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Presses Universitaires de France

La création des vérités éternelles dans le système de Descartes


Author(s): Émile Bréhier
Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 123, No. 5/8 (MAI-AOUT. 1937), pp.
15-29
Published by: Presses Universitaires de France
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La créationdes véritéséternelles
dans le systèmede Descartes

ι
La théoriecartésienne de la créationdes véritéséternellesse
présente, dansl'ensemble de l'œuvrede Descartes,en desconditions
assez singulières.Commeon le voit dans une lettreà Mersenne de
1630, au moment où il « sa
prépare Physique », cettethéorie appa-
raît liée aux « questionsmétaphysiques » qu'il doit y traiter; car
« elle ne touchepointà ce qui dépendde la révélation, ce que je
nommeproprement théologie; mais elle est plutôtmétaphysique
et se doit examinerpar la raisonhumaine; » après avoir exposé
sa solution,il ajoute: « J'espèreécrirececi même1avant qu'il soit
quinze jours dans ma physique», et il demandeà Mersennede
réunirlesobjections quelesthéologiens pourraient y faire2.
Mersenne
a dû lui signaler,dans sa réponse,le rapportintimequ'il y avait,
pourles théologiens, entrecettequestionet cellede la production
du Verbepar le Père,et la contradiction que sa doctrinepouvait
rencontrer de leur en
côté; Descartes, effet, luirépondle 6 mai 1630:
« Ce que vous ditesde la production du Verbene répugnepoint» ;
mais il réclame,avec prudence,le droitde traiterla questionen
philosophe : « Maisje ne veuxpointmemêlerde théologie; j'ai peur
mêmeque vousne jugiezque ma philosophie s'émancipetropd'oser
direson avis touchantdes matièressi relevées.»
Or,de cettedoctrineque, au printemps de 1630,il considérait
commesi capitale qu'il demandaità Mersennede la « publier
partout»,il n'est pas soufflé motni dans le Discours,ni dans les
Méditations, ni dans les Principes; et c'est seulementonze ans

1. Il s'agitdu principede cettethéorie: la volontéde Dieu n'estpas soumise


à son entendement.
2. Lettredu 15 avril 1630,éditionAdam-Tannery, I, 143 et 145.
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aprèsqu'ellereparaît, grâceà l'accidentd'uneobjectionde Gassendi


ne
(qui, certainement, songeaiten rienà attribuer à Descartesde
pareillesidées); c'est en effetdans les réponsesaux cinquièmes
objections,que Descartesest amenéà diretrèsbrièvement que les
véritéséternelles,bien qu'immuables,sont des créatures.Mais
cela suffitpourdonnerl'éveilaux théologiens auteursdes Sixièmes
le
Objectionsqui, dans scrupulehuitième, marquentleursurprise ;
ils n'avaientriensu trouverde pareildans les Méditations.
Ce silence,qui s'expliquepar la prudencede Descartes,est la
raisonpourlaquellecettedoctrine apparaîtcommeun hors-d'œuvre
donton ne voit pas au premierabordla place qu'il tientdans la
suiteméthodiquedes idéesmétaphysiques de Descartes; pourtant
la premièrerédaction,celle de 1630, lui donnaitsûrementune
place. Comments'expliquecette place, qu'est-ceque Descartes
entendici par le motcréationqui, appliquéeaux véritéséternelles,
rendun son si étrange,c'est ce que je veux me demanderici.

II

Dans l'exposé de sa doctrinefait dans la lettreà Mersenne,


Descartesemploieindifféremment l'expressionaugustinienne « véri-
tés éternelles» et le mot scolastique« essence». « Dieu, écrit-il,
produitles véritéséternellesut efficiens
et totaliscausa. Car il est
aussi l'auteur de l'essencecommede l'existencedes créatures ;
or, cetteessencen'est autre choseque ces véritéséternettes1» ; parmi
ces vérités,il citecelle-ci: « Toutesles lignestiréesdu centreà la
circonférence sont égales », qui ne faitrienen effetqu'exprimer
l'essencedu cercle.
Or, la théologiescolastiqueavait, sur le rapportdes essences
des créaturesà Dieu, une doctrineprécise; indiquonsce qu'elle
était,et voyonspourquoiellene pouvaitagréerà Descartes.Recher-
chant commentDieu peut posséderla connaissancedes choses
singulières,saint Thomasrépondqu'il fautpour cela « qu'il soit
lui-mêmela raisondes chosessingulières ; mais il faut chercher
de quelle façon...Un philosophenomméGlén'enta dit que, dans
les êtres,les chosesles plus noblessontles exemplaires des choses

1- 27 mai 1G30,A. T., I. d. 152.

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les moinsnobles.Or,l'essencedivinecomprend en elle ce qu'il y a


de nobledans tous les êtresnon pointpar mode de composition
mais par mode de perfection... Donc l'entendement divin peut
comprendre dans son essencece qui est propreà chaquechose,en
comprenant en quoi chaquechoseimitesonessenceet estinférieure
à sa perfection : ainsi,encomprenant sonessenceentantqu'imitable
la
par le modede vie et nonde la connaissance, il conçoitla forme
proprede la plante...Maisles raisonsdes chosesdansl'entendement
divinne sontpas plusieurset distinctes, sinonen tant que Dieu
sait que les chosessont renduessemblablesà lui de plusieurset
diversesmanières1». C'est le thèmenéoplatonicien connu; dans
l'Un,les essencesne sontdistinguées d'aucunemanière; la diversité
des esseneesn'estriende positif; il marqueplutôtdu défaut,une
chutehorsde l'unitécomplète.Il ne peut êtrequestion,ici, d'une
créationdes essences; c'est plutôtpar une sortede détentede
l'unitédivineque naîtla multiplicité desessences.La seuledifférence
(et elle est grandeen elle-même), c'est que saint Thomas,pour
expliquer cette multiplicité, se réfère,non commePlotin,à une
nécessiténaturellequi, de l'Un, faitdécoulerle multiple,mais ά
la diversitéeffective des chosesexistantes,que Dieu a crééespar
sa puissance,et relativement à laquelle,seule,se conçoitcettesorte
de multiplication de l'essencedivine; mais cettedifférence n'im-
portepas au sujet actuel et saint Thomas lui-même a indiquéla
parenté de sa doctrine avec le platonisme : « En quoi est sauvée
en quelque manièrel'opinionde Platon qui pose des idées selon
lesquellesse formetoutce qui existedans les chosesmatérielles. »
Dans cettedoctrine, deuxpointsnousintéressent spécialement :
les essencesdes chosescrééesse rapportentà l'entendement de
Dieu à l'exclusion de toutautreattribut; la multiplicité desessences
n'est pas fondéedans l'absolu.
C'est sur le premierde ces pointsqu'a insistéle théologien
Suarez,voulantsauverainsi la véritédes véritéséternelles. Selon
lui, elles ne sont pas vraiesparce qu'elles sont connuesde Dieu,
mais ellessontconnuesde Dieu parcequ'ellessontvraies; sinon,
Dieu ne connaîtrait pas nécessairement qu'elles sont vraies; car,
si leurvéritéprovenaitde Dieu,ce ne pourraitêtreque par l'inter-

1. Conlra Gentiles, I, chap. 55.


tome cxxm. - mai-août.- 1937 (n°s 5-6,7-8) 2
1 9

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médîairede sa volonté,qui est libre.Elle n'auraitdonc pas plus


de nécessitéqu'aucun produitde la volontédivine.Étant objet
du seul entendement divin,il fautque cettevéritésoit supposée
et nonfaite,commeil estconforme à la naturede toutentendement
spéculatif; d'où cette conclusion : « Habentperpetuamveritatem
non solumut divinointellectused etiamsecundumse ac prsesein-
dendoab illo1.»
Ce premieraspectde la doctrine, considérée isolément,aboutit
doncà une sortede platonismethéologique: une réalitééternelle
contemplée par Dieu et distincte de Dieu. Y aurait-ildonc quelque
chosed'éternelqui ne fûtpas Dieu ? Cetteconséquence, qui serait
inadmissible, est immédiatement corrigéeet limitéepar îe second
aspectde la thèse,qui voit dans les essencesou véritésmultiples
des faces ou mieux des détentesde l'essencede l'entendement
divin: si bienque Dieu, en contemplant ces essences,ne faitque
se contempler lui-même. Nous retrouvons là encoreun thèmedu
néoplatonisme, selonqui la contemplation de soi esten mêmetemps
contemplation de toute la réalité ; le platonismedu
intelligible
Timéeest ainsirésorbéparle néoplatonisme.
Ajoutonsque l'unionde ces deuxaspectsest choseassezembar-
rassante: dansle premier aspect,on parieen augustinien de vérités
éternellesdiscrètes,telles que fes véritésmathématiques, ayant,
chacunepriseà part,sonévidenceet,pourainsidire,sa suffisance ;
on voit l'intelligence humaineen action,dans ses appréhensions
concrètes et discrètes; dansle secondaspect,on parieen néoplato-
niciend'essencesqui forment un mondeen se compénétrant mutuel-
lement.Dans le néoplatonisme de Plotin(et celui du moyenâge),
aucunevériténe peut se séparerdes autres; penser,c'est penser
nécessairement le tout; les conditionsauxquellesmêmele cogito
ergosum pourraitavoir son évidencene sont pas remplies; car,
le cogitosupposela positionde la pensée; et chezPlotinla position
de la pensée,c'est la positionde tout l'êtreintelligible ; tandis
que chez raint le
Augustin, cogiioergo sum n'est qu'une de ces
véritéséternelles,de ces évidencesdiscrètesqui s'ajoutentles

1. Disputât, metaphys.,31, sect. 12, n° 40, cité par Garin, Thèses cartésiennes
et thèsesthomistes.

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unesaux autres,sansformer un tout,de ces évidencesqu' « il n'est


pas besoin, comme dit Descartes,de dénombrer ».
Ce divorceentreles véritéséternelles et l'intelligiblenéoplato-
nicienavait les conséquencesles plus gravesau pointde vue de
l'idée que l'on pouvaitse fairede la valeuret de la certitudede
la connaissance des chosescréées.Dans la théoriethomiste, il est
naturelque la connaissance remontede la chosecrééeexistanteà
sonessence,puisque,nousl'avonsvu, les essencesne se distinguent
les unes des autresque relativement aux chosesdont elles sont
les essences; la chosecrééeconnuecommeexistanteest donc le
seul moyende décelerl'essence.De plus, la connaissanceque
Ton a de cetteessence,à la supposeratteinte,restetout à fait
déficiente; car elle n'a sa pleine signification que réunie aux
et
autres, résorbée, avec les autres,dans l'unité de l'essencede
l'entendement divin; il restecommeun faiblerefletde cetteunité
dansla hiérarchie des genreset des espècesqui détermine chacune
des notionsinférieures au seinde l'unitéd'un genre; saintThomas,
empruntant l'idée à Aristote,comparechacune de ces notions
à unnombredansla suitedesnombres. Il semblaitdoncbienimpos-
sibled'admettre à la foiset le caractèrediscretdesvéritéséternelles
possédantchacuneson évidence,et l'unité radicale des vérités
éternelles.

III

On voitde quel côtéétaitDescartesdansle débat.Son véritable


problème: commentarriverà des véritéscertaines ? est insoluble
dans la philosophiescolastique,et c'est à elle que fonten effet
songerles expressions mêmesde Descartesaffirmant la distinction
des essences.« Non pluresvel distinct«», dit saint Thomas,en
parlantdes essences; à quoi Descartesréplique: « J'appelle...
celle[la perception]
distincte préciseet différente
qui est tellement
de toutesles autresqu'elle ne comprenden soi que ce qui paraît
manifestement à celuiqui la considèrecommeil faut1.» Et l'on se
souvientdes exemplesdes Regulœ: « Ainsichacunpeutvoirpar
intuitionqu'il existe,qu'il pense,qu'un triangleest bornépar

1. Principes de la philosophie, I, art. 45.


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trois lignesseulement1.» Ces essencesperçuesséparément,ces


évidencesponctuelles, ne peuvents'ordonner en une hiérarchie de

genreset d'espèces, Descartesne veutvoirqu'un simpleartifice
humainde classement2, et nonun moyende pénétrer les essences:
« II y a des notionssi clairesqu'on les obscurciten les voulant
définir à la façonde l'école,et ellesne s'acquièrent pointparl'étude
mais naissentavec nous »3; tellessont celles de mouvement, de
pensée,d'étendue,d'existence,de certitude4.
Mais plus Descartesinsistaitsur la connaissanceintégraleet
discrèteque l'esprithumainpouvait avoir des essences,plus il
rendaitimpossiblecettesortede correction de l'augustinisme par
le néoplatonisme qui, dans la théologie,pouvait laisserplace à
une thèsetelleque cellede Suarez; moinsaussiles essencesacces-
sibleset familières à l'esprithumainpouvaientpasserpourrenfermer
quelquevestige, éloignéque ce fût,de l'entendement
si divininfini.
Remarquons d'ailleurs que, si on veut les appuyersur l'enten-
dementdivin,il fauten tirerla conséquencequ'en a tiréeSuarez;
étantdonnéela naturede l'entendement, nonseulement ces vérités
devaientdépendrede l'entendement divin, mais il fallaitqu'elles
fussent vraiesen soi,et mêmeséparéesde lui ; « vu qu'il ne semble
pas possible[commedisentles théologiens des SixièmesObjections,
partisansde Suarez],que Dieu ait pu fairequ'aucunedecesessences
ou véritésne fûtpas de touteéternité ». Et alors,Descartespouvait
opposer à la thèse suarézienne les déclarationsdes théologiens
«
eux-mêmes: Si les hommes entendaient bien le sens de leur
parole,ils ne pourraient jamais diresans blasphèmeque la vérité
de quelquechoseprécèdela connaissance que Dieu en a, caren Dieu,
ce n'est qu'un de vouloiret de connaître5. » Descartesdonnerait
raisonaux suarézienscontreGassendi,lorsquecelui-ciécrit: « Je
remarqueque cela semble dur de voir établirquelque nature

1. A.-T., X, 368.
2. Cf. sa réponse à Gassendi : « Ce que vous alléguez ensuite contre les univer-
saux des dialecticiensne me touche point puisque je les conçois d'une autre façon
au'eux. »
3. Principes. I. art. 10.
4. Qu'il y ait dans ce caractère discret de l'évidence un trait essentiel de la
pensée de Descartes, sans lequel, pour lui, aucune certitude n'est possible, c'est
d'ailleurs ce que nous considérons comme acquis.
5. Lettre du 6 mai 1630; A.-T., I, 149.
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immuableet éternelleautreque celle d'un Dieu souverain» ; car


lui aussi,il pose ces véritéscommedistinctesde Dieu : seulement,
il leurdonnetortlorsqu'ilsveulentles faireimmuablesà la manière
de Dieu.

IV

Nul accord ne restaitpossibleentrele caractèrediscretdes


essences,condition de l'évidence, et leurunionradicaledansl'enten-
dementdivin: il fallaitdonc,si l'ontenaitau premier terme, lesfaire
dépendrede la volontéet de la puissancede Dieu, en fairedes
créatures, et c'estce qu'a faitDescartes.Maisla notionde création
que devait employer ici Descartesa-t-elleriende communavec la
notionordinaire de création? La créationest positiond'existence :
ici, elle est positiond'essence; elle pose une existencedans la
durée: ici elle pose une essenceéternelle ; la créatureest un être
dontla contingence peut êtrecomprise comme telle,qui peutêtre
conçue comme n'existant :
pas or, « il est inutilede demander
commentDieu eût pu fairede touteéternitéque deux foisquatre
n'eussentpas été huit,etc.,car j'avoue bienque nousne pouvons
pas comprendre cela1 ».
Cettecréation n'a doncriendecommun aveccelledesthéologiens,
et il n'est pas possiblenotamment de la rapprocher de la théorie
de Duns Scot sur le primatde la volonté; car le Dieu de Duns
Scot ne créepas les possibles,et sa volontétrouvesa limitedans
le contradictoire ; sans doute,certainesaffirmations de Descartes
dans les Réponsesont-ellesun aspectscotiste: « La raisonde leur
bonté[deschosescréées]dépendde ce qu'il les a ainsivoulufaire»;
ainsi,pourDunsScot,« nullerèglen'estdroitesinonen tantqu'elle
est acceptéeparla volontédivine». Maisce que DunsScot ditd'un
préceptemoral,donton peut imaginer, sans répugnance logique,
qu'il peut être remplacépar un autre, Descartesl'étend à des
véritésdontle contraire estcontradictoire interminis etimpensable.
C'est que son intentionest bien différente : il n'est question
pourlui, de théologiequ'autantque la théologiefournit les bases
de la certitude: cettecertitude n'estelle-même assuréeque par le

1. Réponses aux Sixièmes objections.


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douteméthodique ; et le douten'estméthodique que s'il est poussé


à fond,c'est-à-diresi l'on a examinétoutes les raisons,même
seulementpossibles,que l'on peut avoir de douter.Or, à lireles
Méditations, on s'aperçoitque la théoriede la créationdes vérités
éternelles, qui n'estnullepartexplicitement formulée, est supposée
par deux démarches essentielles de la pensée cartésienne, celle
de
qui permet porter le doute beaucoupplus loin qu'il ne l'a jamais
été, et celle qui permetde s'en affranchir avec beaucoupplus de
sûretéqu'on ne l'a jamaisfaitjusque-là.
Le doutehyperbolique, d'abord,montreles raisonsde douter
des véritésqui semblentles plus claireset les plus apparentes,
tellesque fairela sommede deux et de trois, compterle nombre
des côtésd'un carré,ou « quelque choseencoreplus facilesi Ton
se peutimaginer riende plusfacileque cela ». Pourrendrepossible
ce doute,il fautimaginerqu' « un Dieu qui peut tout», ou, sinon
Dieu « qui est sourcede toutevérité», « un certainmauvaisgénie,
non moinsrusé et trompeurque puissant,a employétoute son
industrieà me tromper». Encore faut-ilimaginerles « ruses »
de ce mauvaisgénie,pointsurlequel Descartesest fortpeu expli-
cite; ellesne peuventconsisterà faireque je ne vois pas ce que
je vois,que je ne vois pas par exemplequ'un carréa quatrecôtés;
car,s'il en étaitainsi,il n'y auraitplus moyende sortirdu doute,
et l'intuition n'iraitjamaisplusloinque le Cogito.La rusedu mau-
vais géniene peutdoncconsister qu'à changerles véritésque nous
prenonspour des vérités éternelles,de tellesorteque nousn'ayons
aucuneassuranceque,à unnouveauregard,nousretrouvions encore
la sommede troisplus deux égale à cinq, ou une montagneavec
une vallée.Le mauvaisgénie,cet êtreimaginaire à qui Descartes
a conféré la toute-puissance de Dieu danssa bonté,doitdonc,pour
jouer son rôle,êtreun créateurd'essences,mais un créateurtout
à fait arbitraireet continuellement changeant.
Grâceà la fictiondu malingénieest découverte une des condi-
tionspositivesde la certitude, à savoirla permanence des essences
dontnous avons l'intuition ; l'affranchissement du doutene sera
atteintque si cettepermanence est assurée; or,une des conditions
de cettepermanence restela mêmeque celledu doutehyperbolique,
à savoirla créationdes essences.Si en effetnous enrichissons la
fictiond'un génietout puissanten ajoutantqu'il est trèsbon et
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qu'il ne veut pas nous tromper, nous seronsassurés,dans cette


secondehypothèse, de la certitude de notreintuition. Si maintenent
nous démontrons que l'hypothèse est vraie,c'est-à-dire qu'un être
qui possèdeseulementla puissancesans la bontéest une fiction,
mais que l'êtreinfiniment parfaitqui possèdel'une et l'autreest
réel, nous sommes alors assurés,en dehorsde toute hypothèse,
de la valeur de notre intuition.On voit par là combienil serait
fauxde direque, chez Descartes,la garantiedivineest nécessaire
seulementpour les raisonnements dont l'ensemblene peut être
saisiparl'intuition la
; vérité, c'est que la garantieportesurl'intui-
tionactuelle,bienqu'elleait aussirapportau tempsetà la mémoire.
Par la naturemêmede la raisonhumaine,elle seraitinutile,au
momentmêmede l'intuition : car « dès aussitôtque je comprends
quelque chose fort clairement et fortdistinctement, je ne puis
m'empêcher de la croire vraie » ; la seule question, c'est de savoir
comment je puisprévoiraveccertitude que,monintuition s'enétant
pourainsi dire détachée,elle continuera à restervraie : question
qui n'a de signification que si les essences,dont j'ai l'intuition,
sont des êtrescréés capables de disparaîtreet d'êtreremplacés
par d'autres; seule,la créationdes essencespar un Dieu immuable
et bon donneà cettequestionla réponsequ'il fautpourque notre
sciencesoitpossible; il nes'agitpas eneffet de « garantirla mémoire »,
en ce sensque Dieu puissenousgarantir que nous ne nous trompons
pas, lorsquenous affirmons êtresûrs d'avoirsaisi quelque chose
et
clairement distinctement ; il nousgarantitseulement que,pourvu
qu'untelsouvenir soitexact,noussommesaussiassurésde la vérité
de cettechose que si nous en avionsmaintenant l'intuition.
Onvoitdoncque lestextescélèbreset classiquesdes Méditations
surle doutehyperbolique etla garantiedivinenepeuvents'expliquer
saos ambiguïtéque par cette théoriede la créationdes vérités
éternelles,que Descartesvoulaitqu'on publiât,dès 1630,et dont
il n'a pourtantpas dit mot dans ses livres.
Par elle, les véritéséternelles, mises au rang des créatures,
peuvent être saisies entièrement et sans résidu; mais c'est aussi
pour cela qu'ellesn'ontpas le genrede certitudequi leur venait
de la participation plotinienne de la partiesupérieure de l'âme à
l'intuitiondu mondeintelligible ; c'est qu'il s'agit ici des points
de départd'une scienceà faireet non des objets d'une science
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faite. Le P. Mersenne,en théologien,voyait une affinitéentre la


productiondes essenceset la prolationdu Verbe, et Descartes peut
se référerà ce rapprochementlorsqu'il écrit : « Je ne [les] conçois
pas émaner de Dieu comme les rayons du soleil. » Descartes fait
précisémentsur les essences un travail de portée analogue à celui
que les Sociniensde son époque faisaientsur le Christ; il les huma-
nise comme ils ont humanisé le Christ; il rend ainsi possible une
sciencehumaineparfaiteen son genre,commeeux rendentpossible
la perfectionchrétienneet l'imitationdu Christ : « Pour imiterle
Christ,il n'est pas nécessaire d'exprimerabsolumenten notre vie
sa sainteté et sa justice très parfaite,mais d'être saint et juste
comme il l'a lui-mêmeété. » De même que le problèmede la vertu
n'est plus d'atteindre quelque Bien transcendant,dont la vertu
humainen'est qu'un pâle reflet,de même l'hommen'est pas réduit
à une connaissancequi est une ombre lointainede celle que Dieu
possède ; il peut avoir,en tant qu'homme,une connaissancecomplète
en soi. Le christianismeet la science sont, l'un et l'autre, coupés
de la théologie.

V
C'est d'un avis unanime,à une exceptionprès,que les théologiens
ont rejeté la thèse de la création des essences. Leibniz n'a pas
oublié cette exception : « II ne faut point s'imaginer,écrit-il1, avec
quelques-uns,que les vérités étant
éternelles, de
dépendantes Dieu,
sontarbitraireset dépendentde sa volonté,comme Descartesparaît
l'avoir pris et puis M. Poiret2. » Poiret, avant de se consacrer
à la littératuremystiqueet d'éditerles œuvres d'AntoinetteBouri-
gnou,avait publié en 1677 des Cogitalionesrationalesde Deo, Anima
et Malo, où l'on trouve,dit le sous-titre,la « vraie métaphysique»,
c'est-à-direcelle que Descartes a substituéeà la scientiahorribilis
des scolastiques.Cette science hérissée,selon Poiret,commencepar
une spéculation sur les termestranscendentaux,Etre, Vrai, Bien,
qui doit précéder la connaissance de Dieu ; il faut donc qu'elle
considère ces termes, comme antérieursà Dieu et indépendants
de lui ; il faut,puisqu'ils se disentde toute réalité,qu'elle αmélange

1. Monadologie, § 46.
2. Cogilalione8tp. 121
2

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É. BRÉHIER. - LA CRÉATION DES VÉRITÉS ÉTERNELLES 25

le créateuret la créaturecommes'ils avaienten communentitéet


vérité,commesi le sensde ces termesétaitunivoque,ou bien,s'ils
acceptentl'équivocité,ils tombentdans des définitions du mot
équivoqueparfaitement ineptes,puisqu'ils ont abandonnéalors
l'équivocité».
Or,cettecritiquede l'ontologie scolastiqueestliée,dansl'esprit
de Poiret,à la thèsede la créationdes véritéséternelles qui seule
permetde reconnaître la radicaletranscendance d'un Dieu, dont
l'essenceest incommunicable aux créatures.Faire des essences
un objet de l'entendement divin,c'est rabaisserDieu au rangdes
en
espritscréés, enseignant qu'il conçoitnécessairement les idées,
«
essencesetvéritésdeschoses, commesi ellesdécoulaient, immédia-
tementet sans l'intervention d'un décret,de l'essencemêmede
Dieu » ; c'est contredire aussi son unité,en conférant à la Vérité,
posée comme distincte de lui,une éternitéqui n'appartient qu'à lui.
Ce bien,ce vrai,que Dieu créeparun libredécret,n'est,à sonégard,
qu'un jeu et une fiction, « II n'est pas nécessairedu tout à Dieu,
pour l'achèvement de son intelligence, de considérer autre chose
que lui, bien que, s'il lui plaît, d'abondance,que quelque chose
soitvraien dehorsde lui,s'il veutfeindre quelquechose,il sait que
cela est vrai et connuet vu par lui1. »
Ce que cette théorieapporteà Poiret,c'est la justification
de la théologienégativequ'avaientintroduite les néoplatoniciens:
α En face de son essencesuprême,toute essence,forme,nature,
vérité,bontéde touteschosess'évanouissent absolument en un pur
néant.Et c'estpeut-être à cela qu'ontsongéquelquesanciensthéo-
logiensen disant que l'essencede Dieu est au-dessusde toute
essence,que sa bontéestsuper-essentiellement bonne,que lui-même
est super-essentiellement un et vrai,c'est-à-dire plusqu'un et plus
que vrai1.» Les idées du mystiquecomplètent ainsid'unemanière
frappantecelles du philosophe, en insistantsur l'aspect complé-
mentairede celui qu'avait indiqué Descartes.En séparantaussi
profondément Dieu des créatures, on met les essencesau niveau
de l'intelligencehumaine, mais on place en mêmetempsDieu au
dehorsde ses prises: la notionde Verbedivinou d'intermédiaire,

1. Cogitaiiones,
chap. VII, § 4. 2
χ. coguaiiones, p. ióó.

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26 REVUE PHILOSOPHIQUE

au lieu d'être,commechezMalebranche, unenotionphilosophique,


resteune puredonnéede la révélation: la fusionde la révélation
et de la philosophiese manifesteclairementimpossible.

VI
La théoriede la créationdes véritéséternellesne s'est pas
maintenuechez les grandscartésiensdu xvne siècle, Spinoza,
Malebranche et Leibniz; elle a mêmeété priseà partiepar eux
avec plusou moinsde violence; nousavonsvu sa liaisonessentielle,
chez Descartes,avec le doute méthodiquequ'elle rendpossible;
elle a été emportéeen mêmetempsque ce doutequi ne joue pas
chez ces philosophesle mêmerôle propédeutique que chez Des-
cartes; mais en mêmetempset du mêmecoup, ils sont revenus
à la métaphysique néoplatonicienne des essenceset de la réalité
intelligible,qu'ils ont dû pourtantcorriger en quelque pointpour
rendrepossiblel'usage de l'idée claireet distincte.
Spinoza,surcettequestion,se reconnaît plus prèsde Descartes
que des scolastiques : « J'avoue que cette opinion[de Descartes]
qui soumettout à une volontéindifférente de Dieu et admetque
tout dépendde son bon plaisir,s'éloignemoinsde la véritéque
celle qui consisteà admettreque Dieu agit toujoursen ayant
égard au bien; car... cela revientà soumettreDieu au destin
[c'est la critiquemêmede Descartes],et riende plus absurdene
peutêtreditde Dieu,qui,nousl'avonsmontré, estla causepremière
et l'uniquecause librede l'essencedes chosescommede leurexis-
tence1.» Lorsque Spinoza énonceen effetque « Dieu n'est pas
seulementcause efficiente de l'existencemais aussi de l'essence
des choses», il s'accorde avec Descartespouradmettreque la cau-
salitédivineproductrice de l'essenceet cellede l'existencesontdu
mêmetype,tandisque, chez les scolastiques,ellessont d'un type
différent : émanationéternelle et nécessairepourles essences,causa-
litécréatrice et librepourlesexistences. La divergence ne commence
que sur la détermination de ce type unique; chez Spinoza,elle
est du type de la causalitémathématique d'une définition; chez
Descartes,elleestlibreet créatrice. Malgrécetteopposition, l'unité

1. Éthique,I, prop. XXXIII, se. II, fin.


2

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É. BRÉHIER. - LA CRÉATION DES VÉRITÉS ÉTERNELLES 27

de la causalitéen Dieu produitentreeux ce rapprochement que


Leibniza remarquédans une intention hostile1; cetteunité,chez
Tun commechez l'autre,effacetoute analogieentrela causalité
divineet cellede la volontéhumaine,qui,elle,agitsu6 raiioneboni,
en s'assujétissant aux essencesqui lui sontdonnéesdu dehorspar
l'entendement. Nul refletde la naturehumainene vient donc
s'interposer entrel'espritet le réel; la naturedu réelrendpossible,
chez l'un commechez l'autre,un savoirrationnel,que l'objet de
ce savoir (essencescartésiennes) ait été créé par Dieu ou qu'il
soit Dieu lui-même.
MaisSpinoza,pourne pas suivreDescartes, se heurteà l'inconvé-
nientdu néoplatonisme, qui repoussait cette sciencerationnelle
infiniment au-dessusde la portéede l'esprithumain; il ne l'évite
que par des artifices tels que la distinction des attributsdivins
et la différence entrela connaissancedu secondgenreet celle du
troisième genre.La substitution de l'attributà Dieu dansla pensée
que l'esprita de Dieu,et surtoutla position, parmices attributs, de
l'étendue, objet d'une idée claireet distincte, lui permet, en isolant,
en quelque manière,en Dieu, les essences(que Descartesvoulait
qu'on isolâtde Dieu commeses créatures), d'introduirela physique
cartésiennedes idées claires.La connaissancedu second genre
a pour objet ces notionsà la fois communeset adéquates,ces
« universauxvéritables», qui forment, eux aussi, le fondde la
sciencecartésienne, tandisque la connaissance du troisième genre
se dirigeversle singulier, en tant qu'il a en Dieu son fondement
intelligible.La théoriedes attributset celle de la connaissance du
deuxièmegenreparaît donc, chez Spinoza, avoir le même rôle
que la créationdesessenceschezDescartes: isoler,dansl'immensité
intelligible,des perspectives par où elle soitaccessibleà l'espritet,
en quelquesorte,de niveauavec lui : cet isolementdes essences,
qui sontainsiobjetsde connaissance adéquate,est cettecondition
de la certitude, que Descartes obtient en transformant les essences
en créatures ; par sa théorie des attributs de Dieu, Spinozaobtient
l'équivalentde la distanceinfinieque la créationmet entreDieu
et les essences: essencecrééede l'étendueou attributde Dieu,
nousavonsdansles deuxcas l'objetd'unephysique, qui estparfaite
1. Discours de Métaphysique, 2

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28 REVUE PHILOSOPHIQUE

en soi et n'aspirepas, commel'intelligible néoplatonicien, à se


compléter1.
Malebranche refuse,lui aussi,et avec plusd'énergie que Spinoza,
la thèse de la créationdes véritéséternelles.Commethéologien
catholique,Malebranche faitressortir la médiocrité des arguments
de Descartes; si les essenecssont immuables,bien que créées,
disait-il,c'est que Dieu est immuableen ses décrets: mais,répond
Malebranche, l'immutabilité divinen'est pas liée à la permanence
dans les chosescrééeset à la négationde leurchangement. Dans
ces conditions, la thèse ne peut avoir pour conséquenceque le
pyrrhonisme le plus complet2, celui du doute hyperbolique, puis-
qu'il n'y échappequ'en supposantprécisément le contraire.Mais
ce qui prévientsurtoutMalebranchecontrela thèsecartésienne,
c'estqu'ellea poureffet de séparerl'hommede Dieu dansla connais-
sance, comme le socinianisme le séparaitde lui au pointde vue
religieux. La raison universelle, qui estla lumièrede l'esprithumain,
le «
est en mêmetemps Verbe, sagessedu Père,sagesseéternelle,
la
immuable,nécessairequi [rend]sages les créatureset mêmele
Créateurquoiqued'unemanièrebiendifférente3 ». Cetteséparation
est peut-être mêmele vrai motifd'une thèsequi favorisel'orgueil
de l'homme,en plaçant sa confianceen des créatureset en lui
donnantle moyende n'avoir pas à consulterDieu4·
Ce retourau platonisme risquaitde produire l'effetque Descartes
avait précisément voulu éviter,de faire considérerla science
humainecommeun vestigeaffaiblide la sciencedivine,et de
rendreimpossibleune physiquequi s'appuyaitsur l'intelligibilité
complèted'uneidée priseen elle-même et à partdes autres.Male-
branchesait bienque le sortde la sciencedépendde la « variété»
des idéesintelligibles5. Comment doncaccorderunevisionen Dieu,
qui est déficiente si elle n'est pas totalepuisqueDieu est simple,

1. Leibniz reviendraau néoplatonismeen démontrant et l'obs-


la déficience
curitéde la notiond'étendue,priseen elle-même(Discoursde Métaphysique).
"Z.Ae éclaircissement,p. oöv.
3. Méditations chrétiennes,début.
4. Cf. le Ae Eclaircissementa la tiecnercneae la vente, ea. uarnier, p. ö/i-öox,;
Descartesn'y est nomméqu'à la fin,p. 379, avec renvoiau textedes Réponses
aux sixièmesobjections.Sur l'athéismefoncierde cettethèse,cf.p. 375 : « Ils ont
beau se récriersurcela... » et, p. 377 : t Malgrél'aversionde certainssavants...·
5. Xe Eclaircissement, éd. Gamier,p. döü.
f.

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É. BRÉHIER. - LA CRÉATION DES VÉRITÉS ÉTERNELLES 29

avec la connaissanced'essencesséparéeset distinctes ? C'est ce


lui et à il
qu'Arnauld demande, quoi répond On peutdirequ'on: «
ne voit immédiatement que Dieu. Mais...on ne le voit qu'en tant
que sa substance a rapportaux créatures. Car,quoiquetoutce qui
est en Dieu soit Dieu,on ne le voitpas, à proprement parler,lors-
qu'on ne le voit que selonl'idée qu'il a de ses ouvragesou selon
qu'il peut êtreparticipépar ses créatures.» Ainsi la multiplicité
des essencess'introduit, commechez saintThomas,par référence
à la multiplicité des créaturesque Dieu a l'intentionde créer;
seulement,chez Malebranche, ces essences(qui se réduisentà
une seule,celle qui est le modèledu mondematérielou étendue
intelligible) sonttraitéescommesi leurséparation, loin d'êtreune
imperfection, leur donnaitune réalitépositiveet autonome.Ce
n'est que par cettesorted'artificequ'il a réussià unirla science
cartésienne au néoplatonisme.
Enfinl'argumentation de Leibniz contrela thèse cartésienne
montreque la créationdes essences,bienloind'êtreune extension
du dogmechrétiende la création,lui enlèveau contrairetoute
intelligibilité. Leibnizassimileen effet ce Dieu de Descartes,simple
puissance absolue qui n'agit pas en vue d'un bien, au Dieu de
Spinoza.« Mais de direqu'un tel Dieu a faitles choses,ou de dire
qu'ellesontétéproduites parunenécessité aveugle,l'unvautl'autre,
ce me semble1.» Ainsi,par un renversement completdu pour
au contre,cettecréation,pourainsi direhyperbolique, des vérités
éternelles, rend incompréhensible la créationau sens ordinaire ;
la créationest un purdogme,révélé,qui ne concerneque la piété
et non la philosophie. Quant à la créationdes véritéséternelles,
elle est l'enversde l'autonomied'une raison,qui cherchenon pas
à remonter vers un modèledivin dont elle seraitla trace,mais
à progresser versdes véritésnouvelles.
Emile Bréhier.

1. Réponse au livre des vraies el des fausses idées, chap. IX, § 14.

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