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CS LA REVELATION

BP : 30455 Tél : 22 61 13 34 Classe : Tle D1


Année Scolaire : 2023-2024 Prof : M. AWOKOU

(Suite du support)
2.5- Philosophie comme réflexion et critique.

Toute œuvre philosophique a pour point de départ la réflexion. Etre philosophe, c’est
réfléchir sur le savoir, le questionner et se questionner soi-même. La réflexion est une sorte
d'élaboration de la pensée résultant d'un examen des actes ou des faits par un retour sur soi-
même »1. La réflexion philosophique consiste en un retour sur soi-même de l’esprit, de la
pensée. C’est se réinterroger sur la connaissance, sur sa connaissance. Cela fait de la
connaissance philosophique, une connaissance non du premier degré mais du second degré, une
connaissance de la connaissance, un savoir du savoir. Edmund Husserl déclarera à ce sujet
que : « quiconque veut vraiment philosopher devra une fois dans sa vie se replier sur soi-même
et, au dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les
reconstruire ». Une telle démarche est essentiellement critique en ce sens qu’elle conduit à se
méfier des certitudes, des évidences premières, des réponses toutes faites.
Bien que le philosophe ait devant lui une tradition, un passé, une histoire dont il ne peut
se passer – la tradition philosophique en l’occurrence les théories, les systèmes philosophiques
– il est appelé à en prendre connaissance non dans le but de s’incliner devant elle (ie cette
tradition) ou d’en faire acte de commémoration, mais de s’en emparer comme outils « en vue
d’élaborer sa propre pensée »2 comme l’écrit Hegel. La pensée philosophique est un fond sans
fin qui prend une forme donnée en un moment précis chez un théoricien donné. Mais ces
théories ne sont que « des réponses possibles et jamais définitives »3. La philosophie n’est de
ce fait qu’« une tâche inachevée et ouverte sur l’infini ». L’attitude philosophique, marquée par
une exigence de réflexion critique, de questionnement et de vérité qui a pris corps avec le
miracle grec, consiste à prendre appui sur les œuvres des devanciers et à oser ensuite les re-
penser soi-même. Tout cela fera dire à Emmanuel Kant qu’« il n’y a pas une philosophie que
l’on puisse apprendre. On ne peut qu’apprendre à philosopher ». Nous pouvons dire en bref
que, contrairement à l’attitude naturelle marquée par la naïveté, l’absence de critique, de
questionnement qui consiste à considérer tout ce qui est, comme une évidence, en se renfermant
dans un dogmatisme orgueilleux et fanatique, la philosophie, même face à ce qui peut être
considéré comme acquis, interroge. Pour le philosophe, les questions sont plus importantes que
les réponses (Cf. Jaspers : toute réponse en philosophie donne lieu à une nouvelle question. Ce
qui fait que la philosophie « se trahit elle même lorsqu’elle se dégénère en dogmatisme c'est-
à-dire en un savoir mis en formule, définitif et complet »).

Exercice d’entraînement
Qu’est-ce que la philosophie ?

LA SOPHISTIQUE

En pleine effervescence intellectuelle, la Grèce Antique dont le modèle du philosophe


accompli d’après Platon se trouve être le personnage de Socrate, était sillonnée en long et en
large par des individus qui enseignaient de cité en cité contre rémunération. Il s’agit entre autres
de Protagoras, de Gorgias, de Hippias. Ces individus sont connus en majeur partie par les
récits qu’en a faits Platon dans ses dialogues. Platon les présente en constante opposition avec
Socrate à cause de leurs discours élégamment tournés qui cherchent à flatter l’auditoire et à le

1
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2
Hegel, Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques.
3
Hegel
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séduire mais, qui ne comportent que des arguments fallacieux, faux. Pire encore, Protagoras
d’Abdère qui est l’une des figures illustres de ce courant affirmait que « l’homme est la mesure
de toute chose, de celles qui sont, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas ». Ce faisant, il
semble, selon Platon, réduire la sensation, la connaissance des choses à la simple appréhension
individuelle. Tout devient relatif.
Cette large utilisation des paralogismes et surtout leur « sens aigu du relativisme » ont
conduit Platon à faire en sorte que « le nom même de « sophiste », qui signifie « savant » (…)
soit devenu synonyme de possesseur d’un faux savoir, qui ne cherche qu’à tromper, et faisant
pour cela un large usage du paralogisme ». écrit Romeyer Dherbey.

3- Objet et méthodes de la philosophie

La philosophie est une discipline assez spéciale qui n’a ni un objet d’étude au singulier
ni une seule méthode. S’il est vrai que sa façon de procéder repose généralement sur le
questionnement, ce dernier a plusieurs manifestations, conformément aux différentes
représentations de l’objet étudié.

3.1- Objet

D’un point de vue global, on peut dire que la philosophie a pour objet le réel ou l’être,
mais aussi le non être. Seulement, ces deux objets ont de différentes manières de se présenter
selon les époques. La philosophie reste donc fille de son temps. Elle tient toujours compte de
toutes les valeurs spirituelles de son temps soit pour les approuver soit pour les réfuter
occasionnant leur transformation.

A ses débuts dans l’univers de la Grèce Antique, la philosophie était orientée vers la
nature. Les premiers philosophes portaient leur attention essentiellement sur la nature « physis »
et cherchaient à rendre intelligible par la raison l’origine et les transformations naturelles. C’est
ainsi qu’ils furent conduits à questionner le principe premier (Archè), l’élément originaire qui
serait cause et raison d’être de tout. Plusieurs hypothèses sont à retenir dans cette investigation
des Philosophes :
pour Thalès, c’est l’Eau ;
L’Apeiron (traduisant : l’infini, l’indéterminé, l’illimité) pour Anaximandre ;
L’Air pour Anaximène ;
Le Feu pour Héraclite ;
L’Etre pour Parménide ;
Le Nombre pour Pythagore ;
Empédocle parle des quatre premiers éléments (Terre, Eau, Air, Feu) en relation avec l’Amour
et la Haine : l’Amour entre ces éléments donne naissance aux astres en harmonie dans
l’univers ; la Haine entre eux donne les êtres particuliers ;
Anaxagore évoque le Noùs (l’Intelligence ou la Raison) ;
Les Atomes pour Démocrite.
La philosophie était carrément à ce moment de la Physique.
Avec Socrate dont la préoccupation fondamentale est la connaissance de l’homme
(faisant sienne la formule inscrite sur le fronton du temple de Delphes « homme connais-toi,
toi-même ») et sa conduite dans la cité, la philosophie va devenir Ethique ou Morale (les deux
termes ne traduisant qu’une même réalité à l’époque).

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Avec des auteurs comme Platon, Euclide de Mégare, Zénon de Citium, l’objet de la
philosophie sera le raisonnement en jeu dans ses deux premières manifestations (ie la physique
et la morale) : elle devient de la Dialectique ou la Logique.
Un peu plus tard dans l’histoire, la philosophie chez des auteurs comme Hobbes et
Rousseau, aura pour objet la conduite de la cité, de la société : elle sera donc de la Politique ou
de la Philosophie politique.
Pendant qu’elle s’occupera des sciences et de leur évolution, comme dans les travaux
de Bachelard, elle renvoyait, comme on l’a dit plus haut, à l’Epistémologie.
Mais dans la mesure où la philosophie s’intéresse à des questions relatives à l’existence,
la destinée humaine (comme dans les travaux de Jankélévitch), la condition humaine, la mort,
Dieu, le paranormal, ou tout simplement de ce que Kant appelle le noumène, on parlera de la
philosophie comme étant de la Métaphysique. Etc.
En bref, l’objet de la philosophie est le réel. Et par réel, il faut entendre ce qui existe
non seulement concrètement de façon palpable (l’homme, les faits sociaux, …), mais aussi à
l’état d’idée ou imaginaire (la justice, la vertu, la liberté, l’âme, Dieu …).

3.2- Méthodes

La méthode renvoie, de façon générale, à la manière de procéder pour atteindre un but, un


résultat. C’est la démarche à suivre. Si philosopher consiste à se mettre en route (Jaspers), il
est important de savoir quel chemin prendre et comment le prendre. L’activité philosophique
est éminemment méthodique en ce sens qu’en faisant de la recherche de la vérité sa priorité, sa
finalité, le philosophe est amené à discipliner son esprit pour pouvoir distinguer les pseudo-
vérités, les opinions, les préjugés de la connaissance vraie, rationnelle. Même si les systèmes
philosophiques n’ont pas une approche méthodologique univoque, toute démarche
philosophique adopte une démarche critique axée sur la logique, élément moteur de toute
méthodologie philosophique. C’est ainsi que peuvent être dénombrées plusieurs méthodes en
philosophie : la réflexion, la maïeutique et l’ironie (chez Socrate), la dialectique
platonicienne, le doute cartésien, le doute sceptique, la critique, la contradiction, etc.
Rendons compte de quelques-unes.

- Ironie et Maïeutique socratiques

Du grec eirôneia c'est-à-dire action d’interroger en feignant l’ignorance, l’ironie


acquiert son statut de méthode philosophique avec Socrate à travers son affirmation : « je ne
sais qu’une chose c’est que je ne sais rien ». Dans sa quête de la vérité, Socrate soumettait ses
interlocuteurs (les sophistes pour la plupart) à une série de questions, les contraignant de la sorte
à formuler leurs opinions. Socrate adopte par la suite la réponse qu’ils lui proposent et fait
apparaître les contradictions internes à leurs jugements. Ses interlocuteurs se trouvent alors
contraints de reconnaître qu’ils ne savaient rien de ce qu’ils croyaient connaître. C’est alors que
débute véritablement la recherche philosophique.
L’ironie conduit ainsi à se rendre compte de son ignorance, de son erreur et donc à se
libérer des opinions et de rechercher la vérité. Une fois que son interlocuteur est conscient de
son ignorance, Socrate sans l’endoctriner va plutôt l’aider à réfléchir par lui-même. Pour
Socrate, l’âme (avant d’incarner un corps) ayant contemplé les vérités éternelles, « est grosse
de connaissances ». Toutefois, à cause de son séjour dans le corps, elle oublie tout. De ce fait,
lorsque par l’Ironie l’individu arrive à se rendre compte de son ignorance, il suffit de l’interroger
pour qu’il résolve ses erreurs en puisant en lui-même. C’est la Maïeutique – Du grec maieutikê

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– c'est-à-dire « l’art d’accoucher les esprits ». La maïeutique entretient de ce fait un lien étroit
avec la réminiscence.

- Doute cartésien

Du latin cogitare, « balancer », le doute consiste en une suspension de jugement devant


ce qui se présente comme une vérité, afin de l’examiner et de mettre à l’épreuve son bien-fondé.
L’exigence philosophique astreint à n’admettre pour vraie une connaissance qu’après l’avoir
passée au crible d’un doute, un doute méthodique. Pour ce faire, René Descartes après avoir
étudié toutes les sciences et arts – mathématiques, physique, Théologie, poésie,… – a entrepris
de se débarrasser de toutes les opinions reçues auprès de ses maîtres ou acquises dans les livres.
Il décida dès lors de soumettre toutes ses connaissances à l’épreuve du doute afin que, dit-il :
« je fisse toute la différence et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je
pourrai imaginer le moindre doute afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose
en ma créance, qui fut entièrement indubitable »4. Il fit ainsi table rase, tabula rasa, de ses
connaissances. A partir de là, une seule évidence ou certitude lui apparaît ; s’il lui est possible
de douter c’est parce qu’il est un sujet existant au cas échéant il ne saurait penser. De ce fait,
l’existence de l’être, la preuve absolue de l’existence devient le point de départ de toute
certitude philosophique. D’où le « cogito ergo sum », « je pense donc je suis ». Ce qui est
important à ce niveau est que le doute méthodique est un moyen en vue d’une fin, d’une
certitude. Bien que radical parce que refusant le vraisemblable et n’admettant pas
d’intermédiaire entre le vrai et le faux, il est un doute provisoire, volontaire donc constructif. Il
est animé d’un esprit critique ouvert et optimiste. Il est à l’opposé du doute sceptique (prôné
par Pyrrhon) qui doute même de la possibilité de la raison à connaître en mettant en cause sa
valeur. Le doute sceptique est animé par l’esprit de critique et entretient le doute pour le doute.
Le doute cartésien ou méthodique se pose de ce fait comme une voie royale vers la vérité, un
chemin par excellence pour l’esprit.

4- Philosophie et autres formes de savoir

Depuis qu’il a été noté le détachement de la philosophie des sciences, la question qui
est posée est celle de savoir les relations qui existent entre elles et la philosophie.

4.1- Philosophie et science

Si comme précédemment souligné, la science et la philosophie avaient dans le monde


Antique un destin commun avant de se détacher l’une de l’autre, l’on ne cesse de penser la
philosophie dans un rapport d’opposition, tant par rapport à son champ d’étude, à ses démarches
qu’à ses résultats, au savoir scientifique. Définie comme une connaissance rationnelle fondée
sur l’observation et l’expérimentation de l’homme et de l’univers, la science apparaît comme
pouvant résoudre à elle seule toutes les difficultés auxquelles l’homme est confronté en lui
faisant connaître la totalité des choses qui existent. Elle va jusqu’à faire croire comme le dit
Gourant qu’elle peut permettre l’ouverture d’esprit et l’émancipation morale.
Cependant, force est de constater que le progrès scientifique est plutôt accompagné
d’une crise profonde des valeurs. Face à l’impératif de résolution de ces crises, la philosophie
apparaît comme un outil incontournable. De ce fait, science et philosophie ne doivent pas être

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Descartes, Discours sur la méthode. 4
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pensées dans un rapport d’opposition mais de complémentarité. Sans la philosophie, la science


perd de vue la spiritualité et la science permet à la philosophie d’éviter l’irréel « il faut
reconnaître que l’élément philosophique et l’élément scientifique quoique distincts l’un de
l’autre, se combinent et s’associent dans le développement naturel et régulier de l’activité
intellectuelle »5 écrit Cournot. Si le comment est utile, le pourquoi l’est aussi.

4.2- Philosophie et littérature

Bien que la littérature soit d’avantage tournée vers l’inspiration et l’imaginaire, elle
puise de la philosophie le sens de la rédaction logique et de la clarification des concepts. La
philosophie inspire le littéraire dans ses engagements pour des causes diverses : la littérature
engagée.

4.3- Philosophie et religion

De façon apparente, la philosophie et la religion s’intéressent à des questions similaires,


l’existence de Dieu, la destinée de l’homme… Cependant alors que la religion s’appuie sur la
foi, la révélation pour justifier ses réponses, la philosophie adopte une démarche rationnelle
éminemment critique pour démontrer ses observations. Même si le Dieu du métaphysicien n’est
pas celui du croyant, Thomas d’Aquin fera ressortir qu’il faut que les vérités rationnelles
secondent celles révélées.

Exercice d’application

La philosophie s’oppose-t-elle à la science ?

Résolution

Il s’agit du problème du rapport entre la philosophie et la science.

Au premier abord, on peut dire que la philosophie et la science se distinguent l’une de l’autre
sur plusieurs plans.

1- Divergence entre philosophie et science

- Au niveau de l’objet ou du champ d’étude

La science au sens étroit du terme (ie au XXe siècle), est toute discipline cherchant à
ramener les phénomènes observés par le moyen de l’expérimentation et de la mesure. Elle
permet de chercher la cause qui appelle les effets des phénomènes à l’existence afin de les
prévoir et les contrôler. Elle n’est jamais figée ; elle est en perpétuelle élaboration. La science
est cosmocentrique (elle ne s’occupe que de la matière sensible ou du phénomène) et cherche
les lois qui lient un phénomène à un autre. Quant à la philosophie elle est dite, depuis Socrate,
anthropocentrique. Elle s’intéresse bien sûr à la matière, mais aussi et surtout à l’esprit. C'est-
à-dire, pour parler comme Kant qu’elle traite et du phénomène et du noumène. En d’autres
termes, elle traite des choses matérielles comme la science et des choses spirituelles ou
imaginaires (Dieu, liberté, vie…) à la différence de la science.

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Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances 5
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- Au niveau de la méthode

Il faut dire que c’est au niveau de la méthode que les deux disciplines se divergent le
plus. Le scientifique pose la question : comment ? (comment fonctionne la chose afin d’en tirer
des lois qui la contrôlent, et s’arrête là). Alors que le philosophe pose la question : pourquoi ?
Par cette question, la philosophie cherche à trouver ou à justifier la raison d’être, le premier
principe ou le fondement de la chose. Il faut aussi ajouter que la science procède par
expérimentation alors que la philosophie procède par interrogation et analyse du discours. Le
philosophe ne va pas au laboratoire ; du moins pas à l’instar du scientifique.

- Au niveau des résultats

Les résultats des sciences sont pratiques et exactes (cf. les prouesses accomplies en
médecine, physique, math, aéronautique, transport, communication, etc.), même si des fois c’est
temporairement. Alors que ceux du philosophe ne sont pas pratiques telle qu’on peut entendre
pratique dans le domaine de la science. Ils sont plus théoriques. La philosophie est spéculative,
parlant des sujets métaphysiques qu’elle aborde. Mais cet écart qui s’étend entre la philosophie
et la science ne peut-il pas être conflué ?

2- Convergence entre philosophie et science

Il est possible de voir une certaine collaboration entre ces deux disciplines selon des
raisons que voici : d’une part, que ce soit la science ou la philosophie, c’est la raison qui est le
baromètre suprême de toute analyse. La preuve est qu’au départ, toutes les formes d’analyse du
réel étaient l’œuvre du philosophe (les Présocratiques, Thalès, Pythagore, etc., étaient de
grands scientifiques) depuis l’Antiquité. C’est avec le temps que plusieurs domaines de la
connaissance se sont émancipés de la philosophie pour se spécialiser. C’est le cas par exemple
des mathématiques, de l’astronomie, de la physique, de la biologie. Cependant, en s’émancipant
de la philosophie, ces sciences sont parties avec l’héritage de leur mère : la raison.
D’autre part, les deux disciplines se complètent. En effet après que les sciences se sont
émancipées de leur mère, celle-ci est devenue une épistémologie. C'est-à-dire que la science est
devenue l’un de ses objets d’étude. La philosophie se met à analyser les méthodes et les résultats
de la science. Selon surtout qu’avec son développement, la science a occasionné de nouveaux
problèmes sur beaucoup de plans (comme la menace nucléaire, les guerres sont de plus en plus
meurtrières, réchauffement climatique, disparition de la biodiversité, déforestation,
amincissement de la couche d’ozone, avortement, mère porteuse, insémination artificielle, bébé
éprouvette, euthanasie, mariage pour tous, etc.). On dirait que la science fournit la matière à
discuter à la philosophie. En effet la science pose pas mal de problèmes que le philosophe essaie
de soulever et de tenter de résoudre. Le philosophe passe alors pour la lanterne de la science.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », remarquera Rabelais. D’où se notent des
points de convergence entre ces deux disciplines.

3- Spécificités

Tout bien considéré, même si la science semble plus pratique et plus pragmatique, la
philosophie n’est pas du reste car ses recherches et l’application de ses résultats sont
importantes dans la conduite des problèmes sociopolitiques concrets (cf. l’application des
thèses des théoriciens du contrat : Hobbes, Rousseau, Kant ; les différentes recommandations

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des bio-éthiciens et des éthiciens de l’environnement, etc.). Il faut surtout insister sur le fait que
le point central vers lequel convergent fondamentalement ces deux corps de savoir, c’est le bien
être de l’homme sur terre. Et pour cela, au lieu d’entretenir un rapport de conflit entre ces deux
disciplines, ce en quoi excellent les scientistes, il vaut mieux se rendre à l’évidence de leur
complémentarité et travailler à la consolider.

II- Rôle de la philosophie

D’une façon générale, deux positions se dégagent lorsqu’il s’agit d’évoquer le rôle de
la philosophie dans la société. Il y a ceux qui la perçoivent comme une activité purement
abstraite et spéculative et ceux qui la considèrent comme indispensable pour l’humanité.

1- Philosophie comme pure spéculation

On a souvent reproché à la philosophie de n’être qu’une pure abstraction. Pour beaucoup


de gens, elle est une discipline qui détourne des véritables préoccupations humaines en ce sens
qu’elle ne porte son attention que sur de vieilles questions insolubles qui encombrent les esprits.
Pour Auguste Comte le père du Positivisme moderne par exemple, dans son évolution, l’esprit
humain passe par trois étapes : l’état théologique où les gens expliquaient tout par rapport aux
divinités, l’état métaphysique où tout est fruit de l’abstraction et l’état positif où tout est
rationnellement, scientifiquement résolu avec un grand effort d’objectivité. Les deux premières
étapes auxquelles appartient la philosophie, détournent l’homme des tâches sérieuses et le
laissent dans un état primitif qu’il faut dépasser pour atteindre l’âge positif, l’âge de la science.
Le philosophe à l’instar d’un Diogène le cynique qui dormait dans un tonneau, d’un
Thalès qui tomba dans un puits parce que préoccupé par l’observation des phénomènes célestes,
ne se préoccuperait de ce fait que des questions inutiles en laissant de côté les vrais problèmes
de l’humanité. Un des responsables de la conception idéaliste du philosophe est Platon. En
effet, Platon fait de la Philosophie le moyen par lequel l’homme doit se débarrasser des
illusions de ce monde pour rechercher l’essence des choses. C’est le message que véhicule le
Mythe de la caverne. Cependant, lorsque le philosophe se jette dans cette entreprise en élevant
sa méditation aux dimensions de l’universel et s’interroge sur la condition humaine (à travers
les deux premières parties de la dialectique : l’ascendante et la contemplative – du mythe de la
caverne), il devient tout à fait désorienté et ridicule dans la résolution des problèmes quotidiens
posés par la vie réelle. Il se montre gauche, incapable de faire sa valise pour un voyage ou
d’assaisonner un plat.
La Science et la technique en renonçant au pourquoi des choses vont à l’âge positif grâce
à la découverte des lois de la nature, rendre l’homme comme maître et possesseur6 de l’univers.
Aussi, les incessantes spéculations et oppositions des philosophes sur les mêmes sujets
conduiront Calliclès à dire que : « la philosophie n’est qu’un enfantillage inutile et dangereux »7
d’où la nécessité de vivre d’abord et de philosopher après (« primum vivere, deinde
philosophare »). Que peut alors valoir la philosophie dans un monde qui a faim ?

2- Philosophie comme praxis

La nécessité spéculative abstraite ou contemplative s’accompagne nécessairement d’un


retour à la réalité. L’abstraction permet au philosophe de cerner spirituellement le réel avant de

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Selon les propos de Descartes. 7
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Platon, Gorgias.
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l’approuver, de le critiquer ou de le transformer. La philosophie met ainsi l’homme à l’abri de


l’aveuglement et de l’obscurantisme. La finalité de la réflexion philosophique c’est l’humain.
La question comment ne saurait évincer la question pourquoi en ce sens qu’elle seule donne
du sens à l’existence humaine comme le dit Georges Gusdorf. Comment l’homme peut-il
rompre avec la question pourquoi dans un monde où la pragmatique scientifique et techniciste
déplacent continuellement les limites des valeurs sans en proposer de nouvelles ?
La philosophie dans son rôle nourricier de l’esprit, éveille les consciences et permet
d’identifier toutes les tendances vicieuses qui cherchent à faire passer le faux pour le vrai. Elle
permet donc de redonner aux choses leur vraie et juste valeur. Elle travaille à rendre plus
humaines et morales les sciences. Un coup d’œil sur les questions de l’euthanasie, du clonage
par exemple nous permet d’illustrer ce constat. Aussi, la philosophie, école de la liberté, de
l’égalité participe à la prise de conscience et à l’engagement politique. Autant une nation a de
philosophes autant connaît-elle une brillante civilisation, dira Descartes. Il va d’ailleurs
rajouter que « c’est proprement avoir les yeux fermés, sans jamais tâcher de les ouvrir, que de
vivre sans philosopher ». Russell va renchérir en ses termes : « celui qui n’a aucune teinture de
philosophie, traverse l’existence, prisonnier des préjugés dérivés du sens commun, des
croyances habituelles à son temps, à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la
coopération ni le consentement de la raison ».
La praxis, conçue comme énergie pratique humaine et sociale, se retrouve chez Karl
Marx et équivaut au critère essentiel du vrai. C’est pour cela que dira-t-il, « les philosophes
n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, il s’agit de le transformer ».
D’ailleurs, il est important de rappeler que Platon en demandant au philosophe d’aller
contempler les vérités essentielles dans le monde des idées c’est-à-dire hors de la caverne,
insiste sur le fait qu’il revienne dans la grotte pour enseigner la vérité et rendre justice : d’où
ses concepts de Philosophe-roi ou du Roi-philosophe. Dès lors, en revenant un tant soit peu sur
l’histoire, on se rendrait compte de comment des travaux des philosophes étaient au fondement
des véritables changements sociopolitiques, et interviennent dans d’importantes prises de
décision à divers niveaux :
- Inspiré du marxisme, Kwame N’Krumah dans son ouvrage Consciencisme demande au
peuple africain de lutter pour se libérer du joug de la colonisation et de travailler pour se
développer. Il y parle même des Etats Unis d’Afrique (la première idée va stimuler l’accession
aux indépendances des Etats africains, la seconde, la concrétisation de l’Organisation de l’Unité
Africaine devenue Union Africaine).
- Les révolutions dans la vie des nations sont souvent marquées par les travaux des philosophes.
On peut se contenter de citer le cas de la Révolution Française de 1789 occasionnée par les
travaux des philosophes des Lumières.
- Le premier article de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen est de Rousseau :
« les hommes naissent et demeurent égaux en droit ».
- Aujourd’hui plus que jamais, où la science avec ses développements à outrance menace la
pérennité de la vie sur terre, on fait recours aux philosophes bio-éthiciens et éthiciens de
l’environnement en cas de greffe d’organe, d’euthanasie, d’installation de réacteurs nucléaires,
etc.
- En politique, les philosophes servent comme conseillers auprès des gouverneurs et occupent
parfois même des postes politiques : c’est le cas de Ebénézer Njoh-Mouelle qui était conseiller
du Président Paul Biya (Cameroun). Des philosophes ministres togolais comme N. Broohm,
R. Dusseh pour ne citer qu’eux.

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III- Problématique de l’Ethnophilosophie

L’ethnophilosophie est définie comme la façon de penser, de voir, d’agir d’une ethnie,
d’un peuple, d’une région donné. Parler de l’ethnophilosophie c’est faire référence de façon
spécifique à une vision du monde propre à l’Afrique caractérisée par les coutumes, les traditions
les croyances, les proverbes… A ce niveau se pose un problème, celui de savoir s’il existe une
manière de penser singulièrement, typiquement africain. Les approches sont divergentes sur la
question.

1- Pour les premiers

L’Afrique n’ayant ni histoire ni culture et civilisation, elle ne saurait avoir par ricochet
de systèmes de pensée, de philosophie. Ces approches empruntes de racisme font de l’homme
africain un être enveloppé par les ténèbres de l’ignorance. C’est ainsi que pour Lucien Lévy-
Bruhl par exemple l’africain n’aurait qu’une « mentalité prélogique », sans capacité de penser.
Selon cette logique, l’africain ne posséderait pas la raison ou dans le meilleur des cas ne saurait
l’utiliser. Idée que semble corroborer cette idée de Senghor : « l’émotion est nègre et la raison
Hellène». Ce qui fait que : « l’Afrique noire, (…) est le pays de l’enfance, qui au-delà du jour
de l’histoire consciente est enveloppée dans la couleur noire de la nuit »8 écrira Hegel.

2- Le contre-pied de la première thèse

Contre cette première thèse qui rend l’homme africain incapable de penser, de
philosopher, une deuxième affirme l’existence d’une forme de pensée africaine qu’on pourrait
nommer, philosophie africaine. Au nom de l’universalité de la raison, le Père Placide Tempels
auteur de La philosophie bantou et Alexis Kagamé auteur de La philosophie bantou comparée
affirment que l’Afrique a une vision complète de l’individu au sein de sa société et dans le
monde. Ils disent par ricochet que l’Afrique dispose d’un système de pensée, de philosophie.

3- La résultante

A l’encontre de ces deux tendances qui tournent autour de pour ou contre une
philosophie africaine, Paulin Hountondji refuse toute coloration géographique de la
philosophie. La notion de philosophie ne saurait être réduite à une simple vision du monde.
Philosopher suppose un ensemble précis de démarches rationnel éminemment critique. En ce
sens, il ne saurait y avoir une philosophie propre à l’Afrique différente de celle européenne. La
philosophie spontanée ne saurait être la philosophie. Il n’y a pas de philosophie dans la tradition
et croyance africaine. Il y a tout au plus une forme de pensée. Philosopher n’est pas exhumer
une tradition.

Conclusion

Activité de réflexion, la philosophie se distingue des corps de connaissances qui


transmettent un savoir au contour précis et délimité. De ce fait, elle ne saurait se satisfaire d’une
quelconque définition qui réduirait son champ d’étude ni, ne saurait admettre une coloration
géographique particulière au risque de plonger dans un sophisme dont il ne peut s’accommoder.

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Hegel, Leçon sur la philosophie de l’histoire 9
CS LA REVELATION
BP : 30455 Tél : 22 61 13 34 Classe : Tle D1
Année Scolaire : 2023-2024 Prof : M. AWOKOU

A cause de son dynamisme interne, la philosophie ne peut s’apprendre, on ne peut qu’apprendre


à philosopher. Apprendre à philosopher, c’est donner l’opportunité à la réflexion de devenir
critique et se mettre ainsi à interroger le réel comme ce fut le cas dans la Grèce Antique.
Interroger le réel revient à soulever les problèmes de l’homme, de son existence, de la société
et se mettre en route pour améliorer la condition humaine.

Sujets de réflexion
1-La philosophie est-elle faite pour élever ou pour exiler ?
2-La réflexion philosophique est-elle étrangère au monde ?
3-Peut-on prendre le sens commun pour la philosophie ?
4-Que pensez-vous de cette affirmation de Gourant : « le philosophe n’est plus aujourd’hui un
savant mais un spécialiste de philosophie » ?
5-Maurice Blondel écrit : « l’attitude philosophique c’est non la saturation intellectuelle mais
une ouverture d’esprit ». Que pensez-vous de cette affirmation ?

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