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Disputatio sur l’univocité de l’être

« La science les vertus et la foi, n’est que ruine de l’âme. »

«Je dis que je ne détruis pas la philosophie, mais que ceux qui posent le contraire détruisent la philosophie. » 1

Voici ce que déclare Duns Scot au sujet de sa thèse concernant l’univocité.  Les questions que touchent cette
thèse métaphysique fondamentale, cette thèse se trouve à un point central dans les problématiques
métaphysiques. Cette question est liée à la question en tout premier lieu à la question de la possibilité du discours
théologique, et c’est là la position du docteur subtil à l’origine de tout son effort, et de toute sa construction
métaphysique. Mais elle touche aussi à la question de la métaphysique comme science première, c’est-à-dire, à la
science des principes, or cette même unité dans la philosophie d’Aristote apparaît comme problématique. La
thèse de l’ univocité de l’être touche aussi à d’autres problèmes tels que ceux des universaux, des
transcendantaux, de la théorie de la connaissance, de la sémantique, de la noétique, et des rapports entre créature
et créateur, entre fini et infini, et entre créé et incréé. Nous ne cherchons pas retracer dans son exactitude la
conception scotiste de l’univocité, mais nous appuyant sur sa pensée, nous chercherons à défendre la thèse de
l’univocité de l’être, pour en tirer les bénéfices théoriques. Nous préciserons dans quel sens cette univocité doit
être entendue, et nous discuterons de la question de savoir si l’univocité peut être admises dans tous les sens du
terme.
L’intérêt majeur de la thèse de l’univocité de l’être est double elle permet la sauver de la ruine, c’est à dire de
fonder la métaphysique comme science constituée, en pensant l’unité de la science métaphysique, dans le cadre
essentiellement aristotélicien. C’est l’aspect universel du genre, retenu par Scot dans le concept d’étant, qui
convient pour la notion de genre au sujet et d’universalité commensurable, centrale dans les Analyttiques 2. En
effet l’univocité de l’étant en ces termes, en connexion avec son rôle comme objet premier de l’intellect. L’étant,
conçu comme univoque à Dieu et aux créatures est le premier objet de l’intellect parce qu’il est universel et
commun à tous les intelligibles, « au sens de l’universel commensurable » définit par Aristote. Ceci permet de
penser l’unité de la science qui se peut se constituer en ontologie autonome, ou peut s’intégrer à la métaphysique
traditionnelle en définissant strictement le champs d’application de l’univocité.

Ces deux problèmes, celui de la fondation et celui de l’unité de la science métaphysique sont d’ailleurs liés, car il
pose la question de la possibilité de la science métaphysique, et donc d’un discours rationnel sur Dieu. C’est
aussi en fondant la science métaphysique que l’on peut élaborer une démonstration métaphysique de l’existence
de Dieu. C’est la seule façon, pour Duns Scot de défendre la possibilité d’un discours théologique. Le fait que
dans la discussion sur l’univocité de l’être il cite Anselme de Canterbury, pour montrer que si l’on refuse sa
thèse, l’on ruine l’argument du docteur du Bec. En somme c’est aux yeux du docteur subtil un moyen de
permettre aussi les arguments prouvant l’existence de Dieu, et de ne pas cantonner la théologie à n’être qu’un
objet de foi, dont on ne pourrait par aucun moyen en montrer le bien fondé intellectuellement.

L’univocité s’oppose à l’analogie, bien que cette opposition ne soit pas systématique. L’univocité s’oppose aux
deux formes d’analogie.3 L’analogie d’attribution qui est pensée sur la mode de l’imitation de la cause formelle. 4
formule une position C’est l’ancienne participation platonicienne, des êtres aux idées, qui d’ailleurs ne
distinguait pas deux formes d’analogie, mais subsumait les rapport sous le principe général de l’imitation et de la
participation à un modèle. Ce n’est pas fortuitement que l’on a pensé l’univocité, pour venir remplacer ou
compléter la doctrine de l’analogie, car la difficulté dans une doctrine de l’analogie à certains égards est de
permettre à la science métaphysique de posséder une unité suffisante. Tant que l’on maintient étroitement liée
dans le strict cadre d’une doctrine de type platonnicien, ou augustien, l’édifice de la métaphysique conserve toute
son unité. Mais plus on engage la métaphysique sur le terrain de l’aristotélisme, et plus il sera difficile de
1
Lectura § 110 ( XVI, 265)
2
Analytiques (I, 4)
3
Au sens strict, le terme désigne une identité de rapports, une ressemblance en profondeur unissant deux à deux les termes de
deux couples au moins.
Par exemple: Parce que le chef est à sa troupe ce que la tête est au corps, il y a analogie (identité de rapport) entre la tête et le
chef .

4
Comme une empreinte dans de la cire imite, le sceau sur la bague.

1
maintenir l’unité de cette science. C’est dans ce contexte de redécouverte des textes aristotéliciens que se situe la
querelle. Il s’agit pour Duns Scot aussi de permettre de penser comme un tout les attributs divins comme uns,
mais à la fois comme distinct, et c’est l’articulation de l’univocité de l’être et de la distinction formelle, et de la
distinction modale, qui permet de penser l’ensemble des attributs divins, qui sont univoquement selon le concept
d’être, mais analogiquement selon l’être réel prédiqués des créatures.

« L’univocité, qui passait, pour une destruction, est en fait la sauvegarde des deux sciences maîtresses : la
philosophie et la théologie. Elle le peut dans la mesure où elle est la condition de leur rencontre dans une
métaphysique. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que la destruction de l’analogie, a permis de dégager les
assises de la métaphysique comme science, puis de la refonder nouvellement sur l’univocité, et par là même, de
la sauvegarder, en l’articulant d’une autre manière à la théologie. »5

Définitions : « est univoque tout concept doué, d’unité suffisante. »6, entendue proprement « l’univocité désigne
« l’unité de raison de ce qui est prédiqué »7.
Universel : « j’appelle universel l’attribut qui appartient à tout sujet, par soi, et en tant que soi. » Seconds
Analytiques I, 4 (73 b 26-27)
Etantité : le fait d’être un étant.
« L’univocité désigne l’unité d’un même concept en tant qu’il est mis en œuvre dans une prédication. Elle peut
donc garantir l’identité de la science. » 8

Il y a donc remplacement de la synonymie, par l’univocité, et cela déplace la problématique du champs


sémantique ou peut se déployer l’équivocité par nécessité, au plan logique, où au contraire l’univocité s’impose
tout naturellement.
Le docteur subtil distingue trois sortes d’univocité : L’univocité logique, l’univocité métaphysique, et
l’univocité réelle. Ainsi l’univocité n’est pas incompatible avec l’analogie réelle, physique ou métaphysique.
L’analogie se voit donc plutôt fondée comme l’indispensable complément de l’univocité logique. 
Nous soutenons que l’univocité métaphysique, que nous préférons quant à nous qualifier d’univocité
intentionnelle, est un complément nécessaire à la doctrine de l’analogie qui la présuppose. Elle permet de penser
d’unifier la connaissance métaphysique, mais le concept d’être agit comme un genre et fonde l’unité matérielle
de la connaissance, car l’être est l’objet premier de l’intellect, et le plus universel, il possède le maximum
d’unité, il permet de penser intentionnellement l’unité entre l’être de Dieu et l’être de la créature. Le concept
d’être est semblable à un genre en ce sens que le genre est indéterminé par rapport aux espèces. Ens commune,
est l’image dans l’intellect de l’universalité transcendante, de l’Un suressentiel, de la Sainte Trinité. Cela
n’empêche pas de penser l’analogie réelle par proportions, ou par attribution.

L’univocité de Dieu et de la créature :

« Deuxièmement, je dis que Dieu n’est pas seulement conçu dans un concept analogue au concept de la
créature, c'est-à-dire [un concept] qui soit entièrement autre que celui qui est de la créature, mais dans un
certain concept univoque à lui et à la créature. Et pour qu’il n’y ait pas de conflit touchant l’univocité, j’appelle
concept univoque celui qui est un de telle façon que son unité suffise à la contradiction, quand on l’affirme et le
nie du même ; aussi, il suffit de tenir lieu de moyen terme dans un syllogisme, comme on conclut que des
extrêmes unis dans un moyen terme doué d’unité entre eux sans tromperie d’équivocité. »9

Nous n’utiliserons cinq pour démontrer l’univocité, nous fondant sur le travail conceptuel de Duns Scot:

5
cf Introduction à Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, par Olivier Boulnois. p 12
6
Ordinatio I,8, §89
7
Ibid
8
cf Introduction à Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, par Olivier Boulnois. p 13
9
Ordinatio I distinction 3 § 26

2
I « Premièrement ainsi : tout intellect certain d’un concept et doutant de plusieurs possède un concept dont il est
certain, autre que les concepts dont il doute ; le sujet inclut le prédicat. Mais l’intellect du voyageur peut être
certain à propos de Dieu qu’il est [un] étant, tout en doutant de l’étant fini ou infini, crée ou incréé ; donc le
concept d’étant à propos de Dieu est autre que ce concept-ci et celui-là, de soi il n’est ni l’un ni’ l’autre et il
inclus dans l’un et l’autre. Donc il est univoque. » 10

« Aucun concept identique n’est à la fois certain et douteux. Cela se déduit du principe de contradiction. Donc
tout concept douteux, ou bien n’est aucun concept effectif ou bien est distinct du concept certain. Dès lors, si je
doute de quelque chose, tout en étant certain de quelque chose, le concept dont je doute est autre que le concept
dont je suis certain.  C’est la majeure.»11

« Preuve de la mineure : chaque philosophe a été certain que ce qu’il posait pour premier principe était un
étant ; l’un à propos du feu, l’autre à propos de l’eau, était certain que c’était un étant, mais il n’ a pas été
certain que c’était un étant crée, ou incréé, premier ou non premier. En effet, il n’était pas certain qu’il était
premier , car alors il eut été certain du faux et le faux ne peut être su, ni ce qu’était un étant non premier, car
alors ils eussent posé le contraire. »
Il faut distinguer deux sens de premier : premier principe (arché, élément fondamental de la nature) et étant
premier (ens divinum :Dieu). L’on ne peut affirmer l’identité de ces deux sens sans erreur, et sans ruiner la
certitude. Mais, à l’inverse, l’imprécision du langage ne permet pas d’exclure cette identification. Ce que les
premiers physiciens posaient pour (premier) principe, ils le posaient dans la sphère de l’étant, et ils en étaient
certains à bon droit. Mais ils ne pouvaient être certains (discerner avec évidence) que leur principe était premier,
tout simplement parce qu’il ne l’était pas et qu’aucune évidence ne pouvait leur permettre de l’affirmer.

Lorsque le sujet inclut son prédicat, il s’agit ‘une attribution essentielle ou quidditative. Exemple « Dieu est un
étant. » L’on est sûr que Dieu est un étant, quelque doute que l’on est sur le concept. Ceci signifie que le concept
d’étant est donc « sous son mode universel » distinct des concepts particuliers auxquels il est sous-jacent, mais
demeure identique à lui-même dans ses diverses prédications, ce qui est la définition de l’univocité.
L’on objecte que l’on peut douter du même concept, et en être certain, selon le mode que l’on le conçoit. L’on
peut être sur de voir un homme, mais douter qu’il approche. L’on ne saurait donc poser à la fois comme certain
et douteux « sous le mode d’universalité » un concept, sans contradiction. Nous comprenons par là, que
considérer l’étantité d’un concept certain, c'est-à-dire sous son mode d’universalité c’est considérer l’univocité
de son concept. L’on peut affirmer ou nier les propriétés, d’un étant, mais l’on ne saurait douter de l’étantité en
général. L’on peut être certain que le premier principe est un étant en général, et douter si ce principe est tel étant
particulier, celui-ci ou celui-là.

Pour le prouver Duns Scot se fonde sur l’expérience : « chacun expérimente en soi-même qu’il peut
concevoir l’étant sans descendre à l’étant participé ou non participé » à la créature et à Dieu. Le concept
d’étant permet en même temps la possibilité de tous les concepts et l’effectivité de leur partie
fondamentale. Il a un sens à la fois transcendantal et historique. 12

II « Deuxièmement, voici mes arguments principaux : aucun concept réel n’est causé naturellement dans
l’intellect du voyageur, sauf par ces choses qui sont naturellement motrices de notre intellect. Mais celles-là sont
les fantasmes ( ou bien objet brillant dans le fantasme) et l’intellect agent. Donc aucun concept simple ne
survient dans notre intellect pour le moment, sauf celui qui pet survenir par la vertu de ceux-ci. Cependant, un
concept qui ne serait pas univoque à l’objet qui brille dans le fantasme, mais absolument autre, antérieur, et
auquel celui-là présenterait une analogie, ne peut subvenir par la vertu de l’intellect agent, et des fantasmes.
Donc un tel autre concept que l’on pose pour analogue ne se trouvera jamais naturellement dans l’intellect du
voyageur, et ainsi il lui sera impossible d’avoir naturellement aucun concept de Dieu, ce qui est faux.»

10
Ordinatio I distinction 3 § 27
11
cf Introduction à Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, par Olivier Boulnois. p 18
12
cf Introduction à Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant, par Olivier Boulnois. p 19

3
« Preuve de cette assomption : un objet quelconque, qu’il brille dans un fantasme ou dans une espèce
intelligible, avec la coopération de l’intellect agent ou de l’intellect possible, produit, suivant le maximum de sa
vertu et comme un effet qui lui est adéquat, son concept propre et le concept de toutes les choses essentiellement
et virtuellement incluses en lui. Mais cet autre concept qui est posé pour analogue n’est pas essentiellement ni
virtuellement inclus dans celui-ci, ni moins encore, n’est celui-ci. Donc celui-ci ne surviendra pas par [l’action]
d’un tel moteur. 

Et on confirme cette raison, car c’est un « objet » :outre son concept propre adéquat et le concept inclus en lui
selon l’une des manières mentionnées, rien ne peut être connu à partir de cet objet sinon par l’entremise du
discours ; mais le discours présuppose la connaissance de cette chose simple vers laquelle il court. Ce
raisonnement peut être mis en forme ainsi : aucun objet ne produit de concept simple et propre dans cet
intellect-[je veux dire] de concept simple et propre d’un autre objet-, s’il ne contient pas cet autre objet
essentiellement ou virtuellement. Or l’objet crée ne contient pas l’incrée essentiellement ou virtuellement, et ceci
sous cette raison qui lui est attribué, comme ce qui est postérieur essentiellement est attribué à l’antérieur
essentiellement, car il est contraire à la raison de « postérieur par essence » d’inclure virtuellement son
antérieur. Et il est manifeste que l’objet crée ne contient pas essentiellement l’incrée selon quelque chose qui lui
soit totalement propre et non commun. Donc il ne produit pas un concept simple et propre à l’étant crée.» 13

La chose simple vers laquelle il court est par exemple l’être, qui est le terme de tout mouvement comme le dit
Aristote. 14 Mais le discours suppose la connaissance de l’être vers laquelle tend toute chose. (L’être nous
l’entendons ici dans le sens d’énergie divine, qui est insufflée à toute chose). Donc l’on subsume la chose sous
un concept simple, et le discours, c'est-à-dire les raisonnements tendent à exprimer l’essence de cette chose et à
l’atteindre.

L’étant est pensé sous un concept objectif, et en tant qu’objet de pensée, il est aussi objet du discours logique, il
faut donc que le moyen terme liant le concept objectif de l’étant soit médiatisé par le moyen terme qui unit dans
un raisonnement syllogistique, la prémisse et la conclusion. Ce moyen terme est l’univocité de l’étant. Ce qui le
prouve est le fait que le sujet inclut virtuellement et essentiellement ses prédicats. Faire un raisonnement
syllogistique, c’est déployer ce qui est inclus dans le sujet, au moyen du moyen terme. L’univocité repose donc
sur l’unicité des termes. Comment prouver l’identité entre l’unicité des termes du raisonnement et l’univocité  ? Il
le fait comme suit :

L’objet crée ne produit pas un concept propre dans un intellect rappelant le concept propre de sa cause. Le crée
ne permet pas à l’intellect de penser l’incréé à partir du crée comme concept propre, car ce qui est postérieur
selon la cause n’inclut pas essentiellement ou virtuellement son antérieur selon la cause. Donc il ne produit pas
un concept simple propre à l’incréé en tant qu’incréé.

C’est donc seulement sous la raison commune de l’univocité de l’étant que l’étant créé peut
essentiellement produire dans l’intellect un concept commun, et non un concept propre, avec l’étant
incréé. Il y a donc donc bien raison commune. Or si le crée ne possède pas le concept propre d’incréé et ne
peut permettre à l’intellect de le connaître en tant qu’il est pensée comme étant, il existe dès lors unicité
entre un sujet et ses prédicats.

III « Troisièmement on argumente ainsi : le concept propre de quelque sujet est une raison suffisante pour
conclure de ce sujet toutes les choses concevables qui lui sont nécessairement inhérentes. Or nous n’avons
aucun concept de Dieu par l’entremise duquel nous puissions connaître avec suffisance toutes les choses
conçues par nous qui lui sont nécessairement inhérentes. C’est manifeste au sujet de la Trinité et de tous les
objets de la foi nécessaires»15

Autrement dit, si l’on admet que c’est par le concept propre de la chose, que l’on peut connaître tout ce qui lui
est inhérente, alors cela signifie que seule la théologie nous permettra de connaître Dieu. Car aucun concept de
Dieu adéquat ne peut être tiré de la connaissance des concepts propres d’un étant crée. En revanche si l’on admet
que l’être est un concept univoque commun au créateur et à la créature, l’on peut sans peine, parvenir à obtenir
une meilleure connaissance de Dieu, en considérant dans le concept d’être ce qui correspond à Dieu. Or si l’on
ne peut fonder une connaissance métaphysique des attributs divins, l’on risque de ruiner la métaphysique, en en
13
Ordinatio I distinction 3 § 35
14
Métaphysique livre teta chap 6 alinéa 21-22 l’œuvre est, en effet, ici la fin, et l’acte est l’œuvre.
15
Ordinatio I distinction 3 § 36

4
faisant une science régionale, et non une science universelle, cantonnée à être objet de foi, mais non objet de
connaissance.

« On prouve la majeure : nous connaissons les termes. Donc la majeure est manifeste à propos de tout ce qui
est concevable et qui est immédiatement inhérent au concept de sujet. Mais s’il est médiatement inhérent, on fera
le même argument à propos du moyen comparé au sujet- et, où que l’on s’arrête, on aura notre propos touchant
les [propositions] immédiates, et ensuite par leur entremis, les médiates seront sues. »16

Dans une proposition médiate, le prédicat se rapporte au sujet, par l’entremise d’un ou plusieurs moyens. Ceux-
ci à leur tour, sont inclus dans un sujet, et finalement le premier prédicat est immédiatement inclus dans le même
sujet. Les propositions médiates sont donc toutes résolubles en propositions immédiates, et tous les concepts
intermédiaires sont inclus dans le sujet premier. Si c’est par la connaissance des propositions immédiates, donc
évident par elles-mêmes, que l’on connaît les propositions médiates, il apparaît que pour connaître les étants, je
dois atteindre les propositions immédiates, le concernant. Or les propositions immédiates étant celles par
lesquelles l’on connaît, puisque l’on ne peut remonter au-delà d’elles, il est manifeste qu’elles sont aussi les plus
universelles, étant les plus universelles, ce sont ces propositions qui sont principes de connaissance. Or ce qu’il y
a de plus universel dans un étant est l’étantité de l’étant. L’univocité de l’étant est ce qui permet d’unir les
extrêmes d’un raisonnement syllogistique, car il l’on unifie par ce qui possède le plus d’unité, soit absolument
soit relativement, dans les raisonnements c'est-à-dire ici par le concept univoque d’étant. L’être est le concept
immédiat par lequel je connais le mieux les choses, et le plus universel.

Or en173 l’on a démontré que le sujet est un principe premier. Le sujet de la science métaphysique est démontré
être l’étant. En effet chaque science présuppose l’existence et la définition de son sujet («  ce qu’il est », « s’il
est ») 17 Le sujet est donc ou bien un principe premier ( qui n’a pas à être fondé), ou bien quelque chose de
démontré par la science supérieure. Mais si la métaphysique est la science première, (dans l’ordre de la rémotion,
et non absolument) elle ne peut reposer sur rien d’autre. Son sujet est donc totalement premier, indéterminable
par une définition antérieure : son concept est donc sans parties, et le plus simple que l’on puisse penser. Le sujet
de la métaphysique est donc l’étant. L’étant en tant que sujet, est à la fois ce qui dans toute substance est de plus
universel, et de mieux connu, incluant essentiellement ce qui est commun à tous les étants.

IV « De plus, quatrièmement, on peut argumenter ainsi. Soit une certaine « perfection absolue » a une raison
commune à Dieu et à la créature, et l’on a notre propos. Soit non, mais seulement [une raison] propre à la
créature, et dans ce cas la raison ne conviendra pas [à l’hypothèse.]. Soit elle a une raison entièrement en
propre à Dieu, et dans ce cas il s’ensuit que rien ne doit être attribué à Dieu pour la raison que c’est une
perfection absolue ; car ce n’est rien dire d’autre que : puisque sa raison, en tant qu’elle convient à Dieu, dit
une perfection absolue, lui-même [l’attribut] est posé en Dieu. Et ainsi périra, la doctrine d’Anselme,
Monologion, où il veut que si l’on met de côté les relations, dans toues les réalités, « tout X qui est absolument
meilleur que non-X doit être attribué à Dieu, et de même, tout ce qui n’est pas de cette sorte doit être écarté de
lui. »18 Donc, selon lui, on ne connaît en premier lieu qu’une chose est de cette sorte et en second lieu on
l’attribue à Dieu ; donc elle n’est pas de cette sorte exclusivement en tant qu’elle est en Dieu. » 19

Duns Scot formule à partir de la théorie de la perfection absolue les trois hypothèses possibles : I la perfection se
dit dans un concept commun et unique pour Dieu et la créature.
1°L’univocité est alors établie. Car cela signifie que dans le même sens on peut attribuer une perfection à Dieu
et à la créature en sachant que les perfections sont convertibles avec Dieu selon la flexion que permet la
distinction formelle.20
2° La perfection dite absolument se dit de la créature mais non de Dieu, ce n’est dans ce cas pas une vraie
perfection absolue. Donc la théologie par les trois voies serait impossible, cela ruinerait le discours théologique.
16
Ordinatio I distinction 3 § 37 (Seconds Analytiques I, 3 7é b18-23) ( Premiers Analytiques I, 26, 42 b 29)
17
Aristote Métaphysique E, I 1028 a 36)
18
Monologion 15 ( I 28-29) Ce qui peut ou ne peut pas être dit substantiellement.
19
Ordinatio I distinction 3 § 38
20
Chaque perfection étant considérée non pas comme distincte réellement de l’autre, ni distincte uniquement
selon une distinction de raison, c'est-à-dire selon une raison non fondée dans le réel, mais selon la formalité,
c'est-à-dire, le degré de distinction intermédiaire entre les deux autres distinctions. Cette distinction formelle
n’est pas sans rapport avec une distinction réelle, mais elle permet de penser des réalités qui ne sont pas séparées
les unes des autres, qui possèdent un grand degré de d’unité, mais qui sont néanmoins fondées sur une différence
objective de leurs concepts, ce que l’on nomme ici forme.

5
3° La perfection est propre à Dieu et exclusive de la créature. Dans ce cas on ne saurait rien assigner à Dieu à
partir des perfections absolues de la créature.

Ruiner l’univocité de l’attribution des perfections aux créatures au créateur, c’est ruiner la thèse d’Anselme,
c'est-à-dire interdire de prouver par la connaissance des créatures, la perfection de Dieu, et ruiner en général la
théologie. Or c’est d’une certaine façon aussi sur l’articulation étroite, entre l’analogie dite d’attribution et
l’univocité du concept d’être que repose, la preuve de l’existence de Dieu.

« On confirme encore cela, car dans ce cas « aucune perfection absolue » ne se trouverait dans la créature : la
conséquence est manifeste, puisque par hypothèse le concept d’aucune perfection de cette sorte ne conviendrait
aussi à la créature, selon lui, car l’analogique est imparfait- et sa raison ne serait en rien meilleure que ce qui
n’est pas lui-même, car autrement il serait posé en Dieu selon cette raison analogique. » 21

En effet si le concept de perfection était propre à Dieu, le concept de perfection ne se trouverait dans la créature
qu’analogiquement. Mais alors, s’il est une perfection absolue, il faut suivant le raisonnement d’Anselme, que
cette raison analogique soit plutôt que de pas être. Donc c’est cette raison analogique qui est en tant que telle
réalisée en Dieu. Donc il n’y a pas d’analogie entre le concept de perfection de la créature et celui attribué du
créateur intentionnellement, mais une identité complète, mais non selon une univocité réelle (substantielle). Ce
qu’il fallait démontrer. Ou bien il n’est pas une perfection absolue, mais une perfection incomplète, analogique
et finie, donc en soi une imperfection. Dans ce cas il n’est pas absolument meilleur pour elle d’être que de ne pas
être. Elle n’est donc pas attribuée à Dieu. Ce qu’il fallait démontrer.

« On confirme encore ainsi cette quatrième raison : toute enquête métaphysique à propos de Dieu procède en
considérant la raison formelle de quelque chose, en supprimant de cette raison formelle l’imperfection qu’elle a
dans les créatures, en réservant cette raison formelle, en lui attribuant totalement la perfection souveraine et en
attribuant cela à Dieu. Exemple de la raison formelle de sagesse (ou intellect) ou de volonté : en effet, on la
considère en soi et d’après soi ; et du fait que cette raison-ci n’enferme formellement aucune imperfection ou
limitation, les imperfections qui l’accompagnent dans les créatures sont écartées d’elle, et une fois réservée la
même raison de sagesse et de volonté, ces choses sont attribuées à Dieu de la manière la plus parfaite. Donc
toute enquête à propos de Dieu suppose que l’intellect ait un concept identique, univoque, qu’il reçoit des
créatures.»22

Il faut distinguer donc cinq moments de la méthode d’enquête métaphysique :

a) quelque chose de singulier et de conret est perçu (un tode ti, un aliquid), et en même temps conçu dans
sa raison formelle déterminée, dont la perfection n’est qu’une partie. C’est la connaissance du premier
genre ( chez Henri)
b) par un acte d’abstraction seconde la raison est conçue comme un universel abstrait des particuliers ;
l’intellect sépare dans le concept ce qui n’est pas séparé dans la chose. Connaissance du second type.
c) L’intellect isole cette raison restituée à toute son indifférence et sa neutralité foncière : la négation des
déterminations particulières écarte les imperfections de cette raison ; la connaissance du troisième genre
dans le cadre de l’univocité.
d) Les passions transcendantales, convertibles ou disjonctives, contractent cette perfection à son plus haut
degré d’éminence. Connaissance du quatrième genre dans une métaphysique de l’univocité.
e) L’extériorité de l’essence de Dieu par rapport à ses perfections demeure. (Elles lui sont attribuées
néanmoins comme à un sujet d’inhérence, du fait de son infinité)

Cette méthode d’enquête reprend les méthodes d’investigations de Saint Augustin et de Saint Denys
l’Aréopagite.

« Contre ceci, il y a encore une confirmation du quatrième argument indiqué plus haut, qui était tiré de
l’enquête au sujet de l’intellection que nous avons de Dieu par une investigation naturelle. Dans cette enquête,
nous séparons les raisons de la créature qui indiquent de soi une perfection de l’imperfection avec laquelle elles
sont dans les créatures, nous les considérons prises d’après soi comme indifférentes, et nous les attribuons à la

21
Ordinatio I distinction 3 § 38
22
Ordinatio I distinction 3 § 39

6
perfection souveraine. Et prises ainsi, souverainement, nous les attribuons au Créateur comme lui étant
propres. »23

Saint Augustin dit en effet : « Puisque, sans aucun doue nous mettons plus haut le Créateur que les choses
créées, il faut, et qu’il vive souverainement, et qu’il sente et entende toutes choses. »

« Il faut préférer les vivants à ceux qui ne vivent pas, ceux qui sont munis de sens à ceux qui ne sentent pas, les
intelligents à ceux qui n’entendent pas, les immortels aux mortels, les biens aux maux. »24

Argument qui ne serait pas valide si de telles perfections n’étaient pas de la même raison que celle de la sorte
attribuées souverainement à Dieu. En effet attribuer à Dieu selon l’analogie réelle, mais non équivoquement.
C'est-à-dire. En attribuant comme réellement analogique, les perfections créées à Dieu, en les dépouillant de leur
limitations. Si les perfections attribuées à Dieu selon un concept différent entièrement, l’on ne pourrait plus
attribuer à Dieu aucune perfection. En revanche l’univocité ne saurait être autre qu’intentionnelle au sens de
forme logique, c'est-à-dire, pour permettre l’opération logique d’attribution selon l’analogie. Si j’entendais la
bonté dans le sens strictement univoque de celui de la créature je ferai un blasphème, mais si j’attribue
analogiquement non le sens du mot du terme mais sa portée et sa prééminence cela s’avère possible dans la voie
d’éminence. En revanche selon la voie négative, je serai amené à nier l’univocité posée dans la voie d’éminence.

Saint Denys l’Aréopagite s’exprime ainsi: « Dans la nature qui embrasse la totalité de l’univers, c’est ainsi
également que les raisons de chaque nature sont rassemblées dans une seule unité sans confusion. Et dans l’âme
aussi, de façon unitaire, les puissances providentielles correspondent à chaque partie du corps entier. Il n’est
donc pas absurde de prendre appui sur ces images affaiblies pour remonter jusqu’à la Cause universelle sous la
forme de l’unité et de l’union. »25

Nous devons considérer la thèse de l’univocité de l’être sans laquelle il est possible que le fondement de la
métaphysique ne soit pas maintenu. En réalité l’unité de la métaphysique peut être maintenu par le bais de la
doctrine de l’illumination de l’âme par Dieu dans le cadre de la métaphysique augustinienne. Dieu est l’être
véritable, en tant qu’Etre parfait Dieu est aussi la Vérité absolu, in se ipsum, de ce fait la Vérité éclaire tout
l’univers, et par le biais des hiérarchies angéliques, Dieu éclaire l’âme et assure l’unité de la connaissance. La
métaphysique ne se constitue pas par l’examen de l’extérieur, mais par la connaissance intérieure. Cependant, il
n’est pas impossible de voir harmonieusement venir compléter l’édifice, qui n’en a guère besoin, au niveau de
l’unité « matérielle de la science de l’être » sur le plan logique, si l’on peut dire, et donner à la doctrine de
l’analogie en sus de son assise métaphysique, selon une conception réaliste des degrés formels dans l’être, l’unité
horizontale au moment de la formulation des conditions de possibilité de la métaphysique.

XI Le fondement de l’univocité intentionnelle est théologique : un certain maître pensait déjà l’être commun
comme univoque, mais comme dialectiquement articulé, à la théologie négative. L’univocité du concept ne
suppirme pas le caractère d’attribution, dans la mesure où le concept univoque attribué aux sujets analogués
implique la négation du moment existentiel.26 C'est-à-dire que conformément à l’enseignement de Saint Denys
l’Aréopagite, le concept le plus commun de l’être pensé indifféremment de tous les étants créatures, pour penser
intentionnellement. L’univocité permet matériellement ce qui permet de penser l’unité de la science, en formant
comme un substrat d’unité intellectuelle. L’unité formelle de la métaphysique vient en revanche de l’illumination
divine. Le concept d’être est ce qui est le plus abstrait et qui est formel par rapport à ce qu’il permet d’unifier
c'est-à-dire l’ensemble des étants, dans le concept univoque de l’être ( ou de l’étant), mais il est comme une
matière en étant constitué dans son unité par les énergies divines. Les énergies incréées étant supérieures à l’être
conçu univoquement selon son intentionnalité.

Conclusion

Rien n’interdit de penser que l’être qui est le concept le plus général puisse servir à unifier la pensée
métaphysique, qui n’est que le reflet affaibli des réalités contemplées par les véritables théologiens. Tout comme
Dieu est l’Etre véritable, il a laissé en nous la trace de sa perfection par le biais de l’illumination de sa grâce
qu’exerce en nous en permanence ses énergies. Le concept univoque d’être peut être considéré comme ce qui

23
Ordinartio I distinction 8 § 70
24
Saint Augustin De Trinitate (XV, chap 3 ou 6)
25
Les Noms Divins 821B (traduction de Maurice Gandillac)
26
Théologie mystique et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart p 322 et p 297

7
donne une unité à la métaphysique, à condition de laisser intacte la métaphysique réaliste de l’analogie de l’être
selon la participation.

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