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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza

Author(s): Claude Troisfontaines


Source: Revue philosophique de Louvain , février 2013, Vol. 111, No. 1, Réduction et
émergence dans les neurosciences (février 2013), pp. 53-67
Published by: Peeters Publishers

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26481302

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Psychologie déterministe et projet éthique
chez Spinoza

Les neurobiologistes manifestent actuellement beaucoup d'intérêt


pour la philosophie de Spinoza. C'est le cas d'Antonio R. Damasio dans
son ouvrage, largement diffusé et traduit, Spinoza avait raison. Joie et
tristesse, le cerveau des émotions'. L'auteur soutient que ses découvertes
se situent dans le prolongement des affirmations du philosophe hollandais
et contribuent à les rendre plausibles. Mais le professeur américain est-il
fidèle à Spinoza? Une analyse du livre, réalisée par Chantai Jaquet2, émet
de sérieuses réserves. L'auteur signale que Damasio a bien cerné la thèse
centrale du spinozisme, à savoir que l'homme est «l'idée d'un corps»,
c'est-à-dire une réalité unique dont une face (l'idée, ou l'esprit ou encore
l'âme) s'explique par l'attribut Pensée et l'autre face (le corps) par l'attri
but Étendue. La tentation est grande cependant de considérer que la dua
lité pensée/étendue n'est que provisoire et que, finalement, l'esprit est de
«la même étoffe» que le corps. Jaquet reproche à Damasio de céder à
cette tentation en considérant l'esprit comme le résultat des réponses de
l'organisme «encartées» dans le cerveau (au cours de l'évolution de
l'espèce ou de l'histoire de l'individu). Mais c'est là soutenir un réduc
tionnisme étranger à l'auteur de VÉthique. En dépit de cette critique, ou
peut-être à cause d'elle, l'ouvrage de Damasio fournit une bonne occa
sion de revisiter la théorie spinoziste de l'âme et du corps et d'examiner
si une psychologie déterministe est conciliable, comme le soutient le
philosophe, avec un projet éthique de libération de l'homme.

Spinoza et la psychologie scientifique

C'est un fait que la philosophie de Spinoza a servi de cadre de réfé


rence à la psychologie scientifique de la fin du XIXe siècle. L'influence

1 Traduction par J. L. Fidel, Odile Jacob, 2003. Le titre original est Looking for
Spinoza: Joy, Sorrow and the Feeling Brain, Harcourt, 2003.
2 «Le Spinoza protobiologiste de Damasio», dans La théorie spinoziste des
rapports corps/esprit et ses usages actuels, Hermann, 2009, p. 183-197.

Revue Philosophique de Louvain 111(1), 53-67. doi: 10.2143/RPL.l 11.1.2967244


© 2013 Revue Philosophique de Louvain. Tous droits réservés.

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du philosophe sur la psychologie naissante a tenu à deux affirmations, à


savoir que les phénomènes psychiques sont rigoureusement déterminés
et que l'esprit ne dispose pas d'un libre arbitre. L'homme, en d'autres
termes, est un être de la nature et il ne constitue pas «un empire dans
l'empire»3. Les scientifiques ont été séduits par ces deux thèses même
s'ils n'ont pas toujours été fidèles à la lettre même du philosophe.

Une psychologie déterministe

La première thèse, l'affirmation d'un déterminisme psychologique,


a été dès le départ interprétée par les chercheurs de la fin du XIXe siècle
comme une causalité du physique sur le psychologique. La fameuse loi
de Gustav Fechner selon laquelle «la sensation croit comme le loga
rithme de l'excitation» avait ouvert la voie dès 1860. Mais c'est son
disciple, Wilhelm Wundt, qui a élargi le champ de l'enquête et a fondé,
en 1879, le premier laboratoire de psychologie expérimentale où la plu
part de chercheurs sont venus se former4. Les partisans de la nouvelle
discipline soutenaient que les phénomènes psychologiques (atteints par
observation interne ou introspection) étaient déterminés par des phéno
mènes corporels (atteints par observation externe) et ils tentaient de
mesurer cette détermination. C'est ainsi qu'on parlait à propos de cette
discipline de «psychophysiologie» et qu'on la rapprochait explicitement
de la philosophie spinoziste5.
Il est vrai que Spinoza admet une correspondance entre les modes
de l'esprit et les modes du corps, les deux séries se déroulant suivant un
même ordre et un même enchaînement. Le philosophe refuse cependant
toute causalité d'une série sur l'autre, ce qui rend sa position plus

3 Éth., Ill, Introduction. Nous renvoyons aux affirmations de l'Éthique en indiquant


le livre et la proposition (éventuellement, si nécessaire, d'autres divisions ou subdivisions).
La traduction de B. Pautrat, Seuil, 1988 a l'avantage d'être mise en regard du texte latin
de l'édition Gebhardt.
4 Parmi les fondateurs de la psychologie expérimentale, on cite également Théodule
Ribot en France, Alexander Bain en Angleterre et William James aux États-Unis.
5 Damasio signale que la référence à Spinoza a rapidement disparu de la psycho
logie expérimentale. Cette disparition a été la conséquence, selon nous, de la critique de
l'introspection considérée comme une survivance du mentalisme philosophique. On a ainsi
étudié le comportement de manière purement externe en faisant du cerveau une simple
«boite noire». Les progrès de l'imagerie cérébrale ont cependant permis d'étudier
l'activité neuronale accompagnant les activités cognitives et émotives. D'où l'essor de la
neuropsychologie et le renouveau d'intérêt pour Spinoza.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 55

complexe que celle de la psychologie expérimentale à ses débuts. Pour


lui, l'âme (ou l'esprit) est «l'idée d'un corps»6 et l'âme ressent ce qui se
passe dans son corps (lorsque celui-ci existe en acte) de même qu'elle
ressent ce qui se passe dans les autres corps (dans la mesure où ceux-ci
affectent son corps)7. Mais l'âme est un mode de la Pensée et le corps est
un mode de l'Étendue8. Or Pensée et Étendue sont deux attributs de
l'unique Substance et ces attributs n'ont rien de commun. Il ne peut donc
y avoir de causalité entre les modes de deux attributs différents car seul
le semblable peut causer le semblable9. On s'écarte donc de la pensée du
philosophe lorsqu'on supprime l'altérité radicale entre la Pensée et
l'Étendue, comme le faisait la psychophysiologie de la fin du XIXe siècle
et comme le fait à nouveau Damasio.
Mais comment Spinoza fonde-t-il la nécessité de l'enchaînement des
modes dans l'Étendue ou dans la Pensée? Il affirme que, sous chaque
attribut, une même cause (à savoir Dieu ou la Nature) se produit sous tel
mode fini qui appelle tel autre mode fini puis tel autre mode fini, et ainsi
de suite à l'infini10. Et c'est justement parce que Dieu se rend, de manière
immanente, «fini à l'infini» sous chaque attribut qu'il y a correspon
dance (mais non causalité) entre les modes des différents attributs.
Spinoza maintient donc l'irréductibilité de la Pensée et de l'Étendue tout
en affirmant qu'un même ordre, à savoir l'ordre de la Nature, régit les
modes des deux attributs11.

La négation du libre arbitre

La deuxième thèse qui a séduit les scientifiques chez Spinoza est la


négation du libre arbitre. Le philosophe est amené à mettre en évidence
cette thèse en s'opposant à Descartes qui soutenait que l'âme humaine
dispose d'une volonté libre lui permettant d'agir sur le corps (notamment
par l'entremise de la glande pinéale située dans le cerveau). Pour

6 Éth., II, prop. 13.


7 Éth., II, prop. 12 et prop. 14.
8 Remarquons que, suivant Eth., II, prop. 15, ni l'âme ni le corps ne sont simples.
Ce sont des modes qui comprennent eux-mêmes une multiplicité de modes.
9 Éth., I, prop. 2 et prop. 3.
10 Éth., II, prop. 9. Bayle et, à sa suite, Voltaire ont ironisé sur cette thèse. Lorsqu'un
chrétien tue un mahométan, il faudrait admettre que Dieu modifié en chrétien tue Dieu
modifié en mahométan. Notons que Spinoza a pris soin de dire que Dieu ne fait pas partie
de l'essence des choses particulières qu'il produit (Éth., II, prop. 10, scolie 2). '
11 Éth., II, prop. 6 et prop. 7.

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Spinoza, cette thèse est absurde car, comme on vient de le rappeler, il n'y
a pas de causalité entre des modes qui n'ont pas un attribut commun. Dès
lors l'idée d'une espèce de mixte de l'âme et du corps (que Descartes
appelle «l'union») est, pour lui, une idée plus obscure que toutes les
idées obscures de la scolastique12.
La thèse cartésienne est cependant proche, remarque le philosophe,
de la croyance spontanée des hommes. Nous croyons que nous animons
notre corps par notre esprit car c'est consciemment que nous marchons
vers un but, que nous écartons un obstacle, que nous utilisons nos
membres pour un travail, etc. Il semble dès lors incongru d'affirmer que
le corps accomplit toutes ces actions sans l'aide de l'esprit. Spinoza n'est
nullement impressionné par cette objection. Pour lui, la conscience d'une
action ne prouve pas que cette action soit libre. L'enfant croit librement
désirer le lait maternel, le colérique croit librement se venger de son
ennemi et l'ivrogne croit librement révéler des secrets (ce qu'il ne tarde
pas d'ailleurs à regretter lorsqu'il est dégrisé). En réalité, la conscience
d'une action s'accompagne le plus souvent de l'ignorance des ses véri
tables causes. Il n'y a donc pas de raison d'écarter la thèse d'un ordre de
causalité susceptible de rendre compte des multiples actions que le corps
réalise à l'insu de la conscience. N'est-on pas étonné par les prouesses
d'un somnambule ou par celles des animaux? Il y a là tout un domaine
que nous ignorons et qu'il serait intéressant d'étudier13.
Spinoza remarque également que la thèse d'une volonté libre fait
intervenir l'idée d'une faculté, ou d'un pouvoir absolu, qui pourrait s'exer
cer de manière uniforme. Pour le philosophe, il faut rayer cette idée de
faculté qui résulte d'une abstraction14. En réalité, l'homme n'a pas le pou
voir de vouloir à sa guise: il a telle volition singulière, puis telle autre
volition singulière, puis telle autre volition singulière, etc. Chacune de ces
volitions n'est rien d'autre qu'une idée qui s'affirme dans l'esprit de

12 Éth., V, Introduction.
13 Éth., Ill, prop. 2 et surtout scolie. Damasio invoque cette déclaration pour pré
tendre que Spinoza admet une causalité du corps sur l'esprit. Mais le philosophe affirme
ici que le corps dispose d'une causalité autonome, indépendante de l'esprit, et non que le
corps exerce une causalité sur l'esprit.
14 Éth., II, prop. 48 et prop. 49. La critique des facultés comme abstractions vides
sera reprise par les psychologues expérimentaux. Ainsi, pour étudier une vertu comme le
courage, il faut décrire les différents actes qui composent ce comportement: affronter le
danger, rester calme, chercher une issue. La vertu abstraite devient alors un ensemble de
faits singuliers liés entre eux.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 57

manière nécessaire15. Par exemple, si un enfant a la perception d'un cheval


ailé et uniquement cette perception, il affirmera inévitablement l'existence
de ce cheval ailé. C'est pour lui une hallucination irrépressible. Et pour
douter de cette hallucination, il ne suffit pas de faire intervenir un acte de
volonté, il faut lui opposer d'autres imaginations et d'autres idées16.
On commence ainsi à entrevoir la méthode que l'esprit doit utiliser
pour sortir de l'erreur et ultérieurement de la passion (les deux problèmes
étant étroitement liés). Ce n'est pas par un acte de volonté que l'esprit se
libère mais en affirmant des idées plus adéquates que celles qu'il possède
dans l'erreur ou dans la passion. Ce faisant, Spinoza ne ramène-t-il pas
l'acte volontaire à un acte intellectuel? Nous reprendrons cette question
en examinant comment Spinoza présente son projet éthique de libération.
Mais auparavant, il nous faut approfondir le problème de la servitude de
l'homme.

La servitude de l'homme

Selon Spinoza, l'homme est rendu esclave par l'erreur et la passion.


L'erreur trouve son origine dans le fait que l'homme a des idées par
tielles, inadéquates par rapport à la réalité. L'homme désire cependant
compléter ses idées et il imagine de nouvelles données qui se révèlent
illusoires. La passion a une origine semblable. L'homme imagine toutes
sortes de choses qui pourraient renforcer son effort de persévérer dans
l'être. Mais comme il a des idées inadéquates, il considère souvent des
choses accessoires comme les véritables causes de son affirmation dans
l'être et il s'en rend esclave. Dans les deux cas, ce sont les idées inadé
quates qui, jointes au désir, constituent l'origine de l'erreur ou de la
passion.

15 Contrairement à Descartes, Spinoza n'estime pas que la volonté affirme les idées
de l'entendement. Selon lui, les idées s'affirment d'elles-mêmes. Il en résulte que la
volonté et l'entendement sont une seule et même chose. Cette thèse est très importante
pour comprendre comment Spinoza traite le problème de l'erreur et celui de la libération
de l'homme.
16 Et h., II, prop. 49, scolie (réponse à la deuxième objection). Spinoza indique à un
correspondant qu'il a eu une hallucination un matin à Rijnsburg: il voyait à côté de lui
«un brésilien noir et crasseux». Cette image ne disparaissait pas mais elle s'affaiblissait
lorsqu'il regardait attentivement «un livre ou quelque autre chose». Cf. Lettre 17 à
Balling, dans Spinoza, Œuvres complètes (Pléiade), p. 1116.

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58 Claude Troisfontaines

Le problème de l'erreur

Spinoza aborde le problème de l'erreur en mettant Descartes, une


fois de plus, en ligne de mire. Pour le philosophe français, l'esprit se
trompe lorsque sa volonté dépasse les limites de l'évidence qui apparaît
dans son entendement17. Par exemple, je vois l'image brisée d'un bâton
plongé dans l'eau. Avoir une telle image ne constitue pas une erreur.
L'erreur consiste à affirmer que le bâton est effectivement brisé. Il n'y a
rien en effet dans l'image brisée du bâton qui autorise à affirmer qu'il
l'est réellement. Lorsque je fais cette affirmation je dépasse les bornes
de l'évidence et je cherche midi à quatorze heures.
Pour Descartes, l'erreur est rendue possible par le fait que la volonté
est infinie tandis que l'entendement est fini. Étant plus ample que l'enten
dement, la volonté est sans cesse tentée de dépasser les limites de l'idée
qui lui est donnée et l'erreur résulte de cette discordance entre deux
facultés. En soi, l'erreur n'est rien: c'est un «effet de surface» qui n'al
tère pas l'ordre profond des causes, à savoir celui des facultés de vouloir
et de comprendre. Mais, pour le sujet pensant, l'erreur est très désa
gréable: elle est comme une vibration provenant de pièces mal ajustées
et qui arrête son élan. Heureusement, à tout moment, le sujet a le pouvoir
d'aligner sa volonté sur son entendement: dans ce cas, la vibration cesse
comme par enchantement et le sujet peut reprendre le droit chemin.
Spinoza estime que Descartes a tort d'estimer la volonté plus ample
que l'entendement et d'en faire le pouvoir d'affirmation des idées. Pour
lui, en effet, on l'a déjà remarqué, les idées s'affirment d'elles-mêmes en
sorte que l'entendement et la volonté sont une seule et même chose18.
Comprendre c'est déjà vouloir. L'auteur de VÉthique précise à ce propos
que les idées ne sont pas des images passives des choses inscrites dans
l'esprit mais des conceptions actives qui s'affirment et se développent en
accord ou en désaccord avec d'autres idées19. Par ailleurs, la présentation
cartésienne lui paraît minimiser considérablement la portée de l'erreur
dans la vie humaine. Tout se passe comme s'il suffisait d'être un peu
attentif et de se garder de la précipitation pour éviter l'erreur. Mais
n'est-ce pas là considérer que l'erreur n'est pas grave et que l'esprit peut
toujours l'éviter?

17 La théorie de l'erreur de Descartes est développée dans la quatrième Méditation


métaphysique.
18 Eth., II, prop. 49, corollaire.
19 Eth., II, prop. 49, scolie (premier point: recommandations).

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 59

Pour Spinoza, l'erreur est autrement dangereuse20. En quoi consiste


t-elle? Elle consiste dans le fait d'avoir des idées partielles, «tronquées
et mutilées» qui présentent la réalité de manière inadéquate. Or, initiale
ment, en tant qu'«idée d'un corps existant en acte» l'homme n'a guère
d'autres idées que ces idées inadéquates correspondant aux rencontres
des corps se présentant, de son point de vue, de manière désordonnée.
L'homme est ainsi plongé au départ dans l'imagination, ou connaissance
du premier genre, qui est une connaissance très confuse21. Il est à noter
toutefois qu'une idée imaginative, comme telle, n'est pas fausse et Spi
noza admet qu'il est utile d'en avoir beaucoup. Mais quand il n'a qu'un
petit nombre d'idées imaginatives, l'esprit ne dispose que de quelques
pièces du puzzle et il cherche inévitablement à les compléter. C'est là
que réside l'origine de l'erreur: l'esprit introduit des données imagina
tives qui ne correspondent à rien pour combler son ignorance, ce qui
l'amène à s'égarer et s'enfermer dans l'illusion.
Pour l'auteur de l'Éthique, un bel exemple d'erreur est l'illusion
finaliste22. Celle-ci provient de la conjonction du désir et de l'ignorance.
Voyant que certaines choses sont disposées pour d'autres (les yeux pour
voir, la nourriture pour manger, le soleil pour éclairer, etc.), les hommes
s'imaginent que toutes les choses du monde sont des moyens pour réali
ser leurs désirs. Constatant, par ailleurs, qu'ils ne sont pas capables de
produire ces choses, ils imaginent que des dieux les ont mis à leur service
et demandent, en retour, un culte. La lecture finaliste du monde se met
ainsi en place et rien ne pourra plus l'arrêter, pas même les démentis de
l'expérience comme les catastrophes naturelles ou la souffrance des inno
cents. Il ne reste plus dès lors à l'homme qu'à se réfugier dans l'asile de
l'ignorance qui n'engendre que la crainte ou la résignation. Tels sont les
ravages de la superstition23. L'erreur est donc déjà une source de passion.
Il reste à examiner celle-ci plus en détail.

20 La critique de la théorie de l'erreur de Descartes est présentée dans Éth., II, prop.
49, scolie.
21 Sur les idées inadéquates, cf. Éth., II, prop. 24 à prop. 29 (avec le corollaire et le
scolie).
22 La critique de l'illusion finaliste est développée dans Éth., I, Appendice.
23 Pour Spinoza, seule une conception de Dieu se produisant lui-même et toutes les
choses de manière nécessaire permet de redresser l'illusion d'un Dieu créateur et provi
dence, se souciant des hommes. Le livre I de Y Ethique est tout entier consacré à l'établis
sement de cette thèse.

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60 Claude Troisfontaines

Le problème de la passion

Pour traiter du thème de la passion, Spinoza part de l'affirmation


suivante: l'homme est essentiellement un être dont tout l'effort (conatus)
est de persévérer dans son être et qui, en conséquence, désire nécessai
rement ce qui est susceptible d'augmenter sa puissance d'exister et,
notamment celle de son corps24. Lorsqu'il passe à une puissance plus
grande, l'homme est affecté d'un affect de joie et lorsque cette puissance
est diminuée, il est affecté d'un affect de tristesse25. Joie et tristesse sont
les deux passions fondamentales. En y joignant le désir qui porte à ima
giner l'objet qui augmente ou diminue la puissance d'être, Spinoza
reconstruit la plupart des passions recensées par les moralistes. Il les
traite, comme il le dit lui-même, comme s'il s'agissait de lignes, de plans,
et de corps, c'est-à-dire comme des produits nécessaires de la Nature26.
Voici quelques échantillons du travail du philosophe.
Premier cas: l'homme devant une seule chose. L'amour n'est rien
d'autre que la joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure qui
augmente la puissance d'être. La haine n'est rien d'autre que la tristesse
accompagnée de l'idée d'une cause qui diminue cette puissance27.
Deuxième cas: l'homme devant deux choses. Si une deuxième chose
est associée, de manière actuelle, à une chose qui nous cause ordinaire
ment de la joie (ou de la tristesse), cette seconde chose nous sera égale
ment cause de joie (ou de tristesse).
Il peut arriver aussi qu'une chose qui nous cause ordinairement de
la joie soit associée à une chose qui nous cause ordinairement de la tris
tesse. Dans ce cas, nous aimerons et nous haïrons cette chose en même
temps. L'état de l'esprit qui naît de deux affects contraires est le flotte
ment de l'âme28.

24 Éth., Ill, prop. 9, scolie. L'effort de l'homme pour conserver son être s'appelle
«volonté» lorsqu'il est rapporté à l'esprit seul et «appétit» lorsqu'il est rapporté à la fois
à l'esprit et au corps. Le «désir» n'est pas différent de l'appétit sinon que l'homme en est
conscient.

25 Éth. Ill, prop. 11, scolie. Autrefois, on traduisait «affectus» par «sentiment» car
le terme d'«affect» n'était pas admis en français. Ce n'est que très récemment qu'il s'est
introduit dans les traductions sous l'influence de la psychanalyse.
26 Éth., III, Introduction.
27 Éth., Ill, prop. 13.
28 Éth., m, prop. 14 à prop. 17.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 61

Variante de ce deuxième cas. L'homme se trouve devant deux

choses dont l'une est future ou passée. Dans ce cas, on trouvera des
affects comme l'espoir ou la crainte29.
Troisième cas: l'homme devant les affects d'autrui. En faisant inter
venir des affects de joie ou de tristesse chez l'autre que nous aimons ou
haïssons, on peut définir des affects comme la pitié, la haine, etc.30
Si quelqu'un voit se développer chez un autre un amour pour une
chose qui lui paraît initialement sans intérêt, il éprouve en lui l'envie, à
savoir le désir de posséder ce que l'autre possède. Ce qui compte dans
ce cas n'est pas la valeur de la chose mais l'attachement que l'autre lui
manifeste31.
Cette analyse (dont on n'a donné ici que quelques exemples)
débouche sur la question de savoir comment juger des passions. En règle
générale, il est permis de dire que toutes les passions liées à la joie
doivent être recherchées car elles augmentent la puissance d'affirmation
de l'homme. En revanche, toutes les passions liées à la tristesse doivent
être évitées car elles diminuent cette puissance d'affirmation. En effet, le
fondement de la vertu est l'effort même pour conserver son être et le
bonheur consiste à pouvoir le conserver32. Mais l'homme n'est qu'une
partie de la nature et il a besoin de beaucoup d'autres choses pour se
conserver dans l'être. Tant qu'il reste au niveau de l'imagination,
l'homme n'a que des idées inadéquates qui le rendent esclave de ses
passions. Est-il possible de s'affranchir de ces passions?

La libération de l'homme

Spinoza examine deux libérations de l'homme: la première s'effectue


au cours de la vie temporelle et consiste dans le passage de la passio
l'action. Ce passage suppose que l'homme accède à un second genre
connaissance qui comporte des idées adéquates et même parfois à un
sième genre de connaissance qui s'effectue par intuition. Nous exam
rons principalement cette libération qui s'effectue dans le temps. Mais n

29 Éth., Ill, prop. 18 et scolies.


30 Éth., Ill, prop. 21 et prop. 22.
31 Éth., HI, prop. 27. On a remarqué que Spinoza anticipe ici ce que Girard appeller
le «désir mimétique».
32 Éth., IV, prop. 18, scolie (cf. 1°).

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62 Claude Troisfontaines

ne pouvons cependant passer sous silence une autre libération qui consiste
dans le passage du temps à l'éternité. Loin d'être étrangère au système
spinoziste, cette seconde libération paraît bien en être l'aboutissement.

La libération dans le temps

Le problème de la libération de l'homme dans le temps revient à se


demander si l'homme est capable de passer de manière stable des pas
sions tristes aux passions joyeuses. La réponse est affirmative: grâce aux
idées adéquates, l'esprit peut transformer les passions passives en pas
sions actives. Il faut en conséquence se demander comment les idées
adéquates naissent et comment elles sont efficaces sur les passions.
Les idées adéquates naissent dans le prolongement de l'imagina
tion et constituent un deuxième genre de connaissance. Celui-ci se
développe parce que l'homme, au cours de ses rencontres occasion
nelles avec les autres corps, finit par repérer des similitudes dans tous
les corps et des liens de causalité entre eux. Il acquiert ainsi ce que l'on
appelle des «notions communes». Ces notions communes permettent
de dépasser la relativité fondamentale de la connaissance imaginative
qui ne connaît les autres corps qu'à partir du corps propre. L'homme
voit alors plus exactement où chaque chose se situe dans le tout: il
accède à la raison33.
Spinoza dit clairement que si les hommes accédaient à la raison dès
leur naissance, ils seraient exempts de passion et ne connaîtraient ni le
bien ni le mal34. Mais l'homme naît dénué de raison et il est d'emblée
soumis à de nombreuses passions. La tâche de se libérer de ces passions
est difficile mais non pas impossible. L'homme peut, par exemple, se
rendre compte que l'objet de son amour est indigne de ses faveurs et il
diminue de la sorte le désir obsessionnel qui l'y attache35. Il peut aussi
découvrir que les causes de ses craintes ne sont pas fondées, ce qui ôte
une grande partie de l'effroi qu'elles lui occasionnent. Il peut aussi
redresser l'orientation d'une passion en lui assignant de nouveaux objec
tifs. Par exemple, il est normal qu'un homme aspire à ce que les autres

33 Sur les idées adéquates, cf. scolie de Éth., II, prop. 37 à prop. 40 (avec les scolies
1 et 2).
34 Eth., IV, 68, scolie. Spinoza donne en cet endroit une curieuse explication du
péché originel.
Éth., V, prop. 2 et prop. 3.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 63

suivent sa manière de vivre. Mais si cette manière de vivre ne consiste


que dans la recherche de futilités personnelles, alors cette aspiration
conduit à la vanité. Au contraire, si cette manière de vivre consiste en un
dévouement pour tous les hommes, alors cette aspiration se mue en un
altruisme qui recherche le bien d'autrui36.
Il faut ajouter que la raison n'est véritablement efficace que si elle
utilise un affect plus fort que 1'affect de la passion qu'elle cherche à
vaincre37. Spinoza illustre joliment ce point en commentant la parole du
poète Ovide: «Je vois le meilleur et je l'approuve, mais je fais le pire»38.
Comment rendre compte de cette impuissance souvent constatée? Faut-il
invoquer une volonté libre qui, voyant pertinemment le bien, choisit le
mal par pure méchanceté? Cette volonté perverse n'a aucun sens pour
Spinoza. Pour lui, celui qui cherche à manifester sa liberté par la trans
gression, ne manifeste en réalité que la haine qui le dévore. Le philo
sophe reconnaît toutefois qu'une connaissance abstraite du bien n'est pas
efficace sans le désir. C'est ici que la faiblesse d'une connaissance pure
ment théorique se révèle. Il est clair qu'un affect envers une chose future
qui n'existe pas encore est plus faible qu'un affect envers une chose
passée ou présente. Or l'action de faire le bien apparaît comme une chose
future. Le désir de réaliser le bien risque donc très fort d'être contrarié
par des affects passés ou présents contre lesquels il importe de se prému
nir. Par exemple, si on veut porter secours à autrui, il faut lutter contre
le souvenir de tentatives malheureuses faites autrefois en ce sens et lutter
également contre ce qui s'oppose actuellement à la reprise d'une tentative
semblable.
Reste une dernière question. Un philosophe qui nie la volonté libre
est-il autorisé à parler d'une capacité à se libérer? Certains répondent que
Spinoza ne nie que le libre arbitre, c'est-à-dire le pouvoir de faire n'im
porte quoi sans raison, mais qu'il admet la liberté comme prise de
conscience du déterminisme39. Cette réponse contient une part de vérité

36 Éth., V, prop. 4, scolie.


37 Eth., IV, prop. 7 et prop. 14.
38 Éth., IV, prop. 17 et scolie.
39 Cf. par exemple, H. Atlan, Les étincelles du hasard, t. 2, Athéisme de l'Écriture,
Seuil, 2003. «L'éthique spinoziste n'est pas autre chose qu'un chemin vers la liberté et la
joie fondé, entre autres choses, sur la conscience réfléchie de ce que le libre arbitre est une
illusion», p. 228-229. L'auteur remarque que la conciliation du déterminisme où tout est
prévu et de la liberté intérieure nourrie par l'acquiescement se trouve également dans le
stoïcisme et dans la tradition juive, cf. p. 228, n. 40.

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64 Claude Troisfontaines

car la libération, pour l'auteur, consiste bien à passer d'une nécessité


subie à une nécessité consentie. Mais qu'est-ce que consentir s'il n'y a
pas de sujet qui consent? On peut répondre, en s'appuyant sur le texte
de l'auteur, que prendre conscience, c'est déjà consentir puisque l'enten
dement et la volonté sont une seule et même chose. C'est d'ailleurs de

cette manière que Spinoza justifie les règles de conduite qu'il énonce
dans son texte. En effet, selon lui, tant que nous avons le pouvoir de
comprendre les choses, «nous avons aussi le pouvoir d'ordonner et d'en
chaîner les affects du corps selon un ordre conforme à l'entendement»40.
Le philosophe ne déclare cependant pas que l'homme est obligé de choi
sir l'ordre conforme à l'entendement. Cette perspective lui est étrangère
car, selon lui, lorsque la raison paraît, l'homme ne peut que suivre ses
indications. On peut toutefois se demander si, en supprimant l'obligation
d'un choix, le philosophe ne supprime pas aussi la responsabilité de
l'homme vis-à-vis de ses actes et sa capacité à décider de son être. La
question mérite d'être posée41.

L'accès à l'éternité

Spinoza ne se fait guère d'illusion sur la vie en ce monde. En pen


seur du XVIIe siècle, il ne croit guère en un progrès des individus et de la
société. Selon lui, il est fatal que les hommes s'attachent aux choses
passagères qui les entourent et les rendent inconstants. Il ne faut ni
s'étonner de cette situation ni s'en indigner, il faut tout simplement la
comprendre. Pourtant, en dépit de cette constatation plutôt amère, le phi
losophe note que, dès cette vie, nous sommes capables de développer un
amour intellectuel de Dieu provenant de la connaissance intuitive42. Cet
amour contient une force nouvelle qui nous permet de considérer toutes
choses sous l'aspect de l'éternité43 et, en conséquence, de minimiser nos

40 Éth., V, prop. 10. Dans le scolie de cette proposition, Spinoza rappelle tous les
endroits où il a indiqué ce qu'il appelle des «principes de vie», comme, par exemple,
vaincre la haine par l'amour, surmonter la crainte par un examen impartial des dangers, etc.
41 Cf., à ce propos, le livre resté classique de V. Delbos, Le problème moral dans la
philosophie de Spinoza et dans l'histoire du spinozisme, Alcan, 1893. L'auteur remarque
qu'il y a «une singulière anomalie» (p. 540) dans le système de Spinoza qui suppose que
l'homme doit développer son effort pour s'affirmer dans l'être sans dire comment ce déve
loppement est possible. Ainsi, «il y a dans la croyance au libre arbitre une part de vérité que
le déterminisme spinoziste découvre au moment même où il tente de l'exclure» (p. 546).
42 Éth., V, prop. 15.
43 Eth., V, prop. 25 et suivantes.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 65

joies et nos souffrances temporelles. Cet amour prouve également qu'une


part de notre esprit est indépendante du corps et subsiste après la mort.
Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels44.
Il est à noter que, dans la vie temporelle comme dans l'éternité,
l'homme reste l'idée d'un corps qui existe. Dans la vie temporelle, il
s'agit d'un corps qui existe dans la durée et qui finit par mourir. Dans la
vie éternelle, il s'agit de l'idée du corps qui réside dans l'entendement
infini de Dieu et qui existe parce que cet entendement existe45. L'homme
reste donc bien un homme même si son être est complètement transformé
en passant du temps à l'éternité. Il ne connaît plus aucune passion car il
a perdu le souvenir de tout ce qui survenait dans son corps mortel. L'im
mortalité présentée par Spinoza peut paraître déconcertante mais on ne
peut nier qu'elle appartienne à son système. Celui-ci est en effet entière
ment animé par l'aspiration à une réalité fixe capable d'assurer un
bonheur constant46.

Conclusion

Damasio estime que les émotions ont leur source dans l'activité céré
brale et qu'elles jouent un rôle considérable dans la prise de décision e
la vie intellectuelle de l'homme. C'est sur la base de ces affirmations qu'il
se rallie à Spinoza. Mais est-on fidèle à Spinoza lorsqu'on fait des ém
tions des réponses encartées dans le cerveau? Il est vrai que l'auteur d
Y Éthique considère que les affects de l'esprit correspondent à ce qui s
passe dans le corps. Mais il ne développe, à ce propos, aucune considér
tion sur le cerveau. Pour lui, les affects que l'esprit rapporte au corps
s'imposent à la conscience et s'enchaînent sous l'effet de l'imagination
pour entraîner l'homme dans diverses passions. Quant au remède proposé,
il consiste essentiellement dans une prise de conscience de la nature de
passions sans qu'on puisse parler de véritable prise de décision à leur
propos. Divers commentateurs remarquent que, paradoxalement, Damas
est plus proche de la théorie des passions de Descartes que de celle de

44 Éth., V, prop. 23.


45 Éth., V, prop. 22.
46 Damasio prétend que cette immortalité est purement factice et qu'en réalité Spi
noza nie l'immortalité de l'âme. Jaquet cite différents textes qui vont formellement
l'encontre de cette interprétation.

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66 Claude Troisfontaines

Spinoza. Le philosophe français invite en effet l'homme à agir volontai


rement sur son corps et il développe, à cet effet, des considérations
physiologiques, non seulement concernant le cerveau, mais aussi concer
nant les différentes parties du corps qui accompagnent les passions. Mais
avant de produire son Spinoza avait raison, Damasio avait écrit un livre
intitulé L'erreur de Descartes. La raison des émotions47. En consultant ce
premier livre, on constate que l'auteur n'analyse pas le texte de Descartes
mais qu'il s'en prend uniquement à l'idée reçue d'un philosophe rationa
liste qui exclurait le rôle des émotions dans l'action volontaire et intellec
tuelle. Il s'agit là d'une méprise que l'on est fort étonné de voir reprise
par un chercheur réputé.

Université catholique de Louvain Claude Troisfontaines

Institut supérieur de philosophie


Place du Cardinal Mercier, 14, boîte L3.06.01
B - 1348 Louvain-la-Neuve

Bibliographie

1. Textes de Spinoza

Œuvres complètes, texte nouvellement traduit ou revu, présenté et annoté par


R. Callois, M. Francès et R. Misrahi, Paris, Gallimard (Bibliothèque de
la Pléiade), 1956.
Éthique, traduction par B. Pautrat, avec en regard le texte latin établi par
C. Gebhardt. Paris, Seuil, 1988.

2. Autres textes

Atlan, Henri (2003). Les étincelles du hasard, t. 2, Athéisme de l'Écriture. Paris,


Seuil.

Damasio, Antonio R. (1995). L'erreur de Descartes. La raison des émotions,


traduction par M. Blanc, Paris, Odile Jacob. (Titre original: Descartes'
Error: Emotion, Reason, and the Human Brain, Avon Books, 1994).

47 Traduction par M. Blanc, Odile Jacob, 1995 (Le titre original est Descartes'
Error: Emotion, Reason, and the Human Brains, Avon Books, 1994). Pour un jugement
critique sur cet ouvrage, cf. D. Kambouchner, «L'erreur de Damasio: la transition Des
cartes-Spinoza en psychophysiologie», dans La théorie spinoziste des rapports corpsI
esprit et ses usages actuels, Hermann, 2009, p. 199-215.

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Psychologie déterministe et projet éthique chez Spinoza 67

— (2003). Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions,


traduction par J. L. Fidel, Paris, Odile Jacob. (Titre original: Looking for
Spinoza: Joy, Sorrow, and the Feeling Brain, Harcourt, 2003).
Delbos, Victor (1894). Le problème moral dans la philosophie de Spinoza et
dans l'histoire du spinozisme, Paris, Alcan.
Jaquet, Chantai (2009). «Le Spinoza protobiologiste de Damasio», dans La
théorie spinoziste des rapports corps!esprit et ses usages actuels. Éd. par
Chantai Jaquet, Pascal Sévérac, Ariel Suhamy, Paris, Hermann, 2009,
p. 183-197.
Kambouchner, Denis (2009). «L'erreur de Damasio: la transition Descartes
Spinoza en psychophysiologie», dans La théorie spinoziste des rapports
corps!esprit et ses usages actuels. Éd. par Chantai Jaquet, Pascal Sévérac,
Ariel Suhamy, Paris, Hermann, 2009, p. 199-215.

Résumé — Prenant occasion du livre de A. R. Damasio faisant de Spinoza


un précurseur de la neurobiologie, l'A. réexamine le texte de F Ethique. Il est vrai
que le philosophe considère l'homme comme l'idée d'un corps et ne lui attribue
pas de libre arbitre. Mais, selon lui, l'esclavage de l'homme (qui consiste dans
l'erreur et la passion) provient de ce qu'il ne possède au départ que des idées
inadéquates (c.-à-d. partielles et mutilées) dues à la situation particulière de son
corps parmi les autres corps. La libération ne peut dès lors venir que de l'acqui
sition d'idées adéquates et intuitives: elle relève donc d'une prise de conscience
et non d'une action sur les conditions corporelles.

Abstract —Making use of the opportunity presented by A.R. Damasio's


book that makes Spinoza a precursor of neurobiology, the A. re-examines the
text of the Ethics. It is true that the philosopher considers man to be the idea of
a body and does not attribute free will to him. But in his view the slavery of man
(which consists in error and passion) arises from the fact that at the start he
possesses only inadequate (that is, partial and mutilated) ideas due to the
particular situation of his body among other bodies. Liberation can only come
from the acquisition of adequate and intuitive ideas : it has to do therefore with
becoming aware and not with action on corporeal conditions (transi. J. Dudley).

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