Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Les principes de Newton sont une réfutation des principes de Descartes. Toutes les
spéculations logiques ou métaphysiques sont étrangères à la considération des
phénomènes et doivent donc être rejetées. “Tout ce qui ne se déduit point des phénomènes
est une hypothèse”. La méthode inductive comme elle est appliquée strictement par Newton
va être contraire à la métaphysique.
Ces notions, aujourd’hui classiques, sont abordées dès l’antiquité, et l’on va trouver,
dans les écrits d’Aristote, une méthodologie de la science, qui va formuler une première
théorie de l’induction qui sera intimement liée à celle du syllogisme. Dans l’Organon, Aristote
définit le syllogisme comme un “discours dans lequel, certaines choses étant posées,
quelque chose d’autre que ces données en découle nécessairement par le seul fait de ces
données”. Il s’agit d’admettre la vérité de deux propositions, les prémisses, et d’en déduire la
vérité d’une troisième, qui sera la conclusion. On va pouvoir inférer, à partir des prémisses
“tous les hommes sont mortels” d’une part, “tous les Grecs sont des hommes” de l’autre, la
conclusion “tous les Grecs sont mortels”. Le raisonnement syllogistique doit sa validité à un
moyen terme : ici, mortels est le grand terme, homme est le moyen terme et Grecs est le
petit terme. Le moyen terme, homme, permet d’établir la relation entre le grand et le petit
terme : le moyen terme n’apparaît donc pas dans la conclusion. Ce syllogisme là est un
syllogisme démonstratif qui procède par déduction.
En tant que l’épistémologie est une réflexion philosophique qui va prendre pour objet
d’investigation principale la connaissance scientifique, il paraît évident qu’elle accorde un
intérêt vif aux questions de méthode : il n’y a en effet pas de sciences sans méthodes et les
critères pour parler d’une science contiennent la méthode. En mathématiques, la méthode
axiomatique moderne va encore reposer sur cette double démarche d’induction et de
déduction et même si les mathématiciens modernes sont habitués à procéder de façon
différente pour atteindre un résultat et vont considérer comme méthode d’autres procédés,
ce que l’on remarque c’est que ces méthodes ont besoin elles-mêmes d’être fondées de
façon axiomatique, de sorte que les procédés d’analyse et de synthèse gardent l’importance
qu’ils avaient déjà. Dans les sciences empiriques, on peut se demander ce qu’il en est
puisque ces sciences vont se proposer d’expliquer des phénomènes qui se produisent d’une
part dans l’expérience et d’autre part, si possible, de les prévoir. Si on considère que ces
sciences ne sont que l’application des mathématiques, ou même de la géométrie, alors les
mêmes procédés valent dans toutes les sciences. Descartes mentionnait dans sa méthodes
les règles d’analyse qui étaient de ramener l’inconnu au connu et les règles de synthèse, de
déduction du plus simple au plus complexe : ces deux règles sont encadrées par la règle
d’évidence, imposée au principe premier, et par le dénombrement de tous les cas d’un
même genre. Le problème qui se posait était qu’il existait dans le premier cas des évidences
trompeuses, et dans le deuxième cas, la nature ne se prête pas à “des revues si générales
que l’on soit assuré de ne rien omettre”. L’utilisation de méthodes mathématiques pour la
physique moderne est essentielle mais en tant que l’intuition de la physique moderne
consiste en la faculté de saisir les concepts physiques fondamentaux, elle diffère de
l’intuition mathématique, et de fait, on va bien considérer que Newton et Galilée ont dépassé
Descartes. Une attitude va consister à nier cette différence entre ces deux intuitions et va
prétendre que le contenu qui n'est pas strictement mathématique des théories physiques est
obtenu par induction à partir de la connaissance sensible. Dans la connaissance commune,
on procède de cette façon-là avec un grand succès. Pour des penseurs comme Bacon, les
sciences empiriques vont reposer sur des démarches inductives qui vont se distinguer de
celle de la connaissance commune que par davantage de rigueur et de méthode. Dans son
Novum organon, Bacon proposait de classer les faits par l’établissement de tables de
présence, d’absence et de degré. Dans les faits, il est difficile de trouver une seule
connaissance scientifique qui ait été trouvée en suivant des règles aussi abstraites : des
penseurs ont tenté d’affiner cette méthode pour permettre à l’expérimentation scientifique de
suivre une démarche inductive ; Stuart Mill propose par exemple la méthode de résidus, de
concordance, de différence, et celle des variations concomitantes. Ces méthodes décrivent
bien une pratique expérimentale qui soit soucieuse de rigueur mais elles servent davantage
à tester une hypothèse plutôt qu’à en formuler une. Comment, dans les faits, une hypothèse
scientifique est-elle constituée d’un point de vue méthodologique ? Comment la science
parvient-elle à formuler des lois correspondant aux phénomènes naturels et à effectuer des
prédictions ? On se demandera dans quelle mesure la démarche inductive peut être tenue
pour suffisante, et s’il est réellement possible de formuler une méthode par laquelle on
pourrait formuler des hypothèses pertinentes.
Le paradoxe de Goodman met en question le fait que notre langage, par les
prédicats qu’il nous fournit, révèle la part d’interprétation contenue dans les données
empiriques de l’expérience. Les descriptions et les prédictions induites, loin d’être neutres,
même dans le discours scientifique, sont toujours tributaires de l’enracinement dans une
culture des prédicats, en vertu desquels vont être construites les classifications, par
exemple, sur lesquelles s’appuient les chercheurs. L’idéal inductiviste de la découverte
scientifique semble dès lors, en raison de la part d'interprétation logée dans les prédicats
que l’on va utiliser, victime d’une représentation fallacieuse d’après laquelle les données de
l'expérience pourraient être décrites et intégrées au discours scientifique de façon directe et
donc purement objective. On va retrouver dans les Eléments d'épistémologie de Hempel
une critique de ce que l’auteur va appeler “la conception étroitement inductiviste de la
recherche scientifique”, ce qui correspond à une certaine compréhension de l’idéal
newtonien, qui était notamment de ne pas imaginer d’hypothèses : la science partirait de
l’observer de faits pour en tirer des lois et des théories qui permettraient ensuite de déduire
des prédictions et donc des explications de faits nouveaux. Hempel note quatre étapes dans
la méthode de la conception inductiviste : observation et enregistrement de tous les faits,
analyse et classification de ces faits, dérivation d’énoncés généraux par induction à partir
des faits, contrôles supplémentaires des énoncés généraux. Selon cette démarche il
importerait de ne faire aucune supposition au cours des deux premières étapes, sur la façon
dont les faits observés pourraient être reliés les uns aux autres, l’idée étant d’éviter
qu’interviennent des idées reçues ou des opinions au sein d’une démarche scientifique qui
vise à l’objectivité. Ce que remarque Hempel, c’est que force est de constater que la
démarche scientifique, si elle suivait de telles contraintes, ne pourrait jamais avancer. Il ne
suffit que de retenir les faits qui sont significatifs : comment déterminer qu’un fait est
significatif sans interpréter le moindre fait observé ? Hempel souligne qu’un fait va être
significatif par rapport à un problème mais surtout par rapport à une solution qui sera
susceptible d’être apportée. “Le genre de données qu’il convient de recueillir n’est pas
déterminé par le problème auquel on est aux prises, mais plutôt par la solution provisoire
que le chercheur tente de lui apporter, sous forme d’une conjecture ou d’une hypothèse”
(chapitre I, ibid). La maxime d’après laquelle il faudrait d’abord rassembler des données
sans hypothèse préalable se détruit elle-même, puisqu’il est impossible de déterminer la
signification d’un fait sans idée préalable de la solution que l’on souhaite apporter. Au
moment de faire des recherches en science, il est impossible de suivre une démarche
strictement inductiviste, sans avoir au préalable une hypothèse concernant la solution au
problème. Il va être beaucoup plus intéressant, en science, de produire des hypothèses de
façon hasardeuse pour donner à la recherche une direction, pour sélectionner les faits qui
seront significatifs dans l’expérience qui servira à éprouver cette hypothèse. De la même
manière, la deuxième étape, d’analyse et de classification, semble ignorer qu'une
classification va toujours mettre en jeu des critères qui sont extérieurs à la simple
observation, qui seront déterminés par les prédicats de notre langage et par des hypothèses
qui seront relatives à l’explication des phénomènes observés. Le simple fait d’effectuer une
classification revient à regrouper des phénomènes ou des objets selon des critères
préalablement choisis. Si on a pas déterminé par avance ces critères, un même objet pourra
intégrer plusieurs classes différentes. L’induction n’est pas la simple application d’une
procédure mécanique qui pourrait être rendue automatique. Les hypothèses et théories
scientifiques sont exprimées par des termes qui ne figurent pas du tout dans le descriptions
des découvertes empiriques sur lesquelles elles reposent et qu’elles expliquent. Il est
nécessaire d’avoir des termes qui constituent un appareil conceptuel pour traduire les
expériences dans le langage de la science. La force d’une hypothèse ne vient donc pas de
l’application mécanique du raisonnement inductif : sa formulation résulte d’une investigation
qui analyse la valeur épistémique de différentes conceptions en les mettant à l'épreuve.
Selon Hempel, pour passer des données à la théorie, il faut un travail créateur de
l’imagination. Les hypothèses ne sont pas dérivées des faits scientifiques mais inventées
pour en rendre raison. Elles constituent des conjectures portant sur des liens entre les
phénomènes, sur ce que leur cours peut avoir à l'arrière plan d’uniforme et sur les modèles
qui peuvent lui être sous-jacent.
Une hypothèse peut-elle ne résulter que d’une simple opinion ? Peut-elle être créée
selon notre imagination ? Selon Bachelard, le progrès de la connaissance scientifique est
une marche vers l’abstraction. Il s’intéresse aux conditions psychologiques des progrès de la
science : on rencontre divers obstacles épistémologiques qui s’appliquent à des causes de
lenteur qui apparaissent dans l’acte même de connaître. Il existe une rupture dans notre
rapport au réel, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des
connaissances mal faites. L’esprit n’est pas capable de faire une table rase des
représentations quotidienne de la réalité. Lorsqu’il se présente à la culture scientifique,
l'esprit humain est vieux, il a l’âge de ses préjugés. Ceci représente une entrave face à la
connaissance objective. L’accès à la science nécessite un rajeunissement spirituel. Il faut
détruire tous nos jugements immédiats pour construire une connaissance rationnelle. Ceci
se traduit alors en une lutte contre jugement immédiats. Cela nécessite la formulation
préalable d’un problème pour faire progresser l’esprit vers une solution. Ainsi, la science
s’oppose à l’opinion : l’opinion pense mal et traduit des objets immédiats en connaissance et
ceci est le premier obstacle à surmonter. Rien n’est donné, tout est construit. L’opinion est
un rapport pragmatique aux choses, un préjugé. De la rationalisation discursive et complexe,
l’esprit fait une catharsis intellectuelle et affective. Un tel projet épistémologique implique
une psychanalyse de la connaissance. Le chercheur doit se débarrasser de tout ce qui peut
lui faire commettre des erreurs. Une hypothèse ne résulte pas d’une opinion car elle doit
formuler des problèmes au lieu de se fier à des données faussement évidentes. Ainsi, le
rationalisme appliqué exorcise l’inconscient de l'opinion pour lui préférer la mise en forme
rationnelle de l’expérience que détermine la position d’un problème. Dans une enquête
policière, par exemple, “l’investigation associe rigueur et créativité en suivant une véritable
méthode et en laissant place à la possibilité de l'inattendu”. Dès lors, peut-on envisager une
épistémologie de l’abduction ?
“Lorsque l’esprit se présente à la connaissance, il n’est pas jeune, il est très vieux,
parce qu’il a l’âge de ses préjugés”. Même si les préjugés peuvent être utiles dans la vie
courante, Bachelard estime qu’ils constituent des entraves à la connaissance scientifique et
l’accès à la science va permettre un rajeunissement de l’esprit en détruisant les préjugés. Le
processus d’accès à la connaissance scientifique est donc une lutte contre nos jugements
immédiats et donc cette inconscience de soi, d’où son désir de psychanalyse de la
connaissance. D’un point de vue pratique, ce qui distingue la science de l’opinion de
manière radicale est cette démarche de formulation qui va aboutir à formuler un problème
en vue de progresser vers une solution dans une démarche rationnelle. L’esprit scientifique
est ainsi formé selon Bachelard. “La science, dans son besoin d’achèvement comme dans
son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de
légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que
l’opinion a, en droit, toujours tort”. L’opinion traduit un rapport pragmatique aux objets, elle
ne peut donc pas permettre de formuler d’hypothèses quant à ces objets par nature. Nous
en venons donc à comprendre la recherche scientifique comme une enquête médicale ou
policière. La démarche par laquelle on en vient à formuler une hypothèse est irréductible à
l’application d’une méthode inductiviste et qu'elle ne peut pas non plus être hasardeuse et
résulter de l’opinion.
Si les hypothèses dont le chercheur va chercher à découvrir des implications qui sont
vérifiables ne dérivent pas de la simple induction ou de l’opinion, comment à partir de
l’observation d’un cas peut-on formuler une hypothèse qui soit susceptible d’en constituer
l'explication rationnelle qui soit la plus plausible ? Pour Charles Sanders Peirce, cette
démarche intellectuelle n'est pas réductible au raisonnement inductif ni à la simple
déduction, mais qui va faire jouer les deux opérations afin de produire une idée nouvelle :
cette opération va être nommée abduction. De manière globale, elle va consister en
l’observation d’un fait surprenant et la recherche d’explications susceptibles de rendre
compte de ce fait. De quelle manière est faite cette recherche ? Ce processus inférentiel va
s’appuyer sur une procédure d'enquête qui va consister à imaginer plusieurs hypothèses en
vue de l’explication causale d’un fait surprenant avant de mettre ces hypothèses à l’épreuve
de l’expérience. Ce type de raisonnement abductif est doté de caractéristiques singulières
car d’un point de vue logique il a une forme définie mais en même temps il relève d’une
forme de divination (guessing). Une abduction prendra généralement la forme suivante : un
fait surprenant B est observé, une hypothèse A est émise selon laquelle si A était vrai alors
B s’en suivrait, et enfin, il y a de bonnes raisons de supposer que A sera vrai. Par exemple,
j’observe que la route est mouillée, j’émets l’hypothèse que s’il avait plu, la route serait
mouillée, donc j’ai de bonnes raisons de soupçonner qu’il a plu. Du point de vue formel, ce
raisonnement n’est pas valide, puisque de nombreuses hypothèses courantes pourraient
intervenir, et on considère donc ce raisonnement comme un sophisme, celui de l’affirmation
du conséquent d’un conditionnel, puisque les deux propositions sont reliées par l’opérateur
du conditionnel “si… alors”. Des énoncés ainsi formés peuvent tout à fait se présenter de
telle manière que l’on aura un conséquent vrai sans que l’antécédent soit nécessairement
vrai également. Même en admettant la vérité de ce conditionnel, rien ne va exclure dans
l’exemple que la route soit mouillée pour une autre raison. Comment peut-on rendre compte
de la plausibilité d’une conclusion qui ne sera en rien logiquement nécessaire ? C’est ce que
Peirce appelle faire une hypothèse et il l’illustre dans le texte où un individu est mis devant
une table et va se demander de quel sac de haricots viennent les haricots blancs qu’il a
trouvés sur la table. Si parmi les sacs qui étaient présents sur la table, il fait le constat que
seul un des sacs contient uniquement de haricots blancs, il va faire l’hypothèse d’après
laquelle les haricots de la table viennent de ce sac-là. Ce que nous dit Peirce c’est que ce
n’est pas une inférence inductive ni une hypothèse formée au hasard : on produit un
jugement à partir de l’observation d’un cas, les haricots sur la table sont blancs, et d’une
observation plus générale, les haricots d’un certain sac sont tous blancs. Cet exemple
paradigmatique va témoigner du fait que l’inférence abductive ne va être valide logiquement
que si on la justifie par un contexte donné qui permettra d’exclure les autres causes
possibles que l’on n’a pas retenues. L’hypothèse explicative prend son sens dans son
rapport avec des habitudes d’action socialement et historiquement situées et qui vont
gouverner de façon presque automatique nos comportements quotidiens. Nous faisons un
usage quotidien de ces émissions d’hypothèses et de choix de l’hypothèse la plus plausible
et cela peut prendre une dimension très créative dans le champ de la recherche scientifique
et qui a pu donner des savoirs inédits.
Étudions la manière dont Kepler a découvert le caractère elliptique de l’orbite de la
planète Mars. On peut présenter la démarche de Kepler en quatre étapes. Tout d’abord, il
doit expliquer un fait, l’orbite de Mars. Bien qu’il adopte déjà l’héliocentrisme de Copernic, il
va chercher à trouver la nature de la courbe que fait l’orbite de Mars autour du Soleil. Étant
encore héritier de conceptions traditionnelles sur les mouvements des astres, la forme
parfaite associée au monde supralunaire est le cercle, et Kepler suppose donc que le
mouvement de l’orbite de Mars autour du Soleil est un mouvement circulaire. La première
hypothèse est donc la suivante : Mars se meut en décrivant un cercle. Cette hypothèse
initiale est d’emblée réfutée par l’observation des mouvements de Mars qui se situent sur un
tracé ovoïde et non circulaire. Le fait observé, cette forme ovoïde prise par la trajectoire de
Mars autour du Soleil, devient un fait surprenant, en ce qu’il ne s’inscrit pas dans la vision
classique que nous avons des mouvements célestes. La deuxième étape de sa démarche
est donc l’émission d’une seconde hypothèse : la trajectoire de Mars décrit une ellipse. La
troisième étape correspond donc à la vérification de cette hypothèse. Après de plus amples
observations, les mouvements de Mars correspondent bien à peu près à une ellipse dont on
placerait le foyer sur le Soleil. Cette confirmation peut être représentée comme une
inférence selon laquelle un énoncé conditionnel va se voir confirmé ou du moins renforcé
par la véracité de son conséquent. Enfin, quatrième et dernière étape, cette idée nouvelle, à
son tour, va faire l’objet d’une généralisation inductive qui va conduire à la formulation de la
première loi de Kepler qui énonce que les planètes du système solaire suivent des
trajectoires elliptiques dont le Soleil va constituer l’un des foyers.
Une hypothèse est une proposition formulée par un chercheur en vue de répondre à
un problème. Elle reçoit toujours sa signification dans le cadre d’une théorie scientifique.
Une théorie est un ensemble de concepts, de principes et de lois, ainsi que d’hypothèses qui
vont former un système complexe à propos d’un sujet ou d’un domaine de connaissances
déterminé. Une théorie va se caractériser par une mise en forme logique et par un ordre
inférentiel qui va permettre de lier les différents éléments qui la composent ; mais aussi par
son abstraction, et dans certain cas sa complexité. Si aujourd’hui il nous semble naturel de
considérer la science comme champ privilégié de construction d’édifices théoriques, il est
important de reconnaître qu’il existe un grand nombre de théories qui n’ont aucune
prétention à la scientificité, et on citera la plupart des théories philosophiques, politiques,
morales et esthétiques, qui ne cherchent pas tant à construire un discours scientifique au
sens strict qu’à traduire des conceptions du monde qui soient cohérentes et susceptibles de
donner du sens à nos actions, voire d’imposer à nos actions un cadre normatif qui soit
reconnu par une communauté qui partagera les mêmes valeurs. Il y a une difficulté qui se
pose également lorsque l’on se penche sur les sciences de l’homme, notamment car les
discours des chercheurs dans les sciences de l’homme semblent osciller entre une exigence
de neutralité axiologique, considérée comme un gage de scientificité, et un engagement
personnel qui donne lieu à des prises de positions argumentées et qui rompent avec cet
idéal de stricte objectivité que l’on associe au discours scientifique. Il importe de poser la
question, d’autant plus dans la mesure où la légitimité accordée à la science peut pousser
certaines doctrines à asseoir leurs positions en revendiquant une scientificité qui leur
donnerait l’ascendant sur les doctrines rivales. Il y a de nombreux auteurs post modernes
qui ont tenté de faire usage de théories scientifiques en appliquant des conceptions
reconnues en mathématiques à des domaines a priori totalement étrangers aux
mathématiques, dans la psychologie ou la sociologie par exemple. Est-il possible de définir
des critères à l’aune desquels puisse être établie une démarcation entre science et
non-science ; il est d’autant plus important de poser cette question en ce que l’alternative
consisterait en un relativisme qui ne permettrait d’établir aucune distinction entre des
représentations imaginaires, magiques et mythologiques, et des résultats obtenus en
appliquant des méthodes de raisonnement. Quels sont, donc, les critères pour reconnaître
une théorie comme scientifique ?
Face à la question de savoir ce que l’on peut attendre d’un édifice intellectuel qui
prétend à la scientificité, on peut être d’abord amené à étudier tous les requis d’un discours
vrai, en considérant la science comme un modèle de vérité.
B. et de conformité
Comment les sciences empiriques se distinguent-elles d'une part des sciences non
empiriques et d’autre part des domaines extra scientifiques ?
Il ne faut pas confondre les méthodes et concepts des sciences de la nature avec
celles des mathématiques pures et de la logique formelle, qui ne requièrent ni observation ni
expérimentation. De fait, elles visent une vérité formelle plutôt qu’une vérité factuelle. Pour
Popper, les discours métaphysiques vont prétendre pouvoir aboutir à des vérités nouvelles
par l’usage de la raison pure plutôt que par l’analyse attentive des phénomènes. Les
discours métaphysiques portent néanmoins sur la réalité : les sciences empiriques que l’on
connaît aujourd’hui descendent toutes d’un savoir à prétention scientifique, la métaphysique
spéculative ou philosophie. Moins une science est développée et plus elle va porter en elle
des marques de métaphysique, selon Popper, de sorte que la manière dont elle va réussir à
se démarquer de cette métaphysique va être extrêmement importante afin qu’on puisse la
considérer comme une science. On pourrait considérer qu’une métaphysique prétendrait
relever de l’expérience, tout autant voire davantage que de la raison, en englobant les
expériences subjectives dans le terme.