Le texte à l'étude est tiré d'un essai de Montaigne qui s'intitule « Des boyteux »
et qui se situe au chapitre XI du troisième livre. Dans cet extrait, le philosophe
thématise la notion d'ignorance. Ce dernier se demande s'il faut concevoir l'ignorance et la sagesse comme des concepts opposés ou bien s'il est préférable de traiter l'ignorance comme un moyen épistémologique qui permettrait de faire preuve de modestie, chose nécessaire à la démarche philosophique. Effectivement, un monde savant qui penserait l'ignorance et la sagesse selon le mode de l'opposition et qui, en conséquence, craindrait l'ignorance, serait d'autant moins capable de se remettre en question qu'il accepterait sans examen les thèses les moins solides par peur d'être honteux. Pour Montaigne, il est nécessaire de concevoir l'ignorance comme faisant partie intégrante du processus de sagesse car elle est à la fois l'initiatrice de la démarche philosophique et son aboutissement. C'est en vertu de cela qu'il est nécessaire selon le philosophe de s'exprimer dans un style modeste et faisant apparaître les nuances de la modalité. Une telle conception de l'ignorance s'oppose, dans le contexte de Montaigne, à ceux qu'il nomme les « philosophes », c'est-à-dire les savants qui ignorent (ou refusent de reconnaître notamment par crainte de la honte) leur faillibilité théorique et la finitude de leur connaissance. Enfin, on peut d'ores et déjà noter la double réflexion sur la notion de style que Montaigne mène en filigrane. En effet, si le philosophe considère explicitement que le style est un outil pédagogique capital pour l'éducation de l'enfant, cette considération se retrouve également dans son propre style d'écriture : les latinismes qui caractérisent sa langue contraignent le lecteur à relire plusieurs fois le texte afin de s'approprier le propos du philosophes. Il n'y a donc pas de hiatus clair entre le style (formel) et les idées (le fond). Il conviendra d'analyser l'extrait en trois moments. Montaigne met en œuvre jusqu'à la ligne 4 une critique de la conception rhétorique de l'ignorance. Le philosophe développe ensuite jusqu'à la ligne 9 un argument d'autorité pour réfuter cette même conception. En dernier lieu, Montaigne formule sa thèse : l'ignorance et la sagesse doivent se confondre théoriquement pour assurer une démarche véritablement philosophique.