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philosophique de Louvain
1 Traduction par J. L. Fidel, Odile Jacob, 2003. Le titre original est Looking for
Spinoza: Joy, Sorrow and the Feeling Brain, Harcourt, 2003.
2 «Le Spinoza protobiologiste de Damasio», dans La théorie spinoziste des
rapports corps/esprit et ses usages actuels, Hermann, 2009, p. 183-197.
Spinoza, cette thèse est absurde car, comme on vient de le rappeler, il n'y
a pas de causalité entre des modes qui n'ont pas un attribut commun. Dès
lors l'idée d'une espèce de mixte de l'âme et du corps (que Descartes
appelle «l'union») est, pour lui, une idée plus obscure que toutes les
idées obscures de la scolastique12.
La thèse cartésienne est cependant proche, remarque le philosophe,
de la croyance spontanée des hommes. Nous croyons que nous animons
notre corps par notre esprit car c'est consciemment que nous marchons
vers un but, que nous écartons un obstacle, que nous utilisons nos
membres pour un travail, etc. Il semble dès lors incongru d'affirmer que
le corps accomplit toutes ces actions sans l'aide de l'esprit. Spinoza n'est
nullement impressionné par cette objection. Pour lui, la conscience d'une
action ne prouve pas que cette action soit libre. L'enfant croit librement
désirer le lait maternel, le colérique croit librement se venger de son
ennemi et l'ivrogne croit librement révéler des secrets (ce qu'il ne tarde
pas d'ailleurs à regretter lorsqu'il est dégrisé). En réalité, la conscience
d'une action s'accompagne le plus souvent de l'ignorance des ses véri
tables causes. Il n'y a donc pas de raison d'écarter la thèse d'un ordre de
causalité susceptible de rendre compte des multiples actions que le corps
réalise à l'insu de la conscience. N'est-on pas étonné par les prouesses
d'un somnambule ou par celles des animaux? Il y a là tout un domaine
que nous ignorons et qu'il serait intéressant d'étudier13.
Spinoza remarque également que la thèse d'une volonté libre fait
intervenir l'idée d'une faculté, ou d'un pouvoir absolu, qui pourrait s'exer
cer de manière uniforme. Pour le philosophe, il faut rayer cette idée de
faculté qui résulte d'une abstraction14. En réalité, l'homme n'a pas le pou
voir de vouloir à sa guise: il a telle volition singulière, puis telle autre
volition singulière, puis telle autre volition singulière, etc. Chacune de ces
volitions n'est rien d'autre qu'une idée qui s'affirme dans l'esprit de
12 Éth., V, Introduction.
13 Éth., Ill, prop. 2 et surtout scolie. Damasio invoque cette déclaration pour pré
tendre que Spinoza admet une causalité du corps sur l'esprit. Mais le philosophe affirme
ici que le corps dispose d'une causalité autonome, indépendante de l'esprit, et non que le
corps exerce une causalité sur l'esprit.
14 Éth., II, prop. 48 et prop. 49. La critique des facultés comme abstractions vides
sera reprise par les psychologues expérimentaux. Ainsi, pour étudier une vertu comme le
courage, il faut décrire les différents actes qui composent ce comportement: affronter le
danger, rester calme, chercher une issue. La vertu abstraite devient alors un ensemble de
faits singuliers liés entre eux.
La servitude de l'homme
15 Contrairement à Descartes, Spinoza n'estime pas que la volonté affirme les idées
de l'entendement. Selon lui, les idées s'affirment d'elles-mêmes. Il en résulte que la
volonté et l'entendement sont une seule et même chose. Cette thèse est très importante
pour comprendre comment Spinoza traite le problème de l'erreur et celui de la libération
de l'homme.
16 Et h., II, prop. 49, scolie (réponse à la deuxième objection). Spinoza indique à un
correspondant qu'il a eu une hallucination un matin à Rijnsburg: il voyait à côté de lui
«un brésilien noir et crasseux». Cette image ne disparaissait pas mais elle s'affaiblissait
lorsqu'il regardait attentivement «un livre ou quelque autre chose». Cf. Lettre 17 à
Balling, dans Spinoza, Œuvres complètes (Pléiade), p. 1116.
Le problème de l'erreur
20 La critique de la théorie de l'erreur de Descartes est présentée dans Éth., II, prop.
49, scolie.
21 Sur les idées inadéquates, cf. Éth., II, prop. 24 à prop. 29 (avec le corollaire et le
scolie).
22 La critique de l'illusion finaliste est développée dans Éth., I, Appendice.
23 Pour Spinoza, seule une conception de Dieu se produisant lui-même et toutes les
choses de manière nécessaire permet de redresser l'illusion d'un Dieu créateur et provi
dence, se souciant des hommes. Le livre I de Y Ethique est tout entier consacré à l'établis
sement de cette thèse.
Le problème de la passion
24 Éth., Ill, prop. 9, scolie. L'effort de l'homme pour conserver son être s'appelle
«volonté» lorsqu'il est rapporté à l'esprit seul et «appétit» lorsqu'il est rapporté à la fois
à l'esprit et au corps. Le «désir» n'est pas différent de l'appétit sinon que l'homme en est
conscient.
25 Éth. Ill, prop. 11, scolie. Autrefois, on traduisait «affectus» par «sentiment» car
le terme d'«affect» n'était pas admis en français. Ce n'est que très récemment qu'il s'est
introduit dans les traductions sous l'influence de la psychanalyse.
26 Éth., III, Introduction.
27 Éth., Ill, prop. 13.
28 Éth., m, prop. 14 à prop. 17.
choses dont l'une est future ou passée. Dans ce cas, on trouvera des
affects comme l'espoir ou la crainte29.
Troisième cas: l'homme devant les affects d'autrui. En faisant inter
venir des affects de joie ou de tristesse chez l'autre que nous aimons ou
haïssons, on peut définir des affects comme la pitié, la haine, etc.30
Si quelqu'un voit se développer chez un autre un amour pour une
chose qui lui paraît initialement sans intérêt, il éprouve en lui l'envie, à
savoir le désir de posséder ce que l'autre possède. Ce qui compte dans
ce cas n'est pas la valeur de la chose mais l'attachement que l'autre lui
manifeste31.
Cette analyse (dont on n'a donné ici que quelques exemples)
débouche sur la question de savoir comment juger des passions. En règle
générale, il est permis de dire que toutes les passions liées à la joie
doivent être recherchées car elles augmentent la puissance d'affirmation
de l'homme. En revanche, toutes les passions liées à la tristesse doivent
être évitées car elles diminuent cette puissance d'affirmation. En effet, le
fondement de la vertu est l'effort même pour conserver son être et le
bonheur consiste à pouvoir le conserver32. Mais l'homme n'est qu'une
partie de la nature et il a besoin de beaucoup d'autres choses pour se
conserver dans l'être. Tant qu'il reste au niveau de l'imagination,
l'homme n'a que des idées inadéquates qui le rendent esclave de ses
passions. Est-il possible de s'affranchir de ces passions?
La libération de l'homme
ne pouvons cependant passer sous silence une autre libération qui consiste
dans le passage du temps à l'éternité. Loin d'être étrangère au système
spinoziste, cette seconde libération paraît bien en être l'aboutissement.
33 Sur les idées adéquates, cf. scolie de Éth., II, prop. 37 à prop. 40 (avec les scolies
1 et 2).
34 Eth., IV, 68, scolie. Spinoza donne en cet endroit une curieuse explication du
péché originel.
Éth., V, prop. 2 et prop. 3.
cette manière que Spinoza justifie les règles de conduite qu'il énonce
dans son texte. En effet, selon lui, tant que nous avons le pouvoir de
comprendre les choses, «nous avons aussi le pouvoir d'ordonner et d'en
chaîner les affects du corps selon un ordre conforme à l'entendement»40.
Le philosophe ne déclare cependant pas que l'homme est obligé de choi
sir l'ordre conforme à l'entendement. Cette perspective lui est étrangère
car, selon lui, lorsque la raison paraît, l'homme ne peut que suivre ses
indications. On peut toutefois se demander si, en supprimant l'obligation
d'un choix, le philosophe ne supprime pas aussi la responsabilité de
l'homme vis-à-vis de ses actes et sa capacité à décider de son être. La
question mérite d'être posée41.
L'accès à l'éternité
40 Éth., V, prop. 10. Dans le scolie de cette proposition, Spinoza rappelle tous les
endroits où il a indiqué ce qu'il appelle des «principes de vie», comme, par exemple,
vaincre la haine par l'amour, surmonter la crainte par un examen impartial des dangers, etc.
41 Cf., à ce propos, le livre resté classique de V. Delbos, Le problème moral dans la
philosophie de Spinoza et dans l'histoire du spinozisme, Alcan, 1893. L'auteur remarque
qu'il y a «une singulière anomalie» (p. 540) dans le système de Spinoza qui suppose que
l'homme doit développer son effort pour s'affirmer dans l'être sans dire comment ce déve
loppement est possible. Ainsi, «il y a dans la croyance au libre arbitre une part de vérité que
le déterminisme spinoziste découvre au moment même où il tente de l'exclure» (p. 546).
42 Éth., V, prop. 15.
43 Eth., V, prop. 25 et suivantes.
Conclusion
Damasio estime que les émotions ont leur source dans l'activité céré
brale et qu'elles jouent un rôle considérable dans la prise de décision e
la vie intellectuelle de l'homme. C'est sur la base de ces affirmations qu'il
se rallie à Spinoza. Mais est-on fidèle à Spinoza lorsqu'on fait des ém
tions des réponses encartées dans le cerveau? Il est vrai que l'auteur d
Y Éthique considère que les affects de l'esprit correspondent à ce qui s
passe dans le corps. Mais il ne développe, à ce propos, aucune considér
tion sur le cerveau. Pour lui, les affects que l'esprit rapporte au corps
s'imposent à la conscience et s'enchaînent sous l'effet de l'imagination
pour entraîner l'homme dans diverses passions. Quant au remède proposé,
il consiste essentiellement dans une prise de conscience de la nature de
passions sans qu'on puisse parler de véritable prise de décision à leur
propos. Divers commentateurs remarquent que, paradoxalement, Damas
est plus proche de la théorie des passions de Descartes que de celle de
Bibliographie
1. Textes de Spinoza
2. Autres textes
47 Traduction par M. Blanc, Odile Jacob, 1995 (Le titre original est Descartes'
Error: Emotion, Reason, and the Human Brains, Avon Books, 1994). Pour un jugement
critique sur cet ouvrage, cf. D. Kambouchner, «L'erreur de Damasio: la transition Des
cartes-Spinoza en psychophysiologie», dans La théorie spinoziste des rapports corpsI
esprit et ses usages actuels, Hermann, 2009, p. 199-215.