

Notre deuxième partie, qui a pour titre ‘Des caractéristiques et éléments


de compréhension Nyamkeyenne de la philosophie et de la ‘’philosophie
africaine’’ ’, est également structurée en deux chapitres. Il s’agira dans un
premier moment pour nous d’analyser le concept de philosophie, à partir de
quelques éléments terminologiques extraits du champ conceptuel de Niamkey, à
savoir l’idéologie, le système, le régime fragmentaire, la diduction, la parataxis.
Le second chapitre est consacré à la définition et perspectives du concept de
‘’philosophie africaine’’ par-delà la controverse.

La troisième et dernière partie de notre étude a pour titre ‘Des enjeux des
discours philosophiques controversés pour l’Afrique ou la philosophie et la
problématique des défis de développement africain’ et, à l’instar des autres
parties, obéit à une structure dyptique. Il s’agira ici, de problématiser la
problématique du débat sur la philosophie africaine, c’est-à-dire de ou des
enjeux sur la controverse autour d’une notion entre auteurs africains à un
moment historique donné.
18

PREMIÈRE PARTIE :

AFRIQUE CONTEMPORAINE ET PHILOSOPHIE :


PROBLÈME DE DÉFINITION ET DÉBAT AUTOUR
19

D’UN CONCEPT

L’une des caractéristiques de la philosophie contemporaine en Afrique


noire, est sans conteste celle du débat sur la problématique de l’existence ou non
d’une philosophie africaine. Ce débat qui, nous apprend R. T. Boa (2018. P. 9) «
fait commencer l’histoire de la philosophie africaine contemporaine », s’articule
autour de l’ouvrage de Placide Tempels La philosophie bantoue, portant sur la
signification ou définition du vocable philosophie en exergue l’intitulé dudit
livre entre auteurs africains. Dans ce débat qui a mobilisé beaucoup d’énergie
théorique, nous voudrions, dans cette étape de notre étude, par la convocation
d’un cercle restreint d’auteurs (Tempels, Marcien Towa, Paulin Hountondji et
Niamkey Koffi), reconduire cette polémique. Et ce, non pas pour un
ressassement rébarbatif des pensées déjà pensés, mais aussi et surtout, pour non
seulement situer les lieux de la question et faire voir les nuances ou
métamorphoses de sens du vocable philosophie d’un auteur à un autre. Cette
partie, structurée en deux chapitres, sera le lieu dans le premier chapitre, de
brièvement analyser le sens du mot ‘’philosophie’’ dans ‘’philosophie bantoue’’
et du néologisme ‘’ethno-philosophie’’ dont ont accouché les philosophes
Marcien Towa et Paulin Hountondji, en réaction à Tempels, pour déboucher sur
les définitions, c’est-à-dire les contenus ou caractéristiques du vocable
20

philosophie chez Marcien Towa et Paulin Jidenu Hountondji ainsi que leur
définition de la philosophie africaine.

En un second moment, fondamentalement critique, nous procéderons à


une déconstruction/reconstruction des thèses de Tempels, Towa et Hountondji à
propos non seulement de leur présupposés ou caractéristiques qui informent le
mot ‘’philosophie’’, et de certains faits de cultures africaines, considérés comme
hors du champ de la philosophie, à savoir mythe, oralité.

CHAPITRE I : DE PLACIDE TEMPELS À PAULIN HOUNTONDJI : DE LA


PHILOSOPHIE BANTOUE COMME ETHNO-PHILOSOPHIE OU
SIFNIFICATION VULGAIRE DU MOT ‘’PHILOSOPHIE’’

En 1945, en pleine période de colonisation de l’Afrique, un


missionnaire belge, le Révérend-Père Placide Tempels, envers et contre tous, et
après bien de dénégation dans l’univers du livre, publia un ouvrage ou celui-ci
fit appliquer à l’Afrique, ce qui était jusque-là perçu comme la quintessence et
l’esprit même de la civilisation européenne, à savoir la philosophie, à travers son
livre La philosophie bantoue. Le contexte colonial qui présida à sa production
suscita diverses appréhensions chez les auteurs africains. D’aucuns, en la
personne d’A. Diop (1949, p. 7) manifeste son enthousiasme en affirmant que :
« pour moi, ce petit livre est le plus important de ceux que j’ai lu sur l’Afrique
(…) Nous remercions le R. P. Tempels de nous avoir donné ce livre, témoignage
pour nous de l’humilité, (…) et de la probité qui ont dû marquer ses rapports
21

avec les Noirs ». D’autres par contre, dont la prudence frise l’invulnérabilité
comme A. Karamoko (2017, p. 113 », pense que ce livre « obéit au projet
colonialiste de l’Eglise catholique, inséparable du projet global de domination
occidentale en Afrique
Noire. ». Notre projet, n’étant nullement de nous appesantir sur l’intention ou
l’ambition du livre, nous voudrions résolument porter notre attention sur la
signification du vocable ‘’philosophie’’ dans ‘’philosophie bantoue’’. Dès lors,
quelle signification le vocable ‘’philosophie’’ reçoit-il dans le syntagme
‘’philosophie bantoue’’ ?

Selon le missionnaire belge, le mot philosophie signifie « un système


de principe (…) un système logique (…) », P. Tempels (1961, p. 24). Appliquer
aux bantous, cela revient à signifier le système de principe logiquement cohérent
dudit peuple qui, au demeurant, n’est qu’une vision du monde, voire un système
religieux. Cette vision du monde ou mode vie, reçoit une signification
ontologisante chez l’homme de l’Eglise qui, souligne S. K. Grandvaux (2013, p.
26), conçoit « la philosophie sur le modèle de la religion, comme un système de
croyances permanent (…) réfractaire à toute évolution (…) imperméable au
temps et à l’histoire. ». Ce qui ne saurait étonner d’autant plus que la perspective
qui est la leur est celle d’une philosophia perennis. Qu’est-ce à dire ? En effet,
formé dans la tradition scolastique, Tempels s’inscrit dans cette quête des
principes ontologiques premiers et universels et conçoit la philosophie sous le
mode du théologisme. De la sorte, à travers le syntagme de ‘’philosophie
bantoue’’, il entend le système religieux ou l’« ontologie logiquement cohérente
» du bantu, P. Tempels (1961, p. 24). Comme on le voit, le vocable philosophie,
sous la plume de Tempels, du point de vue de sa définition, est frappé d’un
double réductionnisme. Il veut dire système et ontologie.

Toutefois, il faut le souligner, contrairement à l’ontologie occidentale,


en tant que discours de l’être en tant qu’être, le missionnaire belge, partisan du
22

spécifisme, postule, et même radicalise l’existence d’une ontologie dynamique,


une ontologie de la force à l’œuvre chez le bantu, qui informe sa pensée et son
être. Il souligne en effet que « le concept de force est lié au concept d’être jusque
dans la pensée la plus abstraite de la pensée de la notion d’être (…) en formulant
la pensée de l’être dans la pensée bantoue : l’être est ce qui possède la force (…)
la force c’est l’être, l’être c’est la force. », P. Tempels (1949, p. 32). Ce serait
cette ontologie de la force qui régulerait et structurerait la morale, le mode de vie
et d’être du bantu. Dans cette perspective, souligne-t-il, « le ressort et la fin de
tout effort bantu ne peuvent être que l’intensification de la force vitale,
sauvegarder ou augmenter la force vitale, voilà la clé et le sens profond de tout
leur usage », P. Tempels (1961, p. 34). En clair, le mot ‘’philosophie’’ dans
‘’philosophie bantoue’’ est synonyme d’ontologie bantoue, c’est-à-dire le
système religieux, la représentation du monde, le mode d’être et de vie du bantu.
Mais cette ontologie bantoue, diffère de celle de l’Occident, puisque la réalité
ontologique de celle-ci (l’être) se traduit différemment chez le bantu (force
vitale). Cependant, fait remarquer P. Tempels (1949, p. 9), puisqu’il ne faut pas
prétendre « que les bantous soient à même de (…) présenter un traité de
philosophie, exposé dans un vocabulaire adéquat », c’est certainement à lui «
qu’il appartient d’en faire le développement systématique (…) de leur dire d’une
façon précise, qu’elle est leur conception intime des êtres (…) », P. Tempels
(1949, p. 9). Cette remarque, combien significative, nous semble être un indice
suffisant pour être dubitatif quant à la reconnaissance et l’adhérence des bantous
à cette théorie ontologique tempelsienne, dans la mesure où celle-ci s’élabore sur
le silence voire l’absence des bantous. Ce qui conduit à penser que la
philosophie bantoue est moins celle des bantous que l’intuition de Tempels sur
les bantous.

Le succès du livre de Tempels, dû sans nul doute au caractère


évènementiel qu’il représentait (la nouveauté du mot philosophie), à produit ce
23

qu’A. Karamoko (2017, p. 17) a qualifié « d’effet Tempels », c’est-à-dire


l’épanouissement d’une littérature de saveur africaine divisée en deux
catégories.
D’une part, les continuateurs du travail du missionnaire et d’autre part, les
pourfendeurs de l’ouvrage. Dans cette seconde catégorie, se rangent entre autres
Marcien Towa et Paulin Jidenu Hountondji qui, en réaction au sens octroyé à
Tempels au mot philosophie, qu’ils recevront d’ailleurs avec froideur et
sécheresse, accoucheront d’un néologisme : l’ethno-philosophie, une sorte de
caricature, voire d’imposture même de la chose philosophique et sur lequel nous
voudrions maintenir l’attention. Dès lors, que signifie ce mot et quelle
signification le vocable philosophie reçoit-il chez ces deux auteurs ? D’abord, à
propos de l’ethno-philosophie.

Le concept ‘’ethno-philosophie’’ est le fruit d’une hybridation né d’un


jeu combinatoire, c’est-à-dire de la convergence de deux autres mots, à savoir
ethno (diminutif d’ethnologie) et philosophie. Selon l’un de ses inventeurs, en
l’occurrence P. J. Hountondji (1976, p. 14), l’ethnophilosophie « est une
ethnologie à prétention philosophique », c’est-à-dire une ‘’discipline’’ qui, dans
une sorte d’approximation grossière, pourrait être définie comme la
‘’philosophisation’’ des données culturelles. Qu’est-ce que cela veut-il dire ?
Cela veut dire que l’ethno-philosophie est une sorte d’appropriation ou prise en
charge théorique des éléments produits par l’anthropologie culturelle ou de
l’ethnologie (science-fille de la colonisation), par des philosophes de formation
et de profession à des fins de systématisation. Cette entreprise de systématisation
du divers anthropologique, par l’intégration en son sein des données ‘’extra
philosophiques’’ (mythe, oralité), au terme de son étude, les baptisent ou
présentent comme philosophiques. A ce stade de notre propos, il convient de
nous interroger sur les conditions de possibilités de cette discipline. Autrement
dit, à quelle condition et finalité l’ethno-philosophie a-t-elle été possible ?
24

Selon M. Towa (1961, p. 3), l’ethno-philosophie, en tant que


‘’philosophisation’’des données ethnologiques, « est né précisément de la
révolte contre l’affirmation de l’occidentalité exclusive de la philosophie. ». En
effet, pendant longtemps, la philosophie, activité de ‘’haute’’ rationalité, était
jusque-là tenu comme l’apanage et le monopole exclusif de l’Occident, ce qui
faisait non seulement sa dignité anthropologique, mais aussi et surtout sa
supériorité. Et, cette supériorité que confère la philosophie, en tant que siège de
la raison et civilisation élevée et propre à l’Occident, a de fait légitimé son
expansion impérialiste et colonialiste. Dans un tel contexte, il fallait, pour la
mise en ruine de l’édifice théorique légitimant cette attitude expansionniste de
l’Occident, procéder par négation dudit discours. Cette attitude de négation du
discours européen a dès lors conduit les ethno-philosophes, c’est-à-dire des
auteurs, africains en l’occurrence, formés à la discipline qui a pris la
dénomination de philosophie, à partir des cultures, religions et art et qu’ils
baptisent de philosophie au terme d’une interprétation et systématisation. Mais,
cette entreprise ne semble pas rencontrer l’assentiment de M. Towa (1961, p.
26), qui d’ailleurs la dénonce en y voyant la conséquence d’une « révision même
de la notion de philosophie, révision qui revient toujours à son élargissement, de
sorte à pouvoir y inclure aussi les modes de pensées propres à l’Africain. Le
concept en est dilaté jusqu’à prendre la même extension que celui de culture (…)
». Comme on peut on le voir, à travers ce propos, Marcien Towa établit, voire
radicalise une cloison notionnelle entre ‘philosophie’’ et ‘’culture’’. Car, la
‘’philosophie’’ (concept, activité rationnelle), n’est pas fondre et confondre à la
‘’culture’’ (religion, mythe, poésie) ; celle-ci apparait comme une déplétion,
c’est-à-dire un assouplissement et appauvrissement de celle-là. C’est dans ce
sillage que s’inscrit le philosophe Dibi Kouadio Augustin. En effet, pour
l’auteur, cette attitude d’extension du philosophique au culturel revient à affadir
la signification fondamentale du concept de philosophie. Car, ce faisant,
25

le mot (philosophie) ne reflète plus la signification même du concept, telle que,


d’origine et sous d’autres cieux, la chose est entendue (…) Définir la culture comme
signe immédiat de la philosophie, c’est ramener la philosophie à ce qui a la valeur de
l’être. Pourtant, ce qui semble constituer l’essence de cette discipline, (…) réside (…)
dans la prise de distance par rapport à l’immédiateté (…). D. K. Augustin (2013, p.
71-72).
C’est pourquoi, en tant que simple prise en charge philosophique, c’est-à-dire
systématique de la culture, l’ethno-philosophie, en s’engageant sur la pente du
mimétisme ne consiste qu’à seulement et simplement exposer « les croyances,
les mythes, les rituels (…) sans (…) se soucier de fonder en raison son adhésion
à la pensée africaine (…) », M. Towa (1961, p. 31). En clair, Towa reproche à
l’ethno-philosophie son caractère exclusivement descriptif, poétique et
narcissique des cultures africaines, son manque de rigueur et la mise entre
parenthèse de la discussion philosophique sur les valeurs et idées misent en
avant.
En effet, étant donné que pour M. Towa (1961, p. 31), « la philosophie
ne commence qu’avec la décision de soumettre tout l’héritage philosophique et
culturel à une critique sans complaisance », et que l’ethno-philosophie, en tant
qu’une simple attitude d’exhumation-exhibition-exaltation des cultures et
philosophies passées, consistant seulement à « déterrer une philosophie (…),
n’est pas encore philosopher (…) », M. Towa (1961, p. 29-30). Au fond, ce que
reproche Marcien Towa à l’ethno-philosophie, c’est son attitude mimétique et
acritique avec laquelle elle reçoit et digère les thèses de l’ethnologie. En somme,
pour Towa, l’ethno-philosophie, en esquivant le débat sur l’absolu,
caractéristique inhérente à la philosophie, procède par dogmatisme, antithèse de
la procédure philosophique d’obédience rationnelle et critique.

Après ce bref survol de définition de l’ethno-philosophie ainsi que des


critiques towiniennes à son endroit, intéressons-nous à présent sur l’idée de
philosophie chez Marcien Towa. En d’autres termes, quelles sont les
26

caractéristiques qui informent et définissent le contenu de la conception


towinienne de la philosophie ?

Marcien Towa, en pure progéniture de la pédagogie philosophique


occidentale, pour définir la philosophie et son éventuel extension, se donne pour
exigence et impératif méthodologique un mouvement de recul dans la mesure
où, pour lui, l’Europe étant l’Orient des autres continents, « c’est seulement
lorsque la réalité que les européens désignent par le mot ‘’philosophie’’ aura été
saisie qu’il deviendra possible de se prononcer sur son extension et sur sa valeur.
», M. Towa (1979, p. 16). C’est pourquoi il lui « semble que c’est la philosophie
européenne qu’il convient d’interroger », M. Towa (1961, p. 5). Dès lors,
interrogeons le philosophe lui-même à propos de la philosophie européenne :
Quelle est donc la réalité européenne que désigne le mot philosophie ?
Dans une partie de son Essai…, intitulé ‘Le concept européen de
philosophie et nous’, Marcien Towa laisse clairement entendre que par
philosophie européenne, il s’agit de la philosophie hégélienne, car selon lui,
Hegel est « un représentant éminent de la philosophie européenne (…) dont le
prestige demeure grand. », M. Towa (1961, p. 61). Dès lors, qu’est-ce que la
philosophie au sens hégelien ? A cette question, M. Towa (1961, p. 61) répond
que « la philosophie pour Hegel, c’est la pensée reposant sur elle-même, ne
souffrant d’aucune autorité ni à côté d’elle, ni au-dessus d’elle. ». Ce qui veut
dire que la philosophie, ne présuppose rien comme vrai qui n’ait été reconnu
comme tel par la pensée. Et puisque Towa, reconnaissant en la science cette
mêmeté de principes et critères, fait coïncider philosophie et science dans un
rapport de consubstantialité historique qui, pour des raisons de contingences, ne
se seraient séparées que par l’émancipation et les spécialisations des sciences.
Ainsi, souligne-t-il que « les diverses sciences sont historiquement nées de la
philosophie (…) c’est par particularisation seulement qu’elles diffèrent de la
philosophie », M. Towa (1961, p. 61).
27

En somme, notons que pour Marcien Towa, le mot philosophie, activité


rationnelle et critique, est exclusivement d’origine européenne et à pour
caractéristiques inhérentes et cardinales la science et la technique. En clair,
philosophie, chez Marcien Towa signifie science et technique européenne qui,
ditil, est « l’esprit de l’Europe, secret de sa domination et sa victoire (…). », M.
Towa (1961, p. 52).

Vu sous cet angle, la philosophie, au ‘’sens strict’’, ne peut être


affectée aux modes de pensées africaines précoloniales qui charrient mythes,
religions et légendes. Dans cette perspective le syntagme ‘’philosophie
africaine’’, dans la pensée de Marcien Towa, n’est nullement à chercher du côté
de l’ethno-philosophie ou dans les modes de pensées traditionnelles ou
anciences mais en terme de devoir être, c’est-à-dire de conquête et d’acquisition
de la philosophie ou de la science européenne. D’où l’imposture philosophique
que constitue l’ethno-philosophie et qu’illustre éloquemment ‘’la philosophie
bantoue’’ de Tempels. Après ce regard porté sur la philosophie bantoue de
Tempels, appréhendée par Marcien Towa comme ethnophilosophie, de la
critique qu’il en fit ainsi que sa conception de la philosophie et de la philosophie
africaine, portons à présent notre attention sur un autre critique de
l’ethnophilosophie, à savoir le philosophe Paulin Jidenu Hountondji. Quelles
sont les termes d’approche de sa critique ? Et quelle signification le vocable
philosophie et l’expression ‘’philosophie africaine’’ reçoivent-il sous sa plume ?

A la suite de Marcien Towa, Paulin Hountondji critique


vigoureusement l’ethnophilosophie qu’il définit comme « ethnologie à
prétention philosophique », P. J. Hountondji (1976, p. 14). Comme nous le
disions plus haut, c’est le fait de faire jouer sur le terrain de la philosophie, au
terme d’une théorisation et systématisation, des éléments qui lui sont étrangers
(notamment ceux issus du domaine ethnologique). En effet, pour Hountondji, le
vocable ethnophilosophie consacre la signification vulgaire, populaire et
28

spontanée du mot philosophie, qui au demeurant est le résultat d’une confusion


entre ‘’vraie’’ et ‘’fausse’’ philosophie. Il fait remarquer que « la littérature
ethnophilosophique repose (…) sur une confusion : la confusion d’un usage
populaire (idéologique) et d’un usage rigoureux (théorique) du mot philosophie.
Selon le premier sens, est philosophe, toute sagesse individuelle ou collective
(…) En ce sens vulgaire du mot, tout homme est naturellement ‘’philosophe’’,
toute société aussi ». P. J. Hountondji (1976, p. 39). Dès lors, il convient de
s’interroger sur ce qu’est la philosophie collective, spontanée et vulgaire que
consacre l’ethnophilosophie ?

La philosophie collective, vulgaire ou spontanée, pourrait-on dire, est


une philosophie populaire, de l’immédiat, sans effort réflexif et critique, et qui
est propre et commune à un groupe, partagée partout et par tous. Pour faire bref,
disons que fondamentalement, le philosophe reproche à l’ethnophilosophie,
synonyme de tradition et d’unanimisme, d’emprisonner la ‘’puissance
théorique’’ des peuples d’Afrique précoloniale et la confrontation (= débat,
discussion) entre individualités libres. Passons à présent, après cette critique
hountondjienne de l’ethnophilosophie, à la détermination des contours de
signification ou définition que le vocable ‘’philosophie’’ reçoit sous sa plume, et
au regard de laquelle il déprécie la ‘’philosophie bantoue’’ comme
ethnophilosophie et qu’il éjecte du champ philosophique. Dès lors, qu’est-ce que
le mot philosophie peut-il vouloir dire pour Hountondji ?

Dans la première partie de Sur la ‘’philosophie africaine’’, intitulé


‘Histoire d’un mythe’, la réponse de l’auteur ne transpire aucune ambiguïté. Car
P. J. Hountondji (1976, p. 39) affirme sans ambages que « la philosophie est une
discipline théorique spécifique ayant ses exigences propres et obéissant à des
règles bien déterminées. ». En tant qu’activité théorique, la philosophie, selon
l’auteur, est fortement tributaire de la science, une autre forme de pratique
théorique qui, elle-même, ne s’épanouit que dans une civilisation de l’écriture
29

(précisément l’écriture alphabétique). Ainsi, il souligne que « la philosophie (…)


est fonction d’une manière ou d’une autre du développement de la science (…)
cette forme particulière de pratique théorique qu’on appelle la philosophie, est
inséparable de cette autre forme de pratique théorique qu’on appelle la science.
», P. J. Hountondji (1976, p. 124).

Outre le caractère théorique et scientifique de la philosophie,


Hountondji ajoute, voire insiste sur la dimension historique de cette discipline.
Dans cette perspective, et parodiant l’aphorisme heideggérien suivant lequel « la
philosophie est grecque en son essence même », P. J. Hountondji (1976, 101),
souligne que « la philosophie est historique en son essence même ». Toutefois,
ce caractère historique, essentiel à la philosophie, suivant l’auteur, revêt une
double signification. En une première acception, dire « que la philosophie (est)
histoire (…) cela veut dire entre autres choses qu’aucune doctrine philosophique
ne peut être considérée comme la vérité au singulier, la Vérité avec grand V. »,
P. J. Hountondji (1976, p. 81). Par-là, il convient d’entendre que la philosophie,
dès lors que l’on engage sur la pente de l’historicité, débouche nécessairement
sur le relativisme, l’éristique, l’agonistique et l’ouverture aux autres et
différentes théories philosophiques. En sa seconde signification, P. J. Hountondji
(1976, p.
88) souligne que « dire que la philosophie est histoire (…) c’est dire qu’il n’y’a
pas de philosophie collective », c’est-à-dire une philosophie qui fasse
l’unanimité, valable partout et pour tous, telle que l’ethnophilosophie.

En somme, le vocable philosophie, en sa signification hountondjienne,


est fondamentalement une discipline, une activité théorico-historico-scientifique.
Telle que caractérisée, cette approche de la philosophie par Hountondji n’est
autre qu’occidentale et reçue par les africains par le truchement de son école.
Ces caractéristiques de la philosophie, étant absentes des modes de pensées
propres aux africains de l’époque précoloniale et dont les coefficients sont
30

mythes, traditions, religions, arts, seraient inexistant dans l’Afrique ancienne.


Cependant,
Hountondji reconnait en filigrane l’existence de la philosophie africaine, qu’il
perçoit à partir de la littérature des africains sortis des universités européennes.
C’est dire que pour l’auteur de Sur la ‘’philosophie africaine’’, l’existence de
celle-ci est contemporaine de la ‘’rencontre’’ Afrique-Occident. Dans cette
optique, sa définition de la ‘’philosophie africaine’’ s’énonce clairement. Il écrit
que : « J’appelle philosophie africaine l’ensemble des textes écrits, plus
précisément des textes écrits par des Africains. », P. J. Hountondji (1976, p. 11).
Et, cette philosophie, soulignons-le, est à mettre à l’actif des africains devenus
philosophes dans et par le moule occidental.

Comme on peut le constater, Marcien Towa et Paulin Jean Hountondji,


tous deux critiques de la philosophie bantoue comme ethno-philosophie, qui, au
demeurant est une non philosophie, dans leur conception de la philosophie,
cultivent le paradigme spéculaire d’obédience européenne, au regard de laquelle
ils dénient à l’Afrique précoloniale l’accès à l’espace philosophique. Une telle
attitude ne rencontrera pas l’assentiment de Niamkey Koffi, africain également
issu de l’école occidentale, dont le projet, contrairement aux deux autres,
souligne B. Gensame (2014, p. 2) « n’était ni moins que de construire une
philosophie qui, sans renier l’apport de l’Occident (…) proposerait une vision
philosophique du monde à partir de l’Afrique. » le mot ‘’Afrique’’, ici, est à
entendre, à prendre et comprendre en une acception diachronique, c’est-à-dire
extensive ou plus large, englobant à la fois l’Afrique précoloniale et celle née
des civilisations occidentales. C’est pourquoi son incursion dans le débat, vis-
àvis des thèses qui nient à l’Afrique ancienne la philosophie, se fit sous une
modalité fortement critique, correctionniste et reconstructiviste, et sur quoi nous
voudrions, en l’étape actuelle de notre étude, retenir et maintenir l’attention.
31

CHAPITRE II : NIAMKEY KOFFI : CRITIQUES DE L’ETHNO ET L’EURO-


PHILOSOPHIE : POUR UNE INTÉGRATION PHILOSOPHIQUE DES
ÉLÉMENTS ‘’EXTRA-PHILOSOPHIQUES’’ (MYTHE, ORALITÉ) ’

Il pourrait paraitre effarant de dire de Niamkey Koffi qu’il est un


critique de l’ethno-philosophie tant il vrai que lors du débat, ses écrits critiques
furent ostensiblement destinés à l’endroit de l’euro-philosophie (= Marcien
Towa et Paulin Houtondji). En effet, pour s’être distingué à travers ses critiques
envers ces deux philosophes, eux-mêmes pourfendeurs de Tempels, Niamkey
Koffi, dans l’imagerie et l’imaginaire populaire, voire cultivée, passe, dans une
sorte de déduction ou conséquence théorique, pour un ethno-philosophe. Nous
voudrions, signaler le cas échéant, que même l’adhérence à une théorie ou
doctrine, ne met cependant pas au chômage l’usage critique de la raison. Ainsi,
nous avons rangé l’auteur ni du côté du courant ethno ou euro- philosophique
mais du courant critique et de la vigilance. Dans cette perspective, notre projet
dans ce chapitre, est de faire voir les critiques ou les corrections de tirs apportées
par Niamkey Koffi à la fois à l’ethno-philosophie (Tempels) et l’euro-
philosophie (Marcien Towa et Paulin Hountondi), car lire ou étudier des auteurs,
comme dit K. Niamkey (2018, p. 118), « c’est, en recommençant leur aventure,
refaire leur discours ; et refaire leur discours, c’est les défaire, dans la mesure ou
toute lecture est une herméneutique. » D’abord, à propos de l’ethno-
philosophie.

Comme il nous a été possible de le constater, Tempels, par le syntagme


‘’philosophie bantoue’’ entendait « ontologie logiquement cohérent des bantous
». Mais cette ontologie, s’étant définie comme l’antithèse de celle de l’Occident,
c’est-à-dire comme ontologie de la force et dynamique, reprenait sans le dire les
thèses de pensée magique ou mystique séculairement affectée aux
‘’primitifs’’, et qui consiste à dire que la nature, chez le ‘’primitif’’ africain, est
peuplé d’idéalité consciente et agissante, de génies ou divinités. De la sorte, en
32

vue d’obtenir d’elle (= la nature) de bonnes dispositions, il faut que l’humain


fraternise avec elle à travers la ‘’prière’’ et la ‘’magie’’. C’est en effet contre
cette approche de l’ontologie africaine que s’insurge Niamkey Koffi, qui au
demeurant lui semble résulter d’une confusion entre deux ordres distincts et
différents, à savoir la « pseudo-ontologie » (théorie des forces ou idéologie du
pouvoir) et l’« ontologie positive ou véritable » (théorie de l’Etre). Qu’est-ce à
dire ?

La vraie théorie de l’ontologie, c’est-à-dire de L’être avec ‘’grand E’’,


correspond à « la chose », c’est-à-dire l’en soi, une sorte d’intelligibilité
platonicienne « qui se présente comme une réalité qui n’a de vérité que sa
généralité abstraite en tant qu’abstraction pure », K. Niamkey (2018, p. 73).
Cette transcendance et abstraction, étant pour le sujet des obstacles
épistémologiques, rend difficile, voire impossible son accès à cette réalité
ontologique. Dès lors, souligne K. Niamkey (2018, p. 73), se pose la question du
« comment (…) la chose en elle-même est-elle ? », c’est-à-dire la question de
son objectivation en vue de son accessibilité. En vue de son objectivation, le
‘’deê’’, c’est-à-dire l’ensoi, réalité abstraite devient ‘’deêmuane’’, c’est-à-dire «
un être qualifié et déterminé par un certains nombres d’attributs concret, un être
qui tombe hic et nunc sous le sens, un être qui se montre dans l’expérience
concrète. », K. Niamkey (2018, p. 73). Toutefois, notons que cette objectivation
phénoménale de la réalité nouménale n’est nullement, à l’instar de l’ontologie
platonicienne, simulacre, mensonge ou illusion. Car, précise K. Niamkey (2018,
p. 74), « contrairement à l’ontologie platonicienne qui, si elle distingue un
phénomène dans la structure de l’Être, le pose comme irréel et illusion, la seule
vérité étant les essences ou idées éternelles », « le deêmuane, intègre tant
l’essence et que le phénomène. Il est l’objet de savoir ou de connaissance. », K.
Niamkey (2018, p. 73). Cependant, l’accès à cette véritable ontologie exige,
voire nécessite une vigilance linguistique, c’est-à-dire épurer celui-ci des
33

dissimulations, manipulations et mystifications idéologique. Le cas contraire,


l’on court le risque de prendre l’ombre pour la réalité et opérer une confusion,
tel que l’a fait Tempels à travers la théorie des forces qui est une idéologie du
pouvoir et à propos de laquelle il importe de dire un mot.

Selon K. Niamkey (2018, p. 13), la théorie des forces est une idéologie
du pouvoir qui relève « du théologisme, car elle peuple l’univers de causes
animées, de génies, de divinités ». En tant que telle, la théorie des forces est du
ressort de ceux que Niamkey Koffi appelle les ‘’nyctosophes’’2 qui, dit-il,

l’exploite « pour asseoir leur autorité politique et faire respecter l’ordre social et
moral. », K. Niamkey (2018, p. 36). C’est pourquoi, contrairement à Tempels,
qui a vu dans la théorie des forces l’ontologie fondamentale ou positive de
l’africain, l’auteur de ’Essai sur l’articulation logique de la pensée akan-n’zima’
nous invite à la (= théorie des forces) considéré comme « une pratique (…)
d’intention politique de manipulation sociale. Cette manipulation passe elle-
même par une pseudo-pratique qui est réification d’un discours manipulé (…) et
réifié (= rite) », K. Niamkey (2018, p. 23). Ce qui implique une conversion des
regards dans l’approche gnoséologique et scientifique des sociétés dites
‘’primitives’’ séculairement estampillées du sceau de la transparence et de
l’authenticité des rapports sociaux et de l’unanimisme. Car, contrairement aux
idée reçues, souligne K. Niamkey (2018, p. 80), la théorie des forces «
appartient moins à l’ontologie qu’au système idéologique élaboré pour renforcer
l’ordre social et le maintenir en le fondant idéologiquement sur l’ontologie (…)
Dès lors, c’est dans le cadre de (…) la manipulation politique et (…) la
mystification idéologique (qu’il faut la comprendre). », car au final, la théorie

2
Ce mot doit sa paternité à l’africaniste Dominique Zahan. Il fut obtenu à la convergence de deux mots grecs :
nyx (= nuit, obscurité) et sophia (= sagesse, connaissance). De ce fait, nyctosophe désigne celui ou celle qui
possède la connaissance, la sagesse ou les secrets de la nuit. Selon Niamkey Koffi, dans la société akan-n’zima,
ceux-ci font figures d’intellectuels, de philosophes ou idéologues, voire de représentants concrets des divinités
célestes et assurent le maintien de l’ordre politico-social et moral.
34

des forces, en tant qu’idéologie du pouvoir, ne fonde la connaissance qu’en


apparence.

C’est pourquoi, à l’ethno-philosophie (Tempels), K. Niamkey (2018, p.


248) fait remarquer que « si l’ethno-philosophie, comme effort de recherche sur
la pensée dans nos sociétés est possible, il faut qu’elle puisse comprendre la
rationalité de ces pensées. ». Autrement dit, il faut que ces ‘’grilles’’ rationnelles
puissent intégrer les ‘’grilles’’ de ces pensées dans un précis de traduction qui
n’en soit pas une trahison, dans la mesure où, « la méthode doit nécessairement
être le reflet ou la reproduction intellectuelle de son objet, de la strcuture et le
développement immanent à cet objet. », K. Niamkey (2018, p. 38). Toutefois, il
importe de souligner que cette critique à l’endroit de Tempels ou de
l’ethnophilosophie ne doit nullement induire à l’idée de vide philosophique dans
les sociétés africaines précoloniales. Car, tout comme Tempels, Niamkey Koffi
postule l’idée d’existence de philosophie dans cette Afrique mais, contrairement
à Tempels qui la fondée sur l’ontologie, Niamkey Koffi l’a fait reposer sur
l’idéologie, en tant que forme concrète et manifeste de la théorie philosophique.
Nous reviendrons sur ce point dans le premier chapitre de la deuxième partie
portant sur la signification ou le rapport entre idéologie pour ample détails. A
présent, et après la critique à l’endroit de l’ethno-philosophie (Tempels),
maintenons notre attention sur celle adressée à l’euro-philosophie de Marcien
Towa et Paulin Hountondji.

Contre l’euro-philosophie qui, on l’a vu, en raison d’une certaine


caractérisation de la philosophie, a mis l’Afrique ancienne dans les marges de la
philosophie, K. Niamkey (2018, p. 17), se propose « de circonscrire le lieu où
l’on peut assigner son existence à la philosophie africaine précoloniale. ». Pour
ce faire, une exigence méthodologique s’impose qui consiste à rompre avec le
paradigme définitionnel, et ce, pour deux raisons. D’une part, parce que
35

définir la philosophie en générale, c’est (…) énoncé un discours de circonstances,


c’està-dire un discours qui ne concerne qu’un type particulier de philosophie dont les
déterminations spécifiques sont, dans ces conditions, posées comme des déterminations
normatives et universellement valables pour les autres types de philosophie, K.
Niamkey (2018, p. 17).
D’autre part, parce que « la définition, malgré les avantages pédagogiques
qu’elle offre, n’est pas la démarche la plus heuristique en cette matière, mais
plutôt présente le risque de confusion, d’amalgame (…) », K. Niamkey (2018. p.
86).

En effet, la définition, non seulement présuppose des essences, mais


des essences fixes et figées de la chose à définir. Dans ces conditions, la
question pourrait se poser de savoir. Qu’est-ce que l’essence dont la définition se
veut la saisie ? Un signal fait à Hegel, nous semble être heuristique à cette
question.

La dialectique hégélienne se caractérise par la rupture qu’elle introduit


dans la conception de la métaphysique classique que l’on appelle depuis Aristote
‘’philosophie première’’. Hegel est ce philosophe qui, précisément à dénier à
l’être son caractère absolu et cette priorité que lui accordait l’ontologie par
rapport à toute pensée ou concept. C’est que pour Hegel, l’idée de définition est
un moment de sa dialectique, mais un moment critique et réfléchi selon une
modalité essentiellement négative. Car, sa théorie de l’être est une théorie contre
l’être parce que démontant le concept d’être, et partant, rend caduque toute
tentative d’échafaudage d’une ‘’philosophie première’’, c’est-à-dire l’ontologie
ou la métaphysique. En fait, pour le philosophe d’Iéna, l’être est le contraire
d’une essence première, l’être est ‘’l’immédiat déterminé’’ ; l’être, en tant que
pur, est une vacuité pure. Dans cette perspective, comme on le voit, l’essence
dont la définition se veut la saisie, est un fétiche. C’est pourquoi, s’inscrivant
dans cette veine hégélienne, K. Niamkey (2018, p. 88) fait remarquer que « la
recherche de l’essence est une opération qui nous fait sombrer dans le manque
36

total de contenus (…) », qui sont entre autres, pour Towa et Hountondji, la
science, la technique, l’écriture, histoire etc. tous des produits de la raison, et
que nous voulons éprouver sous la bannière de Niamkey Koffi.

Comme on a pu le constater, les philosophes Marcien Towa et


Hountondji ont fait de la science et la technique un argument-pivot dans leur
refus de concéder aux modes de pensées africaines précoloniales le statut de
philosophie. Ces caractérisations, aux yeux de Niamkey Koffi semble résulter
d’une conception européocentrique, voire réductionniste de la philosophie, et qui
font de Towa et Hountondji des « prisonniers de la conception académique de la
philosophie dans laquelle la philosophie se couvre de nuée en s’auréolant de
scientificité. », K. Niamkey (2018, p. 48). En effet, Niamkey Koffi, contre Towa
et Hountondji, pense que les arguments de ‘’science’’, ‘’savoir vrai ou
raisonné’’ que l’on brandit, parce progressiste ou révolutionnaire, pour refuser le
statut de philosophie, jugée comme ‘’royaume de la pensée sous sa forme la plus
haute’’, aux autres de pensées en état de subordination, fonctionnent en réalité
comme des instruments de domination assumant un rôle idéologique. C’est
pourquoi, à Towa et Hountondji, K. Niamkey (2018, p. 54), fait remarquer qu’en
réalité « ni la science (…) ni la technique n’ont (…) une essence révolutionnaire.
Elles sont tout au plus des éléments de domination (…) de par leur statut d’objet
de savoir. ». En effet, Niamkey Koffi voit dans l’attitude de Towa et Paulin
Hountondji, le même procédé utilisé par les colons pour dévaloriser et faire périr
tout le potentiel anthropologique, scientifique, philosophique et culturel africain
au profit d’une magnification de la culture du plus fort, du colon.

D’ailleurs, Niamkey Koffi est plus radical dans sa critique, car,


contrairement à l’idée reçue, à laquelle semble adhérer Towa, et suivant laquelle
les sciences seraient historiquement nées de la philosophie, Niamkey Koffi
renverse la perspective et affirme que « loin d’être fondatrice des sciences, la
philosophie (…) nait de l’exploitation des sciences et sans cette exploitation, elle
37

ne serait pas ce qu’elle prétend être. », K. Niamkey (2018, p. 48). Comment


comprendre une telle affirmation ? Un regard sur l’histoire de la pensée, à
travers l’attitude de Platon vis-à-vis de la sophistique et de Descartes
relativement à la sophistique, semble donnée raison à Niamkey Koffi. En effet,
lorsque Platon et Descartes s’attaqueront respectivement à la sophistique et la
scolastique, leur critique se présente comme une critique du savoir. Mais ce
savoir, au nom de l’idéal de la science, c’est-à-dire la vérité, est réifié et jugé
comme pseudo savoir, doxa, opinion, tradition. Ce qui veut dire qu’avant
l’émergence de la philosophie, la science ou la vérité, il y a existence d’un
savoir, aussi rudimentaire qu’il puisse être, et qui exploité, voire travaillé par la
philosophie, sur laquelle elle se fonde et s’appui pour émerger. Et, selon
Niamkey, ces attitudes similaires sont perceptibles, voire caractéristiques de
Towa et Hountondji à l’endroit de ce qu’il est convenu d’appeler la ‘’tradition’’,
coefficient générique des modes de pensées des africains précoloniaux. En effet,
Marcien Towa et Paulin Hountondji, pour refuser le statut de philosophie aux
types de pensées dans l’Afrique ancienne qui aurait pour coefficient la tradition,
responsable de notre colonisation (= immobilisme et unanisme), ont vu et fait de
celle-ci l’ombre portée, c’est-à-dire l’image renversée, voire l’antithèse de la
philosophie (= modernité, progrès, science). Ce qui relève sans nul doute de leur
appréhension occidentaliste des réalités des anciennes sociétés africaines, dans
laquelle la tradition est synonyme d’immobilisme et d’involution. Contrairement
à eux, Niamkey Koffi reçoit la notion de tradition avec un mouvement de recul.
Pour lui, cette notion est impropre et inusitée pour la saisie de la profondeur, la
fécondité, la richesse et la diversité des faits de cultures des sociétés africaines
précoloniales. Car, dit-il, à

désigner ainsi ces productions intellectuelles, ont fait usage d’une notion occulte et
occultante qui dissimule la diversité et l’hétérogénéité des manifestations culturelles et
des pratiques intellectuelles contradictoires de nos sociétés, en leur conférant une
homogénéité et une unité immédiate. La notion de tradition (…) permet de regrouper
ces phénomènes et ces évènements discursifs dispersés en une succession uniformément
38

linéaire afin de les rapporter à un seul et unique principe organisateur (…), K.


Niamkey (2018, p. 53).
C’est pourquoi, il invite Marcien Towa et Paulin Houndji, à s’affranchir de la
notion de ‘’tradition’’ pour la saisie et compréhension des profondeurs et
complexités des réalités diverses et hétérogènes des productions intellectuelles et
philosophiques des sociétés africaines anciennes.

Cela dit, nous voudrions à présent porter notre attention sur le mythe et
l’oralité qui, aux yeux de Paulin Hountondji, sont des éléments ‘’extra
philosophiques’’, c’est-à-dire impropre à la pratique philosophique. Nous
voulons interroger Niamkey Koffi sur le rapport qu’entretiennent ces éléments à
la fois avec la philosophie en générale, et spécifiquement sur leur statut dans le
processus d’élaboration et de transmission du savoir en Afrique d’avant la
colonisation. Commençons avec le mythe. Dès lors, mythologie et philosophie :
coupure radicale ou apparente ?
De manière générale, les historiens de la philosophie nous apprennent
que celle-ci fut le résultat d’une histoire, c’est-à-dire le passage, voire la rupture
d’un mode de pensée à un autre, celui de la mythologie à la philosophie. Dans
cette perspective, J. Gaarder (1995, p. 37) souligne que « la philosophie
inaugure une manière de penser radicalement nouvelle. ». Car, avec son
avènement, « nous sommes passés d’un mode de pensée mythique à un mode de
pensée fondé sur l’expérience et la raison (…) », J. Gaarder (1995, p. 44). C’est
dans cette optique que Marcien Towa, de connivence avec Georges Gursdof, que
nous lisons sous la plume de celui-là, écrit que « la philosophie n’apparait qu’au
sommet d’un processus évolutif marqué de rupture qualitative, et au bas de ce
sommet, se trouve le mythe (…) En fait, le mythe ne fait que reproduire
l’instinct et la nature. », M. Towa (1961, p. 10). Comme on peut le voir, pour ces
auteurs, le mythe (= instinct, nature, irrationnel) a mauvaise presse et du coup,
exclu du champ de la philosophie, siège par excellence de la raison. Cette vision
39

des choses reçoit-elle un écho similaire chez Niamkey Koffi ? Dès lors, que
signifie le mot mythe pour cet auteur ?

Selon K. Niamkey (2014, p. 61), « le mot mythe, par-delà ses


connotations plurielles, reste articulé en sa racine au mot grec ‘’muthos’’ qui,
luimême vient de ‘’muthéo’’ et qui veut dire parler, converser (…) ‘’muthos’’
veut dire entretien et discours philosophique. ». N’est-ce pas au fond ce domaine
de signification que cultive ce à quoi l’on l’oppose, à savoir le Logos ? En
réalité, souligne K. Niamkey (2014, p. 61), le mot « logos (…) signifie la parole
en générale (…) Il rejoint le mot ‘’muthos’’ pour signifier avec lui l’entretien, la
conversation (…) ou le discours philosophique. ». Comme on peut le voir,
‘’muthos’’ et ‘’logos’’, renvoyés à leur étymologie, cultivent le même espace
sémantique. Dans ces conditions, la question de la cause de leur rupture ou
séparation se pose. Dès lors, comment en sommes-nous arrivé à l’ex-placement,
c’est-à-dire au rejet du mythe dans les marges la philosophie ?

Pour K. Niamkey (2014, p. 60), ce rejet est imputable à l’Aufklarüng


qui, s’étant donné pour projet et but « de libérer les hommes de la peur (…), des
angoisses, pour les rendre souverains », a fortement contribué au dépérissement
et à la destruction des mythes. En effet, l’Aufklarüng, définie comme pensée de
progrès et de la raison répandant ses lumières sur les ténèbres pour faire reculer
l’obscurantisme, considère la mythologie comme signe de régression vers un
stade préhistorique maintenant l’homme dans l’angoisse et dans la domination
qu’exerce sur lui les puissances de la nature. Prenant le contre-pied de Towa,
Hountondji et des Lumières, sur la représentation du mythe, qui lui semble
reposer sur une distinction factice et sur une méprise de la rationalité
mythologique, K.
Niamkey (2014, p. 69), souligne que « l’opposition têtue mythe-raison
(=philosophie), est une opposition abstraite. ». Dès lors, il souligne que
40

pour comprendre le mythe et sa rationalité, il faut saisir la ruse qu’il porte en sa trame
comme un défi rationalisé pour contourner les préceptes des puissances qui soumettent
l’humanité à leur loi : celle du plus fort. La logique qui caractérise le mythe, c’est le
décalage interne entre sa rationalité et son irrationalité et qui rend possible la ruse, K.
Niamkey (2014, p. 144). Comment comprendre ceci ?
La compréhension d’une telle approche du mythe nécessite au
préalable que l’on situe le lieu où les termes d’approche de la question. Et, le
lieu niamkeyen de l’approche du mythe, c’est ce qu’il appelle « la théorie de
l’émancipation ». Qu’est-ce à dire ? C’est dire que selon Niamkey Koffi,
l’humain, du microcosme qu’il est, fut de tout temps envahi et dominé par les
puissances à l’œuvre dans le macrocosme qu’est l’univers. Celui-ci lui impose
sa loi et, ce faisant, empêche l’homme de s’épanouir et d’exprimer la trajectoire
de sa logique destinale, c’està-dire sa liberté. Dans ces conditions, se pose dès
lors la question suivante : que
faire ou comment faire pour que l’homme recouvre et exprime cette
caractéristique fondamentale ? Pour ce faire, l’homme, à travers la ruse (= acte
sacrificiel, rituel), en tant qu’obéissance aux puissances de la nature, permet à
l’homme de détrôner les puissances par le système même qui permet de les
honorer. En clair, le mythe, contrairement aux idées reçues, n’est pas
irrationnelle mais plutôt constitue et dénonce à la fois une irrationalité, celle de
la domination millénaire de l’homme par la nature. En tant que telle le mythe,
fondamentalement, à l’instar des Lumières, est également une théorie critique et
rationnelle de la domination, de la peur et des angoisses qu’exercent sur les
hommes les puissances cosmiques. Le mythe est la théâtralisation et
l’explication de cette irrationalité : la domination. Dès lors, confondre le mythe à
cette irrationalité, serait lui enlever sa nature négative, c’est-à-dire sa fonction
critique.
De la sorte, il apparait clairement

que la critique de la domination, (étant) aussi vieille que la Raison (…) c’est par
mystification qu’on fait de la Raison l’apanage de la modernité représentée
41

comme l’Aufklärung. Il faut reconnaitre que l’Aufklärung a confisqué au mythe


sa visée critique, c’est-à-dire l’idée de la raison comme raison négative (…) en
tant que théorie de l’émancipation K. Niamkey (2014, p. 145-146).
En somme, ce qu’il importe de saisir, c’est que pour Niamkey Koffi, le
mythe n’est nullement le siège de l’irrationnel. Car, tout comme la philosophie
ou l’Aufklärung, il est à la fois critique théâtralisée de la domination et théorie
de libération par la ruse. Que dire à présent de la signification du mythe dans les
sociétés africaines précoloniales ?

Pour en saisir la signification, il importe de saisir la logique sur


laquelle se conjugue le mode de formation et d’acquisition du savoir. En effet,
dans ces sociétés ou la possession du savoir confère autorité et ou le savoir
fonctionne comme instrument de domination, celui-ci se donne comme un secret
qui, de ce fait, nécessite sa dissimulation en l’auréolant de symbolisme, de
métaphore ou images. Cet à cet objectif que répond le mythe qui, souligne K.
Niamkey (1991,
p. 269), non seulement « a un fondement philosophique », mais aussi et surtout,
« est un discours qui se tisse de signe dont la forme opère l’ex-placement de ses
signifiés au moyen d’un processus d’ex-nomination qui les désignent qu’en les
dé-signant. », K. Niamkey (1991, p. 269).

Aussi, pour saisir la signification du mythe dans les sociétés africaines


précoloniales, il importe de l’inscrire sur la pente de l’ésotérisme, c’est-à-dire
comme mode ou type de discours codé et secret, qui nécessite pour sa saisie un
dévoilement. En effet, dans des sociétés ou l’initiation est la modalité exclusive
d’accès au savoir, qui lui-même fonctionne comme instrument de domination, il
y a lieu de trouver un moyen de crypter le savoir. C’est à cet objectif que répond
le mythe, qui à cet effet exploite le symbolisme et l’hermétisme. Ce qui, on le
sait, nécessite pour son déchiffrement une gymnastique intellectuelle, voire
spirituelle.
42

C’est certainement dans une telle appréhension ou compréhension de la foncion


ou signification du mythe qu’il faut comprendre le mot de K. Niamkey (2018, p.
38), suivant lequel « savoir c’est déchiffrer. Le mythe est très précisément
l’exploitation de cet aspect du savoir. Car le mythe est une technique
d’expression pédagogique d’un type de savoir (…) En tant qu’expression, le
mythe est informé par la métaphore et le symbole (…) ». D’ailleurs, n’est-ce pas
aux philosophes qu’incombent cette tâche de décryptage ou déchiffrement ?
N’est-ce pas à eux, en tant que chercheurs des bas-fonds qu’il revient de saisir la
profondeur de la pensée mythique ? C’est certainement l’une des tâches
assignées aux philosophes à laquelle nous invitent les stoïciens. En effet, pour
eux, écrit P. Grimal (1953, p.
115), « (…) la mythologie apparait comme une immense ‘’chiffre de chose’’
qu’il appartient aux philosophes de déchiffrer ». C’est pourquoi, d’avis avec
l’auteur, nous pensons qu’il ne faut pas hésiter à rattacher mythologie et
philosophie. Car, la philosophie se nourrit du mythe dans laquelle elle plonge
ses racines. Dans cette perspective, A. Karamoko (2017, p. 180), fait remarquer
que, «la philosophie n’a pas encore célébrée les funérailles d’une pensée
mythique. Bien au contraire, elle y est constamment une évocation enchantée qui
légitime le discours, la pensée philosophique et lui donne des titres de noblesse
».

En somme, le mythe, tel que le conçoit Niamkey Koffi, n’est pas à


proscrire du champ philosophique. Car, en tant que modalité de connaissance, de
compréhension et d’explication des choses et du monde, mythologie et
philosophie, sont tous deux des produits de l’homme, qui a pour caractéristique
essentielle la raison. Et pourtant, écrit K. Niamkey (2018, p. 12), « la raison est
naturellement mystique ou plutôt mytho-génique (…) La raison tend
naturellement à se traduire en mythe (…), et les mythes peuvent revêtir un
caractère religieux aussi bien qu’un caractère scientifique ».
43

Après cette brève analyse du rapport entre mythologie et philosophie,


portons à présent notre attention sur la problématique de l’oralité. Quelle est son
statut et sa signification en philosophie en général et spécifiquement en Afrique
précoloniale ? L’oralité en philosophie, est-elle de structure ou de conjoncture ?
Est-il de conjoncture ou de nécessité ? L’oralité constitue-t-elle une obstruction
à l’émergence du philosophique ? Analysons à présent ces interrogations.
La philosophie, en empruntant le couloir de l’historicité, s’est donnée
pour support l’écriture. Ce support scriptural s’est signé au singulier comme
écriture alphabétique. Ce faisant, les historiens de la philosophie ont évincé du
champ de l’histoire de la philosophie les peuples et civilisations qui, bien que
disposant d’une forme différentielle d’écriture, ont dû faire de l’oralité leur
moyen de conception et de transmission de savoir. En effet, un regard
rétrospectif sur l’histoire de la philosophie, selon le regard hadotien, nous fait
voir qu’en fait, l’écriture, telle qu’appréhendée actuellement et posée comme
essentielle à l’émergence du philosophique, est l’effet d’une conjoncture
historique et non de nécessité. En effet, P. Hadot (1995, p. 16), montre avec
beaucoup d’éloquence que la philosophie, originairement était un art de vivre, «
un certain choix de vie (…) une certaine option existentielle, qui exige de
l’individu un changement total de vie ». La philosophie, dans cette optique, était
‘’école’’, c’est-à-dire rassemblement de personne à la recherche de la vérité par
le dialogue, par l’échange avec pour canal ou véhicule de la pensée l’oralité. En
tant que telle, l’écriture, souligne P. Hadot (1995, p. 15), « était une sorte
d’appendice accessoire ». Dès lors, nous pourrions nous poser la question de la
représentation quasi exclusive de la philosophie comme pratique écrite en valeur
et en vigueur de nos jours, et qui est posée comme son moteur. Dès lors,
comment en sommes-nous arrivés à une telle vision de la philosophie ? Selon
Pierre Hadot, ceci est le fruit du passage de la philosophie comme art de vivre,
comme pratique, au passage de la philosophie comme théorie, elle-même rendue
44

possible par l’avènement de l’université ou la philosophie devient une affaire de


professionnelle et professorale qui, le plus souvent, n’engage pas forcément le
professionnel ou le professeur. Mais, quelle est la nature et la fonction de
l’oralité et l’écriture en philosophie ?

Selon P. J. Hountondji (1976, p. 133), l’écriture, en philosophie, «


réflexion critique par excellence, (permet) d’écrire ses mémoires, de tenir son
journal ». En bref, en philosophie, l’écriture, à proprement parler, fait intervenir
l’instance du document, de l’archive, de la trace visible. En effet, étant donné
que dans la perspective hountondjienne de la philosophie, celle-ci est
foncièrement une activité subjective, c’est-à-dire impliquant un ‘’je’’ qui
philosophe, il y a lieu de penser que, cette exigence d’écriture, en plus de la trace
visible, pose essentiellement la question de la paternité et de la responsabilité.
C’est ce que fait remarquer A. Karamoko (2017, p. 75) à juste titre lorsqu’il dit
que « l’écriture (en philosophie), s’inscrit moins sous la domination de
l’exigence de la conservation et des archives, que sur l’exigence de la paternité
et de responsabilité (…) L’absence (de l’écriture) se rapporte à l’absence de père
». C’est pourquoi, l’oralité, fondamentalement fugitive et non critiquable,
constituerait, pour Hountondji, une obstruction à l’émergence du philosophique.
D’où, son attitude d’éviction du champ philosophique les sociétés africaines
précoloniales, réputées êtres des sociétés exclusives de l’oralité. Contrairement à
cette approche, nous pensons que l’écriture, quelle qu’en soit sa nature, ne
saurait être posée en critère incontournable, normatif de la philosophie. Car,
l’écriture, aussi bien que l’oralité, sont tous deux au service de l’homme,
mesure-étalon de toute chose, dans sa propension à la connaissance et
l’explication des choses. Dans cette perspective,
K. Niamkey (2018, p. 92), souligne précisément que, « l’écriture n’est pas le
moteur de la philosophie ni sa condition d’émergence. Celle-ci se trouve dans
les conditions d’existence qui suscite le questionnement philosophique ».
45

Aussi, en plus du refus de la réduction de la philosophie à l’écriture en


générale, Niamkey Koffi s’insurge contre une certaine représentation de
l’écriture, c’est-à-dire sur le mode alphabétique et considérée comme moderne,
au nom de laquelle les sociétés d’Afrique précoloniale, relativement à la
philosophie, mènent une vie marginale et parenthétique. En effet, ce
réductionnisme a des conséquences épistémologiques et scientifiques négatives
quant à la compréhension des visions philosophiques et épistémologiques de ces
sociétés appréhendées d’ores et déjà comme ‘’primitives’’. De la sorte, écrit K.
Niamkey (2018, p. 249), « en choisissant l’écriture sous sa forme actuelle ou
moderne comme élément de distinction entre civilisations et sociétés, elle fait
obstacle à l’esprit et l’empêche de penser (…) les systèmes symboliques comme
des espèces d’écritures, c’est-à-dire des formes matérialisées et cristallisées de la
parole ». Dès lors, quels sont ces systèmes symboliques qui ont valeur d’écriture
? Ce sont, selon l’auteur de l’Essai sur l’articulation logique de la pensée Akan-
N’zima, « les ‘’fétiches’’, ‘’amulettes’’ ou ‘’talisman’’, ces objets que l’on place
dans les champs pour les protéger des voleurs ou maraudeurs, ou (…) pour en
interdire l’accès », K. Niamkey (2018, p. 111).

En effet, ces ‘’objets’’, depuis longtemps ont été considérés comme


porteurs ou véhicules d’une certaine puissance ou force magique et mystique
pouvant influer négativement sur la vie de l’éventuel transgresseur des lieux où
l’on les plante. C’est le cas de ceux qui partagent l’optique de Tempels. C’est
cette approche de ces ‘’objets’’, qui n’arrive pas à les saisir dans leur
signification profonde, que refuse Niamkey Koffi. En effet, selon l’auteur, pour
se donner la possibilité de saisir ces ‘’objets’’ dans ce qu’ils signifient
essentiellement, il faut en faire une lecture exempte de vitalisme, de magisme et
de mysticisme. En se situant dans cette perspective, il souligne que :

ces ‘’objets’’ (talisman ou fétiches), sont comparables, voire assimilables à une table
sur laquelle on lirait cette inscription : ‘’DEFENSE DE… SOUS PEINE DE…, c’est-à-
dire (…) l’expression d’une loi civile (…) De même que la loi apparait comme le garant
46

d’un certain ordre, de même ces ‘’objets’’ permettent de préserver certains lieux,
certaines propriétés (…) . K. Niamkey (2018, p. 111).

De la sorte, ces ‘’objets’’ fonctionnement comme des ‘’textes’’, des moyens de


communications, porteurs d’une charge informationnelle, d’un message codé.
En somme, selon K. Niamkey (2018, p. 250), ces ‘’objets’’ « sont des formes
d’écritures, en ce sens que ce sont des paroles devenues matière afin de
s’intégrer dans un processus d’information par exploitation des possibilités
visuelles.
L’écriture n’a pas d’autres fonctions plus essentielles. » C’est pourquoi l’auteur
de ‘Essai sur l’articulation logique de la pensée Akan-N’zima’, dans le cours
des propos conclusifs de cet ouvrage, adresse à l’endroit des négateurs de
l’écriture dans les sociétés africaines précoloniales pour qui celles-ci n’auraient
que l’oralité comme moyens de conception et transmission du savoir, que

l’oralité n’est pas l’unique dimension de la civilisation nègre. Elle est aussi une
civilisation de l’écriture ; et, cette écriture, c’est non seulement notre art
traditionnel, c’est aussi nos rites, nos danses, nos ‘’fétiches’’ qui véhiculent un
discours, un savoir, un message que seul peut appréhender un initié, K.
Niamkey (2018, p. 257).

En somme, la philosophie, fondamentalement, n’articule aucune


relation de structure avec l’écriture. Celle-ci, à l’instar de l’oralité, a une
fonction auxiliaire et ancillaire, au service de l’homme pour véhiculer sa pensée.
C’est pourquoi, contre Hountondji, pour qui l’écriture (livresque) est primordiale
et fondamentale à l’émergence de la philosophie, en raison de l’archivage et
conservation du document, K. Niamkey (2018, p. 102), attire son attention sur le
fait que l’absence « en Afrique (précoloniale) du système d’écriture livresque
(…) n’implique nullement l’absence d’une tradition philosophique qu’il faut
d’ailleurs refuser de penser selon le modèle académique de la philosophie (…)
occidentale ». Car, selon l’auteur,
47

la généralisation du concept d’écriture permet de déconstruire ce logentrisme pour faire


comprendre à Hountondji (…) qu’une tradition intellectuelle et philosophique peut bien
s’instaurer et se perpétrer à travers des formes de symbolisations et de formalisations où
se déploient les forces inventives de l’imagination productrice de signe, K. Niamkey
(2018, p. 102).
Nous pouvons constater que ni le mythe ni l’oralité ne constitue
rigoureusement des éléments d’obstruction à l’émergence de la philosophie.
Bien au contraire, ils y sont constitutifs. N’est-ce pas pour cela que Platon,
malgré toutes ses tentatives d’émanciper le mythe de la philosophie en est
demeuré tributaire ? D’ailleurs, Socrate, que les historiens de la philosophie ont
consacré et institué comme le ‘’père’’ de cette discipline n’était-il pas un
philosophe de l’oralité ? D’ailleurs, nous pensons qu’il faut se faire l’echo de la
thèse du philosophe Bamba Soualio en matière du rapport entre oralité et
écriture en philosophie. En effet, l’auteur, dans son ouvrage intitulé ‘L’oralité et
l’écriture dans la philosophie en Afrique’, dont le projet selon S. Bamba (2014,
p. 7), est d’ « en finir avec l’antique distinction entre l’oralité et l’écriture (…)
sous la conviction que la philosophie est la conjonction de l’oral et l’écrit ». Car,
souligne l’auteur, en philosophie, « l’oralité et l’écriture ne sont pas des
contraires inconciliables et des antagonismes irréductibles, au contraire, elles
peuvent s’investir l’une dans l’autre dans un processus dialectique nécessaire
(…) à la recherche philosophique. », S. Bamba (2014, p. 17).

Pour Niamkey Koffi, la philosophie, toute philosophie est fille de


l’organisation sociale. En ce qui concerne l’Afrique précoloniale, cela implique
la détermination de leurs modes de productions et d’organisations sociales. Ce
qui exige que l’on tourne le dos au paradigme magico-mystique de la démarche
ethno-anthropologiques. Un tel geste est heuristique dans la mesure où il nous
permet de découvrir que dans les sociétés africaines précoloniales, l’existence
des philosophies idéalistes de tout genre, des philosophies ouvertement
religieuses ou non, des philosophies matérialistes, voire athées, des philosophies
conservatrices et des philosophies progressistes.
48

De cette première partie qui, on a pu le constater, nous a permis de


situer les lieux de la question du débat sur l’existence possible ou réelle d’une
philosophie africaine, de faire voir les variations et même variétés de sens et
caractéristiques des vocables ‘’philosophie’’ et ‘’philosophie africaine’’ entre les
auteurs, l’on pourrait se poser ces questions capitales : quel est l’enjeu d’un tel
débat ? Pourquoi, à un moment historique donné, des auteurs africains sont-ils
amenés à se quereller autour d’un concept ? Cette controverse n’était-elle pas la
face visible d’un ‘’iceberg’’ qui en occulterait la face cachée, au demeurant la
plus importante ? Avant de nous pencher sur ces questions, nous voudrions
porter notre attention sur la définition nyamkeyeenne du vocable ‘’philosophie’’,
c’est-à-dire mettre l’accent sur quelques éléments ou caractéristiques pouvant
nous permettre de comprendre la signification profonde de ce vocable et aussi
aborder la question de la philosophie africaine chez cet auteur par-delà la
controverse. Tel est l’objet que nous assignons à la deuxième partie de notre
étude.
49

DEUXIÈME PARTIE :

DES CARACTÉRISTIQUES OU ÉLÉMENTS DE

COMPRÉHENSION NIAMKEYENNE DE LA

PHILOSOPHIE ET DE LA ‘’PHILOSOPHIE

AFRICAINE’’
50

Notre projet, en de deuxième volet de notre étude, qui s’inscrit dans la


perspective de notre objectif principal, à savoir celui de définir le concept
nyamkeyéen de philosophie, est d’effectuer une plongée dans les textes de notre
auteur. Nous voulons nous mettre à l’écoute de ses textes afin qu’ils nous
chantent leur propre mélodie structurale afin de nous permettre de parvenir à la
réalisation de notre ambition : saisir la signification du vocable et la pratique
philosophique. En somme, notre volonté, ici, ainsi que le suggère l’intitulé de
cette partie, est de mettre en évidence les caractéristiques ou éléments de
compréhension du sens à la fois de la philosophie et de la philosophie africaine
chez Niamkey Koffi.

Cette partie s’articule autour de deux chapitres. Dans le premier


chapitre, il sera question d’analyser le concept de philosophie dans son rapport à
des notions clés et récurrentes du glossaire de Niamkey Koffi, à savoir :
l’idéologie, le système et le régime fragmentaire d’orientation micrologique. Au
terme de ce chapitre, nous verrons que fondamentalement, le vocable
philosophie, sous la plume de Niamkey Koffi, en plus et par-delà son caractère
académique ou universitaire, est un art de vivre, un style de vie ayant pour
caractéristique le dialogue, pour fondement l’homme et pour finalité ou enjeu la
réalisation de la liberté et du bonheur de l’homme. En somme, nous
comprendrons que le philosopher niamkeyéen, en tant qu’art de vivre, est
empreint d’humanisme plaçant l’homme, en tant qu’être de liberté, au centre de
la réflexion et de l’action.

Le second chapitre, consacré à la question de la philosophie africaine,


nous permettra d’interroger l’auteur de ‘Controverses sur la philosophie
africaine’ sur la signification que regorge ce syntagme (=philosophie africaine),
51

ses caractéristiques et ses perspectives par-delà la controverse. Nous verrons que


la philosophie africaine est un singulier pluriel, englobant à la fois les catégories
conceptuelles des philosophies de l’Afrique précoloniale et d’aujourd’hui. La
philosophie africaine, par delà les controverses, est un processus et ouvert à
l’instar tant de la philosophie et de l’Afrique, ouverte depuis des siècles à la
mondialisation qui doit se penser dans et par la pluralité et la diversité du
monde.

Après cette brève et rapide indication de l’orientation générale de notre


projet, passons à présent à l’examen détaillé et approfondi.

CHAPITRE I : PHILOSOPHIE ENTRE IDÉOLOGIE, SYSTÈME ET

RÉGIME FRAGMENTAIRE D’ORIENTATION MICROLOGIQUE

Notre première partie, notamment au chapitre concernant la critique de


Niamkey Koffi à l’endroit de l’ethno et l’euro- philosophie, nous a permis de
constater la récurrence d’un mot : l’idéologie. De prime abord, il apparait que
cette notion semble opératoire, puisque dans la logique niamkeyéene, elle
s’inscrit au rendez-vous de la problématique de la dialectique de la philosophie
comme théorie et pratique. Toutefois, avant d’aller plus loin sur la conception
que se fait
Niamkey Koffi de l’idéologie, il importe de le situer dans une perspective
historique.

Historiquement, nous rappelle P. K. Seyouo (2015, p. 30), « le mot


‘’idéologie’’ apparait en 1796 sous la plume d’Antoine Desttut de Tracy pour
désigner une nouvelle science ayant pour objet d’étude des idées (…) à partir de
la ‘’philosophie sensualiste’’ de Condillac. ». Comme on peut le voir,
52

l’idéologie, en son acception originaire, en tant que science des idées, s’inscrit
dans une perspective radicalement contraire aux intelligibles platoniciennes. En
effet, contrairement à Platon, l’inventeur du mot ‘’idéologie’’ se propose de
ramener les idées dans la réalité matérielle afin de les inscrire dans le vécu ou le
train-train quotidien. Aussi, faut-il préciser que, l’inventeur du mot, Antoine
Desttut de Tracy, se réclamait d’un système de pensée issu de l’Encyclopédie,
notamment celle du XVIIIe siècle, siècle des Lumières. Ces idées promues par
les encyclopédistes de cette période, entre autres, sont celles de liberté, d’égalité
et de refus d’exploitation de l’homme par l’homme. Après ce survol sur le
contexte historique de la profération du mot idéologie, et de l’objectif qu’il
visait, portons à présent notre attention sa signification et sa fonction dans la
pensée philosophique de Niamkey Koffi. Dès lors, qu’est-ce que le vocable
idéologie veut dire ?

Selon K. Niamkey (2018, p. 107),

l’idéologie est la manière d’être réalisée de la philosophie (…) L’idéologie permet à la


philosophie de devenir pratique (…) L’idéologie est ce par quoi s’actualise le potentiel
instrumental de toute philosophie (…) C’est ainsi que la philosophie affleure au réel,
prend chair dans l’art, le droit, les activités économiques, les comportements individuels
et collectifs

De cette définition de l’idéologie, selon Niamkey Koffi, il ne peut pas ne pas se


faire que la philosophie soit absente des sociétés africaines précoloniales. Pour
expliciter cette conception de l’idéologie, nous voulons mettre en perspective la
thèse laissée en suspens dans notre première partie à propos de l’idéologie
comme preuve d’existence de la philosophie. En effet, nous disions que si
Niamkey Koffi est d’avis avec Tempels pour postuler la thèse de l’existence
réelle de philosophie dans les anciennes sociétés africaines, contrairement à
Tempels qui la fondée sur l’ontologie, pour Niamkey Koffi le sol et le socle d’où
émerge la philosophie dans ces sociétés est l’idéologie. Dès lors, quelle est donc
sa fonction en tant que mode d’être de la philosophie ?
53

Selon, K. Niamkey (2018, p. 190), l’idéologie a pour fonction « la


domination (…) et la justification de cette domination qu’exerce une couche
sociale sur une autre (…) ». Qu’est-ce que peut-il vouloir signifier ? Comment
comprendre cette idée de l’idéologie comme instrument de domination à l’œuvre
de surcroît dans les sociétés africaines d’avant la colonisation ?

Le geste décisif à adopter en vue de l’intelligence d’une telle thèse est


d’ordre méthodologique relativement à l’approche épistémologique de ces
sociétés. En effet, selon le schéma niamkeyéen de l’histoire des sociétés
humaines, celles-ci, dans leur configuration, ont une structure de nature
dichotomique, c’est-à-dire divisées en deux classes. En premier lieu, il y a la
classe des forts, c’est-à-dire des détenteurs du pouvoir (politique, économique,
scientifique ou gnoséologique), et les faibles, les ignorants, la masse ou
consommateurs des théories et pratiques des premiers. Il pourrait paraitre
exagérer de faire appliquer le mot idéologie, avec l’acception que lui confère
Niamkey Koffi, aux sociétés précoloniales dites ‘’primitives’’ et ce, pour au
moins deux raisons. D’une part, parce que l’idéologie, en tant que produit de la
rationalité occidentale, ne pourrait en aucune manière avoir cours et occurrence
chez les primitifs dont les structures mentales sont demeurées au seuil de la
rationalité.

D’autre part, suivant la thèse de maints ethno-anthropologues,


appliquer l’idéologie, en tant que moyen de domination aux modes de vies et
d’organisations sociales de ces sociétés serait un non-sens. Car, les conditions
qui rendent possible l’idéologie de domination, disent les anthropologues,
seraient absentes de ces sociétés, à savoir l’écriture alphabétique, la haute
technicité des moyens de productions, une forte démographie. Puisque qu’il est
un secret de polichinelle (lieu commun) que ces sociétés sont des sociétés
véritablement les plus humaines, c’est-à-dire où règne la justice, la transparence
et l’authenticité dans les rapports sociaux. Or, une telle appréhension de ces
54

sociétés ne rencontre pas l’assentiment de Niamkey Koffi et qui marque le point


nodal de sa rupture avec les thèses anthropologiques. En effet, pour lui, « le
surgissement (…) de l’idéologie n’est pas lié mécaniquement et éternellement à
un développement colossal des moyens de productions (…), à la grande
technicité d’une société. », K. Niamkey (2018, p. 254). Dans ces conditions, ou
mettre donc le curseur de l’idéologie en tant qu’instrument de domination
qu’exerce une couche sur une autre ? Quelle est la nature de cette domination et
qui l’exerce-t-elle ?

Une lecture de Niamkey Koffi laisse comprendre que dans ces sociétés
dites primitives, notamment celle Akan-N’zima qu’il a particulièrement étudié,
la nature de la domination est d’ordre gnoséologique et exercée par ceux qui,
dans cette société ont figures d’idéologues, d’intellectuels, voire de philosophes,
à savoir les nyctosophes. Ceux-ci, à travers l’exploitation de la ‘’théorie des
forces’’ qui, nous le soulignions, est une idéologie du pouvoir. Dès lors, en quoi
consiste cette théorie des forces ou idéologie du pouvoir ?

À cette interrogation, K. Niamkey (2018, p. 13) laisse entre qu’elle se


déploie sur le terrain du « théologisme, car elle peuple l’univers de causes
animées, de génies ou divinités. ». Cette interprétation métaphysique ou magico-
mystique de l’univers, consiste à faire appréhender l’univers comme force et
puissance avec lesquelles doivent fraterniser les hommes afin que celui-ci
(l’univers) puisse nourrir à leur endroit de bonne disposition à travers des
pratiques ‘’magiques’’ ou la ‘’prière’’. Une telle explication de l’univers, fausse
au demeurant, est celle que fait consommer les nyctosophes à la masse, aux
ignorants. Dans ces conditions, on pourrait se poser la question du fondement de
la légitimité ou crédibilité du discours nyctosophique. Qu’est-ce qui confère
audience et créance à la parole du nyctosophe ?
Selon K. Niamkey (2018, p. 15), « ce qui fonde un tel discours, est le
mot « Ayêne. ». Que signifie-t-il ? À propos du mot, K. Niamkey (2018, p. 15),
55

laisse entendre que dans l’entendement du commun des mortels n’zima, l’Ayêne
est « le prédicat qui fonde la (…) condition de la possibilité et de l’efficacité de
la pratique (du nyctosophe) … Il est introduit dans la définition du nyctosophe
pour tenir lieu de la condition de possibilité de sa pratique. ». De ce fait, il
apparait clairement que le nyctosophe jouit d’un statut un peu spécial, un statut
de représentant terrestre des divinités célestes, c’est-à-dire l’être médiane,
médiateur et intermédiaire entre les hommes et les dieux et vice versa. Une telle
position confère au nyctosophe crédibilité qui, en réalité ne se déploie que sur la
crédulité de la masse n’ayant pas encore saisi et sondé l’opacité ou les
profondeurs du savoir. Dans cette optique, et faisant son nid sur la crédulité et
l’ignorance de la masse, la théorie des forces ou l’idéologie du pouvoir, souligne
K. Niamkey (2018, 36), est exploitée par les nyctosophes « pour asseoir leur
autorité politique et faire respecter l’ordre moral. ». La théorie des forces ou
l’idéologie du pouvoir, fonctionne comme « pratique (…) d’intention politique
de manipulation sociale. Cette manipulation passe elle-même par une pseudo-
pratique qui est réification d’un discours manipulé (…) et réifié (= le rite). ». Et,
c’est ce qui rend possible et plausible l’idée de ce qu’Hountondji a si
dédaigneusement appelé ‘’la philosophie collective ou populaire’’. En effet,
Niamkey Koffi, d’avis avec Paulin Hountondji, pense que la philosophie
collective est un mythe. Car, jamais dans aucune société, tout le monde n’a été
d’accord avec tout le monde. Mais, si ce mythe (la philosophie collective), se
meut en réalité, ce n’est ni par absence d’esprit critique mais comme effet d’une
coercition cognitive que la classe des nyctosophes exerce sur la conscience des
autres. Ainsi, K. Niamkey (2014, p. 131), souligne que « si nos sociétés
précoloniales sont des sociétés harmonieuses, cette harmonie ne s’obtient que
comme effet d’une certaine répression, et non pas nécessairement comme
l’expression d’un consensus unanimiste. ». Car au fond, insiste l’auteur, dans
les sociétés précoloniales (…), l’unanimité est une apparence qu’enregistre
acritiquement l’ethno-philosophie qui ne voit pas que l’harmonie et l’unanimité sont les
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effets d’une contrainte ou d’une répression exercée (…) sur les sujets qui, au demeurant
ont un rapport différentiel à l’idéologie dominante que l’unanimisme manifeste, K.
Niamkey (2018, p. 138).
Ceci dit, c’est dans le cadre de l’idéologie, en tant que forme réalisée de la
philosophie fonctionnant comme instrument de domination qu’il faut ranger la
thèse de philosophie collective ou populaire. K. Niamkey (2018, p. 106)
souligne à ce sujet que « ce qu’on appelle la philosophie collective n’a jamais
existé comme telle (…) En vérité, la question de la philosophie dite collective ou
populaire (…), c’est la question du consensus autour d’une philosophie qui la
transforme en idéologie. ».

Or, en réalité, il n’en est rien. En effet, aucune force ou puissance ne


peuple l’univers dans les anciennes sociétés africaines, desquelles découlent les
thèses erronées de magisme, primitivisme et mysticisme. Contre cette approche,
le but visé précisément par Niamkey Koffi est d’opérer une rupture d’avec
celleci en tournant le dos au paradigme primitiviste et unanimiste de ces sociétés
; car les termes d’approche ethno-anthropologiques, insuffisants ou incapables
qu’ils sont, ne peuvent saisir profondément les réalités complexes que
constituent ces sociétés.

En somme, tout le discours que nous avons jusque-là produit, à viser à


situer la signification et la fonction de l’idéologie dans la pensée philosophique
de Niamkey Koffi. Au fond, il apparait que l’idéologie, bien que présentée
comme forme pratique de la théorie philosophique, fut un argument stratégique
opposé aux thèses des tenants de l’euro-philosophie, c’est-à-dire des négateurs
de l’existence de la philosophie en Afrique précoloniale. Comme on a pu le
constater, l’idéologie, en tant qu’instrument de domination de l’homme par
l’homme, d’un groupe sur un autre, assume en dernière instance une fonction
négative. Ce faisant, elle se donne comme l’antithèse de la fonction réelle de la
philosophie : assurer ou réaliser la liberté humaine. C’est pourquoi, certainement
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par effet de maturité, Niamkey Koffi est parvenu à une séparation de l’acception
négative de l’idéologie dominante ou de classe comme constitutif du champ
philosophique. Nous pouvons même affirmer que cette conception
philosophique de l’idéologie de
Niamkey Koffi fut, sans nul doute, une incidence du marxisme à laquelle n’ont
pas échappé tous les intellectuels noirs et révolutionnaires de son époque. Or, au
fur et à mesure de son évolution dans sa pensée, et s’étant rendu compte de
l’échec du marxisme à rendre effectif l’expression et l’épanouissement de
l’homme, l’auteur s’est, avec un réflexe critique, démarqué du marxisme. A
propos, il convient de rappeler le propos critique adressé au marxisme et partant
à Marx par Niamkey Koffi. Il souligne en effet que

Le recours à Marx (…) doit être à la fois une reformulation et un retournement radical,
à partir (…) de la visée de la réflexion critique pour la réinvestir dans la réalité présente
(…) La nécessité révolutionnaire ne doit pas devenir, du fait de son impatience à
transformer le monde, un obstacle ou un blocage de la dialectique de l’émancipation
(…) Notre assimilation à Marx ne saurait se métamorphoser en une assimilation de
nousmêmes en Marx et en marxisme mécaniste s’opposant (…) à la critique, K.
Niamkey (2018, p. 140-141).
C’est pourquoi, contre l’application mécanique du marxisme, considérée comme
philosophie du salut des opprimés en générale et de l’Afrique en particulier, et
que prône certains théoriciens, K. Niamkey (2018, p. 140), après son auto
critique et la critique du marxisme, pense « que la tradition philosophique
nouvelle qu’il nous faudra promouvoir en Afrique, c’est d’instaurer, (…) une
tradition de théorie critique fondée sur l’idée essentielle que l’échec de toutes les
révolutions sociales signifie la transhistoricité de la domination du fait de
l’insuffisance des critiques de domination (…) ».

En somme, nous retenons que l’idéologie, si elle fut une notion


opératoire et significative pour Niamkey Koffi dans sa volonté de prouver
l’existence de la philosophie en Afrique précoloniale comme figure matérielle de
la philosophie, nous semble insuffisant pour la saisie de la signification de la
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philosophie, car, au demeurant, l’idéologie, en tant qu’instrument d’aliénation


est aux antipodes de la visée réelle de la philosophie :la liberté. Dans cette
perspective, n’y a-t-il pas lieu de dépasser le moment idéologique et aller en
‘’eau profonde’’ pour réaliser notre objectif, celui de signifier la philosophie
chez Niamkey Koffi ? Pour nous offrir les moyens théoriques de la réalisation de
notre objectif, nous voulons analyser, sous la bannière de Niamkey Koffi, les
notions de ‘’système’’ et de ‘’régime fragmentaire dans leur rapport à la
signification nyamkeyéenne de la philosophie. Dès lors, que signifient ces
notions ? Quels statuts occupent-elles dans le champ conceptuel de Niamkey
Koffi ? En quoi peuvent-elles nous permettre de comprendre le sens de la
philosophie chez Niamkey Koffi ? Voyons-le dans un premier temps entre
philosophie et la notion du système.

La philosophie, comme on a pu le voir avec Pierre Hadot, en son


acception originaire, désignait une activité pratique, un mode et style de vie
tributaire d’une certaine compréhension du monde. Cette conception modale et
existentielle de la philosophie a dû, pour des raisons même de sa transmission,
donner lieu à un impératif de codification et de transcription, l’engageant ainsi
sur la pente de l’histoire et de la théorie. Devenant activité théorique et
discursive, la philosophie, à la recherche de genre littéraire ou de la forme
d’expression de sa pensée, emprunta deux itinéraires fondamentaux : le régime
fragmentaire et le système. Si le premier eût son occurrence à l’ère de
l’hellénisme primitif (les présocratiques), le second fut la forme canonique
d’expression de la pensée ou théorie philosophique depuis la scolastique jusqu’à
nos jours. Toutefois, soulignons que, bien des auteurs modernes, voire
contemporains se sont montré, à divers degré, hostiles et réfractaires au système
comme canal d’expression de leur vision philosophique du monde. Pour faire
bref, nous pouvons dire que l’itinéraire suivi par les discours philosophiques, en
termes de genre littéraire ou canal d’expression, part du régime fragmentaire au
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système en passant des résurgences sporadiques du modèle originel par certains


auteurs modernes et contemporains (Pascal et Nietzsche).

Niamkey Koffi, philosophe contemporain, a certainement eu le choix


entre le style fragmentaire ou aphoristique et le modèle systématique. Notre
projet, en l’état actuel de notre étude, sera de nous interroger sur la signification
et la nature du rapport entre philosophie, régime fragmentaire et le style
systématique. Quels statuts ces éléments acquièrent-ils dans la philosophie de
Niamkey Koffi ? Répondent-ils exclusivement à des impératifs ou nécessités
théoriques et méthodologiques ? Par-delà cet aspect, le système et le régime
fragmentaire n’ont-ils pas des incidences sur l’homme et sa liberté ? En clair,
n’est-il pas de l’humain dont il est question au cœur de l’usage de ces procédés
stylistiques ou méthodologiques que sont le système et le régime fragmentaire ?
Avant d’explorer et d’esquisser quelques éléments de réponses à ces
interrogations, il conviendrait que l’on s’interroge sur ce qu’est système et le
régime fragmentaire. En premier lieu, le système.

De manière générale, l’idée de système pourrait renvoyer à l’idée de la


somme ou l’ensemble d’une totalité qui tient son être et sa consistance des
parties qui le compose et le constitue. Ceci voudrait dire que ce que l’on appelle
un système, nous met en présence d’une double réalité, à savoir le tout (=
l’ensemble) et les fragments (= parties, composantes).

Philosophiquement, selon K. Niamkey (2014, p. 344), « ce que l’on


appelle un système, laisse transparaitre un ensemble de concepts dont la
configuration (…) fait référence à des thèses elles-mêmes organisées de telle
sorte qu’elles-mêmes constituent une doctrine. ». Que peut signifier ceci ? L’on
pourrait comprendre, à travers cette note qu’un système philosophique, en tant
que théorie réflexive, argumentative et discursive, se conjugue sur le mode
d’une logique d’arbre ou les concepts sont imbriqués les uns dans les autres en
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procédant par déduction. Ceci dit, un système philosophique, écrit K. Niamkey


(2014, p.
28), « est une réflexion qui s’enferme dans une certaine ‘’clôture’’ sous la
houlette de la raison architectonique », ou une réflexion qui, parce que provenant
de la raison, ‘’la lumière naturelle’’, commande et nécessite l’organisation ou la
cohérence de la pensée ou des idées. Dans ces conditions, il ne serait pas
superfétatoire de nous interroger sur les conditions de possibilité de la
philosophie comme système, c’est-à-dire de l’appropriation du modèle
systématique comme facteur véhiculaire du discours ou de la pensée. Dès lors,
pourquoi et comment l’on est parvenu à une conception de la philosophie
comme système ou de la pensée philosophique comme pensée en système ?

Selon K. Niamkey (2018, p. 36), « la volonté du système dans la


philosophie, c’est le sujet (…) La conséquence de la sujétion du discours par le
sujet philosophique. ». Dès lors, qu’est-ce qu’un sujet philosophique qui serait le
lieu de relevance de la volonté du système en philosophie ? Ce sujet
philosophique est celui de la méthode. Comment celui-ci vient-il au monde ?

Pour en saisir les conditions de possibilité, il importe de se poser avec


K. Niamkey (2014, p. 49) la question ci-après : « comment dépasser l’opposition
des idées dans la controverse, dans le conflit des idées ? ». En effet, le discours
philosophique, en sa configuration systématique, c’est-à-dire argumentative,
logique ou cohérente, n’est pas neutre, car, en tant que telle, il constitue un
dispositif apotropaïque et une rhétorique à administrer à un adversaire sceptique
dans le monde de la discussion ou de la joute. D’où le besoin ou la nécessité
d’adoption d’une stratégie discursive : la méthode comme organon. Puisque
dans toute controverse, l’excellence d’une idée se mesure à sa capacité à
triompher des autres, et dont l’enjeu est d’avoir raison, il y a nécessité de faire
usage de la méthode, (à l’instar de la visée cartésienne dans le Discours de la
méthode), pour bien penser. Ce qui permettra aux antagonistes d’arracher l’enjeu
61

de la bataille, c’est-à-dire de prouver que l’on a raison, que l’on est un virtuose
de la démonstration, c’est-à-dire dans le maniement des lois propres au langage.
De la sorte, nous sommes amenés à dire avec K. Niamkey (2014, p. 49), que :

la philosophie comme système est fille d’un projet essentiel : l’exigence de légitimité,
exigence d’un discours premier et essentiel (…) exigence d’un discours intégral et
intégralement légitimé (…) C’est donc dans un monde déchiré par les oppositions entre
les idées (…) que la philosophie entre en scène et que l’exigence de systématicité (…)
se fait pressante

Or, la méthode que choisissent la quasi-totalité des philosophes pour rendre


raison de leur argumentation ou théorie, est sans conteste la méthode
scientifique d’obédience mathématique ou géométrique. Pourquoi un tel choix ?
Qu’y’a-t-il de séduisant dans les mathématiques auquel ne peut résister le
philosophe ? Selon
K. Niamkey (2018, p. 51),

ce qui a séduit les philosophes dans les mathématiques, c’est la possibilité qu’elles ont
d’avancer par leur propre moyen conceptuel grâce à la déduction. Ainsi, toute
philosophie qui se veut systématique prend-elle une allure démonstrative dans la mesure
où elle est une preuve administrée à un adversaire sceptique

C’est donc à partir de la généralisation du paradigme méthodologique


d’obédience mathématique que la notion du système est devenue la figure
dominante du discours philosophique dans l’hypothèse admise que la vérité
mathématique est le modèle de toute vérité.

Après ce bref survol sur la définition générale du système


philosophique, sur les conditions qui ont nécessité son ‘’intrusion’’ en
philosophie et de son universalisation, portons à présent notre attention sur la
nature du rapport entre la double réalité constitutive de l’être du système : le tout
et les parties. Abordons cette question avec Leibniz et Aristote.

On sait depuis Leibniz (1977, p. 101), qu’« un système est un ensemble


de partie. ». Mais, la question qui se pose est la suivante : quelle est la nature du
rapport entre le ‘’tout’’ et ‘’les parties’’. Selon Aristote, les propriétés des parties
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déterminent celle de l’ensemble ou la totalité. Dans cette optique, la


compréhension de la totalité consiste en la recherche de ses éléments constitutifs
et primitifs.

Aussi, Leibniz, dans la doctrine des ombres, rend compte du système


des couleurs qu’il considère comme des phénomènes composés. Dans cette
mouvance, le système ou totalité, est compris sous le signe de l’addition, de la
multiplication, mieux de la combinatoire des parties primitives dont la
complexité est saisie au pied de la métaphore du tissage. Dans une telle
conjoncture, la systématicité n’est plus une affaire de simple unité mais une
unité complexe s’inscrivant dans une pratique mettant en évidence le qualités
primitives et irréductibles des parties qui conservent leur identité substantielle.

Avec Aristote cependant, nous assistons à une un aveu/dénégation de la


crise de l’identité du système comme objet d’une analytique. En effet, dans La
Physique IV, au niveau des trois hypothèses sur la nature du temps, Aristote se
heurte à une aporie : ‘’le maintenant’’ est une partie du temps et nombre étranger
au temps. Le temps serait un ensemble de ‘’maintenant’’ puisque la
comaintenance de plusieurs ‘’maintenant’’ est impossible. Car, le
‘’maintenant’’, comme partie primitive du temps, ne peut pas coexister, comme
partie actuelle t présente avec un autre maintenant comme tel. En clair, Aristote
n’a pu résoudre la problématique du temps au terme de son analytique du temps.
Car, si le temps est un ensemble de ‘’maintenant’’, cet ensemble n’est ‘’être-
ensemble’’ que sur le mode de l’analogie. De ce fait, le mot ‘’ensemble’’ reste
donc une énigme qui nomme et dérobe à la fois le problème du rapport entre le
tout et les parties, et qui rend contradictoire la nature du temps. Dès lors, cette
idée aristotélicienne de l’impossible co-maintenance des parties comme
condition de possibilité de la totalité est heuristique en ce sens qu’elle nous
ouvre la porte de l’énigmatique ‘’être-ensemble’’ ou en ‘’même temps’’ des
63

parties dans le tout. Ce qui dès lors définit la nature paradoxale du système
comme espace de la coexistence possible sur fond d’impossible co-maintenance.

Comme on peut le voir, le système, avec Leibniz, est un ensemble de


partie mais qui forme une unité complexe dont on ne peut assigner l’unité
comme substantielle. Avec Aristote, en référence au temps comme totalité, on
peut dire du système qu’il est paradoxe. Car, sous l’angle du ‘’tout’’, il est un et
homogène et sous l’angle des ‘’parties’’, des constituants, il est divers et
hétérogène. Ainsi, la première manifestation du système comme complexité, se
situe au niveau de l’association en lui d’unité d’une part, de diversité ou
multiplicité d’autre part. Ainsi, on le voit, la problématique jusque-là irrésolue,
et que pose viscéralement le système, est celle de la nature du rapport entre la
totalité et les fragments. Généralement, dans ce rapport, le tout est posé comme
ensemble des parties, comme point culminant des parties par transfert des
qualités ou propriétés de celles-ci sur celui-là, considéré comme la ‘’somme’’
des composantes et donc supérieur à elles. D’où l’idée suivant laquelle un
système serait un ensemble d’éléments organisés de telle sorte que la
modification ou le déplacement d’un maillon entraine, comme conséquence
logique, la modification de tout l’édifice. Dans cette perspective, la philosophie
comme pensée en système devient une théorie de la totalité, un discours
totalisateur ou totalisant supposant la concaténation, c’est-à-dire la cohérence
entre les éléments constitutifs du système. Ce serait donc sous le prisme d’une
telle appréhension du système que l’on l’accepte comme apte, voire inhérent à la
pensée philosophique.

Cependant, est-ce unilatéralement en raison de cette cohérence que


fournie le système qu’il faut faire de celui-ci la figure congénitale de la pensée
philosophique ? La figure du système n’occulterait-elle pas son fond, c’est-à-
dire son projet inavoué, à savoir celui de la domination effective du tout sur les
parties ? De ce fait, y inscrire la pensée philosophique ne reviendrait-elle pas à la
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nouer la domination ? Le discours de la totalité ne serait-il pas un discours


totalitaire ? Toutes ces interrogations nous conduisent à porter un regard
différentiel sur la question de la pensée systématique comme figure inhérente à
l’expression de la pensée philosophique. Ne conviendrait-il pas de prendre au
sérieux la question essentielle que pose et occulte à la fois le système, à savoir
celui de la liberté ? En effet, s’il est admis que le système est adéquation entre
les fragments et la totalité, cette adéquation ne serait-elle pas la résultante d’une
violence exercée sur les spécificités ontologiques des fragments, c’est-à-dire leur
liberté ?

La nature du rapport confus entre le système et le régime fragmentaire


qui fait sa mue sur l’apparente cohérence qu’elle se donne ne rencontre pas
l’assentiment de Niamkey Koffi. C’est pourquoi, refusant la distraction sur fond
de subjugation à partir de laquelle l’on accepte acritiquement le système comme
inhérente au discours philosophique, il oriente son regard vers le problème
fondamental que pose le système à savoir celui de la liberté. Raison pour
laquelle contre l’idée exclusive de la philosophie comme pensée en système, qui
au demeurant est coercitif, voire liberticide, Niamkey Koffi se penchera sur le
régime fragmentaire. Que signifie cette notion ? Quelle est la nature du rapport
qu’elle entretient avec la philosophie ? Tentons d’apporter des éléments de
réponses à ces questions.

Dans une sorte d’approximation grossière, nous pouvons définir le


régime fragmentaire comme un procédé stylique ou une forme de la pensée qui
privilégie le fragment ou l’aphorisme. Et, comme nous le soulignions, il fut le
genre littéraire originaire de la philosophie à l’œuvre chez ce que l’on appelle les
‘pré- Socratiques’. Toutefois, quelques auteurs modernes ou contemporains, en
l’occurrence Blaise Pascal et Nietzsche, furent les adeptes du régime
fragmentaire. En clair, contrairement au système qui privilégie le ‘’tout’’ et qui,
pour ce faire procède par déduction parce qu’ayant pour modèle le ‘’mos
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geométricus’’, le régime fragmentaire, non seulement privilégie les spécificités,


les singularités mais aussi et surtout, à pour moteur, la diduction. Que signifie ce
concept ?

Selon K. Niamkey (2014, p. 63), « la diduction est une pratique du


mélange, de la confusion créatrice de confluence. ». En clair, « la pensée
diductive est une pensée pluridirectionnelle (…), c’est-à-dire champs
d’enchevêtrement des voies et voix, dialogisme (…) La pensée diductive est
pensée a-systémique, ou mieux, pensée négative, c’est-à-dire critique (…). La
pensée diductive est refus de l’organon. », K. Niamkey (2014, p. 264). En effet,
la pensée diductive, de laquelle procède le régime fragmentaire, révèle la pensée
à soi comme ‘’ergon’’, c’est-à-dire travail continuel ou perpétuel du concept sur
soi. Cela veut dire que contrairement à la pensée systématique, déductive et
évolutive, la pensée diductive maintien les tensions, les contradictions entre les
parties. Pour faire bref, disons que la pensée diductive, d’orientation
fragmentaire, est une pensée anti progrès (= au sens de dépassement hégélien).

Contrairement aux idées reçues, le régime fragmentaire, par son mode


d’expression non structuré comparativement au système, n’est nullement une en
pensée en folie ou débandade, une pensée inachevée en quête de son
achèvement.
C’est pourquoi le recours au modèle fragmentaire, d’un auteur à l’autre, ne va
pas sans justification. Voyons-le avec Blaise Pascal et Nietzsche. En effet,
Blaise Pascal (que nous lisons à travers Niamkey), on le sait, s’est définit lui-
même comme ‘’anti cartésien’’, c’est-à-dire hostile au ‘’mos géométrico’’, « ce
qui (…) commande l’exigence fragmentaire c’est la faiblesse de l’esprit humain
et son incapacité congénitale à embrasser l’infini. L’écriture aphoristique en
porte donc la marque en tant discours sans aucune prétention ni à la totalité ni à
l’universalité. », K. Niamkey (2014, p. 317). C’est pourquoi aux yeux de Pascal,
nous apprend K. Niamkey (2014, p. 317), « le discours ‘’more géométrico’’ est
66

un discours totalitaire, présomptueux (…) Un discours ? Parce qu’il n’y’a que


Dieu seul qui puisse tenir un discours intégral qui ne peut se soutenir d’aucune
écriture car le monde ne saurait la contenir. ».

Un autre homme-aphorisme, en l’occurrence Nietzsche (que nous


lisons aussi par la médiation de Niamkey), accorde une très grande importance
au régime fragmentaire. Pourquoi ? Parce que, écrit K. Niamkey (2014, p. 274),
« le rêve de
Nietzsche (était) de faire revenir la philosophie telle qu’elle existait à l’époque
pré-Socratique, c’est-à-dire à son époque tragique pour lui faire prendre
conscience de l’existence comme tragédie. ». Pour ce faire faire, il y eut lieu de
faire revenir les conditions historiques de sa possibilité : d’où l’aphorisme ou le
régime fragmentaire qui, en tant que genre littéraire, décision stratégique, est
capable d’exprimer le cri, le déchirement, la souffrance, la tragédie. Surtout, ce
genre littéraire est une écriture en rupture avec toutes les formes de pensées se
tissant de la métaphore optique, géométrique et architecturale. Après ce bref
survol sur les raisons ou exigences qui ont commandé le régime fragmentaire
comme nécessité philosophique chez Blaise Pascal et Nietzsche, portons à
présent notre regard sur la raison du recours au régime fragmentaire chez
Niamkey Koffi. Pourquoi le philosophe est-il réticent, voire résistant au système
?

Comme on a pu le constater, la figure du système, n’est promue en


philosophie qu’en raison non seulement de l’agencement et la cohérence des
idées ou la pensée qu’elle rend possible, mais aussi et surtout, en tant que
discours privilégiant la totalité au détriment des parties. C’est contre cette
attitude à l’égard des composantes que semble s’insurger Niamkey Koffi. En
effet, le parti pris de l’auteur des Images éclatées de la dialectique pour le
régime fragmentaire, nous semble-t-il, peut se comprendre comme un refus de la
fausse apparence que produit le discours systématique ou méthodique qui, au
67

demeurant, met sous le boisseau la question fondamentale qui est celle de la


liberté des parties qui subissent l’hégémonie de la totalité. Pour mieux
comprendre cela, il importe que nous projetions les notions de ‘’système’’ et de
‘’régime fragmentaire’’ de sorte à en faire une lecture politico-sociale. Ce sera
l’occasion pour nous, de subrepticement ou subtilement glisser dans la
philosophie politique et sociale et Niamkey Koffi.

Il nous semble que pour Niamkey Koffi, le système soit l’autre nom de
la configuration sociale qui, elle-même, à une structure dichotomique, à savoir
les dominants ou les puissants (= totalité) et les dominés ou faibles ou pauvre (=
parties, composants) et ou le règne des premiers se conjuguent ou déploient sur
la l’oppression ou la perte de liberté des seconds. En une telle conjoncture, pour
saisir la réticence niamkyéenne à l’endroit du système et de la critique qu’il lui
administre, un mouvement de recul doit être au préalable observer, qui consiste
à situer et clarifier les termes d’approche de cette critique. Dès lors, ou Niamkey
Koffi place-t-il le curseur de la critique du système ?

Pour Niamkey Koffi, le système, contrairement à la thèse en vigueur,


n’est aucunement réductible au schématisme d’interaction entre le ‘’tout’’ et les
‘’parties’’. Car, parlant du système, et partant de la philosophie, il est question
de la liberté humaine. Dans cette perspective, il souligne que :

la notion du système est au cœur du problème de la liberté que l’on ne saurait brader
pour des raisons d’efficacité. A négliger la notion du système (…), on s’enlève la
possibilité de comprendre pourquoi les révolutions que la philosophie appelle de tous
ses vœux ne peuvent s’actualiser qu’en pervertissant la promesse de leurs fleurs
théoriques K. Niamkey (2014, p. 7).
C’est pourquoi, dans la mesure où elle ne se reconnait que dans la figure du
système, « la philosophie comme promesse et puissance de liberté reste une
promesse bloquée (…) », K. Niamkey (2014, p. 7). Dans ces conditions, le
projet ou l’intention initiale et ultime de la philosophie, qui est la réalisation de
la liberté et la justice se fourvoie et se pervertit. Comme on peut le voir, le
68

système, par-delà l’apparence du discours qu’il assure, a une fonction et


signification foncièrement liberticide et, en tant que telle, trahit l’ambition et la
réalisation de la philosophie comme désir et/ou pratique de la liberté. Dès lors,
que faire pour permettre à la philosophie pour recouvrer et renouer avec son
projet initial, c’est-à-dire assurer la liberté ?

Il faut, écrit K. Niamkey (1996, p. 150), porter au système une critique


radicale qui « doit donc déboucher sur la libération du telos (=objectif, finalité)
de la philosophie : la liberté dont le signe est l’ouvert », et qui a pour figure et
forme d’expression le régime fragmentaire. En effet, le régime fragmentaire, en
tant que genre littéraire, est une décision stratégique, une écriture porteuse d’un
concept dont la structure est celle d’une négation ou refus du système, c’est-à-
dire de la domination. Dans cette optique, souligne l’auteur de La notion du
système philosophique, « ce qui est en jeu dans cette écriture, c’est le problème
(…) de la particularité comme résistance à la domination du tout, lequel n’a
d’égard pour elle qu’en tant que mutilé. », K. Niamkey (2014, p. 316). C’est
pourquoi, la liberté étant au cœur de et dans la notion du système, il convient de
ne pas borner l’exigence fragmentaire à un simple genre littéraire, mais aussi et
surtout, de le hisser à une dimension ou attitude révolutionnaire. Car, note K.
Niamkey (2014, p. 268), le régime fragmentaire n’est pas seulement et
simplement un genre littéraire, mais « c’est aussi une philosophie critique tant de
l’histoire de la philosophie que de la société. ». En effet, contrairement à la
pensée philosophique d’obédience systématique, hégémonique et liberticide, le
régime fragmentaire, nous apprend K. Niamkey (1996, 150), « cultive de la
sympathie pour l’hétérogène, le singulier (…) respecte la liberté du particulier et
le spécifique. ». De ce point de vue, le régime fragmentaire favorise le dialogue,
l’enchevêtrement et la contradiction des individus (= fragments). Il est discours
pluridirectionnel, lieu d’expression et de manifestation de la liberté, de la
tolérance. En tant que tel, le régime fragmentaire est porteur d’une révolution
69

tant dans le domaine philosophico-littéraire que dans le domaine politico-social,


révolution entendue comme exigence de liberté des individus (= fragments) à
travers le droit à la parole et à l’affirmation de leur individualité. Et, cette
volonté de liberté qu’exprime le passage du système au régime fragmentaire,
Niamkey Koffi l’exprime en des termes si saisissant et intéressant de « voyage
de la Cratylie vers Utopia ». Qu’est-ce à dire ? C’est dire que les termes en
présence sont indicatifs de deux dimensions polaires d’un itinéraire à parcourir
dont l’un, la ‘’Cratylie’’, figure le système et l’autre, ‘’Utopia’’, le refus et la
dénonciation de la démagogie du discours systématique en tant qu’un instrument
de socialisation qui, dès lors, débouche sur le régime fragmentaire comme
exigence de liberté. Ainsi, souligne-t-il que,
Quitter la Cratylie, c’est refuser l’esprit de système (…) Quitter la Cratylie, c’est donc
manifesté la volonté de ne plus entrer dans le jeu car les dés sont pipés (…) Aller vers
Utopia signifie donc s’engager dans un mouvement critique qui démasque les
mensonges comme instrument de socialisation totalitaire (…), K. Niamkey (2014, p.
369).

Toutefois, cette valorisation du régime fragmentaire par Niamkey


Koffi, ne doit nullement s’entendre comme l’expression d’une agonistique, voire
d’un détrônement du système au profit de celui-là. En effet, il ne s’agit pas
d’opposer le particulier à l’universel, la partie au tout, ni l’irrationnel au
rationnel mais plutôt de combattre la rationalité qui fait du particulier en tant que
telle une quantité négligeable parce qu’elle est incapable de percer son secret,
son énigme, son tragique, son ambivalence. Dans cette perspective, K. Niamkey
(1996, p. 167168), écrit que :

le régime fragmentaire se veut une alternative à l’extension de l’universel, une


subversion du postulat d’univocité (…) une (…) pratique réelle de l’équivoque (…) cela
signifie une exigence de substituer aux concepts unitaires ou totalitaires des singularités
signifiantes, locales indiquant (…) ce qui est en reste de l’asymptote du savoir absolu
Que
retenir finalement du système et du régime fragmentaire dans leur rapport à la
philosophie chez Niamkey Koffi ?
70

On pourrait retenir que pour Niamkey Koffi, la philosophie, étant désir


ou pratique de la liberté, ne peut se soutenir exclusivement du système qui, si
théoriquement parait légitime, du point pratique et discursif, est sclérotique et
liberticide parce qu’il met en note de bas de page ce qui constitue l’origine, voire
le fondement de la philosophie : le dialogue. Comme on a pu le constater, le lieu
ou Niamkey Koffi place le curseur de la critique du système, ne se satisfait pas
de l’argument de cohérence ou de méthode au nom de laquelle l’on le prise ou
privilégie. Pour l’auteur, en nouant philosophie et système, l’on l’engage sur la
pente du discours totalitaire, du discours comme abolition de la discurvisité,
c’est-
à-dire comme monologisme, comme mise en vacance de l’altérité, de
l’interlocuteur. Ce faisant, l’on oublie que le dialogue fut à l’origine de la
philosophie, en tant que manifestation discursive des individualités, s’exprimant
en toute liberté d’esprit et de penser. D’où son insistance, à l’instar de Pascal et
Nietzsche, quoique pour des raisons diverses, pour un retour au style
fragmentaire d’orientation micrologique qui, comme on l’a vu, cultive de
l’intérêt pour le particulier, l’altérité et le spécifique.

Le régime fragmentaire a doublement été doublement défini comme


genre littéraire, comme procédé stylique favorisant l’expression des
individualités, l’attention portée à leur endroit, et comme un style critique tant
de l’histoire de la philosophie et de la société, c’est-à-dire de la domination. Au
fond, il convient de retenir que la critique du système, au profit du régime
fragmentaire par Niamkey Koffi, se situe plus dans le cadre d’un mieux-être et
d’un mieux vivre. En clair, il s’agit de redonner sens et gout à la vie, de faire en
sorte que celle-ci vaille la peine d’être vécue. Il le dit lui-même en ces termes : «
lorsque nous avons valorisé le régime fragmentaire que nous avons refusé de
réduire à un simple genre littéraire, nous y voyons un besoin de réformer la vie
(…) », K. Niamkey (2014, p. 386). Quel est donc cette vie que l’auteur refuse et
71

désir réformer par le truchement de la valorisation du régime fragmentaire ?


Cette vie, c’est certainement celle marquée par la domination, du deuil de la
liberté des uns au profit des autres ; une vie qui n’est pas digne d’être vécue, une
vie sans dialogue, sans communication qui, suivant Niamkey Koffi, est l’œuf de
la société, et partant de la philosophie. N’est-ce pas pour cela que l’auteur des
Images éclatées de la dialectique consacre de belles et nombreuses pages au
dialogue, ses procédures et mécanismes dans son ouvrage qui a pour sujet la
dialectique ? N’est-ce pas dans cette perspective qu’il faut comprendre sa prise
de position dans la quatrième partie dudit ouvrage pour le régime fragmentaire,
capable de libérer le telos de la philosophie, à savoir la liberté ?
Dans cette perspective, il est significatif de souligner le point de vue du
philosophe Kouadio Koffi Décaird, soucieux lui aussi, à l’instar de Niamkey
Koffi, de la réforme de la vie, de la reconstruction normative du sens de la vie
par la philosophie. En effet, l’auteur, dans son article intitulé ‘Philosophie et
reconstruction normative du sens de la philosophie : quelle morale pour la vie
bonne ?’, après avoir examiné les raisons et les discours du désenchantement de
la philosophie, et après s’être insurgé contre les tenants de ce discours, pense
que la philosophie, qui a pour caractéristiques l’éthique et la morale, fait sens et
a encore du sens à donner dans notre monde ou la part belle est faite à la
techniscience. C’est pourquoi, reconnaissant d’abord et avant tout que « la
philosophie est (…) un havre de vie, un art de vivre (…) c’est apprendre à vivre
», K. K. Décaird (2016, p. 101), le philosophe, prenant conscience que la vie
elle-même n’étant possible que dans une dynamique de relation avec les autres,
souligne que cette vie bonne et heureuse, n’est possible que par « le respect des
(…) des normes et des comportements souhaitables ». K. K. Décaird (2016, p.
106). En somme, selon K. K. Décaird (2016, p. 106), la réforme du sens de la
vie, en vue d’une vie bonne et heureuse, n’est possible que par « la philosophie
(qui) est un médium de la reconstruction normative du sens de la vie (…) pour le
72

bonheur et la liberté de tous ». Ceci dit, que retenir de la signification


niamkeyéenne de la philosophie et de philosophie africaine ?
Le vocable philosophie, pour Niamkey Koffi, en plus et par-delà son
aspect et acception technique et académique dont il est héritier, est plus une
pratique, un art de vivre et un style de vie qui a pour moteur le dialogue et la
liberté comme valeur cardinale. De ce fait, il renoue avec la résonnance antique
et primitive de la philosophie comme choix et modalité existentielle et
rationnelle.
C’est pourquoi, sans refuser la dimension académique ou universitaire de la
philosophie, il est rétif à toute tendance qui consiste à l’y enfermer, car, la
philosophie, avant de devenir affaire d’‘’école’’, fut une affaire de la vie, surtout
d’une vie bonne et réussie.

C’est pourquoi, la tendance des auteurs à enfermer la signification du


vocable et la pratique philosophique au champ exclusif de l’école et qui, de ce
fait font des éléments conjoncturels (écriture, technique, raison) des facteurs
essentiels de la philosophie, la réduisant ainsi à carcan universitaire, ne
rencontre pas le consentement de Niamkey Koffi.

Pour lui, la philosophie n’est nullement une pratique théorique élevée


qui ne saurait se confondre avec mythes et cosmogonies intangibles puisque le
mythe lui-même est constitutif de la raison et celle-ci constitutive du mythe. Car,
selon les époques et les formes de sociétés, changent les formes de conception et
de recevabilité du savoir et de la pensée ainsi que les formes et les structures
dans lesquelles ils sont produit et transmis.

La philosophie n’est pas système. Car une telle thèse ignore ou occulte
les conditions d’émergence du discours en système en rupture avec le discours
dialogique qui est inachèvement radicale, irréductible au concept métonymique
du tout dont il serait l’anamnèse. On oublie que le régime fragmentaire est celui
73

de l’oralité pure et que l’oralité institue une temporalité dans l’œuvre et dans le
comprendre dont la première conséquence est le refus sinon l’absence de
méthode institutionnalisée. En somme, de la signification du philosopher
nyamkeyen, nous retenons qu’il est un choix et mode de vie, empreint
d’humanisme, c’est-à-dire qui considère l’homme comme la mesure-étalon, le
mettant ainsi au centre de la réflexion et de l’action.

Après tout ce discours produit à l’endroit du vocable philosophie,


relativement à sa signification, ses caractéristiques, son fondement et sa finalité,
portons à présent un regard approfondi sur la conception et la compréhension
nyamkeyéenne du concept de ‘’philosophie africaine’’. Dès lors, que doit-on ou
comment entendre ou comprendre le concept de ‘’philosophie africaine’’ chez
Niamkey Koffi ? Tel est l’objet de notre second chapitre.

CHAPITRE II : DU SENS DU CONCEPT DE ‘’PHILOSOPHIE AFRICAINE’’ :


AU-DELA DE LA CONTROVERSE

Dans le cours des pages de la première partie de notre étude, portant


fondamentalement sur les lieux de la question de la controverse relative à la
philosophie africaine, nous nous sommes contenté de présenter Niamkey Koffi
exclusivement comme critique de l’ethno et l’euro-philosophies. Ce qui pourrait
induire l’idée selon laquelle notre auteur ne serait qu’une virtuose dans la
dénonciation et inapte à la proposition ou à la réflexion heuristique en la matière
(=philosophie africaine). C’est pourquoi, notre intention, dans ce second
chapitre, est de revenir sur les termes d’approche niamkeyéen de la
‘’philosophie africaine’’ relativement à sa signification et ses perspectives. Mais
74

au préalable, il importe de rappeler le projet de Niamkey Koffi quant au rapport


Afrique/philosophie.

Selon B. Gensame (2014, p. 2), le projet de Niamkey Koffi


relativement au rapport Afrique/philosophie, « n’était ni plus ni moins que de
construire, sans renier l’apport de l’Occident, une vision philosophique du
monde à partir de l’Afrique ». Ainsi que le sous-tend et suggère cette idée,
l’ambition de Niamkey Koffi, sans faire l’économie de sa formation
universitaire occidentale, est de faire de l’Afrique le point de départ d’une
réflexion philosophique. Toutefois, soulignons que le vocable ‘’Afrique’’ est à
prendre et comprendre en une acception diachronique et extensive, c’est-à-dire
englobant à la fois les sociétés d’Afrique précoloniale et celles nées de la
‘’rencontre’’ de l’Afrique et de l’Europe. C’est pourquoi comme nous l’avons
montré dans la première partie, contrairement aux thèses négationnistes et
réductionnistes de Marcien Towa et Paulin Hountondji, Niamkey Koffi, dans ses
écrits critiques, s’est efforcé de « circonscrire le lieu où l’on peut assigner son
existence à la philosophie africaine précoloniale. », K. Niamkey (2018, p. 17).
Un tel projet lui permet de redéfinir le syntagme ‘’philosophie africaine’’. Dès
lors, quelle signification celle-ci revêt-elle sous sa plume ?

Selon K. Niamkey (2018, p. 81), « la philosophie africaine est le chiffre


d’une chose plurielle qui se divise en deux : 1/ Elle est le mot pour dire la
philosophie produite par les Noirs nés de la colonisation (…) 2/ La philosophie
africaine est aussi le nom singulier, mais un mauvais nom, pour signifier les
traditions de pensées philosophiques de nos anciennes sociétés ou
confédérations tribales (…) ». Comme on peut le voir, le concept de philosophie
africaine chez Niamkey Koffi, s’inscrit dans une perspective extensive,
historique et diachronique en ce sens qu’il englobe à la fois le passé et le présent
philosophique africain. C’est pourquoi, on l’a vu, il s’est insurgé contre le
réductionnisme topologique et épistémique de certains auteurs, en l’occurrence
75

Marcien Towa et Paulin Hountondji et qui justifia son incursion dans le débat à
titre correctionniste et critique. Nous avons vu avec lui que les éléments qui, au
nom d’une certaine caractérisation, ont été érigés comme exclusive au champ
philosophique pour frapper d’ostracisme les modes de pensées dits
‘’traditionnels’’, ne sont pas, en toute rigueur, à exclure du champ
philosophique. Car la philosophie est le nom singulier d’une chose plurielle.
Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce qui fait à la fois la singularité et la pluralité de la
philosophie ? Autrement dit, qu’est-ce qui demeure singulier dans la pluralité de
la pratique philosophique ?

Le singulier de/dans la philosophie, c’est la raison, et le pluriel,


l’orientation que l’on donne, en fonction de l’objectivité du point de vue de la
culture, à la raison, étant donné que la raison est un instrument docile au service
de l’Esprit. C’est ce qui rend possible la pluralité des doctrines philosophiques
qui, souligne K. Niamkey (2018, p. 241), « est moins l’expression d’une
pluralité de raison que celles des manifestations multiformes de la raison ; elles
sont ses produits, ses œuvres. La raison n’est rien moins qu’une servante de
l’Esprit. ».
Dès lors, d’où pourrait venir le fait de la différence entre les produits d’une
même usine, c’est-à-dire la raison ? Selon K. Niamkey (2018, p. 241),

La différence entre les produits de la raison tient à la liberté qu’a la raison de choisir le
point de départ qu’elle veut, ou qu’elle estime valable. Mais cette liberté se limite à ce
choix des données de bases. Dès cette première détermination, il n’y a plus liberté mais
nécessité, enchainement rigoureux, voire mécanique (…) La raison est un démiurge.
Elle est créatrice non pas de réalités nouvelles mais de catégories conceptuelles
nouvelles. Elle est facteur d’une formalisation spécifique ou prend corps un système
idéologique ou une pratique qui s’en informe (…).

Toutefois, cette tentative niamkeyéenne de la philosophie africaine ne doit être


nullement entendue comme le fait d’une revendication d’une philosophie toute
faite et définitive mais comme des chantiers à investiguer en termes pratique.
76

Après ces propos relatifs à la signification de la philosophie africaine,


portons maintenant notre regard sur l’actualité et les perspectives de cette
philosophie. En d’autres termes, en quels termes, suivant Niamkey Koffi faut-il
aborder la philosophie africaine ?

À cette question, qui lui a été posée par M. Guy Kouakou à l’occasion
d’une interview, le point de vue de Niamkey Koffi ne transpire aucune
ambiguité. Selon l’auteur, aujourd’hui, par-delà la controverse, la question de la
philosophie africaine doit être abordée

essentiellement en termes de recherches (…) Il nous faut (…) convertir le regard sur nos
réalités pour dégager tout ce qu’on peut découvrir comme idées, comme pensées (…) Ce n’est
donc pas en terme de questionnement théorique, mais en termes de recherches pratiques que
nous avons à apporter des solutions à la question de la pensée africaine. (Car) sur ce chapitre,
le questionnement qui se tient entre quatre murs me semble dépassé, K. Niamkey (2018,

p. 199).

C’est pourquoi, il ne
ne partage pas le défaitisme de ceux qui pensent que ça vaut pas la peine d’aller
fouiller. Si l’archéologie est une tâche continue pour l’histoire, elle doit valoir
également pour la philosophie. Il faut, au niveau de la philosophie, faire des recherches
archéologiques sur nos pensées anciennes (…) Apporter des réponses non pas à travers
des discussions théoriques mais des travaux de recherches en profondeurs sur notre
culture, K. Niamkey (2018, p. 198).

Cela dit, la philosophie africaine, pour Niamkey Koffi, doit ou devrait


se traduire en l’état actuel des choses, en terme d’investigation pratiques. Les
philosophes africains, voire de tous les horizons, pour ce faire, doivent étendre
sans tabou et complexe, la recherche scientifique et archéologique à nos
anciennes traditions de pensées africaines. Car, souligne K. Niamkey (2018, p.
15),

la profondeur historique de la philosophie en Afrique ne peut faire l’impasse sur le


potentiel philosophique des ‘’antiquités’’ africaines dont le temps qui passe sait laisser
sur son chemin des traces qui invitent les hommes et les sociétés à les reconnaître et les
accueillir comme ce par quoi s’immortalise l’essentiel.
77

En somme, à propos de l’approche nyamkeyéenne de la philosophie africaine,


au-delà du débat, il faut comprendre et retenir l’invitation de l’auteur à la
nécessité d’une re-appropriation historique épistémologique et philosophique
des Afriques à travers une re-prise en compte des travaux d’obédience
pluridisciplinaire relatifs à l’Afrique. Toutefois, l’insistance de Niamkey Koffi
sur l’importance de penser les ‘’antiquités’’ africaines n doit nullement laisser
induire l’idée d’un retrospectivisme dont notre auteur serait le chantre. C’est
pourquoi, en tant que penseur de son temps, ayant conscience de l’intégration de
l’Afrique dans le monde, il invite aussi à penser les philosophies africaines en
termes d’ouverture. Dans cette optique, il écrit que : « ouverte sur le monde et à
la mondialisation depuis des siècles, l’Afrique a connu comme tous les autres
continents des influences, des croisement (…) Elle doit en définitive se penser
dans et par le monde, dans sa diversité et pluralité sans complexe et sans
terrorisme intellectuel. », K. Niamkey (20180, p. 15).
Après nos deux premières parties, qui ont consisté en un effort de
compréhension des concepts de philosophie et de philosophie africaine chez
Niamkey Koffi par un détour par la controverse, nous voudrions, à présent, nous
pencher sur les raisons de ce débat entre auteurs africains sur la signification de
la philosophie. Quelles étaient les enjeux ? C’est à cette ambition que nous
assignons notre troisième et dernière partie de notre étude.
78
79

TROISIÈME PARTIE :

DES ENJEUX DES DISCOURS CONTROVERSÉS


POUR L’AFRIQUE OU LA PHILOSOPHIE FACE A LA
PROBLÉMATIQUE DES DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT
AFRICAIN

Nous ne saurions clore cette étude sans revenir une fois de plus sur la
problématique du débat sur la philosophie africaine. Car, si nous avions laissé
entendre que la problématique au cœur de ce débat fit celle de la signification ou
définition de la philosophie, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger ou d’interroger la
problématique de cette problématique ?

Nous voudrions, en cette partie ultime de notre étude, revenir sur le


pourquoi de ce débat, c’est-à-dire comprendre la ou les raisons pour lesquelles
des auteurs africains, à un moment historique donné, sont amenés à se quereller
autour de la définition d’un concept. Que représentait ou signifiait ce débat pour
l’Afrique à cette période de son histoire ? En clair, quels étaient les enjeux des
80

discours philosophiques sur l’Afrique ? Quelle place accordée à la philosophie


dans le processus de développement en général et, du développement africain en
particulier ? Quelle philosophie pour le développement pour l’Afrique ? Telles
sont les questions que nous tenterons d’explorer dans notre dernière partie.
Celle-ci, à l’instar des deux autres parties de cette étude, s’articule autour de
deux chapitres. Dans le premier chapitre, il s’agira de mettre l’accent sur les
enjeux, essentiellement théoriques, des controverses sur la philosophie africaine.
Le second chapitre, quant à lui, consistera à pointer du doigt l’enjeu pratique du
débat sur la philosophie africaine : le progrès ou le développement de l’Afrique.

CHAPITRE I : DES ENJEUX DES DISCOURS PHILOSOPHIQUES

POUR L’AFRIQUE

Nous voudrions, en prélude de la saisie des enjeux ou intérêts du débat


sur la philosophie africaine, opérer une sorte de plongée rétrospective pour en
situer le contexte historique de son émergence. Quelle était donc la conjoncture
historique contemporaine du débat ?

Selon K. Niamkey (2018, p. 11), « l’émergence du débat sur la


philosophie africaine est contemporaine de la lutte politique pour ce qu’on
considérait à l’époque comme une véritable indépendance du continent africain.
». C’est dire qu’à travers ce débat, qui eut lieu dans les années des
indépendances africaines, il était question de libérer l’Afrique, à tous les niveaux
de carcan impérialiste de l’occident, en vue de sa propre prise en charge
théorique, scientifique, politique, économique et culturelle. C’est pourquoi, en
dépit de l’application du mot philosophie à un peuple d’Afrique par le
missionnaire belge Placide Tempels, il ne manqua pas de faire l’objet de
critiques acerbes par des auteurs tels que Marcien Towa, Paulin J. Hountondji et
81

Eboussi boulaga. Pour ces derniers en effet, par-delà l’heureuse application du


vocable philosophie séculairement nié à l’Afrique, le missionnaire ne fait
continuer de l’intérieur les thèses de Lucien Lévy Brulh et le comte de Gobineau
de primitivisme. À travers ce débat, il était question de rejeter toute forme de
néocolonialisme. En clair, il s’agissait pour les africains, plus précisément pour
les critiques de l’ethnophilosophie, de permettre à l’Afrique de prendre son
destin en main. Toutefois, cette reprise en main du destin de l’Afrique pouvait-il
se satisfaire des discussions théoriques des auteurs produit eux-mêmes de la
pédagogie occidentale ? Ces discours philosophiques sur l’Afrique n’étaient-ils
pas au contraire source d’aliénation et domination de l’Afrique. C’est dans cette
perspective qu’abonde Abou Karamoko. Pour lui, « l’enjeu des discours (sur la
philosophie africaine), c’est effectivement la recherche de la stratégie de la
domination économique, politique et culturelle de l’Afrique par l’occident. », A.
Karamoko (2017, p. 118). Dans cette perspective, il souligne que ce « débat est
un non débat, un faux problème. », A. Karamoko (2017, p. 214). Si nous
pouvons lui concéder l’intelligibilité d’une telle assertion, rendue possible par le
contexte même du débat qui incitait peut-être plus à l’action qu’à la discussion,
nous pensons, d’avis avec S. K. Grandvaux (2013, p. 159), qu’au point de vue
théorique, c’est-à-dire de la discussion, « le débat sur la philosophie africaine
n’a pas été sans conséquence fructueuse pour le développement de la pensée
africaine. ». Mais avant, quel en était l’enjeu ?

Selon K. Niamkey (2018, p. 168), « l’enjeu du problème de l’existence


de la philosophie africaine, c’est la détermination des contours (…) de
l’Africanité, c’est-à-dire les valeurs culturelles, idéologiques qui norment l’être
africain. » Qu’est-ce à dire ? C’est dire qu’il était question de définir l’être
africain au lendemain des indépendances en termes de critères ou d’éléments
constitutifs de son être. En effet, la colonisation, ainsi que les multiples
influences qu’à subies l’Afrique, a engendré chez ses populations, surtout chez
82

ses ‘’intellectuels’’ une déchirure ontologique, une rupture d’identité. Il


s’agissait donc, comme enjeu du débat, de repenser, voire redéfinir notre
africanité depuis lors appréhendée par les sciences coloniales que sont
l’anthropologie et l’ethnologie dont la visée est le spécifisme. Il fallait donc se
démarquer d’une telle approche spécifiste et se tourner vers la philosophie qui,
en tant qu’activité libre et rationnelle, pouvait aider à la construction ou
l’élaboration d’une identité africaine dégagée des clichés anthropo-
ethnologiques. C’est dans cette perspective que se situe le philosophe Paulin J.
Hountondji. En effet, pour lui, l’africain ne se distingue des autres que par la
géographie et non par une certaine orientation différentielle. Et, c’est la
référence à la philosophie pour cette entreprise déconstructiviste de ‘’notre
africanité’’ qui a certainement conduit à l’attitude autodéfinitionnelle de celle-ci.
Nous pensons que cet enjeu, celui concernant la reconstruction ou la
détermination de l’africanité n’a pu être effectif, atteint pleinement dans la
mesure où, les pourfendeurs et les défenseurs de la philosophie bantoue ou de
l’ethno-philosophie, dans leur masse, sont les produits de la pédagogie
occidentale qui, à l’instar de leurs archontes occidentaux, n’ont fait que
poursuivre le projet d’aliénation. Toutefois, la controverse sur l’existence de la
philosophie africaine, au point de vue épistémologique et théorique, c’est-àdire
des idées, a rendu possible quelques évolutions qu’il convient à présent de
souligner.

D’abord, le débat a débouché sur une conception élastique de la


philosophie. En effet, les controversistes qui, au départ, avaient radicalisé leur
point de vue relativement à la définition de la philosophie en fonction de
laquelle dépendait son existence ou non en Afrique, en sont arrivés, sous l’effet
sans nul doute de la maturité, à s’émanciper du carcan définitionnel comme
référentiel exclusif.
83

Ensuite, le débat a favorisé le déclenchement ou l’éclatement de la


conception nationalitaire de la philosophie par la rupture de la ‘’philosophie
africaine’’ au singulier, au profit de ‘’philosophies africaines’’ au pluriel qui
figure comme intitulé à l’ouvrage de Sévérine Kodjo Grandvaux (Philosophies
africaines, 2013, Paris, Présence Africaine). En effet, contrairement à
l’expression réductionniste de ‘’philosophie africaine’’ qui présente la réalité
philosophique africaine comme étant une, homogène et monolithique,
l’expression
‘’philosophies africaines’’, nous dit S. k. Grandvaux (2013, p. 21), donne à « les
penser en elles-mêmes et pour elles-mêmes (…) Cette perspective, différente,
implique que le corpus africain soit travaillé de l’intérieur, que les textes
africains soient travaillés entre eux. ». Dans cette optique, poursuit l’auteure, il
s’agit de voir « ce que la philosophie peut apporter aux sociétés africaines, ce
qu’elle a à dire aux réalités africaines, ce qu’elle a à proposer comme conception
du politique qui permette aux sociétés de se développer dans un monde politique
et économique nouveau (…) », S. K. Grandvaux (2013, p. 22). En effet,
‘’philosophies africaines’’ veut et vient mettre un terme à la fois à la
‘’philosophie africaine’’ et aux paradigme consistant à s’appesantir et s’aplatir
sur ce qu’est en elle-même la philosophie qui, fondamentalement et au
demeurant, souligne A. Karamoko (2017, p. 28), « est universelle et ses
‘’vérités’’ indépendantes des limitations géographiques, raciales et nationales. ».
Car, « même si c’est toujours et nécessairement à partir d’un point donné dans
l’espace et dans le temps qu’un philosophe entreprend sa lutte (…), les valeurs
pour lesquelles combat la philosophie sont éternelles et universelles. », A.
Karamoko (2017, p. 253).
Enfin, le débat a débouché sur une visée nomade et diductive
(=pluridirectionelle) de la philosophie. En tant que telle, la philosophie, avec des
auteurs comme Souleymane Bachir Diagne, se pense comme activité de rupture
84

de frontières linguistiques, géographique, culturelle à travers leur réception et


transformation en parcours croisé. Toutefois, par-delà la détermination des
contours politiques, économiques et culturels de l’africanité posés comme enjeu
du débat, le véritable enjeu n’était-il pas la problématique du développement ?
Au fond, n’était-il pas la question des voies et moyens de développement de
l’Afrique qui était l’enjeu fondamental de cette controverse historique ? Quel
modèle de développement pour l’Afrique et quelle philosophie lui est corrélative
? Telle est la question que nous voudrions explorer dans le second et dernier
chapitre de notre étude.

CHAPITRE II : LA PHILOSOPHIE ET LA PROBLÉMATIQUE DES

DEFIS DU DEVELOPPEMENT AFRICAIN

Si notre étude s’est assignée pour objectif de signifier la philosophie


chez Niamkey Koffi par un détour sur la question de la philosophie africaine, à
laquelle nous pensons nous être attelé dans les deux premières parties, nous
voudrions à présent, porter notre attention sur la problématique du
développement qui, nous semble-t-il, est inséparable de la philosophie en
générale et de la philosophie africaine en particulier qui, comme le souligne K.
Kaseraka (2015, p. 25), « a émergée dans un contexte déterminé davantage par
des défis (…) à relever ». Mais avant, il nous faut chercher à saisir la
signification du concept de développement. Dès lors, que peut revêtir ce concept
du point de vue sémantique ? À la lecture des spécialistes ou historiens de ce
concept, il est à noter que, par-delà sa simplicité phonique et graphique, le mot
‘’développement’’, en sa saisie sémantique, est une affaire complexe, c’est-à-
dire toute une histoire selon le mot de Gilbert Rist.
85

Le mot ‘’développement’’, dans une sorte d’approximation grossière,


est connotatif de l’idée de progrès, d’évolution, de passage qualitatif et/ou
qualitatif d’un stade à un autre. Appliquer à une société, nous pouvons dire que
le développement, ainsi que le souligne L. D. B. Komo (2010, p. 55), « implique
la transformation qualitative, le changement dans le sens de l’évolution, du
progrès, de la croissance. », au point de vue économique, politique, social et
culturel. Cependant, la question du développement, en son acception actuelle ou
habituelle, étant trop souvent réduite à son aspect économique, il est dit qu’une
société développée est celle ou l’économie se transforme pour devenir
performante. C’est une société dont l’économie subie une mutation à travers le
passage d’un stade économique ‘’archaïque’’ ou ‘’rudimentaire’’ à un stade
industriel. Ainsi comprise, le développement, nous rappelle L. B. D. Komo
(2010, p. 58), « dans l’histoire mondiale (…) fit contemporain de la maîtrise par
l’Occident de la science et de la technique, de la révolution industrielle. Ce qui a
permis une amélioration considérable des conditions de vies des peuples
occidentaux sur tous les plans (…) ». Dans la perspective d’une telle dénotation
du développement, les sociétés dites sous-développées seraient celles qui ne
maîtriseraient pas encore la science et la technique occidentale, facteurs du
développement, du progrès.

Cette domestication de la science et de la technique par l’occident, lui


permit d’aller à la conquête de l’inconnu pour y imposer sa vision du monde, tel
le cas de l’Afrique, par le biais de son ‘’arôme spirituelle’’ : l’école, qui a
produit les philosophes et intellectuels africains. C’est dans les conditions d’une
telle imposition du développement, réduite à la domestication de la science et de
la technique que l’Afrique, détournée de son développement endogène, fut
amenée à faire face. Dans une telle situation, une question se pose aux yeux des
intellectuels ou philosophes africains ontologiquement déchirés à savoir, la
question cruciale du choix ou modèle de développement. Doit-on de manière
86

quasi exclusive, parce que vaincue par la science et la technique européenne,


s’emparer de leur secret et devenir semblable à elle ? Où, faut-il chercher dans
nos valeurs et cultures autochtones les moyens de notre progrès ? C’est, nous
semble-t-il, à cette question que les animateurs du débat sur les conditions de
possibilités de l’existence d’une philosophie africaine ont tenté de répondre
conceptuellement et théoriquement à travers la signification même de la
philosophie.

Pour Marcien Towa et Paulin Houtondji qui, on a pu le voir dans notre


première partie, ont défini la philosophie comme activité scientifique et
technique, il nous faut, pour s’engager sur la pente du développement, nous
occidentaliser. C’est ainsi que M. Towa (1961, p. 7), pour qui la philosophie, et
partant le développement, dont les caractéristiques sont la science et la
technique, est une « spécificité européenne (…) secret de sa puissance et de sa
domination. », il est impératif pour nous africains d’opérer une conversion
ontologique afin de nous emparer de ce secret et devenir semblable à l’Occident
et incolonisable par elle. C’est pourquoi l’auteur, face au constat de l’échec
spectaculaire et exemplaire des civilisations africaines dans leur bataille avec
l’occident, affirme sans ambages que nous devons sans complexe « nié notre
être intime pour devenir l’autre » ; et de la sorte, « accueillir et assimiler l’esprit
de l’Europe » ; c’est-àdire sa philosophie (=science et technique), M. Towa
(1961, p. 52). C’est ici une lucarne pour comprendre le dédain que le philosophe
témoigne à l’endroit de l’ethno-philosophie. En effet, l’ethno-philosophie, en
tant que discours apologétique et poétique à l’égard de nos anciennes sociétés,
aux yeux de l’auteur, n’est d’aucune utilité puisque notre situation de vaincue et
dominée n’est que la résultante de la spécificité de nos anciennes cultures dont
l’ethno-philosophie se veut le chantre. Car, l’ethno-philosophie, souligne M.
Towa (1961, p. 31), parce qu’elle ne se contente « d’exposer objectivement les
croyances et les mythes (…) sans se soucier de fonder en raison son adhésion à
87

la pensée africaine », ne nous est d’aucune importance dans la conjoncture


actuelle de l’Afrique, marqué par le sous-développement matériel qui, d’ailleurs,
met notre culture à la merci de la puissance européenne. C’est pourquoi pour
Marcien Towa, l’orientation que l’on puisse donner à la trajectoire de l’Afrique
pour l’inscrire concrètement aux rendez-vous des sept lieux, c’est-à-dire du
progrès ou développement, est exclusivement la maitrise de la science et de la
technique européenne, car, écrit-il, « aucun développement (…) d’envergure ne
sera possible en Afrique avant qu’elle n’édifie une puissance matérielle capable
de garantir sa souveraineté (…à dans le domaine politique, économique et
culturel ». M. Towa (1961, p. 51). En effet, pour l’auteur, il n’y a plus qu’une
seule alternative, car, le salut ou le développement de l’Afrique réside dans la
négation d’elle-même au profit de l’Occident. Ainsi, M. Towa (1961, p. 51) écrit
que « l’affirmation de notre africanité dans le monde actuel, passe par (…) la
maîtrise de la puissance européenne ; car si nous ne nous approprions pas ce
principe (…), jamais nous ne pourrions sérieusement secouer le joug de
l’impérialisme européen ». Cela dit, pour le philosophe, la libération, c’est-à-
dire le développement de l’Afrique à tous les niveaux ne sera possible ne sera
possible que par la copie des modèles et idoles crépusculaires : l’Europe.

Contrairement aux auteurs eurocentristes, qui suggèrent la négation et


la conversion de soi au profit de l’autre, d’autres, avec une certaine méfiance
pour le modèle occidental du développement, nous demandent de calquer
intelligemment ce modèle, voire de le récuser au profit de nos civilisations et
cultures. Pour ces derniers, que nous pouvons, faute de mieux qualifier
d’endogénéistes, à l’instar de Barthélémy Krou-Comoé, seul le retour et le
recours à nos valeurs endogènes sont salvifiques. Et, son point de vue ne
transpire aucune ambiguïté. En effet, il souligne que,

si nous aspirons à un réel et authentique développement, il nous faut (…) cesser de


concevoir le développement comme la copie ou l’importation de sociétés étrangères
(…) Dans une telle optique, il est nécessaire que nous revenions à l’Afrique, que nous
88

revenions dans l’Afrique elle-même (…) Car ce qui fait notre sous-développement, c’est
fondamentalement la désertion mentale de notre propre continent par nous-même (…),
nous vivons ailleurs et ignorons pratiquement tout de l’Afrique, uniquement attaché que
nous sommes à copier autrui, B. K. Comoé (1992, p. 83-84).

C’est dans cette mouvance, mais avec la récession et le réflexe critique qui le
caractérise, que se situe le philosophe Niamkey Koffi qui s’est évertué à une
construction endogène de la philosophie africaine. Si cette tendance à
l’endogénéité pourrait laisser poindre l’idée de celui-ci serait l’unique voie et
moyen en matière de développement pour l’Afrique, l’endogénéité, ici,
contrairement à Barthélémy Krou-Comoé, doit être entendu comme recours et
retour critique. C’est pourquoi pour lui, en matière de développement de
l’Afrique, qui a subi la colonisation et qui se pose en terme de modèle,
il y a lieu de renverser le platonisme dominant des modèles de notre développement.
Renverser le platonisme, c’est renversé la philosophie actuelle du développement, c’est-
à-dire affirmer le droit des simulacres entre les modèles icônes et copies (…) Dans
l’Afrique d’aujourd’hui qui connait un développement destruction-déstructuration de sa
société détournée de son développement endogène par l’impérialisme, il nous perdre le
regard passéiste, en gardant un regard historien, K. Niamkey (2018, p. 194-195).

Ce qui veut dire que selon l’auteur, que l’Afrique ait été vaincu dans sa
‘’rencontre’’ avec l’Occident, n’implique nullement ou nécessairement que nous
conjuguions notre développement selon le modèle occidental réduit au
scientisme et au technicisme. Contrairement à Marcien Towa, Niamkey Koffi
nous demande de « renverser le platonisme dominant (…) d’affirmer le droit des
simulacres », c’est-à-dire de donner force et consistance à nos valeurs et cultures
endogènes pour y trouver des voies et moyens de notre développement. Mais, ce
faisant, contrairement au discours narcissique et apologétique de l’ethno-
philosophie, il faut, comme il le dit, « perdre le regard passéiste, en gardant un
regard historien », c’est-à-dire critique. Toutefois, cette idée d’endogénéité
niamkeyéenne du développement ne doit nullement induire chez lui l’idée d’un
refus de l’extérieur. Puisque selon l’auteur, quoiqu’on dise, l’Afrique, « ouverte
sur le monde depuis des siècles (…) a connu comme tous les autres continents
89

des influences, des croisements et ne peut se targuer d’aucune pureté culturelle


(…) », K. Niamkey (2018, p. 15).
En clair, le développement de l’Afrique, pour Niamkey Koffi ne
consiste ni en une extraversion ou introversion totale et radicale, mais consiste à
puiser avec esprit critique et lucidité tant dans nos patrimoines endogènes et
l’apport extérieur, en vue de la transformation de nous-même, par nous-même et
pour nous même en toute liberté. De la sorte, n’est-ce pas sur la pente du défi
que le philosophe invite à penser la réalisation et l’effectivité du développement
en Afrique ? Nous répondons par l’affirmative. De grands défis, à la fois
politique, économique, culturel, social et surtout militaire doivent être relevés en
contexte africain. C’est dans cette visée du développement comme défis, comme
transformation de soi et de toutes les ressources disponibles aux fins des
africains eux même, que s’inscrit Abou Karamoko. Car, sceptique, voire contre
ceux qui pensent le développement passe nécessairement par la copie des
schèmes ou modèles, l’auteur de La problématique du Pouvoir et la Question de
la Violence dans la Théorie Critique de l’Ecole de Franckfort. (L’Afrique en
question), souligne précisément que c’est

la référence au Modèle qui fait que notre africanité se présente comme un obstacle (…)
dans notre projet de développement technique et technologique, culturel et économique.
L’Afrique doit, (pour son) développement, assurer son historicité (…) par la
transformation de l’acquis scientifique disponible dans (son) horizon actuel. Il lui faut,
pour se prendre en charge soi-même, rompre avec les shèmes, les modèles, les copies
qui sont des idoles crépusculaires A. Karamoko (1983, p. 148-148).

Comme on peut le voir, la problématique du développement en


Afrique, se pose fondamentalement en terme de défi à la fois individuel et
collectif. Cependant, quelle place assigner à la philosophie dans ce processus de
développement ? Quelle signification reçoit-elle relativement au développement
qui est réduit à la domestication de la science et la technique ?

Les éléments de définitions du concept de développement que nous


venons d’explorer et qui, fondamentalement, est pensé comme étant la
90

conséquence de la domestication de la science et de la technique, donne à mettre


hors-lieu et hors-jeu la philosophie, dont le trait fondamental serait la pure
théorie. En effet, une certaine opinion demeure dans les esprits et suivant
laquelle la philosophie, serait sans transformation réelle sur le réel parce qu’elle
ne serait qu’une pratique théorétique, c’est-à-dire contemplative. De la sorte, elle
ne serait d’aucune utilité dans la perspective du développement qui éclate en un
éloge de la science et de la technique. Ce qui a d’ailleurs fait dit à P. J.
Hountondji (1976, p. 124), que pour le développement de l’Afrique, « ce n’est
pas de philosophie (…) mais de science », dont elle besoin.
En réalité, nous pensons que tout dépend d’où l’on met le curseur de
signification des concepts de ‘’philosophie’’ et ‘’développement’’. Pour notre
part, nous partageons la définition de J. Nanéma (2003, p. 66) suivant laquelle le
développement est ce qui « permet l’épanouissement de toutes les dimensions
humaines (…) et non les satisfactions de simples et nombreux besoins de
consommation. ». Le développement est un processus complet, total qui déborde
par conséquent l’économique pour recouvrir l’éducationnel et le culturel. C’est
pourquoi, émanciper du réductionnisme, ne prenant en compte que la dimension
matérielle de l’homme, et porter à un niveau de complexité corrélative à la
complexité humaine, le développement, à l’instar de la philosophie, doit avoir
pour finalité la réalisation du bonheur libre et choisi de l’homme et par
l’homme.

De plus, pensons-nous que l’approche philosophique du


développement ne pourrait et ne saurait se satisfaire, pour des raisons de
pragmatisme, à sa conception réductionniste d’obédience scientiste, techniciste
et économiciste. De la sorte, la philosophie, en tant qu’activité critique doit
permettre de faire le clair conceptuel, sémantique et théorique sur la question du
développement afin de permettre aux décideurs politiques, ceux chargés de la
mise en application des programmes de développement, de penser à toutes les
91

possibilités de l’homme, ultime bénéficiaire dudit développement. Par ailleurs,


n’est-ce pas de la synergie entre chercheurs (philosophes) et décideurs que
dépend l’avenir du développement de l’Afrique et pour l’Afrique ?
92

CONCLUSION
93

Nous sommes partis en quête de la signification de la philosophie chez


Niamkey Koffi, c’est-à-dire une tentative de définition du concept de
philosophie chez lui par un détour sur la controverse sur l’existence de la
philosophie africaine. Que dire et retenir de cette entreprise relativement à la
signification de la philosophie et de la philosophie africaine à ce stade conclusif
de notre étude ?
Nous voudrions, avant de répondre, reprendre l’itinéraire emprunté jusqu’à ce
stade.
Pour mener à bien notre étude, nous lui avons donné une structuration
tripartite. Dans notre première partie, intitulé ‘Afrique contemporaine et
philosophie : problème de définition et débat autour d’un concept’, il s’est
agi de faire voir les ruptures de sens relativement au concept de philosophie
rendu possible par le syntagme ‘’philosophie bantoue’’ entre un cercle restreint
d’auteurs africains, en l’occurrence Marcien Towa, Paulin Hountondji et
Niamkey Koffi. Nous voyions qu’à travers l’usage du vocable ‘’philosophie’’
dans ‘’philosophie bantoue’’, Tempels entendait l’ontologie bantoue. Toutefois,
cette ontologie, contrairement à sa résonnance occidentale, en tant que discours
sur l’être en tant qu’être, appliquée au bantou, a reçu une acception
idiosyncrasique, c’est-à-dire, spécifiquement ontologique et dynamique dont le
de ‘’force vitale’’ a été le maître-mot. Cette caractérisation ou signification
ontologisante de la philosophie, ne rencontra pas l’assentiment et le
consentement de Marcien Towa et Paulin Hountondji qui, de ce fait l’ont
qualifié d’’’ethnophilosophie’’, c’est-à-dire une fausse, voire une non
philosophie. Car, pour nos deux auteurs, la philosophie, au ‘’sens strict’’, en sa
signification objective et positive est une pratique foncièrement occidentale,
parvenu à l’Afrique par la colonisation, précisément par le truchement de son
‘’arôme spirituelle’’, à savoir l’école et ses produits africains. C’est ainsi que
Marcien Towa a pu définir la philosophie comme la matrice de l’univers
scientifico-technique, marque distinctive de l’Europe et le secret de sa puissance.
94

Quant à Paulin Hountondji, la philosophie est foncièrement une discipline, une


activité théorique obéissant à des règles de méthodologies précises et
déterminées. Elle a pour condition de possibilité la science, l’écriture et
l’histoire. Et, pour Towa et Hountondji, toutes ces caractéristiques ou conditions
d’émergence de la philosophie, sont absentes de la culture et civilisation des
‘’sujets philosophants’’ auxquels Tempels fit appliquer le mot philosophie,
c’est-à-dire les bantous. D’où le réductionnisme topologique d’Hountondji qui
évince l’Afrique précoloniale et coloniale du champ de la philosophie qu’il fit
naître à partir des africains formés à l’école occidentale.

C’est précisément contre ce réductionnisme topologique, voire


épistémique qui suscita l’ire de Niamkey Koffi et son incursion dans le débat
pour y apporter des corrections de tirs, qui portaient fondamentalement sur les
caractéristiques ou conditions d’émergence de la philosophie que brandissaient
Towa et Hountondji pour éjecter les modes de pensées de nos anciennes sociétés
précoloniales. Mais avant, nous voyions que les critiques de Niamkey Koffi
n’exemptaient pas dans sa trajectoire et son collimateur le missionnaire
Tempels.
Comme on a pu le voir, le philosophe reprocha à l’homme d’Eglise son manque
de rigueur et son attachement conceptuel au champ occidentale dans l’approche
des sociétés dites ‘’primitives’’. Car, contrairement à Tempels qui vit en
l’ontologie de la force le lieu fondamental de la philosophie africaine, Niamkey
Koffi révèle qu’une telle appréhensions des choses, relève du fait de
l’apparence, et consiste à prendre l’ombre pour la réalité. Puisqu’en réalité, selon
Niamkey Koffi, l’ontologie de la force n’est qu’un système idéologique
faussement fondé sur l’ontologie à des fins de manipulation politique et de
mystification idéologique. En ce qui concerne les euro-philosophes, à savoir
Marcien Towa et Paulin Hountondji, nous pouvons subsumer la critique
Niamkeyéenne en leur endroit par deux mots : élitisme et académisme. C’est
95

dire que pour Niamkey Koffi, Towa et Hountondji, en tant que produits de la
pédagogie occidentale, réduisent le lieu de cette activité dans la seule et
exclusive sphère dans laquelle ils l’ont reçu et refusent de concevoir que, hors
du cercle universitaire, puisse émerger une activité que l’on pourrait qualifier de
philosophique. Après ces différents moments qui ont rythmé notre partie
inaugurale, nous avions, dans l’objectif de saisir la signification profonde de la
pratique philosophique chez Niamkey Koffi ainsi que concept de ‘’philosophie
africaine’’, opérer une plongée dans son univers conceptuel pour rendre
effective notre ambition. Ce qui a fait l’objet de notre deuxième partie qui eut
pour titre ‘Des caractéristiques et éléments de compréhension niamkeyéenne
de la philosophie et de la ‘’philosophie africaine’.

Cette étape a été le lieu où nous avions tenté, dans un premier moment
à travers l’analyse de quelques éléments terminologiques issus du champ
conceptuel de notre auteur, de saisir et comprendre ce que philosophie et/ou
philosopher peut vouloir signifier chez Niamkey Koffi. A cet effet, nous
analysions les concepts d’idéologie, de système et de régime fragmentaire.
Comme on a pu le montrer, l’idéologie, pour Niamkey Koffi s’inscrit au rendez-
vous de la dialectique de la philosophie entre théorie et pratique et qui fut, un
concept opératoire dans la tentative de monter le lieu où l’on peut assigner son
existence à la philosophie africaine dans les anciennes sociétés africaines. Mais
au fond, nous avons vu qu’en tant que manifestation pratique de la théorie
philosophique, fonctionnant foncièrement comme instrument de domination de
la pensée dominante, l’idéologie est aux antipodes de ce dont la philosophie est
la marque : la liberté. C’est pourquoi, certainement, sous l’effet de la maturité,
Niamkey Koffi a dû faire son autocritique sur la question de l’idéologie comme
forme pratique de la philosophie. Pour l’auteur, s’il est indéniable que la
philosophie est à la fois théorie et pratique, il ne faut nullement privilégier la
96

pratique au détriment de la théorie, mais approfondir la théorie afin de mieux


éclairer la pratique qui a une destination humaine.
Concernant les notions de régime fragmentaire et de système, nous
avons pu remarquer la prise de position de Niamkey Koffi à l’endroit du régime
fragmentaire non seulement du point de vue théorique, mais surtout au niveau de
la pratique. Ainsi, la liberté, étant la valeur humaine fondamentale que se
propose de réaliser la philosophie, engagée celle-ci dans le système, le projet
philosophique manque son but. C’est pourquoi, pour permettre à la liberté de
s’épanouir comme capacité, voire droit d’expression de penser, il faut que la
philosophie revienne au régime fragmentaire qui, comme on a pu le voir,
contrairement à la nature foncièrement liberticide du système, cultive de la
sympathie pour le spécifique, favorise le dialogue et l’intersubjectivité. Enfin,
dans le second chapitre de cette deuxième partie, nous sommes revenus sur la
conception ou la niakeyéenne de la philosophie africaine au-delà de la
controverse, en mettant l’accent sur ce que signifie ce concept ainsi que sur son
actualité et ses perspectives.

Pour terminer, notre troisième partie, intitulée ‘Des enjeux des


discours philosophiques controversés pour l’Afrique où la philosophie face
à la problématique des défis du développement africain, s’est voulu une
réflexion sur les raisons pour lesquelles des auteurs africains, à l’occasion d’une
conjoncture historique donnée, sont amenés à se quereller sur la signification
d’un concept, à savoir celui de la philosophie. Nous voyions que, par-delà la
question de la définition, le débat avait pour enjeu ou intérêt non seulement ce
que K. Niamkey (2018, p. 193) a appelé « la détermination des contours de
l’Africanité », mais aussi et surtout, et peut être subtilement la problématique
des conditions ou voies et moyens de développement de l’Afrique au lendemain
des indépendances. Après avoir défini le concept de ‘’développement’’ qui, dans
son économie générale, a pour caractéristiques et moteur la science et la
97

technique, nous avions indiqué qu’une telle caractérisation du développement,


historiquement, s’origine dans la culture occidentale. Et, c’est au nom de cette
appréhension du concept que l’on dit des autres aires culturelles et
civilisationnelles qui ne les cultivent pas qu’elles sont ‘’sous-développées’’.
Dans ces conditions, pour l’Afrique qui a subi la colonisation, détournée de son
développement endogène, la problématique du développement se posa en terme
de modèle. C’est certainement cette problématique du choix du modèle du
développement que les controversistes sur la philosophie africaine ont, me
semble-t-il, théoriquement et conceptuellement repris. Ce qui donna lieu à deux
courants, à savoir, le courant exogénéiste, c’est-à-dire les partisans de l’idée
suivant laquelle, compte tenu de notre défaite face à la culture européenne, notre
salut n’est tributaire, voire possible que par notre identification et maitrise du
secret de la puissance européenne, c’est-à-dire sa science et sa technique. Telle
est la thèse que défendent Marcien Towa et Paulin Hountondji.

À l’opposé, se situe le courant endogénéiste, c’est-à-dire le mouvement


de ceux qui pensent que le développement ne se pense pas en terme de copie ou
modèle. Selon ce courant, il est possible que les africains, par un retour critique
et imaginatif sur leur culture et civilisation, chaussent les bottes de sept lieux,
c’est-à-dire s’inscrivent au rendez-vous du progrès ou du développement. C’est
ce que soutient Barthélémy Krou-Comoé et, dans une certaine mesure Niamkey
Koffi. Comme on a pu le souligner, bien qu’étant pour la perspective endogène
du développement, Niamkey Koffi n’est pour autant pas réfractaire aux apports
de l’extérieur puisque l’Afrique, à l’instar des autres zones géographiques et
depuis des siècles, est ouverte au monde. Toutefois, il nous demande, tant au
niveau endogène et exogène, la culture de la vigilance et l’esprit critique dans
l’opération du choix des éléments pouvant impulser le développement de
l’Afrique.
98

Nous avons terminé par une interrogation sur la signification ou le rôle


de la philosophie dans le processus du développement. À propos, nous avions
souligné que tout dépend de la signification que l’on donne des deux termes.
Nous pensons que la philosophie, tout comme le développement, définit en leur
essence, ne s’entravent pas sémantiquement. Car, les deux visent et doivent
toujours viser le bonheur et la liberté de l’homme en prenant en compte la
complexité qui le caractérise en tant que vivant et humain. Ceci dit, revenons à
notre question initiale, à savoir de ce que l’on pourrait retenir de la signification
de la philosophie et de la philosophie africaine.

Nous retenons fondamentalement que le vocable philosophie, pour


Niamkey Koffi regorge une double signification. Ce concept a une signification
académique, théorique et, une autre signification pratique, voire existentielle. En
son acception académique et théorique, l’activité philosophique a un sens plus
critique chez l’auteur. C’est dire que dans cette perspective, philosophie ou faire
de la philosophie, ce n’est non pas intégrer sans recul critique et réflexif les
nombreuses théories philosophiques qui nous sont présentées, il faut, au
préalable, les soumettre au questionnement afin de fonder en raison ou non notre
adhésion. Dans sa signification pratique, le vocable philosophie a une
orientation modale et existentielle. C’est dire ici que philosopher consiste en un
art de vivre, un style de vie, une manière d’être. La philosophie est une activité
de culture de soi, du soin de soi en vue de la transformation de soi. Ainsi qu’il le
souligne, philosopher,
« c’est prendre soin de soi comme une œuvre d’art », K. Niamkey (2014, p. 54).
Et, en tant que telle, la philosophie est indissociable du dialogue. Elle se pratique
dans et par le dialogue avec les autres en toute liberté. La philosophie, c’est la
conviction réfléchie que l’on met en œuvre dans sa vie du point de vue de la
théorie afin de mieux éclairer la pratique.
99

Pour ce qui est de la philosophie africaine, par-delà la controverse,


comme on a pu le voir, Niamkey Koffi nous invite à la penser dans une
perspective extensive à travers la prise en compte et l’intégration des cultures
passées et celle produite par les philosophes postcoloniaux. En ce qui concerne
les philosophies africaines passées, Niamkey Koffi nous invite à un perpétuel
travail de retournement sur elles afin qu’elles nous servent de matière à penser et
nous serve de viatique dans notre quête de développement.
100

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

1) Les ouvrages de l’auteur

-NIAMKEY Koffi, 1996, Les images éclatées de la dialectique, Abidjan, PUCI.

-NIAMKEY Koffi, 2014, La notion du système philosophique : Spinoza et


Nietzche, Abidjan, NEI-CEDA.

-NIAMKEY Koffi, 2014, Philosophie, Culture et Développement, Abidjan, NEI-

CEDA.

-NIAMKEY Koffi, 2018, Essai sur l’articulation logique de la pensée


AkanN’zima, Paris, l’Harmattan.

-NIAMKEY Koffi, 2018, Controverses sur la philosophie africaine, Paris,

l’Harmattan.

2) Les articles sur l’auteur

-BAH Henri, 2014, « Le philosophe ou le politique ou les images éclatées de la


dialectique de Niamkey Koffi », in le Kôrè, n° 45-2014.

-GENSAMA Bernar, 2014, « Niamkey Koffi : le philosophe officiel de la Côte


d’Ivoire », in le Kôrè, n°45-2014.

-KOUADIO Koffi Décaird, 2014, « Penser la révolution, la paix et la démocratie


avec Niamkey Koffi », in le Kôrè, n°45-2014.
101

-KOUASSI Yao Edmond, 2014, « Penser avec Niamkey Koffi contre Niamkey
Koffi », in le Kôrè, n°45-2014.

-KOUNKOU Thomas, 2014, « Au-delà de l’être, le bien ; Niamkey Koffi à


l’épreuve de la dialectique de Platon », in le Kôrè, n°45-2014.

-TALIBI Hamidou Moussa, 2014, « Niamkey Koffi : le défi de la culture


démocratique et républicaines et lzs droits de l’homme », in le Kôrè, n°45-2014.

-TANELLA BONI, 2014, « Niamkey Koffi : veilleur et philosophe », in leKôrè,


n°45-2014.

-VOHO Sahi, 2014, « Niamkey Koffi, le maître par l’exemple », in le Kôrè,


n°452014.

3) Les autres ouvrages

-BIDIMA Jean Godeffroy, 1995, La philosophie négro-africaine, Paris, Puf,


Que sais-je.

-BIYOGO Grégoire, 2006, Histoire de la philosophie africaine, tome 1, 2, 3,


Paris, l’Harmattan.

-BOA Thiémélé Ramsès, 2010, Recherches philosophiques. Quelle philosophie


pour l’Afrique ?, tome 1, Abidjan, Collection ESSAI.

-DESCARTES René, 1951, Discours de la méthode, Paris, Union Générale


d’Edition (10/18).

-DIBI Kouadio Augustin, 1994, L’Afrique et son autre : la différence libérée,


Abidjan, Strateca Diffusion.

-EBOUSSI-Boulaga Fabien, 2011, L’affaire de la philosophie africaine. Au-delà


des querelles, Paris, éditions terroirs & Karthala.
102

-FERRY Luc, 2006, Vaincre les peurs, Paris, Odile Jacob.

-FERRY Luc, 2009, La tentation du christianisme, Paris, Bernard Grasset.

-GAADER Jostein, 1995, Le monde de Sophie, Paris, Seuil.


-GILBERT Rist, 2013, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale,
Paris, SciencesPo.

-GRIMAL Pierre, 1953, La mythologie grecque, Paris, Puf.

-HADOT Pierre, 1995, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard.

-HOUNTONDJI Paulin Jidenu, 1976, Sur la ‘’philosophie africaine’’ : critique


de l’ethnophilosophie, Paris, Maspéro.

-HOUNTONDJI Paulin Jidenu, 1998, Combat pour le sens, Cotonou, Edition du


flamboyant.

-KARAMOKO Abou, 2017, Les enjeux du discours philosophique pour


l’Afrique, Paris, l’Harmattan.
-KASERAKA Kavwahirehi, 2018, Y’en a marre. Philosophie et espoir social en
Afrique, Paris, Karthala.

-KENMOGNE Emile (dir), 2010, Philosophie et problématique du


développement, Paris, l’Harmattan.

KODJO-Grandvaux Sévérine, 2013, Philosophies africaines, Paris, Présence


Africaine.

-KOUMA Youssouf, 2015, Essai sur l’histoire de la philosophie africaine,


Québec, Différance Pérenne.

-LUMENBU Albert Kasanda (dir), 2003, Pour une pensée africaine


émancipatrice, Paris, l’Harmattan.

-MARITAIN Jacques, 2013, Eléments de philosophie, Paris, editiontequi.


103

-MBONDA Enerst-Marie (dir), 2013), Philosophie africaine hier et aujourd’hui,


Paris, l’Harmattan.

-MEMEL-Fotê Harris, 2007, L’esclavage dans les sociétés lignagères de la forêt


ivoirienne (XVIIe-XXe siècle), Abidjan, Cerap.

-N’JOH-Mouelle Ebénezer, 2002, La philosophie est-elle inutile ?, Yaoundé,


Clé.

-N’JOH-Mouelle Ebénézer, 1970, De la médiocrité à l’excellence, Yaoundé,


Clé.

-NSAME Bongo, 2013, La philosophie classique africaine : contre l’histoire de


la philosophie, tome 1 et 2, Paris, l’Harmattan.

N’DA Pierre, 2007, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et


de la thèse de doctorat, Abidjan, l’Harmattan.

-TEMPELS Placide, 1949, La philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine.

-THURAM Lilian, 2011, Mes étoiles noires, Paris, Seuil.

-TOURE Abdou, 1981, La civilisation quotidienne en Côte-d’Ivoire : procès


d’occidentalisation, Paris, Karthala.

-TOWA Marcien, 1961, Essai sur la problématique philosophique dans


l’Afrique actuelle, Yaoundé, Clé.

-TOWA Marcien, 1979, L’idée d’une philosophie négro-africaine, Yaoundé,


Clé.

-VAN Parys Jean-Marie, 2003, Une approche simple de la philosophie


africaine, Kinsasha, Loyola.

-WADE Abdoulaye, 2005, Un destin pour l’Afrique. L’avenir d’un continent,


Paris, Michel Lafon.
104

-YVES-Marie Adeline, 2015, Histoire mondiale de la philosophie, Paris,


Ellipse.

4) Les articles de revues scientifiques, les thèses, les mémoires


de maîtrise ou Master, etc.

-BAMBA Soualo, 2014, L’oralité et l’écriture dans la philosophie en Afrique,


thèse de doctorat unique soutenue devant l’université Félix Houphouët-Boigny
sous la direction du professeur Abou Karamoko.

-DIAGNE Bachir Souleymane, 2013, « Notre présence africaine au monde »,


Africultures n° 82, p. 62-70.

-DIBI Kouadio Augustin, 2013, « La philosophie africaine comme devoir-être »,


Africultures n°82, p. 71-75.

-GENSAMA Bernard, 2014, « Niamkey Koffi : le philosophe officiel de la


Côted’Ivoire », in Le Korê, n° 45-2014.

-KOUAKOU Guy, 2013, « Niamkey Koffi : le débat sur la philosophie africaine


», in Africultues

-KARAMOKO Abou, 1983, La problématique du pouvoir et la question de la


violence dans la théorie critique de l’école de Franckfort (l’Afrique en question),
thèse de doctorat 3e cycle soutenu devant l’université de Paris 1 Panthéon
Sorbonne sous la direction du professeur Myriam Revault d’Allones

-KEI Seyouo K. Paul, 2015, La rhétorique au cœur de l’idéologie dans la


105

Rhétorique d’Aristote, mémoire de master soutenu devant l’université Felix


Houphouet Boigny sous la direction de Mme. Gahe-Gohoun Rosine Cynthia

-KOUADIO Koffi Décaird, 2016, « Philosophie et reconstruction normative du


sens de la vie : quelle morale pour la vie bonne ? », in La palabre. Question
autour de la vie, p. 87-107.

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE………………………………………………………………… 4

INTRODUCTION……………...…………………………………………… 5

PREMIÈRE PARTIE : AFRIQUE CONTEMPORAINE ET


PHILOSOPHIE : PROBLÈME DE DÉFINITION ET DÉBAT AUTOUR
D’UN CONCEPT……………………………………………………………. 17

CHAPITRE I : DE PLACIDE TEMPELS À PAULIN HOUNTONDJI : DE LA


PHILOSOPHIE BANTOUE COMME ETHNO-PHILOSOPHIE OU SIGNIFICATION
VULGAIRE DU MOT PHILOSOPHIE……………………………………………. 19

CHAPITRE II : NIAMKEY KOFFI : CRITIQUE DE L’ETHNO ET L’EURO-


PHILOSOPHIE : POUR UNE INTEGRATION DES ELEMENTS « EXTRA-
PHILOSOPHIQUES » (MYTHES ET ORALITÉ) ………………………………….
29
106

DEUXIÈME PARTIE : DES CARACTÉRISTIQUES OU ÉLÉMENTS DE


COMPRÉHENSION NIAMKYEENNE DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA
‘’PHILOSOPHIE AFRICAINE’’…………………………………………. 47

CHAPITRE I : PHILOSOPHIE ENTRE IDÉOLOGIE, SYSTÈME ET RÉGIME


FRAGMENTAIRE D’ORIENTATION MICROLOGIQUE……………………… 49

CHAPITRE II : DU SENS DU CONCEPT DE ‘’PHILOSOPHIE AFRICAINE’’ :


AU-DELA DE LA CONTROVERSE……………………………………………71

TROISIÈME PARTIE : DES ENJEUX DES DISCOURS


CONTROVERSÉS POUR L’AFRIQUE OU LA PHILOSOPHIE ET LA
PROBLÉMATIQUE DES DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT
AFRICAIN…………………. ……………………………………………….76

CHAPITRE I : DES ENJEUX DES DISCOURS CONTROVERSÉS SUR LA


PHILOSOPHIE AFRICAINE……………………………………………………….77

CHAPITRE II : PHILOSOPHIE ET LA PROBLEMATIQUE DES DÉFIS


DU DEVELOPPEMENT AFRICAIN……………………………………………….81

CONCLUSION…………….…………………………………………………89

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE…………………………………………... 97

TABLE DES MATIÈRES…………………………………………………..102

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