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DU MATÉRIALISME

DE SPINOZA
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ANDRÉ TOSEL

DU MATÉRIALISME

DE SPINOZA

ÉDITIONS KIMÉ
2 IMPASSE DES PEINTRES
75002 PARIS
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ISBN 2-908-212-77-3
© ÉDITIONS KIMÉ, PARIS, 1994.
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AVANT - PROPOS

Les études ici rassemblées constituent des éléments appartenant à une


recherche qui a accompagné ou suivi l'élaboration d'une thèse de doctorat
d'état es Lettres "Religion, Politique, Philosophie chez Spinoza" soutenue
devant l'Université de Paris I-Sorbonne le 20 Mars 1982. Une partie im-
portante de cette recherche a donné lieu à une publication partielle dans le
volume Spinoza ou le crépuscule de la servitude. Essai sur le Traité théo-
logico-politique. Paris, Aubier, 1984.
Leur objectif fondamental est d'éclairer le type de systématicité théo-
rique propre à la philosophie de Spinoza à partir de cette introduction
polémique à la philosophie, de ce manifeste qu'est le Traité théologico-
politique (T.T.P.). Notre lecture du T.T.P. est solidaire d'une lecture de
l' Ethique que nous croyons utile d'expliciter davantage. On verra que
cette lecture nous conduit à répondre aux objections devenues classiques
d'Alexandre Kojeve, reprises par le responsable de l'édition Spinoza de
La Pléiade, Roland Caillois, selon qui l'Ethique pourrait tout penser sauf
sa propre possibilité, et ce en raison d'une théorie qui oppose radicale-
ment éternité et historicité. Nous tentons au contraire de montrer en repre-
nant le chapitre central (inédit) de la dernière partie de notre thèse que
l'Ethique développe une théorie spécifique de l'historicité qui fait de
celle-ci non pas l'autre de l'éternité, mais sa forme de réalisation. Et ce
sans recourir à une quelconque anticipation de l'hégélianisme qui pour
avoir su identifier concept et temps a résorbé l'être dans le concept.
Voilà pourquoi nous tentons simultanément de lier, d'une part, histori-
cité, éternité, et, d'autre part, matérialisme. Le mode spinozien de lier
concept et temps ne renvoie pas aux positions de l'idéalisme absolu, mais
ouvre une voie qui est davantage en consonance avec celle frayée par
Marx, et reprise avec plus ou moins de bonheur par les divers marxismes.
Si la rubrique "philosophie de l'immanence", comme l'a rappelé récem-
ment le philosophe israélien Yirmiyahu Yovel dans son ouvrage Spinoza
and Others Heretics. (Princeton University Press, 1989), est la plus adé-
quate pour consigner la nouveauté atopique de Spinoza, et si elle permet
de fructueux rapprochements avec les maîtres de la philosophie de l'im-
manence que sont ces "spinozistes" originaux tels que K. Marx, F.
Nietzsche, S. Freud, il nous a semblé opportun de serrer de plus près le
lien entre immanence et position matérialiste, en l'explicitant sous un
mode (peut-être trop) historiographique, en l'éprouvant sur la séquence
Spinoza-Marx-Marxisme. Ces enquêtes historiques n'ont qu'un but, per-
mettre de poser à nouveau la question de l'identité d'un matérialisme in-
telligent. Spinoza est ici un passage obligé : si la grande philosophie est le
plus souvent anti-matérialiste, si elle explicite et développe néanmoins
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souterrainement un cryto-matérialisme, Spinoza est le seul grand philoso-


phe de la tradition, si l'on excepte Epicure, qui développe ouvertement un
matérialisme original, certes, mais net. Ce fil perpétuellement brisé qui
unit immanence et matérialisme nous paraît mériter d'être patiemment re-
tissé, d'autant qu'il est celui-là même qui tisse l'arc matière-libération,
capacité à prendre en compte, d'une part, ce qui est en sa matérialité
objective et différenciée, et, d'autre part, aptitude à discerner la possibilité
d'un "plus" d'être dans la nécessité même.
Nous remercions les éditeurs et les responsables d'ouvrages qui ont
autorisé la publication de ces études publiées dans des recueils difficile-
ment accessibles pour le lecteur français.
L'introduction "Sur l'unité systématique de la pensée de Spinoza. Le
Traité théologico-politique comme introduction à l'Éthique. Texte inédit,
reprenant avec de légères modifications l'exposé de soutenance de la
thése "Religion, Politique, Philosophie chez Spinoza".
1."Quelques remarques pour une interprétation de l'éthique" est inédit
en français. Ce texte a été publié dans The Proceedings of the First Ita-
lian International Congress (Urbino, 4-8 Octobre 1982), a cura di Emilia
Giancotti, Bibliopolis, Napoli, 1985, pp. 144-171.
2. Histoire et éternité. Inédit.
3."Théorie de l'histoire ou philosophie du Progrès chez Spinoza ?" est
le texte de la contribution "Y-a-t-il une philosophie du progrès historique
chez Spinoza ?" publié dans Spinoza. Issues and Directions. The Procee-
dings of the Chicago Spinoza Conference (Septembre 1986), edited by
Edwin Curley et Pierre-François Moreau. Leiden-New-York, E.-J. Brill,
1990, pp. 306-326.
4."La théorie de la pratique et la fonction de l'opinion publique dans
la philosophie politique de Spinoza" et le texte augmenté d'une contribu-
tion à Studia Spinozana. Spinoza's Philosophy of Society n°1. 1985 (edi-
ted by Walther et Walther Verlag) Hannover. p. 185-206.
5. Du Matérialisme, de Spinoza a été publié en version ronéotée dans
le Bulletin du Centre de recherches d'Histoire des Idées. Université de
Nice. N° 2, Mars 1986. 40 p.
6.Bossuet devant Spinoza : le Discours de l'Histoire Universelle, une
stratégie de dénégation du Traité théologico-politique est une contribution
au colloque international de Cortona Avril 1991, consacré à La première
réception du Traité théologico-politique, organisé par Paolo Cristofolini,
Scuola Normale Superiore di Pisa. A paraître.
7. "Labriola devant Spinoza. Une lecture non spéculative" a été publié
dans le volume des actes du colloque Labriola d'un siècle à l'autre (mai
1985), édité par G. Labica et J. Texier. Paris, Méridiens/Klincksieck,
1988, pp. 15-33.
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8. Le marxisme au miroir de Spinoza a été publié en version ronéotée


dans les Guest Lectures and Seminar Papers on Spinozism. A Rotterdam
Serie, edited by Wim Klever. Erasmus Universiteit Rotterdam, 1988. 51p.
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I N T R O D U C T I O N

Sur l'unité systématique de la philosophie de Spinoza

Le comme introduction à

On peut se proposer une approche de l'unité systématique de la philo-


sophie de Spinoza, à partir de cette "introduction à la philosophie" que
s'est voulu le Traité théologico-politique.
I - 1 Comment lire le Traité théologico-politique ? En lui appliquant
les règles d'"histoire critique" qu'il a lui-même élaborées pour l'interpré-
tation de l'Ecriture Sainte. En étudiant la nation, le temps en lequel il a
été écrit, les objectifs qu'il s'est assignés, le public auquel il s'est adres-
sé. Le Traité Théologico-Politique inclut en sa texture la conscience de
son historicité, les éléments de sa propre intelligibilité.
I - 2 Le Traité théologico-politique est à la fois un livre de circonstan-
ces et un texte épocal, porteur d'enjeux universels. Il entend promouvoir
et universaliser un mode de vie et de pensée fondé sur la libération de la
force productive humaine ("conatus"), sur l'expansion et le développe-
ment de la connaissance adéquate de la Nature, et de la nature humaine
("intellectus").
Cet objectif général-épocal se spécifie dans une analyse et une trans-
formation de la conjoncture particulière propre aux Provinces-Unies de
1670 ; il s'agit de critiquer le bloc théologico-politique (orthodoxie calvi-
niste; menace d'instauration de l'absolutisme monarchiste); de consolider
et élargir l'Etat libéral en Etat démocratique, de manière à ce que en se
subordonnant le système des Eglises, il intègre la force productive de la
masse, et rende possible au plus grand nombre possible d'hommes la
forme de vie fondée sur l'activité et la connaissance adéquates.
I - 3 Le Traité théologico-politique individualise dans la critique du
bloc théologico-politique une concrétion - dominante - de la forme de vie
inférieure qu'il faut dépasser : vie qui entrave l'essor de la force produc-
tive humaine, la paralyse dans une forme d'institutionnalisation politique
impuissante, et la solidarise à une connaissance qui demeure de l'ordre de
l'imagination ("superstition" - "préjugé").
I - 4 Le Traité théologico-politique repose sur le savoir critique de son
"autre" antagoniste, et entend exercer ce savoir de manière à transformer
cet "autre". Il a une dimension stratégique et tactique, celle d'un savoir-
modification de son objet. Il doit former dans la critique les porteurs de la
nouvelle forme de vie et de pensée, produire des "philosophes". Tâche
difficile, car le public auquel il s'adresse en priorité (les chrétiens sans
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Eglise, soucieux de vie bonne hors la domination théologico-politique,


désireux de développer la force de leur entendement pour mieux connaître
la nature et la nature humaine) demeure affecté par la forme de vie et de
pensée inférieure et primaire qu'il souhaite abandonner, sans le savoir
vraiment, ni savoir comment.
II - 1 Le Traité théologico-politique est un texte chiffré, intervention-
niste, polyvalent. En lui, s'accomplit une opération théorico-politique de
destruction et de construction, qui est son objectif à long terme. - Destruc-
tion de la religion révélée comme forme idéologico-pratique dominante
(destruction donc de l'onto-théologie traditionnelle, destruction des struc-
tures institutionnelles théologico-politiques, Eglise orthodoxe-Etat "pas-
sionnel" monarchiste). - Construction "sommaire" des grands thèmes de
la philosophie vraie (égalisation de Dieu à la productivité comme affirma-
tion de l'être, rôle axiomatique de l'opposition "in alio-in se"). Construc-
tion de la dimension éthico-politique de l'ontologie (enchaînement de la
force productive humaine à la productivité infinie; détermination des deux
grands modes de production de cette force, selon la scansion vie dans la
servitude (passions et ignorance dominantes) et vie dans la liberté de l'ac-
tivité et de la connaissance, et détermination de structures institutionnelles
"raisonnables".
II - 2 Le pivot de cette opération de transformation qui est destruction-
construction est constitué par la transformation de la critique de l'Ecriture
par l'Ecriture en critique de la religion révélée (judéo-chrétienne).Cette
critique est irreligieuse : elle enracine la religion révélée dans la "supersti-
tion", qui est une figure de la forme de vie et de pensée serve. Le Traité
théologico-politique analyse la genèse et la structure de la superstition
comme modalité idéologico-pratique d'actualisation improductive de no-
tre force productive et logique. Il est acquis que la religion est réalité
humaine, d'ordre "pratique", dépourvue à jamais de valeur théorique ou
scientifique.
II - 3 Sur la base de cette critique de la superstition, le Traité théologi-
co-politique développe, apparemment en langage religieux, la critique ir-
religieuse des invariants constitutifs de la religion révélée : catégories de
prophétie, de révélation, de vocation ou élection divine, de loi divine, de
rites, de miracles. Il organise une confrontation continue avec les deux
grandes formes de l'auto-compréhension religieuse (la dogmatique, avec
pour interlocuteur Maimonide, l'orthodoxe ou sceptique avec pour inter-
locuteur Calvin). C'est dans le cadre de cette critique que se constitue
"l'ontologie" et l'"éthique", souterraines du Traité théologico-politique (le
niveau de la "vraie philosophie").
II - 4 L'originalité de la critique de la religion révélée est d'unir deux
approches apparemment contradictoires : l'une est une réduction "idéolo-
gique" qui affirme l'hétéronomie de toute religion, la nécessité de l'expli-
quer à partir du procès de production de notre force productive qui est en
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dernière instance socio-politique (la religion est la politique continuée par


d'autres moyens). - L'autre est une affirmation de l'autonomie relative de
la religion. Le parallélisme étendue/pensée permet de comprendre com-
ment le développement idéal-imaginatif de la puissance de penser inter-
vient dans la mise en forme de la puissance d'agir et de pâtir. A ce stade,
la religion est langage symbolique : en elle se constitue notre force pro-
ductive.
III - 1 Le Traité théologico-politique énonce la fin de l'âge théologi-
co-politique. Et il oeuvre à obtenir la transformation des acteurs du
champ théologico-politique en ce sens. Si seuls les philosophes peuvent
former en leur entendement l'ontologie nouvelle, et développer l'éthique
et la politique qui l'accompagnent, si seuls les philosophes peuvent arti-
culer critique de la religion révélée - histoire critique des religions histori-
ques, ils doivent pouvoir formuler leur savoir en termes acceptables pour
des chrétiens hétérodoxes, de manière à obtenir une transformation du
champ théologico-politique, consentie par certains de ses acteurs. La
thèse de la nature pratique, et non spéculative de la religion, permet le
compromis pratique entre philosophie et religion. Pour le philosophe, elle
signifie que toute religion est réalité humaine, d'ordre pratique (liée à un
état inférieur du développement de notre force productive-logique). Pour
le chrétien raisonnable, elle signifie que la religion n'a pas de dignité
théorique, qu'elle est exigence éthique (elle se confond avec la loi morale
formelle de "justice et charité"). Le chrétien raisonnable doit même accor-
der au philosophe que seule l'autorité politique détermine le contenu de la
loi morale formelle. Du même coup, celle-ci devient la base de la morale
civique nouvelle, le présupposé de toute opinion publique libérée.
III - 2 Le Traité théologico-politique libère en même temps, l'autono-
mie du champ politique et celle de la science laïque, moment de l'ontolo-
gie, théorie de la productivité infinie de la Nature. Le champ politique est
médiateur entre une fonne de socialisation conflictuelle, passionnelle, su-
bie, et une fonne de socialisation non conflictuelle, raisonnable, agie,
mais toujours posée comme limite. La forme de la médiation est celle de
l'Etat. Celui-ci, enraciné dans le mode de production de la forme infé-
rieure de vie, est capable de la réguler, car ses structures sont celles d'une
quasi-raison. Mais l'Etat n'est pas raison, forme de vie supérieure pleine-
ment développée. Celle-ci exige une socialisation d'individualités pleine-
ment développées qui intériorisent "spontanément" la loi, sans coercition
externe. Elle est métapolitique.
III - 3 Les formes d'Etat sont d'autant meilleures qu'elles rendent
possible cette forme de socialisation supérieure en préparant la formation
d'individualités libres, à forte capacité théorique. La démocratie est le
meilleur régime en général : en elle s'établit la juste dialectique entre
moeurs encore passionnelles (d'individus néanmoins capables de recher-
cher leur utile propre), et formes institutionnelles.
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IV-1 L'Ethique apparaît alors comme la théorie pure (c'est-à-dire


épurée des circonstances accidentelles de sa constitution) des modes de
production de la force productive et logique humaine. Elle enchaîne à la
productivité infinie de la Nature révélée à elle-même la succession logi-
que des formes de vie. La pulsion de la causalité immanente ("causa
sui"), propre à la Nature, scande le processus morphologique de la force
productive humaine. L'Ethique est morphologie de ces modes de produc-
tion selon la scansion vie serve, dominée par la causalité "ex alio" et la
détermination "ex alieno decreto", et vie libérée, dominé tendanciellement
par la causalité "per se" et la détermination "ex proprio decreto".
IV - 2 L'Ethique est ontologie politique et politique ontologique. Elle
est une systématique de la libération, théorie de la production de l'effet de
libération comme possibilité de la productivité infinie de la Nature. En ce
sens, elle est livre épocal, livre de vie qui en pensant le processus mor-
phologique revêt une dimension morphogénétique. Là réside son historici-
té, d'être théorie de l'histoire ontologique de l'effet de libération; libéra-
tion de notre force productive et logique dans la durée, histoire qui
s'identifie au procès de notre éternisation.
IV-3 La partie IV de l' Ethique succède à la théorie du procès en soi
de la productivité infinie, produisant la force productive et logique hu-
maine sous la forme de son plus bas degré d'actualisation. A partir de la
partie IV, le procès de production de la nature infinie commence un nou-
veau cours, il est production de la libération "pour soi" de notre producti-
vité pratique et logique (appropriation de la nature, composition politique
des forces productives humaines, constitution des sciences de la nature et
de la nature humaine). Il est production des catégories de l'Ethique elle-
màme comme théorie enfin possible de ce procès de production qui com-
mence nécessairement avant l'Ethique pour se comprendre, se concevoir,
et se causer en elle. L'Ethique comprend et l'impossibilité de l'Ethique au
niveau de la vie serve, et la possibilité-nécessité de formation de l'Ethi-
que elle-même comme moment de la libération de notre force productive.
IV - 4 La partie V désigne le point supérieur du processus de mor-
phogénèse, le point où la vie libérée devient vie libre, résorbant tendan-
ciellement ses conditions de possibilité, se faisant et résultat et base de
reproduction élargie indéfinie de notre force productive et logique.
S'opère un dédoublement de la vie libre comme vie de sagesse. Celle-ci
désigne l'au-delà immanent et de la vie serve et de la vie raisonnable
incomplète, l'au-delà du monde féodal et du monde bourgeois. A ce ni-
veau s'opère l'éternisation de notre force productive et logique -; s'ouvre
la perspective immanente d'une appropriation non-privative de la nature,
d'une composition politique non-étatique de notre nature intérieure (la
communauté des Sages). S'ouvre l'horizon indéfini d'une extension quan-
titative de notre capacité de connaître la nature, et la nature humaine,
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intégrant et intériorisant le procès épistémogénétique à la substance


comme procès de production perpétuellement produite et reproduite.
IV - 5 La systématicité de l'Ethique ne ferme pas sur elle-même. Elle
s'ouvre - la "Sagesse" l'exigeant - sur la reproduction infinie de l'effet de
libération de notre force productive dans la durée, dans l'histoire. L'Ethi-
que exige le traitement de la durée-histoire en intervalle de la transition-
libération. Elle exige la connaissance toujours approfondie des choses
particulières, sous la dominance de "l'intérêt" pour la reproduction de no-
tre capacité de contrôle, laquelle n'est pas maîtrise mais critique de celle-
ci.
IV - 6 L'Ethique s'ouvre ainsi sur le Traité politique pour autant qu'il
y a urgence à traiter la politique à nouveaux frais. Ce traitement de la
politique a, tout comme le traitement du champ théologico-politique dans
le Traité théologico-politique, une dimension générale et une urgence
conjoncturale. Il importe de revenir sur le problème politique, dans la
conjoncture, après l'échec de la République en 1672. Il importe de mieux
penser le champ politique pour en faire une dimension constitutive du
processus d'individuation morphologique.
IV - 7 Le Traité politique répond ainsi à ce défi de la conjoncture : il
cherche à penser les mécanismes objectifs de démocratisation comme so-
lution à la crise permanente de l'Etat moderne. La démocratisation appa-
raît alors, de manière générale, comme condition de la poursuite du pro-
cessus morphologique. Substitut de la socialisation non-étatique qu'elle
anticipe de loin, elle repose sur le mécanisme de la réflexion pratique par
tous les hommes de leur utile propre, c'est-à-dire sur ce qui est précondi-
tion d'un élargissement du savoir de la nature et de la nature humaine.
Production des formes institutionnelles et des appareils les servant et ac-
tion comme réflexion pratique, loin de se contredire, s'articulent l'une à
l'autre.
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PREMIÈRE PARTIE

ÉLÉMENTS DOCTRINAUX
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I. Q U E L Q U E S R E M A R Q U E S P O U R U N E
I N T E R P R É T A T I O N DE

I. Contrairement à toute interprétation absolutisante ou fétichiste de ce


texte, nous soutiendrons que l' Éthique n'est pas le Livre absolu, la nou-
velle Bible des temps modernes. Elle n'est pas le Livre-Somme, dont cer-
tains évoquent avec horreur ou fascination l'image totalitaire et si peu
laïque. Spinoza n'est pas Mallarmé, il n'est pas davantage le Hegel inco-
hérent que nous présente Alexandre Kojève
D'ailleurs, si Spinoza fétichisait son ouvrage, pourquoi l'aurait-il mo-
destement nommé Éthique, science de la formation et de la discipline des
formes de vie humaine ? Pourquoi aurait-il souligné l'aspect pratique ?
Pourquoi même, inscrit en cela dans la tradition stoïcienne, en a-t-il fait le
livre de vie, le livre producteur de l'affirmation individuelle ? Non pas
savoir absolu, mais savoir des moeurs, savoir vivre, savoir agir, savoir
être actif, savoir concevoir.
Pourquoi parlons-nous de l'individu ? Parce qu'il n'est pas gommé
dans l'Éthique. Parce que tout d'abord, l'Éthique est un traité de l'indivi-
duation humaine. L'Éthique vit en effet de la tension entre le processus
anonyme de l'individu total et naturant et le processus individuel de l'in-
dividu humain, appelé à parcourir le processus de sa formation. D'où la
question pour qui l'Éthique ? Pour qui ce livre, s'il est entendu qu'il est
destiné à la forme supérieure de l'individualité humaine, celle du sage ?
Une telle interrogation risquerait à la limite, par son excés d'individua-
lisme, d'annuler dans l'atemporalité l'historicité profonde qu'elle assume.
Qu'il s'agisse de l'insistance sur l'ontologie spinoziste ou sur les difficul-
tés de la Ve partie, se manifeste comme une hésitation sur le sens de
l'Éthique. Qu'est-elle ? Une théologie rationnelle ? Une théorie de l'âme
et de ses pouvoirs ? Une théorie de la connaissance ? Une théorie des
passions ? Une théorie de la liberté et de la béatitude ? Assurément
l'Éthique est tout ceci, mais elle n'est pas la simple addition de ces rubri-
ques découpées.
L'Éthique doit être comprise dans son originalité réelle. De la subs-
tance infiniment infinie aux modes, des modes à ce mode fini qu'est
l'homme, dotée de sa capacité propre de s'actualiser dans sa finitude
même, selon deux registres fondamentaux, d'une part, imagination-pas-
sion, d'autre part, raison-action. De la substance infinie à l'humanité,
d'abord serve et ignorante, vouée à survivre dans des communautés pri-
vées de leur puissance pléniére, puis à une humanité libérée et plus sa-
vante, plus consciente, enfin apte à vivre et vivre bien dans une démocra-
tie, en attendant de parvenir ici-bas, sur terre, en ses meilleurs représen-
tants, à la béatitude. Tel est le mouvement de la production, de la déduc-
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tion. Le procés continuera au travers de ses scansions, de ses ruptures, de


ses transitions.
L'onto-théologie est éthico-politique : Dieu, c'est-à-dire la légalité
d'une Nature immanente, se traduit humainement dans l'immanence
d'une société rationnellement réglée d'hommes capables de penser et agir.
Et l'éthico-politique est à son tour ontologique : l'homme libre est une
possibilité de la nature anonyme. La capacité de parvenir à la causalité et
à la conception par soi, dans les limites imparties à un mode commençant
toujours par être causé et conçu par un autre, se détermine comme traduc-
tion finie de l'infini. L'Éthique n'est pas cette somme de traités épars.
L'ontologie (1er partie), l'anthropologie et la gnoséologie (IIe partie), la
théorie des passions (Ille partie), la théorie de la libération rationnelle
(IVe partie), et la théorie de la vie éternelle (Ve partie) s'enchaînent, sans
s'additionner, pour former le livre de vie des temps modernes, le livre de
vie du temps de la libération, qui est libération du temps, par et dans le
temps.
L'aspect individualiste de l'Éthique peut dérouter, mais il s'agit de
l'individu pensé dans son essence typique, universelle et ses modalités de
singularisation. En ce sens, l' Éthique, sans être le savoir absolu, est un
livre décisif, destinal, épocal. Elle est le livre qui (re)produit logiquement
le procés de constitution ou de production des formes de vie que la nature
infinie des choses produit comme formes de l'individualité humaine finie.
L'Éthique est comme le condensé, la formalisation logique de la structure
dynamique du procés de libération : tout comme elle est l'axiomatique de
la transition d'un mode de production de la vie humaine à un autre mode
de production plus puissant. Elle permet, sur cette base axiomatique, de
saisir dans ce cadre général toute conjoncture historique concrète, d'en
individualiser les particularités, grâce à la morphologie des formes de vie.
L'Éthique rend possible le traitement de toutes les conjonctures, car
elle produit les connaissances vraies et nécessaires à la production des
Traités, qui affronteront la singularité des conjonctures et de leurs problé-
mes. Axiomatique générale de tout traitement possible de la conjoncture,
de son appropriation théorique, et de sa transformation pratique, l' Éthique
se met en travail dans les Traités. Elle est présente dans le Traité qui la
présuppose, et qui est chargé à son tour de rendre possible sa publication :
le Traité théologico-politique lui-même. Elle s'ouvre sur la possibilité
d'un autre Traité qui se donne pour tâche de revenir sur la dimension du
problème politique : c'est alors le Traité politique. Spinoza n'écrit pas ces
traités par accident. Il les écrit pour traiter précisément, pour (que l'on
passe le barbarisme) "théorématiser" des problémes singuliers, tous rap-
portables à la référence universelle, ou générale, de la transition éthique
de la servitude à la liberté. L'Éthique est le sténogramme conceptuel du
procés de la libération de l'individualité humaine à partir de son inscrip-
tion dans le procés producteur de la nature. Ce procés subit sa scansion
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décisive lorsqu'il passe d'un mode de production et reproduction de l'in-


dividualité (elle-même lisible à la fois comme corps et esprit) à un autre.
Il s'agit d'une progression dans la capacité du corps à se composer et
recomposer avec d'autres pour réaliser sa puissance, et simultanément
d'une progression dans la capacité de l'esprit à comprendre davantage de
choses. L'objet principal de l'Éthique n'est donc pas la substance infine-
ment infinie, mais le procés de libération éthique pour autant qu'il passe
par la détermination de l'être comme substance "causa sui". Le fil rouge
de l' Éthique, c'est précisément, à partir des conditions onto-cosmologi-
ques générales de la productivité naturelle, l'enchaînement, la succession,
la concurrence entre les modes de production de l'individualité humaine
et les formes de vie que celle-ci détermine.
II. Le bouleversement de l'onto-théologie traditionnelle auquel l'Éthi-
que peut être mesuré. Il est celui de la rupture radicale que constitue un
panthéisme rationaliste, régi par l'immanence, l'univocité, l'affirmativité.
Ce panthéisme invalide à jamais toutes les hiérarchies, toutes les éminen-
ces, tous les dualismes (intelligible-sensible; nouménal-phénoménal; âme-
corps; spirituel-matériel). Spinoza affirme la positivité de l'être considé-
rée dans l'égalité de ses aspects essentiels, puisque l'étendue et la pensée
sont mises en place (1er partie).La IIe partie enchaîne à l'analyse des
structures constitutives de la réalité la saisie de l'essence de l'homme
comme mode de cette réalité unique et unitaire. Il donne une analyse de
la condition existentielle à l'intérieur du système des relations dont la
réalité est formée. Cette analyse ne peut se développer qu'en incluant le
cas humain comme cas particulier (non exterritorial) de la modalité, c'est-
à-dire de ce qui est conçu par quelque chose d'autre et est en quelque
chose d'autre. Les modes, le mode humain, sont des éléments égaux, dé-
mocratiquement égaux quant à leur nature (tous sont d'abord en quelque
chose d'autre), des singularités également constitutives du monde. Mais
ces singularités sont interprétées à partir de la perspective sous laquelle la
condition humaine peut se concevoir et être conçue tendanciellement par
soi. Cette condition humaine se conçoit comme modification unifiant un
mode étendu - le corps - et un mode de la pensée - l'esprit -. Toutes ces
modifications, et nous-mêmes, en les aspects par lesquels nous les con-
naissons, dépendent d'attributs. Toute réalité corporelle est simultanément
réalité idéelle. Toute chose physique est forme du penser. Toute réalité
causée et causante est idéalité conçue et concevante. La IIe partie repose
sur le parallélisme structural de la causalité (attribut de l'étendue) et de la
conception (attribut de la pensée). Nous causons - agissons et nous conce-
vons; nous saisissons - concevons et nous agissons. Nous agissons pour
autant que nous causons physiquement, et nous causons pour autant que
nous concevons
La condition humaine exige pour être définie le double jeu de deux
couples : par soi/en soi; être conçu par soi/être conçu par un autre. Pour
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penser l'horizon de la singularité comme unique réalité, il faut l'insérer


dans le systéme productif de la réalité, et penser cette derniére comme
puissance productive, productrice d'être et de pensée, identité de causa-
tion et de conception. En effet, l'intérêt exclusif de Spinoza est l'intérêt
pour notre devenir-puissant, notre devenir cause-concept. Mais cet intérêt
anthropocentré passe par la fin de tout anthropocentrisme théorique. Si
Dieu est le monde qui se constitue, et dans lequel se constitue le mode
humain, ce dernier est aussi Dieu, sans pour autant que la différence entre
l'être dans un autre et l'être par soi ne soit supprimée; car l'être par un
autre est produit par un autre, mais ceci à l'intérieur de l'être par soi, et
simultanément.
Spinoza souligne l'infinitésimale "petitesse" de la puissance de la sin-
gularité humaine par rapport à celle du reste du champ des singularités,
de la Nature prise comme un Tout. L'homme, être par un autre, est situé
parmi les choses qui sont en quelque chose d'autre, et qui sont conçues
en quelque chose d'autre. La singularité humaine est partie de quelque
chose, l'identité "personnelle" humaine est, comme celle de toute chose
singuliére, relationnelle. L'homme existe dans des relations interperson-
nelles comme centre changeant d'interactions dans un champ de relations.
Il n'est pas centre substantiel, il ne peut exister séparé de ces relations,
lesquelles n'existent que dans et par leur système. Ce systéme de relations
a la même structure sur le plan des rapports de production de corps à
corps et sur celui des rapports de production d'idée à idée. Le même
réseau - celui de la physique galiléenne, avec son mouvement et sa loi
d'inertie - fonde le monde de la singularité psycho-physique. Pas de subs-
tantialité de la singularité individuelle humaine, en raison du perpétuel
processus de formation, déformation, reformation des rapports constitutifs
de mouvement et de repos.
La situation de dépendance est radicale comme condition, mais elle
est indéfiniment transformable, en ce que la connaissance de la structure
de la réalité et de la position relationnelle-dépendante de l'homme est la
base nécessaire pour toute espéce d'initiative. Toute connaissance de la
modalité par la modalité devient un instrument pour cette dernière, lui
permettant de se constituer et d'accroître sa puissance, lui permettant
d'acquérir l'"ethos maximal". Les hommes ne sont pas et ne seront jamais
au sens absolu causa sui, ils ne se nieront pas, ils ne surmonteront pas la
différence modale; mais à l'intérieur de cette différence, un avenir, une
histoire leur sont ouverts. Irréductiblement causés dans leur essence et
existence par et dans la Nature-Substance, les modes humains existants
sont simultanément engendrés par d'autres hommes, eux-mêmes engen-
drés aussi, selon un ordre immuable dont ils ne peuvent être abstraits. Les
hommes viennent au monde à un moment qu'ils ne choisissent pas, avec
un héritage génétique qui a un effet sur leur structure physico-psychique
et sur leur comportement à venir. Ils sont conçus dans leur environnement
qui est formé par des séries d'éléments qui leur sont étrangers. Ils se
développent dans cet environnement, conditionnés par des changements
auxquels ce dernier est sujet. Deux niveaux de conditionnement se croi-
sent donc : celui du monde extérieur et celui de la structure psycho-physi-
que individuelle (toute essence de mode est d'ailleurs elle-même relation-
nelle)
Sur cette base, sous et dans cette condition, il y a place pour un deve-
nir-cause et conception, un devenir agissant et agent de l'homme à l'inté-
rieur du systéme mobile et relationnel des conditions. L'homme, aspect
partiel et modification de la totalité, ne peut voir s'identifier en lui néces-
sité et liberté. L'homme peut cependant concevoir quelque chose adéqua-
tement et peut causer quelque chose adéquatement; car même au plus bas
degré de la dépendance modale, de la passivité, les hommes ont une dota-
tion causale et théorique pour causer et concevoir adéquatement, pour,
dans la condition générale de l'"in alio", développer une sphére de rela-
tions théoriques et pratiques "in se". Pour l'homme, le procés de constitu-
tion de l'absolu se détermine comme chemin constitutif de la formation
de la puissance modale, et là se situe le second départ de l 'éthique (mais
ce départ ne peut être libéré que sur la base de la le partie).
L'Absolu divin de la Nature se renverse dans le monde des modes et
dans le procés de production-construction des modes, des forces producti-
ves, dans le procés d'éthicisation du monde humain. Cette éthicisation
s'effectue comme passage d'un régime de production du mode-force pro-
ductive à un autre régime : soit le mode humain s'insére dans le système
de la nécessité comme patient et ignorant, soit comme agissant et sage.
Deux modes de production de la modalité humaine engageant chacun une
attitude théorique et un comportement pratique : celle de l'homme non
éclairé qui agit dans l'ignorance des causes de sa propre essence et des
structures de la réalité, celle de l'homme sage qui agit sur la base de la
connaissance de la situation concréte où il se meut, conscient de son rôle
dans un système de relations qui conditionne son action. Passage de l'in
alio absolu à l'in alio qui se transforme en in se, tendanciellement, vers
une limite infiniment reculée. Transition infinie.
III. L'opposition entre mode esclave et mode libre est absolue; mais
ce qui intéresse Spinoza c'est la transition d'une condition à l'autre, en
tant qu'elle désigne la condition naturelle pour l'homme. Dans cette pos-
sibilité de la transition réside la possibilité du passage de la servitude à la
liberté, c'est-à-dire la possibilité pour l'homme d'intervenir dans la réalité
afin de la connaître, de se l'approprier, et de la transformer sur la base de
ses propres forces productives. L'opposition garde sa valeur absolue, mais
le premier terme, celui dont on part, n'est pas privation pure de connais-
sance et d'action. Tout individu comme force productive est déterminé
par son essence; et celle-ci est le résultat toujours ouvert de séries com-
plexes d'éléments soumis à un processus nécessaire de reproduction. Il ne

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